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Saison 2 ニ単ISODE 1



Q

uand je présentais pour la première fois les Éphémérales dans mon atelier, il y a trois ans, je m’attardais volontiers sur le deuxième de ces trois totems : celui que j’appelais l’Égyptien parce que son visage est de profil et son corps - fait des branches moribondes d’un vieux prunier - de face.

tation permanente avec la menace de mort m’avait conduite à l’écriture, à la création. L’Égyptien gardien du verger dans lequel s’embrassaient les amants était donc un scribe. Une figure clé : détenteur du langage, le scribe avait supplanté le conteur dans la maîtrise du temps. Comme lui, il serait l’instrument du pouvoir, de tous les pouvoirs.

Finalement, je le laissais de côté pour un an, préférant me consacrer d’abord au couple d’amants enlacés sous un cognassier autour desquels j’imaginais une histoire d’amour sous forme d’errances* .

À l’aube de l’humanité comme aux premiers stades du Moi, le premier épisode de la saison 2 des Éphémérales interroge le langage : ses sources, sa puissance.

C’est en écrivant le dernier chapitre de cette promenade amoureuse que j’ai vraiment compris qui était cet Égyptien. Cette “histoire” d’amour et sa confron-

Finalement, qu’avions-nous fait de nos mots et pourquoi cela ? !

* Le Livre des Errances. Les Éphémérales - saison 1. 64 p. broché. Édition numérotée et signée 1/20, Ed. MaPomme. Mai 2010. Consultable en ligne depuis le blog des Éphémérales. 3



pre scriptum Les ƒph m rales - Saison 2 - ƒpisode 1



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I

ls avaient parcouru les océans, minuscules amibes flottant au gré des courant. Ils avaient rampé, lézards glissant sur le sable humide, proies trop faciles de monstres gigantesques aux carapaces d’écorce.

Je garde en moi la trace des temps océaniques. On me les a ôtés le jour où je suis née : dans la violence du passage, ma tête cognée, mon corps comprimé. Quel cri alors j’ai poussé d’être ainsi arrachée au monde d’où je venais ! Ils avaient caché au cœur des arbres leur immense faiblesse et avaient fouillé, assis sur la branche, les poils pouilleux de leurs semblables. Debouts, ils virent que le jour sortait de terre et explorèrent la vie derrière l’horizon.

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Eux. Dents d’herbivore, griffes de poule et pelage ridicule.Vitesse de croisière : 3 km/h. Femelle habituellement monopare à l’accouchement particulièrement délicat du fait d’une hypertrophie crânienne propre à l’espèce. Évolue en petits groupes. Volontiers hostile à ses congénères lorsque ceux-ci ne font pas partie de sa meute. Chances de survie de l’espèce : infinitésimale.

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Tous, enclins au même destin : festins de charognards, nids puants de milliards de larves, cendres et poussières. Puis, la pluie, le vent, le ruissellement… et ce retour, océanique, à la terre nourricière. Peu à peu effacés dans l’oubli du silence, nous aurions pu ne jamais avoir été. Ils arrêtèrent leur chemin à la dépouille de leur semblable et protégèrent leur propre destin des multitudes grouillantes : ils pleuraient l’absence et allumaient des souvenirs. Adam, Eve, singes et guenons, amants ou amis, deux ou cinq milles libérés sur la sphère, qu’importe ce qu’ils furent : quand ils s’aimèrent, tout changea. Le passé vibra dans les nuits protégées et l’on se demanda si ces morts qui visitaient le sommeil n’étaient pas comme la lune : une présence par bribes, qui parfois vous éclaire. Nos mots étaient-ils nés de ces absences recomposées ?

