L’INDÉPENDANCE DE L’INDE (1915-1947)
Le mouvement pour l’indépendance de l’Inde recouvre un ensemble complexe englobant diverses campagnes nationales et régionales, des troubles et des tentatives inspirés d’une philosophie à la fois non-violente et militante, et a impliqué une gamme étendue d’organismes, de philosophies et de mouvements politiques indiens ayant eu pour but commun de mettre fin à l’autorité coloniale britannique aussi bien que celle d’autres administrations coloniales dans le sous-continent indien. On peut faire remonter la première répression de ce mouvement au tout début de l’expansion coloniale des Portugais au Karnataka au début du XVe siècle, et de la Compagnie anglaise des Indes orientales dans le nord de l’Inde au milieu et à la fin du XVIIIe siècle. Le courant dominant du mouvement à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle fut de plus en plus mené par le Congrès National indien dirigé par des chefs modérés cherchant à obtenir
« Comment peut-on apprendre à se connaître soi-même ? Par la méditation, jamais, mais bien par l’action. » le statut de dominion dans le Commonwealth. Le début des années 1900 vit apparaître une attitude plus radicale en ce qui concerne l’indépendance politique proposée par des chefs comme le Lal Bal Pal et Sri Aurobindo. Un nationalisme militant se fit jour également dans les premières décennies du XXe siècle, aboutissant à l’échec du pacte indo-allemand et à la conspiration de Ghadar pendant la Première Guerre Mondiale. La fin de la guerre vit le Congrès adopter une politique d’agitation non-violente et de désobéissance civile menée par le Mahatma Gandhi. D’autres chefs, tels que Subhash Chandra Bose, vinrent plus tard donner au mouvement une dimension militaire. C’est pendant la seconde Guerre mondiale que culminèrent des mouvements comme le Gouvernement provisoire de l’Inde libre mené par Netaji Subhas Chandra Bose à partir de l’Asie du Sud-Est et le mouvement Quit India. Le mouvement aboutit à l’indépendance du sous-continent de l’empire britannique et à la formation de l’Inde et du Pakistan en août 1947.
Mohandas Karamchand Gandhi marchant dans sa tenue traditionnelle le dhotî
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LES DÉBUTS DE LA LUTTE EN INDE (1915-1928) Pendant trente ans (1918-1948), sauf quelques périodes consacrées à la seule action sociale, Gandhi demeure, pour les Britanniques, pour l’opinion mondiale et pour l’immense majorité de ses compatriotes, le symbole du nationalisme indien, dont il fait un phénomène de masse à travers un certain nombre d’expérimentaions. Mohandas Gandhi
Le leader indien Gandhi lisant les jambes croisées sur le sol, à son domicile. Margaret Bourke White
Issu d’une famille de marchands aisés, profondément religieux, hostile au matérialisme occidental mais ouvert à certaines de ses influences philosophiques, Gandhi étudie le droit en Grande-Bretagne et devient avocat. De 1893 à 1914, il exerce en Afrique du Sud, où il défend les nombreux immigrés indiens contre la ségrégation. C’est là qu’il recourt avec succès à la non-violence (ahimsa) et à la résistance passive (satyagraha) pour parvenir à ses fins. Il va les appliquer à la cause du nationa-lisme en Inde, où son retour en 1915 est triomphal. D’une façon globale, Gandhi déteste la politique, où le calcul, l’hypocrisie, la violence et l’esprit de lucre lui semblent tenir une place trop grande. C’est presque à son corps défendant qu’il est amené à participer à la vie politique et sociale. Mais il le fera toujours selon les critères moraux et religieux qu’il juge essentiels et auxquels il tiendra jusqu’à la fin de sa vie . D’où l’originalité de celui dont on a dit qu’il était « un saint parmi les politiques, un politique parmi les saints ».
« En opposant la haine à la haine, on ne fait que la répandre, en surface et en profondeur. » [ 6]
L’esprit de la lutte De 1919 à 1948, la vie de Gandhi est une alternance de périodes d’intense activité politique et de véritables retraites dans un de ses deux ashrams de Sabarmati ou de Sevagram. Dans le même temps, il fait succéder rapidement – trop rapidement même au gré de certains de ses partisans – à des périodes d’extrême tension un relâchement que les assurances reçues éventuellement des Britanniques ne justifient pas toujours. Pourquoi ? La plupart du temps parce que Gandhi estime que le peuple indien n’est pas encore mûr pour la non-violence et la désobéissance civile généralisées. Le seul lien entre toutes ces périodes reste l’action sociale, dont Gandhi se préoccupera constamment. D’une façon globale, Gandhi déteste la politique, où le calcul, l’hypocrisie, la violence et l’esprit de lucre lui semblent tenir une place trop grande dans la société indienne et par extension le système capitaliste. C’est presque à son corps défendant qu’il est amené à participer à la vie politique. Mais il le fera toujours selon les critères moraux et religieux qu’il juge essentiels. Ces principes fondamentaux dans le caractère de Mathmata Gandhi. D’où l’originalité de celui dont on a dit qu’il était « un saint parmi les politiques, un politique parmi les saints ». Le domaine favori de Gandhi est celui des réformes sociales. Là est sa vraie vocation, l’action politique ne devant être considérée que comme un épiphénomène et les injustices sociales ne manquaient pas en Inde à cette époque.
