L’oeil gourmand (FR)… Paris Galerie Canesso 2007

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l’Œil gourmand

parcours dans la nature morte napolitaine du xviie siècle

Galerie Canesso



l’Œil gourmand

parcours dans la nature morte napolitaine du xviie siècle


Catalogue sous la direction de Véronique Damian Nous tenons à remercier chaleureusement ceux et celles qui nous ont aidés : Mercedes Águeda Villar, Bruno Arciprete, Gioacchino Barbera, Roberta Bartoli, Ken Berri, Paolo Bertuzzi, Duncan Bull, Frank Dabell, Giuseppe De Vito, Dario Disegni, Elena Fumagalli, Arturo Galansino, Gian Antonio Garzilli, Francesco Giovanetti, Mina Gregori, Riccardo Lattuada, Mario Lazzari, Vito Librando, Stéphane Loire, Alberto Marchesin, Franco Paliaga, Almudena Perez de Tudela Gabaldón, Maria Silvia Proni, Habiba Taïbi, Paola Renna, Paolo Rosa, Nicola Spinosa, Bonaccorso Vitale Brovarone, Marco Voena. Traduction : Habiba Taïbi, Letitia Berger, Véronique Damian Conception graphique : François Junot. Photogravure et impression : Imprimerie Blanchard – septembre 2007

© Galerie Canesso, 2007 ISBN 978-2-9529848-0-5 EAN 9782952984805

Ambasciata  d’ Italia Parigi

Soprintendenza Speciale per il Polo Museale Napoletano


l’Œil gourmand

parcours dans la nature morte napolitaine du xviie siècle Paris, Galerie Canesso, 26 septembre – 27 octobre 2007 L’exposition est placée sous le patronage de l’Ambassade d’Italie à Paris et de la Soprintendenza Speciale per il Polo Museale Napoletano

Galerie Canesso



Sommaire

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Une collection possible

maurizio canesso

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La nature « in posa » à Naples au xviie siècle : progrès et retards des études

nicola spinosa

Quelques réflexions sur la nature morte à Naples dans les premières décennies du xviie siècle

pierluigi leone de castris

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Créatures des flots et de la conscience. “Figuralité” des poissons napolitains

14

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filippo maria ferro

La nature morte napolitaine : les nouvelles exigences de la vue

grard labrot

Catalogue

32 34 46 61 64 68 76 80 104 106 118 130

Giacomo Coppola (cat. 1) Giovan Battista Recco (cat. 2-6) Paolo Porpora (cat. 7-12) Paolo Cattamara (cat. 13) Giovanni Quinsa (cat. 14) Luca Forte (cat. 15-17) Maître S.B. (cat. 18) Giuseppe Recco (cat. 19-29) Giuseppe Recco / Francesco Solimena (cat. 30) Giovan Battista Ruoppolo (cat. 31-35) Giuseppe Ruoppolo (cat. 36-40) Andrea Belvedere (cat. 41)

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Bibliographie



Une collection possible maurizio canesso Présenter une exposition de natures mortes napolitaines du xviie siècle offre une magnifique occasion d’ouvrir la galerie à un public de collectionneurs, d’historiens de l’art et de passionnés, ainsi que de revisiter quelques étapes de notre activité. De la cinquantaine de toiles proposées, vingt-cinq – aujourd’hui toutes en mains privées – ont fait partie, au fil des ans, de nos collections. À ce noyau de départ viennent s’ajouter des natures mortes de collections publiques et privées, créant un ensemble cohérent qui sera, nous l’espérons, sujet d’émulation pour le spécialiste ou approche plus spontanée pour celui qui ne connaît pas encore la peinture ancienne et la fascination qui peut en émaner, même si les œuvres sont exposées hors de leur contexte. Cet ensemble, qui reflète nos choix, met en évidence notre goût, et notre attention à la qualité et à l’état de conservation des œuvres. Le but de l’exposition L’Œil gourmand, s’il reste commercial, ne doit cependant pas être entendu comme tel, puisque aucune des œuvres exposées n’est à vendre. Notre intention est plutôt de suggérer que parmi les différents genres de la peinture et parmi les diverses options présentes sur le marché, il est encore possible de créer une collection de prestige composée d’œuvres significatives, aussi bien au niveau historique que qualitatif. Et là, le métier de marchand prend tout son sens car il lui appartient de découvrir les tableaux, de les sélectionner, de les garder en réserves. Au futur collectionneur d’en ouvrir la porte. Je voudrais remercier tous ceux qui ont collaboré directement ou indirectement, en particulier Nicola Spinosa, Soprintendente Speciale per il Polo Museale Napoletano, qui avec enthousiasme, a tout de suite adhéré à l’idée de l’exposition en suggérant des pistes de travail ; S.E. Ludovico Ortona, ambassadeur d’Italie à Paris qui sans hésitation a soutenu le projet ; les prêteurs : Giovanni Bazoli, Presidente del Consiglio di Sorveglianza Intesa Sanpaolo, pour les tableaux de la collection auparavant Banco di Napoli, Piero Cei, Vittorio Di Capua, et tous ceux qui ont souhaité garder l’anonymat. Beaucoup se sont reconnus dans cette initiative qui correspond, dans le choix des tableaux, à celle qui préside à leurs acquisitions. Pour finir, je voudrais exprimer toute ma gratitude à Véronique Damian qui a coordonné l’exposition et la rédaction de ce catalogue.


La nature « in posa » à Naples au xviie siècle : progrès et retards des études nicola spinosa

Soprintendente per il Polo Museale Napoletano

La critique a depuis longtemps accordé une place de premier plan au genre de la nature morte – il conviendrait de parler plutôt de nature « in posa » – qui s’est développé à Naples au cours du xviie siècle. Au début des années 1950 ont commencé à être reconnus les résultats obtenus par les peintres napolitains, largement influencés par les tendances locales situées entre naturalisme et baroque, allant de paire avec une meilleure approche de l’œuvre d’artistes (de Giovan Battista Caracciolo et Carlo Sellitto à Aniello Falcone et Bernardo Cavallino ou Domenico Gargiulo, de Massimo Stanzione et Andrea Vaccaro à Luca Giordano et Francesco Solimena) et par des apports critiques présentés à l’occasion des nombreuses expositions sur le sujet, principalement au cours de ces dernières années. Or, à la lumière de ces nouvelles contributions, l’histoire déjà complexe de la nature morte napolitaine, tant par son développement pendant tout le xviie siècle que dans son caractère autonome, par rapport à d’autres centres italiens ou étrangers, est devenue encore plus inextricable, et sous certains aspects, encore plus confuse de ce qu’elle était au début des études sur le sujet, lors de l’exposition qui a fait date sur la nature morte italienne, présentée en 19641965 à Naples, Zurich et Rotterdam. Des approximations et des confusions critiques se sont révélées, non moins évidentes, à l’occasion de l’exposition consacrée exclusivement à la nature morte napolitaine (1984-1985), au musée Pignatelli, jusqu’à celle plus récente – et presque trop vaste –, sur la nature morte italienne présentée à Munich et à Florence (2002-2003), sous la direction de Mina Gregori. Toutefois, cette exposition s’est appuyée, pour la section napolitaine, sur l’importante monographie sur ce sujet publiée par Federico Zeri en 1989 et sur les interventions critiques postérieures, dues essentiellement à Giuseppe De Vito. Cette situation est inhérente aux limites qui apparaissent dans les études plus récentes et, par voie de conséquen-

ce, dans les expositions elles-mêmes organisées depuis la fin 1984. Et pourtant, il faut reconnaître que les nombreuses contributions de De Vito comme celles apportées par quelques rares études récentes, ont permis, malgré tout, quelques avancées dans la connaissance de certains peintres de nature morte importants, actifs à Naples pendant la première moitié du xviie siècle (de Luca Forte à Giuseppe Recco, en passant par Paolo Porpora et quelques autres), ne serait-ce que parce qu’elles ont mis en lumière des œuvres inédites ou peu connues. Mais, comme par le passé, il s’agit pour la plupart d’études fondées presque exclusivement sur les résultats – souvent, mais pas toujours, complètement convaincants voire inacceptables –, de recherches menées, parfois avec un soupçon d’intérêt privé ou mercantile, uniquement sur des comparaisons stylistiques entre des œuvres anonymes ou diversement attribuées et des tableaux signés et déjà connus. Et l’on sait bien qu’écrire sans s’entourer de la nécessaire prudence, avec comme seul instrument, même s’il est très à jour et parfois efficace, l’analyse stylistique, peut comporter le risque d’avancer des hypothèses hasardeuses et des solutions approximatives, surtout dans le champ de la nature morte en général et de celle napolitaine en particulier. Cela vaut aussi pour les œuvres d’artistes connus uniquement par leur nom, parfois reportés de façon erronée ces dernières années, parce qu’ils sont cités dans de rares archives ou dans des inventaires de collections anciennes – comme c’est le cas pour les divers Ambrosiello Faro (ou Russo), Angelo ou Antonio Mariano, Angelo Turcofella (mais plus correctement Carlo Turcopella comme il est cité dans les documents) et bien d’autres. Et c’est la même chose pour l’œuvre des artistes connus par un nombre plus consistant de tableaux signés et parfois datés, ou facilement datables comme dans le cas de Luca Forte (fig. 1), l’un des peintres napolitains de nature morte parmi les plus célèbres. Ce n’est que très récemment que Pierluigi


Fig. 1 — Luca Forte, Nature morte de fruits et de fleurs, Marano di Castenaso, collection Molinari Pradelli.

Leone de Castris a réussi à préciser ses débuts précoces, en les rattachant à l’activité de Giacomo Coppola, l’auteur, finalement identifié, de la nature morte conservée au Museo Civico de Gallipoli exposée ici (cat. no 1) et datée par Leone de Castris vers 1615, anticipant cette datation à un moment central des échanges entretenus entre Rome et Naples. L’approximation de l’état de la recherche se complique encore lorsque l’on se penche sur la production de ceux dont on connaît peu de tableaux d’attribution certaine, ou, ceux dont on ignore l’identité. L’exemple le plus flagrant est celui de l’auteur, encore anonyme, de l’une des plus belles natures mortes napolitaines : la célèbre composition de fleurs, fruits et légumes réalisée par un peintre appelé Maestro di Palazzo San Gervasio, du nom du bourg proche de Potenza où elle est actuellement conservée. Ce tableau a reçu par le passé les attributions les plus diverses, principalement sur des considérations stylistiques, d’Andrea Belvedere à Paolo Porpora, de Luca Forte (sans doute le nom le plus convaincant) à Aniello Falcone et jusqu’au Romain Giovan Battista Crescenzi. Mais, c’est aussi le cas de Giacomo Recco, l’un des plus « anciens » protagonistes de la nature morte, d’après les sources, et l’un des premiers membres de la célèbre famille d’artistes napolitains : peut-être le frère de Giovan Battista, et sûrement le père de Giuseppe, et par ailleurs le maître de Paolo Porpora. La critique moderne s’est interrogée longuement sur la production de Giacomo, et lui a retiré récemment la paternité de la série des « vases à grotesques avec fleurs » (je ne sais pas s’il faut lui donner entièrement raison), dont on peut identifier la main aujourd’hui seulement dans un panneau représentant une Nature morte avec un enfant (localisation inconnue ; fig. 2). Au dos de ce panneau, publié par De Vito en 1988, se trouve en effet la signature présumée de l’artiste, à côté de celle d’Artemisia Gentileschi pour l’exécution de la figure. De Vito relie cette œuvre à un groupe de tableaux avec des poissons, du gibier ou des vases de fleurs (ces derniers étant pour la plupart conservés au Castello Ursino de Catane) qui présenteraient,

à son avis, des affinités stylistiques avec le vase en céramique avec des fleurs, inséré dans l’Annonciation de Massimo Stanzione, signée, située du début des années 1640 et exposée dans l’église Santo Stefano al Ponte de Florence et pour lequel, il a proposé le nom du plus âgé des Recco. Autant dire que l’on a très peu d’informations sur cet artiste, ou presque rien. Ce constat croise aussi les débuts problématiques de Paolo Porpora, son élève le plus célèbre, qui s’est formé très jeune dans l’atelier de Giacomo, et qui n’est connu jusqu’à présent que par ses œuvres plus tardives, réalisées au cours de son séjour romain, autour des années 1650. Celles-ci se caractérisent par des « sous-bois » au chromatisme précieux et raffiné, ainsi que par des compositions florales très colorées à la mise en scène exubérante et baroque. Or, en 1999, De Vito a suggéré, uniquement d’après des comparaisons stylistiques, que l’on pouvait attribuer au jeune Porpora, autour de 1640 – après qu’il s’est éloigné de son maître et qu’il a intégré l’atelier très fréquenté d’Aniello Falcone, vers 1635 – de nombreuses natures mortes avec poissons, mollusques, fruits de mer et tortues qui présentent encore des éléments d’empreinte naturaliste. Il devient alors nécessaire d’exprimer quelques doutes et de poser quelques questions : si aucune source, aucun document ne cite Giacomo Recco comme auteur de natures mortes de poissons divers, jusqu’à quel point peut-on attribuer au jeune Porpora toutes les compositions « marines », comme le fait De Vito, et ne peut-on pas soupçonner que les plus naturalistes d’entre elles, ne puissent être de la main de son maître ? Et, pour aller plus loin, de tous les « sousbois » attribués à Paolo Porpora, combien sont réellement de sa main et combien doivent être rendus au plus rare Paolo Cattamara, dont on connaît peu de tableaux sûrs ? Autant d’interrogations et de perplexité existent pour l’identification, non moins problématique, d’un autre peintre de nature morte napolitaine de la première heure : Giovan Battista Recco, probablement frère de Giacomo et oncle de Giuseppe. Les inventaires anciens le citent, sous le nom de « Titta Recco », comme peintre d’intérieurs de cuisines et de celliers, mais l’on ne connaît de cet artiste que deux natures mortes datées et signées in extenso, dont l’une se trouve dans l’ex-collection Mendola à Catane (1653),

Fig. 2 — Giacomo Recco (?) – Artemisia Gentileschi (?), Nature morte avec un enfant, localisation inconnue.


Fig. 3 — Giovan Battista Recco, Nature morte avec tête de bouc, Naples, musée de Capodimonte.

exposée ici (cat. no 5), et l’autre (1654) se trouvant dans la collection Rappini. D’autres compositions lui ont été attribuées jusque là, soit parce qu’elles présentent des affinités avec les deux premières, soit parce qu’elles portent le monogramme « G.B.R. ». Or, elles pourraient être – au moins dans quelques cas – l’œuvre d’un autre peintre, plus tardif : Giovan Battista Ruoppolo. Les sources citent ce dernier en particulier, comme peintre de tableaux représentant des celliers et des intérieurs de cuisine. Encore un problème d’identification difficile à résoudre actuellement. Sans posséder de preuve et pour compliquer la situation, il a été dit de Giovan Battista Recco, dont les deux natures mortes signées témoignent d’une forte empreinte naturaliste, qu’il a été influencé, directement ou indirectement par l’intermédiaire de Giovanni Quinsa, peintre probablement d’origine hispanique, actif à Naples dans la première moitié du xviie siècle – par la nature morte espagnole et les bodegones d’Alejandro Loarte, de Juan van der Hamen, de Juan Francisco Zurbarán et même du jeune Velázquez de Séville. Tout cela en oubliant que Jusepe de Ribera était présent à Naples dès 1616. Or, nombre de ses compositions aussi bien sacrées que profanes, réalisées avant qu’il ne quitte définitivement Rome pour Naples, et même longtemps après, proposent des éléments de « natura in posa » dont l’intensité et la qualité fortement empreintes de naturalisme sont extraordinaires. Ces exemples ont sans

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doute constitué des références pour les premiers peintre de nature morte, déterminant leur évolution respective à partir de 1630 environ : de Giacomo Recco à Luca Forte jusqu’à Giovan Battista Recco ou même son neveu Giuseppe, dont certains tableaux ont d’ailleurs été attribués au maître espagnol. Il faut donc convenir que, pour identifier avec certitude les œuvres de Giovan Battista Recco, nous sommes encore, malgré quelques avancées récentes, dans une phase où les connaissances sont approximatives, fondées essentiellement sur les résultats peu convaincants des analyses et des comparaisons stylistiques. Cette situation est encore illustrée par les deux Intérieurs de cuisine avec tête de bouc (Naples, musée de Capodimonte), avec des affinités thématiques et naturalistes évidentes, et qui oscillent aujourd’hui entre deux noms : soit Giovan Battista, soit Giuseppe Recco (fig. 3 et 4), même si la qualité de la lumière et des couleurs, ainsi que le réalisme diffèrent d’un tableau à l’autre invitent à proposer deux dates différentes. Ribera était présent à Naples à partir de 1616, mais tout porte à croire qu’il y avait probablement déjà envoyé des œuvres – à des commanditaires napolitains ou des résidents espagnols, alors même qu’il vivait encore à Rome (des documents prouvent qu’il y habitait dès 1612), ou déjà avant son passage à Parme, entre 1610 et 1611 – certainement avec des objets d’une forte vigueur naturaliste, sur l’exemple de ceux qui apparaissent dans ses célèbres personnifications des Sens ou sur ses portraits épurés d’apôtres et de philosophes de l’Antiquité. Cela me permet de reprendre quelques observations importantes, déjà exprimées à plusieurs


reprises, en rapport avec une analyse attentive des débuts et de l’évolution de la nature morte, qui vient en parallèle à l’activité contemporaine des peintres « de figures » et « d’histoires », aussi bien sacrées que profanes. Je ne veux pas revenir ici sur l’utilité d’entreprendre des recherches plus amples et des enquêtes plus approfondies sur l’organisation et la distribution du travail dans les ateliers des artistes actifs à Naples au cours du xviie siècle. Il s’agissait dans certains cas de véritables « usines » ou entreprises de production artistique vaste et variée, avec divers spécialistes travaillant seuls ou dirigés par un maître qui faisait office d’entrepreneur et de metteur en scène, comme dans l’atelier de Giovan Bernardo Azzolino, dont son gendre Jusepe de Ribera a vraisemblablement hérité, ou celui d’Aniello Falcone ou, plus tard, celui de Luca Giordano ou, pour finir, celui de Francesco Solimena. De même que je ne veux pas m’étendre ou approfondir les enquêtes sur les relations établies par les peintres, y compris pour les auteurs de nature morte, avec les commanditaires locaux et étrangers. En particulier, pour la bonne raison que les études menées sur les commanditaires et les collectionneurs napolitains même si elles s’arrêtent aux archives et aux inventaires patrimoniaux souvent peu précis, des progrès ont été enregistrés, en particulier dans le domaine de la nature morte, après les ouvertures maintenant lointaines d’Ulisse Prota-Giurleo, récemment par les recherches d’Edoardo Nappi, Renato Ruotolo, Gérard Labrot et Pierluigi Leone de Castris. Je tiens à rappeler encore une fois que, en plus des artistes spécialisés dans la nature morte, travaillaient à Naples de nombreux peintres « d’histoires » et « de figures » dont les documents (malheureusement, presque toujours des archives ou d’anciens inventaires patrimoniaux) prouvent qu’ils réalisaient aussi des natures mortes autonomes. C’est le cas, au début du xviie siècle, de Carlo Sellitto, de Filippo Napoletano, de Battistello Caracciolo, d’Aniello Falcone, d’Andrea de Lione ou bien d’autres, pour lesquels les tableaux avec des sujets sacrés ou profanes présentent souvent d’importants morceaux de « natura in posa » que la critique moderne et contemporaine tend à attribuer à la main de spécialiste sur l’exemple des paysagistes ou des quadraturisti appelés pour intervenir ponctuellement et aider les auteurs des scènes figurées. Interventions qui venaient s’insérer aux côtés des héroïnes bibliques, des saints martyrisés, des madones en extase, des Annonciations, des personnages mythiques de l’Antiquité ou des héros vertueux de poèmes épiques et chevaleresques modernes et, dont le contenu présentait des objets précieux ou à usage domestique et quotidien, de la vaisselle en cuivre ou en faïence, des verres et des cristaux de facture exquise, des livres et des parchemins usés par des lectures répétées, des pages de musique sacrée ou profane ou encore des fleurs et des fruits, des poissons et des légumes, des oiseaux et des animaux de toutes sortes, toujours placés en évidence et pris « dal vero », où forme, surface, grain de la peau, lumière et couleur sont reproduits fidèlement. Dans la seconde moitié du siècle, les natures mortes sont conçues de façon incroyable et fantastique, avec des

Fig. 4 — Giuseppe Recco, Nature morte avec tête de bouc, Naples, musée de Capodimonte.

effets scéniques théâtraux, selon les critères fastueux de la splendide période baroque, pour le seul plaisir des yeux et pour laisser libre cours à l’imagination ardente du cœur et de l’esprit. Et plus rarement, du moins à Naples, pour faire allusion à des sens symboliques ou allégoriques cachés, de manière plus ou moins explicite, et avec la volonté d’édifier, de moraliser, d’éduquer ou de célébrer. Parmi ces peintres « d’histoires » et « de figures », con­ nus, appréciés et bien rémunérés, qui ont influencé les débuts puis le développement de la nature morte napolitaine, il faut citer Aniello Falcone, et son atelier très fréquenté, et Ribera. Ce dernier, comme je l’ai déjà dit, insérait dans ses compositions sacrées et profanes – depuis ses œuvres de jeunesse, à Rome, jusqu’à sa maturité – d’extraordinaires fragments de « natura in posa », sans faire appel aux spécialistes de la nature morte. Ces insertions reflètent l’évolution

Fig. 5 — Giuseppe Recco, Nature morte avec porcelet, Londres, Trafalgar Galleries.

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Fig. 6 — Jusepe de Ribera, Le Départ de Jacob, Madrid, musée du Prado.

de ses goûts artistiques, depuis ses débuts rigoureusement naturalistes jusqu’à la tendance néovénitienne des années 1635, modèles probables pour les peintres de nature morte napolitaine dès le début des années 1630 et peutêtre même avant. Du reste, les deux splendides paysages méditerranéens et solaires de la collection de la duchesse d’Albe, peints par Ribera en 1639, prouvent bien que cet artiste d’origine espagnole fut l’un des plus remarquables paysagistes actifs à Naples entre 1625 et 1650 (pour s’en convaincre, les paysages que l’on aperçoit sur nombre de ses compositions auraient largement suffi) et que cette activité de spécialiste aura des répercussions importantes sur l’activité et les choix des peintres locaux tels que Domenico Gargiulo ou le jeune Salvator Rosa. Outre Ribera, d’autres peintres furent sensibilisés par l’intégration de la nature morte dans des scènes bibliques, des personnifications des sens, des représentations des sages et des philosophes de l’Antiquité, parmi lesquels il convient de citer, notamment le Maître de l’Annonce aux bergers – qu’il s’agisse ou non de Bartolomeo Passante, mentionné dans les sources et les inventaires patrimoniaux, ou, comme on l’a proposé récemment, de Juan Do, originaire de Valence et actif à Naples, dès le début des années 1620 – ou, même avec une importance moindre, Massimo Stanzione, Bernardo Cavallino et Giovan Battista Spinelli. Tous ces peintres, comme tant d’autres, ont eu des formations différentes et ont développé des styles divers, mais sont tous auteurs de compositions sacrées ou profanes incluant des éléments de nature morte pour lesquels la critique a toujours pensé à la collaboration de spécialistes : de Giacomo Recco à Paolo Porpora, de Giovan Battista à Giuseppe Recco. Cela s’est certainement avéré dans certains cas. Mais comment peut-on exclure que quelques uns de ces artistes n’aient pas été capables de peindre eux-mêmes les divers objets présents dans leurs compositions, sacrées ou profanes, ou des fragments de « natura in posa » ?

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Il n’est pas anodin de relever que l’on ait attribué à Ribera, de façon tout à fait impropre (ou par provocation ?) un tableau – la Nature morte avec porcelet, monogrammé « GR » (Londres, Trafalgar Galleries ; fig. 5) – qui est indubitablement de Giuseppe Recco. Celui-ci ayant très probablement vu, comme son oncle présumé Giovan Battista et peut-être le jeune Paolo Porpora (je n’ose avancer aussi le nom de Luca Forte), les insertions de natures mortes dans les tableaux du peintre espagnol, en particulier, Le Départ de Jacob, daté de 1637, du musée du Prado (fig. 6). Giuseppe Recco, de même que les autres peintres du début du siècle, connaissaient aussi certaines compositions de Ribera des années 1620 avec des éléments de nature morte et des tableaux du Maître de l’Annonce aux bergers, avec l’extraordinaire Atelier du peintre (Madrid, collection particulière ; fig. 7) influencé par Velázquez, qui présente l’une des plus belles insertions de ce type, peinte à Naples avant 1635. De plus, la collaboration entre peintres de nature morte, comme Giuseppe Recco, Giovan Battista Ruoppolo, Abraham Brueghel ou Andrea Belvedere, peut être retenue certaine – et cela est bien documenté – dans plusieurs compositions célèbres de Luca Giordano ou de Francesco Solimena qui, de toute façon (j’en suis persuadé), pouvaient peindre avec autant d’habileté des scènes animées que de splendides « natura in posa » autonomes. Mais, au moins pour la première période de la nature morte napolitaine et jusqu’au tournant du xviie siècle, pourquoi ne pas étendre ou approfondir les études pour chercher à définir l’influence d’artistes non spécialisés dans ce genre, travaillant à côté ou dans le sillage des modèles du Maître de la nature morte Acquavella ou d’Angelo Caroselli, pour ne pas considérer seulement des artistes comme Giacomo Coppola (récemment redécouvert) ou Luca Forte, Sellitto ou Falcone, mais aussi des peintres plutôt spécialisés dans la figure, comme Battistello ou Ribera, le Maître de l’Annonce aux bergers ou Massimo Stanzione et Bernardo Cavallino ? Je suis convain-


cu que de telles recherches ne manqueront pas d’apporter des résultats et des surprises. Il s’ensuit que ma contribution ne peut être qu’une invitation et une incitation à élargir, plus qu’à revoir totalement ou en partie, ce que la critique a déjà fourni pour une meilleure connaissance du dense chapitre d’histoire de l’art qu’est la nature morte napolitaine du xviie siècle. Pour l’historique détaillé, surtout concernant le début du siècle, je renvoie à l’essai, dans ce catalogue, de Pierluigi Leone de Castris et aux denses notices qui accompagnent chaque tableau de cette exposition. Dans ce sens, cette manifestation proposée par la Galerie Canesso apporte une contribution remarquable en présentant de nombreux tableaux inédits ou « oubliés », souvent signés et même datés, aux côtés d’œuvres plus connues, dont les attributions sont convaincantes et qui ne manqueront pas d’alimenter le débat critique pour susciter des recherches futures. Et cela, en attendant le jour où pourra être organisée une plus vaste présentation de natures mortes peintes à Naples au xviie siècle (et pourquoi pas au début du xviiie ?), une grande exposition où les tableaux signés et datés ou documentés avec certitude permettront d’apporter quelques vérités irréfutables aux très nombreuses œuvres qui posent encore problème.

Fig. 7 — Maître de l’Annonce aux bergers, L’Atelier du peintre, Madrid, collection particulière.

C’est dans ce but que la Soprintendenza per il Polo Museale Napoletano, avec le musée de Capodimonte, dans lequel est conservé l’un des fonds les plus significatifs et importants pour les études dans ce domaine, a voulu soutenir et encourager l’exposition de la Galerie Canesso, tant pour faire évoluer les connaissances, que pour les approfondir et pour permettre de relancer un débat critique mené jusqu’ici plus sur des matériaux documentaires et photographiques que sur l’observation directe et la comparaison concrète des œuvres. Certes, de nombreuses questions resteront encore ou­ vertes. Mais si tous les doutes et tous les problèmes concernant les débuts et l’évolution de la nature morte napolitaine, ou de tout autre chapitre ou moment de l’histoire, de l’art et de la civilisation, pouvaient être résolus avec de sérieuses études critiques et avec une ou plusieurs expositions sur ce sujet, quel avenir, mais aussi quel présent, serions-nous en droit d’attendre pour un progrès possible et une croissance souhaitable pour nous tous et pour l’ensemble de la société civile ?




Quelques réflexions sur la nature morte à Naples dans les premières décennies du xviie siècle pierluigi leone de castris

Les origines et les premiers pas de la nature morte napolitaine ont fasciné depuis toujours les spécialistes de ce genre, peut-être à cause du mystère qui entoure et qui caractérise ces deux décennies cruciales, de 1610 à 1630 entretenu par le manque quasi total d’éléments sûrs. Certes, l’apogée, le moment où la nature morte est fortement appréciée à Naples se situe dans les années 1640 et 1650, lorsque celle-ci se marie avec les nouvelles tendances d’aménagement et de décoration du « palais baroque » méridional, comme l’attestent les inventaires des grandes collections de l’époque. C’est dans les maisons d’un Peppe Carafa, d’un Gaspare Roomer ou d’un Ferrante Spinelli que, pour la première fois, les artistes de ce genre mineur, qui connaissent maintenant un grand succès, prennent corps et nom là où dans les inventaires des collections plus anciennes des Filomarino della Rocca (1634), de Partenio Petagna ou de Onofrio de Anfora (1644), les natures mortes, encore rares, accrochées aux murs des « pièces », sont recensées de manière significative, mais toujours et seulement en tant qu’anonymes1. D’après les inventaires annexés aux testaments, la collection de Giuseppe Carafa, petit frère du duc de Maddaloni, décapité par les révolutionnaires de Masaniello en juillet 1647, comprenait notamment une quarantaine de natures mortes, dont deux de Luca Forte (ca. 1605-1656), deux avec « cetrangoli e limoncelle » (« cèdres et citrons ») de la main de Giacomo Recco (1603-ca. 1653), sept avec fruits de la main de « Ambrosiello », quatre avec fleurs du non moins connu Nardiello, trois « de grands fruits » – deux d’un certain « Ursolupo » et une de « Pauluccio », Porpora ou Cattamara – et pour finir, douze avec des animaux, dont . Pour les inventaires des collections cf. Labrot, 1992. L’idée et la première partie de cet essai reprennent celles de Leone de Castris, 2005, auquel je renvoie pour la bibliographie et les archives citées, de même que pour les thèmes traités ci-après.

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six explicitement attribuées à un « Pietro Fiammingo » lequel, dans le même inventaire, apparaît être le collaborateur de Pacecco De Rosa pour un tableau avec Orphée. Dans la collection de Ferrante Spinelli, prince de Tarsia, décédé en 1654 et possesseur – dans son palais « fuori Porta Reale » (« extra-muros ») – de l’une des premières et plus riches « Galeries » méridionales, un inventaire similaire énumère une cinquantaine d’œuvres, parmi lesquelles dixhuit de fruits ou de fleurs du même Forte – plus une toile avec « figure che sonano et cantano con frutti » (« figures qui jouent et chantent avec des fruits ») réalisée en collaboration avec Aniello Falcone –, deux petites « con piccioni » (« avec pigeons ») et « con pollastre e fiche » (« avec petites poules et figues ») de Filippo Napoletano, quatre « con frutta e fiori » (« avec fruits et fleurs ») de Titta Recco, une « con un pezzo di carne con una testa di agnello, gallina et altre cose » (« avec un morceau de viande avec une tête d’agneau, poule, et d’autres choses ») d’Ambrosiello cité plus haut, une « con una gatta, e un cane » (« avec une chatte, et un chien ») de « Guglielmo Fiammingo », une de fruits de « Giovanni Antonio » et dix dont l’attribution est incertaine avec des poissons, des fleurs et des animaux. En plus, dix autres toiles du mystérieux « Pietro Fiammingo », visiblement en possession d’un répertoire enviable, allant des fleurs aux fruits, des poissons aux crustacés, ainsi que poules, renards, perroquets, chiens, chèvres, sangliers, lièvres et autres animaux. Enfin, la collection du riche marchand et collectionneur Gaspare Roomer comptait à sa mort en 1674 jusqu’à cent vingt natures mortes ; six d’entre elles au moins – datant d’avant 1630 – étaient, selon le témoignage de Capaccio, de la main d’un certain « Gerardo Vanden Bos Fiamengo », sans doute ce « Gherardo di Bosco » ou ce Gerrit van den Bosch, qui s’avère être payé en 1619, à Florence, par les Médicis pour « tre paesi grandi […] entrovi diversi animali » (« trois grands paysages […] avec animaux divers »), en-


core conservés dans les réserves des Galeries florentines2. Ceux-ci seraient, d’après les archives et les sources littéraires, les protagonistes, locaux ou non, de la diffusion du « genre » dans les collections de l’aristocratie citadine au tournant du siècle : les plus ou moins connus Luca Forte, Giacomo Recco, Filippo de Llaño, Giovan Battista Recco, « Pauluccio napoletano », « Ambrosiello » et « Giovanni Antonio » – probablement ces mêmes « Ambrosiello Faro” et « Antonio Mariano » cités vers 1667 par Tutini avec Luca Forte et Giacomo Recco parmi les peintres « celebri et assai […] in pinger poi fiori e frutti dal naturali » (« très célèbres […] dans la peinture d’après nature de fleurs et fruits ») – mais aussi Gerrit van den Bosch que nous avons déjà cité et ceux, encore inconnus, Ursolupo, Nardiello, Bernardo Guglielmo e Pietro « fiamminghi » (« flamands »). Cependant, si l’on veut rendre compte au mieux de la production de natures mortes dans le Naples de la première moitié du xviie siècle, il faudrait ajouter le nom de l’Espagnol Giovanni Quinsa, qui signe et date de 1641 et de 1642 deux de ses tableaux de fruits et fleurs, ainsi que le nom de Pietro Dous, vraisemblablement outremonts, que les documents mentionnent en 1639 pour des tableaux de fleurs, et – comme j’ai essayé de le signaler avec plus d’ampleur dans mon essai de 2005 – ceux, encore plus anciens, des quatre Napolitains Giacomo Coppola, Carlo Turcopella, Vincenzo Venturino et Ambrosiello Russo, cités dans les documents d’archives en tant qu’auteurs, respectivement, de « verdure », de fleurs, de chasses et d’animaux en 1610, 1620, 1627 et 1628, le premier étant à mon avis identique au mystérieux monogramme « G.C. » de la grande et remarquable Nature Morte du Museo Civico de Gallipoli (cat. no 1), et le second, selon toute probabilité, cet « Ambrosiello » dont témoignent les inventaires et qui sera rebaptisé à partir de Tutini, sous le nom de « Faro ». Cet enchevêtrement de noms et de dates met en évidence, en premier lieu, un début assez précoce pour la nature morte en tant que telle à Naples, de même qu’une certaine présence – surtout à l’origine – d’artistes flamands, peu après stigmatisés à Rome dans les Satire du Napolitain Salvator Rosa, comme étant envahissants, médiocres et sans « studio o diligenza. […] E son le scuole loro le mandre e stalle, E consumano in far, l’etadi intere, Biscie, Rospi, Lucertole e Farfalle » (« sans travail ou diligence […] leurs écoles étant des étables dont ils sont les troupeaux, et ils perdent tout l’été à peindre des couleuvres, des crapauds, des lézards et des papillons »). À Naples, dès les années 1570, il existait une véritable « colonie » d’artistes flamands, résidents ou hôtes de passage, dont parmi les tableaux les plus typiques ne pouvaient manquer les vedute, les scènes de sorcellerie, et surtout les paysages – le genre le plus apprécié par les collectionneurs locaux dans les décennies à cheval entre le xvie et le xviie siècles – exécutés aussi bien par des spécialistes du genre, comme Bril, Swanenburgh, van Aalst ou Stinemolen, que par des artistes plus éclecti-

ques, également engagés dans les secteurs les plus divers, comme la décoration à fresque ou la peinture de dévotion, citons entre autres Pietro Mennens ou Loise Croys3. En ce qui concerne plus précisément le rapport entre les artistes d’outre-monts immigrés à Naples et le genre de la nature morte, il faut croire que déjà en 1590, les peintures sur cuivre pour une horloge, qu’un document dit réalisées par Jan Brueghel pour l’abbé Francesco Caracciolo, avaient vraisemblablement des fleurs pour sujet. Peu après, dans les premières années du xviie siècle, l’on sait qu’un certain Bartolomeo Ghesenz avait peint, entre 1606 et 1613, des « cacce di fiandra » (« chasses des Flandres »), et que, aussi bien à Croys qu’à un autre « immigré », Jan Snyers – peintres bien connus de paysages, de tableaux de dévotion ou de sujets d’histoire ancienne – étaient commandés, précisément en 1613 et 1604, des tableaux des Saisons, sans mentionner le fait que, peu après, le gendre du même Croys, le Lorrain François de Nomé, arrivé de Rome à Naples en 1610 et peintre principalement de vedute et de ruines, se serait confronté avec la thématique de la Vanitas. Je crois que le rôle des artistes flamands dans le contexte de la production napolitaine du début du siècle a été significatif – et cela bien que les Chasses restent leur apanage pendant plusieurs décennies encore – plus pour l’affirmation de ce genre, en créant à Naples un goût pour ce type de tableaux, que pour la formation d’un langage durable ayant un réel impact sur les jeunes artistes locaux. Entre 1607 et 1610, en effet, les premières insertions de fleurs et de fruits dans l’Immaculée Conception (Naples, église Santa Maria della Stella) ou dans la Vierge à l’Enfant avec le petit saint Jean-Baptiste (Naples, Museo di San Martino) indiquent clairement, même dans ce domaine spécifique, le choix d’un naturalisme d’origine caravagesque par le jeune Battistello Caracciolo (1578-1635) – un artiste dont les inventaires des collections de Gaspare San Giovanni Toffetti (1651) et de Davide Imperiale (1672) citent de manière significative, « un putto à dormire, con molti fiori attorno » (« un enfant endormi entouré de nombreuses fleurs ») et un tableau de « frutti, et altro » (« fruits et autre »), et l’on peut dire la même chose de la formidable pergola de raisins du Bacchus du Städelsches Kunstinstitut de Francfort attribué – je crois à juste titre – à Carlo Sellitto (1581-1614), un artiste mort en septembre 1614 et auteur de natures mortes de fruits, de poissons et d’animaux d’après la « Lista delli quadri de bascio », une liste de ses œuvres restées dans son atelier à sa mort, ou qui lui avaient été commandées et payées en 1615 par un certain Orazio di Falco et Matteo Geronimo Mazza4. Dans l’atelier de Sellitto – ce dernier élève du Flamand Croys et fiancé de sa fille Claudia, et pour ces raisons très lié à son cercle –, deux artistes se seraient formés ou auraient collaboré, entre 1605 et 1614 environ. Le premier est Filippo de Llaño, plus connu sous le nom de Filippo Napoletano (1587-ca. 1629), peintre de paysage principalement – présent . À propos de la colonie flamande à Naples cf., en synthèse, Leone de

2. Cf. Capaccio, 1630, p. 863-864 ; Ruotolo, 1982, p. 6 ; Fumagalli, dans

Castris, 1991, p. 21-106, avec références bibliographiques et d’archives.

Rome, 1995, p. 69-72.

. Bologna, dans Naples, 1977, p. 76-78 ; Santucci, dans ibid., p 94-97.




Fig. 1 — Luca Forte (?), Nature morte avec des oiseaux, Turin, Galleria Sabauda.

