LA CRISE DE MAI 68
Les forces de l’ordre barrant les ponts de la Seine en direction de la rive droite. Bruno Barbey
Mai 68 est d’abord un mouvement de révolte étudiante sans précédent, né du malaise latent au sein de l’université française (critique de l’enseignement traditionnel, insuffisance des débouchés, menaces de sélection). Il s’inscrit dans une crise internationale qui a pris naissance aux États-Unis : en septembre 1964, sur le campus de Berkeley, le Free Speech Movement lance la protestation contre la guerre du Viêt-nam. Mais le cas français se révèle tout à fait spécifique : le mouvement y revêt un aspect plus global, plus spectaculaire qu’ailleurs; surtout, la révolte étudiante y débouche sur des grèves et une crise sociale généralisée, qui mettent en péril les sommets de l’État. Par son triple aspect – universitaire, social et politique – l’explosion de Mai 68 a profondément ébranlé la société française par une remise en cause globale de ses valeurs traditionnelles, et a été le révélateur d’une crise de civilisation. Cette incroyable libération de la parole, ce bouillonnement social inattendu ont pris des allures de révolution.
LES TROIS CRISES DU MAI FRANÇAIS
universitaire, considérée comme un des rouages de la société capitaliste. Ainsi naît le Mouvement du 22 mars, conduit par Daniel Cohn-Bendit surnommé « Danny le rouge », faisant référence au parti communiste.La multiplication des incidentsà Nanterre conduit à la fermeture de l’université le 2 mai.
LA RÉVOLTE DES ÉTUDIANTS
DANIEL COHN-BENDIT, DÉCLARATION DU 5 MAI 1968
Les premiers incidents annonciateurs de la crise se produisent début 1968 à la faculté de Nanterre, ouverte en 1963 afin de mieux décongestionner la Sorbonne à Paris. Isolé au milieu d’un immense bidonville, ce campus devenu l’un des plus importants de Paris s’avère propice àla fermentation politique et au développement de mouvements d’extrême gauche. Ces derniers prônent la grande révolte contre l’institution
Dès lors, l’agitation se transporte au centre de Paris ; ce qui n’était qu’une série d’incidents devient une crise nationale. Tout bascule le 3 mai quand la police intervient brutalement pour disperser le meeting de protestation tenu par les étudiants dans la cour de la Sorbonne. La répression (500 arrestations) provoque immédiatement la solidarité du milieu estudiantin avec certaines minorités militantes.
« Même si on nous promettait le paradis nous le refuserions. Car nous voulons le prendre. » Daniel Cohn Bendit
Paris. 5e arrondissement. Quartier Latin. Rue Gay-Lussac. Matinée du 11 mai, 1968. Bruno Barbey - Magnum
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# Daniel Cohn-Bendit
La révolte éstudiantine commence dans les rues du Quartier latin. Barricades, pavés, cocktails Molotov, contre-charges de CRS, matraques et gaz lacrymogènes : affrontements s’amplifient de jour en jour, suivis en direct à la radio par la population. Le mouvement, animé par l’UNEF (syndicat étudiant dirigé par Jacques Sauvageot), s’étend aux lycées, où se forment les Comités d’action lycéens.
BARRICADE DE LA RUE D’ULM, DEVANT L’ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE Le point culminant est atteint dans la grande nuit du 10 au 11 mai : étudiants et CRS s’affrontent en de véritables combats de rues (voitures incendiées, rues dépavées, vitrines brisées), faisant des centaines de blessés. Au lendemain de cette « nuit des barricades », le pays est stupéfait. L’agitation étudiante, jusque-là isolée, rencontre alors la sympathie de l’opinion publique : le 13 mai, à Paris et dans toute la France, les syndicats manifestent avec les étudiants pour protester contre les brutalités policières. Cette crise prend alors une nouvelle dimension, car le lendemain, de façon complètement inattendue et spontanée, une vague de grèves s’enclenche : à la révolte étudiante succède une véritable crise sociale.
