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N° 281 - février 2013
C BALARUC
TOUTES LES SORTIERS DE FÉVRIE
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Rénovation
Sète va-t-elle perdre son âme?
Plus belle la VILLE ! • Hydro-gommage • Enduit à l’ancienne • Badigeon de chaux • Ravalement de facades • Peinture
PHOTO FANNY BASTARREIX/GILLES FAVIER ET CÉDRIC MATTET DE L’ASSOCIATION CÉTÀVOIR
La réussite des produits Thermaliv C FRONTIGNAN Dans les coulisses de la future médiathèque C SÈTE Le procès AvalloneGreenpeace
PAM Le Manac'h Ravalement 63, avenue de Palavas
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Mobile 06 09 54 56 44 Télécopie 04 67 58 42 12
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sommaire QÉa]TP] Me Faro, avocat de Greenpeace: pour lui l’action de Greenpeace du 4 juin 2010 est lÊgitime. (Š BG)
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Nouvelle adresse: La Gazette de Sète, 7 rue des Vermoutheries - Le Royal Cup 1 - 34200 Sète
actualitĂŠ
04 EN IMAGES Les ÊvÊnements qui ont marquÊ le mois. 06 LES GENS DU MOIS 08 DOSSIER RÊnovation des quartiers anciens : Sète va-t-elle perdre son âme ? 14 ENTRETIEN France-Jehanne Lee, crÊatrice et âme du ThÊâtre de poche. 16 PROJET Vaisseau blanc pour roman noir. Visite dans les coulisses de la future mÊdiathèque de Thau Agglo. 19 RÉUSSITE Balaruc en beautÊ : Thermaliv, la ligne de produits cosmÊtiques de pointe. 20 JUSTICE
Avallone-Greenpeace : le procès en direct. D’un côtÊ l’armateur sÊtois, de l’autre les activistes dÊfenseurs des thons : le procès de l’attaque du 4 juin 2010 comme si vous y Êtiez.
AUTO MEDITERRANEE
128, rue de l'industrie - 34070 MONTPELLIER La Gazette n° 281 - Du 31 janvier au 27 fÊvrier 2013
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sorties 23 A LA UNE Un rôle de fÊministe pour la talentueuse Dominique Blanc dans La Locandiera de Goldoni au Chai Skalli. 24 SÉLECTION Gainsbourg-Bardot, Êvocation d’un duo brÝlant au ThÊâtre de poche, danse avec la nouvelle chorÊgraphie de la grande Maguy Marin au Chai Skalli, le MontpelliÊrain DimonÊ, chanteur qui monte à Frontignan, la SaintBlaise à PÊzenas. 26 EXPOS Les TrÊsors de l’art modeste au Miam, les anges du PiÊmont de Ciro Palumbo à Frontignan, et toujours Brassens le libertaire à l’Espace Brassens. 28 AGENDA
Toutes les sorties du mois de fÊvrier Concerts, confÊrences, thÊâtre, visites, danse, cirque, sport.
SÊduction, coup fourrÊ et amour : Dominique Blanc dans tous ses Êclats. (ŠMH.)
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sos mon Sète à moi 37 DANS L’OBJECTIF La tour de guet du Castellas à Marseillan. 38 PRATIQUE Région : pistes pour profiter de la neige autrement. 40 MA RECETTE Le murgh massala du Punjab, seul resto indien de Sète.
SÈTE
Hôpital: 04 67 46 5757 Hôpital urgences: 04 67 46 57 21 Clinique Sainte-Thérèse: 04 67 46 3600 Chirurgien-dentiste de garde: numéro de téléphone unique pour Montpellier, Béziers et le bassin de Thau: 04 67 73 95 76 Police nationale: 04 67 46 8022 Police municipale: 04 99 04 77 17 Gendarmerie de Pézenas: 04 99 43 21 94 Gendarmerie maritime: 04 67 74 2538 et 04 67 46 1124 Police aux frontières: 04 99 57 2057 Sauvetage en mer: 04 67 74 72 40 Affaires maritimes: 04 67 46 3300 Port de commerce: 04 67 46 3497 Port de plaisance: 04 67 74 9897 Mairie: 04 99 04 70 00
42 STREET SHOOTING
Oui, handicapé et joueur de badminton !
44 MA BALADE Au bord de l’Hérault, Castelnaude-Guers. 46 PÊLE-MÊLE Petites annonces, ouvertures, calendrier des événements de février.
Raquettes, traîneau, igloo, Jacuzzi en plein air… Il n’y a pas que le ski alpin dans la vie. (© DR) Prochaine parution jeudi 28 février 2013
TOUTES LES SORTIES
Pour les minots, le “baby-rugby”
Sète
La plaisance
la pêche? *
Toute l’info de Sète chaque début de mois Tout l’agenda des sorties en permanence avec soi
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par an
Ont Ont participé participé à à ce ce numéro numéro RÉDACTION
RÉDACTION Daniel Arazo René Dupont de nemours, Guillaume Bonnefont Michel OlivierDémelin, valles, Jean-Pierre Jérôme Guiraud Dupontel, Cécile GuyezRené Dupont de nemours, Raquel Hadida Olivier Anne-Laure Ochando valles, Jean-Pierre Hélène Petit Dupontel Geoffroy Vauthier PHOTO PHOTO Raquel Hadida,L. Benard Cécile Duflot Guillaume Bonnefont PHOTO DE PAGE UNE : MISE EN Fanny Bastarreix, www.fannyPhilippe Crespy basterreix.com, modèle: Joy DS, maquilleuse: Lucille Guimaraes, coiffeuse: Céline Carles. Gilles Favier et Cédric Mattet de l’association CéTàVOIR
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Police municipale: 04 67 18 4000 Mairie: 04 67 18 4000
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Éditée par la Société Anonyme des Gazettes Éditée par(SAGA) la sarlau Lecapital Pavoisde d’Or Associées 250000 € Gérant et et directeur directeur de de la la publication publication Gérant Laurent Czerniejewski Pierre Serre Directeur Directeur et et rédacteur rédacteur en en chef chef Henri-Marc Rossignol
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Urgences: 112 Samu (urgences vitales): 15 Samu social: 115 Pompiers: 18 Police secours: 17 Pharmacie de garde: 04 67 33 6797 Centre antipoison: 04 91 75 2525/ 05 61 77 7447 Carte bleue en cas de perte ou de vol: 08 92705705 SOS Amitié: 04 67 63 0063 SOS Femmes victimes de Violences conjugales: 04 67 58 0703 Info Sida: 0800840800 Info Drogues: 0800231313 Dépannage électricité: 0810333034 Dépannage gaz: 0810433034
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La Gazette n° 281 - Du 31 janvier au 27 février 2013
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ÉCLAIRAGE PUBLIC : UN PARTENARIAT PUBLIC-PRIVÉ ÉLECTRIQUE
(
t la lumière fut… privatisée. Dès le 1er mars prochain, c’est l’entreprise Citelum/Sogetralec qui aura soin de gérer l’ensemble de l’électricité de la ville, pour les vingt prochaines années. Sauf surprise, la Ville de Sète a dû prendre cette décision le 28 janvier — soit juste après le bouclage de La Gazette. Éclairage des rues, des stades, mais aussi feux tricolores, électricité des marchés, illuminations et sonorisations festives, valorisation des bâtiments patrimoniaux… Le package coûtera à la Ville un “loyer” de 2,4 M€ par an en moyenne. Dans un partenariat public-privé (PPP) pour le moins controversé. Dossier-clé de la municipalité François Commeinhes*, ce PPP avait été lancé dès le début du deuxième mandat. Validé en octobre 2011, il s’est fait retoquer par la Préfecture pour vice de procédure dans le choix de l’entreprise — Citelum, déjà. La Ville a donc dû reprendre le “dialogue compétitif” à zéro. Parmi cinq candidatures, deux dossiers ont été remis dans les délais: ETDE (Bouygues), déclaré “irrégulier”, et donc Citelum, rechoisi. Moins cher, plus efficace, le PPP? Les investissements sont réalisés par le privé: la Ville s’en dédouane. Sauf que, depuis 2011, les collecti-
La Gazette n° 281 - Du 31 janvier au 27 février 2013
vités doivent les intégrer à leur dette. Halte au camouflage.
20 ans de boulet financier
Malgré 2 % d’économies au budget (hors suppléments), le PPP alourdirait ainsi la dette de la Ville de 26 %, selon l’opposition municipale Tous pour Sète. Même calcul pour Force citoyenne, qui craint “un ratio d’endettement près du seuil d’alerte du Trésor public”. De quoi coincer la ville dans ses choix d’aménagements. Lampadaires clignotants, feux rouges en panne: pour justifier le PPP, François Commeinhes pointe souvent la défaillance du service communal. Un service “déshabillé”, de cinq techniciens contre douze en 2001, selon Tous pour Sète. Michel Gailhard, son porte-parole, prévient : “Le privé assurera l’entretien, mais pas l’astreinte. Et sans service basé à Sète, les délais d’intervention se rallongeront. Alors que l’éclairage de Villeroy était géré par l’aménageur, ce sont les électriciens de la Ville qui ont secouru le quartier plongé dans le noir.” Pour lui, l’argument du moins cher a du mal à tenir: “Lors de la Saint-Louis 2012, la sonorisation via un privé a coûté 8 000 € HT, avec un gros
souci technique. Contre 1500€ en recourant aux heures sup’ des électriciens municipaux.” Ainsi, Tous pour Sète se dit “favorable au maintien de la régie, assorti d’appels d’offres pour des prestations plus complexes ou pointues, comme la mise en lumière d’ouvrages. Donner un blancseing au privé, ça relève de l’idéologie.” Marottes libérales de la Grande-Bretagne, du Canada et de Nicolas Sarkozy, les PPP des années 90-2000 repoussent désormais les élus de gauche comme de droite.
PPP survolté
Émaillées de scandales sur des malfaçons et des factures cachées, ces “usines à gaz” déjà dénoncées par Philippe Séguin sont dans le collimateur de l’Inspection générale des finances. Hôpitaux, prisons, lignes TGV: le rapport du 6 décembre dernier pointe des contrats 25 % plus chers. Et un effet “bombe à retardement”. À force d’acheter maintenant pour payer plus tard, les élus ont tendance à laisser la facture à leurs successeurs. Tout en favorisant les intérêts privés, plus que le service public. *Le maire de Sète a décliné une interview avant le 28 janvier “pour raison juridique”.
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les événements qui ont marqué le mois / pages réalisées par Raquel Hadida - Caroline Solano / Photos Guillaume Bonnefont - Laurence Bénard /
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TUERIE DE SÈTE : 500 PERSONNES POUR FABRICE ET MICHEL “Plus jamais ça”, “Stop aux armes”, “On ne vous oublie pas” : alors que le rassemblement est silencieux, les pancartes arborées par famille, amis, habitants de Valdegour et Sétois sont éloquentes. Plus de 500 personnes participent à la marche
qui part de Valdegour jusqu’au cimetière Le Py, organisée en hommage à Fabrice Reilles et Michel Pepe, abattus samedi 1er décembre 2012. L’enquête judiciaire suit son cours. Les familles des défunts s’apprêtent à fonder un collectif afin d’être plus impliquées dans l’enquête, de défendre les intérêts des enfants des défunts, et de mener des actions. L’une des premières pourrait être un rassemblement bruyant devant la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone, où est détenu le tireur présumé. Le 4 janvier.
LA GRUE MOBILE QUI HISSE LE PORT DE SÈTE
GENS DU VOYAGE : NOUVELLE AIRE À FRONTIGNAN-BALARUC
“La Rolls des grues !” Marc Chevallier, le président du Port de Sète, se réjouit d’avoir investi 3,3 M€ dans un joujou industriel de 400 tonnes et 48 m de haut. Capable de rouler d’un quai à l’autre, de soulever 30 à 120 tonnes de containers, de big bags, de vrac ou de marchandises au grappin, la première grue mobile du port devrait attirer de nouveaux trafics. Puissante et polyvalente, elle peut décharger un bateau trois fois plus vite que les outils classiques, donc réduire les coûts de manutention et la durée d’escale, et séduire les armateurs. Du moins à partir de fin février, une fois assemblée, et les trente grutiers formés. Le 10 janvier.
“Cet aménagement a été voulu en 1789: les hommes naissent libres et égaux en droits”, rappelle Pierre Bouldoire (à ses côtés Nora Aboula, gestionnaire des aires des gens du voyage de Thau Agglo). Le président de Thau Agglo inaugure cette deuxième aire des gens du voyage (2 M€) à” la carrière basse”, entre Frontignan et Balaruc-lesBains. Vue sur la mer et la Gardiole, maisonnettes sanitaires, parking et arrêt de bus: 36 caravanes peuvent s’y installer, durant quatre mois. Avec un accompagnement social quotidien et l’accueil du comité de quartier, de l’école des Lavandins et du collège des Deux-Pins de Frontignan. Pour parfaire l’intégration, l’esprit tzigane devrait souffler toute l’année sur la programmation culturelle de Thau. Le 17 janvier.
ET AUSSI...
LES PETITS-MÉTIERS DÉSOBÉISSENT
LES NAVETTES DE L’ÉTANG TOMBENT À L’EAU
décide de pêcher le thon rouge sans permis et l’anguille hors des périodes autorisées. Une révolte contre un nombre insuffisant de permis de pêche au thon délivrés pour ces artisans, et l’allongement des périodes de fermeture de pêche à l’anguille, malgré les relâchés consentis (voir La Gazette de janvier). Le 26 janvier.
menter les navettes maritimes après une étude démontrant… un gain de 19 à 52 % de temps pour les liaisons entre Sète et les villages de Thau (hors Frontignan). Coup dur pour la Ville de Sète, qui maintient ses bateaux pour les festivaliers, planche sur des navettes de marché l’été, mais renonce au colloque prévu en septembre.
CHors-la-loi: le syndicat des “petits-métiers” de la région (400 ad.)
CTrois fois plus chères que les bus. Thau Agglo renonce à expéri-
THAU OU TARD
CLe Lena, le cargo rebaptisé Raindrop, part de Sète après deux ans d’immobilisation: un armateur turc de Malte l’a acheté 580000€. Au grand dam de Tous pour Sète, Sodexomandate un cabinet d’huissier pour récupérer les frais de cantine impayés. Thau Agglo évacue 60 m3 de déchets sur le chemin d’une viticultrice de Mireval. Frontignan négocie une baisse de 20 % du prix de l’eau avec Véolia. La Gazette n° 281 - Du 31 janvier au 27 février 2013
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lesgensdumois MARTINE GUITON Martine milite contre l’homophobie
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artine vend des savons aux Halles. Martine organise des ciné-débats (1). Martine manifeste pour le mariage pour tous. Martine fait sa revue de presse militante. Martine démolit les préjugés homophobes à “l’école”. Dans la série des Martine, l’éditeur pour enfants a oublié de passer par Sète. Et a zappé quelques opus engagés. À 60 ans, la commerçante sétoise Martine Guiton se bat contre toutes les discriminations. Alors que les députés examinent la loi sur le mariage homo depuis le 29 janvier, elle participe activement à cette avancée historique (2). Dans les défilés, mais aussi par des interventions auprès des lycéens sétois, sous la bannière de l’association SOS Homophobie (3). Depuis trois ans, elle fait sauter les stéréotypes, questionne les insultes, libère la parole des jeunes. “Quand j’ai découvert que les ados homosexuels font cinq fois plus de tentatives de suicide que la moyenne, j’ai eu un déclic”.
Tremblez, intolérances!
“Montrés du doigt, les homosexuels se sont fait déporter, doivent se cacher, sont virés de chez eux, se font tuer. Et les outrages continuent.” À Sète, l’un de ses amis s’est fait jeter à terre par des jeunes. “Les propos homophobes se multiplient
La Gazette n° 281 - Du 31 janvier au 27 février 2013
sur le Net et dans la rue. On amalgame avec la zoophilie, la pédophilie, la polygamie. On confond procréation médicalement assistée (PMA) et mères porteuses. 800 articles scientifiques le prouvent, les enfants de parents homos n’ont pas plus de problèmes que les autres. Pourquoi n’auraientils pas droit à la même protection juridique?”
Violoncelles cubiques
Et ce ne sont pas les milliers d’anti-mariage gay “archaïques” qui l’impressionnent: “Les fondamentalistes — politiques et religieux — ont toujours voulu bloquer des évolutions de société.” Peur,méconnaissance, rigidité. “À l’époque, la pilule et l’IVG étaient censés favoriser les amours illicites. Aujourd’hui, on en rigole! Le mariage n’est pas lié à la procréation. Et la famille stable n’est qu’un mythe.” “Très fière de mener ce combat”, Martine rêve de voir le “premier magistrat de Sète” unir deux homos. Car “ce qui est important, c’est de parler d’amour!” Sans oublier ses autres chevaux de bataille. Les agressions contre les femmes: avec le collectif de spectateurs du Cinémistral, elle partage le film Les femmes du bus 678. Le racisme: face à la montée de l’extrême-droite, elle participe à la défense des immigrés. Petite-fille d’un juif” assassiné à Auschwitz”, nièce d’une
déportée au numéro indélébile sur le bras, à 15 ans Martine vend le bulletin du Mrap (4) sur les marchés de Colombes, en région parisienne. La militante porte le droit à la différence jusque dans la culture. Dans les années 90, elle monte le Festival des instruments pas comme les autres, avec les violoncelles cubiques de Jean Weinfeld, l’Orgue à feu ou des arrosoirs sonores. À Sète en 2003, Martine organise, pour le théâtre de la Fonderie, des “animations insensées” et des projections citoyennes de films engagés, comme Orange amère sur le FN. Pour élever sa fille Lola, elle crée ensuite une boutique de cadeaux aux Halles. Un Comptoir du Sud généreux. Comme son combat, “les mêmes droits pour tous”. Ligne d’écoute SOS Homophobie: 0810 108135 (1) Le 7 février, soirée ciné festive autour du mariage pour tous à Frontignan, voir p. 30. (2) Dix pays autorisent le mariage pour tous. (3) Prochaine action les 14 et 15 mars au lycée Charles-de-Gaulle. (4) Mrap: Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples.
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ils et elles font l’actualité autour de l’étang de thau / pages réalisées par Raquel Hadida et Anne-Laure Ochando / photos Guillaume Bonnefont, Pascal Ray-Les givrés du canot, Raquel Hadida, Ville de Sète /
CAROLINE BELDA
Commissaire de cœur
Sa motivation: “aider et préserver les gens”. À 35 ans, Caroline Belda
prend la tête du commissariat de Sète-Frontignan, et de ses 141 policiers, “avec le cœur”. Issue du commissariat d’Agde, cette bosseuse d’origine francilienne compte mettre l’accent sur la pédagogie routière et améliorer l’accueil du public avec la pré-plainte en ligne dès le 4 février. Violences familiales, vols et stupéfiants: Caroline Belda coordonne coups de filet et suivis sociaux, avec le “fort maillage associatif local”. Et prépare déjà, en réseau, la saison touristique. Premier exercice le 7 février avec le Tour méditerranéen cycliste.
ÉRIC BONIJOLY
Rameur givré
Un coup de pagaie dans le Saint-Laurent, un coup de “trottinette” entre les blocs de glace, par -20 °C. C’est le défi que va relever le rameur sétois Éric
Bonijoly au Québec, où il part le 8 février pour un mois avec l’équipe française de canot à glace, dont le boxeur sétois Nicolas Salis. Au programme: entraînements intensifs avant trois dimanches de courses à Montréal, Québec et sur l’île au Coudre. Des courses déjantées, physiques et stratégiques. Aguerri en rame traditionnelle via les joutes et Cettarames, ce pompier de 42 ans s’échauffe pour l’aventure gelée… en gravissant le mont Saint-Clair. À suivre sur le blog http://lesfrappesducanot.free.fr
TOPOLINO
Croqueur compulsif
À l’oreille, sur le vif. C’est ainsi que Marco Combas, alias
Topolino, dessine sa ville. La partition de son exposition Symphonie sétoise, il l’improvise au marqueur noir, sans lever le feutre. Et nous livre une sélection parmi les 700 dessins réalisés depuis deux ans sur la vie culturelle sétoise, à la demande de la Ville et du musée Paul-Valéry. Dont un storyboard quotidien de la restauration du théâtre Molière et une chronique des festivals et expos, avec beaucoup de Sétois dedans. Et ce poète de la ligne n’a pas hésité à dessiner, au pied levé… sur le mur de son expo! Jusqu’au 10 février à la chapelle du Quartier-Haut à Sète (voir p. 26).
ET AUSSI...
ALAIN VERGÉ
Pompier en chef
C’est officiel: Alain Vergé commande la caserne des pompiers de Sète*. À 45 ans, cet officier d’origine ariégeoise
choisit de revenir “au cœur du métier“. Ex-chef de zone du nord du bassin de Thau, Alain Vergé dirigeait depuis quatre ans le service “opérations” à l’état-major départemental (SDIS de Vailhauquès). Il est même à l’origine de la centralisation et de l’informatisation des alertes dans les années 1990. Après les épreuves de la Saint-Louis et du Tour de France l’été dernier, il organise les interventions quotidiennes à Sète et Balaruc-le-Vieux, 30 par jour en moyenne. *Michel Devinaut, l’ex-adjoint de Sète, devient chef du centre de Frontignan.
ILS FONT LEURS VŒUX
ILS SE DISTINGUENT
sur l’Hinterland. À Loupian, Christian Turel annule la réception au profit du centre d’action sociale. À Mèze, Henri Fricou annonce sa candidature pour 2014. À Mireval, Francis Foulquier, maire depuis 1995, ne se représentera pas. À Frontignan, Pierre Bouldoire reste Mobil… isé face au risque industriel.
tourisme de Sète. Stéphane Tarroux devient conservateur du patrimoine au musée Paul-Valéry aux côtés de Maïthé Vallès-Bled, directrice. Le pointu Sylvain Sabatier inaugure le Royal, un nouveau cabaret quai Léopold-Suquet à Sète (voir p.46-47).
CÀ Poussan, le maire Jacques Adgé réclame une réunion publique
CEmmanuelle Rivas quitte Montélimar pour diriger l’Office de
KRISTOFF K. ROLL
Magiciens du son
Le duo de musiciens Kristoff K. Roll se produit à Frontignan. Originaires d’ici, Jean Kristoff Camps et Carole
Rieussec, ensemble sur scène comme à la vie, donnent dans l’improvisation électro-acoustique. Depuis 1990, ils manipulent les bruits, à l’aide d’une table de mixage, d’un ordinateur, et d’amplis. Et la magie opère : voilà une musique composée sous vos yeux, à partir des sons ambiants, le tout couplé à du théâtre d’objet. Que ce soit à Frontignan, en Pologne ou à New York, ce duo bouleverse la conception sonore. Concert le 22 février à Frontignan (voir p. 35).
ILS PORTENT LA VOIX D’ICI À PARIS
CLa Séto-Bretonne Danièle Bousquet préside le nouveau Haut conseil de l’égalité femmes-hommes. Le député Christian Assaf (8e circ.) refuse le cumul des mandats et veut une loi anti-patrons voyous. Le Sétois André Lubrano représente la Méditerranée au Conseil national de la mer et des littoraux. Le député Sébastien Denaja (7e circ.) défend le lido en intégrant un groupe d’études sur le littoral. La Gazette n° 281 - Du 31 janvier au 27 février 2013
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dossier Relooker les quartiers anciens et éradiquer l’insalubrité : c’est l’ambition de la rénovation qui démarre à Sète, pour sept ans. Quatre-Ponts, Révolution, Quartier-Haut : nos quartiers vont-ils changer de visage… jusqu’à devenir froids et embourgeoisés ?
Rénovation des quartiers anciens : Sète va-t-elle perdre son âme?
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es marchands de sommeil, c’est comme un cancer. Ça gangrène un immeuble, puis une ville. Nous sommes là pour aider les élus à avoir le courage de tuer la tumeur.” Le docteur urbain, c’est Alain de la Hautière, de l’Agence nationale de l’habitat (Anah), chargé du suivi de la rénovation sétoise. Celle qui démarre concrètement en 2013 dans les quartiers anciens, pour sept ans. Premiers nettoyages rue Pierre-Sémard. Les ouvriers créent des ouvertures, remettent aux normes, assainissent. Peu à peu, les taudis nichés en plein centre-ville devraient se transformer en logements modernes, lumineux, isolés. En effet, à Sète, 740 logements restent vacants ou indécents… Près d’un sur cinq aux QuatrePonts. Mais aussi au Quartier-Haut ou à Révolution. Alors, avec l’aide de l’État, la Ville s’attaque aux poches d’insalubrité. Des arrière-cours surconstruites proposent des pièces obscures et humides. Des matelas sont installés dans des garages, des ex-commerces. Là, les locataires en situation de faiblesse se font exploiter, en toute lucidité, par des propriétaires malveillants. Expérimental sur 25 villes en France, le programme national de rénovation des quartiers anciens dégradés (PNRQAD) entend revitaliser les centres-villes dans leur globalité — les immeubles, mais aussi les commerces, les rues,
Îlot Saint-Louis Rue Garenne
Rue Lazare-Carnot
les équipements… En luttant contre le logement indigne, François Commeinhes, le maire de Sète, vise à “faire baisser la pression immobilière”, réduire les listes d’attente pour les HLM et “permettre aux familles éparpillées dans les villages de revenir en centre-ville”.
Le charme de l’ancien
Sur le principe, il fait l’unanimité. Sur la méthode, beaucoup moins. “Oui, c’est une priorité!, affirment Jeanine Léger et Michel Gailhard, élus d’opposition du groupe de gauche Tous pour Sète. Il aurait même fallu commencer par là.” Le maire rétorque: “J’ai démarré en 2002, avec un périmètre de restauration immobilière sur l’Île Sud. La rénovation, c’est de la dentelle! Ça prend plus de temps que de construire du neuf.” Mais justement, les résidences neuves font grincer des dents. Ils sont nombreux, les nostalgiques de la chaleureuse Brasserie alsacienne, des boutiques Vié et Aux enfants sages sur la rue Honoré-Euzet. Pour les remplacer, du béton avec des pancartes affichant des familles aux sourires norvégiens. Le charme de l’ancien estil en train de s’évaporer? Les “vieux” Sétois des quartiers paupérisés sont-ils en train de se faire évincer par une bourgeoisie parisienne et estivante?
Rue Jean-Jaurès Rue Révolution Rue Caraussane
Rue Louis-Blanc
Quartier-Haut
Îlot Rue Pierre-Sémard Pierre-Sémard
Rue Honoré-Euzet
Révolution
Rue Pierre-Sémard
Rue de Tunis
“Le but n’est pas du tout de raser et de détruire l’authenticité du quartier. Au contraire ! Nous voulons la rendre à nouveau accessible”, rassure le maire. Quitte à tout casser mais garder la façade, comme celle des chais de la rue MauriceClavel. “On a fait du neuf rue de la Savonnerie, sur un hangar viticole désaffecté, et rue HonoréEuzet, sur un bâtiment sans logements. Dès qu’on peut, on rénove.”
Payer ou partir
Par des Déclarations d’utilité publique (DUP), la Ville rend les travaux obligatoires sur des îlotscibles. Si les copropriétaires peuvent payer, ils sont subventionnés à 62 % et leur projet accompagné. Sinon, un aménageur rachète leurs appartements selon l’estimation des Domaines*. De 900€ à 2000 €/m2, face à un marché de 2400€/m2 en moyenne. Ainsi, les propriétaires occupants, même s’ils ont rénové leur appart’, sont forcés de partir. Sans pouvoir trouver, avec ce pécule, de surface équivalente. Tous pour Sète s’émeut: “Pourquoi n’attend-on pas que les gens soient en mesure d’assumer la rénovation? Quelle garantie de relogement auront-ils? La méthode est trop violente.” Malgré les multiples réunions d’information, le degré de concertation ne satisfait pas non plus Force citoyenne, le PS ou les Verts.
Île Sud
En rouge. Les axes et pâtés de maisons destinés à se transformer visiblement. En blanc. Le périmètre du programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD)
Dense, pauvre et très dégradé, c’est le quartier des Quatre-Ponts (Île Sud, autour de la rue Honoré-Euzet) qui concentre l’essentiel des actions de rénovation de la Ville de Sète, depuis 2002, et affiche des immeubles neufs et rénovés. Mais le programme global, qui démarre pour sept ans, s’attaque aussi au quartier Révolution et au Quartier-Haut.
La Gazette n° 281 - Du 31 janvier au 27 février 2013
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RÉNOVATION
rĂŠalisĂŠ par Raquel Hadida / Photos Studio ClĂŠment, CĂŠline Escolano, Raquel Hadida, Laurence BĂŠnard / Infographie Philippe Crespy /
François Commeinhes, le maire de Sète : son programme de rÊnovation des quartiers anciens se concrÊtise en 2013.
Ă€ l’inverse, Alain de la Hautière, Ă l’Anah, pousse Ă plus de drasticitĂŠ. “Oui, mettre les gens sur la paille, c’est un risque, et les ĂŠlus ont du mal Ă prendre ces dĂŠcisions. Mais c’est trop facile de laisser les gens acheter des immeubles pourris et de leur donner de hautes indemnitĂŠs. Ça crĂŠe une dĂŠpense d’argent public inutile et ça encourage les escrocs.â€?
Relogement en dentelle
Les locataires sont, eux aussi, priĂŠs de mettre les voiles. Sur une centaine de familles concernĂŠes, treize ont dĂŠjĂ ĂŠtĂŠ relogĂŠes. “Pendant les travaux, on place les gens dans des logementtiroirs au Sus (SolidaritĂŠ urgence sĂŠtoise). C’est indigne, scandaleux! Et ils ne pourront pas revenir chez eux: les loyers auront grimpĂŠ, on va les ĂŠloigner du centre!â€?, s’horrifie Tous pour Sète. En fait, pour ĂŠviter deux dĂŠmĂŠnagements, aucune famille (sauf une) ne souhaite retourner chez elle. Mais la plupart demandent Ă rester dans le quartier, pour la proximitĂŠ des services et des ĂŠcoles. Grâce aux HLM neufs, oĂš ils sont prioritaires, la Ville les reloge et peut alors rĂŠnover leur ancien immeuble. En chaises musicales.
Ultra-pauvretĂŠ
Cas rares mais complexes: les familles nombreuses. Selon le maire, “les grands logements (supĂŠrieurs Ă 70 m2) sont difficiles Ă crĂŠer en ville et on ne peut loger huit personnes dans un T3. Ces familles seraient mieux avec de l’espace, Ă l’Île-de-Thauâ€?. Une hantise, pour ces habitants du centre-ville. Autre point sensible: les familles sans papiers et/ou sans ressources, surtout aux Quatre-Ponts oĂš la pauvretĂŠ ĂŠconomique se cumule souvent avec l’isolement et des problèmes de santĂŠ physique et mentale. Le Sus a pris en charge quelques-unes de ces familles, non pas dans un dortoir pour SDF, mais “parmi nos 40 appartements-relais, meublĂŠs. Avec un accompagnement social, le temps que les gens se reconstruisentâ€?, prĂŠcise la directrice, Bakhta BraĂŻki. ChargĂŠe du relogement pour la Ville, Laurence Urbero l’assure: “On tente de faire valoir leurs droits et on ne laisse tomber personne, quitte Ă ce que le suivi dure plus longtemps.â€?
MixitĂŠ sociale
Mais alors, une fois les immeubles embellis, qui va prendre leur place? Dans tous les centresvilles rĂŠnovĂŠs s’observe un phĂŠnomène de “gentrificationâ€?: les foyers “populairesâ€? ont tendance Ă se faire ĂŠvincer en pĂŠriphĂŠrie au profit d’une certaine bourgeoisie, plus ou moins “boboĂŻsĂŠeâ€?. Et ce, malgrĂŠ des HLM et des conventions de loyers bas pour les petits revenus. “C’est très facile Ă contournerâ€?, dĂŠnonce la gauche sĂŠtoise. “Pas d’inquiĂŠtudes: nous contrĂ´lons les engagements des bailleurs, atteste l’Anah. S’ils ne sont pas respectĂŠs, ils doivent rembourser les aides.â€? De plus, mixitĂŠ sociale ne rime pas avec concentration des plus pauvres: “Il faut des loyers libres, pour attirer des gens avec plus de moyens, explique Alain de la Hautière. Et, sur les ĂŠquilibres sociaux, entre autres, le dossier de Sète est très bien ficelĂŠ.â€? Dans les immeubles dĂŠjĂ rĂŠnovĂŠs (hors PRQAD), s’installent des SĂŠtois, des NĂŽmois, des MontpelliĂŠrains, souvent des jeunes actifs. Selon l’Observatoire des loyers de l’HĂŠrault, Ă Sète, l’offre de neuf contribue Ă abaisser les loyers et incite les propriĂŠtaires Ă rĂŠnover. Mais 6 % de ces logements restent vides. Trop chers. Entre l’insalubre et le “standingâ€?, un juste milieu est possible. â– *France Domaine, le service d’acquisition national.
RÉNOVATION Ă€ SĂˆTE
- 3 quartiers anciens concernÊs: Quatre-Ponts (Île Sud, autour de la rue Euzet), RÊvolution, Quartier-Haut. - 10 à 20 % des logements sont inoccupÊs, car dÊgradÊs. - Objectifs: lutter contre l’habitat indigne, remettre sur le marchÊ des logements vacants et crÊer des logements sociaux. - Exposition Aux cœurs de notre ville, sur la mÊmoire des quartiers en transformation, à la chapelle du Quartier-Haut, du 15 fÊvrier au 3 mars. - 60 M₏ de travaux au total. - 92 nouveaux logements sociaux (neufs ou rÊnovÊs).
Michel Gailhard, Êlu d’opposition. Le groupe Tous pour Sète dÊnonce un manque de concertation et une volontÊ de favoriser les investisseurs au dÊtriment des habitants.
RÊnovation sÊtoise mode d’emploi
• Pages 8 et 9:
- Enquête. Sète va-t-elle perdre son âme? - Reportage dans un appartement insalubre.
• Pages 10 et 11:
- TĂŠmoignages. Locataires ou propriĂŠtaires, ils vivent la rĂŠnovation.
• Page 12:
- Regards. Exposition Aux cœurs de notre ville, sur la mÊmoire des quartiers anciens. Du 15 fÊvrier au 3 mars, chapelle du Quartier-Haut.
Loue petit taudis de ville, 480 â‚Ź par mois. Rats inclus. Vacants ou insalubres : 740 logements du centre-ville sĂŠtois se trouvent dans un ĂŠtat “indĂŠcentâ€?, du fait de propriĂŠtaires “indĂŠlicatsâ€?. Derrière ces mots pudiques, des familles vivent l’enfer pour garder un toit, au profit de quelques marchands de sommeil. Rencontre rue de Tunis.
simple pour ranger ses vĂŞtements, encore moins pour les devoirs. Et le soir, les rats rĂ´dent‌ Martine rit jaune: “Ils trouvent plus de logements que nous!â€?
Quand l’habitat pourrit la vie.
-Programmes en cours:
• - Opah-RU “Coup de cĹ“ur Ă Sèteâ€?: OpĂŠration programmĂŠe d’amĂŠlioration de l’habitatRenouvellement urbain, pilotĂŠe par Thau Agglo. Subvention aux propriĂŠtaires pour la rĂŠnovation et l’isolation de leur logement. 5,5 Mâ‚Ź pour rĂŠnover 500 logements dĂŠgradĂŠs (location, propriĂŠtaire ou copro). • PRI: PĂŠrimètre de restauration immobilière. RĂŠhabilitation de 22 immeubles depuis 2002 sur l’Île Sud. DĂŠjĂ 52 logements rĂŠnovĂŠs, et autant de crĂŠĂŠs en neuf. • Dispositif Malraux: des propriĂŠtaires privĂŠs rĂŠnovent des immeubles et s’engagent Ă modĂŠrer les loyers, en contrepartie d’une dĂŠfiscalisation. • PNRQAD: Programme national de requalification des quartiers anciens dĂŠgradĂŠs. La Ville de Sète fait partie des 25 projets sĂŠlectionnĂŠs par le ministère du Logement en 2010. - 21 Mâ‚Ź (6 fois plus que la rĂŠnovation des Halles) sur 7 ans. - Financement: 27 % État, 34 % Ville, 38 % copropriĂŠtaires ou investisseurs. - 28 immeubles, soit 166 logements dĂŠgradĂŠs, recyclĂŠs en 118 logements, dont: - 23 sociaux (HLM) - 57 Ă loyer conventionnĂŠ (5â‚Ź/m2) ou intermĂŠdiaire (8â‚Ź/m2) - 38 en loyer libre (10,7 â‚Ź/m2 Ă Sète). - Des amĂŠnagements: trottoirs des rues RĂŠvolution et La Peyrade, rue Caraussanne ĂŠlargie, placettes, locaux associatifs. - RĂŠalisation par des amĂŠnageurs privĂŠs, public, et mixtes: l’Office public de l’habitat (OPH), la Compagnie immobilière de restauration (CIR), la SociĂŠtĂŠ d’amĂŠnagement (SA) Elit,. - 100 familles Ă reloger, selon une charte impliquant collectivitĂŠs et associations (signĂŠe dans les prochains mois).
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Au salon, elle a dĂť changer plusieurs fois de canapĂŠs: “Ils ont pourri, les meubles se mouillent‌â€? Sur un ĂŠtroit buffet, les jouets de NoĂŤl alignent leur rose impertinent. “Mais les petits n’ont pas la place de jouer avecâ€?, prĂŠcise Wendy. Dans ces trois pièces en enfilade, la famille ne trouve pas non plus l’espace pour manger ensemble. Ils se relaient. Un chauffage d’appoint au pĂŠtrole s’Êchine Ă combler l’absence de radiateurs. “En 2013, on vit comme des chiens, rĂŠsume Martine. Depuis cinq ans, mes enfants souffrent, ils n’ont pas le moral. Et Ă force de partager le canapĂŠ avec la petite de quatre ans, nous sommes Ă deux doigts de divorcer avec mon mari‌ Ă€ cause d’un appartement!â€? Kelly, 10 ans, Ă l’entrĂŠe de l’appartement insalubre oĂš elle habite.
“C’
est la misère!â€?, clame Wendy. En dĂŠbardeur dans l’hiver. En colère, l’œil bleu clair, le regard sombre. Les gestes durs. Proche de ses 18 ans, Wendy n’a qu’un objectif en tĂŞte: extirper sa famille de leur onĂŠreux taudis de la rue de Tunis, une fois son CAP Petite enfance en poche. Sa mère, Martine, sans emploi, a neuf enfants, dont cinq vivent avec elle ainsi que son mari, dans un 44 m2 insalubre, pour près de 500â‚Ź par mois. “Mon appartement? Il faut jeter une bombe dedans. Le propriĂŠtaire, lui, est en vacances en Argentine avec notre argent.â€? Wendy prĂŠvient: “Vous allez voir, vous prenez peur.â€? Mais, dans ce rez-de-chaussĂŠe, c’est d’abord l’odeur de moisi qui assaille. Pour isoler, la porte est scotchĂŠe d’un rectangle de plastique alvĂŠolaire, et recouverte d’une couverture. Tout autour, les taches de moisissure se multiplient, grimpent jusqu’aux plafonds‌ Et ont raison du papier peint, en lambeaux recourbĂŠs vers le sol. ÉpuisĂŠs. “J’ai beau dĂŠsinfecter Ă l’eau de Javel, ça revient tout de suiteâ€?, se dĂŠcourage Martine.
Loi Dalo
Ce marchand de sommeil de propriĂŠtaire s’est bien fendu de deux pots de peinture. Insuffisant pour transformer en vĂŠritable appartement les locaux d’une ancienne boucherie*. Pour faire bouger son dossier, Martine a cessĂŠ de payer le loyer depuis deux mois, et en appelle au maire. Elle dit ĂŞtre reconnue par la loi Dalo (droit au logement), et avoir ĂŠcrit au ministre du Logement pour la faire appliquer. “On demande pas l’AmĂŠrique, juste un logement propre pour retrouver le sourire! Mais en centre-ville, pas Ă la Zup, Brandon (8ans) est assez perturbĂŠ comme ça.â€? Dans un grand sourire, Kelly, 10 ans, appuie: â€?Je ne veux pas changer d’Êcoleâ€?. â– *Ce lieu, autour d’une cour, abritait une boucherie aux XVIIIe-XIXe siècles. Qui aurait donnĂŠ sa forme tortueuse et son nom Ă la rue de Tunis‌ ex-rue de l’Égorgeoir!
Dangereux et malsain
Les canalisations bouchÊes en permanence, l’Êvier s’emplit d’eau sale à ras bord, avant d’être ÊcopÊ dans la minuscule douche à la peinture craquelÊe. Une multiprise flotte audessus des têtes, non loin de fils Êlectriques dÊnudÊs. Avec deux prises pour toute l’habitation, faut bien se dÊbrouiller. La chambre aux lits superposÊs, elle, est plongÊe dans l’obscuritÊ. Pour Brandon, Kelly, Ruby, Wendy, les quatre enfants aux prÊnoms de sÊrie amÊricaine, ni lampe ni fenêtre. Pas
Martine (au milieu), entourĂŠe de deux de ses enfants, dans la rue de Tunis. Face Ă eux, un immeuble est rĂŠnovĂŠ, un autre en chantier.
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Ils vivent
MITIGÉ Arnaud, propriétaire du restaurant L’Auberge, rue Pierre-Sémard
L’immeuble est vidé de ses occupants. Après un à deux ans de travaux “forcés”, le restaurateur va voir sa devanture doubler de surface et hériter d’un studio. “Je ne m’attendais pas à devoir sortir 10000€, mais je n’ai pas eu le choix: c’était ça ou vendre les murs pour une bouchée de pain. Désormais, je vais bientôt vivre avec des échafaudages et des ouvriers qui accèdent au restaurant, hors des services. C’est un mauvais moment à passer, mais je m’en sors bien. Si on avait dû faire ces travaux en copropriété, on aurait payé deux fois plus cher. Et ma rue va devenir plus agréable — faut dire que le quartier n’est pas gai.”
la rénova t
Dans le centre-ville ancien de Sète, nous avons frappé aux portes. Et rencontré familles et commerçants, locataires ou propriétaires, concernés par la grande rénovation qui va durer sept ans. Témoignages, entre angoisse et soulagement.
PHOTO THÉÂTRE DES ORIGINES
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EN SUSPEND Ludivine, 26 ans, locataire rue Jean-Jaurès
Seule avec ses quatre enfants au 2e étage, Ludivine, et sa mère, au 4e, sont les dernières occupantes de l’immeuble. Mais font partie des cent familles que la Ville de Sète s’attelle à reloger. “Comme je n’ai pas de garant, je demande une HLM. J’aime autant éviter de changer les repères pour les enfants, alors j’ai demandé d’être proche de l’école Arago et de la maternelle Michelet, et à moins de 10 minutes de chez ma mère. La mairie est vraiment à notre écoute et a attendu, pour éviter de me faire déménager alors que j’étais enceinte! Mais je refuse d’aller à la Zup de l’Île-de-Thau, c’est catégorique: à cause de l’ambiance, les enfants sont toujours en train de se battre, et je n’ai pas de voiture pour aller en ville. Du coup, ça limite le choix pour un T5, ou un T4. Ma mère a eu deux propositions à loyer équivalent, de 40 m2, alors qu’elle a 50 m2 avec mezzanine. Moi, je ne quitte pas ici pour plus petit. Et je ne veux pas non plus revenir: depuis quatre ans, c’est un enfer, ça raviverait de mauvais souvenirs! Alors j’attends. J’avais besoin d’une armoire pour les enfants, mais je repousse l’achat, puisque ça dépend de la location qu’on aura.” En bas de l’immeuble, des commerces brûlés et fermés. La cour arrière, pleine comme un œuf. Dans les appartements, des pièces aveugles. Régulièrement, les locataires sont confrontés à la montée de l’escalier dans le noir, aux plomberies bouchées. Aux rats qui s’incrustaient dès la porte ouverte — il a fallu une pétition et une forte pression des locataires pour que l’agence intervienne. L’hiver, geler sans chauffage. L’été, étouffer en l’absence d’isolation thermique. Le bruit permanent sans isolation phonique. Alors la SA Elit (liée à la Ville) a racheté l’immeuble à son propriétaire et prend en charge le déménagement de la dizaine de locataires. Deux ont trouvé de nouveaux logements par eux-mêmes, les autres sont relogés par la Ville.
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IMPATIENTE Maryse, gérante du Bar Le Pub, rue Lazare-Carnot
Au-dessus de “Chez Maryse et Lulu”, il suffit de lever la tête: le jaune originel de la façade n’est plus qu’un souvenir délavé, fissuré, qui tend le flanc au mauvais temps… “La rénovation, c’est pas du luxe! Depuis 17 ans, l’eau remonte dans mon bar quand il pleut, ça me fatigue… Mais je ne bouge pas de là: j’adooore mon quartier et mes voisins sont des gens formidables. On en parle depuis longtemps, mais si la rénovation se faisait, ce serait formidable aussi… Oui, je sais qu’il faut être patient (soupirs).”
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SUR LE DÉPART Manuela, 89 ans, propriétaire rue Lazare-Carnot
Bon pied bon œil et des coussins au crochet dans les… sept pièces de son appartement, un T3 coquet assorti d’un immense appentis. Mais avec sa retraite de 350€/mois, comme la majorité des copropriétaires, Manuela n’avait pas vraiment les moyens de participer aux travaux nécessaires à l’immeuble. Pourtant, dans les parties communes, l’escalier se décroche du mur, les fils électriques pendouillent. Dans cet ancien hôtel, plusieurs appartements donnent sur un couloir, sans lumière naturelle. Indécent. Alors, pour le restructurer, la “Ville” (SA Elit) rachète l’immeuble. Après une première proposition à 700€/m2, Manuela devrait recevoir 160000€ d’indemnités, de quoi se retrouver… un F2 près de sa fille à Balaruc. Suffisant pour elle, mais pas pour accueillir ses enfants et petits-enfants…
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La Gazette n° 281 - Du 31 janvier au 27 février 2013
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DÉÇUE Isabelle, nouvelle propriétaire près de la décanale Saint-Louis
LUMINEUX William, 58 ans, relogé rue du Chevalier-de-Clerville
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Avec son mari, Isabelle a investi 100000 € dans la rénovation d’une maison abandonnée et squattée depuis 20 ans. Pile dans l’îlot Saint-Louis, au Quartier-Haut, que la Ville entend restructurer et aérer. Première déception: pas d’aide pour la rénovation. “Pour les obtenir, il faut de faibles revenus. Alors qu’on a galéré pour faire un crédit immobilier…” Deuxième écueil: difficile d’avoir les garanties pour louer. “Je voulais louer le rez-de-chaussée de 50 m2 à l’année à des gens de petits revenus, contre des aides. Mais c’est une usine à gaz, et aucune assurance ne veut garantir les loyers pour des fourchettes aussi basses. Et nous, on ne peut pas prendre en charge la crise économique, ni se plonger dans trois ans de procédure pour impayés — on l’a déjà vécu. Résultat: tant pis, on le louera en saison, aux touristes.” Voilà une rénovation qui ne changera donc rien pour les Sétois en galère de logement…
Dans cette résidence neuve, de la verdure, du calme et des baies vitrées. “Je revis. (pause) Depuis 15 ans, j’habitais dans un… taudis au fond d’une cour, rue Jean-Jaurès. Comme une grotte, faut le voir! Sans aucune fenêtre, avec l’air qui passe à travers les puits de jour, le gaz aux bouteilles de butane à porter, un poêle à pétrole pour chauffage.” La galère, surtout pour William, invalide à 80 % après une carrière de marin de commerce. Et dont la pension ne suffit pas à garantir un loyer au-delà de 350€ par mois. “Pendant 10 ans, j’ai fait des demandes d’HLM, en vain. Là, pour rénover, la mairie a bien été forcée…” Alors William est un des premiers à s’installer à L’Anglore, en juillet dernier, dans un T2 “impeccable et bien pensé”. S’éloigner du centre-ville? Pas un problème, avec une carte de bus et un scooter. Surtout pour une nouvelle vie: “J’ai tout escampé et racheté des meubles neufs. J’avais envie que tout soit nickel.” Des murs propres et blancs, soulagement.
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RÉNOVATION
rĂŠalisĂŠ par Raquel Hadida / Photos Guillaume Bonnefont /
CONQUISE Olga, 37 ans, et ses filles, relogĂŠes rue du 14-Juillet
“D’arriver ici, nous avons sautĂŠ de joie! Quand on m’a dit que je ne pouvais plus rester rue Jean-Jaurès, je n’avais pas imaginĂŠ un tel appartement, neuf, propre et grand‌â€? Depuis son 40 m2 “indĂŠcentâ€?, Olga a ĂŠtĂŠ relogĂŠe par la Ville en dĂŠcembre dans un immeuble neuf HLM du quartier Victor-Hugo, tout près de la gare pour ses deux filles de 19 et 21 ans, ĂŠtudiantes Ă la fac de Montpellier. â€œĂ‡a s’est passĂŠ très vite, en deux mois. Nous avons acceptĂŠ la deuxième proposition‌ mĂŞme sans connaĂŽtre prĂŠcisĂŠment le montant du loyer.â€? Dans ce T3 de 66 m2, NoĂŤline et sa sĹ“ur ont dĂŠsormais chacune leur chambre, bien dĂŠcorĂŠe, lumineuse et isolĂŠe: le grand luxe après les pièces froides, obscures et bruyantes. Olga a dĂť installer son lit dans le salon, derrière un drap? Peu importe: elle profite de la tĂŠlĂŠ dont l’antenne, Ă´ bonheur, fonctionne. Sur une large terrasse, un citronnier prĂŠcède les repas d’ÊtĂŠ. Et dans la salle de bain, les fuites, le moisi, et la laverie après le boulot ne sont plus que mauvais souvenirs. En ĂŠchange, une baignoire et une place pour la machine Ă laver, comme un joyau dans son placard. “Je ne sais pas comment remercier la dame de la mairie‌â€?
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EN NÉGOCIATION Georges, 70 ans, propriÊtaire rue de la Caraussanne
Le projet date‌ du XIXe siècle: pour raisons de sĂŠcuritĂŠ, la Ville entend ĂŠlargir la rue de la Caraussanne. Pour cela, elle prĂŠvoit, d’ici 2016, de dĂŠtruire quatre maisons comme celle de Georges et son ĂŠpouse, pour construire, en retrait, 12 logements sociaux et des places de parking.“On pensait finir nos vieux jours ici, ça va ĂŞtre cassĂŠ. Nous avions choisi exprès un immeuble en centre-ville pour ĂŞtre près des services, sans syndic ni copropriĂŠtĂŠ pour ne pas ĂŞtre obligĂŠs de payer de lourds travaux avec nos petites retraites. Nous avons tout rĂŠnovĂŠ! Avec les indemnitĂŠs de la mairie, ce sera difficile de retrouver un 60 m2 dans le centre‌ Surtout que nous craignons les nouvelles copropriĂŠtĂŠs sans âme. S’ils nous en donnent 100000â‚Ź, je fais de la rĂŠsistance. Mais mieux vaut une bonne entente qu’un mauvais procès!â€? De plus, selon Georges, “il n’y a jamais eu de problèmes dans la rue Caraussanne. Pour la sĂŠcuritĂŠ, il faudrait qu’on rase le centre d’Agde ou des petits villages, aussi? Cela ressemble plus Ă une opĂŠration immobilière: le terrain au-dessus, avec une superbe vue, est attractif pour les promoteursâ€?. La Ville dĂŠment, plan Ă l’appui.
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RÉNOVATIONS
• RÊnover votre logement ? S’il a plus de 15 ans, sous condition de revenus. Rens: Bureau InSitu, permanence le mercredi matin, 1 rue Raspail (entrÊe rue Lakanal), sur rdv au 0467741619, http:// habitatsete.thauagglo.fr À l’automne 2013 ouvrira la maison de l’habitat, lieu unique d’information, au 17 rue Pierre-SÊmard à Sète. • RÊalisÊ de 2007 à 2011 : - 38 appartements rÊnovÊs et 11 parkings crÊÊs aux 4-Ponts (PRI). - 201 locations et 103 logements en propriÊtÊ isolÊs et rÊnovÊs par l’OpÊration d’amÊlioration de l’habitat (OPAH-RU). En 2013 • Livraisons: Janv: Le Savonnerie, rue Savonnerie (9 HLM)
Mars-avril: Le Tivoli, 30 rue Pierre-SĂŠmard (9 HLM) Le Saint-HonorĂŠ, rue HonorĂŠ-Euzet (8 HLM) 6 rue de Tunis, restauration de copropriĂŠtĂŠ dĂŠgradĂŠe
Oct.: 17 rue PierreSÊmard • DÊmarrage de travaux: 29/31 rue Pierre-SÊmard + 17 rue HonorÊ-Euzet: 28 logements 15 rue Pierre-SÊmard: 8 logements 7/9 rue RÊvolution:
transformation de l’ancienne Êcole Marceau en 12 logements sociaux + un local associatif pour personnes âgÊes 49 rue Jean-Jaurès:
ENCHANTÉE AurÊlia, 36 ans, locataire rue HonorÊ-Euzet
Avec sa fille Jaya, AurĂŠlia est arrivĂŠe Ă Sète en pleine reconversion professionnelle.“Quand j’ai vu l’annonce pour cet appart Ă 525â‚Ź pour 65 m2, j’ai cru Ă une arnaque. Et une copine m’avait prĂŠvenu que le quartier ĂŠtait pourri. En fait, j’ai ĂŠtĂŠ bluffĂŠe: ils ont fait des efforts de couleurs et n’ont pas mis des matĂŠriaux premier prix. Alors, je me suis accrochĂŠe comme une tique. Et quand je l’ai eu, j’ai dĂŠbouchĂŠ le champagne! Après avoir eu un appart insalubre Ă Montpellier, vivre ici m’a vraiment donnĂŠ une bouffĂŠe d’oxygène. Aujourd’hui, après un an d’Êtudes, j’ai trouvĂŠ du travail en pisciculture. Le
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quartier est très sympa, les commerçants sont toujours prêts à rendre service. Et j’ai installÊ une balançoire sur ma petite terrasse. Que du bonheur!� À l’extÊrieur, des ferronneries rouges, un interphone moderne, des arcades en pierre, mises en valeur par des spots tamisÊs, et même un palmier dans la cour commune. À l’intÊrieur, murs taupe, poignÊes acier brossÊ, cuisines ÊquipÊes laquÊes et grands placards. Ancienne Êcole maternelle en ruine, cet immeuble a ÊtÊ rÊnovÊ par un investisseur privÊ (SCI) via le dispositif de dÊfiscalisation Malraux. En Êchange, ils assurent des loyers modÊrÊs et plafonnÊs pendant 9 ans.
7 logements
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dossier
RÉNOVATION page rĂŠalisĂŠe par Raquel Hadida / photos Gilles Favier - CeĚ tavoir CĂŠdric Matet - CeĚ tavoir /
En clins d’œil, dans l’exposition sur la mĂŠmoire des quartiers anciens, des dĂŠtails urbains ĂŠmouvants. Ces tapisseries Ă fleurs dĂŠcollĂŠes, mais aussi des portes aux personnalitĂŠs affirmĂŠes (en couverture), et des enseignes insolites : “Au rendezvous des chiens chicsâ€?, “Coco girlsâ€?‌
EXPOSITION
Aux cœurs de notre ville, du 15 fÊvrier au 3 mars, à la Chapelle du Quartier-Haut (Grand-rue Haute) à Sète, gratuit. Le 15 fÊvrier, rÊunion de concertation à 18h, puis vernissage à 18h30. À lire en complÊment : l’ouvrage tout frais de Robert Gordienne et Philippe Fassanaro, Sète, quartier par quartier, Êd. Le Dauphin vert.
Souvenirs de quartiers RĂŠnovation
Dans les quartiers anciens, les ouvriers sont à pied d’œuvre : la rÊnovation a dÊjà commencÊ. L’Êquipe de CÊtavoir zoome sur les immeubles du 10 et du 29/31 rue Pierre-SÊmard. Sur les stigmates de leur occupation au milieu des gravats, sur la lumière qui perce dans des exlogements insalubres. Et du recensement de 1936, ressuscitent les lointains occupants de ces immeubles. Le passÊ a une âme.
Du 15 fÊvrier au 3 mars, l’exposition Aux cœurs de notre ville restitue la mÊmoire des rues en rÊnovation à Sète. De l’urbain, empreint d’humanitÊ.
N
ous avons ĂŠchappĂŠ aux gros sabots du “marketing urbainâ€?. Le point de vue sera humain. L’exposition Aux cĹ“urs de notre ville a ĂŠtĂŠ voulue par la Ville de Sète pour valoriser la rĂŠnovation du centre-ville ancien et aider les habitants Ă s’approprier un programme peu visible. Dès le 15 fĂŠvrier, Ă la Chapelle du Quartier-Haut, elle propose une plongĂŠe subtile dans la vie des quartiers. RĂŠvolution, QuartierHaut, Quatre-Ponts (â€œĂŽle Sudâ€?) : sous l’Êgide de l’association CĂŠtavoir, crĂŠatrice du festival ImageSingulières, le documentariste photo Gilles Favier, l’urbaniste-photographe CĂŠdric Matet et l’historien Alain Pinol ont arpentĂŠ les rues-clĂŠs qui vont se transformer dans
les sept prochaines annĂŠes. “On l’a fait Ă notre image, en privilĂŠgiant la mĂŠmoire sensible. En prĂŠfĂŠrant la chaleur humaine aux chiffres, aux questionnaires-types et au langage technocratique calibrĂŠ. Ça ne nous paraissait pas cohĂŠrent qu’une boĂŽte de communication parisienne fasse ce travail-lĂ â€?, estiment les trois SĂŠtois. Les murs de l’expo sont tapissĂŠs de façades en noir et blanc. Dans cette ambiance, ressurgissent les tĂŠmoignages multimĂŠdia d’une dizaine de “vieux SĂŠtoisâ€?. Des vidĂŠos sur tablettes tactiles ou ĂŠcrans tĂŠlĂŠs, des portraits photos, des citations. ÉmaillĂŠs de trĂŠsors du passĂŠ retrouvĂŠs chez les gens, ou dans les anciens noms de rues — rue des Cercleurs, rue de l’Égorgeoir, rue du
Pont-Neuf. Depuis l’espace public vers l’intimitĂŠ des appartements et des familles. De ses recherches, l’historien Alain Pinol ressort impressionnĂŠ: “40 ans après le lycĂŠe, les gens se connaissent encore, leurs souvenirs restent très vivants. C’est assez rare, ça a une vraie valeur! MalgrĂŠ la vĂŠtustĂŠ du quartier, les gens y restent extrĂŞmement attachĂŠs, et ont tous adorĂŠ leur enfance Ă Sète. Dans les annĂŠes 1940-60, les rues ĂŠtaient pleines de vie, un vrai terrain d’aventure. Chaque quartier a sa personnalitĂŠ, marquĂŠe par ses figures et ses activitĂŠs. Mais un drame commun: la disparition du petit commerce.â€? Quartier rĂŠnovĂŠ, quartier revitalisĂŠ? Rendez-vous dans quelques annĂŠes‌ â–
Carnet de croquis Pierre François
Un petit bijou à l’avant-garde du scrap-booking : le carnet de croquis du peintre Pierre François (19352007), retrouvÊ chez son frère Robert. Avec dessins et collages, il y raconte la vie du quartier Lazare-Carnot de son enfance, oÚ leur père avait un garage automobile dans les annÊes 1940. Et oÚ les hommes en costard se pavanaient dans les grosses cylindrÊes‌
Dans ce commerce transformĂŠ en logement, rue RĂŠvolution, Ernesto a dĂŠcorĂŠ le moindre centimètre carrĂŠ de mur. Objets et affiches pour le moins ĂŠclectiques : pour le photographe Gilles Favier, “c’est l’annexe du Miam*!â€? *MusĂŠe international des arts modestes
François Cortez, une des figures “mythiquesâ€? du Quartier-Haut, habite rue Garenne, un des lieuxcibles de la rĂŠnovation. Est-il un digne successeur du gai “Brive-la-Gaillardeâ€? des annĂŠes 1950 ? Ce CorrĂŠzien - qui aurait inspirĂŠ Brassens - ĂŠtait connu pour faire la tournĂŠe des bars en carriole, avec son âne et son chapeau, avant de rentrer chez lui au mont Saint-Clair‌ Ă la campagne.
