Architecture, Luxe et Marketing : émergence et façonnage d'icônes internationales chez Louis Vuitton

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DOMAINE D’ÉTUDE MÉTROPOLES DU SUD

ANTHONY DUQUERROY

ARCHITECTURE, LUXE & MARKETING ÉMERGENCE ET FAÇONNAGE D’ICÔNES INTERNATIONALES CHEZ LOUIS VUITTON Mémoire de Master, Janvier 2017 Sous la direction d’Élodie NOURRIGAT

Jury : Élodie NOURRIGAT, Architecte, Docteure, Professeure ENSAM // Daniel DELGADO, Architecte, Enseignant ENSAM // Marine PERSON, Architecte, Enseignante ENSAM // Florence CLAUSEL BOREL, Architecte


DOMAINE D'ÉTUDE MÉTROPOLE DU SUD

ANTHONY DUQUERROY

ARCHITECTURE, LUXE & MARKETING ÉMERGENCE ET FAÇONNAGE D'ICÔNES INTERNATIONALES CHEZ LOUIS VUITTON Mémoire de Master, Janvier 2017 Sous la direction d'Élodie NOURRIGAT

Jury : Élodie NOURRIGAT, Architecte, Docteure, Professeure ENSAM // Daniel DELGADO, Architecte, Enseignant ENSAM // Marine PERSON, Architecte, Enseignante ENSAM // Florence CLAUSEL BOREL, Architecte. --


« L'architecture comme élément marketing des marques de luxe »

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Je certifie sur l’honneur que le présent mémoire est le fruit d’un travail personnel et que toute référence directe ou indirecte aux travaux de tiers est expressément indiquée. Je demeure seul responsable des analyses et opinions exprimées dans ce document : l’École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier n’entend y donner aucune approbation ni improbation.

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- REMERCIEMENTS -

Je tiens a remercier l’École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier, le Domaine d'étude Métropoles du Sud et son directeur Alain Derey pour m’avoir permis de suivre cette belle formation au monde de l'architecture. Ce master a été une confirmation personnelle de vouloir poursuivre ma vie professionnelle au sein de l'architecture et du luxe, et m’a offert de nombreuses opportunités et de belles rencontres.

Mes remerciements vont également a ma responsable de mémoire, Élodie Nourrigat (Architecte DPLG, Docteure en architecture, PhD, Fondatrice de l'agence d'architecture NBJ, Enseignante-chercheuse a l'ENSA de Montpellier, Professeure STA) pour m’avoir soutenue tout au long de ces années de master, et pour m’avoir guidé dans l’écriture de ce mémoire. Merci également a Marine Pierson (Architecte DE, Enseignante a l'ENSA de Montpellier) pour son regard éclairé et son attention sur l'écriture de ce présent mémoire.

Enfin, j’aimerais remercier tout particulierement Karine Ripari (Architecte au sein du département architecture de Burberry - Londres) et Michel Gutsatz (Fondateur de l'agence de stratégie des marques de luxe MGC, directeur des MBA aux Kedge Business School de Marseille, Bordeaux, Paris, et Shanghaï) pour avoir accepté de m'accorder de leurs temps et de me livrer leurs points de vue sur le rôle de l'architecture et surtout de l'icône architecturale dans l'univers du luxe. Ce fût sincerement des rencontres enrichissantes et qui m’ont aidé a mieux comprendre les nouveaux enjeux de cette problématique.

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- SOMMAIRE -

RÉSUMÉ DU MÉMOIRE...........................................................................................................6

INTRODUCTION.......................................................................................................................7

1 // De l'icône du luxe à l'icône architecturale : le besoin fondamental l'un de l'autre....15 1.1 Emergence du concept d’icône en architecture.......................................................16 1.2 Icône de luxe: histoire, ascension et stature de la marque......................................28 1.3 Collaboration du luxe et de l’architecture: naissance et controverse......................39

2 // Penser l'architecture comme un outil stratégique au service de la marque................52 2.1 Historique du marketing de produit de luxe...........................................................53 2.2 Créer un nouvel outil de marketing, de communication et de culte.......................66 2.3 L’icône architecturale pour assoir sa légitimité et son prestige: s’offrir un promontoire..............................................................................................................79 2.4 L’icône, vecteur de développement au-dela même de celui propre a la marque.....91

3 // Concevoir l'icône pour le luxe : entre la marque, l'architecture et les valeurs du luxe 3.1 Le luxe est l’unicité. De l'universalité a la singularité de l'expérience.................107 3.2 Le luxe est un privilège. L’architecture du paradoxe: de la démocratisation au grand public a l'expérience réservée a une élite....................................................116 3.3 Le luxe est l'excellence. De l'exigence du produit, a l'exigence de son écrin.......133

CONCLUSIONS ET OUVERTURE........................................................................................142 -4-


BIBLIOGRAPHIE ET MÉDIAGRAPHIE...............................................................................155

ANNEXES...............................................................................................................................162

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- RÉSUMÉ DU MÉMOIRE -

Il apparait que le XXI° est le siecle du rapprochement entre le monde de l’architecture et celui du luxe et ce, de maniere irréversible. Il apparaît de ce fait chez les marques du luxe, l'ambition de faire de l'architecture le pilier des nouvelles stratégies marketing. On assiste alors a l’incorporation de l’architecture au sein des maisons, et l'apparition de nouvelles formes de collaborations plurielles et interdisciplinaire. L'architecture s'émancipe de sa rigueur fonctionnelle vers une course concurrentielle a l'exceptionnel, a l'iconique. Au travers de l'univers du luxe, notamment de Louis Vuitton, cet écrit vise a définir l'icône comme concept architectural. Il s'agit de mettre en exergue comment l'icône architecturale est devenue un outil de vectorisation et de médiatisation de la marque de luxe. Au travers des âges le binôme composé de l'architecture et des marques de luxe a évolué et évoluera, l'architecture passant d'un statut de simple support a celui de véritable stratégie marketing. De l'icône incarnée, a l'icône désincarnée mais architecturée, ce mémoire tend a voir comment se construit une icône architecturale dans l'univers du luxe, et si elle peut réellement être encore, aujourd'hui et demain, l'outil qui assiéra la suprématie de la dite-marque dans la ville contemporaine. En posant les bases de l'icône, du luxe, et du marketing, puis au travers des filtres des valeurs du luxe, comment se conçoit, s'érige et agit une icône architecturale pour le luxe ?

# Mots clés : Architecture, Icône, Luxe, Marketing, Louis Vuitton, Stratégie, Communication, Émergence, Concept, Valeurs, Culte, Excellence. -6-


- INTRODUCTION -

L'icône et le luxe sont aujourd'hui des vecteurs qui tendent a créer un univers de rêve, qui n'est cependant la réalité que d'une minorité élitaire. Objet de fantasme récurrent tant sur le plan de sa création que de sa consommation, l'univers du luxe nourrit l'ambition de sa possession et de sa création. Oscillant personnellement perpétuellement entre l'architecture et l'univers du luxe, ce mémoire est ici l'occasion de confronter ces deux mondes et d'en observer leurs étroites relations. Depuis longtemps reniée, et encore aujourd'hui décriée par la profession, l'architecture pour le domaine du luxe est jugée loin de l'essence « propre » de l'architecture que se plaisent a prôner parfois outrageusement les derniers architectes a la mode (ce que dénonce Collectif dans L'art face à la crise)1. L'architecture pour le domaine du luxe reste ouvertement critiquée par son caractere mercantile, « starisé » et se voit généralement réduite a son exubérance esthétique qui est censée la caractériser. Support et objet de promotion des marques prestigieuses, de leur pouvoir et de leur suprématie, l'architecture s'impose au cœur de cet univers comme un élément a part entiere des stratégies marketing de ces dites-marques. Les architectures dites « Flagships » qui émergent de la collaboration de l'architecte et des maisons de luxe, semblent s'imposer comme des icônes internationales dans les paysages urbains d'aujourd'hui, mais aussi dans les revues et médias les plus accessibles et variées.

Le luxe est par définition la construction d'un univers propre. L'architecture est quant a elle, la construction d'un environnement a vivre, a habiter. Le point de rencontre de ses deux entités prend forme au travers de la notion d'« exception », au sens exceptionnel.

1 COLLECTIF, L'art face à la crise, ed. Presses Universitaires de Saint-Etienne, 1998.

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Figure 1 // Point de convergence du luxe et de l'architecture

Le luxe est la quintessence de la rareté, l'exception pour peu de gens ; et une des formes de l'architecture est l'architecture emblématique, l'architecture exceptionnelle. Elle prend forme essentiellement avec l'architecture religieuse, ou politique jusqu'a la fin du XVIII° siecle. Dépassant ce point de rencontre, une notion née dans l'univers du luxe vers le début du XX° siecle, est celle de la nécessité d'incarnation de la marque en une image qui deviendra alors une « icône » pour cette marque. Cette image s'est de plus en plus désincarnée dans la production même de la marque, avec tout d'abord l'objet de luxe, comme le tailleur en tweed de Chanel, le sac Kelly d'Hermes, tellement iconique que lui seul suffit a représenter la marque. Puis dans les années 1980, ce fût certains modeles, mannequins, ou actrices tels que Ines de la Fressange pour Chanel, qui se sont vu être l'incarnation de la marque et porteuse de son image. Au final, aujourd'hui l'image de la marque semble d'avantage s'incarner dans l'enveloppe même de ses lieux de vente ; a savoir l'architecture de ses bâtiments.

Figure 2 // Evolution de la focale de l'icône dans le luxe

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Ce mémoire propose l'opportunité d'expérimenter cette notion d'icône. Il s'agit donc de questionner l'icône a la croisée entre l'architecte, et la maison de luxe, afin de voir comment dans cet univers spécifique se construit une icône architecturale, mais aussi comment influence-t'elle, ou est-elle, elle-même influencée par deux grandes dimensions marketing ; celle urbaine, et celle commerciale. La dimension urbaine d'une part, même si elle paraît moindre, tendra a inscrire l'icône dans un élan de développement territorial, et la dimension de marketing commerciale, plus classique, visera quant a elle a faire de son icône architecturale un parfait atout mercantile au service de d'avantage de rentabilité.

L'univers du luxe fait perpétuellement du concept d'icône son leitmotiv afin d'asseoir sa légitimité et son emprise sur la culture, mais aussi de promouvoir sa marque et sa notoriété. Chanel, Vuitton, Burberry et la plupart des autres grands noms du luxe possede en leur maison-mere un département entier dédié a l'architecture. L'architecture iconique vacille ainsi fréquemment entre objet et image de l'objet. La notion d'icône prend elle-même ses sources dans la religion orthodoxe et se démocratise au XX° siecle pour envahir plus concretement la culture et son image mentale. De la simple image religieuse, l'icône devient multi-scalaire et multi-identitaire ; cela peut être un objet, une personne, une ville... Alors que dans le domaine du luxe, l'icône est l'objet, elle translate et se personnifie progressivement en égérie, puis de plus en plus se matérialise vers une architecture-icône. Chez Louis Vuitton par exemple, l'icône originelle est la malle en cuir monogrammé, avant de prendre les traits de l'actrice française Catherine Deneuve et de se dessiner aujourd'hui sous les traits de crayons de l'architecte Frank Gehry. Cependant, même si cette notion d'icône évolue et se diversifie, plusieurs types de références iconiques sont en mesure de cohabiter. Si l'icône de la marque s'exprime aujourd'hui sous les traits de son architecture, cela n'impose pas que le -9-


monogramme LV par exemple, en soit pour autant moins iconique. L'architecture iconique émerge et impose une expérience qui, fidele a ses origines, reste presque du ressort de la religion et du culte. En architecture aussi, l'icône est caractéristique de la capacité d'un projet a être un outil de pouvoir, de rayonnement, mais aussi d'expansion, et de propagande selon le récit fait par David Mangin dans La Ville Franchisée2 : « L'architecture dans la ville contemporaine franchisée rivalise d'audace et d'éloquence, à la conquête de celle qui incarnera la parfaite publicité pour sa ville et assurera son amplitude nationale voire internationale. » C'est d'autant plus exact dans l'univers du luxe, où l'icône architecturale est un outil de rayonnement a l'international, et vise a générer le culte de telle ou telle marque. L'icône est l'expression d'une richesse, mais est aussi un vecteur de développement et de branding.

L'architecture, semble donc aujourd'hui considérée comme un élément marketing incontournable des marques de luxe, concrétisé au travers de nombreuses collaborations récurrentes comme celle notamment de Muccia Prada et Rem Koolhaas 3. L'idée est donc ici de voir, comment, dans les métropoles actuelles, véritables temples de consommation, ces marques se servent de l'architecture pour créer une icône, et se démarquer de la concurrence de plus en plus développée. Pourquoi, dans le contexte économique actuel ont-elles besoin d'accroitre leur visibilité, et dans quelles mesures cela peut t'il passer par un écrin visible et prestigieux ?

Outre le fait de voir plus simplement en quoi l'architecture influence le marketing des grandes marques ; et par quel processus l'architecture devient un outil de marketing ; il s'agit 2 MANGIN David, La ville Franchisée : Formes et Structures de la ville contemporaine, ed. De la Villette, 2004. 3 Leur collaboration récurrente est d'ailleurs décrite dans l'ouvrage suivant : BERTELLI Patrizio, Prada Muccia, Prada, ed. One Box SLP, 2010.

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d'interroger la dimension iconique qui est la dimension suprême de la reconnaissance de l'objet, mais aussi toute la dimension liée a la communication et la médiatisation, qui sont des axes majeurs a questionner pour comprendre comment se conçoit et s'affirme une icône. Le travail de ce mémoire est tourné vers la notion d'icône en architecture, a la croisée donc, des dispositifs architecturaux et des codes du marketing de produit de luxe; les marques de luxe ne devenant plus nécessairement le cœur du questionnement, mais un prétexte pour expérimenter le concept d'icône.

Ce mémoire tâchera de définir clairement ce qu'est une icône architecturale et quelles sont ses vertus indéniables a l'expansion de la marque de luxe, l'objectif étant de comprendre comment se construit une icône architecturale dans l'univers du luxe, mais aussi quels en sont les objectifs et les bonnes pratiques afin d'établir a terme, une grille de compréhension, une potentialité de définition. Alors que le rôle de l'architecte se cantonne généralement dans ces cas précis a l'élaboration d'un packaging, d'une façade, la confrontation des réponses architecturales avec les codes de marketing propres aux marques de luxe visera a comprendre comment se construit une icône aujourd'hui, et spécialement pour le luxe. À savoir, si celle-ci est en accord avec les valeurs que prône le luxe.

Cet écrit leve donc la problématique de l'importance de l'icône architecturale dans le domaine du luxe, et pose le questionnement suivant : Comment se construit une icône architecturale dans l'univers du luxe, et peut-elle réellement être encore, aujourd'hui et demain, l'outil qui assiéra la suprématie de la dite-marque dans la ville contemporaine ? De cette problématique émerge d'autres questionnements cherchant en quoi l'architecture peut-elle créer une icône affirmant le prestige de la marque de luxe, au-dela des exubérances esthétiques et formelles si décriées par la profession ? Est-ce que la notion d'icône est -11-


réellement constructible et contrôlable en architecture ? L'icône architecturale peut-elle s'imposer aujourd'hui comme la clef-de-voûte de la stratégie de développement de la marque de luxe ? Et comment construit-on une visibilité dans un paysage urbain saturé de branding ?

Cette recherche menée sur la définition de la notion d'icône pour l'univers du luxe s'appuiera sur les travaux d'architectes et théoriciens de l'architecture tels que David MANGIN4 ou Alejandro BAHAMON5, mais aussi sur les travaux de spécialistes en markéting tel que Michel CHEVALIER et Michel GUTSTATZ dans leur ouvrage-clé Luxe & Retail6. Cet exercice prend pour cadre temporel la ville contemporaine, sans nécessairement de référents, de localités ou de comparaisons précises mais d'avantage de maniere désincarnée afin de développer dans un cadre abstrait et conceptuel, la notion d'icône architecturale. Néanmoins, cette étude s'appuiera sur des illustrations concretes, concentrées autour d'une marque de luxe, choisie pour son entiere gestion de son réseau de distribution : Louis Vuitton. Ce prétexte qu'est finalement la marque de luxe Louis Vuitton visera a comprendre le concept d'icône architecturale sur un plan urbain, au niveau des stratégie urbaines d'implantation, comme architectural au travers des dispositifs de forme et d'esthétique, ainsi que de ce qui releve de l'expérience, de l'affect, de la sémantique, avec l'étude des valeurs transmises par la marque de luxe. En confrontant systématiquement dispositif architectural, code du marketing de produit de luxe, et essence-même de la philosophie des maisons de luxe, nous examinerons comment l'architecture iconique est construite. L'élaboration de ce mémoire prendra également appui sur une série d'interviews et de lectures, d'architectes, professionnels du marketing et théoriciens. Cette recherche se fondera 4 MANGIN David, La ville Franchisée : Formes et Structures de la ville contemporaine, ed. De la Villette, 2004. 5 BAHAMON Alejandro, CANIZARES, Ana, Mode : architecture corporative, Collection Architecture corporative, ed. Études, 2008. 6 CHEVALIER Michel, GUTSTATZ Michel, Luxe & Retail : Le point de vente, lieu d'excellence, ed. Dunod, 2013.

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notamment sur le travail de Frédéric EDELMANN, Ian LUNA, Rafael MAGROU et Mohsen MOSTAFAVI, journalistes et critiques architecturaux, dans leur ouvrage dédié a la Maison Louis Vuitton, Louis Vuitton, architecture et intérieurs7, qui décortique une premiere esquisse de la collaboration entre architecte et maison de couture pour en conceptualiser l'écrin. Ces analyses croisées et multi-supports permettront d'envisager une nouvelle approche de l'architecture dans le domaine du produit de luxe, dans laquelle l'icône architecturale pourra se définir comme outil indispensable.

Figure 3 // Méthodologie de développement de ce mémoire

Afin de répondre au questionnement posé précédemment, ce travail se décomposera en trois étapes. Le premier point est l'analyse du concept d'icône et son émergence en architecture comme dans l'univers du luxe, permettant de concevoir ces deux icônes non plus comme deux entités distinctes, mais complémentaires et se nourrissant mutuellement l'une de l'autre. Le second point aura quant a lui pour but de poser les objectifs d'un outil tel qu'est l'icône architecturale, au service de la marque de luxe. Apres un rapide historique des notions de markéting dans l'univers du luxe, il visera a présenter les enjeux qui sont incombé a l'icône architecturale dans ce contexte, ainsi que ces capacités. Cette partie se développera

7 EDELMANN Frédéric, LUNA, Ian, MAGROU, Rafael, MOSTAFAVI, Mohsen, Louis Vuitton, architecture et intérieurs, ed. La Martiniere, 2011

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essentiellement autour des écrits et du travail de Frédéric EDELMANN et de ses collaborateurs, évoqués ci-haut. Enfin, le dernier temps sera consacré a l'étude de la coordination entre la marque de luxe et son architecture, par le biais de filtres que sont les valeurs du luxe. L'idée est de voire si ce type d'architecture, censé être l'image de la marque de luxe est en adéquation avec la dite-marque et sa philosophie. Alors que les marques de luxe se distinguent des autres marques par des valeurs précises, et tres fines, comment l'architecture qui doit représenter l'image de cette marque de luxe s'en fait-elle écho ? La confrontation de ces deux entités dans leur complémentarité visera a établir comment se construit une icône architecturale aujourd'hui. Possede-t'elle toujours les mêmes codes que les icônes architecturales des siecles précédents (églises, temples...) ? Qu'apporte de supplémentaire a cela la dimension marketing ou encore la notion de luxe ?

Enfin, ce mémoire, apres avoir clairement définit comment et pourquoi se pense une icône architecturale pour la Maison de Luxe, quelle image renvoi-t'elle et quelle expérience celle-ci offre, proposera une ouverture sur un phénomene propre au XXI° siecle : la digitalisation. À l'aune de la virtualisation croissante, l'icône architecturale peut-elle encore rester l'interface majeure et la clef-de-voûte de la stratégie markéting des marques de luxe ?

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DE L’ICÔNE DU LUXE À L’ICÔNE ARCHITECTURALE: LE BESOIN FONDAMENTAL L’UN DE L’AUTRE

naissance de l'icône

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1.1 Emergence du concept d’icône en architecture

Afin de comprendre ce qu'est, et comment se construit une icône architecturale dans l'univers du luxe, il est intéressant et primordial d'avoir pleine conscience de ce qu'est une icône, mais aussi une icône architecturale. Comprendre son étymologie, sa source ainsi que sa sémiologie, tendra dans la suite de cet écrit a mettre en lumiere son rattachement a l'univers du luxe par l'architecture.

Étymologiquement, la notion d'icône vient du russe икона, ikona (« image religieuse »), issu du grec ancien εικονια, eikonia (« petites images ») et diminutif de εικων, eikôn (« image, ressemblance »). L’ancien-français parlait d'icoine, ancone (« banniere, étendard »). 8 Cette notion naît dans la religion de l'Europe de l'est, le christianisme orthodoxe. Le terme d'icône, qui signifie image ou ressemblance, désignait a l'origine « toute image religieuse, portative ou fixe, quelles qu'en soient la technique (peinture, mosaique, marbre, ivoire, orfèvrerie, tissu, etc.) et l'échelle. Mais, dans son acception moderne la plus courante, il s'applique à une image religieuse peinte sur un panneau de bois mobile, représentant soit un portrait (le Christ, la Vierge, les Saints), soit une scène, et destinée au culte privé ou public. A la fois œuvre d'art, objet de culte, de propagande et d'expansion, l'icône est l'expression picturale par excellence de la foi orthodoxe puis de la religion catholique dans son entièreté. Elle occupe une place de premier plan dans l'histoire de l'art, mais aussi dans la spiritualité et le culte des chrétientés orientales et, particulièrement, de

8 Définition de l'Encyclopédie Universalis, 2012.

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Byzance. »9

Figure 4 // L'icône originelle : l'icône religieuse Au sens premier du terme, tel que le dictionnaire Larousse 2014 et l'encyclopédie Universalis 2012 nous le donne a voir, l'icône est d'ordre religieux. L'icône n'est pas un outil de représentation mais davantage une représentation elle-même. Elle s'apparente en revanche a un outil de culte, de sainteté, mais aussi a un outil de communication destiné au grand public illettré, et donc également un outil d'exercice du pouvoir de l'Église. Cette primaire approche de la notion d'icône faire immédiatement émerger des premieres similitudes avec l'univers du luxe. Le caractere sacré, mais également la notion de culte propre a la religion trouve en effet leurs pendants dans l'univers du luxe, où les grandes marques telles que Chanel, Dior ou Louis Vuitton offrent un univers, une philosophie, une éthique mais tendent aussi a créer une réelle addiction a valeur de culte chez les « fideles ». Pour Michel Gutsatz, co-auteur de Luxe & Retail : « La notion de luxe et celle de religion ont une filiation évidente. Les deux cherchent la même emprise sur l'esprit, la même fidélisation, la même appartenance à ellemême »10 Nous verrons aussi par la suite que le caractere d'outil de communication et 9 Définition du Dictionnaire Larousse, 2014. 10 Entretien téléphonique avec Michel Gutsatz, 07 décembre 2016.

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d'exercice du pouvoir, et d'autant plus dans le monde du luxe, sont aussi des affiliations récurrentes directes entre l'architecture-icône et l'icône religieuse. Il est aussi a garder a l'esprit que le caractere picturale d'une icône religieuse vise a la démocratisation du culte de la religion. Pour les marques de luxe, un des buts semble aussi celui de s'adresser au plus grand nombre. Cette recherche de démocratisation sera largement développée dans la suite de cet écrit. Et c'est cette recherche tout particulierement qui tend a la création de références tres reconnaissables par les marques de luxe, dont émerge la notion d'icône, et particulierement d'icône architecturale.

En sémiologie, pour le philosophe Charles Sanders Pierce, la notion d'icône désigne « l’image qui, s’articulant avec un sens, se rapporte à une entité physique ou simplement représentative ». Une icône est donc une représentation graphique d'une entité, dont elle conserve certaines propriétés spatiales. Les glyphes par exemple sont des signes spécifiques a un alphabet ayant un signe iconique pour origine. Dans l'esprit populaire l'icône est un référent, un symbole identifiable et représentatif d'une catégorie : Chanel est l'icône du luxe, la Tour Eiffel est l'icône de Paris, la baguette est l'icône du parisien. L'icône est généralement associée a un prestige, mais aussi a un cliché, une image, un rayonnement. Le concept d'icône prend une autre tournure a l'ere numérique, et s'ancre dans les esprits comme image numérique, pictogrammées, mais toujours de maniere récurrente a une image référence, un symbole. De maniere plus actuelle, la notion d'icône impose d'avantage une étroite filiation a la culture, et notamment au branding culturel et urbain : une icône culturelle est, selon l'essayiste Denis Meyer, « une figure emblématique qui joue un rôle essentiel dans la construction et le maintien de l’imaginaire social et de l’identité collective »11. Ce peut donc être défini par un 11 Denis Meyer « Icônes culturelles : lecture textuelle et contextuelle », Synergies Chine, n°6, 2011, page 223.

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symbole, un logo, une photographie, une personne, un nom, un bâtiment ou encore une image. Cette icône est facilement reconnaissable et représente généralement un objet ou une idée qui a une signification importante pour un large groupe culturel. Cet objet a, pour un groupe donné, un statut particulier de référence d'un lieu ou d'une période historique particulierement remarquable, importante ou aimée. Par leur impact, l'importance et la signification pour un large groupe culturel, les médias tels que par exemple les films, la musique et les émissions télévisées qui marquent leurs époques peuvent être considérés comme des icônes culturelles. Mais on trouve aussi les noms des marques qui peuvent refléter des valeurs sociales et des changements, c'est notamment le cas des marques de luxe qui visent a atteindre un réel statut d'icône.

Figure 5 // Champs lexical de l'icône Les icônes culturelles sont souvent intemporelles, et inscrites dans l'inconscient collectif. Elles passent par plusieurs étapes : ce sont d'abord des « murmures, des mouvements souterrains », qui, a cause de l'émotion qu'ils suscitent, débouchent, par un effet d'entraînement, sur une « approbation collective », et finalement deviennent « idéalisation et valeur représentative »12. Alors que les noms de marques répondent a une certaine logique et sont liés a l'objet qu'ils représentent, les icônes culturelles sont par nature émotionnelles, 12 « Simulacres et simulations », Jean Baudrillard, ed. Galilée, 1981, page 9-27.

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gratuites, mues par les sentiments, et créent des liens affectifs. Alors qu'une distinction peut donc être faite entre Marque et Icône culturelle, les deux semblent aujourd'hui pouvoir tout de même fusionner, la marque de luxe étant en capacité de créer un lien affectif entre elle et la personne : on parle de marque-déposée iconique. Une façon de devenir une sorte de « marque-déposée iconique » (Iconic brand) consiste, par exemple, pour des stars de la musique telles que Michael Jackson, Elvis Presley ou les Daft Punk, a se créer une image en portant un style vestimentaire qui les rendent immédiatement reconnaissables, hautement singulier. C'est également le cas des acteurs tels que Charlie Chaplin et Audrey Hepburn ou encore les stylistes Karl Lagerfeld et Jean-Paul Gaultier.

D'origine sacrée, la notion d'icône est aujourd'hui totalement passée dans le profane, et s'est étendue des spheres de la religion jusque dans la culture populaire. Progressivement, le champ lexical religieux, et donc celui d'icône, quitte la spiritualité et subit une forte désacralisation du terme au XX°siecle. Même s'il reste associé au pouvoir, d'une chose ou d'une personne, a sa gloire et a son rayonnement, le terme devient profane mais conserve son aura et sa portée symbolique sacrée. Le concept d'icône s'émancipe donc ces derniers siecles des spheres sacrées de la religions pour d'avantage s'ancrer dans les éléments de culture. En effet, le concept d'icône s'écarte des représentations religieuses, pour se personnifier, se concrétiser au travers d'objets ou de pratiques. Par exemple, Lagerfeld est l'icône de la mode, le Chanel N°5 est l'icône du luxe français, et le shopping est l'icône de la parisienne. L'extension de l'utilisation d'icône peut aussi être autre que culturelle. En effet, en soulignant le fait qu'elle servent toujours un but de rayonnement et de pouvoir, il est primordial de ne pas oublier de parler d'icône politique ; les représentants politiques étant censés représenter un certain pouvoir. Par exemple, les grands dirigeants communistes, tel que Mao ou encore -20-


Staline sont souvent représentés d'une maniere qui n'est pas sans rappeler l'icône religieuse.

Figure 6 // Exemples d'icônes culturelles

Figure 7 // Portraits politiques évoquant les icônes religieuses

L'idée d'icône semble finalement, d'avantage s'apparenter a un concept qu'a une notion. D'avantage abstraite, elle se rapporte a une image générale, non-absolue, et peut-être somme toute plus applicable que ce qu'implique une notion. 13 Le concept d'icône tend ainsi vers une pluridisciplinarité. Il se développe principalement dans les spheres artistiques, aussi vaste que le nombre de pratiques. Le cinéma, les arts picturaux (dont il est déja issu), la mode, la musique, la littérature, l'architecture... L'univers n'est pas si éloigné des prémices de l'émergence de l'icône mais se démocratise et devient davantage laïque. Il est difficile 13 Selon Kant, le “concept” se rapporterait a une quelconque idée générale, non absolue – DA FONSECA Loïc, Quelle est la différence entre notion et concept ?, toutcomment.com, avril 2016.

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cependant de juger si le concept d'icône permet de désacraliser la religion, et de sacraliser les arts. A contrario, les domaines scientifiques sont peu, voire pas du tout, enclin au concept d'icône, trop éloignée d'une vérité absolue et trop proche d'une subjectivité. « L’icône ne représente pas le réel, mais elle le signifie et le symbolise. Elle créée un signifiant avec une signification. Mais cette signification dépend de celui qui l'interprète. Et toute interprétation ne peut être que suggestive, puisque vacille selon des paramètres propres à l'individu comme son histoire, son éducation ou encore sa culture. »14 Le concept d'icône est ainsi un concept qui qualifie quelque chose. Tel objet ou telle personne est une icône ou ne l'est pas. L'attribution de cette qualification se fait de maniere totalement subjective et arbitraire, souvent générée d'ailleurs par une population spécifique ou non. L'icône est un concept émergeant de la culture populaire, de la masse humaine. En cela elle se retrouve uniquement dans les spheres artistiques qui elles-même sont générée de cultures et de subjectivités d'interprétations. L'icône est ainsi tres proche de la sensorialité. C'est un concept qui fait appel a l'esprit populaire, la pensée collective. Il ne peut être scientifique car il ne résulte d'aucune recette précise, d'aucune vérité absolue, mais d'un engouement incontrôlé pouvant toutefois être suggéré.

Longtemps associé l'un comme l'autre a l'univers artistique, le concept d'icône et le domaine de l'architecture tendent a se rencontrer afin de générer un nouveau concept ; celui de l'icône architecturale. Si aucunes sources documentaires ne précise quand le concept d'icône émerge dans le domaine de l'architecture, on releve les premieres traces de son emploi des le début du XX° siecle en Europe occidentale dans les journaux afin de qualifier la Tour Eiffel apres 14 LELOUP Jean-Yves, SERENE Richard, L'icône : l'école du regard, http://richard.serene.free.fr, 2013.

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l'exposition universelle de 1889. Ce terme émerge afin de pouvoir qualifier les architectures emblématiques, les grandes références architecturales, révélatrice d'un style, d'une époque, d'une politique, ou encore d'une prouesse technique révolutionnaire. Le terme « architecture iconique » est employé pour désigner une architecture exceptionnelle dans le sens de l'exception, de l'emblématique. L'architecture iconique témoigne généralement d'une période culturelle ou d'un theme précis selon la localisation et la vocation du bâtiment. Guillaume Ethier précise qu'a « la fin du XX° siècle, le terme « architecture iconique » s'apparente à la forme et atteint des extrêmes : recherches de formes complexes, prouesses techniques, démesure et surenchère »15. Cela tend vers des architectures imaginées au détriment de la commodité, de la durabilité ou du coût, et généralement soumises a controverse. L'« architecture iconique » vise a la médiatisation et a entrer dans le panorama de l'histoire de l'architecture. Parmi les plus importantes structures qui ont marqué le monde mentionnons les pyramides d'Égypte, le Colisée, le Taj Mahal et plus pres de nous, la tour Eiffel, mais aussi le Big Ben, l'Empire State Building, l'Opéra de Sydney, les îles artificielles de Dubaï... etc.

Figure 8 // Exemples d'icônes architecturales

15 « Architecture iconique », Les leçons de Toronto, Guillaume Ethier, 2015.

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L'architecture iconique vacille ainsi perpétuellement entre objet et image de l'objet. Cette relation entre image et icône est des plus intéressante mais aussi des plus inévitables. En effet, d'apres Jean Christophe Blaser dans son essai « Sur les traces de l'icône : vers un nouveau concept critique ? »16, les deux entités sont indissociables. L'icône qui est affublée a un objet, et notamment architectural, passe irrémédiablement au travers de son image, de son esthétique : « Le statut d'image exceptionnelle de l'icône est accepté, (…) l'icône est l'expression de tendances à l'esthétisation. » Le concept vise a faire de l'architecture une image, figée, et si possible, une belle image. L'icône est un moyen de faire d'une architecture, un référent, une marque, un label ; ainsi donc l'image d'un message.

Dans ce mémoire, est développé une réflexion autour de la notion d'icône architecturale dans l'univers du luxe, et notamment chez Louis Vuitton. L'architecture y est pour sûr iconique ; le dernier exemple en date étant la tres médiatisée Fondation Louis Vuitton. Cette architecture résume a elle seule le concept d'icône en architecture. En effet, audela de l'objet, il s'agit de faire de ce bâtiment une image pour Louis Vuitton. Du haut de ses 13 500 m2 composant ses 12 voiles de verre, de ses 19 000 plaques de Ductal, de ses 7000 m2 de surface totales dont 3 850 m2 d'espaces muséographiques, de ses 11 galeries d'exposition, et de ses 1 000 places a l'auditorium, la Fondation Louis Vuitton s'impose dans le paysage du jardin d'acclimatation de Paris.17 Le vaisseau avec ses voiles, délicatement posé sur un bassin possede toute l’éloquence du geste architectural de Frank Gehry. Architecture sur-mesure, spectaculaire, et exceptionnelle (dans le sens d'exception), cette architecture devient l'icône, l'image de la marque ; elle en devient son association mentale intuitive. Elle est aussi l'image du pourvoir économique de la marque, qui a les capacités financieres de s'offrir le joyau

16 « Sur les traces de l'icône : vers un nouveau concept critique », Revue de la Société de l'histoire de l'art en Suisse, Jean-Christophe Blaser, 2000, page 37-46. 17 Source des chiffres : www.fondationlouisvuitton.fr.

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architectural d'un grand nom tel que F.Gehry. L'icône vise ainsi a faire de l'objet, bien plus qu'un objet, mais une image qui s'impregne comme identité de quelque chose ou de quelqu'un. En oscillant entre objet et image de l'objet, l'icône en architecture devient, selon Horst Bredekamp dans « Théorie de l'acte d'image »18 un moyen de manipulation mentale. On peut retrouver cela dans l'architecture commerciale (comme l'exemple précédemment évoqué des marques de luxe), mais aussi dans l'architecture politique et totalitaire. Ces deux groupes d'architecture cherchent toutes les deux a établir une propagande au travers d'icônes internationales. L'icône en architecture est donc un outil de conception architecturale qui cherche a créer un objet remarquable, mais aussi une image de l'objet, esthétique, expression de valeurs, et acteur de psychologie.

