Presqu'île

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A ntoi ne Masson

PR E S QU’Î L E

En quoi la mer et ses aléas interagissent-ils sur le développement territorial et identitaire de la presqu’île guérandaise ?



PR E S QU’Î L E

En quoi la mer et ses aléas interagissent-ils sur le développement territorial et identitaire de la presqu’île guérandaise ?

Antoine Masson Mémoire de Master sous la direction de Christophe Bouriette.



A V A N T PROPOS



En mer, l’aléa climatique est une constante inévitable. Il apprend au marin l’anticipation car ses effets, parfois catastrophiques, lui imposent de prévoir l’imprévisible. En naviguant, le marin se forge une mémoire du risque qui lui est indispensable à sa survie. Elle lui permet de reconsidérer les contraintes de l’océan. Sur terre, trop éloigné du fracas des vagues, du vent et des embruns, le sentiment trompeur d’invulnérabilité peut vite apparaître. Il peut conduire notamment à l’oubli du risque climatique. Certaines tempêtes récentes, ayant entraîné des phénomènes de submersions destructeurs, rappellent que le terrien qui séjourne sur le littoral doit désormais s’approprier les problèmes du marin. À l´heure actuelle, les catastrophes naturelles résonnent souvent comme des phénomènes exceptionnels : « On n’a jamais vu cela depuis des siècles » a t-on souvent dit après la tempête de Xynthia survenue pendant l’hiver 2010. Mais ces allégations sont-elles fondées sur des faits historiques ? N’est-on pas responsable de ces catastrophes ?


Pour requestionner cette notion du risque, mais surtout notre façon d’habiter le littoral, il m’a semblé intéressant d’étudier le paysage de la presqu’île Guérandaise. Cette région de basse altitude à cheval entre terre et mer dessine un paysage atypique d’où émane un extravagant morcellement paysager et humain. Ce territoire amphibien, où des marais-salants bâtis sur des siècles rencontrent des villes balnéaires construites en quelques décennies, où l’ancien rencontre le moderne et où l’artificiel côtoie la naturel, me semble également être un support d’étude passionnant pour appréhender le rapport que l’homme entretient avec le rivage, quelque soit sa géomorphologie. Mais le choix de ce site d’étude tient peut-être au désir de connaître plus en profondeur le paysage de mon enfance avec le regard neuf que l’enseignement en école d’architecture a pu m’apporter. En grandissant avec le parfum iodé de la brise de mer et des près-salés, je me suis habitué à ce paysage bucolique. Aujourd’hui, en vivant en ville, je me rends compte que ce n’était tout de même pas banal de bâtir des cabanes sur les bords de l’étier, de cueillir la fleur de sel dans le marais et de vivre en rythme avec le cycle des marées. En laissant entendre les voix de ceux qui ont façonné ce paysage aquatique, je souhaite d’une manière plus générale, proposer une lecture critique de l’aménagement de nos espaces littoraux. À l’heure ou le littoral en France Métropolitaine et Outre-mer devrait accueillir trois millions quatre-centsmille habitants supplémentaires1, la thématique abordée 1 // Justine le Roux, Le littoral, un espace fragile et convoité. Les Echos.


me semble plus qu’urgente. De surcroît, le département concerné par notre étude est l’un des plus « artificialisé » sur la côte Atlantique française, avec trente pour cent des parts de terre aménagées à moins de deux-cent-cinquante mètres de la côte1. La dualité entre l’accroissement de la population sur nos rivages et la protection du littoral propose une équation complexe. La prise de conscience de la montée du niveau des mers pose aujourd’hui de nombreuses questions. Comment habiter le littoral aujourd’hui ? Comment tisser des liens entre terre et mer tout en élaborant une gestion des risques de submersion plus appropriée ? L’analyse historique sera déterminante dans cette étude afin de comprendre l’évolution culturelle des sociétés sur le littoral. Cela nous permettra notamment de comprendre l’impact de l’aménagement de la nature par l’homme – l’anthropisation comme disent les géographes – dans l’évolution morpho-sédimentaire et les modes de gestion du littoral face à l’évolution du trait de côte. Nous questionnerons ce qu’il peut y avoir de fertile dans les relations existantes au sein de la presqu’île, mais aussi, ce qu’il y a de dégradant et corrosif pour l’harmonie du territoire. Au sens large, cet exercice nous permettra de requestionner la notion d’adaptabilité de l’homme face à la mer et posera la question : que faire de la mer ?

1 // Sébastien Colas, Observation et statistiques, Trois quarts des rivages métropolitains sont non artificialisés, mais une part importante est menacée et peu protégée. Commisariat général au développement durable, Décembre 2012, numéro 153.



SOMMAIRE


I N T RODUCT ION

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I GEOMOR PHOLOGI E DU T ER R I TOI R E

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A - Formation et origine d’un paysage complexe, où terre et mer se sont mélangées. B - Les mouvements sédimentaires et hydrauliques. II DES DUNES AUX FALAISES // LE CONTOUR A - Contextualisation. B - De la bôle à La Baule // un nouveau profil né du phénomène balnéaire. C - Fin de siècle // de la ville de bain à la ville nouvelle. D - XXe siècle // le tournant de l’après-guerre. E - Des grains de sable dans l’engrenage ? F - Une nouvelle perception de la grève.

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III UNE ARCHITECTURE DE TERRE // LE COEUR 83 A - Au pays de l’or blanc. B - L’homme des marais // la philosophie d’un acteur de terrain. C - Du pays blanc au pays gris ? l’histoire d’une lutte collective. D - La reconaissance d’un patrimoine. E - L’habitat de l’homme des marais. F - L’alchimie territoriale. IV LA PRESQU’ÎLE FACE AUX ALÉAS NATURELS 129 A - Attractivité & Vulnérabilité. B - La résilience des sociétés anciennes face aux tempêtes. C - Xynthia // quels impacts sur le patrimoine bâti ? D - Les prémices d’un repli face à la mer ? E - L’aléa climatique, nouveau vecteur de développement urbain et architectural. CONCLUSION

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BIBLIOGRAPHIE

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ICONOGRAPHIE

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REMERCIEMENTS

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INTRODUCTION



LA MER ET LE LITTORAL //DE L’E N F E R AU PA R A DI S

La mer est un milieu hostile. C’est le cœur du monde qui gronde comme le décrit Olivier de Kersauson dans son livre Promenades en bord de mer et étonnements heureux. L’étendue inaccessible de cet espace sans borne fascine autant qu’il effraie. Longtemps, ce territoire du vide1 était considéré comme un lieu maléfique. Les récits antiques évoquaient rarement le calme de la mer. Au contraire, ils vantaient le plus souvent sa colère et l’effroi qu’elle pouvait provoquer aux marins : « Les cris des matelots, le sifflement des cordages, le fracas de lames, le tonnerre composent le décor auditif de la scène »2. Les journaux de bord des navigateurs portugais foisonnent tout autant de pensées cauchemardesques, au regard de s’aventurer vers un horizon incommensurable : « La mer qui bout, les tarasques gobant les navires et les parapets du monde s’effondrant sur le néant »3. Au XVIIe et XVIIIe siècles, 1 // Expression utilisée par l’écrivain Alain Corbin pour évoquer le littoral. 2 // Alain Corbin, Le territoire du vide, l’occident et le désir de rivage. Péd. Flammarion, Paris 2018. p 21. 3 // Sylvain Tesson, Petit traité sur l’immensité du monde. Ed des Équateurs, 2005. p 46. 17


La mer et le littoral // de l’enfer au paradis

savants ne peuvent s’empêcher d’associer les océans à la catastrophe du déluge. Cette relique menaçante, ayant causé la mort de toutes les espèces, est perçue alors comme un lieu où émanent toutes sortes de maladies. La hantise de l’infection chez les hommes de l’époque les conduisent donc à s’en protéger, en migrant vers les montagnes. Le rivage est ainsi considéré comme un lieu répulsif et devient le symbol du cataclysme. Aussi, l’enfer de la géhenne – troisième cercle de l’enfer de Dante – est décrit par un paysage de sables brûlants et marécageux. Le marnage – vaet-vient de l’océan – laisse donc apparaître l’estran, comme un espace « horrible » pour les hommes de ce temps. Au XVIIIe siècle, la soif de savoir fut sans doute plus forte que la crainte de ne rien connaître de ce territoire du vide. Et c’est peut-être ce désir d’apprendre qui a permis aux océanographes anglais, par leurs recherches, d’estomper certains mystères maritimes. Cet espace a aussi fasciné les poètes baroques, qui n’ont pas tardé à reconnaître le plaisir des promenades sur le rivage – l’image apocalyptique et obscure de la mer laisse place à une féerie marine. Vers 1750, le discours médical amorce un tournant ; les médecins ne cessent de vanter les vertus thérapeutiques de l’eau froide de la mer. Au XIXe siècle, le rivage se mue en un havre de paix, éloigné de la pollution des villes. Pour aménager le littoral, Napoléon donne l’ordre de fixer les zones dunaires, notamment grâce à l’introduction du pin maritime. Il aura fallu cinquante ans de lutte contre le sable pour stabiliser la dune de la baie de La Baule, au sud de la presqu’île de Guérande. Ce type d’opération permet en-

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Introduction

suite de créer des réseaux d’infrastructures et des centres de villégiature. Sur un front de mer redessiné par l’homme, les classes dominantes de l’époque viennent se laver d’iode pour lutter contre la mélancolie et le spleen. Le littoral devient attrayant et la source d’un nouvel imaginaire. L’apparition des congés payés à la fin des années 1930 permet au plus grand nombre de venir respirer l’air du large, au prix d’un étalement urbain et d’une densification vers l’océan. L’urbanisme balnéaire ne cesse d’évoluer. Au fil du temps, les immeubles remplacent les villas du front de mer, les lotissements fleurissent et la presqu’île attire de plus en plus de touristes et de résidents permanents. Victime de son succès, le littoral subit les déboires des hommes et de leurs aménagements toujours au plus près de l’eau. Nombreux sont ceux qui souhaitent la « vue sur mer ». Les Trente Glorieuses dessinent une nouvelle géographie, résultante d’un affranchissement au territoire1. L’heure est au désenclavement et à la reconversion économique. Certaines études réalisées par la SOGREAH le témoignent ; elles projetaient la création d’une marina sur le coteau de Guérande, de plans d’eau à la place des marais sur deux-cent hectares, d’un port de plaisance dans le traict du Croisic et le développement de l’infrastructure routière dans la presqu’île avec à moyen terme, un pont qui aurait connecté Le Croisic à Pen-Bron8.

1 // Cette notion d’affranchissement est décrite dans l’ouvrage de Alberto Magnaghi : Le projet Local. Elle évoque la perte de relation avec l’histoire et la mémoire des lieux. 19



Introduction

R ISQU E CLI M AT IQU E // DU PA R A DI S À L A CATASTROPHE.

Avec le recul d’aujourd’hui, certaines de ces interventions peuvent paraître grotesques. Cependant, les enjeux publics de l’époque étaient tout autres. Les études postulaient déjà l’augmentation de la population estivale mais omettaient la variable du changement climatique. Le premier sommet de la terre, qui s’est tenu à Rio en juin 1992, révèle la globalisation des questions environnementales. La conscience des effets catastrophiques de la transformation de l’humanité en force géophysique prend le nom de « l’anthropocène »1. Dans ce contexte, l’homme devient acteur de la modification de son environnement. L’une des résultantes de cette prise de conscience collective à l’échelle mondiale est le catastrophisme. Quand les phénomènes de risques « naturels » intensifiés par les activités humaines provoquent des dommages et des victimes, ils se transforment en catastrophe. Les dernières prévisions scientifiques exposent clairement les risques liés au relèvement récent du niveau de 1 // Le terme Anthropocène désigne l’ère géologique actuelle qui se caractérise par des signes visibles de l’influence de l’être humain sur son environnement, notamment sur le climat et la biosphère. 21


Risque climatique // du paradis à la catastrophe

l’océan et des mers. « Le phénomène d’érosion constitue en soi un risque majeur qui menace le devenir des littoraux, puisque toutes les formes littorales, y compris les deltas, connaissent, au moins partiellement et localement, une érosion sans précédent et qui risque de se généraliser durant les décennies à venir, tout réside dans l’évolution sédimentaire des milieux côtiers, puisque dans de nombreux sites, ce que la mer emporte aujourd’hui est de loin supérieur à ce qu’elle apporte et surtout à ce qu’elle reçoit »1. Selon le ministère de la transition écologique et solidaire, vingtsix kilomètres carrés de territoire métropolitain ont ainsi disparu entre 1949 et 2005, soit l’équivalent de trois-millecent terrains de rugby2. Les variations du niveau marin à l’origine de l’érosion peuvent avoir deux causes principales : « une modification du volume des cuvettes océaniques ou une modification du volume des eaux océaniques » (Roland Paskoff). A l’échelle de la vie humaine la première est infinitésimale. Il n’en va pas de même pour la deuxième qui est provoquée par des changements climatiques. Le sixième et dernier rapport réalisé par le groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a été rendu public le 8 Octobre 2018. Les scientifiques ayant dressé ce bilan annonce pour 2100 une élévation de quatrevingt centimètres3 dans le scénario le plus défavorable. Sur la période de 1901-2010, le niveau de la mer a augmen1 // Mongi Bourgoi & Jean-Marie Miossec, Les littoraux, enjeux et dynamiques. Presses Universitaires de France, Paris 2018. 2 // Patricia Jolly, Malgré un hiver « normal », le littoral français recule inexorablement, Le monde, 6 mars 2018. 3 // ipcc (Intergouvernemental panel on climate change), Global warming of 1.5°C. Incheon, Republic of Korea, 6 octobre 2018. 22


Introduction

té de dix-neuf centimètres en moyenne soit près de deux millimètres par an. Cette hausse ne cesse d’augmenter car entre 1993 et 2010, elle a été supérieure à trois millimètres par an. La hausse du niveau des mers est presque deux fois plus rapide depuis vingt ans qu’au siècle précédent. Les changements climatiques affectent une autre variable : la fréquence des événements extrêmes qui seront plus intenses et plus fréquents. L’aléa naturel est l’une des constantes de ces changements. Ces aléas sont généralement ravageurs, tant d’un point de vue humain qu’économique, c’est pourquoi nous devons nous questionner sur la manière de gérer le risque sur nos territoires. Du territoire du vide jusqu’à la balnéarisation et la prise de conscience de l’élévation du niveau des mers, l’aménagement du littoral pose de nombreuses questions : Est-ce que l’élévation du niveau des mers nous contraint au repli dans l’arrière-pays ? Est-il possible de reconsidérer le risque comme une nouvelle opportunité permettant de repenser les rapports entre terre et mer ? Quelles ont-été les évolutions dans la manière de bâtir sur ce territoire en mouvement ? À quel point la mer influence-elle notre manière de s’approprier un territoire, notre culture, et notre perception de la nature ? Est-ce que l’architecture de la station balnéaire n’est pas synonyme de dénaturalisation du territoire ? Le phénomène balnéaire n’a-t-il pas détruit l’identité du site ?

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Risque climatique // du paradis à la catastrophe

Toutes ces interrogations nous amènent finalement à soulever une problématique : en quoi la mer et ses aléas interagissent-ils sur le développement territorial et identitaire de la presqu’île guérandaise ?

methodologie Cette problématique, concerne bien évidement de nombreux espaces du littoral Atlantique français. Cependant, un tel linéaire représente un travail trop important au vu des difficultés à recueillir les informations. J’ai ainsi décidé de limiter le secteur d’étude. Le site choisi pour explorer ce sujet est donc le sud de la Presqu’île de Guérande. Cette zone littorale présente une grande diversité physique (dunes, plages, marais, falaises, etc.) et humaine (occupation du sol, peuplement, activités, etc.). En étant de basse altitude, ce territoire littoral présente aussi un risque fort de submersion que nous pourrons étudier. Cette région est définie comme une Presqu’île car elle est délimitée en son cœur par l’étier et les marais salants. Cette mosaïque d’argile délie la zone allant du Croisic jusqu’à Pornichet. Ce n’est donc pas un île mais presque. Lorsqu’on observe une photographie aérienne du lieu, on est saisis par la surface de ces marais et on prend conscience qu’ils représentent une véritable mer intérieure. Le terme presqu’île guérandaise est utilisé pour définir un site plus grand que celui qui sera étudié. La délimitation est plus subtile au nord qu’au sud. Elle est géographiquement définie par l’étier de Pont-d’Arm sur le bassin du mes, pro-

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Introduction

longé par les marais de Pompas et d’Arbourg au nord, et les marais de Brière à l’est. La partie sud étudiée est délimitée par le coteau de Guérande, seuil géographique et géologique. Le paysage de la Presqu’île sera décrit à travers deux entités : le contour – qui correspond à la ligne littoral – et le cœur – qui correspond aux marais-salants. Le fil conducteur de mon propos sera l’évolution de ce territoire, de sa perception ainsi que de sa gestion. Dans un premier temps, nous analyserons brièvement le site avant son anthropisation en étudiant sa géomorphologie. Cela nous permettra de comprendre la formation et l’origine du paysage, d’interpréter les mouvements sédimentaires et hydrauliques, mais surtout d’appréhender ce qui caractérise l’espace littoral. Dans un deuxième temps, nous chercherons à comprendre ce qui a conduit l’homme pour s’approprier un territoire sauvage et hostile, en étudiant le contour de la Presqu’île. Nous essayerons ici de saisir l’évolution des rapports entre la nature, l’Homme et la technique, d’un point de vue historique comme philosophique. Dans une troisième partie, nous approfondirons les notions abordées dans le chapitre précédent en explorant le cœur du territoire : les marais. Cela permettra d’approfondir la construction culturelle de la nature et de prendre du recul sur l’artificialisation des paysages. Nous étudierons également la notion d’identité territoriale, en évoquant les paradoxes et la complexité qui caractérisent la Presqu’île aujourd’hui : le contour « balnéarisé » et le coeur « préservé ». 25


Risque climatique // du paradis à la catastrophe

Enfin, nous chercherons à comprendre comment cet ensemble territoriale peut concilier deux notions : celle de l’attractivité d’une part, qui liée à l’accroissement de la population sur les rivages, et celle vulnérabilité d’autre part, qui est liée aux aléas naturels. Pour cela, nous nous interrogerons sur les attitudes et stratégies de résiliences adoptées par les sociétés antérieures, puis nous analyserons plus en détail les impacts que la tempête Xynthia a pu entraîner sur l’aménagement urbain et architectural. Cela permettra de soulever de nombreuses questions et de mettre en lumière les faiblesses du territoire face aux aléas naturels. Cette dernière partie abordera les notions de la culture du risque et de la mémoire collective. Nous nous poserons notamment la question du rapport entre l’aménagement du littoral et l’apparition de la notion de catastrophisme.

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I

GÉOMORPHOLOGIE

DU TERRITOIRE


Marnage Arrière côte Espace émergé

Estran Espace alternativement émergé et immergé

Avant côte Espace immergé

Figure 01 : Coupe schématique de l’espace littoral.

HM BM


LE LI TTOR A L // UNE NOTION À DÉFINIR

Avant d’étudier le littoral de la presqu’île, il convient de rappeler certaines notions de base. En faisant mes recherches, j’ai constaté que certains mots comme « littoral « ou « trait de côte » étaient sources de confusion ; le littoral ne se limite pas au trait de côte. Bien qu’étant une limite de référence évidente entre deux domaines, terrestre et marin, ce dernier est pourtant une notion ambiguë tant le passage de l’un vers l’autre est graduel dans l’espace et mobile dans le temps. Le groupe de travail Shom-Ifremer (Allain et al. 2000) définit ce terme par une « limite conventionnelle du domaine maritime au voisinage de la laisse de pleine mer pour les côtes de France Atlantique et Manche. Sa définition théorique pourrait être, soit la limite des plus hautes mers astronomiques, soit la limite des niveaux extrêmes de pleine mer d’une période de retour de dix ans. ». Cette courbe géométrique immatérielle évoquerait donc l’intersection entre terre et mer dans le cas d’une marée haute de coefficient de cent-vingt (vives-eaux) et dans des conditions météorologiques tempétueuses. Mais pour le CNIG (Conseil National de l’Information Géographique), cette définition paraît contestable en raison de la difficul31


Le littoral // une notion à définir

té – humaine et matérielle - à recueillir des délimitations homogènes du trait de côte. Dès lors, le groupe de travail « littoral » du CNIG a donné lieu à la définition du « trait de côte géo-morphologique », qui propose des critères de délimitation plus simple à mesurer : « Lieu de discontinuité morphologique caractéristique de la limite probable atteinte par la mer sur la côte. Exemples : talus d’érosion, pied de dune, limite de végétation de la plage, laisse des pleines mers de vives eaux exceptionnelles,… Cette limite morphologique présentant un intérêt pour le suivi de l’évolution physique des côtes. ». Le littoral, lui, est une zone beaucoup plus étendue. Son espace prend en compte la zone de marnage1, – également appelé estran – les aires émergées qui se trouvent dans l’arrière-pays et les aires immergées qui se trouvent au large. La zone littorale correspond donc à une vaste étendue. Son domaine est parfois éloigné à l’intérieur des terres et des mers de plusieurs centaines de mètres, voire plusieurs kilomètres. Ces aires sont difficiles à limiter car « élastiques » dans le temps, en raison des phénomènes multiples et complexes. De cette façon, la nature littorale est mobile, à la fois instantanément, périodiquement mais aussi sur le long terme.

1 // Le marnage correspond à la différence de hauteur d’eau mesurée entre les niveaux d’une pleine mer et d’une basse mer consécutives, mais aussi les fluctuations du niveau de l’eau dans les cours d’eau, canaux, et bassins. 32


GĂŠomorphologie du territoire

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Figure 02 : Plan de situation.

