Catalogue visages du XIXe siècle

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Catalogue

GALERIE MAGDELEINE

Automne 2024
Lucie Bouclet & Paul Menoux
Paris

+33 6 48 76 69 09

galeriemagdeleine@gmail.com www.galeriemagdeleine.com

Cette nouvelle exposition présentée par la Galerie Magdeleine rassemble un ensemble de figures datantdeladernièredécennieduXVIIIesiècleàlasecondemoitiéduXIXesiècle.Portéeparlesentiment, notre sélection s’est faite au gré des rencontres avec les œuvres et leurs modèles. En effet, lorsqu’on se surprend devant un portrait à se questionner sur la vie menée par le modèle représenté, ses pensées, ses émotions ; c’est que l’artiste a réussi le pari fou de créer une forme de vie immuable. Cet exploit de Pygmalion prend une forme qui nous touche particulièrement dans les décennies suivant la Révolution Française, au cours de l’Empire et de la Restauration.

Les portraits de cette période sont de précieux témoins de la vie de leurs modèles, offrant une fenêtre sur une société en pleine transformation. Après le tumulte de la Révolution, de l’Empire, de la Restauration et des journées de Juillet, le retour au cercle familial et l’essor de la bourgeoisie marquent une nouvelle ère pour le portrait. La psychologie des modèles, autant que leurs intérêts sont révélés par l’œuvre comme des indices permettant la rencontre avec la personne représentée.

Aussi, un renouveau s’opère après 1815 et la chute de l’Empire. Avec le recul de la peinture d’histoire, et alors que le portrait était jusqu’alors relégué au second plan de la hiérarchie des genres, il gagne ses lettres de noblesse sous la Restauration. Au sein des rapports officiels du Salon de 1834, les portraits sont traités en seconde position, juste après la peinture d’histoire. L’année suivant, le rapport du Salon explicite que « les peintres de portraits appartiennent autant à l’histoire qu’à la peinture de genre […]. On reconnaît dans les ouvrages des peintures de portraits le genre d’étude auquel ils se sont plus spécialement donnés. ». Un portrait peut alors tendre à se rapprocher d’une peinture d’histoire par sa valeur d’idéalisation et à la peinture de genre par la minutie du détail et la mise en avant de l’anecdote1

1 Marie-Claude Chaudonneret. Le Portrait et la hiérarchie académique après 1815. 2008.

Il apparaît que pour nous, spectateurs d’une autre époque, le portrait se fait peinture de l’Histoire. En effet, il révèle costumes contemporains, agencement des intérieurs, objets du quotidien, vertus et valeurs qu’il était bon de mettre en avant.

Notre sélection de portrait présente également la particularité d’avoir été réalisée par des artistes ayant connu un parcours similaire. Parisiens de naissance ou d’adoption, ils y ont fait leurs éducation artistique et ont souvent fréquenté les mêmes cercles, se croisant dans les ateliers des plus grands peintres de l’époque tels que Regnault, Girodet, Gérard, Guérin ou Ingres.

Nombreux sont les artistes de cette période qui voyagent et s’imprègnent de diverses influences.

Jean Joseph Vaudechamp, se rend en Louisiane, tandis qu’Hortense Haudebourt-Lescot et Paul Delaroche visitent l’Italie à plusieurs reprises.

De plus, nous présentons des œuvres réalisées par des peintres qui sont chers à la galerie tels que Jean-Baptiste Paulin Guérin et Hortense Haudebourt Lescot, deux artistes qui se situent au cœur du travail de recherche mené par Paul Menoux.

Cette exposition témoigne de l’âme d’une époque, c’est une invitation à la rencontre du talent d’artistes qui ont su donner vie à leurs modèles ; modèles qui, anonymes ou non, nous offrent un moment privilégié dans leur quotidien. Nous espérons qu’ils vous toucheront autant que nous.

Lucie Bouclet & Paul Menoux

École de Charles Paul LANDON (Nonant-le-Pin, 1761 – Paris, 1826)

Étudedefemme

Vers 1794.

Pierre noire sur papier.

H : 50,5 ; 43,2 cm. Cette pierre noire sur papier représente une jeune femme de profil, tourné vers la droite. La figure est nue, avec des cheveux bouclés attachés par un grand ruban en tissu noué à l'arrière de la tête. L'utilisation subtile des ombres et des lignes fines met en avant la texture des cheveux et du tissu, ajoutant de la profondeur à l'image. L'expression du sujet est douce et concentrée, créant une atmosphère de calme et d'intimité.

Contraint de rester en France, malgré l’obtention du Prix de Rome en 1792, Charles Paul Landon demeure auprès de son maître, François-André Vincent, sous le Directoire. Il intègrera, peu avant le tournant du siècle, le célèbre atelier de Jean-Baptiste Regnault.

Probablement exécutée durant la période révolutionnaire, cette Étude de femme à la pierre noire témoigne d’une influence venant à la fois de Vincent et de Landon. Contemporain de notre œuvre, Le Secret de Vincent (Figure 1), dessin à la craie de 1794, partage avec elle plusieurs caractéristiques techniques comme picturales. Le traitement des matières apparaît semblable dans les cheveux et fichus des protagonistes. Plus encore, un même travail sur la lumière et les chairs se retrouve dans les deux dessins, et ce malgré les techniques différentes que sont la craie et la pierre noire.

L’attitude de la jeune femme, son fichu mais également le traitement lumineux contrasté de l’arrière-plan semblent librement inspirés du Portrait de Marie-Gabrielle Capet (Figure 2) du maître, édité en gravure en 1786 par Gilles-Antoine Demarteau.

Fig.1. François André Vincent ; Le Secret ; 1794 ; craie noire, rouge et blanche et fusain sur papier ; Los Angeles, Getty Museum (Inv. 2010.32).

Fig. 2. Gilles Demarteau d'après François André Vincent ; Portrait de Marie-Gabrielle Capet ; 1786 ; manière de crayon en trois couleurs ; Genève, musée d'Art et d'Histoire (Inv. E 2016-1426).

Au cours des années 1794-1795, Landon exécute plusieurs Études de femmes (Figures 3 et 4) du même acabit sur toile. Leurs physionomies et traits du visage sont partagés avec la femme de notre dessin. Plus encore, ces Études révèlent des détails stylistiques communs avec cette dernière et témoignent du style personnel de Landon. Nous pouvons notamment citer la chevelure de L’Été ou les longs cils de la Femme couronnée de laurier, fines caractéristiques que l’on retrouve dans notre

œuvre

Fig. 3. Charles Paul Landon ; Tête de femme couronnée de lauriers ; vers 1793 ; huile sur toile ; Dijon, musée Magnin (Inv. 1938 F 580).

Fig. 4. Charles Paul Landon ; Le Printemps ; 1794 ; huile sur toile ; collection particulière.

Atelier de Pauline Auzou (Paris, 1775 – 1835)

Portraitdegarçon

Vers 1800.

Fusain et estompe sur papier.

H : 40 ; L : 32 cm.

Ce charmant portrait d’enfant représente un jeune garçon le regard tourné hors champ. Il est vêtu simplement d’une chemise ouverte et présente une chevelure traitée en mèches séparées, caractéristique de la façon des années 1790 à 1810.

Pauline Auzou est une peintre renommée pour ses portraits et ses scènes historiques. Élève de Jean-Baptiste Regnault, Auzou expose régulièrement au Salon de Paris à partir de 1793, elle y présente des œuvres aux thèmes historiques et mythologiques, ainsi que des portraits de figures contemporaines. En parallèle à sa carrière de peintre, elle réalise des dessins pour le Journal des dames et des modes et elle s'engage dans l'enseignement de l’art, surtout à destination des femmes.

Ce portrait est à rapprocher du travail de Pauline Auzou, à la fois pour le traitement à l’estompe qui lui sert à construire le fond de son œuvre et à modeler la chevelure, réhaussée de pierre

Laurie Marty de Cambiaire, XX - Drawings & Oil Sketches, Marty de Cambiaire, 20/12/2023.

noire, mais aussi la façon dont les ombres du visage sont modelées et l’aspect peu fini du vêtement.

Auzou était une artiste prolifique qui a beaucoup dessiné d’après nature, comme le prouve la publication d’un recueil de ses Têtes d’études par Didot en 18001 et son travail pour le Journal des dames pour lequel elle réalise environ 300 planches.

Pauline Auzou ayant de nombreuses élèves, il s’agit probablement d’une œuvre du maître ou de l’une de ses apprenties les plus douées, son atelier pour jeunes filles ayant ouvert en 1800.

Étude pour une tête de vieillard Pierre noire 57,8 x 54 cm, vente Aguttes, lot 81, 06/12/2022.