Figure 9 // La Fondation Louis Vuitton de Frank O. Gehry

Il est intéressant de voir a quel point, malgré une désacralisation du terme, qui quitte son appartenance premiere a la religion, la définition reste transmuable aujourd'hui dans le domaine de l'architecture. L'icône en architecture reste presque du ressort de la religion et du culte. Passer par le champ religieux, celui de la croyance, peut permettre de comprendre cette notion d'icône dans l'architecture. En architecture aussi, l'icône reste caractéristique de la

18 « Théorie de l'acte d'image », Conférence Adorno, Horst Bredekamp, 2007.

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capacité d'un projet a être un outil de pouvoir, de démonstration d'un pouvoir, d'un rayonnement, mais aussi d'expansion, et de propagande. Notamment dans l'univers du luxe, l'icône architecturale est un concept qui permet a une marque d'afficher son pouvoir, spécialement économique, mais aussi de se médiatiser et donc d'étendre son influence. L'icône est l'expression d'une richesse, et est un vecteur de développement et de branding. Comme dans la religion, où elle est née, l'icône reste en architecture un moyen de transmission, de valeurs, de messages, de forces.

Le concept d'icône dans le domaine de l'architecture est de deux ordres. Dans le premier cas de figure, l'architecture devient une icône mais n'est pas conçue en temps qu'icône. Cette icône se base généralement sur un héritage patrimonial et/ou historique. C'est le cas par exemple de la boutique Chanel, rue Cambon a Paris, devenu icône du luxe parisien, seulement apres le rayonnement de sa couturiere. Dans le second cas, peut être le plus développé depuis plusieurs siecle, le concept d'icône est un concept fondateur de l'architecture. L'architecture est conçue dans l'optique d'être une icône, la représentation de quelque chose ou de quelqu'un. C'est le cas depuis longtemps, avec par exemple les arcs de triomphes, icônes de victoires et de puissances militaires, ou du Château de Versailles, icône de la puissance internationale du Roi Soleil. C'est bien-sûr toujours le cas plus récemment, avec par exemple le Musée Guggenheim de F.O.Gehry, conçu comme se voulant être une icône-référence, de Bilbao. Ce concept d'icône comme élément fondateur et vecteur d'architecture, est aussi appelé Flagship, anglicisme désignant a l'origine un « magasin phare », un « magasin drapeau ». Le Flagship est l'idée de créer du patrimoine, un héritage, et surtout un héritage prestigieux, ce qui est, nous le verrons, d'autant plus vrai dans l'univers du luxe.

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En conclusion, l'icône se défini comme un concept avant tout religieux, et donc culturel, cherchant a créer une image aux pouvoirs de diffusion de messages et de valeurs. Pouvant être associé aux termes d' "embleme" ou encore de "symbole", car se rejoignant sur l'idée d'image ; l'icône s'en distingue tout de même. En effet, l'embleme et le symbole représentent une idée, ils sont une analogie figurée, où un élément concret représente quelque chose d'abstrait (la colombe est l'embleme de la paix). Ce sont des signes conventionnels, presque objectifs et institutionnels, alors qu'au contraire l'icône est elle, totalement subjective. L'icône n'est ainsi donc, ni un embleme, ni un symbole ; elle est plus que cela, puisqu'elle représente non seulement une idée, mais aussi des valeurs, un univers, un patrimoine, des gens, etc. L'icône est l'image d'un ensemble complexe d'éléments formant un tout, concret comme abstrait, et porteur d'une maniere de penser. L'icône créé un objet, une image qui est un outil de promotion, de médiatisation et d'exercice du pouvoir. La notion d'icône, descendue des spheres sacrées, s'infiltre dans la culture quotidienne et vient a son tour sacraliser objets, personnes, pratiques... « Aujourd'hui le mot icône en vient ainsi à décrire indifféremment des images de mode ou de reportage, des portraits ou des scènes de la vie quotidienne »19 s'exprime Jean Christophe Blaser. L'icône en architecture développe les notions d'expériences, de promotion, de pouvoir et d'influence ainsi que de médiatisation, pour créer un mythe, redessiner un culte de l'objet et de l'image qui lui est associée. Dans une perpétuelle figure cyclique, l'icône rejoint la dimension de culte. L'objet du culte ayant seulement changé de la spiritualité religieuse a, semble t'il, la consommation de masse.

19 « Sur les traces de l'icône : vers un nouveau concept critique », Revue de la Société de l'histoire de l'art en Suisse, Jean-Christophe Blaser, 2000, page 37.

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1.2 Icône de luxe: histoire, ascension et stature de la marque.

« Donnez-moi le superflu, je me passerai du nécessaire » Oscar Wilde. « Le superflu, chose tres nécessaire. » Voltaire. 20

Afin de comprendre ce qu'est, et comment se construit une icône architecturale dans l'univers du luxe, il est essentiel de définir ce qu'est une icône de luxe. Comprendre la notion de luxe et d'icône de luxe, tendra dans la suite de cet écrit a comprendre la translation de l'icône de luxe a l'icône architecturale pour le luxe. Dans l'ouvrage « Luxe & Retail », Michel Gutsatz met en exergue la difficulté de définir ce terme : « Il est impossible de parler du luxe sans proposer une définition de cette notion. Beaucoup d'experts discutent de la signification de ce mot sans sembler parvenir à se mettre d'accord sur une définition simple et acceptée par tout le monde. (…) Le luxe se définit toutefois au travers de différentes composantes que devrait comporter un objet de luxe : la notion d'exclusivité, de qualité, d'hédonisme, de statut. »21 Son étymologie même est source de contradictions entre l’être et le paraître. Le mot « luxe » a des sens divers selon les langues. Il proviendrait du mot « lux » qui en latin signifie « lumiere » « éclat brillant, illustration, lustre, gloire, ornement », conférant ainsi au luxe son rayonnement ; mais aussi bien du mot « luxuria », « débauche, exces, faste » qui confere au luxe une dimension excessive et ostentatoire. Selon d’autres sources, il proviendrait également du mot « luxus », de racine indo-européenne, qui a également donné le mot 20 VOLTAIRE, extrait du poeme Le Mondain, 1736. 21 CHEVALIER Michel, GUTSTATZ Michel, Luxe & Retail : Le point de vente, lieu d'excellence, ed. Dunod, 2013, page 10-12.

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« luxation », et signifie « rupture » ou « déviation ».22 Comme pour cultiver le mystere qui lui incombe, ses origines restent flouent, incertaines et cosmopolites.

Même si le dictionnaire tend a définir simplement et posément la notion de luxe : « Le luxe est le mode de vie consistant à pratiquer des dépenses somptuaires et superflues, dans le but de s'entourer d'un raffinement fastueux ou par pur gout de l'ostentation, par opposition aux facteurs ne relevant que de la stricte et primaire nécessité. Par extension, le luxe désigne également tous les éléments et pratiques permettant de parvenir à ce niveau de vie. L'aspect d'inutilité du luxe est à la base de l'expression « C'est du luxe ! », familière dans son utilisation pour qualifier quelque chose de superflu. Un produit de luxe désigne un produit d'une très grande qualité, raffiné, couteux et rare. »23 Toutefois, Chloé Bourgancier, blogueuse spécialiste du luxe et des maisons de luxe décuple la définition littérale en en floutant les contours : « La définition du Luxe est complexe tant il l’est par lui même. Pour certains, le Luxe est avant tout un savoir faire unique. Dès lors, par la rareté de ce savoir, on mesure une partie de ce qui caractérise le plus le Luxe aux yeux de la population: un prix élevé. Pourtant, la définition de Luxe n’est pas forcément synonyme d’onéreux. De là à dire cependant que le Luxe peut être accessible à un bas prix, il n’y a qu’un pas que l’on ne saurait franchir. L’élégance, la beauté et le raffiné sont des qualificatifs qui définissent bien ce que doit être le Luxe. Cependant, il s’agit ici de notions assez subjectives. La qualité, quant à elle, est l’un des seuls critères objectifs indissociables du Luxe. Ainsi, le Luxe ne s’arrête pas à la Mode Femme ou Homme au contraire de ce que l’on pourrait être amené à penser. En effet, il s’étend à l’infini sur l’ensemble des objets ou matières dès lors qu’il y a une notion de ressources rares ou de travail unique par l’Homme. Une large frange de

22 Définition de l'Encyclopédie Universalis, 2012. 23 Définition du Dictionnaire Larousse, 2014.

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l’artisanat fait ainsi parti du Luxe. La mode mais aussi les nouvelles technologies, la nourriture, les vins et spiritueux, les cosmétiques ou parfums sont autant de domaines d’activités du Luxe, qui en comprend de nombreux autres. Enfin, le Luxe n’est pas féminin plus que masculin. Non. Le Luxe est universel. Ainsi, par définition, le Luxe s’apparente à un art et l’industrie du Luxe à la vente d’un savoir faire unique de qualité. »

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Ainsi, le luxe est pluriel, ambivalent. Souvent jugé inutile, futile, ou superficiel, il semble en réalité « indispensable au bien-être de l’Homme, qui cherche sans cesse, à travers lui, à améliorer son quotidien et s’en échapper parfois en conservant une part de rêve nécessaire dans sa vie »25. Selon Jean Castarede, « est luxueux tout ce qui n’est pas indispensable mais délectable s’il est sensible à la grace » Le luxe est synonyme de qualité, 26

envie, désir, émotion, renouveau, histoire, rareté et d'éternel. Le luxe s'exprime ainsi dans tous les domaines où le plaisir importe, puisqu'il y contribue par un registre particulier et quelquefois le constitue presque entierement, particulierement pour ceux qui ont le goût du luxe, « Sans un immense superflu, chaque condition se croit misérable. » 27

Le choix de prendre comme étude de cas Louis Vuitton, le choix de l'utiliser comme prétexte pour questionner et expérimenter le concept d'icône architecturale dans l'univers du luxe, se fonde sur différents criteres. Tout d'abord, Louis Vuitton est une marque icône en-elle même dans le paysage du luxe français et international. Sa légitimité, et sa capacité a être le pilier et porte-étendard du luxe dans l'esprit collectif n'est plus a démontrer. Outre cela, Louis Vuitton jouit depuis longtemps d'une étroite collaboration récurrente avec le monde de 24 Extrait de l'édito du blog de Chloé BOURGANCIER http://chloebourgancier-blog.tumblr.com 25 PRZYBYLA Kim, Les stratégies Marketing du Luxe : le Kelly d'Hermès : du sac à main à l'icône du luxe, sous la direction de Jean-Marc Decaudin, IEP de Toulouse, 2014, page 7. 26 CASTEREDE, J., Le Luxe, Paris PUF, Collection « Que sais-je ? », 7e édition 2012, page 18, l. 19-21 . 27 DIDEROT Denis, Extrait de l'article « Luxe », Encyclopédie, 1751.

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l'architecture. Gérant lui-même l'intégralité de son réseau de distribution, la marque apporte soin, qualité et exigence a édifier les écrins qui accueilleront ses produits. Enfin, la médiatisation toute récente de la Fondation Louis Vuitton, témoin de l'association d'une icône du luxe et d'une icône de l'architecture, tend en effet a interroger cette collaboration et sa résultante : une icône architecturale. À l'image de Muccia Prada et Rem Koolhaas, Louis Vuitton fait de l'architecture une de ses priorité mais a l'avantage ici, dans ce mémoire a s'imposer comme le leader absolu du luxe d'aujourd'hui.

Louis Vuitton est a l'origine une petite entreprise de malletiers dédiée au voyage. Devenu incontournable, la malle monogrammée sous toutes ses déclinaisons et personnalisations reste encore aujourd'hui l'objet-icône de la marque, pouvant a lui seul résumer et imager ce qu'est Louis Vuitton. Le site officiel de la Maison Louis Vuitton romance l'histoire de sa marque : « En 1837, Louis Vuitton, alors agé de 16 ans, rejoint Paris à pied et débute son apprentissage chez Monsieur Maréchal. A l’époque, voitures à chevaux, bateaux et trains sont les principaux modes de transport et les bagages sont trop souvent malmenés. Les voyageurs font appel aux services des artisans pour emballer et protéger leurs effets personnels. En 1854 Louis Vuitton ouvre sa boutique et son atelier éponyme. »28

Figure 10 // Monsieur Louis Vuitton 28 Site de la maison de couture Louis Vuitton : www.louisvuitton.fr

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Cette marque parisienne va révolutionner le monde de la bagagerie avec l’invention de la malle plate. Cette malle va changer la vie des voyageurs de l’époque, idéale pour voyager dans des trains a vapeur ou des bateaux a vapeur. Les bagages que va créer Louis Vuitton par la suite vont continuer sur le chemin visionnaire de sa premiere malle, en s’inspirant fortement du monde du voyage et de la révolution des moyens de transport qui est en cours en cette seconde moitié du XIXe siecle. C'est a partir de 1885 que la marque se développe a l’étranger sous l’impulsion de Georges Vuitton, le fils du fondateur. Ce développement a l’international va par contre favoriser l’émergence d’un mal qui existe toujours aujourd’hui, la contrefaçon. Pour lutter contre ce phénomene Louis Vuitton va, en 1896 créer le « Monogramme LV », qui deviendra l’embleme de la célebre griffe française. La maison parisienne va ensuite continuer de s’agrandir et d’innover. De nouvelles boutiques vont ouvrir en France et dans le monde entier durant le XXe siecle. En 1987, Louis Vuitton et Moët Hennessy fusionnent pour former LVMH, le leader du luxe de l’époque. Rachetée en 1989 par l’homme d’affaires Bernard Arnault, la maison de maroquinerie va alors considérablement se développer sous l’impulsion de ce dernier. L’image de Louis Vuitton est tres classique quand Bernault Arnault prend le pouvoir en 1989. Il va mettre beaucoup d’énergie et de temps pour modifier l’image de cette griffe et aussi pour la faire devenir le géant du luxe qu’elle est aujourd’hui. La diversification de ses activités (la maison parisienne ne sera plus qu’un simple maroquinier spécialisé dans les bagages et les sacs, mais va développer Louis Vuitton dans le prêt-a-porter, les chaussures, les parfums, les cosmétiques, l’horlogerie et la joaillerie), et la modernisation et dynamisation de l'image de la marque (dont l'appel a Marc Jacobs comme directeur artistique de Louis Vuitton en 1997 va permettre a cette prestigieuse maison de devenir plus hype et moderne) transformeront en quelques années le célebre maroquinier en une marque incontournable dans l’univers de la mode, tout en gardant une partie de la

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tradition et de l’histoire de la marque. 29 Aujourd'hui, la marque est présente directement dans une soixantaine de pays avec environ 400 magasins en propre, même si la production elle, reste majoritairement française. Pour 2012, le chiffre d'affaires de Louis Vuitton est estimé a 7 milliards d'euros, représentant la moitié des profits de LVMH.

Figure 11 // Marc Jacobs et sa réinterprétation du classique motif Louis Vuitton

Rafael Magou, résume parfaitement le statut de la maison de luxe « Louis Vuitton est une marque devenue célèbre à travers le monde. Auparavant exclusivement associée au monde du voyage de luxe avec ses malles et ses produits de maroquinerie, elle déploie aujourd'hui un ensemble complet intégrant la mode féminine et masculine, ce qui l'a propulsée leader du luxe et ses articles s'arrachent aux quatre coins du globe. » 30 Plus récemment, a travers une rétrospective de l’histoire de la maison Louis Vuitton, l’exposition « Volez, Voguez, Voyagez » met en lumiere l’histoire et le savoir-faire de la maison parisienne, de 1854 a nos jours, au travers de portraits de son fondateur malletier mais aussi de ses contemporains.31 Louis Vuitton s'impose alors comme une évidence dans le choix 29 Source : Site de la maison de couture Louis Vuitton : www.louisvuitton.fr 30 EDELMANN Frédéric, LUNA, Ian, MAGROU, Rafael, MOSTAFAVI, Mohsen, Louis Vuitton, architecture et intérieurs, ed. La Martiniere, 2011, page 212. 31 « Volez, Voguez, Voyagez – Louis Vuitton » au Grand Palais du 04 décembre 2015 au 21 février 2016. Sous la direction d’Olivier Saillard, qui assure le commissariat général, l’exposition a retracé l’aventure de la

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d'une icône du luxe. Avec son histoire, son mythe, mais aussi sa puissance économique, ses codes, et son intemporalité Louis Vuitton s'affirme comme la premiere pierre a l'édification d'une icône architecturale pour l'univers du luxe.

Figure 12 // Affiche de l'exposition « Volez, Voguez, Voyagez »

La notion d'icône dans l'univers du luxe est un élément aussi complexe a définir que la définition même du luxe. Sans revenir sur les définitions faites plus haut dans cet écrit, l'icône dans le luxe reste associée a cette notion d'image, de reflet de la marque et de symbolique. Cette notion d'icône dans le luxe est permanente, constante et récurrente ; mais sa focalisation semble quant a elle moins fixe et d'avantage indécise. Longtemps, jusque dans les années 70, l'icône de luxe, la quintessence de la marque de luxe était l'objet de luxe. L'objet-référence de la marque, le plus populaire, le plus historique ou le plus révolutionnaire était le synonyme de la marque de luxe. L'objet est l'image de la marque. C'est la cas chez la plupart des marques du luxe, avec l'incontournable tailleur en tweed de Chanel, la manteau de fourrure de Fendi, le flacon de parfum a l'abeille de Guerlain... Chaque marque s'impose l'image mentale immédiate d'un de ses produit. C'est

Maison Louis Vuitton, de 1854 a aujourd’hui, a travers les portraits de ses fondateurs mais aussi de ceux qui inventent aujourd’hui le Louis Vuitton de demain.

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évidemment également le cas chez Louis Vuitton, avec la malle au célebre monogramme LV entrelacé. L'objet est la marque et devient mystique. L'objet-icône devient une récurrence dans la maison ; il est décliné, perpétuellement ré-actualisé et retravaillé. Le directeur artistique actuel de la Maison Louis Vuitton, Nicolas Ghesquiere continu de célébrer l'icône-objet en le retravaillant. « Nicolas Ghesquière créé la Petite Malle, ou comment transposer la malle symbole absolu de la Maison. »32 La Maison Louis Vuitton accepte elle-même le statut d'icône a sa malle.

Figure 13 // La Petite Malle de Nicolas Ghesquière - 2016

Néanmoins, a partir des années 70, un glissement, une évolution de la focale est a constater dans la notion d'icône dans le luxe. En effet, il est a noter une réelle translation de l'icône-objet, a l'icône-égérie. La marque de luxe tend ainsi vers la personnification de la marque. Deux postures sont alors prises par les marques. Soit la marque ne translate pas tout a fait le statut d'icône de l'objet a l'égérie, mais s'oriente vers un couplage des deux, comme c'est le cas notamment chez Hermes et le sac Kelly, avec Grâce Kelly, ou le sac Birkin, avec Jane Birkin ; mais également chez Dior avec le Lady Dior, associé a l'image de Lady Diana, alors princesse De Galles. Soit, dans une seconde posture, la marque s’émancipe de l'icône objet vers une icône incarnée a part entiere. Dans ce cas-présent, ce n'est plus l'objet que l'on couple 32 Source : Site de la maison de couture Louis Vuitton : www.louisvuitton.fr

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a l'égérie, mais la marque elle-même. L'égérie devient l'image a part entiere de la marque et de ses valeurs. C'est le cas par exemple avec Ines de La Fressange, égérie pour Chanel de 1980 a 1890, ou plus récemment de Marion Cotillard pour la maison Dior ces dix dernieres années. Chez Louis Vuitton aussi ce glissement a lieu, en associant son image a celle de Catherine Deneuve pendant pres de 20 ans. L'icône en tant qu'égérie est célebre, populaire, mais inaccessible et enviable comme l'est le luxe. Elle est aussi internationale, afin de diffuser et communiquer la marque, mais tres souvent parisienne, porteuse du savoir-faire français « la haute couture ne peut être faite qu'à Paris » disait Gabrielle Chanel. La surenchere concurrentielle des marques de luxe est ainsi longtemps passée par des campagnes publicitaires, avec des cachets toujours plus importants versés aux égéries, nouvelles icônes de la marque de luxe. Par exemple, l'actrice Cate Blanchett devient égérie pour Armani en 2014 et se voit offrir pres de dix millions de dollars 33 juste pour associer son image a celle de la marque. Les marques de luxe tendent ainsi a faire de la notion d'icône un véritable outil de marketing et de concurrence, en en faisant l'un des postes majeurs d'investissement.

Figure 14 // Campagnes de publicité avec Catherine Deneuve - 2015 33 Extrait de l'article Quel est le salaire des égéries ?, www.parfumini.fr

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Enfin, plus récemment, depuis les années 2000, un nouveau glissement semble s'opérer dans la focalisation du concept d'icône chez la marque de luxe. En effet, tirant parti de la médiatisation et de la diffusion architecturale de plus en plus exacerbée et développée dans notre société contemporaine, les marques de luxe ont vu la notion d'icône se translater de l'égérie vers l'architecture. Vers une désincarnation mais une matérialisation. De nombreuses collaborations ont vu jours telle que celle, récurrente, de Muccia Prada et Rem Koolhass avec La fondation Prada, mais aussi Zaha Hadid avec le Pavillon Mobile Chanel ou plus récemment la Fondation Louis Vuitton avec Frank O. Gehry. L'architecture, devenu enjeu sociétal important, dont la diffusion est prônée par le Ministere de la Culture 34, est aussi vue par les marques de luxe comme l'établissement d'une image de marque, qui s'ouvre a un nouveau champs disciplinaire, et tend a toucher encore d'avantage de masse humaine. L'architecture devient ainsi la nouvelle icône de la marque de luxe, affichant et concrétisant une image forte de la marque de luxe, en capacité de s'ouvrir, et d'aller au-dela du tres fermé univers du luxe.

Il est intéressant a voir l'évolution de la notion d'icône dans le monde du luxe, d'une icône incarnée vers celle désincarnée, et comment l'architecture devient la nouvelle solution de vectorisation et de médiatisation de la marque de luxe.

34 http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Architecture

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Figure 15 // Évolution de la focale de l'icône chez la marque de luxe

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1.3 Collaboration du luxe et de l’architecture: naissance et controverse.

Depuis quelques années, la collaboration entre l'architecture et les maisons de luxe est completement assumée dans les stratégies commerciales des marques, et dans leur envie de contrôler chaque maillon de production et de vente ; l'architecture étant l'objet qui accueille l'un comme l'autre. Il se dessine ainsi entre les deux un besoin réciproque. Le besoin de l'un pour nourrir l'autre mais aussi de l'autre pour nourrir l'un.

En effet, l'univers du luxe a perpétuellement eu besoin de celui de l'architecture ; mais son rôle se limitant a celui de simple support au luxe. Aujourd'hui et depuis ces dix derniere années, l'alliance de l'architecture et de l'univers du luxe dépasse cette simple question de support. Le PDG de la Maison de couture Dior, Sidney Toledano, explique d'ailleurs « Les objets de luxe doivent susciter du plaisir, une envie, et leur mise en scène dans ces « cathédrales » est orchestrée au millimètre près pour pousser les hédonistes fortunés à sortir leur carte bancaire. L'architecture est un élément important de la communication des marques de luxe » 35 Le terme de communication est a souligner, car c'est lui-même qui vient changer le paradigme de la collaboration des deux univers. En effet, l'architecture devient un élément de communication, qui s'affiche comme une campagne publicitaire, et vise a faire mieux que son concurrent. Néanmoins, l'architecture a elle aussi besoin de l'univers du luxe. Il est pourtant a noter que pendant longtemps, l'architecture n'a pas voulu assumer cet accouplement a 35 Propos recueillis par VULSER Nicolas, extrait de l'article web « L'architecture écrin du grand monde » de Le Monde, Septembre 2014.

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l'univers du luxe. Karine Ripari, architecte chez Chanel dit a ce sujet « Il a longtemps existé une distance entre architecture et luxe. L'architecture s'est longtemps nourrit de cet univers, mais a voulu prendre son indépendance. Pourtant les deux professions sont étroitement liées. Toutes les deux sont issues des arts appliqués, toutes les deux ont les mêmes orientations de travail et d'excellence, et de nombreuses personnalités ont la double casquette, d'architecte/créateur, comme Paco Rabane, André Courrège ou Gianfranco Ferré. Mais l'image trop mercantile, voire même élitiste à eu raison de cette collaboration, qui semble bel et bien renaître aujourd'hui. »36 Outre cela l'architecture se nourrit de l'univers du luxe dans la capacité expérimentale qu'elle lui offre. Avec des budgets indécents (100 millions d'euros pour la Fondation Louis Vuitton), l'univers du luxe offre a l'architecture un véritable terrain d'expérimentation, de liberté créative et formelle, capable de se nourrir des arts et artisanats qu'offrent l'univers du luxe. Presque comme un mécene, le luxe offre a l'architecture la possibilité d'innover, de questionner, de prendre des risques et d'écrire l'histoire de l'architecture sans se limiter par des questionnements économiques.

Figure 16 // Réciprocité des besoins dans le duo luxe et architecture

36 Entretien avec Karine Ripari, 24 mars 2016, ENSA Montpellier

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Mohsen Mostafavi résume clairement la relation entre architecture et luxe « Le luxe et l'architecture entretiennent des rapports de plus en plus étroits depuis quelques années. Mais leur fascination réciproque actuelle – l'architecture comme support pour le luxe, et le luxe en tant que condition préalable du fait architectural – a contribué à masquer la longévité de leur association. (…) Nous vivons actuellement une époque où le magasin de produit de luxe est devenu un forum essentiel pour l'architecture. Alors que leur relation était interdite, ils ont enfin trouvé un terrain d'entente, aussi avantageux pour l'un que pour l'autre. »37

C'est d'autant plus exact chez Louis Vuitton, qui met un point d'honneur au travail de l'architecture, et est une des rare maisons de couture a posséder un département complet dédié a l'architecture. Pour Bernard Arnault, PDG de LVMH, cela est plus qu'une nécessité. « Il est devenu impératif de repousser les limites encore plus loin dans l’exclusif, c'est une relation gagnant-gagnant.»38 Chez Louis Vuitton, l'architecture est une tradition familiale. En 1912, le fils de Louis Vuitton fait construire en plein cœur de Paris, sur les Champs-Élysées, un immeuble d'inspiration Art Déco, œuvre la plus emblématique de la marque signées par l'architecte américain Eric Carlson. Depuis, en s'ouvrant a l'international, la marque possede désormais des magasins a Londres, New York et Tokyo, dans des lieux où le souci de l'architecture est respecté. Aujourd'hui Louis Vuitton fait appel a des architectes de renom comme Jun Aoki, Christian de Portzamparc ou encore Kengo Kuma ; pour que chacun de leurs magasins soit unique. Les boutiques présentent toutes, au niveau de leur architecture intérieure (malgré quelques exceptions), des similitudes notamment dans le choix des matériaux pour donner une image cohérente d'un luxe discret. Karine Ripari défini cette collaboration comme « stratégique, compatible et juste ; 37 Extrait de la préface de MOSTAFAVI Mohsen, Louis Vuitton, architecture et intérieurs, ed. La Martiniere, 2011, page 8. 38 Citation extraite de Luxe & Retail : Le point de vente, lieu d'excellence, CHEVALIER Michel, GUTSTATZ Michel, ed. Dunod, 2013, page 253.

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c’est véritablement avec Louis Vuitton que les barrières entre le luxe et l’architecture sont tombées et qu’on a assisté à une fusion décomplexée de ces deux univers ».39 L'architecture et l'univers du luxe ne sont donc pas au début de leurs étroites collaboration, mais celle-ci semble clairement s'intensifier et prendre une dimension nouvelle aujourd'hui, un partenariat d'égal a égal qui se nourrit autant qu'il nourrit ses acteurs.

Il est a comprendre et a prendre conscience aussi que l'architecture pour l'univers du luxe reste encore aujourd'hui, et ce malgré sa « vulgarisation » quelque chose de majoritairement décrié par la profession. Affublé d'architecture de spectacle, de « starchitecture », et de course a la surenchere ; l'architecture comme icône pour le luxe a mauvaise réputation. L'architecte Mourad Bellaanaya explique notamment : « Il est lieu d'établir une critique sur la star-architecture, définit en mes termes par : l’architecture du spectaculaire. Cette nouvelle forme d'architecture, héritée du star-système et du système spéculatif, développe comme réponse au fantasme, une architecture de l’attraction, qui bouleverse et influence le monde architectural, des plus grandes agences jusqu'aux plus petites. Ainsi, la société du spectacle, décrite par Guy Debord 40, se reflète au travers de l'architecture du spectaculaire. Phénomène inévitable, la star-architecture reste le baromètre sur lequel se braquent les yeux des médias, architectes, investisseurs, dans l’attente de la nouvelle attraction. »41 Ainsi, la notion de branding architectural et son aspect mercantile est largement décrié comme mauvais et trop éloigné de l'essence premiere de l'architecture, qui devrait sans doute 39 RIPARI Karine, Art & Luxe : évolution de la place de l'art au sein du monde du luxe / Comment la collaboration avec le monde de l'art est devenue une véritable stratégie des maisons de luxe, sous la direction d'Isabelle Lazarus, Master IDL/UPEM de Marne-la-Vallée, 2016, page 77. 40 DEBORD Guy, La société du spectacle, ed. Folio, 1996. « Le spectacle est le moment où la marchandise est parvenue a l’occupation totale de la vie sociale. Non seulement le rapport a la marchandise est visible, mais on ne voit plus que lui : le monde que l’on voit est son propre monde. La production économique moderne étend sa dictature extensivement et intensivement. » 41 BELLAANAYA Mourad, L'architecture du spectaculaire, 2014.

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être d'avantage humble et désintéressée. Une table ronde entre sept architectes (Claude Franck, Guy Desgrandchamps, Gérard Monnier, Cynthia Ghorra-Gobin, Olivier Dufau, Jacques Repiquet et Pierre Lajus) autour de ce theme précis, en pose la controverse. « La double crise économique et écologique qui agite notre société relance le débat architectural latent depuis la fin des Trente Glorieuses et réactivé par les mutations récentes de l’espace public. Vrai débat ou querelle de style, les architectes comme les critiques se divisent sur la question de la visibilité du bati : une architecture « spectaculaire », privilégiant les valeurs du star system et valorisant le geste architectural, s’opposerait à une architecture « modeste », qui donnerait la priorité au contexte et à l’invisible négociation avec les contraintes du programme et du site. Claude Franck dénonce la réduction des œuvres architecturales à un monde d’objets stéréotypés assimilables à des marchandises et ne visant que la mise en scène, tandis qu’Olivier Dufau prédit la disparition pure et simple du métier d’architecte et son remplacement par un processus industrialisé et mondialisé. Guy Desgrandchamps met en lumière, au milieu de la déroute de la pensée architecturale, les signes d’un retour à plus de modestie et aux valeurs fondamentales de l’architecture. Dans le même sens, Cynthia Ghorra-Gobin diagnostique une possible réhabilitation du « chaos urbain » sous la double pression du développement durable et de l’attractivité économique. Pierre Lajus rappelle pour sa part que la forme de nos villes a été façonnée par l’automobile et la grande distribution et que nos changements de comportement pourraient leur donner à l’avenir un tout autre visage. »42 Cela tend a ancrer la controverse et la dualité entre Formalisme et Fonctionnalisme. Il faut comprendre que l’architecture est toujours une affaire de choix : on privilégie telle ou telle chose au détriment de telle autre. Le jeune architecte Luc Brochard, donne une vision 42 Extrait de « De l'architecture spectacle à l'architecture de crise ? Discussion entre les architectes » avec Claude Franck, Guy Desgrandchamps, Gérard Monnier, Cynthia Ghorra-Gobin, Olivier Dufau, Jacques Repiquet et Pierre Lajus, le-debat.gallimard.fr , mars 2009. (revue d’analyse et de discussion ouverte a toutes les réflexions qui permettent de mieux comprendre les évolutions du monde contemporain.)

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moins tranchée et définitive de cette controverse et évoque avec clémence cette confrontation entre architecture formelle (celle entre autre développée par le luxe) et l'architecture plus rationnelle et fonctionnelle. « Un projet d’architecture hiérarchise ses choix et place en tête une idée ou un concept et soumet tous les autres problèmes que doit résoudre l’architecte à cette idée ou ce concept. Si je prend l’opposition entre l’architecture dite formaliste et l’architecture dite fonctionnelle, celles-ci s’opposent seulement sur le fait que l’une a décidé de privilégier la forme et de soumettre la fonction à cette forme, tandis que l’autre fait l’inverse. Pour autant, l’architecture fonctionnelle a elle aussi une forme, et l’architecture formaliste doit aussi résoudre des problèmes fonctionnels. Pourquoi certaines architectures privilégient-elle la forme ? On pourrait dire que l’architecture fonctionnelle trouve sa source « à l’intérieur » du projet, en utilisant les fonctions du programme pour exprimer quelque chose. L’architecture formaliste trouve ses sources plutôt « à l'extérieur » du projet, dans ce qu’on pourrait appeler de manière très large « le contexte ». Le contexte doit être pris au sens large car il englobe non seulement le site, le terrain, la rue, la ville, (le contexte spatial et géographique) mais aussi le contexte social, politique, économique, moral, culturel, etc. Dans la hiérarchie des choix à faire, les architectes formalistes utilisent la forme pour répondre au contexte dans lequel il construisent et soumettent le reste du projet, et notamment les fonctions, à cette forme. »43

La question se pose donc avec cette controverse de comment prôner une architecture pour le luxe, qui ose toutes les libertés formelle, et se complaît dans l'architecture de l'esthétique prépondérant (même si elle est plus que cela). L'architecture pour l'univers du luxe est assumée comme une architecture commerciale, conceptualisée, formelle et sculpturale peut-être trop proche de l'intervention artistique. Une architecture marginale, une 43 BROCHARD Luc, extrait de l'article Formalisme vs fonctionnalisme, blog AnkOnYmOstApItUrAmEx.

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architecture qui se démarque, une architecture image, et donc par définition une architecture icône. L'architecture du luxe s'oppose au mouvement moderne dont l'idéologie est de proposer une architecture pour tous. Au contraire cette architecture vise l'exception dans le sens exceptionnel. « L'ère de la globalisation soumet l'architecture contemporaine à un système consumériste duquel l'architecture pour le luxe est issue. »44 Elle s'assume comme au service du corporate design qui l'utilise pour donner avant tout une identité pérenne aux marques de luxe. « Depuis les années 80, l’internationalisation des marques, qui ont ouvert des points de vente et des corners partout dans le monde, a poussé celles-ci à devoir se singulariser de façon toujours plus spectaculaire, pour maintenir une image forte aux yeux du consommateur exigeant. » explique Géraldine Schönenberg.45 La controverse mercantile peut convaincre ; il peut paraître immoral de dépenser de telle somme, d'autant plus aujourd'hui, dans une architecture « d'apparât » (la Fondation Louis Vuitton et ses 100 millions d'euros ont en effet fait coulé beaucoup d'encre), néanmoins, si un secteur semble échapper de maniere indécente aux crises actuelles, c'est bien celui du luxe avec un chiffre d'affaire estimé a 757 milliards d'euros en 201246, encore en croissance permanente. Chez LVMH d'autant plus, qui est leader du secteur, la Maison augmentait encore de 19% son chiffre d'affaire en 2012 47 (Bilan annuel public de LVMH).

