un nouveau peintre de la réalité dans l’europe de la fin du xviie siècle
Le Maître de la toile de jeans Galerie Canesso
un nouveau peintre de la réalité dans l’europe de la fin du xviie siècle
Le Maître de la toile de jeans
Nous tenons à remercier chaleureusement ceux et celles qui nous ont aidés : Giulio Alaimo, Roberta Bartoli, Olivier Beaufils, Dominique Canesso, Roberto Contini, Frank Dabell, Francesca del Torre, Martina Fleischer, Arturo Galansino, Sabine Haag, Fabrizio Lemme, Laura Marazzi, Elisabeth Martin, Agostinho Morais, Camilla Mosconi, Loredana Pessa, Paolo Scotto di Castelbianco, Alexandra van Dongen, Nathalie Volle, Christian Witt-Dörring, Luigi Zanzi. Coordination éditoriale : Véronique Damian Traductions : Olivier Beaufils, p. 10-14 Véronique Damian, p. 16-21 Hélène Sueur, p. 22-28 Conception graphique : François Junot. Photogravure et impression : Imprimerie Legovic – septembre 2010
© Galerie Canesso, 2010 ISBN 978-2-9529848-3-6
Ambasciata d’ Italia Parigi
un nouveau peintre de la réalité dans l’europe de la fin du xviie siècle
Le Maître de la toile de jeans Sous la direction de Gerlinde Gruber D’après un projet de Véronique Damian, Francesco Frangi, Gerlinde Gruber et Alessandro Morandotti Exposition sous le haut patronage de l’Ambassade d’Italie à Paris Paris, galerie Canesso, 16 septembre – 6 novembre 2010
Galerie Canesso
Sommaire
7
Le mystère du Maître de la toile de jeans
maurizio canesso
9
La passion du jeans
franois girbaud
10
Un maître anonyme, dit le Maître de la toile de jeans, un peintre de la réalité en Lombardie
gerlinde gruber
16
Le Maître de la toile de jeans : un nouveau peintre de la réalité
22
francesco frangi et alessandro morandotti
Le Maître de la toile de jeans et la séduction du bleu
marzia cataldi gallo
Catalogue
30 32 34 36 52 54
Michael Sweerts (cat. 1) Eberhard Keilhau (cat. 2) Evaristo Baschenis (cat. 3) Le Maître de la toile de jeans (cat. 4-12) Giacomo Francesco Cipper (cat. 13) Giacomo Ceruti (cat. 14-15)
58
Bibliographie
Le mystère du Maître de la toile de jeans maurizio canesso Mon histoire avec le Maître de la toile de jeans commence en 2004, lorsque j’achète en vente publique à New York un premier tableau de cet artiste, Le Barbier. Présenté comme école napolitaine dans le catalogue, il était auparavant propriété de Wildenstein où il passait pour être une école lorraine. Bien plus tard, alors que nous cherchions à en découvrir la main, Alessandro Morandotti nous signalait une copie de ce tableau, au musée Baroffio du Sacro Monte de Varese qui, ironie du sort, était aussi ma ville de naissance. De là, l’enquête véritable commence ! En 2006 paraît l’article de Gerlinde Gruber dans Nuovi Studi, où tout le corpus de cette main est réuni sous le nom de commodité du Maître de la toile de jeans. Cet article pique ma curiosité et me donne envie de comprendre, d’approfondir le peu que nous savons sur cet artiste. J’achète par la suite La Femme cousant avec deux enfants (dont une autre version se trouve à la Fondazione Cariplo de Milan), puis les deux œuvres de la collection Koelliker qui se sont trouvés disponibles. À partir de ces quatre aquisitions, l’idée d’une exposition sur cet artiste m’est apparue intéressante et, en suivant cette idée, de réunir tous les tableaux connus. Les deux œuvres publiés par Eeckhout en 1960 comme étant dans une collection à Imperia (Gênes) sans plus de précision, restaient à retrouver. Je me mets sur la piste et j’arrive à un bed and breakfeast à Imperia où, en effet, ces tableaux parmi d’autres, décorent les murs. Fort de cette trouvaille, j’aurais souhaité retrouver le tableau ex-collection Cucchi, mais là, nos efforts sont restés vains. En six ans, nous avons acquis tout le corpus disponible, connu à ce jour. De ces compositions ainsi réunis se dégagent une force d’expression et un mystère, renforcé par l’existence de répliques. Le seul lien entre toutes ces scènes se trouve dans la description du « blue jeans », ce tissu universel qui est encore aujourd’hui sans doute le plus utilisé dans le monde. J’aimerais exprimer ma gratitude à son excellence l’Ambassadeur d’Italie, Giovanni Caracciolo di Vietri, pour avoir contribué au succès de ce projet.
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La passion du jeans franois girbaud Je n’ai jamais accepté l’histoire du jean qui serait né à Gênes pour les Italiens et à Nîmes pour les Français. J’ai contribué à laisser planer un doute pendant quarante ans sur ses origines, sachant bien que cette toile était née dans les filatures d’Amoskeag dans le New Hampshire en 1831. C’est une très belle légende qui m’a toujours fasciné et qu’importe les querelles d’experts. J’ai consacré toute ma vie à la recherche pour domestiquer cette molécule qui s’oxyde en sortant de son bain d’indigo. La découverte de ce Maître anonyme, actif en Italie du Nord, et ses œuvres bousculent désormais toute notre vie de recherches. Nous n’aurions pas inventé le Stonewash et des teinturiers auraient connu ce secret déjà au xviie siècle ? Les cathares pourchassés possédant la science de transformer les matériaux en or auraient passé la frontière pour arriver à Chiesa sous Philippe le Bel ? Tout ceci expliquerait sans doute le secret de la « tela Genova » (Gênes qui serait donc devenue « jean ») et sur la route de ces « impurs » peut-être au xve siècle la trace de la toile de Nîmes (« denim »). Le jean est entré dans l’œuvre du peintre et aujourd’hui par la technologie Wattwash™ l’œuvre est gravée dans la toile de jean. Cette technologie répond aux préoccupations de notre temps, à la prise de conscience de la consommation d’eau démesurée faite par l’industrie du jean. 97,5 % d’eau est économisé avec ce procédé. L’énergie de la lumière grave la matière, la délave, et offre une myriade de possibilités jusqu’à la reproduction de techniques de tissage issues du tailleur. La découverte des œuvres du Maître de la toile de jeans va remettre en cause l’histoire même du denim, sujet qui ne fait pas l’unanimité chez tous les professionnels et les historiens. J’ai été séduit par la présence de cette matière dans la toile et l’idée de la graver au laser dans un denim du xxie siècle s’est imposée. Quatre siècles nous séparent mais aujourd’hui nous sommes reliés par la matière. Merci à Maurizio Canesso qui a eu l’idée de nous rassembler dans cette très belle exposition. L’art se trouve au service de la technologie et la technologie est sublimée par l’art.
Un maître anonyme, dit le Maître de la toile de jeans, un peintre de la réalité en Lombardie gerlinde gruber
Parfois, l’étude comparée de tableaux permet d’identifier le style d’un auteur jusqu’alors inconnu, sans qu’aucun document ne nous renseigne sur son identité. Dans un but pratique, il est alors fréquent d’avoir recours à un élément caractéristique de son style pour le nommer. Les lignes qui suivent sont consacrées à l’un de ces peintres anonymes pour lequel nous avons proposé en 2004 le nom, quelque peu anachronique au premier abord, mais à la fois utile et marquant, de Maître de la toile de jeans1 : une constante de l’ensemble de ses tableaux étant la représentation d’un tissu de couleur bleue aux fils de chaîne blancs, où l’on reconnaît la structure de la toile de Gênes. Dans l’Italie du xviie siècle, ce type de tissu, produit à Gênes, Milan et Piacenza, était utilisé dans la confection de vêtements destinés aux couches sociales les plus modestes. En raison de sa qualité et de son prix peu élevé, il fut par la suite facilement exporté hors d’Italie et nommé plus tard « jeans2 ». Le tableau découvert par Alessandro Morandotti, et qui a inspiré le nom de Maître de la toile de jeans, Femme mendiant avec deux enfants (Paris, galerie Canesso ; cat. 9), a été présenté pour la première fois en 1998 comme exemple d’une peinture de genre lombardo-vénitienne3 dans le cadre de l’exposition « Da Caravaggio a Ceruti. La pittura di genere e l’immagine dei pitocchi nella pittura italiana4 ». . Gruber, dans Frangi – Morandotti, 2004, p. 156-161 ; Gruber, 2006, p. 159-170. . Les livres de comptes d’un tailleur anglais mentionnent en 1614 des tissus (Fustagni) de « Milan » et « Geanes ». Cf. Cataldi Gallo, 2005, p. 15-25. . La plupart des représentants de la peinture de genre lombarde étant aussi actifs en Vénétie, nous préférons renoncer, en l’absence de données précises concernant le Maître de la toile de jeans, à différencier les deux cultures. Seul dans le cas de Giacomo Ceruti, il est possible de distinguer
Dans cette tradition, notre peintre représente en effet une des voies menant à l’apogée du style réaliste lombard incarné par Giacomo Ceruti5. Ce tableau, Femme mendiant avec deux enfants (cat. 9), représente une mendiante appuyée sur une béquille et tendant sa sébile vers le spectateur avec un air empreint de reproche. Sur les parties les plus abîmées de son vêtement, on reconnaît la structure de la toile de Gênes. Les deux enfants qui l’entourent sont vêtus comme elle de haillons ; à gauche, une jeune fille, à droite, un jeune homme tenant une coupelle à la main. Au premier plan, un pot rempli de braises et une cruche de terre, posés à la limite inférieure du tableau sur un sol incliné, complètent le répertoire des objets représentés. Les visages de la mère et de la jeune fille, mieux éclairés que celui du jeune homme, émergent devant un fond plus sombre. Toutes deux semblent exprimer la pleine conscience de leur sort dans le regard qu’elles adressent au spectateur. Cette œuvre est à l’origine du regroupement d’un ensemble de tableaux sous le nom du Maître de la toile de jeans. Le jeune homme, qui est ici dans l’ombre de la mendiante, apparaît dans une autre œuvre du même auteur : Petit mendiant avec une part de tourte (auparavant Brescia, collection particulière, actuellement Paris, galerie Canesso ; cat. 4). Vêtu d’une veste déchirée, il est dépeint devant une colonne, tenant un morceau de tourte dans la main gauche et se couvrant l’épaule du même côté en passant la main droite sous sa veste. On trouve dans la photothèque de R. Longhi une reproduction de ce même tableau, classée parmi les œuvres de Sweerts. Ce choix indique la culture dans laquelle le Maître de la toile de jeans trouve naturellement sa place et où, comme le fait remarquer F. Frangi, Sweerts représente un « notevolissimo contrappunto [...] della pittura
les périodes lombarde et vénitienne de son activité. . Gruber, dans cat. exp. Brescia, 1998-1999, p. 425, no 90.
. Au sujet de la notion italienne de réalisme, cf. cat. exp. Milan, 1953.
pauperistica6 ». Notre peintre appartient à un mouvement traversant, à cette époque, toute l’Europe : la « peinture de la réalité » – dont le nom, comme le rappelle F. Frangi, fut d’abord associé aux frères Le Nain7. C’est notamment à ceux-ci que les tableaux d’attribution incertaine ont été le plus souvent comparés8. Ces deux œuvres, la Femme men diant avec deux enfants et le Petit mendiant avec une part de tourte, sont caractérisées par une représentation pleine d’intensité de la pauvreté, qui est le propre de la peinture de la réalité. La composition du Petit mendiant avec une part de tourte laisse entrevoir une possible influence d’un peintre nordique, lui aussi actif à Venise et en Lombardie entre 1651 et 1655, avant de se rendre à Rome : Eberhard Keilhau, dit Monsù Bernardo (Elsingør, 1624 – Rome, 1687). Dans son œuvre, la représentation d’enfants est un thème récurrent, comme dans le Garçon avec un vase de roses9, de composition semblable et dont l’existence est attestée en 1721 dans la collection lombarde de Giovanni Antonio Parravicino. De même, l’œuvre du peintre originaire de Bergame Everisto Baschenis (1617-1677), Jeune garçon avec une corbeille de pain et de pâtisseries (Milan, collection Mario Scaglia ; cat. 3), nous montre un jeune garçon à l’expression tout à fait comparable à celle du Petit mendiant avec une part de tourte. Son vêtement au col montant, fermé au moyen d’une série d’œillets en passementerie, permet d’imaginer ce qu’a pu être la veste (casacca) du jeune homme pris comme modèle par le Maître de la toile de jeans. La représentation de ce vêtement rappelle le style d’un autre artiste, présent dans les collections lombardes et au sujet duquel on sait encore peu de choses, Sebastianone. Les coups de
pinceaux rapides, propres à rendre l’état d’usure du tissu plus que le tissu lui-même, évoquent ceux de son Philosophe pleurant (Héraclite ?)10 (Grenoble, musée des Beaux-Arts). La façon dont le Petit Mendiant avec une part de tourte se tient l’épaule fait écho au jeune homme blessé d’un tableau attribué à Ceruti en 1949 par G. Delogu11 : Femme âgée avec un jeune garçon (autrefois Novara, collection Cucchi ; fig. 1). On y voit une femme assise à même le sol, tenant à la main une assiette de faïence et nourrissant un enfant – ou se nourrissant elle-même – à l’aide d’une cuillère. Son pied droit est bandé. L’enfant, blessé à la tête, porte lui aussi un bandage. Son visage est sale et laisse paraître un sentiment de fatigue. Avec un clair-obscur marqué qui lui est habituel, le Maître de la toile de jeans semble s’être ici plus particulièrement appliqué à la représentation plastique des tissus qu’à celle de leur usure : sur la manche de la femme sont dessinés de larges plis dont le rendu, autant qu’il soit possible de s’en rendre compte à partir d’une simple photo graphie, diffère de celui de ses autres tableaux. Pour cette raison, on peut certainement le dater d’une période différente, même si dans l’expression triste et mélancolique du visage de l’enfant on retrouve très nettement celle de la Femme mendiant avec deux enfants. La vieille femme représentée ici a probablement servi de modèle à celle, différemment vêtue et regardant elle aussi vers le spectateur, du Repas frugal avec deux enfants (cat. 10). Bien que le tableau ait un peu souffert, on y reconnaît une œuvre du Maître de la toile de jeans : le col du vêtement de la femme et la serviette de la jeune fille utilisent la même simplification des plis utilisée notamment . Gruber, dans cat. exp. Brescia, 1998-1999, p. 217, 424, no 88.
. Frangi, 1998, p. 54.
. Lieu actuel de conservation inconnu, huile sur toile, 100 × 121 cm ;
. Champfleury, 1862, cité dans Frangi, 1998, p. 60, note 43.
cf. Delogu, 1949, p. 108-114, fig. 1. Il existe une copie de cette
. Cf. l’article de Frangi et Morandotti dans le présent catalogue.
composition, donnée à Ceruti, à la Pinacoteca de Sassari (Sardaigne).
. Heimbürger, 1988, p. 184, n 65.
Nous remercions Alberto Crispo de nous l’avoir signalée.
o
Fig. 1 – Maître de la toile de jeans, Femme âgée avec un jeune garçon, autrefois Novara, collection Cucchi.
Fig. 2 – Anonyme, La Famille espagnole, Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada.
pour le foulard porté par la jeune fille de la Femme men diant avec deux enfants. À ce jour, deux versions d’une autre scène de repas nous sont connues : Le Repas frugal, du Museum Voor Schone Kunsten de Gand (cat. 6), et une autre version du même tableau, de la galerie Canesso à Paris (cat. 5). Le tableau de Gand, déjà mis en relation avec le Repas frugal avec deux enfants par A. G. De Marchi et F. Cappelletti12, possède lui aussi les différentes caractéristiques du style du Maître de la toile de jeans : outre la représentation de la toile de Gênes, et de façon plus générale de tissus usés, une perspective légèrement plongeante sur la scène, le positionnement d’objets vers la limite inférieure du tableau et une dominante de couleur brune. Là aussi, une femme regarde avec sérieux en direction du spectateur. Elle tient un pain dans lequel elle vient de mordre et saisit une assiette de l’autre main. En face d’elle est assis un vieillard en train de nourrir un jeune enfant. Bien qu’il porte un manteau largement reprisé, le col qui en dépasse et son bonnet sont faits d’un tissu blanc, propre et en une seule pièce, comme celui du col de l’enfant qui souffle sur une cuillère de soupe de riz pour la refroidir. Sur la nappe, déchirée en plusieurs endroits, sont posés un plat de soupe de riz et une assiette d’oiseaux, composants habituels, à cette époque, d’un repas frugal du nord de l’Italie. Il s’agit d’une famille de la classe moyenne, peut-être d’artisans. Dans un article paru en 1960, P. Eeckhout suggère une possible influence de Vélasquez sur cette œuvre, estimant toutefois que son auteur a dû travailler dans le nord de l’Italie13. Le thème de ce tableau, représentant des gens de condition modeste, attablés, peut en effet rappeler les Bode gones de Vélasquez14, mais il ne doit s’agir dans ce cas que d’un simple parallèle et non pas d’une influence directe.