Né en France de parents allemands antinazis, il opte pour la nationalité allemande en 1959. Militant libertaire, il fait ses études supérieures en France, à l’université de Nanterre. Durant le mouvement de mai 1968 dont il est l’un des leaders, le gouvernement utilise le fait qu’il n’est pas français pour l’expulser en Allemagne. Durant les années 1980, il s’insère dans la vie politique allemande comme élu du parti écologiste Die Grünen à Francfort. À partir des années 1990, il participe aussi à la vie politique en France avec les partis écologistes qui s’y sont succédé.
C’est ainsi que commence la véritablecrise de maii 68et ces grandes gèves qui ont secouées la France et tous les français, qu’ils soit ouvriers ou bourgeois.Cerum facercium dolenis alibea et occum ipsa ipissitas si qui ra quaePerion ratem et eos pa net quibus et asimolores ne conequisci rem. harchitiam, sape.
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LA GRÈVE GÉNÉRALE
# Charles DE GAULLE Né le 22 novembre 1890 à Lille et mort le 9 novembre 1970. Homme de l’appel du 18 juin 1940, Charles DE GAULLE fut, en 1958, le fondateur du régime de la Ve République, qu’il présida jusqu’en 1969. Audace, grandeur, patriotisme, obstination, indépendance, stabilité, tels sont les principaux traits qui caractérisent le tempérament et le règne de ce soldat rebelle devenu un monarque républicain, qui demeurera, de l’avis de ses compagnons comme de ses adversaires, un géant de l’Histoire.
« Ce n’est pas seulement la raison des millénaires qui éclate en nous, mais leur folie » -8-
Las de grèves ponctuelles ainsi que des négociations infructueuses, les ouvriers décident de contrer plus durement l’intransigeance patronale. Au soir du 14 mai, ceux de Sud-Aviation, dans la banlieue de Nantes, occupent leur usine et séquestrent le directeur. Les 15 et 16, la grève gagne les usines Renault de Cléon et Sandouville (Seine-Maritime), Flins et Boulogne-Billancourt. Progressivement, jusqu’au 22 mai, et sans mot d’ordre syndical national, le mouvement s’étend. Le pays se retrouve paralysé par 7 millions de grévistes déclarés (sans compter les salariés en chômage technique, ou bloqués par le manque de transports). Dans les usines, les bureaux, les services publics, les transports, tous cessent le travail. Il s’agit d’une situation inédite : en 1936, les grévistes n’avaient été que 2 millions, et seul le secteur privé avait été touché. Nées spontanément, les grèves de Mai 68 ne sont encadrées qu’a posteriori par les syndicats, qui collent cependant autant que possible au mouvement, tentant de le traduire en revendications négociables. Enfin conscient des enjeux, le pouvoir finit par réagir.
Série d’affiches étudiantes et ouvrières collées illégalement aux murs durant les manifestations de mai 68
Le 24 mai, lors d’une allocution télévisée, le général de Gaulle annonce la tenue d’un référendum sur la « rénovation universitaire, sociale et économique », menaçant de se retirer en cas de victoire du « non ». Son annonce reste sans effet. Son Premier ministre, WGeorges Pompidou, joue alors la carte de la négociation sociale. En pleine crise, les négociations de Grenelle(25 et 26 mai) mettent au jour les divergences au sein du mouvement de contestation : face au gauchisme des groupes étudiants (anarchistes, maoïstes,trotskistes), qui souhaitent un changement radical des structures, et aux revendications des grévistes, qui mettent surtout en cause les rapports de travail et les structures de pouvoir dans l’entreprise, le parti communiste (PCF) et la CGT insistent sur les revendications professionnelles et salariales.
# Georges POMPIDOU Né le 5 juillet 1911 à Montboudif, mort le 2 avril 1974 à Paris, est un homme d’État français. Il occupe, durant la présidence de Charles DE GAULLE, la fonction de Premier ministre du 14 avril 1962 au 10 juillet 1968. Il est élu 19e président de la République française. Il exerce la fonction de président de la République du 20 juin 1969, jusqu’ à sa mort, le 2 avril 1974. Il reste, à ce jour, l’unique président de la Ve République dont le mandat a été interrompu par la mort.