1 Corse, Amandine. « Introduction ». Plumes et Pinceaux : Discours de femmes sur l’art en Europe (1750-1850) Anthologie, édité par Isabelle Baudino et al., traduit par Anne-Laure Brisac-Chraïbi et al., Publications de l’Institut national d’histoire de l’art, 2012.

Nanine Fulchiron (Marseille, 1769 - Paris 1832).

PortraitdePaulineGuérindeFoncin,âgéede4ans. 1808.

Huile sur toile.

Signé et daté en bas à gauche : Fulchiron / 1808.

H : 129.5 ; L : 86 cm

Une enfant debout se tient devant une vasque de jaspe rouge et semble attendre le moment du bain dans un intérieur antiquisant. L'enfant, au visage rond et cheveux blonds, fixe le spectateur avec un léger sourire espiègle. À ses pieds, un bouquet de fleurs est dispersé, tandis qu’elle retient un pantin dans le tissus qu’elle serre contre son cœur. En arrière-plan, l’architecture à colonnes qui évoque l’intérieur contraste avec un ciel bleu et la nature visibles à l’extérieur. L'atmosphère générale évoque un moment intime et paisible, emprunt de la fraîcheur de l’enfance.

Ce portrait de Pauline Guérin de Foncin reprend l'iconographie du portrait enfantin développé par les soeurs Lemoine et leur cousine Jeanne-Élisabeth Gabiou, notammentleportraitdeMarie-LaëtitiaMurat portant un buste de Napoléon Ier de cette dernière exécuté en 1806 (musée Fesch). Notre portrait est égalemet très proche (dans le traitement du drapé, de la dentelle et la présence de la même marionnette), du Portrait présumé d’Henri Gabiou avec une charrette de jeux, jouant à faire des bulles de MarieÉlisabeth Lemoine ou encore de sa Petite fille aux cerises quant au visage.

Pauline Gabrielle Guérin de Foncin (1804-1895) est la fille de Jean-François Guérin de Foncin, riche banquier lyonnais. Le

portrait est commandé au début de l'Empire par ce dernier à Nanine Fulchiron.

Filled'un directeurdelaCompagniede la Guyane, Nanine Fulchiron suit l'enseignementdu baronGérardetsespécialise dans le portrait monumental. Sa production demeure circonscrite au domaine privé et n'a pas de vocation commerciale. Ainsi elle n'exposera jamais au Salon.

Nanine s'est tout d'abord mariée au banquier Aimé Gabriel Fuchiron en 1789. Veuve en 1817, elle épouse l'année suivante le neveu de ce dernier, le célèbre politique JeanClaude Fulchiron, également grand-cousin de Pauline Guérin de Foncin, modèle de notre tableau.

Jeanne LevachÉ dite JENNY DESORAS

(Saint-Symphorien-de-Lay, 1776 – Coutarnoux, 1858)

PortraitdeMarie-CharlotteGeorgetteNizondeSaint-Georges 1807-1809

Huile sur toile.

H. 27 ; L. 21 cm. Ce précieux portrait de dame au teint frais représente, comme en témoigne l’inscription sur le châssis, Madame Marie-Charlotte Georgette Nizon de Saint-Georges. Elle est vêtue d’une robe blanche dont les jeux de transparence sont finement rendus par de légères couches de glacis. Ses bijoux, en corail, notamment son imposant collier en forme de croix et son peigne, permettent de dater le tableau assez précisément des années 1807-1809. Le détail du ruban satiné s’enroulant autour du chapeau et des doigts de la dame est traité comme une miniature, avec beaucoup de précision.

Il a été possible de retracer la vie de cette mystérieuse artiste, dont rien n’était connuhormislenomaveclequelellesignaitses tableauxetapparaissaitauSalonrégulièrement de 1804 à 1835. En effet, seule sa première participation en 1804 se fait sous le nom de « Jenny Levaché-Desoras », puis elle se présente comme « Jenny Desoras » ou « Jenny Berger », du nom de son mari. Grâce à la découverte d’un jugement rendu en 1827, nous avons pu établir avec certitude que Jenny Levaché, Jenny Desoras et Jenny Berger étaient la même personne1

Fille de chapelier2, Jeanne Levaché grandit avec sa sœur cadette à Lay, en Loire, jusqu’à son adolescence. Rien ne prédispose alors la jeune fille à la peinture, devenue qui plus est orpheline à cette même époque. Son père disparaît subitement en 17913, sans laisser de trace, suivi par sa mère qui décède en 1794.

Grâce au réseau relationnel de son parrain, le maréchal Joseph George4, Jenny Levaché semble avoir été confiée aux soins d’une famille de notables de la région, les seigneurs de Soras5. Démontrant certainement des aptitudes marquées en dessin, ces derniers l’invitent probablement à poursuivre son

apprentissage et espérer une carrière artistique.

La jeune artiste prend ses premières leçons chez un certain « Sermaize ». En tout état de cause, il semblerait qu’il s’agisse de Simon Jean Malard de Sermaize, avocat de la Sâone-et-Loire voisine et artiste en dilettante.

À sa majorité en 1800, Jenny Levaché s’installe à Paris et intègre le célèbre atelier féminin de Jean-Baptiste Regnault. Après quelques années à perfectionner son art, elle participe à son premier Salon en 1804. Au sein du livret6, elle se fait connaître sous le patronyme de Désoras-Levaché, nom d’emprunt qui raisonne comme un hommage et une marque de reconnaissance envers ses protecteurs de jeunesse. Elle n’expose ensuite que sous ce seul patronyme, en ajoutant celui de son mari à partir de 1813, puis en mentionnant « veuve Berger » après le décès de son mari en 1826.

L’artiste connait un certain succès avec ses sujets de genre humoristique sur le thème de l’amour et du mariage, reproduits en gravure « Les amateurs du genre gracieux vont s’empresser de se procurer deux charmantes

1 Gazette des tribunaux, journal de jurisprudence et des débats judiciaires, n°409,27 janvier1827,p.317. L’article stipule que « Mlle Levacher Desoras est auteure de plusieurs tableaux (…) en 1813, Mlle Desoras a épousé M. Berger. »

2 Archives départementales de la Loire, État civil, Lay, Baptêmes, Mariages, Sépultures - 1773-1780, Acte de baptême de Jeannette Levacher.

3 D'après un acte de notoriété du juge de paix du canton de Saint-Symphorien de Lay du 20 août 1811 cité dans l'acte de mariage du 10 septembre 1811 de sa fille Sophie, Barthelemy Levaché est alors absent de Lay depuis environ 20 ans et on est sans nouvelle de lui depuis.

Archives départementales de l'Allier, État civil, 2 Mi EC 142 7, LE DONJON, Mariages et décès, 1801-1822, an X-1822,Acte de mariage d'Hubert Morgat - Sophie Levaché du 10 septembre 181.

4 Archives départementales de la Loire, État civil, Lay, Baptêmes, Mariages, Sépultures - 1773-1780, Acte de baptême de Jeannette Levacher.

5 Barthélémy Veyre de Soras étant capitaine de cavalerie et ancien gendarme de la Garde du Roi.

6 Explication des ouvrages de peinture et dessins, sculpture, architecture et gravure des artistes vivans... imprimerie des Sciences et desArts, Paris, 1804, cat. 308.

gravures, ayant pour intitulé : Deux jours de Mariage et Deux ans de Mariage, d’après les jolis tableaux de Mme Berger, née Jenny Desoras, exposés au Salon de 1819. 7».

Jenny Desoras, portrait en demi-longueur de Catherine Josephine Duchesnois, Bibliothèque Paul-Marmottan, Ville de Boulogne-Billancourt, Académie des Beaux-Arts.

Nous savons également qu’elle travaillait à de nombreux portraits. Certains sont connus, et ils présentent une grande similarité dans l’exécution avec le notre. En effet, elle traitait les visages avec de larges paupières ourlées, des traits très dessinés, un teinttrèsfrais,unpaysagebrosséàlargestraits dans le fond, s’opposant à la précision des étoffes représentées. Le portrait de Madame Duschenoisacertainementétéréalisédurant la même période,. Nous y retrouvons la même

inclinaison du visageet leregard amical tourné vers le spectateur.

Un article médical ayant paru en 18068 , portant sur l’étude de la maladie qui la touche, témoigne de son travail. Il la décrit ainsi : « Son caractère gai, son imagination vive ; elle porte à l’excès l’amour de son art, et lui sacrifie souvent, par des études prolongées, ou dans l’enthousiasme de la composition, les heures de repascisages, du sommeil, de l’exercice » et précise que « la malade avoit pour la peinture une passion dominante ; elle continua à être assise 6 à 8 heures par jour devant ses modèles, ses pinceaux à la main ».Il est rareet touchant d’avoiraccèsàun tel témoignage sur la vie d’un artiste.