Soumis a une éternelle controverse, l'architecture dite « spectaculaire », n'en reste pas moins une audace, un élément de recherche, un outil. Dans le contexte économique actuel, cette architecture onéreuse et spectaculaire que s'offre les maisons de luxe comme Louis Vuitton tendent encore a affirmer la position dominatrice de la marque dans le cercle tres 44 WLASZYN Joanna, L'architecture comme emblème du luxe, sous la direction de Dominique Rouillard, H5 Architecture contemporaine et thématiques immédiates, École d'Architecture de Paris Malaquais, Février 2014, page 37. 45 SCHÖNENBERG Géraldine, « L'architecture, dernier bastion conquis par le luxe », letemps.ch, 4 juin 2013. 46 Chiffres du Cabinet d'experts Comptable Bain&Compagny. 47 Bilan annuel public de LVMH. www.lvmh.fr

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fermé des marques de luxe. Le luxe est toujours controversé, en décalage, en avance, dans l'apparence, dans une posture, dans l'icône ; il s'offre donc une architecture qui lui ressemble.

Finalement ; « Dans un contexte immobilier où chaque mètre carré compte, le luxe ultime, c'est l'espace perdu. L'espace qui n'est pas « productif », offre la contemplation, l'intimité, la mobilité et le luxe »48 Rem Koolhaas.

Même si elles sont soumise a controverse, ces collaborations entre architecture et marque de luxe vise avant tout un échange de signature. Un nom pour un nom. Faire appel a des architectes comme Frank O. Gehry ou encore Herzog & De Meuron affirme une volonté de montrer la réussite, la stature de la marque. Plus l'architecte est célebre, plus le bâtiment sera visité et médiatisé. Toute personne un temps soit peu intéressée par la culture architecturale contemporaine, fera un détour par ces bâtiments sans pour autant avoir une quelconque affinité pour la marque, et inversement. Les bâtiments des marques de luxe de l'Omotesando au Japon font définitivement partie de la liste des bâtiments-monuments a voir a Tokyo. L'architecture permet a la marque de s'étendre au-dela du luxe. Cet échange de signature qui voit naître des duos tels que Nouvel/Cartier, Hadid/Chanel, Gehry/Vuitton est aussi l'assurance pour les architectes de l’accession a une certaine prospérité tant le prestige des commandes dégagées par l'univers du luxe et important.

48 Citation extraite de Luxe & Retail : Le point de vente, lieu d'excellence, CHEVALIER Michel, GUTSTATZ Michel, ed. Dunod, 2013, page 99.

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Figure 17 // Exemples de collaborations (de gauche à droite) : la Fondation Cartier de Jean Nouvel, le Pavillon Mobile Chanel de Zaha Hadid, la Fondation Louis Vuitton de Frank Gehry.

« Elles s’allient aujourd’hui aux batisseurs de renom pour offrir de nobles écrins à leurs produits de luxe. « Sur la Vème avenue à New York, Zara est à côté de Gucci, et dans leur publicité, les deux enseignes font appel aux mêmes mannequins, qui posent devant les mêmes photographes. Le mass market s’est emparé des codes du luxe. Pour les grandes marques, il est devenu impératif de repousser les limites encore plus loin dans l’exclusif, l’originalité, la singularité. D’où le recours à des architectes renommés», analyse Vincent Grégoire (directeur Art de vivre du bureau de tendances parisien Nelly Rodi). L’architecte, pourvu qu’il soit mondialement connu, donne donc une crédibilité culturelle au luxe. Jean Nouvel, Herzog & de Meuron, Zaha Hadid, Rem Koolhaas, Frank Gehry, tous se sont frottés à l’univers des marques pour mettre en avant un propos novateur, une remise en question. C’est ainsi qu’en 2007, Chanel a mandaté Zaha Hadid pour son pavillon mobile, et Vuitton a édifié, en 2011, un navire de verre à Singapour, signé Moshe Safdie et Peter Marino. Par leur singularité théatrale, leur prégnance dans le paysage, mais aussi par leur nombre de mètres carrés. «Avant les années 2000, une boutique de luxe faisait dans les 150 m2; maintenant, son volume peut atteindre les 1000 m2», souligne Vincent Grégoire. »49 La notion de crédibilité est a souligner ici. Au-dela de l'association d'égo, de « star », l'un comme l'autre, 49 SCHÖNENBERG Géraldine, « L'architecture, dernier bastion conquis par le luxe », letemps.ch, 4 juin 2013, Interview de Vincent Grégoire.

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l'univers du luxe et celui de l'architecture s'échange leurs signature pour assoir leur crédibilité.

C'est encore une fois d'autant plus vrai chez Louis Vuitton qui affirme ses partenariats de maniere récurrente avec de célebres architectes : Jun Aoki a Tokyo, Shigeru Ban a Osaka, Peter Marino a Shanghai, Zaha Hadid pour Macao, Christophe de Portzamparc pour NewYork, Kengo Kuma a Tokyo Omotesando, Frank O. Gehry a Paris … Karine Ripari, architecte spécialiste du retail de luxe chez Burberry, souligne le caractere précurseur de la Maison de Couture Louis Vuitton dans sa collaboration avec de grands architectes. « La maison Louis Vuitton a su très tôt faire appel aux architectes « star » pour réaliser leurs flagships. La marque, qui dispose de budgets «quasiment illimités50» transforme ses boutiques en écrins exceptionnels et sur mesure. La maison a compris que son essence s’était déplacée dans le point de vente et qu’à ce titre, rien n’était trop beau pour le sublimer. De plus, ces édifices souvent de grande envergure - se retrouvent être un bon moyen de s’intégrer à la culture locale et de dialoguer avec elle. Encore une fois, Louis Vuitton fait figure de précurseur en ayant interrogé des architectes locaux pour réinterpréter les codes de la marque à l’image de la culture locale. « Le magasin devient ainsi la place d’une collision fascinante entre création artistique et aspiration politique passée et future, souvenirs personnels et mémoire collective »51. »52

L'exemple le plus indéniable de cette collaboration et qui atteint réellement le statut d'icône par sa surmédiatisation mais aussi son allure unique et irréprochable est la Fondation Louis Vuitton, créée a l’initiative de Bernard Arnault par Frank Gehry. Tres médiatisé, le 50 TETRIACK « Carlson Eric », Louis Vuitton : Art, Mode et Architecture, Edition de Lamartiniere, 2009, page140. 51 CASTETS Simon, « Lin, Michael », Louis Vuitton : Art, Mode et Architecture, Edition de Lamartiniere, 2009, page 266. 52 RIPARI Karine, Art & Luxe : évolution de la place de l'art au sein du monde du luxe / Comment la collaboration avec le monde de l'art est devenue une véritable stratégie des maisons de luxe, sous la direction d'Isabelle Lazarus, Master IDL/UPEM de Marne-la-Vallée, 2016, page 75.

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partenariat de l'architecte et de la maison de couture est largement prôné et encore affiché sur le site de celle-ci. La Fondation Louis Vuitton, située a Paris, soutient la création artistique contemporaine française et internationale et la rend accessible au plus grand nombre. Inaugurée en octobre 2014 elle vient réellement enrichir le patrimoine de Paris mais aussi celui de la maison de couture, d’un monument emblématique de l’architecture du XXIe siecle. Frank Gehry a conçu un bâtiment qui, par sa créativité et son audace, constitue le premier geste artistique de la Fondation Louis Vuitton. « A l’image du monde qui change en permanence, nous voulions concevoir un batiment qui évolue en fonction de l’heure et de la lumière, afin de créer une impression d’éphémère et de changement continuel », explique Frank Gehry.53 Le dessein de Frank Gehry est clairement affirmé : « Concevoir à Paris un vaisseau magnifique qui symbolise la vocation culturelle de la France. »54

Figure 18 // Screen du site internet de la Fondation Louis Vuitton

Avec cette collaboration, sa résultante assoie l'architecture et la marque dans une certaine forme d'immortalité de la culture collective. La Fondation Louis Vuitton s'impose

53 Source : www.fondationlouisvuitton.fr 54 Source : www.fondationlouisvuitton.fr

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littéralement comme une icône architecturale, dans le sens, où elle s'apparente a la définition d'icône donnée précédemment. Il est néanmoins intéressant de souligner le fait que cette icône architecturale de Louis Vuitton, sans doute sa plus grande et prestigieuse icône architecturale soit un musée d'art contemporain et non un point de vente. Cela semble en effet, révélateur de l'ambition de la marque a se positionner en tant que mécene ; tant dans l'art que dans l'architecture. Cette architecture est le vecteur de promotion, de médiatisation, d'exposition d'un pouvoir, d'une capacité économique et s'impose dans les spheres sacrées (les marques de luxe), comme dans la culture populaire.

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Conclusion de la partie 1

Après avoir posé les bases des notions d'icônes et celles gravitant autour, ainsi que la mise en exergue des différentes collaborations entre les deux sphères que sont celle du luxe et celle de l'architecture, le concept d'icône architectural apparaît comme une sacralité de l'objet architectural, de l'ordre de l'exception, de l'exceptionnel, personnification de la marque de luxe. Pourtant controversée, elle née de la collaboration entre la marque de luxe et l'architecte, d'un échange de signature au service de la gloire des deux parties. Mais l'icône architecturale est-elle plus qu'un nom ? Plus qu'un échange de nom ? L'icône architecturale apparaît maintenant comme un outil de promotion et de médiatisation. L'architecture est-elle au-delà de cela, pensée comme une réelle stratégie marketing ? C'est le dessein de toute icône dans le luxe (égérie et produit de luxe compris) ; qu'apporte donc de supplémentaire l'icône architecturale ?

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PENSER L'ARCHITECTURE COMME UN OUTIL STRATÉGIQUE AU SERVICE DE LA MARQUE

objectifs de l'icône

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2.1 Historique du marketing de produit de luxe.

La notion de marketing apparaît comme celle qui assure la liaison dans la relation entre le domaine de l'architecture et celui du luxe. Pensé comme un réel outil dans la stratégie marketing des marques de luxe, l'architecture, et d'autant plus l'icône architecturale, qui incarne véritablement l'image de la marque semble prendre une place majeure dans les stratégies commerciales des marques de luxe. Il est donc primordial ici, afin de comprendre cette stratégie, d'avoir a l'esprit ce qu'est le marketing et quels en sont ces concepts.

Théodore Levitt défini le marketing comme « L'état d’esprit qui, dans une entreprise, accorde la primauté aux clients et à leurs attentes. Le marketing est une fonction de l’entreprise, mais c’est surtout une conception tout à fait particulière de l'activité commerciale, selon laquelle, les entreprises sont des institutions conçues pour attirer une clientèle et la conserver. »55 « Le marketing est la conquête méthodique et permanente d’un marché rentable, réalisée par un produit ou un service capable de satisfaire durablement les consommateurs visés. »56 Le marketing est donc ici défini comme concept, comme conception, et comme l'ensemble des actions ayant pour objectif de prévoir ou de constater, et le cas échéant, de stimuler, susciter ou renouveler les besoins du consommateur, en catégorie de produits et/ou de services. La notion récurrente qui semble définir le concept de marketing est celle de méthodologie. Tres cartésienne et rationnelle, la notion de marketing apparaît comme une 55 LEVITT Theodore, L’Esprit marketing, Les Éditions d'Organisation, 1972, pages 255-256. 56 VERNETTE Éric, L’Essentiel du marketing, Eyrolles, 3e édition, 2008, page 11.

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recette préétablie. Cette notion de méthodologie est d'ailleurs appuyée par deux spécialistes du marketing et du marketing de produit de luxe ; Philippe Villemus, et Michel Chevalier. « Le marketing est une méthodologie qui cherche à déterminer les offres de biens et services en fonction des attitudes des consommateurs et à favoriser leur commercialisation. Dans la perspective d’optimiser le profit de l’entreprise, la pratique du marketing consiste à construire son offre compte tenu de la demande, du jeu des autres et des moyens dont on dispose dans un cadre politique choisi »57, « Le marketing est une méthodologie qui coordonne de façon logique des techniques, des outils et des méthodes à des fins stratégiques. Il concerne toutes les organisations dans leur processus d’échange sur les marché. »58

Figure 19 // Champs lexical et notions autour de l'idée de marketing

Le marketing comme processus et comme outil dans la stratégie commerciale des marques de luxe désigne l'analyse des besoins des consommateurs et l'ensemble des moyens d'action utilisés par les organisations pour influencer leur comportement. Le marketing crée de la valeur perçue par les clients et adapte l'offre commerciale de l'entreprise aux désirs des consommateurs. Jusqu'en 2004, le marketing se défini par les 4P, "politique de produit", de 57 VILLEMUS Philippe, Le plan marketing pour les managers , Vuibert, 2009 58 CHEVALIER Michel, DUBOIS Pierre-Louis, Les 100 mots du marketing, Que sais-je ?, Presses universitaires de France, 2009, page 3.

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"prix", de "placement" (distribution) et de "publicité". Depuis 2004, et l'essor des réseaux sociaux, le marketing devient a la fois participatif et social, dans une constante interaction. Entierement tournée vers la satisfaction du client et non plus vers le produit le marketing est des lors une véritable science qui consiste a concevoir l'offre d'un produit en fonction de l'analyse des attentes des consommateurs, et en tenant compte des capacités de l'entreprise ainsi que de toutes les contraintes contextuelles (socio-démographique, concurrentiel, légal, culturel...) dans lequel elle évolue.

La notion de marketing tiens son étymologie de l'anglais « marketing », dérivé du verbe « to market » faire son marché, acheter et vendre, lui-même venant du français « marché ». Le terme français recommandé, mais peu usité en entreprise, pour « maketing » est "mercatique". « Mercatique » a la même origine que le mot "marché" qui vient de l'italien « mercante », signifiant « marchand ».59 Pierre Volle, professeur en management explique que « Si le mot est apparu en 1962, la théorie date des années 1950, et on observe des pratiques qui en relèvent dès le début du XXème siècle. »60 Les origines de la notion de marketing restent donc relativement flouent. Supposément, née aux Etats-Unis vers 1950, cette « ere du marketing » aurait succédé a l'ere de la vente (1930-1950), elle-même précédée par l'ere de la production (1870-1930).

Il est toutefois a avoir a l'esprit que le marketing a mauvaise réputation. Une partie de l'opinion dénonce la création de nouveaux besoins et la manipulation des consommateurs via les techniques de marketing. « Le marketing est perçu comme un ensemble d'outils répondant 59 Définition de l'Encyclopédie Universalis, 2012. 60 MÉOT Véronique, « Pierre Volle, la véritable histoire du marketing », www.emarketing.fr, 28 novembre 2012.

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aux besoins des clients, mais cette croyance est fausse! Jamais les ménages n'auraient acheté d'automobiles ou consommé de soupe en boîte si des efforts colossaux n'avaient pas été fournis pour développer ces marchés. Le marketing joue un rôle essentiel pour soutenir la croissance économique en créant des marchés. Aujourd'hui, les professionnels du brandcontent aiment à raconter la façon dont Michelin a transformé la vie des gens en éditant ses guides, dès 901, pour les inciter à découvrir les joies du tourisme. Imaginez les efforts considérables réalisés pour transformer en profondeur les pratiques des Français et développer l'usage de l'automobile. Les marketeurs de l'époque n'ont pas répondu à une demande: ils ont construit le marché (avec d'autres, naturellement, comme les ingénieurs, qui ont imaginé les véhicules, ou les hommes politiques, qui ont construit les routes). »61 Pleinement conscient de l'aspect purement et simplement mercantile du marketing, Pierre Volle insiste cependant sur son ancrage dans notre société actuelle, dans un positionnement de non-retour possible. Cela est d'autant plus vrai aujourd'hui a l'heure de la digitalisation. « Le monde a changé au cours des 30 dernières années et le marketing en témoigne. Au-delà d'Internet, les modifications profondes viennent de la mobilité. La mobilité permet de faire du marketing autrement: le fait de disposer en tout lieu d'une information, et pas seulement via le point de vente ou les médias de masse, change radicalement les pratiques d'information et de consommation. Le consommateur peut comparer les prix sur son smartphone et quitter un magasin pour un autre en fonction des résultats. Les technologies permettent aux marques d'être encore plus ancrées dans la société. Avec le smartphone, le marketing s'inscrit plus résolument que jamais dans le quotidien des gens. »62

61 MÉOT Véronique, « Pierre Volle, la véritable histoire du marketing », www.emarketing.fr, 28 novembre 2012. 62 MÉOT Véronique, « Pierre Volle, la véritable histoire du marketing », www.emarketing.fr, 28 novembre 2012.

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Le marketing semble donc être un élément universel, ancré dans notre culture, et affectant tout objet de consommation de masse. La notion de luxe, qui est quant a elle opposée a la notion de masse, mais prône d'avantage l'unicité et la rareté, ne devrait pas, par définition être soumise au marketing. Peut-on alors réellement parler de « marketing du luxe » ? Au dela de la définition pure du marketing, qui consiste a créer des marchés pour ensuite y répondre, le marketing de luxe semble aller plus loin. Christian Blanckaert en donne une définition : « Le marketing du luxe et du produit de luxe est un marketing complexe et subtil qui allie une prise en compte de l’humeur, du temps, une bonne compréhension des mœurs, des tendances et des habitudes des clients, et en même temps une capacité à devancer tous ces mouvements pour anticiper sur les gouts et les aspirations, afin de donner naissance à des produits en avance sur leur temps, mais justes. »63 Le marketing du produit de luxe apparaît donc comme une branche plus subtile du marketing classique. Un marketing, qui, parce qu'il est extrêmement ciblé, tend a développer ses parametres de maniere tres précise et exacte. Le luxe étant par définition la personnalisation dans le sens personnel et unique, un nouveau concept apparaît : le concept de one to one. Ce concept n'est pas nouveau en soi. Auparavant, le contact entre le producteur et son client était direct. Mais avec la consommation de masse, la « massification » des marchés et leur extension, les entreprises ont progressivement perdu leur lien avec les consommateurs, devenus des anonymes, focalisées sur le développement de la consommation, et non pas sur les clients en tant qu'individus. Aujourd'hui, les marques et notamment les marques de luxe cherchent a garder le client derriere la figure anonyme du consommateur. L'univers du luxe distingue ainsi son

63 BLANCKAERT Christian, Les 100 mots du Luxe, Paris, P.U.F. « Que sais-je ? » 2010, page 88-89.

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marketing de celui des marques de masse en gardant cette idée que le client est un individu spécial et unique. Le marketing représente le choix et pour l'univers du luxe il reste tout de même l'arme de la concurrence et de la croissance. « Je ne pense pas que l'heure de la décroissance ait sonné. Au contraire, il me semble que chacun aspire à la croissance. Mais une croissance différente, plus qualitative, respectueuse de nouvelles exigences, notamment éthiques.» développe Pierre Volle. 64 Le marketing reste donc dans l'univers du luxe aussi, et au-dela de la fidélisation du client, un outil classique de développement et de croissance économique face a la concurrence des Maisons de luxe entre elles. Le marketing du luxe est donc a double tranchant et mêle ainsi l’art et l’intuition, la subjectivité et la complexité de ses facteurs, mais aussi le visionnaire d'une gestion ordonnée et mathématique de la science économique.

Exemple d’un des premiers marketing dans le luxe // Chanel n°5 65 : Le parfum Chanel n°5 est l’illustration de l’une des premières stratégies marketing du luxe, qui perdure encore aujourd’hui. Son invention, son lancement, son ascension sont exemplaires par leurs stratégies markéting, d'autant plus qu'il s'agit ici d'un réel produit icônique de la Maison de Couture. > Un produit d’exception : ce qui fait la force de ce parfum, c’est le parfumeur star Ernest Beaux: aujourd’hui considéré comme classique, le parfum essentiellement caractérisé par son sillage de patchouli et la présence d’aldéhydes est simple et révolutionnaire en 1921.

64 MÉOT Véronique, « Pierre Volle, la véritable histoire du marketing », www.emarketing.fr, 28 novembre 2012. 65 Source : PRZYBYLA Kim, Les stratégies Marketing du Luxe : le Kelly d'Hermès : du sac à main à l'icône du luxe, sous la direction de Jean-Marc Decaudin, IEP de Toulouse, 2014, page 52.

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> Son nom : selon la légende, Coco Chanel aurait choisi de nommer le parfum «n°5» car il était le 5ème échantillon présenté par le parfumeur. Cette dénomination courte et numérique choque à l’époque où les parfums possèdent des noms longs et métaphoriques. La notion de légende reste importante, dans la création d'une icône. > Un packaging soigné : le flacon est volontairement ultra épuré afin de mettre en valeur la composition simple du parfum. > Une distribution ultra-sélective : pendant des années, le parfum n’a été vendu que dans le Flagship store du 31 rue Cambon, à Paris. > Une communication très confidentielle : au départ basée sur le bouche à oreille et la rumeur, c’est en réalité un des premiers buzz. > Le choix d'égéries : la légende de Marilyn Monroe qui ne porte pour dormir « qu’une goutte de Chanel n°5. » Aujourd’hui Chanel n°5 est un succès planétaire et fait l’objet de millions d’euros de dépenses de la part de la maison Chanel en marketing : réalisateurs prestigieux, égéries glamour (Audrey Tautou, Nicole Kidman, Brad Pitt), campagnes d’affichage extensives, etc. Le parfum est bien loin de la communication confidentielle qui l’a fait connaître mais est plus apprécié et porté que jamais.

Figure 20 // Campagnes publicitaires pour le produit Chanel n°5 -59-


Il est important dans l'élaboration de cet écrit, d'avoir a l'esprit des notions fondamentales du marketing de produit de luxe, afin de comprendre comment l'architecture et notamment l'icône architecturale y prend place. Le marketing du luxe est un monde a part au sein du marketing. Toutes les théories classiques du marketing conventionnel sur la fixation du prix, le positionnement, et le ciblage comportemental ne sont pas forcément valables dans le secteur du luxe. En effet, les marques de luxe jouent non seulement sur la qualité du produit mais aussi sur l'image que celui-ci représente, sur la rareté et la satisfaction apportée par l'achat de ce dernier. Les consommateurs des pays émergents, notamment les chinois, amplifient ce phénomene et tendent a élever de plus en plus le marché du Luxe. « Ces clients du luxe accordent pour le moment moins d'attention à la qualité même des produits qu'à ce qu'ils représentent pour la société. A titre d'exemple, le groupe LVMH réalise 15% de son chiffre d'affaires en Chine ! »66 Michel Gutsatz constate l'évolution récente du domaine du luxe. « Durant ces dernières années, le luxe s'est largement démocratisé, du moins c'est ce que l'on peut penser, en s'appuyant sur les produits de luxe tels que les parfums et les eaux de toilettes, qui sont devenus des produits consommés par le plus grand nombre ou achetés occasionnellement alors qu'auparavant ces produits étaient destinés à une clientèle élitiste. Devant cette démocratisation on peut penser que le luxe se banalise et perd de son prestige, mais tout est fait pour le conserver et force est de constater que cela fonctionne. Le secteur du luxe en France est en croissance constante et résiste bien à la crise. »67

« Le produit, dans le marketing classique le produit est créé pour répondre à un 66 Source : article « Le marketing du luxe », www.marketing-étudiant.fr, 2015 67 Citation extraite de Luxe & Retail : Le point de vente, lieu d'excellence, CHEVALIER Michel, GUTSTATZ Michel, ed. Dunod, 2013, page 137.

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besoin détecté auprès d'une cible. Dans le monde du luxe le produit n'est pas créé pour répondre à un besoin, il crée lui même le besoin et est fait pour faire rêver les acheteurs. Le prix, dans le marketing classique, est fixé en fonction de la demande, du prix de revient et du prix psychologique, mais pour le domaine du luxe, le prix n'est relié à rien si ce n'est le cout. Le prix est souvent déconnecté de la valeur réelle et correspond plutôt à la valeur perçue (la cote) par le client. Le prix du luxe inclut une notion de privilège car peu de gens pourront se l'offrir. La distribution dans le marketing classique résulte d'une stratégie de couverture avec un maximum de points de vente possibles. A l'inverse, pour le luxe, avoir un produit qui est trop visible est nuisible à son image ! Cela enlève cette notion de rareté. Pour garder la rareté, le luxe utilise donc un réseau de distribution spécifique et propre à la marque. Ainsi Louis Vuitton ou bien d'autres marques disposent de magasins propres pour distribuer leurs produits et sont éloignées de la grande distribution. Ils utilisent également des réseaux spécifiques comme le Printemps et les Galeries Lafayette qui sont des Grands magasins et disposent d'une image haut de gamme. Enfin pour la communication, la où le marketing classique préconise une mise en avant du produit, le marketing du luxe lui préconise l'utilisation dans certains cas d'égéries pour permettre aux clients et prospects de s'identifier à une star. »68 On constate donc que dans l'univers du luxe le produit n'est pas mis en avant pour ses fonctions mais pour sa valeur symbolique et ce qu’il représente dans l'esprit des gens. Il est même possible de dire que lorsque la consommation de masse met en avant le produit, la marque de luxe mise d'avantage sur une image, des valeurs, des symboles, une icône. Ainsi, au marketing « classique », le marketing de produit de luxe y ajoute des notions phares que sont l'exclusivité, la rareté, et le rêve.

68 Source : article « Le marketing du luxe », www.marketing-étudiant.fr

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Figure 21 // Confrontation du dessein entre le marketing « classique » et le marketing de produit de luxe.

L'architecture semble apparaître des lors comme l'outil manquant a la palette marketing des marques de luxe. En effet, l'architecture n'est pas une évidence dans les stratégies marketing vu précédemment ; pourtant, elle, et particulierement l'icône architecturale, sont de réels poste de développement de stratégies marketing. Cependant, ces stratégies architecturales, dîtes « flagship » sont tres récente. Mon échange avec Karine Ripari, Architecte spécialiste du retail de luxe chez Burberry a permis de mettre en exergue le fait qu'en 2006 ont commencés a se développer les ventes en ligne sur internet. D'abord dédié aux prix cassés, permettant d'écoulé les stocks des grandes marques, ce n'est réellement qu'en 2010 que les boutiques virtuelles prennent part sur les sites officiels des marques de luxe. Ce nouveau marché a concentré la plus part des stratégies marketing afin d'atteindre une certaine exigence de l'expérience transmise au client. Pour toutefois continuer a faire des boutiques « physiques » le point focal de la clientele, l'exigence des marques s'est vue être de plus en plus croissante. C'est a ce moment précis que l'architecture, les collaborations avec des grands architectes, et les Flagship sont apparus dans l'univers du luxe. C'est a ce moment précis, et

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somme toute tres récent, que l'architecture rentre comme stratégie marketing des marques de luxe, et que l'icône architecturale va être utilisée. 69

Figure 22 // Insertion de l'architecture dans la stratégie marketing des marques de luxe

« Les marques de luxe se sont réinventées le jour où elles ont décidé qu'elles devaient vendre non seulement à des distributeurs, mais aussi directement dans leurs propres boutiques. Ceci à conduit à développer de nouvelles compétences, dont celle de l'architecture. »70 Longtemps distribués dans des corners chez des distributeurs tel que Sephora, ou encore les Galeries Lafayettes, les marques de luxe tendent ainsi, par le biais de l'architecture et d'autant plus si celle-ci est iconique, vers de plus en plus d'indépendance. « Si vous contrôlez votre distribution, vous contrôlez votre image »71 témoigne Bernard Arnaud, président directeur général de LVMH. C'est notamment le cas chez la marque Chanel, qui même si elle gere déja de maniere autonome sa distribution haute-couture, expérimente d'hors et déja a Paris une nouvelle boutique Chanel dédiée a la beauté et aux cosmétiques. Cette boutique-prototype est un test qui tend vers une certaine autonomie de la marque qui n'aura plus besoin de distributeurs comme Sephora. L'architecture apparaît donc comme un véritable enjeu pour les marques de luxe : il s'agit de s'assurer que leur vision est bien mise en œuvre partout et de maniere cohérente, d'où cette insertion nouvelle de l'architecture dans les

69 Entretien avec Karine Ripari, 24 mars 2016, ENSA Montpellier 70 Citation extraite de Luxe & Retail : Le point de vente, lieu d'excellence, CHEVALIER Michel, GUTSTATZ Michel, ed. Dunod, 2013, page 139. 71 Citation extraite de Luxe & Retail : Le point de vente, lieu d'excellence, CHEVALIER Michel, GUTSTATZ Michel, ed. Dunod, 2013, page 25.

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stratégie marketing. La vision de la marque passe par les évenements (défilés), les produits eux-même, les campagnes de pubs, les codes et iconographies de la marque (couleurs, logo) et maintenant, par son architecture : c'est une réelle visibilité urbaine et au-dela du luxe, une visibilité inter-disciplinaire.

Figure 23 // Boutique Chanel Beauty – Quartier du Marais – Paris - 2016

« Quand Gucci a racheté Yves Saint Laurent en 2000, la toute première chose qui a été faite a été de développer le réseau de magasins, et de revoir le design du format standard des boutiques. Le prototype du nouveau magasin YSL, dessiné par Tom Ford et l'architecte William Sofield a ouvert successivement au Bellagio de Las Vegas, sur Madison Avenue à New York … Le nombre de magasin qui était de 15 au rachat de la marque, est passé à 30 un an plus tard, et 40, l'année suivante. En 2010, Yves Saint Laurent avait 78 magasins dans le monde. »72 C'est réellement depuis les années 2000 que l'architecture effleure les stratégies marketing de la marque, mais c'est réellement a partir de 2010 que l'icône architecturale s'affirme comme une stratégie marketing a part entiere. Pour Karine Ripari, « Cette période représente selon Christian Blanckaert une véritable « fissure » dans l’histoire du luxe. Elle signe alors la fin de la petite entreprise de luxe et donne naissance aux premiers empires du 72 Citation extraite de Luxe & Retail : Le point de vente, lieu d'excellence, CHEVALIER Michel, GUTSTATZ Michel, ed. Dunod, 2013, page 140.

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luxe, dont LVMH est l'exemple le plus probant. »73

L'architecture ne peux donc pas se présenter comme l'élément manquant des stratégies marketing des grandes marques de luxe, mais comme un élément nouveau, qui a commencé a se développer des le début de ce siecle mais ne s'est totalement affirmé que ces sept dernieres années en pariant sur un concept fort, celui de l'icône architecturale. L'architecture rentre pleinement dans le domaine du luxe, comme un outil, une carte a abattre face a la concurrence. C'est en tout cas ce qu'affirme Vincent Grégoire : « La concurrence entre les grandes maisons passe désormais par l’édification de batiments-écrins qui deviennent outils de communication. Pour développer leur identité de manière cohérente, du présentoir à la boutique, les maisons font maintenant appel à de nouvelles entités: les «brand-architects», qui feront de leurs espaces des icônes internationales. »74

73 RIPARI Karine, Art & Luxe : évolution de la place de l'art au sein du monde du luxe / Comment la collaboration avec le monde de l'art est devenue une véritable stratégie des maisons de luxe, sous la direction d'Isabelle Lazarus, Master IDL/UPEM de Marne-la-Vallée, 2016, page 32. 74 SCHÖNENBERG Géraldine, « L'architecture, dernier bastion conquis par le luxe », letemps.ch, 4 juin 2013, Interview de Vincent Grégoire.

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2.2 Créer un nouvel outil de marketing, de communication et de culte.

Si l'objet-icône de luxe, l'égérie, et l'art (l'artketing) sont des outils marketing acquis depuis plusieurs décennies, l'architecture tient sa place en temps que stratégie markéting seulement que tres récemment. L'architecture, exercice primitif de l'homme, qui ne servait au siecle dernier qu'a être le support des collections d'objets de luxe, semble donc aujourd'hui se présenter comme un outil au service du rayonnement de la marque de luxe et a la fidélisation de sa clientele.

Tous d'abord il est a noter l'importance de l'architecture et notamment de l'icône architecturale, comme un moyen d'expression du pouvoir économique de la marque de luxe. En effet, l'architecture pour la marque de luxe de cette derniere décennie, que ce soit dans le retail ou au travers de fondations, avec sa course a la superbe et au gigantisme, vise avant tout a affirmer la puissance économique de la dite-marque, face a une concurrence de plus en plus exacerbée. En 2013 par exemple, Louis Vuitton déploie seize nouveaux Flagships dans le monde. Les nouvelles ouvertures signalent les zones de croissance économiques les plus fortes ou a potentiel élevé ; et tendent a placer Louis Vuitton comme leader économique par sa capacité de faire émerger rapidement dans des lieux-clés ses nouveaux Flagships ; et a perpétuellement se placer la où il faut être. Et pour ces boutiques amirales rien n'est trop beau : architectes de renom, œuvre d'arts, prouesses architecturales, technologies de pointes, services sophistiqués... L'idée est de donner plus d'interaction a l'image de marque, afin de se montrer plus concurrentiel et encore une fois d'affirmer le pouvoir (économique) de la marque. -66-


Jean-Baptiste Voisin, directeur stratégie de la marque Louis Vuitton, et directeur de la stratégie du groupe LVMH depuis 2006 s'exprime d'ailleurs sur ce sujet : « Plusieurs décennies auparavant, chaque entreprise dite « de luxe » possédait un quasi-monopole sur son domaine respectif : Louis Vuitton était un mallier, Hermès un maroquinier-sellier, Dior une maison de couture... De nos jours, les univers se mélangent : Vuitton fait du prêt-àporter, Hermès habille les hommes sur-mesure et Dior est leader dans l'univers du parfum. La diversification et la concurrence compliquent encore à définir le luxe et à déclencher la pulsion d'achat. De plus, la multiplication de lignes annexes, sous une même marque, entraine parfois la disparition du positionnement luxe. Certaines entreprises, par cette vulgarisation de leur nom dans les produits les plus divers, s'y sont perdues, à l'image d'un Pierre Cardin vendant des stylos ou de la marque Yves Saint-Laurent sur des cigarettes : côtoyer le commerce de masse en descendant de gamme revient à quitter le luxe. Les enseignes doivent à la fois surfer sur cette folle croissance tout en conservant le même niveau de qualité. La cohérence de l'ensemble de ces offres diverses, si elles souhaitent être perçues comme appartenant au luxe, s'impose donc en premier lieu par une exigence forte de cette qualité. » 75

Il apparaît des lors que l'architecture peut se poser comme une réponse, un outil concurrentiel pour les marques de luxe, permettant de rivaliser et de se démarquer, face a une certaine uniformisation des maison de luxe. Cette uniformisation est née de la volonté de démocratiser le luxe par la diversification de ses produits. Quand Yves Saint-Laurent ouvre sa premiere boutique de prêt-a-porter76 en se diversifiant de la haute-couture, l'idée est de 75 Citation extraite de Luxe & Retail : Le point de vente, lieu d'excellence, citation de Jean-Baptiste Voisin, CHEVALIER Michel, GUTSTATZ Michel, ed. Dunod, 2013. 76 Yves Saint-Laurent est le premier a établir une diversification. Il ouvra « Yves Saint-Laurent Rive Gauche » en 1966.

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démocratiser la marque en la rendant accessible a plus de personnes, sans bien-entendu que ce soit a toute les personnes, sans quoi la marque perd de son éclat et son luxe n'étant plus légitime. Face a ce marché concurrentiel de plus en plus resserré, l'architecture, notamment l'icône architecturale permet la différenciation de son voisin, et l'affirmation du pouvoir. Plus le Flagship est haut, grand, richement orné, plus il montre la capacité financiere de la marque a s'offrir un tel bijou. C'est donc aussi un élément de communication, destiné a passer le message de toute-puissance.