à Naples entre 1610 et 1614 et ensuite, dès 1617, à Florence –, mais aussi peintre de cédrats et d’autres fruits, dont le naturalisme scientifique ne s’explique pas uniquement par la fréquentation du milieu de Loise Croys et des autres peintres flamands et d’outre-monts, Jacob Thoma et François de Nomé. Le second est Filippo Vitale (ca. 1585-1650), peintre de figure et, par ailleurs, caravagesque de la première heure, qui donnera quant à lui, en 1639, sa fille en mariage à Aniello Falcone (1607-1656) et présentera Luca Forte déjà en 1631, comme son témoin dans un acte notarié. Deux peintres donc – Forte et Falcone –, dont nous avons déjà évoqué la collaboration lorsque nous avons parlé de la collection de Ferrante Spinelli, mais sur lesquels il faudra revenir. Il n’est pas facile, à ce propos, d’évaluer l’impact qu’ont pu avoir les tableaux tardifs laissés à Naples, entre 1606 et 1610, par Michelangelo Merisi – des œuvres concises, essentielles et dénuées de toutes descriptions de fleurs, fruits ou autre chose –, sur les penchants caravagesques de la peinture napolitaine de genre entre la première et la deuxième décennie du xviie siècle. Il est toutefois possible d’imaginer que quelques originaux – ou copies – du maître, de date plus ancienne et avec des éléments de nature morte, arrivèrent de Rome à Naples dans ces mêmes années. En effet, les inventaires des collections locales de Pompeo d’Anna (1676), de Giacomo Capece Zurlo (1715) et de Giovanna d’Aragona Pignatelli (1723) citent par exemple « un quadro di frutti e fiori » (« un tableau de fruits et fleurs ») et deux « di frutti » (« de fruits ») attribués à Caravage. On peut encore penser que des voyages d’étude et d’apprentissage, occasionnels ou récurrents, d’artistes napolitains dans la Ville éternelle, aient joué dans ce sens un rôle majeur et de façon différente, mais toujours sur l’axe décisif reliant Naples à Rome, tout comme la présence précoce, dans la capitale du vice-royaume, d’œuvres d’art ou même d’artistes romains de la suite de Caravage. À ce propos, est important le témoignage d’un contact advenu en 1615 entre le peintre méridional Giovan Bernardino



Azzolino et le marquis Giovan Battista Crescenzi, peintre de nature morte, converti tôt au style caravagesque, et fondateur d’une académie dans la Rome des années 1610, qui enseignait aux jeunes artistes à peindre d’après nature, avant de partir en Espagne en 1617. Est importante aussi la présence à Naples, de cet autre caravagesque Angelo Caroselli, présence stable et sans doute renouvelée à plusieurs reprises entre 1613 et 1618, attestée par les mentions dans les collections des Fusco et des Capecelatro d’un Saint François avec saint Dominique et d’une Hérodiade avec la tête de saint Jean-Baptiste, œuvres dont on ignore si les antécédents caravagesques du thème les ont influencés, et maintenant documentée par un paiement du 15 novembre 1616 pour une Madone de l’Arc couronnée par deux anges, saint Onufre et le mariage mystique de sainte Catherine, et « con paese inclusovi » (« avec un paysage inclus »), une œuvre qui lui a été commanditée par le notaire Giuliano Nepeta, pour sa chapelle privée de l’église de Santa Maria delle Grazie à Barra. Importante, enfin, la présence possible et cohérente par rapport à celles contemporaines de Crescenzi et Caroselli, de Bartolomeo Cavarozzi – qu’il faut vraisemblablement dater aux alentours de 1615, avant son départ, à la fin de 1617, en Espagne où il a suivi Crescenzi, si l’on pense aux échos que l’on trouve à cette date dans les œuvres de jeunesse d’un autre peintre méridional, Paolo Finoglio (ca. 1590-1645) – , et celle complémentaire et à notre avis, décisive, du grand et toujours anonyme Maître de la nature morte Acquavella, auteur – en collaboration avec Cavarozzi pour les figures – de cette Lamentation d’Aminte, achetée en 1615 par le comte de Villamediana, Juan de Tassis, comme Caravage, et attribuée tour à tour à Luca Forte, Crescenzi, Caroselli et Cavarozzi par Stefano Bottari, Carlo Volpe, Ferdinando Bologna, Mina Gregori et Gianni Papi, et qui peut être considérée comme le véritable héritage du Caravage peintre de nature morte à une date proche de 1610-16155. À mon avis, c’est ce chemin, caravagesque et romain, qui est suivi avec enthousiasme à Naples, au plus tard en 1614, à partir du Bacchus de Francfort de Carlo Sellitto et peu après – à cheval entre la deuxième et la troisième décennie – par Giacomo Coppola pour le tableau mentionné du Museo de Gallipoli (cat. no 1). Et c’est ce même chemin, qui comporte des interférences intéressantes, et encore non résolues, avec l’Espagne de Juan van der Hamen et Alejandro de Loarte, qu’emprunte aussi le jeune Luca Forte au cours des années 1620. Né, on suppose, vers 1605, ce dernier adhère à ces solutions dans ses plus anciennes Natures mortes de la Galleria Sabauda de Turin (fig. 1), de la Galleria Corsini de Rome, du musée de Pontevedra, de celui de Capodimonte et de quelques collections particulières (fig. 2 et cat. no 16). Bien que les tableaux que l’on puisse dater sont tous compris entre les années 1640 et 1650 – la Nature morte pour Peppe Carafa, actuellement à Sarasota, vers 1647, le Vase de fleurs publié récemment par De Vito (2006a), daté de 1649, et les deux petits cuivres représentant des Natures . Cf. encore Leone de Castris, 2005, p. 78-80, avec bibliographie précédente.


Fig. 2 — Luca Forte, Nature morte de fruits, collection particulière.

mortes avec raisins autrefois sur le marché londonien, que l’on peut peut-être identifier avec les tableaux payés au peintre en 1656 par le duc de Maddaloni –, Luca Forte reste la figure centrale du développement de la peinture « de genre » dans la première moitié du siècle. En partie aussi parce qu’en l’état actuel des connaissances, il est impossible de reconnaître avec certitude la main de Giacomo Recco, l’autre artiste célèbre de ces années-là. Et l’appartenance de Luca Forte ou sa proximité avec un « complesso familiare di artisti napoletani » (« une même famille d’artistes napolitains ») – pour reprendre les mots d’Ulisse Prota-Giurleo (1951) –, peintres opérants dans le domaine de la peinture de figure, en fait, par ailleurs, l’exemple le plus significatif en ce qui concerne la collaboration, sur une même œuvre, de spécialistes de figure et de spécialistes de nature morte ou, par opposition, la réalisation par les peintres d’histoire eux-mêmes d’insertions significatives de fleurs, poissons et fruits dans leurs tableaux, ou même des natures mortes autonomes. On a vu comment Battistello Caracciolo, le principal représentant caravagesque napolitain, se chargeait personnellement, dès 1607 et jusqu’à une œuvre aussi mature que celle du Lot et ses filles Volponi, de morceaux parfois importants de nature morte dans certains de ses tableaux destinés aussi bien à la dévotion publique qu’aux collections privées. Et l’on pourrait dire la même chose du chef de file du deuxième « naturalisme » napolitain, l’Espagnol Jusepe de Ribera (1591-1652) – que ce soit à partir de ses plus anciens tableaux romains des années 1610 comme les célèbres Cinq sens, ou que ce soit à Naples, avec des toiles comme l’Odorat de la

Nasjonalgalleriet d’Oslo ou bien l’Hiver d’une collection florentine –, ou encore, plus tard, de l’anonyme et mystérieux Maître de l’Annonce aux bergers. Ce dernier fut l’inventeur – pour utiliser les mots de Longhi – d’une sorte de « naturalismo del tratturo » (« naturalisme de sentier ») et se montra capable de traiter avec la même palette crue les nus livides des saints ou des bergers, la toison des moutons, la blancheur des fleurs et des feuilles de papier ou de parchemin, ou encore les reflets froids de la lumière sur les chaînes, les crânes, les marbres ou le dos des instruments musicaux6. La situation des autres artistes locaux paraît en revanche plus complexe. Le peintre de figure, Carlo Sellitto, peignait déjà avant 1614 des natures mortes autonomes, et son disciple Filippo Napoletano, peintre de paysage, en réalisera encore quelques années plus tard. Filippo Vitale, qui en 1631 était en contact étroit avec Luca Forte, a créé un véritable « complexe familial » d’artistes liés par la parenté, l’amitié et la collaboration. Il fut élève et habitué de l’atelier de Sellitto et, déjà en 1612, son fils Carlo eut comme parrain ce même Sellitto et comme marraine la mère du jeune Andrea Vaccaro (1604-1670). Toujours en 1612, il adopte les enfants du premier lit de son épouse Caterina de Mauro, les futurs peintres Pacecco (1607-1656) et Annella De Rosa (1602-1643), et un peu plus tard, en 1626, il donne en mariage la dite Annella et sa sœur Maria Grazia aux deux artistes Agostino Beltrano (16071656) et Juan Do (1604-1656) et, en 1639, sa fille Orsola au peintre Aniello Falcone. De plus, si l’on croit De Dominici, le même Pacecco, son collaborateur au début de son activité, . Cf. Spinosa, 1989b, p. 852-871 ; et dans Florence, 2003, p. 188-193.




Fig. 3 — Luca Forte – Domenico Gargiulo, Marine avec pêcheurs et poissons, localisation inconnue.

Annella, son mari Agostino Beltrano et Andrea Vaccaro fréquentaient entre 1620 et 1630 l’important atelier de Massimo Stanzione (1585-ca. 1656) ; et avec eux s’y trouvèrent aussi, selon les sources, d’autres artistes de la même génération tels que Paolo Finoglio, Giuseppe Marullo (ca. 1605-1685), Francesco Guarino (1611-1654), Antonio De Bellis (1610ca. 1660), Giovan Battista Spinelli (1613-ca. 1657) et Bernardo Cavallino (1616-ca. 1656). De son côté, Aniello Falcone aurait fondé dans les années 1630 une académie pour l’étude « d’après nature », qui aurait fait bon nombre d’émules dans le genre à succès des batailles et, vers la fin des années 1640, il aurait créé une compagnie « anti-espagnole », dite « de la mort », à laquelle auraient participé, parmi d’autres, ses « élèves » Domenico Gargiulo (1609-1675), Salvator Rosa (1615-1673), Carlo Coppola (1610-1660), Paolo Porpora (1617-ca. 1670) et Andrea de Lione (1610-1685), mais aussi Andrea Vaccaro et Giuseppe Marullo7.

Or, on peut dire que tous ces artistes, au cours de leur activité dans les domaines les plus divers, pendant toute la première moitié du siècle et même au-delà – comme le soulignent les études déjà mentionnées de Bologna, Causa, Spinosa et De Vito, manifestent un fort penchant pour la « nature morte », intérêt qu’il faut essayer de mieux définir car à chaque fois il s’exprime de façon différente. Falcone, par exemple, peignait de véritables natures mortes seul ou en collaboration avec son ami et « associé » Luca Forte, comme en témoignent aussi bien les inventaires cités de Spinelli di Tarsia – qui mentionnent un tableau « di figure e frutti » (« de figures et de fruits ») à deux mains et « uno d’animali e figure » (« d’animaux et de figures »), quatre « ritratti di cavalli » (« portraits de chevaux ») et peut-être aussi un tableau « con galline e testa d’agnello » (« avec poules et tête d’agneau ») de la main du seul Aniello –, sans même évoquer certains de ses tableaux, comme Les Marchands chassés du Temple ou Le Concert du musée du Prado, où l’on peut identifier de formidables morceaux de natures mortes : assiettes, paniers, cages et colombes, ou encore fruits et un grand vase de fleurs, qui lui reviennent dans le premier cas, et à Luca Forte dans le second. On connaît également deux Natures mortes signées de Salvator Rosa et d’Andrea de Lione, de culture plus complexe et plus évoluée, qui se trouvent respectivement à la Gemäldegalerie de Munich et dans une collection particulière de Genève. Pour ce second artiste, des natures mortes sont encore présentes dans des tableaux d’histoire tels que le Vénus et Adonis (autrefois Lanfranchi) ou citées dans les inventaires anciens, comme les dix-sept toiles avec des animaux conservées sous son nom dans la collection de Francesco Emanuele Pinto, prince de Ischitella8. De même pour Giuseppe Marullo, le marché de l’art lui a rendu, il y a environ une dizaine d’années, une Nature morte de fleurs, signée en latin en toutes lettres, d’une qualité moyenne mais dans la lignée des résultats de Forte et du présumé Giacomo Recco9. Domenico Gargiulo enfin, est évoqué comme peintre de nature morte par deux tableaux « di fiori e figure » (« de fleurs et de figures »), recensés sous son nom dans l’inventaire de la collection de Giacomo Capece Zurlo (1715) et avec incertitude par le Panier de figues avec fruits et fleurs d’une collection particulière, monogrammé « DG », qui lui a été récemment attribué par Mina Gregori10, mais dans son cas aussi – comme dans celui de son maître Falcone – c’est très probable qu’il alternait les réalisations autonomes et des collaborations avec des spécialistes du genre, comme on peut le constater dans la Marine avec pêcheurs et poissons (collection particulière ; fig. 3), paraphée « F » et publiée par De Vito (2000), où les poissons (et le monogramme) peuvent effectivement revenir à Luca Forte, mais où l’ou­ ver­ture sur un paysage maritime et les petites silhouettes . Zeri, 1988, p. 203-208 ; Spinosa, 1989b, p. 862, 871, note 35, 902, avec bibliographie précédente.

7. De Dominici, 1742-1745, III, p. 33-34, 44-69, 74-76, 96-97, 101-121, 191-

. Vente Semenzato, Goito, 1997, no 1130.

192, 216-220.

. Cf. Ruotolo, 1973, p. 152 ; et Gregori, dans Florence, 2003, p. 220-221.

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sveltes des pêcheurs renvoient plutôt à Spadaro qu’à Fal­cone. Quant à Guarino, Cavallino, De Bellis et Spinelli, il faut dire que les insertions – quoique très soignées et parfois d’une grande efficacité naturaliste, mais toujours limitées et fonctionnelles – de lis, roses, oliviers, raisins, palmiers, fruits, jarres, paniers, outils de travail, berceau en bois, casques, récipients en cuivre, assiettes et vaisselles en étain ou en terre cuite, que l’on voit dans des tableaux tels que la Mort de saint Joseph de San Sossio di Serino, la Naissance de la Vierge de la collection Catello, la Madone du rosaire de Sant’Andrea à Solofra ou l’Isaac bénissant Jacob de la collection Schönborn de Pommersfelden, ou encore comme l’Immaculée du musée de Brera et le Banquet d’Absalon de la collection Harrach à Rohrau, comme le Saint Sébastien du musée d’Amiens ou les Histoires de saint Charles Borromée de l’église napolitaine de San Carlo alle Mortelle, ou comme l’Annonciation de Lanciano et le Saint étienne, le Lot et ses filles, la Sainte Dorothée de collection particulière, signalent une sensibilité au thème et une prédisposition à représenter le naturel, plus qu’ une aspiration à se faire protagoniste du « genre » et à susciter des collaborations avec des spécialistes tels que Falcone ou Spadaro. Le problème des insertions de nature morte dans les œuvres des peintres Stanzione, Vaccaro, Finoglio, Pacecco ou Beltrano est plus compliqué. Parmi tous ces artistes napolitains, Stanzione paraît celui qui a consacré le plus d’attention à ce thème, entre les années 1630 et 1650, réalisant de beaux exemples de fleurs, fruits, paniers, jarres, vases, assiettes ou troupeaux : à partir de la table somptueusement dressée de l’Emmaüs du Vatican, les jarres et les agneaux du Sacrifice de Noé de Capodimonte, les lis et le panier de

Fig. 4 — Luca Forte – Massimo Stanzione, Putti cueillant des fleurs, Naples, collection particulière.

couture de l’Annonciation, auparavant dans la collection Galante ou les vases, les paniers de fruits, les fleurs et les raisins des Bacchanales du Prado, jusqu’au spectaculaire coq de la Femme en costume du musée de San Francisco, à l’aprèsrepas – avec des assiettes, des hydries, des animaux – de la Dernière Cène de la Certosa di San Martino, aux branches – pour ne citer que les cas les plus significatifs – de lis ou aux paniers de fruits de la Madone du rosaire de San Lorenzo, de la Sainte Dorothée actuellement à Buenos Aires, des Histoires de la Vierge de San Paolo Maggiore et de celles de Saint Jean-Baptiste de la Certosa di San Martino. Dans toutes ces œuvres et jusque dans la Dernière Cène plus tardive du monastère napolitain des Camaldoli, Stanzione traite le « genre » avec une solidité toute naturaliste – les couteaux posés en équilibre instable sur les tables blanches, les ombres, la qualité physique des matériaux, du métal à la terre cuite –, qui se marie avec une douceur picturale correspondant ad unguem à l’évolution de son propre langage – en parallèle, à l’expérience d’un Velázquez à laquelle il a peut-être été sensible –, révèle son engagement personnel dans ces morceaux de natures mortes. Mais la critique a depuis longtemps souligné le fait que dans son corpus on rencontre deux cas différents – les deux grandes compositions de fleurs dans un vase qui accompagnent les deux Annonciations de Santo Stefano in Ponte à Florence et de l’Annunziata de Marcianise (1655) – où, au contraire, il semble possible d’imaginer qu’un peintre de nature morte ait pu travailler aux côtés du peintre de figure. La récente découverte sur le marché antiquaire d’une




toile avec Putti cueillant des fleurs (fig. 4), de Stanzione pour les figures et de Luca Forte pour la mise en scène brillante et méthodique des tulipes, des roses et des autres fleurs, qui occupe une place déterminante, vient conforter l’idée qu’au cours de ses dix dernières années d’activité, entre 1640 et 1650, Stanzione, lui aussi, a dû alterner une capacité personnelle à traiter le genre dans la peinture d’histoire avec le recours à des collaborations avec les spécialistes les plus en vue du moment11. Il est probable, même si l’on n’a pas encore pu retrouver des traces concrètes, que la même situation se soit produite pour son élève Pacecco De Rosa, le gendre de Vitale, et lui aussi certainement au courant des résultats de la collaboration entre Falcone et Forte et dont les nombreux tableaux à sujet sacré ou profane – à partir de l’Adoration des bergers actuellement à la Chambre des députés et jusqu’aux nombreuses versions du Vénus et Mars ou avec Adonis – montrent bien des fleurs et des paniers de fruits, des vases en métal plus ou moins précieux, des paniers avec des colombes ou des représentations de chiens et de troupeaux qui paraissent autographes ; tandis que l’Orphée (perdu), autrefois dans le palais de Peppe Carafa, était au contraire peint, comme on l’a vu, en collaboration avec le spécialiste d’animaux « Pietro Fiammingo ». La même situation s’est certainement produite – je crois – toujours au cours de la première moitié du siècle, aussi bien pour Andrea Vaccaro, Paolo Finoglio et Agostino Beltrano, tous capables de peindre leurs propres roses, lis ou troupeaux dans leurs nombreuses Madones du rosaire, Imma­culée ou Histoires bibliques, mais n’hésitant pas, dans les cas majeurs, à faire appel à des spécialistes. Le premier probablement pour les guirlandes et le pré très fleuri du Renaud et Armide, alors d’Avalos et actuellement à Capo­ dimonte, et certainement pour le répertoire d’animaux (eux aussi de « Pietro Fiammingo » ?), qui embellit l’Orphée avec des bacchantes du Palazzo Reale de Naples, dans les festons de fleurs qui encadrent un Saint Antoine du musée de Blois, mais aussi un jeune Saint Jean-Baptiste, monogrammé, apparu chez Christie’s à Rome en 1986, des œuvres, pour les unes des années 1640 et pour les autres vraisemblablement des années 1650. Paolo Finoglio, de son côté, probablement pour le parterre fleuri, qui décore la partie basse du Saint Antoine de la Galleria Corsini de Rome et peut-être même pour l’exploit du lis – avec encore une fois une lucidité à la Forte – qui complète le Saint Gaëtan Thiene que je pense être de sa main, dans l’église napolitaine de San Paolo Maggiore. Agostino Beltrano enfin – lui-même auteur, dans la Dernière

Cène du Duomo de Pozzuoli, d’une table bien garnie capable de rivaliser avec celle de Stanzione aux Camaldoli – peutêtre pour les fleurs qui ravivent la modeste toile de la Vierge à l’Enfant avec saint Nicolas de Tolentino (1650) dans l’église de Sant’Agostino degli Scalzi, et sans doute pour le tableau de collaboration d’une collection particulière (fig. 5 ; autour de 1640-1645) – reprise plus tard par Marullo dans sa Pêche miraculeuse du musée de Capoue – où un pêcheur, barbu et chauve, ressemblant à d’autres figures présentes dans ses œuvres, comme le Lot et ses filles de la collection Pagano, la Dernière Cène ou le Martyre de saint Alexandre du Duomo de Pozzuoli, présente une nature morte de poissons, de seiches et de calamars, dont la facture, riche de reflets et de couleurs, est la même que celle du groupe de natures mortes marines évoquées par De Vito en les attribuant au jeune Paolo Porpora, avant son départ à Rome (1650)12. La première moitié du Seicento n’est certainement pas le moment le plus connu et le plus renommé de la nature morte napolitaine, encore loin des fastes du baroque, du grand format et du propos décoratif des grandes compositions de Giuseppe Recco ou d’Abraham Brueghel, tout en étant à mon avis la période la plus intéressante, celle de la transition entre l’héritage des spécialistes flamands et de la naissance d’un groupe de naturalistes locaux ; le moment de la constitution – à la lumière des échanges avec Rome et l’Espagne – d’un statut autonome du genre et, en même temps, de sa proximité allant parfois jusqu’à un accord, une participation aux recherches et à la production des peintres napolitains de figure, entre naturalisme et ouvertures néovénitiennes. Giacomo Coppola, Luca Forte, Giacomo Recco – même si les personnalités restent encore à préciser –, Paolo Porpora et, au début des années 1650, Giovan Battista Recco furent les protagonistes de cette nouvelle phase de la nature morte. Mais aussi bien pour ces artistes, comme de tant d’autres, il reste encore, comme nous l’avons vu, beaucoup à découvrir et à comprendre, et leur histoire – en substance –, encore en grande partie à écrire. . L’enfant représenté dans la Nature morte avec fruits de mer, vin, pain et un gâteau, publiée par De Vito (1988, p. 75-76, fig. 29-30) est certainement de Beltrano car il présente des affinités avec les anges de la Madone des grâces de Nola (1646-1647), documentée, et le Couronnement de la Vierge de Santa Maria del Popolo agli Incurabili de Naples (1649) de cet artiste, et non pas d’Artemisia comme l’indique l’inscription peinte au revers du panneau de cette nature morte : « Artemisia Gentilesca Giacomo Recco Fe. » – inscription qui a peu de chance d’être originale et qui n’est donc pas un témoignage digne de foi ni pour Artemisia, ni pour l’insaisissable Giacomo Recco comme

. Causa, 1972, fig. 405 ; De Vito, 1990, p. 123 ; 2006a, p. 11, 13.

éxécutant de la nature morte.

Fig. 5 — Paolo Porpora (?) – Agostino Beltrano, Pêcheur avec un panier de poissons, Naples, collection particulière.







Créatures des flots et de la conscience. « Figuralité » des poissons napolitains filippo maria ferro

Dans La Vierge à l’Enfant de Battistello au musée de Capodimonte, qui pressent le destin divin, les symboles se matérialisent dans un angle de la toile, en une délicieuse offrande de petites pommes, de cerises et de noisettes1. De ce début d’étroite obédience caravagesque, on perçoit facilement combien l’intérêt pour la nature se révèle, riche de tourments, conforté par l’émotion bouleversante que Merisi a apportée au milieu napolitain, déjà sensibilisé par la présence flamande. Par tradition, les « choses de la nature », en tissant un subtil entrelacs de signes, évoquent une vérité théologique immanente à la réalité du monde. Et cette vision persiste alors même que l’attention pour les fleurs et les fruits s’en détache, et que les compositions raffinées expriment des prières chuchotées2. Mais, à la fin du xvie siècle, l’économie marque une rupture entre les cultures dans les pays de l’Europe du Nord et en particulier dans les Flandres. Sur les nouvelles routes atlantiques le commerce s’intensifie, l’ascension d’une classe bourgeoise entreprenante, le schisme religieux entre catholiques et protestants engagent un processus inexo­rable, celui de la séparation entre profane et sacré. Le motif évangélique s’efface devant l’opulence des marchés, des étals chargés de fruits et de légumes, de poissons et de viandes, des cuisines débordantes de victuailles qui occupent la scène et deviennent le véritable objet de la représentation. C’est le triomphe du profane qui parallèlement s’annonce dans la peinture de paysage. Dans le même temps, la « philosophie naturelle » revient à un rapport avec la nature, libéré de tout poids spéculatif et ouvre la voie à une connaissance concrète du monde. En tous cas, ce passage, en peinture comme en « philosophie naturelle », n’est pas simple à réaliser. Ce n’est pas

tant le contexte sacré qui pose problème mais la conception elle-même, l’attitude mentale qui informe et décide de la représentation du réel. Dans la culture des pays du Nord, l’attitude critique, qui se fonde sur les interprétations de la philosophie d’Aristote, invite à une quête libérée du poids de la tradition et accroît l’intérêt pour la nature. L’humaniste Hadrianus Junius fait un parallèle avec Pireicus, le peintre de la Grèce antique qui réalisait des étals et des cuisines. La curiosité des collectionneurs contribue à en accélérer le processus. Et si la représentation des naturalia est considérée comme « peinture mineure », il est pourtant vrai que les connaisseurs de goût « bourgeois », les commerçants et les banquiers, l’apprécient et s’en font les commanditaires. En ce sens, il est légitime de ne pas oublier parmi les premières expériences, celles des maîtres d’Anvers, Pieter Aertsen et son neveu Joachim Beuckelaer : leurs marchés avec des poissonniers, des vendeurs de gibiers et leurs intérieurs aux cuisinières affairées, se détachent devant des vues de la ville – comme dans le tableau de Beuckelaer, appartenant autrefois à la collection Farnèse et aujourd’hui conservé au musée de Capodimonte, à Naples – et confirment le bien-être florissant, la richesse productive des Pays-Bas, l’importance croissante de leurs ports après la découverte de l’Amérique et des routes de l’Orient3. En dépit de cet étalage profane et enclin aux plaisirs terrestres qui semble vaincre les « natures mortes » végétariennes et austères, subsiste un subtil rigorisme qui transparaît dans ces images. Les épisodes évangéliques y sont encore présents, parfois de façon marginale. Dans une toile de Aertsen (Vienne, Kunsthistorisches Museum ; fig. 1), la scène de la rencontre de Jésus chez

. Le tableau se trouve à la Certosa di San Martino, inv. 21683, voir

. Les Pays-Bas – les Flandres et la Hollande – ont constitué un lieu

Bologna, dans Naples, 1991, p. 211, no 1.2.

d’échanges et de développements pour la nature morte, fondamental

. Pozzi, 1987.

pour l’Europe ; voir Bergström, 1956.




Fig. 1 — Pieter Aertsen, Jésus chez Marthe et Marie, Vienne, Kunsthistorisches Museum.

Marthe et Marie est confinée au second plan, sous un quartier de veau, derrière un fromage frais et des citrons. Dans une autre représentation du thème (Rotterdam, musée Boymans-Van Beuningen), la conversation sacrée a lieu en arrière-plan tandis qu’au premier plan, une table est apprêtée avec une volaille grasse, des fromages, des pommes et du raisin : cela pourrait sembler un diminutio et pourtant, le motif religieux affleure sous le poids de l’opulence, tel un avertissement. Une conviction latente ressort : dans la conception « protestante », l’idée de la richesse va de pair avec celle de la Vanitas. Une composition de Joachim Beuckelaer, apparue à une vente à New York4, organise autour de la table l’allégorie des trois âges de l’homme : aux préparatifs festifs du premier plan, avec les toasts en l’honneur du nouveau-né et du jeune couple occupé à jouer de la musique, s’oppose au second plan la solitude d’un vieillard devant une cheminée éteinte. Ainsi, derrière l’ostentation des marchés et des repas se dissimule la conscience de l’éphémère. Ou bien, et c’est le cas du Pays de Cocagne de Pieter Brueghel, les mets imaginaires reflètent les désirs utopiques des petites gens, des marginaux, et révèlent ainsi l’autre visage de la société, en opposition à l’aisance bourgeoise. De nombreux indices montrent d’ailleurs combien la « philosophie de la nature » se superpose aux visions théologiques. Tout en conservant des significations symboliques, les naturalia délaissent leurs positions sacrées habituelles et annoncent leur autonomie. Si les « cerises » et les « concombres » renvoient toujours au « sang » et au « péché », ils ne préfigurent pas pour autant la passio dans la conversation

tacite entre la Vierge et l’Enfant Jésus, mais sont représentés pour eux-mêmes comme de simples motifs. C’est le cas de notre Battistello, dont les fruits annoncent ceux peints avec une clarté éblouissante par Luca Forte. Une quête partagée entre une réalité pressante et une abstraction formelle. À Naples, cette autonomie du thème est bien réelle. Outre l’exemple de Merisi et des Flamands, il y a aussi les idées prônées avec ferveur par les philosophes de la nature dont on voit les prémices en Calabre et en Campanie. Telesio, Bruno et Campanella définissent un nouveau courant et orientent, de fait, la culture napolitaine dans un sens radicalement laïc, favorisant une rigueur absolue dans la quête du vrai. Telesio, surtout, opère un tournant décisif avec son De rerum natura iuxta propria principia, édité à Naples entre 1565 et 1585 : « ce que la nature révèle » et « ce dont les sens témoignent » convergent vers une vision unifiée. Giordano Bruno adopte, quant à lui, une position religieuse et panthéiste, pourtant, l’amour de la nature et sa connaissance, vécus comme une union intime avec l’univers, suscitent l’ivresse dionysiaque devant l’infini. La suprématie de cette association sensible prêchée par Telesio réapparaît avec Tommaso Campanella, dans son Compendium de rerum natura publié en 1595 et réédité en 1617. Cette invention, en peinture comme en philosophie, vient s’enrichir plus particulièrement de la tradition locale. Charles Sterling5 a imaginé une continuité de la « vision du monde » entre la peinture naissante de la réalité et l’enchantement des fresques et de mosaïques romaines (fig. 2, 3, 4). La lecture des auteurs classiques, si précis lorsqu’ils inventorient les prodiges de la mimesis, a sans doute nourri l’imagination des modernes, et éveillé des affinités inconscientes. En ce sens, De Vito6 a relevé de singulières si. Sterling, 1952, 1959.

. Christie’s, New York, 25 mai 2005, p. 62-63, n  27. o

. De Vito, 1990, p. 115-119 ; 2003, p. 146-150 ; 2006b, p. 72-77.




Fig. 2 — Fresque provenant de Pompéi (détail), Nature morte, 45-79 apr. J.-C., Naples, Museo Archeologico Nazionale.

militudes entre les peintures romaines et les œuvres de Luca Forte, Paolo Porpora et Filippo Napoletano. Les confrontations ponctuelles se dessinent au fur et à mesure que la connaissance des peintures antiques se développe7. La transmission est-elle assurée par les descriptions évocatrices (ékphraseis) de Philostrate et par les Imagines 8 ? En effet, les villas vésuviennes aux décors raffinés n’ont émergé de la lave et de l’oubli qu’au xviiie siècle. Néanmoins, le doute subsiste. « Il est très probable – ajoute Mina Gregori – qu’aux xvie et xviie siècles, les peintres et leurs commanditaires connaissaient les modèles de l’Antiquité à travers, notamment, les vestiges des peintures murales et des mosaïques à Rome et dans les territoires occupés par les romains9. » Peu importe les faits, ces peintres ont rêvé des images qui proviennent du passé et ont compris, émerveillés, qu’une ligne expressive était née dans la culture occidentale, fruit de la sensibilité hellénistique. Dans les salles de banquet, illustrées par des lettrés, les réflexions du monde classique se concentrent. La « philosophie naturelle », ainsi que la conscience d’une science embryonnaire, déjà existante dans l’œuvre de Pline, atteignent leur apogée. Les peintures qui ornaient les murs des villas, dans l’éclat d’un réalisme magique, ont légué aux artistes de la Renaissance

une tradition intacte, et l’art abstrait des siècles médiévaux ne va plus parvenir à effacer cette exigence de mimesis : les peintures de la Domus Aurea de Néron deviennent une source inépuisable de fantaisies décoratives, les célèbres « grottesche », en grande partie copiées à partir de motifs « naturels ». Vitruve, Philostrate et Martial attestent que dans les xénia, les tablettes données aux invités représentent des produits de la terre décrits dans leur évidence naturelle, comme la corbeille de figues succulentes qui est présentée à Oplontis, offerte selon un rite dénué de toute sacralité mais qui en a toutefois conservé le rythme, la plénitude. Filippo Napoletano se fait l’ambassadeur de ces prodiges à Florence, où il peint pour les Médicis des cédrats, des coquillages et un « rinfrescatoio di cristallo con diversi frutti ». Les peintres des « choses de la nature » sont très impressionnés par ce réalisme authentique, qui évoque les offrandes faites aux hôtes lors des banquets dans la Rome antique. Ainsi à Naples, avec Luca Forte, Paolo Porpora et les familles des Recco et des Ruoppolo naît une remarquable succession de chefs-d’œuvre, qui portent le genre de la nature morte aux plus hauts niveaux non seulement italiens mais aussi européens10. La culture napolitaine se distingue par ce nouvel intérêt pour les espèces subaquatiques et plus spécifiquement pour les poissons. Symbole christique (« ikthus : iesus kristos theos uios sother »), le poisson figurait presque toujours dans les tableaux de la Cène, et rejoindra, avec sa charge

. Sampaolo, dans Rimini, 1998 ; De Caro, 2001. . Acanfora, dans Florence, 2003, p. 58-67.

. Causa, 1972 ; voir Naples, 1984-1985 ; Salerno, 1984 ; 1989 ;

. Gregori, 2003, p. 15-19.

Zeri – Porzio, 1989 ; Spinosa, dans Florence, 2003, p. 188-193.




allégorique, les Vanitas de la Réforme, comme l’illustre en France la Nature morte à la carpe et au pichet de Sébastien Stoskopff, poète du silence11. Le poisson a donc caractérisé les marchés des pays du Nord12 ou agrémenté les « pescherie » (« étals de poissons ») de Bartolomeo Passerotti13, les cuisines des Campi de Cremone14 et d’autres variétés de poissons n’attendent que le Cuisinier au travail (Florence, Galleria Corsini, attribué au Pensionnaire du Saraceni ou à Van Oost Le Vieux15). La pêche miraculeuse réunit une allégorie des sens en une contemplation objective qui souligne la magie des poissons hors de l’eau. Bernardino Cesari peint en 161916 La Vocation de saint André, pour la chapelle des poissonniers de Sant’Angelo in Pescheria, à Rome, alors que la même année, le Romain Antonio Tanari réalise ses triomphes de poissons pour la cour des Médicis17. La fascination de la pêche et la surprise des filets gonflés de poissons qui s’y débattent ont également inspiré le Napolitain Giuseppe Marullo, un artiste se situant dans le sillage de Jusepe de Ribera, comme le montre le grand tableau évangélique conservé au musée de Capoue. Par rapport aux autres sujets, végétaux ou animaux, qui composent les « natures mortes », les poissons aspirent à une intensité et à une figuralité toutes spécifiques. « Le poisson, mystérieuse créature sous-marine – observe Mina Gregori dans une fascinante digression – s’accorde avec l’imaginaire de l’anti-Renaissance, dans lequel pouvait aussi ressurgir la croyance médiévale d’une nature démoniaque teintée d’une signification érotique18. » Ce sont des poissons qu’Ulysse Aldrovandi, à la cour de François Ier de Médicis, fit peindre vivants ou conservés dans l’alcool par Jacopo Ligozzi, véritables « arcanes de la nature » prompts à se transformer en « bizarreries de l’art19 ». Les poissons n’émergent pas seulement des profondeurs, telles des visions secrètes semblables à des archéologies enfouies et peuplées d’émotions cachées. C’est leur scintillement, dans les réverbérations entre l’air et l’eau, qui suggère l’exploration de jeux de lumière rares, transitoires. On songe aux vers du jeune Galilée : « Tal arde il sol mentre i possenti rai / frange per antro una fredda acqua pura / che tra l’esca risplende e il chiaro lume » (« Grâce à ses rayons puissants le soleil chauffe fort / et brise en entier une froide eau pure / qui resplendit entre l’amorce et la lueur pâle »). Ce passage et ces variations de couleur dans les éléments offrent à ces créatures de la mer un jeu d’images oniriques. Giuseppe De Vito observe : « la richesse des formes et des couleurs de la faune marine d’un Golfe mythifié, et les pos-

Fig. 3 — Fresque provenant de Pompéi (détail), Nature morte, 45-79 apr. J.-C., Naples, Museo Archeologico Nazionale.

sibilités infinies de combinaisons, étaient cependant un stimulant suffisant pour un artiste, à représenter les subtiles variations de lumière de la vérité naturelle, la métamorphose des tons en anticipant la sensibilité romantique et en peuplant les zones d’ombres de choses réelles20 ». Dans les interprétations des rêves d’Artémidore d’Éphèse revisitées par Gerolamo Cardano21, les poissons sont largement présents et le texte ancien prend tout son sens dans l’atmosphère populaire des ruelles de Naples : « Pigliare pesci assai & grandi, è buono & promette utile e guadagno à tutti, eccetto a coloro, che fanno le loro arti sedendo, & a sofisti, perche a quegli il sogno predice otio poscia che non . De Vito, 1988.

. Tapié, dans Rome, 2000, p. 212-213.

. Cardano, 1562, vol. IV. Gerolamo Cardano (1501-1576), figure

. Helmus, 2004.

complexe de médecin-magicien, mathématicien, philosophe, inventeur

. Guarino, dans Rome, 1995-1996, p. 94-95, n  6.

et expert en occultisme ; sa position en philosophie naturelle se situe

. Gregori, 1991.

entre Telesio et Bruno. Témoin de la veine onéirocritique, il s’inspire

. Cottino, dans Rome, 1995-1996, p. 168-169, no 47.

d’Artémidore, notamment par l’intermédiaire des écrits de l’évêque

. Guarino, dans Rome, 1995-1996, p. 100-101, no 9.

Synésius de Cyrène, et influence de nombreux traités du xviie siècle,

. Gregori, 2006, p. 3-48.

conservés à la bibliothèque Casanatense, à Rome : c’est la revalorisation

. Gregori, 2006, p. 12.

du songe dans la culture occidentale par son étude scientifique, puis par

. Gregori, 2006, p. 12-21.

« l’interprétation » (Traumdeutung) freudienne de 1899.

o




Fig. 4 — Mosaïque provenant de Pompéi, Nature morte, 90-20 av. J.-C., Naples, Museo Archeologico Nazionale.

possono fare l’opera solita & pescare insieme, & a questi dimostra auditori meno atti dover andar da loro, percioche i pesci son muti. [...] Pesci cartilagini, massimamente lunghi, mostrano vana fatica, ne mandano ad effetto cio che speriamo, percioche sbrisciano di mano, & mancano di scaglie, lequali sono d’attorno al corpo, come all’huomo i colori, & sono questi : La murena, l’anguilla e’l congro. I pesci piani mostrano etiandio pericolo, per la salvatichezza, & per l’insidie come la pastinaca, la torpedine, il bue marino e’l pesce che aquila si chiama, il mustello, & la squatina & altri simili. Tutti i pesci che paiono havere scagli, ma non ne hanno, annullano le speranze di colui, che ha sognato, come il thunno & le sue spetie, la pelamide, il simo & il malleolo, la monedula e simili. Ma i mormiri, i melanuri, i scorpioni & i go, A huomini malefici & poco grati predicono infermita. Caracini e blemi, a cattivi & inutili huomini, mostrano male. Pesci de laghi sono veramente buoni, ma alquanto meno, perche sono di minore pretio & spesa, che di quegli di mare, ne similmente nodriscono. » Paolo Porpora est celui qui traduit le mieux ce mouvement d’une magie figurative exceptionnelle. Interprète génial du « genre », il ne se contente pas de décrire les sousbois inquiétants, où serpents et limaces visqueuses rampent entre les mousses et les papillons, mais est aussi l’inventeur



d’explorations marines surprenantes et fascinantes. Des créatures surgissent des bois et des eaux et, dans la vérité nue, se révèlent également chargées de mystères et d’ambivalences du mythe. Les regards se tournent vers les tables de cuisine mais, plus encore, s’attardent sur les plages riches de poissons de toutes sortes. Giovan Battista Recco, Giuseppe Recco et Giovan Battista Ruoppolo dépeignent cet univers marin, avec la circonspection des naturalistes et l’appréhension de l’étendue de l’univers. Pendant que les Flamands disposent avec soin les produits des mers du Nord destinés au commerce, les poissons, ici hors du filet, agonisent, se contractent, s’enchevêtrent dévoilant de façon éloquente leur terrible fatum. Parfois, au lieu d’être exposés sur les étals d’un marché ou sur des tables de cuisine, les créatures marines s’échouent sur des plages, à l’aube, ou brillent par les nuits livides, préfigurant les naufrages romantiques ou les images du classicisme malade et métamorphique de Böcklin. Dans un paysage solennel et grave, peint par Aniello Falcone avec des lidos et des grottes, un vieux pêcheur et un jeune batelier, Luca Forte va mettre en scène, à la lisière entre la plage et la végétation, un étalage de poissons frétillants dans des paniers22. Le monde marin révèle alors sa réalité intérieure, comme si des rêves, souvent angoissants, s’étaient échoués sur le sable. « De tous les mets dont on peut rêver sur une table apprêtée, les artistes pouvaient choisir ceux qui, du point de vue des couleurs et de la morphologie, s’adaptaient le mieux à leurs intentions “expressives” : les rascasses au rouge foncé et à l’aspect déplaisant, les grondins roses, les sargues cernés, les dorades luisantes, les soles plates qui se prêtent à des artifices de perspective variés, les langoustes brunes, les homards diaphanes, les seiches, les calamars boueux, les anguilles visqueuses et fuyantes, les poulpes tortueux, les raies curieuses, crabes, huîtres, moules, etc.23» Visions inquiètes. Surprises scientifiques. Prodiges de Wunderkammer. Recettes de rôtis et de soupes succulentes, dans toutes les combinaisons, comme le souligne l’Assisa dello Pesce de 1647 : L’œil gourmand ne limite pas sa faim au savoir. Bien plus. Des images capables de susciter des inventions poétiques, accompagnées des vers des Egloghe piscatorie de Cesare Capaccio24. Et des rappels éloquents au drame, explicite surtout chez les Recco, de se retrouver comme des « poissons hors de l’eau ». Qu’aux créatures de la mer soient attribuées, en une spéculation tendue sur les destins, l’imaginaire et les préoccupations des Napolitains sont démontrés, sur l’air de la tarentelle, d’ailleurs introduite par le célèbre Salvator Rosa, par l’énumération des quatre-vingt-douze espèces de poissons dans la chanson Lo Guarracino (1700) : « Sàrache, dientice ed achiate, / scurme, tunne e alletterate ! […] », prémices d’une poétique et d’une musique emblématiques d’un monde qui perdure jusqu’à aujourd’hui. La « philosophie naturelle » est vue sous d’autres éclairages : . De Vito, 2000, p. 30-31, fig. IX-XII. . De Vito, 1999, p. 18-42. . Capaccio, 1598.


Fig. 5 — Fresque (détail), Corbeille de figues, 20 av. J.-C- 45 apr. J.-C., Oplonti, Villa de Poppea.

cartésiens d’abord (Raffaele Ajello25 l’illustre dans ses réalisations figuratives), les lueurs des créatures marines assurent la persistance d’une pensée orientée vers l’étude et la connaissance de la nature et de ses secrets. Descartes se souvient du De mari de Telesio et du De Piscibus libri V d’Ulysse Aldrovandi, et bien sûr des études des Français Belon26 et Rondelet27. Pourtant, lorsque le réalisme perd le pivot originel de Merisi et de ses premiers disciples, les mouvements sinueux des poissons perdent aussi l’âpreté de leur existence et se plient aux motifs décoratifs pour s’intégrer plus facilement aux décors des demeures aristocratiques et princières :

c’est là la dernière phase de Giovan Battista Ruoppolo, séduit par les Romains Mario dei Fiori et Michelangelo Cerquozzi, et par le Flamand Abraham Brueghel. Les réflexions de Porpora, des Recco et de Ruoppolo resteront des « icônes » dans la culture napolitaine. Le xixe siècle saura en retrouver le message. Francesco Paolo Palizzi, après sa période parisienne et son admiration pour des artistes tels que Chardin ou Courbet, met en scène avec une poésie sombre, des plats d’huîtres28. Et touchante est la rascasse, un poisson cher à Paolo Porpora, que Vincenzo Gemito, délaissant l’isolement de la mélancolie (1909), dessine à la plume sur une feuille de papier xviie, en donnant forme à un songe, le mettant en valeur à la manière d’un palimpseste, sur un fond historié29.