François Rodriguez, le coiffeur “DiĂŠgoâ€? de la rue RĂŠvolution, raconte l’ancienne ĂŠcole Marceau, archives Ă l’appui. Le jeu du sou, star des cours de rĂŠcrĂŠ — un cornet de papier coincĂŠ dans une pièce trouĂŠe —, les rires sur la rampe de pierre de la rue ÉgalitĂŠ, la “rue des banquettesâ€?. Sans oublier les dimanches de foot, lorsque toute la ville passait en procession‌ vers le stade du FC Sète.
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La coiffeuse Gaby Cendra attend son relogement‌ après 45 ans passÊs au 31 rue Pierre-SÊmard. À près de 80 ans, elle a rÊcoltÊ au moins autant de confidences des filles de cabaret‌ Le quartier des Quatre-Ponts est marquÊ par sa proximitÊ avec le port de commerce: au dÊbut du XXe siècle, les chais viticoles et les brÝleries de cafÊ prospèrent, et, avec eux, les passes des prostituÊes pour les marins.
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]P[Z]_LRP Vêtements et vies professionnelles: ici, on recycle. À la Tikbou de l’Île-de-Thau à Sète, treize femmes et un homme se forment à la récup’textile pour décrocher un diplôme et un boulot. Reportage dans ce nouveau chantier d’insertion.
Insertion :
la grande remise à neuf
la chaîne. Brigitte trie et reprise des vêtements récupérés, Laidia lave et sèche, Nassira repasse, Damya étiquette, Karine range les piles, sous l’œil critique de Sabine. Ce mardi, les filles sont “en production”, mais ces trois pièces blanches aux odeurs de propre n’ont rien de l’usine. Côté vitrine, des mannequins, une cabine d’essayage, des portants, des rayons “homme”, “femme”, “enfant”, mais nous ne sommes pas non plus dans une “boutique de fringues” classique. Ouverte deux jours par semaine, la Tikbou de l’Île-de-Thau propose depuis octobre dernier des vêtements à prix sacrifiés. 2€ le T-shirt ou le pull, 25€ le costume ou le manteau. Issus de la récup’, mais triés, désinfectés, repassés, présentés et étiquetés avec des tailles harmonisées. Bref, rien à voir avec les puces caritatives, même si le style se veut “selon arrivage”. Et ici, les quatorze salariés en contrat aidé ne sont pas là pour cracher du chiffre d’affaires, mais pour devenir des “pro-fes-sion-nels”. Dans ce nouveau chantier d’insertion géré par la Ligue de l’enseignement de l’Hérault, c’est le maître mot. Le projet professionnel, les gestes professionnels, les comportements profession-
nels… et même le lavage de mains professionnel. Les trois formatrices ne cessent de les marteler, et les salariés en sont fiers. “Rien à voir avec ce qu’on fait à la maison! Ici, on ne fourre pas tout dans la machine, vite fait, il faut regarder les étiquettes”, explique Laidia. “Et on n’a pas le droit de rester appuyées quand on lance la vapeur avec le fer à repasser “, précise Nassira, concentrée.
Postes tournants
Placardées aux murs, les multiples fiches techniques témoignent des procédures. Comment nettoyer des chaussures, comment enlever une tache de chewing-gum, comment étiqueter des vêtements pour enfants, quel prix indiquer… Les salariés “tournent” sur toutes les tâches, les vêtements sont triés dans des bacs selon la méthode de lavage adaptée — 30°C clair, 40°C foncé, à froid si les étiquettes sont effacées. De main en main, ils “progressent” vers la boutique. Une organisation au cordeau? Presque. Sabine Poujol, la formatrice en technique textile, y veille. Mais aujourd’hui, Zhor a mal aux dents et regarde sa collègue Brigitte trier*. Un coup d’œil aux bacs qui débordent suffit à Sabine
pour trancher: “Mettre à laver les bacs les plus remplis, je ne suis pas certaine que ce soit bien acquis… Il y a une chaussette qui traîne.” Dans la pièce suivante, Laidia se démène avec les deux machines à laver et les deux séchoirs. “Elle me fait la misère!“ À quelle heure la machine va-t-elle s’arrêter? “Dans 80 minutes”… Donc? Combien y a-t-il de minutes dans une heure? “30 ?” Côté boutique, une étagère déborde. Karine propose de faire moitié hommes moitié femmes sur celle du dessous. “Bonne proposition”, commente Sabine.
Textile remotivant
Avec des vêtements usagés comme matière première gratuite, le recyclage textile joue le rôle d’un support pour se remettre le pied à l’étrier. “En trois mois, elles ont énormément gagné en autonomie”, observe Sabine Poujol. Se lever le matin, éviter les absences, résoudre ses problèmes de garde d’enfants, identifier sa place dans le planning, préparer sa tambouille du midi. Mettre sa blouse et ses gants, s’adapter à plusieurs tâches, ranger son outil de travail, chercher l’information par soi-même sur les
2 € le T-shirt et le pull! Une fois triés, reprisés, lavés, repassés par ses collègues, les vêtements de récup’ passent entre les mains de Karine, qui fait office de vendeuse aujourd’hui. Cette boutique de l’Île-de-Thau à Sète est le support d’un chantier d’insertion par l’activité économique pour quatorze salariés. Une première sur le bassin de Thau.
La Gazette n° 280 - Du 3 au 30 janvier 2013
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Karine et Fatiha prennent leur pause devant la Tikbou, au pied d’un immeuble de l’Île-de-Thau.
Êtiquettes et les pictogrammes, suivre des process prÊcis‌ Voire prendre des initiatives, et accueillir un client.
L’après-galère
Car, Ă 22 ou Ă 54 ans, tous ces “comportements attendus en entrepriseâ€? n’ont rien d’Êvident. Surtout lorsqu’on a toujours ĂŠtĂŠ femme au foyer ou qu’on n’a enchaĂŽnĂŠ que des petits boulots —du mĂŠnage dans des rĂŠsidences de vacances Ă Balaruc, chez des particuliers‌ Comme Laidia, 45 ans, avec deux enfants Ă charge et une instruction jusqu’au CM2: “Depuis deux ans, je suis enfermĂŠe Ă la maison, sans rien pour finir le mois. Le quotidien m’a tuĂŠe. Ă€ la maison, je dĂŠteste repasser, mais lĂ , je m’Êclate! Sans doute grâce au fer vapeur et Ă la bonne entente dans l’Êquipe!â€? Ă€ 33 ans, Olivier a une formation de moniteurĂŠducateur, mais enchaĂŽne les remplacements de 15 jours ou 6 mois. Ancienne couturière, Brigitte, elle, a tentĂŠ de monter une micro-entreprise de dĂŠco ĂŠvĂŠnementielle. Mais sans rĂŠseau, pas de clients. Les plus jeunes, comme Nassira, Karine ou Tania, se sont souvent occupĂŠes de leur premier enfant après un BEP ou une première expĂŠrience. Ă€ la pause-cafĂŠ, au milieu des rires, elles affirment toutes: “Aider les gens, c’est mon truc!â€?, “maissans diplĂ´me, ils ne prennent plus.â€?
Bol d’air social
Et justement, le chantier d’insertion prĂŠpare au diplĂ´me d’assistant de vie sociale et familiale. Qui “ouvre les portesâ€?, notamment, des maisons de retraite ou de l’aide Ă domicile. Parmi les dix mĂŠtiers les plus recherchĂŠs sur le bassin de Thau, selon PĂ´le emploi. Deux jours par semaine, dans un appartement-tĂŠmoin thĂŠrapeutique, Nassira les entraĂŽne aux bons rĂŠflexes pour dĂŠplacer les personnes dĂŠpendantes aux règles d’un mĂŠnage pro. De mystĂŠrieux adages deviennent alors des leitmotivs pour le groupe: “du propre vers le saleâ€?, “de l’extĂŠrieur vers l’intĂŠrieurâ€?. Bonnes postures pour le dos, règles de sĂŠcuritĂŠ pour les produits toxiques: les salariĂŠs se montrent avides d’apprendre. Et se rĂŠgalent Ă ĂŠchanger la recette du couscous contre celle de la rouille de seiche avec les collègues. Un bol d’air social. Ils remercient mĂŞme leur conseiller PĂ´le emploi ou RSA de les avoir orientĂŠs ici.
Tremplin vers l’emploi
Avec Cathy Tarot, la conseillère en insertion, ils essaient, en rendez-vous personnalisĂŠs, de lever leurs freins vers l’emploi. Cette fervente militante de l’Êducation populaire les appuie pour gĂŠrer leurs problèmes de papiers, de logement, de divorces, de mobilitĂŠ, de garde d’enfant‌ “Ce sont des personnes malmenĂŠes par la vie, qui doutent de leurs capacitĂŠs. Si on veut qu’elles y arrivent, on ne peut pas les laisser empĂŞtrĂŠes dans leurs histoiresâ€?, analyse Sabine. Insomniaque, Tania, 22 ans, a dĂŠjĂ suivi quinze sĂŠances de sophrologie, et peut dĂŠsormais “reprendre une vie normaleâ€?. Au cas par cas, ils peuvent bĂŠnĂŠficier d’aides pour le retour Ă l’emploi (voir Repères). Et, dĂŠjĂ , prĂŠvoir une formation complĂŠmentaire — ils rĂŞvent presque tous de devenir aide-soignant. Un des salariĂŠs a dĂŠjĂ quittĂŠ le chantier pour un CDI Ă temps plein. Les autres espèrent bien suivre sa trace. MĂŞme si, en cette fin de journĂŠe, ils n’en laissent aucune dans leurs locaux, grâce Ă un mĂŠnage d’Êquipe ultra-efficace. Et auto-organisĂŠ. Q
REPĂˆRES
La Tikbou
La boutique du chantier d’insertion est ouverte les mardis et vendredis, de 9h30 à 12h et de 13h30 à 16h30 (ou 16h). - Vêtements rÊcupÊrÊs, triÊs, lavÊs, repassÊs (2₏ le pull, par exemple) - DÊpôt de vêtements usagÊs. Île-de-Thau, 78, immeuble Le Globe à Sète, 0430410059. Au rond-point de l’Île-de-Thau (mÊdiathèque), tournez à droite et passez sous les immeubles. Puis, au petit rond-point, à gauche puis tout de suite à gauche dans le parking. Passez entre les deux immeubles perpendiculaires: la boutique se trouve sur la gauche, devant la place.
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rĂŠalisĂŠ par Raquel Hadida / Photos Guillaume Bonnefont - Raquel Hadida /
Dans la boutique de fringues de rÊcup’, Sabine, la formatrice textile, vÊrifie que Karine a bien suivi la mÊthode d’organisation.
Gestes professionnels Sur le chantier d’insertion de l’Île-de-Thau, quatorze salariÊs s’Êchauffent avant de rentrer de plain-pied sur le marchÊ du travail. À travers le recyclage de vêtements ou d’une formation d’assistant de vie.
Le chantier d’insertion de l’Île-de-Thau
- Initiateur: le Conseil gĂŠnĂŠral de l’HĂŠrault. - Gestionnaire: la Ligue de l’enseignement, mouvement d’Êducation populaire. www.laligue34.org - Montage du projet: 2 ans. - 14 salariĂŠ(e)s en contrat d’accompagnement dans l’emploi (CUI-CAE). Les salaires sont pris en charge par l’État et le DĂŠpartement. CDD de 6 mois renouvelable une fois. - 3 jours (soit 24h) par semaine: 2 jours de formation, 1 jour de “productionâ€? en demi-groupe. - 5 encadrantes, dont 3 formatrices. - Formation prĂŠ-qualifiante d’assistant de vie aux familles (ADVF): deux certificats sur trois passĂŠs au bout de six mois. - Fiches techniques, livret de progression et garantie-qualitĂŠ par le rĂŠseau Chantier-ĂŠcole www.chantierecole.org - Budget: 300000 â‚Ź par an. Financeurs: État, DĂŠpartement de l’HĂŠrault, Ville de Sète, Thau Agglo, Mission locale d’insertion.
Au tri, Brigitte s’arme de gants et de patience pour rÊcupÊrer les fermetures Éclair sur les vêtements trop abÎmÊs.
Aucun hasard dans le circuit du fer : Fatiha adopte un repassage “pro-fes-sion-nelâ€?. Un cadre pour se prĂŠparer Ă un futur employeur.
Une nouvelle Êtiquette pour un vêtement remis à neuf. Taille, âge, prix: Damya la timide doit tout harmoniser. Et se creuser les mÊninges pour trouver les Êquivalences.
Dans l’appartement thĂŠrapeutique tĂŠmoin, Nassira (Ă g.), la formatrice, initie Sonia aux secrets du lit “au carrĂŠâ€?. Et invente des scĂŠnarios pour s’exercer Ă la prise de contact avec les personnes âgĂŠes.
Virginie pratique la godille‌ avec l’Êponge, dans la douche pĂŠdagogique. Un des leitmotivs de la formation : “Mieux vaut un bon nettoyage qu’une mauvaise dĂŠsinfection.â€?
Sanian se coordonne avec Tania pour faire la vaisselle sans se casser le dos. Et toujours dans une “marche en avant�.
L’insertion dans l’HÊrault
- Budget des actions d’insertion par l’activitÊ Êconomique du DÊpartement: 3M ₏ sur 20M ₏ au total pour les allocataires du RSA. - 40 chantiers d’insertion dans l’HÊrault, dont 23 financÊs par le DÊpartement. ActivitÊs: textile (Sète, Agde, Roujan), mÊcanique (St-Jean-de-VÊdas), bâtiment, maraÎchage (Villeneuve-lèsMaguelone), espaces verts et amÊnagement du littoral, ordinateurs (asso Nouas)‌ - Aide pour le retour à l’emploi (APRE): un coup de pouce pour rÊparer son vÊhicule, passer le permis, louer une voiture, faire garder les enfants‌
*Les vêtements non rÊcupÊrables seront transfÊrÊs à l’entreprise coopÊrative Vertex (liÊe à Emmaßs). Ils deviendront chiffons, isolants‌ ou moquette. La Gazette n° 280 - Du 3 au 30 janvier 2013
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réalisé par Raquel Hadida / Photo Guillaume Bonnefont /
chantiers d’insertion, ça marche ?
Efficaces vers l’emploi, les chantiers d’insertion remettent le pied à l’étrier à des personnes en galère, tout en créant des services utiles. Mais sans développement économique, ils ne peuvent empêcher une nouvelle précarité.
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Sète, un chantier de recyclage de vêtements avec la Ligue de l’enseignement (voir p. précédente). Autour du bassin de Thau, un chantier de petite maçonnerie, avec l’association Passerelles. Douze à quinze personnes “éloignées de l’emploi” sont recrutées en contrats aidés, avec un accompagnement, pendant six mois renouvelables.Simple moyen d’occuper des personnes incapables de travailler?De faire une bonne action caritative pour donner quatre sous aux “pauvres misérables”? Non et non. Par un véritable contrat, les chantiers d’insertion vont bien au-delà. Bien qu’ils ne soient qu’une étape du parcours d’insertion. Et qu’une goutte d’eau extraite de l’océan du chômage. Alors, créer de l’emploi subventionné pendant six mois sur une activité non rentable, à quoi ça sert vraiment?
• Faciliter l’embauche
Objectif: maximiser le nombre de “sorties vers l’emploi”. Le CDI à temps plein se fait rare, mais “l’essentiel est de monter marche après marche, chacun à son rythme”, appuie Alexandra Mazé au Département. Vers une nouvelle formation, vers un temps partiel à élargir… Le chantier d’insertion sert de période-tampon pendant laquelle les salariés se remettent à niveau sur les savoirs de base, adoptent progressivement des comportements d’entreprise et lèvent leurs freins à l’embauche. Le chantier textile de Roujan obtient 80% de “sorties positives”. “Au bout de six mois, c’est mitigé, mais en un an, quasiment tous parviennent à résoudre leurs problèmes, assure Dominique Girard, référente chantier d’insertion pour la Ligue de l’enseignement de l’Hérault. Seuls un ou deux par promo n’ont pas une réelle volonté de travailler.”
• Recadrer socialement
“Le problème, ce n’est pas la fraude, c’est le non-recours au droit”: en présentant son plan contre la pauvreté le 11 décembre dernier, Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales, sortait du discours sur l’assistanat. Lorsqu’on est en difficulté, on a tendance à “lâcher prise”. Or le chantier d’insertion n’est pas une simple formation. Il aide à sortir de l’isolement et donne du “bagage” pour se repérer dans les demandes administratives, monter un dossier, jongler avec Internet. Avec des conséquences positives sur la santé, sur l’éducation des enfants,etc. D’autant plus que “le travail reste un porteur d’identité sociale majeur”, notela sociologue Annie Dussuet.
Et la crise économique?
“Non, l’insertion ne crée pas des emplois durables, et n’est pas là pour résoudre le problème de fond, admet François Liberti, le conseiller général de Sète. Nous, on assume nos responsabilités. Aux autres politiques publiques d’assumer les leurs avec une vraie politique de réactivation de l’emploi.” Michel Chauvière, sociologue parisien spécialiste de l’action sociale le martèle : “L’insertion, c’est une riche idée de rattrapage, mais elle ne doit pas être un pansement sur un développement économique qui se fait languir”. Surtout quand le chômage atteint 15,8 % dans le bassin de Thau, au 7e rang des plus élevés de France. “La déconnexion entre le développement économique, dévolu aux Régions et à l’État, et l’action sociale, dévolue aux Départements me semble préjudiciable et inégalitaire, juge Michel Chauvière. Les Départements sinistrés et âgés n’ont pas des moyens financiers suffisants pour agir.”
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La Gazette n° 280 - Du 3 au 30 janvier 2013
Dans la montée du Saint-Clair à Sète, sur le chantier d’insertion itinérant de l’association Passerelles, Pierrot (à g.) et son encadrant Guy Koller réalisent des murets de pierre pour empêcher l’effondrement du bas-côté, sous le sémaphore. Père de cinq enfants, à 46 ans, Pierrot le maçon de Frontignan reprend la route de l’emploi après quatre ans de chômage. “Aucune démarche n’aboutissait, j’ai perdu courage. Maintenant, je sais pourquoi je me lève le matin. Et comme je n’ai pas de moyen de transport, on me passe un scooter pour venir de Frontignan. Des entreprises comme ça, c’est rare!”
“Avec une activité formalisée, un contrat, on retourne dans l’univers d’un État de droit et on a le sentiment de participer à la vie collective, plus qu’avec des coups de main et du travail au noir. Face à la marginalisation, c’est une action préventive avec une réelle utilité”, estime Michel Chauvière, sociologue spécialiste de l’action sociale. “La vraie insertion suscite de l’intérêt, et du respect de soimême, indique François Liberti, conseiller général de Sète. “T’es pas cuit, t’es pas foutu, tu as de la créativité”, c’est le message qu’on fait passer. Et ça aide à reconstruire les individus.”
• Créer des services utiles
À l’inverse d’une entreprise d’insertion, un chantier d’insertion ne se positionne pas sur une activité rentable et concurrentielle. Mais justement, sortir de la sphère de l’économie marchande, c’est utile. “Surtout que la production est souvent de qualité”, observe François Liberti. Et l’environnement souvent au rendez-vous. Construire des murets pour bloquer la dégradation des routes du mont Saint-Clair à Sète ou entretenir les dunes empêche les dégradations, embellit le patrimoine et le paysage. Alors que les entreprises privées, elles, ne se pressent pas sur ces créneaux. Remettre en état et revendre des vêtements ou des ordinateurs usagés évite de les jeter et permet de les proposer à prix très doux à des personnes à bas revenus. À Agde, la boutique d’insertion crée même une dynamique: “Les jours de marché, elle est noire de monde, et elle attire les gens vers les autres commerces. La commune veut nous financer pour qu’on ouvre tous les jours!” , s’étonne Dominique Girard. Comme les Agents du littoral méditerranéen, basés à Frontignan, certains chantiers fonctionnement si bien qu’ils basculent dans l’espace économique “concurrentiel”. Avec un “plus” écolo et solidaire. Q
Vous avez dit “précarité”?
Des créneaux porteurs, non délocalisables et aisément accessibles avec un niveau minime de qualification : c’est la cible des chantiers d’insertion. Problème : dans ces domaines, l’intérim et les CDD à temps partiel contraints sont légion, pour s’adapter aux fluctuations des besoins. Ainsi, dénonce Annie Bussuet, sociologue nantaise, spécialiste des services à domicile : “Les femmes se retrouvent à travailler 15 à 20heures par semaine pour un salaire minable — en 2008, le salaire médian était de 832 €/mois net —, à des horaires qui les obligent à délaisser leur vie familiale. La flexibilité les empêche de cumuler avec un autre boulot, et accroît les accidents du travail par les déplacements. Celles qui tiennent le coup s’éclatent à être utiles aux autres, mais se retrouvent dans une nouvelle forme de précarité !”
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Déficit d’image
“Les compétences acquises sur le chantier de l’Île-de-Thau seront transférables dans plusieurs secteurs d’activité! Tri du linge, vente, accueil…, précise Alexandra Mazé, chef du service insertion du Conseil général à Sète. De plus, les métiers des services à la personne connaissent de réelles difficultés de recrutement, liées à un déficit d’image. Ainsi, avant le recrutement, Pléiades emploi services a présenté le secteur aux candidats.” Lié au Département, ce pôle de développement sert d’interface avec les employeurs des services à la personne : il permet une coordination pour augmenter le temps de travail, regrouper les heures dans un même lieu, etc. Au chantier de la Tikbou à Sète, les principaux intéressés se montrent pragmatiques : “On a plus de souplesse que dans la restauration, on peut choisir notre public et s’organiser”, assure Sanian, 25 ans. Pour Olivier, 33 ans, “le marché du travail demande de la polyvalence. Et la précarité est dans tous les secteurs. Alors…”
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N° 279 - Décembre 2012
À quoi ressemblera le bassin de dans
Thau
CPDEM
Quand les mamies apprennent la cuisine aux ados
C FRONTIGNAN
TOUTES LES SORTIES
DE DÉCEMBRE
L’homme qui met la garrigue en bouteille
C SÈTE
Un parlement de la mer pourquoi faire ?
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enquête
Sur le bassin de Thau, les ados et les personnes âgées se mettent à échanger autour de projets communs. Une démarche vraiment efficace face aux enjeux de société ou une simple “tarte à la crème” pour se donner bonne conscience ? Enquête sur l’intergénération.
Ados et seniors :
le nouveau duo gagnant
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décembre à midi. Au Cabaret à Sète, quinze personnes âgées isolées déjeunent et profitent du spectacle avec quinze jeunes adultes : jeunes travailleurs, demandeurs d’emploi, étudiants isolés. À l’approche de Noël, Gérard Gimeno, le créateur de l’antenne sétoise des Petits Frères des pauvres, entend en profiter pour lancer un projet de collaboration socio-économique entre jeunes et anciens. La Ville de Frontignan organise des ateliers où les retraités s’initient au graff ou aux SMS, histoire d’apaiser les tensions ados-vieux dans les quartiers. Et c’est dans les maisons de retraite de Poussan et de Mèze, avec des lycéens pro de Gigean, que Magui, un écran tactile, a été testé pour la première fois. Simplissime, il permet aux résidents dépendants de garder le contact avec leur famille.
Pilier social
La connexion entre les 15-25 ans et les 65-95 ans se développe sur le bassin de Thau. Gadget, l’intergénération? À en croire les principaux intéressés et les spécialistes, la démarche im-
prime une subtile dynamique gagnant-gagnant, loin de l’image caritative classique. Pour Jean-Jacques Faucet, coordinateur du CLIC Géronthau, “la place sociale des plus de 60 ans est sous-estimée. Notre souci est de dépasser l’alibi de la visite ponctuelle des jeunes aux plus anciens, pour une vision où des acteurs de tous âges produisent des projets communs”. D’après Philippe Pitaud, directeur de l’Institut de gérontologie sociale à Marseille, “l’intergénération apparaît comme l’un des piliers de l’équilibre sociétal”. Pour des ados ou des jeunes majeurs déscolarisés, enfermés devant les écrans, au chômage, voire délinquants, “rencontrer des anciens, en groupe, leur donne une chance de réussir alors qu’ils voguent d’échec en échec. Ils donnent des repères et revalorisent des ados en pleine construction de leur identité”, apprécie Éliane BouyssièreCatusse, éducatrice spécialiste des ados difficiles. Cet ex-directrice de la Protection judiciaire de la jeunesse à Toulouse l’a observé: “Les gamins difficiles ont rarement le support d’un ancien. Et ceux qui s’en sortent, c’est souvent grâce à la figure d’un grand-père, qui leur permet de s’ins-
crire dans une histoire et de se projeter dans l’avenir. Quitte à adopter la même passion que lui, comme la pêche.”
Moteur d’emploi
En face de lui, le retraité y trouve aussi son compte. Il peut rester actif, utile et “dans le coup” en tutorant un jeune dans ses études ou sa branche professionnelle, en lui faisant bénéficier de son expérience et de son carnet d’adresses. Et en ces temps de crise, le Parlement européen ne s’y est pas trompé, en déclarant 2012 “l’année de la solidarité intergénérationnelle”. Si des initiatives existent avec des ex-cadres, chefs d’entreprise dans l’association Ecti ou des artisans avec L’Outil en main, elles ne sont pas encore développées dans le bassin de Thau. Une lacune que le jeune retraité sétois Gérard Gimeno compte bien combler, en lançant un projet de collectif local d’intergénération: “Avec le papy-boom, la crise de l’emploi et la fracture technologique, c’est le challenge principal. Les retraités ont encore une valeur!”, insiste Gérard
Une rencontre originale : à Frontignan, une ado explique à une retraitée comment graffer un panneau, au sein d’un atelier intergénérationnel. Les seniors sont amenés à changer de regard sur cette forme d’art, à mieux comprendre les jeunes. Et, en retour, les ados mis en situation de “prof” se sentent valorisés. Quand, en ville, les tags font hurler les anciens, l’intergénération peut apaiser les tensions.
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À Frontignan, une ado explique à une retraitée de 75 ans comment envoyer des SMS, après un atelier Facebook (à g.). À droite, un enfant et un senior planchent ensemble sur une épreuve du certificat d’études… revisité.
Gimeno. Pour Philippe Pitaud, l’intergénération élargit ses compétences bien au-delà de la famille: “Désormais, on ne transmet plus un savoir “moral”, chargé des valeurs culturelles et familiales, mais un savoir professionnel, un savoir social, un savoir scolaire…” Rien que par leur présence, les seniors peuvent “apaiser l’angoisse de la mort qui travaille les adolescents”, pour Éliane Bouyssière-Catusse. Et, par leur diversité, prouver que la vieillesse n’est pas une maladie, celle qu’on peut chercher à fuir avec des crèmes anti-âge.
Prévention santé
Par leur état de forme, ils prodiguent eux-mêmes des messages de santé. “Comme les enfants fréquentent peu leurs grands-parents, on assiste à une coupure de transmission”, constate Grégory Ninot. Directeur du laboratoire Epsylon de Montpellier, spécialiste de la prévention santé, il a mené un programme, “L’école des sages”, en formant des seniors à témoigner de leur parcours de vie en écoles primaires. Chaque retraité intervient alors sur l’obésité, la gestion du stress, les addictions ou les dangers de la route. “Les campagnes médiatiques type “Mangez, bougez” sont entendues, mais pas mises en pratique. Les adolescents se sentent peu concernés. Au lieu d’un “y’a qu’à”, “faut qu’on”, qui sanctionne ou stigmatise, les seniors apportent la force de leur expérience de vie.” Dans la maison de retraite L’Écrin des sages à Mèze, des résidentes racontent leurs recettes traditionnelles à huit ados sétois difficiles. Et, à leur tour, les ados se les approprient pour éditer un livre de recettes et organiser deux repas à la maison de retraite. “Les plats ont beau être riches, ils sont toujours équilibrés, avec des légumes. Et leurs qualités nutritionnelles, le taux de sel par exemple, sont toujours meilleures que celles des plats préparés et des snacks”, explique Mathieu Pardell, responsable de la promotion santé pour l’Hérault au sein de la Mutualité française. Résultats de ces échanges non-moralisateurs: à court terme, les connaissances des enfants s’améliorent. Des questionnaires scientifiques montrent que les seniors eux-mêmes gagnent en bien-être et deviennent acteurs de leur propre santé (+ 20 points sur un score de 0 à 100). Et à long terme? “Pas facile, en France, de financer des études et des actions de prévention intergénérationnelles. Pourtant, elles coûtent dix fois moins cher que de développer une molécule pour un médicament, et peuvent économiser des dépenses de santé. Mais ça change, c’est l’avenir.”
Anti-solitude
Néanmoins, “des études montrent que le lien avec les autres est le facteur principal de bonne santé, c’est un cercle vertueux”, assure le gérontologue Serge Guérin. Ainsi, pour les plus anciens, les liens entre générations peuvent aussi aider à lutter contre la solitude et “favoriser la santé mentale et sociale, trop souvent ignorée”, juge Mathieu Pardell. Ils sont nombreux, les gens du nord de la France, à venir passer leur retraite au bord de l’étang de Thau. Mais, à 80 ans, avec souvent un époux décédé et une famille éloignée, ils se retrouvent seuls. Souvent la pire des punitions, un “fléau” caché, tu dans les appartements fermés. En rendant visite à des dames âgées, Gérard Gimeno confirme : “Certaines n’ont pas mangé à table avec quelqu’un depuis dix ans!” Ça tombe bien, le repas au Cabaret du 22 décembre approche. Un coup de pouce festif pour les seniors isolés, comme pour les jeunes en galère. Il suffit parfois de quelques mots, et de regards échangés. ■
!REPÈRES
Réseau CLIC Géronthau:
Centre d’information et de coordination gérontologique sur le bassin de Thau. 0467516660, www.clic-geronthau.com
Activités intergénérationnelles:
-Collectif intergénérationnel du bassin de Thau (en projet), 0628700932. -Jeux, goûters, sorties, fêtes, avec les centres sociaux et les maisons de seniors. -Pendant la Semaine bleue en octobre, semaine nationale des retraités et des personnes âgées. www.semaine-bleue.org -Prix Chronos de littérature: vote ouvert à tous pour un livre traitant des parcours de vie, des relations entre générations. 0155746708, www.prix-chronos.org -L’Outil en main: transmission de savoir-faire artisanal, 0325737483, www.loutilenmain.asso.fr -Ecti-Hérault: ex-cadres et chefs d’entreprise bénévoles, 0467726176, www.ecti.org -Lire et faire lire: partage du goût de la lecture avec les enfants, 0143589650, www.lireetfairelire.org
Enquêtes seniors et santé
-À plus de 75 ans, une femme sur cinq vit en couple, contre deux hommes sur trois. -C’est de 79 à 83 ans que les personnes basculent vers une forte solitude. -Seuls 6 % des plus de 60 ans sont en perte d’autonomie. -L’âge qu’on se donne (âge subjectif) est l’indicateur le plus fiable de son état de forme. -À 50 ans, un Français a 19 ans d’espérance de vie sans incapacité (10e rang européen).
Aller plus loin:
-La Nouvelle Société des seniors, de Serge Guérin (éd. Michalon, 2011). -Adolescents difficiles: penser et construire des partenariats, ouvrage collectif sous la direction d’Éliane BouyssièreCatusse. (éd. Éres, 2012). -Enquête Isolement et vie relationnelle des personnes âgées du collectif associatif Combattre l’isolement (2006). -L’Intergénération en Europe. Recherche et dynamisation de la cohésion sociale, de Philippe Pitaud et Richard Vercauteren (éd. Éres, 1995). -CongrEpsylon, le 5 avril 2013 à Montpellier, organisé par le laboratoire Epsylon, spécialiste de la prévention santé et interdisciplinaire — médecine, psychologie, sciences du sport. www.lab-espylon.fr
! RENCONTRES
réalisé par Raquel Hadida / photos Ville de Frontignan - Sébastien Ortolat/
Intergénération mode d’emploi
• Page 12 et 13 : - Ados et seniors : le nouveau duo gagnant - “L’intergénération n’est pas une simple mode” • Page 14 et 15 : - Mémoires gourmandes. Des collégiens de Sète s’initient à la cuisine avec des pensionnaires de la maison de retraite de Mèze. • Page 16 - Regards entre deux générations. À Frontignan des seniors se prêtent à une séance photo organisée par la Mli pour des jeunes.
SERGE GUÉRIN, SOCIOLOGUE, SPÉCIALISTE DU VIEILLISSEMENT, DIRECTEUR DE LA CHAIRE “MANAGEMENT DES SENIORS” À L’ÉCOLE SUPÉRIEURE DE GESTION (ESG) À PARIS ET AUTEUR DE “LA NOUVELLE SOCIÉTÉ DES SENIORS”.
“L’intergénération n’est pas une simple mode” Les liens entre jeunes et seniors peuvent créer des déclics stimulants. Idées pour les dynamiser. Et qu’est-ce qui peut rapprocher un senior et un jeune en galère ?
Faut-il vraiment créer de l’intergénération ? Les liens entre jeunes et anciens ne se fontils pas déjà naturellement, dans la famille ?
Non, nous avons tous la tentation de rester entre nous! Au mieux, les générations sont côte à côte, indifférentes, au pire, dans l’opposition. Certes, on n’assiste pas à une guerre des générations, mais il n’y a jamais eu, non plus, d’âge d’or où toutes les générations auraient communié. Avec la mobilité géographique liée au travail, et l’éclatement familial, les grands-parents se retrouvent souvent à 800 km: les jeunes perdent ce lien, ce repère-là. Et avec l’idéologie hyper-capitaliste, on est allés si loin dans la logique de concurrence, y compris entre les personnes, qu’on arrive à un point limite. Alors qu’on est en crise, que la fragilité augmente, la seule solution est de retisser des liens, et de se serrer les coudes! Les décideurs, les élus locaux réalisent qu’il faut réfléchir et soutenir des démarches d’intergénération. Mais l’intergénération ressemble parfois à une mode ou à une opération de communication…
Depuis des années, on met des bébés dans les maisons de retraite. Ça, oui, c’est la tarte à la crème de l’intergénération. Une simple juxtaposition qui donne bonne conscience. Pour une intergénération profonde, il faut un projet collectif commun, un plaisir à partager ou un objectif citoyen: la passion du cerf-volant, la cuisine, la lutte contre la pollution du port. Ou un lien de solidarité: améliorer l’habitat des vieux, aider les jeunes dans leur scolarité… L’idée n’est pas d’être dans une vision misérabiliste, de faire “à la place de”, mais de “faire avec”. Le tout accompagné par des médiateurs compétents et rassurants. Et là, ça devient ni superficiel, ni une simple mode. Et ça permet aux personnes de se reconstruire.
Ils sont tous deux exclus de notre société de performance, car ils ne sont pas dans le moule, et on considère qu’ils coûtent cher. Les jeunes peu qualifiés, pas au niveau pour suivre la société, comme les vieux, des charges inutiles. Alors, ils peuvent créer une nouvelle solidarité. Au lieu de se sentir comme un poids, qui ne sert à rien, ils vont se dire: “Je me lève car je vais me sentir utile.” Et entre minorités, on est plus forts! Jeunes et vieux peuvent y trouver une façon d’être valorisés. Les jeunes montrent qu’ils sont capables de faire des choses, les vieux deviennent responsables d’une transmission, de la mémoire. Oui, mais ces liens sont une goutte d’eau !
Déjà, ça peut créer un déclic professionnel chez les jeunes. Et surtout, l’action collective ponctuelle peut être un levier pour favoriser les échanges dans sa vie quotidienne, comme donner un coup de main à sa voisine du 8e, qui va ensuite raconter des histoires aux enfants. Ce sont des milliers d’actions d’attention bienveillantes, des milliers de gouttes de rosée qui permettent à la société de tenir. Elles sont impossibles à mesurer, mais il ne faut pas les mépriser. Et ce n’est ni mécanique, ni reproductible: c’est humain. Alors, politiquement, comment favoriser cette intergénération ?
On peut imaginer un tarif intergénérationnel pour les sorties, par exemple un tarif pour deux selon l’écart d’âge. Dans le logement, il faut prévoir des aménagements qui permettent à des gens d’âges différents d’habiter dans le même périmètre. Des accès au rez-de-chaussée quand les personnes deviennent âgées… Si on y pense en amont, c’est peu onéreux, et la mixité sociale, c’est aussi une mixité d’âges. Des logements ou foyers pour jeunes peuvent aussi présenter des prix attractifs contre l’engagement à passer X heures avec des personnes âgées. Un fond d’initiatives intergénérationnelles, de type mutuelle, pourrait aussi agir comme levier pour financer des actions d’intergénération. ■
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enquête
Cuisine et
bienveillance
Huit ados sétois en difficulté scolaire se plongent dans l’univers de la maison de retraite de Mèze. Auprès des seniors, ils récoltent recettes équilibrées et compliments. Un projet culinaire remotivant, à 15 ans comme à 85 ans.
Immersion en maison de retraite
Capuches, piercings et baskets. Sous les blouses et les coiffes de rigueur pointent huit collégiens sétois, qui préparent un repas en commun avec les résidents de la maison de retraite de Mèze, pour trente personnes. Le 29 novembre, une douzaine de mamies viendront à leur tour au collège Jean-Moulin pour voir le résultat de leur projet commun: la sortie d’un livre de quinze recettes, Les Mémoires gourmandes de l’Écrin des sages.
Nutrition
Recueillies en trois séances, à l’automne, auprès des dames de 85-95 ans, ces recettes simples et traditionnelles deviennent un alibi pour entamer un dialogue entre générations. Mais pas seulement: dans ce projet pilote, l’intergénération sert la prévention santé. Lors de deux ateliers culinaires (en photos), les ados réalisent des repas avec les seniors. Ni ultra-gastronomiques, ni “diététiques”, mais complets et équilibrés. Œufs mimosas, aubergines farcies et tarte aux pommes. Puis salade grecque, tourte lodévoise aux “escoubilles” (“restes”),
avec viande, olives, oignons et carottes, et flan aux œufs. Mieux que des leçons peu savourées venues d’adultes “censeurs”, l’exemple et la sagesse des plus âgés font office de pédagogie. Pour Mathieu Pardell, responsable de la promotion de la santé pour la Mutualité française (groupement de mutuelles) dans l’Hérault, l’intérêt est clair: “70% des dépenses de santé concernent les maladies chroniques, comme le diabète, l’hypertension, l’obésité. Nous espérons aussi les prévenir en finançant ces programmes liés à la nutrition.” Et, en passant, stimuler la mémoire et le bien-être des personnes âgées de leur EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), du moins à court terme. Le collège Jean-Moulin, basé au Barrou à Sète, lui, table sur ces projets pour motiver des élèves difficiles, susceptibles de “décrocher” à tout moment. Les huit jeunes de 15-16 ans font en effet partie d’une classe de Segpa, une section d’enseignement général et professionnel adapté. Là où les élèves cumulent de lourdes diffi-
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À deux reprises, les huit collégiens sétois viennent préparer un repas pour trente personnes à la maison de retraite de Mèze. Avec des résidentes volontaires, comme Mme Dardé (avec les lunettes), et à partir de leurs recettes. Divisés en trois groupes, ils gèrent l’organisation de A à Z, dans la cuisine annexe du “quartier protégé” Alzheimer. Là, ils se confrontent à la vieillesse, sans moqueries ni réflexions.
cultés, scolaires et sociales: 71% sont boursiers, contre 25% en moyenne nationale. “Souvent, leurs parents ne travaillent pas, se désocialisent. Ils sont les seuls à se lever le matin, et ils ont du mal”, explique Sylvette Tranchet, leur professeur principal en bio-technologie.
Estime de soi
En organisant le chantier culinaire, les ados font des maths. En tapant le livret de recettes, du français. Et pendant les ateliers, pas question d’aller voir les “vieux” à reculons: les “jeunes” prennent leur mission à cœur. Aucune absence, surprise. L’estime de soi grimpe en flèche. Innovant, le projet devrait se répéter entre Sète et Mèze, en y incluant si possible des personnes âgées qui vivent à domicile, voire des jeunes mamans. La Mutualité française réfléchit déjà à le reproduire à Mende et à Perpignan. Inspirés par cette expérience, les ados, eux, pensent déjà à leur futur métier. Le livre de recettes sera bientôt disponible sur le site du collège www.collegejeanmoulinsete.fr
La main à la pâte
“Ça fait plaisir de se rappeler comment on faisait la cuisine !” À 90 ans passés, Mme Régis (en rose), comme Marie-Germaine Gallard, se régalent à piquer la pâte, disposer les pommes avec “les jeunes”, les embrasser. À leur demande, elles leur confient des recettes anciennes : le civet de lapin et le gâteau sec des Deux-Sèvres. L’occasion de créer des conversations, et de partager son identité.
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Textes Raquel Hadida / Photos Guillaume Bonnefont - Mutualité française /
Cent fois mieux que les maths
Jennifer, Manon et Maëlys (à g.) s’activent pour terminer toutes les tartes avec Mme Gallard (en bleu). À les voir si motivées, difficile de croire que “normalement, ces ados de 3e ne font… rien”. Pour Sylvette Tranchet, leur prof de bio-technologie, “ils prouvent qu’ils ont des capacités, on en est fier !” Maëlys est désormais convaincue de vouloir travailler dans l’aide à la personne, et Axel, de devenir cuisinier. “Je préfère faire des boulettes toute la journée que des maths.” “Cent fois !!”, soutient Manon.
Transmission en tête-à-tête
Halima (à g.) fait réécouter l’enregistrement de sa recette à Anne-Marie Moles (à dte). Après deux premières rencontres sous forme de tutorat — un élève avec une personne âgée —, cette séance permet de préciser le témoignage recueilli, en vue d’éditer un livre de recettes. Dans la foulée, les seniors racontent d’où ils viennent, leur ancien métier, font travailler leur mémoire, puis attendent la prochaine rencontre. Avec impatience.
Repas équilibrés
Exceptionnel : AnneMarie Moles, 88 ans, a quitté sa chambre pour préparer sa recette d’aubergines farcies avec les collégiens (ici, Luc et Axel). Le plat principal d’un repas équilibré. De quoi éloigner les ados de leurs habitudes “snacks-pizza-Mc Do” : “Ça donne envie de préparer des repas avec des bons produits”, apprécie Khadija.
Des compliments pour carburant
Sur les rails
Sérieux, Axel (à g.) et Hamza (à dte) se préparent à servir les desserts. Les deux garçons étaient absents, très en retard, récalcitrants : ils suivent désormais le projet culinaire avec assiduité, se montrent prévenants avec les seniors. “On les araccrochés, se ravit Sylvette, leur professeur. Je les redécouvre : maintenant, je peux compter sur eux.”
Dans le hall lumineux de la maison de retraite, en débarrassant la table, Halima récolte les félicitations de Mme Escudero : “c’est bon !” Axel, ceux de Mme Maupas : “il a l’étoffe d’un cuisinier !”. Pour des élèves qui trimballent l’échec scolaire depuis la tendre enfance, cette valorisation n’est pas anodine. Pour les seniors dépendants et fondus dans le groupe, non plus : “comme ça, on ne passe pas inaperçus.”
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enquête
Regards
! RENCONTRE réalisé par Raquel Hadida / Photos Vladimir Vasilev /
entre deux générations À Frontignan, sept seniors se prêtent à une séance photo en studio. Derrière l’objectif : quatre jeunes de la Mission locale de l’insertion (MLI), coachés par les photographes Gilles Favier, de l’association Cétavoir*, et Vladimir Vasilev, lauréat de SFR-Jeunes talents. L’occasion de porter un regard différent sur l’autre génération. Motivantes. À l’aide d’un appareil photo professionnel, un Hasseblad, Kévin fait la mise au point pour faire le portrait de Primevère. Cet ingénieur du son de 26 ans ne trouve pas encore de boulot fixe dans son secteur, mais “en rencontrant des seniors, on réalise que, s’ils ont réussi, on peut aussi y arriver. Ça donne envie de faire de vrais choix, et d’avancer sans peur du lendemain. Surtout qu’aujourd’hui, les technologies rendent les possibilités de contacts et de projets plus simples qu’il y a 30 ou 40 ans.”
Des rides en plus. Amélie (à dte) fait les derniers réglages pour réaliser le portrait de Josyane (à g.), de façon à reproduire la pose d’une photo ancienne qu’elle a apportée. Selon Amélie, 23 ans, “pour faire un portrait, il faut réussir à mettre en confiance la personne, pour qu’elle ne soit pas crispée, discuter pour évacuer le petit malaise. Sur la photo, le caractère de la personne ressort plus que son âge. Il y a des rides en plus, c’est tout!”
Au-delà des clichés
Qui ne l’a jamais entendu ? Les vieux, qui “ont vécu à la préhistoire”, “sont complètement dépassés et rigides”, “ne savent que se plaindre”, voire “n’ont plus leur tête” et “sentent mauvais”. Et les jeunes d’aujourd’hui “sont mal éduqués”, “ont perdu les vraies valeurs”, “ne sont plus capables de travailler (“moi, à leur âge…”)”, voire “sont dangereux”. Pour dépasser ces clichés, rien de tel que la rencontre autour d’un projet commun. Mais ce sont souvent des bénévoles associatifs, des jeunes motivés pour un projet — donc les plus actifs, déjà les plus ouverts qui participent aux actions proposées*. Alors quel intérêt ? “Ça casse la barrière, on réalise que, jeune ou vieux, on est des individus, pareils !”, s’enthousiasme Kévin, 26 ans. “On compte sur l’effet boule de neige, assure Olivier Laurent, élu aux affaires sociales
C
Ouvertes. Marie-Claire attend patiemment sous les lumières du studio… devant les graffs de l’atelier précédent (voir p. suivante), dans la maison des seniors Vincent-Ginier. Pendant ce temps, Irina, 19 ans, grimpe sur une chaise pour manipuler l’appareil photo. “Je pensais les personnes âgées plus molles, plus grognonnes, mais elles se montrent ouvertes et ont vraiment la pêche! Elles se prêtent au jeu, s’intéressent à nous. Marie-Claire m’a même remerciée, ça m’a étonnée!” Complices. Intriguées,
à Frontignan, chacun véhicule ensuite une autre image de la génération “opposée”.
Cohésion sociale
Certes, mais une rencontre fugace, quelques mots échangés, ne crée qu’une relation ponctuelle. Simple bonne conscience ? “Déjà, s’ils se disent bonjour quand ils se croisent dans la rue, on a gagné quelque chose. Quand les gens se connaissent, il y a moins de sentiment d’insécurité, moins d’incivilités, plus de respect mutuel, poursuit Olivier Laurent. En améliorant le vivre ensemble, on évite les tensions dans les quartiers.” * L’action présentée ici s’intègre dans un Contrat urbain de cohésion sociale (CUCS), un programme de politique de la Ville.
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deux “modèles” seniors découvrent le résultat de photos au “sténopé”, avec des boîtes de café, prises par les jeunes. Leurs propres photos seront ensuite exposées, côte à côte avec des portraits de jeunesse. Pour Joséphine, 78 ans “et demi”, l’expérience se révèle “très conviviale!” Ils nous mettent à l’aise, il y a beaucoup de complicité, ils nous montrent le résultat de leur travail. Ils m’ont demandé où je me faisais coiffer… J’aime beaucoup être avec les jeunes, ils sont plus ouverts que nous!”
* L’association Cétavoir organise notamment le festival photo ImageSingulières, en mai.
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SÈTE-FRONTIGNAN
La guerre des cinémas aura-t-elle lieu? ILLUSTRATION FOTOLIA
C ÉCONOMIE
Port : malgré la crise, la Région tient le cap
CPDEM
C ÉLECTIONS
Philippe Sans en route vers les municipales
TOUTES LES SORTIES
DE NOVEMBRE
C PÊCHE
Quand les daurades bouchent la Pointe-Courte
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enquête Que se passe-t-il quand les voisines Sète et Frontignan veulent toutes deux leur complexe de cinéma ? Guerre larvée, amour et trahison : l’implantation du “miniplexe” promet une intrigue haletante. Digne d’un scénario de film.
Sète-Frontignan :
la guerre des
cinémas aura-t-elle lieu ?
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eux villes voisines affûtent leurs armes sur grand écran. Frontignan dévoile son projet de cinéma à la population, lors du 14e anniversaire du Cinémistral. En parallèle, Sète lance une étude pour l’implantation d’un multiplexe à l’entrée de ville. Entre les deux camps, une communication minimaliste. Et comme une odeur de poudre. Le maire de Sète, François Commeinhes, comme celui de Frontignan, Pierre Bouldoire, rêvent de pouvoir offrir à leur population un “miniplexe”, un complexe de trois à six salles de cinéma. Histoire d’élargir une programmation à l’étroit au Comœdia (le cinéma de Sète) comme au Cinémistral (le cinéma de Frontignan), et d’éviter la fuite des cinéphages vers Odysseum à Montpellier. Et si ces projets culturels populaires se concrétisaient d’ici aux élections municipales, en mars 2014, la magie du cinéma serait totale. Sauf que l’incompatibilité des deux projets fait peu de doutes. L’ouverture de deux cinémas similaires à dix minutes de trajet apparaît comme une ineptie supplémentaire dans l’éventail des querelles locales.
Cinéma aux chais Botta
Ravi du succès non démenti du Cinémistral — de 27000 à 46000 entrées en 10 ans —, Pierre Bouldoire entrevoit de transformer en “miniplexe” de cinq salles les anciens chais Botta, sur le quai Voltaire (voir plan). Dès février 2013, pour une ouverture en février 2014. Espaces restauration et animation, jeune public, expodétente, festif…: tout serait prévu pour conserver et développer l’esprit ultra-convivial du Cinémistral, avec une équipe élargie. Et, comme pour le Cinémistral, le lieu municipal serait exploité en délégation de service public (DSP) par un privé. Naturellement, l’exploitant actuel se montre intéressé, d’autant plus que les relations sont au beau fixe avec la ville. Au Cinémistral, Frontignan apporte une subvention de 90000€, soit un tiers du budget, et finance 10000€ par an d’animations. Des soirées spéciales prisées d’un public venu de tout le bassin de Thau, et concoctées avec brio par la pétillante Priscilla Schneider, la directrice du cinéma (voir page suivante).
Mais quel est cet exploitant de cinéma? La Snes, la Société nouvelle d’entreprise de spectacle, dont la marque est Cinémovida, indépendante des Pathé, Gaumont et autres poids lourds. Car Jacques Font, le propriétaire de la Snes, n’est autre que le padre du Castillet à Perpignan, de l’Épée de bois à Paris, du Cinécure de Balarucles-Bains. Mais aussi… du Comœdia de Sète, à 50 %, au sein de la SARL Les Cinémas de Sète.
Planet désamour
Cinémas au pluriel? Souvenons-nous du Planet. Ces quatre salles de cinéma du boulevard VictorHugo sont désormais gérées par la municipalité pour y organiser des événements. Mais, jusqu’en 2008 — où il a brûlé, rouvert, puis fermé —, Le Planet était exploité par Les Cinémas de Sète. Et leur occasionnait 50000€ de pertes par an. La Ville de Sète a bien proposé une subvention de 60000€ sur trois ans, mais peine perdue: insuffisant pour l’exploitant. La SARL, dirigée par Christian Fabre, se concentre alors sur le Comœdia, dont le nombre d’entrées grimpe de 32 %. Enfin à l’aise financièrement, l’entreprise
Chaleureuse et cinéphile. Priscilla Schneider, la directrice du Cinémistral à Frontignan, imagine de multiples séances spéciales, adaptées à chaque public. Ici, le ciné-senior (à 2 ou 3 €) fait salle comble avec des habitués, ravis de l’esprit de convivialité. Ce succès incite la ville à “agrandir” le Cinémistral dans un mini-complexe de cinéma. Mais Sète, la “ville-centre”, veut aussi s’agrandir avec une deuxième ciné…
La Gazette n° 278 - Du 1er au 28 novembre 2012
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! CINÉMA
réalisé par Raquel Hadida / photos Raquel Hadida - Guillaume Bonnefont /
À gauche, le cinéma Comœdia de Sète. À droite, le Cinémistral de Frontignan. Le ou les complexes de ciné en projet conserveraient une programmation mixte : grand public, mais aussi “art et essai”. Avec des film plus longtemps à l’affiche.
Qu’à cela ne tienne, François Commeinhes persiste. Encouragé par le “déblocage” des terrains de l’entrée est de Sète, autour du bassin de Cayenne, aux propriétés complexes (port, Réseau ferré de France, etc.), il veut même devancer l’urbanisation du nouveau quartier Est en implantant le nouveau cinéma. C’est donc la Ville de Sète elle-même qui lance les études de marché pour un miniplexe, auprès du cabinet Hexacom, pour préciser le projet (taille, emplacement, etc.). Résultats en décembre 2012, pour une implantation “avant 2015”. Et, que les cinéphiles se rassurent, “dans l’idéal, la même entreprise exploiterait le miniplexe et le cinéma de centre-ville, avec des programmations complémentaires, précise François Commeinhes. L’un avec des films populaires, l’autre plus art et essai, pour éviter la concurrence”. Conséquence implicite: l’exploitant actuel du Comœdia serait évincé au bénéfice d’un autre indépendant.
Un fauteuil pour deux
(1) L’autorisation n’est acquise que si le projet recueille le vote favorable de la majorité absolue des membres présents (sur 8 à 10 membres), à condition d’atteindre le quorum.
• Cinémistral à Frontignan
- Propriétaire: Ville de Frontignan. - Exploitant: la SnesCinémovida. - Statut: délégation de service public (DSP). - Subvention d’exploitation de 90000€, plus 10000€ pour l’éducation à l’image. - Directrice: Priscilla Schneider. - Une salle de 148 fauteuils. - 46000 entrées en 2011. - Animations et soirées spéciales: une fois par semaine hors été, souvent accompagnées d’un apéritif ou d’un goûter. Adultes: week-end du cinéma belge, anniversaire, fête du spectateur, ciné-Attac, ciné des copines, ciné-senior, ciné-psy, films noirs. En projet: clap-clap avec la Scène nationale, cinébébé… Enfants et ados: ciné-crèche, ciné-bout de chou, école et cinéma, collège et cinéma, projets lycéens, ateliers réalisations, journées à thème… - Rejoindre le nouveau collectif de spectateurs? 0467484537, cinemistral34@orange.fr
• Cinéma Le Comœdia à Sète
- Propriétaire: Ville de Sète - Exploitant: SARL Les cinémas de Sète, appartenant à deux indépendants: 50 % à Jacques Font, 50 % à Jean-Marie Charvet. - Statut: locataire de la Ville. -Directeur: Christian Fabre. - 3 salles, 380 fauteuils. - 93000 entrées en 2011. - Soirée-débat tous les vendredis soir hors vacances, avec les associations Ciné C Toi, Salsa, Dante Alighieri, Cett’AC. Mais aussi Ciné-chichois, cinésconcerts…
Deux projets, c’est trop?
Le public risque-t-il d’être trop divisé entre deux nouveaux complexes de cinéma à 10 minutes de voiture l’un de l’autre ? La Gazette tente de l’évaluer à grands traits, en s’appuyant sur les critères de l’économie du cinéma. • Rentabilité. La zone de chalandise des projets de cinéma peut se résumer au bassin de Thau, hors Marseillan (proche des cinémas d’Agde). Soit environ 107 000 habitants, donc un potentiel d’environ 350 000 entrées par an, selon les indices de fréquentation du cinéma. En comptant Le Comœdia de Sète (93 000 entrées) et les cinémas de Balaruc (14 000 entrées) et de Mèze, il resterait environ 115 000 entrées pour chacun des deux miniplexes en projet sur Sète et Frontignan. Or, pour être rentable, un cinéma de quatre salles doit pouvoir assurer 140 000 à 150 000 entrées. Donc, à moins de se réduire à trois salles, les projets, s’ils aboutissent tous les deux, risquent d’être trop concurrents. • Taux d’équipement culturel. Actuellement, on peut évaluer l’offre sur le bassin de Thau à 780 fauteuils de cinéma, soit un fauteuil pour 137 habitants, contre une moyenne
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hexagonale d’un fauteuil pour 53 habitants. Le besoin est donc réel, et il faudrait 2 000 fauteuils au total pour se hisser à la moyenne nationale. Soit 1 400 fauteuils supplémentaires (en intégrant la salle actuelle du Cinémistral au miniplexe muscatier). Soit 700 fauteuils par miniplexe en projet. Avec deux cinémas de quatre à cinq salles, le territoire ne serait donc pas suréquipé. Théoriquement. • Distribution des films. Si un distributeur de films constate que deux cinémas A et B sont trop proches, il ne leur octroiera pas deux copies en même temps*. Il donnera la priorité des sorties de film en alternance à A puis à B. Du moins à performances (entrées par film) équivalentes. Mais si A attire plus de public, il pourra imposer au distributeur d’être servi en premier. B recevra alors tous les films en retard. En cas de litige sur la diffusion, c’est alors le médiateur du cinéma qui devra arbitrer. Pour éviter ce type de conflit, cette personnalité légale peut faire appel d’une décision d’implantation d’un ou plusieurs cinémas concurrents. En savoir plus : www.lemediateurducinema.fr *Un film est distribué par 200 à 800 copies pour 2 200 salles de cinéma en France.