Figure 24 // Enjeux et objectifs de l'architecture pour les marques de luxe

Selon Géraldine Schönenberg, « L’architecture est donc devenue un outil de communication en même temps qu’une affirmation de puissance. Ce que le recours aux grands architectes du moment tend à démontrer, c’est qu’une marque a une « culture » et n’est pas seulement guidée par le mercantilisme. Pour une maison comme Hermès, par exemple, l’important est de rester fidèle aux codes qui la caractérisent depuis toujours. Ainsi que l’explique Denis Montel, concepteur des boutiques Hermès, dont celle de la rue du Rhône à Genève, « toutes les enseignes de luxe cherchent à être visibles de façon plus ou moins agressive (les lumières ou la taille de l’enseigne, par exemple). Avec Hermès, nous nous inscrivons dans l’environnement urbain de manière naturelle, avec une discrétion

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relative.» »77

Ce que souleve ici la journaliste est important. Dans le fait de penser l'architecture comme outil de communication, les marques vont au-dela d'une simple affirmation de puissance (même si cela en fait partie intégrante). En effet, la marque de luxe « utilise » l'architecture comme outil de communication, comme une interface entre elle-même, et sa clientele, fidele ou potentielle. L'architecture est l'objet que communique l'univers de la marque, la culture de la marque a la personne lambda. La notion de culture et a fortiori de culte est primordiale a avoir a l'esprit. Nous y reviendrons plus tard. L'icône architecturale se présente donc comme un outil essentiel pour la marque de luxe, par sa capacité a elle-seule, répondre a plusieurs stratégies de marketing de luxe. Olivier Saguez, architecte, fondateur de l'agence Saguez & Partners, intérrogé par Hafida Derouiche résume parfaitement cela : « Les raisons stratégiques qui amènent une marque à développer son Flagship tournent autour de quelques choix clés : modifier son image de marque, améliorer la notoriété de sa marque, faire vivre une nouvelle expérience à ses clients, conquérir de nouveaux clients, saisir une opportunité immobilière. »78

Des lors, puisque l'architecture sert a la marque de luxe a montrer sa puissance, a communiquer, il peut être intéressant de se demander si cette architecture iconique des marques de luxe est ou non une nouvelle forme de l'architecture totalitaire de propagande. Si le terme peut paraître abusif, nous n'en somme tout de même pas tres éloigné.

77 SCHÖNENBERG Géraldine, « L'architecture, dernier bastion conquis par le luxe », letemps.ch, 4 juin 2013, Interview de Vincent Grégoire. 78 DEROUICHE Hafida, « Le Flagship store, nouvelle stratégie des marques », Marketing-Professionnel.fr, 19 novembre 2009, Interview de Olivier Saguez.

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L'architecture totalitaire désigne en soi l'architecture iconique des régimes totalitaires. Ce concept repose sur le constat de l'importance donnée a l'architecture dans ces régimes. La propagande architecturale est l'utilisation de l'architecture, intentionnellement ou non, pour communiquer une attitude ou une idée d'une maniere convaincante. L'utilisation de l'architecture a des fins de propagande afin d'influencer les attitudes, les opinions et les sentiments du public cible peut être trouvée dans de nombreuses cultures a travers l'histoire. « La dimension psychologique de l'architecture et de la propagande signifie que même lorsqu'un groupe ou un gouvernement n'a pas l'intention directe d'utiliser l'architecture à des fins de propagande, la nature de l'architecture qui procède de l'esprit humain exprimera quelque chose au sujet du concepteur et de sa culture. L'architecture elle-même devient une expression des opinions plus vastes d'un groupe culturel ou social qui peut ensuite être impressionné sur les autres. En vertu de l'observation d'une œuvre architecturale, un individu peut venir à comprendre quelque chose sur le constructeur d'origine et de sa culture. Ainsi, même sans intention préalable, l'architecture a, par sa nature même, une valeur de propagande intégrée. »79

Ici, l'aspect expressif de l'architecture et toute sa dimension psychologique dont fait état l'auteur, n'est pas sans rappeler les techniques et objectifs du marketing. Le parallele peut être fait entre architecture totalitaire de propagande et architecture des marques de luxe dans le sens où, même si leurs objectifs divergent puisque l'un est mercantile quand l'autre être politique, ces deux domaines passent par l'objet de l'icône architectural, l'architecture emblématique et travaillent a l'influence de cette architecture sur celui qui la ressent. Karine Ripari, architecte spécialiste du retail de luxe chez Burberry me fait état de cela dans nos entretiens a propos notamment de la Fondation Louis Vuitton. « La Fondation Louis Vuitton 79 ANONYME, Académie de Poitiers, L'art de la Propagande, 21 juillet 2010.

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est une entité iconique car c'est une démonstration de force, de pouvoir. Cette architecture est forcément luxueuse, relève forcément de l'excellence, fait forcément appel au meilleur architecte. Elle peut s'apparenter a une architecture totalitaire ou de dictature, à l'instar de Versailles qui était un formidable outil de démonstration de pouvoir, faisant appels aux meilleurs architectes et jardiniers de l'époque. (...) La Fondation Louis Vuitton est une démonstration de force, servant à s'implanter en tant que puissance, montrer la légitimité de la marque, s'imposer dans le paysage urbain, et écraser la concurrence : il y a peu de marques autant légitime et avec des capacités de financement quasi-illimités. La marque s'élève ainsi au rang de repère dans la ville »80

Il est donc a noter que l'icône architecturale de la marque de luxe apparaît des lors comme une architecture expressive et même agressive. Quant il est souligné l'aspect de « démonstration de force »81, l'icône architecturale semble s'imposer séverement dans l'optique d'écraser réellement sa concurrence. Donc si le rapprochement entre cette architecture-ci et l'architecture totalitaire de propagande peut sembler excessive, il en reste néanmoins un même rapport de force qu'il était nécéssaire de souligner.

La notion de propagande peut aussi plus simplement faire écho au caractere publicitaire, mercantile de ces icônes architecturales. Tout d'abord, comme outil de communication dont nous faisions état précédemment, l'architecture s'impose comme un outil de diffusion de la marque. En effet, en créant des Flagship rivalisant de prouesses et de styles, les marques de luxe s'offrent un rayonnement dépassant les limites du monde du luxe. Tres médiatisée, et régulierement publiée dans tout les magasines d'architecture, la marque de luxe atteint une pluralité de domaine d'emprise, et donc une pluralité de cible touchée. 80 Entretien avec Karine Ripari 14 novembre 2016, Mairie de Montpellier. 81 Extrait de l'entretien avec Karine Ripari 14 novembre 2016, Mairie de Montpellier mentionné ci-haut.

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L'architecture se présente comme la publicité-même de la marque de luxe et engendre une réelle prolifération de l'emprise de cette marque dans la culture.

La notion de publicité par l'architecture-icône pour la marque de luxe rentre dans une logique d'évolution des modes de communication et des supports publicitaire. Le constat est simple. Si l'affichage classique et toujours la depuis la début, une évolution s'est faite vers le spot télévisuel, puis la saga, née en 2012 avec « L'odyssée de Cartier », et « L'initiation au voyage » de Louis Vuitton. Aujourd'hui a l'aune du numérique, les réseaux sociaux se développent avec par exemple la web série « Inside Chanel » depuis 2014. L'engouement récent du grand public pour l'architecture et la sensibilisation et diffusion architecturale de plus en plus grande, ont permis aussi de faire de l'architecture un nouveau médium de communication. Cette évolution a vu se profiler en parallele un glissement des égéries des grandes marques de luxe ; du mannequin a l'acteur hollywoodien, vers la bloggeuse (comme Kristina Bazan par exemple) et l'architecte. L'architecture est devenu la nouvelle stratégie de communication et de diffusion de la marque et de ses valeurs. La marque de luxe a su s'adapter, voire même être précurseur dans l'exploitation des nouveaux supports médiatiques contemporains.

Figure 25 // Extrait de la saga « L'initiation au voyage » de Louis Vuitton - 2013 -72-


Karine Ripari affirme cela en expliquant que « face à la digitalisation actuelle, l'architecture devient le porte-étendard de la marque, de son image, de sa publicité. En 2006, la digitalisation commence, mais reste uniquement le moyen pour les marques de luxe d'écouler leurs stocks à prix cassé. C'est en 2010 seulement que débutent les boutiques en lignes sur les sites officiels des marques. L'exigence de l'expérience internet mise en œuvre est telle, que l'expérience se doit d'être encore plus exigeante en boutique. En ajoutant à cela le phénomène d'internationalisation (Louis Vuitton réalise plus de la moitié de ses bénéfices en Asie), l'icône architecturale, le Flagship prestigieux devient la réponse. On vient s'installer chez vous, donc on vous réalise un vrai bijoux. L'art, dont l'architecture, apparaît comme le seul langage universel de promotion de la marque ».

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L'architecture reste donc le seul outil

capable de promouvoir la marque partout dans le monde. Il est donc naturel de faire d'elle son outil de propagande (propagande dans le sens de la publicité, de la diffusion des valeurs de la marques). « Le Flagship est devenu un véritable outil marketing, une démonstration sensorielle puissante qui vient s’imprimer dans l’esprit du consommateur, associant la marque à une expérience positive, nouvelle et innovante, et encourageant sa mémorisation. »83 L'objectif est vraiment pour les marques de luxe, de marquer les esprits et de rentrer dans l'esprit-même du consommateur-fidele.

Cette idée de se servir de l'icône architecturale comme moyen de communiquer une marque, des valeurs, tend a rattacher cela a la définition même du mot icône, attrait a la religion et au culte. Si l'architecture tend a placer la marque comme une religion, l'icône

82 Entretien avec Karine Ripari 14 novembre 2016, Mairie de Montpellier. 83 GOURONNEC Ninon, « Les Flagships, nouveaux empires des marques de luxe ! », ursofrench.fr, 9 octobre 2015

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architecturale pour le luxe est-elle le nouveau temple sacré du XXI eme siecle ?

Plusieurs similitudes peuvent être révélée entre la religion et l'univers du luxe. Tout d'abord, il est a noter que les marques de luxe se placent elle-même dans une dynamique d'iconisation, pour toucher au plus large une cible existante ou potentielle ; cela rentre dans une réelle volonté de démocratisation (que nous développerons plus tard) et de vulgarisation. C'est également a cela que sert l'icône religieuse, vulgarisant les écrits saints en une image universellement compréhensible. L'icône est l'objet saint et précieux (le sac), le culte est l'expérience (l'achat, la visite), le partage des valeurs (l'éthique de la maison), une histoire mise en scene (l'exposition) et une théâtralité architecturale digne des plus prestigieux temples grecs ou cathédrales baroques (le showroom). Le parallele entre la religion et la marque de luxe est simple. L'architecture s'y appose comme le lieu de culte, le lieu saint. Ainsi quand Louis Vuitton propose une série d'icônes architecturales partout dans le monde, il dessine un réseau de lieux de cultes. Un réseau de boutiques que l'on veut voir, admirer, en somme un pelerinage. Karine Ripari appuis cela durant nos échanges : « Les architectures pour le luxe sont déjà des temples : des temples de consommation depuis dix ans dont la religion est le luxe, et de plus en plus, la consommation de masse. »84

Figure 26 // Mise en parallèle de la marque de luxe et de la religion autour de la notion commune d'icône 84 Entretien avec Karine Ripari 14 novembre 2016, Mairie de Montpellier.

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De plus, le luxe est généralement perçu comme un signe de réussite sociale pour 79 % de la population85. Il procure l'envie, semble inaccessible, pose une distance, (malgré une démocratisation croissante) et induit une notion d'appartenance presque sectaire, car la marque de luxe a des valeurs, une philosophie, une pensée. On adhere a la marque et a ses valeurs quand on en devient client.

Il est somme toute difficile de trouver des écrits relevant de cette filiation cultuelle que semble avoir emprunté le luxe a la religion. Néanmoins, une notion charniere vient articuler les deux, celle de l'appartenance, et donc de l'expérience. Dans son dernier mémoire, Karine Ripari évoque cette notion d'expérience développée par les boutiques classiques, les sacralisant réellement en temples modernes destinés a impacter son visiteur a la fois consommateur et fidele. « En tentant de rendre l’inaccessible accessible, les maisons ont été dans l’obligation de présenter leur univers. Le client ne recherche plus seulement à acheter un produit d’exception unique au sein de la boutique. Face à ce nouvel enjeu, les boutiques traditionnelles se sont métamorphosées en de véritables temples de marque qui puissent marquer l’imaginaire collectif et devenir un repère dans la ville dans laquelle elles s’implantent. Les magasins du luxe sont transformé en musée. (…) On parle de « temples modernes du luxe ». »86

Cette sacralisation de l'architecture des marques de luxe prend également ses sources dans l'aspect sacré de l'objet de luxe, que Karine Ripari défini comme « un objet d'art sur

85 Sondage de lopinion.fr, le 24 octobre 2016. 86 RIPARI Karine, Art & Luxe : évolution de la place de l'art au sein du monde du luxe / Comment la collaboration avec le monde de l'art est devenue une véritable stratégie des maisons de luxe, sous la direction d'Isabelle Lazarus, Master IDL/UPEM de Marne-la-Vallée, 2016, page 75.

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commande. »87 Ce qu’il faut remarquer, c’est qu’il y a de grandes ressemblances entre un produit de luxe et un produit d’art : l’artisan du luxe est un véritable artisan d’art, dans le sens où il met en pratique son savoir-faire au service d’une maison, en allant bien plus loin et en proposant constamment de nouvelles innovations. L'objet d'art comme celui du luxe est rare, et unique. La marque de luxe, en sacralisant ses objets d'artisanat en pieces d'art tend a faire la même chose avec son écrin, en sacralisant son architecture en une icône sculpturale et signale, abritant ces marchandises / pieces d'art comme un temple abrite les reliques saintes.

C'est notamment ce qu'explique Sidney Toledano, Président Directeur Général de la maison Dior : « Créer l'écrin où seront vendues – une fortune – toutes les collections d'une marque de luxe est d'autant plus fondamental qu'il doit susciter, par un effet de rareté, le désir du futur client. La « sacralisation » de la marchandise est essentielle : les conditions de sa mise en spectacle comptent presque davantage que les objets eux-mêmes. Les objets de luxe doivent susciter du plaisir, une envie, et leur mise en scène dans ces « cathédrales » est orchestrée au millimètre près pour pousser les hédonistes fortunés à sortir leur carte bancaire. »88 La notion "d'expérience" est une similitude toute aussi importante a souligner. Entrer dans une icône architecturale d'une maison de luxe, au même titre qu'entrer dans un lieu saint tend a procurer une expérience similaire. La même expérience de pénétrer dans un espace hors du temps, sorte d'hétérotopie, la même sensation de découvrir un espace exceptionnel, unique, amenant a la contemplations d'oeuvres d'arts (que se soit des reliques, des icônes picturale, ou des objets de luxe sous verre), exacerbé par ce même ressenti d'intimidation de pénétrer un univers sacré, et la même exigence de marquer les esprits et de laisser un souvenir. 87 Entretien avec Karine Ripari 14 novembre 2016, Mairie de Montpellier. 88 VULSER Nicole, Interview de Sidney Toledano, PDG de Dior, « L'architecture est un élément important de la communication des marques de luxe », LeMonde.fr, 12 septembre 2014.

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Si l'icône architecturale pour l'univers du luxe se présente comme une version mercantile de l'icône picturale religieuse, elle n'en est pas moins la version contemporaine de l'édifice saint qui accueil ces icônes. Il est important de souligner que l'icône architecturale s'apparente également a la cathédrale, au temple ; c'est un temple de consommation. Il s'impose aussi comme tel, parce que le secteur du luxe restent tout de même le leader de la consommation. « Le secteur du luxe est le dernier atteint dans les moments de crise, il est le premier qui redémarre parce que la plupart des gens ont envie de dépenser leur argent, c’est inhérent à l’humain » 89

Figure 27 // Mise en parallèle de la boutique de luxe (ici Louis Vuitton) avec les lieux sacrés religieux

L'architecture et notamment l'icône architecturale s'impose dans la stratégie markéting des maisons de luxe comme le nouvel outil permettant a la marque de communiquer aussi bien a sa clientele, qu'a sa concurrence. L'architecture se pose comme le vecteur permettant a 89 LE BAIL S., Le luxe entre « business » et culture, Evolutions, actualités et perspectives d’un modèle français, Ed. France-Empire Monde, 2011, « Crise : le luxe emploie sans rompre et rebondit vers la croissance », page 165, citation de Donald POTARD.

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la marque d'être concurrentielle et d'asseoir une certaine forme de légitimité, mais aussi comme un outil de marketing élevant la marque au rang de religion, en créant un univers et une appartenance, incitant la fidélisation du client. L'architecture pour le secteur du luxe s'affirme comme une architecture de pouvoir et de rayonnement dédié au renforcement du culte et a l'expansion universelle de la marque.

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2.3 L’icône architecturale pour assoir sa légitimité et son prestige: s’offrir un promontoire.

En dépassant le fait que l'icône architecturale est un simple outil de markéting au service de la communication de la marque, il est a voir plus précisément que l'icône architecturale est un moyen pour la marque de se créer ou de renforcer sa légitimité en tant que marque de luxe haut-de-gamme. Depuis toujours l'architecture est, entre autre, un moyen de représenter une image de soi, de son statut, de sa puissance. Pour Michel Gutsatz, « L'architecture est depuis toujours synonyme de représentation sociale. Comme les vêtements que vous portez, les voitures que vous conduisez, l'architecture où vous évoluez est une image sociale intime de vous-même. Le luxe est aussi cette image sociale de vous même. L'architecture des marques de luxe ne déroge donc pas à cette logique, et est l'expression de la stature de la marque. »

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Au-dela de cela, l'architecture semble donc possiblement être le

moyen de faire de la marque de luxe une référence, un piédestal qui ancrera la marque de luxe comme valeur sûre.

L'architecture et notamment plus précisément l'icône architecturale permet a la marque de luxe de créer une image, un référent, qui la définira et l'ancrera mentalement dans l'esprit populaire. L'architecture se veut être la matérialisation, la personnification de la marque. Il s'agit donc tout d'abord de créer une identité. Et plus précisément une identité empirique qui assoie la marque comme un empire en lui-même. « Il est vrai que l'une des taches principales de toute architecture associée à une marque est de créer une identité visuelle empirique. L'architecture de Louis Vuitton répond manifestement à cette exigence, mais elle fait plus 90 Entretien téléphonique avec Michel Gutsatz, 07 décembre 2016.

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encore : elle transcende l'identité de la marque. Tout en se servant de l'architecture pour réaliser ses ambitions commerciales, la marque explore le domaine de la conception formelle. (…) Dans le cadre de sa stratégie d'expansion mondiale, Louis Vuitton a utilisé un certain nombre de batiments autonomes et de global-store, stratégie passablement inhabituelle ».91 En effet, comme l'évoque Mohsen Mostafavi, la notion d'identité est primordiale. Une identité propre a la marque d'une part, généralement historique, mais aussi une identité par l'architecture et sa forme. La notion d'image de référence se dessine donc aussi par l'architecture.

La Maison Louis Vuitton possede déja une identité forte, marquée de codes précis, un ensemble de signes iconiques, au pouvoir d'identification universel. Le monogramme aux initiales LV entrelacées, des formes élémentaires comme le damier, la superposition de cercles, l'étoile a quatre branches ou la fleur quadrilobé, une gamme colorée chaude (doré, marron, beige), des matieres nobles comme le cuir et le laiton... C'est ce même statut d'identifiant universel que l'architecture pour les marques de luxe cherche a avoir ; et ce de prime abord en réinterprétant ceux de la marques elle-même. Mohsen Mostafavi continu : « L'occasion se présentait alors d'exploiter les rapports existants entre le design des produits Louis Vuitton et l'architecture de ses magasins. Les architectes recourent souvent à des analogies avec d'autres champs d'activité pour décrire les caractéristiques d'une tendance stylistique particulière (…) comme par exemple les analogies possibles entre la cuisine japonaise et l'architecture japonaise traditionnelle, qui mettent l'une et l'autre l'accent sur la simplicité et la retenue. (…) L'entreprise a fondé une grande partie de sa démarche sur la construction d'architecture dont l'inspiration repose sur l'appropriation et le remaniement

91 MOSTAFAVI Mohsen, Louis Vuitton, architecture et intérieurs, ed. La Martiniere, 2011, « Louis Vuitton, l'architecture, la mode et la fabrication », page 242.

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visuel de produits et de motifs Louis Vuitton traditionnels. » 92

Figure 28 // Codes identitaires de la marque Louis Vuitton

Toutefois il est a noté, que cette transposition des codes identitaires de la marque en architecture tend a s'inverser : « A la fin des années 90, lorsque la maison Louis Vuitton inaugura sa phase actuelle de projets architecturaux, les références visuelles utilisée pour la conception des extérieurs reposaient en grande partie sur les motifs des articles de voyage de l'entreprise. Il semble maintenant que l'on assiste au processus inverse, au sein duquel un certain nombre de stylistes s'inspirent des textures, motifs et effets visuels produits par les surfaces des nouveaux édifices Louis Vuitton. Une telle réciprocité des influences peut être amenée à jouer un rôle plus décisif encore dans les prochaines décennies, offrant ainsi aux architectes et aux stylistes la possibilité de travailler ensemble à la confection, aux tissus ou encore à la coloration des batiments. On pense ici à des stylistes tels que Issey Miyake, Jil Sanders, et Rei Kawakubo, qui ont déjà fait des incursions significatives dans ce domaine. » 93 Cela permet de mettre en exergue la capacité de l'architecte a s'émanciper des codes identitaires de la marque, mais qu'une réciprocité est toujours de mise afin d'assurer la 92 MOSTAFAVI Mohsen, Louis Vuitton, architecture et intérieurs, ed. La Martiniere, 2011, « Louis Vuitton, l'architecture, la mode et la fabrication », page 242. 93 MOSTAFAVI Mohsen, Louis Vuitton, architecture et intérieurs, ed. La Martiniere, 2011, « Louis Vuitton, l'architecture, la mode et la fabrication », page 245.

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cohérence des deux entités.

Louis Vuitton possede donc des codes et un ADN de marque tres fort. Pour Karine Ripari, il s'agit de la « première marque à avoir eu une stratégie de communication, à créer un univers autour du voyage, à faire des collaborations avec le milieu artistique dont l'architecture. Louis Vuitton assume le fait d'être une marque voyante notamment depuis la direction artistique de Marc Jacobs, et la collaboration avec l'artiste Murakami. »94

Figure 29 // Collaboration entre l'artiste Murakami et la maison Louis Vuitton

L'idée est réellement ici d'offrir un bel objet : une belle architecture comme un beau sac de luxe. L'esthétique est sculpturale, tres formalisée, singuliere et donc identifiable, et tant a élever le produit au rang d'oeuvre d'art, la dynamique d'iconisation, et de boutiques-musées renaît. Pour Alexandre de Sainte Marie ancien directeur marketing du pôle Arts de la table chez Hermes, l'architecture va au-dela de s'imposer comme une esthétique identifiable : « L'architecture en tant que stratégie a pour objet de valoriser l'identité de la marque. Cette stratégie est d'autant plus forte, séduisante pour le client et pérenne, qu'elle saura exalter et sublimer les composantes les plus spécifiques et les plus contributrice à l'unicité de la marque »

95

Il est fait état ici de la capacité unificatrice que peut avoir l'architecture dans ce

94 Entretien avec Karine Ripari 14 novembre 2016, Mairie de Montpellier. 95 DE SAINTE MARIE Alexandre, Luxe & marque : Identité, stratégie, perspectives, ed. Dunod, 2015, page 97.

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domaine précis. C'est-a-dire la capacité de montrer une certaine rigueur et cohérence de la marque, permettant ainsi d'assurer la promotion et le développement de la marque.

Il apparaît ainsi comme nécéssaire aux marques de luxe de proposer leurs architectures afin de contrôler completement leur image. C'est ce que confirme Bernard Arnault PDG de LVMH : « si vous contrôlez votre distribution, vous contrôlez votre image ».96

La question de l'identité est donc incontournable dans l'élaboration d'une icône architecturale, et donc dans la stratégie même de la marque. Jean-Noël Kapferer fait état d'un prisme d'identité nécéssaire a la marque. Ce-dernier présente six dimensions clés de l'identité de la marque, dont trois dimensions concretes et trois dimensions abstraites.

Figure 30 // Prisme d'identité (à gauche), Charnière signifiant / signifié (à droite) Source : Luxe&Marque de A. De Sainte Marie 97

Cela met en avant deux invariable dans l'établissement d'une identité pour la marque ; qui sont l'esthétique, et l'étique. L'identité visuelle est donc a fortiori l'architecture se place dans celle 96 CHEVALIER Michel, GUTSATZ Michel, Luxe & retail : le point de vente, lieu d'excellence, ed. Dunod, 2015, page 25. 97 DE SAINTE MARIE Alexandre, Luxe & marque : Identité, stratégie, perspectives, ed. Dunod, 2015, page 87.

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esthétique. Ce rapport a l'esthétique tres présent, et souvent remis en question, reste le moyen de créer une identité visuelle qui soit directement assimilée a l'image même de la marque. Sans pour autant chercher a créer une esthétique concurrentielle a l'identité de la marque, l'architecte Jun Aoki, interviewé par Mohsen Mostafavi parle d'une esthétique architecturale permettant par complémentarité de mettre en valeur l'identité de la marque. « (L'architecture) c'est un peu comme l'usage des cosmétiques pour les femmes. Je pense que les meilleurs cosmétiques sont ceux qui ne cachent pas le visage d'une femme, mais mettent ses traits en valeur de manière à ce qu'elle soit encore reconnaissable même si son visage est très différent »98. Il souligne ici par cette métaphore le rapport permanent qui doit être fait entre la marque et l'image de la marque.

L'icône architecturale permet donc par son exercice de compléter l'image de la marque, dans une justesse où aucune ne prend le dessus sur l'autre. L'architecture participe activement a qualifier ou requalifier l'image de la marque, et par le travail de l'esthétisme, de créer de nouveaux référents mentaux associés a la marque dans l'esprit collectif. Par ces commandes exceptionnelles (dans le sens de l'exception), la marque de luxe se forge une reconnaissance. « C'est ce caractère distinctif de l'ouvrage qui représente son apport architectural, lui confère son identité et le rend reconnaissable »99 La reconnaissance décrite ici se fait de deux ordres : une reconnaissance visuelle identifiable, et une reconnaissance culturelle (de la profession comme du grand public), a savoir de l'ordre de la légitimation de la marque.

98 MOSTAFAVI Mohsen, Louis Vuitton, architecture et intérieurs, ed. La Martiniere, 2011, « Louis Vuitton, l'architecture, la mode et la fabrication », page 70. 99 MOSTAFAVI Mohsen, Louis Vuitton, architecture et intérieurs, ed. La Martiniere, 2011, « Louis Vuitton, l'architecture, la mode et la fabrication », page 245.

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Au dela de créer une reconnaissance sur le plan de l'identité et de l'image, c'est toujours dans cet élan de légitimité et de prestige que l'icône architecturale viens créer un patrimoine supplémentaire et matériel (puisque principalement immatériel chez les marques de luxe : le savoir-faire) a la marque, une histoire qui soit spatialisée.

Figure 31 // Notion de légitimité de la marque par l'architecture

L'icône comme concept architectural se définit au travers de la notion de Flagship, et est la capacité d'un projet a générer un patrimoine, mais aussi de l'intérêt, et d'être vecteur de développement de son territoire. La notion de Flagship est de deux ordres dans son association a la notion de patrimoine. Le premier ordre est historique dans le sens où le patrimoine est inhérent a l'histoire de la marque et devient patrimonial avec le rayonnement de celle-ci. C'est le cas notamment pour Chanel par exemple avec le 29 & 31 Rue Cambon a Paris, berceau historique de la couturiere, et donc patrimoine légendaire de la marque. Le second ordre est nouveau dans le sens où la marque, déja reconnue envahi de nouveaux territoires pour se créer un patrimoine post-ascension. C'est le cas avec Louis Vuitton par exemple et sont implantation sur les Champs-Elysées en 1998. Il s'agit ici de se créer du nouveau patrimoine, permettant de confirmer la légitimité de la marque.

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Figure 32 // Adresse mythique de la Maison Chanel – 29, 31 rue Cambon, Paris

Cependant la création de nouveau patrimoine n'est pas nécessairement en corrélation avec la création d'une nouvelle architecture. C'est la que l'icône architecturale crée toute la différence. Chez Louis Vuitton par exemple, lorsque la marque s'installe a Tokyo, elle crée une icône architecturale. La marque donne carte blanche a un architecte-star, pour créer une œuvre d'art qui se visite. On ne rentre pas juste dans une boutique pour un achat, on visite non seulement la marque mais de plus en plus l'architecture. Dans ce cas-la s'esquisse une idée de prospérité et de patrimoine. Cependant, quand Louis Vuitton s'installe sur Rodeo Drive a Los Angeles, l'implantation est par contre juste stratégique, elle est tres codifiée et presque standardisée. Cette simplicité crée une architecture mais pas un patrimoine. Los Angeles est uniquement the-place-to-be. Louis Vuitton tend a multiplier ses icônes architecturales de plus en plus au détriment des boutiques standards pour décupler son patrimoine et donc renforcer sa légitimité.

Figure 33 // Comparaison des Retail Louis Vuitton de Tokyo et Los Angeles

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Louis Vuitton possede une histoire déja tres riche, la marque se doit donc d'avoir un témoignage matériel que va avec, et vient appuyer cette richesse. Cela se traduit par un tout aussi riche patrimoine architectural. Des architectures historiques, comme la galerie d’Asnieres, berceau du premier atelier du mallier Louis Vuitton ; ou encore la reprise du bâtiment Arts Deco des Champs-Elysées. À cela s'ajoute un patrimoine contemporain et international d'icônes architecturales, donc le dernier fleuron en date est celui de la Fondation Louis Vuitton.

Figure 34 // Galerie d'Asnières, berceau de la marque Louis Vuitton

Karine Ripari, architecte spécialiste du luxe chez Burberry évoque lors de nos entretiens la nécessité pour la marque de créer du patrimoine. « Chez Louis Vuitton par exemple, la création de patrimoine est nécéssaire comme légitimité de la marque. Avec la Fondation Louis Vuitton, la marque crée un patrimoine qui va même au-delà de la légitimité, mais vers l’institutionnalisation. La marque cherche au travers de cette architecture à devenir un patrimoine national »100 En effet, la marque va jusqu'a définir elle-même sa fondation de « patrimoine contemporain de Paris ».101 La marque cherche par cela a s'ancrer totalement dans la culture nationale et a égaler les plus grandes institutions française. L'architecture de la 100 Entretien avec Karine Ripari 14 novembre 2016, Mairie de Montpellier. 101 Source : www.fondationlouisvuitton.fr

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Fondation Louis Vuitton a donc dépassé ses propres limites de patrimoine de la marque pour devenir patrimoine national, assurant la pérenne légitimité de la marque dans le paysage mondiale.

Figure 35 // Screen du site internet de la Fondation Louis Vuitton « Patrimoine contemporain de Paris »

La notion de patrimoine et donc par-cela d'icône architecturale ne peut être écartée d'une certaine temporalité. Une icône se construit sur plusieurs décennies. La Fondation Louis Vuitton par exemple est pensée depuis 2001, et seulement aboutit depuis 2014. La reconnaissance du statut d'icône est donc un processus long dont les criteres flous semblent ne pas pouvoir être réellement contrôlés. Cela leve notamment quelques questionnements sur lesquels nous reviendrons plus tard. Peut-on réellement produire une icône ?

Si l'icône architecturale apparaît comme le moyen de translater la marque vers une certaine forme de reconnaissance, en participant a lui créer une identité, une image, un patrimoine, est-elle toutefois réellement indispensable pour la marque dans sa quête a la légitimité et au prestige ? -88-


Pour Karine Ripari, l'architecture dans l'univers du luxe est le vecteur majeur qui aujourd'hui est indispensable a la légitimité de la marque, sans condition que sa production d'objet de luxe soit elle-même déja légitimée. « En effet, l'architecture donne une légitimité à la marque. Si on a une boutique Place Vendôme à Paris, alors on est légitime en hautejoaillerie »102 Ainsi, indépendamment du produit, l'architecture a en elle-même la capacité de rendre légitime une maison de couture. Face a la recherche de démocratisation évoquée précédemment dans ce mémoire, la production de produits plus accessible, entraine une perte d'aura, donc la seule solution de regain est aujourd'hui l'art et l'architecture.

Pour Michel Gutsatz, spécialiste en stratégie des marques de luxe, l'architecture et particulierement l'icône architecturale est de plus en plus primordiale dans les stratégies des marques de luxe. « Aujourd'hui la question ne se pose plus vraiment, c'est un fait acquis, ou en tout cas qui devrait l'être pour toutes les marques de luxe. L'architecture est installée dans la stratégie des marques et n'est pas dispensable. Cela reviendrais par exemple à se dispenser des publicités d'affichage. (…) L'architecture est primordiale pour assurer à la marque le contrôle totale de son image, de ce qu'elle est fondamentalement et de ce qu'elle représente. L'icône architecturale est quand à elle toute aussi primordiale car elle est le marqueur du prestige et de la quintessence de la marque de luxe. Elle en confirme sa potentialité à demeurer marque de luxe. »103Il semble donc comme acquis l'importance de l'icône architecturale dans la capacité de la marque de luxe a s'auto-légitimer comme telle.

Le caractere indispensable de l'architecture dans les stratégies markéting des marques de luxe est quelque chose de totalement assumé par les maisons elles-mêmes : « La création 102 Entretien avec Karine Ripari 14 novembre 2016, Mairie de Montpellier. 103 Entretien téléphonique avec Michel Gutsatz, 07 décembre 2016.

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sous sa forme actuelle du département architecture de Louis Vuitton à Paris à la fin des années 90 a été la pierre d'angle, tant de la marque que de la stratégie de l'entreprise. »104 Posée comme solution l'icône architecturale dans l'univers du luxe n'a pas comme objectif premier de gagner de l'argent, mais de communiquer la force et la santé de la marque, dans l'unique but ultime de développer sa notoriété et son image.

104 MOSTAFAVI Mohsen, Louis Vuitton, architecture et intérieurs, ed. La Martiniere, 2011, « Louis Vuitton, l'architecture, la mode et la fabrication », page 243.

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2.4 L’icône, vecteur de développement au-delà même de celui propre à la marque.

La notion d'icône architecturale, et surtout dans l'univers du luxe induit un développement et une expansion de la marque en elle-même. C'est d'ailleurs l'objectif fondamental du recourt a cette architecture précise. Cependant, il peut être naturel de se demander si l'icône architecturale peut être un outil de développement au dela même de celui propre a la marque. En évoquant cela, il s'agit de parler de développement urbain. L'icône architecturale dans l'univers du luxe peut-elle se présenter comme génératrice d'expansion urbaine.

Il est tout d'abord possible, dans un premier temps, en faisant abstraction de sa contextualisation dans l'univers du luxe, de se pencher sur la capacité de l'icône architecturale a être un moteur de revitalisation urbaine. « Le renouvellement recouvre une pluralité de termes en fonction des pays et des stratégies impliquées : renouvellement urbain (France), requalification urbaine (Italie), régénération urbaine (Angleterre), réhabilitation urbaine. Dans tous les cas, il s’agit d’une reconstruction de la ville sur elle-même qui accorde une grande importance à la qualité des espaces. Dans un article paru dans le numéro 97 des Annales de la recherche urbaine, Gilles Novarina et Paola Pucci expliquent ainsi que « le terme de renouvellement renvoie à une reprise en profondeur des tissus urbains existants, et est proche de celui de rénovation. Celui de requalification caractérise une action qui redonne de la qualité et témoigne d’une volonté de ménager le patrimoine bati » 105. 105 JACQUOT Sébastien, Extrait du séminaire de recherche « Politiques culturelles et enjeux urbains », Séance 4 : « Culture et renouvellement urbain » 6 janvier 2009

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En architecture, l'icône, le Flagship est de deux ordres : d'une premiere part le Flagship architectural, qui se présente comme une icône par son « emballage ». En effet l'icône est essentiellement réduite a une façade traitée comme une publicité, déclinaison marketing (notamment chez les marques de luxe). D'une autre part, le Flagship est aussi urbain. Le concept d'icône est donc vecteur de renouveau urbain, de désenclavement et de dynamisation du territoire. L'icône est une stratégie de rénovation urbaine : c'est le cas notamment avec le Musée Guggenheim de Bilbao qui s'impose comme icône dans le paysage architectural de la ville, mais aussi dans l'histoire de l'architecture. Cette icône architecturale a amorcé toute une nouvelle dynamique économique et attractive du territoire. C'est aussi le cas avec le musée Confluence a Lyon, ou encore le Mucem de Marseille ; il s'agit bien souvent de réalisations culturelles. Pour l'architecte et enseignante Clotilde Berrou : « La conception du Mucem, réalisé par Rudy Ricciotti, place en centralité le concept d'icône, afin de réhabiliter les friches portuaires et de conquérir le littoral en relançant l'attrait. Le Mucem s'est imposée en icône efficace qui interagit avec son environnement. On peut le traverser sans entrer dans le musée, il propose une expérience en plus de son programme, il s'ouvre. »106 Le traitement architectural et urbain éleve donc ce projet au rang d'icône, bien plus par exemple que la Villa Méditerranée juste a coté qui, elle, n'offre pas de réelle expérience urbaine. L'icône architecturale s'affirme subséquemment comme telle quand elle est en mesure de proposer une expérience qui outrepasse son intériorité, mais crée une expérience urbaine et donc publique.