. Ajello, 1980, p. 3-181 ; 1982-1983, p. 343-359. . Belon, 1551 ; 1553.

. Giannotti, dans Coliva, 2004a, p. 192-193 ; Ricci, 1960, p. 50-51.

. Rondelet, 1554 ; 1556.

. Giannotti, dans Coliva, 2004b, p. 240-241.

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La nature morte napolitaine : les nouvelles exigences de la vue grard labrot

« I discorsi nostri hanno a essere intorno al mondo sensibile e non sopra un mondo di carta. » Galilée, Dialogo dei Massimi Sistemi, Florence, 1632 L’observation tranchante de Galilée avertit des grandes transformations intervenues dans la conception du savoir qui se développe en Italie au cours du second xvie siècle. Galilée, Telesio, Campanella, d’autres encore, moins connus, mettent en cause la validité d’un savoir purement livresque, largement codifié, hérité et répété, immobilisé même sous l’autorité intouchable d’Aristote. Philosophes et savants défendent le développement d’un rapport direct, personnel avec le monde extérieur. Il convient en effet de lancer une enquête sans a priori sur la nature, une enquête qui congédie la mémoire et procède à une valorisation résolue, confiante, des sens, en particulier de la vue. L’homme doit désormais scruter, analyser, décrire et expliquer ce qu’il voit. La science s’installe au premier plan. En 1583, le naturaliste Andrea Cesalpino publie un traité de botanique fort significatif De plantis. Prenant le relais et élargissant le terrain d’enquête, Bernardo Telesio donne un titre explicite au premier chapitre de la cinquième partie de son grand traité, De rerum natura, publié en 1586 : « Animalium plantarumque constitutionem indagandum est » (« Nous devons étudier [une enquête véritable] la conformation des animaux et des plantes »). Art et sciences ne poursuivent certes pas les mêmes objectifs, mais il n’existe pas de cloisons rigoureusement étanches entre les disciplines, du moins à certains moments et l’éclosion si remarquable de la nature morte, en particulier à Naples pendant l’entier xviie siècle, n’est sans doute pas le fruit heureux du hasard. Au pays de Telesio, de Ferrante Imparato, de Fabio Colonna et de Leonardo di Capua, entre autres chasseurs de vérités, la nature morte, elle aussi, amplifie la précision et l’acuité du regard aux prises avec le monde naturel. Elle détaille dans la longue durée un univers complexe, inépuisable, exigeant et séduisant, comme en té-

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moignent les collections, parfois précoces, qui lui réservent une large hospitalité. Et ces mêmes collections signalent l’ouverture de la ville sur l’extérieur, documentent le large dialogue des naturistes locaux avec les étrangers, Romains comme Pietro Paolo, Nucci ou Spadino, pinceaux du nord de l’Europe comme Jan Fyt ou Nicasius Bernaerts. Place donc, large place aux Napolitains dans la grande entreprise de dépiction de la nature, place surtout à deux puissantes « dynasties » qui assurent continuité et enrichissement du genre : les Recco et les Ruoppolo. Caravage a ouvert le chemin et défini les objectifs essentiels. Refusant toute hiérarchie intellectuelle et sociale ancrée, ignorant les objets précieux et leur contexte culturel, très proche en ce sens d’un Giovan Battista della Porta, le grand Lombard peint les produits de la nature, de la terre avant tout. Et les naturistes napolitains poursuivent l’enquête, peignent les fruits, les légumes et les fleurs, tant de fleurs, des légumes et des fruits qui relèguent l’homme et ses travaux au second plan, en de rares tableaux. Contrairement aux œuvres flamandes, presque absentes seront donc à Naples les démonstrations de richesse et les complaisances étalées du luxe. Cette élimination concentre regards et pinceaux sur la force d’existence des objets eux-mêmes, de chaque objet, fortement isolé de son milieu et gratifié d’un impact visuel singulier qui lui ôte la familiarité habituelle si propre à oblitérer son apparence et son caractère. Le pouvoir de la nature morte va donc se fonder sur la présentation des objets, sur la richesse et l’originalité des arrangements imaginés qui, au gré des artistes, proposent la plus énergique concentration ou la plus éloquente dispersion. Observons un tableau de Luca Forte : les fleurs comme les fruits y sont fréquemment peu nombreux, enclos en un format modeste, et offrent de la sorte une puissance optique surprenante. Forte analyse en jouant de la forme et de l’éclairement, impose une lenteur du regard, et l’on retrouve semblables exigences, identique économie, dans


quelques œuvres de Porpora (collection particulière ; cat. no 8), où conflits de formes et de couleurs sont des plus stimulants pour la vue. Les toiles que propose Giovan Battista Ruoppolo, souvent de grandes dimensions, multiplient à l’inverse les objets, érigent de véritables rideaux verticaux dans lesquels la vie de la nature, poussée à son paroxysme, est traduite par les rapports multiples des objets entre eux, par les contrastes formels et colorés que Porpora (songeons aux deux toiles de la collection Di Capua de Turin, cat. no 12) maîtrisa avec virtuosité. Individuellement détaillés et scrutés dans le grain de leurs peaux ou disposés en sarabandes euphoriques, les objets peuvent être plus ou moins proches ou éloignés de l’observateur. Les fruits de Forte, certains bouquets de Giuseppe Recco (collection particulière ; cat. no 27) et bien des œuvres de Giuseppe Ruoppolo, par leur proximité immobile, par la fixité évidente du regard qui les a choisis, évoquent un pouvoir d’observation presque scientifique. Plus complexes, plus mouvementés, bien des tableaux de Giovan Battista et de Giuseppe Recco, quelles qu’en soient les dimensions, introduisent la distance physique mais aussi critique, indispensable pour que l’œil puisse s’orienter, planter les repères qui vont organiser les itinéraires imposés du calamar à l’aiguière, du chaudron aux poissons. Fruits et fleurs de Forte sont de véritables portraits, cuivres et crabes des Recco des personnages. Proximité et distance invitent l’observateur à interroger l’espace, les espaces des natures mortes, à inventorier plus encore les lieux et les instruments maniés par les peintres, afin d’offrir aux objets une hospitalité qui les exalte. Souvent discret, naissant d’une pénombre qui projette vers nous fruits, fleurs et même poissons, l’espace des petits et de bien des moyens formats apparaît comme le complice obéissant du peintre mais aussi du spectateur, qui s’emploie à examiner en détail chaque objet, à en apprécier la forme, le mat ou le luisant, le lisse ou le rugueux, avant d’embrasser cette véritable société naturelle d’un regard conquis. Ce regard si subtilement guidé découvre un espace plus proche des conceptions de Telesio que des théories d’Aristote, un espace qui ignore l’horreur du vide et que remplit avec bonheur la forme spécifique du corps représenté. Nombre de tableaux disposent les objets choisis, peu nombreux ou abondants, sur un socle minéral ou sur une table que peut durcir encore une arête coupante. Ce dispositif permet une neutralisation du fond et une atténuation des trois dimensions, particulièrement chère à Luca Forte parce qu’elle réduit les distractions du regard. Socle et table peuvent donc déployer leur contenu à l’horizontale, à la manière de Giovan Battista Recco (Suisse, collection particulière ; cat. no 4), de Giovan Battista Ruoppolo (Paris, Galerie Canesso ; cat. no 31), et plus énergiquement encore de Giovanni Quinsa (Paris, Galerie Canesso ; cat. no 14). Ces étalements favorisent, voire imposent une lecture étirée, de gauche à droite, de chaque objet isolé comme des groupes plus ou moins densément peuplés, transformant les toiles en lieu d’analyse attentive et différenciatrice, mais aussi en l’offrande d’une jouissance véritable. Solidité de la table et

rudesse pierreuse du socle soulignent finement l’agrément de la rencontre et le caractère délectable de l’exposition. Cette délectation devrait connaître une apothéose en ce lieu complexe que les naturistes « flamands » ont paré de mille séductions : la cuisine. Or, les versions du thème proposées par Giovan Battista et par Giuseppe Recco manifestent le plus souvent une simplicité et une sobriété frappantes. Nous sommes ici fort éloignés des cuisines de l’aristocratie locale que détaillent les inventaires, et ce sont des nourritures locales nullement rares qui sont proposées à l’appétit : poissons et mollusques, coquillages, œufs, oignons et quelques viandes (Naples, musée Pignatelli ; cat. no 33). Le peintre enquête sur le lieu familier, déploie en une largeur invitante les ingrédients des repas plus que leur élaboration. Le cuisinier ou la cuisinière ne sont pas encore au travail et leurs instruments, chaudrons, pots et plats, en attendent l’intervention. La vue, certes, joue en ces toiles un rôle essentiel, mais n’épuise nullement la gamme de sensations mises en œuvre ; le toucher, en particulier, peut jouer un rôle certain : le galbe rayonnant d’un chaudron, le nacré d’une huître évoquent les plaisirs de la main, et plus encore informent l’amateur et l’historien que les rapports de l’homme au monde doivent leur richesse à l’intensité initiale heureuse des sensations. La production napolitaine présente l’immense intérêt de restreindre notre rapport aux choses à quelques décimètres carrés qui excluent toute distraction, mais aussi de l’élargir aux dimensions d’une salle et plus encore de la nature tout entière. Car le paysage se prend à envelopper ou à détacher les compositions de sa large respiration. Loin d’être enfermés toujours à notre portée dans une solitude tentatrice, objets et produits de la terre et des flots peuvent entretenir des relations avec le monde, et les deux admirables toiles de Luca Forte conservées à Florence dans la collection Cei montrent combien les naturistes, loin de s’isoler, de restreindre, voire d’éliminer, sont parfaitement informés de la production des ateliers locaux, des spéculations de peintres comme Spadaro ou Falcone, et peuvent même, voyez Giuseppe Recco (Naples, musée Pignatelli ; cat. no 25), intégrer à leurs analyses les paysages marins d’un Salvator Rosa. Mais leur enquête sur la nature les conduit également hors de Naples et les deux toiles de Porpora de Capodimonte explorent avec une intense curiosité un monde naturel quelque peu inquiétant, celui des sous-bois ombreux et touffus peuplés de serpents et de tortues, de grenouilles et de lézards. Or, les initiateurs de cette prospection sont cette fois des naturistes nordiques, van Schrieck et Withoos, que Porpora rencontra certainement à Rome. La nature n’est donc pas uniquement accueillante et favorable, pas exempte de menaces, une menace sourde, presque cachée, qui invite à considérer les contrastes puissants que les naturistes napolitains proposent subtilement à l’attention. L’éclat et l’abondance des fleurs et des fruits font oublier les gestes de l’homme qui taille et qui cueille. Mais surtout, les crabes inertes et renversés dont Giuseppe Recco dépeint les pattes serrées, recourbées, agressives, ou les poissons et mollusques qu’il aligne sur une pierre dure

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et brisée que surplombe un rocher obscur sur une côte peu hospitalière, s’ils étalent l’abondance de la prise, illustrent plus encore la présence efficace du prédateur, du pêcheur qui prépare le travail du cuisinier. Cet univers de la nature morte, le terme n’est nullement excessif, s’impose par sa diversité, et surtout par l’originalité des peintres, une individualité conquérante qu’expriment la répétition d’objets de prédilection et le choix de stylèmes bien reconnaissables. Le liseron d’Andrea Belvedere et la pastèque tranchée de Giovan Battista Ruoppolo constituent de véritables signatures. Le soleil rouge piqueté de points noirs qu’impose la seconde ralentit le regard, le transforme en un tournoiement circulaire forcé d’examiner l’intérieur du fruit, et manifeste en même temps son pouvoir constructif, hiérarchisant (Paris, Galerie Canesso ; cat. no 31). Mais au-delà des simples objets, que d’originalités structurales, que de préférences constructives, depuis l’horizontalité si ferme des tableaux de Quinsa jusqu’à la richesse profuse, à la complexité dramatique d’une nature peu contrôlable des œuvres de Porpora. Et sur ce plan, Giuseppe Recco et Giovan Battista Ruoppolo, les plus inventifs, réclament un examen un peu plus approfondi afin de rendre justice à leur immense capacité créatrice. Le premier, maître de la matière et des formes, organise ses expertises du monde avec une grande rigueur. Chaque tableau présente une mise en scène pleine d’autorité, quel que soit le format et quels que soient les objets rassemblés, toujours placés avec une justesse sans défaut. Cette vigueur structurale, si bien traduite par la virtuosité des rapports qui unissent les objets entre eux (fleurs et pâtisseries !) et les objets avec l’espace alentour. Cette aisance lui permet encore d’inventer des rythmes dynamiques, dans lesquels la dissymétrie peut jouer un rôle séduisant, d’organiser également des conflits visuels, dimensionnels, colorés, d’une surprenante énergie (Paris, Galerie Canesso ; cat. no 21). Recco offre ainsi à l’observateur une perception affinée de la richesse du monde extérieur, des produits de la nature, des outils et parfois des nourritures apprêtées dont le tableau organise le dialogue savoureux. Giovan Battista Ruoppolo, lui, soumet à enquête, serre toutes les données de la nature morte, les thèmes comme les matériaux, les formats comme les dispositifs. Et cette inspection se double d’une volonté constante de célébrer la richesse infinie du monde, la surabondance euphorique de tous les produits du sol et des eaux. Oui, la nature est d’une fécondité illimitée, et en toute saison, unissant en permanence – c’est là son charme et son secret – l’abondance et la succulence. Et Ruoppolo se soucie fort logiquement d’en faire don à l’amateur en les rapprochant de son regard et de sa main, en imposant une proximité tentatrice (collection particulière ; cat. no 34). Et cette opulence, enfin, s’exalte dans un fort contraste ombre/lumière, dans la capacité de cette dernière d’abolir la distance. Mais il convient ici d’élargir le discours en prenant appui sur la stratégie lumineuse du peintre. Car s’il transforme la lumière en révélatrice et en alliée, il n’est pas le moins du monde isolé dans cette recherche. L’ensemble des naturistes détecte en effet l’impor-

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tance et les rôles, constructeurs et sémantiques à la fois, de la lumière et retrouve les certitudes de certains philosophes. Il ne sera donc pas superflu de céder brièvement la parole à Tommaso Campanella : « Ecco la luce con quanto acutissimo senso si spande sopra la terra per moltiplicarsi, generarsi, amplificarsi [...]. » Abondance et lumière, dans une sorte d’embrasement baroque que l’on retrouve en bien des toiles de Giuseppe Ruoppolo, attirent l’attention sur les bienfaits de la nature campanienne, célèbrent la générosité des dieux envers cette province. Les natures mortes les plus éclatantes participent donc à la construction du mythe si magnifique de la Campania Felix, dont elles glorifient beauté et fécondité inlassable. Et dès lors, peintures et textes contemporains se prennent à chanter d’une même voix un chant que ne manquent pas de reprendre et d’amplifier les voyageurs, les Français en particulier, regroupés et traduits par Gino Doria. Ébloui par ce qu’il découvre, Monseigneur de Saint Gelais évoque, en une énumération éperdue : « Olivi, aranci, melograni, fichie palme di datteri, peri, mandorli, meli, allori, rosmarini, maggiorana […]. » Jacques de Villamont découvre de son côté la source de ces trésors, les jardins : « Visi vedono bei giardini irrigati di chiare fonti pieni di aranci e limoni carichi di frutti in ogni tempo [...]. » érudit attentif et sensible, Jean Mabillon souligne l’absence de trêve saisonnière : « Diresti che v’è una sola stagione dell’anno, cioè una primavera autunnale o un autunno primaverile in cui i fiori e i frutti non mancano quasi mai [...]. » Un Napolitain bien connu, enfin, bon connaisseur et historien de sa ville, Giulio Cesare Capaccio, constate que le foisonnement des fruits, des fleurs et des parfums « mi ha fatto star in forse se in Napoli il Paradiso terrestre si ritrova […] ». Mais, cette participation de la peinture, qui ne fut peutêtre pas toujours consciente, à la célébration, à l’invention d’une ville et de sa campagne, ne doit pas masquer l’une des originalités remarquables de la nature morte napolitaine : sa capacité à évoluer au gré de l’histoire générale et à enrichir ses finalités. Ainsi, les naturistes, dans le sillage des savants et des philosophes, explorent donc le monde, puis, sans y renoncer totalement, vérifient les pouvoirs créateurs de l’exaltation baroque d’une surabondance qui exploite les possibilités décoratives du genre lui-même. Giuseppe Ruoppolo, les fils de Giuseppe Recco, Giovan Battista et Elena, puis les petits maîtres bien médiocres qui leur succèdent – Casissa et Lopez – assurent la réussite éclatante du filon que les inventaires des collections démontrent amplement. La rançon du succès s’impose à nous. Les naturistes délaissent l’observation au profit de la surproduction et de la multiplication des séries : le même bouquet, la même coupe de fruits sont répétés à satiété. Aux stylèmes qui nourrissaient l’expérimentation succèdent les stéréotypes, inscrits dans le rendu rapide et mécanique de l’épiderme des choses. Envahissantes, chiffrables désormais par centaines, les natures mortes emplissent donc les demeures du xviiie siècle de leur agrément superficiel contre lequel se dresse le dernier grand représentant d’une école qui fut si exigeante dans son observation du monde : Andrea Belvedere.


Catalogue vď&#x;Šronique damian giuseppe de vito pierluigi leone de castris denise maria pagano claudia salvi nicola spinosa angela tecce


Giacomo Coppola (Documenté à Naples dans le premier quart du xvii  siècle) e

1. Nature morte avec des paniers de fruits, un vase de fleurs,

une assiette de mûres et une fiasque de vin huile sur toile. 90 × 100 cm monogramm en bas  droite, sur lassiette en cramique, « g.c. » gallipoli, museo civico

bibliographie. De Giorgi, 18821897, I, p. 58 ; D’Elia, dans Bari, 1964, p. 176, 180, no 178 ; Bologna, dans Bergame, 1968, fig. 26 ; Causa, 1972, p. 1043, note 63 ; Volpe, 1973, p. 28 ; Galante, 1975, p. 1500, no 37 ; Rosci, 1977, p. 200 ; D’Elia, 1982, p. 264 ; Galante, 1989, p. 965, 967-968, 992, fig. 1171, notes 21-26 ; Wiedmann, 1990, p. 176-177 ; Galante, dans Lecce, 1995, p. 65-66, no 45 ; Leone de Castris, 2005, p. 74-87. expositions. Lecce, 1939 ; Bari, 1964, no 178 ; Lecce, 1995, no 45.

Le tableau provient de la famille Coppola à Alezio (près de Gallipoli), où De Giorgi le mentionne dès la fin du xixe siècle, en le considérant comme un témoignage de l’activité, dans le domaine de la peinture de « genre », de l’artiste Giovanni Andrea Coppola (1597-1659), originaire de Gallipoli, dans le Salento, et en supposant que cette collection conservait peut-être d’autres œuvres sur ce thème. D’Elia, à l’occasion de la Mostra dell’Arte in Puglia (1964), a soumis ce tableau à l’attention des spécialistes et a proposé à nouveau – en raison du monogramme « G.C. » bien lisible ainsi que d’un présumé « tono freddamente accademico », qui renvoie aux natures mortes de l’Empoli et de Paolini – l’attribution à Giovanni Andrea Coppola, dans le cadre d’un « soggiorno toscano del pittore collocabile […] intorno al 1636-39 » (« séjour toscan du peintre que l’on situe […] autour de 1636-39 »). Cette attribution fut reprise, outre par D’Elia lui-même, par Galante (1975, 1989, 1995), qui insiste sur son caractère « napolitain », ce qui suppose des contacts entretenus par l’artiste des Pouilles avec Naples, au cours des années 1650. Galante cite, parmi les références « les plus pertinentes », les noms de « Giovan Battista Recco et Giovan Battista Ruoppolo », et par voie de conséquence, date le tableau entre 1650 et 1660. Le caractère archaïque et caravagesque, ainsi que les arguments incertains et ambigus sur la provenance et le monogramme – « signature » –, différent de celui utilisé par Giovanni Andrea, n’ont pas échappé à Bologna (dans Bergame, 1968) qui a essayé de réinterpréter ces initiales – pour lui « C.C. » au lieu de « G.C. » – les mêmes que celles du peintre de batailles Carlo Coppola, actif à Naples et d’après les sources, disciple d’Aniello Falcone – « nella cui bottega, frequentata anche da Paolo Porpora, il genere della natura morta era coltivato ». Par comparaison avec les « teloni sacri » (« les grandes toiles sacrées ») de Giovanni Andrea à Gallipoli et les « Batailles connues et signées » par Carlo, Causa (1972) a jugé « inacceptable » aussi bien l’une que l’autre hypothèse, et préfère le désigner comme Maestro di Casa Coppola, « un altro napoletano della generazione antica, prima della metà del secolo, che ammoderna Luca Forte e il Maestro di Palazzo San Gervasio, tenendo d’occhio le Cucine di Titta e qualche risultanza più giovanile di G.B. Ruoppolo » (« un autre napolitain d’une génération précédente, avant la première moitié du siècle, que “modernisent” Luca Forte et le Maestro di Palazzo San Gervasio en ayant à l’esprit les Cuisines de Titta et les résultats de la période de jeunesse de G.B. Ruoppolo »). En 1982, les héritiers de Niccolò Coppola lèguent

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le tableau à la commune de Gallipoli, avec dix-huit autres toiles, toutes attribuées à Giovanni Andrea Coppola, mais pour la plupart copies ou œuvres plus tardives. Il a été restauré et rendu au public en 1995, lors de l’exposition Barocco a Lecce e nel Salento. Plus récemment (2005), nous avons proposé de le situer aux origines de la nature morte napolitaine, entre la fin des années 1610 et le début des années 1620, et de l’attribuer à un peintre, jusqu’alors inconnu, « Giacomo Coppola », qui, selon les documents d’archives, était actif à Naples en 1610 comme l’attestent des reçus de paiements, l’un du 22 octobre d’un certain Gian Girolamo di Ghero, pour « otto quadri di verdure » (« huit tableaux représentant des légumes »), et l’autre du 3 juillet du duc de Peñaranda, pour un tableau, au contraire, de « Paesi » (« paysages »). La composition favorise des placements par petits groupes en une rigide géométrie, se déployant tant sur la hauteur que sur la largeur, et exploitant les effets « crédibles » de transparence et de réfraction de la lumière sur le vase en verre, la vérité et la solide exubérance des feuilles, les paniers, le raisin et les melons, les grenades brillantes et les figues à la peau éclatée, ainsi que l’austère répertoire des oiseaux et des petits cuivres, les coupelles de terre cuite et la charcuterie, qui évoquent les résultats de la première génération caravagesque romaine, ceux du Maître de Hartford et surtout du Maître de la nature morte Acquavella, sur un axe passant par Crescenzi et Cavarozzi dont on a pu démontrer qu’il était bien connu à Naples entre 1614 et 1617 (Leone de Castris, 2005) et auquel font encore allusion, en 1614, les raisins du Bacchus de Carlo Sellitto, aujourd’hui à Francfort. Avec la redécouverte de Giacomo Coppola et de la date présumée tôt de ce tableau, dans la seconde décennie du siècle, la nature morte napolitaine s’enrichit d’un exemple remarquable, capable d’influer sur les futurs développements du genre. Les garde-manger et les « verdure » de Giacomo Coppola ont certainement été vus par le meilleur Quinsa, le premier Titta Recco et surtout par le plus ancien Luca Forte dans ses « cose […] che hanno l’avanti e indietro » (De Dominici, 1742-1745, III, p. 293294), comme la toile avec un Vase de fleurs, fruits et cédrats, (collection particulière, cat. no 16), publiée par Bologna (1983-1984), ou celle avec des Oiseaux, fruits et vase de fleurs de la Galleria Sabauda de Turin (di Macco, dans Turin, 1989, p. 110, no 118), ou encore comme celle – signée et publiée par De Vito (1990, p. 121) – avec au centre une pastèque coupée, l’une des compositions les plus proches de notre tableau. pierluigi leone de castris


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Giovan Battista Recco naples ?, ca. 1615  avant 1675 Au tout début des années 1960, les articles pionniers de Di Carpegna (1961), Bottari (1961) et De Logu (1962, 1964) ont esquissé une première reconstitution de l’œuvre de Giovan Battista Recco autour de quelques tableaux signés ou monogrammés. Ignoré par le biographe napolitain De Dominici (1742-1745) – mais nous sommes déjà au milieu du xviiie siècle –, le nom de Giovan Battista Recco apparaît pourtant le 9 juillet 1675 dans une note restée longtemps à l’état de manuscrit. Il s’agit d’une lettre destinée à informer le biographe florentin Filippo Baldinucci sur les artistes travaillant depuis 1640, à Naples ou dans le royaume. En 1675, Giovan Battista est signalé comme étant « décédé » (Baldinucci [par Barocchi], 1975, VI, p. 366). L’information en elle-même, « Giovambattista Recco, pittore di pesci, morto », nonobstant son caractère très lapidaire, est intéressante à double titre. En premier lieu, elle atteste de sa présence à Naples ou dans les environs, sans pour autant préciser de lien de parenté particulier avec les autres membres de la famille Recco, eux aussi cités, et pour lesquels, au contraire, il est bien mentionné que Giuseppe Recco est le fils de Giacomo Recco (voir aussi Prota-Giurleo, 1953, p. 14-15). Même si, à ce jour, aucun document n’est venu le confirmer, la critique admet qu’il a certainement appartenu à cette famille d’artistes, sans doute comme frère de Giacomo Recco et, à ce titre, oncle du plus connu Giuseppe Recco. Par ailleurs, cette citation nous renseigne sur le fait que « Giovambattista » était répertorié en tant que peintre de poissons, ce que ne viennent pas forcément confirmer les documents d’archives retrouvés. Les quatre citations d’inventaires relevées par Labrot (1992, p. 552) décrivent des tableaux avec des fruits et des fleurs, alors que deux autres citations d’inventaires évoquent pour l’une, sous le diminutif de « Titta Recco » que l’on rencontre parfois, un intérieur de cuisine (collection du banquier flamand Ferdinand Vandeneynden), et pour l’autre, encore

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une composition avec des fruits « uva, percochie, fichi » (Di Carpegna, 1961, p. 123). Deux autres tableaux dits de « Titta Recco », l’un avec « dentro riposto da tavola » et l’autre « Quadro pieno di pesci », sont mentionnés dans la collection Ruffo de Messina, tous les deux de grand format (Ruffo, 1917, p. 151-152, 164). Devant le silence des sources, que nous apprennent les œuvres qui nous sont parvenues ? En 1961, Di Carpegna publiait quatre tableaux signés, en 1972, Causa parle de six tableaux signés, plus ceux datés, et note que les interrogations restent nombreuses, remarque toujours d’actualité. Les œuvres datées le sont uniquement pour les années 1653 et 1654, ce qui est bien peu et qui ne nous aide guère à percer le mystère qui entoure son œuvre. L’existence d’un monogramme « G.B.R. », commun avec Giovan Battista Ruoppolo, et pour deux de ces initiales avec Giacomo Recco et Giuseppe Recco, ne facilite pas les choses. Ces initiales peuvent, de plus, se présenter sous différentes formes. Elles apparaissent entrelacées sur l’énigmatique Intérieur de cuisine d’une collection particulière (fig. 1), figurant à l’exposition de 1964-1965 comme un tableau de Giovan Battista Ruoppolo (dans Naples-Zurich-Rotterdam, p. 51, no 83, fig. 33b) ; de même sur la Nature morte de poissons du musée de Stockholm, même si seules les deux dernières lettres sont jointes. Ces deux tableaux sont aujourd’hui unanimement acceptés par la critique comme de Giovan Battista Recco. Elles peuvent encore être détachées, comme c’est le cas de l’imposant Intérieur de cuisine (Crémone, collection particulière [ex-collection Astarita ; cat. no 6]). L’attribution à Giovan Battista Recco entraîne dans son sillage un autre Intérieur de cuisine (Palerme, Galleria Regionale della Sicilia), sans monogramme mais très proche stylistiquement. Tous deux ont oscillé entre Giovan Battista Ruoppolo et Giovan Battista Recco, cette dernière attribution étant désormais retenue. Au dossier


Fig. 1 — Giovan Battista Recco, Intérieur de cuisine, collection particulière (auparavant Bologne, collection particulière).

des « tables de cuisines », il faut encore ajouter celle anciennement collection Rappini de Rome, qui montre, très distinctement, un autre mode de signature, cette fois-ci en écriture cursive, où l’on peut lire « G.B. Recco / 1654 » (Di Carpegna, 1961, p. 23, fig. 1). Cependant, les compositions avec des poissons ou des fruits de mer semblent dominer et tendent à confirmer la courte note biographique envoyée à Baldinucci. Dès 1961, Di Carpegna porte à la connaissance la stupéfiante composition avec des poissons de l’ancienne collection Mendola de Catane que nous avons la chance de pouvoir exposer ici (cat. no 5), fondamentale pour comprendre le style de cet artiste rare car signée et datée 1653. Ajoutons un Panier d’huîtres et de fruits de mer (Rome, collection particulière) qui, aux dires de Di Carpegna, serait signé en toutes lettres et daté « 1654 » (1961, p. 123, fig. 3) et une composition avec Un panier de langoustes (collection particulière), dont Spike indique qu’il est signé « Gio. Batta. Recco » (1983, p. 133, no 38), sans oublier la grande composition plus baroque, et par voie de conséquence plus tardive, du musée des Beaux-Arts de Besançon portant la signature « G.B. Recco ». La critique a successivement noté les fortes composantes hispaniques de ses intérieurs de cuisine, comme en témoigne le tableau, malheureusement fragmentaire, du Rijkmuseum d’Amsterdam (Aikema, 1997, p. 127, no 142 ; fig. 2), autrefois donné à Velázquez, ou encore le célèbre Intérieur de cuisine avec une tête de bélier de Capodimonte à Naples ; le second tableau sur ce thème, toujours à Capodimonte, étant maintenant reconnu non plus de la main de Giovan Battista mais de celle de Giuseppe Recco (voir en dernier La Marca, dans Phoenix, 2006-2007, p. 130). Les grands intérieurs de cuisine précédemment cités, sont de véritables chefs-d’œuvre capables de rivaliser, en effet, avec les bodegones de Velázquez, lui-même de passage à Naples en 1630 avant

Fig. 2 — Giovan Battista Recco, Intérieur de cuisine avec des poulets et des œufs, Amsterdam, Rijksmuseum.

de rentrer en Espagne au début de 1631. Si l’on a pu supposer que Giovan Battista Recco ait pu se former en Espagne (a-t-il eu une connaissance directe des natures mortes de Alejandro de Loarte, de Sánchez Cotán ou Van der Hamen ?), il est plus raisonnable d’envisager comme l’a souligné Causa (1972) des points de contact avec les peintres espagnols présents à Naples, dont cependant l’absence de témoignages dans les inventaires étonne et tendrait à mettre en doute le réel impact de la nature morte espagnole sur celle napolitaine. Tout en revisitant la réalité sur une matrice ibérique, Giovan Battista Recco explore et innove, sur fond de naturalisme napolitain aux forts contrastes lumineux, souvent dans des ensembles très fournis, parfois avec un motif unique, comme le démontre les Panier de fruits de mer (Rome, collection particulière ; Suisse, collection particulière ; cat. no 4). Il ouvre ainsi la voie à une nature morte napolitaine essentielle et puissante qui connaîtra des prolongements notoires sur l’art de Giuseppe Recco et sur les œuvres tôt de Giovan Battista Ruoppolo. Pourtant, Giovan Battista Recco reste encore aujourd’hui, du fait de sa mise à jour récente, la personnalité la plus problématique et celle sur laquelle il reste le plus à découvrir. vronique damian




Giovan Battista Recco 2. Une langouste, une araignée de mer, une coupe

avec des crabes, une tortue et ses œufs huile sur toile. 59,2 × 76,2 cm modne, collection particulire

bibliographie. Middione, dans Munich, 2002-2003, p. 196-197 ; Middione, dans Florence, 2003, p. 200-201 ; Fumagalli, 2003, p. 820821, fig. 68, repr. en couverture. expositions. Munich, 2002-2003, p. 196-197 ; Florence, 2003, p. 200-201.

Le peintre recherche ici l’expression et atteint le sensationnel. La langouste, présentée sur toute la longueur du tableau, épouse par sa forme le bloc de pierre taillée qui lui sert d’estrade, astuce de composition qui permet d’élever le motif principal à hauteur de l’œil. Cette véritable trouvaille picturale permet de mettre en évidence les pattes projetées sur l’avant, sans pour autant toucher le rebord, comme le soulignent leurs ombres portées qui viennent zébrer la pierre, créant l’illusion de la voir avancer. Le surprenant face à face avec la tortue introduit un dialogue entre nature morte et nature « viva » (« vivante »), rarement abordé avec ce type de sujet. Il faut encore admirer le juste équilibre entre les pleins et les vides, ces vides sombres réveillés par les blancs « lumineux » des œufs de tortues et des crabes retournés. Aucun détail superflu ne vient perturber cette nature morte « in posa », pas même la coupe à peine esquissée de quelques coups de pinceau de couleur blanche. La lumière s’arrête sur chacun des motifs

Fig. 1 — Giovan Battista Recco, Panier de langoustes et poissons, collection particulière.

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pour en faire ressortir leurs particularités, sans trop insister. L’entrée de ce tableau spectaculaire dans le corpus de Giovan Battista Recco, proposée par Lattuada lors de son apparition en vente publique à Rome, en 1991 (Christie’s, 4 décembre 1991, no 40), a été depuis suivie par la critique. Middione, dans le catalogue de l’exposition Munich-Florence (2002-2003), en décrit l’exceptionnelle prouesse, tant formelle qu’esthétique, qui lui rappelle Velázquez, et l’attribue à la période de la pleine maturité de l’artiste, soit dans la décennie 1650-1660. Fumagalli, en faisant la recension de cette exposition dans le Burlington Magazine note, quant à elle, l’aspect novateur qu’une telle composition apporte à son œuvre. De fait, le tableau se présente comme un unicum et pour le situer du point de vue de la chronologie, faut-il imaginer, comme nous en a fait part De Vito, qu’il ait vu le jour avant celui de l’ancienne collection Mendola de Catane (cat. no 5) ou, si l’on prend en compte la datation proposée par Middione, après la composition touffue et sur plusieurs plans du musée des Beaux-Arts de Besançon ? Devant la réelle carence des documents concernant cet artiste, la chronologie de ses œuvres est extrêmement délicate, mais nous pencherions plutôt pour une datation haute, et dans tous les cas, avant 1650. Le rapprochement stylistique proposé par Middione avec deux toiles publiées comme Giovan Battista Recco par Salerno (1984, p. 119, fig. 29.6 et 29.7) mérite que l’on y revienne. En effet, l’une des deux, exposée ici (cat. no 20), doit être rendue à la main de Giuseppe Recco. Nous regrettons de ne pas pouvoir présenter le second tableau, représentant un Panier de langoustes et des poissons (collection particulière ; fig. 1), dont Spike a précisé qu’il est signé « Gio. Batta. Recco » (dans New York-TulsaDayton, 1983, p. 133, no 38) et dont la confrontation avec cette volumineuse langouste aurait été certainement riche d’enseignement. L’épuration de la composition souligne le motif choisi traité dans un esprit descriptif et non pas accumulatif, fait qui apparaît bel et bien nouveau par rapport aux compositions signées que nous avons de l’artiste. Giovan Battista poursuit ici le thème de la nature morte jusque dans ses retranchements les plus reculés, tout en mettant en œuvre une page qui traduit un rare moment d’équilibre. vronique damian





Giovan Battista Recco 3. Nature morte de poissons, raie, anguilles,

chaudron avec artichauts et bassine en faïence huile sur toile. 91 × 120 cm collection particulire ₍auparavant paris, galerie canesso₎ Dans un intérieur de cuisine, sur un large socle en pierre ébréchée, à gauche se trouve un grand chaudron en cuivre surchargé de légumes dont quelques lourds artichauts en menacent le fragile équilibre. Au-dessous, une raie renversée montre ses dents acérées, des rougets, et sur le devant deux anguilles semblent fuir. Juste au milieu, des maquereaux dont certains ne sont pas complètement inanimés, des récipients en cuivre et une autre anguille encore vivante. À droite, une bassine en faïence blanche ornée de simples motifs bleus, de celles utilisées pour laver la vaisselle et trois gros poissons, suspendus à des crochets parmi lesquels un dentex qui, appuyé sur la bassine retournée, concourt à une réelle mise en scène. La composition révèle le goût affirmé de l’artiste pour les ombres, celles naturelles comme celles volontairement créées. La bassine devient, de fait, un artifice permettant de souligner l’ombre courbe et insolite du poisson qui vient s’y reposer, une idée étonnante dont l’effet est saisissant. Les sujets sont exposés à l’avant-scène, comme sur le célèbre tableau avec la grande langouste en quête d’une plage (cat. no 2). Ici aussi, les tons sont bruns, les couleurs rares et peu contrastées, la matière subtile. La composition est « actualisée », car le peintre ne décrit

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pas seulement les éléments disposés là mais tient à transcrire ce qui s’y passe. C’est cette même situation qui est choisie dans la description de la langouste, seule survivante parmi d’autres poissons, témoignage d’une culture caravagesque encore effective à Naples dans les années 1640. L’apparition d’un dindon vivant, qui vient déranger la quiétude des objets disposés sur la table (collection particulière, ex-collection bolonaise), constitue un nouvel exemple de la volonté d’animer la scène. Dans cet autre tableau (cat. no 4), l’artiste met en valeur les dimensions inhabituelles d’une huître, placée au centre avec sa valve nacrée ouverte comme un écrin, afin d’attirer le regard du spectateur sur l’aspect exceptionnel de cette découverte. Il ne serait pas très correct, du point de vue critique, de ne pas noter que la toile très particulière avec la langouste en mouvement et notre tableau ne reflètent pas une continuité claire avec les œuvres parfaitement signées et datées, et qu’ils laissent donc place à la discussion. En effet, le passage d’un premier système de représentation d’une image à un autre système ne peut être défini seulement à partir d’un ensemble de signes, et sans nécessairement inclure le premier. Le nouveau système ne complète pas l’ancien. giuseppe de vito





Giovan Battista Recco 4. Panier d’huîtres, coquilles Saint-Jacques, oursins

et couteaux sur un entablement de pierre huile sur toile. 42 × 70 cm suisse, collection particulire

bibliographie. Klemm, dans Aarau-Wuppertal-Dresde-VienneLausanne, 1996-1997, p. 14-15. expositions. Aarau-WuppertalDresde-Vienne-Lausanne, 1996-1997, p. 14-15.

Le tableau a fait son entrée dans le catalogue de l’artiste avec sa publication par Klemm (1996-1997), qui s’appuie sur l’avis favorable de Bergström observant, quant à lui, la « puissance » de la composition. Le plateau, bien stable sur un bloc de pierre taillée faisant office de table, à peine touché par un doux rayon de lumière que l’on imagine vespérale, se détache du fond sombre. De cet artifice de composition, notons sa similitude de mise en page avec le tableau représentant Une langouste, une araignée de mer, une coupe avec des crabes, une tortue et ses œufs (cat. no 2). Au moyen des blancs nacrés qui sertissent les fruits de mer l’artiste met l’accent sur les effets mouillés. Les algues elles-mêmes, à l’extérieur du motif principal, n’échappent pas à ces effets scintillants de blanc et viennent animer et éclairer de leurs subtils reflets le plan horizontal qui supporte ce panier hérissé

Fig. 1 — Giovan Battista Recco, Poissons et plateau d’huîtres, Stockholm, Nationalmuseum.

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de couteaux. L’œil se délecte de ces huîtres, de ces coquilles Saint-Jacques et de ces oursins ouverts, prêts à être dégustés. C’est une gourmandise à portée de main que nous offre le peintre, traduite en des tonalités qui tiennent compte des transparences aquatiques, passant du gris et des bruns aux rouges-orangés des oursins. Le thème est familier à l’art de Giovan Battista Recco comme le démontrent à la fois le tableau du musée de Stockholm, monogrammé « .GBR. » et daté « 1653 » (fig. 1), et celui signé « G.B. Recco » du musée des Beaux-Arts de Besançon. Tous deux présentent entre autres motifs, dans la partie gauche, un panier de fruits de mer variés sur un entablement. Si l’on en croit Di Carpegna, un autre panier de fruits de mer, dont on peut signaler qu’il reprend presque exactement celui décrit dans le tableau de Stockholm, se trouvait à la date de sa publication dans une collection particulière romaine (1961, p. 123, 125, fig. 3 ; voir aussi De Logu, 1962, p. 135, 193). De Logu le dit signé en toutes lettres et daté « 1654 », affirmation que nous devons croire sur parole à défaut de pouvoir la vérifier. Cependant, l’artiste montre ici sa capacité à se renouveler à l’intérieur d’un même motif en y ajoutant une note mélancolique, principalement transcrite au moyen de la lumière. Une nouvelle fois, on reste stupéfait par cette acuité à transcrire un sujet unique et dépouillé, choix qui vient à l’encontre d’une démonstration bruyante comme peut l’être le tableau de Besançon, sans perdre pour autant cette belle efficacité vériste qui le caractérise. Pour cette raison, il est possible d’envisager une datation autour des années 1650, non loin des exemples datés que nous avons précédemment cités. vronique damian


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Giovan Battista Recco 5. Poissons, langouste, calamars et araignée de mer

sur un entablement de pierre huile sur toile. 102 × 128,5 cm sign, dat sur le support de bois, en haut  droite : « io. batta recco / 1653 » collection particulire

bibliographie. Bottari, 1961, p. 354, fig. 157a ; De Logu, 1962, p. 135 ; Causa, dans Naples-ZurichRotterdam, 1964-1965, p. 49, no 74, fig. 32a ; Causa, 1972, p. 1013-1014, fig. 388 ; Rosci, 1977, p. 104, 209 ; Middione, dans Londres-Washington, 1982, p. 219 ; Middione, dans Paris, 1983, p. 250-251 ; Ruotolo, dans Turin, 1983, p. 128 ; Salerno, 1984, p. 114 ; Spinosa, 1984a, pl. 608 ; Middione, dans Naples, 1984-1985, p. 170, 388 sous le no 2.182 ; Middione, 1989a, p. 890, fig. 1070 ; Daprà, dans Strasbourg-Bordeaux, 1994, p. 136 ; Cherry, 1999, p. 234-235, fig. 168 ; De Vito, 2000, p. 26-27, fig. VIII-IX ; Middione, dans Munich, 2002-2003, p. 474 ; Middione, dans Florence, 2003, p. 492. expositions. Naples-ZurichRotterdam, 1964-1965, p. 49, no 74, fig. 32a.