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Le 27 mai, les représentants du gouvernement (notamment Jacques Chirac, alors secrétaire d’État aux Affaires sociales, chargé de l’Emploi), des syndicats et du patronat signent les accords de Grenelle, qui portent essentiellement sur une augmentation de 10 % des salaires et une revalorisation de 35 % du SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti), privilégiant ainsi les revendications « quantitatives » classiques aux revendications « qualitatives ». Mais ces accords, rejetés par certains éléments de la « base » qui veulent poursuivre la grève, ne suffisent pas à trouver une issue immédiate au conflit. Malgré Grenelle, la grève continue donc. Le pouvoir, à court de propositions, paraît vacant. Les événements de Mai 68 entrent dans leur troisième phase, la crise politique.
Paris, 5e arrondissement. Quartier Latin. meeting étudiant à la Sorbonne. Daniel COHN-BENDIT, un des leaders du mouvment étudiant, parle dans l’amphithéâtre. Bruno Barbey
Série d’affiche réalisés lors des évènements de mai 68. Elles ont été pour la plupart réalisé par des étudints des Beaux Arts.
LA CRISE POLITIQUE UN MOUVEMENT DÉPOURVU D’UNITÉ Ni le mouvement de contestation ni les partis de gauche ne réussissent à proposer de solution crédible. D’un côté, les étudiants de l’UNEF, avec le syndicat CFDT et le parti socialiste unifié (PSU), organisent un meeting au stade Charléty le 27 mai ; 30 000 personnes y assistent, en présence de Pierre Mendès France (qui cautionne le mouvement mais ne prend pas la parole). L’affirmation de la possibilité d’une solu tion révolutionnaire à la crise ne parvient pourtant pas à se concrétiser ; de plus, elle se heurte à la surenchère des groupuscules gauchistes, et surtout à l’hostilité déclarée du PCF, très méfiant devant un mouvement qu’il ne contrôle pas. Du côté des partis de gauche traditionnels, des solutions politiques classiques sont envisagées : gouvernement provisoire, élection présidentielle et législatives anticipées. Mais la concurrence entre la FGDS de François Mitterrand et le PCF de Waldeck Rochet les empêche de s’entendre. Au lendemain du meeting de Charléty, la cacophonie et l’impuissance sont patentes à gauche. François Mitterrand s’étant proclamé candidat à la présidence
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de la République, étudiants et grévistes crient à la « récupération ». Le terrain est libre pour une riposte du pouvoir, qui met à profit les divergences du mouvement et les inquiétudes de l’opinion publique qui est en plein doute.
LE TOURNANT DU 30 MAI La contre-offensive prend les apparences d’un drame spectaculaire : le 29 mai, le président de Gaulle disparaît de l’Élysée, créant un sentiment d’affolement dans la population. Le lendemain, dans une brève allocution radiodiffusée, le général annonce la dissolution de l’Assemblée et la tenue d’élections anticipées. Une manifestation est organisée le soir par les gaullistes sur les Champs-Élysées et rassemble 500 000 personnes ; elle marque le retournement d’une opinion inquiète et surtout lasse qui, à défaut d’alternative claire, n’entrevoit d’autre débouché à la crise et à la paralysie économique que le retour à l’ordre. Avec la perspective d’élections, la crise retrouve les voies traditionnelles politiques. La gauche est prise de court : si les gauchistes dénoncent ces « élections-piège à con », les partis traditionnels ne peuvent les refuser, mais ils ont perdu l’initiative. La reprise du travail s’opère lentement et la lutte continue, mi-juin, aux usines Renault à Flins et Peugeot à Sochaux. Bien des grévistes se sentent floués mais ils sont isolés. De fait, le scrutin des 23 et 30 juin donne une majorité écrasante à la droite gouvernante. En faisant jouer les réflexes de peur du désordre, peur d’un hypothétique « complot » communiste, les gaullistes sont parvenus à essouffler le vent de la contestation.