Deux cinés, deux personnalités
Ciné à Sète et Frontignan : un même patron (Jacques Font), deux bâtiments historiques qui ont une “âme”, mais deux ambiances différentes. En partie liées aux personnalités de leurs directeurs-programmateurs. À Sète, Christian Fabre se veut avant tout un technicien gestionnaire. Toute sa famille baigne dans le monde des salles obscures. Et lui, “parti d’en bas”, a passé tous les échelons et les diplômes, devenant tour à tour homme de ménage, contrôleur, caissier, barman, projectionniste, chef de sécurité, assistant au directeur, puis directeur, en 2006 à Sète, où il se met à l’art et essai. Adaptable, organisé, discret. À Frontignan, Priscilla Schneider est titulaire d’un DESS Direction de projets culturels à Sciences-Po et vit une cinéphilie passionnée. Hyperactive, elle se bat pour obtenir les films coups de cœur, fourmille d’idées pour créer des liens originaux et chaleureux avec le public (voir “Repères”). Qui le lui rend bien : impossible de mener une discussion avec elle dans l’allée du Cinémistral tant les spectateurs l’interpellent — un petit mot personnel souriant, un commentaire de film. Bref, la salle de ciné affirme son identité.
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Numérique et 3D
Adieu la magie des lourdes bobines de pellicule ! Les cinémas du bassin de Thau sont désormais équipés en projection numérique et 3D “active” (meilleur rendu), depuis 2010 à Sète, depuis mai dernier à Frontignan. 200 000 € d’investissement pour une petite révolution. Désormais, les cinémas reçoivent le film sur un disque dur de 60 à 500 Go. Il suffit alors de l’enregistrer dans une playlist informatique, et, pour lancer la projection, d’y associer un code. Ainsi, au lieu de récupérer la copie d’un film un à deux mois après sa sortie nationale, les
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Deux projets de cinémas à 7,5 km de distance À Sète, le cinéma — un bâtiment neuf — s’installerait dans le futur quartier de l’entrée est (zone quai des Moulins-bassin de Cayenne). À Frontignan, le cinéma s’installerait à l’intérieur des anciens chais Botta rénovés (budget : 4,7 M€), sur le quai Voltaire, le long du canal du Rhône-à-Sète (au niveau de la nouvelle halte plaisance). Accessible en bateau et tout près du centre historique.
cinémas peuvent désormais le proposer trois semaines après environ, partager plus facilement une copie entre eux. Organisation simplifiée et métier chamboulé. Pour Fred, projectionniste au Cinémistral : “En numérique, l’image est lisse, on perd en profondeur. En cas d’incident, impossible de bricoler pour relancer la projection : il faut faire appel à un technicien. Mais la qualité du film ne se détériore pas, la 3D est plus percutante. Et c’est moins physique !” Pour un film de 1h30, il fallait compter 25 kg de bobines. Et jusqu’à 50 kg pour Titanic, à porter à bout de bras !
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Les deux projets peuvent-ils cohabiter à 7,5 km de distance (voir plan)? Économiquement très limite, à moins que leur taille ne dépasse pas trois salles chacun (voir à droite), mais ce serait “un gâchis”, “une idiotie”, de l’avis de plusieurs professionnels de l’économie du cinéma. Juridiquement, depuis 2009, la commission départementale d’aménagement commercial (CDAC), qui instruit les dossiers, n’a plus le droit de refuser l’un des deux pour cause de concurrence. Plus avancé, le projet muscatier sera sans doute enregistré en premier. Cela ne lui garantit aucunement l’exclusivité, mais pourrait inciter le maire de Sète à renoncer, et permettre un happy end. Dans le cas contraire, les deux projets sont susceptibles d’être validés (1), dans des situations qu’on prévoit cocasses. Parmi les cinq élus de la commission, Pierre Bouldoire et François Commeinhes devraient se retrouver autour de la table pour les deux projets, en tant que présidents, l’un de Thau Agglo, l’autre du syndicat mixte du bassin de Thau (SMBT). Ensuite, associations, préfet ou médiateur du cinéma (voir encadré) peuvent déposer un recours, par des arguments détournés. Dans ce cas, les deux dossiers seront instruits au niveau national. Comme pour les projets de multiplexe de Juvignac et Saint-Gély-du-Fesc, en suspens… depuis une dizaine d’années. Ainsi, au lieu de deux cinémas, les cinéphiles du bassin de Thau pourraient n’en n’avoir aucun. Du moins, si le scénario prend un tour dramatique. ■
-La Snes (Société nouvelle d’entreprise de spectacle)Cinémovida appartient à Jacques Font. Basé à Perpignan (Le Castillet et Méga-Castillet), celui-ci exploite dix cinémas, dont trois multiplexes. Ici: Cinémistral à Frontignan, Cinécure à Balaruc (dont il est aussi propriétaire), le Comœdia à Sète. - Jacques Font est aussi propriétaire du Groupement de programmation des cinémas indépendants (GPCI), qui négocie les droits avec les diffuseurs de films, pour les cinémas adhérents. www.cine-movida.com
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À l’est, un quartier nouveau
!REPÈRES
• L’exploitant de cinéma
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peut développer les séances d’après-midi, passer au numérique (voir encadré), et renouveler la moitié des fauteuils. Mais la Ville est furax: non seulement l’offre de service s’est réduite, mais, selon une note de mairie, elle doute de la réelle volonté de l’exploitant de vouloir ouvrir un miniplexe à Sète — un projet commun de longue date entre Jacques Font et la Ville, bloqué par le manque de terrains disponibles. Été 2011, mesure de rétorsion: la Ville annonce dans la presse une augmentation du loyer du Comœdia au prix du marché… donc un triplement du montant consenti au départ. Contentieux, dialogue par presse et avocats interposés : la rupture est consommée.
Méditerr Méditerranée
La Gazette n° 278 - Du 1er au 28 novembre 2012
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reportage Le bassin de Thau fait son cinéma Sète aimante les caméras. La ville, la plage et l’étang de Thau accueillent deux tournages par an en moyenne depuis 2006. Cinéma, mais aussi série télé. Bienvenue dans les coulisses à ciel ouvert de Suzanne et de la commissaire Candice Renoir.
Paysages fascinants
L’équipe de la série Candice Renoir tourne dans la baie de l’étang, entre Mèze et Marseillan. Le réalisateur, Christophe Douchand, est déjà venu cinq fois en repérage, pour déterminer l’emplacement des caméras en fonction du soleil. Si, aujourd’hui, la météo se fait bretonne, le réalisateur s’adapte. Et reste enthousiaste : “La grève, l’étang, les parcs à huîtres : cette vision va étonner les spectateurs. Autour de Sète, la lumière est fascinante, les paysages sont très variés et peu connus.” Et, en hiver, “tourner dans le Sud limite le risque de pluie”.
Caméras, tabourets de camping, comédiens et figurants, techniciens et assistants. Près de cinquante personnes groupées autour d’une scène de crime. Répétitions, plans larges, plans serrés… c’est LA scène rejouée inlassablement toute la journée par l’équipe de Candice Renoir. Comme Plus belle la vie à Marseille, cette série policière a décidé de s’implanter à Sète et ses environs. Jusqu’à février 2013, l’équipe de Boxeur de lune tourne les huit premiers épisodes pour France 2. “Sète est très cinégénique, et la mairie nous a trouvé un immeuble vide, l’ancienne Sécu, pour faire l’hôtel de police!”, explique la productrice, Caroline Lassa. Qui embarque aussi l’équipe à Marseillan-ville, à Villeveyrac au siège de la CCNBT trans-
formé en hôpital, à Sète chez le fleuriste de la rue Alsace-Lorraine, au stand de tir, à Villeroy, ou encore au Globe de l’Île-de-Thau.
Double impact
Côté longs-métrages, en octobre, la cinéaste Nicole Garcia tourne une scène sur le marché de Sète, alors que l’actrice Sara Forestier joue Suzanne sur le port de commerce (voir p. 16). Pour le territoire, la manne est double. “Les tournages nous apportent un million à 1,5 M€ en retombées directes — locations, restauration, etc. Et indirectement, ils contribuent à l’image et à l’attractivité de la ville. D’autant plus avec une série, qui marque les esprits si elle perdure à la télé, qu’avec un film qui ne touche que les cinéphiles…”, appuie Fran-
La Gazette n° 278 - Du 1er au 28 novembre 2012
çois Commeinhes, le maire de Sète. Rompue à l’exercice avec une quinzaine de tournages depuis 2006 (voir p 16), la Ville s’appuie sur le professionnalisme de l’association Languedoc-Roussillon Cinéma et mobilise nombre de ses services — circulation, autorisations, repérages, locaux, etc. Sur le port de Sète et au bord de l’étang de Thau, suivons l’enquête de Cécile Bois, alias Candice, une commissaire mère de famille un brin décalée. Qui espère séduire les téléspectateurs pour revenir sur le bassin de Thau. Silence… ça tourne ! Diffusion prévue : en avril 2013 sur France 2, deux épisodes chaque vendredi soir. ■
Enquête sur le bateau. Dans le port de Sète, les policiers retrouvent des traces de
sang sur le voilier Ouvéa, rebaptisé Stella. Sous les yeux de son (vrai) propriétaire, le Sétois Lucien Aspa : “Je le louent 400 € par jour, c’est comme un petit viol !” Chargé de 43 techniciens, le ponton n° 5, lui, tangue au passage des chalutiers. Et par ce grand vent, entre deux prises, les comédiens se ruent dans des polaires pour s’emmitoufler.
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Textes Raquel Hadida / Photos Guillaume Bonnefont /
Intuition sur scène de crime
Première scène, premier épisode. Femme blanche, 30-40 ans, retrouvée noyée dans l’étang de Thau. La police scientifique embarque déjà le cadavre quand Cécile Bois, alias la commissaire Candice Renoir, débarque pieds nus dans la salicorne et engoncée dans son uniforme. “Reposez-le”, insiste-t-elle avec le sourire, avant un verdict intuitif. Les scénaristes, eux, en profitent pour questionner des sujets de société. Comme, ici, la prostitution occasionnelle pour boucler les fins de mois.
Candice, commissaire décalée
Cécile Bois, l’Angélique, marquise des Anges de Robert Hossein, campe le personnage de Candice Renoir. Une commissaire devenue mère de famille, qui revient sur le terrain dix ans, quatre enfants et une séparation plus tard. Résultat : gaie et solaire, Candice se retrouve décalée par rapport aux progrès techniques de la police scientifique, aux nouvelles lois. Et si ses nouveaux collègues la prennent pour une cruche, elle leur en bouche un coin en dénichant des indices de bon sens. Comme la cuisson des brochettes pour déterminer l’heure du crime…
Château-plateau.
Envahi, le Domaine de la Bellonette ! Dans le château, les Mac et imprimantes de la régie de production investissent la grande table à manger, au milieu des chandeliers. Le salon devient les loges. Le porche et le caveau viticole font office de décors, et les camions éparpillent leurs caisses de matériel dans le parc. Qui, à l’heure du déjeuner, accueille aussi le catering, une charmante guinguette mobile. L’hôte, MarieChristine Fabre de Roussac, n’est autre que l’élu marseillanaise au tourisme et développement économique : “Ils tournent une scène de nuit à Marseillan avec 300 figurants : j’ai insisté pour que le casting soit local. Et les fournisseurs aussi.”
La mort vous va si bien. Déjà call-girl dans L’Avocat, Joris hérite du rôle d’une
prostituée, option cadavre. À l’arrière d’un camion, cette figurante de Vic-laGardiole se fait maquiller par Karine. Une crème blanc-vert sur tout le corps “pour casser le rose de la peau”, des veines dessinées au pinceau et du bleu vaporisé par un aérographe. Son secret ? Une palette de six poudres spécial mort, la Death Wheel. Joris devra ensuite se mouiller et se glisser dans le brancard. Sans s’attraper les cheveux dans la fermeture-Éclair, ni se faire oppresser par la sangle. Ça tombe bien, elle est claustrophobe…
L’artiste infiltré. Surprise sur le
plateau : c’est le Sétois Joël Bast, le fameux sculpteur des “Présences”, qui est déguisé en pêcheur. “J’étais dans le fichier de figurants sous l’étiquette ‘allure gitan’.” Curieux de voir l’envers du décor, Joël ne résiste pas à installer son photographe de papier mâché derrière une caméra !
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reportage Tournages :
! CINÉMA réalisé par Raquel Hadida / Photos Guillaume Bonnefont /
après Candice, Suzanne
Produit par Move Movie, ce long-métrage dramatique tourné dans la région cet automne - dont Sète les 19 et 20 octobre - évoque la puissance du hasard à travers la vie d’une jeune femme. Retenez les noms de deux personnalités prometteuses : l’actrice Sara Forestier et la réalisatrice Katell Quillévéré. Sortie prévue : fin 2013. Le rôle-titre
C’est Sara Forestier qui interprète le personnage de Suzanne. Cette fille-mère lâche le trio fusionnel qu’elle forme avec sa sœur et son père, pour l’amour de Julien, un garçon un peu voyou. Qui l’entraîne dans la délinquance. À 26 ans, la talentueuse Sara Forestier a déjà joué dans 30 films, dont L’Esquive d’Abdellatif Kechiche et Le Nom des gens (avec Jacques Gamblin), qui lui vaut le César de la meilleure actrice en 2011. À voir dans Télé Gaucho en décembre.
Clap !
C’est un repère pour identifier la scène au moment du montage du film. Au cinéma, les scènes sont en général tournées dans le désordre, en plusieurs prises chacune.
La réalisatrice
Pour affiner le jeu d’acteur, le cadrage, la lumière, Katell Quillévéré se concentre sur le retour vidéo de la prise en cours. Révélée par Un poison violent (2010, prix Jean-Vigo), la réalisatrice tourne ici son second long-métrage.
Les longs-métrages tournés à Sète et sur le bassin de Thau 2011 : La Baie d’Alger, de Merzak Allouache (plage de Frontignan) Brassens, la mauvaise réputation, de Gérard Marx pour France 2. 2010 : Coup d’éclat, de José Alcala, avec Catherine Frot (Pointe-Courte, zones conchylicoles…) 2009 : Bus Palladium, de Christopher Thompson, L’avocat, de Cédric Anger, Harragas, de Merzak Allouache (plages de Sète et Frontignan) De vrais mensonges, de Pierre Salvadori, avec Audrey Tautou (quai du Bosc et Saint-Clair) Face à la mer, d’Olivier Lousteau, Panique, téléfilm de Benoît d’Aubert pour TF1 2008 : Bellamy, de Claude Chabrol, La Très Très Grande Entreprise, de Pierre Jolivet 2007 : Les Plages d’Agnès, d’Agnès
Varda (lido, canal, Pointe-Courte) 2006 : La Graine et le mulet, d’Abdellatif Kechiche (quai d’Orient, Île-de-Thau) 1990 : Le Petit Criminel, de Jacques Doillon, Un week-end sur deux, de Nicole Garcia, Gaspard et Robinson, de Tony Gatlif 1988 : L’Union sacrée, d’Alexandre Arcady 1984 : La Louve, de José Giovanni 1974 : Le Gitan, de José Giovanni 1971 : César et Rosalie, de Claude Sautet 1959 : Babette s’en va-t-en guerre, de Christian-Jaque 1956 : La Pointe-Courte, d’Agnès Varda 1937 : Pépé le Moko, de Julien Duvivier
La Gazette n° 278 - Du 1er au 28 novembre 2012
Scène-clé à la douane
Contrôle en voiture, à la douane d’un port, avant un embarquement pour le Maroc. C’est à Sète que l’équipe de Suzanne tourne la scène-clé, proche de la fin du film, où l’héroïne assume sa véritable identité et prend en main son destin. Pour gérer la lumière et les reflets, les techniciens lumière installent des réflecteurs autour de la BMW grise de Suzanne.
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N° 277 - Octobre 2012
C FRONTIGNAN
L’entreprise Hexis au top
C CHALUTIERS
Comment se reconvertissent nos marins ?
TOUTES LES SORTIES D’OCTOBRE
C POUSSAN
Les vendangeurs parrainent les pieds de vigne
La grande histoire du
bar Le Social
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enquête Après onze ans derrière le bar Le Social à Sète, Pierre Mandagot passe la main à Olivier Virosta. L’occasion d’un flash-back sur plus d’un siècle de lien social autour de ce café, le cœur névralgique du Quartier Haut. Souvenirs bien vivants.
Le Social,
c’est toute une histoire !
‘A
h, ces marches usées par tous ces postérieurs…” À l’entrée du bar le Social, la réalisatrice Hélène Morsly s’emeut. Ce bar du Quartier Haut à Sète porte les marques affectives de tous les clients qui ont devisé ici, une bière, un pastis ou un rhum à la main. Clients? Plutôt famille. Si la déco originale, la musique, les brochettes et les trentenaires sétois l’ont transformé en bar branché - à l’écart des circuits touristiques -, Le Social est avant tout un bar de quartier. Pas un “PMU”, non. Mais là où se croisent les générations, où les hommes jouent, joutent et forgent leur solidarité, là où la fête se concentre - avec son prolongement sur la place de l’Hospitalet en contrebas. Un lieu où les voix des chants spontanés vibrent encore (1), mais aussi où les artistes viennent s’exprimer. “Aujourd’hui, c’est le bar qui tient le quartier. Mais, pendant un siècle, c’est le quartier qui a tenu le bar”, analysent Gilles et Romain, des “enfants” du Quartier Haut. De quoi lui insuffler une identité singulière. Et donner envie à Olivier Virosta de reprendre le bar en juin dernier après les onze années de Pierre Mandagot. “À Sète, je n’aurais acheté aucun autre bar.” Olivier le dynamise déjà, avec des soirées “Electro des Balkans” ou Groove Party”. Et glisse
avec modestie: “Le Social existait avant nous, il sera là après nous.” Retour sur plus de cent ans de vies mêlées.
• Catarina sans chichis
Si l’espace du Social semble exister dès la fin du XIXe siècle, l’enseigne n’est attestée qu’en début de XXe siècle. “À cette époque, raconte l’archiviste de Sète Cathy Lopez-Dréau,les familles sont si nombreuses qu’il y a un café-corridor tous les trois ou quatre couloirs. Avec une ou deux tables, un petit vin, un jeu de cartes.” Lors des mariages dans la Prud’homie (oranisation de pêcheurs), en contrebas, les invités remontent prendre l’apéritif au Social. Dans la grande salle (aujourd’hui, la cuisine), le piano de François Catarina, le propriétaire, fait danser tangos, valses, polkas, le samedi soir. “Il faisait des canards - des fausses notes”, sourit Josie Bonnaventure, 83 ans. Les hommes y chantent en italien, s’y retrouvent avant d’aller travailler. Comme “Jérômette”, un pêcheur qui y récupère son litre de rhum. Les femmes, elles, y boivent du muscat ou de la Suze-citron.
• Festivités d’après-guerre
La Seconde Guerre mondiale oblige les Sétois
à “s’expatrier” à Clermont-l’Hérault ou à la Salvetat, pendant neuf mois. À la Libération, c’est au Social, rouvert, que le quartier se retrouve. “Tout le monde pleurait, s’embrassait, on était si heureux de se revoir !”, se souvient Josie Bonnaventure. Après la gravité, une envie: s’amuser. Alors, à partir de 1946, le quartier organise des fêtes “magnifiques” l’été, avec baraques de forains, illuminations, danses, mini-tournoi de joutes, goûter et jeux pour les enfants. Pendant quatre jours, sur la place de l’Hospitalet, l’effervescence inonde le bar Le Social. Surtout que la fête attire toute la ville, une belle “revanche” pour un quartier méprisé, considéré comme celui “des pauvres, des Gitans, des Italiens, des voyous, des bagarreurs”. Le quartier compte encore six épiceries, trois boulangeries, la place accueille quatre cent personnes de toutes les générations.
• Générations croisées
À partir des années 1950, le café familial devient un véritable bar. Dans ce lieu purement masculin, les hommes jouent entre eux, les “Gazettes” déforment les rumeurs, les dockers dépensent leur paye (2) lors d’apéros qui s’éterLes souvenirsdebar remontent à la surface. Antoine Anselme (à gauche), patron du Social dans les années 1960-1970, s’exclaffe en les racontant à Gilles et Romain, deux cousins “enfants” du Quartier Haut.Sous l’œil ravi de Pierre Mandagot (en jaune), le patron du bar de ces onze dernières années.Le Social a longtemps été populaire, il attire aujourd’hui une clientèle plus “rock’n’roll”. (Au fond, à gauche, le trompe-l’œil évoque Bouchon, voir page 12).
La Gazette n° 277 - Du 4 au 31 octobre 2012
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! LESOCIAL
réalisé par Raquel Hadida / photos Raquel Hadida, Frédéric Grafft, Céline Escolano /
À gauche, la terrasse du Social. Au milieu, Olivier Virosta, le nouveau gérant du bar. À droite, l’intérieur du Social, bohême-chic, où Pierre Mandagot sert un pastis à Loulou d’Isernia. Remarquez le têtes de jouteurs peintes par Mer Cross.
nisent. “On n’avait pas d’écran, mais c’était la commedia dell’arte en live, et personne n’était seul, insiste Gilles. Les papis comme les enfants vivaient au café. On nous transmettait le respect, l’éducation, des bonnes valeurs qu’on n’apprenait pas sur les bancs de l’école…” Et quand la famille Anselme se trouve derrière le nouveau comptoir, les banquettes de cuir du Social fourmillent. Les hommes s’en donnent à cœur joie en reprenant des morceaux d’opéras ou de chansons traditionnelles, comme Gardez-vous de vieillir, Les Blés d’or, Pataud mon vieux Pataud… “Des chansons en patois”, avec les tambours et les hautboïstes, comme du Brel, du Brassens, Sardou ou Aznavour…
• Jeune lance sétoise
Créée au détour d’une conversation de bar, la Jeune Lance sétoise (JLS), société de joutes, s’installe au Social, et lui confère de l’ampleur. “Plus qu’un siège social, c’est un lieu de vie”, appuie Louis d’Isernia, son vice-président. Les jouteurs se réunissent au Social pour organiser la fête de la Jeune Lance, fin juin. Le mardi d’avant la Saint-Louis, fin août, ils y prennent un apéritif dit “de motivation”. Bref, ils sont chez eux. Jusqu’à ce que la clientèle se modifie. “Depuis une dizaine d’années, on se gêne les uns les autres, alors nous allons ailleurs. À la Saint-Louis, depuis 6 ou 7 ans, les vainqueurs préfèrent rester en ville près des bars à quai, et ne remontent plus fêter leur victoire au Social, se désole Mathieu Di Stéfano, le président de la JLS. Pour nous rapprocher, nous cherchons un petit local à proximité: si nos entraînements sur chariot plaisent aux touristes, ça peut faire tourner la terrasse et rendre l’échange équitable. Nous l’avons à cœur.”
• Branché et artistique
Dès les années 1980, les femmes rentrent à nouveau au Social, mais la clientèle de quartier se raréfie. Enrichies, les grandes familles déménagent vers un confort pavillonnaire. Les dockers, eux, sont licenciés. L’été, on part en vacances, pas au bar. L’hiver, il y a la télé. Et la place de l’Hospitalet se fait envahir par les voitures. Pour faire vivre Le Social, les nouveaux propriétaires doivent attirer une clientèle extérieure. En proposant tapas, brochettes et soirées, “les deux Michel, deux homos super bien intégrés et très sympas,” ouvrent la voie. Pierre Mandagot s’y engouffre: Le Social devient un lieu à la mode, avec ses soirées bœuf rock ou DJ, sur le podium triangulaire. Et les artistes s’y pressent pour y exposer. Maël Mignot et Mer Cross participent aux décos successives. Ce dernier lance même des vernissages atypiques : “Depuis son atelier, on montait au Social un tableau à la main, et on faisait l’accrochage en live”, raconte Pierre. Mais en 2009, un procès pour bruit et odeurs oblige à une remise aux normes complète. Avec un max’ de récup’, il refait une déco de cabanon sophistiqué, violetrouge-bois, avec des banquettes-coffres. Le couperet financier ne l’épargne pas moins: en juin dernier, il cède Le Social à Olivier Virosta, tout en continuant à travailler pour lui jusqu’à fin septembre. Olivier, lui, a déjà gagné la confiance du quartier. Nouveau propriétaire, nouvelle ère. (1) Voir le reportage de 1960 sur le site de l’Institut national de l’audiovisuel (INA). “Lettre de SètePremière partie”. www.ina.fr, 2€. (2) Paye en liquide, dont le montant était tu aux femmes, une règle d’or entre dockers.
!REPÈRES Le Quartier Haut à Sète
C’est l’espace sur les hauteurs du centre-ville (mais sous les villas du mont Saint-Clair), compris entre la décanale SaintLouis et le cimetière marin. Il inclut la Grande-Rue Haute et la rue Villaret-Joyeuse. Ce quartier a notamment été peuplé par des immigrants italiens, pieds-noirs, des pêcheurs, des dockers… Aujourd’hui, il est truffé d’ateliers d’artistes.
Histoire du bar Le Social
• XIXe siècle: de nombreux cafés de quartier se côtoient au Quartier Haut. • 1900 : l’enseigne Le Social s’affiche à l’entrée. • 1920 à 1960: Marthe et François Catarina, par ailleurs commercial en brandade de morue, en sont propriétaires. • 1943-1944 : les Sétois fuient la ville pendant la 2e Guerre mondiale. • 1946 : lancement de la fête du Quartier Haut. • 1947 : Le Social devient le siège de la Jeune Lance sétoise, société de jouteurs du QuartierHaut. • 1961 à 1974: la famille Anselme, propriétaire du Social. • 1974 à 2001: succession de propriétaires. Famille Asencio, Andrée “de Toulouse”, Dominique Roche,“Les Michel”, Jean-Pierre Belot, dit “le grand” avec Léon d’Isernia, son beaupère. • Années 1980-1990: raréfaction de la clientèle de quartier, ouverture à une clientèle plus “branchée”. • 2001 à 2012: Pierre Mandagot, “enfant du quartier”, devient propriétaire. • 2009 : lourds travaux de remise aux normes, arrêt des animations. Nouvelle décoration. • Été 2012: Olivier Virosta, MézoMontpelliérain habitué des bars et cafés, reprend le bar.
En pratique
Bar Le Social, 35 rue VillaretJoyeuse, à Sète. Juste au-dessus de la place de l’Hospitalet. 0467745479. Ouvert l’hiver du jeudi au dimanche à partir de 18h. Tlj en été. Bar musical, rhumerie, tapas et brochettes. Nouveau: restauration même hors saison.
Photo de groupe
La photo de Une a été réalisée par Patrick Tournebœuf, photographe du collectif Tendance Floue, en résidence pour le festival ImageSingulières en 2011. Il reproduit une photo d’archives de 1934 (voir sommaire p. 2).
Une jeunesse au Social Sept personnalités du Quartier Haut confient à La Gazette leurs souvenirs d’enfance au café Le Social. Toujours vivaces, et empreints d’émotion. MATHIEU DI STÉFANO, 38 ANS, PRÉSIDENT DE LA JEUNE LANCE SÉTOISE.
“Quand j’allais aux réunions de la Jeune Lance sétoise avec mon père, on faisait semblant de jouter, sur les banquettes. Bouchon (voir p. suivante), Georges Hispa, Petit Pierre, Minal… ces jouteurs étaient nos idoles. Des rebelles, des insoumis. Capables de travestir Les trompettes de la renommée sur les échecs d’Yves Marchand (maire de 1983 à 1996, NDLR). Toujours à part, ils voulaient préserver leur manière d’être et de voir. Ils nous ont transmis les valeurs d’amitié, de convivialité… et de “conneries”. Ils passaient leur journée à fomenter des farces au Social : ils ont redescendu des cairons du Saint-Clair dans la nuit, ont fait défiler Bouchon comme un chef d’Astérix pour défier une décision de la Mairie. Ils en avaient dans le pantalon, c’étaient des révolutionnaires.”
JOSIE BONNAVENTURE, 83 ANS, MEMBRE DU COMITÉ DU QUARTIER HAUT.
“Mon père jouait de l’accordéon au Social et faisait danser le quartier le samedi. Mais il ne voulait pas que sa femme ni ses filles y aillent : on est des Italiens ! Moi j’allais boire la grenadine au citron avec papa le dimanche, avec une belle robe et des souliers vernis. Avec les autres enfants, on s’amusait à “ringuette” (aux billes, NDLR) avec les noyaux d’abricots qu’on ramassait. Tellement comme frères et sœurs qu’on ne s’est pas mariés ensemble. À part Lison, la nièce de François Catarina (le propriétaire), la pin-up du quartier, qui a fait la connaissance de son mari en servant au bar, en talons hauts.”
LOUIS D’ISERNIA,
67 ANS, VICEPRÉSIDENT DE LA JEUNE LANCE SÉTOISE, RÉDACTEUR DU BLOG DES “VICOMTES DE BRAGEOLE” ET “MÉMOIRE VIVANTE”.
“Pour la fête du Quartier Haut, tout se passait devant le bar, place de l’Hospitalet. Après le goûter (voir p. suivante), on faisait des jeux, comme attraper un citron avec la bouche dans un baquet rempli d’eau, une pièce de monnaie collée au suif sur une poêle - tu t’empègues la figure -… Au concours de grimaces, j’ai tiré un bas sur ma tête et j’ai gagné ! Ados, on s’amusait avec les filles sur la banquette, devant le bar. Ensuite, on les amenait à “la maison de l’électricité” (le transformateur), en contrebas…”
GILLES ET ROMAIN,
45 ET 35 ANS, COUSINS DU QUARTIER HAUT.
“Nous sommes nés sur les marches du Social. À 10-12 ans, l’été, on allait plonger au môle, on “faisait” des moules, et, en fin d’après-midi, on remontait au Social pour les distribuer aux clients, à manger sur place. En échange, ils nous donnaient un franc. Avec ça, on achetait des glaces au bar et on repartait jouer au foot ou aux boules. Les parents nous appelaient pour souper, et après, on ressortait encore : les femmes papotaient dans les rues, les hommes jouaient aux cartes au bar.”
PIERRE MANDAGOT,
60 ANS, PROPRIÉTAIRE DU CAFÉ SOCIAL DE 2001 À 2012.
“Mes parents tenaient la boulangerie Mandagot près de la décanale Saint-Louis, tout le quartier profitait du four chaud pour y faire cuire ses tielles, ses tartes, contre une pièce. Et au Social, dans les années 1940, le bistrot ne fermait pas tant que mon père et mon grand-père n’étaient pas venus prendre l’apéro !”
ANTOINE ANSELME,
76 ANS, PROPRIÉTAIRE DU CAFÉ SOCIAL DANS LES ANNÉES 1961 À 1974 AVEC SA MÈRE ET SES FRÈRES.
“On s’asseyait sur les marches, par terre, et la patronne, Catarina, nous mettait de l’eau sur les fesses à travers la porte, en lavant par terre. On jouait aux boules jusqu’à quatre heures du matin. Il y avait “Lou Gravat”, marqué par la varicelle, et le “Meut”, le muet… Ah, quand il racontait qu’il avait été piqué… à la fesse (rires).”
WOLFGANG IDIRI,
32 ANS, PRÉSIDENT DU COMITÉ DU QUARTIER HAUT ET HAUTBOÏSTE DE JOUTES.
“Dans les soirées de joutes, on montait sur les comptoirs et on chantait jusqu’à pas d’heure. Le bar fermé, farci comme une cocotte, toutes générations confondues, comme une fratrie… Avec des estivants, perdus au milieu. Petit à petit, la bamboche reprend. J’espère que le bar gardera cette dynamique, j’ai confiance dans le nouveau patron. Pas évident de la concilier avec l’ambiance rock’n’roll, mais c’est ça qui fait le charme du quartier, et le rend haut en couleur, et en convivialité.”
La Gazette n° 277 - Du 4 au 31 octobre 2012
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enquête
Texte Raquel Hadida / Photos: collection Gaston Macone et Louis d’Isernia. Merci! /
Tambourin, foot et service militaire
Au début du XXe siècle, le café est déjà au cœur de la vie sociale du quartier. En contrebas, sur la place de l’Hospitalet, les gens jouent au tambourin (le jeu), mais aussi à la pétanque, au football… De quoi créer l’équipe de foot du Social dans les années 30 (elle existe toujours), histoire de partager une macaronade au café entre vainqueurs et vaincus. Et de susciter des vocations : “Le Social, c’est la pouponnière du FC Sète.” Dans les années 50, c’est encore au Social qu’on fête l’admission pour le service armé des jeunes du Quartier Haut.
Le Social en archives Le Social en 1900. Le café Social date de plus d’un siècle ! Fin XIXe siècle, le lieu existe déjà, mais sans enseigne. Puis ce “XX”, sans doute pour fêter le XXe siècle tout neuf. Pauvres et populeux - les familles étaient nombreuses -, les multiples cafés du Quartier Haut mêlaient des pêcheurs d’origine italienne, pied-noire ou française, mais aussi des dockers… à travers des liens de solidarité entre les équipages, de mariages, de voisinage, d’amitié.
Soirées frondeuses
“La Begum” en visite. C’est l’histoire d’Yvette Labrousse, une Sétoise devenue Miss France en 1930, qui épouse un dignataire ismaélien (courant de l’islam) d’Égypte, l’Aga Khan III. À l’occasion du baptème du prince Albert de Monaco, “la Bégum” rencontre les jouteurs sétois, représentants d’un “folklore de France”. Et ceux-ci l’invitent dans sa ville natale… à la SaintLouis et au Social. En 1957, sa présence crée l’événement : “Tout le monde voulait la photo de la Bégum !” assure Louis d’Isernia. Sur la photo, à droite, Charles Robert, le président-fondateur de la Jeune Lance sétoise. À gauche, François Catarina, propriétaire du Social de 1920 à 1960. Les Anselme. Henry
Anselme, le fameux barreur des joutes, “grande gueule” et “grand cœur du quartier” dit “Bouchon” (décédé en 2006), tient le bar de 1961 à 1974, avec sa mère, dite “La Courte”, et ses frères JeanClaude, Antoine et Roger. Famille “connue”, elle attire tous les hommes du quartier. Dans “le Parc des princes de la belote”, on joue aussi à la manille ou à la “boîte” (le jacquet), devant un verre de bière de la Meuse, ou de pastis PEC, une marque disparue en 1978, qui a fait florès à Sète… et particulièrement au Social (cendrier sur la photo).
La Gazette n° 277 - Du 4 au 31 octobre 2012
Le goûter des enfants
Sur cette photo, c’est Jean d’Isernia qui régale. Au lancement de la fête du Quartier Haut, à partir de 1946, le bar Le Social et le comité de quartier invitaient tous les enfants du quartier au goûter du lundi après-midi, le long de tables à tréteaux, sur la place de l’Hospitalet. “On attendait ça avec impatience !”, avouent, les yeux brillants, les “gamins” du quartier, de 45 à 60 ans aujourd’hui. Qui se laissaient couver des yeux par leurs mamans, assises sur “la banquette”, au bord de la terrasse du café.
Des punks qui jouent au loto, pas banal ! Sans compter les soirées “No-beaujo” et leurs variantes : “l’anti-beaujolais”, ou “Le beaujolais ne passera pas par nous…” Les événements à l’esprit frondeur se succèdent au Social. Car la démarche de son propriétaire des années 2000, Pierre Mandagot, est claire : “Le plus possible, ne pas faire comme les autres.” Le nouveau propriétaire, Olivier Virosta, se veut déterminé à renouer avec cette ambiance décalée.
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entretien MADJID BOUAYAD,
élu au Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins du Languedoc-Roussillon (CRPMEM-LR)
Madjid Bouayad milite pour valoriser les compétences des marins-pêcheurs de chalutiers “sortis de flotte”. Lui-même ancien de chalutier sétois, il travaille désormais dans une fabrique de voiles.
“Reconvertir les pêcheurs, c’est stimuler l’économie !” Que deviennent les marins des chalutiers en faillite? Pour la première fois, un dispositif s’occupe de leur avenir. Un de ses initiateurs, Madjid Bouayad, représentant “social” des marins de la région, a plus d’une solution dans son filet. Rencontre avec un ovni du monde de la pêche.
La Gazette : Pourquoi s’occuper spécifiquement du reclassement des marins de chalutiers ?
Madjid Bouayad : L’Union européenne a dé-
cidé qu’il fallait supprimer des unités de pêche pour conserver la ressource - le poisson -, et les chalutiers partent à la casse les uns après les autres (voir encadré “Sortie de flotte”). Mais rien n’a été prévu pour les hommes à bord. On ne peut pas gommer les gens comme ça! Surtout que les marins n’ont pas droit au chômage… Alors nous avons initié un dispositif conjoint pour reclasser les marins de chalutiers en difficulté, financé par la Direction du travail. C’est totalement inédit! Que prévoyez-vous ?
M.B. : L’organisme choisi, l’Afpa-Transitions (voir encadré “Dispositif”), va d’abord s’occuper de 30 marins, individuellement, pour évaluer leurs compétences et diagnostiquer leur “employabilité” sur le marché du travail. Notre objectif est de montrer qu’ils ont des portes à ouvrir. Et, pour le territoire, de développer l’emploi et les compétences, de lancer une dynamique de projets économiques maritimes. La priorité est de les reclasser dans le monde maritime, pour conserver leurs savoir-faire: on en a besoin! Et pour tous les marins-pêcheurs qui galèrent à 50 ou 200 € par semaine ?
M.B. : Nous espérons étendre et pérenniser le
dispositif aux marins embarqués sur les chalutiers encore en activité, qui ne gagnent pas le salaire minimum. Mais aussi aux patrons qui prennent la terrible décision de casser le bateau et de mettre un terme à un héritage familial, ou aux petits-métiers (1) qui ne s’en sortent pas… Pour leur montrer qu’ils ont le choix.
Vous-même, êtes-vous dans cette situation ?
M.B. : Je travaillais sur un chalutier à Sète, mais je revenais avec l’envie de vomir. À la fin, on pêchait 7-8 tonnes de sardines pour ne sortir La Gazette n° 277 - Du 4 au 31 octobre 2012
que 400 kg d’anchois et jeter le reste, sans valeur. Pourtant, j’ai été piqué à l’eau salée, j’avais choisi ce métier par conviction, personne n’est marin dans ma famille. En 2009, j’ai suivi une formation en machines marines au lycée de la Mer, et, ne retrouvant pas d’embarquement pérenne, j’ai saisi l’opportunité d’un emploi chez un fabricant de voiles, sellerie marine et port à sec, à Sète, Sterne Voiles. J’ai de la peine d’avoir quitté le métier de marin-pêcheur, de ne plus naviguer. Mais ma culture maritime a intéressé mon employeur. Les marins de chalutiers peuvent-ils facilement se reconvertir dans les petits-métiers ?
M.B. :Oui, mais c’est plus facile pour les ex-ma-
rins de thoniers qui ont les moyens de se mettre à leur compte. D’acheter le matériel, mais surtout le permis de mise en exploitation. Vu qu’il y a une liste d’attente de cinq ans, ceux-ci sont revendus - par exemple, à 80000€ pour un bateau de 7 mètres. Et la demande a fait exploser les prix de ce permis… gratuit. Dans quels domaines se recyclent-ils, alors ?
M.B. : Des marins deviennent chauffeurs routiers, grutiers, gardiens de nuit, ouvriers conchylicoles, font du nettoyage. Peu qualifiés, les matelots marocains s’en vont souvent comme saisonniers dans l’agriculture. D’autres partent en Afrique sur des plates-formes d’off-shore pétrolier: la Surf (2) emploie beaucoup d’anciens des chaluts. Mais, sur des périodes d’un mois et demi, l’éloignement est difficile à vivre. Quelques-uns parviennent à s’orienter vers la plaisance professionnelle, comme équipier ou skipper, ou vers la marine marchande. Pour ouvrir des débouchés aux ex-pêcheurs, il faudrait surtout développer à plus grande échelle des activités maritimes dans la région. Le Languedoc-Roussillon possède d’énormes possibilités, mais aucune politique. On se contente de l’existant, on manque cruellement d’idées.
Les cultures marines ne sont pas très en forme non plus…
M.B. : L’huître meurt (3), on se désole. Pourquoi la Région ne financerait-elle pas des recherches sur le développement de l’huître? Elle continue à subventionner des moules étrangères conditionnées ici, avec le tampon “Sud de France”, alors que des milliers de conchyliculteurs ne peuvent même pas changer leurs moteurs et sont en train de crever. Elle pourrait développer la culture des palourdes, par exemple. Pas possible? Pourtant, en Tunisie, ils le font. Il faut stimuler les entreprises du secteur. La plaisance vous semble-t-elle un débouché intéressant ?
M.B. : Bien sûr! Le Département a certes dynamisé la plaisance sur les ports départementaux. Mais à part ça… On pourrait développer les entreprises liées à l’équipement des voiliers, des bateaux à moteur, les chantiers navals, la quincaillerie maritime. Pourquoi les Bretons le font, et pas nous? Un plaisancier cherchait 25 kg de peinture antirouille: impossible d’en trouver à Sète! Les aires de carénage ne sont pas modernisées: sur celle de Sète, le “roulelève” est antique… On peut développer aussi le pescatourisme (4), les bateaux de balade, la photo sous-marine, la location de bateaux… Tout cela existe déjà…
M.B. : Oui, mais par rapport à la population et aux touristes, c’est insuffisant. Il faut changer d’échelle! Et penser le développement de la façade maritime non pas uniquement de de juin à septembre, mais toute l’année! Pour cela, la Région peut développer des formations complémentaires. Peinture sur les chantiers maritimes, écoles d’ouvriers voiliers, plongée professionnelle pour travailler à l’international, pêche sportive… Et aider les ex-marins de chalutiers à monter des entreprises. L’idée est de faire en sorte que leurs compétences soient
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propos recueillis par Raquel Hadida / photo Raquel Hadida /
La crise de la pêche
Dans le quartier maritime deSète (Hérault et Gard), 42 chalutiers sont désormais en activité, contre 72 en 2005. En 10 ans, la Criée de Sèteest passée de 8 000 tonnes de poisson par an à 3 500 t/an. En effet, depuis trois ans, le poisson bleu (maquereaux, sardines, etc.) reste quasi introuvable. Et, hausse du prix de l’énergie aidant, les charges de carburant à 71 c/litre étouffent les entreprises de pêche, déjà lourdement endettées. Ainsi, elles n’ont plus de latitude pour leur développement. Et, sur plus de la moitié des chalutiers sétois, les marins sont payés en deçà du minimum légal (80 € brut par jour). D’où vient cette situation catastrophique ? • Les choix politiques et le respect des règles. En 2000, l’Union européenne préconise le retrait de 22 000 navires de la flotte communautaire. Paradoxalement, en Méditerranée, elle accorde 50 subventions pour de nouveaux chalutiers et thoniers, et n’autorise plus que les chalutiers de plus de 18 mètres. Officiellement, leur puissance ne doit pas dépasser 316 kW, soit 430 chevaux. “En réalité, tous les chalutiers ont multiplié cette puissance par 4 ou 5,” pointe Madjid Bouayad, élu au Comité des pêches. Résultat : “Les panneaux de chalut surdimensionnés bousillent les frayères des poissons, la diversité biologique s’étiole. En parallèle, les patrons payent cher ces gros navires, en remboursements d’emprunts et en assurance. Et l’Europe serre la vis : aujourd’hui, si on applique réellement la politique commune des pêches, il n’y a plus aucun pêcheur.” • La pollution. Le changement climatique peut avoir des conséquences sur la présence de poisson. Mais aussi les pollutions industrielles : “Les alluvions du Rhône - un fleuve où les poissons sont impropres à la consommation arrivent dans le golfe du Lion, bourrés de produits ultra-toxiques. Or, les poissons pélagiques en sont dépendants…, analyse Madjid. Faut-il plus de preuves scientifiques pour expliquer les baisses de production ?”
C
Le plan de sortie de flotte (PSF) transférables. Ce seraient autant de viviers, de potentialités pour le territoire. Faites-vous une croix sur les chalutiers ?
M.B. : On a dépassé le signal d’alarme, mais il reste des perspectives! Quelques bateaux pourraient partir à la pêche de grand fond, à la crevette, aux nasses ou aux palangres par rotation entre les navires suivant les périodes. Pour desserrer l’étau, on pourrait imaginer que les entreprises de pêche développent un atelier de transformation collectif pour commercialiser des produits prêts-à-consommer, comme des filets de poisson, voire des plats cuisinés. Les structures existent, comme la SaThoAn (5), et le dispositif régional Pass LR Pro permettrait de qualifier le personnel. Il faut s’adapter! Mais le problème, ce n’est pas le prix, c’est plutôt la quantité ? ! (voir encadré “crise”)
M.B.: Certes, mais les moyennes de prix (4,80€/kg à la Criée de Sète, NDLR) ne tiennent pas compte des effets de masse. Lorsque tout le monde pêche du maquereau ou du merlan, par exemple, il est presque vendu 0,50 €/kg seulement! Lorsqu’une espèce de poisson arrive en masse, au lieu de s’abaisser au prix du marché, on pourrait la vendre aux 450 restaurants du bassin de Thau, via l’Union des métiers de l’industrie hôtelière, qui la conserverait en tunnel de congélation. En Normandie, une entreprise qui pêche des coquilles SaintJacques et des moules vend à 70 % en direct, et la valeur de cette vente profite à tout l’équipage. À l’inverse, ici, certains patrons-pêcheurs ont des poissonneries, mais elles achètent le poisson au bateau au prix de la Criée… Plus on investit dans la transformation et dans la vente directe, plus on s’en sort! Cela permet une bonne traçabilité, et toute la valeur ajoutée revient au bateau. Est-ce aux pêcheurs de s’adapter ?
M.B. : Ils ne peuvent se contenter de pleurer
ou de crier : on leur a tendu une corde pour
!BIO EXPRESS
Madjid Bouayad - 47 ans - Né en Algérie - Formation de lieutenant et de patronpêcheur - 1994 : marin de chalutier à Sète. Pêcheur, ramendeur, fileteur. - 2009 : formation en mécanique et licenciement. - Depuis 2009: secrétaire de la section CGT Marins-Pêcheurs - Depuis 2011: ouvrier voilier à Sterne Voiles au parc aquatechnique à Sète. - 2012: réélu viceprésident du Comité régional des pêches et élevages marins (CRPMEM). Président de la commission “Affaires sociales”. Comité des pêches régional (CRPMEM-LR) - Organisation professionnelle qui représente tous les marins-pêcheurs et personnel des élevages marins. - Basé à Sète au Barrou. - Rôle d’interface avec les administrations. www.peche-lr.fr
L’Union européenne et la France subventionnent les patrons-pêcheurs volontaires, qui satisfont à plusieurs critères, afin que leurs bateaux s’arrêtent de pêcher. L’équipage est alors licencié. Les patrons peuvent décider ensuite de revendre l’équipement du bateau et de détruire le navire : une entreprise agréée procède ainsi au “déchirage”. Ils peuvent décider de conserver les navires comme bateaux de plaisance pendant cinq ans et de les reconvertir hors-pêche ensuite… mais avec des coûts d’entretien lourds pendant ce temps. Cette année, à Sète, sept chalutiers sortent de flotte, la plupart très récents, fabriqués entre 2003 et 2006.
C qu’ils se pendent, et ils l’ont attrapée à deux mains. Vers le toujours plus grand, plus puissant, etc. Aujourd’hui, ils sont sur la corde raide, ils ne peuvent se permettre de perdre une journée. Donc il faut leur donner les moyens d’expérimenter de nouvelles méthodes. Mais on ne peut considérer que tous les efforts doivent être supportés par les producteurs. Comme il s’agit d’une ressource naturelle, l’ensemble de la société doit être concerné. Qui d’autre doit faire des efforts ?
M.B. : Les distributeurs peuvent valoriser le poisson local, les consommateurs peuvent tester et cuisiner des poissons moins connus, comme le gascon ou le capelan, pour ne pas “tirer” toujours sur les mêmes espèces (sole, daurade, loup, NDLR). Les banques et les assurances aussi doivent s’assouplir. Lorsque l’Europe impose des restrictions aux moyens de pêche, l’armateur de chalutier, lui, doit continuer à sortir 6000€ par mois. Mais quels efforts demandet-on à la finance? Aucun. Soit la société se donne les moyens de continuer la pêche avec des navires de 15 à 18 mètres maximum, une puissance réglementaire (voir encadré “crise”) et des engins adaptés, soit elle disparaît. J’en suis persuadé. (1) Pêche côtière et d’étang sur des bateaux de 7 à 14 mètres, utilisant des techniques polyvalentes suivant les saisons: filets, palangre, capetchade pour les anguilles, apnée pour les coquillages, etc. (2) Bourbon Surf, entreprise spécialiste des services maritimes à l’off-shore, à l’international. (3) Depuis 2008, les ostréiculteurs font face à des surmortalités estivales des jeunes huîtres, à hauteur de 40 à 100 %. (4) Balade-découverte sur bateau de pêche. (5) Basée à Sète, l’organisation de producteurs SaThoAn - Sardine Thon Anchois - regroupe l’essentiel des chalutiers et des thoniers languedociens.
Le dispositif de reclassement pour les marins de chalutiers
- Lancement : octobre 2012. - Inédit, au moins sur la façade méditerranéenne. - Budget : 80 000 €, provenant de la Direction régionale du travail et de l’emploi (Direccte). - Comité de pilotage : Présidé par la Préfecture. Membres : Région Languedoc-Roussillon, Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins (CRPMEM), Pôle emploi, Agefos (organisme de formation des marins). - Réalisation : Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AfpaTransitions). - Concernés : 30 marins-pêcheurs dont les bateaux sont destinés à la casse. - Actions : - 24h d’entretiens individuels par personne - étude des axes de développement maritime régional : projets d’entreprises, étude de marché. - Contact dispositif : Afpa-Transitions. Ingrid Boillat, 04 67 83 03 95, 06 68 73 14 35, ingrid.boillat@afpa.fr - Contact juridique : Comité des pêches : 04 67 74 91 97. Inspection du travail : 04 67 18 36 40.
La Gazette n° 277 - Du 4 au 31 octobre 2012
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N° 276 - Septembre 2012
TOUTES LES SORTIES DE SEPTEMBRE
SÈTE
Un centre de kitesurf ?
R 27955 - 276 - 1,00 €
Que faire des terrains Listel ? Conchyliculturepisciculture, camping, zone naturelle, centre de kite-surf…
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SÈTE
Interview croisée Di RosaMoustic
Mieux qu’une innovation une
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Un hôpital pour les oiseaux malades
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Viens chez moi, j’habite à Bouzigues
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reportage Faucons, goélands, martinets: ça piaille aux urgences de Villeveyrac! Dans le tout nouveau centre de sauvegarde de la faune sauvage, Lucie, Maëlle et leurs bénévoles font face à un afflux d’oiseaux blessés, malades ou tombés du nid. Des soins au lâcher, reportage à tire-d’aile dans un centre unique pour la région.
À l’hôpital des
oiseaux malades
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ne serviette rose sur la tête. L’obscurité, ça calme. Lucie, l’infirmière, l’attrape et la maintient par les pattes et les ailes, comme un bouquet de fleurs. Avec sa force de jeune buse, elle résiste. Lucie l’entortille dans la serviette comme un nem, la coince entre son ventre et la table. Une véritable judoka des oiseaux, tout en douceur. Un peu de crème pour l’œil endolori. Des morceaux de viande enfoncés dans le bec. Avec l’autre main, Lucie répond en même temps à quatre appels téléphoniques. Voix calme et gestes sûrs. “Plus vous l’amenez tôt, plus il a des chances de survivre. Oui. Route de Loupian, à droite.” Des gens qui ont trouvé des oiseaux blessés, encore. La jeune buse, elle, a percuté une voiture, on l’a récupérée ensanglantée. Et elle se retrouve là, dans le centre de sauvegarde de la faune sauvage de Villeveyrac. Aux urgences pour animaux.
Unique dans la région
Ouvert depuis trois semaines à peine, ce centre accueille déjà 250 pensionnaires à plumes, voire à poils. Plus quelques humains pour s’en occuper. sept jours sur sept, sur un rythme haletant. Lucie Yrles et Maëlle Kermabon, les deux jeunes soi-
gneuses de 29 ans, appuyées par Cléo, 22 ans, en service civique, et plusieurs bénévoles attentifs. En ce mardi de vacances, six d’entre eux passent, pendant une à quatre heures chacun, pour assurer les gestes répétitifs, la logistique, sous la direction de Lucie et Maëlle. Spécialisées en gestion de la nature, ces deux amies ont monté le projet de centre, trouvé le terrain, dessiné les plans du bâtiment, construit les volières. Car leur enthousiasme a rencontré le besoin de la Ligue de protection des oiseaux (voir colonne et p.16). À Frontignan, Yves Corroy accueillait déjà les oiseaux bénévolement dans son jardin et son garage. Mais, au bout de 20 ans de sacerdoce, il devait passer le relais. Cinq projets plus tard, les élus ont fini par se décider à réaliser un des rares centres “professionnels” en France, le seul en Languedoc-Roussillon. Et malgré un fonctionnement à moitié financé, les coups de fil incessants ont pressé son ouverture, fin juin. Le bâtiment en bois (photo) comprend des bureaux, une “crèche” pour les oisillons, une infirmerie - le temps des soins -, une salle d’auscultation et une cuisine. À l’extérieur, vingt et une volières (photo) hébergent les oiseaux pendant leur convalescence
ou leur rééducation, ou permettent le départ des jeunes oiseaux, en douceur.
Pas d’attachement
Comment les animaux arrivent-ils jusque-là? Le réseau associatif pour les rapatrier n’est pas encore opérationnel. Mais ce matin, Jean-Gérard et Martine, de l’association montpelliéraine SOS Nature, débarquent avec un faucon crécerelle. Et les particuliers se déplacent, même de Perpignan quand ils sont motivés. À l’accueil, diagnostic. Quel est cet oiseau? Que s’est-il passé? Comme à l’hôpital, la fiche d’entrée est accrochée avec une pince à linge sur la boîte en carton où se trouve l’animal. Son matricule permet de demander de ses nouvelles par téléphone. Mais pas question de rendre visite à son oiseau: à part l’accueil et le jardin pédagogique, le centre est fermé au public. “Sinon, les oiseaux ne peuvent pas rester sauvages!, insiste Lucie. Le but est de les rendre indépendants de l’homme, voire craintifs…alors que les gens tentent parfois de les apprivoiser. Une dame a gardé un bébé goéland trois semaines dans sa baignoire, dans son lit… Elle l’appelait Josette.” Mais comment ne pas s’attacher? “Pas de noms, pas de paroles, pas de ca-
Un cigogneau se fait servir son plateau-repas: des poussins coupés en morceaux par Lucie Yrles, une des deux soigneuses du centre de sauvegarde de la faune sauvage de Villeveyrac. Seul rescapé d’une portée de trois dont le nid est tombé, il termine sa croissance perché sur un nid-promontoire. Dans sa grande volière individuelle, il vient d’effectuer son premier vol. Encourageant.
La Gazette n° 276 - Du 30 août au 3 octobre 2012
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! OISEAUX
réalisé par Raquel Hadida / photos Raquel Hadida /
De 5 à 30 m de long, les grandes volières en forme de tunnel permettent la rééducation des rapaces.
resses. Nous les manipulons rapidement et nous n’allons pas dans les volières pour le plaisir. C’est complètement différent d’un animal domestique.”
Bandages, tambour battant
Parfois, les oiseaux doivent passer par la case “vétérinaire”. Radios, opérations, anesthésies, antibiotiques… et euthanasies: lui seul a le droit d’intervenir. Bénévolement, comme le Dr Nodet de Montbazin. Mais d’abord, Lucie et Maëlle profitent d’être ensemble pour ausculter les blessés. De chaque côté de la table en inox, elles se penchent au-dessus de la fracture ouverte d’un étourneau, de l’attelle d’une poule d’eau, de l’œil d’un hibou petit duc. Puis elles bandent une chouette effraie. “C’est gonflé… J’arrive pas à lui choper son humérus… Ah, super, l’aile est droite.” Ensuite, vérifier chaque jour que la convalescence se déroule bien: “Les premières 48h sont les plus critiques.” Un indice: la balance. À pleines mains, elles déposent des rapaces dans une bassine, notent leur poids quotidien. “20 g de plus, parfait! Ils sont en pleine croissance.”
Au menu: émincé de poussins
Piaillements, frottements d’ailes: la petite “crèche” bruisse. Empilés dans des boîtes à chaussures percées, les martinets et les hirondelles tombés du nid passent dans les mains des bénévoles. À la chaîne, toutes les deux heures, pour les nourrir à la seringue. Une pipette de boulette de steak, trempée dans une pâte de vers broyés et saupoudrée de calcium (pour éviter les pattes molles). Hop, dans le gosier, les faibles et les maigrichons d’abord. Ici, la logistique est permanente: nettoyage du sol, des cartons, vaisselle des gamelles… Sans compter la préparation de l’émincé de poussins, aux ciseaux. Car c’est le plat principal des rapaces, comme du cigogneau, qui profite d’un plateau-repas personnel (photo). Les jeunes faucons se font livrer en hauteur, dans leur cage accrochée à un chêne. L’hypnotisant hibou grand duc, aux plumes coupées, lui, se régale de lapins. Pour le bébé chauve-souris de 3 centimètres, il suffit au contraire d’une goutte de lait, avant de rejoindre la chaleur d’une petite pochette… sur le ventre de Maëlle!
Envol de guérison
En rétablissement du botulisme (voir encadré), les goélands se contentent du menu “croquettes de chien mouillées”. Mais aujourd’hui, c’est décidé: “On relâche! Les goélands sont prêts.” Remusclés, les oiseaux finissent par avoir la force pour voler… de leurs propres ailes. Jambes écartées pour mieux les attraper, Maëlle va récupérer douze goélands dans leur volière. Vite, dans les cartons. Ça gigote, ça crie. Ensuite, c’est Valérian Tabard, l’animateur, qui crée l’événement. Cet après-midi, dans le jardin pédagogique du centre, il a déjà ouvert deux boîtes à chaussures. Quatre moineaux se sont envolés sous les applaudissements d’un groupe d’enfants médusés. Les martinets, eux, sont relâchés par dizaines, dès que leur queue dépasse de leurs ailes de 2 cm. Beau moment symbolique: “Ils ne se poseront plus pendant un an!” Pour le moment, Valérian charge les douze cartons dans sa Ford Ka, direction la Conque, à Mèze, en bord d’étang. Pas dans la zone des kite-surfs, où ils pourraient se blesser. “Chaque oiseau a une histoire. Des gens l’ont trouvé, ont fait le déplacement, d’autres en ont pris soin, ont passé du temps à le nourrir. Chacun d’eux est précieux.” Ouverture des cartons, basculement vers l’étang. Les adultes prennent leur envol. Les jeunes goélands débutent par quelques pas dans l’eau, mal assurés. Après une parenthèse de soins intensifs, la liberté toute neuve. En pleine forme. ■
!REPÈRES
La Ligue de protection des oiseaux (LPO)
- Dans la région, c’est la plus grande association d’éducation à l’environnement. - LPO France: 100 ans, 60000 membres. Pdt: Allain BougrainDubourg (lire p. suivante). - LPO Hérault: créée en 2003. 680 membres (env. 200 sur le bassin de Thau), 50 bénévoles actifs pour les inventaires naturalistes, les aménagements…, 7 salariés. - Président: Pierre Maigre (exdirecteur de la chambre de commerce de Sète), habilité à baguer les oiseaux.