À la même époque, P. Eeckhout a aussi porté à notre connaissance une deuxième version de ce tableau, appartenant à une collection particulière d’Imperia, près de Gênes, et actuellement à la galerie Canesso à Paris (cat. 5). Cette provenance est pour lui une nouvelle preuve de la culture italienne de son auteur. Même s’il juge la version d’Imperia plus faible que celle du tableau de Gand, sa restauration montre une œuvre de qualité tout à fait égale. La scène y est représentée sous un angle plus rapproché ; en plus des éléments déjà cités, on remarque sur la table quelques pièces (?) et une assiette d’oiseaux plus garnie. La déchirure de la nappe, au premier plan, est aussi disposée différemment. À ces quelques détails près, les deux œuvres manifestent de grandes similitudes. Sur le tableau de Paris, la précision tout à fait remarquable avec laquelle l’œil de la femme est réalisé, le globe oculaire légèrement humide, montre un sens de l’observation anatomique qui pourrait indiquer une origine nordique pour notre peintre. Dans le même article, P. Eeckhout attribue une œuvre supplémentaire à l’auteur de ces tableaux : La Famille espa gnole15 (Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada ; fig. 2), qui fut un temps considérée comme l’œuvre d’un peintre espagnol16 et ne peut, à notre avis, être attribuée au Maître de la toile de jeans. On y voit une femme plutôt âgée, un homme et une jeune fille attablés devant un plat de soupe de riz, une miche de pain, de l’ail et une assiette au contenu difficile à identifier. La femme saisit l’homme au menton, pendant que celui-ci l’enlace. La jeune fille, amusée de cette scène, se tourne vers le spectateur en désignant le « couple dissemblable17 » de l’index. Il est peu probable que cette œuvre ait été réalisée par le Maître de la toile de jeans. Si l’on observe attentivement la main de la femme, on remarque une structure des veines et des ligaments peu naturelle, voire illogique en comparaison du tableau de Gand, où elle est réalisée de façon plus sûre et réaliste, au moyen de couches plus minces de couleur. Le ton général de la scène y est différent. En comparaison, l’expression des personnages du tableau d’Ottawa, où prédomine l’intention de donner à cette scène un sens moral, paraît caricaturale. Aucun de ceux-ci n’adresse au spectateur un regard sérieux ou mélancolique, comme c’est habituellement le cas dans les œuvres du Maître de la toile de jeans. La collection d’Imperia possédait un pendant au Repas frugal, classé comme copie par P. Eeckhout18 et qu’il est possible, malgré un impact visuel différent, d’attribuer au Maître de la toile de jeans, la Fileuse avec deux enfants (cat. 11). Avec une certaine efficacité dans la composition, le peintre y représente au centre de la scène une vieille femme tenant une quenouille. Elle est aveugle d’un œil et se tourne vers le spectateur avec un air de mauvaise humeur. . Huile sur toile, 88,5 × 92 cm, Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada ; inv. 3452 (peintre italien). . Haraszti-Takács, 1983, p. 214-215, no 195 (peintre espagnol [?],
. Cappelletti, 1998, p. 302-303, fig. 9, p. 305, note 67.
probablement de Séville).
. Eeckhout, 1960, p. 373-377.
. Renger, 2006, p. 131-146.
. Sur la peinture de genre espagnole, cf. Wind, 1987 ; Haraszti-Takács, 1983.
. Eeckhout, 1960, vol. I, p. 377, vol. II, fig. 167 a.
Son vêtement déchiré forme un contraste avec celui, mieux conservé, du jeune homme debout près d’elle et tenant d’une main un bâton et de l’autre un récipient. Lui aussi regarde vers le spectateur. Un autre enfant, dans l’ombre de la femme et difficile pour cette raison à bien distinguer, semble affairé à ajuster sa chemise. Pour la première fois ne s’y trouve aucun tissu en toile de Gênes (la couleur du vêtement de la femme a pu s’altérer. Il est possible qu’à l’origine, ce soit bien ce tissu qui ait été représenté). Les teintes différenciées de gris, réparties sur la robe et le haut du chemisier de la femme, sont caractéristiques du style du Maître de la toile de jeans. Malgré le sérieux du sujet, la combinaison du jaune d’ocre de la veste de l’enfant avec le rouge de son pantalon donne à l’ensemble une impression plutôt colorée que l’on retrouve rarement dans ses autres œuvres, où dominent des tons plus froids de brun, relevés par du bleu et un peu de rouge. Cet usage des couleurs est d’autre part l’indice d’une origine lombarde et permet un rapprochement avec l’œuvre de jeunesse de Giacomo Francesco Cipper, dit il Todeschini (Feldkirch, 1664 – Milan, 1736), avec qui notre peintre partage plusieurs éléments stylistiques, comme l’absence de perspective centrale, produisant un fond légèrement incliné. Tous les deux utilisent volontiers un clair-obscur marqué. Que l’on pense par exemple à la monumentale Scène de marché, datant probablement des années 169019, ou de celle datée de 1703 de l’ancienne collection Geri (fig. 3). De même, cette scène du Barbier (cat. 12), attribuée par F. Frangi20 au Maître de la toile de jeans et dont les couleurs rappellent aussi le style de Cipper. Devant un barbier,
occupé à son travail, est assis un homme dont le haut du corps est couvert d’une serviette usée. Il regarde en direction du spectateur, tout comme le jeune apprenti secondant le barbier en tenant près de lui un plat de faïence. Sur les tissus les plus clairs, on remarque de nouveau l’utilisation d’un dégradé de teintes grises habilement réalisé. L’ensemble des œuvres connues à ce jour du Maître de la toile de jeans peut être complété par un autre tableau, attribué lui aussi à notre peintre par F. Frangi21 et dont il existe deux versions (l’une à Milan et l’autre, anciennement à Madrid, est actuellement à la galerie Canesso à Paris) : Femme cousant avec deux enfants (cat. 7 et 8). Les deux versions représentent une même scène d’intérieur : une femme, en train de coudre, est assise à même le sol devant un lit d’enfant en bois sculpté, dans lequel dort un nourrisson enveloppé de langes. Derrière le lit, un jeune enfant rappelant quelque peu le Petit mendiant avec une part de tourte se tient la tête d’un air gêné. Dans la version de Paris, il porte une sorte de bonnet sur lequel est fixée une plume. De nouveau, les personnages se détachent nettement devant un fond sombre et indifférencié – l’espace intérieur de la pièce restant invisible. Sa profondeur n’est rendue que par le positionnement l’un après l’autre de la nature morte et du lit derrière lequel est assis le jeune homme. Sur l’ouvrage de la femme, le traitement simplifié du contraste entre les ombres et les parties les plus claires du tissu peut évoquer l’œuvre d’Antonio Cifrondi (Clusone, 1656 – Brescia, 1730), comme en témoignent son Saint Pierre de Bergame, peint en 170122, ou encore La Filandière de Brescia23 (fig. 4). Dans l’œuvre de jeunesse de Cifrondi, où il reste encore des questions
. Gruber dans cat. exp. Brescia, 1998-1999, p. 427, no 94.
. Frangi, 2000, p. 1145-1162.
. L’attribution de ce tableau au Maître de la toile de jeans par F. Frangi
. Chiesa di S. Spirito. Cf. P. Dal Poggetto, 1982, p. 422, 474, no 34.
est reprise dans Damian, 2006, p. 56-59.
. Pinacoteca Tosio Martinengo. Cf. Dal Poggetto, 1982, p. 455, 485, no 79.
Fig. 3 – Giacomo Francesco Cipper, dit il Todeschini, Scène de marché, autrefois Milan, collection Geri. Fig. 4 – Antonio Cifrondi, La Filandière, Brescia, pinacoteca Tosio Martinengo.
Fig. 5 – Carlo Donelli, dit il Vimercati, Portrait d’un jeune homme avec un chien, Milan, collection Koelliker.
à résoudre, l’analogie entre les deux peintres s’étend aux types humains représentés24. Ayant, selon certaines sources, séjourné en France, il est parfois considéré avec Pietro Bellotti – dont la présence en France est elle aussi présumée25 –, comme un « lien manquant » entre le style réaliste français du xviie siècle et la peinture lombardo-vénitienne. Ceci pourrait notamment expliquer le fait que le Maître de la toile de jeans ait souvent été considéré comme un peintre français. Suivant en cela l’opinion de Zeri, la Femme cou sant avec deux enfants a été publiée originellement comme une œuvre française26. On y observe pourtant une spécificité technique commune au Petit mendiant avec une part de tourte, de culture lombarde : l’accentuation du contour des yeux par un trait de couleur claire sur un premier fond plus sombre. Cette même technique se retrouve dans les portraits du peintre milanais Carlo Donelli, dit il Vimercati (1661-1715), comme le Portrait d’un jeune homme avec un chien27 (Milan, collection Koelliker ; fig. 5). En l’absence de données biographiques concernant le Maître de la toile de jeans, il est difficile d’établir une chrono logie précise de ses œuvres. Seule l’évolution de son style peut nous permettre d’en poser quelques jalons. Ainsi, la tendance à une simplification des plis, au moyen de coups de pinceau légers esquissant des surfaces décoratives, s’accentue au cours de son évolution. La réalisation encore volumineuse des tissus de la Femme âgée avec un jeune garçon (fig. 1) – où cette tendance ne se manifeste que par endroits seulement – serait donc plutôt la marque d’une œuvre de jeunesse. Au nombre de ses œuvres plus tardives, on peut compter les deux versions du Repas frugal, la Femme cou sant avec deux enfants et la scène du Barbier où cette simplification s’accentue plus nettement. De même, la carnation de ses personnages subit une évolution remarquable : que l’on compare de ce point de vue le visage du Petit mendiant avec une part de tourte, finement réalisé, ou encore celui du jeune enfant de la Femme âgée avec un jeune garçon, avec la relative sécheresse de la carnation des personnages du Barbier. Ce dernier tableau marque peut-être l’aboutissement d’une évolution commencée avec le Petit mendiant avec une part de tourte. Dans le choix de ses thèmes comme dans le réalisme de leur représentation, le Maître de la toile de jeans fait preuve
d’une vraie originalité : son Barbier ne figure pas plus la scène classique de l’arracheur de dents, thème connu et aimé depuis Lucas van Leyden, que l’opération d’un patient, elle aussi souvent illustrée au xviie siècle. Le barbier est ici véritablement affairé à son travail. La Femme âgée avec un jeune garçon (fig. 1), le Repas frugal avec deux enfants ou encore la Femme cousant avec deux enfants, illustrent également autant de thèmes iconographiques nouveaux. C’est un domaine où il fait preuve à la fois d’innovation et d’un sens de l’observation remarquable pour les situations, les personnages et les vêtements28. Attaché à la représentation de personnes d’origine modeste, pleinement conscientes de leur condition et occupées aux travaux les plus quotidiens, il peut être vu comme un précurseur important de Ceruti. L’appartenance de ses œuvres au genre de la peinture de la réalité ne fait aujourd’hui aucun doute. Par ailleurs, les points communs que l’on a pu observer à plusieurs reprises avec d’autres œuvres de culture lombardo-vénitienne permettent de supposer un séjour de notre peintre en Lombardie, probablement à Milan. Au cours du xviie siècle, la représentation de gens pauvres est devenue un genre de plus en plus complexe, où l’intention de l’auteur est parfois difficile à interpréter : la frontière entre le mendiant voleur, digne de mépris, et celui invitant le bourgeois à un acte de générosité tend à s’estomper29. La Femme mendiant avec deux enfants est la seule œuvre du Maître de la toile de jeans portant la marque de cette ambivalence de caractère. Une restauration récente de ce tableau a permis de mettre à jour un pain, dépassant du tablier de la jeune fille et pouvant contredire le geste de mendicité de la femme et du jeune enfant. Une interprétation négative de ce tableau s’opposerait toutefois à l’habituelle neutralité avec laquelle notre peintre représente ailleurs des personnages de même condition. D’autre part, en l’absence de toute information concernant les commanditaires ou les collectionneurs de ces œuvres, il est difficile d’apporter à ce sujet un jugement précis. En nous limitant donc à la seule étude de ces tableaux aux nombreuses similitudes de style avec d’autres peintures lombardes des années 1700, on peut au moins avancer cette hypothèse que l’œuvre de notre peintre anonyme représente une étape importante de la peinture de la réalité en Lombardie.
. Que l’on compare le visage de la Femme mendiant avec deux enfants avec celui d’un Homme du peuple avec un béret (Lovere, Accademia Tadini) de Cifrondi, datant des années 1780 (Dal Pogetto, 1982, p. 402, 502, no 137). Tous les deux ont le nez retroussé avec un reflet au bout de l’arête. Dans l’œuvre de Cifrondi, le foulard porté par le paysan est réalisé avec la même simplification que les cols et plis de vêtements peints par le Maître de la toile de jeans. . Dans sa biographie de Cifrondi parue en 1793, Tassi évoque un séjour du peintre dans ses jeunes années à Grenoble et Paris ; cf. Dal Poggetto, 1982, p. 359-360. Bellotti aurait aussi séjourné en France dans les années 1660 ; cf. Anelli, 1996, p. 80-81 ; Frangi, 1998-1999, p. 54, 60. . Colace, dans Gatti-Perer, 1998, p. 226-229, no 107.
. Cf. l’article de Marzia Cataldi Gallo dans le présent catalogue.
. Frangi – Morandotti, 2004, p. 168-171.
. Nichols, 2007, p. 230-244.
Le Maître de la toile de jeans : un nouveau peintre de la réalité francesco frangi et alessandro morandotti
Reparcourir brièvement les vicissitudes de quelques-uns des tableaux présentés dans cette exposition consacrée à un artiste dont l’état civil nous échappe encore est extrêmement instructif. Les « erreurs » faites par les historiens du passé, qui connaissaient bien « l’intelligenza delle maniere » (Luigi Lanzi définit ainsi le travail de connaisseur), sont en fait très significatives pour définir, même approximativement, le milieu culturel et les termes chronologiques entre lesquels se déploie un peintre au profil encore flou. Le nom de Michael Sweerts a été évoqué par Roberto Longhi devant le Petit mendiant avec une part de tourte (cat. 4), celui de Le Nain par Federico Zeri pour la Femme cousant avec deux enfants (cat. 7), alors qu’ensuite, dans une sorte d’incroyable girandole d’avis (ou de désaccords), fleurirent nombreuses, jusqu’aux premières décennies du xxe siècle, les propositions à propos du Repas frugal (cat. 6), à partir de 1905 au musée de Gand : le seul tableau attribué à notre maître, conservé, alors comme aujourd’hui, dans une collection publique. Le dossier de l’œuvre dans les archives du musée nous permet de voir défiler – sous forme de lettres et d’avis consignés par les conservateurs – les protagonistes et les seconds rôles de diverses écoles de l’histoire de la peinture européenne du xviie et du xviiie siècle (Gruber, 2006). Pour le Repas frugal, Roberto Longhi pensait à un artiste français (1953), d’autres le rapprochaient au contraire de Vélasquez, alors que René Huyghe (1948), suivi bientôt par Ferdinando Bologna (1951), écrivit à la direction du musée flamand ce commentaire lapidaire et efficace : « C’est un artiste qui tient à mi-chemin de Todeschini et de Giacomo Ceruti. Toutefois sa technique plus rapide révèle qu’il est d’une génération antérieure à ces deux peintres. » Ainsi émergent, juste au travers de ce rapide parcours de la fortune critique des œuvres de l’artiste que nous reconnaissons désormais sous le nom conventionnel de Maître de la toile de jeans, toutes ses ramifications, en une sorte d’arbre généalogique aux illustres racines. Nous venons
rendre compte que ce maître, bien qu’anonyme, inscrit son nom provisoire dans le prestigieux album des peintres de la réalité, tel que les ont définis les études du xxe siècle dédiées à la peinture européenne du xviie et xviiie siècle. En parfaite et presque naturelle concaténation, les épisodes cruciaux de cette extraordinaire floraison de recherches furent emblématiquement présentés dans deux expositions, de taille et d’ambitions différentes, qui se tinrent à Paris, en 1934 (« Les Peintres de la réalité en France au xviie siècle », sous la direction Paul Jamot et Charles Sterling) et à Milan, en 1953 (« I pittori della realtà in Lombardia », sous la direction de Roberto Longhi). Longhi déclara, dès l’introduction de son catalogue, sa dette envers l’initiative antérieure, au moins dans la « formula dell’intitolazione » (ce qui veut dire beaucoup), même si le découpage chronologique et les limites géographiques de l’enquête des deux initiatives furent bien distincts. À l’Orangerie, en 1934, étaient exposés ces peintres français du xviie siècle qui, à « l’intellectualité », avaient préféré « la passion du vrai », selon les mots de Paul Jamot dans la préface du catalogue. Au Palazzo Reale, en 1953, ces maîtres lombards avaient opposé, entre le xvie siècle et le xviiie siècle, à l’artifice de la manière et du baroque « una certa calma fiducia di potere esprimere direttamente, senza mediazioni stilizzanti, la “realtà” che sta intorno », comme l’écrivit Roberto Longhi dans l’introduction du catalogue. Il ne s’agissait donc pas de tracer une histoire exhaustive de l’art de ces siècles passés, mais bien plutôt de signaler, à l’intérieur des vicissitudes artistiques de ces aires géographiques, une continuité stylistique, une sorte de fil rouge précieux et résistant, caractérisé par une propension à la reprise directe du fait naturel, d’une fidélité à la vérité des choses. Il est surprenant de voir comment, dans les brefs textes qui introduisent les deux initiatives, certaines définitions critiques se recoupent : les œuvres des artistes éloignés dans le temps et dans l’espace se prêtaient à être définies avec les
mêmes paroles, et seulement avec celles-ci, à rendre compte de la circulation d’une sensibilité commune dans l’Europe entre le xviie et xviiie siècle. « L’art simple et franc » (et dans une variante « L’art simple et grave ») des Le Nain, héros avec Georges de La Tour de l’exposition de 1934, trouve des correspondances linguistiques dans les heureux hendiadys (« semplicità accostante », « penetrante attenzione ») avec lesquels Longhi caractérisa les vicissitudes de la peinture de la réalité en Lombardie de Giovan Battista Moroni à Giacomo Ceruti (Longhi, 1953). Ce n’est pas le lieu ici d’étudier le rapport de ces influences réciproques entre ces géants de l’historiographie du xxe siècle, actifs entre la France et l’Italie, disposés à naviguer alors le long de routes communes qui se séparent cependant sur la question du rôle joué par Caravage, antécédent inéluctable de ces recherches artistiques sur la réalité, même les plus humbles. Pour Jamot, le grand Lombard avait été seulement un « choc extérieur » (Jamot, 1934), pour Longhi au contraire, « soltanto dopo che il Caravaggio aveva capovolto in umano il modo di interpretare gli argomenti sacri ci si poteva dar coraggio di rappresentare, non come divagazione pittoresca (Bassano) e come “genere” (fiamminghi e olandesi), ma con piena dedizione all’argomento, una “Famiglia di contadini” » (Longhi, 1935). Et Longhi faisait certainement allusion à la Famille de paysans dans un intérieur de Louis ou Antoine Le Nain, entrée au Louvre en 1915 (fig. 1), « peint simplement avec une profonde sympathie humaine », comme on peut le lire dans la notice relative au tableau dans le catalogue de 1934. Ce n’était certainement pas un hasard que ce soit justement dans la France du manifeste du réalisme signé par Courbet en 1855, que l’on ait assisté, autour de la moitié du xixe, à la redécouverte consciente de Caravage (mais aussi de Vélasquez et de Ribera), survenue presque contextuellement à celle des peintres de la réalité française, comme les Le Nain. Un enthousiasme, celui pour la peinture antique et moderne, attentif à la réalité, qu’illustrent les études critiques
(Planche, Laviron, Thoré, Champfleury, Baudelaire, Zola), ainsi que la production artistique (Courbet, Manet) préparant la perspective de l’exposition de 1934 à l’Orangerie. Longhi, lui aussi, a perçu la poussée du débat critique passé et contemporain, dont il fut un protagoniste en tant que critique militant, accueillant entre autres dans les pages de Paragone de 1957, la vive polémique entre réalisme et nouveau romantisme (mentor Renato Guttuso) et l’impressionnisme-informel (promoteur Francesco Arcangeli). En outre, à partir des années de ses premières études sur Caravage et ses suiveurs, il recueillait la respiration européenne de cette peinture où la réalité – plutôt que d’être reproduite fidèlement – est interprétée avec une sensibilité personnelle. Il suffit de penser à sa foudroyante définition d’un tableau présent à l’exposition de 1953, le Jeune gar çon avec une corbeille de pain et de pâtisseries de Evaristo Baschenis (présent ici dans les salles de cette initiative privée ; cat. 3), « dove diresti che, rivisitata la canestra del Caravaggio a Milano, il Baschenis si provi a rassomigliare a un Vermeer (e forse non gli riesce che uno Sweerts), sacrificatosi in provincia cattolica » (Longhi, 1953). En le rattachant à ce que nous avons écrit au début de ce texte, il ne faut pas croire que les attributions fluctuantes – entre la Séville de Vélasquez, la France des Le Nain, la Rome « flamande » de Sweerts et la Lombardie de Ceruti – qui ont concerné, dans un passé récent, les tableaux aujourd’hui donnés au Maître de la toile de jeans, constituent une circonstance essentielle dans le domaine des études dédiées à la peinture du paupérisme des xviie et xviiie siècles, presque une véritable spécialisation parmi les peintres attentifs à la réalité qui les entoure. Si l’on analyse les vicissitudes historiques de plusieurs événements, y compris les plus significatifs, qui composent le chapitre spécial de l’histoire artistique européenne, on réalise combien de changements de point de vue similaires ont accompagné, et dans certains cas continuent à accom-
Fig. 1 – Louis ou Antoine Le Nain, Famille de paysans dans un intérieur, Paris, musée du Louvre.