« J’ai besoin que le peuple français dise qu’il le veut » « La jeunesse, qui est soucieuse de son propre rôle et que l’avenir in quiète trop souvent » « J’entreprendrai de faire changer, des structures étroites et périmées » Général De Gaulle
Paris. 8e arrondissement. Avenue des ChampsElysées. Marche de soutien au président Charles DE GAULLE, depuis la place de la Concorde jusqu’à l’arc de Triomphe. 30 mai 1968. Divergeant selon les sources il y avait entre 300 et 500,000 personnes. Bruno Brabey
LES CAUSES SOCIOLOGIQUES
Marche en commémoration du lycéen Gilles Tautin Bruno Barbey Magnum
L’activisme des groupuscules gauchistes, dont le discours révolutionnaire a marqué les esprits, ne permet pas d’expliquer l’ampleur de la contestation étudiante. Plus important est le terreau sur lequel il a fleuri : la crise profonde d’un système éducatif au bord de l’explosion.
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L’AUGMENTATION DE LA POPULATION ESTUDIANTINE La France, dans l’euphorie de la croissance des Trente Glorieuses, a vu le nombre des lycéens et des étudiants tripler en dix ans. Une explosion des effectifs a conduit improviser de nouvelles facultés, construites à la hâte dans des banlieues-ghettos, et à recruter en masse de nouveaux enseignants, des assistants, aux statuts subordonnés et précaires. Et cela sans que les structures universitaires évoluent : les professeurs en titre règnent sans partage en « mandarins » ; la pédagogie du cours magistral requiert distance et passivité des étudiants. À ce malaise universitaire profond, s’ajoute, pourtous les étudiants,
LE MALAISE DE LA SOCIÉTÉ
une inquiétude quant aux débouchés : la croissance des effectifs a été particulièrement forte en lettres (surtout dans les sections récentes de sociologie et de psychologie), secteur encombré et socialement dévalorisé. Enfin, l’application de la réforme Fouchet en 1967 paraît aggraver la sélection. Or les étudiants craignent le chômage : les héritiers des classes dirigeantes risquent le déclassement ; ceux, plus nombreux, des classes moyennes désespèrent d’obtenir la promotion sociale que le diplôme devait leur assurer. Inquiet, le milieu étudiant est devenu réceptif aux dénonciations de l’« université bourgeoise ».
« La violence
D’une façon générale, la jeunesse a du mal à trouver sa place dans une société encore modelée par des valeurs traditionnelles et fermée à ses aspirations. Dans la jeunesse intellectuelle, ce malaise est exprimé par l’UNEF. Ce syndicat étudiant, façonné par l’opposition à la guerre d’Algérie, reste un creuset de politisation, proche du PSU. Il est en outre renforcé par la crise générale des organisations étudiantes : en 1965, la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) entre en conflit avec la hiérarchie catholique ; l’Union des étudiants communistes (UEC) éclate en une multitude de groupes pour la plupart opposés à la direction du PCF. Si ces aspirations particulières ont pu servir de détonateur à un mouvement social toujours plus vaste, c’est qu’elles entrent en résonance avec une tension sociale croissante. Le plan de stabilisation mis en
n’est pas un moyen parmi d’autres d’atteindre la fin, mais le choix délibéré d’atteindre la fin par n’importe quel moyen. » Jean Paul Sartre
# Jean-Paul Sartre Né le 21 juin 1905 et mort le 15 avril 1980 à Paris, est un écrivain et philosophe français, représentant du courant existentialiste, dont l’œuvre et la personnalité ont marqué la vie intellectuelle et politique de la France de 1945 à la fin des années 1970. Écrivain prolifique, fondateur et directeur de la revue Les Temps modernes, il est connu aussi bien pour son œuvre philosophique et littéraire qu’en raison de ses engagements politique, d’abord en liaison avec le Parti communiste, puis avec des courants gauchistes dans les années 1970. Sa relation particulière avec Simone de Beauvoir est un autre élément de sa notoriété.
