espoir: livre d'anouar rahmani

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LES CHRONIQUES D’ANOUAR RAHMANI SUR EL WATAN (journal algérien)

anouar rahmani email/ anouarovic@gmail.com

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MESMAR DJOHA EL WATAN

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Espoir

Anouar Rahmani, étudiant en droit à l’université de Tipasa, auteur et blogeur, polémiste à sa manière, commentera chaque semaine dans les colonnes du supplément Etudiant l’actualité universitaire et étudiante. Sa chronique s’intitulera Mesmar Djoha, empruntée à la célèbre chronique Mesmar Dj’ha du journaliste satirique Saïd Mekbel, assassiné en 1994 à Alger par les terroristes islamistes. Un hommage que Anouar tient à lui rendre. Connu pour sa défense des minorités et sa lutte pour l’égalité, Anouar, en portevoix des étudiants, nous fera part de son regard sur l’évolution de la société, les phénomènes constatés ici et là, notamment à l’université, et ce, sans tabou ni restriction. Il donnera libre cours à ses impressions, 6


ses pensées. A travers Anouar, le cri des jeunes trouvera enfin une voix pour s’exprimer. Voici donc mon premier article ! Quel bonheur d’écrire dans les colonnes d’El Watan, de surcroît le journal préféré de mon père, ce journal qui me donne l’espoir pour partager mes pensées, exprimer mes opinions avec les lecteurs, mes concitoyens. L’occasion aussi d’exprimer mon espoir qui manque cruellement dans ce pays, pourtant bien ensoleillé. Cet espoir qui me permet de garder mes capacités mentales et psychiques, que plusieurs jeunes de ma génération ont perdues, à cause de la bêtise humaine, celle de nos dirigeants politiques, doublée de celle des hommes de religion, pour qui l’espoir est synonyme d’apostasie. L’espoir pour certains est un terme poétique, pour les gens de mon acabit il s’agit d’un principe de vie, une corde de sécurité, un élixir de l’éternité. Un terme qui aura perdu son sens en Algérie que tout le monde cherche et dont personne ne sait de quoi il s’agit. Pourtant, il est là, quelque part parmi nous, en nous, et on arrive pas à le saisir. Dès que la rédaction de l’Etudiant m’a proposé d’écrire pour le journal, j’ai été saisi d’excitation, submergé d’espoir, je me suis alors mis à m’imaginer écrire, entouré par ces milliers d’étoiles qui s’illuminent dans mon clair obscur, chacune portant en elle des idées et beaucoup d’obsessions. 7


Dans ces moments de réflexion intense, J’ai pensé alors à mon ami Hichem, avec qui j’ai de tout temps partagé la même classe à l’école, cet élève brillant en mathématiques, devenu aujourd’hui un accro de la drogue, victime de la situation sociale de sa famille. Il a tout fait pour rejoindre les rangs de la police ou de la Protection civile, s’engager dans l’armée, sans succès à cause d’une intervention chirurgicale d’appendicectomie. Solide comme un roc, Hichem avait l’habitude de résoudre des équations et des problèmes bien plus difficiles et compliqués que ce qu’il endure, il a fini par décrocher, sombrer dans le noir, perdre tout espoir et devenir, difficile de le dire : un drogué. J’ai aussi pensé à mon ami Hocine, cet autre jeune qui a abandonné son travail, laissé tomber tout derrière lui, même ses rêves les plus chers pour s’exiler en Suisse. Il a longtemps vécu et évolué dans sa terre de refuge avant de ressentir l’appel de sa patrie, l’odeur de sa terre natale et décidé de revenir retrouver la chaleur et l’affection de ses proches, lui l’orphelin, qui n’avait que les larmes de son pays pour le consoler. Cette même terre qui l’accueillera cadavre, assassiné dans sa maison à Bou Ismaïl, parce qu’il était homosexuel. Dans mes moments d’égarement, j’ai pensé à mon voisin, lui qui avait une belle situation financière, il avait de l’argent, des voitures, une grande demeure, de quoi rêvent l’immense majorité de mes compatriotes. Il a tout laissé tomber et il décida 8


comme beaucoup d’autres moins gâtés et lotis de prendre une embarcation de fortune pour rejoindre l’Europe «retrouver ma liberté et me réconcilier avec ma jeunesse, en Algérie la jeunesse est interdite». Une toute autre pensée, cette fois bien particulière, va à mon amie Samia, honnie et bannie par sa famille car elle a perdu sa virginité et est tombée enceinte de son amoureux qui l’a aussitôt abandonnée et s’est réfugié en Italie pour refaire sa vie ailleurs, loin des regards et des pressions. Samia a perdu espoir, vit dans les dédales d’Alger et se prostitue le soir pour subvenir à ses besoins et ceux de son enfant. Mes pensées me hantent, parfois me perturbent, d’autres fois me troublent et me donnent espoir, même si je pense à Oussama qui n’a toujours pas trouvé de travail. A Lotfi, qui se débat avec ses problèmes de service militaire. Au drame de Abdellah, amputé des deux jambes suite à un accident tragique survenu en Allemagne, où il est parti poursuivre ses études. Aujourd’hui, il vit avec une pension d’invalide de quelques sous, 4000 DA, une honte pour l’Algérie. A cette jeunesse perdue dans l’ombre de mon frère étranglé jusqu’au cou par les dettes de l’Ansej, j’ai profondément pensé. Cette jeunesse qui n’a cherché qu’un boulot, un avenir, s’est vu vite rattrapée par le mirage d’une fortune désuète, d’un faux espoir vendu par les maîtres du moment. 9


Avec rage, j’ai pensé à un ami du monde virtuel, Rachid, arrêté par les services de sécurité pour un péché originel , pour un crime incomparable, inqualifiable, un crime extraordinaire, un crime pas comme les autres… celui d’avoir osé traduire le Coran en darija. Imaginez-vous ? A cette Algérie des paradoxes et des contradictions, je refuse de penser qu’un demi-siècle après son indépendance, la femme, qui a tant donné pour son épanouissement, pour voir sa terre enfin libérée, s’est vu vite enfermée, réduite à un semi-citoyen et peine à retrouver cette liberté pour laquelle, elle a ardemment combattu, cela parce que les dogmes ont fait d’elle un être secondaire, non complet. Elle est à nouveau massacrée par la horde islamiste terroriste et en a payé le prix le plus lourd. Malgré cela, elle résiste face aux fascismes religieux, au diktat des gardiens autoproclamés de la morale, au nom de l’unicité du culte religieux. Quelle obséquiosité ! Quelle ingratitude envers cette femme qui les a allaités, qui les a nourris et a combattu côte à côte pendant la Révolution. Je refuse de penser que l’Algérie, ce grand corps malade dépourvu d’esprit, après tant de drames, de pleurs, ait toléré les terroristes au nom de la réconciliation nationale et qu’en lieu et place, elle livre guerre à ses écrivains, ses artistes, ses journalistes mais aussi aux minorités, que ce soit sexuelle, 10


religieuse, culturelle ou autre. L’Algérie belle, jadis rebelle, fait fuir, hélas, aujourd’hui et n’arrive plus à offrir de l’espoir à ces jeunes. Je voulais que mon premier article soit clair et sans détour, illuminé par une bougie d’espoir pour cette Algérie perdue quelque part dans mes rêves. L’Algérie, cette vaste terre à l’histoire ancestrale, cette Algérie plurielle, qui ne ressemble pas à celle où je vis aujourd’hui. Mon Algérie où tout le monde est libre, moderne. Une Algérie juste, qui donne les mêmes droits à tous ses citoyens sans discrimination, une Algérie qui se réconcilie avec les libertés individuelles, une Algérie qui respecte les droits de l’homme et le droit à la différence, une Algérie qui supporte la cohabitation et la coexistence entre ses habitants, et comme Martin Luther King, qui avait un rêve, moi aussi j’ai un rêve : un rêve et l’espoir.

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Aâoura?

C’est un appel urgent lancé et diffusé largement sur Facebook, pris au sérieux et considéré par de nombreux jeunes comme la solution magique à tous leurs problèmes et à ceux de l’Algérie avec. Une solution tellement intelligente que mon entendement n’arrive pas à la saisir. Bien évidemment, il ne s’agit pas de résoudre les problèmes économiques du pays, celui du chômage par exemple dans lequel se débattent les jeunes, encore moins une méthode de lutte contre la corruption qui dévaste l’Algérie et qui risque de la disloquer…. Il s’agit, pour les initiateurs de ce sujet épineux, de la problématique à la mode : celle de la femme. En effet, sur des pancartes et des affiches diffusées sur les réseaux sociaux, l’appel est clair : il faut séparer les filles des garçons à l’intérieur des bus universitaires. Quel génie ! Quelle trouvaille ! Mais non, 12


ce n’est pas une blague, certains veulent réellement se débarrasser de cette femme source de tous leurs malheurs. La femme — considérée comme objet sexuel, organe génital, corps à disposition, ces pieds, ces mains, cette voix, ces cheveux et même ce visage — n’est qu’une nervure courbée, un cadeau divin pour les hommes, une esclave, une machine à coucher, une machine à accoucher synonyme de péché pour certains, d’évocation du vagin, du sexe pour d’autres. Cette aâoura créée pour la maison, pour servir l’homme, les enfants, les frères, les beaux-frères, cette bonne à tout faire. Un rôle qui lui a été conféré par la bénédiction de l’interprétation du Coran. L’imam nous a toujours dit «vos femmes sont votre honneur». J’ai toujours cru que l’honneur était un terme synonyme de fierté, mais j’ai vite changé d’avis. L’honneur dont il parlait n’est à l’évidence qu’un synonyme de «honte»… J’ai donc l’honneur — pardon la honte — de vous présenter Djamila Bouhired, cette femme qui a marqué l’histoire de l’Algérie, cette femme restée debout devant le colonialisme et qui a combattu aux côtés de ses camarades algériens et algériennes, la main dans la main, pour libérer son peuple, son pays. Djamila Bouhired était considérée comme telle ; une femme à part entière.