Fig. 2 – Giacomo Ceruti, Mendiant, Göteborg, musée des Beaux-Arts. Fig. 3 – Giacomo Ceruti, Trois mendiants, Madrid, musée Thyssen-Bornemisza.
pagner, la définition de certaines personnalités et de leurs œuvres. Le laisse sous-entendre le fait qu’avant la redécouverte définitive de « Monsù Bernardo » (le Danois Eberhard Keilhau) par Roberto Longhi (1938), nombre de ses œuvres avaient été attribuées à des artistes espagnols tels Herrera le Vieux, Mazo, Murillo et pour finir Vélasquez, au point qu’Hermann Voss, auquel il était apparu possible dans un premier temps de pouvoir rapprocher ces œuvres du peintre romain de culture « bambocciante » Antonio Amorosi, le qualifie de « der falsche Spanier » (1912). Afin d’appréhender au mieux les difficultés rencontrées dans l’étude des vicissitudes européennes de la peinture de thème populaire, il peut être utile d’observer les accidents d’itinéraire critiques de quelques-unes des meilleures inventions de Giacomo Ceruti, en commençant par la demi-figure de Mendiant aujourd’hui au musée de Göteborg (fig. 2), qui avant d’aboutir, en 1973, dans le catalogue du peintre milanais, présidait l’exposition parisienne de 1934 consacrée aux « Peintres de la réalité », affublé d’un renvoi dubitatif à Jean Michelin, un suiveur important des Le Nain. À Louis Le Nain lui-même avait été, au contraire, donné pendant longtemps l’un des plus émouvants chefs-d’œuvre de Ceruti, les Trois mendiants du musée Thyssen-Bornemisza (fig. 3), dont la paternité a été reconnue seulement en 1963 grâce à l’intuition de Carlo Volpe, une attribution qui permit ensuite de voir dans cette œuvre une des toiles exécutées par l’artiste en 1736 pour le maréchal Matthias von der Schulenburg, défenseur passionné de la peinture de genre dans l’Europe du second quart du xviiie siècle. Et vient alors à l’esprit Giuseppe Delogu, l’un des premiers grands interprètes du parcours artistique de Ceruti, lequel se trouvant devant le cycle dit de Padernello (dont deux exemplaires sont présents à l’exposition grâce à la générosité des
familles Lechi et d’un autre collectionneur ; cat. 14 et 15), ne pouvait faire moins que d’imaginer un possible renvoi aux prédécesseurs de Ceruti, si difficiles alors de tirer au clair, en soutenant « Egli trova forse nella storia un solo esempio di lontana parentela ideale in Luigi le Nain e più tardi in Chardin » (Delogu, 1931). Si nous tournons le regard vers un contexte chronologique un peu antérieur et qui coïncide substantiellement avec celui de notre maître anonyme, le parcours critique de deux sommets de la peinture du paupérisme de la fin du xviie siècle se révèle encore plus problématique : c’est-à-dire les Gens du peuple en extérieur (Crémone, collection particulière ; fig. 4) et la Vieille femme avec un garçon, auparavant dans la collection des marquis de Casa Torres à Madrid (fig. 5). Le tableau de Casa Torres, qui passe traditionnellement pour être de Vélasquez, a été donné en 1940 par August Liebman Mayer, spécialiste du peintre espagnol, à l’artiste ambulant lombardo-vénitien Pietro Bellotti : un rapprochement qui a joui par la suite d’un certain consensus mais qui n’a pas empêché Nicola Ivanoff, en 1965, de proposer de le situer dans l’entourage de Georges de La Tour, utile pour mettre en évidence les doutes quant à l’exact déchiffrage stylistique de l’œuvre, encore aujourd’hui à la recherche d’un classement fiable. Substantiellement analogue dans son incertitude, le destin des Gens du peuple en extérieur, salué au moment de son apparition, au cours des années 1960, comme un chef-d’œuvre de Giacomo Ceruti (Morassi, 1967 ; Zeri, 1976) a été ensuite successivement rapproché de Pietro Bellotti (Frangi, 1993), avant d’être orienté, à la suite d’une suggestion de Federico Zeri, dans une non moins précise aire allemande ou française du xviie siècle (Anelli, 1996). Un vrai tour européen, donc, balayé récemment par une étape ultérieure – très vraisemblablement pas la dernière –, qui a vu le tableau arriver avec surprise dans le catalogue de Franz Werner Tamm, un peintre d’origine allemande connu surtout pour sa production de natures mortes (Gregori, 2010). Ce qui nous surprend, en revisitant ces expériences historiographiques, c’est la disposition des différentes propositions attributives présentées les unes après les autres, entre une fourchette chronologique et surtout géographique vraiment ample, dans laquelle il est nécessaire de repérer le signal précis des difficultés qui, très souvent, se sont posées à qui s’est trouvé confronté à la peinture de sujet populaire. À l’origine de ces divergences – qui n’ont pas manqué d’interpeller aussi les connaisseurs parmi les plus exigeants –, il ne faut pas négliger le retard général avec lequel les études ont reconnu ce champ de la production figurative et la redécouverte de multiples protagonistes, souvent pénalisés par un silence obstiné à leur égard de la part de la littérature artis tique antique. Le fait que certains d’eux comme le Tyrolien Ulrich Glantschnigg, le Slovène Almanach, le « Lombard » Giuseppe Romani ou le Maître de la toile de jeans ont été redécouverts seulement ces dernières années, laisse bien entrevoir combien sont vastes les territoires encore à explorer pour qui s’aventure sur ce versant de la recherche. Néanmoins, nous avons la sensation qu’à l’origine de la désorientation dont nous venons de rendre compte il y
Fig. 4 – Anonyme de la fin du xviie siècle, Gens du peuple en extérieur, Crémone, collection particulière. Fig. 5 – Anonyme de la fin du xviie siècle, Vieille femme avec un garçon, autrefois Madrid, collection des marquis de Casa Torres.
a une autre raison à chercher dans les affinités, particulières et imprévisibles, que partagent souvent les différentes expressions de la peinture du paupérisme du xviie et du xviiie siècle, même quand elles s’affirment dans des aires géographiques très lointaines les unes des autres, au point de rendre assez improbable un lien direct entre les artistes qui en furent responsables. Pour justifier une telle syntonie, certains choix, à la fois stylistiques et iconographiques, pour ainsi dire imposés par le genre, sont en mesure de rendre parfois un peu moins clair, tout du moins à nos yeux, les frontières entre les diverses traditions figuratives, comme l’insistance sur l’humble identité sociale des protagonistes portraiturés et le détail de leurs habits, outre la nécessaire insistance sur les misérables détails matériels de leur existence quotidienne. Ce sur quoi il convient d’insister, est comment ces surprenantes contaminations se vérifient, en particulier parmi ces peintres qui appartiennent à la lignée la plus noble de la peinture de sujet populaire : celle qui de Vélasquez à La Tour conduit jusqu’à Ceruti, en passant par les vicissitudes des Le Nain et de Sweerts et de quelques autres personnalités, parmi lesquelles, nous pouvons le dire aujourd’hui, il faut aussi mentionner celle de l’artiste au centre de cette exposition. Déjà évoqué dans les pages de Charles Sterling, Vitale Bloch et Roberto Longhi, et précisé encore dans les développements concrets de Giuliano Briganti et Mina Gregori, ce versant de la peinture du paupérisme se distingue avant tout par un refus des divagations comico-anecdotique et des inclinaisons allégoriques qui, très souvent, s’insinuent à l’intérieur de ce genre. À ces prérogatives, qui pourtant constituent une composante fondamentale du succès du collectionnisme de la scène à sujet populaire, les protagonistes auxquels nous faisons référence substituent une appro-
che du thème extrêmement sérieuse et sentie dans laquelle la profonde compassion humaine des difficiles conditions de vie des classes inférieures se conjugue avec l’emploi d’un registre fortement orienté dans un sens réaliste, questionnant sans compromis le monde des déshérités en restituant avec lucidité l’état d’indigence mais aussi une dignité dépouillée. Le développement, qui va des jeunes essais sévillans de Vélasquez (fig. 6 ; édimbourg, National Gallery of Scotland) et de ceux presque contemporains des Mangeurs de pois de La Tour (fig. 7), conduisant aux intérieurs de paysans des Le Nain pour se conclure avec le cycle de Padernello de Ceruti (cat. 14 et 15), nous restitue visuellement les épisodes les plus importants et les plus représentatifs de ce filon, et permet de percevoir l’affirmation d’une continuité intime et souterraine, sur laquelle il est bon de s’arrêter. Du point de vue tant « moral » que figuratif, un tel fil rouge se comprend dans une commune propension en un langage aux cadences sévères, qui adapte ses moyens aux sujets auxquels il se confronte, en adoptant avant tout une palette sobre et essentielle, adéquate à rendre crédible l’univers poussiéreux des mendiants et des travailleurs les plus modestes. Un regard objectif et sec inspecte avec franchise les habits, presque toujours troués, des personnages, les pauvres objets de leur quotidienneté, les visages marqués par les privations, les mains noueuses, en favorisant la diffusion dans ces œuvres d’un exercice naturaliste presque obsessionnel et, à la fois, d’une cadence condensée et expressive, adaptée aux douloureuses expériences existentielles narrées sur les toiles. Des qualités qui portent en elles le dessèchement de toute complaisance purement stylistique et surtout le refus d’exhiber sa propre culture figurative, l’une et l’autre sacrifiées sur l’autel d’une franche adhésion et sans écrans de protection au fait de la réalité.
Fig. 6 – Diego Vélasquez, Vieille femme faisant frire des œufs, édimbourg, National Gallery of Scotland. Fig. 7 – Georges de La Tour, Mangeurs de pois, Berlin, Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin.
En considérant les doutes qui subsistent sur bon nombre d’auteurs de tableaux à rattacher à l’univers de la peinture de sujet populaire, l’on ne doit pas être surpris si, identique à celle de ses compagnons de route, la question du Maître de la toile de jeans porte en elle quelques énigmes, non seulement au sujet de l’identité civile de l’artiste, mais aussi quant à la précision de son origine géographique. Si de nombreux indices font croire qu’une partie significative de la carrière du peintre s’est passée en territoire lombard vers le tournant du xviie siècle, pour autant, les raisons, qui invitent à imaginer sa formation dans un contexte différent, en l’état actuel des connaissances, restent difficile à démontrer. Comme il advient pour les plus importants acteurs de la peinture du paupérisme, y compris pour les œuvres du Maître, son langage à la discipline concentrée et réaliste, la sobriété de ses moyens picturaux et l’absence de toute concession décorative rendent la tâche de l’historien de l’art assez compliquée. Nous nous contentons donc d’avoir récupéré, grâce à cette exposition, un grand et émouvant narrateur des souffrances des pauvres : le défi pour le futur sera celui de comprendre dans quel coin de l’Europe ce récit a commencé à fleurir, avant de trouver un accueil dans les territoires lombards qui s’apprêtaient à recevoir la parabole de Ceruti. Ce projet avait pour ambition que plusieurs tableaux illustrés dans ces essais viennent enrichir le parcours de l’exposition – qui a malgré tout son identité propre – pour mettre ainsi à l’épreuve la validité de certains rapprochements et la stature de ce maître, dont nous sommes un peu comme les parents, alors que Gerlinde Gruber en est la nourrice qui l’a amoureusement élevé et fait grandir. À Maurizio Canesso, son agent, nous devons au contraire l’idée d’en rassembler les œuvres pour le faire connaître, avec l’aide indispensable de Véronique Damian, à un plus ample public.
Le Maître de la toile de jeans et la séduction du bleu marzia cataldi gallo
Le Maître de la toile de jeans est un peintre anonyme, qui doit son surnom à la présence constante dans ses œuvres d’une toile teinte en un beau bleu intense. L’association de la toile et du bleu n’a rien de rare ; au contraire, dès le début du xviie siècle, comme nous le verrons, le bleu est une couleur de premier plan dans le vêtement populaire. Mais si la prédilection du « Maître » pour le coton et pour le bleu suscite notre attention, c’est parce que la toile, en différentes nuances de bleu qu’il utilise pour vêtir ses personnages, prend une force particulière dans les intérieurs uniformément sombres et, en un sens, restreints où il situe son humanité douloureuse. Pour chercher à comprendre les raisons qui ont incité le peintre à traiter avec une telle importance le binôme « toile et bleu », il convient de suivre deux directions : en premier, la diffusion des tissus de coton, en second, l’histoire du bleu et de sa fortune. Les étoffes de coton, à la différence des soies précieuses destinées à une clientèle élitaire, devaient satisfaire les exigences d’une grande partie de la population : leur diffusion commence au cours du Moyen Âge et se poursuit pratiquement jusqu’à nos jours. À partir du xiie siècle, de nombreuses sources révèlent l’étendue et l’intensité du commerce de coton et de tissus de coton, en général italiens, dans toute l’Europe. L’explosion de la circulation des tissus de coton était déterminée principalement par la crainte des famines répétées, qui avait incité à vouer les terres nécessaires aux pâturages à la culture des denrées alimentaires ; dès la seconde moitié du xiie siècle, les pâturages de moutons ont commencé à disparaître de la plaine padane, et la laine est devenue toujours plus coûteuse, non seulement en Italie, mais aussi dans toute l’Europe1.
Pour remédier à cette situation problématique, on a cherché à fabriquer des tissus mêlés, avec la plus petite quantité possible de laine : les medielane, mélanges de laine et coton ou de laine et lin ; mais, par la suite, on s’est orienté vers la production d’étoffes solides de coton, comme les futaines. Le coton a été préféré au lin car il est plus chaud, mais aussi parce qu’une terre cultivée en lin devenait improductive pendant plusieurs années ; par conséquent, vouer une terre à la culture du lin, à une époque où le risque de famines était toujours plus menaçant, n’était pas sans danger2. On peut ajouter que si le coton était moins résistant dans le temps, il offrait, surtout par rapport au lin, peu raffiné, des avantages de confort et de facilité d’entretien, et des qualités tactiles et visuelles autres : les méthodes de finissage permettaient d’obtenir une plus grande diversification des produits par rapport aux étoffes de laine ou de lin, et la teinture apportait des couleurs brillantes, ce qui était un atout très apprécié dans une société où les significations symboliques de la couleur, comme son éclat, avaient une forte valeur sociale : formes et couleurs, alors, indiquaient l’âge, la profession, le statut social, les états d’âme3. L’activité portuaire de Venise et de Gênes facilitait l’approvisionnement en matière première nécessaire à la production d’étoffes, que l’on tissait dans toutes les villes de l’Italie du Nord et que l’on exportait à l’étranger. Les cotons bruts arrivaient de la Syrie et de l’Égypte à Venise, tandis que ceux ramassés en Afrique du Nord et dans les régions méridionales (Sicile et Calabre), de qualité inférieure par rapport aux cotons syriens, étaient destinés surtout à Gênes. Le coton le plus prisé, à longues fibres, qui arrivait du Moyen Orient, était appelé bambagia en italien, du mot . Fennell Mazzaoui, 1981, p. 89.
. Borlandi, 1953, p. 134 et suiv.