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Ce n’était ni un cri brutal comme une alerte, ni une chanson nuptiale comme un appel. Ce n’était pas non plus un bruit étouffé de douleur, mais des sons prononcés, articulés. Ils étaient nés de tout cela, ces mots : du cri, du chant, du bruit ; de la perte, du désir, de l’angoisse. Ils étaient nés de cet alter, nés de cet ego : de cet alter ego qui m’affichait à distance, mort ou vif. Avec ces paroles entremêlées comme seul point de jonction, comme seule similitude, comme point de ralliement. Ultime vestige d’Eros.

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Car il y eut un son. Un son pour dire qui et d’autres pour dire quoi ; puis d’autres sons encore, noms propres ou communs, qui vinrent dire d’autres quoi, présentèrent d’autres qui. Comment avions-nous su dénicher ces passages ? La nostalgie, peut-être, des temps océaniques : les mots ouvraient des mondes, nous éloignaient d’ici. Ils disaient tous les possibles et faisaient l’impossible. Autour du totem, le clan écoutait le chaman réveiller les morts pour annoncer les fils. Il disait ce qui était et prévoyait ce qui serait. Poète, le maître des lieux cousait sur le temps les mots dans tous les sens et brodait tout un monde, toute une vie : une Histoire. Le temps lentement s’étira. Dans cet empire de mots, nous étions un empire.

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Les totems se multiplièrent, porteurs du nom du clan, de ses mots, de ses morts, témoins monolithes de son identité. Plantés comme des arbres, choyés pour durer au-delà de nos chairs, ils étaient les ultimes protecteurs de notre humanité. Lors là, autour du totem qui portait le nom des pères et celui des fils, on dicta les règles qui protégeraient le groupe, qui perdureraient l’espèce. La perte, le désir et l’angoisse ; les cris, les chants, les bruits ? Le chaman les avait consignés en faisant les rivières et le soleil renouvelé. Il les avait éclairés en disant pourquoi le jour et pourquoi la nuit. Comment aurions-nous pu ne pas l’écouter ? Il racontait le premier père et la mère première !

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Le ventre tendu, elle retint mal un cri étouffé. L’eau ondoyait jusqu’à ses flancs. Elle sentit la douleur la ceinturer puis décroître. Elle posa ses deux mains sur la tête qui pointait là et tira : entre ses jambes fléchies, dans l’eau tranquille, elle fit glisser ses doigts à elle, caressa son cou à lui, attrappa une épaule, un bras, puis l’autre… comme ça jusqu’aux orteils. Jusqu’à ce qu’il n’y reste rien. Ses mains douces à elle sous ses aisselles à lui, elle l’amena vers elle. Il franchit la ligne de flottaison, hurla quand l’air traversa ses bronches, dilatant ses poumons. Elle le posa sur son sein et prononça, lessivée : «mon petit.». Il avait froid. Elle coupa le cordon : il eut faim.

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Elle rejoignit le clan après l’avoir nourri. Elle retrouva les femmes qui mâchaient près du feu et posa sur les genoux de sa sœur le nouveau-né repu. Elle s’endormit. Il chercha son odeur, tourna les orbites de ses yeux clos et se souvint d’un son : «mon petit». Déjà. il mesurait la distance : Eros et Thanatos en ordre de bataille !

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La mère dormait sous la défense du feu. Elle retrouva, rêveuse, les temps de son enfance et les mères de son clan. Elle s’abritait alors sous un autre totem : elle fut faite captive parce qu’il fallait ici des ventres venus d’ailleurs ; des femmes qui ne furent ni mères, ni filles, ni soeurs. Tant de totems avaient fleuri, plantés par les bannis et les venus d’ailleurs, les fils démiurges et les sorcières oubliées. Tous, comme les autres : voraces, malins comme des singes, marchandant les secrets que les mots dévoilaient. Fratricides, au besoin… voire plus si affinités. «L’Homme est un loup pour l’homme» Tant de totems tombèrent, avec leurs morts, avec leurs mots : les bouches sans souffle ne savaient plus dire. Les oreilles obscurcies ne savaient plus comprendre. Ne demeuraient de tous ces clans défunts que les mots colportés par quelques mères captives ou les paroles sacrées que les chamans cachaient, précieux talismans, pour le jour où, peut-être, on pourrait les entendre. Sait-on jamais ? On a souvent vu l’horizon cacher des au-delà.