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Ce n’était pas une légende, mais une réalité. Hassiba Ben Bouali a eu la moitié de l’héritage de Larbi Ben M’hidi. La terre de Lalla Fathma n’Soumer, Dihia, Tinihinane a été monopolisée par les hommes au nom de la religion, au nom de la tradition, au nom de la virilité ou, disons-le, du machisme. Djamila Bouhired et ses consœurs de lutte sont devenues des prisonnières et souffrent du regard d’infériorité que lui ont réservé leurs camarades. Point donc d’égalité entre homme et femme, les lois promulguées les ont réduites à de semi-citoyens. Permettez-moi de dire la vérité, laissez-moi briser la virginité masculine, cet hymen qui ne vous laisse pas voir votre humanité. Pourquoi cette peur en soi ? Pourquoi certains Algériens ont tellement peur de leur envies sexuelles qu’il se transforment en bêtes ? Paraît-il que certains ne peuvent pas contrôler leurs désirs agressifs envers la femme. Du fait qu’elle s’assoie à côté de lui, elle devient son objet, à sa disposition. Pourquoi cette frustration ? Jusqu’à quand l’homme mettra sur le dos des femmes le refoulement de soi ? Pourquoi n’apprend-il pas des femmes, qui ont pourtant des envies comme lui, à se contrôler ? Enfin, retrouver son humanité. Assia Djebbar raconte dans sa biographie comment son père avait honte d’elle quand elle apprenait à faire du vélo car on pouvait apercevoir ses jambes et ses pieds. Une histoire qui l’a marquée à jamais et dont elle a 14


gardé les stigmates d’une blessure profonde, à l’image de beaucoup d’autres femmes, car réduite à des pieds et à des jambes nus. Elle n’arrivait pas à comprendre qu’on puisse faire de la femme cette boite à sexe. J’ai alors visité sa tombe à Cherchell et j’ai murmuré à Assia : «Hélas, dans cette société, tu es encore réduite à des jambes et des pieds…»

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Ces murs appelés université

Elle est le noyau fondamental de la construction d’un Etat moderne, en l’occurrence l’université, cet outil d’apprentissage qui a pour objectif premier de créer l’élite nationale, la renouveler et perpétuer le savoir et le transmettre aux générations futures. C’est aussi le pourvoyeur principal des cadres de l’Etat. La désaffection de ce composant — ô combien important — de l’Etat, comme corps intelligent, perd sa capacité à renouveler ses cellules mentales et à amoindrir ses capacités, dans ce cas-là, l’Etat devient paralysé.

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Ce qui conduira, avec le temps, au passage de l’Etat entre les mains des familles dirigeantes ou, disons le franchement, de la nomenklatura qui fera tout pour privilégier ses intérêts, cela a pour effet de laisser pour compte le peuple qui se voit en plus dépourvu de son élite capable de le guider vers le chemin de la progression. Cela ne peut se faire sans passer par l’ouverture de débats sérieux loin du populisme béat. Les questionnements réels sur l’organisation de la société et les relations qui régissent les citoyens doivent aussi être au cœur de la réflexion des élites. Pour finalité : renouer avec une vie publique saine et active, celle d’un vrai peuple. Ces dernières années, l’Algérie a fondé des universités dans toutes les wilayas du pays, une fierté pour le gouvernement — que je salue par la même occasion — seulement voila, dans ces murs construits par des pierres d’ignorance et de non-gouvernance, le vrai sens de l’université est absent. Les moindres droits de liberté sont bafoués ; dans son enceinte, les femmes sont privées de porter des minijupes sous des prétextes fallacieux. Ses murs sont dotés d’oreilles et d’yeux à l’affût de tout, guettant les moindres faits et gestes, n’hésitant pas à exercer toute forme d’abus et d’autorité, pis, ils s’érigent en tuteur des consciences, des idées, des pensées et autres opinions politiques et en porte-à-faux des libertés.

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Ces bâtisses construites n’ont de nom que université car sa fonction première qui un lieu de savoir et de débats, ses bibliothèques boudées depuis longtemps par les étudiants ne proposent plus grand chose. Des bibliothèques hermétiques qui ne laissent pas l’air de la liberté transparaître, de peur d’atteindre les dévotions des étudiants, qui ont d’ailleurs depuis longtemps délaissés les bancs des amphis ; l’université pour eux est devenue un passe-temps, perte de temps pour d’autres, en attendant le fameux carton, pardon, le diplôme. Dans ces murs, l’étudiant algérien est traité, dans le meilleur des cas, comme un mineur, un écolier et subit l’arrogance de ses professeurs hautains et méprisants. Les conférences ne servent plus à rien, puisqu’elles se résument à de longues séances de dictée, point alors à la pédagogie et l’éthique, place à la débrouillardise et à la médiocrité. L’étudiant devient donc ce destinataire passif et vit ses études comme un travail forcé et sans internet il est incapable d’aligner une phrase, de faire de vraies recherches pour ses exposés et se contente d’un petit copier-coller. L’étudiant, raison d’être de ces murs et meubles, n’est plus au centre des préoccupations et certains professeurs ne se soucient guère de son épanouissement intellectuel et personnel, le considèrent à juste titre comme une corvée. L’étudiant algérien a grandement besoin d’une fenêtre sur la liberté, il a énormément besoin des débats libres et sérieux, loin 18


de la violence et dans le respect des avis et opinions des uns et des autres. A son tour de diffuser ce savoir et ses règles de bienséance dans la société. Il ne doit plus considéré les années de fac comme un jugement de prison ferme. Le rétablissement de l’université dans son rôle premier est plus qu’une nécessité aujourd’hui, il s’agit d’un enjeu national à haute portée sécuritaire pour l’Etat, son maintient ainsi que sa pérennité. On ne peut plus continuer à construire des buildings sans âme. Et comme dit l’anecdote prêtée au défunt président Chadli, par extrapolation, je dis l’Etat qui n’a pas d’université n’est pas un Etat, El Hamdoulillah on n’a pas d’université.

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Hailoula EL WATAN

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Zetla

J’ai ce souvenir amer qui ne me quitte plus depuis ce soir où une chaîne de télévision a invité un chef terroriste, un sanguinaire, l’ex-chef de l’AIS, le dénommé Madani Mezrag. Oui, ce sombre souvenir ne me quitte pas et pour cause, ce récit ignoble d’un carnage commis par ce grand terroriste qui ose raconter avec force détails son crime, ou comment il a ôté la vie à un soldat, sans aucune pitié et avec beaucoup de fierté. Cela a soulevé un tollé et nombreux étaient les journalistes qui avaient dénoncé avec force cette lâcheté.

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Dans cette interview écœurante qui a soulevé l’ire et suscité émoi et indignation, personne n’a décelé le véritable scoop, une révélation de taille aussi dangereuse que le terrorisme lui-même. «Avant de déposer les armes, le pouvoir nous a garanti des emplois, certains de mes camarades ont été engagés comme instituteurs ou enseignants dans les écoles de formation d’imams». J’avoue que je suis resté bouche bée devant une telle révélation. Je me demande encore comment ont-ils pu faire cela ? Ont-ils réellement mis entre les mains des terroristes les écoles de formation des imams ? A quoi ont-ils pensé au moment de prendre cette décision ? Suite à cela, j’ai perdu complètement confiance en les mosquées et les imams. A chaque fois que je passe devant une mosquée, je me pose la même question : cet imam a-t-il été formé par un terroriste ? Le doute m’emporte et la peur m’habite, surtout à la vue de tous ces jeunes qui partent en masse chaque vendredi écouter religieusement le prêche de l’imam qui peut-être a été formé par celui-là qui hante mon esprit et nourrit mon angoisse. Dans ma tête, le lien est vite fait, l’extrémisme et la violence dans lesquels baigne la nouvelle génération a peut-être une explication, une source identifiable. Elle est là ! Au su et au vu de tout le monde. 22


Pour être clair, le but derrière ce placement dans les écoles de formation des imams n’étant pas de reproduire la même idéologie religieuse extrémiste et dévastatrice et la perpétuer dans la nouvelle génération afin de freiner tout développement de la société et empêcher toute vision moderne et progressiste et interdire bonnement le droit à la pensée libre et critique. Pour une raison simple et sans raccourci aucun : éviter au système corrompu en place la menace de l’avènement d’une société libre qui risque de l’emporter sur son passage. Ce que je qualifierai d’une «zetla» religieuse n’est en fait qu’une manière indigne de maintenir mes compatriotes dans le statut d’«indigènes» hérité du colonialisme et donner par la même occasion aux gouvernants actuels la légitimité qu’ils n’ont pas pour continuer à régenter non démocratiquement la société pour encore longtemps en instrumentalisant la religion. Ainsi, le peuple est considéré comme immature, à qui on explique les phénomènes benoîtement, qu’ils soient naturels, sociaux, juridiques, politiques ou autres. L’imam dans l’imaginaire collectif est devenu un divin qui possède donc un poids social inégalé ; de ce fait, on a produit abstraitement une société théocratique, dogmatique où le moindre fait et geste, la moindre pensée ou tentative de questionnement est sous contrôle strict exercé par ces imams en herbe formés par je ne sais qui...

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Au nom de ce qu’ils appellent : unicité religieuse du peuple algérien. Si les révélations s’avèrent vraies, il devient donc aisé de penser que cette «zetla», fourguée gracieusement aux jeunes et entretenue sciemment par le pouvoir, peut à l’avenir provoquer l’irréparable et conduire le pays vers toutes les dérives inimaginables où l’extrémisme religieux prendra des proportions alarmantes. Madani Mezrag a avoué le besoin fanatique dont a besoin le pouvoir pour asseoir sa légitimité, cela me fait rappeler les propos de Kamel Atatürk à ce sujet : «L’homme politique qui a besoin des secours de la religion pour gouverner n’est qu’un lâche ! [...] Or, jamais un lâche ne devrait être investi des fonctions de chef d’Etat».

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Oups !… les règles ?

Chaque mois ou chaque semaine qui passe sa polémique stérile et puérile qui, sous d’autres cieux, passe inaperçue sans pour autant créer un spectacle médiatique désolant. Certains médias en Algérie se sont érigés en objecteurs de conscience et gardiens de la morale. Ils sont les seuls vecteurs des traditions et de la religion. Ils n’hésitent pas à infliger des châtiments et proférer des accusations et -parfois même des accusations - à l’encontre de quiconque tente d’inciter au renouvellement intellectuel. Pis encore, ils exercent une forme de pression et d’influence politico-religieuse sur l’appareil 25


judiciaire lorsqu’il s’agit d’affaires relevant du culte sans respect aucun des gens accusés à tort ou à raison. Ainsi, on a comme l’impression que les lois ont été livrées aux mains de fous pour éliminer toute voix discordante et écraser toute velléité de changement ou de dialogue au sein de la société. La question se pose d’elle-même : pourquoi les lois algériennes sont si fragiles devant certains médias et les chouyoukh autoproclamés ? La réponse se trouve dans la nature de ces mêmes lois. La loi est un outil pour préserver et protéger les droits et les libertés et régenter les relations dans la société afin de maintenir la stabilité et la paix ; or, le système judiciaire en Algérie cultive en parallèle des dérives obscènes pour freiner le développement et l’épanouissement intellectuel de la société. Certains diront qu’il s’agit d’une accusation grave, gratuite et sans fondement ; dans les faits, il s’agit bien d’une vérité. Certaines lois ont été promulguées sous la pression de lobbies, notamment islamo-conservateurs qui ont édicté des règles morales d’une vision importée du moyen-âge pour satisfaire à la fois la volonté supérieure du pouvoir et ses corollaires qui veulent garder le peuple dans l’ignorance pour le gouverner à jamais. Les exemples sont nombreux pour étayer ce constat et les lois algériennes semblent être figées dans les siècles révolus et n’avancent pas avec le développement de la société. Les 26


coutumes ont aussi un autre poids prépondérant sur la loi et deviennent par la volonté de je ne sais qui des règles officieuses qui régissent la société et abrogent de ce fait la législation en vigueur. Il est à se demander comment le législateur maintient la polygamie d’un côté et interdit de l’autre une école d’art, celle du nudisme par exemple dans son article 333 et punit plus loin dans son article 338 l’homosexuel pour des peines de prison allant au-delà de deux années de prison ferme alors que la société fait montre de son acceptation même sélective de ces minorités. Cela se manifeste dans le monde de l’art et du spectacle et de la musique. Il en est de même pour la loi ambiguë incriminant les «atteintes à la religion». Pourtant, l’Algérie a ratifié toutes les résolutions des droits de l’homme et de ce fait elle est dans l’obligation de les répercuter dans ses propres lois. Ces règles abusives qui freinent la société doivent faire l’objet d’une révision complète pour suivre son essor ; les coutumes de nature temporaires et les idées obscurantistes héritées du passé finiront par se dissoudre d’elles-mêmes. Le législateur ne devrait plus fléchir devant le lobby médiatico-religieux et promouvoir plutôt la tolérance et l’acceptation de l’autre.