Sur 200 m2, ce bâtiment écologique de Villeveyrac héberge une clinique dédiée aux oiseaux et petits mammifères malades, blessés ou orphelins.
SOS animaux sauvages
Le sauvetage des oiseaux sauvages
- Causes de détresse: chocs avec des voitures, morsures de chat, botulisme (lire ci-contre). Oisillons tombés du nid, poussés par la chaleur. - France: 45 centres de sauvegarde, gérés par des individus, comme à Millau, ou par des Parcs naturels (Alsace). Dont 7 centres de sauvegarde LPO. Voir http://uncs.chez.com - Statistiques: 1/3 d’oiseaux sont sauvés et réintroduits. 1/3 meurent. 1/3 sont euthanasiés car irrécupérables pour survivre dans la nature, ou, pour les espèces rares, sont gardés en zoos pour la reproduction.
Le centre de sauvegarde de Villeveyrac
- Inauguré le 23 juin 2012. - 2 soigneuses habilitées à détenir plusieurs séries d’animaux sauvages. - Bâtiment de 200 m2 en bois, écologique. 1er bâtiment tertiaire de la région labellisé “passif” (économie d’énergie). Panneaux solaires, isolation. Ventilation évitant les odeurs. - 21 volières pour la rééducation des oiseaux. - 5 box pour les petits mammifères. - 1 bassin pour les tortues. - 4 couchages pour des stagiaires et écovolontaires. - Jardin pédagogique ouvert au public tlj de 9h à 17h (mare, garrigue, mur en pierres sèches, nichoirs, verger, spirale aromatique, hôtel à insectes, jeux). - Investissement: 0,53 M€, soit l’équivalent de 100 m d’autoroute. - Fonctionnement: 70000€/an. - 27 partenaires pour la construction, dont la Région, le Département, Villeveyrac, Frontignan, la Fédération des chasseurs de l’Hérault, Eiffage, Nature et Découvertes… - 19 fournisseurs de produits gratuits (Botanic, Point vert, Intermarché, Carrefour…).
Un bandage tout neuf pour la chouette effraie à l’aile fracturée.
Que faire si on trouve un animal sauvage blessé ou malade?
• Sur la voie publique : vous pouvez contacter votre mairie. Près de Montpellier : SOS Nature au 04 67 42 43 17. Mammifères marins : pompiers. • Oiseau, petit mammifère (hérisson, écureuil, renard, rongeur…), ou tortue ? Téléphonez au centre de sauvegarde de la faune sauvage de la LPO au 06 29 81 66 31 ou au 09 67 18 76 24. • Il peut s’envoler ? Placez-le sur un point haut (5 m), sans obstacle. • Ne lui donnez ni à boire ni à manger. • L’obscurité le calme. Placez l’animal dans un carton troué, adapté à sa taille, ou dans une caisse souple grillagée. Tapissez de papier journal ou de Sopalin et enlevez tout objet blessant, cailloux compris. • Le plus vite possible, emmenez-le au centre de sauvegarde, ouvert 7 jours/7, de 8h à 19h30. • Calez bien le carton sous un siège de voiture ou dans le coffre. Conduisez souple, en évitant les à-coups. • Adresse : 15, rue des Cigales, route de Loupian, à Villeveyrac. De Sète : avant d’arriver à Mèze, tourner en direction de Loupian, puis suivre la direction Villeveyrac. C’est un grand bâtiment en bois
moderne, avant d’arriver à la fromagerie et au village. Plus d’infos : http://herault.lpo.fr Attention : Aider les animaux en détresse en les transportant dans un centre rapidement est un devoir, régi par la loi. En revanche, il est interdit de les détenir chez soi plus que le temps nécessaire à leur transfert. De même, détruire des nids (même en récupérant les petits) est illégal, et passible de 9 000 € d’amende, voire 6 mois de prison.
Que faire pour aider le centre de sauvegarde de Villeveyrac?
L’activité du centre repose largement sur la récup’ et la débrouille. Croquettes périmées (mais consommables) d’animalerie, viande quasi périmée de grande distribution, restes de poissons de la criée du Grau-d’Agde, pertes des éleveurs… Pour participer, vous pouvez… : -Devenir bénévole : des formations seront organisées à l’automne. -Apporter des grands cartons, des boîtes à chaussures, du papier journal, des récipients, des boîtes ou des croquettes pour chats et chiens, des boîtes de transport pour animaux, des cages et des volières… -Répondre aux “opérations Caddies” dans les jardineries et animaleries.
Pourquoi soigner et relâcher des goélands?
Certes, ils sont trop nombreux autour de Sète, et peuvent devenir nuisibles aux autres oiseaux et à l’homme. Mais le goéland reste une espèce protégée : dans les années 50, la France ne comptait plus que 50 couples de goélands ! Pour Valérian Tabard, animateur à la LPO, “il faut les limiter à la source, en réduisant les décharges de plein air et les rejets de pêche. Nous avons l’autorisation d’intervenir pour stériliser les nids auprès des communes. À Sète, 400 nids cette année !” Toujours aux mêmes endroits, donc faciles à cibler. Alors, sauver quelques individus n’est pas contradictoire. Surtout que les goélands souffrent surtout du botulisme, une maladie non contagieuse. Liée à une toxine, elle se développe audelà de 27°C, dans les étangs “riches” en nutriments, qui servent de déversoirs à des stations d’épuration saturées l’été. En bout de chaîne alimentaire, les goélands s’empoisonnent et deviennent progressivement paralysés : des pattes, puis des ailes et de la tête, à la merci des prédateurs. Mais une fois sécurisés, ils peuvent éliminer la toxine en deux à trois semaines.
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reportage
réalisé par Raquel Hadida / Photos Vincent Delcourt - Bruno Dubrac /
Cent trente nids d’hirondelles de fenêtre à Mèze : c’est le résultat du repérage de Valérian Tabard, animateur de la Ligue de protection des oiseaux de l’Hérault, avec Aleksandra et Vincent, deux passionnés. Une espèce commune, mais en déclin dans les villes. En effet, dans 7 bâtiments sur 10, les propriétaires détruisent les nids, en témoignent les auréoles sur les murs. Une pratique illégale, passible de 9 000 € d’amende, voire 6 mois de prison.
Un coup de pouce aux oiseaux
“Ambassadeurs de la biodiversité” Allain Bougrain-Dubourg sera à Sète, au Lazaret, le 29 septembre pour présider la conférence nationale de la Ligue de protection des oiseaux, qui fête ses 100 ans. L’occasion d’expliquer l’importance de soigner les oiseaux. Et, au-delà, de préserver la biodiversité. La Gazette: Pourquoi avoir ouvert un centre pour soigner la faune sauvage à Villeveyrac (voir p. précédente)? Allain Bougrain-Dubourg :Il fallait
combler un vide ! Le LanguedocRoussillon était une des dernières régions à ne pas avoir de tel centre de sauvegarde.
Mais à quoi sert de soigner quelques centaines d’oiseaux par an ? N’est-ce pas aller contre la nature ?
Ça peut paraître une goutte d’eau, mais on ne peut rester indifférent à la souffrance animale. Surtout lorsqu’elle est liée à des activités humaines. Suite à la marée noire de l’Érika, en Bretagne, nous avons sauvé 10000 oiseaux, sur 70000 oiseaux mazoutés. Tout cet argent, cette énergie dépensée, ça vaut la peine? Je ne pouvais pas rester sur la plage à les regarder agoniser. Nous avons un devoir de compassion. Par ailleurs, nous recueillons souvent des espèces protégées, voire rares. Électrocutés, plombés par des chasseurs ou percutés par des voitures. Les cigognes, les aigles de Bonelli (29 couples en France, NDLR), les milans, les gypaètes barbus… Lorsque la population est fragile, chaque individu est important. Est-ce aussi le cas pour les oiseaux plus communs ?
Oui, les oiseaux de proximité souffrent aussi. Du fait de la monoculture et des pesticides, certains, comme la pie bavarde, ont décliné de 30 % en 20 ans. Les zones agricoles à traitement industriel se transforment en “désert vert”. Beaucoup d’espèces, comme les hirondelles et les martinets, ne trouvent refuge qu’en ville. Il y fait plus chaud l’hiver, ils y trouvent nourriture et tranquillité… Ainsi, il y a plus d’oiseaux à Paris que dans la Beauce! Or les oiseaux sont utiles à l’agriculture: beaucoup d’espèces limitent la prolifération d’insectes ravageurs, les rapaces, les ex-”nuisibles”, consomment les petits rongeurs, et les vautours sont des équarisseurs bénévoles! La Gazette n° 276 - Du 30 août au 3 octobre 2012
Comment expliquez-vous l’engouement des gens pour les oiseaux ?
Coupés de leurs racines, les citadins deviennent de plus en plus curieux de nature. Et, comparés aux mammifères, les oiseaux sont faciles à observer. Et faciles à identifier : on peut en reconnaître une vingtaine sans trop d’effort, alors qu’avec un million d’espèces d’insectes, il faut être calé pour apprécier. Capables de voler, les oiseaux incarnent la liberté, et donnent des rendez-vous singuliers toute l’année. Fragiles en hiver, superbes au printemps, courageux dans les migrations… Du coup, l’oiseau devient l’ambassadeur de la biodiversité. L’oiseau sert-il aussi des causes politiques ?
Oui, car en “parlant oiseau”, nous parlons aussi “milieux naturels”. Les oiseaux servent d’indicateurs biologiques. Là où ils sont présents, l’ensemble du vivant s’épanouit, en leur absence, la biodiversité est toujours affectée. À la LPO, on se bat à Bruxelles pour le développement du deuxième pilier de la PAC (politique agricole commune), centré sur l’environnement, pour les aires marines protégées, pour le maintien des zones humides. J’ai rencontré Delphine Batho, la ministre de l’Environnement, pour préparer la grande conférence de mi-septembre sur l’énergie et la biodiversité. Les problèmes de gaz à effet de serre ont eu tendance à l’occulter, mais le déclin de la biodiversité est frappant. Dans le monde, une espèce d’oiseau sur huit, une espèce de batracien sur trois, une espèce de mammifère sur quatre sont en train de disparaître… Mais, avec toutes nos technologies, a-t-on encore besoin de la nature ?
Le rapport de l’ONU pour le millénaire a évalué que 40 % de l’économie mondiale repose sur les services gratuits rendus par la nature. La pollinisation, les ressources halieutiques (pêche), les molécules thérapeuthiques, la forêt exploitable… Or ces services sont en déclin de 60 % depuis 20 ans. Donc protéger la nature, c’est maintenir l’économie de l’homme et exploiter rationnellement les ressources. C’est fondamental. ■
CHabitat détruit, changement climatique, pesticides : les hirondelles ont régressé de 40 % en 20 ans… Or “comme les moineaux, les martinets, ces espèces ne nichent plus qu’en ville, et dépendent du bâti (voir photo). Les gens les tolèrent moins, et les bâtiments récents manquent de trous. Pourtant, il y a des solutions pour cohabiter”, affirme Valérian Tabard, animateur de la Ligue de protection des oiseaux de l’Hérault. Chacun peut transformer son balcon ou son jardin en refuge. Les aménagements les plus simples : - Visser une petite planche sous les nids en façade. Et lors des rénovations, installer un nid de remplacement. - Créer un trou de 15 x 20 cm dans les caves et les granges, pour l’hirondelle rustique. - Installer des nichoirs, des abris à chauve-souris, des systèmes anti-prédateurs… - L’été, placer un bac avec de l’eau pour les oiseaux assoiffés, et l’hiver une mangeoire. - Semer des plantes aromatiques et mellifères, pour attirer les insectes. - Coller des stickers anti-collision sur vos vitres. Matériel et infos : lpo-boutique. com Observez, participez ! Pour aider à mieux connaître les oiseaux, postez vos observations sur le Web sur : - Les nichoirs : http://enquetes.lpo.fr - Les hirondelles : www.enquete-hirondelles.fr - 82 espèces locales, avec le programme “Sentinelles de la biodiversité”, initié par le Département et l’association Tela Botanica : www.herault.fr/environnement/participer
À Sète, la faune dans la ville?
Les skate-parks des collèges de Loupian et de Marseillan s’apprêtent à devenir des “refuges LPO pour les oiseaux”. Une opération déjà menée par les maternelles de Balaruc-les-Bains et Balaruc-le-Vieux, la calendreta de Mèze, le centre de loisirs de Villeveyrac. Et en ville, que fait Sète pour prendre soin de ses animaux sauvages ? L’action principale est plutôt d’en limiter les nuisances. Stériliser des nids de goélands (voir p. 15), dératiser, protéger la baignade des méduses. Les oiseaux citadins, eux, se plaisent dans une ville entretenue écologiquement - qui favorise les insectes. D’après Jean-Claude Gros, adjoint à l’environnement à la Ville de Sète, “depuis quatre ans, nous avons diminué de 80 % les pulvérisations d’herbicide dans les espaces verts et pour l’entretien des trottoirs. Nous privilégions les méthodes mécaniques”. Mais aussi les engrais organiques, un arrosage économe et des plantes méditerranéennes, ce qui a valu à la ville la mention Biodiversité de l’Europe. Les projets : une ruche pédagogique dans le jardin du Phare (géré par l’association Côté jardins), une meilleure circulation des animaux dans les quartiers en rénovation - la “trame verte et bleue”.
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N° 274-275 - Juillet/Août 2012
NUMÉRO DOUBLE
TOUS VOS LOISIRS DE JUILLET + AOÛT
Mythes et légendes
SÈTE C Une journée avec Anthony Liguori, jouteur
ÉTANGS C Ces merveilleux fous volants
Mieux qu’une innovation une
SÈTE C Le meilleur des expos Chabaud et Gromiam
JUSQU’À
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du bassin de Thau
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dossier Trop ensoleillé pour garder ses mystères ? C’est sans compter la verve et la malice de ses habitants. Le bassin de Thau se révèle foisonnant de mythes, légendes, contes et autres histoires truculentes. Évasion fantaisiste dans l’imaginaire local…
Mythes et légendes
du bassin de Thau
“R
éinventons les légendes et les rituels du troisième millénaire!”, clame Pascal Larderet, comédien de rue et “inventeur” de la légende du poufre à Sète. À fouiller un peu, les villes du bassin de Thau regorgent de légendes. Des histoires orales truculentes, aux multiples versions. Détenant une part de faits réels, les légendes nous parlent de l’histoire des lieux, celle qui a marqué ses habitants.
Universelles, tout comme les animaux-totems de carnaval qui leur sont parfois associés (voir p. 12-13), les légendes permettent d’expliquer le mystère, d’accepter un drame, d’intégrer l’étranger à la communauté, d’initier les jeunes, d’”exorciser” les grandes peurs collectives, en les rendant plus légères. Elles ressurgissent au détour d’une fête, d’une chanson, d’un trait d’humour. Folklore? “Oui, si on se prive d’ima-
ginaire. Non, si les récits des origines redonnent du sens, de l’énergie. Quand le présent vacille, légendes et totems peuvent réensemencer le futur”, assure Claude Alranq, occitaniste spécialiste des totems. Alors, que les histoires datent de l’Antiquité ou se réinventent aujourd’hui, cet été, laissez-vous inspirer. Voici quelques mythes et légendes incontournables, récoltés sur les berges de l’étang… ■
Mystères. Une cité est engloutie dans l’étang de Thau, aux dires des Anciens. C’est l’une des nombreuses légendes qui ressurgissent dans les mémoires, à cheval entre réalité historique et pure imagination collective.
La Gazette n° 274-275 - Du 5 juillet au 29 août 2012
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! MYTHES
réalisé par Raquel Hadida / photos Cédric Matet, Frédéric Grafft, Raquel Hadida /
Bouzigues, capitale des histoires belges
La cité engloutie
dans l’étang de Thau Dans le fond de l’étang de Thau se trouve une véritable ville sous-marine… Enquête, entre légende et archéologie.
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ar temps clair, les pêcheurs aperçoivent le sommet d’un clocher, dans l’eau de l’étang de Thau. Par temps brumeux, on entend les cloches de cette église noyée. Les plongeurs disent apercevoir des vestiges de constructions. On raconte que dans les fonds de l’étang repose une ville entière. Car une nuit de solstice, la terre aurait croulé dans un meuglement sourd — suite à l’éruption du volcan d’Agde, peut-être —, et l’étang a alors recouvert temples et palais. Mais où se trouve cette cité engloutie? Dans l’anse de Sète à Balaruc, dans la crique de l’Angle. Ou bien du côté du Barrou à Sète, où des murs d’aqueduc semblent s’enfoncer dans l’étang. Pour le savoir vraiment, il faut suivre les daurades royales. Lorsque ces poissons se mettent en ligne, les arcs dorés de leurs fronts forment un escalier d’or… qui nous mène à l’entrée de la ville engloutie.
Hameaux de roseaux
Auprès des touristes, les pêcheurs d’étang ont joué de cette légende, usant des clochettes accrochées aux filetx. Pour l’esprit rêveur des apnéistes, le courant chaud qui arrive dans l’étang autour de Balaruc, la “bise”, peut provoquer des visions. Mais la vision d’une Atlandide locale ne tient pas que du roman: en 1976, l’équipe de l’archéologue Denis Fonquerle a bien trouvé des traces d’habitat lacustre englouti, par deux mètres de profondeur. En bien moins grandiose: un hameau de trois cabanes de roseaux, arrimées dans le sol par des pieux de chêne vert. Sur pilotis pour se protéger des bêtes sauvages ou, plus probablement, englouties par une montée des eaux de 2 à 3 mètres. À l’âge du bronze, au Ier ou IIe siècle avant J.-C., les premiers “Gaulois” se sont ainsi installés entre le Barrou et la Plagette à Sète, au lieu-dit la Sangade. Mais aussi dans l’anse de Balarucles-Usines, à Saint-Sauveur (port de plaisance actuel), et entre Marseillan et Mèze, à Montpénèdre. À en croire les poteries et outils retrouvés, ces premiers Gaulois se nourrissaient de pêche, de cerfs et de sangliers chassés, mais aussi d’élevage diversifié, et de culture de céréales. Pour une véritable ville à Sète, attendez encore 18 siècles… ■
C “Bête comme les oiseaux de Bouzigues qui appellent les chasseurs”: pourquoi une telle réputation? Au VIIIe siècle, trois paysans bouzigauds reviennent du marché de Pézenas, un soir sans lune, à travers la forêt. Terrorisés en entendant des brigands, ils grimpent dans un chêne. Juste au-dessous, les bandits se gaussent de leur butin du jour. Invisibles, les Bouzigauds ne peuvent s’empêcher de s’exclamer: “Ah, que n’en ai-je le quart pour acheter le champ du père Blaise!” Le premier se fait alors égorger au pied du chêne, son sang noir s’écoule. “Monsieur l’assassin, c’est que mon camarade avait mangé beaucoup de mûres en chemin.” Même traitement pour le second. Le troisième se justifie: “Moi aussi, je suis de Bouzigues, et pourtant je me suis tenu coi et n’ai pas soufflé mot!” Et voilà trois Bouzigauds pas vraiment futés, zigouillés… dans l’hilarité générale. C Seconde histoire, plus récente. Un Bouzigaud se blesse en pêchant des palourdes. Le médecin l’incite à mettre un pansement “là où il s’est fait mal”. De ce pas, le Bouzigaud part mettre son pansement avec application… sur le rebord de sa barque. Au jeu du plus nigaud, les Bouzigauds sont des héros… de légende uniquement. ■
!MYTHES EXPRESS
• Qui a vu la baleine ?
Jusqu’en 1928, la ville de Sète s’écrivait Cette. Ce nom faisait-il référence à un cétacé (dauphins, baleines) ? Oui, dit la légende. Vue de l’ouest, l’“île” sétoise ressemble à une baleine ou un dauphin, à moitié immergé, inspirant les marins de passage qui l’auraient nommée ainsi. Et, aujourd’hui, les blasons locaux, des clubs sportifs (water-polo,…) comme de la Ville. Mais les archéologues disent non. Strabon, le géographe antique (1er s. après J.-C.), évoquait déjà le mont Sygion entre les cordons de sable sur le littoral. Transformé en Sétion, puis Sétius dans les cartes antiques et médiévales. Qui proviendrait de set,“montagnette” en langue indo-européenne.
• Thau, l’étang du taureau
Un taureau serait sorti des eaux - devant Mèze -, donnant ainsi son nom à l’étang de Thau, et inspirant le centre culturel et sportif du Taurus à Mèze. Mais l’étang de Thau viendrait plutôt de Taur,“l’eau” en langage préeuropéen. Tout simplement…
• Saint-Clair, le mont de l’ermite amoureux
Guiral, Clair et Loup : trois frères tombent amoureux de la même fille, Bertrade (ou Irène). Pour les départager, elle les envoie en croisade à Jérusalem — classique, autour de l’an 1000 — et leur promet d’accorder sa main au plus glorieux. Lorsque les trois frères reviennent à Saint-Martin-de-Londres, leur bien-aimée, rongée de souci, vient de mourir. Effondrés, les trois amoureux décident de vivre en ermites sur trois pics disposés en triangle, qu’ils illuminent chaque année. Reconnaissants, les villageois décident de baptiser les trois monts de leurs prénoms : le pic de Saint-Guiral dans l’Aigoual (Cévennes), le pic Saint-Loup… et e mont Saint-Clair.
Hercule apprécie le
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muscat
ercule, le mythique héros grec aux douze travaux, fils de Zeus, est passé par le bassin de Thau. La littérature grecque l’atteste, dès Homère. Il a même créé la voie Héracléenne, qui traverse Vias, Mèze, Loupian. Ou plus au nord, de SaintThibéry à Montbazin. Un chemin “- pré-romain” (gaulois ?), ancêtre de la voie Domitienne, puis de l’autoroute A9, mais jamais vraiment identifié. Et quitte à avoir un people “sous le coude”, l’imagination locale lui a rajouté deux étapes, aux thermes de Balaruc, et dans les vignes de Frontignan. Il avait pourtant démarré son dixième travail en Andalousie. Mission: capturer le troupeau de bœufs de Géryon, un monstre à trois corps. Ensuite, il décide de rentrer en Grèce à pied, civilisant les pays “barbares” dans la foulée. Pays de Thau compris.
9h: terrassement. “Je pousse mes mille bœufs au pelage rouge devant moi: ils tracent un chemin à eux tout seuls”, s’enorgueillit Hercule. C’est ainsi qu’il crée la voie Héracléenne. 17h: une pause s’impose. “Je me détends dans la source d’eau chaude de Maïmona (actuelle Balaruc-les-Bains), et rends la cure thermale sacrée.” En fait, celle-ci se met plutôt sous la protection de Neptune, dieu des mers et des sources. 19h: apéro. Direction Frontignan. “Je ne me passe plus de leur muscat. Si bon, que je tiens à le boire jusqu’à la dernière goutte. Quitte à tordre la bouteille. Bah, ça les arrange bien”, révèle le musclé Hercule. Brevetée en 1912 à Albi par un verrier marseillais, la fameuse bouteille du muscat premier prix était au départ torsadée… à l’intérieur. La cave coopérative de Frontignan a dû se battre pour récupérer brevet et moule originel. Et n’a pas hésité à divulguer une légende commerciale. Après tout, Coca-Cola en avait bien appelé au Père Noël. Alors ce soir, Hercule joue les sponsors. ■
Quand les éléphants d’ Hannibal traversent la Gardiole
Hannibal est passé par la Gardiole, raconte-t-on dans tous les villages alentour (même si aucune trace ne l’atteste). Chef et stratège carthaginois, Hannibal part à Rome pour venger son père, en 218 av. J.-C. Avec 90 000 hommes, 37 éléphants, 10 000 chevaux et autant d’animaux de bât, son armée aurait traversé le massif, pour couvrir le convoi principal, côté littoral. Face aux éléphants, aux mercenaires aux cheveux teintés de rouge, face au mélange d’Africains, d’Ibères et de Lusitans, les Languedociens indigènes sont terrorisés. Et Hannibal en joue pour forcer le passage, lorsque les présents et la distribution d’or ne suffisent pas. Ce 21 juillet, les Éléphants d’Hannibal repassent dans la Gardiole. Façon course à pied (voir agenda).
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dossier Barberoussette, le
pirate du mont Saint-Clair Il sème la terreur entre Agde et le mont Saint-Clair. Retour en 1600 à Sète, pour une interview exclusive avec le corsaire-pirate Barberoussette. La Gazette : Autour de 1580, vous créez la zizanie en pillant les bateaux. Un projet de vie ?
Barberoussette: Bien sûr! J’ai installé ma petite entreprise de piraterie, ultra-pointue sur le secteur des naufrages “accidentels” à Agde, avec une succursale à Sète. J’ai même l’autorisation d’exercer comme corsaire du Roi. Mais rien ne m’oblige à déclarer l’ensemble du butin… Pouvez-vous nous dévoiler vos méthodes de pillage ?
Aucun problème ! Surtout qu’aujourd’hui, je suis rentré dans le rang: marié, quatre enfants, un boulot stable. Bon, le principe, c’est d’allumer des feux sur le mont Saint-Clair, de nuit. Pensant rejoindre le phare du port d’Agde — florissant à mon époque —, les navires s’échouent sur les rochers de la Corniche. Mon équipe et moi-même, cachés près de la plage du Lazaret, enfourchons alors notre “brigantine”, une petite goélette à voile carrée. Et portons un assaut fatal à l’embarcation. Résultat ?
Je trucide capitaine et marins, obligé. Et j’em-
barque tissus, marchandises, armes et chevaux, direction Brescou, l’île au large d’Agde. Ensuite, je fournis en armes le maréchal de Joyeuse, qui complote contre l’accession au trône d’Henri IV — un protestant. Au printemps 1586, je passe au niveau supérieur: j’organise le blocus du port d’Agde. Bel événementiel, non? Vous jouez gros…
Affamée, la populace ne l’a pas pris avec humour… et a demandé au gouverneur, le duc de Montmorency, de me chasser. Il a fallu un commando pour m’arrêter. Le 29 mai, près de Sérignan. J’aurais pu être pendu… Mais le duc m’admire en secret: il m’a placé sur un bon plan “galère”. Je suis désormais directeur d’un chantier de 25 galériens, des hors-la-loi comme moi avant! Que reste-t-il de votre gloire passée ?
Aucune trace de moi dans l’état civil, la ville de Cette n’était pas encore fondée! En revanche, j’ai une surprise pour vous. Dans ma cachette du mont Saint-Clair, j’ai planqué un trésor — mon épée, des plats en étain, etc. —. Indice: c’est près de votre hôpital… ■
Les Barbaresques enlèvent la jolie Marseillanaise
Voici deux faits divers qui auraient pu paraître dans La Gazette autour du 1er aout 1710. Hier soir, lors d’un mariage à Maguelone, un bateau de Maures a enlevé la mariée. Cette nouvelle capture fait suite à la prise d’otage de Marie, dite “La Belle Scribote”, petite écrivaine de Marseillan. Détenue dans le château du calife, elle fut libérée par son promis, Jean Mas (ou Guillaume), enrôlé dans l’armée des infidèles pour la rejoindre. Légendes romanesques pour expliquer disparitions ou ruptures amoureuses ? Peut-être. Mais nous rappelons que ces Barbaresques, originaires de la baie d’Alger, pratiquent réellement des razzias depuis deux siècles en Méditerranée, et notamment sur la côte languedocienne. Armés jusqu’aux dents, les équipages de quatre navires fondent sur des villages, capturant hommes, femmes et enfants dans les vignes. Ces Sarrasins organisent la traite des Blancs, revendant les captifs sur les marchés spécialisés, comme main-d’œuvre… ou belles de harem. Pour se défaire de la peur des Barbaresques, les autorités décident de mimer le combat des Maures sur barque, en marge des joutes. Cette bataille se tiendra au Pont-Levis à Sète, avec des hommes portant des bas et coiffés de turban. Du moins pendant deux siècles et demi, jusqu’aux années 1970. ■
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! MYTHES Les Ventres Bleus de Frontignan, supporters les plus expansifs aux joutes de la Saint-Louis.
La maison hantée de Loupian
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ur la route de Mèze à Loupian, cette maison sans voisins, datant de 1910 environ, est taguée avec goût. Certes, elle reste inoccupée depuis plus de 40 ans. Mais les rumeurs ne font que renforcer sa valeur! Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle aurait servi de QG aux SS. Certains y entendent des cris, voient du sang suinter des murs. On dit qu’une fille y serait morte, que c’est la demeure du diable, qu’elle est reliée au village par un souterrain. Les vieux l’appellent “faï ta mal”, “vat-en”. Vous n’en serez que plus tranquilles. Vue du ciel, la clôture adopte une forme de cercueil — très pratique pour le jardin. Cerise sur le gâteau, les anciens propriétaires seraient devenus brutalement riches, de façon inexpliquée. Idéalement située à moins d’un kilomètre de la Villa Loupian, votre future demeure repose peut-être sur une nécropole gallo-romaine. Et s’il restait encore des bijoux à piller? ■
Les jouteurs ne veulent plus de violon
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rançois-Jean, le dernier violoniste de joutes, crève de faim. À Noël, il part jouer à l’église Notre-Dame-de-la-Salette, sur le mont SaintClair à Sète. Fermée. Dans la tempête. Alors il monte les escaliers extérieurs, cale le violon dans le trou du clocher. Soudain, une bourrasque le fait tomber d’en haut. Il se tue dans la cour arrière, son violon se brise au milieu de l’église. Peu après, un jeune marin orphelin vient prier. Il récupère les morceaux de violon et les transforme en maquette de bateau, en l’honneur de son père, un marin amateur de musique. Accroché sur la chapelle, le bateauviolon joue avec le vent, tous les soirs, de ses cordes en haubans. Du moins jusqu’en 1944… où cet ex-voto se fait voler par les Allemands. ■
!MYTHES EXPRESS
• Pêcheur de sirènes
Jean Garcia, un pêcheur de palourdes mézois, a disparu.“Ne me cherchez plus, je suis le roi des sirènes,” dit un jour un parchemin roulé dans une bouteille. À cours d’oxygène, Jean Garcia avait reçu avec volupté le bouche-à-bouche des sirènes, et avait ensuite remonté à terre les coquillages de leur ferme marine. Mais un jour, il a décidé de ne plus remonter. De rester vivre dans une grotte sous-marine, en compagnie de sa sirène préférée, à double queue de poisson.
• Congre glouton
Derrière le brise-lames de Sète, vit un congre de trente mètres de long. Il habite une épave… coulée par ses soins. Les pêcheurs qui ne veulent pas être pris dans la tempête et subir le même sort doivent le nourrir pour le calmer. La recette: lui jeter trois pelles de sardines. Comme l’anguille, le congre, sournois et visqueux, n’augure rien de bon. Sauf à l’accompagner d’un bon aïoli.
• Un peu Thau pour la Tarasque
Via le canal du Midi, le dragon de Tarascon, la Tarasque, est arrivé dans l’étang de Thau. Il ramène les pêcheurs en perdition sur le bord de la lagune.
Pourquoi ? Pourquoi les Frontignanais s’appellent “les Ventres Bleus”?
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ur la plage des Aresquiers, un viticulteur frontignanais découvre des rouleaux de flanelle bleue échoués, provenant d’un bateau naufragé. Ravi de l’aubaine, il demande à son épouse d’y tailler des bandeaux, les “tailloles”, qui font office de ceinture. Et la porte sur-le-champ. Mais, encore mouillée, l’étoffe laisse des traces bleues sur son ventre… D’où les “Ventres Bleus” revendiqués par les supporters de joutes, les associations sportives muscatières, ou inscrits sur les affiches de festivals? En fait, les ventres bleus seraient ceux des malades de la peste. Particulièrement ravageuse au XVIIe siècle à Frontignan, mais aussi dans d’autres communes proches des marais, susceptibles de véhiculer les épidémies. À Vendres, Portiragnes, Mauguio ou Pérols, on trouve aussi des “Ventres Bleus”. Néanmoins, Frontignan réussit ensuite à endiguer les épidémies en créant un bureau de santé, avec 8 à 16 techniciens médicaux, et en fermant l’enceinte de la ville, on survit grâce à des provisions de blé, parfois pendant plusieurs mois. ■
Pourquoi dit-on:“À Sète, on meurt trois fois”?
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adasse, un paysan des Métairies, allait au Ramassis avec son âne - des zones agricoles, à l’époque. Il scie du bois, et se blesse gravement en criant “je suis mort!” pour appeler un ami. Soigné, il continue, mais se prend une ruade de son âne et tombe dans le coma. Tous le tiennent pour mort et le conduisent à la décanale Saint-Louis du Quartier Haut. Au moment où ils choisissent le chemin de gauche, normalement réservé aux notables, Radasse se réveille et sort de son cercueil, dans la panique générale. Avant de mourir une troisième fois “pour de vrai”, des années plus tard. En occitan, on dit bien: “Es mor, maï?” Traduction littérale: “Il est mort, encore?” Sauf que “maï” ne fait que ponctuer toutes les phrases… ■
Quand le Quartier Haut sera couvert d’or Entre montée des eaux, énergie galactique et amours nacrés, l’artiste sétois Aldo Biascamano crée, depuis 1983, une mythologie complète pour Sète et œuvre au présent pour qu’elle se réalise. Reportage dans le futur.
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a chaleur grimpe, et tue coquillages et poissons dans l’étang de Thau. Les habitants du Quartier Haut à Sète (devenu indépendant) se mobilisent pour sauver les palourdes, et les abriter à l’ombre des maisons. Dans le sable, les habitants découvrent des têtes de Fridents (1). En les adaptant à leurs corps, ils peuvent désormais vivre dans l’eau, alors que la terre est peu à peu engloutie.
Amours scintillants
Bien plus tard, la déesse de la mer, Jeannette, déverse de l’or sur la montagne de Sète, permettant aux Fridents d’y retourner. Au large, elle crée d’autres îlots d’or pour permettre aux Tridoises(2), des sortes de sirènes, de se reposer. Entre Tridoises et Fridents, c’est l’étincelle. Commence alors la parade nuptiale. Les Fridents bordent l’îlot de palourdes, les Tridoises parsèment le sol de nacre. En s’aimant, ils brisent la
nacre, et reçoivent les jets d’eau des palourdes qui bâillent. Scintillants, rafraîchis, ils s’aiment d’autant plus. Les Fridents emmènent alors les Tridoises dans leurs chambres troglodytes (photo). D’or et de motifs colorés, la décoration rassure les craintives Tridoises. En crachant de l’eau sur les miroirs, elles rafraîchissent leur “deuxième amour”. La nacre du plafond se détache sur leurs corps et les fait à nouveau scintiller. Ce sont des messages d’amour, envoyés par les Tridoises du monde entier. ■ (1) Par le passé, des Fridents, des êtres triangulaires multicolores, voyageaient sans fin sur l’eau. Mais un cataclysme a détaché leurs têtes. (2) À la mort de certaines femmes, leurs âmes vont chercher les têtes des Tridois, des êtres ronds qui errent dans la galaxie depuis le cataclysme. Elles peuvent alors redescendre dans l’eau. La Gazette n° 274-275 - Du 5 juillet au 29 août 2012
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dossier
Totems sans tabous Animaux de tissu promenés sur des châssis, ce sont les stars des défilés festifs dans les villages. Témoignages d’animaux-totems, bien vivants.
Le Poufre de Sète (1)
Sous le soleil exactement
“À chaque solstice d’été, avec mes tentacules géants, je détruis les bateaux des pêcheurs, entre la Sardaigne et les Baléares. Un jour, Giovanni, un jeune marin sétois, se met à la proue et demande à me parler, il me questionne. En fait, j’ai juste besoin de soleil: il fait sombre au fond de l’eau! Alors Giovanni casse un rayon de soleil et me le donne. Je replonge sans détruire son bateau. Mais la luminosité décroît: alors, sept années d’affilée, je me plains et obtiens un rayon de soleil. Sauf qu’à la fin, il n’en reste plus qu’un, que Giovanni ne veut pas me décrocher, soi-disant parce qu’il va faire nuit sur terre. J’insiste, je menace. Là, Giovanni prend le dernier rayon, mais s’en sert comme d’une lance. Il fait charger le bateau sur moi et me crève un œil. C’est le premier tournoi de joutes, déjà gagné par un Sétois. Ensuite, forcément, j’ai moins besoin de lumière. Giovanni raccroche le rayon et je laisse les pêcheurs tranquilles. Tant qu’ils ne me transforment pas en tielle, ils peuvent bien fêter ça en prenant un poufre (2)…”■ (1) Dénomination locale du poulpe (2) Prendre une cuite, en sétois.
Le Bœuf de Mèze Laboureur
“En 59 avant J.-C., quand j’arrive au bord de l’étang de Thau, le champ est en friche. Grâce à moi, une famille de pauvres agriculteurs optimise son temps et vend mieux sa production. Elle étend son exploitation et emploie des ouvriers qui se fixent aussi là, fondant ainsi la cité de Mesa (Mèze). À ma mort, cette famille garde ma peau pour m’honorer sur un châssis. Aujourd’hui, j’avale puis recrache les enfants, dans un rite de mort symbolique et d’initiation.”■
Le Loup de Loupian Sauveur
“Le seigneur de Loupian se met en tête de me tuer, pour mon pelage argenté. De fait, il me blesse, je me réfugie auprès d’une bande de lépreux, à l’extérieur du village. Le jeune Méric me sauve. Puis c’est lui qui me demande de l’aide : les Loupianais étaient encerclés par des Sarrasins, tout autour des remparts. Alors j’embarque toute ma meute, on harcèle les soldats pour les faire fuir. Facile. Du coup, avec le seigneur, on se réconcilie: je suis devenu l’emblème de la ville.” ■ La Gazette n° 274-275 - Du 5 juillet au 29 août 2012
La Chevrette de Montagnac De bonne humeur
“Je vis avec un vagabond quand nous arrivons à Montagnac. Le fermier (ou consul) Jacou est triste car sa femme a le moral dans les chaussettes. Incurable. Alors que moi, j’ai la patate! Mon secret? Je broute exclusivement des pampres de vigne (1). Et cette joie de vivre se retrouve dans mon lait: il suffit d’en boire! Pour la femme de Jacou, un bol suffit à la faire rire. C’est clair: il faut tailler la vigne pour qu’elle donne son max’. C’était vrai au XIIIe siècle, comme dans les années 1990: les viticulteurs de Montagnac obtenaient les plus hauts rendements du monde en vin!”■ (1) Rameau avec feuilles et grappes.
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! MYTHES
réalisé par Raquel Hadida / Illustrations Vincent Roussillat, Joe Dasnière, D.R. /
Mesclun de légendes Naufrage chronophage
Ça fait deux ans que les pêcheurs de maquereaux sétois ne sont pas revenus. Comme d’usage au XIXe siècle, leurs femmes vont être déclarées veuves et pourront se remarier. Mais soudain, l’un d’eux, Philibert, débarque. Les marins ont affronté une terrible tempête et, la faim au ventre, ils ont été contraints de se manger les uns les autres, en tirant à la courte paille. “Ils sont tous enterrés dans ma panse”, résume Philibert. Une veuve, jeune, jolie et fort aimante de son mari décédé, le prend au mot :“Tatouezvous une clôture et une croix sur le ventre, comme un cimetière, où je pourrai m’agenouiller et me prosterner chaque matin.” Un peu gêné, Philibert finit par s’exécuter. Et, ma foi, il n’en est pas si mécontent… ■
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Le Muge de Balaruc Résistant
“Les pêcheurs balarucois avaient le droit de me pêcher dans l’étang de Thau, contre une redevance annuelle de 45livres. Un accord passé au XIIIe siècle avec le seigneur Bérenger de Frédol, auquel les Balarucois s’accrochent… jusqu’au XVIIe siècle. Malgré la prospérité de la pêche, ils refusent de payer plus d’impôt que “la dîme du muge”. Celle qui correspond à la piètre valeur de ma chair — mais pas à l’or des loups et daurades. Vexé, l’évêque de Maguelone intente un procès qui dure 40 ans. “Je veux être payé par ce qui coiffe l’église de Balaruc”, intime-t-il, convoitant la croix en or massif. Les Balarucois me plantent alors à sa place, en girouette au sommet de l’église, avec mes grosses lèvres. Et tac, ils continuent à défier l’autorité. Mais une nuit de 1970, la tempête me fait tomber au bas de l’église Saint-Maurice, tout rouillé. Les Balarucois finissent par se souvenir de moi, et me font désormais danser dans les rues. Le 21 juillet, je fête mes 20 ans de totem!” ■
Le Porc de Poussan Éleveur
“Mon ancêtre, Porcianus, est un vétéran de la 7e légion de César. Pour le remercier, Rome l’établit dans la province de la Narbonnaise en l’an 40 avant J.-C. Il donne son nom à la ville de Poussan et à l’élevage porcin à l’est du bassin de Thau. Moi, c’est l’équipe de rugby qui transporte mon gros corps boudiné dans la fête.” ■
!MYTHES EXPRESS
• Merlan porte-bonheur
Vu face au soleil, un des os du merlan a la forme d’une Vierge à l’Enfant. Pour les anciens Sétois, une bonne raison de le porter en médaillon…quitte à sentir le poisson.
• Meunier farceur
Le sel, c’est de l’or, surtout à l’époque de la gabelle (taxe sur le sel), au XVIIe siècle. Soupçonnant le meunier maître Pierre de trafic de sel de contrebande, la douane contrôle son sac. Et la farine s’envole à la face des douaniers. Une farce à l’origine d’une tradition marseillanaise: des enfants défilant derrière Maître Pierre, en frappant dans des soufflets.
• Au bal des lézards
Il suffit d’une petite paille aux lézards verts pour jouer du hautbois. Et aux escargots, de leur bave transformée en peau, tendue sur l’ouverture de la coquille, pour jouer du tambour. De quoi mettre l’ambiance pour faire danser les animaux. Humains et jouteurs compris : il y a 150 ans à Sète, on sortait écouter hautbois et tambours, au “bal des anglores” (les lézards en occitan).
Le Veydrac de Villeveyrac Truffé
“Mon boulot de sanglier-dragon, c’est de protéger la nature contre l’agression des hommes. Mon péché mignon, c’est la truffe des garrigues. J’adooore! Mais Péquélou, un “ninou” de 10 ans, de Villeveyrac, n’a rien trouvé de mieux que de m’épier, et de dévoiler mon secret à sa maman. Cuisiner des truffes, pfff! De colère, j’ai déguerpi.” ■
La Chenille de Pinet Domptée
“Les feuilles de picpoul de Pinet, c’est rudement bon. Mais à la cave de l’Ormarine, on apprécie moyennement mes grignotages de vignoble. Alors on essaie de me faire peur avec une chenille géante de 12 m de long. Et sa chorégraphie de détente-éclair, dite du “pas d’Attila”. OK, si c’est pour rire, je m’incline.” ■
Merci!
Le genou de la Vierge
Une nuit du Ve siècle, Agde fait face à une sorte de raz-demarée, une grosse crue de l’Hérault ajoutée à un fort vent d’est qui fait gonfler la mer, et un tremblement de terre lié au volcan d’Agde. Terreur générale. À force de prières à genoux, un moine voit apparaître la Vierge Marie, agenouillée elle aussi sur une pointe de rocher épargnée par les eaux. Aussitôt, la tempête se calme, le niveau d’eau redescend. Le lendemain de ce miracle, on pouvait voir l’empreinte des genoux de la Vierge sur le rocher. Rocher aujourd’hui protégé dans la chapelle de Notre-Dame-de-l’Agenouillade au Grau-d’Agde et porteur de guérisons ou sauvetages en mer. En cas de mal au genoux se frictionner les articulations avec l’eau proche du rocher… ■
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Des morts-vivants bien empathiques
Quand les morts de la famille s’estiment oubliés, ils sont sans pitié. Ces “trèves” viennent tirer les pieds des gens et les faire tomber du lit pour les emporter. Provoquant par exemple la mort d’enfants en bas âge. Alors, quand un jeune couple de Balaruc-leVieux voit un de ces morts-vivants guetter leur bébé derrière le volet, ils anticipent. Ils bloquent le berceau entre leur lit et le mur, et se remettent à cultiver la mémoire de leurs morts. Or la trève est maligne : elle attrape le bébé à l’aide d’une canne à pêche, pardessus le lit des parents. Mais les parents supplient, promettent : touchée à vif, elle craque, et redépose le bébé entre son papa et sa maman. ■
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La plupart des légendes présentées dans ce dossier sont issues du croisement de plusieurs versions, avec des précisions historiques. Merci à: • Aldo Biascamano, artiste du Quartier Haut. • Pascal Larderet, de la Compagnie Cacahuète de théâtre de rue, créateur de la fête du Poufre. • Lionel Lopez, collecteur d’histoires, hautboïste de joutes et du groupe Les Mourres de Porc. • Cathy Lopez-Dréau, archiviste de la Ville de Sète. • Carole Briffaut, archiviste de la Ville de Frontignan. • Claude Alranq, auteur de Les animaux de la fête occitane (éd. Du Mont), avec l’illustrateur Vincent Roussillat. • Paula et Olivier Astruc, auteurs des insolites Les mystères de l’Hérault et Les nouveaux mystères de l’Hérault (éd. De Borée).
• Marc Lugand, archéologue spécialiste de l’Antiquité sur le bassin de Thau, et créateur de la Villa Loupian. • Pierre-Jean Brassac, auteur de Les histoires languedociennes de mon grand-père (éd. CPE). • Léopoldine Dufour, animatrice de France Bleu Hérault et auteur de Les petites histoires de Léopoldine (éd. Domens).
Pour la photo de une, merci à:
• Cédric Matet, pour ses photos oniriques et à sa modèle Lisa Ducrocq. • L’O25rjj, galerie organisatrice de l’événement d’art contemporain chez l’habitant Entre chien et loup à Loupian en mai, avec une visite mythologique inspirante. Occitan: pour éviter de compliquer la lecture de ce dossier, nous n’avons pas mentionné les mots et noms originels en occitan. Retrouvez-les dans les ouvrages cidessus.
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reportage
Les cabanes, un p’tit coin de paradis… Quatre planches, un bout de terrain et un peu de bric-à-brac. Intimes et festives à la fois, les cabanes des bords d’étang révèlent la passion de leurs propriétaires. Récup’, chasse ou montgolfière : rencontre avec des cabaniers épanouis.
Le temple de la récup’
“Interdit aux chiants”, annonce la cabane la plus photographiée de la PointeCourte à Sète. Si son propriétaire, dit “le clown”, préfère la discrétion, ses babioles récupérées, accumulées, disposées avec goût et humour créent une véritable œuvre d’art modeste. Que ne renierait pas le Musée international du même nom, de l’autre côté du quai.
Le vrai luxe, c’est d’être là. Protégé des regards, loin du quotidien et pourtant si proche de la maison. Mazet, baraquette, cabanette ou cabanon, peu importe l’appellation: les cabanes nous font rêver d’enfance et de liberté, de grillades et de convivialité. Le long du canal de La Peyrade ou du canal du Midi, au bord de l’étang de Thau ou des Aresquiers, des “cabaniers” ont aménagé leur “p’tit coin”, à leur image. Et surtout à l’image de leur passion. De celles qui ne peuvent s’épanouir qu’en plein air: la passion des oiseaux (à protéger ou à chasser!), de l’art, du vol en ballon, de la pêche… Alors, le temps d’un après-midi ou d’un repas, ils troquent le plafond contre la tonnelle, le bruit des embouteillages contre le clapotis de l’eau et les cris des oiseaux,
les intérieurs polissés contre les bric-à-brac hétéroclites. Ambiance musicale avec chips et cubis pour les journées “Portes ouvertes” ou les anniversaires. Ou au contraire solitaire, avec la nature pour inspiration.
Nature inspirante
Comme pour Moss, artiste “singulier”: “L’hiver, je peins du côté canal du Rhône-à-Sète, sur mon ponton, face aux péniches. L’été, je me tourne du côté de l’étang, face aux flamants, aux couchers de soleil orangés et au bois des Aresquiers. Ce que je crée là est plus clair, plus gai, plus primitif.” Idem pour Annie Kirsch, sculptrice sétoise amoureuse des oiseaux : entourée de hérons pique-bœufs, de martins-pêcheurs, de tadornes et d’assourdissants flamants, elle rêve de
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monter un sentier d’interprétation sur les oiseaux. Néanmoins, le paradis des cabanes peut vite virer à l’enfer, surtout pour ceux qui y logent à l’année (voir p. suivante). Au canal des Aresquiers, les propriétaires des 35 maisonnettes occupent des terrains… appartenant à Voies navigables de France (VNF): dans ce no man’s land juridique, impossible de s’installer l’esprit tranquille. Loin des yeux, mais près des cabanes, anses, rivières et chemins s’alourdissent d’encombrants dépôts sauvages, et de plastiques pas vraiment fantastiques. Et dans les sublimes criques aux allures” tranquilles”, les cabaniers craignent vols et voitures brûlées: “Pas question de stocker du matériel: ici, c’est une zone de non-droit.” ■
La gabion du chasseur
Camouflée en marron, sous un filet, en bord d’étang. Cette cabane-affût en forme de chaussure, la “gabion”, Régis Jullian l’a construite lui-même. L’hiver, le chasseur s’y installe avec matelas, duvet et café au lait. Et, la nuit, tire foulques, colverts ou sarcelles, à l’aide d’appeaux, voire de canards élevés pour attirer les sauvages, les “appelants”. Il pratique cette “chasse d’eau” ici, depuis ses 14 ans, avec son père puis ses amis d’enfance : “Je me régale !”
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La cahute du pêcheur
Textes Raquel Hadida / photos Raquel Hadida /
Un “pochon” de moules pour la consommation personnelle, une drague à huîtres sauvages, une échelle pour descendre se baigner dans l’étang de Thau, une courette fleurie et enguirlandée, avec des transats : l’ancien pêcheur René Isoird et son épouse Isabelle ont tout pour s’évader… à deux minutes de leur maison. Patiemment aménagée depuis vingt ans, la cabane sert aussi de lieu de stockage du matériel de pêche de leur fils Antony : filets, turlutes (leurres), moteur, équipement de plongée…
Le préau des oiseaux
“Ce terrain, c’est la propriété des oiseaux”, déclare Annie Kirsch, son récent acquéreur. Au hasard d’une cavalcade de sa chienne, la sculptrice d’oiseaux sétoise a eu le coup de cœur pour ce bout de terre humide de la crique de l’Angle, entre la Vène et l’étang de Thau. Autour d’une cabane-préau “repeinte en vert-gris pour s’intégrer à la nature”, elle installe récupérateur d’eau et toilettes sèches. Elle plante frênes et tamaris pour favoriser la nidification.
Le mazet, c’est gonflé !
La tonnelle de l’artiste
Totem en bois flotté, “L’Ange des Aresquiers” s’inspire du lieu, le quartier du canal des Aresquiers, une bande de terre entre deux eaux, à Frontignan. Là, l’artiste Moss colore tout à la bombe, personnages, courette, abri de jardin. Pour exposer d’autres artistes “singuliers”, en septembre, il transforme les anciennes “cabanes d’été” en galerie à ciel ouvert.
Caché dans la pinède, l’ancien mazet viticole sert de base aux pilotes du club de montgolfière AérostatThau. Avec une dizaine de passionnés du ballon aérien, le pilote Christian Jeanjean entretient les brûleurs de la montgolfière, refait les “épissages” (cordages à huit brins tressés) du panier et propose des démonstrations en vol “captif”, attaché au sol, à 50 mètres de hauteur. Baptême : 220 € par adulte, 06 59 87 41 52, www.aerostat-thau.net
La Gazette n° 274-275 - Du 5 juillet au 29 août 2012
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reportage
réalisé par Raquel Hadida / Photo Raquel Hadida /
Dans les garrigues du “quartier” des Carrières à Poussan, les installations sauvages se sont mutipliées. Caravanes, grandes cabanes, camions aménagés : des familles en difficulté occupent des terrains non-constructibles à bas prix, en autonomie avec forages, groupes électrogènes et panneaux solaires, ou reliés aux réseaux d’eau et d’électricité. Protégés des regards par des cyprès ou des clôtures en sommiers…
“Un problème de survie!”
Rares sont les cabaniers qui acceptent de témoigner. Vivant au quotidien dans des cabanes, caravanes ou même maisons en dur installées illégalement, leur intérêt est de rester le plus discret possible pour éviter de perdre leur toit. Voici la réaction d’une cabanière anonyme de Poussan : “Tu fouilles la vase ! On n’a pas intérêt à faire de vagues pour ne pas se faire virer, c’est un problème de survie, à vif ! On est hors la loi, on a peur qu’un bulldozer passe sur notre baraque sur ordre de la Préfecture, et de se retrouver à la rue du jour au lendemain. Ou même en HLM : je ne me vois pas dans un immeuble, j’ai besoin d’espace… Alors je me planque : je ne me suis pas inscrite sur les listes électorales, je ne vais pas au conseil municipal, je ne joue pas de musique ici, je ne distribue pas de tracts. Pourtant je me donne du mal : j’ai construit ma maison en bois, 75 m2 avec véranda, atelier et poêle à bois, j’ai planté des arbres, fait un forage et une fosse septique, je paye ma taxe d’habitation, les éboueurs… Mais mon voisin tire au fusil toute la nuit, les gens s’insultent, entretiennent mal les terrains, les jonchent de déchets. Outre les originaux fauchés comme moi, on est entourés de repris de justice, de défoncés. Et à cause d’eux, on a mauvaise réputation. Tu crois que c’est facile ?”
C
L’enfer
de la cabanisation Un casse-tête à gérer. Au bord de l’étang de Thau comme dans les garrigues, les cabanes et autres installations “sauvages” prennent le territoire en tenaille. Entre crise du logement et risques pour l’environnement.
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es épines dans les pieds des maires. Pour eux, les cabanes n’ont rien de bucolique. À Balaruc-le-Vieux, Mèze, Poussan, Marseillan, mais aussi à Mireval ou Villeneuve-lès-Maguelone, le large territoire rural se révèle propice aux installations illicites. Qui posent de sérieux dilemnes sur le plan social, environnemental et de sécurité. En bord d’étang ou dans les garrigues, environ 800 foyers habitent dans des caravanes, cabanes, mazets, voire véritables villas en dur… sur des terrains dévolus à la nature ou à l’agriculture. Vivre en cabane, pour le plaisir? Oui, pour une partie d’entre eux, friands d’une vie moins normée, avec les grenouilles et les oiseaux, lovés au calme, dans des paysages idylliques. Par obligation? Oui, pour plus de la moitié d’entre eux, en situation précaire, comme “dépannage” pour vivre à moindres frais. Avec une population en explosion à proximité de Montpellier, la spéculation fait grimper le prix des terrains et des loyers, et la pénurie de logement social devient aiguë. Alors certains acquièrent des terrains non-constructibles, à des tarifs plus qu’attractifs: 1 à 10€/m2, contre 2000€/m2 en constructible. Des “marchands de sommeil” ruraux en profitent même pour y louer des caravanes 100€/mois à des familles en difficulté. Tous restent discrets, au moins pendant trois ans. La construction est ensuite protégée par prescription (voir encadrés).
Un sac de nœuds social
Face à eux, les communes se montrent plus ou moins regardantes: si Mèze fait la chasse à la cabanisation depuis 20 ans, d’autres comme Poussan ont plus facilement fermé les yeux, par manque de logement social, et/ou pour s’attirer des faveurs électorales. Treize communes, de Villeneuve à Marseillan, se sont engagées avec la Préfecture à une politique commune de lutte contre la cabanisation, depuis 2008. Pour cette mission, entre autres, la Communauté de communes du nord du bassin de Thau (CCNBT) s’est même dotée depuis 2011 d’une brigade territoriale de six agents de terrain. Selon Jean-Bruno Barutchi, l’élu chargé de la brigade, “pour le passé, on ne peut rien faire. Mais on empêche que la cabanisation ne prenne de l’ampleur, en agissant sur le stationnement illicite de caravanes et mobilhomes, sur les mas en pierre renforcés avec des parpaings”. La Gazette n° 274-275 - Du 5 juillet au 29 août 2012
“Mais si on applique la loi sans alternative, les familles deviennent SDF alors qu’elles sont propriétaires de leur terrain!”, prévient Yvan Gazagnes, président de la Ligue des droits de l’Homme de Loupian et le nord bassin de Thau. Or, une fois installées avec jardin et piscine, raccordées à l’eau et l’électricité, les familles n’acceptent pas d’aller en HLM. “Pour éviter la casse psychologique, il faut intervenir dès le début. Et porter attention aux situations personnelles”, insiste Yvan Gazagnes. La LDH se préoccupe notamment du cas de Bettina Beau, censée quitter son terrain mézois en août, et de dix-sept familles gitanes de la Plaine à Poussan, qui, elles, ont eu gain de cause. Pour les gens du voyage désirant se sédentariser, elle propose de développer des terrains familiaux locatifs, pour quatre à cinq familles. Le système existe déjà, par exemple à Pignan, mais sa mise en place est longue et complexe.
Une bombe à retardement
Avec un tel casse-tête juridique et social, pourquoi s’acharner contre la cabanisation? “Pour éviter que la commune devienne un bidonville et que les eaux grises soient déversées dans le toutà-l’étang!”, s’écrie-t-on à la Ville de Mèze. Pour le conseiller général Christophe Morgo, “Impossible d’imposer l’assainissement aux cabaniers: il faudrait déjà pouvoir les recenser… Certains ont des fosses sceptiques, mais la plupart polluent les nappes phréatiques. Or le thermalisme, l’agriculture, la pêche, les coquillages dépendent du bon état de l’environnement. De plus, la présence humaine permanente, avec chats et chiens, a un impact sur la faune. Et les captages sauvages d’eau potable tarissent les sources…” Sans compter les dangers pour les personnes. Proches des cours d’eau ou des étangs, les cabanes se trouvent souvent en zone inondable. Dans les garrigues de la Gardiole ou des collines de la Mourre, c’est l’incendie qui menace: en 2010 à Mèze, des maisons cachées et non assurées ont brûlé… “Si ça brûle et qu’il y a des gamins dans la caravane ou dans les villas illicites, on fait quoi?, s’inquiète Christophe Morgo. Les pompiers auront du mal à venir les chercher dans des habitations non répertoriées. Ensuite, on va pleurer…” ■
Les procès pour cabanisation
Une centaine de procès pour constructions illicites sont en cours sur le bassin de Thau. Ils concernent les constructions ou extensions, avec ou sans fondations : - en zone agricole ou naturelle (un millier selon le Schéma de cohérence territoriale, le Scot), - sans permis ou déclaration préalable (< 20 m2), - utilisées comme habitation permanente (comme les mas conchylicoles avec pièce à vivre, vendus… en agence immobilière), - et construites depuis moins de trois ans (avant, il y a “prescription juridique”). • La brigade territoriale les repère et vérifie leur illégalité auprès des mairies. • La gendarmerie établit un procès-verbal. Après tentative de conciliation, la mairie est alors obligée de porter plainte et de se constituer partie civile (loi Loppsi II). • Le procès a lieu. Sans collectif, les habitants perdent quasi systématiquement. • En cas de condamnation, la Préfecture oblige les propriétaires à remettre le terrain en état, donc à démolir leur construction (ou extension) dans les 3 mois, 6 mois ou un an. Chaque jour de retard est assorti d’une astreinte financière (par ex. 50 €/j). Ces sanctions sont plus ou moins respectées.