Jenny Desoras, chasseur et son chien, huile sur toile, 58x45 cm, 1823. Osenat, 3 juillet 2016, lot no 437.

7 Le Corsaire : journal des spectacles, de la littérature, des arts, des mœurs et des modes, n°22, 1er août 1823, p. 4.

8 Journal général de médecine, de chirurgie, de pharmacie, etc. ou recueil périodique de la Société de Médecine de Paris, Société de Santé de Paris, 1811, pp. 3-14.

Louis LAFitte (Paris, 1770 – 1828)

Portraitdejeunefemme

1817

Signé et daté en bas à gauche : Lafitte 1817. Fusain, estompe, pierre noire sur papier.

H : 24,5 ; L : 19 cm.

Ce dessin délicat représente une jeune femme de face, portant un large chapeau à ruban. Ses cheveux bouclés encadrent son visage, elle semble pensive, le regard tourné hors champ. Elle est vêtue d'une robe légère avec un nœud au niveau de la taille. Le fond est suggéré de manière subtile, avec un paysage légèrement esquissé, laissant toute l'attention sur la figure.

Louis Lafitte est un peintre, dessinateur et décorateur français. Formé à l'Académie royale, il remporte le Prix de Rome en 1791, il est le dernier peintre envoyé en Italie par Louis XVI1. Lafitte est sollicité pour des projets décoratifs au château de Malmaison, et également pour les fêtes impériales et le mariage de l'empereur. Il contribue à la décoration de monuments tels que l'Arc de Triomphe du Carrousel et l’Hôtel de Ville de Paris. Il réalise également des illustrations pour des livres, notamment pour les œuvres de Racine et de Fénelon. Il dessine des modèles pour la manufacture de Sèvres et des motifs de papier peint en collaboration avec Merry-Joseph Blondel. C’est ainsi qu’il est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1823 en tant que dessinateur du cabinet du roi2

C’est d’ailleurs son trait de crayon qui fera son succès auprès des graveurs d’estampes, les éditeurs de belles éditions illustrées, notamment FirminDidot,pourlequelilréalisel’éditiondePaul et Virginie, supervisée par son auteur lui-même, Bernardin de Saint Pierre3. Louis Lafitte a réussi à traverser le revers des changements de régimes, commençant sacarrière sousNapoléon Ier,il reçoit la Légion d’honneur de Louis XVIII et travaille au Livre du sacre de Charles X. Artiste néoclassique parexcellence,ilaréussiàs’adapterauchangement du goût contemporain.

Ce dessin représente un témoignage intéressant d’un pan entier de la carrière de Lafitte, loin des sujets d’histoires et des compositions allégoriques qui sont plus connus dans sa production. En effet, l’artiste prolifique a travaillé à de nombreux sujets, et notamment le portrait, comme en témoigne le catalogue de la vente posthume de l’artiste4 et le fait qu’il figure dans les Almanach du commerce de Paris, en tant que peintre d’histoire, portraitiste et dessinateur.

On distingue le trait incisif caractéristique du dessindeLafittesurlesétoffes, quifit sonsuccès pour les illustrations gravées, tandis que le visage est modelé subtilement à l’estompe. Le travail du fond est également intéressant, les plans étant simplement suggérés. D’une veine presque romantique, il est possible que ce dessin ait été destiné à être gravé pour illustrer un recueil de poèmes ou un roman.

1 Catalogue des tableaux, dessins, estampes, livres, médailles, coquilles et curiosités du cabinet de feu M. Louis Lafitte [... ], Duchesne aîné, 1828.

2 MarcAllègret, « Louis Lafitte, (1770-1828), peintre et dessinateur », dans Revue du Souvenir Napoléonien, no 439, p. 63.

3 Véronique Mathis. Louis Lafitte : un peintre d'histoire de la Révolution à la Restauration. Histoire. Normandie Université, 2020. Français.

4 Catalogue des tableaux… op. cit., p. 13.

Christian Albrecht JENSEN (Bredsted, 1791 – København, 1870)

Portraitdejeunefemme

Vers 1823-1825.

Huile sur toile.

H. 29 ; L. 19 cm.

Placée sur un fond sombre, la jeune femme portraiturée présente une expression rêveuse avec un regard porté au loin. L’artiste joue habilement avec le contraste complémentaire de l’habit vert et du châle rouge, qui répond aux très fines boucles d’oreilles en corail.

Connu pour ses nombreux portraits très recherchés de l’élite danoise du début du XIXe siècle, Christian Albrecht Jensen peut sans détour être qualifié de « Boilly du Nord » au sein de l’âge d’or de la peinture danoise.

Jensen partage avec son confrère français la petitesse de ses formats, limitant ainsi le temps de pose du modèle puis d’exécution de la toile. Le coût modéré de ces petits portraits, doublé par un effet de mode, conséquence d’une clientèle de plus en plus importante, a contribué à la célébrité du jeune Jensen.

En effet, ce dernier, après un voyage d’apprentissage de plusieurs années en Italie, est alors inconnu du grand public lors de son retour à Copenhague à la fin de l’année 1822. Toutefois, sa spécialisation rapide et sûre en tant que portraitiste prolifique lui assurent presque instantanément le succès. Il peint plus de 400 portraits au cours de sa carrière, représentant la plupart des figures marquantes de l'époque, dont l'écrivain Hans Christian Andersen, le peintre Christoffer Wilhelm Eckersberg, le sculpteur Bertel Thorvaldsen, le physicien Hans Christian Ørsted, le mathématicien Carl Friedrich Gauss et le théologien Nikolaj Frederik Severin Grundtvig.

Bien que précoce, notre portrait témoigne avec éloquence du style personnel de Jensen dès ses débuts. La jeune femme est représentée avec une savante économie de moyen. Par sa palette froide, sa touche franche et une certaine humilité dans le choix de l’attitude, Jensen se concentre sur l’humanité de son modèle, éloge de la simplicité chassant tout élément superflu.

Christian Albrecht Jensen, portrait de Mathilde Theresia von Irgens-Bergh, 1824, huile sur toile, 24,5x19,5 cm, Statens Museum for Kunst, Danemark (Inv. KMS1339).

Jan Adam Kruseman (Haarlem, 1804 – 1862)

LaDiseusedebonneaventure

1825

Huile sur toile.

Signé et daté en haut à gauche.

H. 74 ; L. 80 cm.

Provenance : Exposition des maîtres vivants (Tentoonstelling van Levende Meesters), Haarlem, 1825, n°240.

Chez Albertus Bernardus Roothan en 1825.

Collection Ryfsnyder ; sa vente, Amsterdam, 28 octobre 1872, numéro 124.

Sur un fond sobre, une femme âgée représentée de profil lit dans les lignes de la main d’une plus jeune femme tournée de trois quarts. Les deux figures sont vêtues d’un habit contemporain typique des années 1825. Le regard de la médium est levé vers le visage de sa cliente, tandis que cette dernière baisse ses yeux vers la lecture des lignes de sa main, ce qui oriente l’œil du spectateur vers un triangle avec, au centre, la main pointée de la vieille femme.

Le cadrage serré amplifie le sentiment d’être absorbé dans leur conversation.

Ce tableau est cité dans le catalogue raisonné de l’œuvre de Jan Adam Kruseman, sa localisation était alors inconnue1. Il a été exposé en 1825 à Haarlem sous le numéro 240 « Een Brabandsche Waarzegster »/ « Une diseuse de bonne aventure brabançonne »2, lorsque le travail de Jan Adam Kruseman connaît ses premiers succès auprès du public.

Né à Haarlem en 1804 d’une famille bourgeoise originaire d’Allemagne, Kruseman quitte sa ville natale pour Amsterdam en 1819 où il rentre dans l’atelier de son cousin, Cornelis Kruseman, de sept ans son aîné. Il poursuit son apprentissage jusqu’en 1821, date dedépartdesoncousinpourl’Italie.Ilcontinue alors en autodidacte tout en réalisant ses premières commandes de portraits après avoir remporté un prix chez Felix Meritis.

En 1822, fort de ses premiers succès, il part compléter son apprentissage à Bruxelles auprès des deux plus influents artistes de son temps, François-Joseph Navez (1787-1869) et Jacques-Louis David (1748-1825). Sous la direction de ce dernier, il réalise de nombreux croquis d’étude et de la peinture d’histoire. Navez, quant à lui, exerce une influence classiciste sur son œuvre. Lorsqu’il rentre sous l’enseignement de Navez, ce dernier venait de rentrer d’Italie où il avait découvert la peinture d’Ingres, les nazaréens, dans sa recherche de réconciliation des tensions entre réalisme et idéalisme. Kruseman réside à Paris au cours de l’année 1824 et son travail commence réellement à émerger auprès du public en 1825

lorsqu’il revient à Amsterdam. Il se marie le 11 mai 1826 avec Alida de Vries (1799-1862) avec laquelle il a cinq fils, deux filles et un fils adoptif, celui de sa sœur d’Alida.