Signée et datée 1653 sur le support de bois, en haut à droite, cette magistrale composition (ex-collection Mendola de Catane) constitue un point d’encrage sûr autour duquel, depuis 1961, la critique tente de mettre sur pied le corpus de l’artiste, jusqu’alors inexistant. La présence, précieuse bien qu’abrégée, des deux prénoms « Gio. Batta » ne laisse aucune confusion possible avec un autre membre de la famille Recco ; Giuseppe avait dix-neuf ans au moment où ce chef-d’œuvre voit le jour. Mais bien plus, cette date vient témoigner de l’aboutissement du style de l’artiste au tournant du siècle, et atteste de la forte charge expressive que le genre de la nature morte de poissons avait atteint sur la scène artistique napolitaine. La description du motif des poissons et, d’une manière générale, de la faune marine, s’est définitivement affranchie de la référence aux planches scientifiques aquarellées telles que les a conçues Jacopo Ligozzi (1547-1627) à Florence, pour répondre

Fig. 1 — Giovan Battista Recco, Poissons de mer et huîtres orientales, Besançon, musée des Beaux-Arts.

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aux intérêts naturalistes de Francesco I de’Medici, ou comme le démontre encore dans l’exposition une des premières natures mortes de poissons de l’école napolitaine représentant Un mulet, un chapon, une vive, deux coquillages et un médaillon (cat. no  8). Ici, la vision linéaire et statique a fait place à une mise en scène animée et variée, exploitant les formes et les couleurs des différentes espèces exposées, où la lumière joue un rôle fondamental de mise en évidence, de magnificence, ne touchant que les seuls poissons et laissant le fond sombre servir de faire-valoir aux reflets des peaux visqueuses et des écailles brillantes. Par le jeu des entablements à différents niveaux, du crochet et des cordes suspendues à un support de bois fixé dans un mur venu inopinément fermer la composition sur la droite, prétextes à occuper tout l’espace du tableau, l’artiste réussit ce tour de force de bannir la monotonie pour le plus grand ravissement de l’œil qui s’accapare peu à peu cette savante accumulation. Aucun poisson ne se répète et chacun, avec sa forme spécifique, vient à point nommé épouser le bord d’un récipient en cuivre, raccorder des différences de niveaux entre les plans, ou occuper un espace vide en faisant miroiter la pénombre de ses reflets argentés. Les forts accents naturalistes projettent encore des ombres portées très marquées, en particulier sur le rebord de l’entablement au premier plan et sur le mur de droite. Giovan Battista Recco ose s’exprimer dans ce registre si pointu de la seule nature morte de poissons, en un format confortable, minutieusement composé, où les tonalités bleu-gris qui affleurent à la surface des poissons sont réchauffées uniquement par les bruns du récipient en cuivre et du panier en vannerie à larges bandes. C’est dans un format encore plus ambitieux – vertical cette fois-ci – qu’il composera un autre de ses chefs-d’œuvre, lui aussi signé et toujours sur ce même thème, en une scène moins dramatique et plus baroque d’esprit (Besançon, musée des Beaux-Arts ; fig. 1), associant aux habituels étalages de poissons et de fruits de mer, un fond clair de paysage maritime, très novateur, venant ainsi se démarquer de ses précédentes inventions, toutes sur fond sombre. Cette superbe exposition de poissons et de crustacés, par son ambition, apparaît comme une véritable pierre angulaire de l’œuvre de l’artiste pour lequel nous font malheureusement cruellement défaut les tableaux documentés au-delà des années 1650. vronique damian





Giovan Battista Recco 6. Intérieur de cuisine uile sur toile. 147 × 195 cm h monogramm « g.b.r. », sur le bord de lassiette place  gauche crmone, collection particulire

bibliographie. Di Carpegna, 1961, p. 123-124, fig. 2 ; De Logu, 1962, p. 135-136, fig. 83 ; Causa, dans Naples-Zurich-Rotterdam, 1964-1965, p. 49, no 76, fig. 32a ; Causa, 1972, p. 1012-1014, fig. 386 ; Rosci, 1977, p. 104, 209 ; Middione, dans LondresWashington, 1982, p. 219 ; Middione, dans Paris, 1983, p. 251 ; Ruotolo, dans Turin, 1983, p. 128 ; Spinosa, 1984a, fig. 603 ; Salerno, 1984, p. 222-223, fig. 53.3 (comme G.B. Ruoppolo) ; Middione, dans Naples, 1984-1985, p. 170 ; Middione, 1989a, p. 890 ; Guttilla, dans Palerme, 1990, p. 134, sous le no 18 ; Jordan, dans Londres, 1995, p. 87, 91, fig. 65 (comme G.B. Ruoppolo) ; Middione, dans Munich, 2002-2003, p. 474 ; Paliaga, dans Munich, 2002-2003, p. 393 ; Middione, dans Florence, 2003, p. 492 ; Paliaga, dans Florence, 2003, p. 389. expositions. Naples-ZurichRotterdam, 1964-1965, p. 49, no 76, fig. 32a.

De même que celui de l’ancienne collection Mendola de Catane (cat. no 5), notre tableau, foisonnante description d’un intérieur de cuisine, est publié pour la première fois en 1961 et comme lui, ne sera plus présenté à une exposition après celle de 1964-1965, dédiée à la nature morte italienne. Appartenant alors à la collection Astarita de Naples, localisation sous laquelle il est toujours cité, ce tableau ne cesse de questionner la critique. L’existence d’un monogramme « G.B.R. », bien visible sur le bord de l’assiette blanche posée à même le sol au premier plan, offre la particularité de correspondre au moins à deux artistes spécialistes du genre : Giovan Battista Recco et Giovan Battista Ruoppolo (1629-1693). D’emblée, Di Carpegna l’identifie avec Giovan Battista Recco par confrontation avec la table chargée de victuailles (alors Rome, collection Rappini), signée distinctement de l’artiste et datée 1654. Cette proposition est suivie par Causa (1964, 1972) et d’une manière générale par la critique récente excepté Jordan (1995), qui reprend l’attribution de Salerno (1984) à Giovan Battista Ruoppolo. L’historien napolitain avait justement remarqué un « sentiment poétique » différent de celui de Giovan Battista Recco, tel qu’il apparaît dans l’Intérieur de cuisine (ex-collection bolonaise, aujourd’hui collection particulière) ou dans celui du Rijksmuseum d’Amsterdam. Nous touchons là à « cette énigme de la datation » qu’évoquait Causa à propos des intérieurs de cuisine de Giovan Battista Recco, en aboutissant à des conclusions que nous partageons, en partie seulement. Si, de toute évidence, les deux cuisines que nous venons de citer, encore archaïques dans leur mode de représentation sur un seul plan – celui de la table –, peuvent trouver leur place dans les années 1640-1650,

Fig. 1 — Giovan Battista Recco, Intérieur de cuisine, Palerme, Galleria Regionale della Sicilia.

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il nous semble impossible de tenir cette même datation pour celle-ci. Soulignons la saveur baroque d’un tel amoncellement, fatras hétéroclite et surabondant qui mêle sans hiérarchie et sur plusieurs niveaux : viandes et légumes, récipients en cuivre, poissons et assiette de calamars négligemment posés à terre au premier plan, sans oublier les deux cédrats, rapide évocation d’un parfum de Naples. La presse, signalée au moyen de ces deux grosses vis ainsi que le large couteau dont le manche repose sur le sol, et qui vient de servir à couper une anguille, suggèrent, de manière plus directe, l’intervention humaine. D’autre part, l’assignation de cette œuvre au « mid-seventeenth century » suggérée par Jordan, liée à son attribution à Giovan Battista Ruoppolo, ne nous paraît pas prendre en compte l’âge de cet artiste autour de 1650, soit environ vingt ans. Un tableau aussi abouti, tant dans le projet que dans la forme, peut-il émaner de pinceaux aussi jeunes, et, en d’autres termes, peut-il s’insérer dans la production de ces années-là ? En l’état des connaissances, il est impossible d’être affirmatif sur ces deux points et nous trouvons plus prudent de laisser le tableau à Giovan Battista Recco, entre 1660-1670, datation déjà sous-entendue par Di Carpegna (1961) lorsqu’il en notait les étroites affinités avec des œuvres certaines de Giuseppe Recco, en particulier avec l’Intérieur de cuisine de Vienne, daté de 1675. Et cela malgré le caractère hypothétique de la période tardive de l’artiste dont on ignore la date de disparition et dont aucun tableau sûr n’est connu après 1654. La critique voudrait que dans cette phase extrême, complètement à reconstruire, il ait assimilé les apports nordiques, bien présents à Naples, au point d’influencer ses thématiques. Dans ce désordre étouffant, calculé pour que l’œil s’y perde à loisir, que vient faire le dessin à l’extrême gauche – ultime indice de privilège – représentant une déesse donnant la main à un petit amour (peut-être Vénus et l’Amour) ? Faut-il l’interpréter comme une sorte de clin d’œil raffiné de l’artiste, le plaçant ainsi au milieu de ces denrées pour en faire ressortir d’autant mieux le caractère périssable alors que l’art, au contraire, est là pour observer et pour fixer la beauté de cette prodigalité de la nature, si preste à subvenir aux besoins de l’homme ? Toutes les incertitudes dans l’interprétation du monogramme entraînent dans leurs sillages une autre composition, celle de l’Intérieur de cuisine de la Galleria Regionale de Palerme (sans monogramme) aujourd’hui acceptée, elle aussi, comme une œuvre de Giovan Battista Recco (fig. 1). vronique damian


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Paolo Porpora naples, 1617  rome, 1673 Paolo Porpora est l’une des figures les mieux documentées dans ce panorama de la nature morte napolitaine du xviie siècle où il représente un cas unique. En effet, sa carrière – excepté les dix premières années – se déroule entièrement à Rome. À lui seul, il pourrait illustrer ces échanges « sur l’axe Rome-Naples », deux centres si prolifiques pour l’histoire du genre, et dont la critique récente s’est faite le porte-parole (Laureati – Trezzani, 1989, p. 732-736 ; Bocchi, 2005, p. 337-355 ; et dernièrement Cottino, 2007a, no 683, p. 3-10 ; Cottino, 2007b, p. 74-75). Son ascension romaine fut rapide et bien réelle comme l’atteste dès 1666, à la date de l’inventaire du palazzo dei Santi Apostoli appartenant aux Chigi, la présence de deux de ses œuvres en bonne place auprès de celles de Giovanni Stanchi (1608-ca. 1673) et de deux vases de fleurs de Mario Nuzzi (1603-1673). Cependant, avant de rejoindre Rome sur la fin des années 1640, Paolo eut le temps, à Naples, non seulement de s’y former mais d’avoir pour élève à son tour, si l’on en croit De Dominici, Giovan Battista Ruoppolo, et encore de réaliser des œuvres « maravigliose » [sic] qui firent sa renommée à l’extérieur du royaume de Naples et qui lui doivent d’être appelé dans la Ville éternelle, toujours selon De Dominici, par « non so qual signore romano », dont aujourd’hui encore aucun élément ne permet d’en préciser l’identité. Il est possible d’évaluer la durée de la formation napolitaine grâce, en tout premier lieu, à la publication par ProtaGiurleo (1953, p. 12-13, mais déjà énoncé par Causa, 1951, p. 32, note 2) de son contrat d’apprentissage, en date du 2 novembre 1632, auprès du peintre Giacomo Recco, absent lui aussi, comme Giovan Battista Recco, des Vite de Bernado De Dominici et pour lequel la critique moderne peine encore à construire un corpus. Ce contrat porte la précieuse mention de son âge, quinze ans au moment de sa signature, ce qui donne une date de naissance en 1617, et la mention de sa durée de trois années. Mais comme le fait remarquer Fumagalli (dans De Dominici

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[par Sricchia Santoro – Zezza], vol. II, à paraître), dans les Stati d’anime romains de l’année 1650, on lui donne vingt-huit ans, ce qui laisse sous-entendre une date de naissance en 1622, et si tel était le cas, il aurait été placé chez Giacomo Recco à l’âge de dix ans et non de quinze (Wiedmann, 1986, p. 254). Il est permis de penser qu’il soit sorti de cet atelier en 1635, pour continuer ses études, dans une direction sans doute plus moderne, auprès d’Aniello Falcone (1607-1656), où il est pourtant vite découragé par la difficulté de peindre des figures et des batailles. Il se concentre alors sur « […] les poissons, les huîtres, les escargots, les buccins, et autres coquillages », ainsi que sur « […] les lézards [lucerte (sic)], les pigeons et les choses de cuisine avec beaucoup de vérité », ou encore « […] des espèces d’animaux variés [...] et des fruits […], des agrumes, des poulets, des volatiles et d’autres choses comestibles » dans lesquels il a, au contraire, excellé (De Dominici, 1742-1745, III, p. 80, 293). Dans la Vie de Massimo Stanzione, c’est un peintre très introduit sur la scène artistique napolitaine que présente le biographe, capable de discourir, preuves à l’appui – il était en possession de manuscrits offerts par un peintre ami – avec le noble amateur d’art, Don Angelo Pepe, des origines de la peinture à l’huile en Italie (De Dominici, ibid., p. 61). De ce répertoire détaillé par le biographe, nous déplorons qu’aucune œuvre ne soit venue à ce jour documenter, de façon certaine, la production de la jeunesse, soit une dizaine d’années d’intense activité napolitaine. De Vito (1999) a justement noté qu’il manquait les fleurs dans l’inventaire des motifs peints par l’artiste, domaine dans lequel il s’est plus notamment illustré à Rome comme en témoigne le seul tableau signé, connu actuellement, un grand Bouquet exécuté pour le cardinal Chigi (autrefois à Rome, collection Chigi ; voir Causa, 1951, fig. 21), sans doute pour pouvoir rivaliser avec Mario Nuzzi et les Stanchi (Bocchi, 2005, p. 337-355). Sur la base de ce premier Porpora, peintre de poissons


Fig. 1 — Paolo Porpora, Fleurs et bas-relief sculpté, Valence, musée des

Fig. 2 — Paolo Porpora, Fleurs, fruits et oiseau, Valence, musée des

Beaux-Arts.

Beaux-Arts.

et de coquillages, De Vito a récemment proposé de lui attribuer un certain nombre de tableaux parmi lesquels la superbe composition très épurée et sur un seul plan que nous exposons ici sous le no 8. Causa (1951) avait tout d’abord imaginé un premier style de plus stricte obédience caravagesque, lui attribuant le fameux tableau du Maestro di Palazzo San Gervasio, présenté comme tel par Volpe lors de l’exposition de 1964-1965, mais il le lui retira par la suite (1972, p. 1010-1011) laissant l’énigmatique tableau dans un anonymat qu’il conserve encore aujourd’hui. En tout état de cause, il semble que Porpora soit arrivé à Rome à une date légèrement antérieure à celle de 1650, date à laquelle il est signalé habitant Rome, via Margutta, où résidaient aussi Pietro Del Po et sa famille. Non loin de là, via del Babuino, habitait le sculpteur napolitain, Cosimo Fanzago. Le biographe napolitain, parfois fantaisiste dans ses données sur les artistes, dit pourtant vrai sur la date de sa réception à l’académie de Saint-Luc, en 1656, fait confirmé par les archives de cette même académie, à la date du 25 avril 1656 (Fumagalli, dans De Dominici, [par Sricchia Santoro – Zezza], vol. II, à paraître). Nombre d’autres faits certains sur sa biographie ont été publiés par Ceci (1933, p. 273) et complétés par Spike (New York-Tulsa-Dayton, 1983, p. 83), qui précise notamment qu’il fréquentait déjà l’académie en 1655 avant son admission officielle. Sont encore attestés son mariage en 1654 à Rome avec Anna de Amicis de Palerme, mais surtout son entrée dans la congrégation des Virtuosi du Panthéon en 1666 qui en dit long sur la considération dont il jouissait ; il meurt quelques années plus tard, en 1673, jeune encore. Si le monde mystérieux et souvent cruel des sous-bois semble l’avoir particulièrement intéressé, il fut sans doute vivifié par la présence à Rome des nordiques Matthias Withoos (de 1648 à 1652) et Marseus van Schriek (en 1652 pour ce dernier). L’artiste a fait évoluer ce thème, probablement sous l’impulsion des nouvelles exigences

du collectionnisme romain, comme le démontre, par exemple, le Bouquet de fleurs pour le cardinal Flavio Chigi. Mais, le développement du genre des sous-bois tire ses origines des intérêts scientifiques et naturalistes du moment qui se concrétisèrent dans la naissance de « musées de curiosités naturelles et artificielles ». Bellori (1672) décrit les collections du chevalier Corvini, de Antonio degli Effetti, de Antonio Magnini, de Niccolò Simonelli et surtout celle du cardinal Flavio Chigi, neveu du pape Alessandro VII, qui avait accumulé dans son palais des Quattro Fontane des objets rares et précieux, mais aussi des curiosités naturelles, ces derniers éléments se retrouvant dans les sous-bois de Porpora et de Marseus de sa collection (Laureati – Trezzani, 1989, p. 730-731). Le corpus romain de l’artiste proposé en 1989 par Angela Tecce (1989b, p. 893-899) a comporté quelques ajouts depuis (De Vito, 1999, p. 18-42 ; Bocchi, 2005, p. 337355 ; Cottino, 2007a, p. 74-75). Si, du point de vue de la chronologie, les sous-bois sont situés dans les premières années romaines (Naples, musée Diego Aragona Pignatelli ; Cardiff, National Museum of Wales ; Paris, musée du Louvre), ainsi que le tableau avec des Fleurs, fruits et oiseaux du musée de Capodimonte, l’artiste sait faire évoluer ce thème sous l’influence de l’école romaine. Peu à peu, il le fait cohabiter avec d’ambitieux bouquets de fleurs, posés à même le sol et ouverts sur un fond de paysage, dignes du meilleur baroque romain. Tout en restant attaché à un naturalisme qui privilégie des atmosphères brunes, les couleurs éclatantes et variées des fleurs, les orangés des courges et les nuances transparentes des gouttes d’eau et des coupes de cristal, il donne la mesure de ses talents de naturiste dans les deux pendants de la collection Di Capua de Turin (cat. no 12) et du musée des Beaux-Arts de Valence (fig. 1 et 2). vronique damian

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Paolo Porpora (attribué à) 7. Nature morte de poissons et de crustacés huile sur toile. 101 × 126 cm collection particulire

Des poissons et des crustacés, exposés sur des rochers, sont présentés sur un fond sombre, percé sur la gauche d’une échappée destinée à laisser entrer une lumière, d’origine clairement caravagesque. Au centre de la composition, ordonnée sur des lignes horizontales et verticales, un grand homard au premier plan s’oppose, par la luminosité, à un imposant mulet suspendu, accompagné de deux rascasses. Au second plan sont disposés des huîtres, des coquillages et des oursins, ainsi qu’une dorade sur la droite. La tonalité brune est rehaussée par les touches rouges des antennes du homard, des écailles des rascasses, les piquants des oursins et les tons argentés du mulet et de la daurade. Ce tableau, que l’on peut dater de la fin des années 1640, évoque Paolo Porpora pour le traitement de la carapace du crustacé et les écailles des poissons. Même le lieu choisi, un antre fermé et mystérieux, rappelle les sousbois romantiques baignés de rosée, propres à la période romaine de Porpora, ville où il s’est affirmé principalement comme peintre de fleurs. Là, il exécute aussi des toiles qui associent, au répertoire habituel des fleurs, des grenouilles, des escargots et des petits cailloux mouillés – inspirés de Marseus, de Withoos et de Van Aelst –, des poissons et des coquillages, comme dans le tableau d’une collection particulière représentant des Poissons, reptiles, amphibiens, fleurs, champignons, cailloux, coquillages, escargots et papillons (Bocchi, 2005, p. 351, fig. PP. 12). Les débuts napolitains de Paolo Porpora, après son apprentissage auprès de Giacomo Recco et son passage dans l’atelier de Falcone, ne sont pas encore parfaitement étudiés par la critique. Notre tableau peut être rattaché à un groupe d’œuvres attribuées à l’artiste par De Vito, pour leurs sujets liés aux poissons, et proposé comme point d’ancrage pour les futures expériences de Giovan

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Battista Ruoppolo et des Recco (1999, p. 18-42). Ce dernier a soutenu l’existence d’une phase naturaliste à l’intérieur de cette thématique, due aussi bien à sa formation initiale auprès de Giacomo Recco, mentionné par les sources comme peintre de poissons, qu’à son application « a dipingere pesci, ostriche, lumache, buccine, ed altre conche marine ; […] lasciando di dipingere battaglie si applicò a rappresentare varie sorti di Animali, fece eccellentemente pesci, e le varie frutta, ed altre cose di mare dipingendo ancora frutti, agrumi, pollami, volatili ed altre cose commestibili » (« à peindre des poissons, des huîtres, des escargots, des buccins et autres conques marines ; […] délaissant les batailles, il s’appliqua à représenter toutes sortes d’animaux, peignit excellemment les poissons, et toutes sortes de fruits, et d’autres choses de la mer, peignant encore des fruits, des agrumes, des poulets, des volailles et d’autres choses comestibles »), selon l’indication fournie par De Dominici (1742-1745, III, p. 80, 293). L’œuvre pourrait s’insérer dans la vaste production de natures mortes, attestée dans ces années-là par les nombreuses mentions dans les collections vice-royales et aristocratiques, aussi bien que dans celles de la classe bourgeoise émergente, favorisée par les nouveaux intérêts commerciaux, tous soucieux d’affirmer leur réussite sociale par l’acquisition de biens artistiques. Mais les renseignements apportés par les inventaires ne permettent pas, dans la majeure partie des cas, d’associer les sujets évoqués à des artistes connus, par exemple pour l’activité des peintres de nature morte cités dans les documents d’archives, Ambrosiello Russo, Antonio Mariano ou Carlo Turcopella, pour lesquels aucune œuvre ne nous est parvenue, qu’elle soit signée ou documentée. denise maria pagano


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Paolo Porpora 8. Un mulet, un chapon, une vive, deux coquillages

et un médaillon huile sur toile. 48 × 74 cm collection particulire ₍auparavant paris, galerie canesso₎

bibliographie. Causa, dans Naples-Zurich-Rotterdam, 19641965, p. 52, no 83 bis (non reproduit, comme G.B. Ruoppolo) ; Kiel, 1965, p. 69 (repr. comme G.B. Ruoppolo) ; De Vito, (1999), p. 18-42, fig. XIII (comme P. Porpora) ; Damian, 2006, p. 34-37. expositions. Naples-ZurichRotterdam, 1964-1965, p. 52, no 83 bis (non reproduit, comme G.B. Ruoppolo).

Leone de Castris rappelle en introduction au catalogue – développant un article publié dans la revue de l’université de Naples (2005) – que notre connaissance « des origines et des premiers pas de la nature morte napolitaine » reste très lacunaire et ce, malgré une avancée remarquable dans ce domaine depuis le début des années 1950. Pour les années 1610-1630, les documents sont rares et les points de contact avec les expériences, soit caravagesques – y compris celles provenant de Rome –, soit nordiques, s’ils sont bien réels, restent à définir avec plus de précision. Pourtant, c’est probablement dans ce moment que notre composition a vu le jour comme tend à le prouver un mode de présentation encore archaïque : il s’agit sans nul doute d’une des premières natures mortes de poissons de l’école napolitaine que l’on peut situer autour de 1630-1640. Causa avait présenté le tableau (alors dans la collection Pisani de Naples) à l’exposition sur la nature morte italienne de 1964-1965, sous le nom de Giovan Battista Ruoppolo (1629-1693), par confrontation avec la composition de Poissons, signée, du musée de San Martino à Naples en avançant une datation vers 1653. Plus tard, c’est à De Vito (1999) que l’on doit ce nouveau venu dans le corpus de Paolo Porpora, pour des raisons stylistiques et pour ses résonances avec l’« iperspecializzazione dei pesci » pour laquelle Porpora est considéré comme l’un des précurseurs. Cette spécialisation de l’artiste est bien documentée par De Dominici, qui insiste à nouveau sur ce point dans la Vie de Giovan Battista Ruoppolo en nous assurant qu’il peignait les poissons à la perfection (1742-1745, III, p. 80, 293). Ici, l’on sent encore l’empreinte des planches naturalistes par une solide présentation des sujets-objets, accentuée par le choix d’une narration frontale et linéaire, dans l’esprit de celles du Florentin Jacopo Ligozzi (1547-1627), où chaque poisson est décrit dans toute sa spécificité. Pour les exemples peints antérieurs, on pense à ceux, plus naïfs, du Romain Antonio Tanari, très tôt collectionnés par le cardinal Carlo de’ Medici, et dont un grand tableau de

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poissons arrive à Florence dès 1619 (aujourd’hui Florence, réserves des Galeries ; voir Fumagalli, 1995-1996, p. 5, 67-73 ; 1997, p. 45-55 ; Gregori, 2006). À Naples, l’approche est tout autre car la situation de la ville, en prise directe sur la mer, offre aux artistes un répertoire varié et bien réel sur les étals des échoppes. L’apprentissage à partir de 1632 auprès du peintre de nature morte Giacomo Recco (1603-av. 1653) et plus tard, selon De Dominici, son passage à l’école d’Aniello Falcone (1607-1656), ont déjà sensibilisé Paolo Porpora à ce travail dal vero. Sur un entablement de pierre, trois poissons et deux coquillages sont choisis pour leur diversité formelle et pour l’expressionnisme de leur couleur. De toute évidence, nous sommes en présence d’une nature morte recomposée avec soin : les algues et un lambeau de filet sur le gros coquillage, ainsi que le médaillon rond au second plan semblant figurer un dauphin, viennent enrichir ce thème marin. La présentation sur un fond sombre, encore une expression du naturalisme, accentue les contrastes avec les couleurs vives : au centre le rouge, les bleus, les jaunes, les gris posés à l’état pur et du bout du pinceau, comme autant de perles de couleur qui viennent en surimpression sur une matière fine et soignée. Les gouttes d’eau bleu azur, bien visibles sur le chapon, se joignent à l’effet mouillé du coquillage, suggéré par la brillance de la nacre, et aux reflets argentés des poissons, une des caractéristiques du style de Porpora comme on le constate encore dans le grand étalage de coquillages de la collection Lodi (Campione d’Italia) où encore, de manière plus générique, sur les coquillages qui ne manquent pas d’agrémenter les premiers plans de ses sous-bois. Bien qu’aucune citation d’inventaire et aucune œuvre signée et datée ne soient venues, pour le moment, documenter sa production napolitaine avant son départ pour Rome au tournant du siècle, cette nature morte, unique en son genre, pourrait témoigner de ses débuts et aider à la reconstruction de sa période de formation, avant les grandes compositions plus décoratives de la période romaine. ronique damian


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Paolo Porpora 9. Sous-bois avec champignons, grenouilles, lézards et serpents

Sous-bois avec crabe, papillons, crapauds, coquillages et tortue huile sur toiles. 36 × 64 cm chacune naples, muse diego aragona pignatelli cortes ₍collection intesa sanpaolo₎

bibliographie. Causa, 1951, p. 35 ; Molajoli, 1953, p. 46 ; De Logu, 1962, p. 125 ; Causa, dans Naples-ZurichRotterdam, 1964-1965, p. 44 ; Rosci, 1971, p. 11, no 29 ; Causa, 1972, p. 1010, fig. 381-382 ; Spinosa, 1984a, fig. 551552 ; Salerno, 1984, p. 202, fig. 50.8 ; Tecce, 1984, p. 66-69 ; Tecce, dans Naples, 1984-1985, I, p. 364-368 ; Laureati – Trezzani, 1989, p. 730-731 ; Tecce, dans Naples, 1989, p. 42-45 ; Spinosa –Tecce, 1998, p. 19, 34 ; Pagano, dans Munich, 2002-2003, p. 193 ; Pagano, dans Florence, 2003, p. 198 ; Scarpa, 2004a, p. 122-123 ; Scarpa, dans Phoenix, 2006-2007, p. 126-127. expositions. Naples-ZurichRotterdam, 1964-1965, p. 44 ; Naples, 1984-1985, p. 364-368 ; Naples, 1989, p. 42-45 ; Munich, 2002-2003, p. 193 ; Florence, 2003, p. 198 ; Phoenix, 2006-2007, p. 126-127.

Ces deux tableaux se trouvaient dans les collections de l’ancien Monte di Pietà, mais il n’est pas possible de remonter à une provenance antérieure. L’attribution à Porpora est due à Causa (1951), qui a été suivi par Molajoli (1953), De Logu (1962) et Rosci (1971). Pour de tels sujets, Causa écrit « non si può parlare di vera e propria natura morta, quanto di un divertissement tra pittorico e naturalistico, nel quale gli elementi costitutivi della pittura di genere sono rielaborati in nuove cadenze di suggestione romantica, sempre più dipendenti dalla pittura nordica » (« l’on ne peut pas parler de véritables natures mortes, mais plutôt de divertissement à mi-chemin entre peinture et sciences naturelles, dans lesquels les éléments constitutifs de la peinture de genre sont retravaillés dans un style plus romantique, proche de l’art nordique » ; Causa, dans Naples-Zurich-Rotterdam, 1964-1965, p. 44). Les deux toiles témoignent de la rencontre de Porpora avec les artistes hollandais Otto Marseus van Schrieck et Matthias Withoos. Dans ce genre pictural, ses compositions sont si proches de celles de Marseus que certaines de ses œuvres étaient traditionnellement attribuées au peintre hollandais. Ce dernier, de retour dans ses terres de Waterryck près d’Amsterdam, se consacre à la culture de plantes et à l’élevage d’insectes et de reptiles, qui lui servaient de modèles pour ses tableaux (Grimm, 1977, p. 201). Avant que Porpora ne soit reconnu comme leur véritable auteur, les deux toiles conservées au musée des Beaux-Arts de Quimper étaient attribuées à Marseus (Brejon de Lavergnée – Volle, 1988, p. 261). Réalisés au tout début de son séjour romain, les deux tableaux sont très proches des modèles étrangers. Ils révèlent la même curiosité pour la nature et le monde végétal, une fidélité aussi grande dans la représentation des animaux – escargots, serpents, grenouilles, crapauds –, rendus avec une vie et une richesse d’invention qui engendrent des fantaisies d’un goût préromantique. Formé au naturalisme, l’artiste napolitain est en mesure de dépasser les limites d’illustrateur de Marseus. Il oppose à la lumière froide et cristalline de ce dernier des compositions vivantes, mises en valeur par la couleur et par des clairs-obscurs fortement contrastés, d’ascendance caravagesque. Il recherche une luminosité susceptible de créer des atmosphères intenses et de rendre avec un réalisme sensuel la qualité de la matière, de la peau

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visqueuse des grenouilles à la dureté de la carapace du crabe ou de la tortue, de la fragilité des ailes du papillon au brillant des galets mouillés par le ruisseau. On retrouve cet univers peuplé d’animaux et d’insectes, de champignons et de végétaux minutieusement reproduits dans le Sous-bois avec couleuvre, lézard, tortue et papillons du National Museum of Wales de Cardiff, de la même période que nos deux toiles. Il a des dimensions comparables et sa composition, horizontale, présente aussi une tortue, un crapaud ayant attrapé un papillon, un lézard et un serpent avec la gueule ouverte. La représentation du buisson aux grandes feuilles charnues et le rendu de l’eau claire du ruisseau dans lequel on aperçoit des galets sont, eux aussi, semblables. Cette vision sobre et légèrement inquiétante d’une nature transfigurée en une image fascinante et évocatrice relie encore les deux tableaux à d’autres œuvres : les peintures de la collection Bonello à Malte, de la collection Camillo Guerra à Naples (Tecce, dans Naples, 1984-1985, I, p. 366, no 2.165) et celle conservée au musée des Beaux-Arts de Nancy. Par la suite, Porpora réalise des compositions plus dilatées, accentuant les effets décoratifs : le Sous-bois avec rocher, oiseaux, champignons, fleurs, couleuvres, coquillages et algues, d’une collection privée de Milan (Laureati – Trezzani, 1989, p. 730, fig. 868) et les deux toiles commandées par le cardinal Chigi en 1661, une « marine avec deux tortues de mer, un perroquet et des fleurs » et un « crocodile avec lièvre, tortue, fleurs et deux perroquets », dont l’une des deux appartient encore aux héritiers de la famille. Les œuvres plus tardives et de plus grandes dimensions, comme le Sous-bois avec des cailles, un hibou et une échasse blanche du musée du Louvre, font preuve d’une liberté d’invention inédite, mais il n’est pas si évident d’y voir, comme l’a proposé De Mirimonde (1970, p. 145-154, no 3), une allégorie philosophique et d’identifier les divers éléments représentés à des symboles de l’âme, de la mort, de l’amour, du péché et du salut. Il est en effet difficile de considérer ces peintures de Porpora comme des Vanitas. Tecce suggère que les sens cachés et les symboles sophistiqués de ces thèmes se perdent, justement au moment où les peintres italiens utilisent ces modèles comme répertoire de curiosités et de bizarreries, dans un but exclusivement décoratif. denise maria pagano





Paolo Porpora 10. Des roses cent-feuilles, coquillages, tortues,

serpent et papillon dans un paysage huile sur toile. 73 × 130 cm collection particulire ₍auparavant paris, galerie canesso₎ Des roses cent-feuilles s’épanouissent dans un sous-bois. Au premier plan, près d’une petite mare, que l’on devine plus que l’on ne voit par les jeux de reflets, des coquillages encore humides reçoivent les derniers éclats dorés du soleil. Une tortue terrestre, juchée sur une pierre, fait face à une autre tortue, probablement d’espèce aquatique, également installée sur une petite roche. Un papillon nocturne, posé sur une rose, guette le jour qui s’estompe, tandis qu’un serpent s’élance pour attraper une libellule. Porpora clôt la composition à droite par un pied de soucis, appuyé par la présence d’une tige de jacinthes bleues, réunissant faune, flore et minéraux. Les inventaires romains – ceux Chigi, Ludovisi et Pallavicini (Laureati – Trezzani, 1989, p. 746-753) – mentionnent de Paolo Porpora des compositions similaires vraisemblablement réalisées dès son arrivée à Rome, vers 1650. Là, le peintre découvre le travail d’Otto Marseus Van Schrieck (ca. 1619-1678), documenté dans la Ville éternelle entre 1652 et 1653, et de Matthias Withoos (1627-1703), en Italie de 1648 à 1652. Ces deux influences marquent son goût pour cette peinture à mi-chemin entre la représentation quasi scientifique d’insectes, amphibiens, fleurs et mousses, et la narration picturale proprement dite. Notre artiste se spécialise alors dans ce genre de nature morte, mais ses toiles se démarquent par un rendu très élaboré des effets de lumière, comme le montre notre tableau (Causa, 1951, p. 36). Les rythmes savamment déliés, les cadences crépusculaires et les accents de lumière qui émaillent les motifs

Fig. 1 — Paolo Porpora, Sous-bois avec des cailles, un hibou et une échasse blanche, Paris, musée du Louvre.

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permettent de le rapprocher du Sous-bois avec des cailles, un hibou et une échasse blanche du musée du Louvre (fig. 1) et des Fleurs, fruits et oiseaux du musée de Capodimonte. Ces deux œuvres appartenant à la période de maturité de l’artiste autorisent à dater la nôtre entre 1655 et 1660. Dans la peinture de sous-bois, la représentation de batraciens, serpents, tortues aquatiques et terrestres est prétexte à une allégorie de la vie et de la mort, à l’expression de la finitude. Les belles roses cent-feuilles, évoquées dans la volupté du soir, se protègent des herbivores par leur bagage d’épines. Et si le papillon et la libellule sont menacés par le serpent, celui-ci peut être la proie d’une tortue aquatique. Le regard du peintre, à l’image de celui de l’homme de science, est précis, analytique, mais la cruauté du règne animal et végétal que l’artiste enregistre renvoie aussi, par un jeu de miroir qui n’est pas seulement figuré, à une morale empreinte de mélancolie – et mélancolique est le jour qui décline – pour la destinée humaine. L’homme, comme la rose ou la libellule, est menacé par la mort. Science et imagination s’associent alors de façon « possible », comme dans un cabinet de curiosités, pour suggérer la complexité des rapports entre les êtres. Dans sa construction même, le tableau s’inspire de ces célèbres cabinets : les roses sont des « fleurs de jardins » et non des variétés sauvages poussant spontanément près d’une mare ; les coquillages sont reproduits ici grâce à la volonté imaginative du peintre. Pourtant, tout cela est « vrai » et bien « observé » dans le respect des critères propres à l’analyse scientifique. À Rome, ce genre de tableaux obtient un franc succès. Déjà Bellori rappelle l’importance des « curiosités artificielles et naturelles » chez le cardinal Flavio Chigi, où les planches botaniques et zoologiques sont associées aux curiosités naturelles, aux objets précieux, aux animaux et végétaux pétrifiés ou empaillés auxquels s’ajoutent les tableaux (Laureati – Trezzani, 1989, p. 730-731). Ces thèmes, « Uva e animali, frutta e funghi », sont parfois mentionnés dans quelques inventaires napolitains (Labrot, 1992, p. 548), mais les tableaux de Porpora n’y sont guère nombreux au contraire des œuvres de Giuseppe Recco et Giovan Battista Ruoppolo, fort abondantes. La rareté de cette peinture de sousbois également sous les noms des deux artistes nommés laisse à supposer que cette production était, de fait, une prérogative du collectionnisme romain. claudia salvi


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Paolo Porpora 11. Fleurs dans un vase en terre cuite et fruits huile sur toile. 73 × 100 cm collection particulire ₍auparavant paris, galerie canesso₎

bibliographie. Confalone, dans Madrid-Salamanque, 2005, p. 56-57, no 23. expositions. Madrid-Salamanque, 2005, p. 56-57, no 23.

Si Paolo Porpora est l’auteur de surprenantes compositions florales baroques, très appréciées des grandes familles romaines – « ivi fece cose bellissime », dit De Dominici (1742-1745, III, p. 293) –, la typologie de notre bouquet, assez simple, reste rare chez ce peintre. La juxtaposition inattendue des fleurs délicates avec la roche brute, la disposition du vase décalé vers la droite, ainsi que l’usage d’un fond sombre sont autant d’éléments permettant l’exaltation d’une palette vive en une harmonie insouciante. De telles inventions stylistiques reviennent à Mario Nuzzi, dit Mario dei Fiori, comme la série de dessus-de-porte (cités dans les inventaires du Palacio del Buen Retiro à Madrid) qu’il peignit vraisemblablement dans les années 1640 et aujourd’hui conservée au musée du Prado, au Palacio Pedralbes à Barcelone et à l’ambassade d’Espagne auprès du Saint-Siège. Si cette filiation paraît évidente, l’empreinte la plus sensible est pourtant celle d’Abraham Brueghel (1631-1697), actif à Rome de 1663 à 1675, puis à Naples jusqu’à sa mort. Le vase en terre cuite à godrons, l’aspect pour ainsi dire charnu et ferme des fleurs, leur disposition aléatoire, presque confuse, la virtuosité que met l’artiste dans la réalisation des fruits, la prédilection accordée aux rouges, les touches de lumière voluptueuses, chaque élément s’explique par la connaissance des œuvres romaines du célèbre

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peintre flamand et en particulier de celles exécutées en collaboration avec Guillaume Courtois, datées des années 1670 (Laureati – Trezzani, 1989, p. 793, fig. 932 et 933). Dans notre tableau, le vibrant clair-obscur modèle, ou plutôt suggère la forme des pétales de ce qui semble être une anémone double blanche disposée sous la grande tulipe à droite. Ce mode d’exécution, caractéristique de Porpora, se retrouve avec les pétales effilés des pivoines du Vase décoré avec des putti (Tecce, 1989b, p. 899, fig. 1083), l’artiste y crée une joyeuse alternance de couleurs et de formes que l’on rencontre également ici. Les différents tons de vert maculant les feuilles sont aussi typiques de Porpora, tout comme les roses délicatement frangées et minutieusement décrites, ainsi que les boules de neige penchées sur la gauche. Ces dernières, avec les roses blanches et la grande tulipe argentée, forment une diagonale de lumière qui participe de la force de la composition. Avec ce bouquet, on peut parler de morceau de bravoure de l’artiste, traduisant le devenir du genre, les formulations déjà baroques y côtoient un modèle caravagesque encore très fort, initié par Mario Nuzzi, mais véritablement réalisé par Porpora, rendu célèbre pour sa peinture de fleurs et justement appelé « Paoluccio delli fiori ». claudia salvi


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Paolo Porpora 12. Fleurs, fruits et bas-relief dans un paysage

Fleurs, fruits, champignons, fontaine et oiseaux dans un paysage huile sur toiles. 160 × 190 cm chacune turin, collection vittorio di capua

bibliographie. Tecce, dans Londres-Washington, 1982, p. 205, nos 96-97 ; Tecce, dans Paris, 1983, p. 240, nos 49-50, repr. p. 158, 240 ; Spinosa, 1984a, fig. 554-555 ; Tecce, dans Naples, 1984, p. 367, no 2.166a et b, repr. p. 153 ; Tecce, 1989c, p. 893, 897, fig. no 1079 ; Pagano, dans Munich, 2002-2003, p. 474 ; Pagano, dans Florence, 2003, p. 492 ; Bocchi, 2005, p. 350, 355, note 18 ; Pagano, dans Madrid-Salamanque, 2005, p. 57, sous le no 23. expositions. Turin, 1975, p. 34-35 ; Londres-Washington, 1982-1983, p. 204-205, nos 96-97 ; Paris, 1983, p. 240, nos 49-50, repr. p. 158, 240 ; Turin, 1983, p. 79, fig. 60-61 ; Naples, 1984, p. 367, no 2.166a et b, repr. p. 153.