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streetshooting !REPÈRES Nos questions
Pourquoi prenez-vous tant plaisir à jouer à la pétanque (ou à la regarder)? Quels sont vos “trucs” de jeu?
Le moment
Le jeudi 28 et vendredi 29 juin après-midi, sur la place Stalingrad, le long du boulevard VictorHugo à Sète. Les pétanqueurs s’y retrouvent de 15h30 à 19h, après la sieste et avant une tournée, au bar Le Palace ou au Victor-Hugo.
Les personnes interrogées
Douze, dont une partie membres du club des Francs Pétanqueurs sétois. Anciens champions, joueurs, spectateurs…
Le constat
La pétanque, un sport de concentration, mais surtout un passe-temps entre “collègues”, avec “galéjades” (2) et apéro. Sur les mille licenciés des sept clubs sétois (un par quartier), on compte peu de jeunes, et encore moins de femmes.
LA GOURMANDE Denise, 88 ans
Elle profite que son mari Maurice soit à la pharmacie pour venir regarder la partie de pétanque en cours. Regarder ? Plutôt dévorer des yeux : “J’adooore voir leurs tactiques. Ah, j’aurais pas tiré celui-là… Oh, chapeau !” Car Denise l’Aveyronnaise a joué à la pétanque pendant 15 ans, sur la place de la Mairie près de Thuir (66), et participait à des concours. “J’étais plutôt pointeuse”, se souvient avec aplomb cette mère et grandmère de sportives. Et sa canne dans une main, Denise n’hésite pas à rempiler pour La Gazette. Joli coup.
F
in d’après-midi noyée de soleil. À l’ombre des platanes, “le Play-Boy”, “la Dinde”, “Dieu”, “le Baron”, “la Colle”, “Vinaigre”, une trentaine d’hommes en chemisette “escampent (1) les boules pour s’amuser”. Pour jouer à la pétanque, il suffit d’un petit cercle dans le sable où placer les pieds, d’un jeté de bouchon tactique, et surtout d’un sens aigu de la galéjade (2) et de la mauvaise foi assumée. Associés à un lever de verre affirmé. Et du temps, celui que les retraités prennent plaisir à voir s’écouler ainsi. Quitte à se prendre au jeu, à s’inscrire aux compétitions du samedi, dans les “patelins alentour”, à désigner ses champions. Respect. La pétanque, un sport d’adresse? Oui, mais “il faut un mental d’acier”. Concentration maximale, stratégie d’équipe en “doublettes” ou “triplettes”. Un pointeur pour assurer le placement de la boule au plus près, un tireur pour attaquer par un “carreau”, ou un “palet”, et éventuellement un “milieu” pour rattraper les autres. Et parmi eux, une “grande bouche” pour déconcentrer l’adversaire. Essentiel. Alors, sur les places et boulodromes, les scénettes en treize points s’enchaînent. Les distances se calculent en tongs et demi-orteils, les ramasse-boules magnétiques font leur office. Jusqu’à l’heure où le perdant paye l’apéro, jusqu’à “l’heure des chiffres et des lettres” à la télé (!), jusqu’à l’heure du repas avec madame. Dans un ou deux jours, on repassera. Pas besoin de rendez-vous: les collègues (3), on sait où les trouver. ■ (1) Escamper: jeter. (2) Galéjade: moquerie, blague, contre-vérité… (3) Collègues: amis, copains…
Plaisirs
La boule d’acier suspend son vol, le temps avec. Dans l’ombrage estival, les parties de pétanque s’enchaînent, concentrées et conviviales. Rencontres à Sète, entre deux galéjades (2) sur la place Stalingrad.
Jean-Claude Anselme, 65 ans
LE FILOU
de pétanque
Cet ancien patron-pêcheur a joué dans tous les ports, y compris avec les champions comme “Bébert de Cannes”. Ses maîtres mots : respect et concentration. “La pétanque est un combat, l’engagement doit être total.” Et l’âme de l’équipe, centrale. Alors pas question de jouer avec des partenaires nerveux : “Certains jettent les boules de colère, font des réflexions à leurs coéquipiers, ou insultent les adversaires. On n’a rien à faire ensemble, ils sont catalogués.” En revanche, “les types expérimentés, c’est bien qu’ils dirigent…” Suivez mon regard.
LE PARTENAIRE DE CHOC
Robert Cuciniello, 78 ans
Double champion de France de pétanque dans les années 80, Robert ne se prend pas au sérieux pour autant. “C’est le plus filou !”, dénoncent les copains. “Vous faites un article pour Les Pergolines ? (4)”, “ici, c’est 20 € de l’heure”, “il n’y a que des mauvais”, “je suis divorcé quatre fois”… La seule vérité, c’est qu’il parle beaucoup pour énerver l’adversaire. Et qu’ici, il cherche moins le résultat que l’amitié - repas, apéritifs, galéjades (2)… “Les jeunes, eux, préfèrent sortir. Mais nous, à leur âge, on n’avait pas de voiture, on jouait déjà à la pétanque !” (4) Maison de retraite à Sète
MAÎTRE IODA
Henri Valette, 75 ans
D’une voix mystérieuse, un brin exaltée, le postier retraité fait figure de philosophe du bouchon. “Pourquoi la pétanque est-elle si prenante, alors que le jeu paraît banal ? Parce que c’est bon pour l’esprit. La preuve : les moines bouddhistes y jouent ! Oui, elle demande de l’adresse et du feeling - il faut évaluer le poids et la distance, repérer la trajectoire -, mais surtout de la concentration. Quand on est pris par le jeu, on évacue tous les soucis. C’est une sorte de bulle, une évasion.” Et ce tireur vétéran l’assure, “un beau carreau procure une émotion forte.”
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pages réalisées par Raquel Hadida / photos de Raquel Hadida /
Manu, JP et Gégé
Tous nés la même année - un secret -, ces trois retraités se retrouvent ici depuis douze ans et jouent toujours ensemble. Soudés. “Ici, il y autant de docteurs que de dockers. Chef d’entreprise ou jouteur, la pétanque estompe les différences sociales. Ça permet de s’intégrer, c’est ouvert à tous ici”. Entre deux parties, sur le banc, les trois amis se “disent tout” des soucis de santé ou de femmes, partagent leur désarroi du foot français comme de la pêche sétoise, les coins à champignons ou à daurades, les bons repas… Et sur l’apéro aussi, “on reste très polyvalents : petit whisky, Ricard ou 51.” Encore une preuve d’ouverture.
LES INSÉPARABLES
Claude Jamma, 58 ans, dit “Le Baron”
L’ÉLU SPORTIF
Serge Païola, adjoint aux sports de la Ville de Sète
Après le foot, Serge Païola s’est mis à la pétanque. Avec modestie, malgré les trophées. Habitué des voyages professionnels, il a même pris une licence de pétanque marocaine, “pour jouer le soir, à Marrakech”. Amoureux du “merveilleux boulodrome de la Corniche, face à la mer”, équipier fidèle, l’élu aux sports s’enthousiasme pour le National de pétanque organisé à Sète, depuis 2001, en mars, à l’initiative de l’AS’S Petanq’s (le 3e plus grand de France). “Cette année, nous avons accueilli 518 équipes sur 32 jeux couverts ! Nous commençons dès le matin pour améliorer les retombées économiques, et nous développons les équipes féminines. Un bonheur !”
LE TACTIQUE
“80 % du plaisir, c’est la convivialité”, “80 % de joueurs sont retraités”, “70 % du jeu, c’est de l’adresse”. S’il parle statistique, “Le Baron” maîtrise aussi la tactique. La base : contrarier le jeu adverse. “Si l’autre joue loin, il faut jouer court. Si l’autre joue près, tu jettes le bouchon plus loin. S’il fait glisser ses boules, tu l’envoies dans les pierres. S’il envoie haut en l’air, tu vas jouer sous les arbres.” Plus psychologique : “Face à un qui enchaîne les boules, tu joues tranquille, tu ralentis. Si tu le dévaries (déstabilise), il n’en marque plus une seule.”
Émilien, 24 ans, commercial
La pétanque, les soirs d’été - de mai à septembre -, “ça fait digérer”. Objectif principal selon Émilien : “engruner (faire rager) les collègues, surtout ceux qu’on connaît, par amitié. Avant de faire payer des coups à ceux qui ont perdu.” Méthode : la galéjade (2), le sport national sétois. “L’apéro, ça sera pour vous”, “tu vas embrasser Fanny”, “quand tu joues, il faut porter le casque”, “tu vas faire un trou” ,“il a le cerveau d’une palourde !” . Autre technique, plus mesquine : “Quand l’autre joue, tu tapes les boules entre elles, ou tu tapes des pieds pour le déconcentrer.” L’esplanade, c’est la cour de “récré” quand on a passé l’âge…
LE GALÉJEUR
Stéphane Giordano, 35 ans
LE COMPÉTITEUR Christian Fernandez, 56 ans, débroussailleur de la Ville de Sète
Ex-footballeur professionnel, Christian vibre avec la compétition. “La pétanque est un vrai sport d’adresse, palpitant. Tout est dans l’estomac : sur des boules importantes, il ne faut pas perdre ses moyens, malgré le monde autour. C’est la force des grands joueurs.” Alors Christian fait fi des clans locaux, et s’entraîne deux à trois après-midi par semaine, avant les compétitions du samedi. “J’aime m’affronter avec des gens d’ailleurs.” Bon esprit, malgré l’appât du gain pour certains : “en demi-finale, les quatre équipes se partagent l’argent à gagner. Ça fait 80 à 100€ par tête.”
Cet après-midi, il joue “les jeunes contre les vieux”. “Les vieux ont le sens de la galéjade (2), c’est un plaisir. La pétanque, c’est intergénérationnel !”, sourit Stéphane. Ouvrier de scierie sur le port, il vient se détendre l’été, à 18h, après le travail, et le week-end. “Sans bruit, sans les femmes, tranquille.” Stéphane joue avec son mètreruban à la ceinture, et crache dans ses mains avant de tirer, “pour que la boule accroche mieux à la main !”. Et au ping-pong l’hiver, même technique ?
LA JEUNE GÉNÉRATION La Gazette n° 274-275 - Du 5 juillet au 29 août 2012
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N° 273 - Juin 2012
SÈTE
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La Plagette entre blues et bien-être LÉGISLATIVES
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Pourquoi le FN va peser dans le bassin de Thau FRONTIGNAN
Les enfants s’essaient au roman noir
Sète Barcelone Tanger
TOUTES LES SORTIES DE JUIN
C’est parti ! Mieux qu’une innovation une
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enquête Lors de la dernière présidentielle, sur le bassin de Thau, plus d’un quart des votants ont choisi Marine Le Pen. Motivé contre l’Europe, l’immigration et l’insécurité, ce vote révélerait surtout la crispation identitaire péri-urbaine d’une population vieillissante et paupérisée. Explications.
Vote FN :
“D
pourquoi ici ?
ans la rue, maintenant, je me dis qu’une personne sur trois vote FN. Il doit y en avoir dans mon entourage, sans que je le sache…” Face à des scores de 24 à 31 % pour Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle sur le bassin de Thau (voir carte), chez les électeurs de gauche, c’est chair de poule et incompréhension (voir p. de droite). Pourquoi ici? Alors que les militants du Front national intellectualisent un engagement patriote (voir p. de droite), chez certains sympathisants, des explications lapidaires suffisent. Des nombreux “Vous avez qu’à regarder autour de vous, ils se croient chez eux!” à l’alcoolisé “Il y en a trop!”, dans un bar de Mèze. Certes, hormis l’exception de 2007, où Sarkozy avait chassé sur ses terres, les scores élevés du FN ne sont pas vraiment nouveaux (voir colonne). Mais ce vote change de teneur. Alors, sur le bassin de Thau, on vote FN… … pour sanctionner la gauche? Le score FN est resté “limité” à Sète (24 %) et Agde (27,6 %), villes UMP, alors que Frontignan (PS) ou Mèze (Verts) accusent des scores particulièrement élevés. Mais le politologue Emmanuel Négrier a compté: “Dans la région, il y a autant de communes de droite et de gauche (de plus de 3500 hab.) qui ont voté Le Pen à plus de 27 %.”
chez lui, selon le politologue Philippe Secondy. Le néo-Languedocien, lui, se sent aussi exclu de la vie sociale.” Car, même installé depuis 25 ans, il ne sera jamais “un vrai Mézois” ou “un vrai Sétois”. En pleine crise d’identité, tous deux vivent alors une crispation. Qui peut les mener à un sentiment de rejet… envers des cibles plus faciles, les immigrés. Mot qui revient statistiquement le plus souvent dans les paroles des électeurs FN. … sur un coup de tête? Le vote FN n’est ni “éruptif”, ni “inconséquent”. Selon un sondage Harris interactive, la moitié des électeurs s’étaient décidés dès le début de la campagne, contre 21 % en moyenne. Plus qu’une conviction idéologique, ces électeurs y trouvent des échos à leurs préoccupations, le FN touchant d’ailleurs un tiers des “apolitiques”. Dans l’Hérault, l’UMP et le PS attirent à peine 50 % des voix, le centre est faible. “Symptomatique d’un malaise, pour Emmanuel Négrier, ce vote confirme une mutation profonde de la société méridionale.” … parce qu’il y a trop d’immigrés? Malgré les revendications nauséabondes des “Français de souche” sur les forums Web locaux, France Jamet, conseillère régionale FN, dissipe “un malentendu”: “On est contre la politique d’immi-
… dans les petites ou dans les grandes villes? Pour la première fois, le score FN explose dans les zones péri-urbaines pavillonnaires de Mèze, Gigean, Mireval… dans la couronne de 30 à 50 km autour de Montpellier. Alors que dans les quartiers ghettoïsés ou les grandes villes habituées aux métissages, la peur régresse, le PS progresse. Les gens ont-ils changé d’idées? Non, ils ont déménagé! Là où loyers et prix du terrain sont plus accessibles. Avec un petit jardin et un grand mur, loin de l’inquiétante agitation des jeunes de la ville. Mais cet idéal peut devenir cauchemar: prix de l’énergie oblige, chauffage et trajets quotidiens reviennent cher. Peu conviviales, les rues désertes manquent de bars, de jardins d’enfants, de maisons de quartier. “On rentre chez soi, on ne se parle pas beaucoup, on ne se connaît pas”, confirme-t-on dans les lotissements de Mèze ou Marseillan. “Isolées, en perte de repères, ces personnes sont des proies faciles pour le discours populiste, analyse Emmanuel Négrier. Elles vivent individuellement des problèmes auxquels elles ne donnent pas de signification globale.” … chez les autochtones ou les néo? “Avec les arrivées massives de populations, l’autochtone, enraciné sur son territoire, ne se sent plus maître
4e circonscription
Vote FN
Moulès-et-Baucels Ganges Cazilhac
Laroque
Montoulieu
Agonès St-Bauzillede-Putois Sorbs Le Caylar
- de 22 % entre 22 et 27 %
Les Rives St-Félix de-l'Héras Romiguières
Ceilhes-et-Rocozels
Gorniès
Ferrièresles-Verreries
Le Cros
Pégairolles de-l'Escalette
St-Michel
St Maurice-Navacelles
St -Andréde-Buèges
Brissac
St-Jeande-Buèges
Pégairollesde-Buèges Causse de la Selle
Notre-Damede-Londres
Rouet
Claret
Lauret
Vacquières Sauteyrargues
Valflaunès
Garrigues Galargues Campagne St-Bauzillede-Montmel Buzignargues Ste-CroixJoncels de-Quintillargues Saussines St-Hilaire CazevieilleSt-JeanSt-Guilhem-le-Désert Les Plans Fozières de-Beauvoir Boisseron ViolsMontaud St-Privat de-Cuculles St-Jean en-Laval Viols Le Triadou de-Corniès Avène St-Sériès le-Fort Les Soumont Guzargues UsclasSt-Drézery Beaulieu Puéchabon Villetelle Arboras Matelles St-Christol du-Bosc Restinclières Saturargues St-VincentSt-JeanLe-Bousquet- Lunas OlmetSussargues de-Barbeyrargues Vérargues de-la- St-Saturnin d'Orb et-Villecun St-GenièsPrades Assas St-JeanMurles St-Gély Camplong Argelliers des-Mourgues le Lez Le Bosc Blaquièrede-Lupian de-Fos du-Fesc Lavalette St-GenièsLunel-Viel Graissessac Montpeyroux Castries St-Clémentde-Varensal Teyran Le Puech Aniane Castanet de-Rivière St Guiraud Valergues St-Gervais Jonquières Lagamas MontferrierCombaillaux le-Haut Lunel St-Brès sur-Mare Celles Vendargues Dio-et-Valquières Jacou sur-Lez St-EtienneSt Félix St-Just Lacoste Vailhauquès Baillargues Octon de Lodez Le Crès Clapiers Lansargues Taussac Estréchoux St -AndréGrabels la Billière La Tour-sur-Orb Brénas Mudaison Ceyras de-Sangonis La Boissière CastelnauLiausson St-NazaireMontarnaud Carlencasle-Lez St -Aunès Mérifons Cambon-etLe Pradal de-Pézan Clermont-l’Hérault Gignac et-Levas Popian Rosis St Georges Salvergues Brignac Candillargues VillemagneSt-PaulSalasc d'Orques Juvignac Pouzols Mourèze Villeneuvette l'Argentière et-Valmalle Murviel Marsillargues St-BauzilleLa SalvetatBédarieux Mauguio de-la-Sylve les Montpellier sur-Agout Combes Lamalou Valmascle Nébian Pézènes-les-Mines LieuranCanet Le Pouget Colombières- les Bains St Julien Cabrières St-Martinsur-Orb Le Poujol Pignan Lavérune Fraisse-sur-Agout Hérépian de-l'Arçon sur Orb Vendémian Faugères Cabrières Aumelas Tressan Cournonterral Fos Saussan St-JeanPéret St-VincentMons Pérols Lattes Puilacher de-Védas Les Aires Aspiran d'Olargues Caussinojouls Montesquieu BélargaPlaissan La Grande-Motte Prémian Cournonsec Vailhan Roquessels Olargues Fabrègues Vieussan Cabrerolles Fontès Campagnan Néfiès VilleneuveLe Soulié Montbazin Paulhan Adissan St-Pargoire St-Etiennelès-Maguelone d'Albagnan Laurens UsclasPalavas-les-Flots Mireval St-Nazaire Gabian Nizas d'Hérault de-Ladarez St-Pons CazoulsRoujan Fouzilhon Roquebrun Villeveyrac Caux d'Hérault de-Mauchiens Autignac Riols St-PonsBerlou LézignanGigean Courniou de-Thomières Margon FerrièrresPoussan la-Cèbe Vic-la-Gardiole CaussePoussarou Magalas Pouzolles et-Veyran Alignan St-GénièsMontagnac PradesPézenas du Vent Loupian de-Fontedit Balaruc-le-Vieux surAumes Cessenon VerreriesAbeilhan Puissalicon Vernazobre Bouzigues sur Orb de-Moussans Coulobres Balaruc-les-Bains Frontignan Murviel Puimisson BabeauTourbes Pardailhan les-Béziers Pailhès Bouldoux Espondeilhan FerralsMèze Castelnau-de-Guers Pierrerue Rieussec les-Montagnes Cazedarnes NézignanLieuranValros St Chinian Thézanles-Béziers l’Évêque Servian Pinet les-Béziers Cébazan Bassan St Jean-de-Minervois Assignan Boisset Florensac CazoulsCorneilhan Cassagnoles Vélieux les-Béziers St -Thibéry Pomérols LignanBoujanVillespassans sur-Orb Creissan sur-Libron Puisserguier Maraussan La Caunette Minerve Quarante Félines-Minervois Marseillan Bessan Cruzy Maureilhan AiguesMontblanc Vives Agel Montouliers Montady Siran Cesseras Aigne Cers Capestang Azillanet La Livinière VilleneuveColombiers lès-Béziers Vias Agde Beaufort Poilhes Portiragnes Sauvian Montels Olonzac Oupia NissanSérignan lez-Ensérune
+ de 27 %
Roqueredonde
Lauroux
St-Pierre La-Vacquerie de-la-Fage et-St-Martinde-Castri Soubès St-Etienne Poujol de-Gourgas
St-Martinde-Londres
Masde-Londres
Fontanès
St-Mathieude -Tréviers
Lodève
Montpellier
8e circonscription
Sète
Béziers
Lespignan
Vendres Valras-Plage
7e circonscription
• 22 % est le vote moyen dans l’Hérault • 27 % est le score approximatif que doit atteindre le FN pour espérer se maintenir au second tour (voir p. 14).
Le “Midi rouge” confirme son virage au “Bleu marine”, notamment autour du bassin de Thau et dans le biterrois. L’Hérault hors-Montpellier affiche 24,2 % des votes pour Marine Le Pen à la présidentielle - contre 17,9 % en France. Pas grand’chose à “envier” au Gard, où la présidente du FN est arrivée première avec 25,5 %.
La Gazette n° 273 - Du 31 mai au 4 juillet 2012
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! FN
réalisé par Raquel Hadida / photos Raquel Hadida / Infographie Philippe Crespy /
Visite de Marine Le Pen à Sète, en mars 2012. À gauche, militante anti-racisme. À droite, réunion avec les patrons-pêcheurs en colère (ici, Pierre d’Acunto), “C’est pas euro-compatible”, on veut plus l’entendre, ce mot !”. En rouge, France Jamet, candidate FN sur la circonscription de Sète-Agde.
gration, pas contre les immigrés ! Les discours xénophobes ou antisémites sont exclus.” Autour de Thau, moins de 5 % de la population est étrangère, et l’essentiel des migrants provient… du nord de la France, sinon d’Espagne, à égalité avec le Maroc. Néanmoins, les rapatriés d’Algérie comme les immigrés des années 5060, eux-mêmes accueillis par des insultes - “sale pied-noir”, “macaroni” -, ont tendance à répercuter ce rejet sur la dernière vague d’immigration, qui “ne fait pas assez d’efforts pour s’intégrer”. … parce que l’insécurité devient insupportable? La région est classée rouge en France, et les “incivilités” persistent, mais, de l’avis des habitants, “le bassin de Thau n’est pas Chicago”. Selon Emmanuel Négrier, “les médias regorgent de faits divers qui créent l’émotion. Mais des analyses chiffrées (voir colonne) révèlent que notre société est de moins en moins violente sur les biens et personnes. “Il ne s’agit pas d’insécurité, mais de sentiment d’insécurité.” Que les partisans du FN étayent par des cas isolés, mais marquants: des “poursuites en bandes” ou un “jeune homme égorgé en 1994” à Mèze, une “intimidation avec des barres de fer”, “toutes les maisons cambriolées à Balaruc”… … dans les milieux populaires? “Le peuple s’invite à la table des élites”, dixit Marine Le Pen. Mais, selon Emmanuel Négrier, “le vote FN n’est ni riche ni pauvre”. Il atteint des sommets dans les quartiers et les communes de classe moyenne, où les propriétaires sont majoritaires. “Ces gens vivent l’angoisse du déclassement, la peur de perdre leur patrimoine, d’être envahis par les problèmes, comme au Barrou à Sète.” Pour le sociologue Michel Crespy, en revanche, “la carte du FN se calque sur celle du RSA”. Ici, on gagne 200€ de moins par mois qu’ailleurs en France, un quart des familles sont monoparentales: “On a tous les indices d’une population paupérisée, sensible au discours FN.” (voir colonne). … à cause de la crise? Le chômage atteint plus de 15 % dans le bassin. Quand la crise dure depuis 40 ans, elle crée peurs et frustrations. Peur de perdre leur travail pour les actifs, qui font l’amalgame avec l’immigration: “Si mon patron emploie des Tunisiens ou des Polonais à bas prix, je perds mon boulot!” Sentiment d’injustice pour les chômeurs, stigmatisés par le discours sarkozyste du “vrai travail”. Un sur quatre vote FN. … par mentalité? “Normal, les gens ne sortent pas de chez eux”, critiquent les néo-Languedociens. Peu renouvelée, peu mobile, vieillissante, au contraire de Montpellier, la population se forge une mentalité conservatrice, télé aidant. Mentalité qui s’accentue chez les 20 % de nondiplômés, dont 25 % votent FN… contre 5 % des étudiants. “Trouver un bouc émissaire, c’est facile à comprendre”, dénonce Michel Crespy. Et encore, une aide à domicile de 26 ans l’avoue: “Je comprends rien à la politique, alors je vote FN comme mes parents.” … contre l’Europe ? Dans la droite ligne du poujadisme (voir colonne), 30 % des petits commerçants, artisans et entrepreneurs individuels, nombreux ici, votent FN: hostiles à la lourde fiscalité de l’État-providence, pire, à une Europe qui crée une concurrence déloyale, ils rêvent aussi d’ordre, favorable aux affaires. Au cœur de l’identité du territoire, les pêcheurs, conchyliculteurs et viticulteurs, eux, sont touchés de plein fouet par la politique européenne, qu’ils jugent contraignante et absurde - payant la fabrication d’un navire, puis sa destruction. ■
!LE FN, IMPLANTÉ DANS LA RÉGION
D’un bord à
- Alain Jamet, crée une des premières fédérations FN dans l’Hérault et participe à la fondation du parti en 1972. - Christian Poucet, dirige à Montpellier le comité national de défense des commerçants et des artisans (CDCA), poujadiste, créé en 1985 et dont la moitié des adhérents sont proches du FN. Il en sera le secrétaire national puis européen, avant son assassinat en 2001. - Jean-Claude Martinez, Sétois et ex-RPR, devient viceprésident du FN et “tête pensante” de Jean-Marie Le Pen en 1986, alors qu’il est élu député dans l’Hérault. Municipales de Nîmes en 1995: 15 %. Législatives en 2002 sur Sète-Agde: 20 %, accès au second tour. En 2007: 7,4 %. - Louis Aliot: en 2005, ce Perpignanais devient secrétaire général du FN puis compagnon de Marine Le Pen. Il crée son think-tank, le club Idées nation.
• FN dédiabolisé, militants encore complexés
• Les têtes pensantes
• Les dates
- 1986 : Le FN entre au conseil régional du LanguedocRoussillon, sous la présidence de Jacques Blanc (UDF). - 1989 : 1er maire FN de France élu à Saint-Gilles, en PetiteCamargue (30). - 2010 : 10 conseillers régionaux FN, dont France Jamet, Guillaume Vouzellaud et Louis Aliot.
• Bassin de Thau: une population sensible
- 15,4 % de chômage contre 9,8 % en France. Bassins d’Agde et de Sète aux 5e et 8e places de France. - Près de 35 % de retraités (contre 22,6 % à Montpellier). - RSA: 87 bénéficiaires pour mille personnes de 25 à 64 ans dans l’Hérault (France: 54). - 1257€ nets/mois/pers.: niveau de vie à Sète, contre 1530€ en France. - Sans aucun diplôme: 21 %, contre 16 % à Montpellier. - Familles monoparentales: 23 % en LR contre 19,9 % en France - Entreprises artisanales (moins de 10 salariés): 43 % des salariés (contre 33 % en L.-R.). - Foyers non-imposables: 52 %. - Néo-Languedociens: 10 % de la population. Chiffres de l’INSEE, datés de 2008 à 2011.
• En savoir plus
• Sécurité: L’invention de la violence: des peurs, des chiffres, des faits (ed. Fayard, 2011), de Laurent Mucchielli, sociologue au CNRS. • Géographie politique: La Fracture française (ed. Bourin, 2010), de Christophe Guilluy, ayant inspiré tous les candidats à la présidentielle.
l’autre
Pourquoi vote-t-on FN, que ressentez-vous ? La Gazette pose la question aux femmes immigrées, écume les bars et les lotissements autour du bassin de Thau, avant de pousser la porte du nouveau local de campagne du “Rassemblement Bleu Marine”. Réactions. Pour la première fois, le Front national développe un ancrage local. Sur la 7e circonscription, la candidate aux législatives France Jamet implante deux QG de campagne, l’un au Cap-d’Agde, l’autre quai François-Maillol à Sète. Pour l’inauguration, le 18 mai, un étonnant mélange de retraitées pomponnées, de quinquas populaires et de jeunes mamans volontaires, venus de Mèze, Pomerols, Poussan… France Jamet l’assure: “On a gagné un électorat tout neuf. Les adhésions se sont multipliées par cinq en moins de deux ans.” Sa directrice de campagne, Morgan Vivot, parle de 400 adhérents, 50 militants actifs, un maillage territorial serré, et des jeunes motivés: “Plus ça va, plus on en a.” Un effet “Marine Le Pen”, l’”atout incontestable”, qui relooke le FN. “Je n’ai entendu aucun propos de haine de sa part, explique Josette, T-shirt fleuri et origines métissées. Je suis patriote, je refuse de voir ce pays anéanti dans la mondialisation ou les communautarismes.” Pour le politologue Philippe Secondy, cette dédiabolisation suit une tendance historique: “L’extrême droite a été exclue de la droite parlementaire depuis la Libération. Mais ici, dès 1986, l’UMP a intégré le FN à l’exécutif régional, contribuant à le rendre respectable. Aujourd’hui, on franchit une nouvelle étape.” Le vote FN s’est-il pour autant décomplexé? Pour les militants, hors de question d’être identifiés. Dans la rue, encore moins. Plutôt que d’”avouer” voter FN, on préfère lancer, comme Thierry*, 25 ans, “Je m’en fous de la politique. Mais le FN, c’est parce qu’ils (les immigrés, NDLR) gagnent 20 000 € à rien faire sur un banc pendant que moi, je travaille, je paye les charges et les taxes. Et marre de payer pour les politiques, qui se promènent avec un tas de flics, qui taxent les clopes 2€ plus chères qu’en Espagne.” Pour le collage d’affiches, les militants préfèrent la nuit, “sinon on risque des accrochages. Se faire bombarder d’œufs du 3e étage, ou se faire traiter de “vilaine”… Ainsi, Josette*, présidente d’association à Poussan, préfère militer à Sète. Craignant pour son image, Estelle*, licenciée en lettres, et naturalisée, reste discrète: “Si je dis que je vote FN, on va croire que je ne suis pas ouverte, ou que je n’ai pas de cœur. Ce n’est pas vrai!”
• “Ni chaud, ni froid” pour les immigrés
“Ah, Marine Le Pen ? Elle veut débarrasser tout!”, rient les dames voilées. Occupées à recopier les noms des présidents français, dans l’atelier de l’association Concerthau, à l’Île-de-Thau, à Sète, ces Algériennes et Marocaines semblent peu se soucier du vote FN environnant. Seule peur: “Être renvoyées chez nous”, après une vie de travail pour leur mari. Les exactions des extrémistes, en re-
vanche, les font bondir : “Merah, c’est pas nous! Tuer, c’est pas musulman…” Si la majorité des immigrés a voté Hollande, cette honte entraînerait des immigrés de 2e ou 3e génération à voter FN en cachette, selon… le FN. L’”assistanat” des allocations, tant décrié? Selon les bénévoles de Concerthau, “cet argent sert à financer l’intégration, surtout des filles. Zorah a six enfants qui réussissent, passent le bac ES, vont à l’université…” Et selon l’économiste Xavier Chojnicki, l’immigration rapporte en fait 3,9 milliards d’euros à l’État, du fait des moindres dépenses de santé et de retraites. La peur du “foulard” qui envahit la France”? Pour Carine*, Frontignanaise voilée de 32 ans, convertie à l’islam, “on les voit plus, parce que les femmes… sortent plus! Les jeunes s’ouvrent, mais c’est vécu comme une menace. Alors qu’à l’étranger, les Français expatriés vivent entre eux, avec saucisson et viennoiseries, sans faire l’effort de parler l’arabe. Ça gêne qui?” Au Barrou, Ismaël*, Sétois d’origine algérienne, côtoie des électeurs du FN: “Ils me disent: “Toi ça va, mais c’est une minorité qui te donne mauvaise image.” Je préfère ceux qui parlent, avec qui échanger : ce sont des bons gars influencés par les médias, pas des racistes. Au fond, ils sont contents de venir manger le couscous! D’autres sont hypocrites, ils disent bonjour mais tournent la tête. Tu te sens visé, tu le ressens.”
• Consternation à gauche: “une question de culture”
“Est-on entouré de racistes et de crétins?” ,“Notre premier réflexe, c’est d’avoir envie de partir…”, “Pourtant, c’est super-tranquille!”,“J’aimerais vraiment comprendre…“ Chez les électeurs de gauche, le score local du FN crée la stupeur. Mêlée à une tristesse et à du dégoût. Avant de se risquer à des hypothèses. Côté mixité sociale et éducation: “Dans les villages, les gens ont des tonnes d’a priori parce qu’ils ne fréquentent pas les immigrés. Alors qu’à Paris, tout le monde à l’habitude : dans le RER, ça ne pose aucun problème !” Ismaël raconte : “Petit, à la MJC à l’Île-de-Thau, on se mélangeait entre immigrés et Français. Aujourd’hui, il n’y a ni fêtes ni terrain de foot pour que les enfants se rencontrent.” Pour Marie*, 54 ans, à Mèze, “les personnes âgées gobent de la télé toute la journée. Et les gens ont la mémoire courte: ils oublient la guerre, ils oublient qu’on s’est servi des Arabes pour les boulots dont personne ne voulait. Même les jeunes manquent de culture: à la banque, certains sont incapable d’écrire “Lu et approuvé”. On a laissé tomber l’éducation pour le fric…” * Les prénoms ont été changés. La Gazette n° 273 - Du 31 mai au 4 juillet 2012
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enquête Avec une refonte de la carte électorale, le bassin de Thau devra élire trois députés les 10 et 17 juin. Tout est possible. Décryptage d’un scrutin sur lequel le vote FN va peser.
Législatives :
T
on rebat les cartes ! riangulaire ou pas ? Avec des scores de 24 à 31 % sur le bassin de Thau au premier tour de la présidentielle, le Front national - pardon, le Rassemblement Bleu Marine -, pourrait transformer l’essai aux législatives. Et, à l’inverse des élections de 2007, s’inviter au second tour le 17 juin, en arbitre entre l’UMP et le PS, quasi partout dans l’Hérault. Théoriquement du moins. À deux mois d’intervalle avec la présidentielle, le calcul paraît efficace, mais ne prend pas en compte les ingrédients qui pimentent la cuisine électorale locale. Ainsi, selon le sociologue politique Michel Crespy, “la triangulaire est certaine dans la 6e circonscription, à Béziers, et très possible dans la 7e, de Sète-Agde. Ailleurs, on aura sans doute un affrontement classique UMP-PS. Peut-être des percées du Front de gauche et de Jean-Louis Roumégas (EELV) à Montpellier (1re et 2e). En revanche, il n’y a aucun risque de duel UMP-FN”. Alors, sur les trois nouvelles circonscriptions du bassin de Thau (voir p. de droite), qu’est-ce qui peut faire bouger les rangs?
• Le “décrochage local” du FN
Le vote FN devra faire face à une double baisse: le nombre de voix du FN et le nombre d’électeurs. Du nationale au local, le FN perd des voix, 30 % en moyenne: “On peut se défouler contre le système en national, sans vouloir s’infliger le FN par “son” député local”, explique le politologue Emmanuel Négrier… Et la participation aux législatives se montre usuellement moindre, 60 %, contre 80 % aux présidentielles. Or, pour subsister au second tour, un candidat doit obtenir 12,5 % des voix des inscrits (voir p. 12),
donc “démarrer” avec 25 % minimum à la présidentielle. Au FN, France Jamet est confiante: “La 7e est prenable. Aux dernières cantonales à Sète, j’avais loupé la triangulaire de 130 voix.” Gilles d’Ettore, le sortant UMP, espère, lui, conjurer le sort: “En politique, rien n’est inéluctable. Et je continuerai à me battre contre les triangulaires, qui affaiblissent la démocratie: pour être légitime, un candidat devrait pouvoir recueillir la majorité des voix.”
• La prime aux notables
Ancrés par des mandats en collectivités, les “notables” ont déjà leur clientèle électorale. Comme les maires d’Agde et son suppléant maire de Sète pour l’UMP, sur la 7e. Ils se mesureront à une des cadres majeurs du FN régional, France Jamet, fille d’Alain Jamet, un des fondateurs du FN, et compagne de Guillaume Vouzellaud, candidat sur Béziers (6e) - une situation comme calquée sur le FN national. Si la gauche s’appuie sur des élus sétois incontournables, André Lubrano (PS) et François Liberti (FG), ceux-ci passent désormais la main pour présenter des candidats “vierges”: Sébastien Denaja, 33 ans, plus jeune candidat PS de la région, Christian Assaf (PS), et Sébastien Andral (FG). Manque d’expérience ou vent de fraîcheur?
• La vaguelette rose
La législative voit en général arriver une vague favorable à la majorité présidentielle. Mais sans Montpellier, François Hollande n’aurait recueilli que 48,8 % des voix dans l’Hérault. La vague serait donc vaguelette. À moins que l’électorat
UMP, démobilisé par la bataille perdue, ne se laisse massivement tenter par l’abstention.
• L’union de la gauche
Stratégique, notamment sur Sète-Agde (7e), où le Parti communiste conserve une audience importante. Pour sa première candidature, Sébastien Denaja (PS) a d’ailleurs échappé de peu au sacrifice sur l’autel des accords nationaux Front de gauche-PS, et se fait soutenir par le MoDem local. En revanche, sur la 8e, le candidat Michel Passet (FG) est contesté par ses militants pour ses positions jugées incohérentes au conseil municipal de Montpellier.
• La frontière entre l’UMP et le FN
Entre le 1er et le 2d tour de la présidentielle, quatre électeurs de Marine Le Pen sur cinq se sont reconnus dans la candidature de Nicolas Sarkozy. Sur le littoral, du moins, à l’inverse des communes rurales, où ces électeurs ont opté pour le PS. Ainsi, dans un contexte de “droitisation du discours UMP”, démarrée en 2007 et accentuée dans l’entre-deux tours, “la frontière entre le FN et une partie de l’UMP devient poreuse”, selon le politologue Philippe Secondy. Mais dans la région, contrairement à la Côte d’Azur, les relations UMP-FN sont mauvaises”. Alors, pour le second tour des législatives, alliances ou pas? Hors de question pour les candidats de SèteAgde. France Jamet (FN) fait de Gilles d’Ettore (UMP) sa bête noire: “On ne pourra pas s’entendre, on n’a pas du tout les mêmes valeurs. Ces roitelets veulent bien de nos voix, mais ils veulent pas de nos gueules.” L’UMP, lui, s’insurge: “dès qu’on prononce le mot “immigré”, ça passe pour de la droitisation, vu que le FN en a fait son étendard. Non! Il faut dégonfler ce débat faussé où l’immigré devient le bouc émissaire. Plus du quart de la population s’est exprimé: retroussons-nous les manches pour lui redonner confiance dans le système républicain. Par exemple en mutualisant les moyens de sécurité entre communes, en dynamisant l’économie.”
• Une dissidence d’extrême-droite
Jean-Claude Martinez, le retour. Sur la circonscription au nord de Mèze (4e), l’outsider débarque à l’extrême-droite, concurrençant le candidat officiel du FN. Très implanté localement, ce Sétois a été tête pensante et vice-président du Front national pendant 25 ans, avant d’en être exclu en 2008. Aux législatives de 2002 sur le bassin de Thau, il avait réuni 20 % des suffrages, se qualifiant pour le second tour.
• Le poids de l’actualité
“Le vote est émotif, affectif, instantané, il va réagir aux premières mesures de François Hollande, à d’éventuels événements d’avant-scrutin”, prévoit Michel Crespy. Les enjeux locaux compteront aussi: la défense des salariés de Larosa à Sète (voir p.7),le projet de centre commercial à l’entrée de Pézenas, l’exploration du “gaz de schiste” sur le permis “plaine du Languedoc”… ■ La Gazette n° 273 - Du 31 mai au 4 juillet 2012
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! VOTE
réalisé par Raquel Hadida / photos Raquel Hadida, Service communication de la Ville d'Agde, Guillaume Bonnefont / Infographie Philippe Crespy /
Robert Lecou, UMP (4e), député sortant.
Gilles d’Ettore, UMP (7e), député sortant.
Arnaud Julien, UMP (8e), candidat.
Christian Assaf, (8e), Sébastien Denaja, (7e) et Frédéric Roig, (4e) : les trois candidats PS décident d’unir leurs forces dans un “Pacte de Thau”.
Bassin de Thau: 41 candidats, pour 3 circonscriptions Élections législatives des 10 et 17 juin : voici les candidats parmi lesquels vous devrez choisir votre député.
4e circonscription • Mèze, Bouzigues, Loupian, Gigean, Poussan, Villeveyrac, Montbazin, jusqu’au Caylar, Ganges, Aniane, Lodève, Saint-Martin-de-Londres… • Présidentielle 2012. Premier tour FN = 22,1 %, 3e. Second tour : François Hollande = 52,4 %. • Député sortant (hors canton de Mèze) : Robert Lecou (UMP). • 16 candidats.
• Une carte “charcutée”
de la Communauté de communes du nord du bassin de Thau et de Génération écologie. - Ernest Comunale (Cap 21) - Bertrand Duculty (La France en action)
Centre et non classés
- Philippe Brun (Parti chrétien démocrate) - Hadj Madani (Le Centre pour la France) - Marie-José Metzger (Union républicaine populaire)
Gauche
Droite
- Maria-Antonieta Araya (Lutte ouvrière) - Valérie Cabanne (NPA) - Yvan Garcia (PCF-Front de gauche) - Pierre Guiraud, alias Pierrot le Zygo (sans étiquette, ”coluchiste”) - Frédéric Roig (PS) - vice-président du Département
- Robert Lecou (UMP), député sortant - Anne Andireux (Debout la République) - Christian Clausier (FN) - Jean-Claude Martinez (extrême-droite) • Pronostic Dans cette circonscription à la géographie étrange, le centre-Hérault pèsera plus que le bassin de Thau. Au second tour, la triangulaire avec le FN semble moins probable qu’un duel UMP-PS, la balance penchant légèrement vers Frédéric Roig (PS), originaire du Caylar.
Écologie
- Nadja Flank (Europe écologie-les Verts) - Yves Piétrasanta (Parti radical de gauche), président
Moulès-et-Baucels Ganges
4e circonscription
Cazilhac
Laroque
Montoulieu
2 circonscription e
Agonès St-Bauzillede-Putois Sorbs Le Caylar Les Rives
Romiguières
Ceilhes-et-Rocozels
Lauroux
5e circonscription
Cambon-etSalvergues
St Julien St-Vincentd'Olargues
Prémian
Courniou
Ferralsles-Montagnes
La Livinière
Pardailhan Rieussec
St Jean-de-Minervois Assignan
Vélieux
Minerve
Siran
FerrièrresPoussarou
BabeauBouldoux St Chinian
Boisset
Félines-Minervois
Vieussan
Berlou
Cesseras
Villespassans La Caunette AiguesVives Agel
Azillanet
Aigne
Cruzy Montouliers
Pierrerue
Oupia
St-Génièsde-Fontedit
Cazoulsles-Béziers
Lieuranles-Béziers Bassan
Thézanles-Béziers
Fontès
Claret
Lauret
Rouet
Vacquières Sauteyrargues
3e circonscription
Valflaunès
Masde-Londres
St-Martinde-Londres
Campagnan Paulhan Adissan St-Pargoire Usclasd'Hérault St-Pons Cazoulsd'Hérault de-Mauchiens Lézignanla-Cèbe
Valros
Pézenas
Fontanès
St-Mathieude -Tréviers
Béziers
Montblanc
Cers Villeneuvelès-Béziers
Colombiers Poilhes
Sauvian
Fabrègues
Portiragnes
Florensac
Pinet Pomérols
Gigean
Agde
Vic-la-Gardiole
Palavas-les-Flots
9e circonscription
1 circonscription re
Balaruc-le-Vieux Balaruc-les-Bains Frontignan
8e circonscription
Mèze
Sète
Marseillan
Bessan
Vias
Poussan Loupian Bouzigues
Castelnau-de-Guers
La Grande-Motte
Villeneuvelès-Maguelone
Mireval Villeveyrac
Montagnac
Aumes
Nézignanl’Évêque St -Thibéry
Boujansur-Libron
Montady
Nissanlez-Ensérune
Servian
Cournonsec Montbazin
Nizas Caux
Corneilhan
Maureilhan
Montels
Roujan
Margon Magalas Pouzolles Alignan du Vent Abeilhan Puissalicon Coulobres Tourbes Espondeilhan
Lignansur-Orb Maraussan
Puisserguier
Capestang
BélargaPlaissan
Murviel Puimisson les-Béziers Pailhès
Cazedarnes
Creissan
Gabian Fouzilhon
Autignac
Causseet-Veyran
Cébazan
Quarante
Laurens
St-Nazaire de-Ladarez
Cessenon sur Orb
Beaufort Olonzac
Pégairollesde-Buèges Causse de la Selle
St-Pierre La-Vacquerie de-la-Fage et-St-Martinde-Castri Soubès St-Etienne Poujol de-Gourgas
Montesquieu Vailhan Roquessels Néfiès
Cabrerolles
Roquebrun
PradessurVernazobre
Verreriesde-Moussans
Cassagnoles
Olargues
Riols
Notre-Damede-Londres
Lodève
Caussinojouls
St-Etienned'Albagnan St-Ponsde-Thomières
Pégairolles de-l'Escalette
Montpellier
La Salvetatsur-Agout
Le Soulié
Ferrièresles-Verreries
Brissac
St -Andréde-Buèges St-Jeande-Buèges
St Maurice-Navacelles
St-Michel
Garrigues Galargues Campagne St-Bauzillede-Montmel Buzignargues Ste-CroixJoncels de-Quintillargues Saussines St-Hilaire CazevieilleSt-JeanSt-Guilhem-le-Désert Les Plans Fozières de-Beauvoir Boisseron ViolsMontaud St-Privat de-Cuculles St-Jean en-Laval Viols Le Triadou de-Corniès Avène St-Sériès le-Fort Les Soumont Guzargues UsclasSt-Drézery Beaulieu Puéchabon Villetelle Arboras Matelles St-Christol du-Bosc Restinclières Saturargues St-VincentLe-Bousquet- Lunas St-JeanOlmetSussargues de-Barbeyrargues Vérargues d'Orb de-la- St-Saturnin et-Villecun St-GenièsPrades Assas St-JeanMurles St-Gély Camplong Argelliers des-Mourgues le Lez Le Bosc Blaquièrede-Lupian de-Fos du-Fesc Lavalette St-GenièsLunel-Viel Graissessac Montpeyroux Castries St-Clémentde-Varensal Teyran Le Puech Aniane Castanet de-Rivière St Guiraud Valergues St-Gervais Jonquières Lagamas MontferrierCombaillaux le-Haut Lunel St-Brès sur-Mare Celles Vendargues Dio-et-Valquières Jacou sur-Lez St-EtienneSt Félix St-Just Lacoste Vailhauquès Baillargues Octon de Lodez Le Crès Clapiers Lansargues Taussac Estréchoux St -AndréGrabels La Tour-sur-Orb la Billière Brénas Mudaison Ceyras de-Sangonis La Boissière CastelnauLiausson St-NazaireMontarnaud Carlencasle-Lez St -Aunès Mérifons Le Pradal de-Pézan Clermont-l’Hérault et-Levas Gignac Popian Rosis St Georges Brignac Candillargues VillemagneSt-PaulSalasc d'Orques Juvignac Pouzols Mourèze Villeneuvette l'Argentière et-Valmalle Murviel Marsillargues St-BauzilleBédarieux Mauguio de-la-Sylve les Montpellier Combes Lamalou Valmascle Nébian Pézènes-les-Mines LieuranCanet Le Pouget Colombières- les Bains Cabrières St-Martinsur-Orb Le Poujol Pignan Lavérune Hérépian de-l'Arçon sur Orb Vendémian Faugères Cabrières Aumelas Tressan Cournonterral Fos Saussan St-JeanMons Péret Pérols Lattes Puilacher de-Védas Les Aires Aspiran Roqueredonde
Fraisse-sur-Agout
Gorniès
Le Cros
St-Félix de-l'Héras
Circonscriptions législatives
L’Hérault a été redécoupé en 2010 pour “gagner” deux circonscriptions, comme en Haute-Garonne et en Seine-et-Marne, afin de faire face à l’accroissement de population. Ainsi Frontignan, Balaruc et Mèze ont quitté une 7e circonscription, qui englobait le bassin de Thau, pour rejoindre la 8e et la 4e. Cette dernière court ainsi du bassin de Thau… au Larzac ! Pour compenser, la 7e a intégré Florensac, Servian et Pézenas. Selon les politologues, le PS et le FN, ce “charcutage” crée une circonscription taillée sur mesure pour Gilles d’Ettore, d’où les communes qui pourraient lui nuire ont été ôtées, et favorise nettement l’UMP. Pour Gilles d’Ettore, non seulement le redécoupage est technique - selon les populations respectives -, mais positif pour le territoire : “C’est formidable : on aura trois députés pour défendre le bassin de Thau et renforcer notre écoute !”
C
• Le bilan du sortant
“Être député consiste à voter la loi, pas à serrer des paluches sur le quai” : pour contrer Gilles d’Ettore (UMP), sortant sur l’ex-circonscription du bassin de Thau, France Jamet (FN) dénonce son manque de sérieux, avec un classement de 533e député sur 577 (www.nosdeputes.fr). Non officiel et non pertinent, selon l’Assemblée nationale, ce palmarès intègre l’activité des députés par rapport à leurs interventions en séance et en commission, et leur nombre de propositions déposées et présentés. Le site Web de Marianne, lui, le note 6,5/20, et le classe dans la bonne moitié, peu de députés obtenant la moyenne. Gilles d’Ettore s’explique : “Je n’ai pas à rougir de mon action sur Paris. Je ne fais pas dans le verbe. En revanche, qui comptabilise quand je vais dans un ministère et à Bruxelles pour défendre les intérêts des pêcheurs, des acteurs du tourisme, le développement de l’hôpital de Sète, quand j’obtiens une gendarmerie pour Marseillan ?”
C
7e circonscription
Sérignan Lespignan
Vendres
6e circonscription
Valras-Plage
7e circonscription 8e circonscription • Sète, Marseillan, Agde, Pézenas, Florensac, Servian… • Présidentielle 2012. Premier tour FN = 26,2 %, 2e, à mille voix près, Front de gauche = 12,8 %. Second tour : Nicolas Sarkozy = 53,5 % • Député sortant : Gilles d’Ettore (UMP) • 12 candidats
Gauche
- Brigitte Moulin (Lutte ouvrière) - Sébastien Andral (PCF- Front de gauche) - Sébastien Denaja (PS) - Marie Pince (Parti occitan)
• Frontignan, Balaruc-le-Vieux, Balaruc-les-Bains, Vic-laGardiole, Mireval, Fabrègues, Pignan, Grabels, Juvignac… • Présidentielle 2012. Premier tour FN = 23,1 %, 3e. Second tour : François Hollande = 51,7 %. • Députés sortants : Gilles d’Ettore (UMP) pour Frontignan, Robert Lecou (UMP) pour Pignan, et André Vézinhet (PS) pour Grabels et Juvignac. • 13 candidats
Gauche
Centre et non classés
- Michel Didier (Lutte ouvrière) - Philippe Thinès (Parti radical de gauche) - Michel Passet (PCF-Front de gauche) - Christian Assaf (PS) - Fabrice Tavera (Parti pirate)
Droite
Les partis peu connus
Écologie
- Olivier Goudou (Cap 21) - Adeline Bérard (La France en action) - Serge Jené (Alliance centriste) - Carmello Martelli (Solidarité et progrès) - Valérie Paringaux (Union républicaine populaire) - Michel Colas (Debout la République) - Gilles d’Ettore (UMP), maire d’Agde - France Jamet (Front national) • Pronostic Au second tour, la triangulaire avec le FN est fort probable. Le sortant, Gilles d’Ettore (UMP), est favori, mais la triangulaire pourrait néanmoins faire basculer la circonscription à gauche. Avec Sébastien Denaja (PS), soutenu par un Front de gauche particulièrement légitime ici.
Écologie
- Sophie Bietrix (Solidarité, écologie, gauche alternative) - François Baraize (Europe écologie-les Verts) - Dominique Siccardi (La France en action)
Centre et non classés
- Philippe Rosengarten (Union républicaine populaire) - Sylvain Pérea (Solidarité et progrès)
Droite
- Arnaud Julien (UMP) - Anne Arnaudon (Debout la République) - Alexandra Poucet (Front national) • Pronostic Le second tour devrait voir s’affronter la nouvelle génération, avec deux quarantenaires, Arnaud Julien (UMP) et Christian Assaf (PS). À moins d’une très hypothétique triangulaire avec le FN, les jeux restent très ouverts.
CParti pirate : Parti citoyen à succès en Suède et en Allemagne qui prône “la démocratie 3.0”, le libre accès à tous et leur partage de la production culturelle et de l’information, la lutte contre le fichage, la transparence de la vie politique. Première campagne nationale. www.parti pirate.org CLa France en action : ex-Alliance écologiste indépendante, parti fondé par Jean-Marc Governatori, qui prône “le bien-être durable pour tous”. www.lafranceenaction.com CSolidarité et progrès : parti fondé par Jacques Cheminade, pour la refonte du système financier global. www.solidariteetprogres.org CUnion républicaine populaire : parti gaulliste fondé en 2007 par Christian Jeanjean, maire de Palavas-les-flots, présidé par François Asselineau. Pour la sortie de l’Union européenne. www.u-p-r.fr La Gazette n° 273 - Du 31 mai au 4 juillet 2012
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enquête
réalisé par Cécile Guyez et Raquel Hadida / Photo Céline Escolano /
La campagne pour les législatives est ouverte depuis le 21 mai. Les dépenses sont plafonnées à 38 000 €, plus 0,15 € par habitant, et peuvent être partiellement remboursées par l’État, si le candidat obtient plus de 5 % au 1er tour. Les partis représentés à l’Assemblée nationale disposent de 3h d’émissions de campagne à la télé et à la radio. Les autres, s’ils présentent plus de 75 candidats, peuvent bénéficier de 7 minutes.
Le vote
• Quand voter ? Les dimanches 10 et 17 juin.
Législatives, mode d’emploi Les 10 et 17 juin, nous choisirons un député pour nous représenter à l’Assemblée nationale. Toutes les clés pour comprendre le rôle d’un député et le fonctionnement de ces élections… avant d’aller voter. À quoi sert un député? • Quels intérêts défend-il? Le député est élu dans
une circonscription, mais représente la nation entière: il doit donc agir au nom de l’intérêt général - ni celui d’un parti, d’un groupe d’intérêt ou d’une région. Si 20 députés ont les mêmes opinions politiques, ils peuvent constituer un groupe à l’Assemblée.
• À l’Assemblée nationale:
- Il vote la loi (environ 100 par an) et des amendements, et peut faire des propositions de loi (à titre individuel ou de son groupe). - Il contrôle l’action du gouvernement via les questions au gouvernement (sollicitation directe des ministres par oral ou par écrit). - Au sein de commissions permanentes, il élabore des missions et réalise des rapports d’information sur des sujets précis (prix de l’eau, par exemple), réalise des rapports au sein d’une commission d’enquête (sur la gestion d’un service public par exemple).
• Dans sa circonscription:
- Il participe aux manifestations, résout les problèmes des habitants auprès des administrations, en fait écho à l’Assemblée pour critiquer et faire progresser la législation. - Interlocuteur privilégié des maires, des services de l’État, des milieux socioprofessionnels et des associations, il porte aussi la responsabilité de son développement économique, social et culturel.
• Comment contacter son député?
- En prenant rendez-vous avec sa permanence. - Par courrier à: Nom du député, Assemblée nationale, 126 rue de l’Université, 75355 Paris 07 SP. - Par mail: première lettre du prénom, accolée au nom@assemblee-nationale.fr (ex: gdettore@assemblee-nationale.fr). Toutes les infos sur www.assemblee-nationale.fr (rubrique Les députés).
La Gazette n° 273 - Du 31 mai au 4 juillet 2012
Le scrutin législatif • 577 députés seront élus pour 5 ans à l’Assemblée
nationale. Dont 22 pour l’outre-mer, et 11 pour les Français de l’étranger (6 pour l’Europe, 2 pour l’Amérique et 3 pour l’Afrique et l’Asie).
• Chaque circonscription élit son député au suffrage universel direct (contrairement au Sénat, pour
• Où voter ? Dans le bureau de vote indiqué sur votre carte d’électeur (souvent une école), de 8h à 18h. À Sète et Béziers, des dérogations permettent de voter jusqu’à 19h, et jusqu’à 20h dans les grandes villes comme Montpellier. • Quels papiers présenter ? Une pièce d’identité (carte d’identité ou passeport, même périmés, permis, etc.) avec ou sans carte d’électeur ou l’attestation de dépôt d’une demande de papiers depuis moins de 3 mois. Dans les villes de moins de 3 500 habitants, votre carte d’électeur suffit. • Vous avez déménagé ? Après janvier 2012 : si vous avez été muté pour raisons professionnelles, vous pouvez encore vous inscrire dans votre nouvelle commune. Sinon, votez en vous déplaçant ou par procuration, avant de vous inscrire pour les prochaines élections. Avant janvier 2012 : si vous n’avez pas déclaré votre changement de domicile, vous avez peut-être été radié des listes… • Comment voter ? Vous devez obligatoirement prendre au moins deux bulletins et passer par l’isoloir, avant de donner votre enveloppe et d’émarger. Tout bulletin annoté ou déchiré sera considéré comme nul. À l’intérieur de bureau de vote, toute discussion ou délibération est interdite.
lequel le suffrage est indirect). Le scrutin est donc uninominal, mais chaque candidat choisit un(e) suppléant(e), qui puisse le remplacer en cas d’indisponibilité. • À la suite du découpage Marleix de 2010, l’Hérault passe de 7 à 9 circonscriptions pour suivre l’évolution de la population (voir p. précédente). Chaque circonscription inclut 125 000 habitants en moyenne.