La fin des années 1820 marque l’essor de l’artiste, il fait partie de la Société néerlandaise des Beaux-Arts et des Sciences en 1828, puis il est nommé directeur de la Royal Academy of Art d’Amsterdam.

En 1832, il ouvre son propre atelier et de 1834 à 1836, il effectue plusieurs voyages d’étude en Allemagne, en Angleterre et en Ecosse.

En 1844, il est nommé par le roi Wilhelm II membre de l’Institut Royal néerlandais. Il est également nommé chevalier de l’ordre du lion la même année. C’est un artiste accompli et particulièrement apprécié, comme en témoigne le commentaire accompagnantlesœuvresqu’ilprésentelorsdu Salon des Artistes Vivants d’Amsterdam en 18413 : « J.A. Kruseman, à Amsterdam, a encore fourni quelques-uns de ces portraits qui sont autant de preuves des grands mérites de cet artiste (…) ; ce n’est donc pas sans raison que cet artiste est l’enfant chouchou du public ».

L’artiste entretient des liens avec les membres de la famille royale qui lui commandent des portraits et achètent ses œuvres à l’occasion de ses expositions. Il a notamment réalisé le portrait du roi Wilhelm II.

1 Renting Anne-Dirk et al. Jan Adam Kruseman, 1804-1862. Nijmegen: G.J. Thieme, in samenwerking met Stichting Paleis Het Loo Nationaal Museum, 2002, cat. 55.

2 Levende Meesters, Haarlem, 1825, catalogue n. 240.

3 Levende Meesters, 1841.

Il joue un rôle central sur la scène artistique de son époque, il est présent dans toutes les sociétés artistiques et reçoit des dizaines de distinctions tout au long de sa carrière. Il l’avoue lui-même, cela lui prend tellement de temps qu’il regrette ne pas pouvoir être plus présent auprès de sa famille4 .

Après 50 ans de vie familiale plutôt heureuse, les drames s’enchaînent au sein de la famille Kruseman et le peintre finit par succomber des suites d’une maladie le 17 mars 1862. Il est tellement apprécié et intégré dans la société néerlandaise que pas moins de 394 lettres de deuils sont adressées à sa famille.

La Diseuse de bonne aventure représente un jalon très intéressant et mal connu de la carrière de Kruseman, les tableaux connus de cette période artistique sont rares. En effet, on peut y voir l’influence de Navez par son cadrage serré et le sujet, mais Kruseman exprime déjà une manière qui fera son succès lors de son retour au Pays-Bas en employant des costumes contemporains et en cherchant dans l’expression une douceur moins marquée par l’expression héroïque recherchée par David et Navez.

Après son retour à Amsterdam en 1825, Kruseman garde contact avec Navez mais il est aussi toujours sous l’influence de David qui se fait grande dans le sud des PaysBas. Il cherchait de l’expression dans ses portraits et on peut mettre en rapport l’autoportrait de Navez (1826), de David et de Kruseman (1827) pour leur expression forte : Navez se représente avec une expression

héroïque tandis que Kruseman cherche à mettre en valeur un regard amical.

4 RentingAnne-Dirk et al. Jan Adam Kruseman, op. cit.

François-Joseph Navez, autoportrait, huile sur panneau, 1826, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique (Inv. 3790).
Jan Adam Kruseman, autoportrait, huile sur toile, 1827, Rijksmuseum (Inv. BR2885)

Un détail touchant de ce tableau en témoigne : les yeux baissés de la jeune femme brilleàtraversseslongscilsetunelégèremoue se dessine sur son visage.

(Rambervilliers, 1790 – Neuilly-sur-Seine, 1864)

Portraitdejeunefille 1831.

Huile sur toile.

H : 40 ; L : 31 cm.

Exposition : Probablement Salon des Artistes Vivants, Paris, 1831, n° 2060 : « Portraits, même numéro », inscrit au n° 196 dans le Registre des Ouvrages du Salon de 1831 : « 1 Tableau Portrait d'enfant. / Hauteur : 52 ; Largeur : 43 cm [cadre compris].»

Accoudée au rebord d’une fenêtre, une jeune fille tourne un regard franc vers le spectateur, l’air espiègle. Coiffée de longues tresses noires, dans lesquelles s’enroule un ruban rouge qui contraste avec la couleur de ses cheveux, l’enfant porte peu d’accessoires : une boucle d’oreille et un collier, mais ceux-ci ont été réalisés avec une minutie qui ajoute une sobre préciosité au portrait.

Ce portrait peut tout particulièrement être comparé à une autre œuvre réalisée par l’artiste en 1841, il s’agit du double portrait présumé des enfants du comte de Lasalle conservé au musée d’art de Dallas.

Portrait présumé des enfants du comte de Lasalle, 1841, huile sur toile, 116,8x89,5 cm, Dallas Museum of Art, inv. 2008.19.

Né à Rambervillers, dans les Vosges, en France, en 1790, Jean-Joseph Vaudechamp emménage à Paris avec une partie de sa famille durant son enfance. Il loge chez sa tante paternelle, Marie-Jeanne Vaudechamp, mariée à Jacques Delille, un poète influent, traducteur deJohnMilton.Cedernierétantl’amideAnneLouis Girodet-Trioson (1767-1824), le jeune Vaudechamp étant admis à l’école des Beaux-

Arts de Paris en 1811, à l’âge de 20 ans, il devient l’élève de Girodet1 .

Vaudechamp a régulièrement exposé au Salon de Paris de 1817 à 1848, il est remarqué dès 1819, par le comte de Keratry dans sa critique du Salon2. Girodet le recommande également, en tant qu’élève particulièrement doué, pour faire la copie de son portrait du général Bonchamp3 .

Touché par les journées de Juillet, la raréfaction des commandes officielles ainsi que la lourde concurrence d’artistes portraitistes à Paris, Vaudechamp prend la décision de s’embarquer pour la Louisiane en 1830 et s’installe durant l’hiver 1831 dans la ville de la Nouvelle-Orléans. Il y trouve une clientèle créole, d’origine française, désireuse de faire réaliser son portrait par des artistes ayant reçu une éducation artistique aussi soignée que celle de Vaudechamp.

Ses œuvres, réalisées dans un style néoclassique élégant, captaient avec précision les traits et le statut social de ses modèles. Ses portraits des membres de l'élite de La Nouvelle-Orléans, comme celui d'Antoine Jacques Philippe de Marigny, sont toujours conservés dans des musées et collections privées prestigieuses.

Il voyage entre la France et La Nouvelle-Orléans, peignant pendant les mois d'hiver, et rentre en France pendant l'été pour éviter les épidémies de fièvre jaune, jusqu’à son

1 William Keyse Rudolph , Jean-Joseph Vaudechamp (1790-1864) in France and Louisiana, Submitted to the Faculty of Bryn Mawr College, Pennsylvanie, 2003, p. 14-15.

2 Kératry, Auguste-Hilarion de, Annuaire de l'École française de peinture, ou Lettres sur le Salon de 1819. Maradan, Paris, 1820.

3 William Keyse Rudolph, Vaudechamp in New Orleans, Historic New Orleans Collection, 2007.

départ définitif en 1839. Ainsi, il peut également exposer des œuvres au Salon, à destination d’une clientèle française.

Dans le cas de notre portrait, il est fort

Le n°196 donne le détail des dimensions qui sont de 53x43 cm.

4 Archives Nationales, Registre des Ouvrages du Salon de 1831, 20150431/27.

Hortense HAUDEBOURT-LESCOT (Toulon, 1783 – Paris, 1855)

PortraitdelacomtessedeSégur

Vers 1833-1834.

Huile sur toile.

H : 64,5 ; L : 54 cm.

Exposition : Salon des Artistes Vivants, Paris, 1834, n° 958 : « Portrait de Mme de S*** »

Ce portrait représente une femme vêtue de noir, un voile translucide délicatement posé sur sa tête et ses épaules. La dentelle, donnée par la matière de la peinture posée en couche plus épaisse sur la toile, encadre le visage serein du modèle qui esquisse un léger sourire. La douceur des traits de cette dernière est rendue par un travail subtil de fondu sur les carnations et le fond sobre de l’œuvre.