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A

FORMATION ET OR IGI N E D’U N PAYSAGE COMPLEXE, OÙ TERRE ET MER SE SONT MÉLANGÉES La zone géographique concernée par l’étude est située à l’extrême sud de la péninsule bretonne et au nord de l’estuaire de la Loire. Située en Bretagne avant 1944, la presqu’île appartient désormais au département de la Loire-Atlantique et de la région des Pays de la Loire. Elle fait partie du domaine sud-armoricain1. Sa constitution géologique la divise en deux parties : l’une ancienne et rocheuse; l’autre récente, formée d’alluvions maritimes (à l’état marécageux) ou de dunes2. Trois dynamiques successives ont transformé le territoire : l’érosion des plateaux depuis la fin de l’aire primaire ; la fracturation du sol par des crêtes rocheuses; enfin, l’accumulation sédimentaire liée aux variations du niveau des océans et à l’érosion du littoral. Jusqu’au IXe siècle, la partie sud de la presqu’île – sillon du Croisic – était séparée du coteau de Guérande par un bras de mer. Par la suite, la zone des marais salants de Gué1 // À l’origine, il s’agit dune chaîne de montagne : le fameux socle armoricain. 2 // Clarac CI. A La presqu’île guérandaise. In : Revue de géographie alpine, tome 19, no 4, 1931. 35


Formation et origine d’un paysage complexe

rande s’est développée grâce à la formation de deux grands cordons dunaires1 : l’un sur la Baule à l’est, et l’autre sur Pen-Bron à l’ouest. Ils ont ainsi rattaché la crête rocheuse du Croisic au coteau de Guérande. Un morceau d’océan fut ainsi emprisonné dans les terres. Aujourd’hui, sur les cartes topographiques, nous discernons clairement que le relief constituant cette unité paysagère est composé de trois sillons : la petite crête allant du Croisic au Pouliguen, le coteau plus marqué de Guérande et le sillon de Bretagne. Les vides entre ces sillons produisent des marais et des zones humides car l’altimétrie des points bas du relief sont situés proches du niveau de la mer. L’espace entre les deux premiers forme les marais-salants de Guérande tandis que l’espace entre les deux derniers forme les marais continentaux de Brière. Ces mouvements géologiques ont donc façonné un littoral riche et varié, constitué de marais-maritimes, pointements rocheux, baies et larges bandes sableuses.

1 // Ces cordons dunaires sont appelés des tombolos. Ils définissent un cordon littoral de sédiments reliant deux étendues terrestres. Ces formations sédimentaires sont bien souvent formées sous les parties abritées des îles et îlots. 36


Géomorphologie du territoire

Figure 03 : Étape Géomorphologique

I Le Croisic

Guérande

Batz-sur-Mer

Il y a 2100 ans, la mer arrive au pied du coteau de Guérande. Le Croisice et Batz-sur-Mer forment des îles.

II

Pen-Bron

La Baule

Au haut Moyen-Âge, la baie de Guérande s’est fermée par des dépots de sable qui ont joint les deux îles par le tombolo de Pen-Bron à l’ouest et celui de La Baule à l’est.

III Marais-salants

Au Moyen-Âge, la mer rentre dans la lagune formée par ces deux tombolos. Progressivement, des alluvions argileuses se déposent et forment alors un fond vaseux propice à la création des marais salants

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Figure. 05

Figure. 04


B

LES MOUVEMENTS SÉDIMENTAIRES & HYDR AULIQUES DU LITTOR AL Dans cette partie, nous allons distinguer plus en détail les agents et processus non-anthropiques qui contribuent à la transformation du littoral. Tout un nombre de processus d’usure liés à l’eau, aux actions atmosphériques – érosion – et aux formations sédimentaires – sédimentation – rendent l’espace littoral mobile. Ces phénomènes s’expliquent par les vagues et les marées ainsi que les courants qu’ils engendrent. Les littoraux se transforment également à cause d’éléments qui ne leur sont pas directement liés, comme les eaux de ruissellement, le vent ou le gel.

Les vagues

Dans la dynamique du littoral, les vagues constituent un agent primordial. On peut les distinguer sous deux formes : les vagues au large et les vagues à la côte. Les vagues sont des ondes de surfaces dues au vent. Leurs caractéristiques – longueur d’onde, hauteur, période et célérité – dépendent de la vitesse du vent, de la durée pendant laquelle il souffle et de l’étendue d’eau qu’il affecte. L’endroit où souffle le vent est tumultueux et irrégulier. Cependant, 39


Les mouvements sédimentaires & hydrauliques du littoral

au dehors de son épicentre, se propage des ondulations régulières et parallèles entre elles : ces ondes forment la houle. À l’approche des côtes, sous l’effet du changement de profondeur, ces ondes provoquent une déformation de la surface de l’eau. Une houle peut être constituée de vagues de périodes différentes. La période d’une houle peut aller jusqu’à vingt-cinq secondes environ et sa longueur d’onde – distance entre deux crêtes – dépasser neuf-cent mètres, tandis que la vitesse peut frôler quarante mètres par seconde, soit cent-quarante-quatre kilomètres par heure1. Les vagues à période courte peuvent rapidement perdre de la hauteur, et même disparaître, si la distance à parcourir est trop importante. Par conséquent, les côtes atlantiques soumises à des régimes météorologiques de basse pression – sources de vagues – et exposées face à de vastes étendues d’eau sont régulièrement soumises à des houles de période longue. A l’approche du rivage, les vagues se dessinent sous différentes formes. Trois facteurs physiques les composent : La réfraction, la réflexion et la diffraction. Le premier cas – la réfraction – est dû au fait que les crêtes des vagues épousent le relief topographique sous-marin. Ainsi, plus le gouffre immergé est profond et plus les vagues sont hautes ; les vagues comme celle de Nazaré au Portugal, ou La Nord à Hossegor, doivent leur taille hors du commun au canyon sous-marin qui les crée. La réfraction concentre également la puissance de l’énergie des vagues devant des 1 // Comprendre, tout savoir sur la météo, le climat,...consulté sur le site internet de météo-france : http://www.meteofrance.fr/publications/ glossaire/152231-houle 40


Géomorphologie du territoire

caps ou l’atténue, la disperse dans les baies. Le deuxième cas est causé par la réflexion des vagues sous l’effet d’obstacle. Ces derniers peuvent-être naturels (Rochers...) et anthropiques (môles, digues...). Enfin, le troisième cas – la diffraction – symbolise le contournement et le changement de direction de vagues, lorsque des ouvrages – type briselames – sont parallèles au rivage par exemple. C’est ensuite que le relèvement du fond marin induit le freinage des ondes de surfaces. Cela engendre une différence de vitesse entre la base de la vague et la crête : c’est le déferlement.

Les courants

Les grands courants océaniques n’ont qu’une très faible incidence sur le mouvement sédimentaire des côtes en raison de leur faible vitesse de déplacement. Il n’en va pas de même pour les courants engendrés par les vagues, les marées et la topographie. Ces derniers ont la capacité à transporter les sédiments. Ils déplacent en suspension des limons et principalement des sables, par roulage de galets et des graviers. Entre le trait de côte et les lignes de déferlements, un courant parallèle au littoral se produit. Ce courant, par son déplacement latéral, favorise l’appauvrissement d’une côte ou l’enrichissement d’une autre. Dans son ouvrage sur les littoraux, Roland Paskoff insiste sur le fait que « ce courant joue un rôle très important dans l’évolution des rivages, en particulier quand il s’agit de plages, et sa connaissance est essentielle lorsque l’on procède à des aménagements qui

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Les mouvements sédimentaires & hydrauliques du littoral

empiètent sur l’espace infralittoral, comme par exemple les installations portuaires »1. Certains auteurs anglos saxons emploient deux termes pour qualifier ce phénomène de dérive littoral : le longshore drifting qui affecte le transport des sédiments et le beach drifting qui affecte le transport de matériaux de la plage. Le premier cause le déplacement des sédiments et le deuxième celui des matériaux constitutifs de la plage. Le sens de la dérive littorale peut varier en fonction des saisons – changement de direction des vents dominants.

Les vents

Les vents, par leurs fréquences et leurs vitesses, sont l’un des vecteurs les plus importants de la modification sédimentaire sur les littoraux. Le vent esquisse les dunes. S’il n’y a pas de structures végétales ou d’obstacles topographiques, les dunes peuvent prendre des dimensions considérables. La dune du Pyla, haute de cent mètres, est un exemple connu de tous.

Les actions biologiques

Finalement, il ne faut pas oublier l’influence des actions biologiques sur l’évolution géomorphologique. Certains animaux et végétaux sont « protecteurs » – des fonds marins, des rivages et de l’arrière-côte – d’autres peuventêtre considérés comme « destructeurs ». Les excavateurs sont divers. Parmi eux, nous pouvons citer les oursins qui aménagent des niches – notamment dans les roches calcaires –, les mollusques et patelles qui ont une action apla1 // Roland Paskoff. Les littoraux, impact des aménagements sur leurs évolutions. Ed Armand Colin/Masson, Paris, 1985, 1998. p.25 42


Géomorphologie du territoire

Figure 06 : Schéma des mouvements côtiers.

nissante mais aussi les champignons et lichens. En entravant l’attaque des vagues, certains organismes agissent en faveur de la diminution de l’érosion. Les grandes algues souples, comme les laminaires des côtes rocheuses, freinent l’effet du déferlement. Des herbiers immergés, tel que les zostères ou posidonies, ralentissent les houles. Certaines espèces, comme les salicornes, nombreuses dans les marais-salants, peuvent aider à la sédimentation. Enfin, en s’appuyant sur des moyens techniques de plus en plus performants, l’homme est devenu une substance majeure de la transformation de nombreux rivages maritimes. Les deux prochains points d’études – « le contour » et « le cœur » –, permettront d’illustrer les modifications anthropiques sur le littoral.

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II DES DUNES AU X FA L A I SE S

LE CONTOUR



Afin de dessiner le portait de la presqu’île, nous étudierons ses lignes. La première, est la plus convoitée par l’homme d’aujourd’hui ; qu’il soit touriste ou résident permanent. C’est la ligne entre terre et mer. C’est la limite qui sépare le grand bleu du continent, mais c’est aussi la frontière entre deux mondes : celui des marins et des terriens. Cette ligne littorale constituée d’une multitude de rivages est un laboratoire à ciel ouvert passionnant pour étudier l’anthropisation du littoral. De Pornichet à la Baule, en passant par la pointe du Croisic, jusqu’à Pen-Bron, nous étudierons comment cette limite avec le grand paysage – sauvage, isolé et préservé naguère – a pu être conquis, fréquenté et altéré. « Par leur travail de tous les jours, par leur imagination et par leurs décisions, les hommes font la géographie ; mais ils ne savent pas qu'ils la font. En partie libres et en partie « agis » par des structures, des institutions et des idées, qu'eux ou leurs prédécesseurs ont produites, ils créent, recréent et transforment ces structures, ces institutions, ces idées, avec leurs espaces, et leurs lieux » (Brunet et al, 1993)

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A

CONTEXTUALISATION

Ici, un rapide détour s’impose. Il convient de rappeler que jusqu’au milieu du XIXe siècle, cette péninsule constitue une enclave dans le rapport qu’elle entretient avec l’ancienne capitale de son département : Nantes. Cette dernière, est à l’origine la ville-port de la région Bretagne. L’économie y est prospère, on y rapporte des denrées du monde entier – notamment des esclaves avec le commerce triangulaire – et on échange de plus en plus. Les navires de l’époque, chargés du transport de marchandise, s’agrandissent, s’élargissent et le tirant d’eau des bateaux augmente. La profondeur de la Loire devient vite insuffisante. Au XVe siècle, on creuse alors un canal plus profond dans le fleuve, entre Paimbœuf et Nantes. En vain. Malgré les efforts entrepris, le sable de la Loire revient et comble rapidement les tentatives : c’est la peur du déclin de la cité. Après de nombreuses tentatives inefficaces, l’hypothèse est de déplacer les portes maritimes de Nantes dans le petit port de Saint-Nazaire, aux portes de l’océan. Le projet se concrétise au XIXe siècle ; l’estuaire de la Loire devient la nouvelle entrée du commerce maritime.

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Contextualisation

Dans un second temps, on réfléchit à l’aménagement d’infrastructure entre l’isthme de la presqu’île (la pointe du Croisic) et la cité de Saint-Nazaire. Ainsi, une voie de chemin-de-fer est établie en 18791. Vers les quais de la ville portuaire, on y achemine d’abord le poisson et le sel prélevés sur la presqu’île, viennent ensuite les voyageurs. L’impact de l’essor économique sur les techno-sciences puis sur l’aménagement du territoire entre Nantes et la pointe du Croisic est énorme. Au fil de l’histoire, on se rend compte que des liens entre les villes s’établissent. Ils viennent donner naissance aux couples : celui de Nantes / Saint-Nazaire d’une part , et celui de Saint-Nazaire / Guérande d’autre part. Cet accouplement de villes historiques, c’est précisément ce qu’Alberto Magnaghi surnomme : la morphogenèse de la métropole contemporaine2 dans son livre Un projet local. Dans notre cas, le premier couple (Nantes / Saint-Nazaire) dessine une rive industrielle sur les rivages du territoire Ligérien, tandis que le deuxième (Saint-Nazaire / Guérande) esquisse les contours d’un nouveau rivage : celui de la Balnéarisation...

1 // Consulté sur : http://www.asap-benoit.fr/histoire-du-quartier-benoit/notre-histoire/ 2 // D’après Alberto Magnaghi, la métropole contemporaine est caractérisée par « une diffusion fragmentée, pratiquement illimité et détachée de l’environnement (…) la définition de ses frontières territoriales est de plus en plus difficile, dans la mesure où elle reflète la forme impériale du marché mondial et de « son système monde ». 50


Des dunes aux falaises // le contour


« Aucune trace, aucun sentier n’indique

la route, seulement des pas d’hommes, empreintes sur le sable dans toutes les directions, annoncent que le désert est fréquenté. Autour de moi, rien qu’un affreux désert. Des dunes entassées les unes sur les autres s’allongent à perte de vue. Rien n’interrompt leur désespérante uniformité ! ». ( Gustave Grandpré, 1828 ).

Figure 07 : Paysage dunaire avant la balnéarisation.


B

DE L A BÔLE À L A BAU LE // LE NOUVEAU CONTOUR DU PHÉNOMÈNE BALNÉAIRE Durant le XIXe siècle, le rivage devient un objet géographique de désir. La géographie littorale est soudainement bouleversée par les classes sociales dominantes. Pour illustrer le propos, nous nous intéresserons à la balnéarisation de la baie de La Baule qui compose la limite Sud de la presqu’île. La naissance du phénomène balnéaire se heurte à une problématique majeure : la nature du terrain à aménager. Avant de devenir le remblai que l’on connaît, il convient de rappeler que le territoire situé entre la commune de Pornichet et celle du Pouliguen était composé d’un vaste marécage et d’une dune de sable. En 1788, le Parlement de Bretagne fait construire une digue à l’emplacement de l’actuelle avenue du général de Lattre de Tassigny pour prévenir la destruction des marais de Guérande. Pour satisfaire le désir de rivage, un décret est instauré le 14 Décembre 1810 en vu de fixer les dunes1 : « Art. 1er. Dans les départements maritimes, il sera pris des mesures pour l’ensemencement, la plantation 1 // J. B. Duvergier, Lois, Décrets, ordonnances, réglemens et avis du conseil d’état, tome 47e. Paris, 1847. 53


De la bôle à La Baule // le nouveau contour du phénomène balnéaire

et la culture des végétaux reconnus les plus favorables à la fixation des dunes. ». Elle s’inspire du boisement de fixation des Landes de Gascogne sous Napoléon. L’état encourage la fixation de cette bôle en concédant1 des terrains en échange de la plantation de pins maritimes, de genêts et d’ajoncs. Le conseil municipal du Croisic se déclare favorable aux demandes de concessions, dans l’intérêt de la commune, car elles « n’ont d’autre but que de doter le rivage de la côte de constructions, et d’attirer par là nombre d’étrangers au pays2 ». Mais l’opération est un échec. À la suite de la révolution française, les autochtones ne sont pas d’humeur au dialogue ; ils contestent l’attribution des concessions et ils font même paître leurs moutons sur la dune, ce qui empêche la prolifération des végétaux et donc le maintient du sol. À ce stade, nous sommes encore loin de l’image idyllique du bord de mer. Dans son livre, Gustave Grandpré décrit même un paysage désolé, morne et linéaire : « Aucune trace, aucun sentier n’indique la route, seulement des pas d’hommes, empreintes sur le sable dans toutes les directions, annoncent que le désert est fréquenté. Autour de moi, rien qu’un affreux désert. Des dunes entassées les unes sur les autres s’allongent à perte de vue. Rien n’interrompt leur désespérante uniformité ! »3 Par la suite, des armateurs Nantais rachètent une grande partie de la surface et créent la Société des Dunes d’Escoublac, tandis 1 // Louis XVIII attribue à perpétuité la concession des dunes d’Escoublac au Comte de Sesmaisons, un ancien propriétaire dépossédé par la Révolution. Paris, 1847. 2 // Délibération municipale du Croisic, du 23 novembre 1864. 3 // Gustave Grandpré, Promenade au Croisic. Pays Nantais, presqu’île Guérandaise, Brière. Éd. Alizés, coll. 1828 54


Des dunes aux falaises // le contour

que des entrepreneurs s’associent afin de construire une usine pour le lavage et le raffinage du sel5. Dès lors, pour assurer leurs affaires, ils assument eux mêmes la plantation afin de stabiliser le sol qui reçoit les fondations de leurs usines. Au terme de cinq décennies de lutte contre le sable, la dune est globalement stabilisée. Nous sommes en 1868.

Figure 08 : Émergeance des bains de mer, pointe du Croisic.

Onze années plus tard, la nouvelle ligne de cheminde-fer Saint-Nazaire / Le Croisic est inaugurée. Elle permet la desserte des stations balnéaires naissantes de Pornichet jusqu’au Croisic. Ainsi, nantais, angevins et parisiens viennent peu à peu sur le rivage ; cela favorise l’émergence des établissements de bains de mer et des villas. Le Croisic, Batz-sur-Mer, Le Pouliguen, La Baule et Pornichet attirent de plus en plus. En se recouvrant de cabines, de fanions et d’estacades, l’homme s’approprie la plage ; c’est la grève urbanisée décrite par Paul Morand.

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Figure 10

Figure 09 :

Figure 11


C

F I N DE SI ÈCLE // DE LA VILLE DE BAIN À LA VILLE NOUVELLE Peu à peu, le littoral accouche d’une géographie du plaisir ; la dune voit progressivement émerger des villes de bain. Pour la plupart, elles sont fondées sur des sites libres de toutes contraintes constructives préexistantes ; l’évolution des techniques permet à ces villes de s’émanciper peu à peu de la ville historique. En cette fin de siècle, de nouvelles urbanités apparaissent. Leurs développements, qui sont liés aux plaisirs balnéaires, sont de plus en plus indépendants de la manière de tenir compte des caractéristiques culturelles et identitaires du site origine1. La ville de bain prône un retour à une vie idyllique, naturelle et hygiéniste. Elle doit en aucun cas refléter l’image du village moyenâgeux ; la ville de bain se rêve « moderne ». Sa modernité va s’exercer de plusieurs façons. Tout d’abord par le choix de ses références dont la principale provient de Paris. Les fondateurs s’en inspirent car selon eux, la capitale, transformée par Haussmann, est synonyme de ville propre, où la libre circulation de l’air et de la lumière en ont totalement modifié la physionomie. Dès 1 // C’est la notion de « supports techniques d’activités et de fonctions économiques » évoqué par Alberto Magnaghi dans son ouvrage : Le projet Local. 57


Fin de siècle // de la ville de bain à la ville moderne

lors, la ville nouvelle a le « culte de l’axe ». Les boulevards sont dotés de trottoirs, de pavés, d’équipement au gaz et les rues et allées sont ombragées. La modernité se transcrit donc dans le plan urbain : ces petites villes deviennent des « petits Paris de luxe »1. Leur développement s’est fait d’ouest en est, d’une façon assez linéaire, par les différents lotissements qui ont organisé le front de mer et la pinède. À l’aube du XXe siècle la vocation médicale de la station disparaît petit à petit au profit du tourisme. La décennie 1920 / 1930 est marquée par un aménagement plus impactant pour le littoral. Le lieu de villégiature chic et familial se mue en station internationale. En tandem avec l’homme d’affaires François André – célèbre pour ses casinos de Deauville et de Cannes – l’architecte nantais Ferdinand Ménard transforme l’image de La Baule. En 1925, il entreprend notamment la construction de l’hôtel de l’Hermitage, palace de style anglo-normand qui comporte plus de deuxcents chambres. En ce début du XXe siècle, l’unité du front de mer ne découle pas d’un quartier homogène, mais est le résultat de l’organisation parcellaire des différents lotissements de La Baule. Dans l’espoir de réaliser un front urbain « pittoresque », les promoteurs de l’époque jouent sur des effets de mise en scène des villas en concevant des trames parcellaires très étroites en front de plage. La station balnéaire est un « cadre préservé ». Les espaces qui bordent les domaines bâtis ne sont pas encore dotés de normes paysagères. Dans le roman d’Un beau ténébreux, lorsque Gérard le héros se 1 // Béatrice Verney, Le Croisic, l’établissement de bains de mer Silvain Deslandes – de 1844 à 1893., Éd. B. Verney, 2012 58


Figure 12 : Villa Balnéaire, Ker Say. Construite en 1876.

promène avec Christel à Pornichet dans les années 1930, le paysage dénué de constructions révèle l’aspect d’un espace en marge : « en direction du nord […], on sort très vite des maisons. Il y a là une zone presque campagnarde – des maisons basses avec des potagers, des basses-cours, des ustensiles de jardinage, parfois le cri d’un coq dans la journée. Puis c’est la lande rase, tout de suite, un paysage désolé, presque théâtral, plus nu encore d’être sillonné d’une longue ligne de poteaux télégraphiques»1. Mais à partir de l’Entre-deux-guerres, l’état accorde des subventions dans le but de « maîtriser » la forêt et aménager des espaces herbés et parterres de fleurs. Avec l’introduction progressive d’une norme paysagère, l’hygiéniste est poussé à son paroxysme et certains regrettent même un côté pimpant qui dénature le site : « On peut déplorer ces allées trop peignées, cet acclimatement des fleurs des serres chaudes : camélias, mimosas, bégonias, plantes méridionales qui, grâce à la merveilleuse exposition de la Baule, s’épanouissent comme sur la Côte d’Azur. Mais ce reproche n’est-il pas mérité par toutes les plages à la mode ? »2 . 1 // Julien Gracq, p. 22. 2 // Jacques Levron, La Haute-Bretagne, Grenoble, Arthaud, 1938, p. 61. 59


Figure 13 : Saint-Nazaire sous les Bombardements.