Apparues en 1975, à la galerie Caretto de Turin, où elles étaient décrites succinctement, ces deux ambitieuses compositions sont venues enrichir le corpus de Paolo Porpora, paternité acceptée de façon unanime jusqu’à aujourd’hui. Le catalogue proposait, sans argumenter, de les situer autour de 1640-1650, datation qui diffère nettement de celle, plus tardive, avancée par la critique plus récente. Toujours comparées aux deux pendants du musée des Beaux-Arts de Valence, identifiés et publiés par Causa (1972, p. 1011), est-il si sûr pour autant qu’elles en partagent une datation aussi tardive, autour de 1660 ? Au vu de nos œuvres, on ne peut s’empêcher d’évoquer les liens – même s’ils sont tenus – qu’elles entretiennent encore avec la fameuse nature morte du maître du Palazzo San Gervasio, qui fut présentée par Volpe à l’exposition de 1964-1965 comme une œuvre de la jeunesse de Porpora, suivant ici Causa (1951), qui lui abandonnera à juste titre cette hypothèse par la suite (1972, p. 1005), en faisant retomber ce mystérieux artiste dans l’anonymat. Les tableaux en ont conservé un vocabulaire varié et abondant, plus particulièrement évident dans la définition des fruits posés à même le sol, sculptés par une lumière naturaliste accentuant les volumes. Cependant, ces éléments sont réinterprétés sur un mode plus joyeux et plus désordonné, où le sol d’un plein air s’est substitué au plan fixe et unique d’une table dans un intérieur. Si ce dernier élément renvoie à l’esprit des sous-bois qui ont fait sa renommée sous l’impulsion de l’école romaine, le pied de roses cent-feuilles a été remplacé par de luxuriants bouquets, et les tortues et les grenouilles, voire les serpents, ont laissé place aux fruits et aux champignons. Les seules présences animales sont celles des oiseaux – deux vanneaux huppés, un étourneau et un martinpêcheur semble-t-il – et des papillons, habituels symboles de l’âme. De la cruauté de ces microcosmes décrits avec finesse et précision, l’artiste a évolué vers l’exubérance que traduisent ces bouquets de fleurs érudits où l’élégance de leurs mises en page ne cherchent pas à échapper

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à la redondance. Les différents plans sont très peu accentués, donnant l’impression de projeter sur le devant ces cascades, en équilibre à peine stable. Aucun fruit ne se répète de l’une à l’autre composition, et les fleurs elles-mêmes sont agencées d’une manière très diverse comme veut nous en convaincre la branche de jasmin. Bien plus, le raisin, échappé d’un panier qui paraît s’être renversé, s’affiche comme un véritable catalogue, un échantillonnage de grappes de couleur et de forme différentes s’écoule d’un troisième niveau, de part et d’autre d’un rocher. Dans leur ensemble, ce sont des fruits qui rappellent la fin de l’été et le début de l’automne : outre les raisins, citons les grenades et les figues éclatées, les champignons, la courge accompagnée de ses larges feuilles et de deux grosses fleurs jaune orangé, les pommes et les nèfles. Avec les citations classiques du bas-relief révélant une ronde de putti et la petite fontaine, dont le rebord de la vasque sert de perchoir à un vanneau huppé, l’artiste enrichit ses thématiques en introduisant des éléments nouveaux. Nous sommes là à un moment charnière qui nous autorise à anticiper la situation de ces deux œuvres dans la décennie 1650-1660, par rapport à celles des tableaux du musée de Valence. De telles compositions trouvent leurs prémices dans des œuvres plus simples et plus parcimonieuses en fleurs et en fruits, comme la Nature morte avec des perroquets (Naples, musée de Capodimonte). Porpora saura les développer vers une exubérance plus baroque, et c’est bien là la virtuosité de l’artiste, celle de privilégier une description du tout ensemble, plutôt que de s’attarder sur une analyse des détails, conception qui doit tant aux Nordiques présents à Rome, d’Abraham Brueghel à Karel von Vogelaer et Franz Werner von Tamm, pour aboutir à cette typologie des grands bouquets posés à même le sol en extérieur, dont celui Chigi, le seul tableau de l’artiste signé retrouvé à ce jour, en reste l’exemple le plus sophistiqué (Salerno, 1984, p. 209, fig. 50.10). vronique damian


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Paolo Cattamara naples ?  avant 1675 Nous avons très peu d’éléments sur la vie de ce peintre. Dans la Nota di artisti napoletani, envoyée à Baldinucci en 1675, Francesco degli Oddi (Baldinucci [par Barocchi], VI, 1975, p. 364) signale un certain « Paoluccio napolitano, di pesci, fiori, frutti et animali », mort à cette date-là. Le nom de Cattamara apparaît pour la première fois de manière explicite dans l’Abecedario pittorico d’Orlandi (1733, p. 357), qui évoque un « Paoluccio Cattamara napolitano, valente in dipingere serpi, uccelli e altri animali, fiori e frutti ». Le corpus et l’identité de ce peintre ont été reconstitués à partir des deux natures mortes de la collection Pallavicini de Rome. En 1959, Zeri (1959, p. 195-196, no 339-340) attribue les deux pendants Chat, serpent et lapins et Renard, tortue et cailles, de la Galleria Pallavicini, à Paolo Porpora. Les deux tableaux avaient été légués par un certain « Signor Mauri ». L’inventaire de 1710 les décrit ainsi : « due quadri in tela […] rappresentano uno due Lepri, un Gatto, una Serpe, fiori, ranocchie l’altro una Volpe, una tartuca, quaglie, fonghi, fiori, opera di Paoluccio Napolitano […] » (« deux tableaux […] qui représentent, l’un, deux lièvres, un chat, un serpent, des fleurs, des grenouilles et l’autre, un renard, une tortue, des cailles, des champignons, des fleurs, œuvre de Paoluccio Napolitano […] »). On perd la trace de

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« Paoluccio Napoletano » dans l’inventaire de 1713 (celui-ci attribuait les tableaux à « Msù Otto », c’est-àdire Otto Marseus van Schrieck), mais il réapparaît dans ceux de 1784 et de 1833. Avant le catalogue de Zeri, les personnalités de Porpora et de Cattamara avaient déjà été confondues dans un essai de Causa (1951, p. 31), mais vingt ans après, il est revenu sur ce sujet pour finalement distinguer les deux artistes (1972, p. 1040-1041, note 49), tous deux cités dans les archives : un « Paoluccio delli fiori » qui serait Paolo Porpora et un « Paoluccio napoletano » qui serait, justement, Cattamara. À cette occasion, il attribue à ce dernier les deux tableaux de la Galleria Pallavicini qui diffèrent en effet des œuvres sur des thèmes semblables réalisées par Paolo Porpora. On ignore si les relations entretenues entre les deux artistes étaient celles de maître à élève, et de même, on ne sait pas dans quelle zone géographique travaillait Cattamara. En revanche, l’artiste était apprécié à Naples puisque ses œuvres se retrouvent dans les collections du marquis del Carpio, vice-roi de Naples (Burke – Cherry, 1997, I, p. 163-164). Il faut noter que celui-ci avait acquis, outre les rares sous-bois de Cattamara, des tableaux de Pasqualino Rossi et d’autres artistes peu connus, donnant l’impulsion à une politique de mécénat courageuse visant à promouvoir les nouveaux talents (Anselmi, 2007, p. 86-87). claudia salvi


Fig. 1 — Paolo Cattamara, Sous-bois avec tortues et papillons, détail, collection particulière (auparavant Paris, Galerie Canesso).

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Paolo Cattamara 13. Sous-bois avec tortues et papillons huile sur toile. 35 × 42,5 cm collection particulire ₍auparavant paris, galerie canesso₎

bibliographie. Confalone, dans Madrid-Salamanque, 2005, p. 58-59, no 24. expositions. Madrid-Salamanque, 2005, p. 58-59, no 24.

Sur ce tableau représentatif de Paolo Cattamara, le peintre a imaginé cette petite scène comme un instantané : dans un paysage sombre, agrémenté, sur la droite, par des tiges de linaires aux délicates fleurs blanches, deux tortues terrestres se rapprochent d’un point d’eau, alors que deux papillons sont surpris en plein vol. Le buisson obscur qui fait ressortir les animaux et l’arbuste, l’échange entre les reptiles et les insectes évoquent la vie secrète du sous-bois. Les tons feutrés, le ciel serein, à peine voilé par des nuages cotonneux, réapparaissent dans d’autres compositions. L’univers des sous-bois de Cattamara paraît moins réaliste que celui de Porpora avec des teintes plus douces, un ensemble plus homogène, des scènes dans lesquelles batraciens, papillons et fleurs sont comme surpris dans une atmosphère de recueillement. Le peintre,

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du moins ici, n’insiste pas outre mesure sur les rapports sans concession du monde animal et prend plaisir à décrire les jeux amoureux des deux papillons, la sérénité des deux tortues un peu dans l’expectative. Le fait que les sources le citent sous le nom de « Paoluccio napoletano » nous amène à penser que l’artiste est napolitain. Mais il semble avoir été influencé, plus que Paolo Porpora, dans les thèmes choisis et surtout dans son style adouci, par les tableaux plus anciens d’Otto Marseus van Schrieck, comme ceux conservés à Florence (Galleria Palatina), situés dans les années 1660. Ce n’est sans doute pas un hasard si les pendants de la Galleria Pallavicini de Rome, seuls tableaux documentés de Cattamara, sont cités dans l’inventaire de 1713 comme des œuvres de « Msù Otto », c’est-à-dire, justement, Otto Marseus van Schrieck. claudia salvi





Giovanni Quinsa actif  naples vers 1640

Ignoré par les sources, le nom de ce peintre figure pourtant sur deux natures mortes : celle avec une Coupe de figues, fiasques, pains et serviette, (fig.1) signée et datée « Gio. Quinsa Spa. gF.1641 », apparue à une vente en 1972 où elle était présentée par Volpe (Finarte, Milan, 20 avril 1972, no 133), et celle avec des Pêches, poires, prunes et tranches de pastèque sur un plat en étain, signée et datée (Galleria Paolo Brisigotti, dans Rome, 1991, p. 14-15). D’après la signature du premier tableau, on constate que le peintre était espagnol mais le fait qu’il italianise son nom tend à prouver qu’il travaillait en Italie. Volpe a relié cette œuvre tant à la culture espagnole de Blas Ledesma qu’à celle de Luca Forte. Causa (1972, p. 1002) a souligné que Quinsa aborde ici des thèmes – le saucisson, la serviette pliée, la boule de pain – développés plus tard par Giovan Battista et Giuseppe Recco. Et, en effet, le tableau du Rijksmuseum d’Amsterdam un Intérieur de cuisine avec des poulets et des œufs, attribué à Giovan Battista Recco par Bottari en 1961 (voir en dernier Aikema, 1997, p. 127, no 142, fig. 2), ainsi que le tableau de Capodimonte, toujours de Giovan Battista, représentant une Nature morte avec tête de bouc, semblent influencés par Giovanni Quinsa, y compris du point de vue stylistique. La Nature morte avec cédrats, saucisses et boule de pain attribuée à Giovan Battista Recco par Bottari en 1961 (Bologna, dans Bergame, 1968, pl. 42) pourrait bien être de Giovanni Quinsa (Causa, 1972, p. 1036, note 19). Son ascendant sur certaines œuvres de Giuseppe Recco – la Nature morte avec glacière, monogrammée « G.R. », de la collection Molinari Pradelli, et la Nature morte avec serviette, boules de pains, gâteau, glacière et plateau avec verre, de la même période apparue à une vente Finarte (Milan, 6 mai 1971, no 109, comme Giuseppe Ruoppolo) – suggère que Quinsa a bien évolué dans le milieu napolitain.

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En revanche, le Garde-manger de la collection Baratti et celui d’une collection particulière de Naples, attribués à Quinsa par Tecce (1989b, p. 887, no 1063-1064), par Causa (1972, p. 1002) et par Spinosa (1984, p. 586-588), sont un peu différents de la nature morte signée, mise en vente par Finarte, ce qui a conduit Bologna à rendre, sans doute avec raison, l’un de ces deux tableaux à un anonyme espagnol (Bologna, dans Bergame, 1985, p. 208). Volpe a proposé d’autre part en 1964-1965 d’attribuer la Nature morte de fruits et de fleurs à un « anonyme caravagesque actif à Naples vers 1630 » (Naples-ZurichRotterdam, 1964-1965, p. 35, no 39, fig. 16a), mais le dit tableau correspond bien à l’univers de Quinsa et son style est proche de celui vendu chez Finarte ainsi que de la Nature morte avec pigeons et vase de fleurs d’une collection particulière napolitaine (Tecce, 1989b, p. 887, no 1063). Si la présence et l’activité de Giovanni Quinsa, à Naples, à une époque qui effleure celle dominée par Luca Forte, ne font pas de doutes, l’histoire de la nature morte napolitaine entre 1610 et 1630 reste encore à reconstruire, en raison du manque de tableaux correspondant à des noms d’artistes pionniers qui nous sont parvenus et pour lesquels des documents commencent à émerger (Leone de Castris, 2005, p. 74-85). Un nouvel éclairage pourrait être apporté sur cette question par la surprenante nature morte de Gallipoli (cat. no 1), probablement réalisée à cette époque, que Leone de Castris définit comme « un début remarquable et d’autorité » de la nature morte napolitaine. Et « les garde-manger et les légumes de Giacomo Coppola » cités dans les documents – puisque celle de Gallipoli est la seule nature morte autonome de Coppola connue – auraient influencé le « meilleur Quinsa, et surtout le premier Titta Recco », une opinion que l’on ne peut que partager. claudia salvi


Fig. 1 — Giovanni Quinsa, Nature morte avec coupe de figues, fiasque, pains et serviette, localisation inconnue.

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Giovanni Quinsa 14. Vase en argent et œillets, cédrats et plateau de pêches huile sur toile. 58,1 × 105,5 cm paris, galerie canesso

bibliographie. Causa, 1972, p. 1002, note 19 ; Spinosa, 1984a, fig. 587 ; Salerno, 1984, p. 417 ; Sestieri, dans Rome, 1989, p. 80, no 45 ; Tecce, 1989b, p. 886, no 1062.

Apparu en 1972, à une vente Finarte (Milan, 20 avril 1972, no 133), ce tableau accompagnait une autre nature morte avec Coupe de figues, fiasques, pains et serviette, signée et datée « Gio. Quinsa Spa. gF.1641 ». De dimensions identiques, les deux œuvres sont considérées par la critique comme une paire. Bien que notre toile ne soit pas signée, il s’agit incontestablement d’une œuvre importante de Giovanni Quinsa. Peu de tableaux de ce peintre, dont le nom n’est pas cité par les sources, nous sont parvenus. C’est pourtant un artiste essentiel pour comprendre les développements que Giovan Battista et Giuseppe Recco donneront de ses trouvailles. Causa en avait précisé le profil en le plaçant entre « Verrochius » et Luca Forte, même s’il lui a attribué une Nature morte avec panier de prunes rendue par la suite au Verrocchi romain (Causa, 1972, p. 1036, note 19). Mais il a le mérite d’avoir souligné l’importance des échanges entre Rome et Naples, sur lesquels s’attarde aussi Leone de Castris dans son essai sur les origines de la nature morte napolitaine (2005). Ce dernier rappelle la présence à Naples d’Angelo Caroselli et de Bartolomeo Cavarozzi et suggère que Quinsa a pu être influencé par des œuvres antérieures à celles de Luca Forte, comme la nature morte de Gallipoli, qu’il attribue à Giacomo Coppola (cat. no 1). Quinsa propose un véritable « inventaire » d’objets : le vase ciselé rempli de fleurs précieuses comme l’étaient les œillets à cette époque, les pêches et les poires miniatures,

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la branche de cédrats, qui semblent peints à une échelle différente par rapport aux autres éléments mais avec autant de soin dans les détails. Les fleurs, les cédrats à des stades variés de leur maturation – comme une évocation des âges de la vie –, sont décrits avec la précision scientifique d’un botaniste en accord avec les débuts de la nature morte, surtout à Naples, autant d’éléments qui ne peuvent s’expliquer que par des contacts avec Filippo de Llaño, peintre d’origine espagnole, et plus connu sous le nom de Filippo Napoletano. De nouveaux documents le disent en effet actif à Naples entre 1610 et 1614, probablement dans l’atelier de Carlo Sellitto, lui aussi auteur de natures mortes (dans Naples, 1977, p. 88-92 ; Nappi, 1992, p. 51). Un inventaire napolitain assez ancien comme celui de Ferrante Spinelli (1654-1655) mentionne des tableaux de Filippo Napoletano avec des fruits et des animaux (Labrot, 1992, p. 98), qui devaient être proches des Cédrats du Musée botanique de Florence. Aux débuts de la nature morte, l’observation de la nature s’appuyait sur l’esprit scientifique (Chiarini, 1977, p. 354356 ; 1985, p. 225-226 ; Gregori, dans Florence, 1986-1987, p. 39 ; Chiarini, dans Florence, 1986-1987, p. 198-199 ; Gregori, 1989, p. 513-514 ; Fumagalli, 1989, p 529-531 ; De Vito, 1990, p. 115-158). Le même esprit scientifique anime le tableau exposé ici et en fait un document d’une importance exceptionnelle pour les premiers temps de la nature morte napolitaine. claudia salvi


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Luca Forte naples, ca. 1605  ca. 1660 Luca Forte est une personnalité fondamentale pour la diffusion à Naples de la nature morte d’empreinte naturaliste et caravagesque. Sa biographie s’est progressivement établie autour de quelques données historiques et documentaires, sur ses œuvres signées, monogrammées, et à de rares occasions, datées ou pour lesquelles il est possible d’avancer une datation, ainsi que d’après des considérations stylistiques. Dans son ouvrage Vite de’ pittori, scultori ed architetti napoletani (1742-1745, III, p. 293-294), De Dominici parle de Luca Forte, dans la Vie consacrée au plus célèbre Paolo Porpora en des termes peu flatteurs : « [...] sebbene al suo tempo fu tenuto eccellente in tal genere di lavoro, ad ogni modo era povero di invenzione, e di componimento ; perciocchè veggonsi le sue pitture che non hanno troppo avanti, e indietro » (« [...] bien qu’il fût considéré à son époque comme excellent, il était dénué d’invention dans ses compositions ; c’est pourquoi ses tableaux n’ont pas assez d’avant ni d’arrière »). On peut déduire de cette comparaison que Forte devait être plus âgé que Porpora, né à Naples en 1617, bien que son style apparaisse, aux yeux du biographe du xviiie siècle, beaucoup plus archaïque en comparaison des œuvres luxuriantes et prébaroques de son aîné. Le concept « d’avant et d’arrière » a justement été le point d’ancrage pour la compréhension de son évolution stylistique et chronologique. Luca Forte serait passé d’une définition de l’espace sans perspective, c’est-àdire de compositions bidimensionnelles, à une articulation spatiale fondée sur une plus grande complexité de plans aussi bien horizontaux, pour la profondeur de champ, que verticaux, en privilégiant une construction pyramidale, « hiérarchique » des images. Un document cite Forte comme témoin, en 1639, au mariage d’Aniello Falcone, né en 1607 (Prota-Giurleo, 1951, p. 26). Cela tend à prouver – comme c’était la coutume pour les témoins – qu’il devait avoir le même

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âge, ou quelques années de plus, que le marié. Lors de la signature d’un acte notarié en 1631 (Pacelli, 1984, p. 95), il apparaît comme témoin de Filippo Vitale, confirmant à nouveau que sa date de naissance doit se situer autour de 1605, ou peu avant. Une inscription dédicatoire – sur la Nature morte de fruits avec oiseaux, monogrammée, du Ringling Museum of Art de Sarasota – à Don Giuseppe Carafa, dont la mort, survenue en 1647, marque le terme ante quem de l’exécution de ce tableau (Gilbert, dans Sarasota, 1961, no 38), et la correspondance, au cours de la décennie 1640-1650, avec Antonio Ruffo, le collectionneur de Messine (Ruffo, 1916, p. 21-64), compte tenu de l’importance des paiements mentionnés, démontrent la réelle notoriété de l’artiste. Cela est encore confirmé par la présence de nombreuses natures mortes réalisées seul ou en collaboration avec Aniello Falcone (Mormone, 1962, p. 222-226 ; Ruotolo, 1982, p. 7 ; Labrot, 1992) dans plusieurs autres collections napolitaines, de celle de Ferrante Spinelli, prince de Tarsia, à celle du marchand Gaspare Roomer. Dans les années 1640, deux tableaux de Forte sont attestés dans une importante collection de Madrid, celle de Juan Alfonso Enríquez de Cabrera, vice-roi de Naples de 1644 à 1646 (dans Forth Worth-Tolède, 1985, p. 231 ; Gregori, 1994-1995, p. 178), témoignant à nouveau du prestige dont jouissait le peintre à ce moment-là. Il assiste en mai 1653 à un événement miraculeux qui se serait produit au Gesù Nuovo de Naples (De Maio, 1983, p. 253-256). Pour finir, une note de 1675 (Ceci, 1899, p. 163-168 ; Baldinucci, [par Barocchi], 1975, VI, p. 367) signale l’artiste comme décédé à cette date, mais peut-être a-t-il déjà disparu lors de la peste de 1656, ou peu après. La datation de ses œuvres signées et monogrammées – ainsi que celles qui lui ont été attribuées ces dernières années, à la suite des travaux de Mina Gregori (1996) et Giuseppe De Vito (1990 et 2000) – permet de définir


Fig. 1 — Luca Forte, Nature morte de fruits devant un mur ébréché, Marano di Castenaso, collection Molinari Pradelli.

son évolution stylistique. Les premiers tableaux, de stricte obédience caravagesque, sont situés entre 1620 et 1640, alors que ceux de la maturité entre 1640 et 1660 révèlent une conception de l’espace et une composition plus articulée, ainsi qu’une utilisation de la couleur plus nette et plus variée. Il y a quelques années, la Nature morte avec une tubéreuse, de la Galleria Corsini, a été rejetée du catalogue de Forte et attribuée à Filippo Napoletano (De Vito, 1990, p. 115159 ; Guarino, dans Rome, 1995, no 56), pourtant certains historiens la placent toujours dans la jeunesse de l’artiste non seulement à cause du monogramme inséré dans les sarments de vigne, mais aussi parce qu’elle était censée représenter sa première période, du fait de son étroite consonance avec les résultats de la peinture caravagesque. Quoi qu’il en soit, le début de l’activité de Forte peut se situer vers 1625 (Spinosa, 1989b, p. 852-871 ; Tecce, 1989a, p 872-879), avec des œuvres comme les deux petits octogones – Nature morte de cerises, fraises et autres fruits et Nature morte de pommes et de poires du Museo Duca di Martina et la Nature morte avec un vase de fleurs, fruits et cédrats, d’une collection particulière de Naples (cat. no 16), attribuée à la première manière du peintre pour sa ferme définition des volumes et leur fort naturalisme (Bologna, 1983-1984, p. 207). Il faut ajouter la Nature morte de fruits divers, signée in extenso et publiée par De Vito (1990, p. 121, pl. IV, V et fig. 5, 26-28 ; 2001, p. 18 et pl. II). Mais sa première période pourrait être encore plus précoce que les dates mentionnées plus haut, comme tendent à le prouver les deux Natures mortes de fruits du musée de Pontevedra, en Espagne, publiées par Leone de Castris (2005, p. 83). Celui-ci les considère comme un point de départ de la nature morte napolitaine en accord avec les résultats de la peinture caravagesque romaine. La Nature morte de fruits et de fleurs, signée in extenso, et la Nature morte de fruits devant un mur ébréché, toutes

deux de la collection Molinari Pradelli (fig. 1), ainsi que le tableau déjà cité de Sarasota, ont certainement été réalisés pendant la période centrale de l’activité du peintre. À ces œuvres de la maturité, on peut rattacher la Nature morte de grenades, raisins, figues, pommes et fleurs, acquise en 1999 par le musée de Capodimonte, les Guirlandes de fruits de la Pinacoteca Provinciale de Bologne et d’une collection particulière (Gregori, 1994-1995, p. 176). Une œuvre jusqu’ici inédite – publiée récemment par Cottino (2007a, p. 4, pl. 1, 2), signée in extenso avec une inscription similaire à celle du tableau de Sarasota – permet de situer ces deux Guirlandes de fruits après la première période de Forte, pour leurs effets de lumière et la définition volumétrique des objets. La même mise en scène naturaliste s’exprime dans les deux Vases de fleurs (auparavant Londres, collection Cyril Humphris) et les deux pendants Iris, lis et tulipes (De Vito, 2006a, fig. 3 et 4), véritables planches de botanique, datant de ces mêmes années. Luca Forte a obtenu des résultats exceptionnels au cours de cette période en peignant la Nature morte avec citrons, cédrats et paysage, ainsi que la Nature morte avec fruits secs, fleurs sur fond de paysage, de la collection Piero Cei de Florence (cat. no 17). Cette chronologie semble confirmée par un Vase de fleurs redécouvert par De Vito (2006a, p. 11 et 17, pl. IV, V), daté de 1649, avec un monogramme peu lisible, qui marque l’ouverture du peintre vers de nouvelles solutions aux motifs ornementaux raffinés. angela tecce

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Luca Forte 15. Vase en verre avec lis, œillets et marguerites

Vase en bronze avec fleurs huile sur toiles. 55,5 × 36,5 cm chacune collection particulire ₍auparavant paris, galerie canesso₎ Jusqu’aux études récentes de De Vito (1989 et 1990), la critique a toujours attribué les tableaux de « natura in posa » de facture napolitaine et représentant des vases avec des fleurs, situés entre la fin des années 1620 et le début des années 1630, à Giacomo Recco qui, selon De Dominici, est le père du plus célèbre, Giuseppe. Mentionné par les sources en compagnie d’Ambrosiello Faro, Mariano et Forte, comme peintre « de fleurs, de fruits, de poissons et autres » (Ceci, 1899, p. 163 et suiv.), Giacomo Recco a été très longtemps considéré comme l’auteur de certains de ces vases, parmi lesquels, outre ceux auparavant donnés à Giovanni da Udine, il faut encore citer celui de la collection Rivet à Paris, daté de 1626. De telles attributions à Giacomo Recco reposaient uniquement sur le fait que ces vases, le plus souvent « a grottesche », typiques du répertoire du xvie siècle, sont par ailleurs tout à fait étrangers aux tendances naturalistes telles qu’on les rencontre plus tard à Naples. Il conviendrait de les situer plutôt dans le sillage des œuvres de goût maniériste tardif du Flamand Jan Brueghel, séjournant à Naples en 1590. Si l’on écarte Giacomo Recco, reste le problème d’identifier l’auteur d’une partie de ces tableaux de même sujet et présentant la même inclination naturaliste, pour lesquels il faut alors envisager un autre exécutant. C’est précisément le cas de cette paire, décrivant différentes variétés de fleurs. Les deux vases sont en fait posés – ou mieux exposés – sur des entablements de pierre : celui en verre (« bolla di vetro ») par ses reflets rappelle les célèbres précédents caravagesques, alors que celui en bronze avec une anse est décoré de motifs en relief, encore dans le goût du xvie siècle, ce qui lui a valu la paternité à Giacomo Recco. Pourtant, à une analyse plus attentive, non seulement des qualités indubitablement caravagesques du vase en verre, mais aussi du caractère naturaliste des fleurs – en particulier les lis d’un blanc dense et « charnu » et les rouges des pavots qui se dilatent, ploient et perdent leurs feuilles, presque dans un ultime souffle de vie – ces deux bouquets nous évoquent, à la lumière des connaissances récentes, d’autres compositions de Luca Forte, que ce soit des vases seuls ou de simples

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fleurs insérées parmi d’autres éléments (pains, fruits). Non seulement les sources du xviie et du xviiie siècles évoquent Luca Forte comme l’un des premiers peintres de nature morte napolitaine, mais il est également l’auteur de plusieurs tableaux signés et documentés, proches du point de vue pictural des solutions rencontrées dans les tableaux exposés ici. La référence la plus immédiate et la plus évidente est celle de la paire de tableaux Fleurs et fruits, auparavant dans la collection Cyril Humphris à Londres (l’un des deux est signé), et surtout celle des deux Vases avec des fleurs (dans Londres, 1986, p. 40-43 ; Tecce, 1989a, p. 876, fig. 1044), dans lesquels le rendu somptueux et soigné des œillets et des iris, s’apparente aux nôtres. Mais le rapprochement s’avère encore plus juste avec d’autres superbes bouquets, sur des entablements de pierre, avec des oranges, des cédrats et des citrons, des pommes et des poires, des figues et des noix, des grenades et des fraises ou des cerises, des pains et des biscuits (taralli) – rarement sur fond de paysage – rappelant la manière d’Aniello Falcone ou du jeune Micco Spadaro. Nos deux toiles font clairement écho aux compositions d’une « vérité » toute naturelle d’origine caravagesque, ce qui tend à confirmer leur attribution au Luca Forte du début des années 1630 ou même de la fin des années 1620. Cette datation est confortée par la célèbre nature morte conservée à la Galleria Corsini, de Rome (récemment attribuée sans certitude à Filippo Napoletano), ou bien par la nature morte avec un Vase de fleurs, fruits et cédrats d’une collection particulière (cat. no 16), publiée pour la première fois par Bologna (1983-1984), proposant de la situer autour du début des années 1640. Pour les fleurs dans le vase de cristal, nous pouvons encore évoquer la Nature morte de fleurs et fruits, signée, de la collection Molinari Pradelli à Marano di Castenaso (Tecce, dans Naples, 1984-1985, p. 280, no 2.92). Les arguments en faveur de l’attribution à Luca Forte, dont nos deux vases représenteraient une entrée notoire dans le catalogue tôt de l’artiste, nous permettent d’affirmer qu’il fut l’un des véritables protagonistes des premiers temps de la nature morte à Naples. nicola spinosa


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Luca Forte 16. Vase de fleurs, fruits et cédrats huile sur toile. 77 × 127 cm collection particulire

bibliographie. Bologna, 19831984, p. 207, fig. 8, p. 209, fig. 9, p. 210, fig. 10 ; Tecce, dans Naples, 1984-1985, I, p. 278, no 2.90 ; Tecce, 1989a, p. 879, fig. 1047-1048 ; Gregori, 1996, p. 178 ; De Vito, 2000, p. 21-22, ill. III, fig. 1 ; Tecce, dans Munich, 2002-2003, p. 190 ; Tecce, dans Florence, 2003, p. 194 ; De Vito, 2006a, p. 11, 15. expositions. Naples, 1984-1985, I, p. 278, no 2.90 ; Munich, 2002-2003, p. 190 ; Florence, 2003, p. 194.

La composition, articulée sur plusieurs plans, offre un large éventail de fruits disposés en partie sur la gauche, comme dans le cas des grands cédrats, des citrons et du panier de poires et en partie sur la droite, sous un grand vase de fleurs, essentiellement de lis. Entre les deux, le bloc de pierre, dont l’arête est placée au centre du tableau, apporte un élément d’une implacable géométrie, adouci par une légère érosion centrale mais souligné par un éclairage différent de part et d’autre insistant sur les lignes directrices. Un cadrage qui ne doit rien au hasard : les différentes variétés de fruits et de fleurs sont peintes avec un naturalisme efficace et la volonté d’obtenir un effet plastique est évidente, aussi bien dans la définition de chaque objet que dans leur disposition « en avant et en arrière », pour paraphraser ce que le biographe du xviiie siècle De Dominici disait de Forte, mais dans un sens négatif, en lui prêtant une faible capacité dans ce domaine. Une « incapacité » qui semblerait confirmée par deux œuvres, Iris et lis et Tulipes (sans localisation), attribuées à Forte (De Vito, 2006a, p. 11, 15). Les Tulipes présentent la particularité de porter un cartouche avec l’inscription « Florilège », conçues à la manière d’un catalogue de fleuriste. La Nature morte de fruits et de fleurs témoigne, par son organisation, sa construction horizontale et sa juxtaposition précise et symétrique des objets, d’une disposition que le peintre lui-même abandonnera plus tard en faveur de compositions plus libres et plus articulées. Bologna (1983-1984, p. 207) a attribué cette œuvre à Luca Forte, en s’appuyant sur des considérations stylistiques et sur l’identification de la signature formée par les sarments à gauche du vase de fleurs. L’œuvre a, depuis, été unanimement datée de la première période de l’artiste. On n’a aucune trace d’un quelconque séjour de Luca Forte à Rome, mais les assonances avec les recherches qui y étaient conduites dans l’entourage de Giovan

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Battista Crescenzi sont évidentes. Il serait intéressant de découvrir si sa proximité avec des peintres ibériques – comme celle signalée par Gregori (1996, p. 175 et 178) avec Juan Fernandez dit El Labrador, actif à la cour de Madrid – dérive de ses relations avec les Romains ou si elle est due à une connaissance directe des œuvres visibles à Naples, sous domination espagnole. Ce problème se rattache à l’éternelle question de l’absence d’éléments sur les commanditaires, de même que sur la réception des premières natures mortes à Naples. Autour des années 1630 est attestée l’existence d’une sorte d’académie d’études d’après le « naturale » qui réunissait un groupe d’artistes, derrière leur chef de file, Aniello Falcone (De Vito, 1982, p. 8). Il est opportun de rappeler un document publié par Prota-Giurleo (1951, p. 26) dans lequel Luca Forte apparaît comme témoin au mariage d’Aniello Falcone, en 1639. Une réelle collaboration entre les deux hommes est attestée par la présence dans certaines collections napolitaines, comme celles de Spinelli et de Tarsia, de nombreuses natures mortes des deux peintres, et dans l’inventaire Tarsia (Mormone, 1962, p. 222-226) est cité un « quadro di figure e frutti de palmi 5 e 6, mano di Luca Forte et Aniello Falcone ». Les remarques préliminaires sur la qualité de la lumière et des volumes et sur l’articulation de la composition confirment la datation de ce tableau dans la première période de Forte qui, s’il a été le témoin d’Aniello Falcone, né en 1607, devrait être son contemporain, comme c’était l’usage. En conséquence, une datation autour des années 1630 ou mieux, comme le pense Spinosa (Rimini, 1996-1997, p. 23), légèrement antérieure, apparaît – dans le contexte artistique napolitain de ces années-là qui exprime un intérêt renouvelé pour l’étude « dal vero », bien que d’un point de vue plus pictural et classique – non seulement pertinente mais s’accorde avec les études les plus récentes. angela tecce


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Luca Forte 17. Nature morte avec citrons, cédrats sur fond de paysage

Nature morte avec fruits secs, fleurs sur fond de paysage huile sur toiles. 99 × 75 cm chacune florence, collection piero cei

bibliographie. Tecce, dans Naples, 1984-1985, I, p. 282, nos 2.94a, 2.94b ; Tecce, 1989a, p. 877, fig. 1047-1048 ; De Vito, 1990, p. 151-152, fig. 32-33 ; De Vito, 2000, p. 26-27, pl. IV-V ; De Vito, 2006a, p. 11-17, pl. II. expositions. Naples, 1984-1985, I, p. 282, nos 2.94a, 2.94b.

Luca Forte eut un rôle de premier plan dans la diffusion du genre de la nature morte à Naples, à partir des années 1620-1630, comme tendent à le prouver nombre de ses œuvres dans les plus importantes collections napolitaines, entre autre celle des princes de Tarsia. Ainsi que l’a noté De Vito (2006a, p. 17), Celano, dans son guide de la ville [1692], a cité « venti pezzi di Luca Forte che nel dipingere cose naturali non ebbe pari » (« vingt tableaux de Luca Forte, qui n’avait pas d’égal dans la façon de peindre les choses naturelles »). La force des deux compositions et l’ampleur atmosphérique qui entoure les objets représentés apparaissent d’une qualité et d’une beauté extraordinaires. La maîtrise propre à Forte dans le rendu du volume, des couleurs des différentes variétés de fruits, du vase empli de fleurs disposées avec une liberté désordonnée et, surtout, l’introduction de paysages à l’arrière-plan démontrent un moment de grande maturité par rapport à l’organisation de ses premières œuvres sur des plans juxtaposés et symétriques. Nous avions situé les deux pendants – présentés en 1984 dans la section consacrée à la nature morte à l’exposition Civiltà del Seicento a Napoli – dans la période centrale et culminante de l’activité du peintre, entre 1640 et 1650, ce qui a été confirmé par d’autres historiens (Gregori, 1996 ; De Vito, 2000, p. 19 ; 2006a, p. 17). Cette période succède à une phase plus marquée par le naturalisme, à rattacher à cette académie d’études d’après nature (De Vito, 1982, fig. 6-7) qui, vers les années 1630, réunissait à Naples un groupe d’artistes autour d’Aniello Falcone, avec lequel Forte a souvent collaboré. La Nature morte avec fruits et oiseaux monogrammée (Sarasota, Ringling Museum of Art) est l’une des rares œuvres qu’il est possible d’insérer chronologiquement dans le parcours du peintre : l’inscription dédicatoire au noble napolitain don Giuseppe Carafa, mort tragiquement dans l’église de Santa Maria la Nova en 1647, permet d’affirmer qu’elle a été réalisée avant cette date.