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Les oubliés du Salon

Quelques jours nous séparent du Salon international du livre d’Alger. «Le livre : un contact permanent», un slogan parmi d’autres, auquel fait appel l’Algérie pour se poser comme garante des libertés et sensible à la culture. Il ne s’agit en fait que d’un éventail pour dissimuler les ravages faits à la culture en général, au livre en particulier. A l’inverse de l’Egypte, qui dispose d’une vraie politique de soutien à l’édition, chez nous, l’Etat n’offre rien en matière d’aide, bien au contraire, il fait tout pour contenir le livre, rétrécir le champ d’action et de réflexion, s’impose comme le tuteur sur les consciences et les idées et limite toute forme de liberté. Résultat : le livre est réduit à du papier, en somme des livres sans âme.

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Ainsi, les politiques menées par les pouvoirs publics en matière d’édition et de distribution sont caractérisées par la paranoïa excessive et la crainte dédaigneuse des idées progressistes que peut porter un livre. Cela a conduit certains auteurs talentueux et engagés à recourir aux maisons d’édition à l’étranger afin de s’affranchir de cette chape de plomb. Le traitement réservé aux auteurs se caractérise par le deux poids, deux mesures. Ainsi le pouvoir affiche une grande souplesse envers les auteurs confirmés et installés de l’ancienne génération et leurs ascendants dans le seul objectif de les contenir, car les rejeter signifierait une rupture et de ce fait créerait une ligne de confrontation à laquelle le pouvoir n’est pas en mesure de faire face. Par contre, il ne concède point une infime liberté aux auteurs des nouvelles générations. Et pour cause, ces écrivains sont plus proches du peuple, notamment les jeunes ; ils partagent avec eux les problèmes du quotidien, comprennent leur mentalité et sont donc dotés d’outils de compréhension qui leur permettent de mieux les influencer. Pour les tenants du système et les forces obscurantistes qui gravitent autour, le danger est justement là : cette nouvelle génération d’auteurs peut créer cette voie de salut, cette dynamique intellectuelle qui risque d’emporter les fondements idéologiques et politiques de ce pouvoir et précipiter ainsi son départ. 29


Malgré quelques espaces de liberté concédés ici et là, malgré l’audace de certains auteurs, leurs écrits restent des récits dépourvus d’idéologie ou de philosophie. Ajoutée à tout cela, la corruption dans laquelle baignent certaines maisons d’édition, notamment arabophones, qui ne voient dans le livre qu’une marchandise, un business. Certains lobbies exercent un chantage réel sur certains auteurs, décident en conglomérat de l’édition sur qui éditer et celui à interdire de parution. Même les conférences et les espaces de débat sont réservés exclusivement à certaines «plumes» politiquement correctes. Nonobstant le plagiat et le vol littéraire de projets de livres par les tenants des «commissions de lecture». Le Salon du livre n’est en définitive qu’une manifestation pour mettre en avant certains auteurs en manque d’imagination et craignant la compétition, une illustration du bannissement des voix discordantes. Pour rappel, la littérature repose sur trois fondements : liberté de création, liberté accordée aux lecteurs et enfin liberté de critique. Sans cela, il s’agit d’une mort programmée pour les nouveaux auteurs.

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Le Président et les trois singes

Dans sa dernière lettre adressée aux journalistes à l’occasion de la célébration de leur Journée nationale, où le président Bouteflika appelle de ses vœux à la mise en place d’une autorité de régulation de la presse écrite, se cachent des visées abstraites. A décortiquer son message, l’autorité en question n’est qu’un autre outil de répression ; pour preuve, sa phrase on ne peut plus ambiguë : «Un espace pour établir davantage de compréhension entre le pouvoir et la presse écrite.» Une confirmation claire des visées de cette autorité qui ne sont autres que d’écraser toute forme d’opposition et d’expression libre. Ce n’est pas tout, le Président s’est montré dur envers la presse électronique qu’il qualifie d’ailleurs de «danger». Pour Bouteflika, il n’est donc pas «politiquement correct» qu’un simple citoyen devienne un médiateur de plein droit, qu’il exprime ses opinions librement sans intermédiaire dressé pour le 31


surveiller et le contrôler, sans les canaux traditionnels de censure, enfin sur internet sans recours au pare-feu. Dans la même lettre, le Président appelle la presse nationale à transmettre «la vérité, rien que la vérité», autrement dit, dire la vérité qui arrange les desseins du pouvoir, la vérité qui découle d’une seule voix, la sienne. Pour nos gouvernants, le journalisme est synonyme de propagande, sa raison d’être n’est autre que de servir leurs intérêts et d’obéir à leurs ordres. La presse est à la fois considérée comme l’émanation d’un seul courant politique, le vecteur d’une seule idéologie et enfin la voix des intellectuels organiques. Le pouvoir ne peut pas concevoir ni admettre que la presse est un pouvoir indépendant, comme devrait l’être la justice, et constitue en définitive un contre-pouvoir. La presse est l’un des mécanismes de la construction des opinions publiques, le réceptacle de leur expression ; elle exerce, de par son rôle social, un contrôle de l’action gouvernementale. De ce fait, elle doit jouir d’une immunité pour son action indépendante, un protection de son expression libre et la souveraineté de sa parole, loin de toute forme de répression qui émanerait des gouvernants, car ils ne sont en vérité que des fonctionnaires au service de la nation et non des dieux à aduler. Puisqu’il s’agit ici de vérité, disons-le clairement : certains journaux, dont celui entre vos mains, subissent des pressions, 32


traversent une situation difficile et affrontent une mort programmée par le pouvoir. La presse, en Algérie, doit choisir entre son existence en concédant sa liberté de ton et de critique, d’un côté, de l’autre, sa liberté d’expression. Et dans ce cas, résister au chantage par la publicité jusqu’à l’épuisement puis simplement l’extinction. N’est-ce pas une vérité ? Les singes ont été tellement sages de par le temps qu’ils n’entendaient pas, ils ne voyaient pas et surtout ne parlaient pas, jusqu’au jour où ils décidèrent de rompre le silence, de faire leur mue ; ils se détachèrent de leur sagesse. Ainsi, au Maroc ils sont devenus des acrobates, en Inde des dieux… En Algérie — sauf ceux de Béjaïa et de Blida — ils sont considérés comme des chiens. Aboyez, aboyez…

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Ghaza 1 : Algérie 0

Un jeune Palestinien de Ghaza brûle le drapeau algérien, comme pour protester contre le refus du consulat algérien au Caire de lui délivrer un visa d’entrée en Algérie, dans une vidéo postée sur internet et qui fait ainsi fondre toute la Toile. Des commentaires fusent de partout, certains tentent de minimiser la portée du message, d’autres par contre trouvent matière à scandale et une occasion de revoir les relations entre les Algériens et les Arabes. Ce n’est ni la première fois et encore moins la dernière que le drapeau algérien «se fait brûler» dans le Monde arabe ; les exemples sont légion. Au-delà de la polémique suscitée et des hostilités affichées de temps à autre envers tout ce qui algérien, la vidéo laisse entrevoir dans son arrière-plan le décor d’une belle ville, une architecture raffinée, de beaux buildings dressés en harmonie 34


qui renseignent sur l’aménagement urbain du territoire de Ghaza. Pourtant, il s’agit d’une ville assiégée, isolée du reste du monde et parfois sous le déluge de feu des bombardements aériens israéliens. Cela n’a pas empêché ses habitants de s’occuper convenablement de leur territoire comme aucune ville algérienne ne sait le faire. Ce qui nous amène à nous interroger sur ces milliards dépensés par les gouvernements successifs algériens, sur ces milliards dépensés par sa diplomatie et sa politique étrangère. Des dettes de quelques pays africains et arabes liquidées, des subventions destinées à des organisations étrangères, sans oublier les autres aides généreusement offertes à d’autres pays. Le tout s’est fait parfois au détriment de l’économie nationale déjà fragile. Cette manne tirée essentiellement des revenus du pétrole et du gaz n’aura donc pas servi les Algériens et l’aménagement de leurs villes, comme si cet argent avait répudié ce pays. On n’a qu’à voir nos villes et villages pour s’apercevoir des dégâts urbains et architecturaux subis, des villes en chantier, des bâtiments sauvages émergeant ici et là, de l’architecture de mauvais goût... on pourrait presque qualifier certaines villes d’écuries à cause de ces amas de déchets et d’ordures qui les polluent. Nos villes sont dépourvues de véritables hôpitaux, de bibliothèques, de théâtres, de salles de cinéma, de discothèques,

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d’aires de plaisance et j’en passe. La violence urbaine a pris le dessus et anime notre quotidien. Un gaspillage incommensurable et, pour couronner le tout, on y construit des mosquées en espérant que Dieu apporte sa clémence et son pardon. Pourquoi donc cette colère contre ce Palestinien qui a brûlé le drapeau algérien, alors que nous avons nous-mêmes brûlé ce même emblème de nos mains et de nos faits et gestes ? Par fierté excessive et démesurée que nous appelons communément «en’nif». Ce fourre-tout qui explique et justifie à la fois le gaspillage, le ratage et l’échec. Me vient alors à l’esprit ce proverbe bien de chez nous : le puits qui rassemble beaucoup de mains, on le laisse pour le lavement des pieds.

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Où t’es l’élite, où t’es ?