106 Echange avec Clotilde Berrou, 29 avril 2016, École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier.

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Figure 36 // Mucem de Marseille – Rudy Ricciotti

L'un des exemples les plus probants d'icône architecturale génératrice de revitalisation urbaine est, comme cité précédemment, le musée Guggenheim de Bilbao, conçu par l'architecte Frank O. Gehry. Le rayonnement de la métropole de Bilbao ne passant plus par l’industrie, l’objectif a été de construire une nouvelle vitrine participant au pouvoir d’attraction de Bilbao. La ville s’est pour cela appuyée sur l’architecture et, plus largement, sur les synergies entre urbanité et culture. Néanmoins, c'est bien l'architecture par son caractere exceptionnel et part le rayonnement médiatique qu'elle a généré qui a permis d'engendrer tout un développement urbain. Le caractere de cette architecture, ajouté a sa capacité de vitalité urbaine, ont fait du projet une icône architecturale.

« La ville de Bilbao impressionne par la rapidité avec laquelle elle a assumé un virage post-industriel associé à une internationalisation de son projet urbain. Onze ans seulement après la fermeture des chantiers navals Euskalduna en 1986 (événement le plus symptomatique d’une crise touchant l’ensemble du système industrialo-portuaire de la Ría), ouvrait, sur cette vaste friche urbaine, le musée de la fondation Guggenheim. »107 La journaliste Amélie Nicolas souligne ici la capacité de l'icône architecturale a totalement 107 NICOLAS Amélie, « Le projet Nantais : une mise a l'épreuve du modele Bilbao », www.metropolitiques.eu, 23 juin 2014

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reconvertir avec rapidité l'intégralité d'un contexte urbain.

Figure 37 // Musée Guggenheim de Bilbao – Frank O. Gehry

À cette notion de développement urbain, l'icône architecturale, qu'elle soit de la maque de luxe ou non, se voit apposer indéniablement la notion de marketing. Ici, dans le cadre de développement urbain on parlera d'avantage de marketing territorial. La notion de marketing territorial, peut se définir, par déclinaison du marketing « classique », comme l'effort de valorisation des territoires a des marchés concurrentiels ; cela permettant a un territoire, ou une destination géographique, de renforcer son attractivité. Pour Vincent Gollain, directeur du département Économie et développement local de l'Institut d'Aménagement et d'Urbanisme d'Ile-de-France « Le marketing territorial est l'effort collectif de valorisation et d’adaptation des territoires à des marchés concurrentiels, pour influencer, en leur faveur, le comportement des publics visés par une offre différente et attractive dont la valeur perçue est durablement supérieure à celles des concurrents. Cette approche cherche à trouver le meilleur équilibre entre le marketing de l’offre de la destination promue et le marketing de la demande fondée sur une excellente connaissance des clients. Enfin, le marketing territorial constitue une boîte à outils basée sur des méthodes, techniques, outils et analyses de pratiques menées à travers le monde ».108 Cette définition du spécialiste est intéressante car relativement proche des 108 GOLLAIN Vincent, Réussir sa démarche de marketing territorial. Méthode, techniques et bonnes pratiques,

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notions de marketing pour l'architecture dans l'univers du luxe évoquées précédemment dans cet écrit. Les notions de valorisation, de concurrence, d'outil, et d'influence sont des récurrences notoires.

Ces rapprochements, ou du moins ces récurrences linguistique tendent a se demander si elle aussi, l'icône architecturale pour la marque de luxe, est également ou non un moteur de développement urbain. L'icône architecturale doit être en capacité de proposer plus qu'une simple interaction avec elle-même et son intériorité, mais une réelle valeur ajoutée, et une incidence urbaine, même si l'icône en elle-même est une réalisation privée. En effet, un distinguo est a faire ici, par rapport aux lignes précédentes. Dans l'univers du luxe, l'icône architecturale se s'installe pas sur une friche urbaine et n'est pas un projet de la ville comme ont pu l'être Confluences ou le Mucem, mais une réalisation privée, prenant généralement source sur des contextes urbains déja relativement développés.

L'un des exemple les plus manifeste d'icône architecturale vecteur de développement au dela de son développement personnel, et ayant réellement eu une incidence urbaine est le cas du Flagship Louis Vuitton des Champs-Élysées. En effet, c'est en 2005 que Louis Vuitton fait acquisition du bâtiment au numéro 101, nombre palindrome porte bonheur de la marque, sur le trottoir Nord des Champs-Elysées. La bâtisse, de style Art Déco conçue en 1931 et revisitée par les architectes Peter Marino et Eric Carlson. Karine Ripari, dans son dernier mémoire évoque l'impacte urbain de cette icône architecturale. « Son ouverture en 2005 a célébré le mariage le plus abouti entre l’architecture et le luxe. On peut dire que cette boutique est devenue un véritable repère incontournable puisque se plaçant côté trottoir nord Ed. Territorial Editions, 2014, Préface

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des Champs, elle a révolutionné les flux de touristes en les captant du côté dévalué de l’avenue. On voit aujourd’hui apparaitre de nouvelles enseignes de ce côté-ci de l’avenue, telles que Nespresso qui profitent du rayonnement de Louis Vuitton pour attirer une nouvelle clientèle. »109 La marque de luxe, par son installation et cette architecture aujourd'hui clairement iconique, a donc été génératrice de développement, du moins de revitalisation de l'intégralité de la rive nord des Champs Elysées, allant jusqu'a inverser la tendance. Ce Flagship a été autant porteur de vitalité qu'il propose une réelle valeur ajoutée. Il ne s'agit pas d'une simple boutique, mais d'un complexe avec sa propre galerie d'art, sa librairie… Cette architecture est iconique car elle crée un environnement. Plus que de créer du désir, c'est aussi créer un univers, une appartenance, et une expérience.

Figure 38 // Boutique majeure Louis Vuitton – Champs-Elysées – Paris

Les marques de luxe peuvent être génératrice de développement urbain dans les nouveaux pays émergents comme se fût le cas dans les années 2000 sur l'Omotesando au 109 RIPARI Karine, Art & Luxe : évolution de la place de l'art au sein du monde du luxe / Comment la collaboration avec le monde de l'art est devenue une véritable stratégie des maisons de luxe, sous la direction d'Isabelle Lazarus, Master IDL/UPEM de Marne-la-Vallée, 2016, page 76.

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Japon ou encore aujourd'hui dans les Emirats Arabes. Le fait qu'une marque de luxe, au rayonnement déja instauré et a l'influence inégalée s'installe a tel ou tel endroit, est vecteur d'attraction pour les autres marques et donc de développement urbain. Aujourd'hui les architectures-icônes des marques de luxe agissent comme des assurances de bénéfices et donc comme des aimants a explosions urbaines. Pourtant ces exemples sont des exceptions : généralement les marques s'installent la où il faut être, et seulement quelquefois sont précurseur de développement urbain. Elles apporte une valeur ajoutée a la ville, au quartier, a la rue. La Maison Louis Vuitton est l'une des rares maisons en capacité de prendre de tels engagements et capable de générer autant d'attractivité.

Ce rapport a l'urbain est généralement tres étudié par les marques de luxe. C'est ce que démontre notamment Michel Chevalier et Michel Gutsatz dans leur ouvrage 110 en mettant en exergue l'analyse géographique des marques de luxe. À savoir tout d'abord l'étude de la structure urbaine pour anticiper le développement (concentrique, en secteur, polycentrique), mais aussi les éléments spécifiques de déplacements urbains (obstacles, rivieres, autoroutes...), ainsi que les meilleures parties des rues : le coté Nord si c'est une rue allant de l'est a l'ouest pour le soleil, l'Est pour les rues orientées nord-sud car plus lumineux au moment où les gens font l'essentiel de leur courses ... Les deux auteurs évoques aussi le cas des Champs-Elysées depuis l'installation de Louis Vuitton : « Il y a désormais trois fois plus de passants sur le trottoirs nord que sur le trottoir sud. (…) Les loyers sont donc en moyenne 30% moins cher sur le coté sud que le coté nord. »111

110 CHEVALIER Michel, GUTSATZ Michel, Luxe & retail : le point de vente, lieu d'excellence, ed. Dunod, 2015. 111 CHEVALIER Michel, GUTSATZ Michel, Luxe & retail : le point de vente, lieu d'excellence, ed. Dunod, 2015, page 117.

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Ainsi, pour s'affirmer en tant qu'icône architecturale dans l'univers du luxe, l'architecture semble devoir être également en capacité d'influencer son environnement et de créer une réelle interaction urbaine. L'exemple du Louis Vuitton aux Champs-Elysées est le plus impressionnant tant il a reconsidéré la lecture urbaine des flux de l'avenue, mais cela peut-être vrai aussi de maniere plus discrete. Le travail des façades, et de leurs animations comme par exemple le Flagship Louis Vuitton de Hong Kong, où le simple fait d'attirer ou de dévier les flux touristiques suffit a assoir l'architecture du Flagship comme iconique, puisqu'elle est porteuse de développement pour la marque, mais aussi pour son contexte urbain.

Placée dans son contexte urbain, l'icône architecturale pour la marque de luxe fait figure d'objet promotionnel, surtout dans un paysage urbain de plus en plus saturé en enseignes mercantiles. Dans les métropoles actuelles, elles-même temples de consommation, l'icône architecturale apparaît comme une réinterprétation du panneau publicitaire. L'icône architecturale pour la marque de luxe s'insere dans une ville de plus en plus franchisée, où la course concurrentielle évoquée précédemment s'intensifie.

Ce concept de Flagship, et intrinsequement d'icône en architecture, est aussi le vecteur de branding urbain. C'est ce qu'affirme entre autres David Mangin dans son essai sur « La ville franchisée »112, ainsi que Ruedi Baur et Sébastien Thiery dans leur écrit « Face au Branding Territorial »113. En effet, pour David Mangin, la ville contemporaine est une ville marketing, une ville franchisée dont les marques surexposées de maniere all-over tendent 112 MANGIN David, La ville Franchisée : Formes et Structures de la ville contemporaine, ed. De la Villette, 2004. 113 BAUR Reudi, THIERY, Sébastien, Face au Brand Territorial : sur la misère symbolique des systèmes de représentation des collectivités territoriales, éd. Lars Muller Publishers, 2003.

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aujourd'hui a littéralement définir l'image même de la ville. « Pendant que les villes, notamment par leurs plans de revitalisation de leurs cœurs historiques, se cherchent une image de marque, les marques présentent une image de ville, image qui se diffuse dans l’urbain par nos formes de consommation. (...) Comment, dès lors, se représenter les territoires urbains sans céder à l’imaginaire territorial du marketing qui métamorphose la ville en une juxtaposition de parcs à thème ? Le passage de l’ensemble des marques qui impriment leurs images dans la ville, à la ville comme marque, fait figure de saut qualitatif quant à l’influence du marketing sur la ville. (…). Les rues reproduisent à ciel ouvert les galeries commerciales, en associant en début et en fin de rue des enseignes locomotives. »

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Pour rappel, l'icône, comme évoquée précédemment, possede les capacités de créer une image, et d'être l'outil d'expression d'un pourvoir et de son expansion. En architecture, l'icône fait de la ville son support. L'icône architecturale s'installe dans la ville, la développe et la franchise en y ancrant dans la culture urbaine les valeurs prônées et exaltées par les marques, forgeants ces icônes architecturales et urbaines. L'icône est donc un concept architectural aux multiples propriétés et vertus urbaines et économiques, mais peut aussi s'avérer être une arme manipulatoire redoutable, puisqu'insoupçonnée (c'est l'aspect « propagande » évoqué précédemment). C'est sur le double tranchant de cette lame que l'icône se place.

L'ouverture récente de la Fondation Louis Vuitton montre que les marques de luxe ne peuvent se contenter d’une simple intensification de l’expérience de vente par des services ou des animations. Elles doivent étendre leur territoire en s’appropriant et en participant a la sphere publique et culturelle. « Nous avons souhaité offrir à Paris un lieu d'exception pour l'art et la culture et fait le pari de l'audace et de l'émotion en confiant à Frank Gehry la réalisation d'un batiment emblématique du XXI°siècle » s'exprime Bernard Arnault sur le site 114 MANGIN David, La ville Franchisée : Formes et Structures de la ville contemporaine, ed. De la Villette, 2004, pages 140-146.

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officiel de la Fondation Louis Vuitton. 115 « La Fondation Louis Vuitton affirme et pérennise l’engagement de mécène pour l’art et pour la culture de LVMH et de Louis Vuitton. Elle enrichit le patrimoine de Paris d’un monument emblématique de l’architecture du XXIe siècle. »116 Par ces deux citations, LVMH témoigne de son insertion et de l'emprise de la marque dans la culture française. La marque quitte le champ du mercantile et s'impose comme institution culturelle dans l'esprit collectif.

Figure 39 // Phénomène d'institutionnalisation de la marque de luxe

La question de branding urbain pose le questionnement du rayonnement dans la sphere publique. « A cette fin, plusieurs options s’offrent à la marque de luxe. Elle peut, d’abord, recourir à la monumentalité telle que décrite par Vitruve au sujet de l’architecture romaine du 1er siècle av. JC : selon lui, le caractère grandiose d’un lieu évoque son rattachement à une figure puissante (demeure princière, église…), et donc à la fois son utilité publique et son prestige. Le Flagship doit ainsi être imposant et spectaculaire dans son architecture, comme la boutique Tod’s de Shanghai, ou celle de Louis Vuitton sur Bond Street à Londres. (…) Son dessein public peut être plus explicite encore : le musée Gucci a Florence a ainsi choisit pour 115 www.fondationlouisvuitton.fr 116 Extrait du site internet de la Maison LVMH : www.lvmh.fr

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cadre un palais historique particulièrement signifiant, celui où les guildes florentines venaient passer commande à des artistes. Elle peut également se doter d’une fonction publique, le plus souvent culturelle, qui dépasse la fonction commerciale et brasse un public plus large que ses stricts consommateurs. C’est notamment le cas quand le point de vente devient lieu d’exposition ou de spectacle, avec par exemple l’espace culturel du Flagship Louis Vuitton des Champs-Elysées. La marque peut enfin s’approprier au sens propre l’espace public en allant jusqu’à intervenir dans la politique d’urbanisme de la ville : ainsi, dans certaines villes chinoises, Louis Vuitton a pris à sa charge l’ensemble de la rénovation de certains immeubles et batiments publics pour que ceux-ci se fondent mieux dans les codes stylistiques et l’architecture de la marque. Dernier enjeu capital, le développement d’une communauté de fidèles ambassadeurs de la marque peut s’appuyer sur un lieu de marque conçu comme un « temple ». Plus qu’y acheter des produits, les « adeptes » de la marque viennent y approcher le cœur sacré de la marque, la « performer » comme on performe un culte religieux. Ces pratiques supposent des lieux de célébration spécifiques et appropriés, riches de symboles, mais également la mise en place de cérémonies, de rituels comme les évènements. »117

Par ce simple article, Daniel Bô, résume completement l'approche de l'icône architecturale de la marque de luxe comme branding urbain dans son environnement citadin. La course au spectaculaire, l'effacement des frontieres entre la sphere du publique de du privé ainsi que, le rôle de la marque dans les politiques urbaines vise a faire de l'icône architecturale et de la marque de luxe un outil marketing mercantile mais aussi un acteur qui tend a fabriquer la ville contemporaine. « Emblèmes du pouvoir qui investit la culture et tente de 117 BÔ Daniel, « Les lieux des marques de luxe » , CB News, 15 décembre 2014.

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fabriquer une « ville créative » (...) ces édifices créent et mettent en forme de nouvelles valeurs urbaines plus acceptables. »118

118 CAMUS Camille, « Créer une présence dans la ville », www.laviedesidées.fr, 01 janvier 2015

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Conclusion de la partie 2

En proposant une expérience à la fois unique, puissante et signifiante à leurs visiteurs, les lieux des marques de luxe deviennent bien plus que des « points de vente ». La relation à la marque s’y enrichie, et s’y densifie. Le Flagship, l'icône architecturale, semblent s’imposer comme la stratégie idéale pour une marque. L’influence du design de point de vente sur le visiteur pousse les marques à développer des architectures performantes, dans l’objectif d’appuyer un territoire de marque. Pour l’agence Saguez & Partners, « le design et l’architecture sont les premiers liens entre la marque et le consommateur car ils créent une vraie proximité et transmettent des valeurs sans rien promettre à l’inverse de la publicité. L'architecture donne vie à la marque par les formes et les couleurs ; un signe de reconnaissance et développe tout un univers global. » 119 L'icône architecturale reste un outil de communication, qui poussé à son paroxysme tend à faire de la marque de luxe une religion dont le consommateur est le fidèle. L'architecture iconique ancre la marque dans la culture en lui donnant une complète légitimité et tend à l'institutionnaliser en faisant d'elle un acteur fondamental de la ville contemporaine. Les marques de luxe au travers des pouvoirs qui lui sont alloués via l'icône architecturale, peuvent tendre (à son extrême) vers une certaine forme de dictature, ou du moins de gouvernance totale des politiques urbaines. Cependant, la marque de luxe prône un certains nombre de valeurs morales et éthiques. On peut de ce fait se demander si l'icône architecturale pour la marque de luxe reste en adéquation avec la marque et son éthique ?

119 Source : Site internet de l'Agence Saguez & Partners : www.saguez-and-partners.com

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CONCEVOIR L'ICÔNE POUR LE LUXE : ENTRE LA MARQUE, L'ARCHITECTURE ET LES VALEURS DU LUXE

l'architecture est-elle en adéquation avec la marque ? Une architecture reflet de la marque ?

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La notion de luxe se démarque de ce qui l'est pas par une philosophie précise et fondamentale qu'elle met en avant et prône dans chacun de ses produits. Le luxe se définit luimême par des valeurs, qui composent l'ADN de la marque. Louis Vuitton expose les siennes directement sur son propre site internet.

Figure 40 // Extrait du site internet de l'entreprise LVMH – Valeurs de l'entreprise

La marque prône les valeurs de créativité et d'innovation « La créativité et l'innovation sont inscrites dans nos gènes. Elles ont, au fil du temps, assuré le succès de la Maison et assis sa légitimité. Socle de la Maison, ce tandem créativité-innovation est au cœur d'une délicate équation : renouveler notre offre et être résolument tournés vers l'avenir, tout en s'inscrivant dans le respect de notre patrimoine. »120 La Maison Louis Vuitton s'engage aussi a offrir l'excellence : « Au sein de la Marque, aucun compromis n'est possible sur la qualité. Parce 120 Site Internet de Louis Vuitton : www.lvmh.fr

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que nous incarnons l'univers de l'artisanat, en ce qu'il a de plus noble et de plus abouti, nous portons une attention minutieuse aux détails et à la perfection : du produit au service, c'est dans cette quête d'excellence que nous cultivons notre différence ».121 Enfin, Louis Vuitton tend a prôner la valeur plus personnelle de culture de l'esprit d'entreprise. « Agile, l'organisation décentralisée de la Maison favorise l'efficacité et la réactivité. Elle stimule les initiatives individuelles en confiant des responsabilités importantes à chacun. Notre esprit d'entreprise facilite la prise de risque et encourage la persévérance ; il nécessite un esprit pragmatique et une capacité à mobiliser des équipes en les entraînant vers des objectifs ambitieux. »122 Il est alors naturel de se demander si les valeurs qui sont prônées par le luxe se retrouvent aussi dans l'architecture qu'elle développe. Est-ce que l'architecture est en adéquation avec « l'esprit » de la marque ? L'icône architecturale est-elle et doit-elle être le reflet des valeurs de la marque de luxe ? Trois valeurs fondamentales du luxe sont identifiées : l'unicité, le privilege, et l'excellence. Trois valeurs inhérentes a l'univers du luxe, trois valeurs qui seront prétextes a interroger la notion d'icône architecturale chez Louis Vuitton.

121 Site Internet de Louis Vuitton : www.lvmh.fr 122 Site Internet de Louis Vuitton : www.lvmh.fr

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3.1 Le luxe est l'unicité. De l'universalité à la singularité de l'expérience.

La valeur de l'unique dans l'univers du luxe est fondamentale. Gage de sur-mesure, et de personnel, l'unicité s'impose comme valeur du luxe en association avec la notion d'extrême rareté. Tel objet est tres rare, donc une exception. Le luxe est artisanal, chaque piece est unique, et faite juste pour vous. Si l'objet est unique, il se distingue des objets produits en masses, et s'apparente donc a l'univers du luxe par son caractere exceptionnel.

Dans l'architecture pour les marques de luxe, qui sont amenées a s'internationaliser, une codification des symboles de la marques de luxe semble nécéssaire, afin d'être en capacité de repérer un édifice de la marque peut importe où vous êtes sur la planete. Cette codification internationale est donc une nécessité et passe par une série de codes identitaires de la marque, comme ceux de la marque Louis Vuitton, identifiés dans la partie précédente. Cette identité comme besoin est un constat. Cela se traduit généralement par une standardisation de l'architecture, dont le modele est répété indépendamment de son emplacement géographique. Ce fût le cas des marques des luxes jusqu'au début des années 2000. Néanmoins, cette standardisation s'étant déclinée également dans les boutiques des marques populaire telles que Zara, ou encore H&M, les Maisons de Luxe ont donc réinterrogé leurs architectures vers d'avantage d'unicité, afin de se démarquer et de s'affirmer comme Maison de Luxe. C'est ce qu'évoque notamment Michel Gutsatz : « Les marques de luxe ont longtemps été partisanes d'un modèle « taille unique ». Le défi qu'elle doivent relever maintenant est le suivant :

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comment maintenir une image mondiale unique tout en intégrant les idiosyncrasies des différentes régions du globes ? Simplement en faisant appel à des mannequins asiatiques, en créant des lignes de produits spécifiques, ou en faisant appel à des architectes locaux. (…) Engager des collaborations fondées sur des aspects comme la culture, permet à une marque de conserver sa pertinence aux yeux du client. »123

Un bouleversement du travail des architectures apparaît des lors, et c'est a ce moment précis que l'architecture s'affirme comme puissance markéting dans les stratégies des marques de luxe. La notion d'unicité s'impose alors, d'abord dans une volonté d'unicité de l'expérience. L'idée d'expérience est primordiale dans l'univers du luxe, et se place comme l'articulation entre la marque de luxe et l'architecture. « Jusqu’ici, la standardisation des points de vente au sein d’une même marque était la règle : avec la globalisation du marché dans les années 1990-2000, il s’agissait d’exprimer l’univers et les valeurs de la marque de la manière la plus homogène et cohérente possible à travers le monde. Un client Four Seasons devait ainsi retrouver la même expérience dans un hôtel de Buenos Aires, Bangkok, Chicago ou Beyrouth. Aujourd’hui, la tendance se renverse : afin de renforcer le sentiment de rareté et d’exclusivité propre au luxe, se fait jour le besoin de rendre chaque expérience de la marque singulière et unique. La marque japonaise Comme des Garçons en fournit une illustration flagrante en proposant un concept, un univers et une architecture uniques dans chaque localité où elle s’implante. »124

Le glissement récent opéré entre une architecture marchandisée et décontextualisée vers une architecture localisée et spécialisée met en évidence la capacité de la marque de luxe

123 CHEVALIER Michel, GUTSATZ Michel, Luxe & retail : le point de vente, lieu d'excellence, ed. Dunod, 2015, page 280. 124 BÔ Daniel, « Les lieux des marques de luxe » , CB News, 15 décembre 2014.

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a se réinterroger et a perpétuellement chercher a respecter valeurs et éthiques qui la définisse. Cette singularisation spatiale vise aussi une claire adaptation aux cultures territoriales nouvelles dans lesquels la marque s'implante. Ici, l'unicité de l'architecture respecte la valeur du luxe, celle de l'exclusivité. L'exclusivité d'un certain type d'architecture conçu exclusivement pour vous, et chez vous.

Figure 41 // Réadaptation du traitement de l'architecture par les marques de luxe

Karine Ripari, en partant du constat qu'aujourd'hui, l'univers du luxe réalise plus de la moitié de ses bénéfices en Asie, affirme qu' « en s'installant en Asie, les marques de luxe s'insère dans une culture très différente de l'Occident, qui n'a pas non plus la même expérience du luxe. Donc pour pouvoir s'y insérer, l'architecture reste aujourd'hui un langage universel. C'est dans cet élan qu'apparaissent les collaborations avec l'architecte. »125 Il apparaît alors, au travers de l'exemple de l'Asie, que l'architecture s'affirme comme le moyen de s'intégrer a une nouvelle culture, a un nouveau pays.

C'est dans cette optique que Louis Vuitton réinterroge ses Flagships standardisés vers des architectures toutes uniques, aux allures différentes. Louis Vuitton fait aujourd'hui appel a 125 Entretien avec Karine Ripari 14 novembre 2016, Mairie de Montpellier.

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des architectes locaux tels que Jun Aoki pour ses édifices au Japon ou encore Kumiko Inui pour ceux en Chine. La notion d'intégration impose une architecture unique et spatialisée. C'est en cela que l'icône architecturale s'affirme : par son caractere unique et sur-mesure. L'idée est que puisque l'on s'installe chez vous, on va soigner l'architecture, l'emballage, on va vous proposer réellement un bijou d'architecture ; une icône. L'architecture va désormais s'inspirer des spécificités architecturales locales, tout en conservant une image identifiable de la marque Louis Vuitton, plus ou moins discrete ; du simple nom de la marque finement et sobrement apposé sur la façade, comme sur le showroom du quartier Namiki Dori a Tokyo, jusqu'au motif de la marque décliné en all-over sur l'intégralité de l'édifice, comme par exemple le showroom du quartier Pudong a Shanghai.

Figure 42 // Comparaison de l'identité Louis Vuitton entre le showroom de Namiki Dori -Tokyo (à gauche) et de Pudong – Shanghai (à droite)

Dans son dernier mémoire, Karine Ripari, architecte spécialisée en retail de luxe, résume parfaitement cela : « Ces édifices se retrouvent être un bon moyen de s’intégrer à la culture locale et de dialoguer avec elle. Encore une fois, Louis Vuitton fait figure de précurseur en ayant interrogé des architectes locaux pour réinterpréter les codes de la

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marque à l’image de la culture locale. « Le magasin devient ainsi la place d’une collision fascinante entre création artistique et aspiration politique passée et future, souvenirs personnels et mémoire collective »126 ».127

La valeur d'unicité propre au luxe semble désormais comme un acquis dans le traitement de leurs architectures, et d'autant plus dans l'élaboration d'architectures iconiques. L'icône est unique, elle se doit d'être unique, sans quoi elle perdrait son statut d'icône. Comme une œuvre d'art est unique, l'icône architecturale si elle est reproduite perdra sa légitimité en tant que telle. L'unicité confere ainsi a l'objet architectural son prestige, sa valeur et donc son iconicité.

Si la marque de luxe tient a assurer a sa clientele internationale le même standing partout dans le monde, elle lui propose a chaque fois une expérience unique dans un lieu unique. L'idée est donc de proposer le même luxe mais pas sous la même forme.

En effet, dans n'importe quel showroom Louis Vuitton dans la monde, la marque est en mesure de proposer le même luxe : la même marque, les mêmes valeurs, les mêmes exigences de qualité. Tels des ambassades il s'agit d'assurer l'image de la marque, de créer un point de repere familier, mais au travers d'une expérience différente et unique a chaque fois : différents produits seront présentés, par exemple avec des implantations récentes dans les Emirats Arabes Unis, Louis Vuitton développe des gammes de produits spécifique a cette implantation en proposant des tenues traditionnelles, des voiles, exclusivement pour ce marché-ci. Et bien126 CASTETS Simon, « Lin, Michael », Louis Vuitton : Art, Mode et Architecture, Edition de Lamartiniere, 2009, p.266. 127 RIPARI Karine, Art & Luxe : évolution de la place de l'art au sein du monde du luxe / Comment la collaboration avec le monde de l'art est devenue une véritable stratégie des maisons de luxe, sous la direction d'Isabelle Lazarus, Master IDL/UPEM de Marne-la-Vallée, 2016, page 75.

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entendu différents écrins, différentes architectures a chaque fois.

Les marques de luxe comme Louis Vuitton jouent perpétuellement sur cette ambivalence entre unicité et homogénéité. Cela passe principalement par la déconnexion entre architecture intérieure et extérieure, entre le contenu et le contenant. Alors que les enveloppes sont des cartes blanches accordées a des architectes externes afin de s'adapter a la culture et de créer de l'unique, les intérieurs sont généralement similaires, conçus par le département Louis Vuitton Architecture lui-même, afin d'affirmer l'ADN de la marque. Pour Mohsen Mostafavi, co-auteur de Louis Vuitton, Architectures et Intérieurs : « Le département architecture de Louis Vuitton, décida d'emblée de marquer la différence entre l'intérieur et l'extérieur de ses architectures. Et, à l'instar d'autres société, ils voulaient aussi qu'elles possèdent toutes un intérieur obéissant à la même palette chromatique, indépendamment de leur emplacement géographique. On confia cette tache à Peter Marino dont le cabinet d'architecte conçoit et réalise l'intégralité des intérieurs de la Maison Louis Vuitton. »128 Cette ambivalence entre intérieur et extérieur réinterroge également la notion et la définition d'icône architecturale. S'il apparaît que l'icône architecturale est iconique par son caractere exceptionnel (dans le sens exception) et donc unique, ces architectures seraient-elles donc semi-iconique ? Les intérieurs Louis Vuitton, standardisés et répété pourraient aussi s'apparenter a une icône architecturale. La notion d'icône est en effet aussi définie par sa qualité de référence, d'être une référence. Et ces intérieurs, produits en séries, peuvent donc aussi faire figure d'image de référence, et comme étant la focale identifiable de la marque.

128 MOSTAFAVI Mohsen, Louis Vuitton, architecture et intérieurs, ed. La Martiniere, 2011, « Louis Vuitton, l'architecture, la mode et la fabrication », page 243.

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Figure 43 // Intérieur type des boutiques Louis Vuitton, signé Peter Marino

La valeur d'unicité dans le luxe (accompagnée par la nécessite de concurrence et de démarcation) a donc permis de développer l'architecture des Maisons de Luxe, en passant, d'une architecture-type, répétée et décontextualisée, a une architecture riche, spécialisée et spatialisée. Cela a aussi développé la notion d'icône architecturale. Aujourd'hui il ne s'agit non plus d'une icône déclinée, mais d'un ensemble de différentes icônes aux propriétés et qualités distinctes. Les marques de luxe comme Louis Vuitton tendent ainsi a développer un réseau d'icônes uniques, en rivalités avec la concurrence, mais en connivence entre elles.

La valeur d'unicité est également a prendre en considération dans l'instant, dans l'instantané, de plus en plus élaborée avec le développement d'une nouvelle architecture : le pop-up store et l'intervention éphémere. De plus en plus ces interventions sont faite dans l'idée de créer l'évenement, de créer une architecture unique a une temporalité unique. Karine Ripari évoque dans notre entretien l'exemple de la Maison Chanel avec l'intervention « Blés Vendôme » ; intervention où l'artiste Gad Weil en association avec la Maison de Couture a intégralement recouvert la Place Vendôme de Paris d'un champs de blé. « L'intervention éphémère présente du premier au sept juillet de cette année (2016) tend à créer de l'évènement, créer une expérience unique, une nouvelle lecture architecturale de la ville.

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Chanel cherche ici à créer un moment unique, au travers d'une nouvelle forme d'architecture unique et temporaire, un iconisme éphémère »129 L'idée d'unicité dans l'instant ne semble pas ici génératrice d'icône architecturale puisqu'une icône se construit avec le temps. Néanmoins, ce type d'intervention unique rentre toujours en lien directe avec les icônes de la marques : le blé est une des icônes de la joaillerie de Chanel, la Place Vendôme est le lieu iconique parisien de la haute-joaillerie, et le Ritz est une architecture iconique de l’hôtellerie parisienne et dans l'histoire de la marque, puisque Gabrielle Chanel y a vécu de 1920 jusqu'a sa mort en 1971. La valeur d'unicité dans le luxe permet ainsi de générer, de composer des icônes architecturales, mais également de jouer avec les icônes qui existent d'hors et déja.

Figure 44 // Intervention Blés Vendôme – Gad Weil et Chanel – Paris – 2016

La valeur d'unicité dans le luxe est une valeur fondamentale qui définit, avec d'autres valeurs, ce qui est ou non luxueux. Dans l'architecture pour le luxe, cette valeur d'unicité est également présente, mais semble néanmoins d'avantage nuancée. L'unicité, qu'elle soit dans

129 Entretien avec Karine Ripari 14 novembre 2016, Mairie de Montpellier.

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l'objet architectural ou dans son caractere instantané, est la capacité de l'architecture a proposer une expérience unique. La nuance de la valeur d'unicité dans l'architecture pour le luxe réside dans l'homogénéité des intérieurs, qui eux relevent du besoin de la marque a être identifiable et reconnaissable. Il semblerais toutefois que cette nuance ne soit pas un frein a l'établissement d'icônes architecturales. L'icône architecturale a quant a elle besoin de la valeur d'unicité afin de s'affirmer en tant que telle. En effet, elle ne peut pas être homogene ou identique a une autre architecture, et au-dela des extravagances esthétiques a laquelle elle peut être réduite, elle est unique, contextualisée et spécialisée. Elle est hors du commun, exceptionnelle, c'est un privilege.

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3.2 Le luxe est un privilège. L'architecture du paradoxe : de la démocratisation pour le grand public à l'expérience réservée à une élite.

La valeur de privilege est indissociable au luxe. Le luxe se définit par ce qui est réservé a une certaine élite, le luxe n'est pas abordable, ce n'est pas ce dont tout le monde peut avoir acces. Le luxe est réservé a une catégorie sociale, tout le monde ne peut le posséder. Sa possession est donc un privilege. Un récent sondage de l'opinion.fr questionne le luxe sur ces valeurs-ci précisément. « Le luxe est-il un privilège ? Oui à 92 % pour les personnes interrogées. Le luxe permet-il de se faire remarquer ? Oui à 68 %, répondent les consommateurs, mais c’est nettement moins (-9 points) que lors de la dernière enquête (2014). Est-il un signe de réussite sociale ? Certainement (à 74 %), mais ils étaient 79 % à le penser il y a deux ans. En revanche, 79 % des consommateurs souhaitent disposer de services et de produits personnalisés, une attente sensiblement plus forte dans les nouveaux pays riches (Asie) que dans les pays matures occidentaux où ce taux atteint 68 % seulement. »130 Dans l'esprit populaire, le luxe apparaît comme un privilege réservé a une élite, un signe distinctif réservé a une élite sociale, et a une réussite de haut rang. Qu'en est-il réellement ? Le luxe et ses produits semblent pourtant de plus en plus médiatisés. Il a été développé précédemment dans cet écrit l'utilisation de l'architecture comme outil de médiatisation dans l'univers du luxe. Le luxe semble aujourd'hui d'avantage accessible, banalisé et démocratique. Un tendance qui apparaît comme un contre-sens a la valeur fondamentale de privilege inhérente au luxe. 130 Sondage de lopinion.fr, le 24 octobre 2016.