. Muzzarelli, 2000, p. 15, chap. III et IV.
grec bambákion, et le moins coté, provenant d’Afrique du Nord, cotone (coton), du terme arabe qutu¯n 4. La forte production de tissus mélangés confirme l’orientation de base des ateliers italiens, qui était de commercialiser des étoffes solides à bon marché, convenant aux vêtements de tous les jours comme à l’ameublement, en particulier aux tentures et au linge de lit. Les fabricants italiens ont préféré développer la production de tissus attrayants et de coûts mesurés, faciles à distribuer dans toute l’Europe5. Les bombasine (mélanges de coton et chanvre), les terli ci (mélanges de coton, lin et chanvre), les burdi (du nom de la ville de Bursa, en Turquie, étoffes simples, à rayures ou à carreaux), les valessi (valesii, valesci, semblables aux terlici), les accordolati, rayés, comptaient parmi les étoffes les plus répandues d’entre toutes les « nouvelles » à disposition de la clientèle la moins aisée. Mais le tissu le plus populaire parmi ceux produits en Italie était sans doute la futaine, dont on reparlera, car c’est précisément de la futaine que dérive le terme jeans. Outre la futaine, l’on trouvait en bonne place dans l’aire vénitienne et, plus largement, dans l’aire lombarde, les pi gnolati, terme en usage jusqu’au xixe siècle dans le dialecte lombard pour désigner des étoffes de coton avec de petits motifs en forme de pignon6. Certains historiens font dériver le mot futaine du latin médiéval fustaneum, de fustis, qui signifie « bois d’arbre », lui-même issu du mot grec xylina lina, littéralement « arbre de laine », semblable au terme allemand actuel Baumwolle7. D’autres veulent qu’il tire son origine d’un quartier du Caire appelé Fustat ou Fostat8, mais l’hypothèse est tenue pour douteuse en raison du rôle moindre de l’Égypte dans la fabrication du coton9 ; d’autres encore en font le lieu de tri des cotons en provenance de l’Inde10. Parmi les possibles dérivations étymologiques, on a aussi proposé le mot arabe fustan, qui, dès l’origine de son usage, indique une étoffe lourde de coton, dont la chaîne est généralement en fil de lin. Le mot futaine désigne au Moyen Âge un tissu de coton mélangé à de la laine ou à du lin ; sa structure avec trame de coton et chaîne de lin va en se précisant au fil des ans, même s’il convient de rappeler que chaque ville suivait ses règles propres en la matière et que, précisément en raison des caractéristiques particulières de chaque centre, les futaines étaient habituellement désignées par le nom de leur ville de provenance. Le fait est à souligner en tant que composante importante dans le grand puzzle de la naissance du jeans. . Cataldi Gallo, 2005, p. 15-33 ; Id., 2007a, p. 7-9, avec bibliographie. . Fennell Mazzaoui, 1981, p. 90. . Ibid., p. 90 et suiv., et le glossaire dans Ericani – Frattaroli, 1993, p. 55. Pour des références concernant la production de futaine dans la colonie génoise de Pera, voir Fennell Mazzaoui, 1981, p. 198. . Fennell Mazzaoui, 1981, note p. 199.
Il ne semble pas que l’armure, c’est-à-dire le mode d’entrecroisement des fils de chaîne et des fils de trame, ait joué un rôle fondamental dans la définition de l’étoffe : pour autant que l’on sache, on appelait futaines aussi bien les tissus, en armure toile, c’est-à-dire quand les fils de chaîne et les fils de trame s’entrecroisent alternativement dessus dessous un à un (formant un damier), que ceux réalisés en armure sergé (formant une diagonale), quand les fils de chaîne lient les fils de trame en suivant une marche en oblique. En revanche, il est possible que le finissage des surfaces, d’un aspect pelucheux toutefois, dû à l’opération de cardage effectuée d’une façon manuelle11, ait été une caractéristique commune aux futaines. Les étoffes tissées à l’aide d’une armure sergé étaient plus résistantes et drapaient mieux que celles dont l’armure est une toile, pour cette raison elles étaient très demandées aussi bien pour les vêtements que pour l’ameublement12. Pour quitter le champ d’une récurrente ambiguïté des termes, il est bon de préciser que l’industrie textile de Nîmes s’est elle aussi spécialisée dans la confection d’un tissu de laine réalisé à l’aide d’une armure sergé, donc particulièrement robuste, qui, au cours du xviiie siècle, a été fabriqué avec les mêmes caractéristiques également en coton. Les étoffes de Nîmes ont connu un impressionnant essor qui a donné lieu à des productions diversifiées et remarquables au point de pousser les commerçants de la ville à regarder vers de nouveaux débouchés à l’étranger, surtout vers le florissant marché anglais. Afin de servir les marchés étrangers, des points de vente se sont ouverts dans deux villes clés : Cadix et Gênes ; de Gênes partaient les marchandises destinées à l’Amérique du Nord et au Levant. Les deux dénominations – jeans de Gênes et denim de Nîmes –, quand une activité textile débute à Baltimore vers la fin des années 1780, ne se superposent pas mais coexistent : le jeans est destiné aux vêtements de travail en général, le denim, un peu plus grossier, est plutôt utilisé pour les vêtements de dessus, comme les casaques ou les salopettes de travail13. L’apparition de la futaine et des autres étoffes de coton mélangé marque une véritable révolution sur le marché : la diversité des ouvrages de coton offrait une gamme très large de tissus qui pouvaient satisfaire les exigences d’une clientèle que goûts et moyens financiers rendaient variée14. Mais le moment le plus important pour la « naissance » du jeans se situe vers la seconde moitié du xvie siècle, précisément quand les futaines génoises étaient en train de traverser une période de crise et avaient perdu une grande part de marché, à l’intérieur comme à l’extérieur, tout en restant encore présentes sur les places étrangères. Pour nous concentrer sur ses origines, il nous faut considérer deux facteurs : la qualité de la futaine génoise à cette époque et la consommation de masse de la futaine sur le marché anglais. La futaine génoise se situe à un niveau
. Gentile, 1981, p. 65-66 ; Hardouin-Fugier, Berthod, Chavent-Fusaro, 1994, article « Futaine », p. 199.
. Silvestrini, 1989, p. 61.
. Fennell Mazzaoui, 1981, p. 90 et note p. 199.
. Nougarède, 1989, p. 32-34.
. Anquetil, 1999, p. 18. À ce propos, on signale la présence de
. Gorguet-Ballesteros, 1994, p. 25-38.
marchands génois en Égypte dès 1060, voir Jacoby, 1999, p. 11.
. Fennell Mazzaoui, 1981, p. 93.
moyen par rapport aux fabrications d’autres villes italiennes ; de qualité inférieure aux futaines de Plaisance et de Milan, elle se différenciait de celle de Naples, qui était tissée avec de la laine et était plus lourde. Son coût aussi fait qu’elle occupait une position moyenne par rapport aux étoffes produites dans d’autres centres italiens ou allemands, comme Ulm15. Paradoxalement, c’est précisément en raison de la qualité moyenne et du coût raisonnable de sa futaine que Gênes a donné son nom au tissu le plus fameux au monde depuis plus d’un siècle. « Dans l’habillement, la futaine connaît depuis peu une utilisation jamais égalée jusqu’alors16 » : entre le milieu du xvie siècle et le début du siècle suivant, la mode anglaise connut un changement radical, surtout en ce qui concernait la recherche de matériaux nouveaux, beaux et à bas prix. La futaine parut satisfaire à toutes ces exigences, le drap fin étant très cher. Avant que l’industrie locale ne se développe dans le Lancashire dans les premières années du xviie siècle, l’Angleterre avait déjà depuis trois siècles un rôle important dans le commerce européen de ces ouvrages avec une importation continue de futaines, amorcée dès 1200. Un acte de 1495 stipulait que : « […] les futaines non grattées importées ici d’au-delà des mers ont été et devraient être le tissu le mieux adapté aux doublets et à d’autres vêtements, [le plus] largement utilisé par les gens ordinaires de ce royaume17 […] ». Les deux qualités les plus communes en Angleterre étaient les futaines d’Ulm et celles de Gênes, universellement connues sous le nom de « Holmes » et « jean » (ou « jeans »). Les comptes d’un tailleur du Lancashire attestent l’usage, en 1614, des futaines de « Milan » et « Geanes » ; les livres du port de Londres révèlent des importations massives de futaines de « Holmes », « Jeane », « Milan » et « Augsburg », dans les années 1587-158918. À cette époque, le coût de la futaine de Gênes – utilisée, dans le cas cité, pour les doublures et les parures de lit – était de peu supérieur à celui de la futaine anglaise et sensiblement inférieur à celui de la futaine d’Ulm19. Il est évident que la qualité moyenne et le prix serré des futaines de Gênes – même si, à l’intérieur de la République, ils ont été interprétés sur le moment comme le signe d’un déclin de la fabrication – ont été les facteurs d’un imprévisible succès. Si les classes basses et moyennes en étaient la cible, il faut néanmoins rappeler . Ibid., p. 198. . « The wearing of fustians is lately grown to more use as may seem than ever it was before time » : la phrase est extraite d’un acte de 1597-1598, voir Wadsworth – De Lacy Mann, 1965, p. 21.
. « […] fustians brought from the parts beyond the seas unshorn into this realm have been, and should be, the most profitable cloth for doublets and for other wearing cloths, greatly used among the common people of this realm [...] », ibid., p. 18. . Ibid., p. 19, cité par Gorguet-Ballesteros, 1994, p. 28. . Respectivement de 11, 12 et 15 denari pour 1 yard ; pour fournir un terme de comparaison, on mentionnera que durant la même période, on
que l’aristocratie a été attirée par les possibilités multiples du coton, à la différence qu’elle utilisait les tissus de coton surtout pour la confection de pièces d’ameublement, telles que rideaux et linge de lit, alors que les classes les plus basses s’en servaient pour l’habillement20. Si, donc, nous nous en tenons au seul xviie siècle, nous pouvons affirmer sans trop de crainte que les tissus de coton étaient largement répandus parmi les classes les moins aisées dans toute l’Europe et que, parmi ces tissus, le plus apprécié était la futaine, qui fut appelée jeans en Angleterre à partir de la seconde moitié du xvie siècle en raison de sa provenance de Gênes, mais qui n’était pas forcément bleue ! Si, à présent, nous nous intéressons à la diffusion des teintures en bleu dans le même siècle, deux éléments sont d’une importance avérée : la diffusion du bleu dans le vêtement populaire européen et la vivacité nouvelle acquise par les étoffes bleues, comme nous pouvons le voir dans les peintures à partir environ du milieu du xviie siècle. Pour le secteur du vêtement populaire, la couleur bleue revient avec une remarquable fréquence dans toutes les aires géographiques, en particulier dans les Flandres, l’Espagne, l’Italie et la France, comme on peut le vérifier, faute de tissus conservés, en regardant les peintures du xviie siècle où sont représentés des groupes de personnes de classe sociale moyenne ou basse ou des scènes de genre. Dans le Mariage champêtre de Jan Brueghel l’Ancien (Madrid, musée du Prado, inv. p01441), pour prendre un exemple qui concerne les Flandres, daté autour de 1612, on compte seize tabliers en toile de coton d’un bleu plus ou moins vif, trois pantalons d’homme et trois guêtres, également bleus. Avec la Scène de marché et lavandières (Madrid, musée du Prado, inv. 1443 ; fig. 1), attribuée à Joos de Momper le Jeune et Jan Brueghel l’Ancien et datée des années 1620-1622, on remarque la présence de toiles d’un bleu clair lumineux parmi la lessive étendue et l’utilisation d’une toile de même couleur pour les tabliers (on en compte douze) des lavandières occupées à laver et à étendre le linge ; certaines figures féminines portent également des casaques confectionnées dans une toile bleue. La diffusion d’étoffes de coton teint en bleu, également attestée dans les Flandres à une date plus tardive, notamment avec les peintures d’un Jan Miel, est importante aussi en Espagne. Il suffit de penser à un tableau comme la Reconquête de Bahia (Madrid, musée du Prado, inv. p00885), peint en 1635 par Juan Bautista del Maino, où un bleu clair particulièrement intense caractérise quelquesunes des figures masculines (grosses casaques, gippons, guêtres), féminines (une jupe et un manteau) et d’enfants (pantalons), ou à la Vue de Saragosse de Juan Bautista Martinez del Mazo (Madrid, musée du Prado, inv. 889), datée de 1646-1647, où l’on voit des figures d’hommes et de femmes vêtues d’étoffes teintes en un bleu soutenu. Ces pièces vestimentaires bleues sont un élément récurrent dans les vues et dans les scènes de genre italiennes, toutes écoles confondues : de celle napolitaine (on peut ainsi
dépensait 23 soldi pour une quantité égale de velours de soie noir : voir Levey, 1998, p. 30.
. Fennell Mazzaoui, 1981, p. 89, et Lemire, 1991, p. 89 et suiv.
Fig. 1 – Jan Brueghel l’Ancien et Joos de Momper le Jeune, Scène de marché et lavandières, Madrid, musée du Prado.
évoquer certaines peintures de Micco Spadaro et de Filippo Napoletano) à celles piémontaise (dans l’optique de cette recherche, celle-ci est illustrée au mieux par les peintures de Pieter Borgomans, plus connu sous le nom de Bolkman [Utrecht, 1640 – Turin, 1710]) et lombarde. Sans oublier que ces peintres ont souvent travaillé dans différentes contrées, pas seulement dans celle où ils vivaient ; on connaît, par exemple, des vues de Bolkman qui se rapportent à Gênes, et le même artiste a beaucoup travaillé à Rome, de même que Filippo Napoletano a demeuré longtemps à Rome comme en Toscane. De ce bref aperçu, émerge, claire, la présence sinon prédominante, au moins très importante, d’étoffes teintes en différents tons de bleus, qui vont du clair au foncé, dans toutes les régions d’Italie et plus globalement dans toute l’Europe. La vogue de nouveaux et plus intenses tons de bleu dans les étoffes et dans le vêtement de la fin du xviie siècle est due en grande partie à l’emploi de l’indigo au lieu du pastel comme matière tinctoriale. Dans les premières décennies du xvie siècle, et jusqu’à la fin de celui-ci, une des teintures les plus répandues pour obtenir le bleu était le pastel extrait de l’Isatis tinctoria, plante importée d’Afrique au xiie siècle, répandue ensuite par la culture, y compris en Italie. Après une phase de travail très difficile, les feuilles
étaient comprimées sous forme de pains appelés « coques » ou « coquaignes » en français, cuccagna en italien, du nom des moules utilisés, à l’origine de diverses expressions, telle celle de « pays de cocagne », qui désigne un pays riche. En dehors du pastel, l’indigo a été certainement le plus connu des colorants utilisés pour obtenir le bleu ; documenté à Gênes dès 1140, l’indigo était aussi apprécié pour ses vertus thérapeutiques – il passait pour être un antiinflammatoire efficace depuis l’époque romaine (Pline l’Ancien). À partir de la seconde moitié du xvie siècle, l’usage de l’indigo, en dépit de la résistance des producteurs de pastel, se répandit dans toute l’Europe, grâce aux rapports commerciaux devenus plus intenses avec le Moyen et l’Extrême-Orient, et surtout, grâce aux nouvelles frontières coloniales d’où provenait une qualité d’indigotier qui permettait d’obtenir une matière colorante aux propriétés plus grandes que celles des indigotiers asiatiques21. L’Espagne et l’Italie ont été parmi les premières à accueillir ce nouveau produit qui devint source de gains considérables, tandis que l’Allemagne et la France, centres de production du pastel, ont cherché, en vain, à résister à la nouveauté.
. Pastoureau, 2008, p. 150-158.
Fig. 2 – Teramo Piaggio et collaborateurs, Le Jardin des Oliviers, Judas pendu et le repentir de Pierre, le Christ et les Apôtres, 1538-1540, Gênes, collection textile de la Soprintendenza per i Beni Storici Artistici ed Etnoantropologici della Liguria, en dépôt au Museo Diocesano.
L’indigo arrive en précieux pains, tellement comprimés que l’on dirait des pierres, qui permettent de teindre le coton sans qu’il y ait besoin de mordant (le seul contact avec l’oxygène de l’air suffit à fixer la couleur) et d’obtenir une grande variété de bleus intenses et stables, résistants aux lavages et aux effets dommageables du soleil. L’activité florissante du port de Gênes, véritable carrefour, alliée à l’esprit d’entreprise de sa classe marchande, ont facilité l’approvisionnement en matières premières. Malheureusement, l’état actuel des recherches sur le vêtement des classes les moins aisées ne permet pas de quantifier la diffusion des étoffes de coton, même si l’on peut supposer, par analogie avec les usages des autres nations22, une large utilisation pour les vêtements de travail, aussi bien masculins que féminins. Il va de soi qu’il n’est pas resté trace de ces étoffes de coton, objet de grande consommation, car il était d’usage courant de les porter jusqu’à leur complète usure. C’était aussi le cas pour les vêtements d’apparat, très coûteux, confectionnés dans des tissus de soie, brodés de fils d’or. Par chance, quelques témoignages ont échappé à cet inexorable destin ; ainsi conserve-t-on à Gênes de précieuses œuvres en coton ou en lin teints en bleu. La série des quatorze toiles destinées aux dévotions du carême, exécutées, avec les Histoires de la Passion, en 1540, par Teramo Piaggio et d’autres peintres lombardo-ligures en constitue l’exemple le plus extraordinaire. L’ensemble provient de l’église abbatiale San Nicolò del Boschetto, à Gênes, où il se trouvait jusqu’au xixe siècle ; devenu propriété privée, il a été sauvé de la dispersion grâce à l’intervention
de la Surintendance de Gênes qui, en 2000, en a promu l’acquisition par le Ministero per i Beni e le Attività culturali et en a rendu possible l’exposition au public dans les salles du Museo Diocesano, à Gênes23 (fig. 2). Quelques figures de crèche datant du xviiie siècle, conservées au musée Luxoro, à Gênes-Nervi, portent des habits originaux qui en font des témoignages involontaires et très rares de futaines génoises, véritables ancêtres du jeans : en effet, même si aucune analyse spécifique n’a encore été menée, il résulte du seul examen visuel que tous les vêtements bleus sont faits d’un tissu réalisé à l’aide d’une armure sergé, avec chaîne de lin (ou de chanvre ?) écrue et trame bleue, soit de futaine bleue, et donc en jeans (fig. 3 et 4) ! Le Maître de la toile de jeans fait montre d’une prédilection particulière pour les tissus – de coton, à ce qu’il semble – d’un bleu vif, dans lesquels il « taille » les tabliers de femmes portés dans les deux versions de la Femme cou sant avec deux enfants (cat. 7 et 8), dans la Femme mendiant avec deux enfants (cat. 9) et dans les deux versions du Repas frugal (cat. 5 et 6). Concernant le vêtement masculin, les guêtres de l’homme qui se fait raser, élargies par l’insertion d’une pièce triangulaire grossière, constituent un élément de rappel fort dans l’intérieur plutôt sombre, où tout se joue sur le rapport des différents bruns avec le blanc. Les pantalons des deux enfants au pied du petit lit dans les deux versions peintes de la Femme cousant avec deux enfants – et l’on notera le recours à un turquin tout déchiré pour recouvrir le coussin du berceau – rappellent aussi la passion de l’artiste pour la toile bleue et découlent, vraisemblablement, d’une observation attentive et aigue de la réalité quotidienne. Dans le corpus des œuvres qui lui sont attribuées, les personnages et les décors évoquent des scénarios de pauvreté, une pauvreté presque exaspérée, qui, à bien regarder, laisse deviner quelque chose en plus de la misère, que l’on peut définir comme étant l’art de se débrouiller pour survivre, pratiqué par les plus miséreux. L’art d’utiliser de grosses casaques toutes rapiécées – ainsi du vieil homme qui donne à manger à son petit-fils dans le tableau conservé à Gand (cat. 6), ou de celui qui se fait raser par le barbier (cat. 12) –, l’art de coudre un tissu déjà usé, alors que l’on porte un voile de tête blanc déchiré en plusieurs endroits et un tablier à l’évidence en loques (cat. 7 et 8). Mais les éléments les plus singuliers du discours du peintre sont les personnages habillés de manière incongrue par rapport à leur âge ou à leur condition. Les exemples de cette sorte d’éloignement de ce que l’on pourrait définir comme étant la « norme » concernent en particulier les tenues des garçonnets et celle de la figure féminine représentée en mendiante (cat. 9). Dans tous les cas, différences entre vêtements masculins et féminins mises à part, l’étrangeté réside dans les vêtements qui manifestement n’appartiennent pas aux personnages représentés. Les jeunes femmes, dans les deux versions de la Femme cousant et dans la Femme men diant, portent la même casaque, à basque plutôt longue,
. Lemire, 1991 ; Ewing, 1984, et, concernant la France, les recherches de Roche, 1989 et Perrot, 1995.