• Vous avez un empêchement ? En cas d’obligation professionnelle, handicap, état de santé, assistance à personne malade, vacances, déménagement, prison…, vous pouvez voter par procuration. Pour vous faire représenter, choisissez un autre électeur - le mandataire inscrit dans la même commune, mais pas forcément dans le même bureau de vote. Chaque mandataire ne peut recevoir qu’une procuration établie en France, ou deux si elles viennent de l’étranger. Effectuez la démarche le plus tôt possible : - au commissariat (50 quai de Bosc, à Sète) - à la gendarmerie (17 av. de Montpellier, à Gigean) - au tribunal d’instance (17 rue Lacan, à Sète) - ou à l’étranger, dans les consulats.
• Un député est élu au 1er tour avec la majorité absolue
s’il obtient plus de la moitié des suffrages (votes) exprimés, et un nombre de suffrages au moins égal au quart des électeurs inscrits. • Pour se maintenir au second tour, un candidat doit avoir obtenu les voix d’au moins 12,5 % des électeurs inscrits (et non votants). Par exemple, dans la 7e circonscription (Sète-Agde), il y a 95222 électeurs inscrits: il faudra donc 11902 voix. Avec un taux de participation exprimée de 60 % par exemple (comme en 2007 dans l’Hérault), il devra donc obtenir plus de 20 % des voix ! Le candidat peut aussi renoncer à être présent au second tour pour favoriser un candidat d’une sensibilité politique proche, et mieux placé (voir p. précédente). • Au second tour, c’est le candidat qui a le plus grand nombre de suffrages qui est élu, donc à la majorité relative. Son mandat débutera le 20 juin à minuit, et les travaux de l’Assemblée nationale, interrompus depuis le 7 mars, reprendront le 26 juin. ■
• Qui peut voter ? Les Français et Françaises de 18 ans au moins, avec droits civils et politiques, sans incapacité prévue par la loi et inscrits sur les listes électorales avant le 31 décembre 2011. Pour la première fois en 2012, les Français établis hors de France seront représentés à l’Assemblée (voir scrutin), et non plus seulement au Sénat.
Le saviez-vous?
Pourquoi dit-on “la présidentielle” mais “les législatives” ? C’est tout simple. Comme nous élisons une seule personne dans toute la France, le terme “présidentielle” reste au singulier, tandis que nous en déterminons plusieurs pour l’Assemblée nationale : l’expression “législatives” fonctionne au pluriel.
C
018 - reportage marins_27SETE_018 29/05/12 20:13 Page18
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reportage
Reportage réalisé par Raquel Hadida / Photo Janie Léger /
À bout, les marins des ferries marocains manifestent sur le port pour obtenir des bons de débarquement (ici, jeudi 24 mai). Ballotés pendant cinq mois par les rumeurs, sans aucun salaire, hommes et femmes espèrent désormais un licenciement pour un retour dignedans leur famille, au Maroc.
Marins marocains :
menés en bateau
Sans salaire sur le port de Sète depuis six mois, les 200 marins marocains désespérés de l’ex-ligne Sète-Tanger tentent de faire pression sur le Maroc pour obtenir dignité et droits sociaux. Récit d’un naufrage social.
É
choués à quai. À leurs “Au secours”, leur propre pays reste sourd. Détresse sans fusées. À bord des trois ferries marocains de l’ex-ligne SèteTanger, 210 marins se font ballotter depuis cinq mois, sur le Biladi et le Marrakech, depuis six mois sur le Bni Nsar, immobilisés dans le port de Sète. Tanguant de rumeur en promesse, d’angoisse en espoir. Jusqu’au mal de mer, au naufrage. À l’heure où nous bouclons cette Gazette, ils se battent pour une ultime fierté, une ultime bouée: se faire licencier par leur entreprise, la Comarit-Comanav. Alors que, lundi 28 mai, les trajets Sète-Tanger démarrent sur le Majestic italien, les marins manifestent dans le port, pour la troisième fois en une semaine. Rompant avec leur discrétion, pas avec leur hallucinante tenacité. Malgré l’injonction du commandant du port, ils refusent de déplacer leurs navires - bloquant l’accostement “normal” des bateaux de Grandi Navi Veloci (GNV, voir p. précédente) à la gare maritime Orsetti. C’est leur seul moyen de pression pour obtenir des “bons de débarquement” de la part des autorités marocaines. En effet, ce sésame leur permettra de rentrer enfin - dans leurs familles, sans que leur rapatriement au Maroc soit considéré comme une démission ou une désertion. La tête haute, dignement. Et en préservant un minimum de droits sociaux.
Payes incertaines
Certes, le 14 mai, le Port de Sète a décidé de renoncer à ses propres créances de 130000€, pour laisser la priorité au règlement des salaires des marins, en échange du fait qu’ils déplacent les bateaux pour libérer les bassins du port. Geste exemplaire, sauf que le pouvoir du Port s’arrête là. Avec le soutien du syndicat des ouvriers du transport ITF (International Transport Worker’s Federation) représenté par Lilian Torres (FO), les marins ont bien obtenu une “saiLa Gazette n° 273 - Du 31 mai au 4 juillet 2012
sie conservatoire” de leurs navires pour salaires impayés. Mais ces six à dix mois d’arriérés - soit plus d’un million d’euros - ne leur seront délivrés que si les créanciers (dont eux) décident auprès du tribunal de commerce de Montpellier de vendre effectivement les vieux navires, et qu’ils soient effectivement rachetés, assez cher pour pouvoir payer les créances. Soit un délai de deux ans, évalue le syndicaliste Lilian Torres. Reste les licenciements, ces “congés congelés” que redoutait avec humour Mohammed, le maître d’équipage du Bni Nsar. Et qui doivent “revenir cher”, après parfois 35 ans au service de la compagnie, comme Abderrhaïm, le maîtregraisseur. Alors Youssef Abdelmoula, le député et armateur de la Comarit-Comanav, y rechigne, et brille par l’opacité de ses silences. Et par la pingrerie de ses livraisons de vivres et de gasoil, au compte-gouttes depuis le début des saisies. Cumulant pour ses équipages précarité professionnelle et précarité du quotidien, fait de lampes de poche, de pisse en sacs plastique, et de maigres sandwichs au thon. Si bien que, face à l’indécence et l’insécurité des conditions de vie, le commandant du Bni Nsar Jacques Casabianca a, un temps, début mai, envisagé de le déclarer inhabitable et d’en organiser l’évacuation.
Abandonnés par leur pays
Le gouvernement marocain, lui, met le feu aux poudres en tentant de calmer le jeu. Samedi 19 mai, Aziz Rabbah, ministre de l’Équipement et du Transport, et Abdeloualhed, ministre de l’Emploi, s’acquittent d’une visite éclair à Sète. Avec un message: le gouvernement marocain tient à garder la ligne sous pavillon marocain la GNV ne l’ayant en “location” que pour un an. Le Maroc se débat en effet depuis des mois dans des négociations visant à créer une nouvelle compagnie marocaine de navigation maritime. Là, banques et créanciers transformeraient leurs
dettes en parts de capital, avec en sus la participation de nouveaux investisseurs, laissant la Comarit se retrancher, elle, dans 30 à 40 % des parts. Mais Abdelmoula se refuse à être minoritaire, à lâcher le pouvoir. Celui d’un monopole en or, qui drainait une grande part des Marocains résidant à l’étranger, deuxième manne financière pour le Maroc. De l’or dissout dans les dépenses somptuaires de son siège social tangerois, dans des trafics de billetterie, à en croire le quotidien marocain L’Économiste, dans un manque d’entretien patent sur les navires, en rade de personnel de ménage comme de pièces détachées. Privatisés et déchus, les navires de l’ancienne compagnie nationale, la Comanav, où naviguait le roi du Maroc, ont perdu leur superbe. Les marins, eux, semblent passer par pertes et profits. Face à ce traitement par le mépris, face à “un désastre social”, “un gâchis économique”, “une négation de l’humain”, le conseiller général François Liberti écrit le 25 mai au nouveau président de la République, François Hollande. “Voilà le vrai visage de la déréglementation sociale dans le transport maritime. La responsabilité de l’armateur et du gouvernement marocain est totale: elle est d’une gravité extrême envers ses propres ressortissants. L’État français ne peut rester inactif devant cette situation. Je vous demande de saisir, au nom de la France, les autorités marocaines pour que cesse dans un port français cette atteinte aux droits de l’homme, pour que les marins marocains soient payés et munis d’un bon de débarquement.” Quand le calvaire des marins marocains cessera-t-il? Dans un jour, une semaine, un mois? Pour ceux qui n’ont pas vu leur famille depuis six mois, pour ceux qui n’ont pas vu leur bébé naître, qui n’ont pas pu empêcher la vente des biens, le divorce de leur femme, ou l’arrêt des études des enfants, chaque heure à Sète fait couler un peu plus le moral. Trouver les clés pour sortir ces naufragés du cauchemar. Vite. ■
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entretien JEAN-PAUL SALASSE,
directeur des Écologistes de l’Euzière et expert en gestion des milieux naturels
“Une petite couleuvre !” À 60 ans, l’expert naturaliste Jean-Paul Salasse prend toujours autant de plaisir à partager ses trouvailles et ses connaissances de la nature “ordinaire”. Ici dans la crique de l’Angle à Poussan, lors des “24 heures de la nature”, dans les prés salés entre la Vène et l’étang de Thau.
“Sur l’étang
de Thau, on fait revenir
les oiseaux”
Protéger les colonies d’oiseaux et les milieux naturels de l’étang de Thau, c’est l’objectif du programme européen Natura 2000 qui démarre. Décryptage passionné par le naturaliste sétois Jean-Paul Salasse, à la pointe du génie écologique.
La Gazette Après deux ans et demi de concertation, l’étang de Thau est classé “Natura 2000”. On ne pourra plus rien y faire ? Jean-Paul Salasse Ah non, pas du tout! Les gens
flippent beaucoup, mais ils n’ont rien à craindre. C’est le génie de Natura 2000 : on ne met pas cette zone naturelle “sous cloche” avec des interdictions de chasse ou de pêche comme dans une réserve, mais on fait du contractuel. L’Europe finance des actions d’acteurs locaux volontaires, pour préserver une liste d’espèces d’oiseaux et d’habitats naturels, à la fois présents sur l’étang et d’”intérêt communautaire”. Donc vulnérables ou rares à l’échelle de l’Europe.
Comme l’herbier sous-marin ?
Oui, l’étang abrite l’herbier d’eau salée à zoostère (“algue” à fleur), une véritable prairie sousmarine de mille hectares, le deuxième plus grand d’Europe! On le trouve en profondeur ou bien protégé du vent dans le lagon - oui, à partir du Pont-Levis à Sète, c’est un vrai lagon transparent, avec une barrière de sable, un paysage très surprenant. L’herbier, c’est la nurserie de l’étang (où poissons et coquillages se reproduisent, NDLR). Lorsqu’il est en bonne santé, il empêcherait l’expansion d’Alexandrium, l’algue toxique qui contamine des huîtres. Et les bords d’étang ?
Aussi: l’animateur du site, le Syndicat mixte du bassin de Thau (SMBT), a décidé d’élargir le périmètre de Natura 2000 aux zones humides. La crique de l’Angle, à Poussan, le pré du Soupié et les prés du Baugé, à Marseillan, et le lido, avec les salins du Castellas et de Villeroy: on trouve des sansouïres à grosses et à petites salicornes, des prés salés et quelques steppes salées à saladelles. Outre les colonies d’oiseaux protégés qui hivernent sur l’étang - comme les flamants roses -, Natura 2000 se préoccupe des sternes caugek, pierregarin et naine, de la mouette mélanocéphale, de l’avocette, de l’échasse, de l’huîtrier-pie… La Gazette n° 273 - Du 31 mai au 4 juillet 2012
Mais pourquoi le programme Natura 2000 n’arrive-t-il que maintenant ?
Le site de l’étang de Thau a été identifié dès 1979, lors de la directive Oiseaux, puis en 1992, avec la directive Habitats. Ensuite, il a fallu traduire les directives en droit français, et la France a décidé de fabriquer des documents d’objectifs sur les sites pressentis: un plan de gestion de 400 pages. Il est animé par une collectivité, suivi par un comité de pilotage, et fabriqué par un bureau d’études. Inventaire, cartographie très précise…, c’est une cuisine complexe. Comme ils ont redéfini le périmètre, il fallait le faire valider par le Muséum d’histoire naturelle de Paris, puis par Bruxelles, avant que ça redescende pour être validé par le Préfet. Tout ça prend un temps administratif fou! Mais ça donne droit à des actions et des financements. D’après le Syndicat mixte du bassin de Thau, c’est une mesure de précaution. L’étang n’est donc pas menacé ?
Si, la biodiversité de l’étang est en train de prendre un coup sur la tête… colossal. Il n’y a plus rien. Ça fait 30 ans que je fais des sorties nature dans l’étang: en un coup de filet, on avait dix anguilles. Maintenant, pour en montrer une dans la matinée ou pour voir une sole, faut s’accrocher. Les hippocampes, encore, ça va, mais les anémones de mer, les oursins… À cause du surbraconnage, peut-être. Or tout ça ne fait pas partie de Natura 2000. C’est ça qui m’embête: les listes établies par Natura 2000 nient l’écosystème et son évolution. En plus, les Anglais ont fait pression. Il n’y a pas les coquillages endémiques de l’étang (1). En revanche, ils y ont mis l’alouette lulu, très rare dans les îles britanniques, mais très commune, ici en garrigue! Et les colonies d’oiseaux, comment vont-elles ?
En 2006, les espèces qui nichaient sur les salins étaient dans un très mauvais état de conservation. Elles étaient florissantes dans les années 1995-2002, mais elles ont totalement décliné. Au Castellas, on est passé de 2500 couples en 2000 à… zéro en 2006.
Est-ce à cause de la chasse? De la qualité de l’eau?
Non, la biodiversité globale dépend de la qualité de l’eau, mais pas directement les espèces Natura 2000. Pour la gérer, il y a déjà le Sage (2), le Scot (3), le contrat de gestion (4)… La chasse, elle, ne fragilise jamais ces espèces: les migrateurs arrivent le 15 avril alors que la chasse est fermée depuis janvier, et, lorsque la chasse ouvre en été, les jeunes oiseaux se sont déjà envolés. Alors comment l’expliquer ?
D’abord, le dérangement: pendant la nidification, il suffit de peu. D’un vélo, d’une moto, d’une personne qui s’approche trop. Souvent, ce n’est pas intentionnel, mais ça fait 80 morts! Les parents s’envolent, les petits tombent des arbres. Et comme les œufs sont blancs, ils se font bouffer. Deuxième raison: la non-gestion hydraulique: pour avoir des oiseaux d’eau, il faut pouvoir mettre de l’eau et en enlever quand on veut, selon les espèces qu’on veut. Sinon, les sternes naines pondent mi-mai dans les zones sans végétation, et s’il y a un gros orage début juin, poum! Les œufs sont noyés. Et troisième raison: l’expansion des goélands, attirés par l’activité du port de Sète. Ils mangent beaucoup d’oiseaux précieux, des petits comme des grands, flamants compris. Et Natura 2000 peut-il améliorer la situation ?
Oui, en apportant de nouveaux financements européens. Nous avons déjà eu des résultats en gérant les salins de Villeroy et du Castellas pour Thau Agglo. En deux ans, on est revenu à 1500 couples d’oiseaux. C’est noir de piafs! Et l’année dernière, la moitié des sternes caugeks qui se sont envolées de France venaient de Sète. Donc première chose: gérer les niveaux d’eau avec des martellières, des vannes. On inonde en sortie d’hiver, pour dissuader les goélands qui nichent le 1er avril, puis on baisse le niveau d’eau pour les premières espèces à venir nicher. On crée déjà cinq îlots de nidification peinards, tapissés de coquilles, à 200 m du rivage, de 50 m2
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propos recueillis par Raquel Hadida / photo Raquel Hadida /
“L’activité économique peut être compatible avec la nature”
On a trouvé 450kg de déchets dans la Vène, ruisseau qui alimente l’étang de Thau…
Il suffit de 3 % des gens qui balancent leurs ordures dehors, volontairement, pour paniquer tout. C’est tellement loin du bon sens citoyen de base, c’est dramatique. En fait, de plus en plus de citadins n’ont pas conscience que la nature n’est pas “rien”. Un jardin privé, on en prend soin. Mais la nature sans projet d’aménagement humain, devient “du vide”. Quand je parle de la garrigue aux élus, ils trouvent… qu’il y en a trop. Mais le patrimoine ne se limite pas aux sites rares! La nature “ordinaire” doit être aussi défendue.
Mais par rapport à une zone d’activité économique, un couple de pies-grièches à poitrine rose (6) faitil le poids?
La pie-grièche peut gagner sur le plan juridique, mais pas en terme de légitimité sociale et d’emploi, c’est clair. Ce qui m’étonne, c’est qu’on fasse des projets sans tenir compte des espèces protégées au préalable. Certains maîtres d’ouvrage demandent à les effacer des rapports… tout ça pour que ça leur pète dans les doigts à l’enquête publique. Si une association fait un recours juridique, ils perdent et on arrête tout, comme pour l’incinérateur de Fos-sur-Mer. Les données écologiques doivent faire partie de la réflexion, au même titre que le trafic, la population, le bruit… À condition de s’y prendre à l’avance, pour éviter les surprises. Pour la déviation de Mèze dans sept ans, j’ai déjà fait les études de terrain! Depuis trois ans, on sent que les ingénieurs veulent une copie écologique irréprochable: ils y croient, et ça leur permet d’obtenir les chantiers. Alors comment prendre en compte l’écologie?
à 600 m2. Autour, le fossé est rempli d’eau, même en été. De manière à ce que les chats, les chiens, les renards, et surtout les sangliers - oui, il y a des sangliers à Villeroy - ne viennent pas casser la croûte avec les œufs et les jeunes oiseaux. Ce n’est pas cher - 10 000 € - et ça marche très bien. L’herbier sous-marin, lui, est-il en bon état?
Ça dépend des zones. Certaines sont très éparses et abîmées… là où il y a une grosse concentration de planches à voile et de kite-surf, au Pont-Levis à Sète, par exemple. Quand ils vont vite, leurs quilles coupent l’herbier, juste quand les espèces sont en fleurs, l’une en avril, l’autre en juin. Et ce n’est pas comme des salades, on ne sait pas encore les repiquer! Mais que peut faire Natura 2000?
C’est là que c’est compliqué. L’herbier est dans un étang qui appartient à l’État, or l’État ne va pas contractualiser avec l’État! La seule chose à envisager, c’est de délimiter les zones de kitesurf avec des bouées et de mettre des panneaux. Avec les associations locales de kite, on peut négocier, mais ceux qui viennent seuls, un jour ici, un jour à Leucate, eux, sont difficiles à capter. Une des premières actions prévues est un chemin de balade au Mourre-Blanc, à Mèze. Efficace?
Pour canaliser la fréquentation terrestre, oui. On l’a fait à la Corniche, à Sète - un autre site Natura 2000 -, en mettant des ganivelles, il y a cinq ans. Aujourd’hui, la pelouse naturelle qu’on voulait restaurer est à un stade quasi idéal. Dès lors que les chiens arrêtent d’aller pisser dessus et que les gens arrêtent de jouer à la pétanque, ça va mieux.
Autre action prévue: limiter les rejets des pesticides des communes. Ça marche?
Les techniciens des espaces verts peuvent arrêter de mettre du Round-up (5), oui, c’est assez façile. Mais la moitié des pesticides proviennent des jardiniers du dimanche: il faudrait faire des animations en s’appuyant sur les syndics, les comités de quartiers, les Saint-Clairiens… À Orléans, une
!REPÈRES
Les Écologistes de l’Euzière - Association naturaliste de 250 membres et 28 salariés. - Créée en 1974 par des botanistes. - Basée à Prades-le-Lez (34). -Pionnier régional de l’éducation à l’environnement. - 40 % du chiffre d’affaires en expertise de la nature (aménagement ou protection). - Mais aussi: édition, formation, valorisation du patrimoine naturel et rural. www.euziere.org Jean-Paul Salasse - Directeur (et 1er salarié en 1981). - 60 ans, Sétois, né en Auvergne. - Formation: BTS “nature”, autodidacte. - Membre du Conseil économique, social et environnemental de la région.
association a eu de très bons résultats. Ici, l’autre problème c’est le réseau ferré, qui balance du Round-up sur le lido: un fossé de collectage des eaux évite déjà leur diffusion, que faire de plus?
Alors qui peut bénéficier de Natura 2000?
Les conchyliculteurs, les pêcheurs, les plongeurs ont bien participé au diagnostic socio-économique, mais ils ne peuvent recevoir des aides. Les viticulteurs non plus: cela ne concerne que les propriétaires de terrains inclus dans le périmètre, en bordure d’étang. Le bois de hérons, à Villeroy, appartient à Listel: l’Europe pourrait payer, pour faire tomber les deux accès et placer un pont-levis. Si personne ne rentre dans le bois, dans deux ans, il y a des cigognes. J’en mets ma main au feu! Et ailleurs?
L’essentiel appartient à l’État, aux communes, au Conservatoire du littoral, et à de nombreux privés. On pourrait dédommager les propriétaires pour qu’ils arrêtent de drainer: plus humides, les prés seraient plus favorables aux oiseaux. On pourrait aussi négocier le calendrier de pâturage avec les éleveurs de chevaux, pour favoriser les hérons garde-bœufs et laisser nicher les échasses. Ils toucheraient X euros par bête et par an pour le service rendu à la nature. Mais c’est très morcellé, donc pas évident. L’eau, ça répond très vite, mais gérer les milieux terrestres, c’est plus compliqué. ■ • Sortie “Marcher sur le lagon” : RDV avec JeanPaul Salasse le samedi 9 juin au Pont-Levis à Sète (voir agenda).
(1) Endémique = des espèces qui n’existent que dans une zone, donc plus vulnérables. (2) Schéma d’aménagement et de gestion des eaux. (3) Schéma de cohérence territoriale. (4) Toutes les collectivités qui interviennent sur l’eau - Région, Département, agglos, SMBT… - se sont engagées à signer un contrat de gestion intégrée pour coordonner leurs actions sur Thau. (5) Herbicide “total” de Monsanto, contenant du glyphosate, irritant et toxique.
On est capable de proposer des solutions sophistiquées pour maintenir la trame verte et bleue, la continuité de nature ordinaire - pour que les animaux puissent aller manger, hiverner, migrer. En vue du doublement de l’A9, là où les ponts sont trop bas, on va créer des écrans anti-collision pour obliger les chauves-souris à franchir l’autoroute au-dessus des plus hauts camions la nuit. On dessine aussi des chemins pour les reptiles et les batraciens, un nichoir à chauves-souris inclus dans la structure béton. Les ingénieurs nous regardent bizarrement, mais ils vont le faire! Et pour l’hinterland (7)?
La pie-grièche, la vigne, l’olivier, la chapelle, les gens des cabanes… Les problèmes ne sont pas insurmontables, mais la Région les ignore. Pour eux, le port de Sète est un enjeu de communication: s’ils réussissaient, ce serait banco politiquement. Alors ils ont une espèce d’enthousiasme fou au sujet de cet hinterland, sans savoir quelle sera la première “boutique”. Moi, je n’y crois pas. Pourquoi un transporteur de containers panaméen viendrait à Sète plutôt qu’à Marseille? Et c’est loin d’être sûr que la LGV (8) fera du fret: ça coûte 2 milliards de plus. J’ai participé à la réflexion sur le port pour la Région: le vrai potentiel de Sète, c’est la plaisance. Là, il y a de l’argent à faire. Dans le tourisme de nature aussi?
Il y a une demande sociale, mais on est très, très en retard. On a testé un prototype de séjour d’écotourisme en 5 jours, du littoral à la montagne, en mangeant le soir ce qu’on avait vu dans la journée, c’était super! Mais il faut une agence de voyages capable de le commercialiser. J’imagine aussi un parc d’observation des oiseaux au Castellas, comme celui des Aiguamolles, en Espagne, qui reçoit 800 visiteurs par jour (!), en plus petit. L’accueil se ferait dans une vieille maison des salins avec vues d’en haut. Des sentiers, des observatoires creusés dans le sable, pour être à hauteur des oiseaux. J’ai déjà les plans dans la tête, j’en rêve la nuit… (6) Oiseau protégé de la plaine de Fabrègues (Montbazin, Poussan…). (7) Projet de zone logistique arrière du port de Sète à Poussan, porté par la Région et controversé. (8) Ligne ferroviaire à grande vitesse MontpellierPerpignan, prévue pour 2020.
La Gazette n° 273 - Du 31 mai au 4 juillet 2012
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N° 272 - Mai 2012
SÈTE
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Les désenchantés du
thon rouge
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enquête Le 15 mai, six navires sétois repartent capturer le thon rouge, pour un mois. Au-delà des controverses sur la surpêche, des marins acceptent de raconter “leur” saison sur les thoniers-senneurs. Aventures et amertumes, tons sur thon.
Les désenchantés du thon rouge
P
âtes, sel, lessive et pièces détachées. Le JeanMarie Christian VI achève de constituer ses stocks, avant un mois intensif de pêche au thon dans les eaux méditerranéennes, au large de Malte ou des Baléares. Du 15 mai au 15 juin, comme cinq autres thoniers-senneurs sétois. Cette année, entre Marseille et Port-Vendres, seuls neuf navires sur vingt-sept pourront partir chasser le thon rouge. Après l’ivresse des pêches miraculeuses dans les années 2000, après le coup de massue des quotas réduits comme peau de chagrin (voir colonne), les pêcheurs de thon semblent se réveiller avec la gueule de bois. Les patrons, obligés de laisser l’essentiel de leur flottille à quai, mais aussi les matelots. Ceux qu’on a peu entendus. Ceux qui ont décroché, de gré ou surtout de force, comme ceux qui restent. Échaudés par une opinion publique méprisante, frileux de se faire black-lister par des patrons “sans scrupule”, au sein d’une profession aussi tchatcheuse que taiseuse, ils sont rares à accepter de parler encore aux journalistes, nombreux à se rétracter au dernier moment. Amers, nostalgiques et volontaires, cinq matelots partagent leur colère et leur passion. Amarré au quai de la République à Sète, l’équipage de l’armement Avallone s’active. Le mécanicien
dégrippe moteurs, hélices, grues, inactifs pendant onze mois. Jean-Jacques, le cuisinier, prépare sa liste de courses, Bruce parfait sa réputation de “Monsieur Propre” en nettoyant le pont et les canots, Vincentvérifiele volumineux filet. À 19 ans, Baptiste, le fils du patron, en bac pro au lycée de la mer, donne un coup de main pendant ses vacances. Sur la passerelle, Matthieu, le second, potasse ses dossiers réglementaires - ses “livres de chevet” -, reçoit les divers contrôles d’hygiène et sécurité. Et se met déjà la pression pour la saison.
Un mois sous pression
Les matelots n’auront à nouveau droit qu’à un seul mois pour engranger leur quota, donc leur salaire, de l’année. Résultat : chaque jour compte. Or les bancs de thon ne se pointent à la surface que par beau temps… qu’il faut souvent attendre: “L’année dernière à Malte, on a perdu 21 jours!” Payés à la part (1), les marins, tous “pères de famille”, se donnent alors “à 200 %”, quitte à prendre des risques par météo “moyenne”, quand le bateau balance. “Le stress de ne rien ramener à la maison” est le plus fort. Et quand le thon reste introuvable, l’ambiance à bord n’est pas au beau fixe : “Chacun reste un peu dans son coin, on a la boule au ventre.”
Les stigmates de la pêche
Du côté de l’emploi, lendemains pénibles aussi: sur les 220 marins au thon en 2007, plus 100 en Libye, seuls 80 travaillent encore. Suite aux restrictions de quotas de pêche, les autres ont été “escampés à terre”. Parfois d’un simple coup de fil au bout de 15 ans de navigation, comme Vincent, qui oscille désormais entre gardiennage de nuit et bateaux-promenades à La GrandeMotte. Pour retrouver du travail, sur les chalutiers en difficulté, compliqué. Grâce à la formation continue, certains marins accèdent au diplôme de Capitaine 200 et se reconvertissent vers les “petits métiers” de pêche. D’autres se tournent vers les parcs à huîtres, le bâtiment. Ils doivent parfois partir sur les plates-formes pétrolières en Afrique, ou pêcher en Atlantique. Pour eux, “le thon, c’est fini”. Quitte à ressentir un “pincement au cœur” en voyant sortir les thoniers. L’heure du bilan ouvre les plaies sociales. En 2010, les manifestations menées par les marins ont certes permis des régularisations, et l’apparition plus régulière de bulletins de paie… Mais des procès sont encore en cours: des matelots n’ont toujours pas été payés, et ont été déclarés en pointillés. Malgré ses 25 ans de navigation, Ali se retrouve avec une retraite de 207€ par
Sur le thonier Jean-Marie Christian VI, amarré à Sète, les marins préparent la saison de pêche au thon rouge en Méditerranée. Encadrés par des quotas ultra-réduits et des contrôles serrés, ils n’auront qu’un seul mois pour réaliser l’essentiel de leur salaire de l’année, sous pression. Un réveil en “gueule de bois” après la débauche des années 2000 qui a fait chuter la population de thon rouge. Mais le passage obligé pour entrevoir leur avenir.
La Gazette n° 272 - Du 3 au 30 mai 2012
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! THON
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réalisé par Raquel Hadida / photos Raquel Hadida, Greenpeace /
À gauche, Philippe Fassanaro repense avec nostalgie à sa pêche au thon des années 70-80. Photo du milieu : moins de quotas de pêche, moins de marins : Jean-Claude et Vincent P. ont été “escampés à terre”. En procès, déclarés en pointillés, ils peinent à obtenir paies et retraites. À droite : une matte (banc de poisson) de thons rouges.
Un avenir plus artisanal
Les jeunes marins, eux, se posent d’autres questions essentielles: “Pourra-t-on encore pêcher le thon?” Lorsque les armadas sont réduites à la portion congrue, que d’imposants thoniers quasi neufs se font “déchirer” sur la zone de carénage, que les pêcheurs sont à cran sur les quotas, le gasoil et les charges, les jeunes ne sont pas encouragés: “Je suis malheureux pour eux: il y aurait pu avoir une prise de conscience avant, comme chez les pêcheurs de coquilles Saint-Jacques à Paimpol, qui ont décidé de ne pêcher que trois heures par semaine, pour continuer”, se désole Philippe Fassanaro, prof au lycée de la mer. Mais cet ancien marin-thonier reste confiant: “Je pense qu’on peut trouver un équilibre, avec une taille de navire et un matériel adaptés. Par exemple en pêchant des petits thons près de Sète, avec des palangres (hameçons sur une ligne, NDLR), sur un bateau qui marche à l’électrique, voile et air comprimé.” L’armement Avallone a d’ailleurs entamé sa reconversion: après un mois en senneur, son équipage continue à pêcher, de juillet à décembre, sardines, daurades et thon, sur quatre catamarans auto-construits en 2009. Frais du jour, en cours de labellisation “durable”, le thon rouge est destiné au marché européen. Ainsi, la pêche reprend des proportions “artisanales”. De quoi faire positiver Matthieu Fages, le second à bord du Jean-Marie Christian VI: “Ces catamarans sont une chance pour nous: le reste de l’année, les autres marins doivent travailler en intérim ou en CDD. Et le quota, c’est une bonne chose pour notre avenir: il faut encore plus de contrôles pour qu’on continue à avoir du travail. Oui, entre 2000 et 2007, ça a été la bérézina, tout le monde est responsable. Mais, dans le golfe du Lion, les stocks de thons se reconstituent.” Le marin de 33 ans en est convaincu: “À la palangre comme à la senne, l’avenir du thon est certain.” ■ (1) La part est la rémunération du matelot. L’armement et l’équipage se partagent le chiffre d’affaires moins les charges. Pour un équipage de 12 personnes, chacun reçoit donc 1/24e du gain réalisé. Si rien n’est pêché, le “Smic maritime” assure toutefois une rémunération de 88€ par jour. (2) En cette période de “réserve préélectorale”, l’actuelle Direction départementale des territoires et de la mer n’a pu répondre. Pour la SaThoAn, qui regroupe l’essentiel des patrons de thoniers, “tout est faux”, mais elle ne souhaite pas en dire plus.
!LA PÊCHE AU THON ROUGE • Les thoniers-senneurs
80 % du thon rouge est pêché en Méditerranée par des thoniers-senneurs de 30 à 45 m de long et 6 m de haut (2 à 3M€), avec 12 à 15 marins à bord. La flottille française comprend 27 navires répartis entre Sète (plus de la moitié), Marseille, Port-Vendres, Agde. Dont 9 qui pourront pêcher cette année.
• Le thon
Carnivore, le thon rouge peut atteindre 800 kg (comme une vache). Il est pêché quand il se regroupe en été pour se reproduire. Avec 0,1 % d’œufs qui survivent, la population de thon se révèle sensible. Et, par ses migrations parfois inexpliquées, difficile à évaluer par les scientifiques.
• La gestion
-L’Iccat (ou Cicta), la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique, réunit 48 pays. -En novembre, elle négocie un plan de gestion pour l’été suivant, selon les indications des scientifiques et en présence des ONG écologistes. -Décisions depuis cinq ans: réduire la capacité de pêche et la durée de campagne de 8 à 1 mois par an, augmenter le poids minimum du thon de 6 à 30 kg, resserrer les contrôles. -Quota de pêche total abaissé de 32000 t en 2003 à 12900 t pour 2012. Il se répartit entre pays qui les partagent sur leurs flottilles.
• L’histoire
- Depuis 7000 ans av. J.-C., à Chypre, la pêche au thon a fondé les cités méditerranéennes. - XVIe s.-XXe s.: pêche à la madrague, sorte de poignard. - De 1950 à 2005: pêche à la thonaille, sorte de filet dériveur, désormais interdit. - Années 80-90: le thon s’effondre en mer du Nord et en Atlantique, les “pieds-noirs” développent la senne en Méditerranée. Le Japon s’y intéresse, fait grimper les prix, les navires se développent. - 1995 : premières cages d’engraissement en Croatie, puis au sud de l’Espagne. - 1997 à 2007: surpêche: deux fois plus de thons capturés que la mer n’en “produit”. La population décline de 60 %. - 2007 : l’Iccat adopte un plan de sauvetage sur 15 ans. Interdiction de survol des bancs de thons en avion. - 2010 : quota de pêche quasi divisé par deux. Les thoniers sétois partent pêcher à Malte ou aux Baléares. Les thons sont transférés dans les fermes d’engraissement, développées au large de toutes les côtes méditerranéennes… sauf en France.
“Une pêche magnifique”… L’“esprit d’aventure”, le “défi au quotidien”, “la beauté de la mer”… “Le thon, c’est une pêche magnifique !” s’enthousiasment les marins sétois. Un brin nostalgiques, la passion amère, Matthieu, Ali, Philippe, Vincent et Jean-Claude tentent de trouver les mots. Par bribes.
“T
u passes des heures à scruter la mer. Tu vois des dauphins, des tortues, des baleines: des cadeaux. Tu dînes au coucher du soleil. Tu travailles avec la nature, le vent, le courant. Tu sais comment l’eau brille, comment les oiseaux plongeurs s’abattent sur les bancs d’anchois qui attirent les mattes de thon à la surface. Avec l’expérience. Quand on voit sauter le thon aux jumelles, le patron crie “listo?”- “prêts?” en espagnol. Là, on largue le skiff (canot à l’arrière du navire, NDLR) et on encercle le banc.” Une fois que le thonier a largué son filet (la senne), long de 2 km, il le resserre par le bas au moyen d’anneaux, et capture ainsi les thons dans une “chaussette” de 80 m de profondeur. “C’est une véritable chasse, où le poisson peut gagner. Il peut changer de route. Le temps qu’on ferme le filet, il peut s’échapper, et sauter à côté du navire d’un air de provoc’… quitte à se rendre le lendemain.” La prise? De 10 t à 200 t d’un coup, selon. “Contrairement à ce qu’on pense à Bruxelles ou à Paris, ce n’est pas une science exacte.” Les plongeurs de l’équipage l’estiment d’abord à l’œil: “Dans l’eau claire, le thon a les yeux fixés sur vous, il ne vous lâche pas, on en a des frissons”, raconte Vincent. “Pour ne pas le stresser (les thons doivent nager pour respirer, NDLR), on maintient le filet bien ouvert avec les Zodiac. Parfois pendant trois jours, le temps que les cages (65 m de diamètre) arrivent en remorqueur.” Lors du transfert du filet à la cage, deux équipes de plongeurs évaluent les thons: une pour l’armateur, l’autre pour le mareyeur. “Avec une caméra et une ficelle à nœuds ou un compteur.” Ensuite, mareyeur et patron visionnent la vidéo. Et négocient, sans convier les marins. Les thons seront ensuite engraissés pendant 5 à 8 mois dans une des 60 fermes d’élevage de thons, à Malte, en Sardaigne, aux Baléares, en Turquie ou dans le sud de l’Espagne. Une fois obtenue une chair de qualité satisfaisant le goût japonais (70 % du marché), ils seront congelés, expédiés, et vendus au marché de
Tsukiji à Tokyo, de 5€ à 8€ le kilo, pour les sushis ou… en cadeau de mariage.
…“pourrie par l’appât du gain”
Les marins gagnent ainsi 10000 € à 20000 € par saison - trois mois, dont un mois en mer -, avec une pêche de 100 t. Pour atteindre ce seuil de rentabilité, les armements regroupent désormais les quotas de plusieurs navires. Alors que, dans les années 2000, un seul senneur pêchait 600 t de thons, en armada de 5 à 6 bateaux. Chaque matelot pouvait alors gagner 30000 € à 200000 €. Le loto. L’or rouge. Des milliards qui flottent. “Il y avait tellement de pognon que je n’arrivais pas à le gaspiller”, avoue Jean-Claude. Philippe, prof au lycée de la mer et ancien marin, en reste effaré: “À 20 ans, mes élèves gagnaient 90 000 € ou 120 000 €, et sans avoir fait 15 ans d’études! Ça tourne la tête. Certains les ont placés dans des terrains, des maisons. D’autres ont flambé avec des BMW décapotables, des 4x4, des bateaux…” Matthieu tempère: “En dépensant dans les restos et les petits magasins sétois, on participait à l’économie locale. Et pêcher du thon, ce n’est pas si simple: on est loin de notre foyer, on prend des risques, il faut s’entendre. Appâtés par le soi-disant argent facile, certains ont essayé et ont arrêté en pleine saison. Trop fatigués.” Mais l’appât du gain a aussi poussé les armements à prélever goulûment. Y compris des thons femelles pleines. Les marins le reconnaissent: “On est rentrés dans les frayères, la mer tremblait de tous les côtés. Nous aussi. C’est comme rentrer dans un poulailler pour tout écraser. On a fait des massacres. Les patrons se sont gavés, ils ont joué les riches. On n’a réalisé que la ressource partait que lorsque Greenpeace a mis son nez dedans. Merci Greenpeace!”, tonne Jean-Claude. Aujourd’hui, pêche et salaires reprennent des allures décentes. Morale de l’histoire selon Philippe: “Les marins ont été pénalisés (voir p. de gauche). Et hyper-technologique, hyper-contrôlée, la pêche en est devenue absurde.” ■ Saraje j vo
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INFOGRAPHIE PHILIPPE CRESPY
mois. La moitié droite de son corps est démolie par les thons de 40 kg soulevés à la main: “Il fallait aller vite, c’était mal vu de demander de l’aide.” Un de ses doigts demeure insensible, à cause d’une entaille profonde sans arrêt de travail. Et par manque de preuves, il n’a pu avoir droit au regroupement familial: il a vécu loin de sa femme, un de ses fils s’est fait expulser. “On a l’habitude de la souffrance.” À 56 ans, JeanClaude cumule deux ans officiels d’embarquement sur 13 ans effectifs, et se bat aussi pour faire valoir sa retraite et accéder aux emprunts bancaires. Contrats signés à blanc, manque de transparence sur les comptes, travail au noir, menaces de mort… Les anciens marins dénoncent des pratiques “comme au temps des esclaves! Et avec la complicité de l’État (2)”. Avocate de marins sétois, Natacha Yehezkiely analyse: “C’est un milieu où le code du travail n’est pas une donnée de base. Tant que la pêche était bonne, les marins y trouvaient leur compte et les Affaires maritimes couvraient les patrons. Mais, désormais, les questions remontent à la surface.”
La Gazette n° 272 - Du 3 au 30 mai 2012
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enquête
Pour trouver et encercler les bancs de thons, les thoniers-senneurs s’y mettent souvent à plusieurs. Dans le filet, les marins-plongeurs, comme Vincent, à droite, comptent et transfèrent ensuite les thons en pleine mer, vers une “piscine” d’engraissement. Au milieu, le bateau lybien Safa 4. Vendus à des compagnies proches de Kadhafi, une dizaine de vieux thoniers sétois battent pavillon libyen.
La Libye, c’est fini ? Après la révolution en Libye, les marins sétois ne se pressent pas pour y retourner pêcher le thon rouge. Mais les ONG écologistes restent vigilantes.
L
e Rosine-Arthur était devenu le Jarjaruma. Safa, Grnada, Regata: sur une dizaine de vieux thoniers sétois, depuis 10 ans, les écritures arabes avaient fleuri. Et faisaient partie du paysage des quais. Car les navires rachetés par la Libye étaient bien dirigés par des équipages sétois - une centaine de personnes. Mais pour la deuxième année, les marins n’iront pas en Libye. En révolution en 2011, le pays avait interdit la pêche dans ses eaux. Cette année, en janvier, le Conseil national de transition a fait rapatrier l’essentiel de sa flotte à Tripoli, via Malte, et a transmis son plan de pêche tardivement. La Libye a-t-elle l’intention de renégocier les contrats? Personne ne semble s’en soucier. Car le pays reste trop dangereux, tant que la démocratie n’y est pas établie. Pour Matthieu, second sur l’armement Avallone, “hors de question d’y retourner! Pour me faire tirer dessus?”
Post-Kadhafi
D’autant plus que la situation est délicate. Les marins sétois étaient payés par des sociétés privées libyennes… appartenant à des proches de Mouammar Kadhafi, le dictateur. Comme Ras Al Hilal marine services, créée par son fils Seifal-Islam et gérée par un certain Moustafa Zarti, interpellé dans sa fuite lors la révolution libyenne. En 2002, c’est l’armement Scanapiecco qui, le premier, part pêcher dans le golfe de Syrte et découvre “la poule aux œufs d’or”. Mais, en 2004, la Libye décide unilatéralement que seuls les pavillons libyens pourront pêcher dans ses eaux territoriales. S’ensuivent alors des accords de pêche avec les armateurs sétois. “Avant que l’Europe n’interdise la pêche en meute, les vieux thoniers libyens rabattaient le thon vers les bateaux français ultramodernes et les tonnages étaient répartis. Ainsi, les thoniers-senneurs sétois profitaient à la fois des quotas français et des La Gazette n° 272 - Du 3 au 30 mai 2012
quotas libyens, avec la bénédiction du clan Kadhafi”, dénonce l’ONG Robin des Bois. N’empêche, les Sétois ne se sentent pas si bienvenus à Tripoli: “On croyait qu’on nous acclamait, mais c’étaient les douaniers qui voulaient récupérer des cigarettes, du whisky et des tomates”, “On nous oblige à dératiser, alors que le port est plein de rats”. À Tripoli, “pas une femme dans les rues! Et la plus grosse épicerie fait 10 m2”. Adieu l’ambiance fiesta des Baléares. Adieu les filles de la Côte d’Azur des années 70-80, qui prenaient le thonier pour un yacht. Pour les marins, la Libye se résume à “des chameaux, des pneus et des carcasses de voiture”, ou “du pétrole, des fringues pas chères et des thons”.
Les mailles du contrôle
Alors que les ONG pointent une surveillance trop lâche en Libye, Matthieu assure: “Le thon a droit au même contrôle, puisqu’il entre en Europe via les fermes d’engraissement (voir p. précédente).” Le thonier est suivi par balise satellite, et un contrôleur étranger indépendant passe toute la saison à bord avec l’équipage: “Au départ, on a un sentiment bizarre, comme avec un gardien de prison. Mais au moins, ils voient qu’on est des gens honnêtes, pas des voleurs.” Ce n’est pas l’avis d’anciens marins, qui décrivent, entre autres, des pompages de mazout illégaux, des survols d’avions de repérage après leur interdiction. Et soupçonnent des sous-déclarations de captures de thon rouge (voir note 2, page 11). Du passé? Pour Philippe Fassanaro, prof au lycée de la mer, “il y a eu des magouilles, mais, désormais, les patrons ne peuvent plus tricher”. Les quotas “drastiques” ont-ils étanché la soif d’or rouge à tout prix? Selon les calculs de l’ONG Pew Environnement Group, l’écart se creuse entre les ventes de thon rouge et les captures officielles (+140 % en 2010). Laissant encore une place au doute. ■
Pour le meilleur et pour le pire
30 jours de mer ensemble aujourd’hui, deux fois quatre mois hier. Sur les thoniers, les équipages vivent l’émulation de “la saison”, et s’épaulent pour tenir. Même s’ils admettent travailler dans de bonnes conditions. Deux par cabine, douches, toilettes, télé, cuisinier et machine à laver : sur les navires, qui ont doublé de taille en 30 ans, le confort s’est nettement amélioré. À bord, macaronades et tours de garde se partagent entre Sétois, Marocains, Libyens, Sénégalais. “Chacun se respecte : chrétien ou musulman, on est tous croyants.” “Le mélange des cultures, on connaît, certains font leur prière cinq fois par jour dans le bateau”, raconte Vincent. Et d’autres recherchent les églises à La Valette (Malte) : “On prie pour qu’il y ait beau temps.”
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Solidarité
Ali aurait aussi bien prié pour qu’il n’y ait pas d’accidents. Trop nombreux, surtout avant 1990, “quand il n’y avait pas de protection”. “Un Marocain s’est pris le pied dans un câble, s’est assommé et s’est fait entraîner au fond de la mer. D’autres se sont pris une poulie sur le dos, une barre dans la tête. Morts sur le coup.” Catapultés vers l’avant, des matelots se cassent les vertèbres. Certains ont plus de chance : Ali a sauvé un Algérien à deux doigts de se faire entraîner par la corde du filet. “En mer, la solidarité est incomparable, assure Matthieu. On a déjà porté assistance à des clandestins en perdition dans la tempête, près de Lampedusa. Qui peut rester stoïque face à un enfant de 8 ans, dont le père est en larmes parce qu’on l’a sauvé ?” Mais parfois, c’est trop tard. “On croise souvent des corps de clandestins noyés qui flottent, gonflés. Par respect, on dévie notre route pour éviter de passer dessus… Dur.”
Greenpeace
Mais pour Matthieu, le plus violent reste l’intervention de Greenpeace, en juin 2010 au large de Malte, sur le Jean-Marie Christian VI. Celle qui a défrayé la chronique, en laissant un militant blessé. “Enfin il fait beau, enfin on pêche. Greenpeace nous suit, mais on a l’habitude. On avait tout en règle, j’étais en train de faire mes déclarations. Sans discussion, sept Zodiac* viennent jeter des sacs de pierre sur le bord du filet et commencent à le couper pour libérer les thons. Ils rentrent dedans alors qu’il y a nos plongeurs dessous. Une véritable attaque ! On appelle au secours sur le canal 16 (fréquence radio de détresse, NDLR), mais le bateau de guerre à proximité ne vient pas. Il a bien fallu qu’on se défende, qu’on protège notre filet : c’est parti en bataille navale. Deux heures plus tard, les images passaient sur BFM TV : nos femmes étaient en pleurs, on n’avait pas pu les avertir. Greenpeace dit qu’il faisait une action pacifique, mais ça a été 25 minutes d’une violence rare. Mon pire souvenir.” * Zodiac : canot pneumatique motorisé
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reportage
ImageSingulières place à la photo Dix lieux sétois improbables, pour près de vingt expositions photos, entièrement gratuites. De Sète à Moscou, d’Algérie en Amérique du Sud, les clichés engagés de grands photographes investissent la ville. Toutes les clés pour voyager dans cette 4e édition d’ImageSingulières, du 17 mai au 3 juin.
20 place Cambon. Quand les murs parlent, exposition collective. Des images grand format sur des cubes simulent les murs qui divisent, mais aussi libèrent la parole politique. Berlin, Belfast, Palestine, Maroc, Mexique, Iran : un tour du monde de la ségrégation et de la liberté. Visite vendredi 18 mai à 10h30.
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ESPACE DON QUICHOTTE/ PROMÉO,
547, quai des Moulins. L’armée de la rue Greneta, de Léon Gimpel. Juste avant de partir au front, en 1915, le photographe recrée une iconographie guerrière avec une troupe d’enfants, autour des halles de Paris. Vernissage 19 mai à 17h.
BOULODROME AGROCANET, quai des Moulins.
Théma Algérie.
• Jours intranquilles, de Bruno Boudjelal. Dix ans d’exploration de son pays d’origine, un dialogue entre son histoire personnelle et la violence de l’Histoire. • Untitled, de Katia Kameli. Dans cette vidéo, des femmes opèrent un soulèvement sans paroles, avec des cartons. Révolution ? • Devoir de mémoire/portraits de femmes, d’Omar D. D’un côté des photos d’identité des disparus des années 90, de l’autre la richesse culturelle du pays, via des femmes voilées en costume. Vernissage samedi 19 mai à 18h.
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MAISON DE L’IMAGE DOCUMENTAIRE, 3 rue Raspail, place Stalingrad. • Quand les murs parlent, exposition collective, dans la cour (voir Gare). Vernissage vendredi 18 mai à 11h.
Théma Japon.
• Comfort Women de Jan Banning. Dixhuit Indonésiennes, forcées à la prostitution par les Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale, se montrent pour la première fois. Un hommage poignant aux femmes victimes des conflits armés. • Manzanar war relocation center d’Ansel Adams. Dans l’aride Sierra Nevada, en Californie, le camp où furent internés de force 110 000 Américains d’origine japonaise, dès 1942.
COMFORT WOMEN, PAINI, 1930, GETASAN, CENTRAL JAVA © JAN BANNING
REBELS © KATIA KAMELI
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52-54 quai des Moulins. • Belgicum, de Stephan Vanfleteren. La Belgique dans sa banalité exotique. Une évocation du plat pays par l’indicible, la fuite des jours. • Scrapbook, de Gilles Caron. La fondation Gilles-Caron entretient la flamme autour du créateur de l’agence photo Gamma, disparu à 30 ans en 1970. Sa conception du métier de photojournaliste, immergé dans les sujets de son époque : Mai 68, guerre des Six Jours, du Biafra…
GARE SNCF,
L’ARMÉE DE LA RUE GRENETA LÉON GIMPEL, N.3310 - ? PARIS ; 19 SEPTEMBRE 1915 - ? LA GUERRE CHEZ LES ENFANTS. LE CÉLÈBRE AVIATEUR “PÉPÉTE” TRIOMPHE DEVANT SA VICTIME. AUTOCHROME, 9X12 CM. COLL SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE PHOTOGRAPHIE © LÉON GIMPEL/COLL. SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE PHOTOGRAPHIE
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CHAIS DES MOULINS,
SCRAPBOOK © GILLES CARON/FONDATION GILLES CARON/LIENART/CONTACT PRESS IMAGES
VIE QUOTIDIENNE EN IRAN AVANT LES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES IRAN, T ÉHÉRAN, AVRIL 2005 © ISABELLE ESHRAGHI/AGENCE VU’
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Textes Raquel Hadida //
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CHAPELLE DU QUARTIER HAUT,
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26 quai Aspirant-Herber. The Moscow Project et Seeuropeans, d’Albert & Verzone. Des Moscovites posent devant leurs immeubles, en 1991, 2001, puis en 2011 : de quoi évaluer les progrès et dégâts de la société russe après la chute de l’URSS et l’ouverture à l’Occident. Le duo italien écume ensuite les plages d’Europe à la rencontre des baigneurs, reflets d’une “société de loisirs” qui fait sourire. Jusqu’au 28 mai de 12h30 à 19h, week-end de 14h à 19h, fermé le mardi. Visite vendredi 18 mai à 16h.
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!EN PRATIQUE
• Ouverture: Les expositions sont ouvertes du jeudi 17 mai au dimanche 3 juin (sauf indication contraire), de 10h à 19h, et sont gratuites. • Se déplacer en petit train (Ligne rouge sur le plan) Les expositions sont réparties entre le centre-ville de Sète et le quai des Moulins. Pour vous y rendre, le petit train d’ImageSingulières vous transporte en 20 min. Départs toutes les heures: - de 10h15 à 18h15, de la place Stalingrad (sur le bd VictorHugo, devant la Maison de l’image documentaire) vers Village Center, puis les chais des Moulins. - de 10h45 à 18h45, des chais des Moulins vers la place Stalingrad. 1,50€ l’aller, 3€ l’aller-retour. • Bureau du festival: association CétàVOIR, Maison de l’image documentaire et boutique: 3 rue Raspail à Sète, 0467182754 cetavoir@orange.fr, www.la-mid.fr • Site web du festival: www.imagessingulieres.com
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SALLE TARBOURIECH, THÉÂTRE DE LA MER,
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ESPACE PAUL-BOYÉ,
MIAM (MUSÉE INTERNATIONAL DES ARTS MODESTES),
23 quai du Mal-de-Lattre-deTassigny. 20 ans de Groland, par JulesÉdouard Moustic. Le présentateur du journal déjanté de la principauté de Groland, sur Canal +, se révèle aussi féru de photographie. Portraits-montages faussement naïfs, séries newyorkaises : Christian Borde, de son vrai nom, aiguise son regard comme son humour. Du 17 mai au 10 novembre, de 13h à 19h. Vernissage vendredi 18 mai à 17h.
Les rendez-vous du week-end du 17 au 20 mai :
Pour le programme heure par heure, voir agenda p. 28 à 37. Sauf précision, tout est gratuit.
20 ANS DE GROLAND © JULES-ÉDOUARD MOUSTIC
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Bleu, blanc, rouge. Arrivé à Sète pendant la Saint-Louis en août dernier, le photographe new-yorkais Christopher Anderson n’a pas hésité à monter sur la tintaine, et à participer aux joutes de la presse sans y comprendre grand-chose, mais histoire de baigner dans l’exotisme. Résultats : sur l’affiche du festival ImageSingulières, on peut reconnaître le torse du jeune jouteur Marc-Alexandre. Et surtout, frappé par le blanc des jouteurs et le rouge des fumigènes, Christopher Anderson a vu la ville en drapeau. Une question d’identité, pour cet Américain marié à une Française. Ainsi, pour exprimer sa vision, il a réitéré en octobre par des portraits de Sétois dans une ambiance rouge ou bleue. Des pans de mur trouvés dans une montée d’escalier. Petit jeu : dans le livre consacré à cette résidence Sète #12, retrouverez-vous Cécile Guyez, la journaliste culture de La Gazette de Sète ?
MEN AND WOMEN, SÉRIE LOOKING FOR LOVE © TOM WOOD
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Secrets de résidence
Route de la Corniche. Men and Women, de Tom Wood. Seuls ou en groupe, vieux ou jeunes, posés ou pas, les gens se font capturer avec tendresse par cet Irlandais de Liverpool. Vernissage dimanche 20 mai à 11h. EL NORTE - EL NORTE, FRONTIÈRE AMÉRICANO-MEXICAINE. À LA FAVEUR DE LA NUIT, DES MEXICAINS OBSERVENT À TRAVERS LE MUR ENTRE MEXIQUE ET USA LE VA-ET-VIENT DE LA PATROUILLE FRONTALIÈRE AMÉRICAINE. SAN ISIDRO, CALIFORNIE, ÉTATS-UNIS, 1996
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Grande-Rue Haute (angle rue Borne). Sète #12 de Christopher Anderson.
SÈTE #12 © CHRISTOPHER ANDERSON/MAGNUM PHOTOS
SEEUROPEANS IBIZA ESPAGNE 2001 © ALESSANDRO ALBERT & PAOLO VERZONE/AGENCE VU’
CRAC (CENTRE RÉGIONAL D’ART CONTEMPORAIN),
45 quai de Bosc.
Théma Amérique du Sud.
• Urban Quilombo, de Sebastian Liste. L’immersion totale avec une communauté de 60 familles de la rue, dans une ancienne chocolaterie de Bahia, investie pendant huit ans… avant expulsion en mars 2011. • Aquì, Junto al agua. Nicaragua de Rafael Trobat. À travers 18 ans d’histoire récente, le portrait d’un pays où l’eau n’est jamais loin : vie quotidienne, religion, catastrophes naturelles… • El Norte, de Patrick Bard. La frontière entre les États-Unis et le Mexique, un lieu ultra-surveillé où se concentrent violence urbaine, économie dérégulée et trafic de drogue, sur fond d’immigration clandestine. • Résidence de SFR jeunes talents. Le fruit du travail de deux jeunes photographes, Léo Delafontaine et Vladimir Vasilev, sur le littoral méditerranéen, ses problèmes sociaux et écologiques. Vernissage vendredi 18 mai à 18h.
La Gazette n° 272 - Du 3 au 30 mai 2012
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reportage
réalisé par Raquel Hadida / photos Raquel Hadida /
UNE SALLE DE JEUX POUR LES CHATS
Dans la cour de l’ancien collège Victor-Hugo, Sébastien Dubost, spécialiste des décors, monte un labyrinthe en cubes de bois pour l’expo de photos de murs.
INCONGRU
Un salon de cuir et de velours, posé au bout d’un des chais des Moulins, en toute incongruité. Inutilisés depuis une dizaine d’années, ces bâtiments classés sont en pleine rénovation.
ImageSingulières Coulisses de festival Gare, boulodrome, friche industrielle ou ancien siège d’entreprise : le festival ImageSingulières investit des lieux inattendus. Pour les relooker en lieux d’expo photo, artisans et bénévoles apportent aussi leur regard inspiré et décalé.
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isseuse, enduit, fer à souder, pot de peinture. Pour préparer le festival de photo ImageSingulières à Sète (voir p. 16 et 17), l’équipe de l’association Cétavoir ne s’arme pas uniquement d’un regard artistique éthéré. Elle doit en parallèle résoudre des questions pragmatiques. En choisissant d’investir plusieurs lieux, culturels ou abandonnés, sa directrice Valérie Lacquittant souhaite “créer une circulation dans la ville”. L’association devient alors “défricheuse” d’espaces improbables, qu’elle met en scène tout en respectant leur identité. Au-delà de l’aide logistique de la Ville pour le gros œuvre pelleteuse, rouleaux compresseurs, électricité -, ce sont des artisans et des bénévoles complices qui mettent la main à la pâte. Rencontres de chantiers.