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Si le luxe semble aujourd'hui tendre vers une démocratisation, cela n'est pas infondé, et est une réelle volonté des marques. Une volonté d'abord économique, afin de toucher un public plus large, mais également une volonté de modernité, en marquant une rupture avec le luxe d'avant les années 2000, centré sur lui-même et completement opaque a la société populaire. L'idée est ici pour les marques de s'ancrer d'avantage dans la société, et l'architecture en est un des outils. L'architecture est vecteur de démocratisation au travers de sa médiatisation et de sa sensibilisation croissante. Il s'agit pour la marque de faire miroiter au grand public qu'il peut avoir acces au luxe.

La notion de médiatisation et de sensibilisation de l'architecture est une pratique largement développée ces dix dernieres années. L'historien Jean-Louis Cohen s'exprime d'ailleurs a ce sujet : « L’architecture semble bénéficier depuis plusieurs années d’une attention nouvelle de la part des médias de tous ordres. Sa visibilité dépasse largement les cercles professionnels et les initiés. Alors que les échos du monde de l’architecture étaient jadis relégués à la marginalité, perdus entre les rubriques « société » et « art » des quotidiens et des hebdomadaires (...) les pages spéciales des périodiques pour le grand public s’ajoutent aux chroniques plus régulières et moins fugitives de l’audiovisuel. Les manifestations et les expositions se multiplient à Paris et dans un réseau de plus en plus dense de centres culturels et de galeries. Pour en rester à la France, 600 expositions de taille appréciable ont été organisées au cours des vingt dernières années et une trentaine d’expositions importantes sont inaugurées chaque année à Paris. Le nombre total d’expositions de tous calibres organisées par les collectivités locales, les musées et les centres d’architecture ne cesse de croître. Il est passé d’une quarantaine au début des années 1980 à une centaine dix ans plus tard et à près de trois cents en 2000. Par ailleurs, l’architecture s’est glissée dans les -117-


collections permanentes et les expositions thématiques des musées comme le Centre Georges Pompidou ou le Musée d’Orsay (...) et la question de l’héritage architectural, le plus récent inclus, est soulevé chaque année par les journées du Patrimoine. La fonction médiatique de l’architecture a été extraordinairement bien illustrée depuis 1998 par ce que l’on peut désormais dénommer l’« effet Bilbao », c’est-à-dire la rencontre d’un site urbain en plein renouveau, d’une volonté politique, d’une stratégie d’entreprise culturelle et, surtout, d’une architecture provocante. Sans doute cette configuration n’a-t-elle rien de reproductible. Elle n’en déclenche pas moins la jalousie de certains architectes et le désir d’élus locaux fort nombreux à rêver d’une reproduction de l’expérience. Frank Gehry assure avoir reçu en 1999 deux cents invitations à concevoir des projets similaires. Quant au président du Guggenheim, Thomas Krens, il fait état de près de soixante demandes pour la création de filiales locales du Guggenheim, du Brésil à la Russie. Cet écho est du à ce que le Guggenheim de Bilbao est à la fois le conteneur surprenant, provocant, d’une collection au demeurant de qualité moyenne et l’affiche chatoyante la signalant à l’attention de tous. »131

Jean-Louis Cohen fait ainsi état d'un récent et large engouement du grand public pour l'architecture, et c'est cette sur-médiatisation et cette omniprésence dans les médias de tout types, que les marques de luxe veulent surfer. L'architecture s'est médiatisée et démocratisée ; et le luxe vise les mêmes finalités au travers du médium de l'architecture. Si l'architecture permet de démocratiser, le luxe a un réel besoin de se démocratiser (comme évoqué précédemment dans ce mémoire). Karine Ripari, architecte chez Burberry, évoque cela lors de nos échanges. « La démocratisation rentre en contradiction avec les valeurs du luxe qui prône l'idée d'appartenance. Néanmoins, le luxe en a besoin pour se développer et rester à 131 COHEN Jean-Louis, « L'architecture saisie par les médias », Les cahiers de médiologie, 1/2011 (N° 11), p. 310-317.

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flot. Ainsi le luxe se diversifie, et s’échelonne avec différents degré de luxe. Il y a alors l'apparition d'un double mouvement : une démocratisation d'une part, quand Louis Vuitton lance des parfums par exemple, et d'autre part une course au toujours plus exclusif encore (des hautes haut-de-gamme, en iconisant certains produits de luxe). »132 Aujourd'hui, dans ce phénomene de démocratisation les marques cherchent donc a rendre pluriel le luxe. Une limite est somme toute a mettre a jour, où la démocratisation, poussée a son paroxysme, a la possibilité de générer une perte de légitimité et d'aura pour la marque de luxe. Ce fût le cas par exemple pour la marque Lacoste, qui en multipliant les gammes démocratiques a vu fleurir ses produits dans des paysages sub-urbain, associés a une catégorie sociale dite délinquante, et entraina une perte de légitimité de la marque en tant que marque de luxe, car trop accessible : « Quand le clientèle, d'habitude haut-de-gamme, de la marque a vu défiler à la télévision les produits Lacoste sur les acteurs des émeutes en banlieues de 2008 ; les produits de la marque sont devenus le reflet de cette catégorie sociale et ont été abandonnés par le cœur de cible primaire de Lacoste. »133

Des les années 90, la rencontre du luxe et du marketing a fait l’objet d’un nouveau défi : celui de rendre accessible l’inaccessible. Sur le modele d'Yves Saint-Laurent qui a inventé le prêt-a-porter pour démocratiser la haute couture, le marketing a forcé les maisons de luxe a oser jouer la carte de la démocratisation de leurs produits. Les marques, face a une concurrence accrue du prêt-a-porter, et d’une ouverture plus grande sur le monde moderne, ont été obligées de se diversifier en déclinant des gammes plus accessibles.

132 Entretien avec Karine Ripari 14 novembre 2016, Mairie de Montpellier. 133 Entretien avec Karine Ripari 14 novembre 2016, Mairie de Montpellier.

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Figure 45 // Phénomène de démocratisation du luxe

« En parallèle de leurs gammes « ultra luxe » et réservées à une clientèle privilégiée, les maisons ont décliné de nouveaux produits plus « accessibles » en se servant de leur image de marque prestigieuse. Elles ont alors mis l’accent sur des produits de consommation tels que les parfums, les eaux de toilettes, les lignes cosmétiques mais également les accessoires de mode plus accessibles qui héritent alors du prestige des maisons de haute couture, tout en étant à des prix biens plus abordables. La stratégie d’entreprise a été d'« élargir la palette de prix pour élargir la cible »134 Une volonté de toucher une clientèle de plus en plus importante pour s’assurer une plus grande rentabilité qui a eu des résultats immédiats et pérennes. De nouveaux clients ont ainsi pu s’approprier une part de ce monde de rêve dont ils avaient été mis à l’écart jusque-là. On assiste alors à une démocratisation de masse du désir du luxe. Mais en s’ouvrant à de nouveaux consommateurs plus « mass market », il a pris le risque de se galvauder. On a alors redéfini ce positionnement stratégique en un nouveau terme technique dit « masstige », terme de marketing qui est issu de la contraction des deux termes, mass market et prestige. Il souligne cette volonté de la part du monde du luxe de toucher un public moins aisé et de lui offrir une place dans ce monde tant convoité du luxe. »135 134 MAUD Stéphan, responsable du pôle luxe-mode-beauté chez Eurostar, Le paradoxe de la démocratisation du luxe, 2006, http://letizia.hautefort.com 135 RIPARI Karine, Art & Luxe : évolution de la place de l'art au sein du monde du luxe / Comment la collaboration avec le monde de l'art est devenue une véritable stratégie des maisons de luxe, sous la direction d'Isabelle Lazarus, Master IDL/UPEM de Marne-la-Vallée, 2016, page 44.

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L'un des exemples les plus explicites de démocratisation du luxe, est celui des collaborations avec H&M, la derniere de 2016 par exemple voyait cette chaîne s'associer a la Maison Japonaise Kenzo. Cependant, ce mélange des genres a été séverement critiqué. En effet, on peut se demander comment le luxe pourrait conserver cet aspect exclusif qui a forgé sa définition en s’ouvrant au plus grand nombre sans perdre son identité et sa force ? Cette diversification multi-segments est certes tres rentable mais peut se révéler extrêmement dangereuse. Les maisons prennent le risque de banaliser leurs produits et dévaloriser leur image de marque. L’impact est surtout moral et imaginaire et touche a l’image de marque avant tout. « En achetant un produit de luxe, le consommateur s’accapare une part de rêve. Or le prix d’un rêve ne peut être justifié si le produit devient commun. »136

Figure 46 // Collaboration de la marque de luxe Kenzo avec la marque de masse H&M - 2016

« Auparavant, les maisons devaient en effet se construire un imaginaire social qui nimbait tous les objets. Désormais, il en est tout autrement : les marques doivent parvenir à 136 HAUTLEFORT Laetizia, Le paradoxe de la démocratisation du luxe, 2006, http:// letizia.hautefort.com

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décliner une symbolique différenciante qui s’adapte à chaque client. De ce fait, le client peut s’identifier au produit et se différencier des autres individus. Les maisons de luxe, pour parvenir à construire ce sentiment d’identification aux marchandises, ont du revoir leur méthodes marketing pour ne plus vendre uniquement un objet, mais une véritable expérience. C'est là que l'architecture rentre en jeu. (…) Et c’est en partie à Marc Jacobs, Directeur Artistique de la maison Louis Vuitton de 1997 à 2013 que l’on doit le concept de collaboration artistique au niveau de la création même des produits de luxe, mais également de l'écrin bati dans lequel elles-seront présentées.» 137

Ainsi, l'art, dont l'architecture apparaît comme solution au paradoxe de la démocratisation du luxe. D'un coté, l'architecture y contribue par sa capacité propre a la médiatisation et a l'attractivité. D'un autre coté, elle participe a conserver la valeur de privilege en individualisant l'expérience et en créant un nouveau prestige : celui de rentrer dans un objet de luxe. L'icône architecturale dans l'univers du luxe est donc assez sensible pour suggérer le sentiment de privilege d'entrer dans un objet unique raffiné et élaboré, tout en suggérant la possibilité a tout le monde d'y avoir acces.

Le luxe est donc de plus en plus a portée de main, mais reste encore quelque chose qui est visible de tous mais accessible seulement a certains. Dans l'architecture a proprement parlé des marques de luxe, cette dichotomie semble aussi s'exprimer. Il s'agit de construire une visibilité dans un paysage urbain saturé de branding. Les questions d'acces au luxe, de discrétion mais d'imposance concurrentielle sont alors posées. Le luxe a besoin d'être visible sur tout les supports et médias, mais aussi concretement dans la ville, dans la façade urbaine. 137 RIPARI Karine, Art & Luxe : évolution de la place de l'art au sein du monde du luxe / Comment la collaboration avec le monde de l'art est devenue une véritable stratégie des maisons de luxe, sous la direction d'Isabelle Lazarus, Master IDL/UPEM de Marne-la-Vallée, 2016, page 47.

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L'architecture permet cette visibilité dans les médias avec la sensibilisation architecturale de plus en plus médiatisée et également bien-sûr dans la ville, particulierement grâce a l'esthétique de cette architecture. Le besoin de se démarquer passe au travers de deux éléments fondamentaux que sont : la question de l'univers (de l'ambiance), et la question de la peau, ici tout particulierement la vitrine (nous évoquerons les revêtements plus tard) qui se place comme repere urbain concurrentiel primaire.

Figure 47 // Nécessité de visibilité pour la marque de luxe

La notion d'univers tout d'abord est indispensable afin de proposer une réelle expérience, et d'inciter le retour de la clientele. En cela, l'architecture est en mesure elle-même de fidéliser la clientele. Le besoin de créer un univers spécial, une hétérotopie autour de la marque et par l'architecture, vise a marquer l'esprit du consommateur. Adhérer a un style de vie, avoir acces a un univers sélecte et unique dans lequel vous êtes invité : en cela il y a privilege. L'idée est donc de générer cette sensation de privilege chez le consommateur. Vous êtes un privilégié d'avoir acces a cela. « Ralph Lauren l’a bien compris lorsqu’il a ouvert sa dernière boutique française, située au 173 Boulevard Saint Germain à Paris. Installée dans un hôtel particulier, la boutique s’articule entièrement autour de la Ralph Lauren Philosophy

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of Life : du mobilier, aux pièces (bibliothèque privée, ascenseur en fer forgé) en passant par la décoration (boiseries et photos d’époque), tout est mis en scène pour reconstituer l’univers Ralph Lauren à la perfection. L’impression de faire ses achats dans la propre armoire du créateur est surprenante. Le vêtement vient s’inscrire dans un véritable art de vivre : On peut même y déjeuner, au Ralph’s, histoire de vivre l’American Dream jusqu’au bout. »138

Figure 48 // Retail Ralph Lauren – 173 boulevard Saint Germain, Paris

La notion de vitrine est également primordiale, dans le sens où il s'agit de l'interface qui sépare le passant et l'acheteur, le commun des mortel et le privilégié. La vitrine est un élément de séduction capable de proposer déja une expérience au passant, une ambiance tel de véritables musées ouverts sur la rue, et de l'attirer irrémédiablement a l'intérieur. « La vitrine c'est là ou l'émotion démarre ».139

Karine Ripari, architecte spécialiste dans le retail de luxe, a longtemps travaillé dans le département architecture des vitrines chez Chanel Joaillerie. « A travers cette volonté de faire rentrer une plus large clientèle, les maisons se sont vite rendu compte de l’importance à 138 GOURONNEC Ninon, Les Flagships, nouveaux empires des marques de luxe, 9 Octobre 2013, http://ursofrench.fr. 139 CHEVALIER Michel, GUTSATZ Michel, Luxe & retail : le point de vente, lieu d'excellence, ed. Dunod, 2015, page 155.

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consacrer à leurs vitrines. En effet la vitrine est le premier point de contact de la marque sur sa future clientèle ; elle représentera très vite une opportunité incroyable pour les artistes scénographes d’exposer leurs oeuvres quand bien même au service de la marque. Alors la vitrine qui n’était auparavant qu’une sorte d’écran sur la rue devient un musée à ciel ouvert racontant l’univers de la marque. Par delà leurs vitrines, les maisons du luxe ont du repenser l’architecture intérieure de leurs boutiques afin de répondre à de nouvelles attentes. (…) Le client ne recherche plus seulement à acheter un produit d’exception unique au sein de la boutique. Face à ce nouvel enjeu, les boutiques traditionnelles se sont métamorphosées en de véritables temples de marque qui puissent marquer l’imaginaire collectif et devenir un repère dans la ville dans laquelle elles s’implantent. »140

Aujourd'hui, plus qu'un espace d'exposition dû a un lieu de vente, a une architecture corporative, les vitrines sont architecturées, scénographiées, et cherchent a créer du désir. Ce sont de réelles manufactures a rêves. Les vitrines sont désormais de vraies créations artistiques et architecturales a part entiere, a l'image de celles de Louis Vuitton ChampsÉlysées par exemple, dont le budget annuel est supérieur a un million d'euros. Les vitrines agissent ainsi comme des interfaces qui segmentent les privilégiés de ceux qui ne le sont pas, mais qui cherchent aussi a séduire le passant pour le rendre privilégié. La vitrine rend le luxe accessible visuellement, et visuellement seulement, a tous mais place une réelle distance entre ceux qui y ont physiquement acces ou non.

140 RIPARI Karine, Art & Luxe : évolution de la place de l'art au sein du monde du luxe / Comment la collaboration avec le monde de l'art est devenue une véritable stratégie des maisons de luxe, sous la direction d'Isabelle Lazarus, Master IDL/UPEM de Marne-la-Vallée, 2016, page 73.

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Figure 49 // Vitrines 2016 de la boutique Louis Vuitton des Champs-Elysées, Paris

La vitrine et l'univers sont deux notions essentielles, deux facettes de ce type d'architecture, deux composantes d'une icône architecturale, et deux postures par rapport a la valeur de privilege. L'un est visible de tous, l'autre est accessible a certains, pourtant il y a ici la même recherche de l'unique, de l'expérience et de l'envie de faire de vous le privilégié qui peut percevoir cela (même si cela est depuis l'espace publique). L'un est intérieur, l'autre extérieur. La façade apparaît comme l'élément architectural du basculement entre le consommateur lambda et le client fidele.

La vitrine devient aujourd'hui de plus en plus poreuse, et vise a flouter cette limite : Karine Ripari développe cet aspect durant nos entretiens : « Auparavant, les architectures des marques de luxe avaient peu de vitrines où l'on pouvait voir en arrière-plan, il s'agissait d'entretenir le mystère, on ne voulait pas que les gens pénètrent, mais juste qu'ils regardent. Aujourd'hui avec l'élan de démocratisation, la vitrine est le premier outil développé avec de gros budgets et un soin tout particulier est apporté aux décors et à l'éclairage. Depuis à peine 10 ans, des services entiers sont dédiés aux vitrines dans les maisons de luxe, de nombreuses collaborations avec des artistes sont faites comme pour Colette ou Chanel dernièrement... Il s'agit d'un travail en continuité qui assure les connections entre espace publique, vitrine, et boutique. Un travail de la contemplation qui appelle presque à la prière, au culte, et élève le

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produit au rang d'élément sacré. »

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La vitrine semble poser la, presque déja dans l'espace

public, les produits de luxe. Elle semble donner acces au produit de luxe mais semble seulement. À la question « La vitrine, est-ce un mensonge ? », Karine rétorque : « Un mensonge ? Non, un imaginaire. Un interface de rêve qui permet de revenir à de l'abstrait dans quelque chose de très concret. Toutefois cela est en effet très limité, la vitrine impose une mise à distance. »142 Si c'est un imaginaire c'est aussi la, la limite de la démocratisation et le début du privilege, tout le monde peut imaginer, certains seulement peuvent posséder.

L'ouvrage Luxe & Retail, démontre architecturalement différentes morphologies de vitrine ; des morphologies qui impactent directement le comportement du consommateur potentiel ou affirmé: « La vitrine fermée sans percées vers l'intérieur du magasin est une porte qui ne s'ouvre que sur demande – c'est le format traditionnel des boutiques de joaillerie et d'horlogerie comme Cartier. (...) La vitrine semi-ouverte, présentent les produits sur des arrières-plans escamotables qui donnent une vue partielle sur l'intérieur des magasins – essentiellement pour la mode ou la maroquinerie (…) La vitrine ouverte transparente qui permet au client de voir l'ensemble du magasin depuis l'extérieur (Versace sur la 5ème Avenue de New York). (…) Chacun de ces formats engendrera une relation différente entre le client et la marque. La démocratisation du luxe signifie aussi que des clients potentiels, qui ne sont pas initiés à la marque, doivent pouvoir y avoir accès sans se sentir rejetés ni intimidés. »143 L'architecture apparaît donc comme primordiale dans la relation de proximité entre la marque et le consommateur. Aujourd'hui les marques de luxe cherchent donc de plus en plus a augmenter le 141 Entretien avec Karine Ripari 14 novembre 2016, Mairie de Montpellier. 142 Entretien avec Karine Ripari 14 novembre 2016, Mairie de Montpellier. 143 CHEVALIER Michel, GUTSATZ Michel, Luxe & retail : le point de vente, lieu d'excellence, ed. Dunod, 2015, page 147.

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nombre d'initiés a pénétrer dans la boutique de luxe et cela passe par l'architecture. La façade est un élément de démocratisation, qui agit comme une bande-annonce. Elle présente le produit de luxe déja dans l'espace public. Cette architecture est décliné de plus en plus en Pop-up store comme évoqué plus haut : cette nouvelle forme d'architecture éphémere est utilisée comme une vitrine pour capter les gens les attirer dans l'univers de la marque mais de maniere moins intimidante que dans la boutique classique. La façade est une interface : aujourd'hui de plus en plus les marques cherchent ainsi a désacraliser le seuil classique en créant une entrée du consommateur qui soit différente : Burberry a Londres créé l'entrée de son showroom par un café, le Pop-up store Weston sur les Champs Elysées passe par un cinéma... De plus en plus l'acces a la marque de luxe se désacralise et s'installe naturellement dans le parcours urbain.

Figure 50 // Entrée de la boutique Burberry de Londres

Ainsi, la notion de privilege semble disparaître car l'acces au luxe se banalise. Pourtant le soin apporté aux ambiances, aux vitrines, et la qualité visuelle de ce qui est proposé semble donner le sentiment a chacun d'être un privilégié de pouvoir percevoir cela. La recherche de démocratisation de plus en plus accrue des marques de luxe va a l'encontre de celle de -128-


privilege, mais est nécéssaire a la marque. Cependant la limite est a trouver, car la banalisation est a double tranchant. La valeur de privilege semble paradoxale pour l'architecture de ces marques. Ce paradoxe tient en la division des acces au sein de l'architecture : entre démocratisation avec l'ouverture et la porosité des rez-de-chaussée, et ultra-privilege avec des espaces intimes, privé, a l'écart des masses populaires. Ici la notion d'icône architecturale et d'iconisation est pertinente car l'icône cherche une emprise, une accessibilité et donc une action sur une importante masse et non spécifiquement une élite. Comme développé précédemment, les marques de luxe, par le médium de l'architecture, cherchent a être visible de tous, mais accessibles seulement a certain, même si l'élargissement de cette élite est perceptible. La notion de privilege s'amenuise, donc on la retrouve completement dans la volonté des marques d'offrir une expérience unique et personnelle. Le privilege réside donc dans la personnalisation de la cérémonie de vente.

La notion d'expérience apparaît avec l'évolution du rapport au luxe : une nouvelle éducation du luxe est prônée depuis les années 2000/2010. « Le luxe va au-delà du produit. Plus qu'une représentation à travers un objet, le vrai luxe est une expérience. C'est une émotion, quelque chose qui n'a pas de sens logique, qui se ressent avant de se définir. Dans les années 80/90, le luxe c'était le badge, la possession. Aujourd'hui, le luxe est lié au sentiment de plénitude qu'il procure, tout est sensation. Cela me fait penser à ce que Coco Chanel disait : ''' Une chose ne devient luxueuse qu'à partir du moment où l'on peut à la rigueur s'en passer, mais dont on ne se passe pas.'' ».144 Le luxe d'aujourd'hui est donc d'avantage de l'ordre de l'expérience et de l'affect que de la possession matérielle. C'est aussi ce qu'affirme Karine Ripari : « L’art et l'architecture se révèlent être de nouveau la solution aux problèmes rencontrés par les maisons de luxe dans leur relation client. En effet, le client 144 CHIQUET Maureen (PDG de Chanel US), propos recueillis par L. Benaïm pour Stiletto, 2014.

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a progressivement changé sa manière de consommer du luxe, et est devenu plus exigeant et toujours plus informé. On voit alors s’affirmer « un rapport au luxe d’un nouveau genre qui se détache du schéma traditionnel de la consommation ostentatoire au profit d’un modèle plus esthétique, émotionnel et subjectivisé. »145 Pour répondre à cette mutation sociologique du consommateur, les maisons de luxe ont collaboré avec l’architecture pour construire ce que certains, à l’image du philosophe Gilles Lipovetsky, dénomment désormais le « luxe expérientiel » ou « émotionnel». 146 »147

Figure 51 // Évolution de l'éducation du luxe

Il apparaît donc que désormais les consommateurs du luxe veulent appartenir a un univers, et vivre une expérience unique, exclusive et intime avec la marque en acquérant un produit de luxe. Alors que le luxe ostentatoire conférait un certain statut social, le luxe émotionnel se concentre sur l’individu lui-même et sur son désir d’expérience et de sens. On est donc passé d’un luxe statutaire et ostentatoire a un luxe émotionnel et expérientiel, d'avantage de l'ordre de l'affectif, de l'intime, du personnel et donc de l'unique. 145 LIPOVETSKY Gilles, « « De la consommation statutaire et ostentatoire au luxe émotionel », Entretien avec l’essayiste et philosophe Gilles Lipovetsky », propos recueillis par Isabelle Musnik. 146 LIPOVESTKY Gilles, Gilles Lipovetsky et le luxe émotionnel, Le Temps, 2 novembre 2009. 147 RIPARI Karine, Art & Luxe : évolution de la place de l'art au sein du monde du luxe / Comment la collaboration avec le monde de l'art est devenue une véritable stratégie des maisons de luxe, sous la direction d'Isabelle Lazarus, Master IDL/UPEM de Marne-la-Vallée, 2016, page 54.

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L’expérience unique pour n'importe qui s'apparente des lors a un sur-mesure, et donc a un privilege. « De la légendaire malle-lit créée pour les explorateurs Louis Vuitton en 1868, à l’écrin du plus vieux trophée sportif du monde, la maison Vuitton a toujours multiplié les ingénieuses et élégantes façons de satisfaire un besoin particulier pour ses clients, d’exprimer leur individualité, ou de concrétiser leur rêve. » 148 L'expérience est personnelle et personnalisée, l'individu est considéré comme un être unique avec des besoins et des envies uniques ; en cela c'est un privilege.

L'architecture, lors de l'expérience du consommateur est aussi travaillée pour hiérarchiser les privileges et l'unicité de cette expérience. Si les showrooms principaux larges et ouverts sont accessibles a la plupart de la clientele, seule une élite accedera a « un niveau plus élevé de luxe et d'intimité, avec un nombre accru de pièces ou de dispositifs architecturaux réservés aux clients privilégié (salons privés) et d'espaces différenciées comme ceux dédiés aux articles de voyages. L'ambiance et les techniques pour construire le désir deviennent de plus en plus précise et distinctes »149

L'architecture est donc le support et le générateur de cette expérience : la notion d'ambiance et d'univers est primordiale afin de proposer au consommateur plus qu'un acte d'achat, mais un acte d'adhérence. Si la notion de privilege semble s'estomper face aux besoins de démocratisation, l'architecture permet de générer des expériences toujours de plus en plus soignées, qui feront sentir au consommateur lambda que lui est un privilégié. L'évolution de l'éducation du luxe a permis ce double mouvement de démocratisation et de 148 BROQUET, Vuitton, la différence qui compte, Bilan, 27 février 2008. 149 MOSTAFAVI Mohsen, Louis Vuitton, architecture et intérieurs, ed. La Martiniere, 2011, « Louis Vuitton, l'architecture, la mode et la fabrication », page 245.

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privilege.

Néanmoins pour Michel Gutsatz, « L'éducation du luxe dépend de la culture. En Europe par exemple nous sommes dans une éducation du luxe très élégante, favorisant le chic au clinquant, un luxe qui se remarque subtilement mais ne se dit pas. En Asie, la culture du produit luxe est quelque chose où le produit de luxe est très discret, presque caché ; et a contrario en Amérique du Nord, le luxe est voyant, et claque. Cela change aussi les dispositifs architecturaux. Au Japon par exemple où le luxe est très discret, vous trouverez peu de pièces exposées, mises à distance sous verre dans une architecture très épurée dont les personnes sont très respectueuses, alors qu'aux États-Unis, où le luxe est d'avantage clinquant, le client à besoin de voir beaucoup de produits, de les prendre et les toucher dans un environnement plus ostentatoire. Cela change complètement la morphologie des lieux. »150 Malgré cela, pour lui, n'importe où dans le monde, « l'architecture met en œuvre la fidélisation du client, par la qualité des espaces, l'exigence, et l'excellence. »151

L'icône architecturale se construit et s'affirme donc sur cette capacité a produire et proposer en un seul et même lieu, une expérience différente a chacun de ses usagers. Seul l'icône architecturale semble ainsi pouvoir atteindre le niveau d'excellence exigé par la marque de luxe.

150 Entretien téléphonique avec Michel Gutsatz, 07 décembre 2016. 151 Entretien téléphonique avec Michel Gutsatz, 07 décembre 2016.

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3.3 Le luxe est l'excellence. De l'exigence du produit, à l'exigence de son écrin.

« Lorsque les gens entrent chez Louis Vuitton, ils devraient y trouver le meilleur niveau de service au monde » Bernard Arnault.152

La valeur de l'excellence dans l'univers du luxe est la plus fondamentale des valeurs. Tant dans le dessin et la réalisation du produit de luxe (matieres, artisans...) que dans la distributions (présentation, mise en scene, personnel...) ou la communication (égéries...) ; la marque de luxe fait et valide une série de choix. Ces choix, dans le luxe sont perpétuellement tournée vers l'excellence. Cela confirme la légitimité de la marque en tant que marque de luxe mais cela participe aussi a composer l'histoire, la philosophie et la clientele de la marque de luxe. L'exigence est faite sur le produit de luxe, elle l'est aussi aujourd'hui sur l'écrin qui accueillera et présentera ce produit de luxe.

En architecture donc, l'excellence est aussi primordiale. La notion d'icône en architecture pour les marques de luxe atteste de l'exigence qu'ont les marques a produire des édifices aussi excellent que leurs produits. Une marque iconique a besoin de produits iconiques et donc d'architecture iconique. Cela passe notamment par des collaborations avec les grands architectes qui aujourd'hui dessinent et influences l'histoire contemporaine de l'architecture. Rapidement évoqué en premiere partie de ce mémoire, les collaborations entre grands architectes et Maisons de Luxe sont récurrentes. Il s'agit d'échanges de signatures : Nouvel pour Cartier, Hadid pour Chanel, Gehry pour Vuitton. Avec l'éternelle recherche du 152 ARNAULT Bernard, Retail Optimization is Luxury's New Buzz, WWD, 25 mai 2010.

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meilleur, afin de correspondre aux valeurs d'excellence qu'elles prônent, les Maisons de Luxe font subséquemment appel aux meilleurs architectes. Il s'agit des lors d'un gage de qualité, de légitimité, et d'excellence, autant pour l'architecte qui a travaillé pour de grandes Maisons de Luxe que pour la Marque de Luxe qui elle, a fait appel a tel ou tel grand nom de l'architecture.

Cet échange de bénéfice, ces collaborations, sont dues pour Karine Ripari, au phénomene de démocratisation du luxe énoncé précédemment. En effet, la perte d'aura générée par ce phénomene serait ainsi contrebalancée par la collaboration exigeante de la marque avec l'architecture. Une collaboration au service du luxe. « Grace

à une

communication centrée sur les collaborations artistiques (dont l'architecte fait partie), les maisons de luxe sont parvenues avec brio à lutter contre le risque de banalisation. De fait, par leur collaboration avec des architectes « stars », elles ont réussi à révéler à nouveau le côté exceptionnel de leurs produits. »153 La collaboration semble donc primordiale dans la quête d'excellence. En architecture, comme en art (Murakami ou Koons pour Louis Vuitton), il s'agit de choisir l'architecte ou l'artiste en vogue sur le moment, afin de générer un héritage a la marque, qui témoignera de son excellence.

Pour Bernard Arnault (a propose de Louis Vuitton) ; « Notre modèle repose sur une vision de long terme, valorise l’héritage de nos Maisons et stimule la créativité et l’excellence. Il est le moteur de la réussite du Groupe et le garant de son avenir. »

154

La

recherche d'échanges riches et créatifs permet de créer une relation avec la qualité qui puisse être le gage de durabilité de la marque (héritage). La valeur d'excellence dans la collaboration entre architecte et marque de luxe est double. Les deux entités étant d'hors et déja excellentes 153 RIPARI Karine, Art & Luxe : évolution de la place de l'art au sein du monde du luxe / Comment la collaboration avec le monde de l'art est devenue une véritable stratégie des maisons de luxe, sous la direction d'Isabelle Lazarus, Master IDL/UPEM de Marne-la-Vallée, 2016, page 52. 154 ARNAULT Bernard, Retail Optimization is Luxury's New Buzz, WWD, 25 mai 2010.

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individuellement, il s'agit d'une collaboration pour l'excellence (l'amplifier, la renforcer, l'affirmer), et une collaboration par l'excellence (cette collaboration est possible seulement parce que l'autre acteur est excellent).

Outre la collaboration, l'excellence de l'icône architecturale dans l'univers du luxe est avant tout mise en œuvre dans l'objet architectural en lui-même. Le travail du détail est nécéssaire afin de proposer un écrin au moins aussi luxueux, dans le sens excellent, que les produits qu'il accueillera. « Dieu est dans les détails » disait Ludwig Mies Van der Rohe.

Un grand travail de recherche est fait, et développé par les architectes et les maisons de luxe afin d'insuffler a l'architecture les mêmes qualités d'excellence qui sont imposées aux produits de luxe. En témoignent les nombreux carnets de recherches recueillis et publiés par la maison Louis Vuitton sur ces édifices. Le soucis du détail est une nécessité. Tout est pensé, dessiné, adapté, rien n'est standard. La boutique de luxe est conçue comme une piece de haute couture. De la même maniere donc le fermoirs d'un sac Louis Vuitton va être inventé, designé, la poignée de porte va être traitée. Comme le cuir d'une malle Louis Vuitton va être sélectionnée chez les meilleurs tanneurs, et commandé exclusivement dans telle teinte, l'architecte dessine la maille de la façade sur mesure et fait appel aux meilleurs serruriers. Le même degré d'exigence jusque dans les moindres détails est exigé en mettant en analogie le produit de luxe et l'architecture de luxe.

« Cet aspect de l'architecture Louis Vuitton, n'est pas sans analogie avec la façon dont les stylistes développent les idées en fabricants divers échantillons de leur travail. (…) Le caractère direct et l'immédiateté des méthodes utilisés par les stylistes ont quelque chose d'extrêmement puissant que la Maison Louis Vuitton a su s'approprier dans ses différents -135-


projets architecturaux. (…) A la différence d'Adolf Loos, qui voyait dans l'ornement une forme de crime, les auteurs de ces façades ne le considèrent pas comme un ajout rapporté après coup, mais plutôt comme un matériau constitutif de la logique esthétique de l'enveloppe. A l'instar d'un certain type de vêtements, l'attrait, la texture et les motifs des façades sont des composantes essentielles de leurs fonctions. Les façades à double peau et la maille métallique sont des accessoires de l'architecture de la marque Louis Vuitton qui n'ont cessé d'évoluer. Ils fournissent une sorte d'appareillage, ou d'échafaudage, une enveloppe spatiale permettant d'explorer d'éventuelles variations de profondeur du revêtement extérieur de l'édifice »155

Figure 52 // Extraits des carnets de recherches des architectes pour Louis Vuitton Source : Louis Vuitton, architecture et intérieurs 156 (disponibles en annexe)

Ce travail de la peau, de l'ornement, pouvant être décrié, témoigne néanmoins du travail de recherche fait afin de travailler cette peau, ou plutôt cette seconde peau telle un vêtement sur lequel on travail le motif. Le traitement des revêtements dans une idée d'excellence est analogique aux produits qui y seront vendus. La peau est une préoccupation 155 MOSTAFAVI Mohsen, Louis Vuitton, architecture et intérieurs, ed. La Martiniere, 2011, page 243-244. 156 MOSTAFAVI Mohsen, Louis Vuitton, architecture et intérieurs, ed. La Martiniere, 2011.