Gandhi donnant les premières directives à un groupe de paysan indien.
Les premières interventions de Gandhi (1915-1919) En 1917, Gandhi agit en faveur des cultivateurs d’indigo du Champaran (région du nord de l’Inde, au pied de l’Himalaya). Ces paysans sont des métayers travaillant pour le compte de grands propriétaires anglais ; par contrat, ils sont tenus de consacrer à l’indigo 15 % de leurs tenures et de céder la totalité de la production à leurs propriétaires. Mais, au lendemain de la Première Guerre mondiale, les chimistes allemands ayant réalisé de l’indigo synthétique, la culture de l’indigo devient sans intérêt. Dès lors, tous les propriétaires s’efforcent de supprimer cette obligation faite aux paysans, Rassemblement autour du leader Gandhi pour écouter ses sages paroles et ses instrucitions.
à condition que ces derniers leur paient une compensation financière. Bon nombre de ces paysans, que cette suppression arrange, s’exécutent, sauf un petit noyau de récalcitrants, dont l’un, Rajkumar Chukla, fait appel à Gandhi. Celui-ci, en butte à l’hostilité des autorités politiques et judiciaires, va, pour la première fois en Inde, recourir à la désobéissance civile. Après bien des palabres, un compromis est trouvé. Mais le plus important reste finalement ce que Gandhi résume dans cette formule : « Je déclarai que les Britanniques ne pouvaient pas me donner d’ordres dans mon propre pays ». Peu après, éclate la grève des ouvriers du textile d’Ahmadabad. Il s’agit d’une action typiquement gandhienne dans l’esprit et dans la forme. À l’origine, le conflit n’a rien d’original ; sous-payés, vivant dans des conditions lamentables, les ouvriers ont de nombreuses revendications ; mais, à celles-ci, le magnat de l’industrie textile,
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Gandhi dans les campagnes indiennes largement soutenu par le peuple.
A. Sarabhaï, ami personnel de Gandhi, oppose une fin de non-recevoir, de même qu’il récuse toute procédure d’arbitrage. Il incite les ouvriers à faire la grève. La volonté et le mordant de certains ouvriers s’émoussent. C’est alors qu’ il a recours au jeûne pour renforcer les ouvriers dans leur détermination en même temps qu’il s’adresse au cœur et à la conscience des patrons. Finalement, ces derniers acceptent la procédure d’arbitrage.
Le massacre d’Amritsar : premier échec (1919) Jusqu’en avril 1919, Gandhi reste tout à fait loyal envers l’Empire britannique ; il participe à l’effort de guerre des Anglais durant la guerre des Boers (1899-1902), la révolte des Zoulous (1906) et la Première Guerre mondiale. Mais le lancement le 6 avril 1919 du premier grand hartal, grève totale et silence dans tout le pays, se solde par le massacre d’Amritsar (Pendjab) le 13 avril : le général britannique Dyer fait tirer sans sommation, « pour l’exemple », sur la foule. Le bilan est terrible : plus de 379 morts, près d’un millier de blessés. Gandhi considère alors« avoir commis une erreur grosse comme les montagnes de l’Himalaya », et suspend le mouvement de satyagraha.
Gandhi filant au rouet
Gandhi lisant les journaux à son domicile derrière le fameux rouet, objet symbolique de la lutte contre l’Empire Britannique
Après la mort de Tilak, Gandhi prend la direction morale du parti du Congrès (1920), par lequel il fait adopter un programme de non-coopération, c’est-à-dire de boycott des institutions coloniales et des produits européens.
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Lui-même l’a écrit dans sa publication mensuelle Navajivan : « Le rouet (ou chakra) est la plus importante de mes activités. » Il énonce ainsi le rôle crucial à ses yeux du mouvement khadi (« pièce de coton filée »), qui doit être intégré dans l’ensemble beaucoup plus vaste du shvadeshi (shva, soi-même, et desh, pays, région). Si l’on s’en tient à l’étymologie, le mouvement shvadeshi peut être défini comme une manifestation de nationalisme économique, le slogan « achetez indien » pouvant assez sommairement le définir. Toutefois, pour ce domaine, les motivations de Gandhi sont bien plus complexes : il veut valoriser la production indienne, certe, mais surtout revivifier un artisanat villageois autrefois florissant et dont la conquête britannique avait grandement accéléré la décadence, quand elle ne l’a pas provoquée. Certes, l’idée d’un tel boycott n’est pas neuve et a déja été pratiquée – Tilak en avait fait une de ses armes –, mais avec Gandhi elle acquiert vite une tout autre dimension, la promotion du khadi devenant avec lui partie intégrante du nationalisme indien.