Je ne sais pas pourquoi, à chaque fois que j’écoute la chanson de Stromae Ou t’es papa ou t’es ? cela m’évoque inconsciemment l’élite algérienne, ou disons l’absence de cette dernière et sa démission du débat public. Je sais que Stromae n’est pas une référence pour beaucoup d’entre vous, il ne l’est d’ailleurs pas pour moi non plus. Les paroles de cette chanson abordent la quête d’un enfant de son père, les reproches faits quant à son absence. J’en suis à cette quête de l’élite intellectuelle de mon pays, celle qui ne s’engage plus dans la défense des causes justes, des libertés, des droits civiques et politiques, du droit à l’information et à l’expression libre. Elle est démissionnaire car elle ne crée plus le débat, ne foisonne plus l’espace public d’idées novatrices, de discussions

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fructueuses, audacieuses et modernistes apportant des réponses aux questions auxquelles le petit peuple s’intéresse. Ces dernières années, l’Algérie a connu une série d’événements tragiques et, dans le lot, des concepts et idées venues d’ailleurs, parfois contradictoires, qui ont bousculé la nature de sa société, remis en cause certains de ses fondements et fini par faire oublier à son peuple de quoi la société est le nom. Ce temps est passé sans que personne n’engage un dialogue serein ô combien utile et nécessaire afin de mieux saisir ce qui s’est passé, ce qui se cache derrière ces événements pour — de façon libre et objective — aller au fond des choses et établir enfin ce dialogue sociétal si important. Car les Algériens ont vécu et vivent encore sous une répression psychologique qui ne dit pas son nom. De ce fait et du fait de ses cumuls traumatisants, l’individu algérien ne sait plus ce qu’il est. Où doit-il aller ? Il a perdu sa conscience publique et il n’y a plus de projet de société pour le conduire. Un désastre, un chaos intellectuel sans précédent et à tous les échelons de la société, à commencer par son élite. Car c’est à elle que revient la tâche d’encadrer la société, de dissiper ces tempêtes d’idées et de questions qui lui sont parfois étrangères. L’Algérien est entré de ce fait dans une spirale de questionnements et de recherche de soi sans aucune méthodologie ni référence, donnant lieu quelquefois à des échanges violents entre concitoyens. 38


Le mal est profond et des charlatans de la parole, des intellectuels autoproclamés ont remplacé l’élite. Leur discours ténébreux, subjectif et désordonné a fini par plonger la société dans de faux débats. Ainsi la curiosité, les imaginations, parfois les fantasmes sont établis en lieu et place de la pensée, de l’analyse, de la critique et enfin de la philosophie. En d’autres termes, le populisme béat a pris le dessus sur le débat intellectuel et n’a d’objectif que de maintenir la société dans obscurantisme et satisfaire ainsi l’envie des gouvernants. Pour rendre hommage à Malek Chebel, ce penseur bien algérien décédé la semaine dernière, qui a choisi la France pour exprimer ses idées et formuler ses critiques, j’appelle de tous mes vœux l’intellectuel, où qu’il soit, à se manifester et à tracer le chemin aux générations futures afin qu’ils s’expriment dans leur pays, qu’ils y restent, renonçant à prendre le chemin de l’exil. Dans l’intérêt de la société algérienne.

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Hogra au nom de l’islam

Les êtres humains naissent libres et égaux, une règle fondamentale qui devait régir l’humanité. Celle-ci s’est heurtée hélas à la bêtise et l’idiotie humaines où le droit à tout un chacun de choisir son mode de vie, ses tendances, ses goûts, ses choix spirituels, à savoir croire ou pas en la religion de ses parents, la renier ou simplement se détacher de la chose métaphysique et devenir ainsi athée ou agnostique, selon le cas. Il s’agit là d’un droit basique indiscutable, résultat d’un long processus biologique et génétique, qui a conduit l’humain à se doter de la pensée, donc d’un cerveau.

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C’est ce qu’on appelle l’homosapiens : l’homme moderne. En Algérie, il devient difficile de faire comprendre ou d’inculquer aux gens — à leur tête les dirigeants — cette règle simple et naturelle afin qu’ils tolèrent l’autre et se hissent ainsi au stade d’une société humanitaire en lieu et place d’un troupeau qu’on conduit à sa guise, dénué de la pensée qui est le propre de l’homme. Ces derniers temps, des mesures intensives de répression ont été enregistrées contre des libertés, garanties pourtant par la Constitution. Une chasse aux sorcières qui ne dit pas son nom. Ainsi, des citoyens sont jetés en prison, d’autres accusés de renier la religion en vigueur dans le pays. Ils sont interpellés pour leurs croyances et consciences, en leur âme et esprit, d’autres contraints de renoncer à leur nouveau dogme et revenir dans leur religion première, l’islam, comme s’ils étaient nés sous un contrat juridique qui les lie à telle ou telle religion. Loin de faire le procès de la religion musulmane, cette intolérance est devenue aujourd’hui un fait réel et juridique. Je parle ici de ces jeunes qui ont choisi d’être athées et qui n’ont trouvé d’autre moyen que les réseaux sociaux pour s’exprimer et débattre librement de leurs choix, de leur athéisme. Facebook est devenu leur ultime voie d’expression. Et c’est là qu’ils sont pêchés, traqués par les services de sécurité et conduits manu militari devant les tribunaux pour y être jetés 41


en taule. Je parle aussi des ahmadites, ces adeptes d’une tariqa musulmane qu’on dit dakhila (étrangère) à la société algérienne et à l’unicité de son culte. Ils sont traités comme des adeptes d’une secte et interpellés jusque dans leur domicile, pour ne pas dire leur chambre à coucher. Je passe sur ces récits de jeunes chrétiens, chiites ou autres qui ont été forcés d’annoncer leur tawba et leur retour à l’islam. Pourquoi donc cette hogra religieuse pratiquée à l’encontre de citoyens algériens qui ont une vision différente ? Pourquoi cette folie juridique qui vient détruire les derniers ponts de cohabitation entre Algériens et jette de surcroît les jalons d’une dictature politico-religieuse et pousse par là même la société à chercher cet ennemi imaginaire, une distraction afin de leur faire oublier leurs droits fondamentaux en flirtant sur son instinct religieux. Nos dirigeants viennent en renfort et apparaissent par la suite comme les protecteurs de l’islam en persécutant ces minorités, faisant fi de la libre pensée et bafouant la Constitution de la République.

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La main de Fatima

Un tour de mythologie algérienne nous renseignera énormément sur notre quotidien, notre vécu et notre réalité. Nous sommes face à un phénomène numérique, celui du chiffre cinq. Il est partout, il fait désormais partie de nous et trouve ainsi toute sa symbolique dans la psychologie de tout un pays et lié à son sort. Tout d’abord, il y a la khamsa, communément appelée la main de Fatima, les cinq prières de l’islam, les cinq piliers de l’islam, même la carte d’Algérie, en observant bien sa géométrie, dispose de cinq côtés, et ce, même pays a accédé à l’indépendance un certain 3 juillet 1962, mais on a voulu qu’il soit un 5 juillet, pour rester fidèle aux mythes du chiffre cinq. Loin de la satire et des paraboles de mon introduction, qui reste tout de même liée au chiffre cinq, je m’interroge ici sur les révélations de Tata Louisa et les cinq milliards de dollars censés 43


être versés par le gouvernement algérien au FMI à titre de prêt et ses interrogations sur la destination finale de ces fonds. Bah ! Nulle part, c’était juste une plaisanterie pour amuser la galerie. C’est tout, fallait pas en faire un plat. L’argent a pris cinq destinations réparties dans les cinq continents, en martyrs, rejoindre les paradis fiscaux pour une partie et en vacances pour l’autre, passer ainsi de bons moments dans les Iles vierges britanniques, au Panama, en Suisse, à Paris, aux îles Caïman, aux Bermudes, à Dubaï, Hong Kong et autres. Ce n’est pas nouveau, on a l’habitude, avec le mensonge d’Etat, de cette décadence morale, de ces faits d’actualité qui ont perdu même la notion du scandale pour tomber dans la banalité et le commun. On fait avec et certains tentent même de justifier l’injustifiable à travers des montages numériques et chimériques jusqu’à nous faire perdre les cinq sens. On ne peut plus être choqué, voire il nous est interdit de l’être, tant la corruption ronge le pays et guide son destin devenu, par la grâce de Fatima, un sport national, une culture ancrée dans la société et un emblème porté par certains. Ceux-là mêmes qui accusent les citoyens furieux et les patriotes révoltés et rebelles contre l’ordre établi, le fait accompli et le système de «main de l’étranger» guidé par la jalousie des autres nations. Certains disent qu’on est victimes du mauvais œil, cet œil plein d’avidité, de tromperie, insatiable, qui a détruit notre pays, sans qu’hélas la 44


main de Fatima, censée nous protéger et pousser cet œil envieux, ait rien pu faire. Cinq par cinq (khemsa fi khemsa), le mythe est donc tombé et l’argent part ainsi sans compter par la bénédiction de la main de Fatima, estampillée sur le sceau de la République, devenue symbole de la corruption et du détournement de deniers publics et, bientôt, du cinquième mandat.

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Bye bye chawarma

Par amour, par sincérité et surtout par économie, je t’écris ces quelques lignes chérie bien-aimée. Pour te dire que je ne peux dorénavant te payer tes sandwichs chawarma comme à l’accoutumée car, tu le sais bien, l’Algérie n’a plus d’argent à offrir à son peuple, la crise financière qui se profile à l’horizon a tout pris avant même son installation effective et a déjà dévoré nos portefeuilles. Les impôts ont augmenté, la TVA a gagné deux points de plus et les prix ont doublé avant même l’entrée en vigueur de la 46


nouvelle loi de finances 2017. Nous sommes devenus esclaves du jour au lendemain et, comme tu le sais, les esclaves ne peuvent manger des chawarma et surtout ne peuvent jamais payer aux autres quoi que ce soit. Je sais que je suis dur, très même, voire abject de lier notre amour à une histoire d’argent. Je suis franc comme tu me connais et la valeur de l’amour dans notre pays est indexée sur celui de notre monnaie, le dinar. Et comme celui-ci n’a plus de valeur, notre relation est donc rompue. Ma dulcinée, malgré tout l’amour que j’ai pour toi, tu dois désormais me rembourser — centime par centime et dinar par dinar dévalué — tout ce que je t’ai offert durant ces quatre années d’amour et de relation. L’an 2017 sera celui de la pauvreté et je dois donc me préparer sérieusement à y faire face. Dans ce cas, chacun pour soi, Allah Ghaleb, je n’y peux rien. Les temps ont changé, les rôles se sont inversés, c’est à nous de payer le gouvernement pour notre travail et non plus attendre le maigre salaire pourvu par l’Etat. Dans ce cas, soit tu acceptes l’amour sans option ni avantage, le tout gratuitement, sinon tu n’as qu’a voir du côté des députés qui, malgré la crise, toucheront une belle prime de départ, ils pourraient t’offrir ce que tu veux, voire même une attestation de moudjahid ou une carte de citoyenne algérienne de plein droit agrégée par l’Etat.

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Je te propose, mon cœur, un dernier selfie avec notre idole, celui qui nous a accompagné durant ces belles quatre années, ce sandwich chawarma tant adoré et nous le contemplerons au clair de la lune, ensemble, pour célébrer notre séparation et prouver, sur le perron d’El Mouradia, notre loyauté envers la République. Oui, c’était prévisible, on n’aura plus de travail donc plus d’argent. Même nos amis de l’Ansej ne peuvent rien pour nous, ils croisent eux aussi les bras et n’ont plus de marchés pour rouler leur business. Le pétrole qui nous nourrissait et subvenait à nos besoins se fait rare et ne nous ramène plus d’argent. Même le gaz sur lequel on comptait pour amortir le choc s’est vu supplanté par celui du Nigeria, qui construit un pipeline vers l’Europe à travers le Maroc. Bientôt donc des noces à nos côtés pendant que nous nous séparons… On ne fera jamais du tourisme ni dans notre pays — ni ailleurs d’ailleurs — car notre gouvernement ne lui a jamais accordé la moindre importance. On fera peut-être de l’agriculture si tu tiens à notre amour… là non plus tout est en jachère et entre nous, je ne sais pas comment m’y prendre. Tout tend à notre séparation. Comme nos concitoyens, on ne sait rien faire pour absorber le choc et redémarrer car ils ont tout fait pour nous casser au nom d’une politique placée sous le haut patronage de Son Excellence. Je regrette, J’arrête d’écrire par économie, de peur de te taxer ou 48


te demander de payer un impôt en contrepartie de mes mots pleins de regrets. Je vais tout de même faire une petite folie et dépenser le peu qui me reste, pas pour te payer ton sandwich, je préfère l’offrir aux ministres des chawarma, aux députés des chawarma, au président des chawarma et pour toi, chérie, tiens des miettes.