Hortense Haudebourt-Lescot est une artiste peintre française, reconnue pour ses scènes de genre et ses portraits. Née à Paris, elle étudie sous la direction du peintre Guillaume Guillon-Lethière, avec qui elle se rend à Rome en 1808. Pendant son séjour en Italie, elle développe un intérêt pour les scènes de la vie quotidienne italienne, qui deviendront un thème récurrent de son œuvre.

Après son retour en France, Haudebourt-Lescot participe régulièrement au Salon de Paris, où elle obtient une certaine renommée. Elle reçoit également des commandes officielles pour des portraits, notamment de membres de la famille royale.

Après avoir connu le succès grâce à la qualité de ses scènes de genre, elle cesse d’exposer publiquement des scènes populaires italiennes pour se consacrer à la peinture de portraits à partir du 1831. En effet, après un premier essai réussi lors du Salon de 1827, elle se forge une réputation de portraitiste talentueuse. C’est dans cette nouvelle spécialité qu’elle se distingue durant la décennie 1830Sa qualité en tant que portraitiste n’ayant pas manqué d’être remarquée :

« Si j’avais un conseil à donner à Mme HaudebourtLescot, je lui dirais :

- Voulez-vous bien faire ?... eh bien ! faites des portraits, faites des portraits !...1 »

Au sein de sa sublime résidence de la rue de La Rochefoucauld, l’atelier d’Hortense

Haudebourt- Lescot est un atout manifeste dans sa capacité à attirer une clientèle aisée. En effet, Haudebourt-Lescot ne se déplace pas chez son modèle, mais l’invite à participer aux séances de poses à son propre atelier. Une précieuse lettre de 1838 destinée à un certain monsieur Guérin nouspermet deconnaîtrelesmodalitésimposées par l’artiste à ses clients : « Si la jeune personne dont vous me parlez peut me donner quinze jours, je crois ce temps nécessaire pour terminer ce qui doit se faire d’après nature. Je dois vous faire observer que je ne prendrai peut-être que tout à dix séances. Quant à me déplacer, c’est tout à fait, Monsieur, hors de mes habitudes 2».

Portrait de Delphine de Girardin ; vers 1831 ; huile sur toile ; H : 127, L : 97 cm. ; collection particulière.

1 Hippolyte Delphis, « Exposition de peinture (troisième article) », Le Mercure de France, 34e vol., Paris, Barbier, 1831, p. 76.

2 Lettre d'Hortense Haudebourt-Lescot à monsieur Guérin – 31 décembre 1838. L.a.s., 2 pp. Adresse. Lille, Bibliothèque municipale, Ms 855, f° 403.

Par la démonstration ostentatoire du luxe qu’offrent son atelier et son domicile, Haudebourt-Lescot cultive l’image d’une portraitiste-vedette auprès de sa clientèle. Au cœur de la Nouvelle Athènes, l’atelier permet également à ses modèles de ne pas quitter leur propre univers social, l’artiste et sa clientèle habitant très souvent à quelques rues les uns des autres. La proximité et l’aisance du lieu sont doublées d’une supposée valeur de respectabilité que possèderait Haudebourt-Lescot par sa seule qualité d’habitante de la Nouvelle Athènes.

Capitalisant sur son image de portraitiste en vogue et comptant parmi ses modèlesdespersonnalitéscélèbresdansleToutParis, Haudebourt-Lescot se permet de pratiquer des tarifs relativement élevés pour l’exécutiond’unportrait.Danssamêmelettrede 1838 destinée à monsieur Guérin elle explique :

« Selon la disposition de mes portraits en pieds, je prends 2 500 ou 2 000 fr. ». Afin d’évaluer à quoi correspond cette somme, Anne Martin-Fugier nous informe qu’elle dépasse le revenu annuel d’une famille petite-bourgeoise3. Il est fort probablequeleprixd’unportraitenpiedpouvait atteindre les 3 000 fr. au début des années 1830, époque où elle connaissait un plus grand succès, voire plus encore si le commanditaire était issu d’une grande famille noble ou exerçait une charge d’État.

C’est dans ce contexte qu’intervient la commande du portrait de la comtesse de Ségur. Compte tenu de l’importance du modèle, le tableau est exposé au Salon de 1834 avec quatre autres portraits ; ceux d’Antoine Vincent Arnault, académicien, Gilbert Breschet,

médecin, Jean-Baptiste Claude Odiot, orfèvre du Roi et Atala Stamaty-Varcollier, peintre et amie de l’artiste. Ces derniers portrait représentent des personnalités variées du Tout-Paris, et témoignent du vaste réseau de clientèle dont bénéficie Haudebourt-Lescot.

Sophie de Ségur (1799-1874) est dépeinte avec simplicité, assise dans un environnement sombre.Afin demettreenvaleur le visage, Haudebourt entoure notamment la têted’unevapeurplusclaire.Cettemiseen scène toute spirituelle se retrouve dans le portrait d’Arnault exposé au même Salon.

Oreste Kiprensky, Sophie Rostopchine, Comtesse de Ségur, 1823, dessin, H : 46,5, L : 48 cm, musée Carnavalet.

3 Anne Martin-Fugier, La vie d'artiste au XIXe siècle, Paris, LouisAudibert, 2007, pp. 122-123.

L’expression de Sophie de Ségur, les yeux détournés du spectateur et esquissant un léger sourire, marque l’humilité de la jeune comtesse. Cette humilité de sentiment fait écho àl’humilitévestimentairedu modèle.Habilléede noir, sans décolleté, une mantille de dentelle danslescheveuxetuneimposantecroixorfévrée au cou, la comtesse se présente comme une femme pratiquante, pieuse et fidèle aux valeurs de l’Église.

En effet, convertie en 1815 avant son arrivée en France, Sophie de Ségur se révèle être une ardente catholique. Elle est notamment très liée à Sophie Swetchine, russe également convertie avant son arrivée à Paris. Swetchine y devient une salonnière de renom à l’audience européenne, figure centrale des milieux catholiques libéraux.

Portrait d'Atala Stamaty-Varcollier ; 1833 ; Salon de 1834 ; huile sur toile ; H : 138,2, L : 98,5 cm. ; collection particulière.
Portrait d'Antoine-Vincent Arnault ; Salon de 1834 ; huile sur toile ; H : 61, L : 50,4 cm. ; collection particulière.

Jean-Baptiste Paulin GUÉRIN

(Toulon, 1783 – Paris, 1855)

PortraitdelacomtesseValentinedeMarcellus

Vers 1827.

Huile sur toile.

H : 74,5 ; L : 63,5 cm.

Exposition : Salon des Artistes Vivants, Paris, 1827, n° 515 : « Portrait de Mme la comtesse de M*** ».

Ce portrait représente une femme en buste dans un paysage. Tandis que son corps est positionné de trois quart, elle semble tourner son visage vers le spectateur qu’elle regarde. Diverses matières ont été rendues avec virtuosité par l’artiste : alors que le modèle est vêtue d’une robe bleue satinée, ornée de manches transparentes et bouffantes retenues par des manchettes ouvragées, elle s’appuie sur un lourd tissus de laine. Il est intéressant de noter que la partition qu’elle tient à la main donne une indication sur les goûts du modèle : le nom du morceau est inscrit, il s’agit de la Bella Capricciosa de Hummel.

Jean-Baptiste Paulin Guérin est né à Toulon, il se forme d'abord comme artisan serrurier avant de se consacrer à la peinture. Il déménage à Paris en 1802 et est employé en tant qu’assistant dans l’atelier de François Gérard, puis il est l’apprenti de François-André Vincent. Rapidement après son premier envoi au Salon en 1810, il est recruté pour réaliser des commandes officielles, notamment par Vivant Denon pour réaliser la décoration d’un plafond du Palais des Tuileries en 1812. Mais c’est en tant que portraitiste que Paulin Guérin devient l’un des artistes les plus renommés de sa génération, réalisant des portraits de personnalités importantes, telles que des membres de la royauté, de la haute bourgeoisie et des militaires hauts gradés. Il est également apprécié pour ses peintures religieuses, exposées au Salon de Paris à partir de 1810.

Présentant au public onze portraits, Paulin Guérin réalise une véritable démonstration de force lors du Salon de 1827. Avec deux portraits de Charles X et un portrait de militaire, tous trois commandes royales, un d’hommepolitique,und’actriceet troisautresde dames de la cour, il offre aux spectateurs une véritable galeriede personnalités affirmant leurs individualités et statuts sous les pinceaux de l’artiste.

Exposé durant ce Salon, notre portrait représente Valentine de Marcellus (1804-1886), épouse de Lodoïs de Martin du Tyrac, comte de Marcellus, depuis 1824. Son père, le comte de Forbin, occupe depuis 1816 le poste clef de directeur des Musées Royaux. Véritable meneur de la politique artistique du royaume, décideur des commandes et acquisitions royales et maître

du système d’encouragements aux artistes, Forbin demeure incontournable pour tout artiste.