La campagne de revendication du svaraj (1920-1922) Enfin, craignant que des conditions de paix trop dures ne soient imposées à l’Empire ottoman, dont le chef était la plus haute autorité religieuse de l’islam, les musulmans indiens tentent d’intervenir auprès du gouvernement britannique. Gandhi voit là une occasion unique de réaliser cette unité entre hindous et musulmans à laquelle il tient tant. Le Congrès national indien, à sa session de Nagpur, étend ce mouvement à la revendication du svaraj. Pendant deux ans, on assiste à des boycotts de plus en plus généralisés, à la démission d’hommes de loi indiennes qui refusent de collaborer avec l’administration britannique et même à de véritables autodafés.
Le coup d’arrêt de 1922 Des manifestants ayant, en 1922, brûlé un poste de police à Chauri Chaura et causé la mort de plusieurs policiers, Gandhi arrête brutalement la campagne du satyagraha. Il considère que cet incident montre le manque d’éducation non violente du peuple indien et relève plutôt de ce qu’il appelle la mobocratie (en anglais, mob veut dire « populace »). Ainsi ce brutal revirement n’est pas du goût de tous. Comme lui fait remarquer son ami et biographe Romain Rolland, il est dangereux de jouer ainsi avec les nerfs d’un peuple en le poussant à l’action pour ensuite arrêter tout. La question du califat devait être réglée par le maître
« Comment peut-on apprendre à se connaître soi-même ? Par la méditation, jamais, mais bien par l’action. »
de la Turquie Mustapha Kemal, qui le supprima en 1924, mais le combat national indien continuait.
La pause des années 1922-1928 Arrêté en mars 1922, Gandhi est condamné à six ans de prison. Libéré pour raison de santé en 1924, il ne relancera la désobéissance civile qu’en 1930. Il estime, en effet, qu’il ne serait pas loyal de profiter d’une mesure de grâce des Britanniques et ne pense pas que le peuple indien ait complètement tiré les leçons de Chauri Chaura. Plus que jamais le rouet devient le symbole principal de son programme.
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Accident de Chauri Chaura suite à l’incendit volontaire d’un poste de police.
Gandhi avec, à sa gauche, son neveu Kanu (derrière le microphone). Sushila Pai, Anis Ahmed et Pyarelal pour une prière collective.
LA LONGUE MARCHE À L’INDÉPENDANCE (1928-1948) La radicalisation du Congrès avec Nehru, à partir de 1928, relance Gandhi dans l’arène politique. De 1930 à 1939, l’action de Gandhi suit une véritable sinusoïde où alternent des phases très dures et des replis plus ou moins stratégiques.
Jawaharlal Nehru Homme d’État indien et proche de Gandhi durant toute la résistence contre l’Empire Britannique.
Jawaharlal Nehru Homme d’État indien (Allahabad 1889 New Delhi 1964). Avocat , il soutient les idées nationalistes de Gandhi sans en reprendre le mysticisme religieux. Membre puis président du parti du Congrès, leader syndical à tendance socialiste, il succède à son frère comme président du Congrès national indien ; il sera quatre fois président, ses mandats étant entrecoupés par des séjours dans les prisons anglaises pour « désobéissance civile » et par des voyages à l’étranger. Vice-président du gouvernement provisoire, il prend part aux discussions qui aboutissent à la partition de l’Inde et du Pakistan, puis à leur indépendance (1947). Il garde ces fonctions quand l’Inde devient une république (26 janvier 1950). Dès lors, il s’affirme comme le leader du non-alignement.
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La marche du sel (1930) Ainsi, en 1930, c’est la célèbre « marche du sel », par laquelle Gandhi appelle ses compatriotes à violer la loi sur le monopole du sel en l’extrayant eux-mêmes de l’eau de mer. Cette troisième campagne de désobéissance civile, après celles de 1917 et 1920, est décidée suite au refus anglais d’accorder à l’Inde le statut de dominion pour le 1er janvier 1930. Le 12 mars 1930, Gandhi entreprend donc avec une petite poignée de disciples une longue marche destinée à marquer le refus de la taxation anglaise sur le sel. Pendant vingt-quatre jours et au long de 350 km, la « marche du sel » est suivie par une foule toujours plus nombreuse de villageois, de journalistes et d’intellectuels. Au bout, la mer : Gandhi, imité par des milliers de personnes, ramasse une poignée de sel. L’arrestation du Mahatma le 5 mai ne fait qu’aggraver la situation.