• À l’espace Paul-Boyé
Quai du Bosc, le festival occupera l’ancien siège - bureau et magasin - de l’entreprise Paul-Boyé, spécialiste des uniformes et vêtements “techniques”. Issue de Pierre Boyé, tailleur à Sète début XXe, la manufacture de vêtements employait 750 personnes dans les années 80. Vidées en 2006 pour un déménagement près de Toulouse, et avant d’être vendues, les pièces en enfilade sur près de 70 m reprennent du tonus lors des appels à bénévoles. Peinture blanche et rouge, dépoussiérage, réorganisation des cloisons, nettoyage de vitres en hauteur. L’activité attire une dame. Qui demande à entrer, visiblement émue. Une ancienne de Boyé. De quoi inspirer Sandra Mehl, une des bénévoles, agent du Département et elle-même réalisatrice de projets documentaires… pendant ses vacances: “Ça m’a beaucoup touchée. Alors j’ai décidé de commencer une série de photos et d’enregistrements sur les anciennes couturières sétoises de Boyé. Je m’intéresse au travail, aux milieux populaires. Eux aussi doivent avoir leur place dans le festival.”
• À l’ancien collège Victor-Hugo.
La visseuse à la main, Sébastien Dubost émerge de cubes géants en bois. Dans la cour au sol bosselé, le labyrinthe rectiligne fait pour l’instant office de “salle de jeux pour les chats”. Une fois fermé et assemblé, il se couvrira de photos de murs, glanées chez de grands photographes. Spécialiste des décors, habitué du festival photo d’Arles, Seb le menuisier marseillais n’a pas consacré sa vie aux châssis: il est aussi l’ex-directeur La Gazette n° 272 - Du 3 au 30 mai 2012
de la publication du journal CQFD (Ce qu’il faut dire, détruire, développer…). Une figure de la presse indépendante critique pour mettre en scène des photos engagées: logique.
“JEANNOT PLACO”
Sur son polo vert, “Pour” devant, “Contre” derrière. “Jeannot placo”, Sétois atypique, pose les cimaises de l’expo photo sur 120 m de longueur, une fine bande lisse sur les murs écaillés du chai des Moulins.
• À la gare.
La gare de Sète accueillera aussi un cube de murs. En grimpant les marches quatre à quatre, les voyageurs pourront lire des citations sur les escaliers. Et, à leur tour, griffonner coups de gueule et coups de cœur sur le “mur d’expression”, installé sur le quai A. Un témoignage collectif qui sera photographié jour après jour.
• Aux chais des Moulins
Inscrits comme monument historique et propriété de Christian Gaffinel, les chais datés “1924”, se sont déjà fait refaire la façade et les toitures. En 2011, les imposants bâtiments taggés avaient déjà accueilli des conteneurs pour la percutante expo Mafia. Cette année, le chai Skalli étant occupé par la Scène nationale, le festival devait retrouver un cœur névralgique. Ce sera quai des Moulins, avec un peu plus de confort, et de la moquette orange par-dessus le lit de graviers. Dans les longues nefs industrielles de 120 m de long, “Jeannot placo” pose les cimaises pour accueillir les expos photos. Jointures, poncage. Fine incursion grise lisse dans l’immensité des parois écaillées, dans un silence à peine rompu par trois roucoulements. Sur son polo, “Pour” devant, “Contre” derrière, un souvenir de l’arbitrage d’un match de rubgy “alternatif” entre les Pescapouffres et les Sacamoules. Pour retrouver cet artisan sétois atypique, oubliez le téléphone : “passez au Baratcho ou au Baratin”. Et sinon, y a-t-il un artisan classique par ici? Dans la travée d’à-côté, c’est sous l’œil de la chienne Leica - comme l’appareil photo mythique - que les techniciens sétois de SAS (Scénographie architecture du spectacle) fabriquent l’écran géant démontable destiné aux projections. Encore des pros de l’originalité et du regard décalé, sous forme associative. Le mètre saute d’une main à l’autre, Sarah et Philippe soudent des taquets dans l’arche, tête en bas sur l’échafaudage. Plus loin, dans les autres chais non utilisés, des rais de lumière tombent sur les imposantes cuves à vin. Délaissées, écaillées, toiles d’araignées. L’esthétique de la friche industrielle appelle la photo. Plus qu’un décor, une entrée en matières.■
SARAH ET PHILIPPE, SCÉNOGRAPHES Sur l’échafaudage, Sarah et Philippe, techniciens del’association Sas (Scénographie arhitecture du spectacle), soudent les supports du futur écran géant destiné aux soirées de projection.
CONTRE-JOUR AUX CHAIS
Les chais des Moulins sont aujourd’hui ouverts aux quatre vents. Pour les expositions photo d’ImageSingulières, ils deviendront l’épicentre des festivités. Éloignés du centre-ville de Sète, ils seront même accessibles en petit train (voir p. 17)
Sete271-AvrilUne-BAT_271SETE_001 27/03/12 16:43 Page1
N° 271 - avril 2012
FRONTIGNAN
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Un dimanche avec les fans de la petite reine
TOUTES LES SORTIES D’AVRIL
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PHOTO EMMANUEL LECLERCQ - AMIS DES GRANDS VOILIERS
Le calvaire des marins marocains
*Sur produits exclusifs signalés en magasins, et dans la limite des stocks disponibles.
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reportage Sur les quais de Sète, près de 210 marins survivent dans les trois navires des lignes Sète-Maroc, saisis pour dettes. Bloqués à Sète depuis trois à quatre mois, sans salaire, ni information sur leur avenir, alimentés en vivres et gasoil au compte-gouttes, ils tentent de garder le cap. Avec calme et dignité.
Les otages
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des ferries marocains
es yeux dans le vide, face au noir de leurs cafés serrés. En fond, le sourd ronron d’un moteur bientôt à court de carburant. Dans la lumière orangée de rideaux seventies, on les entend se ronger les ongles . Entre deux conjectures échauffées d’Haddou, le chef mécano. Entre des mains qui se croisent, se décroisent, qui supportent les dêtes épuisées par l’angoisse. Dans le carré des officiers du Bni-Nsar, les marins ne commentent aucune manœuvre, aucun voyage. Navire de la compagnie marocaine Comanav, le Bni-Nsar est bloqué sur les quais du port de Sète depuis le 4 décembre dernier. Tout comme le Marrakech et le Biladi (Comarit), saisis le 5 janvier par le tribunal de commerce de Montpellier pour créances impayées.
Un silence assourdissant
Mais les 211 marins non plus ne sont pas payés, parfois depuis le mois d’octobre. Ils vivent au gré des ravitaillements en vivres et en gasoil, parfois sans eau ni électricité. Mais ils ont refusé d’être rapatriés pour récupérer leur dû, et pouvoir rentrer la tête haute au pays. Sinon, ils risquent le chômage
sans indemnités. Le “grand congé congelé”, comme l’appelle avec humour Mohammed, le “bosco”, taquin maître d’équipage. Car même au bord du gouffre de la dépression, les marins savent rire de leur sort, accueillir avec bienveillance, sourire avec chaleur. Souffrir dans un assourdissant silence. En ville, ils se font oublier. Tout au plus vont-ils boire un thé au snack Marrakech-Biladi du quai d’Orient, et surtout donner des nouvelles à leurs épouses, à leurs enfants par téléphone ou Skype. Le soir au Seamen’s club au Quartier Haut, entre deux boules de billard et un Coca. Et désormais la journée, à l’Accueil migrants, au Château-Vert. Le dimanche, ils retrouvent leurs collègues des autres navires au marché aux puces. L’occasion de se fournir en lampes-torches, surtout pour les marins du Marrakech, qui rejoignent leurs cabines dans le noir pendant les black-out, les coupures d’électricité dues au manque de gasoil, avant les livraisons au compte-gouttes par la compagnie. L’occasion de tirer sur une de leurs vingt cigarettes quotidiennes*. “Le stress”, lâchent-ils.
Mais pas de vague, pas de harangue, pas de manifestation. “On ne fera jamais rien qui porte préjudice à la France. À Sète, ils nous aiment, on les aime.” Et la “mendicité”, pas question… surtout que ce sont eux, les créanciers! “Tout ce qu’on veut, c’est que la France fasse pression politiquement sur le Maroc et sur notre compagnie pour qu’on reparte”, maintient, déterminé, Karim, un des délégués du personnel.
La famille, souci numéro un
En attendant, ils persistent dans un improbable travail “normal”, 8h-12h, 14h-18h. Le sigle de la Comanav cousu à la poitrine sur leurs combinaisons orange ou bleues. Entretenir la mécanique, les générateurs, le pont, les cabines. Réparer les poignées cassées. Sans plus de peinture antirouille, ni pièces de rechange, ni produits d’entretien. Les stocks sont épuisés. Les repas s’allègent et se ressemblent. Pain sec, lentilles, sandwich thon-fromage… Le cuisinier utilise environ 2€ par jour et par marin, au lieu de 8€. Pour eux, qu’importe: “On n’a plus d’appétit.”
Angoisse dans le carré des officiers du Bni-Nsar, un des trois navires marocains immobilisés dans le port de Sète. Ni payés, ni licenciés, les marins sont pris en otage par des malversations financières et des tractations capitalistiques dont ils ne sont pas responsables. Malgré leur précarité, ils conservent leur calme. Et leur humour.
La Gazette n° 271 - Du 29 mars au 2 mai 2012
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8 MARINS
réalisé par Raquel Hadida / photos Raquel Hadida /
Sur les navires, les marins persistent à travailler, mais la dépression guette.
Sur le Marrakech, plus gourmand en gasoil que le Bni-Nsar, le manque d’électricité crée une “ambiance de train fantôme”, témoigne Mohammed, l’électricien. Et, en bloquant les pompes, entraîne aussi la coupure d’eau. Jusqu’à obliger les marins à faire leurs besoins dans des sacs en plastique: les WC du port sont trop loin. “Nous, les marins, on peut tout endurer… mais pas nos familles.” Et c’est bien l’essentiel de leurs préoccupations. Selon les marins, non seulement la Comanav-Comarit n’a pas payé leur couverture sociale depuis trois ans - ni retraite, ni assurance-maladie -, mais, depuis novembre, elle a aussi stoppé le paiement aux banques des crédits immobiliers octroyés via la compagnie (anciennement nationale, voir cicontre). Et depuis Sète, pas facile de gérer un dossier administratif. Ainsi, leurs familles, sans ressources, risquent d’être mises à la rue. “Ma femme a vendu le frigo”, raconte Abdeljalil. D’autres ont dû déménager, ou demandent carrément le divorce. Des enfants sont obligés de quitter des études payantes en plein milieu d’année. “Au début, on s’arrange avec les amis, les parents… mais après?”
Sous pression
Avec douceur, Karim exprime son désarroi : “On est comme des passagers dans un avion piraté: on ne sait pas ce qui se passe, on est pris en otage.” Certes, “ces marins ne sont en aucun cas responsables de leur sort”, insiste Lilian Torres, qui les épaule au nom du syndicat international des ouvriers du transport (ITF). Mais rentrer en “perdants” serait pour eux un signe d’échec social, surtout dans la classe moyenne marocaine dont ils font partie. “J’ai navigué 35 ans dans la compagnie, il me reste trois ans avant la retraite, et je vais rentrer avec une chemise?”, redoute Abderrahim, le maître-graisseur. “La nuit, je n’arrive pas à dormir jusqu’à 4 heures du matin. On garde tout pour nous, seuls dans nos cabines. À cause de la nervosité, j’ai des touffes de cheveux qui tombent. Je pense, je pense, je pense”, murmure un marin. Certains commencent à parler tout seuls. Interdits de sortir du Biladi, trois animateurs au bord du suicide auraient appelé des douaniers à l’aide. Un marin est hospitalisé pour un AVC, d’autres souffrent d’hypertension, de hernie. Et chaque rumeur sur les tractations au Maroc alimente l’anxiété: “Après l’annonce d’un appel d’offres pour la ligne Sète-Tanger, un des mécaniciens m’a dit : “Chef, c’est la fin du monde, qu’est-ce qu’on va faire?” J’ai vu un gars à l’état psychique en chute libre”, raconte Haddou, le chef mécano du Bni-Nsar. Sur ce bateau, les trois commandants français (voir p. 16) qui se relaient ont instauré une réunion d’information par semaine. Sur le Marrakech et le Biladi, les commandants Nabil et Carlovitch soutiennent que “tout va bien” et interdisent à quiconque de monter à bord. Mais lorsque le Biladi,” l’enfant gâté”, se fait livrer du gasoil ou un semi-remorque de vivres pour plusieurs milliers d’euros, les marins du Marrakech, dans le noir, eux, écarquillent les yeux. Et sont près de craquer. À Tanger, les collègues manifestent sous les matraques. Ici, la peur des représailles sera la plus forte (voir p. suivante). Sur un bout de nappe en papier, un stylo crisse: Tiachach griffonne des petits carrés. À sa droite, Abderrahim se défoule sur une cible. Avec des fléchettes. * La compagnie distribue aux marins une cartouche de cigarettes par semaine… qui sera retenue sur leurs salaires.
8REPÈRES La compagnie maritime Comanav-Comarit
- Le Biladi (Comarit) et le Marrakech (Comanav) assurent deux départs pour Tanger par semaine. Le Bni-Nsar (Comanav), un départ pour Nador, au Maroc. - 60 % des passagers européens partent au Maroc par cette compagnie. - 1200 salariés. - Armateur: Youssef Abdelmoula, homme d’affaires influent à la tête d’une holding de 28 entreprises, et député de Tanger. - Dettes déclarées: 15,8 M € de carburant, de chantier naval. - Impayés non déclarés: frais de port (140000€, salaires (plus de 200000€), une part de l’achat des bateaux (plus de 20 M€). - La Comanav était compagnie nationale marocaine jusqu’en 2007. Rachetée par la CMA-CGM compagnie de navigation française, elle se fait à nouveau racheter par Abdelmoula en 2009.
L’équipage
- Bni-Nsar: 43 marins hommes. Marocains, avec des officiers du Nigéria, du Sénégal et du Congo et trois commandants français. Avant arrêt, une grande réparation était prévue en Turquie. - Marrakech: 78 marins. Commandant marocain. Consommation de gasoil: 1,7 t/jour. - Biladi: près de 100 marins, dont des animateurs et des femmes (hôtesses, femmes de ménage), souvent stagiaires. Commandant croate. 11 marins (au moins) ont déserté.
La crise à Sète
- 4 décembre 2011: arrêt du navire Bni-Nsar à quai à Sète. - 5 janvier 2012: immobilisation du Marrakech et du Biladi, saisis pour dettes par le tribunal de commerce de Montpellier. Les passagers sont refoulés. - 10 février: première panne d’électricité sur le Marrakech. - 21 février: la compagnie italienne GNV veut s’installer sur la ligne Sète-Tanger. - 5 mars: réunion de crise au port de Sète. - 6 mars:“grève” du Seamen’s club. - 8 mars: livraison de vivres au Biladi et appel d’offres marocain pour Sète-Tanger. - 14 mars: la Croix-Rouge installe une tente médicale - 16 mars: Véolia évacue les déchets et vidange les navires. - 28 mars (prévu): réunion de la commission de bien-être des marins.
À Sète, les bénévoles du Seamen’s club et de l’Accueil migrants reçoivent les marins pour leur permettre de contacter leurs familles.
Pas dans le même bateau Les marins des trois navires immobilisés ne sont pas vraiment logés à la même enseigne. - Le Biladi (Comarit) se fait ravitailler plus régulièrement en gasoil et en vivres. En revanche, selon le syndicaliste Lilian Torres, le capitaine Carlovitch fait régner la terreur sur son équipage. Motus et bouche cousue. Payés (en théorie) 150 € à 200 € par mois, jeunes et essentiellement en CDD voire en stage -, les salariés sont plus malléables et reviennent peu cher à l’armateur. - À l’inverse, le Marrakech et le Bni-Nsar doivent se serrer la ceinture. Issus de l’ancienne compagnie nationale marocaine Comanav, les salariés ont souvent plus de 50 ans, une grande ancienneté, sont en CDI et payés 1 000 € à 1 200 € par mois.
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Autrement dit, ils reviennent “cher” - y compris en cas de licenciement. Les marins décrivent une sape systématique de la compagnie : le Bni-Nsar passe sous pavillon de complaisance panaméen pour réduire les droits des marins (et les taxes), les effectifs sont réduits d’un tiers, les stocks de pièces détachées récupérés pour la Comarit. Au Maroc, les agences de voyages assurent que les navires de la Comanav sont complets pour détourner les passagers vers la Comarit. Avec un entretien minimum, deux femmes de ménage pour 800 passagers, et des navires anciens (âgés de 30 à 40 ans), les clients doivent supporter la saleté, des soucis techniques, des retards…, ce qui les détourne encore de la Comanav. D’où une baisse de la fréquentation de 210 000 à 170 000 passagers à Sète, entre 2010 et 2011.
Mais que fait la France? “Les autorités françaises ne font pas leur boulot. Face aux problèmes humains, les enjeux économiques passent en priorités.”, constate Hélène Scheffer, présidente du Seamen’s club. Par une grève d’un jour, le 6 mars, l’association qui se démène pour accueillir et faire soigner les marins clame son ras-lebol. Notamment contre le Port, qui les ignore, et n’assure pas le service d’accueil des marins en escale. Idem pour Lilian Torres, responsable du syndicat maritime ITF : “Les autorités font l’autruche, alors que, par leur travail, les marins ont apporté de la richesse à la ville!” Taxis, hôtels, restaurants, essence, marchés : en arrivant à Sète parfois trois jours avant le départ, les 210 000 passagers par an (en 2010), dont certains venus d’Allemagne ou de Belgique, faisaient tourner les commerces, et le Port seul gagne 1,4 M€/an. “Sans eux, l’économie locale risque de tomber.” Le 8 février, Thierry Mariani, ministre des Transports, a pourtant écrit à son homologue marocain pour le prévenir que l’État interviendra s’il le faut. “Une première”, salue Hélène. Mais quelle suite?
Embarrassés
À la Préfecture comme au Port, on se dit très attentif à la situation des marins et conscients que “le moral est dans les chaussettes”, “les conditions psychologiques sont déplorables pour les marins”. Le Port ouvre les toilettes
de la gare maritime, fournit de l’eau, et étudie les possibilités de raccordement électrique. Car, sans électricité, un bateau n’a plus de sécurité en cas de voie d’eau ou d’incendie, et devient une bombe ambulante. La Préfecture a favorisé l’intervention de la Croix-Rouge et l’évacuation des déchets, mais n’interviendra, par exemple sur l’alimentation, “qu’en cas de crise humanitaire”. Car les autorités se trouvent bien embarrassées de s’ingérer” dans un litige de droit privé”, sur les navires - donc en territoire marocain, pour des citoyens marocains. Surtout quand les commandants refusent: arguant à l’envi que “tout va bien”, le Marrakech et le Biladi ont repoussé la présence de la Croix-Rouge. L’inspection du travail? “La seule sanction serait… l’immobilisation du navire!” La Mairie, elle, met à disposition ses bains-douches. Et plusieurs associations se mobilisent pour les marins. De son côté, le consulat du Maroc affirme rendre visite régulièrement à ses ressortissants et prendre en charge leurs frais médicaux. “C’est faux !”, rétorquent les marins. “Ils ne sont venus qu’une fois, pour nous dire de rester tranquilles!” Réclamé par le conseiller général François Liberti et par Hélène Scheffer, le Comité de bien-être des gens de mer devait se réunir le 28 mars. Coordonné par la Préfecture, il doit justement trouver une solution multiacteurs à cette situation délicate.
Ailleurs
- En Espagne, huit navires de la Comanav-Comarit sont bloqués à Almeria et Algésiras, dans les mêmes conditions. - Au Maroc, les salariés “sédentaires” manifestent. Un bateau est bloqué à Nador.
La Gazette n° 271 - Du 29 mars au 2 mai 2012
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016-Reportage_271SETE_016 27/03/12 17:05 Page16
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reportage
Sorties de crise Relance, abandon, licenciements, rachat, partenariat avec l’Italie ? Au Maroc, les tractations sur les lignes maritimes vers Sète s’effectuent en grand secret. À Sète, les marins délaissés imaginent des scénarios de fin.
“R
éservez vite!” Sur biladivoyages. com, on vend encore le trajet Sète-Tanger. Au vu de la forte demande, tous les acteurs et observateurs pensaient que la relance des précieuses lignes maritimes Sète-Tanger et Sète-Nador ne serait qu’une question de jours. De semaines. Depuis plus de trois mois, les marins des ferries marocains sont bloqués à Sète par les dettes d’un “patron-voyou”. Au Maroc, les discussions sont tous les jours “en bonne voie”, mais reportées… Le 22 mars, le syndicat marocain UMT dit avoir négocié avec le gouvernement une prise de décision le 29 mars (jour de la sortie de ce numéro). Enfin? À partir des maigres informations qui filtrent, les marins échafaudent des hypothèses, tout comme les autorités françaises, perplexes.
Qui veut quoi?
- Les marins veulent reprendre le travail. Représentés, pour 130 d’entre eux, par le syndicat international ITF (FO à Sète), ils lancent un ultimatum: si rien ne bouge, le 2 avril ils demanderont à leur tour une saisie au tribunal pour salaires impayés. Les bateaux resteraient alors immobilisés à Sète le temps de la procédure, environ deux ans. - Le Maroc veut relancer la ligne, importante pour ses ressortissants et source de devises. Le pays a donc lancé un appel d’offres sur la ligne Sète-Tanger à partir de mai, pour un an. -Comme la Ville de Sète, le Port veut aussi relancer la ligne au plus vite, si possible avec des navires compétitifs par rapport à ceux de Barcelone. Et veut éviter que les bassins restent encombrés de navires immobilisés, limitant l’entrée d’autres bateaux. - La compagnie italienne Grandi Navi Veloci voudrait assurer la liaison Sète-Tanger sur des navires récents, combinés avec le transport de camions, mais sans le personnel marocain apLa Gazette n° 271 - Du 29 mars au 2 mai 2012
JACQUES CASABIANCA,
UN DES TROIS COMMANDANTS FRANÇAIS SUR LE NAVIRE BNI-NSAR (en photo, en haut, à gauche) La Gazette : Vous continuez à travailler, pourquoi ? Jacques Casabianca: Nous nous imposons un rythme quotidien
car le pire serait l’oisiveté : tout le monde prendrait des cachets ou se jetterait à l’eau… Et nous continuons à servir la compagnie.
Certains soutiennent que les marins feraient mieux de rentrer chez eux… Ils n’ont absolument pas l’intention de rester ici, mais ils veulent repartir avec un salaire ! Ce ne serait pas très élégant de les virer comme des malpropres alors qu’ils ont contribué au développement économique de la région. Surtout que, dans la peine, ils sont d’une dignité et d’un courage exemplaires. Je suis très fier de mon équipage.
précié des passagers. La GNV avait déjà lancé ce projet en 2009 avant de se rétracter. - L’armateur et député Youssef Abdelmoula pourrait vouloir relancer la Comarit, et laisser tomber la Comanav (voir p. précédente). Une façon d’acheter une compagnie concurrente pour la couler et s’en débarrasser.
En tant que représentant de l’armateur, votre position est délicate, non ?
Oui, je suis obligé de préserver l’équilibre : je défends les intérêts de l’armateur, mais je ne veux pas laisser tomber mon équipage. Je me dois à eux, ils m’ont donné le plaisir d’exercer dans des conditions satisfaisantes. Même si je ne suis pas une assistante sociale. Leur détresse n’est pas celle d’un clochard par - 12 °C, mais de quoi a l’air un père de famille qui revient avec des ennuis ? Je suis scotché par les “tout va bien” des autres commandants.
Scénarios de fin
Les plus simples: - En échange du règlement des créances, le Maroc ainsi que des banques, voire des fournisseurs, prennent des parts de capital dans la Comarit-Comanav, en laissant à l’armateur actuel 30 à 40 % des parts… ou en l’excluant totalement. Les navires repartent, les marins continuent le travail. - Variante: en s’associant avec un autre armateur marocain. Ou italien? - Les navires sont revendus à un autre armateur (valeur: 3 à 4 M€), avec reclassement des salariés. L’État marocain procède au règlement des salaires et cotisations impayées, ainsi que des licenciements en bonne et due forme. Les plus risqués: - Les marins manifestent sur la voie publique. Sans papiers français, ils peuvent être renvoyés au Maroc. Où ils risquent la prison. - Le consulat du Maroc ordonne le rapatriement. Les marins font grève à bord. - Les marins n’ont plus rien à manger: la préfecture intervient, mais les marins peuvent être rapatriés, sans rien dans les poches. - La situation s’enlise. Les navires sont placés sous perfusion de vivres et d’électricité par la France. Pendant quelques semaines, et après? Déterminés à ne pas partir sans salaire, les marins craignent néanmoins le pire: “Le patron a beaucoup de pouvoir, c’est un coupeur de têtes, un archi-milliardaire. Oui, le Maroc a des lois. Mais personne ne gagne contre lui.”
“Je suis très fier de mon équipage”
Comment jugez-vous l’attitude des autorités françaises ?
On ne peut leur imposer comme un devoir d’amener de l’aide.
Que peut-on faire pour les marins ?
Leur apporter gentillesse et considération. Sinon, on a surtout besoin de gasoil, mais un camion coûte environ 30 000 € !
Qu’attendez-vous du dénouement de la crise ?
La pérennité de la ligne est importante pour l’économie, et il faut que le bateau reparte. Mais si on est remercié du jour au lendemain et rapatrié, cela doit se faire dans des conditions dignes.
Abandonnés?
Les marins des ferries ne sont pas des marins abandonnés comme les autres. Le droit international considère qu’il y a abandon si les marins ne sont plus payés - ce qui est le cas - et s’ils n’ont plus de lien avec l’armateur pendant deux mois. Or le lien est ténu, mais il persiste : ravitaillement au compte-gouttes, mails ou fax se voulant rassurants. Habituellement, les navires abandonnés sont des “bateaux-poubelles” de commerce, en piteux état, gérés par 15 marins maximum, aux nationalités hétéroclites, souvent recrutés pour quelques voyages. Derniers cas à Sète : le Rio Tagus, le Lena. Leur souci était de se faire rapatrier. Ensuite, ils ont vite retrouvé du boulot. À l’inverse, les navires Sète-Maroc assurent des lignes régulières avec l’accueil de voyageurs, nécessitant d’importants équipages (voir p. précédente). Les Marocains, majoritaires, sont attachés à la compagnie depuis des années. Ainsi, retrouver un travail équivalent au Maroc ne serait pas facile.
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streetshooting 8REPÈRES Nos questions
Pourquoi faites-vous la vélorution? Comment utilisez-vous votre vélo au quotidien? L’aménagement de la ville vous permet-il de faire du vélo en sécurité?
Le jour
Dimanche 4 mars. Thème d’aujourd’hui: le printemps. En fleurs!
Le lieu
Sur la place de l’Église à Frontignan-Ville, jusqu’à La Peyrade. Un circuit plat de quasi deux heures, qui contourne l’axe principal (le “Buc”), à travers les zones résidentielles côté nord.
Les intervenants
Seize vélorutionnaires, de 4 à 77 ans, membres du collectif Vélo citoyen, ados, habitants venus pour la “première fois”… et mêmes élus.
Pour participer
Depuis l’été 2011, les vélorutionnaires se réunissent tous les premiers dimanches du mois à 10h30. Prochaine vélorution: le 1er avril. Pour recevoir les infos, envoyez un mail à collectif.velo.frontignan@ orange.fr
POUR LA SÉCURITÉ Marie-Josée, 42 ans, membre du collectif Vélo citoyen. À l’arrivée
“L
es voitures sont foutues, les vélos sont dans la rue! “, “Pédaler, c’est la santé”, “Frontignan, à vélo!“ Slogans, pancartes, sifflets, tambour et fumigènes: le cortège qui s’ébroue à deux-roues à travers Frontignan a tout d’une manifestation. Mais, tous les premiers dimanches du mois, la vélorution prend des allures de balade ultra-conviviale, sourire aux lèvres. Aujourd’hui, les soixante vélorutionnaires partent de la place de l’Église, la fleur au guidon. Sans stress, grâce aux quatre cyclistes qui sécurisent les intersections. Organisée par le collectif Vélo citoyen et le collectif Frontignan en transition - énergétique -, la vélorution demande à la Ville des pistes cyclables. Notamment sur le boulevard urbain central (1) en réfection, pour que tous puissent y rouler en sécurité. Et que la petite reine ne perde pas la tête. Rapide, concrète et sympa, cette action intrigue les habitants aux fenêtres… et les automobilistes, bloqués avec humour par des tours de rondspoints intempestifs. La vélorution, empêcheuse de tourner en rond? Pour le savoir, La Gazettes’est infiltrée dans le cortège, jusqu’au pot d’arrivée. En vélo électrique, histoire de rajouter son brin de diversité à ce défilé hétéroclite de VTT, vélos de ville, VTC (2), tricycle couché, BMX d’ados… et même un tandem qui prend la vélorution en marche. Résultat: un “Printemps cyclable” bourré de bonne humeur. En selle. (1) Buc : Boulevard urbain central, qui traverse Frontignan-ville jusqu’à Frontignan-La Peyrade. La Ville de Frontignan transforme actuellement cette ex-nationale très dangereuse en “zone partagée” entre utilisateurs, limitée à 30 km/h. Elle réduit le nombre de places de stationnement sur la route et crée des parkings. (2) Vélo tout chemin
La
de la vélorution, c’est Marie-Josée qui dresse les tables de piquenique avec quiches, chips et petits sandwichs pour un apéro convivial. “On a même proposé à la police municipale de se joindre à nous.” Sa motivation : “La sécurité de nos enfants. Les miens partiront au collège l’année prochaine, et vont déjà au skate-park ou chercher des copains à vélo. Mais c’est dangereux, on est stressés ! J’aimerais une piste cyclable rue de la Déchetterie. On croise les doigts.”
vélorution…
Tous les mois, plus de soixante Frontignanais manifestent pour défendre la place du vélo dans la ville. Balade à pédales avec seize joyeux “vélorutionnaires”.
POUR LA BALADE Marie, 77 ans. Tonique sur ses pédales, une
des aînées du cortège apprécie la vélorution : “Ça me fait du bien aux jambes, et ça fait sortir de la maison. On apprend à connaître les gens, on se promène. Et c’est bien qu’il y ait des jeunes, c’est l’avenir !” Quand Marie prend son vélo deux à trois fois par semaine pour aller au cimetière : “C’est pratique, mais… je fais attention, je passe par derrière”. En revanche, pour les courses, “rien de tel que le bus”.
POUR LA SANTÉ
Geoffroy et Nicolas, 14 ans, collégiens en 3e. Pour les deux copains, la vélorution, c’est “divertissant ! Ça fait une promenade à vélo tous ensemble, c’est marrant”. Et sans les parents, qui, eux, n’ont pas le temps. Nicolas va déjà au collège à vélo et, l’été, rejoint son copain Geoffroy, à Frontignan-Plage, par la “jolie piste” de l’étang. Mais le problème, c’est le centre-ville : “C’est dangereux : les voitures passent vite, laissent trop peu de place. Et aux passages piétons, c’est compliqué.”
POUR METTRE LA PRESSION Agnès, 50 ans, initiatrice du collectif Vélo citoyen. “Comme le
boulevard est dangereux à vélo, les parents s’agglutinent en voiture devant les collèges! La Ville a commencé à le refaire, mais sans piste cyclable, alors que c’est obligatoire! Ainsi, nous avons créé un collectif début 2011, dans l’idée de porter plainte, raconte Agnès. Mais nous avons finalement suivi la proposition de “Frontignan en transition”, plus modérée: la vélorution. À la Mairie, nous faisons désormais partie du comité pour la mise en place des modes de déplacements doux, mais les réunions tardent… La vélorution permet de maintenir la pression sur la municipalité. On y croit!”
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pages réalisées par Raquel Hadida / photos de Raquel Hadida
Sylviane, 57 ans. Des grenouilles, des fleurs,
Sylviane en a un plein panier, toutes en papier. Mais sous ses airs ensoleillés, à vélo, la Lyonnaise ne se laisse pas démonter : “À 18h, dur de passer en plein flot des véhicules. Quand les bagnoles me bloquent, je crie : “Eh, ma place, alors ? !” Je dois parfois prendre le trottoir ou les sens interdits, de peur d’arriver en morceaux chez le kiné. Mais on ne devrait pas être obligé de bafouer le code de la route ! Ça me met hors de moi ! C’est mon côté révolutionnaire.”
POUR FAIRE SA PLACE
Raphaëlle, 6 ans, Ségolène, 9 ans, Loanne, 12 ans, Anne-Laure, 40 ans et Frédéric, 44 ans.
POUR ÉLARGIR SA VISION
Frédéric, 38 ans, cheminot à Montpellier. Depuis son tricycle couché
“super confortable”, Frédéric a vécu la vélorution en panoramique : “À vélo, on a une vue sur la ville, on se parle, ça donne l’esprit large : on n’est pas isolé devant sa télé ou derrière ses vitres fumées. Ce militantisme festif fédère facilement. Et questionne la place que nous donnons aux voitures, donc au pétrole, ou au gaz de schiste, une bêtise !” Pour bosser, Frédéric prend la voiture, mais pour ses vacances, choisit Arcachon ou la Hollande… “Au moins il y a des pistes cyclables !”
POUR S’INTÉGRER
Margot, 9 ans, en CM1. C’est Marion, sa copine du cours de danse, qui a emmené Margot à sa première vélorution. “J’ai un peu mal aux jambes, mais j’ai envie de revenir, c’est rigolo.” Margot fait déjà du vélo avec sa mère pour aller à Frontignan-Plage, et va à pied à l’école. Pour le reste, “je sais pas” sera la réponse principale de la petite fille un peu timide. Normal, après tous ces efforts…
“Loanne va au collège à vélo en 10 minutes. Mais sans piste cyclable, et avec les voitures garées sur le trottoir, on n’est pas rassurés. Et l’été, traverser Frontignan avec toute la circulation avec les petites, ça fait peur…”, témoigne Anne-Laure, la maman. Alors c’est en famille qu’on vélorutionne: “Les filles voient qu’il faut exprimer ses idées. C’est du militantisme gentil, l’ambiance est très sympa. C’est aussi une manière de nous intégrer dans le village!”
Loïc Llinares, 34 ans, élu de Frontignan délégué à l’Agenda 21 et conseiller aux transports à Thau Agglo. Avec
POUR LES COPINES
POUR LÂCHER LA VOITURE Peggy, 35 ans, enseignante à Sète.
Première vélorution pour Peggy, conquise : “Je vois que le message passe : à leur fenêtre, dans leur jardin, les gens semblent positifs. Les automobilistes aussi.” Car Peggy ne l’oublie pas : “On est tous automobilistes par défaut, car le vélo est trop dangereux. Je fais 800 m en voiture pour déposer mes enfants à l’école, je vais à Sète en voiture parce que les pistes cyclables manquent de continuité. Or la ville est plate, elle a du potentiel. À vélo, on pourrait gagner du temps, comme à Strasbourg. Si la Mairie fait des efforts, je suis prête à remonter en selle !”
sa fille Luna, 4 ans. Un élu qui manifeste ? “Je suis citoyen avant tout !”, réplique Loïc. “Nous partageons le diagnostic. Les élus ont besoin du collectif Vélo citoyen pour amener le débat sur la place publique et pousser les voitures à partager l’espace dans les nouvelles “Zones 30” (limitées à 30 km/h). D’un coup, la vélorution rend le vélo prioritaire, sur un mode ludique, sans braquer les autres utilisateurs, c’est positif.” Et “le collectif vélo a besoin des élus pour faire avancer les projets. Il y aura une piste cyclable pour relier La Peyrade”.
POUR ÊTRE CONSTRUCTIF La Gazette n° 271 - Du 29 mars au 2 mai 2012
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N° 270 - mars 2012
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enquête
À Sète, les immeubles poussent comme des champignons, et pour les habitants, les difficultés de logement persistent. Alors que la Ville peaufine sa stratégie d’urbanisme, les opposants dénoncent le “tout-logement” pour attirer une population argentée. Débat.
Sète : faut-il continuer à bétonner ?
À
Sète, ça bétonne, ça détonne, ou ça cartonne. Au choix. Des immeubles à barreaux ont poussé rue du Maréchal-Juin, un quartier se prépare aux Salins à l’entrée ouest, face au récent quartier de villas de Villeroy. Le quartier de l’île Sud (Honoré-Euzet) fait place à des immeubles de standing, et la Mairie entend investir les friches industrielles de l’entrée est par des immeubles et une marina. Sur la Corniche, la construction de l’immeuble Gaffinel fait débat (voir encadré), tout comme le projet de nouveaux immeubles à l’Île-de-Thau. À Sète, d’ici 2020, plus de 3000 logements devraient sortir de terre… ou plutôt du béton armé. Face à tant de constructions, les habitants se montrent dubitatifs. “J’en veux au maire de rendre la ville moche!”, clame Judith, 26 ans. “Il n’y a pas assez de parcs pour les enfants”, s’attriste Rosetta. “C’est quoi ces cubes blancs à l’entrée? C’est ignoble!” s’étonne Laurence, de passage à Sète. À l’inverse, Olivier Ganivenq, directeur du groupe immobilier Proméo, perçoit une dynamique positive: “Sète s’embellit, Villeroy est une réussite ! Depuis cinq ans, la ville multiplie les constructions, et devient attractive pour les habitants comme pour les touristes.” Sur les vitrines des agences immobilières, les pancartes “Idéal Montbazin tbazin
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+ 28,3 28 %
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investisseur” et “Idéal retraité” fleurissent. “Malgré tous les programmes, le marché n’est pas saturé”, remarque Olivier Ganivenq. Mais est-il adapté? Selon Anne, propriétaire, “Avec le Scellier*, défiscalisé pour l’investisseur, il y a du logement à louer en pagaille, mais peu de gens solvables à Sète. Leur louer, c’est trop de risques.” Alors l’inoccupé neuf se rajoute à la masse des 20 % de logements insalubres vacants de l’Île Sud, soit 8,2 % sur l’ensemble de la ville en 2008, selon l’Insee. Car se loger à Sète avec de petits revenus, “c’est la galère!, témoigne Aziz, ouvrier en bâtiment de 34 ans. Même à quatre avec 1500€ par mois, pas de place en HLM”. “Ma mère loue depuis quatre ans dans cet immeuble neuf, rue HonoréEuzet, mais le plafond se fissure et le loyer a trop augmenté: avec sa petite retraite, elle va devoir venir habiter avec moi”, raconte Denis.
Course au logement
À Sète, tous les opposants politiques locaux fustigent la “politique du tout-logement”, de Tous pour Sète (PC, Verts et divers gauche), au Front national, en passant par le PS et Force citoyenne (Centre). Interrogés séparément, ils avancent les mêmes arguments : “Le but n’est pas de
construire à tout va. La Ville brade ses terrains et se lance dans une course au logement uniquement pour des raisons financières: plus de taxes foncières, meilleure dotation de l’État… Mais c’est la fuite en avant: Sète ne peut pas absorber indéfiniment plus d’habitants sans détériorer la qualité de vie ou ressembler à Hongkong! (Voir p. 12)”. France Jamet, candidate aux législatives à Sète pour le FN, va plus loin: “Tous les maires font pareil: avoir plus d’habitants et faire des mégaprojets, c’est pour satisfaire leur ego.”
Construire sans s’étaler
En revanche, pour François Commeinhes, le maire de Sète (UMP), envisager une population de 51500 habitants à l’horizon 2020 - contre 43 500 aujourd’hui, “ce n’est pas un objectif ! C’est une réalité! Nous devons l’anticiper, non la subir”. Jusqu’à présent, nouveaux habitants et familles se sont surtout installées autour des villages comme Mèze, Loupian, Poussan, Vicla-Gardiole, Gigean, en pavillon avec jardin. Urbanisant ainsi 16 % du territoire, contre 11 % dans les autres territoires littoraux français, où la pression de construction triple déjà par rapport à la moyenne nationale. Selon les géographes du Syndicat mixte du bassin de Thau
Ces 15 dernières années, les petites communes ont absorbé l’essentiel de l’augmentation de la population. Pour “préserver l’essentiel de notre écrin environnemental: l’étang de Thau et les terres agricoles au nord”, et diminuer le trafic en voiture domicile-travail, le Schéma de cohérence territoriale (Scot) prévoit un développement urbanistique centré sur le triangle Sète-Frontignan-Balaruc. Soit 4000 logements de plus à Sète d’ici 2030.
+ 8,6 %
Sète ète te
+ 9,5 %
Augmentation de population entre 1999 et 2007.
Île-de-Thau
Etang de Thau Les Salins 500 logements
Triangle de Villeroy
La Gazette n° 270 - Du 1er au 28 mars 2012
Les Eaux Blanches
Le Barrou La Pointe-Courte
Entrée Est 1000 à 1300 logements Mont Saint-Clair
Sète Immeuble Gaffinel La Corniche 13 logements
Port régional Île Sud Centre ville ancien 500 logements réhabilités
Mer Méditerranée
Outre plusieurs programmes immobiliers privés, la Ville de Sète prévoit de nouveaux quartiers à l’ouest puis à l’est, et rénove le centre-ville ancien. Tous les nouveaux immeubles de plus de cinq logements doivent désormais se doter de 20 % de logements sociaux, contre 17,7 % en moyenne sur l’ensemble de la ville.
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8 BÉTON
réalisé par Raquel Hadida / photos Raquel Hadida, Microclimax / Infographie Philippe Crespy - A. Yanelle
“Prison”, ou “innovation” ? Sur l’avenue du Maréchal-Juin, l’immeuble Bulle marine provoque des réactions.
(SMBT), présidé par François Commeinhes, “cet étalement urbain coûte cher en réseaux pour les municipalités, il sature les stations d’épuration avec des risques de pollution de l’étang de Thau, et grignote les espaces agricoles, indispensables à notre alimentation future. Au rythme actuel, dans vingt ans, on aura 65000 habitants de plus et tout sera bétonné! “ Pour inverser la tendance, le futur schéma (le Scot, voir ci-contre) prévoit que le triangle SèteFrontignan-Balaruc absorbe 50 % des habitants supplémentaires, au lieu de 20 à 25 % les dix dernières années. Ainsi, via une société d’économie mixte, la SA Elit, Sète dynamise la promotion immobilière, en partenariat avec Nexity, FDI promotion, Bouygues… Pour Philippe Ribouet, président de la Fédération des promoteurs immobiliers du Languedoc-Roussillon, “Sète est une ville attractive: on y construit autant qu’à Nîmes alors que la ville est quatre fois plus petite”. Car, appuie l’Agence départementale d’information sur le logement, le marché du logement à Sète fait partie des secteurs les plus tendus de l’Hérault, avec un loyer moyen de 10,80€/m2 contre 8,30 €/m2 à Béziers et 13,30 €/m2 à Montpellier. “Il y a pénurie: construire des logements pour répondre à la demande paraît pertinent. Même si ça ne résout pas les problèmes des ménages à faibles revenus et des jeunes.”
Vivre et travailler à Sète
Ainsi, densifier la “ville-centre” du bassin de Thau “pousse les gens à revenir habiter en ville, pour leur éviter 15 à 20 km d’aller-retour quotidien au travail. C’est ça, le vrai développement durable!”, se ravit François Commeinhes. Sur le principe, tout le monde est d’accord (voir Entretien p. 22). Mais, justement, “encore fautil que les gens aient un emploi à Sète! s’écrient ses opposants politiques. Rien n’est pensé pour l’économie: on va tout droit vers une ville de retraités — on n’a rien contre les retraités, mais il faut mélanger —, une ville-dortoir où les Sétois doivent aller travailler à Montpellier. On va vers une ville morte!” Leurs arguments: l’éloignement des activités portuaires et le “manque de concertation avec les PME locales”, regrette Philippe Sans, de Force citoyenne. Pour tout miser sur les immeubles de standing, et, à l’entrée est, sur le tourisme de luxe — croisière, grande plaisance et marina —,” alors que la capacité hôtelière ne suit pas”, note André Lubrano au PS. Pour Antoine Loubière, rédacteur en chef d’Urbanismes, “rien d’étonnant: Sète suit la même voie que les grandes villes ports, Barcelone, Marseille, Casablanca, Le Havre. Mais, plus petite, elle gagnerait peutêtre à conserver son caractère”. Le maire, lui, assure vouloir développer des activités artisanales, ainsi que des locations pour les étudiants et les saisonniers. Qui ont bien du mal à se loger dans les 500 T1 de Sète (selon l’Insee)…destinés surtout aux estivants. Pour le promoteur Philippe Ribouet, l’explication est simple: “Il y a trop peu de terrains, donc ils sont trop chers et ce sont les locataires qui trinquent. Il faudrait laisser l’essentiel des terrains constructibles.” Après le Padd (voir ci-contre), on attend avec impatience le Plan local d’urbanisme de Sète, qui devrait repréciser les contraintes aux promoteurs. D’ici un an.
8DOCUMENTS D’URBANISME Scot: Schéma de cohérence
territorial. Géré par le Syndicat mixte du bassin de Thau (SMBT) qui regroupe Thau Agglo et la Communauté de communes du nord bassin de Thau, il permet de réfléchir l’urbanisme à l’échelle d’un bassin de vie. Après des années de concertation, le document devrait être approuvé cet été. Dès fin 2012, tous les documents d’urbanismesdes 14 communes devront être conformes aux orientations du Scot En 2013, le SMBT prévoit des Assises du territoire pour évaluer chaque projet.
Padd: Plan d’aménagement et de développement durable. Ce projet définit les grandes orientations pour la ville et lui donne sa cohérence. À Sète, le Padd a été voté en décembre, et une réunion publique lui a été consacrée le 17 février. Ppri: Plan de prévention du risque inondation. Obligatoire depuis 1995, mais approuvé en 2011 à Sète, il définit la constructibilité dans les secteurs susceptibles d’être inondés. Retoqué une première fois, il a bénéficié d’une dérogation de l’État pour surélever le terrain de 2 mètres de hauteur aux entrées ouest et est. La montée des eaux prévisionnelle, liée au réchauffement climatique, n’est pas prise en compte. Plu: Plan local d’urbanisme. Il remplace l’ancien Plan d’occupation des sols (Pos) pour intégrer les orientations définies par les documents ci-dessus. Le Plu définit la destination principale de chaque zone de la commune, donc les secteurs à construire. Et, quartier par quartier, rue par rue, un nombre d’étages et une densité maximum. À Sète, le Plu devrait être approuvé début 2013. Zac: Zone d’aménagement concertée. À l’inverse l’un lotissement, la Zac est un terrain acquis par la collectivité pour y décider d’un aménagement urbain avec des usages définis précisément: résidences tourisme, bureaux, commerces, lieux publics…. Elle l’équipe en partenariat avec d’autres aménageurs.
Rue HonoréEuzet, les immeubles vétustes sont remplacés par des résidences de standing.
Les quartiers qui fâchent Entrée ouest: les Salins Le projet:
500 logements, avec commerces de rez-dechaussée, pour un éco-quartier en Zac (voir colonne de gauche), dès 2013.
Les critiques:
C“Il risque de ne pas y avoir d’école.” Un équipement public est prévu: son usage dépendra des besoins. CUn manque d’articulation avec les quartiers des Quilles et de Villeroy. CLa communication sur les logements basse consommation, déjà obligatoires par les normes RT 2012. Une écologie de privilégiés. CL’urbanisation d’une zone écologique sensible. Néanmoins, les anciens marais n’ont pas été classés en zone humide par la municipalité Liberti.
La Corniche: l’immeuble Gaffinel
transporteurs. D’une part vers la digue Ziffmar (côté Frontignan), et d’autre part sur la zone logistique arrière (“hinterland”) à Poussan.
Les critiques:
C”Qui voudra habiter à côté des usines polluantes, de l’incinérateur?” CLe manque d’ambition pour l’activité économique. À l’est, les opposants imaginent un pôle d’activités innovantes liées à l’eau (Tous pour Sète, Force citoyenne), voire une Université de la mer (PS), pour attirer une population jeune et active. CLe “tout-camion” de l’”hinterland” prévu près de l’A9, alors que sur le port, les containers peuvent partir par train et par bateau dès l’élargissement du canal. Les opposants sont divisés : le PS approuve l’hinterland, Force citoyenne le verrait réduit à un tiers, Tous pour Sète imagine la zone logistique sur la zone de la Foirfouille-Emmaüs (limite Frontignan-Sète).
Le projet (privé):
Le centre-ville ancien
Les critiques:
Trois programmes pour réhabiliter 500 logements, souvent insalubres, d’ici 2020: CUn périmètre de restauration immobilière (Pri) de démolitions-reconstructions, en cours dans le quartier Honoré-Euzet. CUn Programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (Pnrqad), dans les quartiers de l’Île Sud (Euzet), Révolution et Quartier-Haut, intégrant la production de 20 % de logements sociaux. CUne troisième Opération programmée de l’amélioration de l’habitat (Opah), avec des subventions à la rénovation pour les propriétaires.
Au bout de l’enfilade actuelle d’immeubles sur la Corniche, Christian Gaffinel entend construire un immeuble de 13 logements, sur son terrain, constructible. Un projet contré par l’association de sauvegarde des criques de Sète. Les travaux ont néanmoins commencé en décembre 2011, avant de s’interrompre en janvier, “pour des soucis de clôture de chantier”, selon la Ville. Et Thau agglo demande la restitution d’une bande de 4 m de large empiétant sur son terrain géré en Natura 2000, qu’elle loue en bail emphytéotique à Christian Gaffinel. CFragile, la falaise risque de s’écrouler. Les contribuables sétois paieraient donc la consolidation de la falaise… pour un privé. “Scandaleux” et “aberrant” pour les opposants. Pour le maire, ces peurs ne sont pas fondées. CL’immeuble va boucher le paysage sur la Corniche, malgré son atout touristique. Pour les opposants (Force citoyenne, Tous pour Sète), la Ville aurait dû préempter pour terminer la promenade en beauté avec un espace public, des pins… Mais le terrain n’était pas à vendre.
L’entrée est Le projet:
1000 à 1300 logements d’ici 2020 sur la “reconversion des friches industrielles”, entre la voie ferrée, le bassin de Cayenne et le quai des Moulins, transformé en marina. Cette densification d’habitat autour de la future gare multimodale va de pair avec un déplacement des activités industrielles liées au port vers des espaces plus accessibles aux
Le projet:
Les critiques:
CTous estiment la rénovation nécessaire. Mais les opposants pointent le manque de concertation, avec des réunions simplement informatives. CLa volonté de faire changer la population. Selon eux, “les appartements “de standing” seront inaccessibles aux locataires actuels qui devront partir du quartier. Ainsi, la mixité sociale des Maghrébins, des anciens habitants sétois et des nouveaux risquerait d’être détruite pour favoriser des familles aisées. Et le plafonnement des loyers n’empêchera pas cette “gentrification”, qu’on observe dans tous les centres-villes anciens rénovés”. CLa destruction du patrimoine, comme l’ancienne brasserie alsacienne ou les chais. Rue Maurice-Clavel, les Bâtiments de France décident de conserver la façade d’un chai. CLe manque d’”aération”: ni espace vert ni perspectives vers les quais (voir p. suivante). Au Quartier Haut, un immeuble rasé sera néanmoins “cureté” pour créer une placette.
*Les aides à l’investissement dans les logements ou “loi Scellier” se sont ralenties et doivent s’arrêter fin 2012, entraînant, selon les promoteurs, un ralentissement du marché du logement.
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enquête Pour les artistesarchitectes de Microclimax, créer de la convivialité, c’est loin d’être ruineux pour la Ville : “Pour 30 000 à 100 000 €, dans un petit espace, la ville peut créer un lieu artistique hypergénéreux !” Comme cette sculpture en bois sur une place publique (ici à Saint-Gervais-surMare), où grimper et se rencontrer. “Pour Sète, on imagine aussi un jardin mobile sur une ancienne barge.”
Urbanisme d’ensemble
“Les promoteurs ont carte blanche”, et l’urbanisme sétois “manque d’harmonisation : la Ville crée des plans d’urbanisme en fonction des projets épars, au lieu de réfléchir dans une vision d’ensemble”, critiquent tous les opposants politiques sétois (FN, Force citoyenne, PS, Tous pour Sète). De l’avis d’Anne Sistel (professeure d’architecture), “Sète est assez attractive pour imposer un cahier des charges exigeant aux promoteurs, à l’inverse de Lodève”. Mais Martine Arquillère, directrice du service urbanisme de la ville, affirme “harceler tous les jours les promoteurs au téléphone” pour imposer ses desiderata, notamment sur les logements sociaux, et travailler en direct avec des urbanistes et des architectes, sans y être obligée. Malgré les “bonnes intentions du Padd (voir p. précédente)”, les opposants s’inquiètent de la capacité de la ville :“En multipliant le nombre d’habitants, les infrastructures publiques -déchets, eaux usées, loisirs… risquent l’engorgement. Tout comme la circulation : on ne peut déjà plus se garer ni circuler, ça va être invivable !” Le site Web des futurs Salins, à l’entrée ouest, vante d’ailleurs un quartier “à 5 minutes du centre-ville en voiture”. De nuit sans doute. La Ville, elle, assure anticiper : “Avec Thau Agglo, nous prévoyons l’augmentation de capacité de la station d’épuration à 195 000 équivalent-habitants pour 2020, et nous diminuons déjà le volume de déchets traités grâce au tri sélectif, malgré l’augmentation de la population.” Côté circulation, elle a doublé le nombre de stationnements pour deuxroues, et prévoit parkings d’entrée de ville, navettes maritimes et “circulation douce” pour dissuader les visiteurs de pénétrer en voiture.
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Une ville à vivre Une ville dense sans être étouffante, pratique et conviviale, moderne et authentique à la fois : Sète parviendra-t-elle à construire en respectant son identité ? Les urbanistes donnent des pistes.
“O
n dirait une prison!” s’émeut Jeanine, 73 ans, au pied des immeubles Bulle marine “à barreaux”, avenue du Maréchal-Juin à Sète, “construire, d’accord, mais pas comme ça!” Romain, 34 ans, trouve, lui, les immeubles en “œuf” “originaux et novateurs”. Et les habitants installent guirlandes et serviettes mouillées sur les barreaux, à la méditerranéenne. Bref, l’esthétique de l’architecture, ça dépend des goûts et des couleurs. Mais, à construire comme aujourd’hui, une partie de la population et des opposants politiques craignent la transformation de la ville portuaire en ville “banale”, “lambda”, “aseptisée” et “sans âme”…alors que Sète plaît justement aux touristes et attire des habitants pour son authenticité. “Les filets qui empêchent de passer sur les quais, vous trouvez ça authentique?”, questionne Philippe Ribouet, président de la Fédération des promoteurs immobiliers du Languedoc-Roussillon.
Du neuf convivial
D’après Olivier Ganivenq, directeur de Proméo immobilier, “la mixité d’usages, le mode de vie des gens est un réel sujet de préoccupation dans les réunions urbanistiques à Sète”. Alors que pour Benjamin Jacquemet-Boutes et Carolyn Wittendal, architectes-artistes sétois de Microclimax, “Sète prend le chemin de la ville générique — et non généreuse —: efficace, rentable, sécurisée, voire photogénique, comme le centre Euralille à Lille, mais standardisée et produite indifféremment de la culture locale, comme on pourrait faire en Picardie ou en Savoie ! Adaptée aux cadres sup’, cette ville a tendance à sécuriser et à privatiser l’espace public. Les résidences sont fermées sur elles-mêmes: dans la rue du Maréchal-Juin, on a le choix entre mur… et mur!” “Oui, les appartements sont standardisés du fait de toutes les normes de construction qui pèsent La Gazette n° 270 - Du 1er au 28 mars 2012
sur l’immobilier, explique Philippe Ribouet. Mais les habitants se les approprient et chacun devient différent. Pareil pour les quartiers, il faut prendre en compte le facteur temps, l’évolution sur 20, 40 ans! Antigone, à Montpellier, paraissait froid, mais aujourd’hui, c’est un quartier animé.” Pour Microclimax, “le neuf peut recréer des situations conviviales”, à condition d’inventer “des espaces partagés facilement appropriables. Comme à la Pointe-Courte où on sort les tables dans la rue, ou au Quartier-Haut où les gamins jouent dans les venelles: c’est local, et efficace socialement. Il suffit de modeler des zones de transition entre espace public et espace privé. Par exemple, un retrait d’un mètre devant les portes d’entrée, ou une placette intime, avec une sculpture où on peut grimper (photo)”.
Des espaces verts stratégiques
“Au lieu d’un grand espace, mieux vaut multiplier les petits espaces verts de proximité, réellement utilisés par la population”, acquiesce Anne Sistel, professeure d’architecture. Mais François Commeinhes n’est pas de cet avis: “Je préfère éviter les petits squares, vite dévolus aux chiens, qu’il faut arroser: on n’est pas en Bretagne! Et j’opte plutôt pour valoriser la Corniche, le bord d’étang en poursuivant le chemin au Barrou, et planter des arbres méditerranéens.” Selon Anne Sistel, “Les arbres autour des résidences servent à créer une belle vue, pour pouvoir vendre les appartements, donc le terrain, plus cher: ils sont payés par le public, mais servent au privé, explique l’architecte. Ainsi, dans des immeubles entourés de vert, on loge moins d’habitants que dans des maisons mitoyennes, comme à l’entrée de Balaruc. Un projet urbain durable, ce n’est pas “mettre du vert” dans une Zac pour faire joli!”
Une ville de qualité
À quoi tient la qualité de vie dans une ville ? Pour Anne Sistel, enseignant-chercheur spécialisée sur le projet urbain durable à l’école d’architecture de Montpellier, et Antoine Loubière, rédacteur en chef du magazine Urbanismes, chaque quartier doit être : - diversifié dans ses fonctions. Au-delà des logements, il doit comprendre des commerces, des équipements scolaires, sportifs, culturels, des places et des espaces verts, ainsi que des entreprises. Ce qui évite de prendre la voiture pour les activités courantes. - bien relié vers le centre-ville et les autres quartiers - à pied, en voiture, et en transports collectifs. - économe en énergie, équipé pour la récupération des déchets. - diversifié dans ses formes architecturales contemporaines, pour éviter l’impression de bâtiments écrasants, trop uniformes, comme les “barres”, ou les studios “cabines” de tourisme des années 60. - inscrit dans le paysage et dans les usages locaux, au lieu d’une architecture standardisée. En travaillant avec une multiplicité de promoteurs et d’architectes, et en réservant des espaces de convivialité (voir ci-dessus).