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Un hidjab pour ce peuple

Troublé est le terme qui conviendrait à la société algérienne qui semble avoir perdu ses repères, où tous les termes et leur signification ont changé de sens. Ainsi, la violence devient une vertu, le sexisme remplace la justice, la religion est signe de répression et les phénomènes naturels renvoyés aux punitions divines. La science est là pour prouver ; la religion et les services de sécurité ont pour rôle de protéger la foi du peuple ; le gouvernement existe pour construire des stades de football et les mosquées et enfin l’école pour encadrer tout cela et faire de nos enfants tout le pire et l’imaginable. L’enfant devient dès son jeune âge un hypocrite extrémiste, peureux, machiste et raciste, animé par le mensonge et la jalousie. Il ne supporte pas l’art et danse au rythme des chansons raï live cabaret. 50


L’Algérien est contre la liberté, surtout celle d’expression et de culte. Il s’autoproclame imam et profère des menaces envers tous ceux et celles qui n’abdiquent pas à sa volonté et n’obtempèrent pas, surtout dans son intimité, où la religion est reléguée au second plan et il s’adonne ainsi à tous les interdits, surtout ceux qu’il prêche en public. L’école produit, ou plutôt maintient la population dans le statut de l’indigénat et ne fabrique plus de citoyens. Le constat est sans appel, vexatoire même. Je n’en reviens pas, ils veulent un peuple arriéré, extrémiste et violent, afin de justifier leur dictature et leur existence aux destinées du pays. «Maintenir le peuple ignorant est la seule solution pour votre sécurité, car si nous lui offrons la démocratie, il vous créera un Etat islamiste terroriste à quelques encablures de vos frontières», semble le message délivré en filigrane par nos gouvernants à la communauté internationale et en premier lieu à l’Europe, qui est à ses portes, en surfant tantôt sur la vague islamiste, tantôt sur la menace étrangère. Cela s’appelle jouer avec les neurones du peuple jusqu’à lui faire perdre le sens des réalités, crier le lendemain à la catastrophe, invoquer le destin pour justifier le chaos et s’imposer ainsi comme le rempart à ces menaces. J’ai du mal à comprendre comment tout un peuple accepte de se soumettre à ce fait accompli, à ce mal qui le ronge, sans se rendre compte qu’il est otage d’une nomenklatura qui ne 51


travaille que pour ses propres intérêts en se servant de l’école, de la mosquée, de l’université et enfin des médias qui sèment la haine et l’obscurantisme. C’est de la folie que d’entendre ces discours incompris et contradictoires, de constater que l’économie est gangrenée par la corruption, que les élites sont démissionnaires. La stupidité et l’ignorance prennent le dessus sur l’intelligence et le bon sens. Un sadisme qui ne dit pas son nom. Pis, la pilule a tellement pris qu’on a l’impression que le peuple est devenu lui-même dictateur, imbu, qui prend sa folie pour des vérités intangibles et s’est hissé en un mode de vie où les valeurs se résument à écraser l’autre et éliminer l’individu, à sanctifier l’hypocrisie et à aduler ses maîtres, en clair un peuple qui ne produit rien ni pour lui ni pour les autres, qui se contente de livrer du gaz et du pétrole. Pour être juste, ce n’est pas de sa faute si le peuple algérien est devenu ainsi, il n’est en vérité que le produit des Frankenstein qui gouvernent ce pays.

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Arrosez-moi cette graine de changement

La vraie révolution est celle des cerveaux. Le vrai changement ne viendra que par les idées, loin de la violence et de la contrainte. Car il s’agit de conviction d’abord, puis d’apporter les arguments opportuns en temps voulu, enfin de trouver l’espace libre pour discuter et dialoguer de ces idées. Pour ce faire, il faut surtout s’armer de patience. Pour mettre en pratique ma théorie, j’ai réalisé un sondage «discret» sur la plateforme Google Form sur un échantillon de plus de 300 Algériens. Le sondage portait sur deux thématiques considérées taboues en Algérie, à savoir la religion et la sexualité. Il s’agit en effet de deux composantes essentielles pour mieux comprendre la société algérienne d’aujourd’hui.

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Et j’avoue que je ne m’attendais pas à de tels résultats. Ainsi, concernant la question des droits et de l’égalité des femmes et des hommes, 97% des sondés (dont 68% des hommes) étaient favorables à l’épanouissement des femmes ; 52% sont pour le droit au libre culte des minorités religieuses ; 86% des voix exprimées sont favorables au droit à l’athéisme ; enfin 66% des sondés sont pour le droit à l’homosexualité. A la lumière de ces résultats – certes non exhaustifs puisque portant sur un échantillon restreint – il ressort une vérité claire et sans ambages qu’une volonté profonde de changement existe et surtout que l’on assiste à l’avènement d’une forme de tolérance sur des questions jugées délicates, voire taboues. Est-ce le signe d’une révolution et d’une mue sociale ? Les mentalités ont-elles évolué malgré les réserves exprimées ici et la par certains observateurs, dont je partageais le constat de la résistance de la société au changement ? Cette donne nous ouvre grand les portes pour investir davantage dans le combat pour les droits de tous de disposer de soi en toute liberté et de s’exprimer sans condition. D’investir aussi dans l’individu algérien, de l’aider à sortir de sa torpeur, de sa léthargie et de la stérilité intellectuelle. Les résultats optimistes et positifs de ce sondage sont aussi un signal fort et un message à l’adresse à la fois du pouvoir et de l’élite intellectuelle que le changement est à notre portée et que l’émergence d’une Algérie 54


moderne et tolérante est possible, et ce, malgré l’isolement subi par les intellectuels et les penseurs et la propagande faite pour la promotion de la haine et l’ignorance. L’idée du changement existe, s’exprime de plus en plus chez les Algériens et que rien ne pourrait l’étouffer dans l’œuf. Sur un autre chapitre, il ressort du sondage que 52% des sondés n’ont jamais eu de rapport sexuel et 50% de ceux qui en ont déjà eu ne se protègent jamais. Ces chiffres reflètent à la fois l’ampleur de la frustration sexuelle d’un côté et l’absence d’une culture sexuelle chez nos jeunes, notamment liée à la prévention. Le message à saisir et qui s’adresse à nous tous est que le changement est nécessaire, dans l’intérêt de notre pays et surtout des générations futures, et que seuls nos cerveaux peuvent le conduire. Ainsi combien d’équations que l’on pensait difficiles, combien de dilemmes sociaux jugés compliqués peuvent être résolus objectivement, dans le respect des droits de l’homme, des libertés et de la légalité, dans le cadre de la citoyenneté.

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Interviews

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Anouar Rahmani. Ecrivain, bloggeur, animateur du Journal d’un Algérien atypique et étudiant en droit à l’université de Tipasa : Elwatan; le Mercredi 22 Juin 2016 PAR ZOUHEIR AIT MOUHOUB 0 0

Vous faites partie de ceux qui pensent que les Algériens et les jeunes en particulier se désintéressent de la politique et qu’ils ne pensent qu’aux choses basiques. D’où d’ailleurs votre blog : Journal d’un Algérien atypique... D’où vous est venue cette idée ? «Arablog» est une plateforme soutenue par le centre des médias français, particulièrement par les chaînes de télévision France 24 et Radio Monte Carlo International. C’est donc un incubateur pour plus de 300 blogs issus de tous les pays arabes. Mon blog était l’un des premiers et le plus populaire, car il raconte le quotidien d’un Algérien hors du commun. J’ai essayé à travers mon blog d’offrir une nouvelle image d’une citoyenneté 58


algérienne efficace et briser le cadre qui encapsule notre nature en tant qu’ Algériens et d’échanger sur des sujets dont on ne parle pas ouvertement ni de manière directe ni à travers les médias. Le but de mon initiative était de créer une plateforme de dialogue pour aborder ces nouvelles questions et ouvrir une tribune pour casser la routine intellectuelle sévère qui est devenue pesante à cause du monopole des religieux sur tout ce qui est intellectuel, culturel et même les espaces médiatiques, ce qui a conduit à une récession sociale. Le jeune Algérien d’aujourd’hui ne se soucie plus de politique. Il chante en désaccord avec tout ce qui est d’essence relative aux droits fondamentaux. Il est très loin des notions de citoyenneté. C’est une honte, au moment où le monde connaît une grande évolution dans les domaines des droits et des libertés dans tous les milieux, l’Algérien d’aujourd’hui lutte toujours pour ses droits fondamentaux comme l’emploi et le logement. Et la raison de ce retard est l’état de crispation et d’étranglement accentués par les médias et ce que présente la société par son inaction, le laxisme et toute autre forme de dictature sociale qui a supprimé l’existence de l’individu intellectuel et moral au cœur de la communauté. La société qui se referme sur elle-même, qui se renouvelle uniquement par la reproduction de la même information intellectuelle d’une manière continue et provocatrice pour les nouvelles générations sans permettre à l’individu d’exister en 59


dehors de l’espace restreint qui les maintiennent en utilisant tous les moyens possibles d’oppression est une société conséquemment vide. Une société hors du temps et qui ne peut être présente dans l’arène de la concurrence entre des communautés féroces qui connaissent une mobilité efficace à l’intérieur. C’est par conséquent l’idée qui a donné naissance à mon blog. Ce vide intellectuel de la société algérienne, j’ai donc décidé d’investir dans ce secteur et de cette façon pour réussir à créer une nouvelle orientation du discours de rien et face au vide de la scène des médias algériens.

Vous vous êtes fait remarquer par votre engagement dans la défense des droits des minorités en Algérie, notamment les homosexuels. S’agit-il pour vous d’une volonté de casser les tabous, ou bien d’une envie de vous faire remarquer comme vous en accusent souvent vos détracteurs ? J’ai défendu à travers mon blog le droit de mon pays d’être un Etat moderne et contemporain, s’inscrivant pleinement dans le XXIe siècle, avant de défendre le droit à la différence, qui semble devenir un crime social prémédité. J’ai soutenu également les minorités religieuses, culturelles, sexuelles et autres, en faveur de 60


la notion de nation qui est réduite à zéro sous l’ombre du monopole du concept de citoyenneté par les pseudo composantes du peuple algérien. Car, il semble que l’individu est absent dans la société algérienne. Et chaque décision prise par le groupe pour servir de loi ne sert qu’à opprimer les individus. J’ai défendu des principes constitutionnels de mon pays qui ont été oubliés dans le temps. Et je rappelle que ces principes constitutionnels sont supérieurs à toutes les lois et s’inspirent directement de notre glorieuse Révolution. Il s’agit des droits aux libertés individuelles, de libre croyance ainsi que des libertés de penser et de conscience. Sans oublier le principe de l’égalité pour tous les citoyens. Je crois en ces droits, mais malheureusement, je constate que mon pays se transforme du plus grand pays africain en superficie en plus grande prison, où sont opprimés les «différents», au nom du groupe ou de l’unicité religieuse ou autres dénomination pour le moins minables ou irresponsables et qui peuvent transformer l’Algérie d’une République démocratique à un modèle afghan. Ainsi, mon combat pour consacrer le droit à la citoyenneté et à l’égalité pour tous et contre l’oppression des individus est une défense de l’Algérie moderne. Dire que la défense de ces valeurs est un combat d’apparence est injuste pour le sacrifice d’une personne, car aborder ces sujets de manière audacieuse n’est pas 61


facile du tout. Je pousse l’ensemble de la société vers la réflexion et pour changer la structure sociale en général qui a mené la société algérienne à l’état désastreux du sous-développement. J’essaye juste de convaincre les Algériens de mettre un terme à ces pensées racistes et honteuses et à réfléchir pour trouver une manière consensuelle dans laquelle tous les citoyens sont égaux devant la loi, quelles que soient les convictions intellectuelles ou religieuses entre factions politiques et sexuelles et de la langue. Les pousser à renoncer à la culture de la haine et à l’établissement de la vraie justice.