D

X Xe SI ÈCLE // LE TOURNANT DE L’A P R È S - G U E R R E La deuxième guerre mondiale va mettre un frein brutal à l’extension de la rive sud de la presqu’île Guérandaise. Désormais, il n’est plus question de touristes nantais ou parisiens mais de réfugiés nazairiens. Ces derniers se replient massivement vers l’arrière-pays. Les villas sont alors réquisitionnées par l’occupant et les hôtels sont transformés en hôpitaux. À la libération, la région se mobilise pour reconstruire Saint-Nazaire. En conséquence, les familles nombreuses et aisées ne peuvent plus assumer les charges financières de l’après-guerre. Les grandes demeures sont mises en vente, scindées en appartement, et parfois même rasées pour bâtir de plus petits collectifs. Dans les années cinquante, le territoire commence à se relever. L’architecture est moins coûteuse, elle correspond au développement du tourisme accessible aux classes moyennes et à leur désir d’investir dans une résidence secondaire. Un style années cinquante se dessine sur le littoral. Les typologies néo-régionnalistes à la mode dessinent un paysage nouveau. Dans un souci d’économie de temps et de moyens, de nouveaux matériaux s’imposent sur la presqu’île : le béton, le verre et l’aluminium. Les nou61


XXe siècle // le tournant de l’après-guerre

velles constructions édifiées sur le rivage vont créer une frontière très importante par rapport à l’aspect de la ville balnéaire d’avant guerre. Le bâti se densifie en hauteur, et se constitue comme un véritable mur orienté vers l’océan. Sur le plan urbain, il s’agit d’une rupture majeure car ce « mono-bloc » vient combler les débouchés vers le rivages qu’offraient le tissu préexistant. De surcroît, cet alignement continu en bord de mer verrouille l’accès aux paysages collinaires de l’arrière pays. Pour rendre possible cette urbanisation du rivage et éviter qu’il devienne un espace chaotique, les institutions décident d’établir des larges espaces de circulation proche du rivage. C’est d’ailleurs dès 1926 que l’ingénieur en chef des Ponts-et-chaussées, M. Bonnisseau, signale les bénéfices d’un boulevard maritime à Pornichet : « La plage de Pornichet s’amaigrit en effet assez sensiblement et si aucun obstacle n’est opposé à la progression de la mer, il est à craindre que les villas riveraines ne soient menacées et que la plage ne voit alors diminuer sa fréquentation et sa valeur. Celle-ci sera, au contraire, inévitablement augmentée par la construction du boulevard qui protégera la plage et en permettra l’exploitation dans de bien meilleures conditions. D’autre part, le manque d’une zone de circulation facile en bordure de la plage de Pornichet (celle de 10 mètres de large réservée par l’État n’ayant jamais été aménagée) se fait de plus en plus sentir »1. Pour l’ingénieur, le rem1 // Archives départementales de Loire-Atlantique, 534 S 90, rapport de M. Bonnisseau, ingénieur des Ponts-et-Chaussées, sur la construction d’un boulevard maritime à Pornichet, du 7 janvier 1926. Consulté dans la thèse de Johan Vincent (l’intrusion balnéaire). 1847. 62


Des dunes aux falaises // le contour

blai servirait donc à maintenir la stabilité du milieu. Une fois construite, l’infrastructure créée une véritable unité urbaine, de Pornichet jusqu’au Pouliguen : Le « bord de mer » devient « front de mer » et la nuit le remblai devient la nouvelle plage où l’on peut discuter, s’amuser et se promener. Dès le début des années soixante, la municipalité impose les premières réglementations du front de mer. Elle constate : « plusieurs immeubles ont été édifiés avec plus ou moins de bonheur en ce qui concernent leurs volumes. Par ailleurs, la subsistance de certaines villas n’a fait que contribuer à accroître certaines disproportions qui ont suscité de nombreuses critiques. »1. Conscient de l’uniformité de ce « mono-bloc », la ville de La Baule tend à instaurer une ligne de crête « élégante » sur l’ensemble de la baie en ménageant des ruptures altimétriques. De surcroît, elle interdit les pastiches d’architecture étrangère à la région. Aujourd’hui, il est saisissant de remarquer les contrastes entre les typologies de bâtis et les matériaux par rapport au XIXe Siècle. Finalement, ce front bâti, qui témoigne des modes d’urbanisation des stations touristiques, ressemble plus à une falaise blanche conçu par l’homme qu’à un ensemble de petites maisonnettes ancrées sur une plage. Cette nouvelle urbanisation traduit une phase de développement touristique plus massifiée et répandue, qui se caractérise non 1 // Commune de La Baule-Escoublac, A.V. A. P. (Aire de mise en Valeur de l’Architecture et de Patrimoine), La Baule, Janvier 2013. 47e. Paris, 1847. 63


XXe siècle // le tournant de l’après-guerre

plus par la construction de villas et d’hôtels de luxe, mais d’avantage par des immeubles abritant des logements collectifs. Aujourd’hui, l’aménagement littoral dessine un territoire binaire – saison hivernale et saison estivale – où l’habitant permanent peut parfois « subir » le touriste. La population peut se démultiplier jusqu’à dix fois en été et comme dans la plupart des communes littorales, le taux de résidence secondaire est très élevé. Malheureusement, ces résidences restent vides une grande partie de l’année. Dans certaines communes, jusqu’à soixante-dix pourcent des maisons ont les volets clos dix mois de l’année. En 2010, la commune de La Baule-Escoublac avait un taux de seize mille quarante habitants permanents, contre soixante-neuf mille dix-sept habitants saisonniers : soit quatre-centtrente pourcents de différence ! à titre de comparaison, la commune voisine de Saint-Nazaire a un taux d’habitant saisonnier de douze pourcents1. Cet avènement de la résidence pavillonnaire secondaire marbre le littoral, entraînant avec lui une privatisation des derniers espaces « naturels » qui le compose ; le conseil général du Finistère s’en fait l’écho dès 1909 : « La multiplication des propriétés de plaisance établies sur le littoral du Finistère a pour effet de modifier, souvent à son grand désavantage, le régime de ce littoral. Il n’est pas rare que les propriétés de ce genre, entourées d’une clôture continue, fassent obstacle au libre accès de la grève 1 // Plan de Prévention des Risques Littoraux (PPRL) de la presqu’île Guérandaise – Saint-Nazaire. p. 37. 64


Des dunes aux falaises // le contour

Figure 14 : Croquis des Immeubles en vague, Pornichet.

Figure 15 : Croquis schĂŠmatique des immeubles qui composent le remblai.

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XXe siècle // le tournant de l’après-guerre

et interrompent des communications qu’il y aurait intérêt général à maintenir. Il arrive même que des rochers ou des falaises appartenant au domaine public soient incorporés dans des murailles du plus disgracieux aspect. Les autorités chargées de la protection du littoral ne semblent pas montrer le zèle qui conviendrait pour prévenir ou réprimer de semblables abus »1. En dénonçant ces excès d’occupation de l’espace littoral par le domaine privé au dépens du domaine public, les institutions témoignent dès le début du XXe siècle, d’un sentiment de dépossession du rivage.

1 // Archives départementales du Finistère, 4 T 71, délibération du conseil général du Finistère, du 3 septembre 1909 : Consulté dans la thèse de Johan Vincent (l’intrusion balnéaire). 66


Des dunes aux falaises // le contour

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Figure 16 : Rechargement en sable, La Baule.


E

DES GR AINS DE SABLE DANS L’E NG R E NAG E ?

En s’intensifiant avec le temps, l’occupation massive du front de mer a dérégulé le transport des sédiments et appauvri le matériau constitutif des plages : le sable. En édifiant le port de Pornichet qui s’avance en mer ouverte, à l’est de La Baule, nous avons gravement perturbé les mécanismes hydrodynamiques et morpho-sédimentaires en bloquant le transit des matériaux véhiculés par la dérive littorale. Ainsi, des atterrissements1 se sont formés contre la jetée tandis que les sections situées au-delà – La Baule principalement – maigrissent et reculent car elles sont privées d’apports sédimentaires. Cette problématique est invisible aux yeux des habitants – notamment temporaires – car les rechargements en sable s’opèrent tout au long de l’hiver. Cet entretien de la plage nécessite également des quantités astronomiques de sable : en 2003, deuxcent-quinze-mille mètres-cubes de sable ont été extraits du banc des Charpentiers. Aujourd’hui, il ne reste que vingt pourcents de ce sable... Les services techniques ont également apporté des enrochements sur la plage pour tenter de fixer le sable au niveau de la limite : La Baule / Pornichet. 1 // Dépôt de terre, de limon, de sable, de gravier, que la mer ou les cours d’eau accumulent sur leurs bords. 69


Des grains de sable dans l’engrenage ?

Dans une conférence consacrée à l’évolution de la baie de La Baule et du banc des Chiens, le géographe Alain Miossec insiste sur le fait que le remblai est réfléchissant et que la mer attire le sable vers le large. Il requestionne alors le principe de ré-ensablement qu’il apprécie comme une erreur caractérisant un gouffre financier : « Cela ne servira à rien sur du long terme, le phénomène est impossible à maîtriser, on va enlever du sable à gauche pour le remettre à droite. Le sable qui fait grossir le banc des chiens vient de la plage, le remettre à sa place initiale, c’est comme une vis sans fin ou un serpent qui se mord la queue »1. En évoquant l’absurdité de cette démarche, Alain Miossec rend compte d’une perte de contrôle ; comme si, l’objet que l’homme avait manufacturé – le front de mer – échappait à tout contrôle. En réalité, cette incohérence est un réel paradoxe. Car il ne s’agit pas des conséquences d’une maîtrise insuffisante mais plutôt de la résultante de notre succès technologique ; nos techniques d’aménagements seraient donc devenues si puissantes qu’elles déborderaient nos capacités de prévoir et d’imaginer leurs effets à long terme. Ces effets, seraient pour Hans Jonas, l’un des deux éléments constitutif du catastrophisme : « Ainsi, la technique, cette manifestation froidement pragmatique de l’astuce humaine, installe l’homme dans un rôle que seule la religion lui a parfois confié, celui d’un gestionnaire ou d’un gardien de la création. En augmentant la puissance d’action humaine au point de mettre en péril l’équilibre général des choses, la technique élargit la responsabilité de l’être hu1 // Consulté sur chiens-29-55-575.html

:

http://www.labaule-infos.net/la-baie-des-

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Des dunes aux falaises // le contour

main à l’avenir de la vie sur terre, car cette vie est à présent livrée sans défense à l’exercice abusif de cette puissance. »1 Certes, la vision de l’auteur est sombre, mais elle permet de requestionner notre perception des techniques employées pour l’aménagement du territoire. Parfois, c’est le phénomène inverse qui se produit : l’ensablement provoque un recul de la mer – est et ouest de la baie. La mer ne grignote pas toujours le rivage, parfois c’est le sable qui progresse vers le patrimoine foncier. Dès 1874, des propriétaires situés plage du Nau, au Pouliguen s’inquiètent « des sables apportés par les vents d’Est et par la mer, ne pouvant être ni remportés par le flot, ni repoussés par les vents contraires, [ils] se sont accumulés de telle sorte qu’à certains endroits, ils dépassent la hauteur des murs de clôture, et que les points touchés par les plus hautes marées ont été éloignés de plus de vingt mètres »2. Seule la ville du Pouliguen connaît d’une manière aussi exacerbée cette contrainte qui met en danger les qualités de leurs propriétés. Les stations balnéaires doivent le plus souvent lutter contre l’avancée de la mer. En 1895, le phénomène de recul de la mer s’amplifie, perdure et perturbe fortement la commune de cette petite ville balnéaire à l’est du remblai : « Lors de la construction des chalets qui bordent la plage du Nau, à partir de 1857, la mer n’était qu’à une distance d’environ vingt mètres des maisons. Aujourd’hui, elle s’en 1 // Hans Jonas, La technique moderne comme sujet de réflexion éthique. Consulté dans l’ouvrage de Catherine et Raphaël Larrère, Penser et agir avec la nature. Éd La Découverte, Paris 2018. 2 // Archives départementales de Loire-Atlantique 532 S 29, pétition (9 signatures) envoyée au préfet de Loire-Inférieure, du 31 août 1874 : Consulté dans la thèse de Johan Vincent (l’intrusion balnéaire). 71


Des grains de sable dans l’engrenage ?

trouve à plus de quatre-vingt mètres. Entre la mer et les chalets s’amoncellent des dunes de sable qui gênent la circulation et interceptent la vue de la plage et de la mer»1. Le maire juge qu’il y a un trop plein de sable et il souhaite pouvoir égaliser le sable de la plage. Selon lui, il n’est pas question de voir la plage comme un espace naturel, mais plutôt comme une zone exploitable par l’homme. L’inventivité de humaine est sans limite lorsqu’il se sent vulnérable. Aujourd’hui, de nouveaux systèmes sont à l’étude pour protéger la plage bauloise face à l’érosion. L’artifice, consisterait à implanter un drain sous la surface de la partie centrale de la plage2 dans l’espoir d’en augmenter la cohésion et donc de réduire les rechargements en sable qui sont effectués annuellement – dix à quinze mille mètre-cubes – là ou l’érosion est la plus manifeste. Pour le géographe Alain Miossec, il n’y aurait pas de solution, ni donc de mystère : « On ne peut que constater un déterminisme naturel, l’homme ajoute un élément, la nature compose avec, à sa manière. ». En somme, quoique l’on fasse, quelque-soit le budget investi et quelle que-soit la nouvelle technique d’esquive, un jour ou l’autre, une tempête bien orientée détruira tout.

1 // Archives départementales de Loire-Atlantique 576 S 2, lettre du maire de Pouliguen au préfet de Loire-Inférieure, du 23 mai 1895 : Consulté dans la thèse de Johan Vincent (l’intrusion balnéaire). 2 // Entre 2000 et 2009, il y aurai eu 55 000m3 de perte de sédimentaire contre 80 000m3 pour l’ensemble de la baie : Ministère chargé de l’environnement, Demande d’examen au cas par cas préalable à la réalisation éventuelle d’une évaluation environnementale. Consulté sur : http://www.pays-de-la-loire.developpement-durable.gouv.fr/IMG/ 72


Des dunes aux falaises // le contour

Pour s’en convaincre, un simple changement d’échelle suffit : « Regarder les vagues et la marée travailler, c’est voir la submersion marine à l’œuvre, à l’échelle réduite : une avancée lente, imperceptible dans le mouvement des vagues et, de temps en temps, une vague plus haute qui fait des dégâts. Faut-il résister provisoirement en construisant un muret de sable, s’adapter en mettant la serviette au sec ou fuir hors d’atteinte, en remontant plus haut ? » (Laurent Labeyrie, 2015)1.

1 // Laurent Labeyrie est océanographe, adjoint à l’environnement de la ville balnéaire d’Arzon (Département du Morbihan, 56) co-président de l’association Clim’actions Bretagne Sud et éditeur associé dans le rapport du GIEC 2007. Il est l’auteur de cette extrait rédigé dans son ouvrage Submersion. Comment gérer la montée du niveau des mers, Ed Odile Jacob, Paris 2015 73



F

UNE NOUVELLE PERCEPTION DE LA GRÈVE

En définitive, cette analyse de l’aménagement du contour de presqu’île nous permet de mettre en évidence les motivations qui ont permis à l’homme de s’approprier un territoire si inhospitalier. Aujourd’hui, nous sommes loin de penser comme Gustave Grandpré, lorsqu’il nous décrit le paysage dunaire et désertique de La Baule1. Mais en l’espace de quelques générations, ex nihilo, une poignée d’entrepreneurs opportunistes ont montré que l’ont pouvait jouir d’un tel environnement. La presqu’île qui était autrefois le théâtre d’un paysage pastoral et marin, où l’activité du paysan comme du pêcheur résonnait à l’unisson avec le territoire, devient d’un coup d’un seul, le nouveau terrain de jeu des trente glorieuses. La station balnéaire devient le nouveau symbole de la france prospère. En un temps record, la presqu’île a su séduire et se rendre attrayante. Mais décontextualisés du milieu, les nouveaux aménagements semblent dénaturer le territoire.

1 // Cf. p. 52. 75


Une nouvelle perception de la grève

Désormais, le Gustave Grandpré des Temps Moderne ne peut plus voir les pas de l’homme sur la dune car ils ont disparu sous le bitume. Il ne voit plus de désert mais il trouve son chemin dans une broussaille de dispositifs marketings et commerciaux qui éliminent toutes possibilités de l’ailleurs et de la curiosité. Le Gustave Grandpré des Temps Modernes découvrant la baie ne dirait plus : « Aucune trace, aucun sentier n’indique la route, seulement des pas d’hommes, empreintes sur le sable dans toutes les directions, annoncent que le désert est fréquenté. Autour de moi, rien qu’un affreux désert. Des dunes entassées les unes sur les autres s’allongent à perte de vue. Rien n’interrompt leur désespérante uniformité ! » mais peut-être : « Ici, la route est bouchée, seulement des automobiles, la plage qui est couverte de parasols, annonce que l’endroit est surpeuplé. Autour de moi, rien qu’une ville affreuse. Des gens entassées les uns sur les autres. Rien n’interrompt leur désespérante uniformité ! ». Isolé dans son automobile en serpentant le long des coulures d’asphalte qui encerclent la bôle – la dune d’autrefois –, le personnage de notre histoire assisterait donc à l’écriture d’une géographie nouvelle : celle du non-lieu1. 1 // Le « non-lieu », c’est précisément la résultante du développement technique sur l’organisation de nos espaces et modes de circulations. Dans le « non-lieu », qui est surpeuplé, les personnes se croisent sans se rencontrer. Le « non-lieu » serait un espace flottant, déraciné, et interchangeable car il n’entretiendrai pas de rapport particulier avec la géographie de l’endroit, n’y avec le folklore, n’y avec rien qui fasse la spécificité d’un milieu. Cette notion est développée par Marc Augé dans son ouvrage, Non-Lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité , Paris, Seuil, 1992 76


Des dunes aux falaises // le contour

Finalement, cette étude nous permet d’appréhender l’impact majeur que la révolution technique de l’aprèsguerre a pu avoir sur le territoire. L’écrivain-aventurier Sylvain Tesson nous le décrit parfaitement lorsqu’il traverse à pied le cœur d’une France hyper-rurale : « Les Trente Glorieuses avaient accouché d’un nouveau paysage, redistribué les cartes du sol, réorchestré la conversation de l’homme et de la terre. […] Quelques années suffirent à la chirurgie esthétique de la géographie. En 1945, la pays devait se relever. Redessiner la carte permettait de laver les hontes de 1940. […] Puis, il fallut étaler l’urbanisme, comme le disaient les aménageurs. Leur expression était logique puisque le béton est liquide »1. Cet exercice affirme aussi l’analyse de Maurice Le Lannou, lorsqu’il considère que la révolution technique fait de l’homme un migrant – ou un touriste – qui perd le contact et la connaissance de l’environnement nature12. En ayant urbanisé la baie, l’homme semble avoir perdu la substance essentielle de son rivage : celle de proposer un paysage harmonieux, qui s’oppose aux « pathologies » de l’urbanité. Il est peut probable en effet que le touriste d’aujourd’hui se promène sur le front de mer pour se confronter aux éléments et jouir de la sublimité du paysage « naturel » qui lui était proposé autrefois. De surcroît, il semblerait que la société n’ait pas conscience de l’impact de son aménagement sur le littoral. Les problématiques d’érosion des plages évoquées précédemment ont permis de consta1 // Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs, Ed. Gallimard, 2016, p. 59. 2 // Maurice Le Lannou, Le Déménagement du territoire, rêverie d’un géographe, Éd. Du Seuil, Paris 1967. 77


Une nouvelle perception de la grève

ter que l’élaboration des démarches politiques, en vue de protéger les espaces littoraux, semblent être toujours aussi difficiles à mettre en place. Dans son article sur l’analyse du discours des associations californiennes de protection des plages (1930-1960)1. Elsa Devienne met en lumière les difficultés rencontrées pour faire reconnaître les plages en tant que « espace naturel » et donc « espace à protéger ». Car pour les institutions, la plage est avant tout une ressource. L’auteur démontre que la plage bénéficie d’un statut inférieur : « la plupart des gens, au milieu des années 1940, considèrent les plages moins dignes d’être protégées qu’un lac de montagne réputé pour ses berges forestières ; à tort ou à raison, les plages, dans le panthéon de la nature américaine, occupent le bas de l’échelle. » Peut-on toujours conférer à la plage la notion d’espace naturel ? Il est intéressant de se poser la question, mais ce qui est certain c’est que l’urbanisation de la grève (Paul Morand) a changé notre perception de la nature... Elsa Devienne nous explique en effet que la conception restrictive de la nature comme wilderness2– la nature sauvage et inhabitée – dont s’inspiraient les associations américaines pour 1 // Elsa Devienne, Les plages font-elles partie de la nature ? Une analyse du discours des associations Californiennes de protection des plages (1930-1960), PUR, 2014. Article consulté dans l’ouvrage de Frédérique Laget & Alexis Vrignon, S’adapter à la mer, L’homme, la mer et le littoral du Moyen Âge à nos jours, PUR, 2014 2 // La wilderness est un concept américain qui a été élaboré au XIXe siècle, en réaction à l’urbanisation et l’industrialisation croissante du territoire. Elle définit un espace naturel inhabité, sauvage et que l’homme n’a jamais touché. Le terme est généralement associé aux forêts et aux montagnes qui ont été les premiers espaces officiellement préservés par l’État fédéral américain. 78


Des dunes aux falaises // le contour

protéger les plages de l’érosion, a progressivement changé après la seconde moitié du XIXe siècle. Chemin faisant, la société reconnaît que la nature se trouve au delà des forêts, et qu’elle comprend également l’environnement qui entoure les êtres humains, notamment l’environnement urbain. Pour appréhender la construction culturelle de la nature, il semble désormais intéressant d’étudier le cœur de la presqu’île : les marais-salants. Cela permettra, peut-être, de comprendre comment notre perception de la nature a impacté le devenir de cet espace ; comment ce territoire a pu s’affranchir d’une artificialisation semblable à la frange sud de la presqu’île ? Par ailleurs, nous chercherons à comprendre comment, et par qui, la préservation des marais-salants s’est élaborée au fil du temps, et enfin, à comprendre les rapports que les marais-salants entretiennent avec le territoire évoqué dans ce chapitre.