. Cataldi Gallo, 2007b ; id., 2008, p. 75-87.
bien visible dans le tableau de la galerie Canesso, et à manches fendues dans la longueur, selon la mode du temps, mais déchirées et usées par un usage prolongé, et par-dessous, un gippon de couleur jaune orangé. Dans la Femme mendiant avec deux enfants (cat. 9), on voit particulièrement bien les revers et le boutonnage du gippon porté sous la casaque ornés d’un gallon en cuir ou doré ; il pourrait tout aussi bien être celui d’un homme ou d’un militaire. On peut se poser la même question à propos de la provenance des vêtements des jeunes garçons si l’on observe leurs casaques. En particulier dans le cas du Jeune mendiant avec une part de tourte ainsi que l’enfant qui fait l’aumône dans la Femme mendiant, leurs casaques sont véritablement trop grandes pour eux (c’est un topos que l’on retrouve dans les tableaux de Ceruti et Olivero) et présentent des finitions soignées, telles les boutonnières en brandebourg le long du haut collet, qui contrastent vivement avec l’allusion marquée à la misère où tous deux se débattent. Là encore, la provenance des vêtements est très incertaine et donne à penser que le peintre s’est aventuré dans les recoins les plus sombres du monde des nécessiteux et a souhaité en illustrer aussi les aspects extrêmes, par rapport aux concepts de « bonne conduite » et de respect de la propriété privée. Leur provenance d’origine peut être recherchée – sans grande conviction, selon nous – dans le passage des vêtements à l’intérieur d’une famille ou dans le don de vêtements usagés fait par quelque bienfaiteur ou par la paroisse24, bien qu’il semble préférable de penser au secteur du marché de l’occasion ou à celui des vols de vêtements.
C’est comme si les tableaux de notre peintre nous accompagnaient dans un sous-bois populaire peu connu, où l’art de se débrouiller et les comportements des bas-fonds se côtoient. Les tableaux semblent du reste se diviser en deux groupes, ce que Gerlinde Gruber a déjà souligné25 . En premier, celui des pauvres « comme il faut » ou, pourraiton dire, « bien élevés », qui, même dans la misère, cherchent par tous les moyens à « sauver les apparences » – ainsi de la scène où l’homme âgé donne à manger à un enfant bien vêtu sous les yeux de sa grand-mère dont on voit que le col sur la poitrine est repassé à la perfection, et des différentes versions des Repas frugaux (cat. 5, 6 et 10). Le second, celui des pauvres poussés dans la misère à la limite de la respectabilité, avec des vêtements trop grands pour eux dont l’aspect de loques est volontairement accentué. Les recherches sur les comportements vestimentaires des classes les plus basses ont mis en lumière le rôle particulier joué par les vêtements dans la société des xviie et xviiie siècles. Dans les échanges commerciaux, même si leur valeur économique était minime, les vêtements occupaient toujours une place spéciale du fait de leur relation intime au corps ; ils ont en effet pour fonction de le protéger et de le couvrir, de le montrer et de le faire paraître. Par conséquent, leur rôle était à la fois lié à des exigences de confort et d’hygiène, mais aussi au désir de propriété, d’identité et de respectabilité. Dans une famille, les vêtements se distinguaient des autres objets possédés, parce qu’ils appartenaient en propre à chacun. Pour les jeunes adultes notamment, les vêtements étaient leur unique propriété, ils étaient libres d’acheter
. Styles, 2007, p. 307.
. Gruber, 2006, p. 159-170.
Fig. 3 – Sculpteur ligure du xviiie siècle, Berger, Gênes-Nervi, musée Luxoro. Fig. 4 – Sculpteur ligure du xviiie siècle, Berger, détail de la casacca, Gênes-Nervi, musée Luxoro.
avec leurs économies, et dans la limite de leurs moyens, une coiffure ou un accessoire, tels que les rubans ou les mouchoirs de tête qui étaient peu onéreux26. Mais certains des accessoires récurrents dans les peintures – notamment les mouchoirs, noués sur la tête de toutes les figures féminines, et les tabliers, élément essentiel du vestiaire féminin dans toutes les aires géographiques comme dans toutes les classes sociales – étaient reconnus comme « biens refuge », que l’on pouvait laisser en gage quand la famille avait besoin d’argent27. Il n’est donc pas surprenant que beaucoup d’hommes et de femmes des classes les moins aisées aient ressenti un fort désir de posséder au moins un costume à la mode, ou qui rappelât, même grossièrement, celui qui était en vogue parmi les élites : en règle générale, en ce qui concerne le costume populaire, on ne peut certes pas relever sa parfaite conformité avec les dernières tendances vestimentaires, mais il est indéniable qu’il présente une certaine familiarité avec « les grands courants de la mode28 ». D’autre part, les pauvres avaient une considération particulière pour les vêtements ; aussi porter des vêtements qui, à l’évidence, n’étaient pas les leurs était significatif d’un état de pauvreté tel qu’il pouvait peut-être pousser non seulement à la pratique très répandue des acquisitions de seconde main, mais aussi au vol. Au demeurant, dans la littérature populaire de la fin du baroque, de même que dans les traités moralisants ou dans les rapports de la police parisienne, les deux pratiques – vente de seconde main et vol – tendent à se superposer en tant qu’expressions étroitement liées aux « bas instincts » des « classes inférieures29 ». Les vols de vêtements étaient très répandus, d’une part, comme on vient de l’évoquer, soit pour se protéger soit pour satisfaire sa propre vanité, d’autre part, en considération du peu de meubles et d’objets de la maison, il était chose commune que les personnes de petite condition possèdent plusieurs modèles de coiffures et puissent presque toujours disposer au moins d’un habit de travail et d’une tenue du dimanche30. Le vol de linge – rendu plus facile quand il était étendu – et de vêtements était un délit assez courant dans le Paris de la fin du xviie siècle (peut-être aussi ailleurs), à tel point qu’il était classé parmi les crimes réprimés par la justice royale, avec une aggravation de la peine à partir de 167031. Comme nous l’avons vu, la diffusion de l’usage du coton, teint en bleu en particulier, fait qu’il est difficile de s’appuyer sur cet élément pour identifier le centre d’activité du Maître. L’examen des vêtements – compte tenu du peu
de documents sur le vêtement des classes pauvres – révèle quelques traits récurrents. Avant tout, la persistance des habitudes vestimentaires au cours des premières années du xviie siècle, voire depuis le xvie siècle, comme G. Gruber32 l’a déjà montré à propos du voile de la Femme cousant : le mouchoir blanc noué et un peu bouffant sur la nuque était répandu en territoire vénitien et on le voit souvent dans les peintures de Bassano. G. Gruber a également proposé de dater les chaussures des années 1620-1640 ; le bonnet de maison blanc porté par le vieil homme qui donne à manger à l’enfant dans les Repas frugaux connaît lui aussi d’illustres précédents dans les œuvres de Caravage, comme la Cène à Emmaüs (Londres, National Gallery et Milan, Pinacoteca di Brera). L’usage persistant de certaines pièces vestimentaires reflète d’un côté la nécessité de les utiliser le plus longtemps possible et de l’autre, la force de la tradition, démontrée par le bonnet blanc et par l’incontournable corsage porté par la vieille femme des Repas frugaux et par la fillette (atteinte de nanisme ?) qui mendie. D’autres couvre-chefs semblent faire écho au vocabulaire courant des peintres de scènes de genre de la fin du xviie siècle, comme le chapeau mou à larges bords arrondis qui dissimule presque le Petit mendiant avec une part de tourte, mais le plus fameux dans ce domaine est certainement le mouchoir noué sous le menton, qui couvre la tête de presque toutes les figures féminines peintes par notre Maître ; le mouchoir, dont on a dit qu’il pouvait être mis en gage, a également la primauté dans les œuvres de Monsù Bernardo et de Giacomo Ceruti. Tous ces indices qui ont trait à l’histoire du costume ne sont peut-être pas suffisants pour préciser géographiquement l’activité du peintre, située hypothétiquement entre Lombardie et Vénétie, mais ils peuvent compléter les recherches centrées sur sa production artistique. Son surnom de Maître de la toile de jeans se justifie techniquement par le fait que l’artiste a peint des étoffes de coton, probablement des futaines, qui, dès la fin du xvie siècle, ont été baptisées par les Anglais de ce nom heureux de jeans. Ce nom de convention reflète sans doute davantage la récente fortune des pantalons « nés » aux États-Unis vers 1860 que l’origine historique de cette étoffe, pauvre et robuste, qui a enchanté les consommateurs du Moyen Âge à nos jours. Au fond, c’est précisément ce lien avec notre quotidienneté qui nous rapproche de ce maître pénétrant et sensible, qui au-delà de l’apparence de ses personnages, nous révèle leur condition humaine33.
. Styles, 2007, p. 303. . Welch, 2005, p. 28. . « […] the broad trends of high fashion », Styles, 2007, p. 304.
. Gruber, 2006, p. 165.
. Roche, 1989, p. 313 et suiv.
. Je remercie de tout cœur Grazietta Butazzi, référence pour qui étudie
. Styles, 2007, p. 305.
l’histoire du costume, de la bienveillante attention qu’elle m’a accordée
. Roche, 1989, p. 317.
au long de ma recherche.
Catalogue vronique damian gerlinde gruber
Michael Sweerts (Bruxelles, 1618 – Goa, 1664) 1. Vieil homme tenant une gourde, avec un jeune garçon
huile sur toile. 48,6 × 37,9 cm rome, galleria dell’ accademia nazionale di san luca, inv. 172
bibliographie Kultzen, 1996, p. 92, no 17, fig. 17 (avec bibliographie précédente) ; Laureati, dans cat. exp. Brescia, 1998-1999, fig. p. 151, 334, no 29 ; Jansen – Sutton, dans cat. exp. Amsterdam-San FranciscoHartford, 2002, p. 152-153, sous le no , note 1.
exposition Brescia, 1998-1999, fig. p. 151, 334, no 29.
Ce n’est pas un hasard si l’art du premier moment romain de Michael Sweerts – on le retrouve à Rome en 1646, à l’âge de vingt-huit ans – se place d’emblée dans la mouvance des Bamboccianti, ce groupe d’artistes d’origine flamande traitant avec prédilection des scènes de la vie populaire au moyen de petites figures, très typées. Pieter van Laer (1599-ca. 1642), le pionnier de cette peinture de genre, a déjà disparu lorsque Sweerts arrive dans la Ville éternelle et même si de tels sujets sont encore exploités, c’est sur un mode plus recomposé qu’ils sont exprimés. Notre Flamand, puisque aujourd’hui il a été établi que Michael Sweerts est né à Bruxelles en 1618, porte un regard attentif au monde du petit peuple, en sachant varier les sujets et passer avec aisance des scènes d’extérieur à celles d’intérieur, de paysans ou de rue, à des études isolées dal vero, ou à des portraits, parfois avec des connotations allégoriques. Laura Laureati (1998-1999, p. 334) note, fort à propos, que du point de vue de la composition les petites scènes de Sweerts s’inspirent encore, et apparaissent comme autant d’échos « romains », de sujets populaires flamands divulgués dans le même temps à Anvers et à Bruxelles par David Teniers le jeune (1610-1690). Ici, le vieillard qui semble sous l’emprise de l’alcool est assis dans un lieu difficile à définir. Se trouve-t-il dans la cour d’une auberge ou, au contraire, dans la remise de cette même auberge comme le laisse penser le tonneau sur sa droite ? Des figures rapidement esquissées se devinent dans un intérieur par le jeu d’une porte ouverte sur un deuxième plan. Cette solution permet d’ouvrir l’espace pour atténuer quelque peu la frontalité de la scène qui reste pourtant le caractère le plus moderne de cette représentation. Comme plus tard chez notre Maître de la toile de jeans, l’attention se concentre sur les personnages et bien peu sur leur environnement, à peine défini. À la façon du tableau de Cipper (cat. 13), c’est le dialogue entre les figures qui capte l’attention du spectateur cherchant à en deviner le message. Il semble que s’exprime plutôt une tension entre les deux protagonistes car le vieil homme,
visiblement éméché par le vin contenu dans sa gourde, n’est pas décidé à vouloir l’abandonner au jeune garçon qui tente de lui soustraire avec précaution. Là encore, et comme l’a souligné la critique à propos de cette scène, un signifié moral pourrait soutenir une telle représentation : celui du danger à abuser de l’alcool, et dans une acception plus générale, une invitation de mise en garde contre le Vice. Le vieillard au regard brillant résiste à ce message que lui porte le jeune garçon en refusant de faire figure d’exemple. Le tableau dans son ensemble est peint dans différents tons de bruns, seul lui fait exception le petit garçon qui revêt une veste trouée rouge-brique. Notre artiste décline ce thème à plusieurs reprises dans son œuvre. La thématique de l’homme, plus ou moins jeune, tenant une bouteille, assis en extérieur ou en intérieur, seul ou avec un autre protagoniste, est décrite sur différent mode. Il apparaît jeune et joyeux dans un tableau de collection particulière européenne (Kultzen, 1996, p. 90, no 10) exécuté par Sweerts peu après son arrivée à Rome, ou plus tard dans sa carrière, tenant une cruche et âgé, comme dans le tableau du Metropolitan Museum of Art de New York (Kultzen, 1996, p. 112, no 79). Rolf Kultzen place cette œuvre encore à l’intérieur du séjour romain, entre 1650 et 1655. Le tableau provient, par descendance, de la collection particulière de Maurizio Dumarest de Rome ; il fait partie d’un legs plus ample de ce dernier à l’Accademia Nazionale di San Luca. Une autre version (48,6 × 39,3 cm), attribuée à Sweerts – considérée comme une copie par Kultzen (1996, p. 92, sous no 17) –, se trouve aujourd’hui à l’Agnes Etherington Art Centre, Queen’s University, Kingston, Ontario, don de M. et Mme Alfred Bader, Milwaukee (Zafran, dans cat. exp. Amsterdam-San Francisco-Hartford, 2002, p. 61, fig. 57). Kultzen signale encore une autre copie passée en vente à New York (Christie’s, 10 juin 1983, lot 134). Par ailleurs, il suggère que ce tableau puisse avoir pour pendant L’Homme lisant, s’appuyant sur un crâne (Florence, Fondation Roberto Longhi ; Kultzen, 1996, p. 94, no 23). vronique damian
Eberhard Keilhau, dit Bernardo Keil ou Monsù Bernardo (Helsingør, 1624 – Rome, 1687) 2. Jeune homme se réchauffant, en compagnie de son chien
huile sur toile. 73 × 97 cm vienne, gemldegalerie der akademie der bildenden knste, inv. 261.
bibliographie Schwemminger, 1873, p. 3, no 53 (d’après Murillo) ; Lützow, 1889, p. 263 (école espagnole du xviie siècle) ; Lützow, 1900, p. 273 (école espagnole du xviie siècle) ; Frimmel, 1901, p. 122 (peintre mineur) ; Voss, 1925, p. 637 (Amorosi) ; Eigenberger, 1927, p. 4 (Amorosi) ; Heimbürger, 1988, p. 189 (Keilhau) ; Trnek, 1989, p. 126 (Keilhau) ; Trnek, 1997, p. 182 (Keilhau).
exposition Vienne, Akademie, 1969, p. 19.
Ce tableau, dans un état de conservation satisfaisant, a été offert en 1822 à la Galerie de peintures de l’Académie des beaux-arts de Vienne par le comte Lamberg-Sprinzenstein. On y voit un jeune homme, habillé simplement et assis à même le sol. Un bras appuyé sur une chaise et le menton posé dans la main du même côté, il adresse au spectateur un regard pensif. Il tend l’autre bras en direction d’un brasero rempli de braises pour se réchauffer. Sur la chaise est posée négligemment une casquette de fourrure rouge. Un chien, dont l’attention est attirée par les braises, se tient près lui. Le lieu de cette scène reste imprécis : le pan de mur qui en est l’unique décor pourrait aussi bien appartenir à une scène d’intérieur que d’extérieur. La collection de Vienne possède un deuxième tableau de Keilhau, pendant de celui-ci, et représentant Deux enfants tressant une guirlande de fleurs. Comme beaucoup d’autres œuvres appartenant au genre de la peinture de la réalité, il a d’abord été considéré comme une réalisation d’un artiste espagnol, d’après Murillo. Reprenant une attribution faite oralement par R. Longhi, H. Voss l’a publié en 1925 comme une œuvre du peintre Antonio Amorosi. Enfin, M. Heimbürger y a reconnu le style de Monsù Bernardo de la période de Bergame (vers 1655).