Que Valentine de Marcellus fasse appel à Paulin Guérin pour son portrait n’est en rien anodin car le choix de la jeune femme reflète le choix de son père. Forbin était à même de prodiguerdesconseilsquant au choix del’artiste et de diriger sa fille vers le portraitiste qui exécute les portraits officiels de deux rois successifs, Louis XVIII dans sa jeunesse et Charles X à ce même Salon de 1827.

De plus, il est intéressant de constater que le compositeur Johann Nepomuk Hummel, présent sur l’œuvre à travers la partition tenue par le modèle, était à Paris depuis 1825 et il y prodiguait des cours de piano

Jean-Dominique Ingres, la comtesse de Marcellus, mine de plomb, vers 1825, Louvre, département des arts graphiques (Inv. RF 31181).

Jean-Baptiste Paulin GUÉRIN

(Toulon, 1783 – Paris, 1855)

PortraitdugénéralJeanÉtienneCasimirPoitevindeMaureilhan Vers 1839-1840.

Huile sur toile.

H : 73 ; L : 59,5 cm.

Exposition : Probablement Salon des Artistes Vivants, Paris, 1840, n° 778 : « Portrait de M. le baron de M*** ».

Ce portrait représente un militaire, regardant frontalement le spectateur avec une expression calme et assurée. Il porte une veste noire ornée de broderies dorées élaborées, distinctive de l’uniforme des généraux de division d’Empire Il porte cinq médailles témoignant de son mérite : celle de grand officier de la Légion d’honneur, de l’Ordre de Saint Louis, la croix du mérite militaire, l’ordre militaire de Guillaume Ier et l’ordre du mérite civil de la Couronne de la Bavière. Ces distinctions permettent d’identifier le modèle : il s’agit du général Poitevin de Maureillan, général de division qui s’est distingué par ses nombreux faits d’armes durant la Révolution puis sous Napoléon Ier.

La fin de carrière de Paulin Guérin est marquéepard’innombrablescommandesroyales pour le chantier du musée historique de Versailles. De 1834 à 1846, Louis-Philippe commissionne à l’artiste près de trente portraits de militaires à destination des galeries du musée1

Bien que ses envois au Salon demeurent moins fréquents depuis 1827, l’artiste honore toujours quelques commandes privées. Le Salon de 1840 sera la dernière exposition à laquelle l’artiste présentera plusieurs portraits simultanément. Il y expose ainsi trois portraits aux modèles radicalement différents ; le portait de sa fille, celui de l’ancien député Louis Daniel deVauguyonetuntrèsprobablementceportrait posthume du général Poitevin de Maureilhan2

Portrait d’Isabelle Paulin Guérin ; Salon de 1840 ; huile sur toile ; H : 77, L : 62 cm. ; Toulon, musée d’Art (Inv. 964.7.4).

Mort prématurément en 1829, Jean Étienne Casimir Poitevin de Maureilhan ne semble pas avoir commandé un portrait officiel de son vivant, malgré une carrière militaire magistrale et son titre de baron accordé par Napoléon Ier. Cette absence d’image a probablementmotivélafamilleMaureilhandans la commande d’un portrait posthume à Paulin Guérin en 1839, année du dixième anniversaire de la disparition du général. D’autant plus que le nomdugénéralestinscritsurl’ArcdeTriomphe de l’Etoile, inauguré en 1836.

L’artiste apparaît comme le peintre de portraits militaires par excellence ayant maintes fois représenté des haut-gradés français pour Versailles. Il s’applique ainsi à exécuter le portrait de Maureilhan selon la même mise en page que ces derniers. Il opte pour un format identique aux portraits réalisés pour la galerie

1 Lacaille Frédéric. Les salles des Amiraux, des Connétables, des Maréchaux et des Guerriers célèbres des Galeries historiques de Versailles, 1833-1848. Versalia. Revue de la Société desAmis de Versailles, n°18, 2015. pp. 129-146. 2 Explication des ouvrages de peinture et dessins, sculpture, architecture et gravure des artistes vivans... Vinchon fils et successeur de Mme Ballard, 1840, p. 85.

Portrait de Louis Daniel de Vauguyon ;Salonde1840 ; huile sur toile ; H : 92, L : 72,8 cm. ; Chicago, Art Institute (Inv. 1961.886).

des maréchaux et celle des hommes illustres du musée historique de Versailles et place son modèle, légèrement tourné de trois-quarts, au seind’unpaysageoùdomineuncielauxcouleurs changeantes. Cette mise en scène est ainsi commune aux portraits des généraux Sebastiani, Hédouville, Aubert du Bayet ou encore Bruix, tous exécutés pour le musée historique versaillais. Le traitement du costume et des broderies dorées est typique de la manière de Paulin Guérin et se retrouve sur tous les portraits de militaires réalisés pendant sa carrière.

Pour preuve que le travail de Paulin Guérin pour Versailles a profondément marqué l’artiste, ce dernier transpose ses recherches sur

les généraux à des portraits de civils. Ainsi, Louis Daniel de Vauguyon, dont le portrait est également exposé en 1840, adopte la même attitude que le baron Maureilhan, au sein d’un paysage lui aussi semblable.

Une réplique de notre portrait semble être encore aujourd’hui en possession des descendants du général. Cette dernière est très probablement contemporaine de l’original et a certainement été exécutée à la demande de membres de la famille de Maureilhan. La copie répond ainsi à la volonté exprimée par chaque branche familiale de posséder une image de leur illustre parent

Portrait du général Sebastiani ; 1835 ; huile sur toile ; H : 73, L : 57 cm. ; Versailles, musée du château (Inv. MV 6660).
Portrait du général Hédouville ; 1835 ; huile sur toile ; H : 73, L : 57 cm. ; Versailles, musée du château (Inv. MV 2400).
Portrait du général Aubert du Bayet ; 1837 ; huile sur toile ; H : 73, L : 57 cm. ; Versailles, musée du château (Inv. MV 2359).
Portrait du général Bruix ; 1838 ; huile sur toile ; H : 73, L : 57 cm. ; Versailles, musée du château (Inv. MV 1227).

Louise DESNOS (Paris, 1807 – Abbeville, 1878)

PortraitprésumédeAdèleHugo

Vers 1842.

Huile sur toile.

H : 88 ; L : 70 cm.

Exposition : Probablement Salon des Artistes Vivants, Paris, 1842, n° 546 : « Portrait de Mme

H*** ».

Une femme vêtue d’une importante robe noire dont les manches sont doublées de dentelle, regarde le spectateur, la tête légèrement inclinée. Son coude droit repose sur l’accotoir d’un fauteuil et un châle en hermine, elle tient une paire de lunettes face à main. La blancheur nacrée des perles qui ornent son couvre-chef ainsi que ses deux poignets contraste avec la teinte noire monochrome de sa tenue et mettent en valeur la carnation claire de la femme. Le fait que sa gorge reste dépourvue de bijoux donne de la majesté au modèle qui présente un noble port de tête.

Au début des années 1840, Louise Desnos est une artiste femme en vogue depuis quelques années dans la capitale française. Élève de Louis et Louise Hersent chez qui elle loge et travaille,ellefaitsespremierspaspublicslorsdu Salon de 1831. Exposant régulièrement des portraits de personnalités du Tout-Paris, probablement grâce au réseau des Hersent, cette dernièreaccède rapidementàlacélébritélorsque l’État acquiert son Denier de la Veuve à lasuitedu Salon de 1840. Par cet achat à destination des collections royales, Desnos devient l’une des quatre peintres femmes à être exposée au sein du musée du Luxembourg destiné aux artistes vivants.

Il est probable que ce tableau ait été présenté au Salon de 1842 aux côtés d’une toile ambitieuse, La Consécration de sainte Geneviève à Dieu, première peinture d’histoire de l’artiste .

Desnos réalise un véritable portrait aristocratique et officiel, fidèle à la tradition du portrait d’apparat. Assise avec sûreté, le modèle pose un regard à la fois incisif et curieux sur le spectateur, la bouche dissimulant un léger sourire. Le choix des accessoires donnent des renseignements sur le modèle : l’hermine placée derrière son dos affirme son haut statut social, et les lunettes delecture à lamain donnent l’image d’une femme lettrée.

Victor Hugo devient vicomte en 1837 à la mort de son frère, Eugène. La nouvelle vicomtesse, Adèle Hugo (1803-1868) sera particulièrement enchantée par ce nouveau statut et le couple revendiquera à ses débuts son appartenance à la noblesse. Ce qui pourrait donner une raison à la commande de ce portrait.