Gandhi suivi par la population indienne lors de la marche du sel en 1930
« Les droits du sel sont admis par l’Empire Britannique»
Lord Irwin, homme politique britannique
La tournée anglaise (1931) Mais alors, tandis que la tension est extrême et que nul compromis ne paraît possible, le 5 mars 1931 est signé entre le vice-roi lord Irwin et le Mahatma le pacte IrwinGandhi. Cet accord, peu apprécié par beaucoup d’Indiens, prévoit que, moyennant la libération de prisonniers politiques, la désobéissance civile sera supprimée et que Gandhi ira à Londres participer à la deuxième conférence de la Table ronde. Vêtu d’un simple pagne, il séduit le petit peuple de la capitale anglaise, mais agace Churchill. La conférence échoue à cause des divisions, sans doute entretenues par les Britanniques mais qui correspondent également à des divergences réelles, entre les communautés religieuses indiennes.
De la campagne contre l’intouchabilité à la retraite (1932-1939) Gandhi, pour aussi étonnant que cela puisse paraître, ne condamne pas le système des castes, dans lequel il voit plutôt une organisation harmonieuse de la société ; mais il est sans pitié pour les perversions du système et, en premier lieu, pour la plus grave d’entre elles : l’intouchabilité. Ainsi Il considère
même qu’aussi longtemps que les hindous de caste mépriseront les intouchables ils ne devront pas se plaindre si les Britanniques agissent de même avec eux. Dans ces conditions, il ne croit pas à la possibilité du svaraj pour l’Inde tant que 50 à 60 millions d’intouchables seront maintenus dans une telle infériorité. Les modalités de la lutte font toutes appel au satyagraha pour obtenir des hindous de caste qu’ils lèvent volontairement les nombreux interdits frappant les intouchables : ségrégation dans les écoles, les hôtels, les temples, voire l’interdiction qui leur est faite d’emprunter certaines routes passant devant des temples particulièrement vénérés, et l’accès à ceux-ci, etc. Au début de 1932, des rumeurs circulent selon lesquelles le gouvernement britannique accordera, dans le cadre d’une réforme constitutionnelle, des collèges électoraux séparés pour les intouchables. Cette mesure vise à donner à ceux-ci de meilleures garanties aux assemblées provinciales. Or, à la surprise de beaucoup, Gandhi s’oppose catégoriquement à une telle mesure. Pour lui, constituer un collège électoral réservé pour les intouchables revient à institutionnaliser leur condition. De la prison de Yeravda où il est détenu, Gandhi écrit à Sir Samuel Hoare, secrétaire d’État
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pour l’Inde, et à James Ramsay MacDonald, Premier ministre travailliste, pour protester contre ce projet et annoncer qu’au cas où il ne serait pas abrogé il entamera un « jeûne à mort ».
Lord Irwin Edward Frederick Lindley Wood (16 avril 1881 – 23 décembre 1959), baron Irwin puis 1er comte d’Halifax, est un homme politique britannique du Parti conservateur, et un viceroi des Indes de 1926 à 1931. Il fut une personnalité politique majeure de Grande-Bretagne dans les années 1930, occupant plusieurs fonctions ministérielles dont les Affaires étrangères au moment des accords de Munich en 1938. Il est à ce titre vu comme l’un des architectes de la politique d’apaisement avec l’Allemagne nazie avant le début de la Seconde Guerre mondiale ; il est membre de Cliveden set.
Le « jeûne épique » de Gandhi (1932) De MacDonald à Nehru, la surprise, l’incompréhension ou la critique sont quasi générales. Passant outre, le Mahatma annonce, le 13 septembre, qu’il commencera son jeûne le 20. Une émotion énorme et sans précédent secoue l’Inde tout entière. Les plus hautes instances politiques, religieuses et sociales vont tenter, dans un effort désespéré, de trouver une solution permettant au Mahatma d’interrompre son jeûne. Dès le 20 septembre se tient à Bombay une conférence des principaux leaders indiens, dont Bhimrao Ram-ji Ambedkar. Après de longues discussions, on parvient à un accord le 24 septembre, Gandhi ayant fait des concessions qu’ Ambedkar lui-même n’osait pas espérer. Accepté le 26 par le gouvernement britannique, cet accord, signé à la prison de Yeravda et plus connu sous le nom de pacte de Poona, permet au Mahatma de cesser son jeûne, que son état de santé rendait très dangereux. Par ce pacte, Gandhi accepte des sièges électoraux séparés pour les intouchables deux fois plus nombreux que ceux qui étaient initialement prévus.