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Figure 17 : Remblais et plage de La Baule.


« Ici, la route est bouchée, seulement des automobiles, la plage qui est couverte de parasols, annonce que l’endroit est surpeuplé. Autour de moi, rien qu’une ville affreuse. Des gens entassées les uns sur les autres. Rien n’interrompt leur désespérante uniformité ! »

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III L E

C O E U R

ARCHITECTURE DE TERRE


Figure 18 : Le coeur de la Presqu’île.


A

AU PAYS DE L’OR BL A NC

Mon intérêt pour ce littoral se porte essentiellement sur les marais salants. Y ayant travaillé, je me suis attaché au savoir-faire des paludiers1 et au paysage aquatique que ces derniers ont conquis par la bêche et la sueur. Les marais sont la toile d’un paysage complexe et tortueux que le pinceau paysan a produit sur des siècles, en édifiant de « simples » infrastructures de glaises. Cette architecture de terre, constituée d’un ensemble de canaux et de bassins, forme au cœur du territoire, une mosaïque d’argile hors d’échelle. Au premier regard, c’est un paysage qui paraît rectiligne. Dans son cœur, le sentiment d’un espace infini domine. Seuls les clochers de Batz-sur-Mer et du Croisic, ainsi que le contour bien marqué du coteau de Guérande, percent la ligne de l’horizon. Ils sont d’ailleurs, les uniques repères lointains pour retrouver sa route au centre de cet écheveau complexe. En pénétrant dans ce plat pays, le vent galope dans une course folle – il souffle un parfum d’aventure qui nous dépayse du territoire périphérique. Lorsque l’on s’y promène, on est toujours captivé par les motifs et les reflets colorés que confère l’omniprésence de l’eau au 1 // Lat. palus, paludis, marais. Paludier signifie littéralement, l’homme du marais. 85


Au pays de l’or blanc

sein de ce paysage. Ce décor aquatique constitue également une réserve de biodiversité exceptionnelle pour la faune et la flore locale, car la faible épaisseur d’eau des bassins permet à la lumière de pénétrer jusqu’au fond, là où sont les éléments nécessaires à la formation de petits organismes végétaux – ce que les scientifiques appel le phytoplancton. Ce labyrinthe d’eau, né de la main de l’homme, est un paysage millénaire. Avant d’être reconnu en tant que réserve de biodiversité exceptionnelle, ce territoire fut, dès l’antiquité, l’allégorie d’une source abondante de richesse. D’ailleurs, la racine du mot « sel » provient du mot salarius (salaire) car à l’époque des Romains, les légionnaires recevaient une partie de leur solde en ration de sel. Ces cristaux promettaient de fournir des aliments conservés aux soldats et de diminuer la pression sur les populations occupées. Les Romains seraient également à l’origine de la technique permettant la cristallisation du sel au sein des salines. Les archéologues pensent que les Gaulois ne maîtrisaient pas complètement la technique des salines. Ils n’auraient obtenu que des saumures, qu’ils devaient ensuite cuire dans des moules. Ce n’est que bien plus tard, au Moyen Âge, une fois la technique de cristallisation maîtrisée, que la région de Guérande1 est devenue un lieu prospère grâce à la quantité et la qualité du sel que ses paludiers produisaient. Le sel que l’on troquait, est même devenu une monnaie d’échange. La production de ce minéral à proximité de la côte était un 1 // En Breton moderne, Guérande est traduit par Gwenrann ; soit le Blanc (gwen) pays (rann). 86


Architecture de terre // le coeur

atout énorme pour l’époque. Car les bateaux des pays voisins pouvaient facilement débarquer et livrer des marchandises dont la région avait besoin – bois, pierre, etc – puis repartir avec une cargaison de sel que l’on pouvait transférer rapidement des marais-salants aux navires. En raison de cette production abondante, les marais de la presqu’île ont fourni à l’Angleterre plus de la moitié de son sel !1Le commerce du sel devint vite un monopole royal généralisé dans tout le royaume. Du XIIIe au XVIIIe siècle il a joué un rôle stratégique majeur en Europe ; il y a eu des « guerres du sel » et même des « blocus du sel », comme celui organisé par les Britanniques sur les colons anglais durant la guerre d’indépendance américaine. Il était également la source d’un monopole lucratif, et donc de lourdes charges fiscales (la gabelle : l’impôt sur le sel). On comprend alors l’origine de nombreuses expressions utilisées couramment dans la langue française : on se plaint d’une édition salée, on évoque une vie sans sel donc morne et fade, ou on met son grain de sel lorsque l’on se mêle des affaires d’autrui. L’apogée territoriale des marais-salants est atteinte en 1850, où trente-trois mille œillets sont exploités sur deux mille cent hectares. Mais une succession de tempêtes, puis l’enchaînement des deux conflits mondiaux a fait disparaître un bon nombre d’exploitants. Dans le même temps, il faut également prendre en considération la redéfinition des usages du sel qui en raison des procédés de réfrigération, n’est plus le seul moyen de conservation des aliments. 1 // Daniel Boucard, « Autrefois le sel », Nos Ancêtres, Vie & Métiers, juillet-août 2006, p. 15-18. 87


Figure 19 : Peinture, Vieux paludier du Bourg de Batz.


B

L’HOM M E DES MAR AIS // LA PHILOSOPHIE D’UN ACTEUR DE TERR AIN Le marais, c’est une affaire de temps. Du temps qu’il fait, car au même titre que le pêcheur et son bateau, le paludier et sa saline ne peuvent obtenir le fruit de la récolte si les intempéries se prolongent. Les paludiers sont les agriculteurs du marais. La météo leur impose un rythme de travail – hiver / été – binaire, où le premier temps, qui est celui des travaux, permet la réparation et l’entretien de la saline, alors que le deuxième, estival, correspond à celui de la récolte. Le vent, la chaleur et les saisons sont les ingrédients majeurs avec lesquels le paludier va orchestrer le processus de cristallisation. Tandis que la vase – argile saturée en eau –, pétrie tout au long de l’hiver vient nourrir le sel du paludier et structurer l’architecture de sa saline. « Nous sommes tous de braves gars,

Mais nous avons la vie bien dure, Il faut savoir manier le « las » et se griller sur la « ladure », Les pieds dans l’eau, la tête au vent, Vous entendrez pourtant nos chants »1 1 // André Grethner, Les marais salants de l’atlantique, consulté dans le « Les Cahiers des amis de Guérande », No 19, année 1972. p . 39. 89


L’homme des marais // la philosophie d’un acteur de terrain

L’œuvre des marais est donc la résultante d’une symbiose qui ne nécessite presque aucun substitut anthropique. Les outils manufacturés par l’homme pour œuvrer dans le marais se comptent bien-souvent sur les doigts d’une seule main : un boutoué, un las, une lousse, une houlette1 et une brouette en bois. En travaillant ainsi, il ne serait donc pas question d’affranchissement2 mais plutôt de substitution au territoire. Au même titre que Sylvain Tesson, lorsqu’il part en expédition sur les chemins noirs au cœur de la campagne française, le paludier serait un être en fuite, cherchant à s’échapper de l’envahissement du high-tech : « Les nouvelles technologies envahissent les champs de mon existence, bien que je m’en défendisse. […] Elles représentent pour l’humanité une révolution aussi importante que la naissance du néocortex il y a quatre millions d’années. Amélioraient-elles l’espèce ? Nous rendaient-elles plus aimables ? La vie avait-elle plus de grâce depuis qu’elle transitait par les écrans ? Cela n’était pas sûr. Il semblerait même que nous soyons en train de perdre notre pouvoir sur nos existences […]. Partir sur les chemins noirs signifiait ouvrir une brèche dans le rempart. »3. Dans un reportage radiophonique4, le paludier Gilles Ber1 // Un boutoué est l’outil principal qu’utilise le paludier pour pousser la vase au printemps ; le las est un râteau pour récolter le gros sel ; la lousse est un râteau pour cueillir la fleur de sel ; et la houlette est une pelle pour ramasser le gros sel. 2 // Cf. Alberto Magnaghi. 3 // Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs, Ed. Gallimard, 2016. P. 41,42. 4 // Podcast france culture, terre à terre, Marais-salants de Guérande. Conversation entre le paludier Gilles Bernier et Ruth Stégassy. Diffuser le 02 Juillet 2011. 90


Architecture de terre // le coeur

nier ne s’abstient pas non-plus d’une réflexion sur la technique pour évoquer le rapport de son métier avec la nature. Il considère que l’homme peut ré-appartenir aux « peuples des origines » en se dépossédant de « certaines armes » : « qu’elles soient langages, qu’elles soient outils, ou qu’elles soient façon de vivre – la vitesse.». Ainsi, pour le paludier Guérandais, au même titre que Hans Jonas et l’auteur précité, l’évolution des techniques renverrait à un facteur aggravant pour notre environnement : plus la technique est élaboré et plus elle échapperai à notre contrôle. En s’affranchissant de moyens sophistiquée, l’homme des marais serait donc maître de sa technique et donc le garant de l’ordonnancement d’un paysage et de son biotope. Il assimile également les professionnels de son secteur – à l’instar des paysans, des éleveurs, ou des marins-pêcheurs – à des « acteurs de terrain », car pour lui, ces derniers travaillent en « alchimie » avec le territoire ; « On a beau courir sur la terre, avec tous les outils modernes inimaginables, on ne peut s’en extraire (de la terre), il faut que nous vivions avec cette alchimie ». Pour le paludier, l’alchimie correspond au rapport que l’homme entretient avec la nature dans le sens le plus pur, c’est-à-dire débarrassé de tout objet technique « sophistiqué ». Il dit alors : « on est nature ». Dans son ouvrage Quelle éthique pour la nature ?, Jean-claude Génot écrit pourtant : « gérer la nature, c’est forcément la dénaturer »1. Selon l’auteur, le monde serait divisé en deux domaines distincts : 1 // Jean-claude Génot, Quelle éthique pour la nature ? Consulté dans l’ouvrage de Catherine et Raphaël Larrère, Penser et agir avec la nature, Éd La Découverte, Paris 2018. 91


L’homme des marais // la philosophie d’un acteur de terrain

la nature, source du bien, et l’artifice que l’on déplore. Par conséquent, cela signifierait que les marais-salants, en tant qu’œuvre créée par l’homme, ne serait qu’artifice. Mais en ayant comme « matériel » le vent, le soleil, et l’eau, puis comme « matériau » la terre glaise – que ces derniers travaillent travaillent conjointement avec les processus naturels –, nous pouvons considérer qu’ils se rapproche de la « nature ». Dans ce cas de figure, les deux pôles – nature et artifice – évoqués par Jean-claude Génot ne seraient donc pas assimilables à un ensemble indépendant mais plutôt à un ensemble analogue. Car en tant qu’« acteurs de terrain », les paludiers façonnent le territoire tout en étant garant du maintient de l’équilibre de la biodiversité. Finalement, l’étude de ce territoire bucolique nous révèle bien plus qu’un beau paysage. Elle nous montre que ce terroir est également le « berceau » d’une culture atypique, où l’artificiel ne va pas forcément à l’encontre du naturel. L’harmonie du paludier avec son environnement, son affranchissement au high-tech – les mêmes outils qu’au IVe siècle – , font de cet acteur du paysage local un saumon de l’histoire. Mais la préservation d’une telle culture n’est pas chose aisé dans un monde global. Ainsi, la suite de cet exercice développera un tout autre récit. Celui des années 1970 notamment, où la France de Pompidou, puis de Giscard, par son opulence, a failli atrophier ce pays blanc.

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Figure 20 : Photographie aĂŠrienne des marais salants.


« On a beau courir sur la terre, avec tout les outils modernes ini-

maginables, on ne peut s’en extraire (de la terre), il faut que nous vivions avec cette alchimie »

(Gilles Bernier).



C

DU PAYS BL A NC AU PAYS G R I S ? L’H I STOI R E D’U N E LUTTE COLLECTIVE Comme nous avons pu le voir, ce « cœur » blanc contraste en tout point avec le « contour » de la presqu’île et sa grève urbanisée. Ici, l’homme des marais lie une relation vitale avec son environnement ; son rapport avec l’histoire et la mémoire des lieux est fort. Dans ce « cœur » de presqu’île, « culture » et « nature » sont immaculés de la globalisation du monde contemporain. Or la prospérité nouvelle de l’après-guerre, était sur le point de venir à bout de ce petit monde aquatique. En raison de la colonisation par le tourisme, ce milieu privilégié a suscité de nombreuses envies de projet, sur la période 1965-1975. A cette époque, les décideurs politiques nationaux ont comme credo celui de l’aménagement lourd du territoire. L’heure était au désenclavement. Elle était aussi à la reconversion économique, même si cela pouvait conduire à la disparition des activités jugées « non compétitives » . La crise sociale semblait être le prix à payer au « progrès »... Parmi ces projets d’aménagement, un retiendra notre attention toute particulière : celui de la rocade en 1974. Son but ? Désenclaver l’agglomération bauloise – en la 97


Du pays blanc au pays gris ? l’histoire d’une lutte collective

contournant par le Nord sur le territoire des marais – coincée sur son cordon dunaire entre mer et marais, et saturée quelques jours par an par la circulation automobile. Ce projet de rocade, prévoyait l’implantation d’une voie rapide de trente-cinq mètres de large et traversant les marais-salants sur près de trois kilomètres, très au nord de la limite de conurbation La Baule / Le Pouliguen. Ainsi, son tracé et ses bretelles de raccordement découpaient le marais en de nombreuses cellules isolées, sans réelle possibilité de communication entre elles. Les marais forment une machinerie complexe qui a nécessité des millénaires pour en arriver au stade actuelle, la découper reviendrait à l’endommager. En outre, il convient de rappeler que l’extension urbaine de cette période avait déjà fragilisé les marais : étier (poumons hydraulique) transformé en port de plaisance, vasières utilisées comme décharges à ordures ménagères, et réceptacles des égouts d’entreprises mal surveillées, etc.). Le tracé du projet prévoyait de recouper sept fois l’étier du Pouliguen, qui alimente six-cent-cinquante hectares de marais. La conséquence direct était la perte de plus de cinq-cents œillets1, soit un fragile équilibre, que des générations de paludiers avaient établi. Les institutions de l’époque avaient pleinement conscience des conséquences de ce projet. Une lettre adressé au maire de Guérande, envoyé par le maire de La Baule en 1969 le confirme : « Les travaux de construction de la rocade contribuerons sans aucun doute à l’urbanisation ultérieure de cette partie de votre commune, le comblement des marais et leur transfor1 // Un œillet est un bassin ou le paludier récolte la fleur et le gros sel. 98


Architecture de terre // le coeur

mation en terrain à bâtir devront nécessairement être envisagés lorsque la voie aura été construite »1. Cet extrait ne peut rendre la situation plus claire ! Mais quid de la perte d’une identité millénaire et du maintient de cette réserve de biodiversité ? L’activiste Jean-Claude Demaure dénonce même une muséification des marais et du paludier : « Vraisemblablement, les paludiers étaient voués à l’extinction, à telle preuve qu’il était prévu de les cantonner dans une réserve, comme toutes les espèces menacées d’extinction. ». À l’instar des associations de défense des plages en Californie2, un contre-pouvoir associatif vit le jour. « Cette remise en cause fut effectuée au vu d’une analyse coût avantage considérée par tous comme largement négative » (Jean-claude Demaure). L’exercice de ce contre-pouvoir fut possible grâce à un effort fantastique d’information, d’explication et de popularisation. Il fut déclenché notamment après l’arrivée d’un grand cargo chargé de sel du Midi dans le port de Saint-Nazaire en 1971 : « C’était un sel blanc, moins cher. On n’était pas organisé pour faire face à cette concurrence. Alors on a formé un syndicat de défense, et on a fait de grosses manifestations à Nantes et Saint-Nazaire. »3 Commence alors la lente reconquête du territoire, le combat pour la reconnaissance du métier, la transmission des savoir-faire et la revalorisation du produit. Ici, la 1 // Jean-claude Demaure, La rocade de la Baule, un conflit exemplaire. Consulté sur internet : http://pmb.bretagne-vivante.org:8090/pmb/ uploads/PAB_demaure_1983_112.pdf 2 // Elsa Devienne, Cf. p. 78. 3 // Interview de Jean-François Lehuédé, propos recueillis dans « Les Cahiers du Pays de Guérande », Les marais-salants de Guérande : histoire et patrimoine des années 1960 à nos jours. No 50, 2010. p . 53. 99


Du pays blanc au pays gris ? l’histoire d’une lutte collective

lutte était pacifique et apparaissait sous différentes configurations : Théâtre populaire, fest-noz, politique écologique locale, législative en passant par la constitution d’un G.F.A1 et le recours au contentieux. Les militants bretons2 ont cependant mené des actions parfois violentes, contre « l’exploitation des producteurs de sel » et dénoncé les projets touristiques « qui conduiraient à la mort du marais en tant qu’outil de travail », alors que cette reconversion en n espace de loisirs est destinée « à une minorité privilégiée, étrangère à la presqu’île ». Dans cette lutte, les paludiers n’étaient pas esseulés et c’est sans doute ce qui a donné du poids à leurs revendications et ce qui a contribué à faire évoluer les mentalités du moment. Trois cercles d’intervenants ont principalement composé ce conflit en faveur de la préservation des marais-salants. Les paludiers, les riverains du marais et les militants écologiques. Tous ont pleinement conscience que le maintien de la biodiversité repose sur la continuation de l’activité salicole qui a assuré jusqu’à présent le bon fonctionnement d’un milieu naturel favorable à la faune et à la flore sauvage. Coupé du contexte local, les technocrates de l’époque n’ont pas senti toute la symbolique que repré1 // Le GFA est un Groupement Foncier Agricole. Il représente un société de propriétaires fonciers, soit une sorte de « SCI agricole ». Cette forme de société a été créée pour pérenniser le patrimoine foncier agricole. 2 // Parmi les militants : l’UDB (Union Démocratique Bretonne), l’ARB (l’Armée Révolutionnaire Bretonne), le FLB (Front de Libération de la Bretagne) et l’association guérandaise Gwenn-ran, crée à l’occasion en 1974.société a été créée pour pérenniser le patrimoine foncier agricole. 100


Architecture de terre // le coeur

sentait cette lutte pour les acteurs locaux : « Ce morceau de terroir exceptionnel où la terre et la mer viennent se confondre avec tant de bonheur pour accoucher d’un produit, le sel, symbole presque mythique de pureté et de perpétuel renouveau. » (Jean-claude Demaure). Le déracinement de cette culture est semblable à celui qui brise « l’harmonie des fleurs coupées », évoqué par Jung : « Quand on pense au devenir et au disparaître infini de la vie et des civilisations, on en retire une impression de vanité des vanités ; mais personnellement je n’ai jamais perdu le sentiment de la pérennité de la vie sous l’éternel changement. Ce que nous voyons, c’est la floraison – et elle disparaît – mais le rhizome persiste ». Ici, l’auteur compare la vie à une plante qui puise sa vitalité dans son rhizome. Cette image botanique nous permet par analogie, de comparer le « rhizome » à l’identité et la « fleur » au territoire. Par conséquent, plus le territoire a une identité forte, plus son rhizome est persistant et durable et donc, plus le territoire crée un paysage qui peut se renouveler face aux événements. Autrement dit : « En se coupant de son contexte vivant, de son « rhizome », la ville interrompt le processus qui engendre le paysage en garantissant sa reproductibilité et son identité. Le paysage de la ville du plastique et du ciment, tautologie d’un signe qui s’auto-représente, est plus pauvre et plus fragile que le paysage des villes du seigle, du maïs, du riz, du froment, où le paysage d’une ville de lagune » (Alberto Magnaghi, Le projet Local).

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Du pays blanc au pays gris ? l’histoire d’une lutte collective

Figure 21 : Première de couverture du journal Le peuple Breton.

Figure 22 : Première de couverture du journal Le peuple Breton.

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Figure 23 : Affiche de protestation.