En ce sens, le portrait de Desnos dénote fondamentalement, tant par son ajustement que par son impact sur le spectateur, d’un second portrait d’Adèle Hugo exécuté quelques années auparavant par Louis Boulanger, ami du couple Hugo, en 1839.

Par l’exposition de modèles prestigieux Desnos témoigne de sa nouvelle réputation acquise grâce à l’élargissement de sa clientèle à l’aristocratie. Elle s’affirme ainsi en qualité de peintre de l’élite fortunée, désireuse de portraits officiels.

Ainsi,lesportraitsdel’artisteexposésau Salon de 1844, véritable acmé de sa carrière, dépeignent des modèles influents, qu’il s’agisse de la sphère militaire avec un général et un amiral, ou encore de personnalités issues de l’élite intellectuelle et artistique.

Portrait de Juliette Destailleurs ; 1846, huile sur toile ; H : 90, L : 71 cm. ; Paris, musée Carnavalet (Inv P2872).

L’attention particulière portée sur les vêtements et l’environnement est sans nul doute un héritage de ses maîtres, tout comme les poses ancrées et l’attitude frontale des protagonistes. Plusieurs éléments stylistiques récurrents s’observent dans plusieurs œuvres, nous pouvons citer notamment le traitement des perles des bracelets dans les portraits de la reine Marie-Amélie ou de Juliette Destailleurs.

L’arrière-plan de notre portrait, sous forme de papier peint floral, s’il est inédit en 1842, sera réutilisé par l’artiste et son entourage les années suivantes. Ainsi, il peut s’admirer dans le portrait de Louise Desnos par Louise Hersent, son maître, exécuté en 1845

Louise HERSENT, Portrait de Louise Desnos ; 1845 ; huile sur toile ; H : 100, L : 82 cm. ; Versailles, musée du Palais (Inv. MV 6183).
La reine Marie-Amélie, huile sur toile, H. 65, L. 54 ; Eu, musée Louis-Philippe (Inv. 1989.7.2)

Paul DELAROCHE (Paris, 1797 – 1856)

PortraitdeMarieJauvind’Attainville 1852-1853.

Huile sur toile. H : 46 ; 38 cm. Ce portrait représente une femme en buste, tournée légèrement vers la gauche. Elle a les cheveux bruns, tirés en arrière et coiffés en un chignon soigné. Alors que son visage ce présente presque frontalement au spectateur, ses yeux sont tournés hors champ, comme si elle observait quelque chose lors de la séance de pose, donnant l’impression d’une image prise sur le vif. Elle porte une chemise claire, ornée d'un petit nœud noir au niveau du col, simplement esquissé à la peinture. Le fond n’est pas traité, donnant l’image d’une esquisse à l’œuvre.

Au début de la seconde moitié du XIXe siècle, Paul Delaroche est une figure incontournable du romantisme. Depuis ses premiers succès au Salon, les commandes prestigieusessesontaccumulées,sesclientssont nombreux et tout Paris connaît le nom du peintre de La mort de Lady Jane Grey.

Pourtant, la fin des années 1840 marque une période difficile avec le décès de sa femme et l’abattement que représente l’année 1848 et ses remous politiques. Attaché à ses deux enfants, il s’inquiète de la santé de son plus jeune fils Horace, qui est atteint d’une maladie articulaire et décide de s’éloigner de Paris le temps des hivers, d’abord à Aix-la-Chapelle, puis à Nice, à partir de septembre 1851.

Quand Delaroche arrive à Nice avec sa famille, il est logé sur la colline de Carabacel par la comtesse Delfina Potocka, rencontrée quelques années auparavant à Versailles1. Le domaine de la comtesse, composé de plusieurs villas, accueille ses amis artistes, écrivains, musiciens, intellectuels et artistocrates. C’est danscecadrequelepeintretrouvelesconditions de travail nécessaire pour terminer les dernières œuvres de sa carrière, il signe plusieurs tableaux à Carabacel.

Dans ce contexte de rencontres faites dans le cercle de la comtesse, il est certain que Delaroche fit la connaissance de Jules Jauvin d’Attainville, peintre amateur qui réside également au sein du quartier de Carabacel et fréquente assidûment le salon de l’hôte de Delaroche2 Ce dernier se lie intimement avec le

couple Attainville qu’il visitera à plusieurs reprises après son départ de Nice en 1853. Il invite également son ami et élève Ernest Hébert à Nice, ils y partagent un quotidien entre travail et rencontres mondaines.

Selon toute vraisemblance, la réalisation de notre portrait se situerait durant cette année 1853. Il est fort probable que le portrait traditionnellement considéré comme un portrait de Vernet par Delaroche soit en fait un portrait du mari de Marie Jauvin d’Attainville (18361913), Jules Jauvin d’Attainville. En effet, Vernet était roux et avait les yeux clairs, comme en témoigne les multiples portraits connus de l’artiste. En revanche, un dessin conservé aujourd’hui au Louvre, signé par Delaroche et localisé à Carabacel, qui représente Jules Jauvin d’Attainville, semble se rapprocher de ce dernier portrait.

Portrait de Jules Jauvin d’Attainville, signé, localisé, daté 1854, graphite sur papier, H : 25 – L : 19 cm, Paris, musée du Louvre (Inv. RF 366)

de Jules Jauvin d’Attainville ?, huile sur toile, H : 47 ; L : 38 cm., collection particulière.

1 Jean-Paul Portron, Les séjours du peintre Paul Delaroche au quartier Carabacel, 1848-1854, Nice historique, 1/01/2001, p.33.

2 Mrs. Daniel Dunglas Home, D. D. Home, His Life and Mission,Arno Press, 1976, p. 387.

Portrait

Il est probable que ces œuvres constituent un gage d’amitié de Delaroche à ses amis Niçois avant son départ pour Paris. Le portraitde Madame Attainville, originellementde format rectangulaire à l’instar de son possible pendant le Portrait de Monsieur d’Attainville, aété recoupé plus tardivement selon un format ovale.

Le choix d’un portrait intimiste, sous forme d’esquisse où seule la tête est entièrement traitée, permet d’écarter l’hypothèse d’une commande faite par les Attainville à l’artiste. En effet, des portraits semblables, destinés au cercle familial, ont été exécutés par Delaroche et son ami Horace Vernet quelques années plus tôt, chacun ayant choisi de représenter leurs épouses respectives. De plus, le traitement avec le visage frontal et le regard tourné hors champ a été utilisé à plusieurs reprises par Delaroche, notamment pour ses portraits esquissés dont nous connaissons plusieurs exemples.

Quant aux portraits sur toiles de moines camaldules exécutés en Italie par Delaroche en 1834, ils constituent des exemples plus précoces encore et rejoignent aussi le contexte d’exécution de notre portrait niçois. Comme notre portrait, ceux des moines ont été esquissés lors du séjour de l’artiste dans leur couvent.

Les Attainville commissionneront toutefois un portrait au jeune Ernest Hébert durant le séjour de Delaroche à Nice La comparaison entre les portraits du maître et de l’élève va dans le sens de leur contemporanéité. Les modèles semblent avoir le même âge, partagent les mêmes coiffures et expressions. Il semblerait donc que les Attainville aient bien connu à la fois le maître et l’élève, comme en témoigne la présence d’œuvres de ces deux artistes dans la donation faite à l’Etat à la mort de Jules Jauvin d’Attainville.

Portrait de Louise Delaroche, Huile sur toile, H : 40 ; L : 36 cm., musée du Louvre (RF. 1938 86).
Portrait de moine camaldule, huile sur toile, H : 23 ; L :10 cm., musée des BeauxArts de Nantes.
Portrait de Marie Jauvin d’Attainville, huile sur toile, H : 97 ; L : 73 cm., musée d’Orsay (RF. 156).

Attribué à Frédérique O’CONNELL

(Postdam, 1822 – Neuilly-sur-Marne, 1885)

Portraitprésuméd’AnneJulietteDucos 1853.

Huile sur panneau.

H : 32 ; L : 27 cm.