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Elle montre le même éclat chromatique et la même exactitude dans la définition volumétrique des objets, alors que sa composition pyramidale est différente de celle des deux tableaux de la collection Cei, caractérisés eux par une description de l’espace plus ouverte et plus libre. Un autre Vase de fleurs, publié récemment par De Vito (2006a), porte un monogramme et la date 1649, ce qui atteste encore une fois de l’évolution du style de Forte vers une veine décorative pleine de fantaisie, évidente aussi bien dans la disposition des fleurs que dans le vase en or historié. Même si les deux tableaux – malheureusement sans indice permettant de remonter aux commanditaires – se distinguent surtout par leurs paysages, ils présentent les couleurs pures et éclatantes des premières œuvres de Forte. Le tableau allégorique de l’Automne en est l’illustration jusque dans les moindres détails : des citrons aux oranges, en passant par les petits bouquets de fleurs. Le second tableau, dédié à l’Hiver – ainsi que le démontrent les divers fruits secs et des biscuits placés au hasard sur le plan d’appui –, concourt au même effet dans la description du vase transparent, garni d’œillets et de fleurs d’oranger. Celui-ci est surmonté de l’habituel rocher plat et ébréché, avec une arête centrale, comme dans de nombreuses autres compositions de l’artiste. La référence aux deux paysages de Ribera signés et datés de 1639, du Palacio de Monterrey à Salamanque (Aguirre Y Ortiz de Zárate, 1984, p. 9-64), déjà signalée à l’occasion de la première publication, reflète les intérêts du milieu artistique napolitain au cours des années 1630-1650. Si, d’un côté, on note un renouveau pour l’observation directe d’empreinte naturaliste, et cela de Battistello à Massimo Stanzione, de Ribera au Maître de l’Annonce aux bergers, les nouvelles exigences picturales, en accord avec les solutions de la peinture romaine contemporaine, n’en deviennent pas moins de plus en plus importantes et fécondes. angela tecce


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Maître S.B. actif entre 1633 et 1655

De Vito (1990, p. 121) a précisé le profil de ce maître, encore anonyme, en rejetant l’attribution à Luca Forte, due à Salerno (1984, p. 92-93, fig. 36), de la belle nature morte de la collection Lodi. Il la rapproche de deux tableaux (auparavant Milan, Galleria Canelli, fig. 1-2), et en déduit qu’il ne s’agit pas d’un peintre napolitain mais bien d’un artiste « d’Italie centrale », une hypothèse que nous partageons entièrement. Ces deux toiles, qui constituent le point de départ de l’œuvre du Maître S.B., sont apparues pour la première fois à la Biennale de Florence en 1985 (p. 354-355). L’une des deux porte un monogramme partiellement effacé, lu comme « S.B.P. » par De Vito, mais qui pourrait être interprété comme « S.E.P. », et la date 1655 (fig. 3 ; Bocchi, 2005, p. 166-167, fig. PS.2). L’intervention brève mais pertinente de De Vito, et dans le même temps, l’analyse iconographique et stylistique de Veca (1990, p. 82-87), une première synthèse proposée par Cottino (Florence, 2003, p. 124126), et le réexamen récent des Bocchi (2005, p. 165-202) permettent de considérer ce maître, probablement actif à Rome au tournant du siècle, comme une figure de transition entre le naturalisme d’empreinte caravagesque et les exigences plus modernes représentées par un Maître de la nature morte Acquavella (actif vers 16201630) ou un Cerquozzi (1602-1660). De Vito pense à un artiste formé dans les années 1640 « sul Quinsa se proprio vogliamo parlare del sud » (« sur Quinsa si nous voulons vraiment parler du sud »). Mais un tableau daté de 1633 avec Panier de cerises, un bouquet de fraises, du jambon, des champignons et des gâteaux sur une feuille de papier (Münster, Galerie Frye & Son ; Bocchi, 2005, p. 181, fig. PS. 15), apparu sur le marché de l’art, semble confirmer l’hypothèse formulée par Veca, puis développée par Cottino et les Bocchi, avec toutefois, des conclusions en partie divergentes, selon lesquelles notre artiste aurait eu connaissance des œuvres de

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Tommaso Salini (1575-vers 1625) et d’Agostino Verrocchi (actif pendant la première moitié du xviie siècle). Les œuvres du Maître S.B. – connu aussi, et ce n’est pas un hasard, sous le nom de Pseudo-Salini – se rattachent très clairement au groupe d’œuvres attribué par la critique à Tommaso Salini, l’un des chefs de file du renouveau de la nature morte à Rome au début du xviie siècle. La Nature morte de fruits et légumes avec un serpent et une souris (portant l’inscription « T. Salini ano F. 1621 » ; Turin, collection particulière), en dépit de la signature apocryphe doit, selon une critique récente et nous-mêmes (Laureati, dans Rome, 2001, p. 80), conserver l’attribution à Salini. Elle constitue le point de départ du corpus de ce dernier (pour l’attribution de ce tableau au Maître  S.B., voir Cottino, dans Florence, 2003, p. 125). Cette composition, qui se déploie en une frise dense, offre un répertoire rustique constitué d’un chou, de cardons et de bottes d’asperges. L’ensemble, bien que réalisé à l’aide de coups de pinceau délicats, est décrit avec une vigueur toute naturaliste. La lumière forte, modulée sur les objets, ainsi que le fond sombre rappellent le contexte romain de la première moitié du xviie siècle et permettent de comprendre la filiation des tableaux de notre maître anonyme avec ceux de Salini. Les œuvres du Maître S.B. présentent des compositions articulées sur un système d’entablements en pierre, qui font office de consoles, sur lesquels est disposé un éventail choisi de fruits et de légumes, toujours identiques (voir la Nature morte avec fromages, charcuterie, chou, gâteau, fiasque de vin, caroubes et artichauts, datée de 1652, Modène, collection particulière ; Bocchi, 2005, p. 170). La lumière y est à la fois chaude et intense, douce et fluide, alors que la juxtaposition des raisins sombres et des poires, des pommes rouges et jaunes dévoilant des contrastes vifs et brillants qui renvoient aux compositions de Cerquozzi, tout en témoignant d’une exécution plus


Fig. 1 — Maître S.B., Nature morte avec agrumes, fraises et oiseaux,

Fig. 2 — Maître S.B., Nature morte avec panier de fruits, gâteau, oiseaux,

auparavant Milan, Galleria Canelli.

fromage et rafraîchissoir, auparavant Milan, Galleria Canelli.

tardive par rapport à des modèles à la manière de Salini. Le peintre utilise donc un répertoire relativement restreint d’éléments tels le gâteau, la corbeille de pommes et de poires, la feuille avec des annotations, les fromages, les oiseaux et le saucisson, la botte de cardons et la fiasque de vin, révélant une façon de peindre systématique qui caractérise non pas la génération des années 1620-1630, mais celle qui a suivi Salini – mort en 1625 – sans doute pour répondre à une demande croissante du marché. Les dates qui figurent souvent dans les œuvres du Maître S.B., situées entre 1630 et 1650, confirment d’autre part cette analyse. Même si le catalogue du Pseudo-Salini ou Maître S.B. n’est pas encore établi avec certitude, il s’agit indéniablement d’un peintre de valeur dont l’influence se prolongera tout au long du siècle, et aura des répercussions sur la tendance puriste incarnée, dans l’État pontifical, par Cristoforo Munari. Une nature morte de ce dernier est d’ailleurs attribuée à Tommaso Salini par Safarik (New York-Kansas

City, 1999, p. 252, fig. 450), au Maître S.B. par Cottino (Florence, 2003, p. 126, note no 21), alors que Baldassari pense justement à Munari (2000, p. 232, fig. 238). On ne peut néanmoins rejeter totalement les liens avec le milieu napolitain. L’intuition de Bologna, selon laquelle le jeune Giovan Battista Ruoppolo aurait été influencé par la peinture romaine (1983, p. 20, 64) est, d’après nous, à reconsidérer. De Dominici affirme qu’il était élève de Porpora (1742-1745, III, p. 194), mais de quel Porpora peut-il s’agir si ce n’est celui actif à Rome ? Si tel était le cas, il est tentant d’imaginer que le jeune Giovan Battista Ruoppolo ait été incité à venir dans la Ville éternelle par son maître napolitain mais que, une fois sur place, il fut influencé, non pas par les œuvres de ce dernier, mais bien par celles de notre maître anonyme. Et peutêtre que la très belle nature morte, autrefois dans la collection Lodi, avec un Panier de pommes, des navets et une salade, présentée au public pour la première fois en 2001 (Seiji Togo-Niigata-Hakodate-Toyama-AshikagaYamagata, 2001-2002, p. 60, no 21) comme Giovan Battista Recco –, une attribution reprise ensuite, mais sans conviction par Middione (Florence, 2003, p. 203) – pourrait être une œuvre de Giovan Battista Ruoppolo, datant de cette époque romaine, proche des modes de Salini et du Maître S.B. claudia salvi

Fig. 3 — Maître S.B., Nature morte avec panier de fruits, gâteau, oiseaux, fromage et rafraîchissoir, détail, auparavant Milan, Galleria Canelli.

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Maître S.B. 18. Panier de fruits, cédrats, asperges, cardon et pommes de pin huile sur toile. 59 × 70 cm collection particulire ₍auparavant paris, galerie canesso₎

bibliographie. Bocchi, 2005, p. 188, fig. PS.23.

Cette œuvre est l’une des plus caractéristiques du Maître S.B. Présentée lors d’une vente (Porro, Milan, 9 novembre 2005, no 182, comme Luca Forte) elle était auparavant dans la collection Queirazza. Le premier plan offre un ensemble serré de fruits et de végétaux, vraisemblablement posés sur le sol. Au centre, des cédrats à l’écorce grumeleuse d’un beau jaune vif – identiques à de nombreux autres tableaux de l’artiste – sont les principaux protagonistes de la composition. Juste derrière, un panier en osier rempli de raisin, de poires et de pommes se détache, créant un fort contraste chromatique, tandis qu’à gauche, des oiseaux inanimés gisent sur un socle de pierre irrégulier. L’auteur du catalogue de vente a justement mis en relation notre nature morte avec un autre tableau (autrefois, Campione d’Italia, collection Lodi ; fig. 1) offrant une composition assez semblable et proposant à cette occasion une datation que nous partageons, autour des années 1640. Les oiseaux morts et les cédrats placés au premier plan sont autant d’éléments que l’on rencontre dans les deux œuvres, jusqu’au panier en osier débordant de fruits identique d’un tableau à l’autre.

Fig. 1 — Maître S.B., Nature morte avec panier de fruits, gâteau et oiseaux, auparavant Campione d’Italia, collection Lodi.

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La lumière lunaire qui éclaire les bottes d’asperges sur la droite offre un très beau jeu d’ombres sur leurs tiges opalescentes – qui évoque pour nous le clair de lune de l’Extase de saint François de Caravage (Hartford, Wadsworth Atheneum) transposé, bien entendu, dans un genre mineur – élément que l’on retrouve dans la Nature morte avec gibier, asperges, champignons, coings, gâteau et fromage (monogrammée de façon indistincte et datée de 1645, Lucques, collection Mazzarosa ; voir Bocchi, 2005, p. 170). De fait, le Maître S.B., comme beaucoup de peintres de nature morte, travaille sur quelques modules de prédilection, subtiles variations d’un même univers. Ce tableau se rattache à une production que l’on continue à associer par commodité à la figure de Tommaso Salini. Mais, comme l’a souligné récemment Laureati (LondresRome, 2001, p. 80), le Salini peintre de natures mortes est toujours défini, dans les sources et les inventaires anciens, en tant que peintre de fleurs. Ces mentions ne permettent pas d’imaginer le groupe très caractéristique des natures mortes qui lui sont attribuées, toujours privées de fleurs, bien que Cottino publie une Sainte Cécile, datée et signée de Tommaso Salini, avec un vase de fleurs (Fano, 2001, p. 92 ; pour les études sur Salini voir plus particulièrement Cottino, 1995, p. 64 ; Gregori, 1997, p. 5863 ; Markova, 1999, p. 96-104 ; Pegazzano, 1997, p. 131-146). En ce qui concerne la nature morte, les inventaires romains publiés jusqu’à aujourd’hui témoignent d’un panorama très varié, bien plus que ne le laissent supposer les œuvres qui nous sont parvenues. Trop souvent les descriptions ne citent pas les artistes, mais elles permettent parfois d’évoquer des profils susceptibles de correspondre à des groupes que les historiens de l’art tentent d’établir. Ainsi, dans l’inventaire de Gabriele dal Pozzo, rédigé en mars 1695, est mentionné un tableau de Panarra – inconnu des historiens modernes – « di 3 palmi di vari frutti e uccellami » (Laureati – Trezzani, 1989, p. 746), qui peut faire penser aux œuvres de notre maître anonyme. claudia salvi


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Giuseppe Recco naples, 1634  alicante, 1695 Giuseppe Recco naît le 12 juillet 1634 dans la paroisse de San Liborio dite, à l’époque, « della Carità » (De Dominici, 1742-1745, III, p. 296 ; Salazar, 1897, p. 131). Son père, Giacomo, était peintre comme le prouvent une collaboration attestée en 1630 avec l’artiste Antonio Cimino (Delfino, 1984, p. 159-160), ainsi que le contrat d’apprentissage que la veuve Angela Cantalena établit avec le peintre en 1632, pour son fils Paolo Porpora (Prota-Giurleo, 1953, p. 12). L’entourage et les amis de Giacomo appartiennent aussi au milieu artistique. En effet, les parrains des sœurs aînées de Giuseppe, Giovanna Teresa et Giovanna Pellegrina, sont respectivement Massimo Stanzione et Filippo Di Maria, père du peintre Francesco (Prota-Giurleo, 1953, p. 15). La profession de Giuseppe Recco est, quant à elle, clairement énoncée dans un document daté d’octobre 1654 qui mentionne son mariage avec Francesca della Peruta et dans lequel il se déclare « pittore e figlio del quondam Giacomo Recco » (Prota-Giurleo, 1953, p. 16). De Dominici est le premier à supposer une formation lombarde pour Giuseppe Recco (Zeri, 1952, p. 37-38 ; De Logu, 1962, p. 42 ; De Logu, 1964, p. 27 ; Salerno, 1984, p. 212). Les recherches sur les registres d’état civil menées par De Vito (1988) ont permis de rejeter cette hypothèse, mise en doute déjà par plusieurs critiques (Bologna, dans Bergamo, 1968, pl. 45 ; Rosci, 1971, p. 176 ; Causa, 1972, p. 1022 ; Middione, 1989b, p. 903). Middione, tout comme Causa, souligne que « aucun élément concret ne confirme ce séjour dans le Nord ». D’après lui, les œuvres de Recco qui s’apparentent – du point de vue iconographique seulement – avec une certaine production de l’Italie du Nord comme les Cinq Sens (cat. no 29), renvoyant plutôt à la maturité du peintre, « s’appliquent mal à un débutant » (Middione, 1989b, p. 904). Dès le xviiie siècle, l’historien Giannone affirme que l’apprentissage de Giuseppe Recco auprès de la « famosa Bettina di Milano », dont

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parle De Dominici, était une « baliverne » du biographe (Giannone, 1771-1773, p. 152). De Dominici ajoute que Recco a eu « comme professeurs de nombreux maîtres napolitains », mais comme il n’a pas « pu savoir qui ils étaient », il ne cite que Paolo Porpora, étant donné qu’il « est certain que celui-ci lui apprit à peindre les poissons et les fruits de mer, le genre dans lequel Giuseppe réussit le mieux, et même excella, plus que dans d’autres sujets, bien qu’il sût peindre toute chose d’après le naturel et à la perfection ». Or, cette assertion de De Dominici concernant sa formation auprès de Porpora, l’un des plus grands peintres napolitains de nature morte, pose problème. Au moment où Giuseppe aurait dû se former, Porpora quittait Naples pour Rome. En outre, l’hypothèse selon laquelle Porpora aurait peint des poissons dans sa jeunesse n’est fondée que sur des témoignages fragiles (De Dominici, 1742-1745, III, p. 294) et sur des œuvres elles-mêmes sujettes à caution, y compris pour la datation (De Vito, 1999, p. 18-42). En revanche, on peut déceler l’empreinte de Porpora sur les tableaux de fleurs de Recco. Ce n’est donc pas un hasard si Paolo Porpora est connu justement, par les sources et par ses tableaux, principalement comme un peintre de fleurs. Parmi les nombreux « maestri a Napoli » qui ne sont pas cités par De Dominici, il ne faut pas oublier Giovan Battista Recco et, même s’il est impossible de prouver que Giuseppe a été son élève, leurs affinités « linguistiques » sont évidentes. Quelques œuvres, en particulier les natures mortes avec les nappes et des animaux morts, oscillent entre le corpus de l’un et l’autre artiste. La Tête de bouc du musée de Capodimonte, considérée jusqu’à peu comme une peinture de Giovan Battista Recco, est aujourd’hui attribuée à Giuseppe (Bologna, dans Bergame, 1968, pl. 45 ; Spinosa, dans Naples, 1994, p. 54-55). De la même façon, la célèbre Cuisine de Vienne (fig. 1) et celle d’une


Fig. 1 — Giuseppe Recco, Intérieur de cuisine, Vienne, Gemäldegalerie der Akademie der Bildenden Künste.

collection particulière (auparavant à Bologne) pourraient être des chefs-d’œuvre de Giovan Battista Recco si elles ne portaient pas un monogramme, clairement de Giuseppe Recco. L’influence de Luca Forte sur notre peintre, tout aussi profonde, se reconnaît à la vigueur plastique et à la palette aux tons irisés et aux ombres pâles. Giuseppe Recco est incontestablement l’un des plus importants peintres de natures mortes actifs à Naples au xviie siècle, et assurément l’un des plus diversifiés : « il fut un peintre extraordinaire de fleurs, fruits, sucreries, poissons, gibier, légumes et autres », nous assure le biographe. La variété de ces sujets se vérifie au travers de ses œuvres dont un grand nombre est signé, monogrammé et daté de différentes façons. Son nom apparaît souvent dans les collections napolitaines (Labrot, 1984, p. 136 ; 1992, p. 552), même si la mention « Recco » peut renvoyer parfois à l’un de ses fils, ce qui n’en constitue pas moins un témoignage du succès de ses formules et de son atelier florissant. Le biographe De Dominici nous apprend qu’il reçut la décoration de la croix de Calatrava, du roi Charles II. Cette information a été tôt contestée par l’historien Giannone (1771-1773, p. 152-153). Plus récemment, Pérez Sánchez (1965, p. 414-425) a exprimé des doutes sur cette affirmation de De Dominici et publie, en 1988, un document daté de 1667 pour une décoration de Calatrava remise à un certain don Giuseppe Recco, dont les données biographiques et généalogiques ne correspondent pas, cependant, à celles de notre peintre. Des recherches ultérieures menées par De Vito (1988) ont révélé que ce ne fut pas Giuseppe qui reçut l’habit de Calatrava mais bien un homonyme. Le titre d’eques avec lequel le peintre signe certains de ces tableaux à partir de 1671 (Leone de Castris, dans Rome, 1994-1995, p. 70) se réfère à un autre titre, plus approprié pour un artiste (De Vito, 1988, p. 68). Malgré cette erreur, De Dominici a voulu insister sur

le prestige dont a joui Giuseppe Recco. Un document, publié par Burke, le cite d’ailleurs comme « pittore del Marchese di Los Velez », vice-roi de Naples de 1675 à 1682 (Burke – Cherry, 1997, I, p. 761). Deux tableaux de poissons mentionnés dans l’inventaire des biens du marquis del Carpio, vice-roi de Naples de 1683 à 1686, rédigé à Rome à l’occasion de son élection, avant son départ pour Naples, sont rattachés par Fumagalli à un autre passage de De Dominici qui cite : « deux tableaux de ce genre [de poissons] furent présentés dans l’exposition susdite [du Corpus Domini] par Giordano, s’accordant parfaitement avec ses marines et ses pêcheurs. […] Ces deux tableaux furent ensuite en possession du marquis del Carpio, vice-roi de Naples […] et, après sa mort, l’un d’eux appartenait à Alessandro Cassano, agent de change, qui l’obtint, avec d’autres tableaux, en paiement d’intérêts contractés avec ce monsieur » (voir Fumagalli, dans De Dominici [par Sricchia Santoro-Zezza], II, à paraître). De Dominici fait ici allusion aux difficultés financières du marquis del Carpio, bien fondées historiquement, ce qui expliquerait leur absence dans son second inventaire rédigé à sa mort. Mais le biographe fournit une indication précise sur l’acquisition de l’un des deux pendants par Alessandro Cassano, qui ne nous est pas plus connue. L’aisance financière de Giuseppe Recco, ses tableaux à l’exposition du Corpus Domini, sa collaboration avec Luca Giordano (plusieurs fois documentée, par les sources comme par les œuvres) et jusqu’à son départ pour l’Espagne à la fin de sa vie (De Dominici, 1742-1745, III, p. 296) témoignent du rôle fondamental du peintre dans la culture napolitaine. La beauté des œuvres qui nous sont parvenues, leur qualité, souvent excellente, l’abondance et la variété de sa peinture reflètent aujourd’hui encore la splendeur de la nature morte napolitaine du xviie siècle. claudia salvi

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Giuseppe Recco 19. Tulipes et iris dans un paysage huile sur toile. 60 × 74 cm monogramm « g.r. » collection particulire ₍auparavant paris, galerie canesso₎

bibliographie. Confalone, dans Salamanque-Séville-Valence, 2003-2004, p. 68-69, no 21 ; Confalone, dans Madrid-Salamanque, 2005, p. 60-61, no 25. expositions. Salamanque-SévilleValence, 2003-2004, p. 68-69, no 21 ; Madrid-Salamanque, 2005, p. 60-61, no 25.

Un vase de terre cuite napolitain aux anses torsadées, contenant des iris, anémones simples et tulipes, est posé à côté d’un parterre de fleurs constitué également de tulipes, œillets, glaïeuls et de tiges de bégonias privées de leurs fleurs. Le vif chromatisme de l’ensemble se détache du fond sombre, à peine suggéré par la lumière crépusculaire, créant ainsi une atmosphère de subtile tension. Confalone relie cette œuvre à la période de jeunesse de Giuseppe Recco en s’appuyant sur la typologie de la signature, ici le monogramme « G.R. », qui pourtant n’appartient nullement à une phase précise de sa carrière comme l’aurait d’ailleurs voulu Di Carpegna (1961, p. 123). Au travers de cette étude, l’auteur rapproche notre œuvre de la Nature morte avec fleurs et grenouilles de la Walters Art Museum de Baltimore (fig. 1) et de la Nature morte avec vase de tulipes, anémones et canetons de la collection Dalla Vecchia à Naples qui, par le thème abordé, s’apparentent à l’art de Paolo Porpora, maître supposé de notre artiste (De Dominici, 1742-1745, III, p. 295). De fait, ces deux natures mortes de Giuseppe Recco renvoient à la thématique des premiers sous-bois de Porpora. Recco pourrait s’être inspiré de tableaux de ce dernier provenant du marché romain, à moins que Porpora ait commencé à réaliser de tels sujets avant de partir pour Rome, ce qui pourrait laisser penser qu’il avait rencontré Withoos à Naples et non dans la Ville éternelle. L’idée du vase de fleurs posé à terre, l’atmosphère

Fig. 1 — Giuseppe Recco, Nature morte avec fleurs et grenouilles, Baltimore, Walters Art Museum.

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sombre et le format allongé renvoient au contexte artistique des années 1640 et rappellent les dessus-deporte de Mario Nuzzi – aujourd’hui conservés en partie au musée du Prado, au Palacio Pedralbes de Barcelone et à l’ambassade d’Espagne auprès du Saint-Siège – que la critique date des mêmes années (Laureati – Trezzani, 1989, p. 759 ; Bocchi, 2005, p. 89). L’anémone blanche au pétale recourbé apparaît comme un hommage à Luca Forte et s’adapte assez bien à une œuvre archaïque. De même, le naturalisme prononcé des fleurs et notamment de la tulipe blanche et rouge dont l’aspect soyeux est admirablement rendu par Recco, évoque les deux tulipes de l’Odorat de Giuseppe de Ribera (Oslo, Nasjonalgalleriet). Rattaché à la période de maturité de l’artiste, l’Odorat est chronologiquement proche de la Jeune fille au tambourin datée 1637, une allégorie de l’ouïe, qui appartient à une probable série des « sens », à ce jour perdue. Si le commanditaire de l’œuvre est inconnu, nous pouvons néanmoins imaginer que Recco ait pu voir le tableau ; tout au moins, le rapprochement de notre nature morte avec de telles réalisations permet une indication bien précise pour sa datation. Le dialogue qui s’établit entre les œuvres de différents artistes est symptomatique des rapports au sein de la peinture italienne, où toute hiérarchie de genres fut abolie par Caravage. Cette tendance possédait sans aucun doute un foyer particulièrement radical à Naples, où les peintres d’Histoire, sur le modèle de Caravage, n’ont pas dédaigné le genre de la nature morte (Spinosa, 1989b, p. 860 ou l’essai introductif à ce catalogue). À Naples, tandis que Battistello peint des natures mortes, Ribera et Falcone créent des écoles où l’on apprend à peindre al naturale (De Dominici, 1742-1745, III, p. 71), de fait, Luca Forte s’associe également à de telles initiatives comme le confirment deux œuvres qu’il exécute en collaboration avec Stanzione et qui témoignent admirablement de l’existence de ces échanges (voir ici l’essai de Leone de Castris ; De Vito, 2006a, p. 11, pl. III). claudia salvi


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Giuseppe Recco 20. Morue et harengs dans un panier, araignée de mer

sur un entablement en pierre huile sur toile. 84 × 68 cm paris, galerie canesso

bibliographie. Salerno, 1984, p. 119, fig. 29.6 (comme G.B. Recco).

Publié par Salerno (1984, p. 119, fig. 29.6) comme une œuvre de Giovan Battista Recco et proposé, un an plus tard, en vente avec la même attribution (Finarte, Milan, 27 mai 1985, no 487), le tableau doit être rendu à Giuseppe Recco. Les affinités avec son maître et prédécesseur ne manquent pas, bien qu’il soit difficile d’affirmer qui a été l’instigateur de ces compositions de poissons, d’algues et de fruits de mer sur des entablements en pierre passablement érodés par les intempéries. Les éléments propres au premier Giuseppe Recco, à savoir la disposition élégante des objets, la lumière rasante provoquant au premier plan des ombres fortes et mettant en valeur les tonalités claires sur les poissons, en particulier le hareng en trompe l’œil sur le devant,

Fig. 1 — Giuseppe Recco, Nature morte avec poissons et un crabe, Strasbourg, musée des Beaux-Arts.

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la douce pénombre du fond, sont servis par une palette jouant sur les bruns. Le tableau d’une collection particulière signé « Gio. Batta Recco » (cat. no 5), ainsi que celui avec un Panier de langoustes publié par Salerno à côté de celui que nous présentons ici et avec lequel il offre des similitudes, se distinguent par une matière brillante et lisse, dénuée des empâtements et des « accidents » caractéristiques de la peinture de Giuseppe. Pourtant, c’est sans doute Giovan Battista qui a regardé Giuseppe dans cette mise en page à la fois concise et raffinée. Le musée des Beaux-Arts de Strasbourg possède une variante de notre tableau – donnée à Giuseppe Recco mais de dimensions plus importantes (fig. 1) – avec quelques différences notables : on y voit deux harengs au premier plan à droite, au lieu d’un seul, deux poissons sur la plinthe en arrière-plan, ainsi qu’un récipient en métal à la forme plus élancée. Brejon de Lavergnée préfère penser à l’atelier de Giuseppe Recco et il n’exclut pas l’intervention d’Elena ou de Nicola Maria Recco (Brejon de Lavergnée – Volle, 1988, p. 275 ; Roy – Goldenberg, 1996, p. 91). Quoi qu’il en soit, notre tableau, de grande qualité, a un impact visuel fort. Le rendu de la matière sur l’araignée de mer, le jeu de lumières sur le récipient et sur les poissons du fond, aspects absents de la version du musée de Strasbourg, sont d’une grande efficacité expressive. Il est extrêmement difficile d’établir la chronologie de Giuseppe Recco : la plupart des œuvres datées se situant autour des années 1670, la reconstitution de l’activité du peintre dans sa jeunesse reste délicate. Mais notre peinture a dû être exécutée à une date assez haute, selon une opinion partagée par De Vito (communication orale). La difficulté d’établir une telle chronologie est également liée à la poétique même de Giuseppe Recco ; dans son excellent essai sur la nature morte napolitaine, Causa résume ainsi la démarche de l’artiste : « Sul piano del linguaggio mai una volta che il Recco ceda ; sempre composto, compassato, raffinatissimo, astratto in una sua regola che non è al passo coi tempi » (« Sur le plan du langage Recco ne cède jamais ; toujours bienséant, convenable, raffiné, il s’astreint à des règles qui ne sont pas à la mode » ; Causa, 1972, p. 1021). claudia salvi


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Giuseppe Recco 21. Intérieur de cuisine avec ustensiles en cuivre,

poulpe et oignons sur un entablement en pierre huile sur toile. 100 × 125 cm paris, galerie canesso Ce tableau, très évocateur, est apparu à une vente chez Christie’s (Milan, 29 novembre 2006, no 81), justement attribué à Giuseppe Recco. La composition se déploie sur trois plans visualisés par des entablements rectangulaires en pierre grise et par une sorte de console, toujours en pierre, ainsi que par la disposition des objets. Hareng, morue, oignons, poulpe, assiettes, thon, récipients, fruits secs et couteau : autant d’éléments posés en ordre sur des supports qui ne semblent être là que pour soutenir ce bel agencement de provisions. Une diagonale part du récipient en cuivre renversé, en bas à gauche, et aboutit vers le haut à droite, au morceau de thon sur une assiette en faïence. Placés à l’extrémité de la scène, dans une pénombre enfumée, des cardons, une râpe, les restes d’un feu avec un tisonnier et une pelle pour les cendres sont les signes d’un quotidien feutré que vient démentir la lumière crue qui inonde les objets. Un jeu d’ombres et de lumières modèle les assiettes empilées, en équilibre instable, dans une niche, d’une géométrie surprenante. Des effets différents, mais tout aussi réalistes, caractérisent

Fig. 1 — Giuseppe Recco – Luca Giordano, Marchande de poissons, Rouen, musée des Beaux-Arts.

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le rendu de la peau du poulpe et, surtout, de son poids admirablement suggéré ; de même, les traces d’oxydation sur le récipient, visibles uniquement de près, contribuent au naturalisme qui se dégage de la composition. Plusieurs œuvres importantes se rattachent à notre Intérieur : la Cuisine avec garde-manger, signée et datée « Gios. Recco F. 167… » (Naples, collection Pagano) présente, à son tour, une pile d’assiettes sur une console, un cornet en papier avec quelque épice précieuse, des clous et des manches de poêle qui projettent sur la table des ombres précises et nettes comme sur notre tableau. Une autre composition avec deux personnages probablement exécutés par Luca Giordano, comme celui de la collection Pagano, représente une Marchande de poissons (Rouen, musée des Beaux-Arts ; fig. 1), qui se situe dans les années 1670. On y voit aussi des « morceaux » de thon roses rehaussés par une épaisse couche de graisse blanche, créant ainsi des effets lumineux le long de l’une des diagonales du tableau. Un chat – tentant de saisir une saucisse – a renversé sur son passage un récipient, identique à notre tableau. Vient ensuite la Cuisine de la Gemäldegalerie der Akademie der Bildenden Künste de Vienne, signée et datée « Gios. Recco 1675 », qui montre des oignons germés sur le manteau d’une cheminée où brûle un feu ardent. Pour finir, l’Intérieur de cuisine avec poissons, monogrammé « G…e Recco F. » (auparavant Londres, Matthiesen Gallery), qui est sans doute – avec son système de supports cubiques, les poissons placés transversalement, les récipients et les couvercles métalliques posés en équilibre précaire – la composition qui se rapproche le plus de notre tableau, bien qu’elle date, à notre avis, des années 1670. L’œuvre exposée ici appartient, elle, à une période antérieure : entre 1660 et 1670. Les socles en pierre sont caractéristiques de Giuseppe Recco. D’autres peintres napolitains de nature morte, s’inspirant des modèles espagnols, les ont également utilisés en les associant à des inventions plus narratives. Le grand tableau de Giovan Battista Recco de Besançon, signé « G.B. Recco », avec des Poissons de mer et huîtres orientales, met en valeur des poissons posés sur de hauts socles. Giovan Battista Ruoppolo, lui aussi, les employa dans sa jeunesse pour l’un de ses chefs-d’œuvre, Fruits et légumes dans un paysage (collection particulière ; auparavant Spoleto, Galleria Sapori). claudia salvi


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Giuseppe Recco 22. Poissons, langouste, calamar, aiguière

et chaudron sur un entablement huile sur toile. 94,3 × 122 cm monogramm sur le rocher en haut  droite « g.r. » collection particulire ₍auparavant paris, galerie canesso₎ Un bel étalage de poissons et d’ustensiles de cuisine s’offre au regard sur un plan rocheux. Une progression chromatique, allant du bronze de l’aiguière en passant par le cuivre du chaudron et culminant avec le rouge vif de la rascasse du premier plan, renforce la composition du tableau. Les ustensiles sont ainsi disposés le long de la trajectoire lumineuse, tandis que, de part et d’autre, poissons et mollusques aux nuances bleues, froides et nacrées prennent place dans une semi-pénombre. L’artiste s’emploie, au travers du rendu des bleus, à créer autant de surfaces miroitantes qui renvoient la lumière en myriades de touches scintillantes. Une langouste, au port altier, se dresse sur un bloc de pierre, adroitement placée pour clore la scène. Ses pattes fines semblent retenir une faible lueur cuivrée comme échappée du brun qui l’entoure. C’est une composition au caractère musical que nous donne à voir Recco. Le ton feutré employé ne rend que plus mystérieuse l’évocation de la mer, malgré les miroitements sur les écailles mouillées des poissons, les gouttes d’eau sur le rocher poli, les algues brunes encore humides ou les accents de couleur vive, comme le rouge de la rascasse. Notre nature morte se place aisément parmi les chefsd’œuvre du peintre de la fin des années 1660, entre

Fig. 1 — Giuseppe Recco, Intérieur de cuisine avec chat, New York, Metropolitan Museum of Art.

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les pendants de la collection Molinari Pradelli que la critique s’accorde à dater vers 1670 ; la Nature morte de cuivres et poissons (autrefois Rome, collection Canessa) et l’Intérieur de cuisine avec chat (fig. 1 ; New York, Metropolitan Museum of Art ; Volpe, dans Naples-ZurichRotterdam 1964-1965, p. 47, no 69, pl. V ; no 70, pl. 30a ; Causa, 1972, fig. 415 ; Middione, 1989b, II, p. 903). Dans ce groupe de tableaux, on retrouve un même cadrage serré sur une composition bien rythmée, non chargée, élégante en dépit du sujet, où algues marines, ustensiles et poissons sont posés sur un rocher. Les incrustations de matière, évoquant ici la carapace d’un crustacé, là le luisant de la peau d’un mulet, se fondent dans une atmosphère chaude propre à toutes les natures mortes de la première maturité de l’artiste, entre 1669 et 1679. Durant cette période, bien documentée par de nombreux tableaux signés et datés, l’œuvre de Giuseppe Recco devient à la fois caractéristique et foisonnante. Si De Dominici rappelle que Paolo Porpora fut l’un de ses maîtres, c’est avant tout Giovan Battista Recco qui aura une influence déterminante sur notre artiste, influence visible tant au travers des thèmes que de la disposition des objets. Cependant, le caractère cru et enlevé de la touche, qui vient rehausser poissons et crustacés, mollusques et coquillages, ne serait pas possible sans la connaissance d’exemples flamands connus à Naples par de multiples mentions d’inventaires, dont fait état Labrot (1992). Avec les natures mortes de poissons, qu’elles soient ou non assorties d’objets, Giuseppe Recco inaugure une véritable typologie chère à la peinture de nature morte napolitaine et déjà vantée par De Dominici (1742-1745, II, p. 296). De plus, l’articulation des formes, avec leurs jeux d’échos et de résonances, est un hommage explicite à l’œuvre de Juan Van der Hamen (1596-1631), tout comme le choix de fonds neutres qui plus tard laisseront place à de véritables paysages. Ici, les apprêts de poissons et d’ustensiles relèvent autant de la mise en scène pétrie d’artifice propre à l’école espagnole qu’à une forme de narration plus bruyante et festive d’origine flamande, montrant une nouvelle fois le véritable carrefour d’influences artistiques qu’est Naples au cours de ce siècle. claudia salvi


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Giuseppe Recco 23. Récipients en cuivre, poissons et calamars huile sur toile. 73,5 × 99 cm collection particulire ₍auparavant paris, galerie canesso₎

bibliographie. Pagano, dans Madrid-Salamanque, 2005, p. 62-63, no 26. expositions. Madrid-Salamanque, 2005, p. 62-63, no 26.

Giuseppe Recco, ici à l’apogée de son art, noue, dans cette œuvre de toute beauté, un subtil dialogue avec certains tableaux de Giovan Battista Recco. La composition, extrêmement régulière, se déploie sur toute la longueur en une progression qui investit même, comme souvent dans son œuvre, la présence des objets et les valeurs chromatiques. Le support en pierre ébréché, les merlans et les calamars, les récipients aux formes variées et avec des reflets dorés se détachant sur le fond, sont encadrés par deux verticales : celle de l’aiguière en cuivre au long col et, de l’autre côté, légèrement en avancée, deux poissons – un bar et un merlan – attachés à un crochet par une cordelette qui devait servir, à l’époque, à en conserver plus longtemps la fraîcheur. La lumière zénithale en révèle de façon théâtrale le volume et dessine une diagonale nette sur le fond, alors qu’un rayon s’attarde sur la corde pour mieux en marquer l’épaisseur. Giuseppe Recco utilise une palette monochrome – déjà expérimentée pour le tableau avec une araignée de mer (cat. no 20) – de tons bruns avec des touches argentées et opalines pour les deux poissons et les calamars. Ces deux œuvres ont dû être réalisées entre la jeunesse et la première maturité de l’artiste, soit vers 1660-1665. Le souvenir des compositions de Giovan

Fig. 1 — Giuseppe Recco, Intérieur de cuisine avec poissons, auparavant Londres, Matthiesen Gallery.

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Battista Recco, parmi lesquelles les Poissons (auparavant Venise, collection Brass ; De Logu, 1964, p. 22), confirme cette datation. Les objets, disposés en pyramide, mettent en évidence de manière très naturaliste les deux poissons suspendus à une poutre par une corde, procédé qui se retrouve sur une autre toile signée et datée (collection particulière, cat. no 5), considérée comme l’un des chefs-d’œuvre du Giovan Battista Recco de la maturité. Dans ce tableau, le naturalisme dérivé de Caravage s’articule en une succession de plans, d’objets et de fruits de mer peints dans les tons bleu pervenche qui évoquent de façon complexe et mystérieuse la vie des choses. En revanche, les bruns dorés de Giuseppe traduisent une vision plus dramatique qui le conduit à exploiter une palette sophistiquée toute en échos formels et chromatiques, également présents dans les Poissons, langouste, calamar, aiguière et chaudron sur un entablement (cat. no 22). Giuseppe Recco se distingue donc nettement de son aîné Giovan Battista, même si, avec des œuvres de ce calibre, il lui rend manifestement hommage. L’idée de placer les poissons sur un axe vertical, suggérée par son prédécesseur, se rencontre sur un tableau ambitieux où l’intérieur d’une cuisine est dominé, au centre, par trois poissons accrochés par une corde. Monogrammé « G…e Recco F. » (fig. 1 ; auparavant Londres, Matthiesen Gallery ), ce tableau, sans doute plus tardif en raison de l’emploi de couleurs vives, montre que Giuseppe Recco est resté fidèle à certaines solutions expérimentées avant lui. Avec de telles œuvres, notre artiste semble proposer une synthèse qui tend à dépasser les modèles teintés de naturalisme et influencés par l’Espagne. En effet, les poissons ne sont pas offerts au regard du spectateur dans une sorte d’immobilité abstraite, comme l’auraient proposée les artistes espagnols quelques années plus tôt. Au contraire, l’application du naturalisme révèle la dimension métaphysique immanente à la réalité et non plus à la forme, un dialogue avec lequel l’artiste apporte l’une des contributions les plus authentiques à la nature morte internationale. claudia salvi


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Giuseppe Recco 24. Une rascasse, deux bars et un calamar

Un calamar, des huîtres et des couteaux huile sur toiles. 34 × 46 cm chacune collection particulire ₍auparavant paris, galerie canesso₎

bibliographie. Damian, 2002, p. 26-27 ; Scarpa, dans Florence, 2003, p. 218-219 ; Scarpa, dans MadridSalamanque, 2005, p. 64-65. expositions. Florence, 2003, p. 218-219 ; Madrid-Salamanque, 2005, p. 64-65.

Le cadrage serré de ces deux petits formats étonne par la modernité de leur mise en page qui dépeint les motifs en gros plan, où drame et poésie se côtoient. Ces œuvres s’inscrivent de plain-pied dans la tradition napolitaine de la nature morte de poissons, héritée de son oncle supposé, Giovan Battista Recco, ainsi que du premier Paolo Porpora. Giuseppe Recco exploite encore ici un réalisme teinté de naturalisme, qui mérite d’être relevé à une date aussi avancée dans le xviie siècle. Scarpa (2003, p. 218) a situé ces tableaux entre 1670 et 1680, en proposant des rapprochements stylistiques convaincants avec les deux compositions décrivant des Poissons et ustensiles en cuivre (Naples, collection particulière ; Middione, dans Munich-Florence, 2002-2003, p. 208-209) et, plus encore, avec les Poissons et une bassine en cuivre appartenant à une paire (Naples, collection particulière ; Middione, dans Naples, 1984-1985, p. 394, no 2.187a). Ces œuvres ont en commun avec les nôtres la même présentation sur une pierre grossièrement taillée supportant un choix restreint d’éléments, allant de paire avec une utilisation parcimonieuse de la lumière. Elles s’en distinguent par un caractère particulièrement inventif et courageux, celui de ne décrire que les seuls produits de la mer, sans avoir recours aux artifices des ustensiles et autres récipients en cuivre qui accompagnent habituellement

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les natures mortes de ce type, en rapport avec la cuisine. Nous ne saurions, en effet, situer avec précision le lieu : placés sur ces entablements de pierre, les poissons et les fruits de mer se détachent sur un fond neutre, éclairé par un léger rayon de lumière provenant de la gauche, véritable citation du monde caravagesque. Ces reflets se matérialisent au moyen des blancs, posés généreusement et à l’état pur, dans l’intention évidente de faire ressortir, dans la semi-obscurité, les effets mouillés et luisants des écailles. L’extraordinaire matière aux tonalités surréelles, tourmentée dans l’intérieur des coquilles d’huîtres jusqu’à atteindre l’abstraction, sert pourtant une observation directe et fidèle qui s’attarde sur les qualités expressives de la forme et de la couleur, ces bleus et ces rouges accentués qui en font la marque de l’artiste. Nos œuvres ne sont pas parmi les plus scénographiques et les plus baroques de l’artiste, mais illustrent, au contraire, des moments picturaux parmi les plus intimes et les plus lyriques. La sobriété et le côté compact de la scène vont de paire avec la vigueur des éléments décrits, animés de forts reflets argentés. Giuseppe Recco présente une volonté affirmée de rendre le « vrai » de manière intense et cette acuité, doublée d’un rendu pictural soigneusement étudié dans ses effets, lui permet de renouveler le genre de la nature morte de poissons. vronique damian





Giuseppe Recco 25. Poissons et mollusques huile sur toile. 76 × 102 cm naples, muse diego aragona pignatelli cortes ₍collection intesa sanpaolo₎

bibliographie. Molajoli, 1953, p. 46 ; Bottari, 1961, p. 354-361 ; Middione, dans Spinosa, 1984b, p. 7880 ; Middione, 1989b, II, p. 904 ; Tecce, 1998, p. 36 ; Scarpa, 2004b, p. 132-133. expositions. Tecce, dans Naples, 1989, p. 50-51.