Vos prises de position et votre engagement suscitent des réactions violentes des milieux religieux, notamment salafistes. L’imam de Cherchell a même consacré des prêches à votre personne. Ce qui vous met en danger et vous êtes souvent menacé... Je fais de temps à autre l’objet de campagnes de dénigrement, mais cela reste très normal puisque je considère que je rends un grand service à la nation que ses ennemis ne veulent pas. Je défends le droit d’avoir une patrie, et cette patrie est pour tout le monde alors qu’ils essaient de monopoliser le pays pour eux-mêmes. Mon histoire remonte à plus d’un an, je ne veux pas m’étaler dessus mais je vous réponds seulement par une phrase : imaginez 62


un instant que dans votre ville un festival de cinq cents ans rapportait des centaines de milliers de touristes, festival El Manara, et qu’on décide de l’annuler pour des motifs religieux. C’est-à-dire pendant 500 ans, la ville n’avait pas d’imam jusqu’au jour où arrive cet illuminé ! Et puis qu’est-ce que c’est que cet état où on brigue un patrimoine immatériel et culturel d’une ville plusieurs fois centenaire par un édit religieux ? Quand j’ai défendu le droit de ma ville d’exister culturellement cet imam a utilisé son minbar pour remonter la population contre moi sachant que j’ai pris pour cause également la défense de plusieurs reliques archéologiques et culturelles de toute la wilaya et qui ont subi des opérations de sabotage. Ce type de harcèlement, bien sûr, sont des médailles sur ma poitrine. Car il se répète toujours et n’a plus d’écho sur moi. Je ne ressens plus qu’outrage pour les auteurs des ces insultes te de la compassion pour leurs partisans dilués intellectuellement. Et ses manières ne me font pas peur. Je résiste pour la ville où j’ai grandi et que je considère comme le repère d’un revers majeur qui se déroule dans tout le pays. J’appelle à travers votre tribune les responsables de reconsidérer à nouveau le festival du phare, qui est le seul nerf culturel de la ville. Ainsi, cette ville retrouverait sa gloire, j’appelle également

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les autorités à se réconcilier avec la culture et la mener dans l’Algérie la plus profonde. La citoyenneté, pour vous, reste la seule et unique arme contre les dérives et le seul gage pour la protection des minorités et le recouvrement de leurs droits. Selon vous, les jeunes sont-ils conscients qu’ils sont d’abord des citoyens avant d’être des gouvernés ? Le citoyen algérien vit toujours intellectuellement sous le code de l’indigénat ! Il ne comprend pas son rôle et cela est causé par l’école algérienne qui n’a pas réussi à inculquer le concept de citoyenneté aux Algériens. La plupart des Algériens d’aujourd’hui fuient leur personnalité et se font passer pour des éternels adolescents. Il ne traitent leurs affaires les plus importantes que par subjectivité et esprit infantile en tentant de trouver des excuses aléatoires dans l’histoire ou dans la religion à travers des justifications métaphysiques. Ce qui fait entrer les citoyens dans une espèce de folie, car il n’aura pas acquis les rudiments de la mécanique de la pensée logique. Une hypocrisie publique prend alors forme et devient dictature sociale source de tous les problèmes sociaux. C’est la raison principale qui fait que les Algériens ont du mal à acquérir les notions de citoyenneté. Cette acquisition est du rôle 64


de l’Etat. Et ce dernier doit l’assurer avant que des courants religieux extrémistes ne déchirent les derniers lambeaux de notre drapeau national.

La liberté de penser ne menace pas le sacré PAR ZOUHEIR AIT MOUHOUB le 29.06.16 el watan

- Vous avez investi aussi le très délicat terrain religieux, récemment, vous vous êtes prononcé contre l’avènement du Mufti de la République et vous voyez en cela une manière d’instaurer un nouveau pouvoir après ceux législatif, exécutif 65


et enfin judiciaire. Selon vous le pouvoir théocratique finira par ensevelir les autres pouvoirs. Est-ce un réal danger pour le caractère républicain de l’Etat ? Malheureusement les responsables dans les institutions algériennes pensent qu’ils ont trouvé la solution pour absorber le monstre religieux en investissant dedans à leur profit. Car cet épouvantail religieux représenté actuellement par les centres d’exégète (ifta’a) étrangères comme l’Arabie Saoudite et le Qatar est une menace réelle pour l’Algérie. D’autan qu’on voit aujourd’hui clairement, le degré de destruction atteint par ces fatwas (édits religieux) en Syrie, en Egypte et dans d’autres pays comme la Somalie. Sans oublier ce qu’a vécu l’Algérie durant les années 1990. Ainsi pour consacrer la souveraineté et garantir la sécurité nationale, l’Algérie pense à installer sa propre Dar el Ifta’a pour lui épargner d’éventuelles attaques doctrinales externes. C’est un système défensif que je comprends bien. Je dirais que c’est même une stratégie intelligente quelque part. Seulement, ce qui me fais peur comme toute personne ayant gardé un minimum de capacité mentale, est que le phénomène religieux en Algérie n’est pas une question de foi exclusivement. C’est un phénomène morbide puisque le commerce de la religion est très populaire où des hommes de religion ont un contrôle réel sur la société. 66


On peut constater cela très aisément à travers la domination de certaines villes par des imams et l’impact qu’ont ces personnes via les médias comme les chaînes de télévision. Force est de dire que l’Etat algérien tente de jongler avec deux courants. D’un côté l’Etat se dit moderne, à l’image d’un pays du 21e siècle, et d’un autre, il fait tout son possible pour satisfaire les islamistes qui peuvent représenter un danger pour la paix sociale. Je constate qu’avec le temps l’Etat s’est soumis aux islamistes ce qui a fait d’eux des citoyens hors normes. Ils jouissent de plus de droits et accomplissent peu de devoirs. Une grosse erreur à mon sens, car l’ennemi d’hier ne peut être un ami aujourd’hui. Ils veulent imposer une police religieuse dans les universités et les écoles et soumettre tout le monde à leurs idéaux avec l’usage de la peur et de l’intimidation. Le but étant d’imposer les islamistes par majorité et d’empêcher toute nouvelle voie. Ma liberté va à l’encontre de leur dictature religieuse qu’ils œuvrent hardiment à imposer aux dépens du pays. Un phénomène qui s’est incrusté dans toutes les institutions étatiques. Ainsi, je pense que l’installation de Dar El Ifta’a en Algérie sera moins une approche défensive que l’officialisation du danger et son rapprochement des rouages de l’Etat. D’autant que les institutions de cet état se noient déjà sous l’influence de ce religieux.

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Donc, Dar El Ifta’a fera office d’un quatrième pouvoir installé au nom de la loi et la fatwa aura un impact plus fort et plus important que la législation parlementaire. Elle sera également un coup de force contre les appareils de l’Exécutif et du judiciaire car Dar El Ifta’a aura en réalité ce dont les trois autres pouvoir sont démunis, c’est-à-dire la conscience des Algériens et ainsi elle contrôlera la société. Et de cette manière, la volonté de l’Etat d’absorber l’épouvantail religieux va se terminer avec le temps par l’effet inverse. Ce sera l’épouvantail religieux qui absorbera l’Etat. Cela ne se verra pas au départ, mais il atteindra ce degré très prochainement lorsque les trois pouvoirs se sentiront obligés d’avoir la bénédiction de Dar El Ifta’a pour avoir l’accord du peuple avant d’exercer sont rôle naturel. Ce jour-là, on sera confrontés à un quatrième pouvoir encore plus puissant que les autres et Dar El Ifta’a sera comme un appareil législatif informel (Orfi) ce qui menacera les autres pouvoir ainsi que la volonté citoyenne, les libertés individuelles, y compris le caractère républicain et démocratique du pays. Ainsi, en tant que simple citoyen je demande aux autorités concernées de réfléchir encore, et profondément à cette question et de s’éloigner de ce genre de solutions, car nous ne sommes pas en train de passer par une conjoncture momentanée. Mais c’est une conjoncture générale d’essence sociale, et 68


l’investissement dans le monstre religieux de cette manière, sera moins bénéfique que maléfique. Celui qui veut le bien de ce pays doit inculquer le sens de la citoyenneté dans la conscience des Algériens. Instaurer l’école objective et orienter les médias vers la lutte contre toutes sortes de haines et de racisme. Mais malheureusement, la plupart des médias algériens alimentent ces fléaux. Il en est assez pour ce citoyen d’être sous la tutelle du politique et de l’économique pour lui créer aujourd’hui une nouvelle tutelle religieuse. Laissez la religion aux personnes car c’est une question de conviction personnelle. Le rôle de l’Etat n’est pas religieux sauf quand il peine à jouer son rôle. Soyons objectifs, Dar el Ifta’a n’est pas une solution pour absorber l’énergie religieuse du peuple, mais ce sera une autre problème à ajouter au pays. - Grâce à votre engagement politique et intellectuel, vous êtes connu à l’international, en Algérie vous êtes l’objet d’attaques, de diffamation voire d’un lynchage menée par une certaine presse arabophone hostile aux idées progressistes et à la modernité . Peut-on aujourd’hui débattre en Algérie en toute liberté ? La liberté de pensée est un acte qui menace toute forme de dictature politique et sociale. Donc, elle fait peur à certains 69


puisqu’un peuple ignorant et intégriste est facile à contrôler, contrairement à un peuple cultivé et conscient qu’on ne peut dominer que par contrainte. Pour cela, les débats libres conduiront les citoyens algériens et les élites à adopter de nouvelles causes sociales qui les élèveront intellectuellement et s’investir dans des questions provocatrices qui travaillent la base de la société et le pousse vers l’accumulation de nouvelles valeurs : Celle de la culture du dialogue, du débat et l’acceptation d’autrui qui rencontreront au départ le refus des citoyens mais qui seront rapidement acceptées. Si on préserve son rythme, l’habitude fera le reste en plus d’inculquer à la société la culture de l’autocritique ainsi que la critique des idées. Conserver ces idées dans les carcans du sacré, du tabous et des non-dits, quelle que soit sa nature idéologique, historique ou religieuse la soustrait à toute forme d’étude critique et on fera une bombe à retardement, une arme qui menace la perpétuation de la société. Le peuple regarde ce genre d’idées avec une sacralité et lui attribue même ses raisons d’être en tant que société, qui, en fait ne connaît pas le danger du sacré sur le cheminement moral. Le sacré met la société dans un état de léthargie intellectuelle l’empêchant de rattraper le retard accumulé sur les autres sociétés où règne la libre pensée. Il faut que la société sache que