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Le plan de stabilisation mis en œuvre par le ministre des Finances Valéry Giscard d’Estaing en 1964 a entraîné un ralentissement général : la stagnation des années 1964-1966 mécontente des salariés habitués à la croissance et à la hausse de leur pouvoir d’achat. L’année 1967 n’est guère meilleure, avec 300 000 chômeurs. Mai 68 s’inscrit donc dans une période de combativité ouvrière croissante, stimulée par l’accord d’unité d’action conclu le 10 janvier 1966 entre les deux principales centrales syndicales, la CGT et la CFDT. Cependant, les grèves de 1968 se distinguent des précédentes par l’importance des revendications « qualitatives » : les ouvriers veulent en finir avec l’attitude arrogante et autoritaire des « patrons » ; ils exigent plus de « considération dans le travail ». Ce rejet des hiérarchies établies et du principe d’autorité, original et inédit, est surtout formulé par les jeunes ouvriers instruits, plus diplômés (BEPC, CAP) que leurs aînés, mais non encore pleinement intégrés, qui entrent plus facilement en phase avec l’« esprit de Mai » : ils parlent de dignité, d’égalité, d’autogestion, et ont été à l’initiative des grèves.Seconde originalité : la participation fréquente des cadres au mouvement. De plus en plus nombreux dans les entreprises, ingénieurs, cadres, techniciens remettent en cause le style de commandement autoritaire ancien au profit d’une gestion participative moderne utilisant au mieux toutes les compétences.
Grande manifestation des ouvriers et des etudiants du 22 mars 1968 Avenue des Champs ÉlysÊes
LES INTERPRÉTATIONS DE MAI 68 Mai 68 a laissé le souvenir d’une atmosphère ludique et hédoniste qu’exprime l’audace des slogans « Jouissez sans entraves » ou encore « Il est interdit d’interdire », et d’une libération de la parole et de la sexualité (la pilule contraceptive venait tout juste d’être légalisée en 1967). Cette allure d’explosion hédoniste et individualiste contraste avec la politisation du mouvement, ses discours d’inspiration léniniste et ses défilés au son de l’Internationale.
« LE DÉFOULEMENT DE PULSIONS AGRESSIVES » Le philosophe et sociologue Raymond Aron a voulu y voir un accès de fièvre, un psychodrame, le défoulement de pulsions agressives longtemps refoulées. Les étudiants, foule solitaire frustrée dans des facultés géantes et anonymes, auraient «joué à la révolution ». Cette explication manifeste une hostilité évidente à un mouvement jugé puéril, futil et dangereux. Les grèves, enfin, s’expliqueraient par le freinage des salaires et la montée du chômage. Sur ce point, Raymond Aron rejoint l’analyse du PCF, de la CGT et de certains sociologues, qui inscrivent Mai 68 dans une longue liste de conflits sociaux (1906, 1919-1920, 1936, 1947, 1948,
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1953), dessinant ainsi l’image d’un pays au tissu social complexe mais aussi fragile et explosif. Mais s’il est légitime de rappeler l’ancrage socio-économique du mouvement, et ses causes sociologiques réelles, c’est gommer sa spécificité que de l’inscrire uniquement dans une tradition de conflictualité française. Or il faut rendre compte de la présence d’acteurs nouveaux : les cadres, les étudiants et les lycéens. De plus, Mai 68 se distingue par la coexistence de deux crises, l’une étudiante, l’autre ouvrière, certes entremêlées, mais qui ne fusionnent.
UNE SOCIÉTÉ DÉPASSÉE En fait, Mai 68 constitue un mouvement culturel et social de type nouveau, en dehors des partis et syndicats traditionnels. D’une part, il conteste la société de consommation et l’idéologie productiviste qui l’inspire, plus soucieuse de la rentabilité financière que du bonheur des hommes ; il dénonce l’aliénation par les objets et la création permanente de besoins nouveaux. D’autre part, il exalte l’épanouissement de l’individu, son droit au bonheur, contre la rigidité des hiérarchies et des disciplines héritées. Ainsi est remis en cause le modèle autoritaire,