Architecture de terre // le coeur

Le renouveau et la préservation de la saliculture et des marais, qui sont nés d’une situation paroxysmique1, se sont réalisés à travers une alchimie semblable à celle évoquée précédemment2. Mais ici, il n’est plus question d’une alchimie où les éléments naturels sont les ingrédients mais plutôt d’une « alchimie de société », où le dialogue est la composante essentielle. Pierre, né dans le marais et paludier depuis 2005 évoque « une alchimie qu’il y a eu entre les anciens accrochés à leur territoire et des jeunes néo-ruraux, fermement décidés à vivre et travailler dans les marais. »3. D’après Gilles Bernier, les anciens paludiers qui sont « des gens simples, des hommes vieillissants et qui vénéraient le Général de Gaulle pour la plupart » n’avaient pas la culture de la révolte et de la protestation. Consciens du déclin inexorable de la saliculture, ils incitaient même leurs enfants à ne pas reprendre leur saline et à trouver du travail en ville. Mais contre toute attente, un choc générationnel vit le jour. Ce fut la rencontre des paysans et des citadins mais aussi des « anciens » et des « modernes ». Des jeunes soixante-huitards aux cheveux longs qui n’avaient pas la moindre corne aux mains, se sont retrouvés face à une génération de paysans vieillissants portant le béret. Par le dialogue, ces jeunes gens plein d’énergie, ont convaincu les anciens à bout de souffle que leur territoire avait une valeur inestimable. Pas en tant que terrain à bâtir, mais en 1 // Cette situation était celle d’une crise profonde de la saliculture associée à la mise en place de nouvelles infrastructures en faveur du développement touristique. 2 // Cf. p. 91. 3 // Nolwenn Weiler, Un bien commun sauvé du béton et créateur d’emplois : les marais-salants de Guérande. Bastamag,net, 11 octobre 2016. 103


Du pays blanc au pays gris ? l’histoire d’une lutte collective

tant qu’espace à préserver pour la saliculture. Vivant pour la plupart en ville, dans un milieu où tout est fait pour que les habitants soient à l’abri de la nature et de ses dangers, les jeunes citadins ont probablement vu à travers la « beauté sauvage » des salines un moyen de renouer un contact au plus proche de la « nature ». Les marais étaient en somme, peut-être l’alibi leur permettant d’échapper au dispositif 1. Finalement, par leur lutte, et leur envie de préservation d’un tel espace, ils ont prévenu la dépossession du territoire et de sa culture : « Lorsque ces gens qui avaient des études sont arrivés, ils on été déclencheur de la définition écrite de ce métier. » (Gilles Bernier). Dans ce processus de révolution, ces néo-ruraux ont donc assimilé les savoir-faire oraux des « anciens » pour les retranscrire à l’écrit et ainsi pérenniser leur culture. Autrement dit, en même temps qu’ils ont sauvé le « territoire » ils ont sauvé « le savoir ».

1 // « Le dispositif était la somme des héritages comportementaux, des sollicitations sociales, des influences politiques, des contraintes économiques qui déterminaient nos destins, sans se faire remarquer. Le dispositif disposait de nous. Il nous imposait une conduite à tenir insidieusement, sournoisement […] Le notre pourvoyait à notre confort, notre santé et notre opulence alimentaire, mais nous inoculait son discours et nous tenait à l’œil. […] une effraie avait fait un nid dans la charpente du moulin, un faucon faisait feu sur le quartier général d’un rongeur, un orvet dansait entre les racines. Des choses comme cela. Elles avaient leur importance. Elles étaient négligées par le dispositif. » (Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs, Ed. Gallimard, 2016. P. 84 – 85.) 104




D

LA

RECONAISSANCE PAT R I MOI N E

D’UN

En 1996, vingt ans après son sauvetage, le cœur de presqu’île semble battre de nouveau. En prenant acte de l’évolution de l’opinion, l’administration s’est interrogée sur l’avenir de ce site en intégrant de nouveaux enjeux économiques et environnementaux à travers les nouveaux schémas de développement qui vont être mis en place à partir de la fin des années 1970 ( le SDAU1 en 1977, le SALBI2 de 1978) et qui aboutiront plus tard à la DTA3de Juillet 2006. Mais surtout, elle a assuré une protection efficace d’une grande partie des marais en classant trois mille huit-cent hectares pour leurs valeurs paysagères, biologiques et historiques, les soustrayant alors à la pression foncière. À la demande du ministère de l’Environnement, le site des marais est devenu un « site classé ». Autrement dit, un lieu, dont le caractère exceptionnel justifie une protection de niveau national.

1 // Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme de La Baule / Saint-Nazaire. 2 // Schéma d’Aménagement du Littoral Breton et des Iles. 3 // Directive Territoriale d’Aménagement de l’Estuaire de la Loire. 107


La reconaissance d’un patrimoine

Aujourd’hui, grâce à la mise en place d’une politique de formation1, la filière a pu se pérenniser. Désormais, plus de trois-cents paludiers y vivent et y travaillent. Grâce à un travail sur la labellisation du sel la profession a su transformer cet ancien « No man’s land » en un territoire reconnu dans le monde entier ; aujourd’hui, il est facile de trouver du sel dans les restaurants de Hong-Kong ou New-York. De plus, cette revalorisation de la saliculture a permis de ré-orienter la politique touristique et culturelle sur la presqu’île. Cette éducation à valorisation patrimoniale de cette activité ancestrale s’est faite en développant les visites commentées des salines et en organisant des sorties découverte du milieu, en particulier en observant les oiseaux du marais avec la LPO – Ligue de Protection des Oiseaux. Mais surtout, elle s’est appuyée sur trois structures d’accueil du public : Terre de sel, la structure touristique conçue comme une vitrine de la profession de la coopérative des producteurs de sel et installée sur le lieu même de son siège à Pradel, le musée intercommunal des marais-salants de Batz-sur-Mer, crée en 1984, enfin la maison des paludiers installée dans une ancienne chapelle de Saillé depuis 1971. La patrimonialisation des marais a donc permis de préserver ce paysage original sous une forme « d’arrêt sur image ». Aujourd’hui, ce territoire des marais-salants de Guérande a acquis une valeur nationale au même titre que 1 // Après des tentatives d’expérimentation de stages qualifiant en 1979, un brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole fut mis en place et pris en charge par la chambre de l’agriculture, les collectivités locales, départementales et régionales. 108


Architecture de terre // le coeur

le Mont-Saint-Michel ou la Pointe du Raz. Il semblerait donc qu’il soit utile à l’avenir de la saliculture, et par effets induits, au développement économique de tout cet espace littoral.

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E

L’H A BI TAT T R A DI T ION N E L DE L’HOM M E DE S M A R A I S

Dans la lutte pour la préservation des marais, il ne faut pas omettre l’impact culturel que la société salicole a pu propager au delà de ses étiers. Car l’urbanisme du secteur, ainsi que l’architecture vernaculaire des paludiers, sont également la démonstration d’une structure maîtrisée, en grande cohérence avec un site naturel partagé entre la terre et l’eau. Moins admiré que l’architecture monumentale, la demeure du paludier est rurale, populaire, et, dans sa forme, très semblable à l’habitat des pêcheurs de la côte ouest du littoral breton. Discret donc, cet habitat traditionnel mérite qu’on lui révèle certains de ses principaux attributs au sein de ce mémoire ; car à l’heure où l’urbanisation du littoral s’accélère sous la pression immobilière, pendant que la loi littoral est remise en cause1 pour « combler les dents creuses » des côtes françaises, ce patrimoine pourrait bien disparaître sans laisser beaucoup de traces. Le logement du paludier n’est pas situé au cœur de son domaine d’exploitation principale, mais est regroupé avec 1 // Evelyne Jousset, Loi littoral : vers un assouplissement qui fait débat, consulté sur le site internet de « France 3 Pays de la Loire » : https://france3-regions.francetvinfo.fr/pays-de-la-loire/loi-littoral-assouplissement-qui-fait-debat-1559362.html 111


L’habitat traditionnel de l’homme des marais

d’autres bâtisses, dans un village situé sur le pourtour de ce domaine – car sans moyens techniques exceptionnels, le sol du marais est incapable de soutenir la masse d’une construction : « vaseux, glissant, fuyant, il se dérobe petit à petit sous le poids trop gros qu’on lui impose. Des marchands de sel du Pouliguen voulurent, en 1923, construire un entrepôt sur la route de Saillé. Ils durent creuser très profondément et obtenir l’autorisation d’apporter de la plage du Pouliguen l’énorme quantité de sable nécessaire aux fondations »1. À l’inverse des fermes agricoles, les bâtiments d’exploitation que l’on surnomme : les salorges, ne sont pas accolées à ces maisons, mais regroupées en dehors de ce domaine. À l’inverse des villas et des grands immeubles situés sur une dune – la bôle – que l’on a tendance à oublier sous le bitume, les logements des paludiers se détournaient de la mer ouverte ; ils sont totalement orientés en direction du marais. Cette position en lisière de la saline permet de faciliter l’accès à leur espace de travail, de se protéger de l’assaut des vagues – celle de la frange sud du territoire, notamment de la côte sauvage de Batz-sur-Mer et du Croisic –, tout en leur octroyant la possibilité de cultiver sur une terre moins argileuse que sur le marais. Les villages de paludiers tel que Roffiat, Trégaté, Kermoisan ou Kervalet ont une chose en commun : le manque de place. Car tous, en effet, furent édifiés sur de faibles surfaces de butte et d’affleurement rocheux – à Batz-sur-Mer. 1 // Clarac CI. A La presqu’île guérandaise. In : Revue de géographie alpine, tome 19, no 4, 1931. p. 817. 112


Architecture de terre // le coeur

La morphologie architecturale très compacte des logements et l’aspect très resserré des villages, peut s’expliquer par cette relation au site. Il découle de cet ensemble une physionomie différente entre l’intérieur des villages – front bâti rigide sur rue – et l’extérieur : silhouette complexe résultante de l’imbrication de chaque maison. On remarque cependant une différence entre les villages cités ci-dessus et celui de Saillé qui, plus étendue, est constitué de maisons basses et longues et non de maisons hautes et étroites. Les éléments naturels de la région semblent également avoir contribué à façonner cet habitat traditionnel. Une constante apparaît lorsqu’on regarde une vue en plan de chacun de ces hameaux : l’orientation quasi systématique d’un front bâti et de ses pans de toitures face à la vaste étendue de marais. Sans obstacles verticaux, ce paysage ouvert est le socle parfait pour sa propagation : c’est « l’effet agora ». Cette disposition permet ainsi de limiter les déperditions de chaleur au sein de chaque unité d’habitation tout en protégeant le cœur du village d’une exposition directe au vent. La hauteur des murets en pierre qui ceinture les parcelles varierait également en fonction de l’exposition au vent1 : « De l’extérieur, au contraire, on aperçoit donnant sur le marais, aucune fenêtre, aucune porte, aucune mansarde ; les maisons sont pressées les unes contre les autres et l’ouverture des routes ferme la seule solution de continuité. Tel est le moyen de défense utilisé dans la lutte contre le vent, la plupart du temps très violent sur les marais ; la toiture dissymétrique, descend très bas vers l’extérieur. Les 1 // Groupe Habitat rural, Unité pédagogique d’Architecture de Nantes, L’habitat traditionnel des marais-salants, Penn Ar Bed, X (1975), p. 76. 113


L’habitat traditionnel de l’homme des marais

Figure 24 : Croquis d’un plan d’une unité d’habitation.

Figure 25 : Croquis axonométrique d’une unité d’habitation.

Figure 26 : Croquis de façade d’une unité d’habitation.

Figure 27 : Croquis de quelques bâtiments du village de Kervalet

Figure 28 : Croquis de façade d’une rue du village de Kervalet.

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Architecture de terre // le coeur

pièces de terre que contient le village sont aussi entourées de hauts murs. »1. La toiture, souvent à deux versants – une pente minimale de quarante-cinq degrés et maximale de soixante degrés – et recouverte d’ardoise. Employée comme un signe d’opulence2, la couverture d’ardoise distingue les habitations des paludiers et celles des paysans de la région – recouvertes de chaume (tige de roseaux). A la différence du toit de chaume, la couverture en ardoise a une utilité bien précise, dans cette région où l’eau douce se fait rare : la recueillir dans un récipient en terre positionné à l’aplomb des descentes d’eau pluviales. L’eau recueillie servait ensuite à abreuver les animaux, mais elle également aux habitants (Clarac CI, 1931). Au regard de l’implantation, le volume construit des logements est en tampon entre la circulation de la rue – domaine public – et le potager – domaine privé – qui occupe le reste de la parcelle. Au cœur de la maison, la liaison entre ces deux domaines se fait par un couloir dallé et cloisonné, qui sert habituellement de corridor aux animaux domestiques, contrairement aux parcelles enclavées qui ne permettaient pas une sortie vers l’extérieur. Seul la roche affleurante servait d’assise aux maisons traditionnelles des paludiers ; il n’y avait pas de fondation. Les parois étaient composées de moellons de granit, hourdés grâce à un mélange de sable et d’argile. La lucarne est 1 // Clarac CI. A La presqu’île guérandaise. In : Revue de géographie alpine, tome 19, no 4, 1931. p. 818. 2 // Arch. Chambre des Comptes, Nantes, C, 701-702. Consulté dans l’ouvrage de Clarac CI. A La presqu’île guérandaise. In : Revue de géographie alpine, tome 19, no 4, 1931. p. 816. 115


L’habitat traditionnel de l’homme des marais

une autre spécificité caractéristique de l’habitat paludier. Les plus anciennes forment fronton triangulaire tandis que les plus récentes disposent d’un fronton semi-circulaire. À travers ces lucarnes, les paludiers rentraient leurs provisions de grains pour l’hiver. Leur positionnement par rapport à la façade témoigne de l’évolution chronologique de l’architecture rurale guérandaise. Comme le montre l’unité pédagogique de Nantes, une dissymétrie renverrait à des vieilles bâtisses, en comparaison aux façades plus récentes où les lucarnes sont alignées à la verticale des portes ou fenêtres. La façade dissymétrique serait surtout liée à la position centrale des fermes de la charpente. En résumé, ces anciens villages, écartés des villes, et perchés sur des îlots rocheux au cœur du marais, sont tous similaires au vu de leurs typologies. Toutes serrées les unes aux autres, les demeures de paludiers forment un bloc qui dégage une impression de cohésion et de solidarité – comme si l’effort collectif imposé par le travail du sel avait un impact direct sur l’architecture du paludier. Ces hameaux témoignent également de l’existence d’un type d’architecture spécifique au contexte qui est à l’image du métier des paludiers : une harmonie entre l’homme et son milieu. On remarque que les « faibles » moyens techniques de l’époque conduisaient ces hommes à bâtir en cohérence avec la géomorphologie du site ; lieux en surplomb protégés de la mer. Habitant sur la presqu’île depuis mon enfance, je m’étonne de ne m’intéresser que si tardivement à cette 116


Architecture de terre // le coeur

culture locale riche et foisonnante d’enseignements. Mais peut-être que la lisibilité des différente maisons qui composent les villages de paludiers a été troublée, au regard de l’accroissement du tourisme et de la prolifération des maisons secondaires. Cette architecture vernaculaire semble nous montrer, contrairement aux idées reçues, qu’il est possible de concilier aménagement du territoire et intégration au site, sans le sempiternel recours aux dernières nouveautés en matière de high-tech.

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Figure. 3

Figure 29 : Croquis du village de paludier de kervalet



Figure 30 : Photographie aĂŠrienne des marais salants.


F

L’A L C H I M I E TERRITORIALE

Aujourd’hui, les paludiers et leurs savoir-faire gardent un lien avec la tradition de leurs ancêtres et contribuent à faire que le marais est encore perçu par le plus grand nombre comme un lieu de mémoire vivant. Le « modèle de territoire » des marais-salants donne raison à la métaphore des « fleurs coupées » de Jung1. Désormais, ont peut considérer qu’il s’agit ici d’une forme de conservation d’un savoir-faire qui a su, avec les siècles, s’adapter à son milieu naturel en constituant un témoignage essentiel sur deux mille ans d’activités humaines des sociétés littorales. La forte mobilisation qui a eu raison de la préservation du site nous montre en quoi la perception de la nature a évolué par rapport au début de l’urbanisation du littoral. Au-delà de la plage, la société littorale tient compte de l’importance de préserver un site reconnu pour son excellence patrimoniale, où les valeurs « naturelles » de son paysage sont valorisées et passent au premier plan. Car finalement, les marais, sont peut-être le symbole d’une harmonie entre l’homme et la nature. C’est également l’exemple d’une mise en « tourisme pragmatique » du 1 // Cf. p. 101. 121


L’alchimie territoriale

territoire, qui contribue, d’une certaine manière, au maintien d’un patrimoine et d’un écosystème unique. Mais n’oublions pas que s’incliner aux propositions de projets de Monsieur Guichard1, a bien failli nous faire quitter un système qui dans sa « fragilité » – destruction partielle du marais chaque hiver – est incroyablement « éternel ». Opposable donc à la « solidité »2 illusoire du remblais qui semble déjà montrer des signes de « faiblesses »3. Néanmoins, il convient de nuancer ces oppositions entre « cœur » et « contour » de presqu’île. Comme nous avons pu le constater dans ce chapitre, les choses ne sont pas aussi simples qu’elles y paraissent. En réalité, l’équilibre territorial de la presqu’île, c’est tout un processus, destiné à se perpétuer ; c’est un rapport de force continu qui agit comme le mécanisme d’une balance – si l’un des plateaux n’est pas assez chargé, l’autre chute, puis tout s’écroule. Aujourd’hui, nous ne pouvons ignorer que la préservation des marais s’est réalisée en partie grâce à l’artificialisation du sud de la presqu’île. Autrement dit, sans Monsieur Guichard et sa volonté de répondre aux besoins économiques du moment en développant des infrastructures, peut-être qu’il n’y aurait pas eu de sursaut collectif, et que les marais 1 // Olivier Guichard était pendant plus de vingt ans le président du conseil régional des Pays de la Loire et maire de La Baule (1970-1990). Cet homme politique français fut plusieurs fois ministre sous les présidences de De Gaulle, Pompidou et Giscard d’Estaing. 2 // Gilles Bernier parle d’une « fausse force technologique » pour évoquer cette solidité apparente. 3 // Effectivement, comme nous avons pu le constater dans la sous partie précédente, la dérégulation de l’apport sédimentaire au sein de la baie semble compromettre l’avenir du mode d’urbanisation du remblai. 122


Architecture de terre // le coeur

se seraient auto-détruis. Au même titre, sans Napoléon et son décret du 14 Décembre 18101, le cordon dunaire au sud de la presqu’île aurait sans aucun doute, sous l’action du vent et des courants, ensevelit l’ensemble des marais. En d’autres termes, la fixation de la bôle et son aménagement a vraisemblablement prévenu la fin de la saliculture à Guérande et permis de maintenir un « équilibre territorial ». Fort de son potentiel naturel et emblématique, la préservation des salines Guérandaise aurait également permis de classer la baie de La Baule dans le club fermé des « plus belles baies du monde »2. Car ce club créé en 1997 – qui comprend à ce jour trente-sept baies à travers le monde – accepte seulement les territoires faisant l’objet de mesures de protection et qui disposent de faune et de flore intéressantes, d’espaces naturels remarquables et attractifs ; ce qui n’est bien évidemment pas le cas de cette baie, où seule la plage semble avoir échappé au « bétonnage intégral ». En étant radicalement différente – culturellement comme socialement – la baie de la Baule se jouerait donc de l’image des marais et s’associerait même à son « ancien rival » pour revêtir l’étiquette de « plus belle baie du monde ». Pour maintenir un état d’équilibre, pour conserver son identité, et la faire vendre, la baie aurait donc besoin du marais tout comme le marais aurait besoin de la baie. Ainsi, « l’identité 1 // Cf. p. 53. 2 // Le golfe du Morbihan et la baie de Quiberon près de chez nous, mais aussi la baie de Santander en Espagne, la baie d’Agadir au Maroc, le Sine Saloum au Sénégal, ou encore la baie d’Ha-Long au Vietnam et la baie de San Francisco font partie de ce club. 123


L’alchimie territoriale

territoriale » c’est peut être aboutir à ce lien de « réciprocité » qui unit à l’origine deux ensembles opposés, culturellement comme géographiquement. « L’union » de ces deux territoires – le contour et le cœur – aboutirait donc à une nouvelle identité : La presqu’île. Pour l’historien Fernand Braudel, là serait l’identité : dans l’amalgame des choses – même quand elles n’ont rien en commun. Par ailleurs, cette étiquette permettrai d’avoir, selon le maire de La Baule, Yves Métaireau, des retombées touristiques et financières intéressantes : « trente pays qui voient La Baule, c’est très important pour notre image à l’international »1. Dans un contexte de concurrence internationale, cette image permet en effet, de maintenir une position « attractive d’un point de vue touristique ». Le club se voudrait également être un lieu d’échanges pour la préservation et la valorisation de la baie. Dans un entretien au Ouest-France, le directeur de l’office de tourisme de La Baule, Damien Dejoie, atteste que cette étiquette permettrait des avancées en matière d’environnement : « On peut notamment parler avec d’autres sites du problème d’ensablement »2. Malgré l’évolution de la société, la modernisation des échanges et l’évolution des techniques, le marais, lui, ne bouge pas. Or il convient de s’apercevoir aujourd’hui que ce « système éternel » reste fragile. Comme l’exprime Didier Bailleul, l’inspecteur des sites à la DREAL des Pays de la Loire : « Il ne faut pas nier la fragilité économique d’une filière soumise aux aléas climatiques de la saison es1 // Article Ouest-France, 02/01/2019. 2 // Brice Dupont, Comment est-on une des plus belles baies du monde ?, consulté sur le site internet du Ouest-France. 30/09/2013. 124


Architecture de terre // le coeur

tivale propice à la récolte et aux événements accidentels (tempêtes, marée noire, etc.). La culture du sel doit rester une activité suffisamment rémunératrice pour le maintien des hommes qui assurent l’entretien du milieu. Si la filière venait à péricliter, cela entraînerait l’abandon progressif des salines et signifierait la fin de l’entretien du réseau hydraulique et donc de l’ensemble du marais. ». En une quinzaine d’années – de 1999 à 2014 –, trois tempêtes du siècle se sont succédé, mettant un terme à un demi-siècle de calme relatif. Si l’on considère désormais le « contour » et le « cœur » comme un ensemble territorial formant une seule entité – la Presqu’île – comment peut-on aujourd’hui, préserver ce nouvel équilibre face à ces phénomènes imprévisibles en intensité et dans le temps ? – phénomènes de submersions et érosion du littoral. Après avoir étudié comment la « culture » a impacté la « nature », nous approfondirons dans le chapitre suivant le phénomène inverse, autrement dit, comment les phénomènes d’ordre naturel influencent-ils la construction de nos sociétés sur les espaces littoraux ?

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Figure 31 : Photographie aérienne de la Presqu’île guérandaise.