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la liberté de penser ne menace pas le sacré mais lui procure une véritable légitimité. Car seules les idées fortes ne craignent pas la critique. Tout ce qui peut arriver, c’est de moderniser et actualiser les idées sacrées tout en offrant à la société une nouvelle expérience, celle de la pensée. Mais le climat qui règne actuellement en Algérie ne permet pas à ce phénomène d’exister. Car, il y a des lois qui empêchent cet acte vital et d’autres qui consacrent la répression contre tous ceux qui sont différents ou ont des idées. Il faut dire aussi que la société comme force majeure est exploitée de façon abjecte par des hommes de religion et de médias en les remontant contre les penseurs, les philosophes, les artistes et autres acteurs de la société. Que tu aies un but honorable dans ta vie dans l’optique de transporter ta société de son état morbide vers un état de bonne santé et de mettre en valeur les valeurs de la cohabitation, de l’acceptation, du respect et la consécration de l’esprit de la citoyenneté ainsi que réconciliation avec le moi algérien ; là tu fais un acte positif pour ta société même si au début tu va subir l’ire des gens, ils finiront pas comprendre et saisir la vérité. - Comment vivre sa différence dans un pays où les espaces de liberté se rétrécissent de plus en plus. Quels conseils donnezvous aux jeunes et en particulier aux étudiants ? 71


Je dis aux étudiants algériens de sortir du mode estudiantin habituel et d’entrer dans un nouveau mode plus véritable en consacrant le projet de la Grande Algérie. Un pays où règnent les valeurs de la tolérance et de la cohabitation et qui accepte toutes les différences. Le rôle de l’étudiant n’est pas uniquement d’obtenir des notes et de passer les années universitaires, sa responsabilité est de construire un noyau d’élite. Et cela ne peut se faire sans l’actualisation de nouveaux modèles pour le pays. J’appelle aussi les parents et les familles algériennes à encourager leurs fils à lutter contre le tutorat religieux utilisé par certaines personnes. Je ne pense pas qu’il y ait une personne en Algérie qui souhaite voir son fils devenir terroriste. Il y a des pages sur Facebook et des hommes de religion sur les médias, qui alimentent un mode intégriste et augmentent le degré de haine dans la société. Et cela n’arrange ni l’image de l’Algérie ni celle des jeunes et des adolescents qu’ils utilisent comme des montures faciles à dompter devant l’absence et la démission des parents qui ne construisent plus cette conscience dans l’esprit de leurs enfants. J’appelle également la presse nationale à se réconcilier avec la liberté et la diversité car l’Algérie est grande et suffit à tout le monde.

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Bio express Anouar Rahmani est né le 09 mars 1992 à Cherchell, (Tipasa). Après des études en langue et littérature italienne, il choisit le droit à l’université de Tipasa. Il a suivi plusieurs formations à l’étranger, notamment dans le journalisme d’investigation et le journalisme en ligne, dispensé dans le cadre du programme Arablog du CFI (Centre français de l’information). Puis, il s’est formé dans l’editing à Radio internationale de Monte Carlo. Anouar s’est aussi formé dans le «story telling» à l’Institut Grimme de la télévision allemande Deutsche Welle. En 2015, il est le seul Algérien à être sélectionné pour assister au Congrès mondial de l’information qui s’est tenu à Bonn en Allemagne. Il est auteur de deux livres électroniques à succès, la Liberté humaine : comment être libre dans une société dictatorial, et les Soupirs du dernier instant, il est parrainé par Frontline pour la défense des droits de l’homme. Ses écrits lui ont valu la reconnaissance du département de la langue arabe de l’université de Boston aux Etats-Unis. Il sert de matière pour les examens des étudiants.

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Polémiste, Anouar est aussi connu pour son francparler, il n’hésite pas à aborder dans ses articles, des problématiques considérées comme taboues, notamment le cas des minorités religieuses, culturelles et sexuelles. Son militantisme et son engagement lui ont valu de nombreuses menaces et intimidations, notamment les milieux extrémistes religieux.

Un blogueur algérien menacé de mort pour ses positions

Anouar Rhamani est militant des droits de l’homme et des droits LGBT en Algérie. Pour cela, il est menacé de mort. TÊTU a souhaité lui donner la parole. Anouar Rhamani a 22 ans et étudie à l’Université algérienne de Tipaza. Il alimente également le blog Journal d’un Algérien hors du commun. À travers ses publications, il réclame plus de liberté d’expression et de conscience ainsi que le respect des droits fondamentaux dans son pays. C’est aussi l’un des premiers à oser réclamer plus de droits pour les personnes LGBT, notamment le droit de se marier entre personne du même sexe. Dans un pays contrôlé par l’armée et la religion, où la 74


presse est muselée, où les personnes LGBT sont victimes de discriminations et de persécutions au quotidien, ces positions relèvent de l’acte de bravoure. Car Anouar Rhamani tente de moderniser l’Algérie et d’ouvrir les consciences sur la nécessité d’un changement au péril de sa vie. En effet, ce dernier est menacé par les intégristes religieux mais également par des membres de sa propre université. Les médias jouent aussi un rôle actif dans la propagation des calomnies et des menaces dont il fait l’objet. Une situation dénoncée par l’ONG irlandaise Front Line Defenders, qui cherche à protéger les militants des droits de l’homme menacés à travers le monde. TÊTU a pu interviewer Anouar Rhamani pour mieux connaître son combat et mieux comprendre les menaces qui pèsent sur lui. Pouvez-vous vous présentez à nos lecteurs ? Je suis Anouar Rahmani, écrivain, blogueur, et militant pour les droits humains en l’Algérie. Je me bats pour des valeurs de coexistence, d’acceptation de la différence dans la société, et je lutte contre toute sorte de discrimination. Je me bats pour un projet social moderne pour la société algérienne en publiant des articles analytiques sur ce que les Algériens traversent. Le but étant de faire bouger les lignes intellectuelles et ainsi de construire une Algérie plus grande, un pays de valeurs telles que la tolérance et la coexistence, des valeurs dont nous manquons considérablement aujourd’hui.

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Quelle est la situation quotidienne des personnes LGBT en Algérie ? Comment vit-on son homosexualité dans le pays ? La majorité des LGBT algériens vivent dans une situation d’hypocrisie, mais en même temps l’homosexuel algérien limite sa situation seulement à l’acte sexuel, il ne voit pas le sujet en tant qu’une question d’existence et en tant que droit humain, et donc ce qui est hilarant par exemple c’est que quand on demande à un gay algérien de se battre pour ses droits, il refuse puisqu’il ne s’accepte pas… Pourtant il est le seul perdant ! Avec une telle situation, le gay algérien fait le déni de son identité et de ses droits pour plaire à la société. D’un autre côté, les homosexuels algériens reçoivent une sorte d’acceptation bizarre auprès de la société. Par exemple, les chanteurs gays en Algérie ont connu beaucoup de succès avec leurs chansons qui parlent de l’amour entre personnes de même sexe, des chanson qu’on entend dans des mariages et des cérémonies algériennes, ce qui nous situe face à une problématique sociale profonde. D’un côté je pense que la société algérienne fait preuve d’une acceptation potentielle pour de tels droits. De l’autre côté, je pense qu’il y a aussi des courants idéologiques dangereux qui se dégagent notamment dans l’école, l’université, et les médias. Ces courants incitent à la haine contre la différence et la coexistence, en se fondant sur des valeurs religieuses extrémistes sans qu’il y ait de réaction des progressistes. Cette partie ne réagit plus depuis les années 90 en Algérie, et la peur règne toujours, ce qui empêche la liberté d’expression. Dans ce cadre, je vois que les homosexuels algériens vivent dans une liberté déguisée qui ne dure pas 76


longtemps puisque tous les indicateurs montrent que le pouvoir du courant vient des islamistes obscurantistes qui incitent d’une manière explicite à l’extermination et l’exécution des homosexuels. Pourquoi avoir décidé de prendre la parole pour réclamer plus d’égalité et de tolérance dans ce contexte extrêmement difficile voire dangereux ? Parce que j’ai trouvé tout le monde dans un état de silence. Je n’ai pas pu attendre les autres. J’ai voulu prendre cette initiative depuis des années malgré mon jeune âge. Je ne peux pas accepter ce mépris, ce qui devrait être le cas de tout humain qui n’a pas perdu son humanisme. Je crois en des valeurs avec lesquelles je vis et que donc je défends. Mon projet est un projet d’une vraie coexistence sociale, un projet qui permet à tous les Algériens de vivre leurs différences dans leur immense pays. Ce pays aujourd’hui, et ce malgré sa grande surface, continue d’être une grande prison. Personne ne peut vivre de la manière qu’il veut. Tout ce qui est beau a été détruit dans ce pays, les obscurantistes ont envahi toutes ses articulations. Aujourd’hui, nous sommes face à un virus qui transforme toutes cellules différentes en cellules semblables en imposant un pouvoir d’obscurantisme, d’ignorance, et de rejet de l’autre dans l’éducation scolaire et universitaire et même dans les médias.

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Y-a-t’il des association/ONG qui défendent les droits LGBT en Algérie ? Êtes-vous aidé dans votre combat par des personnes extérieures à l’Algérie ? On dit qu’il y a des organisations non-légales qui défendent les droits des LGBT en Algérie, mais pour être honnête, je ne vois pas du tout ça de cette manière, puisque on ne connait pas leur nom et on ne connait pas leurs travaux. Tout ce qu’on connait c’est le nom de leurs slogan « Alouen ». On ne voit pas l’impact de cette association sur le terrain. Je voudrais au moins que cette dernière offre l’opportunité aux autres de lutter avec eux, ce qui n’a jamais eu lieu. Preuve en est, c’est que moi – en tant que militant – je n’ai jamais reçu de la part de cette organisation quelconque aide ou proposition. Donc ce qu’ils font est une sorte de militantisme déguisé, je pense qu’ils ont des intérêts personnels derrière cette organisation. Ils ne montrent aucun sacrifice sur le terrain. D’ailleurs, autre preuve, je reçois en ce moment des menaces et ils ne m’ont même pas appelé pour me proposer de l’aide. Et donc j’ai essayé d’ouvrir la voie pour les homosexuels algériens le 20 août de l’année passée en leurs proposant de voter sur une plateforme internet pour créer un genre de parlement de défense des droits LGBT avec l’élection d’un représentant. J’ai ainsi découvert des nouvelles personnes qui luttent pour les droits des homos mais en même temps l’association Alwane a refusé de participer à ce vote sur internet. Je leur ai dit que s’ils voulaient vraiment le changement il fallait d’abord commencer par eux-mêmes c’est-à-dire être franc et 78