le style de commandement hiérarchique, bureaucratique, qui prévaut dans la famille, à l’école, dans l’entreprise, dans l’État, dans les Églises, dans toutes les organisations et structures sociales. Dans la primauté donnée à l’individualité, à la subjectivité de chacun, se trouve l’élément commun qui relie tous les aspects de Mai 68. C’est pourquoi les structures revendicatives anciennes, la gauche, les syndicats, sont en décalage avec ce mouvement nouveau. Si le mouvement de Mai 68 a échoué à court terme, il n’en a pas moins laissé une empreinte profonde. Ses retombées sont multiples. La loi Edgar Faure introduit la participation dans les universités, qui en sont transformées. La loi sur les sections syndicales d’entreprise ouvre la voie à une lente transformation des relations salariales. Sur le plan politique, ce Mai 68 a
anéanti l’autorité du « vieux » général de Gaulle : son départ après l’échec du référendum d’avril 1969 en est le résultat différé. À gauche, la crise provoque un déclic, dont découle le renouveau du parti socialiste (PS) en 1972, et le programme commun PS-PCF de 1974. La victoire de François Mitterrand en 1981 en est l’écho lointain. De même, les mouvements féministes et écologiques sont les héritiers de Mai. La crise de 1968, accoucheuse de nouveaux comportements, a donc contribué, à défaut de révolution, à la modernisation de la société française. Vieil homme regardant un slogan des manifestants de mai 68 Rue de Vaugirard Henri-Cartier Bresson
Vivez sans temps mort, jouissez sans entraves. Foyer. 1er ét. Odéon
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Nuit du 10 juin, Angle du boulevard Pasteur et de la rue de Vaugirard Bruno Barbey
CHRONOLOGIE
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• 6 mai Nouvelles manifestations à Paris, et nouveaux affrontements violents avec la police, qui procède à plus de quatre cents arrestations. Le SNESup et l’UNEF définissent avec le soutien de
• 5 mai Condamnation de quatre manifestants du 3 mai à de la prison ferme.
• 4 mai Appel à la grève illimitée de l’UNEF et du SNESup. Suspension des cours à la Sorbonne.
• 3 mai Meeting dans la cour de la Sorbonne contre l’incendie des locaux de la FGEL, la fermeture de la faculté de Nanterre. Premières interpellations, premières manifestations (« Libérez nos camarades »), premiers lancers de pavés et premières barricades à Paris dans le Quartier latin. En tout, la police effectue près de six cents interpellations.
• 2 mai Début du voyage du premier ministre Georges Pompidou en Iran et en Afghanistan. Incendie dans les locaux de la FGEL à la Sorbonne provoqué par Occident, et incidents avec la police à la faculté des lettres de Nanterre, où les cours sont suspendus par le doyen Pierre Grappin ; huit étudiants nanterrois sont déférés devant le conseil de l’université.
• 1er mai Pour la première fois depuis 1954, manifestation autorisée à Paris : défilé commun CGT-PCF-PSU, de la République à la Bastille. Lancement du journal.
• 14 mai Des lycéens se joignent aux manifestations. À Paris, le cortège retourne dans le Quartier latin : c’est la première « nuit des barricades », avec de violents affrontements contre les forces de l’ordre. Intervention de la police à partir de deux heures
• 10-11 mai Réouverture de la faculté de Nanterre. Première déclaration commune CGT-CFDT-FEN-UNEF appelant à la grève le
• 9 mai Le mouvement s’étend et s’intensifie chez les étudiants en province, notamment à Nantes, Rennes, Strasbourg et Toulouse. À Lyon et à Dijon, des ouvriers se joignent aux manifestations étudiantes. À Paris, les leaders étudiants annoncent leur intention d’occuper la Sorbonne dès le départ des forces de l’ordre. Rencontre CGT-CFDT, puis CGTCFDT-UNEF en vue d’une action commune.
• 8 mai Manifestation commune CGT-CFDT-FO-FDSEA-CDJA-UNEF dans toute la Bretagne et les Pays de la Loire, au slogan de « L’ouest veut vivre ». Création du journal Action.
• 7 mai Manifestation à Paris de Denfert-Rochereau à l’Étoile.
la FEN trois revendications immédiates : abandon des sanctions universitaires, des poursuites administratives et pénales contre les étudiants arrêtés, évacuation du Quartier latin par les forces de police, réouverture de la Sorbonne.
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• 15 mai Occupation à Paris du théâtre de l’Odéon, et de l’École des Beaux-Arts. Occupation de l’usine Renault à Cléon (Seine-Maritime). Début de la grève des chauffeurs de taxi.
• 14 mai Départ du général de Gaulle pour la Roumanie. Occupation de l’usine Sud-Aviation à Bouguenais (près de Nantes en Loire-Atlantique), où la direction est séquestrée par les grévistes. À Woippy, près de Metz (Moselle) : grève de 500 métallurgistes. La Sorbonne se déclare « commune libre », et la faculté de Nanterre autonome.