IV LA

PR ESQU’ÎLE FACE

A LÉA S

AU X

NAT U R ELS


Figure 32


A

ATTR ACTIVITÉ & VULNÉR ABILITÉ Sur la presqu’île d’autrefois, les zones d’extension des marées étaient plus importantes et les aménagements ne contraignaient pas autant le va-et-vient de la mer. En empiétant sur l’estran et sur les dunes – pour être toujours au plus proche du rivage – les zones de transitions entre la mer et le patrimoine bâti ont disparu. La résultante de cette anthropisation excessive du littorale est donc la disparition presque totale des espaces mobiles qui pouvaient auparavant absorber une part des événements tempétueux. Le 28 Février 2010, pendant le passage de la tempête Xynthia, la submersion du bassin guérandais et de certains lotissements nous a tous interpellés ; à qui la faute ? Politiques, urbanistes, architectes, acquéreurs ? Face à ces aléas, les populations exposées aux risques sont de plus en plus nombreuses. Tel que nous avons pu l’évoquer précédemment dans cette étude, le littoral a connu une très grande densification démographique, en particulier sur le rivage de la côte Atlantique. Cette façade maritime est même devenue la plus attractive de France devant le littoral méditerranéen. Cette explosion démographique concerne 131


Attractivité & vulnérabilité

en premier lieu les habitants à l’année sur la côte, mais elle implique également les populations qui peuplent le littoral occasionnellement, telles que les touristes ou les résidents secondaires. L’ensemble de ces populations littorales – qu’elles soient anciennes ou nouvelles, permanentes ou occasionnelles –, semblent par leur diversité inégalement préparées pour faire face à l’aléa. Dans son article sur « l’histoire, les tempêtes et la prospective littorale face aux changements climatiques », Thierry Sauzeau nous explique que « chaque installation humaine sur le littoral était évalué en terme de risque et de bénéfice et que malgré le manque de moyens les sociétés antérieures arrivaient, dans un contexte de changements graduels et lents à maintenir un équilibre face à la mer »1. Aujourd’hui, en dépit de nos moyens matériels et de nos compétences scientifiques, nos ressources ne sont pas inépuisables et nul ne peut confirmer que nous vaincrons face aux éléments naturels indéfiniment. Comme nous avons pu l’exprimer au cours de cet exercice, la perceptibilité de l’océan a changé avec le temps. Aujourd’hui, une grande partie des nouveaux habitants choisissent d’habiter le littoral pour le cadre de vie qu’il procure. Autrefois danger, il est dorénavant perçu comme un paysage. Le littoral d’aujourd’hui serait donc soumis à un nouvel enjeu. Celui de concilier deux notions qui nous viennent d’Outre-Manche : l’ « attractivité » et la « vulnérabilité ». 1 // Sauzeau, T., 2014, L’histoire des tempêtes et la prospective littorale face aux changements climatiques, p 18. Consulté dans l’ouvrage de : Laget, F. et A. Vrignon, S’adapter à la mer. L’homme, la mer et le littoral du Moyen Âge à nos jours, éd. PUR, Rennes, p. 71-88. 132


La Presqu’île face aux aléas naturels

La première, exprime la capacité d’un territoire à attirer des flux de populations humaines plus ou moins prolongés – migrations résidentielles, déplacement touristiques. Tandis que la deuxième, qui n’émerge qu’au XIXe siècle, est une dérive du mot latin vulnero,are et recouvre trois dimensions : endommager, blesser et entamer. Cette dernière renvoie à une notion inventée par les géographes de l’École de Chicago invitant à ne pas se focaliser sur l’aléa mais sur « le potentiel d’endommagement et sur la capacité de résistance sociale et la gamme de réponse envisagées pour faire face à l’aléa. ». S’étant élargie ces dernières années, « la notion comprend désormais un processus de construction de “dispositions” face à des menaces de tous ordres, parmi lesquelles les aléas naturels climatiques occupent une place prépondérante. Entendue et pensée comme l’ensemble des facteurs qui rendent un milieu ou une société plus ou moins fragile et sensible à un désastre, la vulnérabilité intègre les principes, qu’ils soient individuels ou collectifs, de perception de l’événement, d’action, d’expérience, de mémoire et de prévention. Elle dépend, en outre, de l’ensemble des stratégies élaborées et des mesures prises par les populations et le domaine politique dans l’optique de réguler les situations de danger. »1 Comme l’évoque Didier Vye dans sa thèse, attractivité et vulnérabilité insisteraient sur la notion de capacité. Ainsi, ces deux termes n’expriment pas un déterminisme : un endroit n’est pas attractif en soit, et des groupes sociaux ne sont pas prédestinés à être vulnérables. 1 // Bruno Barroca, Maryline DiNardo et Irène Mboumoua, De la vulnérabilité à la résilience : mutation ou bouleversement ? 133



B LA RÉSILIENCE DES SOCIÉTÉS ANTÉRIEURES FACE AU X T EM PÊT ES.

Pourtant, l’image véhiculée par la société contemporaine pourrait parfois nous laisser croire que l’aléa climatique est une fatalité. Or depuis des siècles, une population autochtone habite le territoire de la presqu’île, là où les risques liés à la mer faisaient partie du quotidien. Étaientils aussi forts et fréquents qu’aujourd’hui ? Sans doute que non, mais les moyens techniques pour y faire face n’étaient pas aussi élaborés que les nôtres. En analysant empiriquement les réactions des sociétés anciennes face aux tempêtes, nous chercherons à comprendre ce qui a permis de s’adapter aux aléas et à appréhender la notion de résilience. À l’ouest de la façade Atlantique, les tempêtes sont des perturbations atmosphériques récurrentes. Leurs origines sont liées à un système de basse pression qui se trouve au sein de l’océan. L’air chaud que dégage la mer entre en contact avec une masse d’air froid, la dépression se forme et s’accompagne de précipitations et de vent. L’utilisation du terme de tempêtes correspond à des vents de force dix à douze. Placée sous l’influence océanique, la région étudiée apparaît avec la longueur de ses côtes comme l’une 135


La résilience des societés anciennes face aux tempêtes

des plus exposées aux vents et phénomènes de submersions associés. Face aux tempêtes, les espaces palustres que sont les littoraux constituent un territoire vulnérable et cristallise les enjeux sociaux, politiques et économiques. Il y a huit ans, la tempête Xynthia nous a rappelé que les événements éoliens extrêmes constituent pour les rivages français une menace. Elle semble également avoir révélé les déficiences de nos sociétés en matière de prévention, de mémoire du risque et de gestion des ouvrages de défense (Dedieu, 2010). Même si le contexte de réchauffement climatique pourrait nous laisser croire que les phénomènes de submersions sont nouveaux, il ne faut pas nier l’impact de ceux qui ont touché la région autrefois. Lorsqu’on analyse l’histoire des tempêtes sur le littoral, on se rend compte en effet que le territoire subit les tempêtes depuis des siècles. L’étude de Jérémy Desarthe nous montre que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, elles sont de plus en plus nombreuses : Celles de 1701, 1705, 1735, 1751 et 1770 figurent parmi les plus dévastatrices et peuvent être considérées comme des ouragans1. Un curé de Nantes décrit la tempête qui toucha le royaume en 1751 comme exceptionnelle : « Et que de mémoire d’homme il y avait eu en France un houragan sur terre et sur coste de la mer aussi furieux. »2. 1 // Jérémy Desarthe, Les sociétés bretonnes face aux tempêtes (XVIe – XIXe Siècle), Consulté dans l’ouvrage de Éric chaumillon, Thierry Sauzeau, Emmanuel Garnier : Les littoraux à l’heure du changement climatique. Ed. Rivage des Xantons, Paris, 2014. 2 // Arch. Mun. Nantes, GG 253, f 106 v. Consulté dans l’ouvrage : Les littoraux à l’heure du changement climatique. 136


La Presqu’île face aux aléas naturels

L’effort financier pour réparer les brèches causées par les tempêtes est entièrement supporté par les détenteurs du sol. Les patrimoines fonciers des zones d’exploitations des marais sont bien-souvent détenues par de gros propriétaires, des nobles, des établissement religieux, des marchands et des bourgeois nantais1. « La part des paysans saunier est marginale ; elle ne deviendra majoritaire qu’au XIXe siècle lorsque le prix du sol s’effondrera » (Jérémy Desarthe, 2014). Dans le système salicole, la gestion des ouvrages – fossés, étiers, chaussées, etc. – serait parfaitement intégrée dans la gestion des marais. En réalité, le mode de défense des marais contre la submersion est assimilable à un « système de protection diffus », tel un dédale de chaussée – modeste talus au ras de la mer –, qui compartimente le marais et permet alors de freiner l’avancée de l’océan lors des fortes tempêtes. En d’autres termes, la digue n’est pas le seul élément servant à parer les assauts d’Éole. De ce fait, d’après J. Desarthe, « la rupture des chaussées serait dans une certaine mesure, indispensable au bon fonctionnement du système, car elle induit une distribution des salaires à un petit peuple misérable qu’il faut maintenir sur place pour accomplir toutes les besognes secondes de la saliculture. L’étonnante plasticité du réseau des levées est au fond en concordance avec ce mode de fonctionnement. » Bien que facilement rompues lors des épisodes de submersions, les chaussées 1 // J-L Sarrazin, 2014, Digues, bots et chaussées, Les levées de défense face à la mer dans les zones littorales basses de l’Europe du NordOuest (XIe – XVIe siècle) p 62. Consulté dans l’ouvrage de : Laget, F. et A. Vrignon (dir.), S’adapter à la mer. L’homme, la mer et le littoral du Moyen Âge à nos jours, éd. PUR, Rennes, p. 47-70. 137


La résilience des societés anciennes face aux tempêtes

sont aussi facilement redressées par la population, qui se mobilisait en nombre pour faire barrage aux inondations. Les dommages causés par les submersions permettaient en somme l’équilibre de tout un système, comparables à la notion d’euphorisation industrieuse, que décrit Roland Barthes au sujet des personnes qui se sont mobilisées pour faire face à l’inondation de Paris en 1955. Lorsque l’auteur précité parle des inondations qui avaient submergé la France en janvier 1955, il atténue la notion de catastrophisme, à l’instar de Desarthe : « Malgré les embarras ou les malheurs qu’elle a pu apporter à des milliers de Français, l’inondation de janvier 1955 a participé à la Fête, plus que de la catastrophe. »1 Manifestement, pour Barthes, les phénomènes climatiques pourraient prétexter d’une fête. Il les confrontent également au mythe des inondations – celui du déluge – en qualifiant l’histoire de l’Arche de Noé à un « mythe heureux » : « L’humanité y prend ses distances à l’égard des éléments, elle s’y concentre et y élabore la conscience nécessaire de ses pouvoirs, faisant sortir du malheur même de l’existence l’évidence que le monde est maniable. »2 Dans leur ouvrage philosophique sur la nature, les auteurs Catherine et Raphaël Larrère assimilent même les phénomènes de montée des eaux à ceux des carnavals dans les sociétés traditionnelles : « le monde à été mis à l’envers et l’on s’est bien amusé, avec la certitude que, 1 // Roland Barthes, Paris n’a pas été inondé, Consulté dans l’ouvrage de Catherine et Raphaël Larrère, Penser et agir avec la nature, Éd La Découverte, Paris 2018. p. 292. 2 // Ibid., p. 293. 138


La Presqu’île face aux aléas naturels

la fête finie, le monde sera réinstallé sur ses bases.»1 Ainsi, la notion du risque liée aux inondations serait devenu au fur et à mesure de l’évolution des techno-sciences, un phénomène maîtrisable auquel nous nous serions habitués ; elle serait somme toute plus ou moins liée à la construction culturelle que nous avons élaboré avec la nature. Par la pensée des Lumières, puis des sciences humaines, la nature a « cessé d’être magique » et « cessé de faire peur »2. Les pratiques de protection des marais face aux submersions sont donc courantes et maîtrisées mais également encouragées. Elles s’organisent en lien étroit avec les décideurs locaux. Pour preuve, ce témoignage écrit en 1802 au préfet du département par le maire de Batz-sur-Mer : « Je permets aux habitants du Pouliguen de prendre quelquefois des pierres que les bâtiments portent pour lest pour l’utilité des marais-salants afin de préserver ces domaines des dégâts que la mer pouroit faire »3. En réponse aux multiples dégâts survenus après les nombreuses tempêtes du début du XVIIe siècle – sur le point de créer un bras de mer, qui anéantiront l’ensemble des salines de Guérande –, Louis XIV décide de la levée d’un impôt pour garantir le maintien de la dune de Pen-bron : « Le duc d’Aiguillon, durant son gouvernement de la Bretagne, fit bâtir la chaussée de Pembron, espèce d’éperon construit en pierre froide, long d’environ cinquante toises, et qui sert à 1 // Catherine & Raphaël Larrère, Penser et agir avec la nature, Éd La Découverte, Paris 2018. p. 293. 2 // Ibid. 3 // Gildas Buron, Les Cahiers du Pays de Guérande, Les marais-salants de Guérande : histoire et patrimoine des années 1960 à nos jours. No 50, 2010. p . 81. 139


La résilience des societés anciennes face aux tempêtes

préserver les marais salans du sable qui les envahirait. »1 Les moyens entrepris par le pouvoir royale en faveur de sa protection sont gigantesques ; les travaux commencés en 1714 ne seront achevés qu’en 1751. Plus tard, au cours du XIXe siècle, ces nouveaux usages permettront de rénover les talus édifiés par les propriétaires de l’Ancien Régime, pour les transformer en des défenses plus élaborées. Le 31 décembre 1876, les ingénieurs des Ponts-et-chaussées constatent l’ampleur des dégâts. Certaines dunes, furent rabotées de près de cinqcents mètres sur le littoral du Finistère – à Loctudy et au Guilvinec. Les marais-salants de la presqu’île guérandaise sont eux aussi victimes des flots. D’ailleurs, cette dernière tempête aurait causé près de quatre-cents cinquante mille francs de dommages pour le département de la Loire-Atlantique, dont deux-cent quatre-vingt-trois mille francs liés au ravage des digues des marais guérandais (Jérémy Desarthe, 2014). Cette proportion souligne la vulnérabilité de cet espace salicole et des paludiers qui se trouvent en première ligne du front en cas de rupture des défenses. Mais suite à la violence de la tempête du jour de l’an 1877, une campagne de restauration des digues est lancée ; l’état des salines guérandaise et le maintien de l’activité par les paludiers font peur au pouvoir politique français : « La marée du 1er Janvier a inondé complètement tout le marais. Les talus et digues qui bordent la mer et les étiers ont presque tous été démolis et emportés […] Aussi beaucoup de pro1 // Georges Touchard-Lafosse, La Loire historique : Tome 3, Allier, Ed : Editions de régionnalismes, 2015. p. 385. Consulté sur internet : https://books.google.fr/books 140


La Presqu’île face aux aléas naturels

priétaires sont-ils décidés à renoncer aux réparations et à la culture, si l’État ne vient pas en aide en accordant un large secours, et en prenant à sa charge la réparation des digues qui protègent le marais »1. Cette déclaration résonne comme un ultimatum pour les institutions de l’époque, car en dénonçant le manque de moyens, les paludiers expriment l’impossibilité de poursuivre leur activité. Tout au long de la période du XIXe siècle, les techniques de construction se perfectionnent avec notamment un recours de plus en plus systématique au mortier hydraulique – il permet de consolider les assemblages de pierres sèches sur les talus. Par l’intermédiaire du corps des Ponts-et-chaussées, l’État se préoccupe de la santé vitale de son cœur blanc et de l’état de l’ensemble des ouvrages de défense contre la mer. Ainsi, les ingénieurs inspectent régulièrement les digues du littoral. Dans le but d’assurer la solidité des édifices, les inspections se font bien-souvent quelques jours avant les marées d’équinoxe2. La gestion de l’aléa ne se traduit pas seulement par des actes curatifs après les événements, mais aussi par une politique de prévention des risques liée notamment à l’essor de tout un réseau de météorologie télégraphique en France. En définitive, ce rapide survol historique des tempêtes apparaît bien loin d’une simple histoire de la pluie et du 1 // Arch. Dép. Loire-Atlantique, 575 S 1, 31 mars 1877, consulté dans : Les Cahiers du Pays de Guérande, Les marais-salants de Guérande : histoire et patrimoine des années 1960 à nos jours. No 50, 2010. p. 82. 2 // Apparaissant aux printemps et à l’automne, les marées d’équinoxe sont les plus fortes dans une année ; supérieur à 100 de coefficient. 141


La résilience des societés anciennes face aux tempêtes

J -5

EXPERTISE

Ingénieur des digues

J -4 Douanes

Réquisition d’hommes

Mairies concernées

Réquésition des habitants & des matériaux

Travaux de consolidation des digues sous la direction de l’ingénieur des digues

Figure 33 : Les sociétés et la crise climatique.

142

J -2

Gendarmerie

J - 1 & jour J

TRAVAUX DÉFENSIFS

RÉQUISITIONS

ALERTE

Le préfet


La Presqu’île face aux aléas naturels

beau temps. Loin de rester impassible, la société salicole a progressivement tenté d’adapter son aménagement à l’aléa climatique. Du Moyen-Âge au XVIIe siècle, la gestion des digues et leurs entretiens étaient effectués par les habitants. À cette période, on parlait de « bien commun » car l’équilibre territorial était principalement régi par la saliculture. Les réactions des sociétés littorales faces aux aléas naturels confirment aussi la métaphore de Barthes – l’inondation est une fête – dans la mesure où les épisodes de submersion ont toujours rassemblés les hommes et entraîné des « dynamiques de solidarité ». Cela permet ainsi de relativiser et de repenser la notion de catastrophisme. Cette histoire riche d’enseignement nous montre aussi que les populations autochtones étaient toujours dans l’attente des prochains événements et non dans la fatalité. C’est sans aucun doute l’une des caractéristiques principales définissant la capacité de résilience. Cette aptitude se manifestait également par une culture de la survie associée à tout un réseau d’alerte – la télégraphie, le tocsin1 des églises, etc – et une gestion du risque, qui par la suite, ne s’appuyait pas uniquement sur la responsabilité des paludiers, mais aussi sur les autorités locales et le corps des Ponts-et-chaussées sous la responsabilité de l’État. Comme l’évoque Gildas Burons : « il y a une prise de conscience, 1 // En zone littorale, le tocsin était sonné pour alerter la population d’un danger imminent, et inciter les gens à se réfugier en lieu sur. Il alertai aussi des ruptures de digues, des naufrages, et mobilisait les secours. Cette sonnerie n’est plus utilisée en France depuis les années 1960. 143


La résilience des societés anciennes face aux tempêtes

qui montre aux acteurs du paysage local de la valeur d’une action collective soutenue par la puissance publique. » Avec nos moyens matériels et techniques actuels, il est étonnant de réaliser que la plupart des météorologues contemporains avaient omis le raz de marée dévastateur de 19371 – son scénario était pourtant identique en tout point à Xynthia. L’implantation raisonnée des anciens villages2 a certainement permis la survie des habitants d’autrefois – construire des logements au delà d’une digue et sous le niveau de la mer aurait été considéré comme pure folie. Face aux tempêtes décrites dans cette partie, nous n’avons constaté aucune perte humaine dans les villages. L’aménagement urbain n’était donc pas en cause – seuls les marins furent victimes. Face aux éléments, les sociétés anciennes du littoral guérandais appliquaient des principes de précaution élémentaires hérités des siècles précédents. Elles savaient prévenir la catastrophe dans le souvenir qu’elle en avait d’elle3. Là serait peut-être la notion de résilience : dans la mémoire du risque.