En 1946, Gandhi (allongé sur un lit) mène son premier jeûne important qui durera 6 jours.
Mais une « normalisation » de ce régime électoral est prévue au bout de dix ans. Les résultats obtenus au prix d’un jeûne si dur semblent bien minces. Toutefois, pour Gandhi, l’essentiel, l’unité indienne, est sauvegardé. De plus, l’émotion soulevée par ce que tous les historiens britanniques appelleront the epic fast (« le jeûne épique ») est tellement grande qu’elle entraîne un vigoureux mouvement en faveur de l’amélioration du sort des intouchables, qui n’aurait sans doute pas eu lieu sans cela. En 1934, ne pouvant trouver un terrain d’accord complet avec ses principaux dirigeants, Gandhi démissionne du Congrès. Jusqu’en 1939, il va de nouveau se préoccuper pour l’essentiel des problème économiques et sociaux.
La relance du nationalisme indien et l’indépendance (1939-1948) C’est la Seconde Guerre mondiale replace le nationalisme indien au premier plan. Le 3 septembre 1939, le vice-roi lord Linlithgow (1887-1952) déclare l’Inde en état de belligérance avec le IIIe Reich sans aucune consultation d’Indiens représentatifs. Un double clivage
« Chacun a raison, de son propre point de vue, mais il n'est pas impossible que tout le monde ait tort. » s’opère alors : entre le vice-roi et les nationalistes indiens, qui, tout en affirmant leur hostilité fondamentale au nazisme, déclarent ne vouloir combattre aux côtés des Britanniques que si l’Inde obtient son indépendance ; mais aussi entre Gandhi et le Congrès, qui, pour la première fois, renonce à la non-violence, jusqu’alors érigée en principe. En juillet-août 1942, Gandhi lance son célèbre quit India (« quittez l’Inde… en tant que maîtres »), en admettant toutefois, une concession pour lui capitale, qu’une Inde libre pourra participer
Gandhi et le premier ministe britanique lors des de l’amorcement de l’indépendance de l’inde. La complicité entre les deux homes était forte.
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à la lutte contre les puissances de l’Axe. Les Britanniques réagissent durement : le 9 août 1942, arrestation de Gandhi (libéré seulement en 1944), répression contre les foules qui manifestent. Les dernières années de sa vie vont être un véritable calvaire pour Ganfhi. Tout ce pour quoi il a lutté, semble plus éloigné que jamais.
La lutte contre la partition de l’Inde (1945-1947) L’antagonisme hindo-musulman, sinon créé, du moins aggravé par la politique britannique, s’exacerbe. Si, dès 1945, le gouvernement Attlee a fini par se résigner aux indépendances de l’Inde, le chef de la Ligue musulmane – Muhammad Ali Jinnah – demande la création d’un Pakistan, c’est-à-dire la partition des Indes britanniques, sur des bases uniquement confessionnelles, en une Union indienne hindoue et un Pakistan musulman. Pour Gandhi, cette « vivisection » de l’Inde n’ est pas acceptable. En 1946, la discussion devient impossible : R. T. Jinnah refuse de participer à un gouvernement intérimaire dirigé par Nehru et lance une journée d’action directe, le 16 août 1946, qui se solde par 5 000 morts à Calcutta. À soixante-quinze ans, Gandhi reprend son bâton de pèlerin, habite alternativement chez des hindous et chez des musulmans, tente de les réconcilier sur le terrain même de leurs violences. La partition est néanmoins réalisée le 15 août 1947.
Les derniers combats pour la réconciliation (1947-1948) Pis encore, la non-violence, dont Gandhi fait son credo, ne va pas résister à la séparation. Le plus grand exode de tous les temps commence alors, qui met en mouvement 12 millions de réfugiés – musulmans quittant l’Inde pour rejoindre le Pakistan, hindous et sikhs empruntant le chemin inverse. Des atrocités sont commises de part et d’autre, et le bilan s’établit entre 1 et 2 millions de morts. Les dernières tâches du Mahatma consisteront à réconcilier les deux communautés. Le dernier vice-roi de l’Inde, lord Mountbatten of Burma, sera stupéfait de voir ce vieil homme apaiser par sa seule présence des foules déchaînées. Partout Gandhi demande à la majorité hindoue de larges concessions en faveur de la minorité musulmane. Cette générosité, ainsi que ce sens bien compris des intérêts de l’Inde causeront sa perte. Les ultras du Hindu Mahasabha et du Rashtriyasvayam Sevak Sangh l’accuseront de trahison envers l’hindouisme. Plusieurs tentatives d’assassinat seront préparées, et, le 30 janvier 1948 à Delhi, le Mahatma Gandhi tombera sous les balles d’un extrémiste hindou, Nathuram Godse.