Ce tableau s’inscrit parfaitement dans les compositions « de rochers » qui ont fait la célébrité de Giuseppe Recco, représentant des poissons, des crabes, des tortues, des coquillages et des fruits de mer. De Dominici considérait qu’il était dans ce domaine « [...] eccellente più che di altra specie nei suoi dipinti, tuttochè naturalissima ed ottimamente effigiasse ogni cosa » (1742-1745, III, p. 295). L’artiste, membre éminent d’une famille de peintres spécialisés dans le genre de la nature morte, doit sa renommée précisément à sa spécialisation dans le domaine des poissons, bien qu’il ait obtenu des résultats tout aussi intéressants avec des sujets différents comme les fleurs, les fruits, les tables de cuisine et autres curiosités. Formé en plein naturalisme, Giuseppe Recco adhère dans sa dernière période aux influences baroques flamandes d’Abraham Brueghel, que Giovan Battista Ruoppolo avait faites siennes, en situant ses représentations sur des rochers ou des plages proches de grottes obscures, compensées par des fonds clairs inspirés par Luca Giordano. Ici, des exemplaires variés de la faune marine, que le peintre pouvait observer à loisir sur les étals d’un port tel que Naples, gisent, encore frémissants de vie, sur un rocher où se mêlent algues et coquillages. Les surfaces brillantes de la daurade à droite et du mulet placé au centre sont rendues par des transparences et des jeux de lumière, alors que le rouge vif des rascasses et des rougets, ainsi que les touches de blanc argenté des calamars rehaussent la composition, qui se joue entièrement sur les tons de terre brune. Dans cet enchevêtrement humide et pittoresque – qui rappelle d’une certaine manière la sensualité et les pénombres mystérieuses des sous-bois de Porpora –, la couleur s’accompagne d’un rendu vibrant de la lumière et d’une vérité dans la touche qui montrent à quel point ce peintre, tout en étant sensible à l’aspect physique des choses comme à l’étude concrète des formes, en préserve toujours la cohérence. Le parti pris est celui de présenter une composition disciplinée et rationnelle, qui se rattache à des règles iconographiques souvent liées à des modèles préétablis. Mais, la mise en pages plus ample et nettement décorative, le jeu des formes et des courbes plus mouvementées, construit sur des lignes directrices orthogonales qui se recoupent, et l’ouverture de la scène sur un ciel couvert de

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nuages permettent de situer cette œuvre dans la période de maturité de Recco. Il a maintenant dépassé les scènes situées dans les intérieurs, où les poissons sont disposés comme sur un bas-relief en pierre, à côté d’objets d’usage quotidien, ainsi pour les pendants Poissons et récipient en cuivre et Poissons et seau en cuivre (auparavant collection Marmo ; aujourd’hui collection Lucà d’Azio ; Middione, dans Munich-Florence, 2002-2003, p. 208-209) ou pour le tableau Poissons et récipient en cuivre d’une collection privée de Naples (Middione, dans Naples, 19841985, I, no 2.187a) ou encore pour les toiles de la collection Molinari Pradelli monogrammées « G.R. » et figurant une Nature morte avec poissons, jatte en cuivre, seau et vase de fleurs et une Nature morte avec poissons, cuvette en cuivre et amphore (Stagni, dans Bologne, 1984, no 13a et b). L’adhésion à un style décoratif plus ample d’empreinte baroque rattache cette peinture à d’autres tableaux de la même veine, comme celui conservé au musée du Prado avec des Poissons, calamars et tortue (Spinosa, 1984a, ill. no 619), le Poissons, coquillages et coraux d’une collection privée (De Vito, 1988, p. 65-127, fig. 24), les deux œuvres du musée des Beaux-Arts de Besançon représentant des Poissons et crustacés et des Poissons et coquillages (ibid., fig. 17 et 18 p. 98-99) ou les compositions plus grandes telles que la Nature morte avec poissons et tortue sur un rocher du musée de Capodimonte (Molajoli, 1964, p. 56), précédée d’une toile signée et datée de 1666 d’une collection privée (Naples-Zurich-Rotterdam, 1964-1965, p. 46, no 65). Ce dernier tableau présente, en haut à gauche, le thème de la barque de pêche que l’on retrouve dans la peinture plus tardive des Offices, datée de 1691 et portant la signature abrégée « EQS Rco ». Middione a souligné le lien étroit avec un tableau conservé au musée de Poznán en Pologne qui offre une disposition de la scène et des éléments du fond assez semblables, ainsi qu’un traitement pictural identique (Middione, dans Spinosa, 1984b, p. 80). Comme l’écrivit Causa, nous retrouvons ici le même « decadente abbandono crepuscolare nell’indagine delle superfici, fonte di innumerevoli emozioni » et une « suprema, distillata bravura de vero virtuoso […] a unificare e rendere coerenti e consonanti espliciti arcaismi e slanci barocchi » (Causa, 1972, p. 1021 et suiv.) denise maria pagano


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Giuseppe Recco 26. Tulipes coupées sur un plateau en bronze

Tulipes et roses sur un plateau en étain huile sur toiles. 36 × 46 cm chacune monogramms en bas : « g.r. » collection particulire

bibliographie. De Vito, 1988, p. 72, fig. 22 et 23, pl. II et III ; Zabel Settanni, 1998, p. 154, 163, note 54, fig. 7.

Publiées par De Vito (1988) ces deux toiles restent uniques à ce jour. Le corpus de l’artiste ne comporte, en effet, aucune autre nature morte comparable bien que des plateaux similaires se retrouvent parfois dans de plus vastes  compositions : Plateau de poissons sur fond montagneux avec château (fig. 1 ; auparavant, Rome, Galleria Lampronti ; Rome, 1989, p. 70-71, no 40) ou la nature morte avec Pastèque sur un plateau en étain, champignons et fruits (cat. no 28). Ces Tulipes, sans même tenir compte du monogramme souvent utilisé par Recco, sont typiques de l’artiste. L’entablement de pierre aux bords irréguliers, le fond sombre, les rouge vermillon vibrants associés aux touches de blanc tirant sur le rose ou le vert de gris que le peintre emploie pour les tulipes et les roses aux cœurs rougeoyants, sont autant de caractéristiques propres à son œuvre. La beauté de cette paire réside essentiellement dans le cadrage serré en une composition simplifiée, où les tulipes deviennent les protagonistes quasi exclusifs de ces deux petits formats, qui se caractérisent par un vif chromatisme. La fine reprise de peinture blanche qui délimite le pourtour du plat en étain, tout en suggérant la matière miroitante, devient la seule touche de couleur signalant l’existence de cet objet. Si De Vito ne propose aucune datation, il remarque néanmoins le lien avec l’art de Porpora, une telle information permettant de rapprocher ces Tulipes d’une période relativement ancienne dans la carrière du peintre. Recco s’est exprimé dans divers registres, sachant

Fig. 1 — Giuseppe Recco, Plateau de poissons sur fond montagneux avec château, auparavant Rome, Galleria Lampronti.

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adapter les représentations de fleurs à des formulations différentes, probablement pour répondre aux souhaits des commanditaires. C’est le cas de la paire de Fleurs dans un vase décoré de relief, peinte en 1683-1684 pour John V, comte d’Exeter pour décorer une des chambres de sa demeure de Burghley House. La typologie baroque voire hybride de cette nature morte, évoquant tout autant Jan Fyt (1611-1661) qu’Andrea Belvedere, n’est pas sans rappeler les œuvres flamandes dont le commanditaire s’était déjà entouré, traduisant le désir d’une décoration unifiée (De Vito, 1988, p. 70). À l’inverse, des compositions plus dépouillées, avec une ou deux tulipes, un lis, une anémone simple ou double, un compotier plein de gourmandises, comme dans la Nature morte avec des friandises de la collection Intesa Sanpaolo (Naples, villa Pignatelli) ou celle du Museo Civico de Pesaro, semblent nous inciter à une jouissance modérée des plaisirs de la vie – message probablement souhaité par les commanditaires, rappelant la tradition espagnole (Pérez Sánchez, 1987, p. 51-52) – ou faire allusion à quelque cérémonie « tra il sacro e il profano » (De Vito, 1988, p. 69). La coupe de verre remplie de fleurs reste en revanche un élément typique de la tradition napolitaine : Abraham Brueghel (1631-1697) en fait usage, tout comme Filippo Napoletano (1589?-1629) ou Francesco della Questa (ca. 1639-1723), dont une œuvre signée apparue récemment sur le marché l’atteste (Sotheby’s, New York, 8 juin 2007, lot no 281). Recco décrit à côté de ce récipient, d’admirables expositions de verrerie que les récentes recherches de Borrelli (1988, p. 30) laissent à penser de manufacture locale et non vénitienne, visibles entre autres dans le très beau tableau de Varsovie (Muzeum Narodowe). Il pourrait s’agir de la représentation d’une collection napolitaine que le peintre reprendra plus tard dans la spectaculaire composition de Medinaceli, datée 1679, elle aussi probable souvenir d’une prestigieuse collection particulière (Pérez Sánchez, dans Madrid, 1985, p. 256), à moins qu’il ne s’agisse de la collection même du peintre, comme le suggère encore Borrelli. Notre paire de tulipes brille par son originalité, aussi bien dans le contexte napolitain qu’au sein du panorama européen, suggérant que l’artiste l’aurait réalisée pour un usage personnel, modèles éventuels pour des compositions plus vastes. claudia salvi


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Giuseppe Recco 27. Vase de fleurs avec anémones et tulipes monogramm « g.pe r. »

Vase de fleurs avec roses et tulipes huile sur toiles. 61 × 47,5 cm chacune sign « gios. recco » collection particulire

bibliographie. Middione, dans Munich 2002-2003, p. 210 ; Middione, dans Florence 2003, p. 210-211. expositions. Munich, 2002-2003, p. 210 ; Florence, 2003, p. 210-211.

Ces deux tableaux ont probablement été acquis ab antiquo par la famille Lazzari d’Alojsio de Messine, originaire de Naples. Au revers de ces toiles, des sceaux de cire portent l’emblème et le nom de cette famille. Giuseppe Recco traite rarement le thème des vases de fleurs seules, sans les entourer de divers objets tels que des verres, des instruments de musique ou des plats débordant de friandises. Ici, les roses cent-feuilles au cœur exagérément rouge, encore un souvenir de Porpora mais aussi d’Abraham Brueghel (1631-1697) et de Jan Fyt (1611-1661), s’accompagnent de tulipes très droites, tandis que l’ascendant de Luca Forte est sensible dans l’aspect plissé des pétales des tulipes, évoquant du métal martelé, et dans les lueurs livides qu’ils renvoient. Seule une dizaine de tableaux semblables est répertoriée. Lors de l’exposition sur la nature morte organisée sous la direction de Gregori (2002-2003), Middione a proposé de situer cette paire dans la première maturité de l’artiste, par comparaison avec les Tulipes coupées d’une collection particulière (cat. no 26), notant le lien avec Paolo Porpora, opinion partagée par De Vito qui voit là un indice pour une datation tôt de l’œuvre de l’artiste (1988, p. 72). Cette proposition concorde avec les dires du biographe De Dominici pour lequel la réalisation de peintures de fleurs se situe au début de son activité puisque « […] attese a dipingere i suoi bei quadri […] facendo dapprima molti quadri di fiori, e da noi si veggono molti suoi vasi in misura perlopiù di tre palmi per alto » (1742-1745, III, p. 296). Néanmoins, la simplicité de la composition pourrait résulter des exigences des commanditaires plutôt que d’une « période stylistique » précise de l’artiste. Il a, en effet, exécuté des bouquets à des périodes différentes

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de sa carrière. Le haut socle en pierre, qui apparaît déjà dans deux Vases de fleurs de Giuseppe Recco – publiés comme « Giacomo » par Causa (1961, fig. 155a et 155b) –, ainsi que l’emploi de récipients en verre coloré d’origine napolitaine (Borrelli, 1988, p. 30), mais aussi l’archaïsme de la composition rappellent les œuvres d’Antonio Ponce (1608-1687). L’influence espagnole se fait largement ressentir à Naples surtout entre 1675 et 1687, période correspondant aux deux importantes vice-royautés, celle du marquis de Los Velez, vice-roi de 1675 à 1682 – et Recco fut « pittore del Marchese di Los Velez » (Burke – Cherry, 1997, I, voir Fumagalli, dans De Dominici [par Sricchia Santoro – Zezza], II, en cours de publication) – et celle du marquis del Carpio, vice-roi de 1683 à 1687. Ce dernier avait hérité de son père des natures mortes de Van der Hamen (1596-1631), de Juan De Espinosa (doc. 1628-1659) et de Labrador (doc. 1630 ; voir Burke, 1984, II, p. 213 et suiv.). Le marquis del Carpio a eu le projet de créer à Rome une académie d’artistes espagnols, projet qui échoua faute de soutien de la part de la cour de Madrid (Anselmi, 2007, p. 88). Le caractère hispanique de ces deux tableaux émane peut-être du désir d’un collectionneur de natures mortes ibériques d’acquérir un équivalent « napolitain », pour un prix sans doute moins élevé. Qu’une collection de tableaux reflète le goût de celui qui l’a constituée est encore attestée par les archives. Citons une importante collection du xviie siècle, celle de Domingo de Soria Arteaga en Espagne, où un tableau de raisins de Labrador était associé à un tableau de Bonzi (1576-ca. 1636) de sujet similaire (Jordan – Cherry, dans Londres, 1995, p. 190). claudia salvi


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Giuseppe Recco 28. Pastèque sur un plateau en étain, champignons et fruits huile sur toile. 74 × 99 cm sign « gios. r. » ₍« g » et « i » lis₎,  droite sur l’entablement paris, galerie canesso

bibliographie. Schulze, 1972, p. 99, pl. II ; Causa, 1972, fig. 412 ; Tufts, 1985, p. 45, fig. 48.

Le tableau a fait partie de la collection de la First National Bank of Chicago (Schulze, 1972, p. 99, pl. II), avant de figurer récemment à une vente chez Christie’s (New York, 17 octobre 2006, nO 228). Giuseppe Recco aborde ici la peinture de fruits. La composition s’articule sur deux

Fig. 1 — Giuseppe Recco, Nature morte de poires, grenades, coings, jasmin et plateau avec tranches de pastèque, auparavant Adelfi, Palazzo Marchesale.

Fig. 2 — Giuseppe Recco, Nature morte avec fruits, canards, champignons et autres oiseaux dans un paysage, Naples, musée de Capodimonte.

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plans autour d’un couteau posé en équilibre instable sur l’entablement, point de départ de la lecture du tableau. Il pointe également vers la signature, qui présente la particularité d’avoir le « G » attaché au « I », comme le peintre le pratiquait parfois. De succulentes tranches de pastèque sont disposées sur un plateau en étain dont la matière est suggérée par un éclairage inégal, tandis que les bords reflètent le rouge de ce fruit, créant de superbes contrastes. Quelques champignons aux chapeaux dorés, des coings, des grenades et des cerises de deux variétés font écho, tant par leurs formes que par leurs couleurs, au sujet principal que constitue le plateau à la pastèque. On le rencontre notamment dans une autre nature morte autrefois au Palazzo Marchesale d’Adelfi (fig. 1), publiée par Galante qui l’attribue à Giovan Battista Ruoppolo et la date des années 1650 (Galante, 1989, p. 971, no 1184). Il ne fait pas de doute que Giuseppe Recco se mesure ici à son contemporain, comme le prouve encore le tableau du Palazzo Marchesale qu’il convient de rendre à notre artiste, même si la toile de Bari peut se vanter d’une composition plus déliée qui rappelle, plus que la nôtre, les accumulations de fruits du Ruoppolo de la maturité. Cela dit, et indépendamment de la signature, notre composition est cohérente avec les autres œuvres de l’artiste. Elle peut, en particulier, être rapprochée de la grande Nature morte avec fruits, canards, champignons et autres oiseaux dans un paysage du musée de Capodimonte (fig. 2), signée et datée « Gios. Recco 1672 », dont Causa dit qu’elle est « finitissima in alcuni punti e solo abbozzata in altri » (« finie en certains endroits et juste esquissée en d’autres » ; Causa, 1972, p. 1021). Dans celle-ci, le peintre reprend de façon littérale plusieurs éléments comme les champignons placés près des coings ou le panier de cerises rouges et jaunes. La solidité de la forme, la vigueur des ombres portées, la composition en frise de cet étalage abondant de fruits, légumes et animaux sont aussi des aspects que l’on retrouve sur le tableau, en dépit de dimensions plus modestes. Ces considérations permettent donc de situer cette œuvre dans la proximité de celle de Capodimonte. claudia salvi


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Giuseppe Recco 29. Les Cinq Sens huile sur toile. 76 × 105 cm sign et dat sur le luth « gios: recco / f. 1676 » collection particulire

sur la toile de rentoilage, les lettres « sg » surmontes d’une couronne ducale correspondent  la marque de collection de l’infant don sbastien gabriel de bourbon et bragance. un numro « 23 » a t report sur une tiquette ronde.

bibliographie. De Logu, 1962, p. 139-140, fig. 87 ; Ghidiglia Quintavalle, dans Parme, 1964, p. 87, no 65 ; Bologna, dans Bergame, 1968, fig. 45 ; Martin-Mery, dans Bordeaux, 1969, p.30, no 55, fig. 33 ; Causa, 1972, p. 1021 ; Sterling, 1981, p. 87, fig. 57 bis ; Veca, 1982, fig. 265 ; Marini, dans Rome, 1984, p. 42-43, no 12 ; Salerno, 1984, p. 214 ; Spinosa, 1984, no 624 ; Middione, dans Naples, 1984-1985, p. 170 ; Loire, dans Marseille-Naples, 1988-1989, p. 224 ; Middione, 1989b, p. 903, no 1094 ; Proni, dans Crémone, 1996-1997, p. 248-249 ; Zuffi, 1999, p. 272. expositions. Parme, 1964, p. 87, no 65 ; Rotterdam, 1965, no 57a ; Bergame, 1968, fig. 45 ; Bordeaux, 1969, p. 30, no 55, fig. 33 ; Rome, 1984, p. 42-43, no 12 ; Crémone, 1996-1997, p. 248-249.

Le monogramme « SG », surmonté d’une couronne ducale, peint au revers du tableau, signale son appartenance à la collection de l’infant don Sébastien Gabriel de Bourbon et Bragance (1811-1875). Cet amateur éclairé, issu d’une branche cadette de la famille royale d’Espagne, petit-fils de l’infant Gabriel et frère du roi Charles IV d’Espagne, avait constitué une collection de peintures de tout premier ordre (Águeda Villar, 2003, p. 49-63). Personnage romantique, peintre à ses heures, il fut l’un des principaux chefs de l’insurrection carliste de 1835, à la suite de laquelle le gouvernement libéral lui confisqua sa collection pour la déposer au musée de la Trinidad à Madrid où un inventaire fut dressé à cette occasion. Dans cet inventaire publié par Águeda (1982, p. 102-117), notre tableau n’y figure pas, tout comme le tableau d’Andrea de Lione du musée du Louvre provenant lui aussi de cette même collection (Loire, 2006, p. 200-201). Notre tableau a dû y entrer à une date plus tardive, sans doute en provenance de l’héritage de sa première femme, Marie-Amélie de Naples (1818-1857), fille du roi de Naples et des DeuxSiciles, François Ier (1777-1830). Remarié à Marie-Christine de Bourbon, il s’exila à Pau en 1868 avec ses biens qui lui furent rendus entre-temps. Ceux-ci ont fait l’objet d’une exposition dans cette ville après sa mort (Pau, 1876). Par la suite, les tableaux sont retournés en Espagne où ils furent dispersés par ses héritiers en deux ventes publiques (Paris, 3 février 1890 et Madrid, octobre 1902). Águeda Villar a cependant retrouvé trace de cette œuvre dans deux inventaires espagnols inédits. L’un du 19 juin 1875, une simple liste, mentionne sous le no 73 (qu’une mauvaise lecture a transformé en 23 sur la toile

Fig. 1 — Giuseppe Recco, Nature morte avec du pain, des biscuits et des fleurs, Naples, musée Diego Aragona Pignatelli Cortes (collection Intesa Sanpaolo).

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de rentoilage de notre tableau) : « Reco 3.000 pesetas » (Madrid, Archivo del Palacio Real). Il nous est permis de penser qu’il s’agit bien du nôtre car il réapparaît, avec plus de détails, dans un autre inventaire de 1887 : « no 1398 Recco, Escuela Napolitana. Bodegón con guitarra, flores y confites, de 0,78 por 1,32. Valorado en 500 pesetas » (Madrid, Archivo Histórico de Protocolos). Si, pour la hauteur, la dimension correspond bien à celle de notre tableau, pour la longueur l’inventaire donne une dimension supérieure qui pourrait s’expliquer par une erreur de transcription au moment de la prisée. Ici, Giuseppe Recco signe et date (« 1676 ») une œuvre raffinée, riche de symbolisme, qui lui permet de dépasser la simple représentation d’objets inanimés pour les investir d’un contenu allégorique, celui des cinq sens, pour lesquels nous renvoyons à l’interprétation de Maria Silvia Proni (Crémone, 1996-1997, p. 248-249). Au tout premier plan, nous sommes sollicités par un plateau de sucreries, débordant de l’entablement, qui font appel aussi bien au goût qu’au plaisir tactile. Le luth, comme la partition ouverte, sont là pour évoquer à la fois l’ouïe et le toucher pour le pincement des cordes. La longue vue et les binocles font allusion, sans détour, à la vue, l’œil étant lui-même directement interpellé dans la contemplation de cette scène. Le petit coffre recouvert de velours rouge, de même que le lourd tapis de l’entablement de marbre, renvoient au toucher. L’horloge qui se dessine sur le fond fait allusion à l’écoulement inexorable du temps ; elle fait entrer le spectateur dans le monde, plus nordique d’inspiration, de la Vanité et du memento mori. Les fleurs de printemps (tulipes, narcisses, jacinthes et anémones), classique référence à l’odorat, s’échappent d’un vase en cristal en des mouvements gracieux de leurs tiges. Cette allégorie appartient à un groupe très cohérent d’œuvres, exécutées entre 1675 et 1680, mêlant un certain nombre d’éléments insolites et nouveaux pour l’école napolitaine, et qui pose le problème des contacts avec le Lombard Evaristo Baschenis (1607-1677) et son entourage, influences qui se ressentent encore dans l’emploi d’une matière plus lisse et plus intense dans les tonalités. Citons, entre autres, les Verrerie et fleurs du musée de Varsovie (Narodowe Muzeum), la Nature morte avec du pain, des biscuits et des fleurs (Naples, musée Diego Aragona Pignatelli Cortes ; fig. 1) et les Fleurs et sucreries sur un plateau d’argent (Pesaro, Museo Civico), toutes stylistiquement proches de la nôtre, et se distinguant par une lumière franche, plus diffuse que celle utilisée pour ses natures mortes de poissons ou ses intérieurs de cuisine. vronique damian





Giuseppe Recco – Francesco Solimena 30. Petit garçon, perroquet et fleurs huile sur toile. 63,5 × 88 cm collection particulire

Jeune fille au bouquet de fleurs huile sur toile. 63 × 88 cm collection particulire

Jeune fille et fleurs huile sur toile. 64 × 90 cm rome, collection particulire

Petite fille avec un chien et fleurs huile sur toile. 64 × 90 cm naples, collection particulire

bibliographie. Bologna, 1958, p. 67, 129, note 50, 266, fig. 9697 ; Causa, 1972, p. 1049, note 88 ; Volpe – Benati, dans Milan, 1981, sous le no 4 ; Middione, dans Paris, 1983, p. 255 ; Middione, dans Naples, 19841985, p. 170 ; Middione, 1989b, p. 903.

Ces quatre toiles de même dimension, aujourd’hui séparées – sans doute à l’origine une série sur les sens –, sont ici réunies et exposées toutes ensemble pour la première fois. Bologna les publie en 1958 dans sa monographie sur Solimena (1657-1747) en retenant « irréprochable » l’ancienne attribution à cet artiste pour les figures, reportée par un inventaire – alors de la collection Garzilli à Naples – qui suggère encore, pour les descriptions florales, le nom d’Andrea Belvedere (ca. 1652-1732). Bologna en rapproche l’exécution de Giuseppe Recco, à un moment tardif de sa carrière, proposition qui sera suivie par Causa (1972). Volpe et Benati (1981) ont émis des réserves quant à cette attribution – en signalant seulement deux tableaux sur les quatre, oubli repris ensuite par la critique – et envisagent de revenir à un peintre de genre entre Giuseppe Recco et Andrea Belvedere, l’ancien nom avancé par les archives de la collection Garzilli. De Dominici (1742-1745, III, p. 575) atteste bien d’une collaboration entre Belvedere et Solimena, pour autant que l’on puisse donner foi aux propos du biographe. Middione a reporté par la suite (1983, 1984-1985, 1989b) les doutes émis par Volpe et Benati en laissant cependant les tableaux dans le corpus de Giuseppe Recco. Pour les figures, sur lesquelles nous nous arrêterons peu – reviennent-elles toutes réellement au pinceau de Solimena ? –, Bologna avance une datation « peu après 1690 », qui doit s’accorder avec celles des fleurs. Ces dernières, dans le mode de présentation plus que dans la facture elle-même, renvoient davantage à Giuseppe Recco qu’à Belvedere : ainsi dans les entablements de pierre

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ou de marbre taillé, typiques de ses compositions finales comme la Nature morte de fleurs, fruits et biscuits (Spoleto, Galleria Sapori ; Middione, 1989b, p. 911, fig. 1100), mais encore dans le plateau de fleurs coupées en équilibre instable, les vases en terre cuite avec des tulipes – dont il faut noter l’esprit baroque des pétales très ouverts qui détonnent un peu avec les mêmes représentations de Recco – et la description du biscuit posé sur l’entablement. Observons également, dans ce vocabulaire composite, la guirlande de fleurs, motif cher à Abraham Brueghel (1631-1697), qui ressurgit ici sous forme de citation. La facture, parfois insistante dans la manière de dessiner les pétales comme on peut le constater, par exemple, avec les fleurs tombées sur la table de marbre, vient trahir un manque de spontanéité. Ces derniers caractères invitent effectivement à situer ces tableaux – toujours du point de vue des natures mortes – plutôt dans la suite de Giuseppe Recco, intuition que l’exposition devrait aider à préciser. En tous les cas, cet ensemble pose les questions passionnantes, outre celle évidente de la collaboration entre un peintre de figure et un peintre spécialisé dans le genre de la nature morte, de leur réception et de leur propos, en l’occurrence des représentations allégoriques des sens : le goût (le jeune garçon présentant des cerises au perroquet alors qu’un gâteau est posé sur l’entablement), l’odorat (la jeune femme qui sent une fleur), le toucher (la petite fille qui caresse le chien) et la vue (la jeune fille qui arrange un bouquet en enlevant les fleurs fanées pour les remplacer par des fleurs fraîches). vronique damian


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Giovan Battista Ruoppolo naples 1629  1693 Giovan Battista Ruoppolo, figure centrale de la nature morte napolitaine du xviie siècle, eut plus de chance avec la postérité que son contemporain – légèrement plus âgé – Giovan Battista Recco. De Dominici lui consacre une Vie assez bien informée (1742-1745, III, p. 293-295), mais c’est à Prota-Giurleo que revient le mérite d’avoir retrouvé ses principaux éléments biographiques : né à Naples le 5 avril 1629, il meurt, dans cette même ville, le 17 janvier 1693 (Prota-Giurleo, 1953, p. 17-18). Ce dernier nous apprend encore qu’il était le fils d’un peintre de majoliques, profession exercée aussi par l’un de ses frères aînés. Il suppose par ailleurs que Giovan Battista fréquenta ce même atelier, peignant à l’occasion des décors de fruits, de poissons, d’oiseaux, ou en tous les cas, qu’il dût avoir une réelle familiarité avec cet endroit, puisqu’il épouse à l’âge de vingt-six ans, la fille du propriétaire de ce lieu, Teresa Congiusto. Entre 1656 et 1680 naîtront neuf enfants de cette union. De Dominici le dit d’emblée élève de Paolo Porpora et si un tel apprentissage s’avère exact, il advint probablement très tôt, avant que Porpora ne parte pour Rome, où sa présence est attestée en 1650. L’enseignement de ce maître fut fondamental pour la manière de « vedere ogni cosa dal naturale », mais tout de suite après, le biographe précise que l’élève dépasse le maître pour chercher ce « qualche cosa di più » qu’il trouvera dans la spécialité des fruits, et en particulier du raisin. Malheureusement, aucun document ne vient confirmer cette formation dans laquelle il est certain que Paolo Porpora comptera pour beaucoup, ainsi que les fortes suggestions naturalistes expérimentées, dans le même temps, par Luca Forte (1600/1605-av. 1670). Pour le début de son activité sont venues se greffer des incertitudes résultant de la similitude de ses initiales – le fameux monogramme « G.B.R. » – avec celles de Giovan Battista Recco (nous renvoyons à ce propos

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à la biographie de Giovan Battista Recco). Pourtant, certains caractères de son œuvre tôt nous invitent à le distinguer de son aîné par sa disposition à peindre volontiers des fruits, des raisins notamment, toujours selon De Dominici, « dell’uva ove fece studio particolare  », et des cuivres dont il s’est fait une spécialité. Sans doute Paolo Porpora l’encouragea-t-il aussi dans le genre de la nature morte de poissons dans lequel il s’illustra fort brillamment si l’on en juge par le bel exemple, signé Giovan Battista Ruoppolo (Naples, Museo di San Martino), point de départ pour toutes propositions d’attribution dans ce domaine précis. Ses œuvres tôt nous montrent d’autre part qu’il n’a pas travaillé uniquement dans la droite ligne de Paolo Porpora et de Giovan Battista Recco, mais qu’il a trouvé tout de suite un style plus éclectique, toujours en accord avec le naturalisme ambiant. Ainsi en est-il de la Nature morte avec des boules de pain, des légumes (Naples, musée de Capodimonte) ou encore de la superbe composition, signée, avec des Céleris et boules de neige (Oxford, Ashmolean Museum), la Nature morte avec des fruits, poisson et oiseau mort (Naples, collection Galante Ciollaro), comme de la Nature morte avec des poissons (Naples, collection particulière ; pour ces deux dernières voir Middione, dans Naples, 1984-1985, p. 434, no 2.221 et p. 436, no 2.223). Pour clore ce tour d’horizon des années 1650, il faut nommer la très belle nature morte avec des Fruits et légumes dans un paysage (collection particulière ; fig. 1 ; Middione, 1989c, p. 916, 918, fig. 1107), qui opère déjà une transition vers les rideaux de fruits qu’il exécutera plus tard et pour lesquels, outre le magnifique exemplaire présenté ici (cat. no 34), nous pouvons citer celui d’une collection particulière de Madrid, publié par Pérez Sánchez (dans Madrid, 1985, p. 292-293, no 123). À lire De Dominici, on a l’impression qu’il fut le peintre, si l’on osait ce terme anachronique, le plus en vogue


Fig. 1 — Giovan Battista Ruoppolo, Fruits et légumes dans un paysage,

Fig. 2 — Giovan Battista Ruoppolo – Luca Giordano, Allégorie

collection particulière.

de l’Automne, Pays-Bas, collection particulière.

du moment. À Naples, comme nous l’assure le biographe, ses œuvres décorent les maisons de « molti signori », avant d’atteindre les Flandres où nombre de ses tableaux sont arrivés par l’intermédiaire du marchandcollectionneur d’origine anversoise Gaspare Roomer – et bien que l’inventaire des tableaux de ce dernier ne précise aucun nom d’artistes (Ruotolo, 1982, p. 9 ; Fumagalli, dans De Dominici [par Sricchia Santoro – Zezza], II, à paraître) – ou bien encore par celle du banquier Vandeneynden à en juger, cette fois-ci, par les nombreuses citations dont son inventaire, rédigé par Luca Giordano (1634-1705) en 1688, fait état (Ruotolo, 1982, p. 17). Par ailleurs, en 1673 est attesté un paiement de Vandeneynden à Giovan Battista Ruoppolo (Ruotolo, 1982, p. 24). Dans les années 1680, son art s’est définitivement installé dans une ampleur toute baroque, tant dans le format que par ses conceptions décoratives. Ainsi, pour la fameuse exposition du Corpus Domini de 1684, De Dominici indique encore que Giovan Battista Ruoppolo avait participé à quatre œuvres de collaboration, sur les quatorze exécutées à l’occasion de cette fête. Il s’agit d’une commande – la plus importante dans le domaine de la nature morte à Naples dans cette seconde moitié du xviie siècle – passée par le marquis del Carpio, vice-roi de Naples de 1683 à 1687, laissant à Luca Giordano le soin de concevoir le projet artistique et d’en réaliser les figures. Le biographe ajoute, en ce qui concerne notre artiste, que deux d’entre elles représentaient « […] des fruits, du raisin, des fleurs et des légumes et deux des poissons et des animaux de chasse à plumes et à poils ». Les deux premières citées semblent correspondre en tous points avec celles étudiées et exposées récemment par Lattuada (dans Naples, 1997-1998, p. 165-169, no 1.11 et 1.12). Sur le premier tableau, de longs pampres de vigne, surchargés de grappes, courent sur toute la longueur du tableau, pour illustrer un thème bachique qui se

double d’une Allégorie de l’Automne (Pays-Bas, collection particulière ; fig. 2). Le second tableau retrouvé, L’Été (toujours Pays-Bas, collection particulière), témoigne d’une collaboration supplémentaire pour les fleurs avec Abraham Brueghel (1631-1697), artiste présent à Naples dès 1675, Giovan Battista Ruoppolo exécutant lui les fruits qui tombent en cascade sur le sol. Sans doute au gré de la demande, l’artiste était capable de décliner ces mêmes variations sur le thème du raisin comme viennent en témoigner les deux compositions du musée des Arts décoratifs à Paris et du museo de Bellas Artes de Séville (Pérez Sánchez dans Madrid, 1985, p. 294-295, no 124). Cette spécialité dans le domaine des fruits, sur laquelle insiste De Dominici, se vérifie encore par les citations d’inventaires publiées par Labrot (1992, p. 558), qui mentionnent toutes des fruits, mise à part deux compositions : l’une représente des fleurs et l’autre un thème de chasse. vronique damian

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Giovan Battista Ruoppolo 31. Pastèque, melon, figues, pêches

et raisins sur un entablement huile sur panneau. 59 × 74 cm sign en bas  droite « g. b. ruoplo » paris, galerie canesso Le peintre privilégie un cadrage serré pour cet étalage de fruits alliant des variétés de différentes saisons, selon un dictum décoratif que l’on retrouve dans de nombreuses natures mortes du xviie siècle. Disposés sur un entablement de pierre, pêches, cerises et pastèque rappellent l’été, tandis que raisins, figues, grenades et poires évoquent l’automne. Mêlés aux feuilles de vigne et aux fleurs de jasmin, les fruits, tombés d’un panier aux larges bandes d’osier, caractéristique du répertoire des peintres napolitains, se jouxtent dans un amoncellement étudié pour que le spectateur puisse apprécier toutes les qualités de cette composition. Si le choix du support, ici, est unique dans l’œuvre de l’artiste, la mise en scène, le répertoire de fruits et l’éclairage, fortement contrasté, que sert magistralement une palette rougeoyante, sont en revanche typiques de son art, comme le rappelle De Dominici. Le biographe nous informe qu’après avoir été élève de Porpora, et afin de s’en démarquer, Giovan Battista Ruoppolo commença à peindre « dell’uva ove fece studio particolare, con altre frutta, le quali egli dipinse assai bene » (17421745, III, p. 294). Citons, parmi tant d’autres toiles, la Nature morte de fruits (signée, Naples, collection particulière ; dans Naples, 1984-1985, I, p. 437, no 2.224), où une demi-pastèque à la surface humectée et sillonnée par les graines noires est restituée en un tour de force mimétique comme dans notre tableau. Viennent s’y ajouter des feuilles de vigne brossées largement, des

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grenades à l’écorce luisante, des raisins noirs et blancs appréciés pour les vigoureux contrastes chromatiques que le peintre s’autorise, auxquels s’associent des fleurs blanches – tubéreuses et jasmins – introduisant fragrances et lumières dans un contexte « ténébreux » fort de son empreinte caravagesque. Cette production, située dans la seconde moitié du siècle, est marquée par l’influence de Luca Forte, sensible dans la palette contrastée et dans la saillie vigoureuse des modèles, mais encore par les compositions de fruits en cascade de Cerquozzi et la vraisemblable opulence qui en découle (Middione, dans Naples, 1984-1985, I, p. 437 ; Middione, 1989c, p. 916 ; Cottino, 2005, p. 73). Mais c’est avant tout Abraham Brueghel, présent à Naples dès 1675, qui entraîna Giovan Battista Ruoppolo vers des solutions plus modernes, où la profusion des fruits s’accommode tout autant de petits et de grands formats, que de la matière, balayée amplement par le pinceau. Notre nature morte, bien que de dimensions plus modestes, n’en est pas moins fidèle à cette poétique de saturation à la fois formelle et chromatique. Le succès des natures mortes de Giovan Battista Ruoppolo et notamment de celles de fruits s’apprécie tout spécialement à la lecture de De Dominici (1742-1745, III, p. 294), qui cite un grand nombre de ses tableaux dans les demeures des familles princières napolitaines, ces références étant aujourd’hui confirmées par la critique (Labrot, 1992, p. 558). claudia salvi


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Giovan Battista Ruoppolo 32. Un omble, un bar, une rascasse, une dorade et des coquillages huile sur toile. 101 × 70,5 cm collection particulire

bibliographie. De Vito, 1999, p. 30, 40, fig. XVI ; Damian, 2006, p. 38-41.

De Vito (1999, p. 30, 40, fig. XVI) est le premier à publier le tableau tout en proposant une attribution à Giovan Battista Ruoppolo, soulignant un vocabulaire commun avec l’art de Paolo Porpora, artiste dont il fut l’élève selon De Dominici (1742-1745, III, p. 293). Des « natura in posa » sur ce thème présentées à l’exposition, aucune ne se rapproche autant du « portrait », terme que nous évoque le bar tenant la place d’honneur au centre et sur toute la hauteur du tableau. En effet, le peintre privilégie un sens soutenu de la forme et n’hésite pas à placer le

Fig. 1 — Giovan Battista Ruoppolo, Nature morte de poissons, Naples, Museo di San Martino.

Fig. 2 — Giovan Battista Ruoppolo, Nature morte avec des poissons et un crabe retourné, Naples, collection particulière.

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motif principal en pleine lumière, volant ainsi la vedette à ceux, plus petits, qui l’entourent. Pourtant, la manière de composer sur différents niveaux en plaçant les poissons aux endroits stratégiques, pour mieux lier les plans entre eux, doit encore beaucoup à Giovan Battista Recco, et nous pensons, entre autres, au tableau de l’ancienne collection Mendola de Catane (cat. no 5). Les poissons suspendus à un crochet structurent l’espace en traçant des lignes de force qui s’étirent verticalement, depuis un entablement de pierre, grossièrement taillé. De part et d’autre, des coquillages soulignent la ligne horizontale de ce support et adoucissent de leurs pourtours ronds une composition dont la magie repose, à bien des égards, sur une « construction » quelque peu artificielle. L’unité dans le choix des motifs et leur présentation épurée autorisent à envisager une datation antérieure à celle admise pour deux de ses compositions, plus touffues et plus ambitieuses en dimension, que sont la Nature morte de poissons (Naples, Museo di San Martino ; fig. 1) et la Nature morte avec des poissons et un crabe retourné (Naples, collection particulière, fig. 2 ; Spike, 1983, p. 90, no 30 ; Middione, dans Naples, 1984-1985, p. 436, no 2.223), datées par la critique vers 1670. Ici, les emprunts à un répertoire commun avec les premiers représentants du genre invitent à le placer dans la première période de son activité, autour des années 1650-1660. Les écailles et les reflets sont figurés au moyen de rehauts de couleur blanche, bleue ou jaune obtenus du bout du pinceau, en myriade de points inégaux du plus bel effet pictural. Seule la rascasse arbore une couleur chaude – un rouge teinté de taches brunes – dans une composition qui se décline plutôt dans des tonalités assez monochromes de blancs, de gris ou de brun sur brun, comme l’indique encore le seau en bois se confondant avec le fond. Giovan Battista Ruoppolo évite la surcharge et offre ici une option savante et originale dans le genre de la nature morte de poissons qui, peu à peu, le siècle avançant, se détache du simple souci naturaliste pour explorer de nouvelles voies, plus décoratives. ronique damian


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Giovan Battista Ruoppolo 33. Intérieur de garde-manger huile sur toile. 84,5 × 118 cm naples, muse diego aragona pignatelli cortes ₍collection intesa sanpaolo₎

bibliographie. Spinosa, dans Naples, 1989, p. 52 ; Tecce, dans Spinosa –Tecce, 1998, p. 19, 37 ; Scarpa, 2004c, p. 136-137. expositions. Naples, 1989, p. 52.

La reconstruction du catalogue de Ruoppolo  s’avère difficile car, d’une part, les tableaux signés et  datés in extenso sont très rares et, d’autre part, son monogramme « GBR », commun avec celui de son aîné Giovan Battista Recco, a donné lieu à des confusions. L’artiste était présent dans les plus importantes collections napolitaines de l’époque, à commencer par celle du banquier flamand, Ferdinand Vandeneynden, amateur raffiné d’objets d’art installé dans cette ville. L’inventaire du patrimoine de Vandeneynden, rédigé par Luca Giordano en 1688 pour le compte des héritiers, signale plusieurs œuvres de Ruoppolo, bien qu’elles ne furent jamais identifiées, comme les « Roba di caccia con capretto, et una papera » ou « Diverse robbe dicucina et una impanata », ou bien encore « Frutta e fiori ; frutta, fiori, melone d’acqua » et, pour finir, un tableau « Con diversi pennoli d’uva, granate e meloni » (Ruotolo, 1982, p. 30, 34, 35, 39). La collection de Don Giuliano Colonna comptait, elle aussi, deux tableaux attribués au peintre avec des « Frutta, fiori e mezza anguria », évalués à cinquante lires, et une autre nature morte estimée à quarante lires. Des prix comparables étaient cités pour un paysage de Castiglione, une Sainte Marguerite de Cavallino et une Madeleine de Luca Giordano (Spike, dans New YorkTulsa-Dayton, 1983, p. 88). Les débuts de Ruoppolo sont marqués par un naturalisme à la manière de Giovan Battista Recco et de Luca Forte, qui s’oppose à la nature morte romaine d’un Mao Salini ou d’un Michelangelo Cerquozzi. Au cours de cette période, il peint les Céleris et boules de neige de l’Ashmolean Museum d’Oxford et la Nature morte avec légumes et pain du musée de Capodimonte. Le peintre renouvelle son répertoire dans les années 1660-1670, en s’ouvrant aux influences décoratives d’ornementation baroque. Cette nature morte, caractérisée par un naturalisme prononcé, a été acquise en 1985 auprès de l’antiquaire Paolo Sapori de Spoleto. Elle a été attribuée à Ruoppolo par Spinosa qui la date d’avant la fin des années 1660.