Selon cette dernière, plusieurs interprétations allégoriques sont possibles : le brasero rempli de braises représenterait l’hiver ou le feu, la main du jeune homme, qui s’en rapproche pour s’y réchauffer, le sens du toucher et le chien, l’odorat. À ces interprétations, nous préférons penser que le but premier du peintre était la représentation du jeune homme. La présence du chien près de lui pourrait indiquer qu’il s’agit d’un berger. Aucun autre peintre du xviie siècle n’a utilisé de façon aussi récurrente dans son œuvre la représentation d’enfants. En cela, il a été une source importante d’inspiration pour l’œuvre d’Evaristo Baschenis et du Maître de la toile de jeans ; le tableau peut être situé vers 1650-1660. Les traits du jeune homme ont le sérieux des enfants représentés par notre peintre. Mais le style de Monsù Bernardo est plus souple, son trait plus léger, restituant la carnation de ses personnages d’une manière plus expressive. Ce style, allié à la lumière chaude et douce éclairant le tableau, donne une impression générale beaucoup plus sereine. En comparaison, la réalité du Maître de la toile de jeans est plus sèche et plus dure. Son usage d’un clair-obscur marqué le rapproche plutôt de la tradition du Caravage. gerlinde gruber
Evaristo Baschenis (Bergame, 1617-1677) 3. Jeune garçon avec une corbeille de pain et de pâtisseries
huile sur toile. 54 × 73 cm milan, collection mario scaglia
bibliographie Biancale, 1912, p. 325, 334, note 1 ; Delogu, 1931, p. 220 ; Angelini, 1943, p. 87, no 20 ; Longhi, dans cat. exp. Milan, 1953, p. x, 41, 43, no 54 ; Cipriani – Testori, dans cat. exp. Milan, 1953, p. 43, no 54 ; Griseri, 1953, p. 63 ; Pignatti, 1953, p. 277 ; Testori, 1953, p. 24 ; Delogu, 1962, p. 164 ; Volpe, dans cat. exp. NaplesZurich-Rotterdam, 1964-1965, p. 91, no 206, fig. 92b ; Gregori, 1969, p. 108 ; Rosci, 1971, p. 5051, 58, note 70 ; Valsecchi, 1972, nos viii, xxxii ; Bergström, 1975, p. 288 ; Gregori, 1982, p. 31, 92, note 161 ; Frangi, 1991, p. 42, 276 ; Bentivoglio Ravasio, 1993, p. 345 ; De Pascale, dans cat. exp. Bergame, 1996-1997, p. 166169, no 16 ; Rosci, dans cat. exp. Bergame, 1996-1997, p. 45-46, 50, note 21 ; Ruggeri, 1996, p. 321 ; Bayer, dans cat. exp. New York, 2000-2001, p. 92-95 ; Frangi, dans cat. exp. Milan, 2002, p. 208209, no 82 ; De Pascale, dans cat. exp. New York, 2004, p. 214-215 ; Gruber, 2006, p. 161 ; Morandotti, dans cat. exp. Milan, 2007-2008, p. 210-213.
expositions Rome, 1945, no 118 ; Milan, 1953, p. , 41, 43, no 54 ; Naples-ZurichRotterdam, 1964-1965, p. 91, no 206, fig. 92b ; Bergame, 19961997, p. 166-169, no 16 ; Milan, 2002, p. 208, no 82 ; Milan, 20072008, p. 210-213.
Le tableau a certainement vu le jour à Bergame même, où il est attesté de façon certaine aux xixe et xxe siècles (famille Quarenghi, ante 1912). De là, toujours à Bergame puis Rome, il devient propriété de Gianforte Suardi, et par descendance, du comte Guido Suardi, propriété toujours attestée en 1964, au moment de la grande exposition sur la nature morte italienne, avant de passer sur le marché de l’art milanais où il fut acquis, en 1984, par l’actuel propriétaire. Les natures mortes nombreuses et exemplaires de vérité, notamment celles célèbres d’instruments de musique, nous font oublier que le Bergamasque Evaristo Baschenis réalisa aussi des tableaux avec des figures (Tassi, 1793, i, p. 235). Pour ceux qui nous sont parvenus, force est de constater que la figure cède toujours le pas à de merveilleux morceaux de nature morte, comme le démontre le célèbre Triptyque Agliardi (collection particulière), qui représente des membres de cette même famille Agliardi en musiciens, ces derniers étant les véritables acteurs de la scène, mais l’ensemble illustrant toujours parfaitement ce genre de la peinture de Baschenis telle une « peinture de portrait ». Ici, le portrait de ce jeune garçon a été volontairement décalé sur la droite pour placer la corbeille au centre, rare moment d’équilibre dans cet exercice virtuose qui vise à lier figure et nature morte. Les deux motifs font véritablement corps en une description ciselée, fourmillante de détails et, en ce sens, le sucre blanc des pâtisseries rivalise sans peine avec les pompons floconneux des attaches de la chemise ; le pinceau leur accorde la même attention scrupuleuse. S’y ajoute l’harmonie des tons, celle des brun mordoré, des gris, si brillamment rehaussés par le rouge du revers de la manche et les détails de la passementerie et des boutons. La lumière, enfin, se répartit de manière franche sur les traits fins et sérieux de l’enfant, et de manière plus contrastée sur la corbeille dont l’ombre portée des gâteaux vient en animer le bord extérieur, un motif cher à l’artiste et qui réapparait souvent, en particulier dans les natures mortes de cuisine (collections particulières ; Milan, Accademia di Brera ; voir cat. exp. Bergame, 1996-1997, nos 9, 10, 41). Par l’intermédiaire du portrait, la nature morte s’anime, véritable témoignage sur une époque
et une société données. Dans le contexte de notre exposition, ce tableau est convoqué en tant que précédent lombard dans ce filon de la scène de genre traitée comme autant d’instantanés de vie, ce Jeune garçon avec une corbeille de pain et de pâtisseries, outre son ambition intellectuelle, prend ici une saveur particulière. En effet, on ne peut s’empêcher de le confronter – comme nous y invite la thématique commune d’un portrait de jeune garçon – avec le Petit mendiant avec une part de tourte (cat. 4). Il en apparaît comme une contrepartie élégante et raffinée qui n’a rien à lui envier du point de vue de l’intensité psychologique. Si le premier, élégamment vêtu, exhibe son alléchant trophée à bout de bras, sans fanfaronnade et avec application, le second, aux vêtements troués, endure la faim et le froid ; le peintre porte son attention sur les mains, rougies ou se cachant sous la veste pour trouver un peu de chaleur. Le visage à demi dissimulé par le col de sa veste, décidemment trop grande pour lui, a cette expression hébétée de celui qui attend dans le froid quelques opportunités de survie, interrogation évidemment absente de la composition de Baschenis. Là, triomphe la délectation par l’intermédiaire de la nature morte, cette corbeille hérissée de biscuits, dits savoyards, de pain ou de ciambelle (petites couronnes) : le savoyard en équilibre précaire sur le bord nous donne la mesure de son effort à maintenir la stabilité de l’ensemble. La place prépondérante accordée à ces gourmandises permet à l’artiste d’inventer une peinture qui parle directement aux sens. Baschenis s’est, de manière originale, avancé sur la route qui va de Caravage à Vermeer – ce dernier pour l’emploi d’une technique lisse et délicate pour le visage, une caractéristique qu’il partage avec le jeune garçon du Maître de la toile de jeans (cat. 4) –, peut-être sollicité par la présence d’artistes nordiques, de la stature de Michael Sweerts, en Italie du Nord. Pour un compte rendu détaillé et commenté de la bibliographie sur le tableau, nous renvoyons à la dernière étude en date d’Alessandro Morandotti ; ce dernier propose de le placer autour de 1650-1660, une datation assez avancée dans l’œuvre de l’artiste qui trouve sa justification dans l’accomplissement de ce tableau, véritable chef-d’œuvre de Baschenis. vronique damian
Maître de la toile de jeans (actif en Italie du Nord à la fin du xvii siècle) e
4. Petit mendiant avec une part de tourte huile sur toile. 86 × 61 cm paris, galerie canesso
bibliographie Gruber, dans cat. exp. Brescia, 1998-1999, p. 425 sous le no 90 ; Gruber, dans Frangi – Morandotti, 2004, p. 156, 158, 160 repr. ; Gruber, dans cat. exp. Milan, 2006, p. 128-130 ; Gruber, 2006, p. 160-161, 165, fig. 242.
Le tableau, provenant d’une collection particulière italienne, représente un jeune garçon devant une colonne, habillé d’une veste déchirée et tenant un morceau de tourte dans la main gauche. De la main droite, passée sous sa veste, il se couvre l’épaule du côté opposé. La bouche entrouverte, il adresse au spectateur un regard tout à la fois insistant et sérieux. Alors que la carnation est rendue avec précision au moyen d’une surface picturale particulièrement lisse, la veste avec ses accrocs et ses pièces est, au contraire, brossée d’un trait rapide. Le visage propre, méticuleusement dépeint, s’accorde avec les doigts minces et délicats de l’enfant. Ces deux particularités pourraient contredire son origine sociale populaire. Dans sa photothèque, Roberto Longhi a classé la photographie du Petit mendiant avec une part de tourte sous le nom de Michael Sweerts (Bruxelles, 1618 – Goa, 1664), en raison, sans doute, de ce visage allongé et sérieux, à l’expression mélancolique, qui devait lui évoquer le Garçon au chapeau du même artiste (Hartford, Wadsworth Atheneum), datant environ de 1655-1656. Mis à part ces similitudes, le garçon peint par le Maître de la toile de jeans paraît moins lyrique. Chez Sweerts, les traits du visage, exécutés avec raffinement, visent à l’idéal ce qui n’est pas le propos de notre artiste. Ici domine une vision réaliste accentuant la force d’expression de ce tableau. De plus, notre maître anonyme utilise un contraste ombrelumière plus marqué que chez Sweerts. L’expression sérieuse du visage évoque le tableau de Evaristo Baschenis (voir cat. 3) qui occupe une place spéciale dans son œuvre
(Frangi, 2002, p. 208). Tous deux réussissent, au moyen de l’expression insistante du visage et d’une composition simplifiée, à imprimer un ton poétique à leurs œuvres. Le fond, chez Baschenis, est sombre et uni alors que le Maître de la toile de jeans se limite à indiquer un fragment de colonne. Les deux ont en commun une mise en scène caravagesque, où l’on note la présence d’une seule source lumineuse provenant d’en haut, à gauche. Chez le Maître de la toile de jeans, les réminiscences à Caravage sont encore plus précises, les contrastes ombre-lumière sur le visage du garçon sont beaucoup plus marqués que chez Baschenis ; en outre, la colonne du fond rappelle de manière lointaine la niche et l’encadrement visibles derrière La Madone des pèlerins du Caravage (Rome, Sant’Agostino, chapelle Cavalletti). La carnation du petit mendiant, décrite avec une attention particulière, prend dans le corpus attribué au Maître de la toile de jeans, une place à part. À titre d’hypothèse, nous proposons de le situer au début de la production de l’œuvre de notre artiste au terme de laquelle on pourrait imaginer que vienne prendre place Le Barbier (cat. 12 ; voir l’essai de Gerlinde Gruber dans ce catalogue), qui se caractérise, dans certaines parties, par une technique picturale rapidement brossée, voire simplifiée. De fait, une telle conception picturale se rencontre plutôt en Italie – on pense à l’œuvre de Antonio Cifrondi – et cela pourrait indiquer que notre petit mendiant a été peint chronologiquement avant Le Barbier, dans une période de son évolution moins marquée par les influences italiennes. gerlinde gruber
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5. Repas frugal huile sur toile. 92 × 113 cm paris, galerie canesso
6. Repas frugal ₍non expos₎ huile sur toile. 148,7 × 118,8 cm gand, museum voor schone kunsten, inv. nr. 1905 - a
bibliographie no 5 Eeckhout, 1960, p. 377, ii, fig. 167 a ; Gruber, 2006, p. 162.
bibliographie no 6 Gand, 1909, p. 88-89 (comme espagnol, vers 1615-1630, école de Séville) ; Frimmel, 1913 ; Gand, 1938, p. 153 (comme Naples, xviie siècle) ; Bautier, 1943, p. 13, fig. xiv ; Chabot dans cat. exp. Bruxelles-Liège-Luxembourg, 1949, p. 18, no 29 (comme italien, xviie siècle) ; Chabot, 1951, p. 26, no 32 (attribué à Ceruti) ; Eeckhout, 1960, p. 373-377 (lombard, fin xviie siècle) ; Moulin, 1988, p. 168 ; Hoozee, 1988, p. 41 ; Hoozee – TahonVanroose, 1989, p. 64 ; Cappelletti dans cat. exp. Brescia, 1998-1999, p. 305, note 67 ; Hoozee, 2000, p. 34 (Italie du Nord) ; Gruber, 2006, p. 162-163, fig. 247.
Le tableau de la galerie Canesso, acquis en 2009, provient – comme son pendant (cat. 11) – de la collection Ignazio Ramone d’Imperia, en Ligurie ; la paire avait été achetée en 1947 dans la collection Anselmi de Porto Maurizio (Imperia) ; les deux œuvres étaient considérées comme « flamandes ». Le tableau est dans un bon état de conservation. Le Repas frugal de Gand a été acquis en 1905 par le Museum voor Schone Kunsten. Il provient de la collection viennoise Ladislaus Bloch (voir Frimmel, 1913, comme « anonyme espagnol »). Plus tard, il a été considéré comme appartenant à l’école napolitaine, puis en 1951, Chabot l’a attribué à Ceruti, avant qu’Eeckhout (1960) ne le mette en relation avec le style lombard de la fin du xviie siècle. Plus récemment, il a été rattaché à une école de l’Italie du Nord (Hoozee, 2000). Tous deux exposent sensiblement la même scène, le premier présente des figures à mi-corps, dans un format en largeur, alors que le second montre les figures en pied, dans un format en hauteur. Mis à part une déchirure sur la nappe positionnée différemment au premier plan et, sur le tableau parisien, la présence de petits ronds de métal difficiles à identifier (des pièces de monnaie ?) placés à côté de l’assiette, nos deux tableaux se distinguent par des différences minimes du point de vue du style. Un couple âgé et un jeune garçon sont assis autour d’une table étroite sur laquelle sont posés un plat avec une soupe de riz, une assiette avec des petits oiseaux, un morceau de pain, une cuillère et un couteau. La femme âgée regarde hors champ, elle tient d’une main l’assiette avec les oiseaux et de l’autre mange « une tourte aux herbes lombarde », probablement des bettes mélangées à d’autres légumes. L’homme âgé tend une cuillère de soupe de riz à l’enfant, ce dernier souffle pour la refroidir. Les aliments représentés sont typiques d’un repas simple de l’Italie du Nord ou de la Lombardie. Les cuillères en laiton comme celle-ci étaient produites en Italie pendant le xviie siècle, elles sont apparues autour de 1600 (communication écrite de A. van Dongen, 20 juin 2010. Voir aussi Klijn, 1987, p. 17). Le manteau du vieillard est raccommodé, cependant le col et son bonnet, réalisés dans un tissu blanc, sont propres, sans ravaudage, tout comme celui du petit garçon. Ces gens appartiennent plutôt à la basse bourgeoisie, il pourrait aussi s’agir d’artisans pauvres. Les cols de l’homme et du garçon sont façonnés de motifs
plus décoratifs que plastiques. Ils sont stylistiquement comparables au tablier de la Femme cousant avec deux enfants (cat. 7 et 8). Dans le tableau parisien, la précision remarquable avec laquelle l’œil de la vieille femme est réalisé, légèrement humide, témoigne d’un sens de l’observation anatomique qui pourrait indiquer pour notre artiste une origine du Nord. Ce détail nous porte à croire que le tableau de la galerie Canesso a pu voir le jour avant celui de Gand. Il se trouverait ainsi chronologiquement proche du Petit mendiant avec une part de tourte (cat. 4), dont le visage est peint d’une manière encore plus délicate. Ces deux tableaux attestent une proximité avec les compositions caravagesques, un élément qui conforte cette chronologie. Les personnages du tableau parisien, dans un environnement neutre et sans indication d’espace, plongés dans l’obscurité, prennent place dans une tradition qui remonte au début du xviie siècle, celle du Caravage et plus encore de Bartolomeo Manfredi, qui ont ouvert cette nouvelle voie, plus réaliste (Hartje, 2004, p. 128-135, 211-255). Les Bodegones de Vélasquez ont été mentionnés, à plusieurs reprises, à propos de nos compositions (voir l’essai de Frangi – Morandotti), le Maître de la toile de jeans va plus loin encore en se focalisant sur le thème du repas. Au début du xviie siècle, les scènes prenant place autour d’une table étaient associées à l’amour, aux jeux, à la musique et sous couvert de sujets légers s’y ajoute parfois la fraude ou l’escroquerie, une connotation allégorique et morale qui peut trouver son origine dans les sujets bibliques tels le fils perdu, le pauvre Lazare à table avec le riche débauché ou la Vocation de Mathieu. Ce n’est pas le cas chez notre artiste qui représente des personnes anonymes, de basse extraction, en train de manger. Dans la version de Gand, la scène est, pour ainsi dire, élargie, et nous ne connaissons pas le contenu de la bouteille au premier plan, est-ce de l’huile ou une boisson quelconque ? Dans un tableau de Cipper, figurant le fils perdu chez les prostituées, l’on peut voir une bouteille qui ressemble à celle du Repas frugal de Gand, fermée d’une manière similaire (Proni, 1994, no 42). On reconnaît clairement du vin rouge dans un des deux verres de cette composition de Cipper, ce qui nous autorise à penser que la bouteille du tableau de Gand puisse, elle aussi, contenir du vin. gerlinde gruber
Maître de la toile de jeans (actif en Italie du Nord à la fin du xvii siècle) e
7. Femme cousant avec deux enfants huile sur toile. 102 × 193 cm milan, fondazione cariplo, inv. no af01257afc
8. Femme cousant avec deux enfants huile sur toile. 100 × 181 cm paris, galerie canesso
bibliographie no 7 Spiriti, 1998, p. 75 ; Colace, dans Gatti-Perer, 1998, p. 226-229, no 107 ; Rossi, 1998, p. 38 ; Frangi, 2000, II, p. 1145-1162 ; Gruber dans Frangi – Morandotti, 2004, p. 158, repr. ; Gruber dans cat. exp. Milan, 2006, p. 130 repr. ; Gruber, 2006, p. 161-162, 165, 167.
bibliographie no 8 Gruber dans cat. exp. Milan, 2006, p. 128-130 ; Gruber, 2006, p. 161, 164-165, fig. 243.