dire clairement qu’ils sont une association qui lutte pour les droits. Et qu’on aimerait les voir sur le terrain et qu’ils nous présentent leur porte-parole. Êtes-vous aidé depuis l’étranger ? Durant mon parcours et jusqu’à aujourd’hui, je n’ai eu aucun soutien de la part de quelconque organisme que ce soit à en Algérie ou à l’étranger. Mon travail est individuel. Je m’exprime à travers ma plume ou via d’autres moyens comme le terrain. L’Obs vous consacrait récemment un article, l’ONG Front Line Defenders demande aux autorités algériennes de vous protéger, que se passe-t-il concrètement ? Comment vivezvous cette situation ? Pensez-vous devoir quitter le pays pour votre sécurité ? Ce qui s’est réellement passé, c’est que l’Union des étudiants – dont ceux de l’université de Tipaza où je fais mes études – a décidé d’une façon arbitraire de m’attaquer pour promotion de l’athéisme et de l’homosexualité. Cela a été transmis à un imam de la ville de Cherchell. Cet imam m’a déjà attaqué auparavant parce que j’ai voulu relancé le Festival El Manara qu’il avait interdit car je cherche à défendre notre héritage culturel. Ensuite, l’info a atteint des journaux nationaux – comme Alchourk – qui ont publié des calomnies à mon sujet disant que j’ai déformé le coran, et que j’ai insulté le prophète, etc. Imaginez le poids de 79


ces calomnies dans une société comme la nôtre ou le prisme religieux est très fort. J’ai reçu des menaces de mort à cause de ces informations diffamatoires, mais aussi sur des pages gérées par des étudiant de l’université de Tipaza. J’ai reçu des menaces de mort à cause de ces informations diffamatoires. Malgré les informations disant que ces menaces ont cessé, il en demeure pas moins car je reste toujours la cible de ces attaques. Pensez-vous devoir quitter votre pays ? De façon objective et libre je ne veux pas lâcher mon pays mais, en toute franchise, si je dois le quitter je le ferai surtout si j’ai un soutien. Je veux faire circuler de nouvelles idées et des analyses dans la société algérienne qui rassemblerait la notion du vivre ensemble. D’une façon ou d’une autre j’encourage la société algérienne à se délaisser des codes sociétales qui ont conduit à l’emprisonnement intellectuel. La dictature sociétale que nous subissons à fait perdre à l’individu ses capacités intellectuelles. Des codes injustes, bâtis sur le machisme et le sexisme, dont on doit se débarrasser pour le bien des générations futures. Nous devons œuvrer à instaurer des valeurs citoyennes et des libertés individuelles. J’invite l’État algérien à appliquer les principes inscrits dans la Constitution et en prime le principe d’égalité entre les citoyens au-delà de leur sexe, religion, pensées, orientation sexuelle, ou autres… Quel message souhaiteriez-vous faire passer dans TÊTU ? La communauté algérienne en France peut-elle vous aider ? 80


À travers TÊTU j’appelle la société civile française et francophone à mieux relayer les événements qui se passent chez nous. J’appelle à ne pas être tolérant avec les intégristes. Comme j’appelle les homosexuels en Algérie à fournir plus d’efforts pour légitimer ce qui leur revient de droit. À savoir, vivre dans la dignité sans avoir peur comme tout citoyen algérien à part entière. Je leur dis qu’il faut lutter aujourd’hui pour vivre demain la vie à laquelle nous avons le droit. J’appelle aussi l’élite algérienne à ne pas marginaliser cette tranche de citoyens. Il faut privilégier la pensée avant les traditions. J’appelle aussi l’État algérien à bâtir des ponts d’amour entre les citoyens en respectant la Constitution et d’élargir le champ des libertés individuelles. J’appelle les citoyens algériens résidant en France à profiter de leur statut pour propager l’esprit du vivre ensemble à travers les réseaux sociaux. L’Algérie est témoin d’un combat intellectuel extrême ; les expatriés algériens doivent œuvrer à faire triompher les valeurs universelles contre l’intégrisme et le fanatisme.

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Articles sur Anouar Rahmani

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Anouar Rahmani, blogueur en Algérie, menacé de mort parce qu’il défend la tolérance Date: 8 juin 2016Author: Bernard Henry-Beccarelli

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Alors que l’inquiétude demeure vive pour Raïf Badawi, blogueur emprisonné et sous la menace constante d’une flagellation à mort en Arabie saoudite pour avoir réclamé plus de liberté dans le royaume wahhabite, une organisation de Droits de l’Homme attire l’attention sur le sort de l’un de ses confrères dans un autre pays du monde arabe aux lois autrement plus «civiles» mais où l’intolérance, même ne venant pas de l’État, ne semble pas moins violente. Anouar Rahmani, âgé de vingt-deux ans, étudiant au Centre universitaire de Tipaza à Cherchell, sur la côte ouest de l’Algérie, est l’auteur d’un blog intituléJournal d’un Algérien hors du commun – et qui l’est un peu trop même au goût de certains de ses condisciples ainsi que des dignitaires religieux de sa ville et d’ailleurs. FrontLine Defenders, organisation spécialisée dans la défense des Défenseurs des Droits de l’Homme et basée à Dublin (Irlande), appelle depuis le 2 juin ses sympathisants à travers le monde à intervenir auprès des autorités algériennes en faveur du jeune homme, désormais la cible de menaces de mort.

Une campagne de haine dans les médias algériens Pendant tout le mois de mai, poursuit FrontLine Defenders, Anouar Rahmani a vu se déchaîner contre lui tant l’université 85


qu’il fréquente que les médias en Algérie. Le 20 mai, sur les pages des réseaux sociaux du Centre universitaire de Tipaza, apparaissaient les premières menaces de mort contre lui, bientôt suivies par des articles publiés dans des quotidiens d’audience nationale, parmi lesquels le journal Alchourouk. Les accusations envers lui ne variaient pas : dénaturation du Coran, blasphème et, tout comme la justice saoudienne en accuse Raif Badawi, apostasie (reniement de la foi islamique). Les jours suivants, Anouar Rahmani vit déferler sur lui, tantôt d’étudiants de son université, tantôt de dirigeants religieux cherchellois et autres, menaces de mort, d’enlèvement et d’expulsion du Centre universitaire de Tipaza, les injures verbales et le harcèlement étant alors devenues pour lui permanents. Le 27 mai, il découvrait sur les réseaux sociaux un article de journal affirmant que les pouvoirs publics enquêtaient à présent sur les menaces de mort et les accusations de blasphème à son endroit. Vrai ou faux ? En tout cas, lui n’avait reçu aucune communication des autorités en ce sens. Le 1er juin, ce sont des messages anonymes beaucoup plus précis qui parvenaient à Anouar Rahmani. Si jamais il porte plainte contre Alchourouk, où est paru peu auparavant un article l’accusant de blasphème, l’auteur du message l’affirme, il y 86


laissera sa vie. Pour le blogueur, l’agresseur ne serait autre qu’un journaliste d’Alchourouk. Qui que ce soit, la chose est claire : à moins d’une intervention rapide du Gouvernement algérien pour le protéger, ceux à qui déplaît sa parole en ont fini de la tolérer. «C’est dans la nature d’un être humain d’être différent. La différence n’est pas un crime.» Pour susciter autant de violence et de haine envers lui, quelle peut donc être cette parole que distille Anouar Rahmani ? Sur son Journal d’un Algérien hors du commun, précise FrontLine Defenders, Anouar Rahmani a deux maîtres-mots : la tolérance et la liberté. Comme Raïf Badawi en Arabie saoudite, il demande dans la société algérienne plus de liberté d’expression, une plus grande liberté de conscience et, de manière générale, un meilleur respect des droits fondamentaux. Mais Anouar Rahmani mène aussi un combat personnel, ô combien controversé dans une Algérie où l’homosexualité est toujours considérée comme un délit : les droits des personnes LGBT – Lesbiennes, Gay, Bisexuelles et Transsexuelles –, étant à ce titre le premier Algérien à avoir réclamé, à l’image de ce qui existe en France, le mariage pour tous.

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Dans une interview à l’émission L’Atelier des Médias sur Radio France Internationale (RFI) le 4 mars 2015, Anouar Rahmani expliquait qu’il souhaitait voir les Algériens étendre le champ de leurs discussions sur la citoyenneté au-delà des pures questions de vie quotidienne, sa défense des personnes LGBT ayant pour but de les faire accepter dans la citoyenneté «comme elles sont et comme elles pourraient être». «C’est dans la nature d’un être humain d’être différent,» proclamait le jeune blogueur. «La différence n’est pas un crime.» Anouar Rahmani relatait la manière dont, ayant essayé de mobiliser de manière entièrement non-violente la population pour qu’elle affirme son soutien aux droits des LGBT et à leur reconnaissance légale, il s’était heurté à l’hostilité de mouvements religieux qui avaient brisé tous ses efforts à coups d’exhortations à ne pas le suivre. «Je suis Charlie, je suis Mohammed» Deux mois après l’attentat à Charlie Hebdo, Anouar Rahmani revenait au cours de l’interview sur l’article de son blog consacré au drame et intitulé «Je suis Charlie, je suis Mohammed», où il écrivait : «La tuerie de Charlie Hebdo a renforcé les extrémismes. En France, certains racistes en ont profité pour stigmatiser la communauté musulmane, et dans le monde arabe, les 88


extrémistes, eux, en ont profité pour créer la discorde dans leur pays. […] Oui, je suis Charlie, et je suis Mohammed parce que la caricature n’est qu’une œuvre artistique destinée à faire rire et amuser. Et quand on lit l’histoire de Mohammed, on se rend compte qu’il était tolérant et acceptait les avis différents du sien, ainsi que les autres religions. A propos de tolérance, on raconte que le Prophète avait un voisin juif, qui jetait tous les jours ses ordures à côté de sa maison. Le Prophète ne faisait pas de reproches à son voisin, mais se contentait de prendre les ordures pour les mettre plus loin. Et quand, un jour, ce voisin est tombé malade, le Prophète n’a pas hésité à lui rendre visite. Doit-on sérieusement penser que, si le Prophète avait vu ces caricatures, elles l’auraient mis en colère ? Moi, je dis qu’il en aurait ri.» Fustigeant l’idée même de représailles armées contre des écrivains ou dessinateurs, Anouar Rahmani ajoutait : «Le crayon n’est qu’un instrument d’expression, tandis que les armes, elles, servent clairement à tuer et à détruire».

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Le futur Raïf Badawi du Maghreb ? Certes, les menaces et le harcèlement dont est victime Anouar Rahmani ne sont pas, contrairement à ce qui arrive à Raïf Badawi en Arabie saoudite, le fait de la justice ou des pouvoirs publics en Algérie, que FrontLine Defenders appelle tout au contraire à intervenir en sa faveur et trouver les coupables pour les traduire en justice. Mais tout manquement d’Alger à accorder à cette affaire le sérieux qu’elle mérite créerait à l’évidence un fâcheux parallèle entre les deux blogueurs en danger, la répression officielle saoudienne n’étant pas un modèle à suivre pour quelque pays que ce soit et l’indifférence au sort d’une personne menacée car prônant la tolérance ne l’étant pas davantage. Une version alternative de cet article a été publiée sur Le Plus de l’Obs.

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Anouar rahmani Ecrivain, romancier, chroniqueur, dÊfenseur des droits de l’homme

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