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Deux espèces d’hominidés se rencontrèrent. Une seule survécut. Bug génétique ou populations massacrées : plus une bouche, plus une oreille ; les mots effacés, la langue muselée. De la surface terrestre une espèce fut supprimée, annulée. Fichier introuvable. Une humanité toute entière, avec son langage : tout son être. De cette humanité Néandertale ne restent que de vagues stèles et quelques os épars. Et si c’était nous ?

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Un troupeau de bisons parcourait la lande : là, sur la pierre grise que le feu éclairait, l’eau ruisselante avait à peine marqué d’une ligne sombre le flan de l’animal blessé. Il y aurait, ce soir, de quoi dîner pour le clan : on l’avait peint en ocre rouge comme on faisait sur les tombes. Il posa sa main sur la plaque de granit et y inscrivit la marque de ses doigts, la trace de sa poigne. Ici, il avait vécu. L’empreinte était de marbre. Armé de tous les mots, le poète s’unit avec le peintre. Ensemble, ils firent d’un rond une lune, une femme pleine, le jour. Ils croisèrent les lignes, percèrent les cercles, firent l’horizontal et le vertical, entrelacèrent les vides et les pleins… créèrent des blancs pour signer le silence. On écrivit sur les murs On écrivit sur le temps !

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Fin du premier ÂŽpisode Paris, mars 2011 - ed. MaPomme


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En couverture Zobie la mouche (le temps digère).

Structure en fil de fer et papier vernis sur cube bois peint 15cm.Vernis bateau mat. ht : 22cm env.

Les Ïuvres

P. 9

Océaniques (le temps d’aimer).Technique mixte sur

papier torchon. 36x51cm. P. 10

Océaniques (le commencement de la fin). Technique

mixte sur papier torchon. 36x51cm. P. 12

Sein Océan. Collage et encre sur papier torchon.

13x18cm. P. 15

Thanatos. Quadriptyque. Variation autour d’une photo

peinte. Fond : technique mixte sur toile. 60x80cm. P.18

Retour océanique. Superposition sur carton

(cinquième variation sur la même image). 20x26cm. P.19

Nos alters ego. Encre et acrylique sur papier torchon.

36x51cm.

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P.24

Onoma (et le temps s’étira). Collage, acrylique et encre sur

toile. 60x120cm. Page suivante : détail. P.26

Descendances. Collage de photos passe-muraille (toiles de la

saison 1) et technique mixte sur papier torchon. 46X60cm. P.27

Mère première. Collage d’acrylique et encre sur papier

torchon. 18x18cm. P. 31

Leviathan. Collage d’acrylique et encre sur papier torchon.

18x18cm. P. 32

Guerrier. Collage d’acrylique et encre sur papier torchon.

18x18cm. P. 33

Sisyphe. Collage d’acrylique et encre sur papier torchon.

18x18cm. P. 35

Le Dernier des.Technique mixte sur toile. 60x60cm.

P. 37

Le Poète. Collage et technique mixte sur papier torchon.

21x21cm P. 39

Pour que tu demeures. Encre sur photo imprimée sur papier

aquarelle. 18x26cm.

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Diffusée exclusivement en ligne, la première mise en page de Prescriptum que vous venez de découvrir a été réexploitée pour créer un livre d’artiste en exemplaire unique réalisé à la main (couverture ci dessus, quelques pages intérieures ci-contre). Cette seconde version reproduite sur fond de matière noire est disponible en version imprimée sur papier. 42 pages. Brochage spirale métal.


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Anne Queyras-Louail

14 rue du marchĂŠ Popincourt - 75011 PARIS - 06 62 73 81 56 - 09 81 39 37 73 aqlpeintre@gmail.com - http://annequeyras. blog.lemonde.fr


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