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La composition se présente comme une juxtaposition de pains, de fruits, de poissons et de gibier disposés sur divers plans au moyen d’une perspective qui aboutit, au centre, sur un chevreau dépecé, visant un effet dramatique évident. Les motifs sont traités avec réalisme et chacun est mis en évidence par un éclairage particulier. L’association hardie des thèmes, comme la variété et la richesse des éléments peints, témoignent de l’influence du style tardif de Giovan Battista Recco. Ce n’est pas un hasard si l’Intérieur de cuisine avec gibier, pains, fromages et dindon (collection particulière, ex-collection bolonaise ; ill. dans Zeri – Porzio, 1989, p. 891, no 1068) et les Poissons et huîtres avec assiette du musée de Stockholm, réalisés par Recco ont été, par le passé, attribués à Ruoppolo. Le thème iconographique représentant l’intérieur d’un garde-manger est un sujet d’origine espagnole, très répandu dans les pays méditerranéens, et qui s’explique à Naples par la présence de nombreux artistes ibériques. Le gibier dérive de modèles différents de ceux que l’on trouve habituellement dans la peinture de genre napolitaine : on le doit probablement à la présence importante d’œuvres flamandes dans les collections privées locales, comme celle du marchand et armateur anversois, Gaspare Roomer. À partir de là, Ruoppolo s’oriente vers le baroque, en prenant exemple sur les premières peintures du jeune Giuseppe Recco et sur celles du Flamand Abraham Brueghel, à Naples dès 1675, qui déterminera sa production à venir, caractérisée par une série de « triomphes végétaux », au format monumental, somptueux et luxuriants, où les effets décoratifs et le chromatisme sont éclatants. Des œuvres comme la Nature morte avec des fruits, légumes et Amour, d’une collection particulière de Florence (Zeri-Porzio, 1989, p. 921, no 1113) ou la Nature morte avec des fruits du musée de Capodimonte (en dépôt au Museo di San Martino ; La Havane, 2002-2003, ill. p. 81) rencontreront les faveurs des collectionneurs. Il deviendra un chef d’école populaire et incontesté de la nature morte napolitaine. denise maria pagano


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Giovan Battista Ruoppolo 34. Pampres de vigne avec raisins, grenades, figues, citrons,

pommes, pastèque et melons et un pot de narcisses huile sur toile. 177 × 226 cm sign « gio. batta ruo.lo » en bas  gauche collection particulire

bibliographie. Moro, dans Belgioioso-Ariccia, 2000, p. 126 ; Confalone, dans Munich-Florence, 2002-2003, p. 206-207. expositions. Belgioioso-Ariccia, 2000, p. 126 ; Munich-Florence, 2002-2003, p. 206-207.

La récente publication de ce tableau (2000) jusqu’alors inédit, ostensiblement signé dans la partie sombre, en bas à gauche, apporte une pierre fondamentale à l’œuvre de cet artiste qui, par ailleurs, signait peu. En dépit de cette certitude qu’il a pris soin d’apposer, l’appartenance de ce rideau de fruits variés aux pinceaux de Giovan Battista Ruoppolo est manifeste. S’il fallait s’en convaincre, il suffirait de le comparer avec le tableau, lui aussi signé, d’une collection particulière, exposé à Naples en 19841985 (p. 437, no 2.224), représentant de la même manière un trophée végétal disposé en cascade et dont les fruits et les feuilles, largement dépeintes, semblent là pour chasser l’horror vacui en un amoncellement qui annonce le baroque le plus redondant. Mais il conviendrait de citer encore la composition de Fruits et légumes de la collection Gava de Naples (Causa, 1972, fig. 402), comme la précédente, verticale et dont l’espace peint est complètement occupé à décrire cette nature prolifique, en une illusion picturale qui voudrait nous faire croire que ces fruits se trouvent à portée de main. De l’une à l’autre, le procédé de présentation est identique et s’échelonne du haut vers le bas où quelques fruits sont posés à même le sol, au tout premier plan. En toile de fond sont à peine esquissés quelques troncs d’arbres avec, en leur centre, une petite échappée laissant deviner un coin de ciel bleu à peine voilé par un nuage. Pour aider à la vraisemblance d’un tel étalage de fruits, l’artiste place parfois, comme ici, un panier d’osier presque entièrement caché par les lourdes grappes de raisin et la branche de citrons, exposant en pleine lumière le jaune lumineux de leurs écorces. Le peintre prend

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encore soin de décrire avec chaque fruit, la ou les feuilles correspondantes, mêlant dans la partie haute celles du figuier à celles de la vigne alors qu’une seule de ses feuilles est encore attachée à la poire tombée sur le sol, à l’extrême gauche. Véritable symphonie de formes et de couleurs, d’une variété infinie et dont la juxtaposition, quelquefois brutale, donne un rythme tonique et primesautier à l’ensemble, elle trouve son point d’orgue dans la pastèque coupée qui lui offre le prétexte de placer au centre un beau rouge qu’il prend plaisir à contraster avec le bleu profond de la grappe de raisins posée au-dessus. Nous aimerions connaître les circonstances de la commande d’une composition aussi ambitieuse, qu’une tradition familiale héritée de son ancien propriétaire dit provenir, dans un passé plus récent, de Joachim Murat (1767-1815), beau-frère de Napoléon Ier et roi de Naples de 1808 à 1815 (Moro, dans Belgioioso – Ariccia, 2000, p. 126). Son écriture, encore d’une « extrême rigueur stylistique » pour reprendre les termes de Causa (1972, p. 1018), montre à quel point Giovan Battista Ruoppolo s’achemine prudemment vers le baroque, pour lequel ont dû compter les exemples romains de Michelangelo di Campidoglio (1610 ?-1670 ?) et de Cerquozzi (1602-1660), tout en gardant une forte empreinte napolitaine. Si ce tableau doit être considéré comme une œuvre de la maturité, il se situe cependant avant les compositions, de format monumental, exécutées à l’occasion de la fête du Corpus Domini, en 1684, en collaboration avec Luca Giordano pour les figures et Abraham Brueghel pour les fleurs (Lattuada, dans Naples, 1997-1998, p. 165-169, nos 1.11 et 1.12). vronique damian


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Giovan Battista Ruoppolo 35. Pastèque, grappes de raisin, figues et panier de fruits huile sur toile. 76 × 115 cm collection particulire ₍auparavant paris, galerie canesso₎

bibliographie. Confalone, dans Madrid-Salamanque, 2005, p. 66-67, no 29. expositions. Madrid-Salamanque, 2005, p. 66-67, no 29.

D’un grand panier d’osier renversé sur le sol se sont échappés des figues vertes et violettes, des raisins blancs et noirs, des petites poires et des citrons, près de là, une pastèque tranchée, découvrant sa pulpe d’un beau rouge mat, semble briller sur le fond obscur. Sur cette composition d’inspiration baroque, le mimétisme rivalise avec la splendeur des couleurs. Le regard subjugué et inquiet du spectateur court d’un fruit à l’autre sans pouvoir se poser, entraîné comme le contenu renversé du panier, ce qui apporte un certain dynamisme à la scène. Les teintes vives et marquées des objets, la souplesse de la composition, la nature même des fruits mis en scène comme la pastèque, les figues à la pulpe rouge et juteuse, les grains de raisin mûrs nous transmettent un sentiment de plénitude, propre à la grande période de la nature morte baroque. On pense à Abraham Brueghel (1631-1697) qui travailla à Naples à partir de 1675, mais aussi à Michelangelo Pace (1610 ? – 1670 ?) et tant d’autres. Les riches compositions de fruits, à la fin des années 1660, deviennent excessivement opulentes, et avec un exemple comme la toile que nous présentons, on se trouve indéniablement à Naples. Le fond est très sombre,

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les ombres sont accusées et les contrastes chromatiques recherchés tout en côtoyant des éléments typiquement régionaux comme les poires jaunes et rouges, volontiers représentées par les peintres napolitains, de Luca Forte à Giovan Battista Ruoppolo. Le caractère festif de cette composition rappelle enfin que Naples est la ville des spectacles publics et populaires auxquels les arts figuratifs ont largement contribué, comme les tableaux réalisés pour la fête du Corpus Domini de 1684. Cette entreprise – coordonnée par Luca Giordano et à laquelle ont participé Paolo de Matteis, Giovan Battista Ruoppolo et Abraham Brueghel entre autres – est souvent mentionnée dans les sources du fait de son exceptionnelle portée symbolique. Le prestige de ces fastes napolitains se reflète dans les tons flamboyants utilisés par Giovan Battista Ruoppolo sur le panier, les larges feuilles de figuier, les citrons et les coings bruns, qui produisent une véritable « explosion » chromatique au centre du tableau, nous laissant entrevoir d’autres compositions picturales qui évoquent le Tommaso Realfonso le plus inspiré. claudia salvi


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Giuseppe Ruoppolo naples 1630?  1710 La vie de cet important artiste reste encore mal connue et ses liens de parenté avec Giovan Battista Ruoppolo ne sont pas établis avec certitude. Selon De Dominici, il s’agirait de son neveu et il situe sa disparition vers 1710. à cette date, Giuseppe aurait été « quasi ottagenario » (« presque octogénaire ») et puisque le biographe l’a « conosciuto e praticato più volte » (« connu et rencontré plusieurs fois »), il est légitime de le croire, du moins tant que de nouvelles données ne viennent pas le démentir (De Dominici, 1742-1745, III, p. 298-299). Si la biographie de l’artiste n’a pas suscité les recherches qu’elle mérite, en revanche, sont répertoriées de nombreuses toiles signées ou monogrammées. Une observation attentive de ses œuvres, faite par De Dominici et commentée récemment par De Vito (2005), constitue une meilleure approche de son art. Dans le sillage de Causa, la critique s’accorde à souligner l’influence du Giuseppe Recco intimiste, auteur de la Nature morte avec glacière monogrammée « G.R. », que l’historien a tout d’abord attribuée à Giuseppe Ruoppolo (Naples-ZurichRotterdam, 1964-1965, p. 53-56), avant de la rendre à Giuseppe Recco (Causa, 1972, p. 1044, note 69 ; voir aussi Bologna, dans Bergame, 1968, pl. 49 ; Salerno, 1984, p. 228 ; Middione, 1989d, p. 923 ; Confalone, dans Munich-Florence, 2002-2003, p. 215-217). Cette influence transparaît dans plusieurs compositions du peintre, à commencer par le cadrage serré, l’utilisation d’un fond sombre et la disposition en frise des objets en cuivre et des agrumes. D’après le biographe, les agrumes étaient la spécialité de Giuseppe Ruoppolo : « […] fece assai bene i frutti secchi, gli aranci, i limoni », comme le démontrent ses œuvres les plus connues, tel le tableau avec des Agrumes et un seau en cuivre (fig. 1), non signé mais certainement de sa main, de la collection Molinari Pradelli, ou celui du Museo Duca di Martina (cat. no 36), ou encore la série de quatre tableaux dont l’un

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est signé « Gius. Roppoli », publiée par Bologna (dans Bergame, 1968, pl. 49). Tous ces éléments rappellent l’art de Giuseppe Recco qui, toujours selon De Dominici, fut son contemporain. Au contraire, le soin apporté par Giuseppe Ruoppolo à la vraisemblance de ses descriptions dont parle De Dominici, « […] cio’ che volea dipingere […] lo dipingeva, ma con tanta verità », a permis à De Vito d’attirer l’attention sur le rôle de Luca Forte pour forger la matrice de la grande nature morte Fruits et légumes avec un vase de fleurs, signée, provenant de la collection d’Avalos, aujourd’hui au musée de Capodimonte, et peinte en collaboration avec Abraham Brueghel. Le traitement pointilliste de la lumière, qui lui sert à transcrire l’aspect irrégulier de l’écorce des cédrats, des oranges et des citrons est, lui, inspiré de Paolo Porpora (Causa, 1972, p. 1016). Par ailleurs, les relations entre Giuseppe et Giovan Battista Ruoppolo, outre leurs liens de parenté, étaient avant tout d’ordre professionnelles. Difficiles à déterminer dans l’état actuel des connaissances, elles doivent ici être rappelées pour les questions historiques et philologiques qu’elles supposent. La Nature morte de légumes et d’agrumes (collection particulière, ex-Galleria Sapori) est à juste titre considérée comme l’un des chefs-d’œuvre de Giovan Battista Ruoppolo. La Nature morte de cardons, salade et navets blancs du musée du Capodimonte, maintenant attribuée à Giovan Battista Ruoppolo, était autrefois donnée par De Logu à Giuseppe (De Logu, 1962, p. 130, pl. 79). Ces deux œuvres présentent de nombreuses similitudes avec un tableau signé de Giuseppe représentant des Cardons, fleurs, salade et champignons (De Vito, 2005, p. 13, fig. 2) : les motifs de la botte de navets blancs et de la salade sont pratiquement superposables. Ces tableaux posent donc la question de la collaboration entre les deux Ruoppolo, à laquelle on ne peut répondre avec certitude faute de documents.


Le nom de Giuseppe n’est jamais cité de manière explicite dans les inventaires posthumes même si quelques descriptions succinctes avec l’entrée « Ruoppolo », comme celles des tableaux appartenant à Ottavio Orsini, prince de Frasso (1704) : « un quadro con rame », « due quadri con frutti fiori e agrume », rappellent la manière du moins célèbre des deux Ruoppolo. Ne nous aide pas la mention des dix-sept tableaux de fruits d’un certain Francesco Ruoppolo, inconnu des historiens de l’art, appartenant à Benedetto Cuomo dans l’inventaire dressé en 1687 (Labrot, 1992, p. 558). Un certain nombre de toiles montrant de fortes affinités avec l’univers de Giuseppe Ruoppolo, monogrammées « GRU », apportent un questionnement nouveau. Causa a proposé la création d’un Maître GRU, « [...] più tardo, più accademizzante, più manierato » et qui « [...] non ha nulla da spartire [n’a rien à voir] con Giuseppe Ruoppolo » (Causa, 1972, p. 1044, note 69). Différencier les deux mains reste problématique, même si la critique, à l’exception de Marini (Marini, dans Palerme, 1984, no 33 ; Middione, 1989d, p. 926), a suivi la proposition de Causa et a imaginé deux peintres distincts. claudia salvi

Fig. 1 — Giuseppe Ruoppolo, Nature morte avec agrumes et seau en cuivre, Marano di Castenaso, collection Molinari Pradelli.

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Giuseppe Ruoppolo 36. Nature morte aux cédrats et pâté en croûte huile sur toile. 73 × 100 cm naples, museo duca di martina

bibliographie. De Logu, 1962, p. 131-132 ; Causa, 1972, p. 1044, note 69 et suiv. ; Volpe – Benati, 1981, p. 17 ; Middione, dans LondresWashington, 1982, p. 276 ; Middione, dans Naples, 1984-1985, p. 174. expositions. Naples, 1953-1954, p. 20, no 20 ; Naples-ZurichRotterdam, 1964-1965, p. 54, no 89 ; Budapest, 1985, p. 111, no 62.

L’attribution à Giuseppe Ruoppolo est due à Causa (Naples, 1953-1954) : un nettoyage et une enquête aux rayons infrarouges ont révélé les traces d’un monogramme « Gius. R. » sous une signature apocryphe de Giuseppe Recco. L’historien cite De Dominici selon lequel l’artiste, moins connu que son oncle Giovan Battista, s’était spécialisé dans les représentations des « frutti secchi, gli aranci, i limoni e varie cose » et peignait « ad imitazione del suo zio Gio : Battista cose di Rame, che furono ai suoi tempi tenuti in pregio per essere naturalissime » (« à l’imitation de son oncle Giovan Battista, des ustensiles de cuivre qui étaient appréciés à leur époque pour leur grand réalisme »), bien qu’il ne fût « ferace e felice nel componimento, ponendo quasi a ringhiera sopra un poggio cio’ che voleva dipingere, e senza niuna bizzarria pittoresca le dipingeva, ma con tanta verità che sembravan più belle del naturale medesimo » (« ni heureux ni fécond dans sa manière de composer, posant presque en évidence comme sur une colline ce qu’il voulait peindre, sans aucune originalité mais avec une telle vérité que les objets paraissaient plus beaux qu’au naturel ») (1742-1745, III, p. 298). Causa souligne le caractère de bodegon espagnol de l’œuvre, au naturalisme prononcé, comme une application

Fig. 1 — Giuseppe Recco, Nature morte avec des pains, une tarte et une glacière, Marano di Castenaso, collection Molinari Pradelli.

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des modèles de Zurbarán. Le soin apporté au rendu des écorces irrégulières des agrumes, obtenu grâce à de petites taches de lumière, constitue selon Causa la marque distinctive du jeune Ruoppolo autour de laquelle il est possible de reconstruire sa production plus tardive. Il relie ce tableau à la Nature morte avec des pains, une tarte et une glacière (réalisée, elle, par Giuseppe Recco ; fig. 1), à la Nature morte avec agrumes et seau en cuivre de la collection Molinari Pradelli (dans Naples-Zurich-Rotterdam, 19641965, p. 54-55, nos 91-92) et à celle de la collection Zauli Naldi (ibid., p. 54, no 90), bien que cette dernière soit de Giovan Battista Ruoppolo. De Logu a, lui aussi, souscrit à une attribution au jeune Ruoppolo, en exprimant un avis positif sur le tableau (1962). En 1972, Causa revient sur le sujet, en reconnaissant problématique le tableau de la Floridiana et, par conséquent, celui de la Nature morte avec agrumes et seau en cuivre de la collection Molinari Pradelli, dans laquelle il avait auparavant reconnu une « analisi di superficie insistita e puntigliosa, che disquama in una materia vivida e grumosa la buccia dei limoni e si condensa in grevi brillii sulla costolatura delle foglie » (« une analyse fine et pointilleuse, qui desquame l’écorce des citrons en une matière vivante et grumeleuse et qui se condense en un scintillement surchargé sur les nervures des feuilles ») (dans Naples-Zurich-Rotterdam, 1964-1965, p. 55, no 92). En outre, l’historien demandait que soient exclues du catalogue de Ruoppolo les œuvres monogrammées « G.R.U. » – dont le premier exemplaire se trouve à la Galleria Nazionale d’Arte Antica de Rome – dues à un artiste plus tardif, au style plus académique et maniériste. Volpe et Benati (1981) admettent, à leur tour, que Ruoppolo occupe une place autonome dans le domaine de la nature morte napolitaine de la seconde moitié du siècle. Au contraire, Bologna a toujours insisté, pour son œuvre tôt, sur l’influence du premier Giuseppe Recco et a noté les interférences avec Agostino Verrocchi. D’autres œuvres attribuées à l’artiste présentent également un paysage à l’arrière-plan : c’est le cas, par exemple, du tableau conservé au musée de Nantes et des peintures sur verre publiées récemment par De Vito (2005, p. 7-26). denise maria pagano


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Giuseppe Ruoppolo 37. Panier de pommes, raisins, prunes, figues et fraises huile sur toile. 115 × 80,4 cm collection particulire ₍auparavant paris, galerie canesso₎ La mise en page simple au format serré, son naturalisme affiché qui insiste sur la définition des volumes, noyant le fond de paysage dans une pénombre uniforme, son caractère essentiel enfin, apparaissent comme un véritable exercice de style de Giuseppe Ruoppolo sur son célèbre prédécesseur, Luca Forte. Cet hommage à l’un des premiers protagonistes de la nature morte napolitaine, dont le style minutieux est mieux connu aujourd’hui grâce aux articles de De Vito (1990, 2000, 2006a) et de Gregori (1996), ne passe pas seulement par un usage incisif de la lumière destinée à servir l’expression, mais encore par le réemploi de motifs chers à Luca Forte : les petites poires assemblées en forme de grappe, présentes par exemple sur la Nature morte de fruits avec des oiseaux (Sarasota, Ringling Museum of Art) ou encore ces bouquets décoratifs de fraises des bois tels qu’ils figurent sur l’un des deux octogones du Museo Duca di Martina de Naples (en dépôt au musée de Capodimonte). Cependant, la manière de décrire et d’associer ces

Fig. 1 — Francesco della Questa, Fleurs, fruits et un pied de lis, autrefois Spoleto, Galleria Sapori.

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différents fruits entre eux en est toute autre comme le démontre leur strict regroupement thématique. Autour de la grappe de poires, qui marque le centre au premier plan, tournent de petites pyramides, très décoratives, de pommes, de pêches, de figues, véritable farandole colorée qui guide l’œil vers le registre supérieur. De l’une à l’autre, nous sommes invités à découvrir un ensemble compact, très solide, se déployant sur deux plans distincts, un mode de composition fréquent chez Giuseppe (cat. no 38). L’insistance sur les stries blanches des figues, les feuilles de vigne dentelées, largement dépeintes, de même que l’osier dessiné d’un pinceau allusif, sans détail superflu, les fruits aux contours précis montrent des affinités avec un tableau de Giuseppe Ruoppolo (Rome, collection particulière, signé), publié récemment par De Vito (2005, p. 8, pl. 1). Mais d’autres compositions supportent la confrontation, ainsi toujours dans ce même article, la nature morte du musée des BeauxArts de Nevers (De Vito, 2005, p. 18, fig. 8) qui propose, sur le devant, les mêmes fleurs de jasmin, détail encore emprunté au vocabulaire de la nature morte de la première moitié du xviie siècle. Si ce tableau inédit vient effectivement s’insérer dans le parcours de Giuseppe Ruoppolo, il conviendrait d’envisager une datation tôt dans sa carrière, dans la décennie 1650-1660, hypothèse que l’exposition permettra de préciser. Les formules développées par notre artiste, comme celles de son oncle présumé, Giovan Battista, seront reprises par nombre de suiveurs qui attestent du succès du genre jusqu’au début du xviiie siècle. Spinosa (1989b, p. 868 ; fig. 1) a publié, en particulier, un tableau attribué à Francesco della Questa (ca. 1639-1723), qui ne cache pas ses liens avec celui que nous exposons, et qui prouve que les compositions avec des fruits all’aperto exploitées encore par Giuseppe Ruoppolo, servies par une palette aux couleurs intenses, ont bien été assimilées. vronique damian


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Giuseppe Ruoppolo 38. Figues, courges et autres fruits sur des entablements de pierre huile sur toile. 72 × 105 cm sign « g roppoli » sur l’entablement en pierre en bas  droite modne, collection particulire

Ce tableau, caractéristique de la manière du peintre, doit être rattaché à la Nature morte de fruits (fig. 1), monogrammée « Giosepp. R. », de format comparable et publiée par Middione (dans Naples, 1984-1985, p. 439). La surface peinte de ces deux toiles est entièrement occupée par les fruits, présents en abondance. Dans notre tableau, le socle avec un décor d’oves introduit une atmosphère solennelle, rare à Naples. Le caractère aulique va de pair avec la précision apportée par Giuseppe Ruoppolo pour rendre l’aspect des fruits et les couleurs douces et argentées qui évoquent les natures mortes de fruits de la même époque exécutées par Aniello Ascione, ce qui vient conforter une datation dans les années 1680. Le rendu des figues, les contrastes entre le violet vif et le vert intense de leurs peaux, qui laissent imaginer le jus savoureux de leur pulpe, prennent exemple sur des œuvres de la première période de Giuseppe Recco, telles que la Nature morte avec glacière, monogrammée « G.R. », de la collection Molinari Pradelli, attribuée par Causa d’abord à Giuseppe Ruoppolo (dans NaplesZurich-Rotterdam, 1964-1965, p. 53-56), avant de la rendre à Giuseppe Recco (1972, p. 1044, note 69). Pour la vigueur plastique des fruits, notre artiste s’inspire en revanche de Luca Forte, le plus naturaliste des peintres

Fig. 1 — Giuseppe Ruoppolo, Nature morte de fruits, Naples, collection particulière.

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de natures mortes, même si les variétés représentées comme les prunes et les courges, attestent d’un goût plus moderne (on pense à Franz Werner von Tamm [16581724] et à Abraham Brueghel [1631-1697]) et qui répond peut-être aux nouvelles aspirations d’une bourgeoisie en pleine expansion (Borrelli, 1988). Les descriptions sont faites avec une réelle volupté picturale, y compris dans l’insistance sur les meurtrissures des pêches et des poires – comme le démontre encore le tableau autrefois dans la collection Astarita, signé « Giuseppe Roppoli » (Causa, dans Naples-Zurich-Rotterdam, 1964-1965, no 94, fig. 38b) – ou la finesse presque métallique des feuilles et la volonté de mimétisme qui lui est propre. Tous ces caractères rappellent Willem Van Aelst (1627-après 1683) – qui fut employé par le futur grand-duc de Toscane, Côme III, de 1649 à 1656 – ou Willem Fredericksz Van Royen (1645-1723) et témoignent d’un réel besoin de renouveau de Ruoppolo, comme de son envie d’expérimenter des solutions élégantes et, pour ainsi dire, exotiques, qui se lisent sur notre toile. De Dominici (1742-1745, III, p. 298) consacre un paragraphe très important à Giuseppe Ruoppolo, bien documenté puisqu’il l’a « conosciuto, e praticato più volte » (« connu et rencontré plusieurs fois »). Il le considère comme un peintre attentif aux résultats de la génération précédente même s’il a parfaitement assimilé les leçons de son oncle Giovan Battista, « Giuseppe Ruoppoli fu nipote, e discepolo di Giovan Battista, e tenne assai della sua maniera » (« Giuseppe Ruoppoli fut le neveu et le disciple de Giovan Battista, et tient beaucoup de sa manière »). Cette attitude traduit un sentiment de zèle à l’égard de sa propre culture qui, associée au large spectre des connaissances modernes inhérentes à l’œuvre de Giuseppe, tend à en faire le porte-parole de la grandeur, mais aussi de l’ouverture de la « civilisation » napolitaine au xviie siècle. Tommaso Realfonso, Aniello Ascione et même le mystérieux Lionelli choisissent tous, et ce n’est pas un hasard, le « deuxième » des Ruoppolo qui devient un modèle à suivre pour le caractère innovant de sa peinture. claudia salvi


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Giuseppe Ruoppolo

39. Panier de jonc, fruits et fleurs de jasmin éparses Fruits et assiette en faïence avec chardonneret

Courge, fruits et fleurs de jasmin éparses sign « ruoppoli » en bas  droite

Fleurs, fruits et cochon d’Inde sign « g. ruoppoli » en bas  droite huile sur toiles. 50 × 63 cm chacune collection particulire ₍auparavant paris, galerie canesso₎

bibliographie. De Vito, 2005, p. 20, 21, 25, fig. VII à X ; Ravelli, 2006, p. 134, 136, note 22, fig. 144.

Les quatre natures mortes de Giuseppe Ruoppolo, dont deux d’entre elles sont signées, représentent un ensemble d’une beauté et d’une qualité exceptionnelles. Présentées en vente chez Finarte, et auparavant à la Galleria Lampronti, à Rome (Finarte, Rome, 24-25 octobre 2000, no 143-144b ; Galleria Lampronti, voir Maastricht, 2001, p. 110-111), elles ont été publiées par De Vito (2005, p. 25), qui les date de la maturité de l’artiste, et par Ravelli (2006). Les fruits débordent d’un panier ou d’une assiette en faïence sur le devant, ou bien sont épars sur le sol, une formule chère à l’artiste que l’on retrouve dans la Nature morte de fruits signée « Ruoppolo » (Naples-ZurichRotterdam, 1964-1965, p. 52, no 85, fig. 37b, pl. VI), très proche de la toile avec Courge, fruits et fleurs de jasmin éparses, signée elle aussi, alors que celle avec des Fruits, assiette en faïence avec chardonneret peut être rattachée à la Nature morte de fruits d’une collection particulière (Middione, 1989d, p. 924, no 1116) ou encore à la Nature morte avec fruits, courge, tortue, perroquet et assiette en faïence, signée, d’une collection particulière de Rome (De Vito, 2005, p. 8, pl. 1). De Dominici décrit précisément ce genre de compositions, dans lesquelles Ruoppolo, qui « non fu pero’ ferace e felice nel componimento, ponendo quasi a ringhiera sovra un poggio cio’ che volea dipingere »[« ne fut pas fécond et heureux dans sa manière de composer, posant ce qu’il voulait peindre sur un plan horizontal »], se serait contenté de reproduire avec exactitude des modèles « con tanta verità che sembravan più belle del naturale medesimo »[« avec tant de vérité qu’ils semblaient plus vrais que nature »]. Le biographe appréciait peu ses œuvres, vu que « senza niuna bizzarria pittoresca (le) dipingeva »(« il (les) peignait sans aucune bizarrerie picturale »). Notons que De Dominici faisait le même reproche à Luca Forte : « ad ogni modo era povero d’invenzione, e di componimento ; perciocché veggonsi le sue pitture, che non hanno troppo avanti, e indietro, e tutte le cose son messe quasi a fila una dopo l’altra sul medesimo piano » (De Dominici, 1742-1745,

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III, p. 293 ; [« dans tous les cas, il était pauvre d’ invention et de composition ; c’est pourquoi ses toiles n’avaient pas assez d’avant et d’arrière, et toutes les choses étaient mises sur le même plan, l’une derrière l’autre »]). Le rapprochement avec Luca Forte n’est pas fortuit : le fond obscur qui rejette au premier plan les objets, la vigueur des modèles, la précision digne d’un miniaturiste que Giuseppe Ruoppolo emploie pour transcrire le velouté des pêches ou la « résine » qui recouvre la peau des prunes, le goût pour les meurtrissures et les clairs-obscurs réalistes, sont autant d’éléments empruntés à Luca Forte, tout comme le répertoire de fruits et de végétaux, en particulier les agrumes et les fruits secs (sur les rapports Luca Forte-Giuseppe Ruoppolo, voir De Vito, 2005). On comprend alors pourquoi De Dominici, grand admirateur du Giovan Battista Ruoppolo, auteur des grandes « macchine » (« compositions ») qui emplissent les demeures des nobles et des grands bourgeois, ne pouvait apprécier la minutie du travail de Giuseppe (« non fu pero ferace »). Pour nous en revanche, le rôle de cet artiste est à réévaluer car il adopte, à la fin du xviie siècle, une attitude de récupération linguistique d’un passé qu’il estime « supérieur » aux fastes de son époque. Et il n’est pas exclu qu’une comparaison attentive des œuvres du « Maître GRU », non pas « manierato » ni « accademico » comme le dit injustement pour une fois, le « dieu tutélaire » de la nature morte napolitaine (Causa 1972, p. 1044, note 69), puisse donner raison à Marini qui l’identifie avec Giuseppe Ruoppolo (Palerme, 1984, no 33), du fait que – plagiat ou identité correcte ? – il est comme lui d’une solennelle sobriété. Dans notre petite série, Ruoppolo a su créer une poésie faite de force mais aussi de douceur. La lumière dorée sur la pulpe du melon fendu, comme le panier de fraises d’une saveur archaïque, nous semble en avance sur le regard que les « puristes » et les « néoclassiques » porteront plus tard sur la tradition et qui, par tant de caractères, rappellent le grand Melendez (1716-1780). claudia salvi


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Giuseppe Ruoppolo 40. Melons, pastèque, raisins, corbeille de figues,

panier de pommes dans un paysage huile sur toile. 179 × 204 cm sign « g. ruoppoli » sur le rocher  droite collection particulire Signé distinctement sur le rocher à droite, ce tableau est une nouvelle entrée, et non des moindres comme le souligne son format exceptionnel, dans le corpus de cet artiste rare qui nous a habitués à des formats plus modestes. À elle seule, cette œuvre pourrait illustrer les propos avec lesquels De Dominici débute le paragraphe qu’il lui consacre : « Giuseppe Ruoppoli fu nipote, e discepolo di Gio : Battista, e tenne assai della sua maniera » (« Giuseppe Ruoppolo fut le neveu et le disciple de Giovan Battista, et tient beaucoup de sa manière » ; 1742-1745, III, p. 298299). En effet, si Giuseppe a encore à l’esprit le souvenir des grands rideaux de fruits de Giovan Battista, dont les pampres de vigne chargés de lourdes grappes de raisin qui suivent le côté droit du tableau en sont une citation, il propose, dans la partie gauche, de nouvelles solutions en plaçant ses fruits dans un vaste paysage. Celui-ci, tout de fantaisie et très éloigné d’une quelconque évocation de Naples ou de ses environs, sert de faire-valoir aux fruits eux aussi exposés dans une situation peu vraisemblable. Car c’est là que réside la véritable originalité de cette composition. Les fruits amoncelés au centre, d’un effet saisissant tant par le vaste répertoire décrit que par la variété de leurs formes et de leurs couleurs, étincellent dans la semi-pénombre comme des joyaux. Dans cette nature imaginaire que l’artiste essaye de rendre la plus

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spontanée possible, comme l’indique encore le détail des champignons sur le tronc d’arbre coupé légèrement en retrait, la présence de ces fruits paraît exotique tant elle détonne dans cet environnement. Compacte, savamment étudiée, avec des recettes qui ont fait leur preuve, notamment la pastèque rouge au centre qui focalise les regards, identique à celle du tableau de Pampres de vigne avec raisins, grenades, figues, citrons, pommes, pastèque et melons et un pot de narcisses de Giovan Battista Ruoppolo (cat. no 34), cette accumulation est calée par le panier de pommes renversé à gauche et la diagonale des pampres de vigne projetée sur le devant à droite. La lumière, particulièrement vive sur les fruits, met en valeur les contrastes : le rouge de la chair de la pastèque et le bleu profond des grappes de raisin qui l’ornemente, les jaunes qui alternent avec des verts plus froids, les orangés des melons, toutes exploitées pour leur valeur expressive et pour faciliter la lecture dans les passages d’un fruit à l’autre. Il est bien difficile de préciser la chronologie de ses œuvres tant les éléments sûrs nous font défaut, mais cette mise en page à cheval entre baroque et grande décoration, traduit la maturité de l’artiste qui, maintenant en pleine possession de ses moyens, cherche à exprimer « il grande spettacolo della natura » (Spinosa, 1989b, p. 869) vronique damian


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Andrea Belvedere naples, ca. 1652  1732 Andrea Belvedere est un artiste et un intellectuel excentrique, partagé entre la peinture et sa passion pour la littérature et le théâtre à laquelle il se consacre dans les dernières années de sa vie. Sa formation initiale est marquée par la thématique des œuvres de Paolo Porpora et par le traitement de la lumière propre à Giuseppe Recco. Il fut probablement influencé par des tableaux du peintre espagnol Juan de Arellano, mais il n’eut aucun rapport avec la nature morte flamande contemporaine. Ses premières œuvres, comme les deux paires, de petits formats, représentant des Œillets et des Tulipes du musée de Capodimonte (fig. 1 et 2) et du musée Correale de Sorrente, témoignent clairement de l’ascendance de ses premiers maîtres napolitains que furent Porpora et Recco. Dans sa maturité, Belvedere adhère aux exemples modernes et sophistiqués de la nature morte européenne, en démontrant une sensibilité raffinée, anticipant sur la culture artistique du xviiie siècle. Dans la phase centrale de son activité, il a des contacts avec les œuvres de Franz Werner von Tamm, peintre originaire de Hambourg, et de Karel von Vogelaer, tous deux présents à Rome et connus sous les surnoms de « Monsù Duprait » et « Carlo dei fiori ». Ces derniers l’introduisent dans l’univers de la décoration aulique « à la française », très liée au peintre Jean-Baptiste Monnoyer. C’est dans ce contexte qu’il faut placer – outre le célèbre tableau avec des Ipomées et boules de neige du musée de Capodimonte (cat. no 41) – les œuvres conservées au musée Correale de

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Sorrente, caractérisées par des visions amples avec des paysages lacustres enrichis d’éléments classiques comme des hermès, des vases historiés ou des fontaines. Les tableaux Fleurs autour d’un hermès et Fleurs avec récipient en cuivre du musée Stibbert de Florence, de veine quasi romantique où s’expriment de précieuses subtilités atmosphériques, font preuve d’une emphase baroque affirmée et attestent d’une nouvelle orientation du peintre due à la fréquentation des exemples contemporains, d’Abraham Brueghel à Giovan Battista Ruoppolo de la période de la maturité. Bernardo De Dominici évoque une collaboration avec Francesco Solimena, qui se concrétise dans le tableau Putti avec des guirlandes du musée de San Sebastian en Espagne. Un séjour prolongé en Espagne, de 1694 à 1700, à la cour de Charles II – peut-être favorisé par l’entremise de Luca Giordano – marque l’engagement de Belvedere vers des compositions de dimensions toujours plus monumentales, opulentes et riches en ornementations, aux dépens de l’attention portée à la qualité du chromatisme et aux valeurs atmosphériques. Toujours selon le biographe De Dominici, de retour à Naples, Belvedere abandonne définitivement la peinture pour se consacrer exclusivement au théâtre. Son œuvre sera suivie et prolongée par un certain nombre d’artistes parmi lesquels Nicola Casissa, Tommaso Realfonso et Baldassare De Caro. denise maria pagano


Fig 1 — Andrea Belvedere, Œillets, Naples, Museo Duca di Martina

Fig 2 — Andrea Belvedere, Tulipes, Naples, Museo Duca di Martina

(en dépôt au musée de Capodimonte).

(en dépôt au musée de Capodimonte).




Andrea Belvedere 41. Ipomées et boules de neige sur l’eau huile sur toile. 100 × 74 cm naples, muse de capodimonte

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Le tableau est entré dans les collections des Bourbon probablement autour de 1870, puisqu’il apparaît dans l’inventaire Salazar, daté de cette même année, et qu’il n’est pas cité dans ceux antérieurs du musée de Capodimonte. Dans les inventaires postérieurs, les catalogues et les diverses études critiques, cette œuvre a toujours été mentionnée de façon erronée sous le titre des Hortensias, jusqu’en 1964, date à laquelle Causa a identifié correctement le sujet. Il reconnut dans la composition des branches de sureau en fleurs, les « boules de neige », appelées au xviiie siècle « sureau rose», qui se penchent jusqu’au fil de l’eau en s’entrelaçant avec les clochettes bleues ou ipomées. Grâce à cette précision botanique et à la particularité du sujet – on pourrait presque parler d’une anticipation sur les caprices du xviiie siècle –, Causa a pu relier ce tableau à la description faite par De Dominici d’une toile exposée dans la maison de l’avocat Giuseppe Valletta, à Naples : « Quello che da tutti i pittori vien sommamente lodato, ed ammirato da’ forestieri intendenti, è un quadro di quattro palmi per alto, in cui ha finto caduto sopra un tronco un ramo carico di sambuchi rosa (qual fiore egli dipinge eccellentemente) che toccano alquanto un acqua limpida onde fanno si bel riflesso, che è uno stupore, con poco accidente di lume » (1742-1745, III, p. 571-572). La composition sombre et raffinée, une des plus évocatrices et lyriques de Belvedere vers la fin du xviie siècle, compte parmi les rares natures mortes dont on connaît l’emplacement d’origine grâce au fait, comme le souligne le biographe du xviiie siècle, qu’elle fut célèbre dès sa création. Giuseppe Valletta, érudit et philosophe napolitain, fondateur de l’Accademia degli Investiganti (« l’académie des chercheurs »), s’était intéressé à la découverte et à la nomenclature de nombreuses espèces botaniques pour en rechercher les qualités médicinales.



Dès l’Antiquité, les fleurs de sureau et d’ipomée étaient connues pour leurs propriétés analgésiques et hallucinogènes (Scarpa, dans Florence, 2003, p. 430), il semble donc envisageable que Valletta, puisse être, lui-même, le commanditaire du tableau. Le format assez restreint de la toile, le chromatisme raffiné, la finesse des jeux de lumière, ainsi que son caractère romantique et sentimental placent cette œuvre dans la période centrale de l’activité de Belvedere. Au cours des années 1680, après s’être ouvert aux solutions plus modernes de la nature morte européenne, le peintre est davantage sensible aux nouvelles propositions baroques laissant une large place à l’emphase. Son goût pour les décorations fastueuses à la manière de JeanBaptiste Monnoyer, qui l’a indirectement influencé par l’intermédiaire de deux peintres allemands, Franz Werner von Tamm et Karel von Vogelaer, présents à Rome de 1680 à 1690 et connus sous les noms de Monsù Duprait et Carlo dei Fiori, est évident ici. Cette œuvre peut donc être considérée comme le point de départ des compositions décoratives plus ambitieuses, à la mise en pages plus monumentale et plus scénographique, telles que les Fleurs avec grande jatte en cuivre du musée Correale de Sorrente ou les Fleurs autour d’un hermès du musée Stibbert de Florence (Middione, dans Naples, 1984-1985, I, p. 198), qui annoncent les grandes scénographies de la dernière période de son activité en Espagne. C’est là que Belvedere s’installe de 1694 à 1700, appelé par la cour de Madrid, peut-être grâce à l’intérêt que lui porte Luca Giordano, et qu’il réalise ses dernières œuvres. De retour à Naples, ne partageant plus le goût des peintres de fleurs plus jeunes, il abandonnera définitivement la peinture pour se consacrer exclusivement au monde du théâtre. denise maria pagano


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crdits photographiques : Art et photo/ Photographies Fabrice Gousset: p. 51, 55, 57, 63, 67, 71, 79, 83, 87, 89,91, 93, 101, 109 111, 117,123, 127; Rijksmuseum, Amsterdam/ Peter Mookhoek, p. 35 (fig. 2); The Walters Art Museum, Baltimore, p. 83; Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie, Besançon, p. 43; Museo Civico, Gallipoli, p. 33; © Naples, Archivio dell’Arte, Luciano Pedicini: p. 10, 11 (fig.4), 24, 25, 26, 27, 53, 73, 95, 100 (fig.2), 102, 110 (fig. 1), 113, 121, 131, 133; © The Metropolitan Museum of Art, p. 88; Galleria Regionale della Sicilia, Palermo, p. 44; © Photo RMN, p. 54 ; Musée de la Ville de Rouen – Photographie Catherine Lancien, Carole Loisel, p. 86 ; Nationalmuseum, Stockholm, p. 40; Musée des Beaux-Arts, Strasbourg, p. 84; Musée des Beaux-Arts, Valence, p. 47; Gemäldegalerie der Akademie den bildenden Künste Wien p. 81. L’éditeur se tient à la disposition des ayants droit pour d’éventuelles sources photographiques mentionnées.

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GALERIE CANESSO 26, rue Laffitte. 75009 Paris Tél. : + 33 1 40 22 61 71 Fax : + 33 1 40 22 61 81 e-mail : contact@canesso.com www.canesso.com



ISBN 978-2-9529848-0-5


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