Le Mahatma Gandhi, message de paix Dans le monde, l’émotion causée par la mort de Gandhi est considérable. En Inde, c’est une tragédie nationale. Véritable chef charismatique, Gandhi était le type même du leader à l’autorité morale incontestée. Son impact sur les masses était énorme, et des centaines de millions d’êtres se reconnaissaient en cet homme. Parce qu’il parlait leur langage et usait d’arguments qui avaient une profonde résonance chez eux, Gandhi fut compris et respecté des Indiens, même s’il serait vain de penser que le Mahatma n’ait pas rencontré certaines vraies oppositions. En menant une vie simple et proche de la tradition indienne, appliquant à lui-même l’idéal de vie qui était pour lui le plus bénéfique à l’humanité, très éloigné des critères de développement occidentaux. Hindou profondément croyant, il respectait autant les autres religions qui étaient pour lui des chemins différents vers l’amour et la vérité. Même si le parcours qui menait à cette vérité était long et rempli d’embûches, pour Gandhi, la justice devait toujours triompher : « Quand je désespère, je me souviens qu’à travers toute l’histoire, les chemins de la vérité et de l’amour ont toujours triomphé. Il y a eu des tyrans et des meurtriers, et parfois ils ont semblé invincibles, mais à la fin, ils sont toujours tombés. Pensez toujours à cela. »
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En 1946, Gandhi (allongé sur un lit conduit la prière du soir entouré par ses nombreux disciples et fidèles.
LE RAYONNEMENT Profondément religieux, au sens le plus large du terme, Gandhi tenta de faire de sa vie un message vécu. Un héritage discuté Une philosophie de la non-violence ? C’est sans doute l’aspect le plus connu du gandhisme. La désobéissance civile et le boycott ? Le pasteur Martin Luther King, parmi bien d’autres, en a fait usage. Une nouvelle conception de l’organisation sociale et économique de l’Inde ? C’est sans doute là le point le plus controversé : pour les uns, Gandhi eut le mérite de proposer un schéma d’évolution adapté aux réalités indiennes. Pour les autres, ses conceptions en ce domaine furent marquées au sceau du conservatisme le plus étroit ou, à tout le moins, d’une méconnaissance grave des impératifs du développement économique.
l’indépendance et aurait connu un meilleur développement économique si Gandhi n’avait pas été là. Est-ce suffisant pour trancher ? Certes pas. Le refus de tout compromis, l’affirmation inlassable de la supériorité de l’esprit sur la force brutale, en un mot une certaine idée de l’homme font de Gandhi l’une des grandes figures de l’histoire indienne et de l’histoire tout court. Gandhi est célébré comme Père de la Nation et son anniversaire le 2 octobre y est commémoré comme le Gandhi
Une grande figure mal comprise Il est bien difficile de trancher. Objectivement, le Mahatma n’a pu obtenir le changement radical de mentalité qui seul aurait permis l’évolution sociale et économique de ses rêves. Par ailleurs, la campagne de son disciple le plus authentique, Vinoba Bhave (1895-1982), pour persuader les propriétaires de distribuer leurs surplus éventuels de terres n’a guère changé les structures foncières de l’Inde. Certains auteurs ont même affirmé que l’Inde aurait accédé plus tôt à
Population escaladant des poteaux téléphoniques pour assister aux osèque de Gandhi en janvier 1948.
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Jayanti et est un jour férié. Le Gouvernement indien accorde chaque année le Mahatma Gandhi Peace Prize à des personnalités ou des citoyens qui se sont distingués. Nelson Mandela, a été l’un des non-Indiens célèbres à le recevoir. Depuis 1996, le gouvernement imprime sur tous les billets de banque avec le portrait de Gandhi, ce qui est considéré paradoxal par certains, compte tenu des opinions négatives de Gandhi sur l’accumulation des richesses et le pouvoir de l’argent.
« La justification de la pauvreté volontaire était l’impossibilité que tous fussent riches. Tous pourraient avoir part à la non-possession ; moins on possède, moins on désire. Je ne prêche pas la pauvreté volontaire à un peuple qui souffre de pauvreté involontaire, mais le grave problème économique national pourrait être résolu facilement si tous ceux qui sont riches voulaient bien se soumettre à la pauvreté volontaire. »
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La population indienne se rassemble lors de la sorti du corps du Mathmata Gandhi avant ses obsèque. De grande vague de déplacement de la population secoue l’Inde qui vient de perdre le plus grand de ses leaders spirituel. Son assassinat sera pour toute la population un jour tragique et important dans l’histoire de l’inde
CHRONOLOGIE
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Septembre : création du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), basé sur le concept d’« hindouité » (hindutva), antimusulman et alors organisé sur le modèle des brigades mussoliniennes.