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majeure pour l'architecture Louis Vuitton, et d'autant plus lorsque l'on parle d'icône architecturale. « C'est à travers ce revêtement que la marque s'annonce à la ville, et à sa clientèle. Plusieurs sont composés par des matériaux qui évoquent le tissus et ainsi que le font les vêtements, ils suscitent une sensation presque douce, tant à l'oeil qu'au toucher. »157 Ces édifices exposent généralement des matériaux qui ne sont pas nécessairement luxueux, tout comme le sac a main marron classique monogrammé de Louis Vuitton est en toile PVC ; mais cela reste des éléments qui semblent l'être grâce aux traitements, aux finitions et a la composition choisie. Si l'excellence n'est pas toujours dans le matériau, elle l'est inconditionnellement dans la finition, et l'apparence.

« L'utilisation de couches de matériaux tels que le verre ou le grillage métallique à été un facteur clé pour le développement de qualités perceptuelles complexes qui visent à évoquer des sentiments de confort, de sensualité et de luxe. Les effets produits par les façades des batiments de Louis Vuitton sont toujours discret, et dépendent avant tout des changements de la lumière (jour et nuit ou saisonnières). (…) De telles transformations sont, métaphoriquement semblables aux dimensions saisonnières des produits Louis Vuitton. Une autre qualité de ces extérieurs est le sens du mystère qu'ils dégagent. Leur ressemblance avec un voile suggère à peine les objets de désirs offerts à l'intérieur. Le revêtement de ces immeubles dévoile et dissimule à la fois. »158

Le soucis du détail pour coller a l'univers de la marque mais aussi au monde de la mode et de ses changements, pour interagir avec son contexte, son environnement, la lumiere, etc, témoigne de la recherche de l'excellence sur tout les fronts. C'est en cela que se dessine 157MOSTAFAVI Mohsen, Louis Vuitton, architecture et intérieurs, ed. La Martiniere, 2011, « Louis Vuitton, l'architecture, la mode et la fabrication », page 246. 158 MOSTAFAVI Mohsen, Louis Vuitton, architecture et intérieurs, ed. La Martiniere, 2011, « Louis Vuitton, l'architecture, la mode et la fabrication », page 246.

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une icône architecturale ; par son efficacité, qu'elle soit architecturale, identitaire, interactive mais aussi affective, mentale et morale.

Afin de toujours réinventer les codes de la marque identifiés plus haut dans ce mémoire, l'icône architecturale les réinterroge, les recompose, les décline et les rend uniques afin de ne jamais se satisfaire de ce qui a déja été fait. A l'instar de cela, Louis Vuitton réinvente, perpétuellement sa classique petite malle de voyage en la passant dans les mains de différents artistes et designers, tout en conservant irrémédiablement l'ADN propre de la marque. « La maille métallique scintillante drape le verre de l'intérieur de la façade telle une robe qui devient plus transparente et révélatrice la nuit que le jour. (…) L'emploi dans de nombreux magasins d'une façade à double épaisseur en tant que dispositif optique leur conféra une apparence bien distincte qui fit que les clients potentiels reconnaissaient immédiatement un magasin Louis Vuitton. »159

L'exigence de l'excellence par la marque de luxe la définie elle-même. Cette exigence qu'elle met dans le produit et dans le service, se retrouve indéniablement dans son architecture, jusque dans les moindres détails de façades, de mobiliers, de circulations. C'est aussi ce qui affirme une architecture en tant qu'icône architecturale. Sa perfection l'éleve au rang sacré de l'objet précieux, de l'icône.

Mais l'icône va au-dela du beau, de l'esthétique et de l'apparence parfaite. L'icône architecturale est une incarnation de ce qu'est et de ce que représente la marque de luxe. Elle seule suffit a comprendre la marque, ses valeurs, sa philosophie, son histoire, son univers et ses produits. C'est en cela aussi qu'elle est un gage d'excellence. En effet, elle outrepasse ses 159 MOSTAFAVI Mohsen, Louis Vuitton, architecture et intérieurs, ed. La Martiniere, 2011, « Louis Vuitton, l'architecture, la mode et la fabrication », page 243.

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fonctions premieres de contenant, ou d'une belle image tres esthétique, pour devenir porteuse d'un patrimoine.

Précédemment dans cet écrit était fait état du glissement du statut d'icône de la marque de luxe, du produit vers l'égérie, puis vers l'architecture. Dans ce dernier glissement était évoquer la notion de désincarnation. En effet l'icône est désincarnée en se muant d'un corps vivant (l'égérie) a un corps inerte (édifice). Néanmoins, l'icône architecturale semble paradoxalement

s'imposer

maintenant

comme

désincarnation.

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une

incarnation

parfaite

via

cette


Conclusion de la partie 3

Si la notion de luxe est définie par un ensemble de valeurs qui lui sont propre, il semble naturel d'attendre à les retrouver dans chaque action de la marque : que ce soit dans sa communication, dans ses produits, mais aussi, avec son essor, dans l'architecture. Un lien indéniable apparaît alors entre ce que produit la marque (dont l'architecture) et ce qu'elle prône comme la définissant (son éthique et ses valeurs). L'étroite filiation entre la marque et l'architecture passe donc par l'interêt et le respect des mêmes valeurs : unicité, privilège, et excellence. L'unicité tend à affirmer l'icône architecturale en tant que telle. Elle est exceptionnelle, contextuelle et émotionnelle. La notion de privilège semble toutefois contredite face au phénomène de démocratisation des marques de luxe. L'architecture se dresse comme l'art actuel le plus démocratique, permettant ainsi aux marques de luxe de garder le prestige induit par la filiation au domaine artistique tout en s'adressant à un public plus large. Néanmoins, l'architecture permet aussi de générer des expériences toujours de plus en plus soignées, qui font sentir le consommateur lambda comme privilégié. L'icône architecturale s'affirme en tant que telle sur cette capacité à produire et proposer en un seul et même lieu, une expérience différente à chacun de ses usagers, et donc une expérience privilégiée. Enfin, l'icône architecturale semble seule capable de partager la valeur d'excellence exigée par la marque de luxe. Cette exigence usuellement mise dans le produit et dans le service, se retrouve inévitablement dans son architecture, jusque dans les moindres détails, afin de la confirmer en tant qu'icône architecturale. Son excellence est ce qui l'élève au rang sacré d'icône. C'est en cela que se dessine une icône architecturale ; par la capacité de faire de l'architecture le porte-étendard de la marque. Une architecture est une icône -140-


quand elle est porteuse de valeurs. Quand sa seule présence suffit à comprendre la marque, au delà de son identité, jusque dans son éthique. L'icône architecturale outrepasse ses fonctions premières de contenant, ou d'une belle image très esthétique, pour devenir porteuse d'une pensée. C'est en cela que se distingue aussi le magasin de luxe et le magasin bon marché : l'architecture pour le luxe est traitée comme un produit de luxe semblable à ceux qu'elle accueille (exceptionnelle et unique), alors que l'architecture des magasins bon marchés se suffit à des hangars décorés et standardisés. Ainsi, si elles ne sont pas nécessairement exaltées et évidentes, toutes les valeurs prônées par le luxe sont impérativement retranscrites dans l'architecture des marques de luxe, permettant de statuer cette architecture comme icône absolue.

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- CONCLUSION GÉNÉRALE ET OUVERTURE -

S'il apparaît aujourd'hui comme indéniable la collaboration entre l'architecture et l'univers du luxe, il est a ne pas omettre l'idée que cette collaboration vise avant tout a produire une forme toute particuliere d'architecture, qui est celle de l'icône architecturale.

Le concept d'icône architectural apparaît comme une sacralité de l'objet architectural, de l'ordre de l'exception, de l'exceptionnel, personnification de la marque de luxe. L'origine du mot icône, tirée du vocabulaire de la religion, n'est d'ailleurs par étrangere a cela. L'idée de luxe induit immédiatement dans l'esprit de tout un chacun une série d'image mentale. Un sac de créateur, un parfum enivrant, l'image sur papier glacé d'une fourrure... De plus en plus, il apparaît que cette notion de luxe se mentalise aussi au travers de ces architectures. La boutique Dior bleuté Avenue Montaigne, la fondation Louis Vuitton … C'est le rôle dans chaque maison de couture de ces architectures. Créer des icônes, des images signées, identité même de la marque et de son idéologie. L'icône architecturale apparaît des lors comme un outil de représentation, mais aussi de promotion et de médiatisation. C'est le dessein de toute icône dans le luxe, qu'il s'agisse d'un sac emblématique ou d'une égérie glamour.

L'architecture est devenu, au travers de l'idée d'icône, la réponse a un double phénomene de perte d'aura des marques de luxe : la digitalisation d'une part, qui est croissante, et la nécessité de démocratiser le luxe dans le but d'élargir sa gamme clientele. Si l'architecture est aujourd'hui si développée dans les maisons de luxe internationales, c'est parce que face a chaque problématique, elle offre une réponse pertinente. Face au phénomene -142-


de démocratisation auquel ont dû se résoudre les maisons de luxe, l'architecture se dresse comme l'art actuel le plus démocratique, permettant ainsi aux marques de luxe de garder le prestige induit par la filiation au domaine artistique, tout en s'adressant a un public plus large. En proposant une expérience a la fois unique, puissante et signifiante a leurs visiteurs, les lieux des marques de luxe deviennent bien plus que de simples « points de vente » et proposent un univers complet visant la fidélisation de client. Le concept d'icône architecturale, s'est imposé comme la stratégie idéale pour une marque. Si l’architecture est le premier lien entre la marque et le consommateur, l'icône architecturale s'affirme comme outil de communication, qui, poussée a son paroxysme tend a faire de la marque de luxe une religion dont le consommateur est le fidele. Expression de pouvoir, et de prestige, l'architecture iconique ancre la marque dans la culture en lui donnant une complete légitimité et tend a l'institutionnaliser en faisant d'elle un acteur fondamental de la ville contemporaine.

L'architecture et tout particulierement l'icône architecturale s'impose donc dans les stratégies des marques de luxe comme leur identité, le reflet de ce qu'elles sont et de ce qu'elle véhicule. Alors que la notion de luxe se définie par un ensemble de valeurs qui lui sont propre, il semble du devoir de l'architecture d'en véhiculer l'éthique. Savoir-faire, unicité, privilege, rareté, créativité, excellence, exigence. L'architecture-icône vise a représenter et concrétiser ces valeurs. L'icône architecturale ne se définit en tant que telle, dans ce contexte, seulement parce qu'elle est en mesure, par sa seule présence de représenter l'intégralité de ce qui compose la marque de luxe. L'icône architecturale se doit d'outrepasser ses fonctions premieres de contenant, d'écrin, ou d'une belle image tres esthétique, pour devenir porteuse d'une pensée. L'icône architecturale est un objet de luxe. Elle possede les mêmes caractéristiques, est régie par la même philosophie, et exige le même soin et travail qu'un produit « classique » de luxe. Dans l'univers du luxe, est icône un objet exceptionnel, -143-


contextuel, et émotionnel. Dans ce même univers, est icône architecturale tout objet architectural qui a la même exigence.

L'icône architectural s'impose aussi par sa prédisposition a créer plus qu'une simple visite, qu'un simple achat, mais réellement une expérience ; et non seulement une expérience commune, visant l'idée d'appartenance, mais d'avantage encore une expérience différenciée et individualisée. L'icône architecturale s'affirme en tant que telle sur cette aptitude a produire et proposer en un seul et même lieu, une expérience différente a chacun de ses usagers, et donc une expérience privilégiée. En cela elle est aussi capable de fidéliser sa clientele et d'en constituer une nouvelle. Cette notion d'expérience transcendante est aussi ce qui la ramene a son origine : le rang sacré d'icône, le rang de la religion et du culte.

Ce mémoire visait a démontrer le caractere indispensable de l'icône architecturale dans le domaine du luxe. L'idée était d'interroger le concept d'icône en architecture, a la croisée des dispositifs architecturaux et des codes du marketing de produit de luxe; les marques de luxe ne devenant plus nécessairement le cœur du questionnement, mais un prétexte pour expérimenter le concept d'icône. Il s'agissait de chercher a proposer une définition parmi tant d'autres possibles de ce qu'est une icône architecturale dans l'univers du luxe, de voir comment elle se construit, se pense, et évolue.

Pour Guillaume ETHIER, « Cette architecture peut être assimilée à une sorte de sculpture à grande échelle qui vient ponctuer l’environnement urbain pour y créer de nouveaux objets visibles de loin. Au-delà de ses formes, cette architecture a également une signification sociale. Elle n’est pas qu’un signifiant sans autre signifié qu’un ceci est de

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l’architecture. »160 Il poursuit en la définissant « comme avant-gardiste, unique, énigmatique, monumental, reconnaissable par le public, en rupture avec son contexte d’implantation et destiné à devenir célèbre », munie d'un « double mouvement de distinction et de rétroaction sur leur contexte d’implantation qu’affectionnent ces édifices. Ainsi, ils construisent un rapport complexe avec un environnement urbain dans lequel ils s’insèrent : ils l’interprètent afin de produire une architecture qui puisse, dans un même élan, s’en démarquer et l’incarner. »161

Pour Christophe Camus, les icônes architecturales sont semblables a des « étoiles qui labellisent et donnent de la visibilité, les starchitectures s’affichent et signent leurs messages, si bien qu’on finit par reconnaître un Gehry ou un Libeskind en visitant une ville. »162

Ces définitions semblent récurrentes avec ce qui a précédemment était développé dans ce mémoire. On y retrouve les mêmes notions de visibilité, de signifiant, d'avant-gardisme (comme doit l'être le luxe), de reconnaissance, de contexte, etc... Néanmoins, si, certes, ces définitions tendent a expliquer l'icône architecturale, l'icône architecturale pour l'univers du luxe est quant a elle d'avantage encore. Elle y appose d'autres notions comme l'expérience, la légitimité, l'incarnation, et la transmission.

Donner une définition de ce qu'est une icône architecturale est difficile, tant le terme d'icône est subjectif. Ce qui est iconique pour moi ne le sera pas nécessairement pour autrui. Le terme même d'icône est affectif et ne répond a aucun absolu. Néanmoins un ensemble de marqueurs identifiés peuvent en esquisser une réponse. Une icône architecturale peut ainsi (et 160 ETHIER Guillaume, L'icône autopoiétique : l'architecture de la renaissance culturelle de Toronto, éd. Presses de l'Université de Québec, 2013. 161 ETHIER Guillaume, L'icône autopoiétique : l'architecture de la renaissance culturelle de Toronto, éd. Presses de l'Université de Québec, 2013. 162 CAMUS Christophe, A quoi servent les architectes ?, www.laviedesidées.fr, 01 janvier 2016.

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non nécessairement doit) s'affirmer en tant que telle par sa capacité a être représentative et expressive du statut de la marque de luxe, a la légitimer encore d'avantage comme marque de luxe, a être exigeante et donc n'exiger que le meilleur (propre au luxe), a être contextualisée et proposer une réelle interaction avec son environnement, a être vecteur de démocratisation, a ne pas imposer mais proposer une expérience différente a chacun, a fidéliser le client et enfin a être porteur et vecteur d'une éthique et de valeurs. Juger la présence ou non de ces marqueurs sur une architecture afin de faire d'elle une icône reste encore ici de l'ordre de la subjectivité. Il n'y a donc pas de recettes pré-établies qui permettrait de dire ce qu'est une icône architecturale, ou comment elle se construit.

Figure 53 // Marqueurs pouvant tendre vers l'identification d'une icône architecturale

Il est même finalement nécéssaire de se demander si l'on peut réellement établir une icône. Peut-on vraiment parler de concept de l'icône ? Une icône se conçoit-elle ?

De plus en plus, il apparaît que le terme d'icône est organique. Il est de l'ordre de

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l'accident, il est imprévu et incontrôlé. Le sac Kelly d'Hermes est devenu une icône parce que Grace Kelly l'a arboré, le Chanel N°5 est devenu iconique quand Marilyn Monroe a déclaré qu'elle ne portait uniquement que cela pour dormir. Aujourd'hui on pousse les produits a devenir iconique. Mais peut-on produire une icône ? Karine Ripari évoque dans nos entretiens163, le fait que Chanel cherche depuis maintenant six ans a faire de la montre J12 son icône joaillerie. Pourtant, peu de personne ont l'image mentale de l'objet et de son univers a la simple évocation de son nom. L'icône est en réalité un processus long et incontrôlable. On veut faire une icône mais une icône ne se fabrique pas de maniere scientifique, avec des regles. Néanmoins, ces marqueurs identifiés plus haut tendent a définir une liste nonexhaustive de criteres permettant l'identification et la justification d'une icône architecturale, mais a posteriori seulement de sa conception, et non comme criteres d'élaboration.

Figure 53 // La Montre J12 : une future icône de Chanel ?

Il y a toujours dans l'icône, et dans l'iconisation une part de « magie », d'imprévu, de mystere, 163 Entretien avec Karine Ripari 14 novembre 2016, Mairie de Montpellier.

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et de non-maîtrisable. En architecture aussi. Le 29 Rue Cambon est une icône architecturale de la marque Chanel mais l'est devenu progressivement parce qu'elle reste le berceau de création de la Maison depuis presque un siecle. Avec la Fondation Louis Vuitton, il a été souhaité de créer une icône architecturale, hors une icône ne s'invente pas, elle le devient. Le deviendra-t'elle ? Seul le temps sera en capacité de le confirmer ou de l'infirmer. Une icône est spontanée et non-maîtrisée. On ne parle d'ailleurs d'icône qu'a posteriori. Un objet est reconnue comme icône et non créé comme iconique. La subjectivité et la reconnaissance de la masse populaire ou de la profession ne semblent pourvoir être que les seules a définir ce qui est iconique ou non. Ainsi, il est a noter que définir une icône dans l'univers du luxe tient également du ressort de la popularité. Une icône architecturale dans l'univers du luxe ne peut être affirmée en tant que telle qu'apres édification, et accueil du public. Elle ne peut pas se créer, se maîtriser, mais peut toutefois tendre vers ce statut, en y insufflant un certain nombre de marqueurs comme ceux relevés précédemment.

Figure 55 // Impossibilité de parler d'icône dans le processus de création

De plus une distinction semble nécessaire a ajouter. Avec la Fondation Louis Vuitton, il semblerait qu'on ne puisse pas parler d'icône architecturale. D'abord parce qu'en tant qu'architecture récente, le statut d'icône n'est pas nécessairement admis dans l'esprit

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populaire ; mais parce que cette fondation est extériorisée a la marque de luxe ; c'est une institution. L'architecture développée depuis les années 2010 par les marques de luxe tend a créer de réels bijoux architecturaux, un univers, mais cet élan semble en effet de plus en plus plagié par les marques les plus populaires comme Zara, ou Comme des Garçons qui cherchent de plus en plus a s'apparenter a un univers haut-de-gamme. En partant de ce constat, nous avons déja mentionné le fait que les marques de luxe ont ainsi cherché a proposer autre chose dans leurs boutiques, a créer une valeur ajoutée. Les boutiques se sont ainsi vues affublées de galeries, de bibliotheques, de cafés. Ce couplage a des éléments d'avantage institutionnels, ont a l'extrême engendré la perte de l'aspect boutiques, et aujourd'hui, les architectures des marques de luxe sont devenue (certes pas toutes), des institutions a part entiere. C'est notamment le cas de la Fondation Louis Vuitton. « Ces nouveaux monuments abritent le plus souvent des programmes culturels, des musées et des salles de concert. S’agirait-il peut-être désormais du seul type d’institution qui fait consensus dans la société ? »

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Avec la

Fondation Louis Vuitton, la marque cherche par cela a s'ancrer totalement dans la culture nationale et a égaler les plus grandes institutions française. Cette architecture institutionnelle a donc dépassé ses propres limites de patrimoine de la marque, pour devenir patrimoine national, assurant la pérenne légitimité de Louis Vuitton dans le paysage mondial. En cela il ne s'agit pas ici d'une « icône architecturale d'une maison de luxe », mais une « architecture institutionnelle française portant le nom d'une marque ». Ainsi, l'emprise et l'influence sur la culture nationale de la marque est telle qu'elle est en capacité de concurrencer le rôle de l'État. Cette « ubérisation » de la culture reste somme toute inquiétante. Les marques de luxe au travers des pouvoirs qui lui sont alloués via ce type d'architecture, peuvent tendre (a l'extrême) vers une certaine forme de « diktats », ou du moins de gouvernance totale des politiques. 164 ETHIER Guillaume, L'icône autopoiétique : l'architecture de la renaissance culturelle de Toronto, éd. Presses de l'Université de Québec, 2013.

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Figure 56 // Phénomène d'institutionnalisation de la marque de luxe

Dans la mesure, où l'architecture pour les marques de luxe tend de plus en plus a s'inscrire dans des institutions concretes, et où, avec le phénomene de digitalisation amorcé ces sept dernieres années semble tendre vers des boutiques de plus en plus virtuelles ; il est naturel de se demander : Quel avenir pour l'icône architecturale dans le luxe ?

Pour Karine Ripari, architecte chez Burberry, « En 2017, l'expérience des boutiques est parfaitement gérée, l'expérience internet l'est aussi. Mais il manque clairement une expérience commune. La volonté actuelle est de pouvoir retrouver en boutique la même expérience que chez soi sur internet, et inversement. La notion de digitalisation de la boutique est amorcée, au-delà de placer trois ou quatre tablettes tactiles. On parle aujourd'hui de la disparition de la boutique de luxe tel qu'on la connaît actuellement, vers plutôt des showrooms connectés, avec un panier virtuel, pas de produit physique, un développement de la personnalisation, l'enregistrement de vos data, etc. En cela, Burberry fait de réels effort de recherche depuis 10 ans sur la digitalisation, vers la personnalisation totale pour ne plus acheter un produit qui existe. Par exemple pour un sac : on aura directement le choix de la matière, de la finition, de la couleur, des fermoirs, des gravures, des dimensions ...»165 L'architecture et donc intrinsequement l'icône architecturale semble être a l'aune d'une totale transformation, voir presque d'une disparition, ou tout du moins d'une certaine dématérialisation. Pour Michel Gutsatz, son analyse est quelque peu différente : « La 165 Entretien avec Karine Ripari 14 novembre 2016, Mairie de Montpellier.

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boutique restera l'élément central chez la marque de luxe. De luxe peut-être seulement. Aujourd'hui, la vente digital dans le luxe ne représente que seulement 5% des ventes. Les gens ont besoin d'une expérience physique quand ils achètent un produit de luxe. »166 L'ouvrage Luxe & Retail qu'il a co-écrit avec Michel Chevalier, semble en effet confirmer cela. « Un accès accru à l 'internet mobile libère l'expérience commerciale des contraintes de l'environnement physique et de l'environnement en ligne traditionnel, permettant ainsi au shopping de se faire presque n'importe où. (…) Mais les magasins physiques constituent toujours le meilleur moyen de communiquer avec les clients et de leurs offrir une expérience originale. »167 Malgré des transmutations notables a prévoir, il semble assez hasardeux d'envisager l'évolution de l'architecture dans l'univers du luxe. Les avis et arguments contradictoires laissent dans un flou partiel la possible évolution de cette architecture et celle de l'icône. Si l'objet de luxe reproduit en plusieurs exemplaires comme les parfums par exemple viennent a disparaître, comme l'affirme Karine Ripari au profit d'un parfum surmesure pour chacun ; est-ce la disparition de l'icône, la disparition du classique Chanel N°5 ? L'idée d'icône, et donc d'icône architecturale résistera t'elle a ce phénomene de digitalisation ?

La notion de digitalisation du luxe et de l'architecture semble indispensable a la conclusion de ce mémoire. Le changement de paradigme qu'elle semble instaurer, dessine ici un nouvel axe de recherche a développer prochainement. Qu'impose la notion de luxe 2.0 ? Alors que l'architecture est aujourd'hui l'interface majeur entre la marque et ses fideles, n'estelle pas compromise demain face a la digitalisation ? Comment aujourd'hui, le luxe peut-il se réinterroger face a cette digitalisation, réinterroger ses acquis pour être encore et toujours précurseur ?

166 Entretien téléphonique avec Michel Gutsatz, 07 décembre 2016. 167 CHEVALIER Michel, GUTSATZ Michel, Luxe & retail : le point de vente, lieu d'excellence, ed. Dunod, 2015, page 280.

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Ce passage a l’ere digitale, s’il paraît contradictoire face aux valeurs traditionnelles du luxe, est pourtant nécessaire pour séduire la génération Y, ultra-connectée, mais aussi pour répondre aux besoins d’un consommateur devenu « omnicanal ».

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Ce phénomene est

notamment dû au large développement des réseaux sociaux : Facebook, une marque qui n'existe pas sur Facebook n'existe pas, Twitter, qui favorise l'immédiateté, et dont les 140 caracteres maximum, privilégient les breves, et la réactivité ; mais aussi Youtube, Instagram ou encore Pinterest. Le digital permet une meilleure connaissance du client, mais aussi une meilleure expérience et un service plus personnalisé et humanisé. Les outils du digital sont aujourd’hui considérés comme de nouveaux relais de fidélisation du consommateur. « JeanLouis Dumas disait « Le luxe, c’est créer un rêve qui perdure ». C’est désormais plus que jamais possible avec le digital, qui permet de prolonger l’univers de la marque, à la maison grace à l’ordinateur, mais désormais aussi partout, tout le temps, grace au smartphone, et d’assurer une continuité de l’expérience client en dehors des temples traditionnels du luxe. (...) Moet & Chandon fournit un très bon exemple de stratégie digitale sur les réseaux sociaux : durant l’été 2014, pour populariser sa gamme « Ice Impérial », Moet a lancé un défi à ses internautes sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter : publier une photo de soi en train de consommer le fameux champagne dans un univers correspondant à une thématique : « Urban and Fresh » pour Juin, « Sea and White » pour Juillet, et « Pool and White » pour Aout, avec le « hashtag » #MoetMoments. L’internaute ayant publié la meilleure photo gagne un dîner aux chandelles avec champagne à volonté 169. Cette stratégie, étendue sur plusieurs réseaux sociaux, permet également à la marque de découvrir les usages du consommateur et la manière dont il consomme ce champagne. En outre, la filiale

168 Source : Article ESCP, « Luxe et « digital » : la réconciliation des paradoxes au service du parcours client », 2010. Omnicanal : qui utilise tous les canaux de contact et de vente possibles. 169 http://www.mydigitalluxurygalaxy.com/moet-chandon-ca-petille-sur-les-reseaux-sociaux

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américaine de Louis Vuitton a eu l’idée ingénieuse de se servir du réseau social Twitter comme nouveau service client : les consommateurs peuvent y envoyer leurs questions et recevoir des réponses quasiment en temps réel. (…) A l’ère de la massification, de la démocratisation et de la globalisation, internet est un nouveau moyen pour la marque de fidéliser ses clients en lui offrant une relation humanisée et personnalisée et un sentiment d’exclusivité. »170

Pour Jacques Chazelle171, les valeurs du luxe peuvent aujourd'hui paraître désuetes ; l'icône architecturale telle que développée et analysée dans cet écrit s'affirme comme telle en étant a la fois basée sur elles, et porte-étendard de ces mêmes valeurs. Pourra-t'elle demain encore être la clef-de-voûte des stratégies des marques de luxe ? L'introduction de ce mémoire ouvrait sur l'interrogation de la capacité de l'icône a être réellement encore aujourd'hui et demain, l'outil qui assiéra la suprématie de la marque de luxe dans la ville contemporaine. Il a en effet été développé que l'icône architecturale, même si elle ne peut officier comme concept créateur, est aujourd'hui un outil ancré et absolu dans les stratégies marketing des marques de luxe. Cet outil permet, entre autre, d'assurer la suprématie, la puissance et la légitimité de la marque. Cela semble également pouvoir se perpétuer a court terme en glissant d'avantage encore vers une institutionnalisation de la marque de luxe ; mais avec l'accroissement phénoménal de la digitalisation, il n'est pas possible d'affirmer que l'icône architecturale, et au sens large l'architecture, demeurera comme un moyen majeur pour les maisons de luxe d'affirmer leur aura et de porter leurs valeurs. La notion d'icône est volatile, et si elle met actuellement l'accent, chez les marques de luxe, sur l'architecture, nul doute que demain, sa focale aura changée.

170 PRZYBYLA Kim, Les stratégies Marketing du Luxe : le Kelly d'Hermès : du sac à main à l'icône du luxe, sous la direction de Jean-Marc Decaudin, IEP de Toulouse, 2014, pages 55-57. 171 CHAZELLE Jacques, Les valeurs du luxe sont-elles passées de mode ?, LeRevenu.com, Mars 2015.

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vente efficace, ed. Études, 2013. _ PRINZ Jean-Claude, GERVAL, Olivier, Design et architecture de commerce, ed. Eyrolles, 2013. _ SACARD Marie-Claude, Luxe, mensonges et marketing – Troisième édition, ed. Pearson, Collection Village Mondial, 2010. _ TUCKER Johnny, Esthétique commerciale : design et identité, ed. Pyramyd, 2003.

// SUPPORTS AUDIOVISUELS

_ LUCAN Jacques, Composition, Non-composition, Conférence au Pavillon de l'Arsenal, 2009, 56min. _ Enquête Exclusive, Le luxe ne connaît pas la crise, M6, Août 2016, 1h32min. _ Zone Interdite, Vuitton : dans les secrets de la fabrique du luxe, M6, mai 2016, 1h34min.

// EXPOSITIONS _ SAILLARD Olivier, Volez, Voguez, Voyagez – Louis Vuitton, Exposition au Grand Palais, du 04 décembre 2015 au 21 février 2016.

// SITES WEB _ http://adnarchitecte.com/luxe-au-service-architecture/ / Agence d'architecture ADN -160-


_ http://cigue.net/fr/project/isabel-marant / Agence d'architecture d'Isabel Marant _ http://petermarinoarchitecte.com / Agence d'architecture de Peter Marino _ http://moatti-riviere.com / Agence d'architecture d'Alain Moatti et Henri Rivière _ http://saguez-and-partners.com / Agence de design Saguez et Partners _ http://www.kapture.fr / Agence de communication Kapture _ http://louisvuitton.fr / Site de la maison de couture Louis Vuitton

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ANNEXES

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1 FICHES DE LECTURES

L‘une des ressources majeures nécéssaire à l’élaboration de ce mémoire, et d’ordre bibliographique.Deux ouvrages phares, constituent le socle de cet écrit. Luxe & Retail, ouvrage d’enseignement nécéssaire à la compréhension des notions de marketing de produit de luxe, et Louis Vuitton Architectures et Intérieurs, livre d’architecture de la marque de luxe, nécéssaire à la contextualisation et la compréhension de cette architecture spécifique. Même si l’écriture de ce mémoire repose sur d’avantage de références bibliographiques, celles-ci sont majeures et fondamentales. Il est fait état ici de la présentation de l’ouvrage, ainsi que des citations extraites.

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- FICHE DE LECTURE TYPE -

FICHE DE LECTURE

TITRE //

PHOTO DE L’OUVRAGE

RÉFÉRENCES TITRE COMPLET //

NATURE DE L’OUVRAGE // AUTEUR(S) //

COLLECTION // DATE DE PARUTION // EDITEUR // NOMBRE DE PAGES //

INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES //

RÉSUMÉ DE L’OUVRAGE

AVIS PERSONNEL

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- FICHE DE LECTURE TYPE -

CITATIONS RELEVÉES

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- FICHE DE LECTURE // RÉFÉRENT 1 -

FICHE DE LECTURE

TITRE // LOUIS VUITTON, ARCHITECTURE ET INTÉRIEURS

RÉFÉRENCES TITRE COMPLET //

Louis Vuitton, Architecture et Intérieurs

NATURE DE L’OUVRAGE // Beaux livre // Beaux arts AUTEUR(S) // EDELMANN Frédéric, LUNA Ian,

MAGROU Rafael, MOSTAFAVI Mohsen COLLECTION // DATE DE PARUTION // 2011 EDITEUR // Editions La Martinière NOMBRE DE PAGES // 270 pages

INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES //

ISBN-10: 2732448842 RÉSUMÉ DE L’OUVRAGE Défenseur visionnaire d’une architecture et d’intérieurs contemporains, Louis Vuitton n’a de cesse d’encourager l’innovation et l’audace créative dans la conception de ses espaces de vente, sans perdre de vue l’essence du luxe, pilier de l’identité de la Maison. Ce processus de création d’un espace architectural pour présenter la mode et les accessoires de façon spectaculaire a offert un débouché dynamique à l’architecture contemporaine et transformé le paysage des rues. Cette exploration des magasins Louis Vuitton à travers le monde, aux côtés de sites industriels et de projets non réalisés, inclut des entretiens avec quelques uns des plus talentueux architectes et designers d’intérieur d’aujourd’hui, qui s’expriment sur les structures magnifiques et complexes qu’ils ont créées en collaboration avec Louis Vuitton. Ce livre examine l’aspect physique des bâtiments et les idées qui ont présidé à leur conception. A la fois toiles de fond pour des produits de luxe et manifestations physiques de la marque, ces espaces constituent un genre en eux-mêmes. Avec leurs finitions somptueuses et leurs textures inattendues, ces fantastiques bâtiments sont à l’interface entre la mode et le design d’intérieur. Exploration des réalisations dynamiques et novatrices commandées par Louis Vuitton, cet ouvrage illustre la corrélation entre la mode, la décoration d’intérieur et l’architecture, et séduira tous ceux qui s’intéressent à une architecture commerciale innovante.