• 11 mai La CGT, la CFDT et la FEN appellent à la grève générale pour le 13 mai. FO s’y associe ainsi que la CGC. Occupation des locaux universitaires de Censier, annexe de la Sorbonne. Retour d’Afghanistan du premier ministre Georges Pompidou, qui cède sur les trois revendications, la Sorbonne devant réouvrir le 13 mai. • 13 mai Importante grève générale, et manifestations ouvriers-enseignants-étudiants dans toute la France. Manifestation parisienne de la gare de l’Est à Denfert-Rochereau : on dénombre jusqu’à un million de personnes dans le cortège. Les étudiants continuent jusqu’au Champ-de-Mars. La Sorbonne est réouverte et aussitôt occupée. La cour d’appel remet en liberté provisoire les condamnés du 5 mai.
du matin. Des manifestations se déroulent également dans la violence dans els villes de Bordeaux, Lyon, Strasbourg, Grenoble, Toulouse, Lille, etc.
• 21 mai Daniel Cohn-Bendit est interdit de séjour en France. Forte extension du mouvement de grève : après le secteur des Postes et télécommunications, entrent en grève ceux de la chimie, du textile, les entreprises Peugeot, Michelin, Bréguet, Citroën, EDF et GDF, ainsi que la fonction publique et les grands magasins : on compte alors entre 8 et 10 millions degrévistes. Occupation des locaux de l’Ordre des médecins, de l’Ordre des architectes, et de la Société des gens de lettres.
• 19-20 mai Interruption du festival international de cinéma à Cannes, à la demande unanime du jury. À Paris, Jean-Paul Sartre s’exprime dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. Le SGEN-CFDT (enseignement dans les premier et second degrés) lance un ordre de grève illimité. La FEN appelle à cesser le travail à partir du 22 mai.
• 18 mai Retour à Paris du général de Gaulle qui dénonce la « chienlit ». La grève s’étend, la paralysie économique gagne l’ensemble du pays : on compte entre 3 et 6 millions de grévistes. À Paris, début des rassemblements d’extrême-droite le soir place de l’Étoile (quelques milliers de participants).
• 16 mai Le mouvement de grève et d’occupation s’étend aux entreprises, notamment aux sites de Renault à Flins (Yvelines), puis à Boulogne-Billancourt (Hauts-deSeine), ainsi qu’à la SNCF, à la RATP, à Air France et dans la métallurgie.
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• 28 mai Conférence de presse de François Mitterrand qui, considérant qu’il y a vacance du pouvoir, annonce sa candidature à la présidence de la République.
• 27 mai Constat de Grenelle - dit aussi « Accords » de Grenelle -, entre les syndicats, le patronat et le gouvernement : augmentation du SMIG et des bas salaires, suppression des abattements de zone, réduction progressive de la durée du travail en vue d’aboutir à la semaine de 40 heures, abaissement de l’âge de la retraite, révision des conventions collectives, reconnaissance de la section syndicale d’entreprise et augmentation des droits syndicaux… À Paris, meeting au stade Charléty en présence de Pierre Mendès France.
• 31 mai Remaniement ministériel. Manifestations de soutien au général de Gaulle en province. Engagement de négociations sociales par branche professionnelle, améliorant les dispositions du « constat » de Grenelle ; ces négociations se poursuivent jusqu’au 19 juin. Dans la fonction publique d’État, les négociations se déroulent du 28 mai au 2 juin et se concluent par un constat appelé « accords Oudinot » ; ces accords sont complétés par des négociations au niveau des
• 30 mai À 16h30, le président de la République annonce à la radio la dissolution de l’Assemblée nationale et l’organisation de prochaines élections législatives. À Paris, une manifestation de soutien au pouvoir gaulliste réunit jusqu’à un million de personnes sur les Champs-Élysées.
• 29 mai Manifestations à l’appel de la CGT ; on compte jusqu’à 800 000 personnes dans les défilés parisiens ; on annonce la formation d’un simple « gouvernement populaire ». Le conseil des ministres est ajourné ; le général de Gaulle quitte l’Elysée à 11h15 et n’arrive à Colombey-les-deux-Églises, via Baden-Baden où il a rencontré le général Massu, qu’à 18h30. Pierre Mendès France se déclare prêt à former un « gouvernement de gestion » ; la CFDT lui apporte son appui.