1926 Mars : Le Trade Union Act introduit en Inde la liberté syndicale. Le pays comptera plus de 500 000 syndiqués en 1940.
1919
Une réforme (Government of India Act) étend la représentation communautaire dans les assemblées locales et crée une chambre
1925
Février : libéré, il décide se consacrer à la cause des intouchables et à la défense du khadi.
1924
Février : après la mort de 22 policiers au cours d’une émeute, à ChauriChaura, Gandhi décide de mettre fin au mouvement. Six mois plus tard, il est condamné à six ans de prison.
1922
Août : répression contre le soulèvement des paysans moplah dans le Malabar (partie nord du Kerala) : 2 000 morts. Novembre : grève générale contre la visite du prince de Galles.
1921
Septembre : le Parti du Congrès décide de lutter pour l’indépendance par des moyens non violents (satyagraha). Gandhi lance le mouvement de non-coopération avec les autorités coloniales et de boycott du textile anglais au profit du tissu indien fait main (khadi).
1920
princière consultative. Gandhi prend la tête d’une campagne de protestation contre la répression des activités « subversives ». Le 13 avril, à Amritsar, l’armée anglaise tire contre une manifestation : 400 morts et 1 500 blessés. La marche vers l’indépendance
Après une nouvelle guerre, la Grande-Bretagne reconnaît l’indépendance de l’Afghanistan.
1918-1919
Le rapport Montagu-Chelmsford propose un système de partage des responsabilités gouvernementales et administratives entre Britanniques et Indiens.
1918
Le pacte de Lucknow consacre le rapprochement entre la Ligue musulmane et le Parti du Congrès.
1916
Mohandas Karamchand Gandhi adhère au Parti du Congrès. Les Britanniques instaurent la loi martiale au Pendjab et au Bengale.
1915
Durant la première guerre mondiale, près de 1 700 000 Indiens combattent dans les rangs britanniques, notamment en Mésopotamie, en Palestine et en Afrique de l’Est.
1914-1918
L’écrivain indien Rabindranath Tagore reçoit le prix Nobel de littérature.
1913
La capitale du pays est transférée de Calcutta à Delhi rebaptisée New Dehl i. Le roi George V s’y fait sacrer empereur des Indes.
1911
[ 23 ]
Janvier : la Birmanie est séparée de l’Inde, avec un gouvernement autonome.
1935
Juin : Lord Irwin déclare illégal le Parti du Congrès et fait arrêter Gandhi. Septembre : signature du pacte de Pune entre Gandhi et Bhimrao Ramji
1932
Mars : L’accord Gandhi-Irwin (qui représente le gouvernement travailliste au pouvoir depuis 1929) met fin à la campagne de désobéissance civile mais les conférences de la Table Ronde réunies à Londres aboutissent à des échecs du fait du refus des musulmans d’accepter le principe majoritaire.
1931
26 janvier : son fils Jawaharlal Nehru, élu le mois précédent à la tête du Congrès, lance une campagne de désobéissance civile. Avril-mai : Gandhi organise la « marche du sel », est arrêté et relâché six mois plus tard. Novembre : première conférence de la Table ronde, à Londres sur le statut de l’Inde, boycottée par le Parti du Congrès. Décembre : le poète et philosophe Mohammad Iqbal propose la création d’un Etat musulman séparé.
1930
Le Congrès adopte la résolution de Lahore, relative à l’indépendance. Jawahral Nehru devient le président du parti.
Août : Développement du Quit India Movement. Le 9 août, tous les dirigeants du Congrès sont arrêtés. La fin de 1942 voit se développer une violente répression, qui fait près d’un millier de victimes et envoie en prison 60 000 opposants.
1942
Mars :a Ligue musulmane adopte une résolution à propos de la création du Pakistan, un État réservé aux musulmans qui, minoritaires dans l’Inde devenue indépendante, risquaient de se retrouver à la merci de la volonté de la majorité hindoue. On imagine alors la création du « Pakistan », un néologisme formé avec les initiales de Pandjab, Afghan Province (province du Nord-Ouest), Kashmir, Sindh et avec la syllabe terminale de Baloutchistan. Octobre : Gandhi déclenche une nouvelle campagne de désobéissance civile.
1940
Octobre : les ministres congressistes démissionnent pour protester contre la décision britannique d’impliquer l’Inde dans la seconde guerre mondiale.
1939
Janvier : victorieux aux élections provinciales, le Parti du Congrès forme des gouvernements dans sept provinces sur onze.
1937
Vote du Government of India Act. Il concède une large autonomie aux assemblées locales mais n’accorde pas aux Indiens ce qui l’a été aux dominions du Canada ou d’Australie. La constitution ne fut que partiellement appliquée mais permit cependant la formation de gouvernements provinciaux.