1 // Podcast France culture, débat entre l’historien et directeur de recherche au CNRS Emmanuel Garnier et Aurélie Luneau : A quoi sert la mémoire des risques naturels ? 08/05/2014. Consulé sur le site de France-Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/la-marchedes-sciences/quoi-sert-la-memoire-des-risques-naturels 2 // Cf., Chapitre III, partie 5, L’habitat traditionnel de l’homme des marais. 3 // Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, consulté dans l’ouvrage de Catherine et Raphaël Larrère, Penser et agir avec la nature, Éd La Découverte, Paris 2018. p. 312. 144



Figure 34


C

X Y N T H I A // QU E L S I M PAC T S SU R L E PAT R I MOI N E BÂT I ? Après plusieurs décennies sans phénomènes de submersions « exceptionnels », le passage de la tempête Xynthia sur le littoral Atlantique français a réveillé les mémoires oubliées. Bien que n’ayant aucun caractère inédit sur le plan météorologique – pas aussi exceptionnelle que les tempêtes Lothar et Martin de décembre 1999 et Klaus de janvier 20091 – cette tempête s’est retrouvée en phase avec une marée haute de fort coefficient. Des phénomènes de submersions inhabituels2 ont alors été causés, notamment sur les côtes de Vendée et de Charente Maritime car la trajectoire atypique empruntée par la tempête s’est développée dans des latitudes très basses du globe. Dans cette partie, le propos n’est pas d’étudier la tempête n’y de dresser un bilan exhaustif des dommages matériels et encore moins d’énumérer les responsables. En revanche, il peut être pertinent d’appréhender les 1 // Consulté sur le site de météo france : http://www.meteofrance.fr/ climat-passe-et-futur/evenements-remarquables/la-tempete-xynthiades-2728-fevrier-2010 2 // À relativiser au regard de certaines tempêtes antérieures assez comparables : comme celle d’octobre 1882, de janvier 1924, de mars 1928 ou de mars 1937. 147


Xynthia // quels impacts sur le patrimoine bâti ?

actes décidés à la suite de son passage sur le territoire, au vu des ouvrages de protection du littoral dans un premier temps, puis de la planification urbaine et architecturale dans un deuxième temps car c’est précisément notre aménagement qui est en cause. Aujourd’hui, cet événement continue de soulever de nombreuses questions auxquelles il est difficile de répondre : Est-ce que cet épisode nous a permis de reconsidérer le risque en réorganisant notre gestion de notre patrimoine bâti ? Est-il possible de comprendre et de rendre lisible l’aléatoire ? Mais surtout, cet événement nous permettrait-il de retrouver la mémoire du site ? En Loire-Atlantique, les communes des Moutiers-enRetz et de La Baule-Escoublac ont connu le plus grand nombre d’ouvrages sinistrés : plus de deux-cents bâtiments inondés sur chacune de ces deux communes1. La submersion des marais-salants fut exeptionnelle. Il faut remonter à 1940 pour trouver des traces de sinistres comparables en coeur de la Presqu’île. Les exploitants des salines se sont retrouvés désemparés devant l’empleur des dégâts de 2010 – après la lutte contre un aménagement sans borne, il fallait croire que Xynthia allait être le nouvel évènement déclencheur de lutte pour la préservation des pratiques 1 // Note de présentation de PPRL de la Presqu’île Guérandaise et de Saint-Nazaire. Consulté sur internet : http://www.loire-atlantique. gouv.fr/Politiques-publiques/Risques-naturels-et-technologiques/Prevention-des-risques-naturels/Plans-Prevention-Risques-Naturels-Previsibles/Les-Plans-de-Prevention-des-Risques-Littoraux-en-Loire-Atlantique/Le-PPRL-de-la-Presqu-ile-Guerandaise-Saint-Nazaire 148


La Presqu’île face aux aléas naturels

traditionnelles. Mais pas seulement, car si la Presqu’île est submergée, ce sera par les habitations qui bordent les marais1 : « Étonnamment, ce n’est pas par les côtes que la mer prendrait une nouvelle place. Elle lécherait les habitations et les diverses constructions en choisissant « la route » des marais ». D’où l’intéret de préserver un tel ouvrage. Les quinze kilomètres de digue protégeant la totalité des marais ont beaucoup souffert lors de la tempête. Au total, il y a eu quarante-trois brêches totalisant près de soixante-dix pour cent de l’ouvrage. Mais les dommages causés résultent principalement de la négligence de son entretien provoqué par la raréfaciton des événements climatiques pendant la période d’urbanisation du littorale des Trente Glorieuses. L’historien et directeur de recherche au CNRS Emmanuel Garnier nous explique ce problème en parlant du syndrome de digues orphelines : « il y a une inconnue de taille que l’on appelle les digues orphelines. On ne sait plus à qui elles sont et le plus souvent, elles ne sont plus entretenues. La réalité, c’est qu’aucune de ces institutions ne souhaite les rénover dans la mesure où, si elles font le moindre travaux, elle en deviennent propriétaires. Les projets actuels visent à transférer cette responsabilité aux collectivités locales. Mais ces dernières sont terrifiées à l’idée d’obtenir un capital dont elles ne connaissent pas l’importance et le droit de propriété. Elles savent également que les prix sont exorbitants. Cela passerait donc par la levée de nouveaux impôts, nouvelles charges fiscales»2 En 1 // Article Ouest-France, rédigé par Isabelle Guillermic : La Presqu’île submergée ? Ce sera par le marais. 08/02/2015. 2 // France-Culture, À quoi sert la mémoire des risques naturels ?, 149


Xynthia // quels impacts sur le patrimoine bâti ?

somme, c’est une responsabilité considérable pour l’État, les collectivités locales et les paludiers, car en plus de réguler l’eau dans le marais, ces anciennes défenses contre la mer protègent un nombre important d’habitations. Au regard de leur importance contre le risque de submersion, l’ancien ministre Jean-Louis Borloo a anoncé un « plan-digues » afin de remettre à niveau les douze-mille kilomètres de digues de la façade Atlantique et restructurer son mode de gestion. Au sein de notre territoire d’étude, il aura permis le financement pour conforter les huit kilomètres de berges de l’étier du Pouliguen – zone à haut risque de submersion. Mais ce plan semble toujours insuffisant pour conforter l’ensemble des vingt-sept kilomètres de digues empierrées entre les traicts du Croisic et les marais-salants. N’étant pas encore en capacité de rénover et de surélever l’ensemble de ces ouvrages au vu des enjeux, l’alternative reste à se soumettre aux volontés de la nature. En cas de grosse tempête, il n’est pas exclu que Guérande et Saillé se (re)transforment en île avec des conséquences directes sur les autres communes bordant les salines. Manifestement, l’hiver 2010 ne fut pas le temps de la fête décrit précédemment par le philosophe Roland barthes, mais plutôt celui du désastre. D’une part en raison de l’ampleur des dégâts – matériels comme humain –, et d’autre part en raison de la prise de conscience du réchauffement climatique. Car dans la philosophie de Barthes – qui est antérieure à cette prise de conscience – il faut rappeler qu’il y avait une distinction entre ce qui venait de la nature

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Figure 35 : Photo aérienne de l’étier du Pouliguen.

Figure 36 : Chantier d’implantation des murets anti-submersion le long de l’étier du Pouliguen.


Xynthia // quels impacts sur le patrimoine bâti ?

et ce qui relevait de l’action humaine. Or aujourd’hui ce dualisme semble s’effacer dans un contexte global de réchauffement climatique. Comme l’évoque Catherine Larrère dans son ouvrage : « la nature n’est plus toujours naturelle : non qu’elle soit redevenue magique, mais ce que nous prenons pour la nature n’est peut-être que le résultat d’une intervention humaine. »1. C’est peut-être en cela que Xynthia est une « catastrophe » marquante dans l’histoire des aléas naturels. Ce fut l’une des premières tempêtes où l’homme s’est retrouvé responsable de ses actes : globaux – réchauffement planétaire lié aux emissions de dioxyde de carbone – comme locaux – qualité des aménagements urbains et architecturaux notamment. Par ailleurs, la pensée de Hans Jonas décrite succintement dans le deuxième chapitre de cet exercice permet de comprendre l’évolution de la notion de catastrophisme. Dans Le principe de responsabilité, il évoque dès la fin du XXe siècle les deux éléments qui construisent le catastrophisme : « l’importance des conséquences involontaires » et « la globalisation des risques au niveau planétaire ». Si l’on se réfère à la pensée de Jonas, l’épisode de Xynthia confirmerait l’idée que le risque ne vient pas de l’extérieur – la nature – mais de nous même – la société. Dans Un été avec Homère2, l’écrivain Sylvain Tesson nous rappelle que dans la pensée antique, Homérique plus précisément, il y avait déjà l’idée sousjacente que l’Homme pouvait rompre à lui seul l’équilibre 1 // Catherine et Raphaël Larrère, Penser et agir avec la nature, Éd La Découverte, Paris 2018. p. 294. 2 // Sylvain Tesson, Un été avec Homère, Éd des Équateurs / France Inter, 2018. 152


La Presqu’île face aux aléas naturels

de la biodiversité ; dans l’Iliade, lorsqu’Achille se déchaîne et que la guerre échappe à ses hommes, l’ordonnancement se détraque. Dès lors, pour calmer et arrêter les hommes dans leur folie, les fleuves débordent. Cette démesure, les Grecs la surnomme l’Hubris. Si l’homme d’aujourd’hui interrompt cet équilibre et brise l’harmonie qui le lie à son milieu, des signaux d’alertes sont envoyés par les catastrophes « naturelles ». Si nous sommes responsables de ce détraquement au même titre qu’Achille, il serait logique que nous nous dotions dès à présent de moyens pour contrôler et donc rétablir l’harmonie. Là étant l’importance des sciences dans la société d’aujourd’hui. Michel Serres l’évoque dans Le contrat naturel, où selon lui, pour mettre fin à la séparation tranchée entre nature et société, il faudrait créer une recomposition des rapports entre science et politique. C’est peu ou prou ce qui se profile avec les travaux du GIEC – la volonté d’intégrer les sciences dans la politique et la société. Cette volonté a justement été accélérée après le passage de la tempête Xynthia sur le littoral Atlantique ; suite aux conséquences de la tempête, la submersion et l’érosion des côtes est soudainement devenue une priorité pour le pouvoir étatique. Six mois après le drame, le préfet du département et de la région du territoire étudié, rédige un texte adressé à l’ensemble des maires des communes littorales concernées par les risques précités qui pointe nos erreurs commises en terme d’aménagement du territoire : « Les conséquences dramatiques de la tempête Xynthia qui 153


Xynthia // quels impacts sur le patrimoine bâti ?

a affecté une partie importante de la façade Atlantique le 28 février 2010 imposent de prendre un certain nombre de mesures destinées à compléter les outils existants en matière de prévention des risques de submersion marine. À cet effet, une note interministérielle en date du 7 avril 2010 demande notamment à l’ensemble des préfets du littoral d’une part d’intensifier et d’accélérer la mise en œuvre de Plans de Prévention des Risques Littoraux – PPRL – et, d’autre part, dans l’attente des prescriptions ou approbations de ces derniers documents, d’appliquer les dispositions de l’article R111-2 du Code de l’urbanisme au sein des zones soumises à un risque de submersion marine. […] La mise en œuvre de ces dispositions, permet de refuser ou d’assortir de prescriptions un permis de construire ou d’aménager qui comporterait un risque pour la sécurité publique, relève de votre responsabilité... ». Dans ce texte, le prefet exprime d’une part le désir d’intensifier et d’accélérer la mise en oeuvre des Plans de Prévention de Risques Littoraux – PPRL – et d’autre part d’appliquer l’article R111-21. Ce Plan de Prévention est l’exemple d’une recomposition entre science et politique car l’architecture qui le régit est fondée sur les données du GIEC. D’un point de vue urbanistique, ce plan permet de délimiter les zones à risques et d’y réglementer l’utilisation des sols à l’échelle communale. Il fixe des nouvelles règles qui doivent être 1 // L’article R111-2 du Code de l’urbanisme précité, est un pouvoir accordé au maire afin qu’il puisse mettre son veto à un permis de construire, si le projet est de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes et des biens. 154


La Presqu’île face aux aléas naturels

intégrées dans les documents d’urbanisme tels que le Plan Local d’Urbanisme – PLU – et le Schéma de Cohérence territoriale – SCOT. Ce plan des risques littoraux n’est pourtant pas nouveau – il date de 1997 – mais, vu l’ampleur des dégâts causés par la tempête Xynthia, il y avait urgence à réactualiser sa méthodologie et à étendre les zones géographiques concernées. Comment ? En instaurant deux circulaires : celle du 2 août 2010 qui identifie les communes prioritaires1 sur l’ensemble du littoral métropolitain français et celle du 27 juillet 2011, qui permet de prendre en compte l’aléa submersion marine et des ouvrages de protection dans les plans de prévention des risques littoraux. Autrement dit, c’est le début de la prise en compte du changement climatique dans l’élaboration des documents d’aménagement2. Après de nombreuses études, le Plan de Prévention des Risques Littoraux de la Presqu’île guérandaise a finalement été prescrit par arrêté préfectoral le 14 février 2011. Il est matérialisé par un plan de zonage des aléas et prend en compte deux aléas distincts : l’actuel d’une part – qui est défini par les niveaux marins atteints lors de la tempête Xynthia – et celui à l’horizon 2100 d’autre part. L’échéance 1 // 303 communes furent identifiées comme prioritaires « (…) en raison du risque pour les vies humaines constaté actuellement, ou qui pourrait s’y accroître significativement du fait d’une urbanisation non maîtrisée. ». Consulté sur internet : www.ecologique-solidaire.gouv.fr 2 // Le guide méthodologique de 1997 prenait déjà en compte l’augmentation du niveau moyen des mers à l’échéance 100 ans mais seulement pour les zones à fort enjeu. Désormais, la mesure est étendu à l’ensemble des PPRL. Source : Circulaire du 27 Juillet 2011, consultée sur internet. 155


Xynthia // quels impacts sur le patrimoine bâti ?

« 2100 » est justifiée en fonction du quatrième rapport du GIEC et de la durée de vie moyenne d’une construction, estimée à 100 ans. Le zonage réglementaire du PPRL délimite deux grands types de zones : d’une part les zones de risques forts – zones rouges, oranges et vertes hachurées – qui sont inconstructibles sauf exceptions. D’autre part les zones à risques modérés – zones bleues et violettes – qui sont constructibles sous conditions. Cette prise en compte «concrète» du réchauffement climatique est une bonne nouvelle au regard des enjeux des constructions futures. Néanmoins, certaines prescriptions des plans de prévention des risques sont parfois imprécises : « Constructions nouvelles interdites à l’exception […] des activités exigeant la proximité immédiate de la mer et des infrastructures d’intérêt général ne pouvant être implantées en d’autres lieux. » Et que faire du patrimoine bâti sur les zones littorales désormais classées en zone à risque ? Selon le Plan de Prévention des Risques Littoraux, l’ensemble des biens concernés par le risque de submersion à court terme – pour un niveau Xynthia + 20cm1 – est soumis à des travaux d’aménagement. Dans les zones rouge foncé et orange du plan, ces dispositions se caractérisent par la réalisation d’un espace de refuge, et dans les zones bleu clair, 1 // L’aléa « Xynthia + 20cm » correspond à la référence du niveau des mers atteint par la tempête Xynthia, majoré de 20cm afin d’integrer l’élévation du niveau de la mer estimée à court terme au regard du changement climatique. L’aléa « Xynthia + 60cm » correspond quand à lui à la réference du niveau des mers atteint par la mer à l’échéance 2100. Elle tient compte des prévision d’élévation du niveau des mers évoqué dans le quatrième rapport du GIEC. 156


La Presqu’île face aux aléas naturels

elles se caractérisent par une surélévation des équipements sensibles ; comme les tableaux et coffrets électriques, les chaudières, ou les citernes. Pour le moment, les mesures obligatoires des rénovations liées aux aléas submersions sont toutes éligibles à des subventions de l’État. Seulement, ce régime d’indemnisations est précaire car il peut être facilement bouleversé au vu de l’inévitable multiplication des sinistres liés au réchauffement climatique. La comparaison du plan des aléas naturels – PPRL – avec des plans cadastraux napoléoniens pourrait donner raison à Jean-Cocteau, lorsqu’il adressait ses vœux à la jeunesse de 1962 : « Il est possible que le progrès soit le développement d’une erreur1 ». Lorsque l’on examine la cartes des aléas du territoire à l’étude, on pourrait croire en effet qu’il y existe une relation entre les époques d’urbanisation et les zones à risque du PPRL. Autrement dit, plus les bâtiments seraient récents, et plus ils seraient soumis à l’aléa climatique. Réciproquement, les villages les plus anciens – ceux des paludiers notamment2 – seraient hors des zones à risque. Matérialisé par des zonages, les aléas permettent donc d’imposer un certain nombre de mesures de protection, de rénovation et de conception du bâti sur une région littorale 1 // Visionné sur le site de l’Institut National de l’Audiovisuel : https:// www.ina.fr/video/VDF07000801 2 // Cf. L’habitat traditionnel de l’homme des marais. 157


Figure 38 Cadastre du village de Roffiat. 0

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Figure 39 Cadastre du bourg du Pouliguen.

Figure 37: Cadastre NapolĂŠon

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Figure 41 P.P.R.L. du village de roffiat 0

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Figure 42 P.P.R.L. du bourg du Pouliguen.

Figure 40 : Carte des P.P.R.L.

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Xynthia // quels impacts sur le patrimoine bâti ?

qui constitue désormais un Territoire à Risque Important1 – une région à fort enjeu économique au regard de la population et des emplois présents à l’intérieur des aires inondables. À l’échéance 2100, neuf mille six-cents personnes et six mille cinq-cents emplois de la région concernée sont susceptibles d’être impactés directement par l’aléa submersion marine – les communes les plus touchées étant celles du Pouliguen, de La Baule et du Croisic2. Les bâtiments concernés par l’érosion sont relativement nombreux également : évalués à deux mille pour la région Presqu’île / Saint-Nazaire. Mais aujourd’hui, malgré nos moyens techniques et intellectuels avancés, les éléments naturels sembleraient nous rappeler qu’ils auront peut-être le dernier mot. Certes, notre science a pu nous conduire à anticiper et à planifier l’aléatoire sur cent ans : une avancée notable. Il semble pourtant difficile de faire confiance à cette prospective scientifique ayant conduit à cette planification sur le « long terme », sachant qu’elle-même est basée sur un aléa en soi. Comment s’assurer du bien-fondé de ces prévisions ? De surcroît, la nécessité de réagir vite à la catastrophe de Xynthia nous a conduit à actualiser le Plan de Prévention des Risques Littoraux en moins de trois ans : est-ce suffisant, au vu de la complexité d’une prévention des risques sur une aussi longue durée ? Il apparaît également un changement dans la manière de tenir compte de l’aléa ; les sociétés antérieures se basaient uniquement sur des faits passés, alors qu’au1 // Un TRI se définit comme un secteur où se concentrent fortement des enjeux exposés aux inondations. 2 // PPRL de la Presqu’île - Saint-Nazaire. p. 37. 160


La Presqu’île face aux aléas naturels

jourd’hui, on semblerait plutôt axer notre développement par rapport à des potentialités. En somme, nous serions passés d’une mémoire du risque à un futur du risque – grâce aux contributions du pouvoir scientifique dans le domaine politique. Par ailleurs, nous sommes en voie de déconstruire et d’adapter des logements en prévision de cette échéance de cent ans, alors même que l’élévation exponentielle nous amènera forcément à remettre en cause ces aménagements dans quelques décennies, si ce n’est quelques années ; lorsque qu’un événement tempétueux plus fort que Xynthia nous conduira à rehausser le niveau de référence aléa-submersion. Plus qu’un réaménagement du bâti, la question qui se pose aujourd’hui est celle de la trajectoire de développement pour les territoires littoraux. Quelle évolution de cette société est à envisager d’ici vingt ou cent ans ? Quelle relation développer entre adaptation et développement, entre global et local ?

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LES PRÉMICE D’UN REPLI FACE À L A M ER ?

Quatre années après la tempête Xynthia de 2010, c’est au tour des tempêtes Christian, Godehard et Petra de propager des grains de sable sur les rivages de la presqu’île guérandaise. Comme après Xynthia, les institutions réagissent dans la foulée. Après leurs passages, la mairie de La Baule décide effectivement de réclamer l’arrêté de catastrophe naturelle. La préfecture de Loire-Atlantique accepte l’indemnisation sous réserve de l’application du « décret-plage », à quelques mois d’une COP21 capitale pour la France. Ce décret, du 26 mai 2006, vise théoriquement à réduire l’emprise des différentes installations – écoles de voiles, cafés et restaurant, clubs pour enfants – au bord de l’eau. Il est la résultante d’une loi de 1986 relative à l’aménagement et à la protection du littoral et impose un libre accès du public vers la mer. Il entrevoit de laisser libre de toute construction quatre-vingt pourcent – à mi-marée – de la longueur du rivage et de la surface de la plage. En dehors de la période d’exploitation de six mois par an de la grève, ce dispositif contraint donc les plagistes à démonter leurs installations. Mais pour la mairie, le décret-plage serait 163


Les prémices d’un repli face à la mer ?

trop lourd à appliquer administrativement, en raison de la taille trop importante de la plage bauloise par rapport aux plages voisines : Le Pouliguen et Pornichet. Comme au début de l’année 2007, où la mairie a décidé de laisser la gestion de ce « patrimoine naturel » à l’État, elle renonce de nouveau à prendre en charge la gestion de sa plage. Dès lors, l’État, responsable de cette portion littorale instaure un appel d’offre. Ce dernier est remporté par la multinationale Veolia1 qui obtient la concession du site en décembre 2016. Mais très vite, apparaissent les premières formes de protestation – sous forme de groupement de commerçants plagistes, de syndicats de copropriétaires ou d’associations de riverains – contre le nouveau gestionnaire de la plage de La Baule. Bien plus vaste, les nouveaux établissements édifiés sur la grève, pourront s’étendre sur quarante mètres jusqu’à la mer. Récemment, la multinationale a autorisé la construction d’un nouveau restaurant sur une surface de mille mètres carrés de plage, à la place d’un club pour enfant, à l’ouest de la baie. Seulement, son impact sur la plage est beaucoup plus important au regard de l’ancienne structure. En effet, le projet ne sera plus constitué de cabanes en bois et de balançoire pour enfants, mais plutôt d’un ensemble de seize containers en tôle d’acier, montés sur des plots bétons implantés à même le sable. Au vu de la 1 // Veolia est une multinationale française qui travaille dans trois domaines complémentaires : la gestion du cycle de l’eau, la gestion et la valorisation des déchets, ainsi que la gestion de l’énergie. Elle peut proposer ses services aux collectivités locales comme aux entreprises ou à des clients privés. 164


La Presqu’île face aux aléas naturels

morphologie de ces nouveaux bâtiments, ainsi que des matériaux employés en façade, la rupture architecturale paraît sans équivoque. les habitants et plagistes auront désormais vue sur une couverture en tôle, se rapprochant plus à un toit d’usine, qu’un toit de cabane de plage. De surcroît, même si les modules constituant l’édifice sont démontables pour la période hivernale, ils demeurent tout de même en zone inondable six mois de l’année. Et bien que les phénomènes de submersions liés au tempêtes surviennent majoritairement au cœur de l’hiver, il n’est pas rare d’avoir de violents coups de vents le reste de l’année sur la presqu’île ; associés aux marées d’équinoxes par exemple, le risque de submersion, et donc de destruction potentielle de l’ouvrage, apparaît alors comme un phénomène fort probable. Ainsi, la démolition des structures « fixes » au profit de l’édification de structures « semi-fixes » (implantées sur la plage du printemps à l’automne) semble une fois de plus, s’affranchir de son milieu. Par ailleurs, cette nouvelle gestion semble très difficile à assumer pour les propriétaires : coût de la démolition de leur structure existante, et coût de la réalisation d’un permis de construire pour ces nouvelles structures démontables. En Octobre 2018, les premiers restaurants de la plage de La Baule ainsi que leur terrasses ont été démolis. Ainsi, de nombreux commerces installés sur la grève depuis plusieurs décennies doivent quitter les lieux. Les sept-centcinquante tentes à rayures bleues et blanches révélées dans le film Lola, de Jacques Demy, n’y échapperont pas, elles aussi devront être démontées. Plus qu’une perte d’iden165


Figure 44 : Nouveau restaurant, plage Benoit

Figure 43 : cabines de plage.

Les prémices d’un repli face à la mer ?