AVIS PERSONNEL Cet ouvrage que j’ai d’abord feuillleté avec curiosité s’est finalement avéré être une réelle «bible» dans l’écriture de ce mémoire. Ce bel objet recueille parfaitement l’intégralité de l’univers architectural de Louis Vuitton, et témoigne de l’engagement et l’interêt de la marque pour l’architecture. Outre les belles images qu’il propose, les extraits de carnets de recherches et les interviews des architectes, aident clairement à comprendre le pourquoi et le comment de chaque intervention architecturale. Contextualisées, présentées grahiquement avec les codes de représentations classique de l’architecture, chaque bijoux architectural ans cet ouvrage est analysé avec finesse et précision, tant dans son dessin que dans son dessein. -166-


- FICHE DE LECTURE // RÉFÉRENT 1 -

CITATIONS RELEVÉES PAGE 8 : « Le luxe et l’architecture entretiennent des rapports de plus en plus étroits depuis quelques années. Mais leur fascination réciproque actuelle – l’architecture comme support pour le luxe, et le luxe en tant que condition préalable du fait architectural – a contribué à masquer la longévité de leur association. (…) Nous vivons actuellement une époque où le magasin de produit de luxe est devenu un forum essentiel pour l’architecture. Alors que leur relation était interdite, ils ont enfin trouvé un terrain d’entente, aussi avantageux pour l’un que pour l’autre. » PAGE 70 : « (L’architecture) c’est un peu comme l’usage des cosmétiques pour les femmes. Je pense que les meilleurs cosmétiques sont ceux qui ne cachent pas le visage d’une femme, mais mettent ses traits en valeur de manière à ce qu’elle soit encore reconnaissable même si son visage est très différent » PAGE 212 : Louis Vuitton est une marque devenue célèbre à travers le monde. Auparavant exclusivement associée au monde du voyage de luxe avec ses malles et ses produits de maroquinerie, elle déploie aujourd’hui un ensemble complet intégrant la mode féminine et masculine, ce qui l’a propulsée leader du luxe et ses articles s’arrachent aux quatre coins du globe. » PAGE 242 : « Il est vrai que l’une des tâches principales de toute architecture associée à une marque est de créer une identité visuelle empirique. L’architecture de Louis Vuitton répond manifestement à cette exigence, mais elle fait plus encore : elle transcende l’identité de la marque. Tout en se servant de l’architecture pour réaliser ses ambitions commerciales, la marque explore le domaine de la conception formelle. (…) Dans le cadre de sa stratégie d’expansion mondiale, Louis Vuitton a utilisé un certain nombre de bâtiments autonomes et de global-store, stratégie passablement inhabituelle » « L’occasion se présentait alors d’exploiter les rapports existants entre le design des produits Louis Vuitton et l’architecture de ses magasins. Les architectes recourent souvent à des analogies avec d’autres champs d’activité pour décrire les caractéristiques d’une tendance stylistique particulière (…) comme par exemple les analogies possibles entre la cuisine japonaise et l’architecture japonaise traditionnelle, qui mettent l’une et l’autre l’accent sur la simplicité et la retenue. (…) L’entreprise a fondé une grande partie de sa démarche sur la construction d’architecture dont l’inspiration repose sur l’appropriation et le remaniement visuel de produits et de motifs Louis Vuitton traditionnels. » PAGE 243 : « La création sous sa forme actuelle du département architecture de Louis Vuitton à Paris à la fin des années 90 a été la pierre d’angle, tant de la marque que de la stratégie de l’entreprise. » PAGE 243 : « Le département architecture de Louis Vuitton, décida d’emblée de marquer la différence entre l’intérieur et l’extérieur de ses architectures. Et, à l’instar d’autres société, ils voulaient aussi -167-


- FICHE DE LECTURE // RÉFÉRENT 1 -

CITATIONS RELEVÉES qu’elles possèdent toutes un intérieur obéissant à la même palette chromatique, indépendamment de leur emplacement géographique. On confia cette tâche à Peter Marino dont le cabinet d’architecte conçoit et réalise l’intégralité des intérieurs de la Maison Louis Vuitton. » PAGE 243 : « La maille métallique scintillante drape le verre de l’intérieur de la façade telle une robe qui devient plus transparente et révélatrice la nuit que le jour. (…) L’emploi dans de nombreux magasins d’une façade à double épaisseur en tant que dispositif optique leur conféra une apparence bien distincte qui fit que les clients potentiels reconnaissaient immédiatement un magasin Louis Vuitton. » PAGE 243-244 : « Cet aspect de l’architecture Louis Vuitton, n’est pas sans analogie avec la façon dont les stylistes développent les idées en fabricants divers échantillons de leur travail. (…) Le caractère direct et l’immédiateté des méthodes utilisés par les stylistes ont quelque chose d’extrêmement puissant que la Maison Louis Vuitton a su s’approprier dans ses différents projets architecturaux. (…) À la différence d’Adolf Loos, qui voyait dans l’ornement une forme de crime, les auteurs de ces façades ne le considèrent pas comme un ajout rapporté après coup, mais plutôt comme un matériau constitutif de la logique esthétique de l’enveloppe. À l’instar d’un certain type de vêtements, l’attrait, la texture et les motifs des façades sont des composantes essentielles de leurs fonctions. Les façades à double peau et la maille métallique sont des accessoires de l’architecture de la marque Louis Vuitton qui n’ont cessé d’évoluer. Ils fournissent une sorte d’appareillage, ou d’échafaudage, une enveloppe spatiale permettant d’explorer d’éventuelles variations de profondeur du revêtement extérieur de l’édifice » PAGE 245 : « À la fin des années 90, lorsque la maison Louis Vuitton inaugura sa phase actuelle de projets architecturaux, les références visuelles utilisée pour la conception des extérieurs reposaient en grande partie sur les motifs des articles de voyage de l’entreprise. Il semble maintenant que l’on assiste au processus inverse, au sein duquel un certain nombre de stylistes s’inspirent des textures, motifs et effets visuels produits par les surfaces des nouveaux édifices Louis Vuitton. Une telle réciprocité des influences peut être amenée à jouer un rôle plus décisif encore dans les prochaines décennies, offrant ainsi aux architectes et aux stylistes la possibilité de travailler ensemble à la confection, aux tissus ou encore à la coloration des bâtiments. On pense ici à des stylistes tels que Issey Miyake, Jil Sanders, et Rei Kawakubo, qui ont déjà fait des incursions significatives dans ce domaine. » PAGE 245 : « un niveau plus élevé de luxe et d’intimité, avec un nombre accru de pièces ou de dispositifs architecturaux réservés aux clients privilégié (salons privés) et d’espaces différenciées comme ceux dédiés aux articles de voyages. L’ambiance et les techniques pour construire le désir deviennent de plus en plus précise et distinctes. » -168-


- FICHE DE LECTURE // RÉFÉRENT 1 -

CITATIONS RELEVÉES PAGE 246 : « C’est à travers ce revêtement que la marque s’annonce à la ville, et à sa clientèle. Plusieurs sont composés par des matériaux qui évoquent le tissus et ainsi que le font les vêtements, ils suscitent une sensation presque douce, tant à l’oeil qu’au toucher. » PAGE 246 : « L’utilisation de couches de matériaux tels que le verre ou le grillage métallique à été un facteur clé pour le développement de qualités perceptuelles complexes qui visent à évoquer des sentiments de confort, de sensualité et de luxe. Les effets produits par les façades des bâtiments de Louis Vuitton sont toujours discret, et dépendent avant tout des changements de la lumière (jour et nuit ou saisonnières). (…) De telles transformations sont, métaphoriquement semblables aux dimensions saisonnières des produits Louis Vuitton. Une autre qualité de ces extérieurs est le sens du mystère qu’ils dégagent. Leur ressemblance avec un voile suggère à peine les objets de désirs offerts à l’intérieur. Le revêtement de ces immeubles dévoile et dissimule à la fois. »

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- FICHE DE LECTURE // RÉFÉRENT 2 -

FICHE DE LECTURE

LUXE & RETAIL

TITRE //

RÉFÉRENCES TITRE COMPLET //

Luxe & Retail : Le point de vente, lieu d’excellence

Marketing et publicité CHEVALIER Michel, GUTSATZ Michel

NATURE DE L’OUVRAGE // AUTEUR(S) //

Fonctions de l’entreprise DATE DE PARUTION // 2013 EDITEUR // Editions Dunod NOMBRE DE PAGES // 325 pages COLLECTION //

INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES //

ISBN-10: 2100593307 RÉSUMÉ DE L’OUVRAGE Dans leurs magasins, les marques de luxe développent depuis toujours la relation qui les lie à leurs clients, en offrant l’expérience d’un produit de haute qualité et d’un service client hors du commun. En adaptant à leurs besoins les outils du marketing, de la gestion et des ressources humaines, elles présentent une rentabilité exceptionnelle qui leur permet de se développer et de résister aux crises. Comment choisir le bon modèle économique pour ses boutiques ? Comment choisir l’emplacement le plus adapté à sa clientèle ? Comment assurer la cohérence entre le concept du point de vente et la vision de la marque ? En magasin, comment entretenir une relation privilégiée avec les clients afin de les fidéliser ? Comment garantir que la promesse du produit de luxe soit tenue sur le point de vente comme sur internet ? Du marketing à la vente, en passant par la supply chain et le modèle de distribution, les secrets des grandes maisons de luxe présentés dans ce livre intéresseront à la fois les professionnels qui s’en inspireront pour innover dans leurs propres magasins, et les étudiants en management, commerce et marketing.

AVIS PERSONNEL Cet ouvrage impressionne par sa clareté et sa capacité à expliciter simplement les notions les plus complexes de marketing de produit de luxe. Etant un livre spécialisé, mais destiné à un ensignement, sa structure est claire, hiérarchisée et perpétuellement imagée au travers d’exemples concrets ou encore de schémas. Cet ouvrage est parfait pour cappréhender et avoir une vision à la fois globale et pointue du monde du retail et du luxe. Nécessaire à l’élaboration de ce mémoire, les notions de marketing, ainsi que leurs enjeux, et leurs transposition dans des éléments concrets se sont présentés très accéssibles dans cet ouvrage, ce qui en a fait l’un des deux livres fondamentaux dans cet exercice. -170-


- FICHE DE LECTURE // RÉFÉRENT 2 -

CITATIONS RELEVÉES PAGE 3 : « Le marketing est une méthodologie qui coordonne de façon logique des techniques, des outils et des méthodes à des fins stratégiques. Il concerne toutes les organisations dans leur processus d’échange sur les marché. » PAGE 10-12 : « Il est impossible de parler du luxe sans proposer une définition de cette notion. Beaucoup d’experts discutent de la signification de ce mot sans sembler parvenir à se mettre d’accord sur une définition simple et acceptée par tout le monde. (…) Le luxe se définit toutefois au travers de différentes composantes que devrait comporter un objet de luxe : la notion d’exclusivité, de qualité, d’hédonisme, de statut. » PAGE 25 : « Si vous contrôlez votre distribution, vous contrôlez votre image » témoigne Bernard Arnaud. PAGE 75 : « Plusieurs décennies auparavant, chaque entreprise dite « de luxe » possédait un quasimonopole sur son domaine respectif : Louis Vuitton était un mallier, Hermès un maroquinier-sellier, Dior une maison de couture... De nos jours, les univers se mélangent : Vuitton fait du prêt-à- porter, Hermès habille les hommes sur-mesure et Dior est leader dans l’univers du parfum. La diversification et la concurrence compliquent encore à définir le luxe et à déclencher la pulsion d’achat. De plus, la multiplication de lignes annexes, sous une même marque, entraine parfois la disparition du positionnement luxe. Certaines entreprises, par cette vulgarisation de leur nom dans les produits les plus divers, s’y sont perdues, à l’image d’un Pierre Cardin vendant des stylos ou de la marque Yves Saint-Laurent sur des cigarettes : côtoyer le commerce de masse en descendant de gamme revient à quitter le luxe. Les enseignes doivent à la fois surfer sur cette folle croissance tout en conservant le même niveau de qualité. La cohérence de l’ensemble de ces offres diverses, si elles souhaitent être perçues comme appartenant au luxe, s’impose donc en premier lieu par une exigence forte de cette qualité. » PAGE 99 : « Dans un contexte immobilier où chaque mètre carré compte, le luxe ultime, c’est l’espace perdu. L’espace qui n’est pas « productif », offre la contemplation, l’intimité, la mobilité et le luxe » Rem Koolhaas. PAGE 117 : « Il y a désormais trois fois plus de passants sur le trottoirs nord que sur le trottoir sud. (…) Les loyers sont donc en moyenne 30% moins cher sur le coté sud que le coté nord. » PAGE 137 : « Durant ces dernières années, le luxe s’est largement démocratisé, du moins c’est ce que l’on peut penser, en s’appuyant sur les produits de luxe tels que les parfums et les eaux de toilettes, qui -171-


- FICHE DE LECTURE // RÉFÉRENT 2 -

CITATIONS RELEVÉES sont devenus des produits consommés par le plus grand nombre ou achetés occasionnellement alors qu’auparavant ces produits étaient destinés à une clientèle élitiste. Devant cette démocratisation on peut penser que le luxe se banalise et perd de son prestige, mais tout est fait pour le conserver et force est de constater que cela fonctionne. Le secteur du luxe en France est en croissance constante et résiste bien à la crise. » PAGE 139 : « Les marques de luxe se sont réinventées le jour où elles ont décidé qu’elles devaient vendre non seulement à des distributeurs, mais aussi directement dans leurs propres boutiques. Ceci à conduit à développer de nouvelles compétences, dont celle de l’architecture. » PAGE 140 : « Quand Gucci a racheté Yves Saint Laurent en 2000, la toute première chose qui a été faite a été de développer le réseau de magasins, et de revoir le design du format standard des boutiques. Le prototype du nouveau magasin YSL, dessiné par Tom Ford et l’architecte William Sofield a ouvert successivement au Bellagio de Las Vegas, sur Madison Avenue à New York … Le nombre de magasin qui était de 15 au rachat de la marque, est passé à 30 un an plus tard, et 40, l’année suivante. En 2010, Yves Saint Laurent avait 78 magasins dans le monde. » PAGE 147 : « La vitrine fermée sans percées vers l’intérieur du magasin est une porte qui ne s’ouvre que sur demande – c’est le format traditionnel des boutiques de joaillerie et d’horlogerie comme Cartier. (...) La vitrine semi-ouverte, présentent les produits sur des arrières-plans escamotables qui donnent une vue partielle sur l’intérieur des magasins – essentiellement pour la mode ou la maroquinerie (…) La vitrine ouverte transparente qui permet au client de voir l’ensemble du magasin depuis l’extérieur (Versace sur la 5ème Avenue de New York). (…) Chacun de ces formats engendrera une relation différente entre le client et la marque. La démocratisation du luxe signifie aussi que des clients potentiels, qui ne sont pas initiés à la marque, doivent pouvoir y avoir accès sans se sentir rejetés ni intimidés. » PAGE 155 : « La vitrine c’est là ou l’émotion démarre » PAGE 253 : « Il est devenu impératif de repousser les limites encore plus loin dans l’exclusif, c’est une relation gagnant-gagnant.» PAGE 280 : « Les marques de luxe ont longtemps été partisanes d’un modèle « taille unique ». Le défi qu’elle doivent relever maintenant est le suivant : comment maintenir une image mondiale unique tout en intégrant les idiosyncrasies des différentes régions du globes ? Simplement en faisant appel à des mannequins asiatiques, en créant des lignes de produits spécifiques, ou en faisant appel à des -172-


- FICHE DE LECTURE // RÉFÉRENT 2 -

CITATIONS RELEVÉES architectes locaux. (…) Engager des collaborations fondées sur des aspects comme la culture, permet à une marque de conserver sa pertinence aux yeux du client. » PAGE 280 : « Un accès accru à l ‘internet mobile libère l’expérience commerciale des contraintes de l’environnement physique et de l’environnement en ligne traditionnel, permettant ainsi au shopping de se faire presque n’importe où. (…) Mais les magasins physiques constituent toujours le meilleur moyen de communiquer avec les clients et de leurs offrir une expérience originale. »

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2 ENTRETIENS

Afin d’étayer et de développer l’idée de ce mémoire, une autre ressource d’information complémentaire sur laquelle je m’appuie et celle des entretiens avec des professionels du milieu. Pour ce faire, Karine Ripari, architecte spécialisée dans le Retail de Luxe, et Michel Gutsatz, spéciaiste et enseignant en marketing et identité de marques, notamment de marques de luxe, ont acceptés de répondre à mes interviews. Les annexes suivantes proposent une présentation des intervenants ainsi qu’un condensé et une sélection de nos échanges.

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- FICHE D’IDENTITÉ TYPE -

FICHE D’IDENTITÉ

NOM DE L’INTERVENANT //

PARCOURS

DATA NOM // PRÉNOM // DATE DE NAISSANCE // NATIONALITÉ // PROFESSION // PROFIL LINKEDIN//

PUBLICATIONS

DATE(S) DU/DES ENTRETIENS -175-


- GRILLE D’INTERVIEW TYPE L’ICÔNE ARCHITECTURALE COMME OUTIL MARKETING CHEZ LOUIS VUITTON 1. Présentation, parcours éducatif et professionnel de la personne interviewée:

2. L’architecture semble aujourd’hui être un des maillons de la stratégie de développement des marques? Qu’en est-il ? Et quel rôle a-t’elle précisément ?

3. Pourquoi l’architecture est-elle aujourd’hui si travaillée, développée et financée dans l’univers du luxe ? Comment est-elle devenue au fil du temps une des focales majeures de la marque de luxe ? Quel élément déclic à poussé les marques à toujours plus travailler leurs architectures ?

4. Face à une médiatisation de plus en plus grande, l’architecture est-elle le moyen le plus évident à la marque de luxe de se démocratiser ? Dans quelle mesure se place-t’elle comme outil de communication dans aussi de légitimisation de la marque ?

5. Comment se construit architecturalement une visibilité dans un paysage urbain saturé de branding?

6. Quelle est la relation entre les dispositifs architecturaux et les codes de marketing de produits de luxe ? Sont-ils calqués l’un sur l’autre ? L’architecture iconique peut-elle se réduire à un packaging alléchant et efficace ?

7. La notion d’icône dans l’univers du luxe élève la marque au rang de religion. L’architecture est-t’elle aujourd’hui un autel à la marque, théâtre du culte de la marque, ou un outil permettant à la marque de se légitimer et de se sacraliser encore davantage ?

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- GRILLE D’INTERVIEW TYPE -

8. Comment travaille-t’on à élaborer une architecture expression de pouvoir, liée au culte de la marque et à sa promotion ? Est-ce la nouvelle forme contemporaine d’une architecture de «propagande» voire «religieuse» à l’heure de la ville franchisée ?

9. En quoi l’architecture devient-t’elle aujourd’hui la nouvelle icône de référence de la marque de luxe, passant au second plan l’objet et l’égérie ?

10. Comment la conception d’une architecture-icône pour une marque de luxe réinteroge-t’elle et se fait-elle miroir des valeurs de la marque ?

11. Le luxe est un privilège. Comment se pense l’architecture pour le luxe, qui vise à la médiatisation et donc à toucher le grand public, tout en ne se réservant qu’à l’expérience d’une élite ?

12. Le luxe est par définition l’excellence. Cette même excellence est-elle réinterprétée et réinvestie dans l’architecture pour le luxe ? Comment est-elle traduite ?

13. Alors que l’architecture est aujourd’hui l’interface majeur entre la marque et ses fidèles, n’est-elle pas compromise demain face à la digitalisation? Comment le luxe peut-il se réinterroger face à cette digitalisation, réinterroger ses acquis pour être encore et toujours précurseur. Et quels impacts cela génère-t’il pour son architecture ?

14.C’est le dessein de toute icône dans le luxe (égérie et produit de luxe compris) d’être un outil stratégique, qu’apporte donc de plus l’icône architecturale ?

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- GRILLE D’INTERVIEW TYPE -

LA NOTION DE VITRINE OU L’ÉLÉMENT ARCHITECTURAL DE BASCULMENT ENTRE LE PASSANT ET LE FIDÈLE

1. Le luxe comme privilège: visible de tous mais accéssible par certain. Comment la vitrine peut-elle faire état de ce paradoxe ?

2. La vitrine, la peau, quel est son rôle dans la construction d’une visibilité dans un paysage urbain saturé de branding ? Quels sont les outils la mettant en oeuvre ? Quel rôle dans l’architecture? Dans l’icône ?

3. Est-ce que la vitrine est l’outil permettant de donner un accès limité au luxe tout en le laissant inaccéssible (protégé) ? Un objet paradoxal ? Qui laisse entrevoir sans pénétrer ? Un mensonge ?

4. Quel est le rôle de la vitrine dans l’espérience ?

5. Morphologie de la vitrine par rapport à des caractèristiques d’accès, d’attractivité,de luxe:

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- FICHE D’IDENTITÉ // KARINE RIPARI -

FICHE D’IDENTITÉ

NOM DE L’INTERVENANT //

KARINE RIPARI

PARCOURS // FORMATION _ Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier Architecte DE - 2009/2014 _ Conservatoire National des Arts et Métiers Marketing - 2015 _ IAE Gustave Eiffel Master Management et marketing de luxe - 2015/2016

// EXPERIENCES

DATA

RIPARI PRÉNOM // Karine NOM //

DATE DE NAISSANCE // 22 février 1991

Française Architecte

_ Assistante Architecte Chef de Projet Ouverture de boutiques LANVIN - 2015 - Paris _ Architecte / Visual Merchandiser CHANEL - 2015/2016 - Paris

NATIONALITÉ // PROFESSION //

LINKEDIN// https://uk.linkedin.com/in/

karine-ripari-16924b32

_ Architecte / Visual Merchandiser Beauty BURBERRY - Depuis 2016 - Londres

PUBLICATIONS Art & Luxe : évolution de la place de l’art au sein du monde du luxe Comment la collaboration avec le monde de l’art est devenue une véritable stratégie des maisons de luxe Mémoire sous la direction d’Isabelle Lazarus Master IDL/UPEM de Marne-la-Vallée 2016

DATE(S) DU/DES ENTRETIENS

A RT & L U X E É V O L U T I O N D E L A P L A C E D E L’ A RT A U S E I N DU MONDE DU LUXE Comment la collaboration avec le monde de l’ar t est devenue une véritable stratégie des maisons de luxe.

K A R I N E R I PA R I | M A S T E R I D L U PE M 2 0 1 5 / 2 0 1 6

24 mars 2016, ENSA Montpellier 14 novembre 2016, Mairie de Montpellier -179-


- ENTRETIEN // KARINE RIPARI -

« Il a longtemps existé une distance entre architecture et luxe. L’architecture s’est longtemps nourrit de cet univers, mais a voulu prendre son indépendance. Pourtant les deux professions sont étroitement liées. Toutes les deux sont issues des arts appliqués, toutes les deux ont les mêmes orientations de travail et d’excellence, et de nombreuses personnalités ont la double casquette, d’architecte/créateur, comme Paco Rabane, André Courrège ou Gianfranco Ferré. Mais l’image trop mercantile, voire même élitiste à eu raison de cette collaboration, qui semble bel et bien renaître aujourd’hui. » « En s’installant en Asie, les marques de luxe s’insère dans une culture très différente de l’Occident, qui n’a pas non plus la même expérience du luxe. Donc pour pouvoir s’y insérer, l’architecture reste aujourd’hui un langage universel. C’est dans cet élan qu’apparaissent les collaborations avec l’architecte. » « En effet, l’architecture donne une légitimité à la marque. Si on a une boutique Place Vendôme à Paris, alors on est légitime en haute-joaillerie » « En 2006 ont commencés à se développer les ventes en ligne sur internet. D’abord dédié aux prix cassés, permettant d’écoulé les stocks des grandes marques, ce n’est réellement qu’en 2010 que les boutiques virtuelles prennent part sur les sites officiels des marques de luxe. Ce nouveau marché a concentré la plus part des stratégies marketing afin d’atteindre une certaine exigence de l’expérience transmise au client. Pour toutefois continuer à faire des boutiques « physiques » le point focal de la clientèle, l’exigence des marques s’est vue être de plus en plus croissante. C’est à ce moment précis que l’architecture, les collaborations avec des grands architectes, et les Flagship sont apparus dans l’univers du luxe. C’est à ce moment précis, et somme toute très récent, que l’architecture rentre comme stratégie marketing des marques de luxe, et que l’icône architecturale va être utilisée. » « Face à la digitalisation actuelle, l’architecture devient le porte-étendard de la marque, de son image, de sa publicité. En 2006, la digitalisation commence, mais reste uniquement le moyen pour les marques de luxe d’écouler leurs stocks à prix cassé. C’est en 2010 seulement que débutent les boutiques en lignes sur les sites officiels des marques. L’exigence de l’expérience internet mise en œuvre est telle, que l’expérience se doit d’être encore plus exigeante en boutique. En ajoutant à cela le phénomène d’internationalisation (Louis Vuitton réalise plus de la moitié de ses bénéfices en Asie), l’icône architecturale, le Flagship prestigieux devient la réponse. On vient s’installer chez vous, donc on vous réalise un vrai bijoux. L’art, dont l’architecture, apparaît comme le seul langage universel de promotion de la marque. » -180-


- ENTRETIEN // KARINE RIPARI -

« En 2017, l’expérience des boutiques est parfaitement gérée, l’expérience internet l’est aussi. Mais il manque clairement une expérience commune. La volonté actuelle est de pouvoir retrouver en boutique la même expérience que chez soi sur internet, et inversement. La notion de digitalisation de la boutique est amorcée, au-delà de placer trois ou quatre tablettes tactiles. On parle aujourd’hui de la disparition de la boutique de luxe tel qu’on la connaît actuellement, vers plutôt des showrooms connectés, avec un panier virtuel, pas de produit physique, un développement de la personnalisation, l’enregistrement de vos data, etc. En cela, Burberry fait de réels effort de recherche depuis 10 ans sur la digitalisation, vers la personnalisation totale pour ne plus acheter un produit qui existe. Par exemple pour un sac : on aura directement le choix de la matière, de la finition, de la couleur, des fermoirs, des gravures, des dimensions ...» « Le parallèle entre marque de luxe et religion est pertinent. Les architectures pour le luxe sont déjà des temples : des temples de consommation depuis dix ans dont la religion est le luxe, et de plus en plus, la consommation de masse. » (…) « En tentant de rendre l’inaccessible accessible, les maisons ont été dans l’obligation de présenter leur univers. Le client ne recherche plus seulement à acheter un produit d’exception unique au sein de la boutique. Face à ce nouvel enjeu, les boutiques traditionnelles se sont métamorphosées en de véritables temples de marque qui puissent marquer l’imaginaire collectif et devenir un repère dans la ville dans laquelle elles s’implantent. Les magasins du luxe sont transformé en musée. (…) On parle de « temples modernes du luxe ». » « La démocratisation rentre en contradiction avec les valeurs du luxe qui prône l’idée d’appartenance. Néanmoins, le luxe en a besoin pour se développer et rester à flot. Ainsi le luxe se diversifie, et s’échelonne avec différents degré de luxe. Il y a alors l’apparition d’un double mouvement : une démocratisation d’une part, quand Louis Vuitton lance des parfums par exemple, et d’autre part une course au toujours plus exclusif encore (des hautes haut-de-gamme, en iconisant certains produits de luxe). » « Quand le clientèle, d’habitude haut-de-gamme, de la marque a vu défiler à la télévision les produits Lacoste sur les acteurs des émeutes en banlieues de 2008 ; les produits de la marque sont devenus le reflet de cette catégorie sociale et ont été abandonnés par le cœur de cible primaire de Lacoste. » « Louis Vuitton est la première marque à avoir eu une stratégie de communication, à créer un univers autour du voyage, à faire des collaborations avec le milieu artistique dont l’architecture. Louis Vuitton assume le fait d’être une marque voyante notamment depuis la direction artistique de Marc Jacobs, et la collaboration avec l’artiste Murakami. »

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- ENTRETIEN // KARINE RIPARI -

« Chez Louis Vuitton par exemple, la création de patrimoine est nécéssaire comme légitimité de la marque. Avec la Fondation Louis Vuitton, la marque crée un patrimoine qui va même au-delà de la légitimité, mais vers l’institutionnalisation. La marque cherche au travers de cette architecture à devenir un patrimoine national » « La Fondation Louis Vuitton est une entité iconique car c’est une démonstration de force, de pouvoir. Cette architecture est forcément luxueuse, relève forcément de l’excellence, fait forcément appel au meilleur architecte. Elle peut s’apparenter a une architecture totalitaire ou de dictature, à l’instar de Versailles qui était un formidable outil de démonstration de pouvoir, faisant appels aux meilleurs architectes et jardiniers de l’époque. (...) La Fondation Louis Vuitton est une démonstration de force, servant à s’implanter en tant que puissance, montrer la légitimité de la marque, s’imposer dans le paysage urbain, et écraser la concurrence : il y a peu de marques autant légitime et avec des capacités de financement quasi-illimités. La marque s’élève ainsi au rang de repère dans la ville » « Dans cette idée de repère urbain et pour rejoindre mon propos sur l’expérience, les marques de luxe s’expriment sur de nouveaux supports rchitecturaux. L’intervention éphémère de Chanel sur la Place Vendôme, présente du premier au sept juillet de cette année (2016) tend à créer de l’évènement, créer une expérience unique, une nouvelle lecture architecturale de la ville. Chanel cherche ici à créer un moment unique, au travers d’une nouvelle forme d’architecture unique et temporaire, un iconisme éphémère » « Auparavant, les architectures des marques de luxe avaient peu de vitrines où l’on pouvait voir en arrière-plan, il s’agissait d’entretenir le mystère, on ne voulait pas que les gens pénètrent, mais juste qu’ils regardent. Aujourd’hui avec l’élan de démocratisation, la vitrine est le premier outil développé avec de gros budgets et un soin tout particulier est apporté aux décors et à l’éclairage. Depuis à peine 10 ans, des services entiers sont dédiés aux vitrines dans les maisons de luxe, de nombreuses collaborations avec des artistes sont faites comme pour Colette ou Chanel dernièrement... Il s’agit d’un travail en continuité qui assure les connections entre espace publique, vitrine, et boutique. Un travail de la contemplation qui appelle presque à la prière, au culte, et élève le produit au rang d’élément sacré. » À la question « La vitrine, est-ce un mensonge ? », Karine rétorque : « Un mensonge ? Non, un imaginaire. Un interface de rêve qui permet de revenir à de l’abstrait dans quelque chose de très concret. Toutefois cela est en effet très limité, la vitrine impose une mise à distance. »

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- FICHE D’IDENTITÉ // MICHEL GUTSATZ -

FICHE D’IDENTITÉ

NOM DE L’INTERVENANT //

MICHEL GUTSATZ

PARCOURS // EXPERIENCES _ MBA en gestion de la marque de luxe ESSEC Business School - 1995/2000 _ Directeur des ressources humaines Bally - 2000/2002 - Paris _ Conseiller chez EUNOIA Depuis 2008 - Paris Firme de conseil en stratégie de marque, travaillant avec des marques premium, de masse et de marques privées avec des identités de marque fortes.

DATA

GUTSATZ PRÉNOM // Michel NOM //

DATE DE NAISSANCE // 1964

Française PROFESSION // Directeur de MDA NATIONALITÉ //

LINKEDIN// https://fr.linkedin.com/in/

_ Doyen associé, directeur des MBA - École de commerce de Kedge Depuis 2008 - Marseille & Shanghai _ Professeur adjoint - CEIBS Depuis 2012 - Marseille & Shanghai MBA: Gestion de la marque / Gestion de détail de luxe EMBA: Développer les marques de luxe chinoises

michelgutsatz/fr

PUBLICATIONS CHEVALIER Michel GUTSATZ Michel Luxe & Retail : Le point de vente, lieu d’excellence ed. Dunod 2013

DATE(S) DU/DES ENTRETIENS

AUGUSTE Gilles GUTSATZ Michel Luxury Talent Managment: Leading and managing a luxury brand ed. Palgrave Macmillian 2013

Entretien téléphonique le 07 décembre 2016 -183-


- ENTRETIEN // MICHEL GUTSATZ -

« La notion de luxe et celle de religion ont une filiation évidente. Les deux cherchent la même emprise sur l’esprit, la même fidélisation, la même appartenance à elle-même » « L’architecture est depuis toujours synonyme de représentation sociale. Comme les vêtements que vous portez, les voitures que vous conduisez, l’architecture où vous évoluez est une image sociale intime de vous-même. Le luxe est aussi cette image sociale de vous même. L’architecture des marques de luxe ne déroge donc pas à cette logique, et est l’expression de la stature de la marque. » « L’architecture est avant tout, et pour tout, un outil concurrentiel. C’est un marqueur de pouvoir, qui est, en plus d’être concurrentiel, une marque de distinction, de différence. L’architecture permet de marquer sa différence : avec les autres marques moins prestigieuses, mais aussi avec les marques de même prestige que vous. L’architecture créé un repère. Un repère social, et un repère de « qui » tient la puissance dans le paysage économique contemporain.» « L’architecture légitimise la marque mais, par son coté accessible, le plus démocrate des arts, elle rend légitime l’entrée de n’importe qui dans la boutique de luxe. En cela, le luxe n’est plus un privilège. » « Dans la stratégie actuelle des marques de luxe, l’architecture est un marqueur de prestige. En effet, elle participe à l’identité de la marque. Ce qui est un enjeux extrêmement important, tout autant que le style de la marque. L’intérêt de faire appel à de grands nom de l’architecture participe à amorcer se marqueur de prestige. » « Néanmoins, l’architecture, même si elle véhicule une image médiatique, n’et pas nécessairement l’outil qui sera en capacité d’attirer un nouveau cœur de cible. Cela reste très marginal par rapport à la masse de consommation. Mais il est bon pour la marque de véhiculer une image branchée, de se présenter comme connaisseur dans l’architecture. C’est clairement une valeur ajoutée. » « Aujourd’hui la question (de l’importance de l’architecture dans les stratégies des marques de luxe) ne se pose plus vraiment, c’est un fait acquis, ou en tout cas qui devrait l’être pour toutes les marques de luxe. L’architecture est installée dans la stratégie des marques et n’est pas dispensable. Cela reviendrais par exemple à se dispenser des publicités d’affichage. (…) L’architecture est primordiale pour assurer à la marque le contrôle totale de son image, de ce qu’elle est fondamentalement et de -184-


- ENTRETIEN // MICHEL GUTSATZ -

ce qu’elle représente. L’icône architecturale est quand à elle toute aussi primordiale car elle est le marqueur du prestige et de la quintessence de la marque de luxe. Elle en confirme sa potentialité à demeurer marque de luxe. » « L’architecture est nécessairement travaillée directement dans les maisons de luxe, car il s’agit là d’un marqueur de représentation. D’identité. En cela, et afin d’avoir le contrôle complet de leurs image, il est primordial pour elle de l’inclure au cœur même de là où est pensé et développé cette identité. Au cœur du siège créatif de la marque de luxe. » « La vitrine est en tout et pour tout un simple outil d’attraction, de captation. Aujourd’hui, on est obligé de se poser des questions sur le traitement des vitrines, tant elles sont toutes de plus en plus grandes, de plus en plus travaillées, et scénarisées. La vitrine participe à l’univers de la marque, elle est là pour, directement sur place, saisir le client. » « Face à la digitalisation, pour moi, la boutique restera l’élément central chez la marque de luxe. De luxe peut-être seulement. C’est ce qui accentuera la différence entre une marue de luxe et une marque plus classique. Aujourd’hui, la vente digital dans le luxe ne représente que seulement 5% des ventes. Les gens ont besoin d’une expérience physique quand ils achètent un produit de luxe. » « L’éducation du luxe dépend de la culture. En Europe par exemple nous sommes dans une éducation du luxe très élégante, favorisant le chic au clinquant, un luxe qui se remarque subtilement mais ne se dit pas. En Asie, la culture du produit luxe est quelque chose où le produit de luxe est très discret, presque caché ; et a contrario en Amérique du Nord, le luxe est voyant, et claque. Cela change aussi les dispositifs architecturaux. Au Japon par exemple où le luxe est très discret, vous trouverez peu de pièces exposées, mises à distance sous verre dans une architecture très épurée dont les personnes sont très respectueuses, alors qu’aux États-Unis, où le luxe est d’avantage clinquant, le client à besoin de voir beaucoup de produits, de les prendre et les toucher dans un environnement plus ostentatoire. Cela change complètement la morphologie des lieux. » « L’architecture met en œuvre la fidélisation du client, par la qualité des espaces, l’exigence, et l’excellence. » « L’icône se crée à posteriori. C’est un processus post-création. » -185-


3 CAHIERS DE RECHERCHES LOUIS VUITTON Ces annexes viennent appuyer les propos développés en troisième partie de cet écrit « Le luxe est l’excellence. De l’exigence du produit à l’exigence de son écrin ». Afin d’aborder le travail et l’importance du détail architectural et la notion de peau de cette architecture iconique, Louis Vuitton a mis à disposition les carnets de recherches de ses architectes dans son ouvrage mentionné plus haut: Louis Vuitton Architectures et Intérieurs. Les documents qui suivent sont une sélection de ces carnets de recherches, dont les éléments sont mentionnés dans le corps de ce présent-mémoire.

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- CAHIERS DE RECHERCHES LOUIS VUITTON // DOCUMENTS -

Jun Aoki & Associates - Tokyo - Japon - 2002

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- CAHIERS DE RECHERCHES LOUIS VUITTON // DOCUMENTS -

Jun Aoki & Associates Tokyo - Japon - 2002

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- CAHIERS DE RECHERCHES LOUIS VUITTON // DOCUMENTS -

Christian de Portzamparc New York - USA - 1999

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- CAHIERS DE RECHERCHES LOUIS VUITTON // DOCUMENTS -

Jun Aoki & Associates Tokyo - Japon - 2002

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- CAHIERS DE RECHERCHES LOUIS VUITTON // DOCUMENTS -

Peter Marino Paris - France - 2005

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