Exposition : Probablement Salon des Artistes Vivants, Paris, 1853, n° 889 : « Étude de femme »

Peu avant le Salon de 1853, un journaliste de La Revue des Beaux-Arts, visite l’atelier d’O’Connell et s’enquiert des tableaux qu’elle destine à la future exposition :

« Les dernières expositions de Bruxelles et de Paris ont été, pour Mme O’Connell, de favorables occasions de se produire ; aujourd’hui cette dame a pris rang parmi les maitres [ ]. Aussi les portraits en pied ou en buste sont-ils là en fort respectable nombre, n’attendant que l’heure de quitter l’avenue Frochot pour courir au local définitif de l’Exposition. Parmi ces portraits traités avec l’énergie et le grand style des maîtres du XVIe et du XVIIe siècles, se distinguent principalement ceux de M. le comte de Persigny, de M. de Romieu, de M. Arsène Houssaye, ceux aussi de Mme Ducos, femme du ministre de la marine, et de Mlle Rachel, tragiquement vêtue de velours noir.»1

Lors du Salon de 1853, O’Connell exposefinalement lesportraitsdeMlleRachelet M. Romieu mais également une Étude de femme qui semble se rapporter au Portrait de Madame Ducos (1819-1898) citédansl’articlede La Revue des Beaux- Arts. Le format petit du portrait, l’exécution particulièrement rapide et franche, auraient potentiellement poussé l’artiste à choisir le titre d’Étude. Il se pourrait également que ce dernier ait vocation à anonymiser le modèle, l’époux de Madame Ducos, Théodore Ducos, étant un homme politique exerçant la charge de Ministre de la Marine et des Colonies depuis 1851. Ce n’est pas la première fois qu’O’Connell choisit d’exposer un portrait sous

le titre d’Étude. Son Étude de femme d’après nature exposé au Salon d’Anvers en 1849 se révélait être le Portrait d’Amélie Turlot.

Il est également intéressant denoterque les portraits de Mesdames Turlot et Ducos ont été pensés et exécutés selon le même schéma, c’est-à-dire comme des faux- ovales dont les angles sont peints tout en marquant une séparation avec la représentation centrale. Le style pictural bouillonnant mis en œuvre dans le portrait de Madame Ducos est notamment remarqué par la critique : « Son Étude de Femme est, au contraire, malgré l’abus des tons crayeux et la

1 Georges Guénot, « Quelques mots sur le prochain Salon de Paris » dans Revue des Beaux-Arts, 23e année, T. IV, Paris, 1853, p. 31.

Portrait de Rachel ; Salon de 1853 ; huile sur toile ; H : 88, L : 66 cm. ; Paris, musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme.
Portrait d’Amélie Turlot ; Anvers, Salon de 1849 ; huile sur toile ; H : 64,L : 54 cm. ; Bruxelles, musée royaux des Beaux-Arts de Belgique (Inv.3731).

fantasmagorie de la lumière, une effigie heureuse et frappante. 2».

Ce style très personnel caractérisé par le traitement granuleux des chairs et les touches fermes de matière formant le costume, demeure un leitmotiv au sein de l’œuvre d’O’Connell Le portrait de Madame Ducos dévoile de nombreux détails faisant écho à des œuvres antérieures de

de Catherine II de Russie ; Salon de 1851 ; huile sur toile ; H : 92,5, L : 73,5 cm. ; Berlin, Alte Nationalgalerie (Inv. A I 305).

l’artiste. Ainsi, la dentelle blanche ornant le buste de Madame Ducos s’apprécie également dans le portrait de Pierre le Grand ; les accents graphiques de son voile sont tout autant visibles dans l’autoportrait de 1851 et l’arrière-plan éthéré est à rapprocher tant de ce même autoportrait que du portrait de Catherine II de Russie.

de Pierre le Grand ; Salon de 1851 ; huile sur toile ; H : 73, L : 58,5 cm. ; collection particulière.

Autoportrait ; Salon de 1851 ; huile sur toile ; H : 88, L : 65 cm. ; collection particulière

2 Revue de Paris, 1er juillet 1853, Paris, Bureaux de la Revue de Paris, 1853, p. 94

Portrait
Portrait

Tony ROBERT-FLEURY (Paris, 1837-1911).

Ophélie 1887.

Huile sur panneau. H. 35 – l. 26,5 cm. Signé.

Exposition : Salon des Artistes Vivants, Paris, 1887, numéro 2049.

À la fois influencée par le goût de l’anecdote historique de son premier maître, Paul Delaroche, ainsi que par sa grande connaissance des œuvres vénitiennes et hollandaisesdesXVIeetXVIIesiècles,l’œuvre de Tony Robert-Fleury est imprégnée de romantisme. Mais il n’est pas hermétique aux innovations de son époque ; à l’instar de ce portraitreprésentantOphéliequis’approchedu travail des symbolistes. Une esquisse de l’œuvre est actuellement conservée au Musée des Beaux-Arts de Rennes, La polonaise, étude pour Ophélie, sous le numéro 1906.27.3.

© Musée des Beaux-Arts de Rennes/Salingue JeanManuel

Ce dernier a été présenté au Salon de 1887 sous le numéro 20491 et fut largement salué par le public comme en témoigne l’appréciation donnée par deux critiques, ainsi que sa reproduction en gravure.

« Saint Augustin a dit : « Ne cherchez pas à attirer toute cette foule, quelques-uns sauront vous comprendre. » Ces paroles peuvent s’appliquer à M. Tony RobertFleury et à sa nouvelle œuvre qui n’est pas faite pour séduire les grandes foules, mais qui charmera, enchantera les regards des amateurs du grand art, de haut style. On croirait voir une tête de ces maîtres vénitiens du XVIe siècle, si habiles à faire une grande œuvre d’art de la moindre des choses. Le peintre a dessiné d’une ligne pure ce ravissant profil, dont l’air de grande distinction est tempéré par la douceur du regard et l’ébauche d’un charme d’une expression ineffable 2 »

Illustration de l’ouvrage de François Bournand.

« Il convient en effet que cette figure étrange reste dans sa poésie comme une apparition mélancolique et douce. Mais quel profil pur et charmant ! et comme on se prend à songer

1 Salon de 1887. Catalogue illustré. Paris : Ludovic Baschet, 1887, p. 36 & 297.

2 Bournand François et al. Paris-Salon 1887. Paris: E. Bernard, 1887, pp. 84-85.

devant cette jeune tête blonde,un peu penchée, au cheveux dénoués, aux yeux fixant l’inconnu, aux lèvres un peu inquiètes, aux front calme et encore, et qui pourtant, ce semble, a déjà été effleuré par l’aile légère de la folie ! Oh ! ce n’est pas une cliente des aliénistes, cette pâle rêveuse couronnée de fleurs des eaux, c’est une fille de poète, un âme, un symbole, la personnification d’une souffrance singulièrement humaine ou féminine, c’est l’infortunée prise de vertige devant le gouffre de l’esprit à jamais troublé de celui den qui elle croyait. Que de peintres ont entreprise de traduire Ophélie, et combien y ont échoué ! M. Tony Robert-Fleury n’a vu en elle ni une aliénée, nie une femme comme les autres ; il ne l’a pas cherchée au théâtre, mais dans la poésie philosophique qui est le propre du génie shakespearien, et c’est pour cela sans doute qu’il a fixé l’image presque mystérieuse, si heureusement, si justement. 3 »

Réputé pour ses peintures d’histoires qui lui valent un certain nombredecommandes par l’Etat, le peintre Tony Robert-Fleury est le fils de Joseph Nicolas Robert-Fleury (17971890). Il est élève de Paul Delaroche (17971856) et de Léon Cogniet (1794-1880) à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris à partir de 1857. Considéré comme l’un des derniers représentants du genre historique, il est soutenu parlespouvoirspublicsdèsledébut de sa carrière. Lors de sa première exposition au Salonde1864 àParis,son tableau Une jeune fille romaine, fait l’objet d’une acquisition par l’État et il connait un succès retentissant au Salon de

1866 avec Varsovie, scène de l’insurrection polonaise qui lui vaut une médaille de troisième classe. Ses compositions de grande envergure se distinguent par leur puissance dramatique ainsi que la maîtrise technique déployée par l’artiste qui n’a alors pas encore trente ans. Il continue de remporter des médailles lors de ses régulières apparition au Salon et il est fait Chevalier de la Légion d’Honneur en 1873 puis atteint le grade d’Officier en 1884. Toujourssolliciépardescommandesofficielles, il réalise La glorification de la sculpture française en 1880, un grand plafond toujours visible au Palais du Luxembourg ainsi qu’une grande composition pour les Salon des Arts de l’Hôtel de Ville de Paris en 1889. Il s’est également distingué pour ses talents de portraitiste, ses œuvres alliant la profondeur psychologique à un réalisme poussé, supporté par sa technique picturale. Engagé dans la vie artistique de son époque, il est professeur en titre à l’Académie

Julian, succède à William Bouguereau (18251905) au siège de président de la Société des artistes français et en 1908, il est élu président de la Fondation Taylor, fonction qu’il occupera jusqu’à la fin de sa vie.

3 Emile Hervet, Le Pays : journal des volontés de la France, 17 mai 1887, p. 3.

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