Août : la commission présidée par Motilal Nehru préconise un statut de dominion au sein de l’Empire. Refus britannique et rejet de la communauté musulmane.
1929 :
1935
1928
[ 25 ]
1947 15 août : indépendance de l’Inde et du Pakistan. La partition entraîne des massacres de grande ampleur au cours de l’été. Nehru devient premier ministre de l’Union indienne. Octobre : l’intégration à l’Inde du Cachemire (prince hindou, population majoritairement musulmane) déclenche la 1ère guerre indo-pakistanaise.
1948 30 janvier : Gandhi est assassiné par un extrémiste hindou du RSS. 4 février : indépendance de Ceylan. Septembre : Annexion de l’Etat princier de Hyderabad, (souverain musulman, majorité de la population hindoue).
1944
Juillet : Gandhi renonce à exiger le départ des Britanniques, pour cause de guerre. Septembre : échec des entretiens entre Gandhi et Muhammad Ali Jinnah sur la question du Pakistan, la Ligue musulmane voulant ajouter au futur Etat musulman le Bengale-Oriental et l’Assam.
1945
Septembre : le Congrès rejette à l’unanimité la proposition britannique d’autonomie interne. Décembre : début des élections générales et provinciales, émaillées d’incidents intercommunautaires.
Mars : le gouvernement britannique du travailliste Clement Atlee se prononce en faveur de l’indépendance de l’Inde. Echec des négociations entre le Congrès et la Ligue musulmane. Juillet : le Congrès remporte près de trois quarts des sièges à l’Assemblée constituante et forme un gouvernement provisoire. Août : après l’appel au soulèvement des musulmans lancé par Jinnah et les milliers de morts à Calcutta, celui-ci accepte d’entrer dans le gouvernement dirigé par Nehru. Octobre : les violences s’étendent au Bengale et au Pendjab.
26 janvier : proclamation officielle de la République indienne et entrée en vigueur de la Constitution. Nehru reste premier ministre, Rajendra Prasad est élu président.
1950
1er janvier : cessez-le-feu au Cachemire entre l’Inde et le Pakistan, et définition d’une ligne de contrôle qui fait office de frontière.
1949
Mai : l’Assemblée constituante supprime l’intouchabilité. Juin : le nouveau viceroi des Indes, lord Louis Mountbatten, présente un plan de partition de l’Inde et du Pakistan (lui-même constitué de deux territoires distincts, le Pakistan occidental et le Pakistan oriental). Juillet : le Parlement britannique prévoit le transfert de souveraineté au gouvernement indien, la partition de l’Inde et du Pakistan ; les Etats princiers peuvent rejoindre l’un des deux pays. Les années Nehru
Grande famine du Bengale, consécutive à une grande sécheresse et à l’occupation japonaise de la Birmanie qui exportait traditionnellement vers l’Inde une partie de sa récolte de riz. Cette famine fit deux millions de victimes. Octobre : Subhash Chandra Bose constitue à Singapour, occupée par le Japon, un « gouvernement de l’Inde libre » ainsi qu’une Armée nationale indienne (INA) encadrée par les Japonais. Le vice-roi des Indes décrète la loi martiale.
1946
1947
1943
[ 26 ]
Décembre : les Indiens occupent Goa et annexent le territoire trois mois plus tard.
1961
Mars : le dalaï-lama fuit le Tibet envahi par la Chine et se réfugie en Inde. Août : incidents frontaliers entre Chinois et Indiens aux confins du Tibet.
1959
Novembre : réorganisation territoriale qui découpe l’Inde, selon des critères linguistiques, en 14 Etats et 6 territoires.
1956
15-25 avril : Nehru participe à la conférence afro-asiatique de Bandung (Indonésie). Août : suspension des relations diplomatiques entre Lisbonne et New Delhi après la répression brutale de manifestations à Goa, dernière possession portugaise en Inde.
1955
Mars : Nehru refuse l’aide militaire des Etats-Unis et demande le départ des observateurs américains présents au Cachemire depuis 1949. Octobre : traité d’amitié et de coopération mutuelle entre la Chine et l’Inde. Accord entre New Dehli et Paris sur la cession des cinq derniers comptoirs français (Mahé, Pondichéry, Karikal, Chandernagor et Yanaon).
1954
27 mai : mort du premier ministre indien Nehru. Lal Bahadur Shastri lui succède.
1964
1953
Novembre : création de l’Andhra Pradesh. Le Jammu-et-Cachemire devient un Etat de l’Union indienne. Décembre : signature d’un accord commercial avec l’URSS.
Octobre-décembre : guerre sino-indienne à la frontière himalayenne, et victoire de la Chine : l’Inde perd l’Aksai Chin.
1962
Octobre : début des premières élections générales libres, qui se termineront en février1952. Victoire du Parti du Congrès.
1951