Le tableau milanais se trouvait (comme cat. 5 et 11) dans une collection particulière ligure, à savoir celle de l’historienne de l’art Caterina Marcenaro à Gênes (voir Rossi, 1998, p. 38), qui l’a légué en succession à la banque Cariplo de Milan. Dans la collection Marcenaro, il était considéré – ce qui nous semble aujourd’hui étonnant – comme l’œuvre du Hollandais Johannes Vermeer (1632-1675), peut-être en raison du sentiment apaisé qui se dégage de cette scène de la vie quotidienne, bien que Vermeer, à l’opposé de notre peintre, soit réputé pour ses scènes d’intérieur de la vie bourgeoise. Mais le tableau, avec sa description monumentale d’un milieu très rural, témoigne d’une tout autre culture, puisqu’il a d’abord été considéré comme une œuvre d’un peintre français de la première moitié du xviie siècle (Colace, 1998, selon Zeri). Les frères Le Nain et Georges de La Tour ont été cités comme autant de références. F. Frangi (2000) l’a justement rendu au Maître de la toile de jeans. La deuxième version connue du tableau, sur laquelle A. Morandotti a attiré mon attention, se différencie de la composition milanaise par la plume fixée sur le chapeau du jeune garçon et dans les carnations plus rouges, ainsi que des passages vers les parties ombrées moins modulés. Elle est réapparue à une vente à New York à une date récente (Sotheby’s, 19 mai 1995, no 146), et de là sur le marché de l’art à Madrid, puis dans une collection particulière, avant son acquisition par la galerie Canesso. Les deux compositions montrent à gauche une femme assise, absorbée par ses travaux de couture. Derrière elle, dort un bébé emmailloté dans un petit lit de bois sculpté. Au pied de ce lit, un jeune garçon est assis, une main passée derrière son cou, il regarde vers le spectateur. Devant le lit, un récipient de faïence dans lequel se trouvent une cuillère en métal, une cruche en terre cuite ainsi qu’un petit pain d’une forme encore existante aujourd’hui en Italie. À gauche, à même le sol, un panier posé laisse échapper un tissu déchiré et au premier plan une large
bande de tissu roulé, légèrement penchée, et une pelote de fil complètent les ustensiles de couture. Comme dans la Femme mendiant avec deux enfants (cat. 9), l’angle sous lequel sont représentées la cruche et l’assiette implique que la perspective du sol soit relevée. Notre maître ne s’intéressait apparemment pas à la perspective centrale, ce qui a été interprété par R. Colace (1998) comme un manque d’assurance dans la technique. D’une manière révélatrice, il obtient l’idée de la profondeur en échelonnant les plans : d’abord la mère, puis le lit, et ensuite le petit garçon assis et pour finir, toute la pièce qui reste indéfinie. En ce sens, il est proche de Giacomo Francesco Cipper, chez qui l’on retrouve à plusieurs reprises le motif de l’enfant emmailloté, couché dans un lit (voir fig. 3, p. 13). Le petit lit décoré de motifs simples, ainsi que son montage, sont typiques des régions rurales italiennes ou plus généralement alpines ; il a été volontiers en usage jusqu’au xviiie siècle (communication du 9 avril 2010 de C. Witt-Dörring, que nous remercions). Pour cette raison, il a été rapproché de la culture nord-italienne, un argument qui va à l’encontre de son attribution à un peintre français. Alors que les meubles et la vaisselle évoquent clairement un milieu rural, la femme vêtue de vêtements déchirés pourrait, si elle n’était pas absorbée dans son travail, être prise pour une mendiante. Le tablier, dans les parties effilochées, montre les fils de chaîne blancs typiques de la toile de Gênes. Le pantalon du garçon et probablement l’oreiller sous la tête du bébé seraient confectionnés dans ce même tissu. Le garçon est également vêtu de haillons. Il paraît s’être rendu compte de sa triste situation et touche le spectateur par son regard songeur et impassible. Il apparaît comme un précurseur de Giacomo Ceruti, chez qui les personnages semblent conscients de leur misère (voir cat. 14 et 15). L’intérieur, plongé dans l’obscurité, n’est pas décrit avec plus de détail. gerlinde gruber
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9. Femme mendiant avec deux enfants uile sur toile. 152 × 117 cm h paris, galerie canesso
bibliographie Gruber, dans cat. exp. Brescia, 1998-1999, p. 425, no 90 ; Frangi, 2000, II, p. 1145-1162 ; Gruber, dans Frangi – Morandotti, 2004, p. 156-161 ; Gruber, dans cat. exp. Milan, 2006, p. 128-133 ; Gruber, 2006, p. 159-161, fig. 241.
expositions Brescia, 1998-1999, p. 425, no 90 ; Milan, 2006, p. 128-133.
Selon une tradition orale, le tableau se trouvait, à partir de 1850, dans la Villa Airoldi à Albiate, au nord de Milan, où il était encore attesté à la fin du xxe siècle. Acheté par Luigi Koelliker à Rome en 2002, il a été acquis à une date récente par la galerie Canesso qui l’a restauré, faisant réapparaître un certain nombre de détails ou les rendant plus lisibles. La composition représente une mère et ses deux enfants, habillés de vêtements usés et l’on remarque, au bras de cette femme, les vestiges d’une manche à crevés sous laquelle est visible une seconde manche de couleur brique dont les boutons ornent une manchette réalisée dans une matière différente et d’une autre couleur (voir le texte de Marzia Cataldi Gallo dans ce catalogue). La femme s’appuie sur une béquille et interpelle le spectateur en lui tendant une sébile. À ses côtés, la jeune fille tourne elle aussi son regard absent hors du champ du tableau. Sous son tablier, elle porte une petite sacoche de laquelle dépasse du pain, détail qui ne se voyait pas avant la restauration et qui pourrait contredire le geste de mendicité de la femme et du jeune enfant. Une telle interprétation s’opposerait toutefois à l’habituelle neutralité avec laquelle le Maître de la toile de jeans représente ailleurs des personnages de même condition. À l’exception d’un coin de mur, visible depuis la récente restauration du tableau, la composition est concentrée sur les trois personnages qui semblent simplement avoir arrêté, un bref instant, leur marche en direction de la droite pour montrer avec dignité le spectacle de
leur propre misère. Au tout premier plan, un récipient rempli de braises suggère le froid qui doit régner. Dans un contexte allégorique, il pourrait évoquer un attribut de l’hiver (Huys Janssen, dans cat. exp. La Haye-Louvain, 2002-2003, p. 121, no 16, p. 168-169, no 97). Cependant, il paraît peu probable que telle ait été l’intention de l’artiste, car il s’agirait de la seule composition qui puisse laisser place à une interprétation allégorique. Son objectif était plutôt de montrer la pauvreté d’une façon réaliste et relativement monumentale, ce que renforce le détail vériste du récipient de braises, allusion directe au froid enduré par ces pauvres gens. D’un point de vue stylistique, le tableau se rattache aux artistes de la région lombardo-vénitienne : le visage de la mère au nez retroussé, mis en évidence par un reflet sur l’extrémité de l’arête, fait penser à Un homme du peuple avec un beret du jeune Antonio Cifrondi (Lovere, Accademia Tadini ; voir Dal Poggetto, 1982, p. 403, ill., p. 502-503, no 137). Le coloris, l’utilisation d’un clair-obscur marqué, ainsi que l’inclinaison du sol sont autant de caractéristiques adoptées aussi par Giacomo Francesco Cipper, dans son œuvre de jeunesse (voir fig. 3 p. 13). Ces indices permettent de dater approximativement le tableau dans le dernier quart du xviie siècle. La représentation de la pauvreté, transcrite d’une manière aussi sensible et, de surcroît, dans des œuvres de relativement grand format, font de notre maître anonyme un véritable précurseur de Giacomo Ceruti (voir cat. 14 et 15). gerlinde gruber
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10. Repas frugal avec deux enfants huile sur toile. 76,2 × 116,7 cm paris, galerie canesso
bibliographie Cappelletti, dans cat. exp. Brescia, 1998-1999, p. 302-303, fig. 9, p. 305, note 67 ; Gruber, 2006, p. 163, fig. 245 ; Pulini, dans cat. exp. Londres, 2006, p. 64-65 ; Pulini, dans cat. exp. Brescia, 2007, p. 78-81, no 15 ; Pulini, dans Orlando, 2008, p. 86-89, no 14.
Le Repas frugal avec deux enfants, précédemment dans la collection Luigi Koelliker de Milan, a été mis en relation, à juste titre, avec le tableau du musée de Gand (cat. 6) par F. Cappelletti, qui connaissait le tableau uniquement d’après la photographie. La composition présente une femme âgée assise avec deux enfants à une table dont la perspective a la caractéristique d’être moins relevée que celle du Repas frugal de Gand ; en revanche, de l’une à l’autre, les mêmes objets se retrouvent. La nature morte montre un bol sombre et une assiette de faïence, présente aussi dans le tableau de Gand, derrière une seconde assiette ébréchée. Sur le devant, une cuillère et un morceau de pain sont, eux, posés en sens inverse dans le Repas frugal (cat. 5 et 6) et dans la Femme cousant avec deux enfants (cat. 7 et 8). Le jeune garçon donne à manger à la petite fille et la femme âgée regarde hors du champ du tableau. Les lunettes portées par cette femme témoignent du réalisme du Maître de la toile de jeans : il s’agit de lunettes dites frontales, utilisées dès le xvie siècle. « Ces lunettes étaient portées par des femmes et des personnalités ayant un statut élevé ce qui leur permettait de ne pas avoir à enlever leur couvre-chef » (Rossi, 1989, p. 49). Une branche, qui suivait la courbure du front et la plupart du temps pliable, permettait, à son extrémité, de la fixer dans les cheveux ou sous la perruque ou encore ici, entre les cheveux et le foulard de la vieille femme. Cette branche était faite en métal, ce qui est peu visible sur le tableau où il semble s’agir plutôt d’un fil. Cependant, le tableau a un peu souffert, laissant à penser qu’à l’origine la nature du matériau était plus apparente. Si l’on compare le Repas frugal avec deux enfants avec le Repas frugal de Gand et celui de la galerie Canesso (cat. 5
et 6), qui sont identiques du point de vue thématique, les trois tableaux présentent un fond sombre uniforme et de l’un à l’autre, le col des petits garçons se ressemblent, peint avec des plis aux traits sombres, à peine nuancés. La manière dont la femme tient l’assiette de faïence rappelle la position de la main de cette autre femme âgée dans le tableau de Gand et celui de la galerie Canesso (où elle ne la tient que d’une seule main). Le motif de la nappe abîmée est récurrent dans les deux compositions. Le Maître de la toile de jeans réutilise à loisir un même répertoire d’image. Aussi bien pour notre tableau que pour le Repas frugal, F. Cappelletti renvoie aux frères Le Nain et interprète les deux tableaux, en raison des contrastes ombre-lumière, comme « un episodio di lontano rimbombo del caravaggismo » ; elle les date de la troisième ou quatrième décennie du xviie siècle, ce qui me semble un peu tôt (Cappelletti, 1998, p. 303). C’est A. G. De Marchi qui a attiré l’attention de F. Cappelletti sur ce tableau en proposant comme possible auteur, pour les deux compositions, Jean Michelin (ca. 1623-1696), un peintre de la suite des frères Le Nain (Cappelletti, 1998, p. 305, note 67). Nous connaissons uniquement de ce dernier des tableaux avec de petites figures, sans forts contrastes de lumière et par ailleurs, plutôt de petits formats. De plus, il ne représente jamais l’environnement de la scène de façon aussi sommaire que notre artiste. Chez Michelin, l’intégration des figures dans le décor prime sur l’étude détaillée des attitudes de chacun. Le tableau se différencie nettement des œuvres mieux conservées de notre artiste ; la photographie publiée par F. Cappelletti atteste de l’état du tableau avant restauration. gerlinde gruber
Maître de la toile de jeans (actif en Italie du Nord à la fin du xvii siècle) e
11. Fileuse avec deux enfants huile sur toile. 90 × 115 cm paris, galerie canesso
bibliographie Eeckhout, 1960, I, p. 377, II, fig. 167b ; Gruber, 2006, p. 168, note 33.
Le tableau provient, comme son pendant le Repas frugal (cat. 5), d’une collection particulière d’Imperia où il se trouvait depuis 1947, après avoir appartenu à la collection Anselmi de Porto Maurizio (Imperia). Là, il passait pour une œuvre flamande. P. Eeckhout le considéra comme une copie d’après un original perdu de la même main que celle du tableau de Gand (cat. 6). Il fut sans doute amené à cette conclusion par le fait que le tableau, qui lui fait office de pendant, est d’une tenue – tant stylistique que d’exécution – quelque peu supérieure. Cette constatation nous autorise à mettre en doute que les deux tableaux puissent être de vrais pendants, nés ensemble du point de vue de la chronologie. Peut-être celui de la Fileuse avec deux enfants réplique-t-il, pour l’occasion, une composition d’un autre moment de la carrière de l’artiste. Le fond, uniformément sombre, donne une certaine gravité à la composition, mais il convient de se demander s’il n’était pas plus clair à l’origine. Le trou béant du tablier de notre fileuse devrait laisser apparente la jupe qui est au-dessous – que l’on s’attendrait à voir bleue, en toile de Gênes – mais l’on n’aperçoit ici qu’une tache sombre et noire, ce qui laisse penser que cette couleur a pu s’altérer avec le temps. Indépendamment de ces quelques remarques, la scène représentée est d’un impact immédiat sur le spectateur. Au centre, une femme âgée est assise, apparemment aveugle d’un œil, et file d’une expression revêche. À sa droite, un petit garçon, mieux
vêtu, tient un bâton et un gobelet ; il regarde lui aussi en direction du spectateur. Les couleurs rouge et jaune sont inhabituelles dans ce petit corpus attribué au Maître de la toile de jeans ; le bleu du jeans manque comme je l’ai déjà suggéré plus haut. En effet, tous les autres personnages féminins de notre artiste portent une jupe ou un tablier dans cette matière. Le garçon de droite semble arranger sa veste. La forte impression que nous laisse ce tableau vient de la représentation sans concession de ce handicap visuel dont est atteinte cette femme âgée. Au xviie siècle, il n’est pas rare de trouver des tableaux où sont représentés des aveugles, et pas seulement dans un contexte proverbial, comme le démontre l’un des tableaux de Pieter Brueghel l’Ancien (Naples, Galleria Nazionale di Capodimonte). Les vielleurs aveugles de Georges de La Tour sont certainement une référence importante pour le Maître de la toile de jeans (voir l’essai de Frangi – Morandotti dans ce catalogue), la version du musée des Beaux-Arts de Nantes montre le chanteur en pied, dans un format réel, véritablement habité par la musique. Cependant, les aveugles de La Tour ne peuvent pas avoir un contact visuel avec le spectateur, alors que notre vieille fileuse nous fixe durement de son œil sain. Le fond très sombre concourt aussi à donner un ton encore plus dramatique à la composition, au contraire des vielleurs aveugles de La Tour qui posent devant un fond brun clair. gerlinde gruber
Maître de la toile de jeans (actif en Italie du Nord à la fin du xvii siècle) e
12. Le Barbier huile sur toile. 150 × 115 cm paris, galerie canesso
bibliographie Damian, 2006, p. 56-59 ; Gruber, 2006, p. 164-165, fig. 248.
Le Barbier a été catalogué chez Christie’s à New York, en 2004, comme école napolitaine du xviie siècle (23 janvier, lot no 6) mais, déjà, l’auteur du catalogue avait vu qu’il s’agissait de la même main que le Repas frugal de Gand (cat. 6). En 1975, le tableau se trouvait chez Wildenstein à Paris (lettre du 27 mai 1975 à P. Eeckhout ; documentation du Repas frugal au Museum voor Schone Kunsten de Gand). Francesco Frangi attribue ce tableau au Maître de la toile de jeans et comme tel, il a été publié en 2006 par Véronique Damian. On y voit un barbier – au xviie siècle cette profession était exercée avant tout par les hommes (Woschitz, 1994, p. 27-28) – qui est en train de s’affairer autour de la tête d’un homme assis, une serviette déchirée sur les épaules regardant hors du tableau. Un jeune apprenti le seconde en tenant un récipient de faïence qui fait office de plat à barbe. Ce récipient à décor « marmorisé » était produit principalement à Pise mais aura une large diffusion en Italie du Nord dans la première moitié du xviie siècle
Fig. 1 — Maître de la toile de jeans, d’après, Le Barbier, Varèse, musée Baroffio, Santuario del Sacro Monte.