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Figure 43’

Figure 44’

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Les prémices d’un repli face à la mer ?

tité liée à des bâtiments uniformisés, ces nouvelles décisions semblent fragiliser encore plus le tissu économique de la plage, de la commune concernée mais aussi de la presqu’île, car la plage de cette baie immense est l’un des atouts majeurs de la notoriété touristique de son territoire. Certes, l’aménagement de la grève à temps partiel aurait pu montrer l’exemple, petit-à-petit, comme quoi il fallait opérer un retrait inévitable, mais progressif, des constructions bâtis sur un terrain meuble – le sable – destiné à fluctuer au gré des vagues. Au regard de ce qui a été exprimé précédemment, la multinationale ne semble pas donner la bonne tonalité en terme de substitution au territoire, et à ses éléments naturels. Car finalement, ces nouvelles structures – bien que démontables – laissent apparaître au yeux des habitants, une forme bien plus massive une fois implantées sur le sable. Nous sommes loin de la typologie architecturale des tentes de Jacques Demy ou des clubs Mickey. Ces nouveaux bâtiments « éphémères » que vantent les initiateurs des projets précités semblent manquer d’harmonie dans le rapport qu’ils entretiennent avec le site ; une architecture métallique, cubique, chevauchant la grève sous des allures maladroites. Par ailleurs, cette communication politique conduit même certains à ignorer et à remettre en cause la recrudescence des phénomènes de submersions marines liés au réchauffement climatique : « la tempête a servi de raison aux ayatollahs qui voulaient que tout soit démonté hors saison alors que des structures en dur existent depuis longtemps. » Dès lors, que faut-il 168


La Presqu’île face aux aléas naturels

faire pour montrer l’exemple en toute crédibilité ? Interdire toute construction sur la grève ? Toute l’année ? Pour le moment, le sujet noircit les colonnes des journaux régionaux comme nationaux, car hormis les pertes économiques à « court termes » liées à la privatisation de la plage, ce débat pose la même question que celle évoquée dans l’avant propos : que faire de la mer ?

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E L’A L É A C L I M A T I Q U E , NOUVEAU VECTEUR DE DÉVELOPPEMENT URBAIN ET ARCHITECTUR AL. Malgré les efforts entrepris en faveur de la prise en compte de l’aléa dans la planification de l’aménagement du territoire, cette étude nous montre que l’État et les collectivités territoriales semblent déterminés à résister et à lutter contre la mer. Comme nous l’avons évoqué précédemment1, l’ensemble des moyens financiers mis en œuvre ont le plus souvent l’objectif de renforcer le système de défense contre la mer : les digues. Pour l’instant, les démarches d’adaptation du bâti – les nouvelles structures « démontables » sur la grève bauloise – semblent être l’alibi du maintien d’un certain type d’activité économique. L’équation de la montée du niveau des mers et de l’accroissement de la population sur le littoral imposent pourtant de repenser notre rapport au rivage afin de ne pas empirer la situation. Aujourd’hui, plusieurs scénarios se profilent pour le développement urbain de la Presqu’île guérandaise. On pense tout d’abord à celui évoqué précédemment, qui serait de lutter contre l’élévation du niveau des mers en continuant de construire, de rénover et de rehausser des digues. Mais ce scénario semble risqué au vu de ce qui a été énon1 // Cf. chapitre IV : La Presqu’île face aux aléas naturels, partie 3 : Xynthia : quels impacts sur le patrimoine bâti ?. 171


L’aléa climatique, nouveau vecteur de développement urbain & architectural

cé préalablement dans cette étude, car il se base principalement sur un ouvrage unique qui protège marais-salants et zones d’habitation. Or l’architecture de cet édifice maçonné limite énormément les possibilités de rehaussement. Il se pourrait donc qu’il ne remplisse plus sa fonction dans un futur relativement proche. Le deuxième scénario serait celui d’une urbanisation rétro-littorale, qui servirait au repli inévitable des populations situées dans les zones critiques1 – la situation délicate dans laquelle se trouve les habitants de l’immeuble Signal à Soulac-sur-Mer nous montre à quel point il est urgent de planifier l’accueil futur de ces propriétaires, dans de bonnes conditions. Il convient de rappeler que les permis pour construire des bâtiments du même type aussi proches du rivage on été acceptés par les collectivités sans que les propriétaires soient forcément conscients des risques. Dès lors, il semble logique de les reloger tout en préservant les qualités d’un logement à proximité du rivage. La problématique à laquelle les architectes devront répondre serait donc celle de « compenser l’idée de la mer dans l’arrière-pays », évoquée par Michel Corajoud : « L’homme a toujours habité le beau, alors offrons-le-lui. Bien sûr tout le monde ne peut pas habiter face à la mer – cette chimère a d’ailleurs encombré, dévitalisé nos côtes –, mais on ne peut pas non plus se contenter d’envoyer les nouveaux arrivants en arrière-pays, sur des lieux sans intérêt. Ce qu’il faut, c’est compenser l’idée de la mer. ». Sur la Presqu’île, l’arrière-pays se situe sur les coteaux, à cinquante mètre 1 // Par « zones critiques » j’entends les parcelles soumises aux risques de submersion et d’érosion. 172


La Presqu’île face aux aléas naturels

au dessus du niveau des mers. On peut alors s’imaginer une autre manière d’habiter le littoral, en implantant le bâti sur les hauteurs de la presqu’île ; le coteau serait un belvédère permettant d’admirer les marais-salants et les rivages. Néanmoins, densifier les habitations sur les hauteurs de la Presqu’île n’est pas sans impact : augmentation de l’imperméabilisation des sols, risques de pollutions et d’inondations des marais par le bassin-versant. C’est ici que l’architecte a un rôle déterminant à jouer pour compenser l’idée du rivage tout en concevant des projets adaptés à la géographie des lieux. Mais avant que le deuxième scénario se concrétise, il faudra du temps et des moyens. Dans cette intervalle temporelle qu’il nous reste il est impératif de faire prendre conscience aux populations littorales de l’évolution du trait de côte et de la mobilité du niveau marin. Les domaines de l’architecture et du paysage peuvent y contribuer énormément en proposant ensemble, des projets qui permettent de reconsidérer la frontière entre l’eau et la terre. Cet éveil des consciences pourrait se concrétiser en redessinant les interfaces avec la mer – berges, quais et remblais –, de façon à ne pas canaliser l’eau, mais plutôt à l’accueillir d’une manière douce : élargissement puis végétalisation des contours afin de l’absorber, création de paliers de promenade qui se retrouve plus ou moins submerger en fonction des marées, etc. Dans certains pays, des nouvelles approches pour entrevoir l’équipement et la gestion du littoral sont encouragées depuis plusieurs années. Aux Pays-Bas par exemple – où un tiers de la superfi-

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L’aléa climatique, nouveau vecteur de développement urbain & architectural

cie est sous le niveau de la mer – ce tournant s’est opéré dès le début dès la fin des années 1980, lorsqu’il ont imaginé des barrages amovibles permettant de conserver le cycle des marées ; une technique qui consiste de vivre avec l’eau et les aléas-météo-marins plutôt que de lutter contre eux. Dans son article sur l’équipement et la gestion du littoral aux Pays-Bas, Sevane Gueben-Venière nous rappelle que ce tournant a permis « un renouvellement de la réflexion et une attention portée à la place de l’eau dans la vie des Néerlandais ainsi qu’au caractère complexe et dynamique du littoral.»1. À l’instar du pays précité, on peut imaginer que le futur aménagement littoral se tourne vers une architecture flottante et amphibienne ; plus « techniciste », certes, mais qui ne répondrait pas de manière « offensive » aux assauts marins. Dans un contexte d’accroissement de population sur le littoral, la flottaison des habitats pourrait peut-être offrir une solution soutenable et adaptée à un milieu mouvant. C’est en tout cas la nouvelle réponse technologique des néerlandais. Serait-ce une nouvelle manière de reconsidérer les risques liés aux littoraux ? Peutêtre, mais cette nouvelle façon de vivre entraîne une série de nouvelles problématiques : le rapport au foncier – qui historiquement est lié à la terre –, l’accroissement des inégalités de l’habitat littoral lié aux coûts engendrés par ces nouvelles techniques, etc. 1 // Article scientifique de Servane Gueben-Venière, De l’équipement à la gestion du littoral, ou comment vivre avec les aléas météo-marins aux Pays-Bas ?, Publié le 15/12/2015., Consulté sur internet : http:// geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/risques-et-societes/articles-scientifiques/littoral-pays-bas 174


La Presqu’île face aux aléas naturels

En somme, l’architecture doit permettre une nouvelle gestion de l’eau, afin que l’espace littoral ne redevienne pas à nouveau le symbole d’une menace mais plutôt un élément permettant de maintenir une attractivité et d’améliorer le bien-être pour des générations futures. L’enjeu actuel serait donc de créer des aménagements qui donnent l’envie d’habiter sur un territoire soumis aux risques de submersions, tout en accueillant progressivement l’eau au sein de notre territoire. Les imprévisibilités et les contraintes liées aux changements climatiques doivent ainsi être abordées de façon positive, et présentées comme une véritable opportunité de réflexion à long terme (Servane Gueben-Venière, 2015).

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« L’homme a toujours habité le

beau, alors offrons-le-lui. Bien sûr tout le monde ne peut pas habiter face à la mer – cette chimère a d’ailleurs encombré, dévitalisé nos côtes –, mais on ne peut pas non plus se contenter d’envoyer les nouveaux arrivants en arrière-pays, sur des lieux sans intérêt. Ce qu’il faut, c’est compenser l’idée de la mer. » ( Michel Corajoud)




CONCLUSION


Après avoir exploré, bien que sommairement, le thème de l’aménagement littoral dans une prospective d’adaptation de l’habitat au vu des aléas-climatiques, nous pouvons constater une volonté constante de l’homme pour s’adapter à un territoire en mouvement. L’étude de la Presqu’île guérandaise aura permis d’exposer les différents tournants d’aménagements du territoire. Chacune de ses phases de développements nous renseignent sur l’impact que la mer a pu avoir sur l’architecture et les sociétés. Ce paysage maritime, qui ondule et qui s’anime au gré des vents, a tout d’abord été maîtrisé par la fixation de ses cordons dunaires sous Napoléon, durant le XVIIIe siècle afin de préserver les marais-salants de la submersion et de la sédimentation. Durant cette période, la Presqu’île était un paysage pastoral et marin faiblement peuplé et à l’écart des villes. Mais l’essor des sciences et techniques à la fin du siècle précité permit de faciliter l’accessibilité à ce littoral guérandais par une mise en réseau du territoire. Les citadins bourgeois de l’époque se sont alors réfugiés sur les côtes pour soigner leur rhumatisme en se lavant d’iode. Progressivement, ces derniers se sont appropriés les rivages, tant par leurs modes de vies que par leurs références architecturales ; c’est ainsi que certaines portions du littoral se sont étonnamment transformées en pastiche de l’architecture Haussmannienne. Avec la révolution technique d’après-guerre et l’avènement du tourisme de masse, il s’y invente de nouvelles formes de loisirs et d’appropriation territoriale. Le rivage se densifie et la grève s’urbanise ; « La bôle » de sable, devient la station balnéaire de « La

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Conclusion

Baule ». Mais les qualités de ces aménagements territoriales ont progressivement entraîné une dénaturalisation de l’espace littoral, au point d’avoir perdu l’essence même de ce qui pouvait attirer les hommes vers l’océan : une nature préservée et sauvage qui rompt avec les villes polluées et surpeuplées. Or à l’aube dès années 1970, une partie de la société prend conscience de cette dénaturalisation, et s’oppose fermement à la politique de désenclavement et d’urbanisation du territoire. C’est ainsi que les marais-salants sont devenus le théâtre d’une lutte idéologique et identitaire. En se joignant aux hommes des marais, des acteurs impliqués par le devenir de leur littoral ont montré que l’avenir des salines guérandaises n’était pas condamné à la muséification sur une faible portion du site. Bien au contraire, par leurs actions, ils ont permis de prévenir la dépossession du territoire, tout en pérennisant une culture salicole en déclin. Et surtout, ils ont démontré qu’il était possible d’interagir, et d’aménager l’espace littoral, tout en évitant l’érosion de la biodiversité. Prenant acte de l’évolution de l’opinion public, le pouvoir étatique a ainsi annulé le projet de désenclavement initial, et a progressivement reconnu cet espace salicole en tant que patrimoine culturel et naturel. De surcroît, ces actions résultantes de concertations collectives d’acteurs divers – État, collectivités, paludiers, artistes, écologistes, militants bretons, etc. – reflètent une autre manière de prendre des décisions : l’aménagement concerté. Le rapport de force qu’il y a eu dans cette concertation a finalement permis de reconsidérer l’ambivalence

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culturelle et géographique de ce territoire littoral. Ce qui confirme la notion de l’historien Fernand Braudel, lorsqu’il exprime l’idée que l’identité d’un territoire se construit par l’amalgame des choses ; ici, cet amalgame correspond à l’ensemble des territoires, que sont la station balnéaire, les villages de paludiers, les marais-salants et la côte sauvage. Ils forment désormais une nouvelle identité : celle de la Presqu’île. Mais la création de cette nouvelle entité témoigne aussi d’une reconsidération de la nature par l’homme. Sa conception n’est plus restreinte, comme celle qui pouvait être faite par la wilderness – nature sauvage et inhabitée –, mais est plus expansive, et les séries d’oppositions entre naturel et artificiel, nature et culture, sont moins contrastées. Mais cette remise en cause de la nature est également due à la prise de conscience de l’impact des activités humaines sur la planète – l’anthropocène. Ce vocable qui désigne la nouvelle époque géologique en cours efface les distinctions entre « nature » et « société », et rend donc l’Homme responsable des dégâts causés par les aléas-météo-marins. Ainsi, la notion de catastrophisme croit avec la globalisation des phénomènes climatiques. Au cours de cet exercice, nous avons pu appréhender cette évolution dans le dernier chapitre, et nous avons pu comprendre que les épisodes tempétueux d’une même ampleur n’ont plus le même impact sur les sociétés antérieures (à la balnéarisation) que sur les sociétés contemporaines. Désormais, l’inondation du territoire n’est plus le temps de la fête que nous décrivait le philosophe Roland Barthes, mais celui d’une catastrophe

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Conclusion

causée par notre aménagement du territoire. La nouvelle lutte à laquelle doit faire face la péninsule guérandaise correspond donc à un désordre global – changement climatique – associé à des désordres locaux – aménagements du littoral ; car en empiétant sur l’estran et sur les dunes, ces derniers ont figé les zones de transitions qui absorbaient une part des tempêtes. Aujourd’hui, l’intégration des données scientifiques (celle du GIEC notamment) dans les documents d’aménagement du territoire semble être l’ébauche du contrat naturel évoqué par Michel Serres : intégration de la science dans la politique. Aujourd’hui, les sciences et la techniques sont nécessaires pour appréhender les enjeux futurs auxquelles les territoires littoraux sont soumis actuellement. Pour l’incertitude, et également pour développer de nouvelles manières d’habiter le littoral. Mais n’oublions pas l’importance de la mémoire collective. N’oublions pas que les anciens paludiers n’avaient pas besoin de recourir à des sciences élaborées pour construire une architecture harmonieuse, qui s’adaptait à singularité des lieux. Et n’oublions pas qu’une mauvaise maîtrise de la technique peut conduire à un affranchissement au territoire, qui entraîne alors une perte d’identité et l’apparition du catastrophisme. La complexité de l’espace littoral impose donc de concevoir son aménagement dans toute sa complexité, et c’est précisément ce que cette étude nous aura permis de comprendre ; l’architecture en milieu marin doit être le fruit d’un raisonnement multi-scalaire. Autrement dit, l’architecte doit pouvoir appréhender la géographie des lieux

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afin de mesurer son impact sous différentes échelles, et ainsi créer une harmonie dans son rapport au territoire. Nous avons vu au cours de cette exercice que la globalisation du monde peut « absorber » le terroir, la culture et la nature. Mais parfois, elle provoque un sursaut insoupçonné1 qui apparaît sous une seule condition : le rapport de force. En cela, la mer et ses aléas pourraient être le nouveau vecteur d’identité sur le territoire de la presqu’île, mais également, et d’une manière plus générale, sur l’espace littoral. Cette nouvelle opposition, apparaît donc comme une énième « couche » qui formerait le « substrat » de l’identité territoriale. Autrement dit, si une prise de conscience s’opère à l’échelle collective et individuelle, peut-être que le territoire évoqué tout au long de cette étude pourra appréhender sous un autre angle les aléas météo-marins. La génération de nos grands parents a été celle de la ruine puis de la prospérité. Celle de nos parents a été celle du développement des sciences de l’environnement puis de la prise de conscience du risque climatique. La nôtre, sera dans le cas le plus pessimiste celle qui engendrera un nouveau territoire du vide, mais dans un cas plus optimiste, elle sera celle de la création d’un nouveau rapport entre l’Homme et son environnement.

1 // Cf. chapitre III : Une architecture de terre : le coeur , partie 3 : du pays blanc au pays gris ? L’histoire d’une lutte collective. 184


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ICONOGR APHIE


- Fig 01 : Production personnelle, « l’espace littoral ». Coupe schématique. p. 30. - Fig 02 : IGN, Série verte, Bd carto 2002, Corlay, J.-P., Pourinet, L., « Plan de situation ». p. 34. - Fig 03 : Production personnelle, « Étape Géomorphologique ». Schéma axonométrique. p. 37. - Fig 04 & 05 : Production personnelle, « Vagues de Molho Leste, Peniche, PORTUGAL ». Photographie argentique. p. 38. - Fig 06 : Choblet, C. « Mouvements côtiers ». Schéma. p. 43. - Fig 07 : Musée de Batz-sur-Mer. « Paysage dunaire avant la balnéarisation ». Peinture. p. 52. - Fig 08 : Musée de Batz-sur-Mer. « Émergeance des bains de mer, point du Croisic ». Peinture. p. 55. - Fig 09, 10 & 11 : Pinterest. « Publicité pour les chemins de fers d’Orléans ». Illustrations. p. 56. - Fig 12 : Production personnelle. « Villa balnéaire de Ker Say, construite en 1876 ». Croquis. p. 59. - Fig 13 : « Saint-Nazaire sous les bombardements ». Photographie aérienne. p. 60. - Fig 14 : Production personnelle. « Croquis des Immeubles en vagues, Pornichet ». Croquis. p. 65. - Fig 15 : Production personnelle. « Croquis schématique des immeubles qui composent le remblai ». Croquis. p. 65. 198


- Fig 16 : lavielabaule.blogspot « Rechargement en sable, La Baule ». Photographie. p. 68. - Fig 17 : Gaultier, M. « Remblais et plage de La Baule ». Photographie. p. 80. - Fig 18 : Production personnelle « Le Coeur de la Presqu’île ». Croquis. p. 84. - Fig 19 : Alexis de Broca, Collection Musée des marais salants de Batz-sur-Mer « Vieux paludier du Bourg de Batz ». Peinture. p. 88. - Fig 20 : Dréan, A., « Photographie des marais salants ». Photographie aérienne. p. 94. - Fig 21 & 22 : cl. Buron, G., « Première de couverture du journal : Le peuple Breton ». p. 102. - Fig 23 : cl. Buron, G., « Affiche de protestation ». Illustration. p. 102. - Fig 24 : Production personnelle « plan d’une unité d’habitation ». Croquis. p. 114. - Fig 25 : Production personnelle « Axonométrie d’une unité d’habitation ». Croquis. p. 114. - Fig 26 : Production personnelle « Façade d’une unité d’habitation ». Croquis. p. 114. - Fig 27 : Production personnelle « Plan masse ». Croquis. p. 114. - Fig 28 : Production personnelle « Façade d’une rue du village de Kervalet. ». Croquis. p. 114. 199


- Fig 29 : Production personnelle « Village de paludier de Kervalet ». Croquis. p. 118-119. - Fig 30 : Dréan, A. « Photographie des marais salants ». Photographie aérienne. p. 120. - Fig 31 : Dréan, A., « Photographie de la Presqu’île guérandaise ». Photographie aérienne. p. 126-127. - Fig 32 : Production personnelle, « Pêcheur Portuguais sur un épis à Costa da Caparica, PORTUGAL ». Photographie argentique. p. 130. - Fig 33 : Production personnelle, d’après la figure 9 de l’ouvrage : « Les littoraux à l’heure du changement climatique », « Les sociétés et la crise climatique ». Schéma. p. 142. - Fig 34 : Point, V., «tempête ». Photographie. p. 146. - Fig 35 : Production personnelle, d’après une photo de Dréan, A., « Photo aérienne de l’étier du Pouliguen ». Photographie aérienne.». p. 151. - Fig 36 : Production personnelle, d’après une photo de Oriot, M., « Chantier d’implantation des murets anti submersion le long de l’étier du Pouliguen.». Photographie. p. 151.

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- Fig 37, 38 & 39 : Cadastre Napoléon, Extrait cadastral. p. 158. - Fig 40, 41 & 42 : Plan des P.P.R.L., p. 159. - Fig 43 : Plisson, P., « Cabines de plage ». Photographie. p. 166-167. - Fig 44 : « Nouveau restaurants, plage Benoit ». Photographie. p. 166-167.

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REMERCIEMENTS

J’adresse mes remerciements à Christophe Bouriette pour son encadrement et son enthousiasme dans ce mémoire. À Amélie, pour la relecture et les bonnes crêpes. À Juliette, pour la demie relecture. À Hugo, pour sa bonne humeur, et ses conseils qui tombent à point nommé. À Lucas, pour sa belle voix rauque qui donne de l’énergie. À Achille, qui continue de m’impressionner avec ses baguettes. À Mathieu le manageur. À Guillaume, pour ses conseils précis. À Thierry le paludier, qui m’a permis de travailler dans le marais. À mon grand-père, qui ne cesse de me transmettre la passsion des choses. & Aux parents bien évidemment !

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Antoine Masson


MOTS CLÉS Adapt abilité _ A ménagement du ter r itoi re _ Cult u re Érosion _ Géog raphie _ Histoi re _ Identité _ Nat u re Pol it ique _ Sé d i me nt at ion _ Subme r sion


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