• 24 mai Le général de Gaulle annonce à la télévision l’organisation en juin d’un référendum sur la participation dans les entreprises et les universités. Nouvelle manifestation parisienne à l’appel de l’UNEF et du SNESup, et nouvelle « nuit des barricades » ; la Bourse est incendiée.
• 25-26 mai À Paris, au ministère du Travail rue de Grenelle : début des négociations entre les confédérations syndicales - rejoints par la FEN -, et le patronat et le gouvernement.
Rencontre PCF-FGDS. Dans l’après-midi, Waldeck Rochet pour le PCF propose un « gouvernement populaire et d’union démocratique à participation communiste ».
• 23 mai Le pouvoir interdit aux stations de radios d’utiliser leurs voitures émettrices, et donc de faire des reportages en direct.
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• 11 juin Affrontements avec la police devant les usines PeuPeugeot à Sochaux (Doubs) : deux ouvriers meurent, geot à Sochaux (Doubs) : deux ouvriers meurent, dont dont Beylot tuéballe. par balle. laàCGT Jean Jean Beylot tué par AppelAppel de lade CGT un à un arrêt travail pour juin. Réoccupation arrêt de de travail pour le le 12 12 juin. Réoccupation de de l’usine Renault à Flins par les grévistes. Violentes manifestations à Paris (au départ de la gare de l’Est), et dans plusieurs grandes villes de province. province. • 12 juin Reprise des cours dans les lycées.Interdiction • 12 juin de toutedes manifestation voie publique pendant Reprise cours dans sur les la lycées.Interdiction de la durée des élections. de plusieurs toute manifestation sur Dissolution la voie publique pendant la mouvements d’extrême-gauche. durée des élections.Dissolution de plusieurs mouvements d’extrême-gauche.
• 10 juin Nouveaux affrontements avec les policiers. À Flins, la police. À Flins, mort mort du lycéen Gilles Tautin, la Seine. du lycéen Gilles Tautin, noyé noyé dans dans la Seine. OuverOuverture la campagne électorale. Le SGEN appelle ture de lade campagne électorale. Le SGEN-CDFT à la reprise du travail pour le mercredi 12 juin.
• 6 juin Reprise à la RATP, à la SNCF, et dans la fonction publique.
• 4-5 juin Début de la reprise du travail à EDF-GDF, dans les les mines, la sidérurgie et les employés d’État. mines, la sidérurgie et les employés d’État.
er • 11er-3 -3 juin juin Réapprovisionnement des villes en essence durant le le week-end Pentecôte. week-end de de la la Pentecôte.
er • 11er juin juin Manifestation parisienne de l’UNEF, au slogan « Élec« Élections, trahison ». tions, trahison ».
• 13 juillet Maurice Couve de Murville succède à Georges Pompidou au poste de premier ministre.
• 5 juillet À Paris, évacuation par la police de la faculté de médecine.
• 31 juin Épuration à l’ORTF : 102 journalistes sont mutés ou ou licenciés sous couvert d’une « réorganisation » la licenciés sous couvert d’une « réorganisation » de de la société. société.
• 30 juin Second tour des élections législatives : 22 millions de votants, pour 78% de participation. C’est un raz de marée gaulliste ; l’UDR et les RI regroupent 43,6% des voix ; le Centre démocratique : 10,3% ; le PCF : 20% ; la FGDS : 16,5% ; le PSU : 3,9%.
• 24 juin Reprise du travail aux usines Citroën.
• 23 juin Premier tour des élections législatives.
• 18 juin Reprise du travail dans plusieurs secteurs de l’aude l’automobile (dont les usines Renault), tomobile (dont les usines Renault), et de la métalet de laOrganisation métallurgie.d’une Organisation d’une lurgie. table ronde autable ministère ronde au ministère de l’Éducation nationaledes surexade l’Éducation nationale sur les modalités les modalités des examens. mens.
• 16 juin À Paris, évacuation de la Sorbonne par la police.