(information communiquée par Alexandra van Dongen le 19 juin 2010 ; voir aussi Hurst, Neal et Beuningen, 1986, p. 33-37). Il regarde, lui aussi, en direction du spectateur. Sur un tabouret, au premier plan, sont posés un peigne à deux rangs, des ciseaux ainsi qu’un tissu blanc, des ustensiles qui s’accordent pleinement avec l’activité d’une échoppe de barbier. La scène prend place devant un mur sombre, percé d’une niche, dans laquelle se dessine une fiasque, à gauche semble être accroché un miroir dans un cadre carré. Malgré ces annotations spatiales relativement précises, l’attention se porte sur les protagonistes, bien mis en valeur par une représentation à la perspective très relevée, typique du Maître de la toile de jeans. Du point de vue de l’iconographie, notre artiste explore une nouvelle veine car le barbier s’active réellement autour de son client. Le peintre ne représente pas plus la scène classique de l’arracheur de dents que l’opération d’un patient (Schneider, 2004, p. 184, fig. 114). Notons qu’il existe toute une longue série de tableaux montrant L’Excision de la pierre de folie où, précisément, on opère le malade à la tête, une source visuelle qui a pu directement inspirer notre artiste ici. Ce sujet a été peint par Giacomo Francesco Cipper (Le Havre, musée Malraux ; cat. exp. Chambéry-Le Havre-Reims, 2005-2006, p. 86, no 17) pour citer un exemple d’une scène proche de la nôtre. La seule représentation connue d’un barbier en train de couper les cheveux de son client dans un salon de coiffure est un tableau attribué à Quiringh van Brekelenkam (La Haye, RKD, Photothèque iconographie, sous « Barbier »), cependant dans un format nettement plus modeste, et de surcroît avec de petites figures. Pour cette raison, il n’est pas possible de le comparer à notre tableau. L’auteur de la monographie sur Brekelenkam a répertorié deux scènes semblables d’attributions incertaines (Lasius, 1992, p. 88-89). Avec cette ouverture nouvelle du point de vue de l’iconographie, notre artiste parle en faveur d’un intérêt pour la réalité qui se traduit par une observation précise de scènes de la vie quotidienne. Cette composition connut un certain succès comme en témoigne une copie (146 × 116 cm) qui se trouve aujourd’hui au musée Baroffio (Santuario del Sacro Monte à Varèse ; inv. 83 ; fig. 1), provenant, selon toute probabilité, de la collection du baron Giuseppe Baroffio Dall’Aglio (Brescia, 1859 – Azzate, 1929). gerlinde gruber
Giacomo Francesco Cipper, dit Il Todeschini (Feldkirch, Vorarlberg, 1664 – Milan, 1736) 13. Le Déjeuner de paysans avec jeune flûtiste huile sur toile. 144 × 114 cm rome, collection particulire
bibliographie Damian, 2008, p. 26-31.
Cipper – comme le Maître de la toile de jeans – s’est fait une spécialité des scènes où dominent les représentations de personnages autour d’une table, soutenues par un goût pour la nature morte qu’il porte à son plus haut niveau. Au centre de la composition, des mets simples – du pain, du fromage, un saucisson posé sur un papier et des châtaignes cuites – sont exposés sur une nappe claire réalisée dans un tissu épais et sans accrocs. Tous ces éléments, de même que le pichet de vin, l’assiette et la cuillère tenues par la petite fille, sont décrits avec un réel souci de vraisemblance, sans retenu, de sorte que ce déjeuner paraît appétissant et digne de cette jeune femme qui a mis pour l’occasion ses plus beaux atours, comme le signalent les nœuds, exagérément démonstratifs. La vieille femme à l’arrière-plan, dépeinte en brun foncé sur un fond brun clair, semble amusée par le badinage de ce jeune couple alors que la petite fille, probablement une mendiante compte tenu de l’état miséreux de son accoutrement et de son bâton posé sur ses genoux, mange avec contentement une assiette de bouillon – on lit presque du bonheur dans son regard sans détour. Il est difficile de comprendre si la scène se passe en intérieur ou en extérieur, peut-être une cour d’auberge. Comme souvent dans les compositions de Cipper un pilier sépare la scène verticalement, artifice lui permettant ainsi de fractionner l’espace, idée reprise dans la pierre grossièrement taillée faisant office de banc au premier plan. Exécuté avec brio, le tableau possède un équivalent dans une autre composition tardive, le Repas de paysans avec jeune mendiante (localisation inconnue), daté par M.S. Proni (1994, p. 124-125) des années 1725-1730, presque dans la période ultime de Cipper et où l’on retrouve le même modèle féminin pour la jeune femme. Dans tous les cas, il faut envisager pour notre composition une datation après 1720, comme s’accorde encore à nous le dire Gerlinde Gruber. Les premiers plans sont servis par une palette claire et vive, où dominent les bleus et les rouges, alors que les figures de l’arrière-plan sont travaillées en grisaille sur le fond, avec une matière plus légère et plus économe. Ces deux dernières figures sont rehaussées, du bout du pinceau, de petits accents
de peinture blanche qui sont autant de points lumineux venant rompre une harmonie par trop monochrome. Si derrière de telles représentations, il est raisonnable d’imaginer que se cachent des significations symboliques, ici les trois personnages féminins font allusion aux trois âges de la vie dont il est touchant de constater que les plus précaires et les plus misérables sont ceux de l’enfance et de la vieillesse. Le tableau dans son ensemble sonne alors comme un magnifique hymne à cette même vie dont la musique est jouée par le petit flûtiste à l’arrière-plan. Le regard mi-amusé, mi-moqueur de la jeune femme, de toute évidence courtisée par son alter ego masculin, semble inviter le spectateur au fameux carpe diem du poète épicurien Horace, qui lui invitait son lecteur à profiter du moment présent sans se soucier de l’avenir. C’est encore par le jeu des regards croisés, qui sont autant d’interrogations muettes, que la composition montre ses liens avec celles de notre Maître anonyme et de Giacomo Ceruti, dont les regards interpellent sans attendre de compassion. Cependant, ces scènes décrivent des actions précises telles ces fileuses, ces brodeuses ou ces femmes cousant ou mendiant, ce barbier, tous apportant leur humanité laborieuse à ce grand mouvement de la peinture de la réalité. Le tableau provient de la collection Busiri Vici de Rome, et se trouve actuellement dans une collection particulière romaine, après qu’il a été acheté par la galerie Canesso. L’historiographie récente s’est enfin penchée de manière plus ponctuelle sur l’œuvre de ce peintre autrichien d’origine, figure à part entière de la peinture de genre en Lombardie (dernièrement cat. exp. Chambéry-Le HavreReims, 2005-2006). La présence de l’artiste est attestée à Milan à partir de 1696, soit dix ans avant que la Lombardie ne passe sous domination autrichienne, et il y travaille jusqu’à sa mort en 1736. Les dates de son séjour coïncident en plein avec le vif intérêt, entre 1670 et 1740, que suscite la peinture de la réalité, mouvement auquel vient s’associer notre artiste, entre Pietro Bellotti (1625-1700), le Danois Eberhard Keilhau, dit Monsù Bernardo (16241687) et pour finir Giacomo Ceruti (1698-1767). vronique damian
Giacomo Ceruti, dit il Pitocchetto (Milan, 1698-1767) 14. Une femme tressant de l’osier huile sur toile. 125 × 142 cm ville de montichiari ₍prs de brescia₎, collection lechi
bibliographie Gregori, 1982, p. 42, 45, 203, 435, no 60 (avec la bibliographie précédente) ; Frangi, dans cat. exp. Brescia, 1987, p. 97, 174, sous le no 20, p. 175, no 21 ; Zani, dans cat. exp. Brescia, 1998-1999, p. 432, note 1.
expositions Brescia, 1935, p. xxxii, no 92, p. 28, ill. vi ; Zurich, 1948-1949, no 783 ; Milan, 1953, p. 74, no 156 et fig. 156 ; Paris, 1960-1961, no 471 (non ill.) ; Brescia, 1987, p. 97, 174, sous le no 20, 175, no 21.
Le tableau fait partie de ce qu’il est convenu d’appeler le « cycle de Padernello », c’est-à-dire un ensemble de quinze tableaux de grands formats à sujets populaires de Ceruti, commandés selon toute probabilité par la noble famille des Avogadro de Brescia. Leur réalisation est à situer pendant le long séjour de l’artiste dans cette ville dont la date de 1734 en marque la fin. On retrouve ensuite Ceruti à Gandino (Bergame), tandis qu’il est en route pour Venise. Autour de 1809, la collection passe aux comtes Fenaroli, qui la dispersent dans une grande vente à Brescia, en 1882. Cependant, la Femme tressant de l’osier n’est pas mentionnée dans le catalogue Fenaroli de 1820. à cette vente, les Pitocchi (les mendiants ou les gueux) de Ceruti sont achetés par la famille Salvadego qui les expose dans son château de Padernello (près de Brescia). L’ensemble du cycle s’y trouvait encore lorsqu’il fut découvert, tôt dans le xxe siècle, par G. Delogu (1931, p. 315, 322, 331) et presque aussitôt exposé à Brescia en 1935, révélant au grand public un artiste alors presque oublié (Calabi, dans cat. exp. Brescia, 1935, p. xxxii, no 92, 28, ill. vi). Cet ensemble de tableaux, traité comme une véritable épopée des pauvres, des paysans, des petits métiers, tant féminins que masculins, tous exemplaires et uniques dans ce filon de la peinture de la réalité, débouchera en 1736 sur le chef-d’œuvre des Trois mendiants réalisé pour le maréchal Schulenburg à Venise (aujourd’hui à Madrid, musée Thyssen Bornemisza), qui élève l’état de pauvreté à un état spirituel, expression d’une lecture qui va du négatif vers le positif. La mise en page de la Femme tressant de l’osier, présentée sur un mur sombre lui servant de fond, étonne par le choix du profil. Tout en tressant des petits bouts d’osier, on devine son regard perdu devant elle. Assise sur un siège de fortune, en extérieur, elle n’est pas enveloppée de la claire lumière du jour mais au contraire par une semi-pénombre accentuant la solitude qui se dégage de cette figure, vraisemblablement absorbée dans des pensées existentielles. Ceruti s’applique, à grands traits rapides et expressifs, à l’étude attentive de ses vêtements déchirés et effilochés, superposés jusqu’à la faire disparaître sous cette accumulation. De ces dégradés bruns et gris-blanc, seule, ressort sa veste de
couleur brique. L’on connaît l’habilité de l’artiste dans le domaine du portrait et l’on ne peut que relever ici cette apparente contradiction qui est de ne pas montrer le regard du modèle en lui préférant une vue tout extérieure qui s’attache plus à son état qu’à ses caractères physiques. Ceruti partage avec notre Maître de la toile de jeans le refus de l’expression – mais non de l’expressivité – en nous donnant une image « silencieuse » et introspective. La pauvreté tient lieu d’identité à cette femme qui, en gardant son mystère, ne sollicite pas l’empathie du spectateur par l’absence du jeu du regard, miroir de l’âme. Si de tels sujets, comme il a été souvent souligné par la critique, payent leurs dettes à la série des eaux-fortes des gueux de Jacques Callot (1592-1635), éditées un siècle plus tôt à Nancy, vers 1622-1623, c’est sur un mode différent que Ceruti les conjugue, en privilégiant l’intériorité et l’actualisation dans le quotidien de l’époque, celui d’une Italie en crise. Si l’on voulait penser à un équivalent chez Callot, on pourrait évoquer la Mendiante au rosaire, elle aussi de profil, mais Ceruti s’en distingue par la recherche d’une valeur morale ; par leurs activités ces pauvres gens gardent leur dignité sans se complairent dans la passivité. La Femme tressant de l’osier trouve un écho formel – et masculin – dans le Pitocco au repos (collection particulière), qui présente la même mise en page et des dimensions sensiblement identiques, sans que l’on puisse pour autant affirmer que ces deux compositions fonctionnent comme de véritables pendants. Cet homme fixe au contraire le spectateur avec assurance, ce qu’évite de faire notre femme, volonté affirmée qui prend alors une connotation délicate et pudique, laquelle dans un autre contexte, aurait pu passer pour de la coquetterie féminine. Giacomo Ceruti se détache comme un interprète talentueux de la peinture naturaliste qui se concentre tant sur le modèle que sur la portée, empreinte de philosophie et qui trouvera des prolongements dans le mouvement de l’Illuminismo milanais dont l’art d’Alessandro Magnasco (1667-1749) s’est teinté. La critique s’est plu à évoquer les échos plus tardifs, dans le siècle suivant, en particulier dans les grandes fresques narratives et sociétales de Gustave Courbet (1819-1877) pour ne citer qu’un exemple. vronique damian
Giacomo Ceruti, dit il Pitocchetto (Milan, 1698-1767) 15. Deux porteurs jouant aux cartes huile sur toile. 140 × 155 cm brescia, collection particulire
bibliographie Gregori, 1982, p. 56, 214, fig. 66, 436-437, no 66 (avec bibliographie précédente) ; Bona Castellotti, 1986, fig. 178 ; Frangi, dans cat. exp. Brescia, 1987, p. 102, 176, no 26 ; Anelli, 1994, p. 317-319, fig. 11 ; Terzaghi, dans cat. exp. Brescia, 1998-1999, p. 241, p. 437, no 111 ; Risaliti, 2004, p. 30, .
expositions Brescia, 1935, p. xxxii, no 102, p. 28 ; Milan, 1973, sans numéro ; Brescia, 1987, p. 176, no 226, p. 102, fig. 26 ; Brescia, 1998-1999, p. 241, 437, no 111 ; Mantoue, 2004, p. 30, , sans numéro.
Comme le tableau précédent auquel nous renvoyons pour la provenance (cat. 14), les Deux porteurs jouant aux cartes appartient lui aussi au « cycle de Padernello », cycle présentant une série de quinze tableaux de grands formats à sujets populaires, commandés à l’origine à Ceruti, selon toute probabilité par la noble famille des Avogadro de Brescia, et réalisé entre les années 1720 et 1734, date de son départ pour Gandino (Bergame), puis Venise, où il travaillera pour le maréchal Schulenburg. Cependant, nous sommes ici dans un registre moins dramatique que le précédent, en observant d’un œil amusé ces deux garçons jouant aux cartes le profit de leur travail comme le laisse deviner le panier vide, renversé sur le côté pour faire office de siège à l’un des deux protagonistes. Le garçon de droite est, lui, assis sur une pierre et s’apprête à glisser sa pièce de monnaie entre deux tiges d’osier tressé pendant que son compagnon mélange le jeu de cartes. Ce thème du jeu, associé au monde de l’enfance, permet à l’artiste tout en répondant encore aux conventions de la peinture de la réalité, d’y glisser fraîcheur et ingénuité, de nouveaux aspects de la vie populaire qui coïncident parfaitement avec l’insouciance du jeune âge. Il s’agit d’un divertissement qui intervient après un dur labeur, celui de porter ces grands paniers chargés de victuailles. Le fond architecturé, légèrement esquissé dans des tonalités brun clair, nous laisse à penser que nous sommes sur la place du village, peut-être à l’heure des vêpres car certains semblent entrer à l’église. D’autres s’affairent encore sous les arcades signalant par là même l’emplacement de boutiques. Devant ce décor qui plante la scène, nos deux jeunes garçons, nus pieds, et vêtus l’un et l’autre d’une simple chemise et d’un pantalon court, sont captivés par le jeu. Les deux visages, en profil perdu, de trois quarts pour celui le plus à droite, se détachent de manière nette sur le fond au moyen d’une ligne foncée qui en délimite le contour, et d’une manière plus générale, qui délimite le contour des figures. Grandeur nature, ces deux effigies affleurent à la surface
de la toile au tout premier plan, en invitant presque le spectateur à entrer dans le jeu tant leur proximité paraît bien réelle. Rien ne le distrait du petit drame qui se déroule sous ses yeux, celui du malheureux perdant qui rentrera sans le sou, si durement gagné. Pourtant, l’artiste a pris soin de colorer leur visage de rouge pour y signaler l’émotion et la vie, ce même rouge pur avec lequel est dépeint le chapeau au centre de la composition. Il est frappant de constater qu’aucune expression de joie ne vient illuminer ces deux visages frais qui sont, au contraire pour leur âge, résolument sérieux et concentrés. Par son caractère très abouti, aussi bien pour le rendu des carnations que pour l’attention soutenue portée aux motifs, Mina Gregori date le tableau de la fin du séjour à Brescia. Un tableau de même sujet et d’une mise en page semblable, mais différemment traité, ce qui prouve que l’artiste n’aimait pas se répéter (aujourd’hui dans une collection particulière), atteste du succès de ce thème (Gregori, 1982, p. 434, no 58). Mina Gregori signale encore une copie antique de notre composition (collection Bettoni Cazzago). Les deux tableaux de Ceruti présents dans cette exposition nous dévoilent deux facettes de son talent, au plus haut niveau dans le genre de la peinture du paupérisme, et qu’il exerça entre la Lombardie et la Vénétie. Le Milan du début du xviiie siècle, qui voyait habiter dans le même quartier l’Autrichien Cipper, dit le Todeschini (1664-1736), et Ceruti, et plus généralement la Lombardie – citons entre autre Antonio Cifrondi (1657-1730) qui, après avoir séjourné en France, arrive à Brescia vers 1725 où il aura eu tout le loisir d’y côtoyer Ceruti – sont un véritable creuset pour la peinture de la réalité (voir Anelli, 1982). Cette région fut toujours ouverte à ce genre de la peinture, y compris quand elle vient de plus haut dans le Nord, comme nous l’indique le passage attesté au milieu du xviie siècle d’un autre artiste étranger, le Danois Eberhard Keilhau (1624-1687), présent entre 1654 et 1656 à Bergame et à Milan. vronique damian
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crdits photographiques Gemäldegalerie der Akademie der bildenden Künste, Vienne : p. 33 Thomas Hennocque : 1ere et 4e de couverture, p. 4, 6, 37, 39, 40, 43 ₍bas₎, 45, 47, 49, 51 Museum voor Schone Kunsten, Gand : p. 41 Fotostudio Rapuzzi, Brescia : p. 55, 57 Museo Nacional del Prado, Madrid : p. 25 Staatliche Museen, Gemäldegalerie, Berlin, Jörg P. Anders : p. 21 Musée du Louvre, Paris : p. 17 National gallery of Scotland, Édimbourg : p. 21 L’éditeur se tient à la disposition des ayants droit pour d’éventuelles sources photographiques mentionnées.
galerie canesso 26, rue Laffitte, 75009 Paris Tél. : + 33 1 40 22 61 71 Fax : + 33 1 40 22 61 81 e-mail : contact@canesso.com www.canesso.com
Dans le contexte européen de la peinture de la réalité au xviie siècle, le Maître de la toile de jeans apparaît comme une personnalité originale, en particulier pour avoir représenté les plus humbles habillés de futaine de Gênes, cette toile bleue (plus ou moins intense) connue aujourd’hui sous le nom plus international de jeans. Le petit groupe d’œuvres réunies sous ce nom anachronique mais incisif, témoigne que son activité a pu se dérouler – au moins en partie – en Lombardie. Sa peinture, silencieuse et solennelle, annonce les paraboles de Giacomo Ceruti, tout en faisant le lien avec ses illustres prédécesseurs tant Vélasquez que Georges de La Tour ou les frères Le Nain.
ISBN 978-2-9529848-3-6
9 782952 984836