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unejournéeavec ZOÉ FOUGÈRE,
meneuse de revue Situé à l’entrée de Sète, sur la route de Montpellier, le Cabaret propose un show dans la tradition des spectacles de plumes et de paillettes. Avec toute son énergie, Zoé dirige la revue et la troupe. Le rideau rouge est baissé, trois serveurs dressent les tables, un autre essuie les verres derrière le bar. Le Cabaret se réveille doucement. Zoé arrive vers 10h ce jeudi, dit bonjour à tout le monde, et prend un petit café suivi d’un jus d’orange. Depuis quatre ans, elle mène la revue inspirée des ballets parisiens et créée par sa mère, Brigitte Fougère. “Être meneuse, c’est plus de responsabilités: je gère les répétitions, les remplacements…, explique la danseuse. Je suis en quelque sorte un capitaine d’équipe.” Une équipe composée de sept danseuses, trois danseurs et d’une acrobate. Ils viennent de la région mais aussi de Grèce, de Russie ou de Grande-Bretagne. Un maître de cérémonie assure le lancement du spectacle et les intermèdes, en chansons. “J’ai passé un D.E. - diplôme d’État - de professeur
de danse et j’enseigne à Studio Jazz à Sète que ma mère dirige, poursuit Zoé. Mais, à 26 ans, je profite avant tout de la scène, tant que la jeunesse me le permet.” Les danseuses ont, elles aussi, toutes entre 24 et 30 ans. Mais il n’est pas toujours facile d’assurer quatre spectacles par semaine, et parfois deux par jour dans les périodes de fêtes. “Il faut jongler avec sa vie privée et bien savoir gérer son corps, commente Zoé. Mais mon compagnon me soutient, de toute façon je n’aurais pas pu être avec quelqu’un qui n’accepte pas mon métier.” L’image du cabaret reste en effet parfois négative, Zoé l’a déjà constaté. Mais qu’importe, les spectateurs - souvent des retraités, “un très bon public”, selon Zoé - sont bien au rendez-vous. Ils doivent être 190 aujourd’hui, alors il est temps pour notre meneuse de se préparer.
14h10 : le rituel avant le lever de rideau.
Il reste cinq minutes avant que le show ne commence. En costume, le chapeau de plumes tout juste hissé sur la tête, Zoé réunit danseuses et danseurs dans un cercle, en compagnie de la directrice artistique, Brigitte Fougère, sa mère. Main dans la main, ils exécutent chacun une petite improvisation dansée, soutenu par les cris d’encouragement des autres artistes. On évacue le stress, et on renforce l’esprit d’équipe. Pour Zoé, “le cabaret, c’est une vraie petite famille”. C’est parti !
12h : l’accueil du public.
“Bienvenue au cabaret !”, lance Zoé aux spectateurs venus aujourd’hui de Montélimar, Palavas, Arles et de Pertuis. Commence un drôle de ballet : celui des manteaux sur les cintres. Avec Céline, une des danseuses, Zoé les accroche et donne au client son ticket. Les pardessus sont en effet proscrits en salle pour ne pas gêner le service du repas. Malgré quelques récalcitrants rattrapés par le directeur, Phillippe Fougère, et sa femme, Brigitte, l’accueil prend fin à 12h15.
11h : le maquillage.
Pour débuter, Zoé applique sur son visage une épaisse couche de fond de teint, indispensable pour limiter les reprises en cours de spectacle. Elle pose ensuite une base de blanc sur ses paupières et des couleurs vives “pour prendre la lumière”. Après, chacune des danseuses a sa propre technique, apprise sur le tas et qui change selon les visages. Cette étape se fait en silence, seule devant la glace. Zoé rentre petit à petit dans son personnage. Derrière elle, les costumes sont rangés dans l’ordre de passage des chorégraphies.
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13h30 : l’échauffement.
Après un déjeuner pris vers 12h30, Zoé et toute la troupe s’échauffent sur la scène. De l’autre côté du rideau, Gilles, le maître de cérémonies chante Luis Mariano et fait danser le public sur la piste aménagée entre les tables. Chaque artiste réveille son corps à sa façon, Zoé utilise les étirements qu’elle enseigne à ses élèves à Studio Jazz. Mais, pour elle, il reste très important d’insister sur les jambes. “Il faut que ça monte !”, lance-t-elle dans un grand sourire.
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réalisé par Cécile Guyez / photos Raquel Hadida
14h15 : le début de deux heures de show.
Quatre tableaux - soient quatre lieux différents (à bord d’un bateau, sur le continent africain, à New York et à Paris) -, quinze numéros, tel est le programme de deux heures d’un show concocté par Brigitte Fougère, la directrice artistique. Ancienne meneuse de la revue à Sète, elle a arrêté de danser sur scène à 46 ans. C’est Zoé qui lui a succédé. “Quand on débute le spectacle, on oublie tout, témoigne Zoé. On donne tout aux gens. C’est vraiment une chance de pouvoir vivre de sa passion !”
Le Cabaret à Sète: une histoire de famille
Directeur du Cabaret à Sète, Philippe Fougère a ouvert l’établissement en 2003. Sa femme Brigitte assure la direction artistique. Elle conçoit chorégraphies, habits et mise en scène. C’est aussi elle qui, pendant le spectacle, recoud, aide sa fille Zoé et les autres danseuses à mettre les costumes entre les numéros. En plus des artistes, on compte deux régisseurs, le personnel en cuisine et en salle, dont le nombre varie selon celui des couverts (250 maximum). Le show est donné quatre fois par semaine, jeudi et dimanche en matinée, vendredi et samedi en soirée. La relâche a lieu en juillet et en août. “Nous avons pris de l’ampleur depuis deux ans, se félicite Philippe Fougère. Avec un spectacle aux bonnes dimensions, c’est-à-dire humaines.”
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Le Cabaret, 1526,Route de Montpellier 34200 Sète - Tél. 04 67 53 44 87 - www.le-cabaret.com/
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entretien THIERRY SALOMON
Après avoir dirigé une étude prospective pendant 13 mois, l’expert en énergie Thierry Salomon peut l’affirmer : “Une France sans nucléaire ni pétrole, en 2050, c’est possible !”
ingénieur énergéticien, président de l’association négaWatts
“Énergie, c’est l’heure des choix” Hausse du pétrole, Fukushima, montée des eaux ? Depuis Mèze, l’énergéticien Thierry Salomon fustige le nucléaire et propose un scénario de transition précis jusqu’en 2050. De quoi dessiner un avenir énergétique plus serein… et faire évoluer la société.
La Gazette Vous proposez un scénario énergé-
nous, les Français, on reste scotchés à une vision passéiste de l’énergie!
Thierry Salomon Non, au contraire! Dans notre
Alors projetons-nous dans le futur : à quoi ressemblerait la vie sur le bassin de Thau en 2050 selon votre scénario ?
tique pour vivre sans pétrole, ni nucléaire, ni effet de serre en 2050. Faudra-t-il rallumer les bougies?
scénario négaWatt, en 2050 on consomme près de trois fois moins de ressources énergétiques, mais on gagne en confort par une excellente isolation, des appareils plus efficaces, moins de contraintes de circulation… Ce n’est pas parce qu’on consomme plus qu’on vit mieux! Les scénarios prospectifs officiels font toujours l’hypothèse d’une hausse de la consommation, comme dans le rapport de la commission Énergie 2050 (voir encadré). Mais cette vision courte occulte les “gisements de négaWatts”, c’est-àdire les économies possibles par des politiques volontaristes de sobriété et d’efficacité. C’est de la myopie! Pourquoi vous être lancé dans un tel exercice de prospective ? Pour des raisons idéologiques ?
Non, par réalisme face aux crises de l’énergie à venir. À travers les pratiques professionnelles des experts de l’association négaWatt — conception d’écoquartier, mesures de consommations dans les bâtiments, etc. —, nous voyons tous les jours l’ampleur des gaspillages et l’intérêt extraordinaire à essayer de les limiter. Ensuite, nous essayons de réfléchir à un système énergétique dont les besoins de chaleur, de mobilité, d’électricité spécifique sont compatibles avec un authentique développement soutenable (voir encadré). En évitant de laisser des fardeaux aux générations à venir, comme les déchets nucléaires. En France, il y a zéro chercheur sur la prospective énergétique, l’État est à poil. Alors qu’en Allemagne, ils ont peu à peu construit un consensus totalement pragmatique entre courants politiques, industriels et entrepreneurs: le PDG de la société Siemens, ancien associée à EDF, s’est même retiré du nucléaire. L’Allemagne suit son tableau de marche, et La Gazette n° 270 - Du 1er au 28 mars 2012
Le retour à un urbanisme de cœur de village, avec des bâtiments de 3 à 4 étages, et des services essentiels à proximité, accessibles à pied. Et l’arrêt de l’expansion inconsidérée de l’habitat individuel de lotissement, devenu ingérable. Pour limiter les trajets, les gens se retrouvent pour du télétravail dans des petits hôtels d’entreprises. Et pourquoi ne pas imaginer une liaison circulaire autour de l’étang, un tram-train permettant d’accéder de Mèze à Sète en un quart d’heure? Pour qu’un transport en commun soit une vraie substitution, comme le TGV, il doit offrir plus d’avantages que la voiture, sinon, ça ne marche pas. En centre urbain, on ne circulera plus qu’avec des petites voitures électriques. Et pour des déplacements plus importants, on utilisera la location partagée. D’où viendrait alors l’énergie ?
Dans notre région, on a la chance d’avoir un très gros potentiel d’énergies renouvelables. Pour l’eau chaude, du solaire thermique intégré aux bâtiments. Pour se chauffer, fini les convecteurs électriques, mais on conserve le réseau de gaz en y injectant du gaz d’origine renouvelable*. Les toits seront couverts de solaire photovoltaïque. L’électricité pourra être utilisée directement sur place ou revendue au réseau, et si vous avez besoin de plus, vous l’achetez au réseau. Entre la rénovation thermique des bâtiments, le solaire, l’éolien et la biomasse, il y a un vrai gisement d’emplois, non délocalisables! Et pour les chalutiers,étranglés par le prix du gazole?
On peut alimenter les moteurs des navires comme des véhicules par du gaz d’origine renouvelable.
Pensez-vous que l’énergie doit devenir une affaire locale ?
Absolument. Je suis pour que les collectivités aient plus de compétences sur l’énergie, comme en Espagne et en Allemagne. La bonne solution, c’est un réseau local couplé au réseau national: les agglos pourraient détenir des éoliennes et des parcs photovoltaïques — sur des décharges ou des friches — et les exploiter en régie, pour éviter la politique de profit à court terme des grandes entreprises. Dans la Somme et en Bretagne, des communautés de communes inventent déjà un éolien plus participatif. Les revenus tirés de l’éolien bénéficient à la régie et à la commune, mais aussi aux citoyens, sous forme d’aides à l’isolation des maisons: les renouvelables aident à faire des économies d’énergie. On engendre ainsi des cercles vertueux, c’est extrêmement astucieux! Mais comment arriver à cette vision “idéale” de façon crédible ?
On n’est pas dans le monde de Mary Poppins: ça ne se fera pas d’un coup de baguette magique, tchouff! Nous avons calculé une trajectoire possible (voir encadré), mais un scénario de transition énergétique demande un engagement continu sur 35 ans. Pour provoquer un effet d’entraînement, il faut combiner la sensibilisation-incitation-information, des obligations règlementaires et une fiscalité écologique adaptée. En même temps. À elle seule, la sensibilisation, l’exemplarité citoyenne ne suffira pas, mais donner du sens, c’est indispensable. Sinon les règles sont imposées et on va à l’échec. Pour que ces idées infusent, pour renouveler les équipements — frigos, voitures, etc. —, ça va prendre plus d’une génération. Surtout que les économies d’énergie, ce n’est pas sexy : vous avez déjà vu un élu inaugurer une isolation? (rires) Mais il y a urgence: il faut commencer maintenant.
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propos recueillis par Raquel Hadida / photo Raquel Hadida /
Réactions à chaud
La Gazette Selon la commission Énergie 2050 mandatée par le gouvernement, il faut prolonger la durée de vie des centrales nucléaires de 40 à 60 ans…
Thierry Salomon C’est la politique de l’autruche, un déni de réalité. EDF va devoir investir plus de 50 milliards d’euros pour mettre à niveau les réacteurs, sans aucune assurance que l’Autorité de sûreté nucléaire lui donne l’autorisation d’exploiter. Prolonger à 60 ans est extrêmement risqué: les aciers spéciaux de la cuve des réacteurs sont irradiés en permanence et, selon des experts indépendants, peuvent devenir plus cassants. En cas de problème, ça peut créer des fissures, avec fuite du circuit primaire, impossibilité de refroidir et fonte du cœur en quelques heures. Comme à Fukushima. Le risque du nucléaire est faible, mais les conséquences sont immenses et impliquent les générations futures. Pour faire baisser le prix du pétrole, selon le PDG de Total, il suffirait d’extraire le gaz de schiste dans le Sud-Est…
Oui, bien sûr, oui, on peut faire n’importe quoi, pas de problème. On peut foutre en l’air l’ensemble du système hydro-géologique vital, depuis le plateau du Larzac jusqu’à Sète. C’est assez effrayant, cette fuite en avant qui privilégie le profit à court terme au mépris des conséquences, sans regarder les alternatives. C’est paresseux et irresponsable!
La démarche négaWatt
Basée à Mèze, et de dimension nationale, l’association négaWatt regroupe 25 experts en énergie et un millier de citoyens. Leur idée : explorer tous les gisements de non-consommation d’énergie, les “négaWatts” (formule en contrepoint des mégawatts) qui sont à notre portée. Nous pourrions ainsi réduire nos besoins de 65 % en moins de 40 ans, tout en maintenant un “haut niveau de services énergétiques” pour se chauffer, se déplacer, s’éclairer, faire fonctionner nos appareils… Et faire face ainsi à trois défis majeurs : la raréfaction des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon…), le changement climatique et les risques nucléaires. NégaWatt a élaboré un scénario énergétique 2011-2050 basé sur trois piliers : • La sobriété consiste à hiérarchiser nos besoins individuels et collectifs, pour éliminer inutile et superflu. • L’efficacité permet de réduire les pertes d’énergie de la ressource “primaire” à l’utilisateur final, en privilégiant le matériel et les dispositifs les plus judicieux parmi les techniques existantes. • Le recours prioritaire aux énergies renouvelables, par la combinaison d’une dizaine de filières, comme l’éolien, le photovoltaïque, mais surtout le gaz issu de biomasse, des produits végétaux nonconcurrents avec l’alimentation.
C
Cette stratégie risque de coûter cher, non ?
Il faut comparer un tel scénario à celui de l’inaction… qui va elle aussi nous coûter très cher! La transition énergétique n’est pas un gadget ou un simple embellissement, c’est fondamental. Et très souvent, la réduction d’un gaspillage peut se faire à coût nul. Exemple: à la gare de Lyon à Paris, 10 écrans vidéo de pub le long des escalators utilisent 200000 kWh d’énergie primaire. Avec la même énergie, dans des bâtiments très basse consommation, on peut chauffer 120 familles! Or 5 à 6 millions de personnes vivent dans la précarité énergétique, les gamins ont froid. Préfère-t-on allumer des panneaux publicitaires ou assurer les usages essentiels de façon intelligente? C’est l’heure des choix. Si on n’entame pas de transition énergétique, quels sont les risques ?
C’est assez difficile de faire sentir l’urgence: les problèmes énergétiques sont lents et diffus, mais on en arrive à être étranglés. Le prix du pétrole va doubler ou tripler dans quelques années, le gaz grimpe. Le risque est de tomber en pénurie très importante, assortie d’une crise économique majeure. On risque de ne plus pouvoir se chauffer, ni se nourrir : sans énergie pour les transports, notre autonomie alimentaire se compte en jours… Ce qui est intéressant dans le scénario négaWatt, c’est la sécurité qu’il apporte vis-à-vis de toutes les futures crises de l’énergie. Vous semblez pessimiste…
Au contraire! Il faut simplement avoir l’intelligence de penser la catastrophe pour qu’elle n’arrive pas. Au lieu de faire abstraction des coûts à venir, d’évacuer le problème du risque et de s’aveugler en disant “on ne peut pas faire autrement”… Comme actuellement le gouvernement et la commission Énergie 2050 (voir encadré).
8REPÈRES
1954 : Naissance de Thierry Salomon
1988 : Création de l’association Gefosat (Mèze et Montpellier) 1999 : La Maison des négaWatts, avec Stéphane Bedel 2001 : Création d’Izuba énergies, bureau d’études et coopérative, sur l’Écosite de Mèze. 2003 : Président de l’association négaWatt. 2007 : Prix Eurosolar Sept. 2011 : Scénario négaWatt 2011-2050. Fév. 2012 : Parution du Manifeste négaWatt, éd. Actes Sud.
Mais pourquoi ne pas rester sur le nucléaire français, bon marché, sans gaz à effet de serre… ?
Parce que c’est une énergie risquée, chère et fondée sur des mythes. Ça fait 40 ans que la France essaie de justifier son programme nucléaire à tout prix. La Cour des comptes vient de montrer que le nucléaire coûte bien plus cher que ce qu’on nous a fait croire. Si on intègre correctement les charges futurs, il est déjà au même prix que l’éolien terrestre, plus cher que la biomasse*… Et aucune compagnie d’assurances ne veut assurer contre les risques nucléaires, regardez les clauses de vos contrats! Le CO2 ? Le nucléaire en émet à travers son extraction, le béton des centrales, c’est loin d’être négligeable. Indépendance énergétique ? On l’enrichit en France, mais on importe 100 % de notre uranium, la matière première. C’est comme si on disait que le pétrole était français parce qu’on le raffine à Fos-sur-Mer! Impossible de faire autrement? Dans notre scénario, nous avons modélisé l’arrêt progressif de toute production nucléaire en 2033… Vos idées sont-elles reprises pour la présidentielle ?
Depuis Fukushima, nous sommes de plus en plus écoutés. La perception a changé, les gens s’aperçoivent que l’énergie est une question de société. Le scénario négaWatt est désormais cité sur un spectre politique très large, de Corinne Lepage à Jean-Luc Mélenchon. Peu à peu, nos idées infusent. Mais le PS est totalement tiraillé sur ces questions. L’UMP, lui, continue de s’enfermer dans le dogme du nucléaire. * Gaz issu de sous-produits agricoles ou agroalimentaires (la “biomasse”).
La méthode du scénario négaWatt Pendant un an, 12 experts indépendants ont analysé plus de 2 500 paramètres. Ils ont intégré plus d’un million de données pour les secteurs du bâtiment, du transport, de l’industrie et de l’agriculture. Ils ont simulé l’équilibre entre l’offre et la demande d’énergie entre 2011 et 2050, année par année et heure par heure ! Puis ils ont comparé les résultats à un scénario “tendanciel”, dans la continuité des choix actuels. Résultat : un outil sérieux d’aide à la décision. Préfacé par Stéphane Hessel, l’ouvrage Manifeste négaWatt, Réussir la transition énergétique, éd. Actes Sud, présente ce scénario de façon vivante et accessible, assorti de dix propositions concrètes pour agir. Plus d’infos sur www.negawatt.org
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N° 268 - janvier 2012
MUSÉE PAUL VALÉRY C
Les confidences d’Agnès Varda
SÈTE
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Les futures halles font des vagues
TOUTES LES SORTIES DE JANVIER
Moules au secours des
huîtres R 27955 - 268 - 1,00 €
PHOTO PATRICE BLOT
ça grince !
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reportage
Quatorze lycéens de Joliot-Curie à Sète participent à “Perspectives”, un programme expérimental pour les préparer aux études supérieures. Reportage à Paris, pendant une semaine de visites et de cours. Entre délires d’ados et motivations studieuses.
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Quatorze en quête d’excellence
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ous croyez qu’il y a de la Wi-Fi?”, “Tu peux me passer tes écouteurs?” “Eh, les filles, vous avez pris un sèche-cheveux?” À peine installés dans le TGV pour Paris, en ce vendredi de décembre, quatorze élèves en seconde au lycée Joliot-Curie de Sète tentent de se connecter au plus vite. Pendant les deux prochaines années, ce sont pourtant des questions un poil plus existentielles qui vont occuper leurs neurones, tendance littéraire ou scientifique: “Pourquoi a-t-on besoin des hommes politiques?”,“Les énergies renouvelables peuvent-elles sauver la planète?” Car ces ados ne “montent” pas à la capitale que pour ramener des porte-clés en tour Eiffel: ils se sont portés volontaires pour participer à un programme d’égalité des chances, “Perspectives” (voir p. de droite) destiné à mieux les préparer aux méthodes des études post-bac. Un système de tutorat sur deux ans, conçu par une grande école parisienne, “Normale Sup’” (ENS), spécialement pour des lycées “sensibles” de “petites villes de province”.
Sur la corniche à Sète, Joliot-Curie est un des quatre lycées sélectionnés pour cette première promo expérimentale. Mais pour l’heure, le déroulement de cette semaine d’introduction à Paris reste un mystère. Même les profs, montés en gare de Montpellier, n’en savent rien.
Wagon d’ambitions
En revanche, à quinze ans, on sait parfaitement ce qu’on veut faire dans la vie. Sarah cinéaste, Camille journaliste “ou un truc comme ça”, et Natacha publicitaire pour L’Oréal, “parce que j’aime décider!” Dans leur carré, elles picorent des chips et des M & M’s en commentant un film romantique. Lenny, devant son ordi bardé d’autocollants, se voit déjà architecte d’intérieur. Face à Lucie, branchée marketing et battle dance, Soon ambitionne de devenir avocate. Voire députée européenne. À sa droite, la discrète Jessica vise la neurochirurgie. Tout en noir “PJ” (PierreJulien) joue à Minecraft. Il a “guerroyé” pour tenir
le coup à l’école malgré sa dyslexie. Au top, il s’imagine chercheur en robotique. “Faire des études élevées, ça peut me sortir de mes problèmes familiaux, mais je ne fais pas de plans sur la comète.” Gare de Lyon, arrivée à Paris. “C’est tout gris ici!” Cohorte de doudounes flashy, tickets bloqués et course de valises énormes, au milieu du flot de voyageurs: la virée en métro prend des airs d’expédition. “On dirait une fourmilière!” À la sortie, une rue Cabanis. Et un grand bâtiment vitré. Le FIAP, un centre d’accueil top design du 14e. Accueil logistique. Pauline, la “directrice du campus”, répartit filles et garçons dans les chambres. Cartes d’accès à trous, badges au cou, et cérémonie de remise de bracelets jaune fluo. “Ça me rappelle le camping du Castellas”, s’amuse Camille à la cafet’. Figeac, Évreux, Épinal: les Sétois se mélangent -un peu - avec des lycéens d’ailleurs. Entrecoupées d’“Allo maman”, “Allo papa”, les inévitables sessions d’accents comparés virent parfois au drame: “C’est pas vrai, on n’a pas d’accent!”
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1 Chacun ses écouteurs pour Pierre -Julien, dit “PJ”, et Antoine, dans le TGV Sète-Paris. 2 Dans le réfectoire, profs de lycée et doctorante préparent le cours sur la légitimité politique. 3 Délire de groupe et canettes de Red Bull sous les arcades de l’école Normale Sup’. 4 Cris et ola : sur le bateau-mouche, Émilie et Olivia se prennent au jeu des “saluts” festifs. La Gazette n° 268 - Du 5 janvier au 1er février 2012
5 Épuisé et enrhumé, Manu s’attelle à décrypter le texte d’auteur sur la politique. 6 Face à lui, Maxime cogite sur la question 9. Il rêve de devenir gestionnaire d’hôtel. 7 Débats sur moquette et crises de rire : Natacha et Sarah explorent de nouvelles méthodes de travail. 8 Dimanche, 22h : les profs de science planchent encore pour aborder “l’énergie” de façon pédagogique.
9 “Et s’il n’y a plus d’uranium ?” Émilie, Antoine et Olivia phosphorent à partir des textes et graphiques. 10 Les lycéens enchaînent les visites, de métro en RER. En groupe de 60, une véritable expédition. 11 Pas de cours “tout faits” : Frédéric, prof de maths à JoliotCurie, stimule les questions des élèves. 12 Bluffées, Camille et Natacha. Par l’Assemblée nationale… et par François Barouin qui passe dans la pièce.
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8 PERSPECTIVES
Sensible à la photo, la peinture, la musique classique, Sarah s’imagine cinéaste… à New York.
Chapka et rire facile, Lucie et Natacha envisagent des carrières dans le marketing.
Le week-end, visites. À Montmartre, les filles s’équipent de gants et de chapkas, essentiels quand “il fait moins 50°C!”Enchaînement sur le Panthéon: impressionnés par les grands hommes. “Jean Jaurès, c’est mon collège!” (à Mèze, NDLR). Puis enfin, la superbe cour historique de l’école Normale Sup’, dans le 5e. “C’est grand, c’est beau, ça fait vieux jeu.” “Et classe: ici, tu vois personne en jogging Lacoste!”. Riant sous le regard impassible des bustes de Descartes, Corneille et Pascal, les Sétois s’attaquent aux canettes de Red Bull achetées au 8 à Huit. “Pour être ici, faut bosser.”
Colonie parigote
16h30: concert classique. Le premier pour Émilie, Antoine et Manu. Aux “Ouaiaiaiaiais!” enthousiastes avant Gershwin, succèdent des pouces agités sur les mobiles allumés, et des têtes qui piquent du nez sur les danses de Brahms. Sarah est époustouflée, Lucie, laconique: “David Guetta passe à l’Arena en février.” Dans les rues de Paris, ambiance colonie, de nuit. Alors qu’Olivia et Maxime déambulent attachés par l’oreillette, les lycéens en rang chantent du rap, des dessins animés, “Akunamatata”, et même la populaire ”Boiteuse” sétoise. En plein RER, bonne nouvelle: “4-0 pour Montpellier!” s’exclame Antoine. Face à la somptueuse Notre-Dame-deParis illuminée, les ados sont totalement médusés… par la “Majestic princess”, une limousine rose bonbon à proximité. Sur le bateau-mouche, l’ambiance est à son paroxysme. Des cris de joie, des “ola” sous les ponts, des “c’est à bâbord qu’on gueule le plus fort”.
Apprendre par soi-même
24h plus tard, après un aller-retour au château de Versailles, grosse fatigue. Surtout pour les littéraires, qui doivent plancher sur “la légitimité du politique” à travers un texte de l’historien et philosophe Marcel Gauchet. À plat ventre ou assis sur leurs draps bleus. Lundi matin, à Normale Sup’. Les filles calligraphient leur nom en rose, Lenny le dessine en 3D. Après une allocution de Thierry, le responsable du programme Perspectives, et des rencontres avec des étudiants en master autour de l’orientation, les groupes “Politique” et “Énergies” se séparent. Par trois, les lycéens discutent d’un dossier de cinq documents pour en tirer l’essentiel. Bruit de trousses, grattage de papier. Murmures, surligneurs en hyper-activité. Olivia apprécie: “On se pose soi-même les questions, donc on comprend mieux.” Échanges d’idées avec les profs, organisation autonome pour l’exposé commun: “Qui fait la conclusion?” “Moins cadré qu’au lycée”, le travail de groupe leur semble une révolution. Et quitte à jouer les étudiants, autant tester le resto universitaire. File d’attente sans fin, “Vous avez droit à 6 points”, dont une saucisse verdâtre. Pour Camille, “ça fait usine à manger pour les étudiants”. “L’ambiance est pourrave, mais c’est bien pour les petits budgets”, convient Sarah. Après des après-midi Louvre, Tuileries et musée des Arts et Métiers, et une soirée au théâtre du Splendid - “trop drôle” -, retour en salle de classe en matinée. Les “Politique” explorent le parcours d’une loi. “La loi sur la cigarette dans les lieux publics, elle est passée comme ça?” Avant la visite de l’Assemblée nationale, au pas de course. “Ça sent le vieux”, s’extasient les ados, les yeux écarquillés face à la splendide bibliothèque. Dans l’hémicycle, un député interpelle une secrétaire d’État. “C’est plus petit qu’à la télé”, “il n’y a personne!” Dernière soirée façon “anges et démons” pour mimer les soirées déguisées des grandes écoles… au jus d’orange, avec de la musique années 90. “Nulle.” N’empêche, les lycéens gardent un souvenir “génial”de leur séjour parisien. Et créent sans tarder un groupe “Perspectives” sur Facebook. Où circulent des rumeurs d’un deuxième voyage estival.
8PERSPECTIVES • Un programme pédagogique sur deux ans destiné aux lycées éloignés géographiquement “culturellement” des grandes villes. • Organisé par l’École normale supérieure (ENS) d’Ulm à Paris, une “grande école” qui forme des enseignants-chercheurs. • Objectif: s’initier aux méthodes de travail et aux codes de l’enseignement supérieur pour se donner le droit à des études épanouissantes, de haut niveau. Et ainsi gagner en maturité et en autonomie, prendre plaisir au travail: des facteurs importants de réussite. • 4 lycées participent à la première session expérimentale: Sète, Figeac (Lot), Épinal (Vosges), Évreux (Eure). • 14 ados du bassin de Thau, en seconde au lycée Joliot-Curie de Sète, y participent sur leur temps personnel. Sélectionnés sur leur motivation et leur niveau au collège. Issus de milieux sociaux où les parents n’ont pas toujours suivi des études supérieures. • Deux thématiques au choix: les hommes politiques ou les énergies renouvelables, à travers plusieurs matières scolaires. • Une semaine “d’intégration” à Paris avec 6h de cours d’introduction (lire ci-contre). • Suivie de six visio-conférences menées par des chercheursconférenciers, diffusées par internet et projetées en salle de classe. Chaque groupe de sept élèves la prépare collectivement avec son prof en 4 séances, puis peut poser des questions en temps réel via l’animateur du débat, un doctorant de l’ENS. Chaque élève rend ensuite une synthèse individuelle. • L’outil pédagogique en développement: une plateforme d’e-learning sur le Web, commune à tous les lycées. • Pas de note, mais un oral final en fin de 1re.
réalisé par Raquel Hadida / photos Raquel Hadida /
“Les inégalités scolaires touchent les petites villes de province” ségrégation: les milieux populaires sont souvent orientés vers des filières pro et techno, moins valorisées, et n’accèdent ni aux lycées cotés des quartiers “aisés”, ni aux “bonnes classes” créées par les établissements… pour retenir les bons élèves. Un vrai dilemme. Après le bac, les milieux populaires se retrouvent à la fac. Alors qu’à Normale Sup’, sur 75 places, 60 sont prises par les classes prépa parisiennes d’Henri-IV et LouisLegrand… Pourquoi avoir choisi Sète pour le programme Perspectives ?
SON-THIERRY LY,
24 ANS, CHARGÉ DU PROGRAMME PERSPECTIVES AU PÔLE PESU (PROGRAMME D’ÉGALITÉ SCOLAIRE ET UNIVERSITAIRE) DE L’ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE D’ULM À PARIS. DOCTORANT EN ÉCONOMIE SUR LES QUESTIONS D’INÉGALITÉ SCOLAIRE.
La Gazette “L’ascenseur social” des études est-il bloqué ?
Son-Thierry Ly D’après les enquêtes dispo-
nibles, les inégalités scolaires ne se seraient pas aggravées depuis 50 ans. Elles se sont déplacées. Si la durée d’études s’est allongée pour tous, les élèves d’origine populaire continuent à ressortir moins diplômés. Ces inégalités proviennent de trois formes de
Avec l’association d’école que je présidais, nous avions lancé un premier programme de tutorat, Talens. Notre cible : les petites villes de province, délaissées par les dispositifs existants. Parmi dix lycées, identifiés selon leurs profils sociologiques et les pourcentages de réussite, seul Joliot-Curie à Sète s’est montré motivé. Il a intégré Talens en 2008, je m’y suis rendu trois fois par an. Logique, ensuite, d’expérimenter Perspectives avec un de nos lycées de cœur! Pensez-vous étendre ce dispositif pédagogique ?
Oui. Mais pour le généraliser, le tutorat étudiant bénévole s’avère limité. Nous nous appuyons donc sur les profs, présents sur place et proches des élèves. En espérant, à terme, faire financer leurs heures sup’ par les académies, l’Éducation nationale est censée leur en donner des moyens! D’autre part, les conférences à distance, en “tchat”, ainsi que la plateforme Internet, permettent en théorie la participation de nouveaux lycées, sans limite. Bien sûr, nous devons affiner les modalités pratiques et la formation des profs.
Pour les profs, une occasion d’enseigner autrement
“Nous sommes là pour les faire réfléchir, pas pour leur apporter des cours d’en haut. Et quand on les amène à se poser des questions, ils se montrent tout à fait capables de comprendre.” Antonin Marc, prof d’histoire-géo, et Frédéric Beau, prof de maths au lycée Joliot-Curie de Sète, accompagnent les 14 élèves du programme Perspectives à Paris, et vont les guider pendant deux ans. “Conçus par les thésards de Normale Sup’, les programmes ne sont pas cloisonnés comme au lycée, ça oblige les élèves à jongler entre plusieurs matières. La semaine d’introduction sert à les mettre dans le contexte, la première année à comprendre les enjeux, et la deuxième (en 1re), à savoir problématiser et argumenter. Nous sommes contents de bénéficier d’un cadre pour travailler en petits groupes à partir de textes d’auteurs.” Une prof d’un autre lycée est moins emballée : “Tout est précipité. Nous avons été au courant du contenu trois jours avant : pour le préparer à Paris, nous sommes obligés de faire un patchwork d’Internet, l’inverse de ce qu’on préconise aux élèves ! Les visites touristiques ressemblent à une colonie de vacances : ni explication pédagogique, ni réelle intégration aux codes de l’école Normale Sup’… Ensuite, on les lance sur des questionsréponses contraires à la méthode “classe prépa”, sur un texte de 11 pages qui ne reprend pas les bases. Aucun responsable n’a le temps de venir assister aux cours. Dans ces conditions, les élites gardent leur monopole tout en se donnant bonne conscience. Mais ça part d’une bonne idée, et ça peut s’améliorer.”
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reportage Dans le hall design du centre de séjour parisien, cool attitude pour les 14 lycéens sétois. Qui n’empêche ni leur motivation sans faille pour travailler plus, dans le projet “Perspectives” d’égalité des chances. Ni des réflexions perspicaces sur la société.
Le match Paris-Sète: 14-1
“Les filles, vous êtes Sète ?” “Non, on est neuf.” Un poil susceptibles sur leur accent “du Sud”- peu prononcé, d’ailleurs-, et peu armés pour le froid et la pluie “nordiques”, les ados du bassin de Thau ne clament pas leur amour pour Sète. “La ville, ça va, concède Natacha la Montpelliéraine. Mais les gens sont vraiment spécial (sic). Ils jouent beaucoup sur l’apparence, parlent dans le dos, j’aime pas !” Camille fait la moue : “Les Sétois se promettent beaucoup, s’insultent beaucoup.” “Le pire”, poursuit Sarah, “ils se connaissent tous ! Si je vais au ciné avec mon petit copain, je rencontre… les amis de mes parents. Ils sont au courant, mais quand même.” Et pour Camille, idem à Frontignan. Alors les ados se laissent séduire par les charmes parisiens. Côté paysage, “le mont Saint-Clair n’a rien à voir avec Montmartre : Sète, c’est un peu la campagne…”, fait remarquer Lenny. La mobilité urbaine étonne aussi : “Même sur le sol mouillé, ils font de la trottinette !” “Il faudrait qu’il y ait autant d’arceaux pour garer les deux-roues à Sète”, propose Antoine. Face aux ponts parisiens, pour Sarah, Sète peut aller se rhabiller : “Les ponts en pierre sont moches. Et comme on les voit tous les jours, on s’en fout.” Sans concession. Surtout qu’à Paris “dans les rues, il y a de beaux spécimens masculins. En tous cas, mieux qu’à Sète”. Normal, fait remarquer Olivia, “Paris est la ville la plus romantiiique du monde !” Côté ambiance, Sète ne fait pas non plus le poids : “C’est mort le soir. Ici, à Paris, il y a toujours un café ouvert, des bandes d’amis, de belles petites boutiques chics, du monde partout dans le métro.” Lenny s’émeut : “Je suis super content d’être ici.” “À Sète, personne ne fait “Olé !” sur les quais. C’est ça qui est bon !”, s’enthousiasme Émilie. TGV retour, retrouvailles avec Sète : “Chaud !”, “J’ai senti l’air salé, perçoit-elle, ça fait du bien de revoir le soleil…” Allez, sans rancune.
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Paroles d’ados
Émouvants, hésitants, percutants, perspicaces, loquaces… ou pas : sur la vie et la société, les ados de Joliot ne s’en laissent pas conter. Confidences lors de petits moments volés. • Politique critique
“Les puissants, faudrait qu’ils la mettent en sourdine”, suggère Lenny. Mal assurés pour parler politique, les ados ne mâchent pourtant pas leurs mots. “À Versailles, le Roi-Soleil ne demandait pas l’accord du peuple. Aujourd’hui, on n’a pas notre mot à dire non plus. Mais si on faisait la révolution, faudrait pas que ce soit par la force.” Manu et Maxime s’interrogent sur la “concurrence de Sarko” aux présidentielles : “Depuis qu’on a choisi ce thème, on fait plus attention aux hommes politiques.” Soon montre un peu d’espérance: “Des fois, on prend pas trop leur avis, aux gens. Mais j’aimerais être député pour voyager et régler les problèmes un peu partout.” Pierre-Julien, “PJ”, se veut plus cynique: “Les hommes politiques, ça sert pas à grand-chose. Sarko ne sait que jeter de l’argent par la fenêtre pour l’inutile, comme prendre dix Boeings pour aller en Chine. Pour la planète, il y a plein de solutions techniques, les éoliennes, les courants, la stratosphère, mais au niveau budgétaire, on ne fait rien pour l’utile. On fait des manifs, on a beau gueuler, on nous sert tout le temps les mêmes discours, et on fait des lois qui les arrangent eux, pas nous. Le peuple, on l’écoute mal.”
• Crise galère
Pour les ados, la vision de la société est plus noire que rose. “La crise, ça nous concerne. Mais je ne comprends pas pourquoi il y a la crise, d’où elle vient, pourquoi elle dure si longtemps et les prix qui augmentent…” “Pauvre ou riche, on galère. Des gens ont des difficultés à boucler leurs fins de mois. C’est pas cool pour eux, tout le monde doit être égaux (sic). La France ne va pas bien.”
• Médias people
“Avec ma cousine, on s’amuse à critiquer les stars sur les magazines, c’est le jeu de l’été! Mais Closer, Voici, et à la télé, à la radio, c’est toujours les mêmes articles, traités différemment…”, analyse Camille, la future journaliste. Pas dupes, les ados. “Dans l’affaire DSK, ils en ont trop fait! Je ne savais même pas qu’il existait, avant.” Pour La Gazette n° 268 - Du 5 janvier au 1er février 2012
Sarah l’artiste, “la vie des people, on s’en fout: ce qui importe, ce sont leurs œuvres”. Mais à regarder “la faim dans le monde, dans une société dite moderne”, “les dictateurs” et “les viols”, “pas assez punis”, les ados préfèrent encore se plonger dans des BD ou des clips d’humour, dans des livres fantastiques. “Heureusement qu’on a ça”, souffle PJ. Antoine, lui, se concentre sur L’Équipe, dès le matin. Normal, pour un futur kiné de club de foot.
• Nouvelles technos à gogo
Ça tripatouille son portable en permanence, avec dextérité, ça parle téléchargement, wi-fi, bons plans du Web et mots de passe. À l’inverse des trentenaires, “le mail, on ne s’y est pas encore mis, on utilise plus les textos.” Facebook, “c’est important pour garder le contact avec des amis de partout”. Camille l’a toujours allumé, Sarah le coupe pour travailler, et Natacha en revient: “J’y suis trop allée… Les gens racontent toute leur vie!” Lucie achète tout sur Internet: “Je trouve des vernis à ongles léopards.” Mais clics et vidéos à gogo coexistent avec des modes d’expression plus traditionnels: “J’aimerais bien apprendre à jouer au poker, à des jeux de société”, avoue Sarah. Camille reste fidèle au courrier: “Avec ma meilleure amie, on s’envoie des lettres tous les jours en vacances. Et j’adooore la photo: j’ai participé au roman-photo avec Cétavoir.”
• Amour toujours
Le romantisme a encore de belles heures devant lui. Les filles restent pendues au téléphone avec leur petit ami, et se pâment devant les cadenas amoureux attachés au pont des Arts: “C’est beau de montrer son amour !” Cadenas = “Emprisonné”?, “Envie de s’amuser”? Non, tous préfèrent “la version jolie”. Même les garçons et leurs bisous extra-sétois sans lendemain ne sont pas contre. En revanche, le mariage: point d’interrogation. “On est trop jeunes pour y penser.” PJ porte une vision plus décalée: “Une famille stable? Ça n’existe pas pour moi. L’amour rend aveugle et le mariage rend la vue.”
“Y a des limites!”
“No limit”, les ados ? Pas ceux que La Gazette a suivis à Paris. Ni intellos coincés, ni rebelles déjantés. Pierre-Julien semble addict aux jeux vidéo et bien maîtriser les programmes, mais “je ne suis pas un gros geek ! Certains ne dorment pas la nuit, juste pour jouer : il y a des limites !” En talons hauts et microjupe, des Parisiennes de sortie choquent Émilie : “Elles s’habillent comme des prostituées ! Court, d’accord, mais à mi-cuisse, pas ras-la-culotte !” Lucie rêve d’évasion, pas d’indépendance : “On pourrait faire les boutiques, rien que pour rêver… mais accompagnées, sinon on va se perdre !” Le long des quais, des groupes de jeunes boivent des bières : pour Manu, “de bonnes soirées entre potes, avec bière et feu de camp, ça peut être sympa, mais pas tous les soirs, et pas avec de la drogue !” Et la surconsommation des jeunes ? Ça les indigne : “En primaire, à 10 ans, les petits ont déjà Facebook, le portable, le Longchamp, le rouge à lèvres et le fond de teint : c’est trop !” Tout est relatif.
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unejournéeavec ERWAN FOLLEZOU,
pilote du port
Accostage au port de Sète! Pour manœuvrer les immenses navires de commerce, les pilotes prennent le relais des commandants. La Gazette a suivi Erwan Follezou, l’un des six pilotes du port, sur un bateau syrien. Au bout du quai d’Alger à Sète, la station de pilotage. Des bureaux, certes, mais aussi un grand salon cosy avec vue sur le port et des chambres à l’étage, surmontées d’une tour où antennes et caméra remplacent le guetteur d’antan. “C’est la maison des pilotes, on y vit et travaille, un peu comme sur un navire”, assure Erwan Follezou, un des six pilotes du port de Sète. Et pour cause: ce groupement professionnel assure un service 24h/24 et 7 j/7, avec quatre pilotes disponibles à la fois. Aujourd’hui, c’est Erwan qui est de permanence 24 heures d’affilée. Il se tient prêt à accueillir dans le port les navires de commerce, marchandises et passagers. Objectif: diriger leurs manœuvres d’entrée et de sortie, quelle que soit la météo, et sans endommager les quais. Car “un port, c’est fragile!
Et mon job, c’est de le protéger”. D’ailleurs, tous les ports de commerce du monde disposent de pilotes. En France, seules 342 personnes - dont une femme - exercent ce métier de pointe, aussi précis que pilote d’avion. “Cette mission d’intérêt général ne coûte rien au contribuable”, précise Erwan. Ce sont les représentants des armateurs qui règlent la prestation. Les pilotes se partagent équitablement revenus et travail de gestion: comptabilité, qualité, gestion du matériel et du personnel, représentation et organisation. “C’est une PME avec six patrons”, résume Erwan. Chaque pilote gère 400 manœuvres par an. Mais ayant souvent lieu de nuit, les opérations sont difficiles à observer. Aujourd’hui, le Rihab prévoit son arrivée à Sète à 14h. Une chance. À l’abordage.
14h45: arrivée à quai
Direction le G3. Le Rihab pénètre dans la passe, puis se rapproche du quai. Avec lenteur, mais assez de force d’inertie pour aller s’y écraser… La hantise d’Erwan: “Chaque mètre de quai coûte 100000€! Je dois préserver l’outil de travail commun.” À l’extérieur, le pilote coordonne d’en haut l’action des lamaneurs, chargés de récupérer et d’attacher les amarres.“Tout à tribord!” Fin de manœuvre délicate pour
garer ce petit navire de 70 mètres. Le Rihab accosté, Erwan descend rejoindre la pilotine. Et enchaîne sur la conférence portuaire, pour planifier les mouvements de la semaine.
13h30 : embarquement
12h : premier contact avec le navire
Dans le bureau des mouvements, Erwan suit le trafic maritime sur le Web, et surveille le port en temps réel à 360° par la caméra. L’agence portuaire a annoncé le Rihab il y a trois jours par mail, puis a précisé son “horaire d’approche estimé” : “Le trafic est irrégulier, et,à l’inverse du train ou de l’avion, il dépend de la météo !” Une fois à portée de radio, 2 à 4 heures avant, le navire appelle. Erwan se renseigne sur ses caractéristiques, prévoit sa trajectoire pour le faire accoster, et organise l’appui éventuel des remorqueurs.
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14h : aux commandes
Erwan grimpe vers la passerelle du vieux navire bétailler. “Hi, captain!”“Want some tea, mister pilot?” Omar Souhil est un habitué: l’accueil se fait chaleureux, l’anglais basique suffit aux échanges. Et Erwan est rodé au Rihab. Dans le cas inverse, “le commandant présente son bateau techniquement - pas deux pareils!-, puis je lui explique ma trajectoire. J’ai quelques secondes pour gagner sa confiance.” À la barre, en tongs, Saleh, un des marins. Erwan, lui, dirige les opérations par talkie-walkie. Tout comme Omar, qui répercute les instructions vers son équipage.
“On prend la Golfe?” Vêtu d’une veste à flottabilité intégrée, Erwan s’installe dans la vedette Golfe du Lion, une des trois “pilotines” de la station. Avec ses deux moteurs, sa ceinture de bourrelets de caoutchouc et une main courante intérieure, ce bateau peut intervenir en permanence, même par des vagues de six mètres. Conduit par un marin jusqu’au navire, Erwan dialogue par radio avec son capitaine, tout en suivant la progression du vaisseau sur les écrans de contrôle. La pilotine se colle le long de la coque, Erwan sort de la cabine et agrippe l’échelle de corde, sous le regard des marins syriens.
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réalisé par Raquel Hadida / photos Raquel Hadida
Le simulateur
Le port de Sète en jeu vidéo ? Conçu à partir de 5 000 photos, ce simulateur numérique permet aux pilotes de tester des manœuvres lors de situations difficiles. Essentiel pour se former et préparer l’accueil de nouveaux navires, donc accompagner la croissance du trafic du port, “+ 25 % en un an !” Aux commandes sur les écrans, Erwan Follezou “rentre” un porte-conteneurs de 260 m. Ni rochers, ni marée : accoster à Sète, c’est facile ? “Le port est petit : il faut gérer l’encombrement. Et sans abri, le vent peut souffler fort : un navire de 30 m de haut réagit comme une énorme voile !”, explique Erwan.
Comment devient-on pilote de port?
Il faut d’abord être officier de la marine marchande (bac + 5). Puis passer son brevet pour être gradé capitaine “illimité”, ex- “au long cours”. Et avoir navigué pendant 72 mois effectifs. Soit avoir 10 ans d’expérience, mais moins de 35 ans : “La fenêtre de tir est étroite !”, résume Erwan Follezou, ex-commandant du ferry Calais-Douvres. Il faut ensuite passer un concours national difficile, qui intègre les particularités du port choisi. “À Sète, pendant 20 ans, il n’y a pas eu de recrutement !” Une fois admis, le pilote est formé par ses pairs pendant trois mois. Puis devra attendre trois ans pour piloter les gros bateaux. La motivation d’Erwan ? “Les manœuvres sont délicates, donc bien plus intenses que les traversées océaniques. Et être pilote permet de rester marin tout en menant une vie de famille équilibrée. Presque normale.”
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entretien AGNÈS VARDA
Ping-pong, tongs et camping. Pleine de vitalité à 83 ans, Agnès Varda rend hommage au plastique, aux couleurs de l’été et aux objets de plage. Une de ses installations avec photo et vidéo, concoctées par la réalisatrice pour le musée Paul-Valéry.
Réalisatrice et plasticienne
“Tant qu’on est vivant, il faut y aller!” Sète, son enfance, les plages, les pêcheurs, ses films tournés ici: à l’occasion de son exposition au musée PaulValéry, la réalisatrice et artiste contemporaine Agnès Varda se raconte en toute liberté.
La Gazette Après votre film Les Plages d’Agnès,
acrobaties, sauf que l’on ne faisait rien du tout de plus. Les filles Varda étaient catégorisées “à part”.
C’est très sauvage. Avec une très grande différence de mer: ce n’est pas si bleu, pas si transparent que la Méditerranée.
Agnès Varda Évidemment, si je reviens si souvent, c’est que j’aime. Mais ce n’est pas une émotion du genre “mon cœur se met à battre” et tout ça, non… C’est le plaisir d’arriver. Quand j’arrive en train, je suis contente. Je vous dis, je suis contente au point d’oublier toutes mes affaires dans le train, c’est pas mal ça.
Après avoir quitté Sète, vous y êtes revenue régulièrement ?
Vous habitez une véritable île, Noirmoutier en Vendée, et revenez régulièrement sur l’Île singulière, Sète : quel est le lien entre les deux ?
vous êtes de retour à Sète pour une grande exposition au musée Paul-Valéry. Vous êtes attachée à Sète ?
Quels sont vos premiers souvenirs de Sète ?
J’ai habité sur un bateau à quai en face de la CCI, on y était réfugié pendant toute la guerre. Et je me suis bien amusée. Vous savez, pendant la guerre, beaucoup d’enfants se sont amusés. Il y a un film anglais qui traite de ce sujet, Ah, que la guerre était jolie (1). Parce que beaucoup d’enfants ne savaient pas ce qui se passait. Pas très bien. Bien sûr, on était séparé d’avec mon père, on n’avait pas de joujoux, on n’avait rien. Vous savez, une famille de cinq enfants qui part comme ça, il n’y avait pas de place dans les valises pour des conneries. Mais moi j’ai joué, je crois que j’ai un caractère comme ça. J’ai joué, j’ai pêché des gobies, j’étais à la plage, à la plage du Kursaal (2), la plage de la ville où on pouvait aller à pied. Pourquoi habitiez-vous un bateau ?
Oh, à cause d’un ensemble d’histoires, et on s’est retrouvé là. Ma mère avait un frère ici qui n’avait pas de place. J’ai le souvenir d’une école primaire Sévigné dans l’avenue Victor-Hugo, une grande école. Vous savez, les filles étaient en jupe, et on avait toutes des petits tabliers à carreaux. Mais les filles Varda étaient autorisées à porter des pantalons de sport, ce que l’on appelle maintenant des joggings, parce qu’elles vivaient sur un bateau. On était de la catégorie de celles qui vont monter au mât, et faire des La Gazette n° 268 - Du 5 janvier au 1er février 2012
Je revenais tout le temps, pendant les vacances dites scolaires, tous les étés, à Pâques. Pendant dix ans. Il y avait une famille que j’aimais énormément, les Schleger qui étaient tout à fait sétois: lui avait une menuiserie sur le quai Bosc et elle, une chemiserie à la Civette. Ils avaient trois filles, elles ont été mes amies de toujours. Une, l’aînée, a épousé Jean Vilar. On a vraiment été élevées ensemble. J’ai aussi connu les frères Biascamano, mais plus récemment. Ils ont été adorables: ils ont reconstitué la pêche à la traîne de l’époque de leur père pour mon film Les Plages d’Agnès. C’est vrai que j’avais connu leur père lorsqu’il était pêcheur. Vous n’avez jamais envisagé de vous installer à Sète ?
À un moment si. Il y avait une petite maison sur le quai du Mistral à la Pointe-Courte. Mon frère et moi on s’était dit:“On va la prendre à deux.” Une petite maison. Il y avait une pièce en bas, un escalier, une pièce au-dessus et puis c’est tout, un petit truc comme ça. Il y a 15 ans, 20 ans, c’était possible. Et maintenant, il y en a beaucoup qui ont été achetées. Ce sont des maisons de vacances. C’était un peu rare quand on avait eu cette idée. Après on s’est dit: “Estce qu’on viendra assez souvent?” Vous savez, on a une maison et on n’y vient pas, c’est un peu idiot. Et puis ça ne s’est pas fait. Mais je n’ai jamais pensé m’installer complètement à Sète. Je vis à Paris, dans la maison où j’étais avec Jacques Demy (3). Avec lui, on s’est aussi installé dans l’île de Noirmoutier. Ça s’appelle une résidence secondaire maritime, car elle est vraiment au bord de l’eau, au bord de la plage.
Sète, ce n’est pas une île! Attention, quand on dit Sète, Île singulière, c’est un mot d’auteur. Ce n’est pas une île, ici. C’est une ville absolument ancrée dans un pays. Je vais depuis 30, 40 ans à Noirmoutier : on y ressent très fort chez les femmes et les hommes qui y habitent le “syndrome insulaire”. Très fort. Et puis, comme c’est un peu abandonné, qu’il n’y a pas beaucoup de travail, en dehors des périodes de vacances, on y ressent la solitude des insulaires. Quels sont les endroits de Sète que vous appréciez plus particulièrement ?
Les quais, le port, c’est sûr. Et la Pointe-Courte, évidemment, parce que j’y ai des attaches. Alors quand j’ai le temps, je traîne un peu. Il y a, par exemple, une école maternelle au Barrou qui porte mon nom. Une rue à la Pointe-Courte aussi. Mais ce n’est pas une rue, attention, c’est une traverse ! C’est beaucoup plus modeste, beaucoup plus discret. C’est presque même un peu vachard. Parce qu’à Sète, une traverse, ça veut dire quelqu’un qui vous enquiquine. C’est un double jeu de mots, ça m’amuse beaucoup. Mais il n’y a pas que moi qui ais une traverse à mon nom: il y a des traverses de jouteurs, de rameurs… Quels souvenirs gardez-vous du tournage de La Pointe-Courte ?
C’était en 1954, c’est terrible de dire ça mais il n’y avait pas d’argent, pas de facilité, on mangeait des sandwiches en plein soleil, on avait loué une maison à La Peyrade parce que c’était moins cher qu’à Sète, c’est pour vous dire. On
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propos recueillis par Cécile Guyez et Raquel Hadida / photo Raquel Hadida /
Agnès Varda au musée Paul-Valéry
Le musée, la photo, le cinéma et les installations : à l’occasion de son exposition au musée Paul-Valéry, Agnès Varda parle de l’art. • Musée Paul-Valéry
“Je suis très fière d’être dans ce musée. Maïthé Vallès-Bled (1) lui a donné un sacré coup de jeune, il est beau ! Et regardez tout cet espace qu’elle m’a donné. Je m’entends très bien avec Maïthé.”
• Photos et vidéo
“Il y a un rapport fort entre vidéo et photo. Mais, vous savez, il y a à peu près 30 ans que je travaille là-dessus, ce n’est pas nouveau. J’ai une tendance à me dire tout le temps : une photo, ce n’est qu’un film qui s’arrête un instant. Voici par exemple une photo, La Terrasse du Corbusier, prise à Marseille en 1956. À partir de là, je peux faire une enquête ? Alors ça devient un film avec un scénario probablement faux, tourné au Théâtre de la mer, avec des Sétois. Je m’amuse à dire : qu’estce qu'il y a eu avant et qu’est-ce qu'il y a eu après ce cliché ? La photo est du cinéma qui s’arrête et que nous captons dans un instant. Un instant qu’Henri Cartier-Bresson appelait “l’instant décisif”. Ça, ça me passionne.”
• Installations
avait une 2 CV qui servait pour les travellings, comme tous les films de débutants, mais ce n’était pas à la mode d’être jeunes. En 54, les cinéastes avaient été 1er assistant, 2e assistant, 3e assistant… On arrivait à la profession par la voie compliquée si vous voulez. Alors que moi, je me suis lancée comme ça, et donc c’était un peu culotté. C’est un film culotté qui a tout de suite impressionné les cinémathèques. Il n’a pas marché du tout, mais il a amené un petit souffle de printemps parce que c’était cinq ans avant ce que l’on a appelé la “nouvelle vague”. 54 ans plus tard, vous tournez de nouveau à Sète une partie des Plages d’Agnès : qu’est-ce qui vous a marqué, alors ?
On a beaucoup tourné à la Corniche, beaucoup. On a fait venir des acrobates et des voltigeurs, qui sont d’ailleurs près de Nîmes. Ils sont épatants, l’un s’appelle Dédé, l’autre Crevette, je ne connais pas très bien leur nom. J’ai reconstitué mon enfance, mon adolescence, avec un bateau qu’un type très gentil nous a prêté ou loué. On retrouve toujours beaucoup de gentillesse quand on tourne dans des endroits où on a des accointances. Le fils Dupuy, Arthur, nous a prêté un bateau pour que l’on puisse filmer Sète depuis l’eau. On a fait venir des barques à voile latine, de Bouzigues et de l’association Voile latine. Et ça, c’est la gentillesse locale quand on tourne un film et qu’on a des amis dans le coin. Sète, c’est une ville de tournage ?
Comme toutes les villes. Des films se tournent partout, tout le temps. Allez voir en Rhône-Alpes, il y a en quatre fois plus qu’ici, allez voir en Pays de la Loire… Les régions ont compris qu’en accompagnant les films, ils faisaient du bien à leur région, à des travailleurs de chez eux. Parce que lorsqu’on tourne, il faut faire travailler les gens du coin. Et puis comme ça, on fait connaître
8VARDA BIO
•1928 : le 30 mai, naissance à Ixelle (Belgique) d’Arlette Varda, d’un père grec et d’une mère française. • 1940 : à cause de la guerre, elle quitte la Belgique et s’installe à Sète. • 1954 : premier longmétrage La PointeCourte, à Sète, considéré comme l’œuvre qui annonce de la “nouvelle vague”. • 1959 : Cléo de 5 à 7. • 1968 : Black Panthers docu militant. • 1969 : Lions Love, sur le mouvement hippie en Californie. • 1971 : elle signe le “manifeste des 343”, publié dans Le Nouvel Observateur, pétition de 343 femmes ayant subi un avortement. • 1985 : elle tourne en partie dans la région de Montpellier Sans toit ni loi avec Sandrine Bonnaire, Lion d’or à Venise. • 2008 : Les Plages d’Agnès, où elle raconte ses plages, Knokke-leZoute (Belgique), Sète, Noirmoutier (Vendée) et la Californie.
la région. Donc c’est, si j’ose dire, un échange de bons procédés. C’est vrai qu’ici, c’est une belle région. Rivette (4) était venu tourner à Montpellier, il y a plein de gens qui sont venus par là. Et il y en a qui tournent à Marseille, dans toutes les villes intéressantes, et même dans les moins intéressantes parce que tout à coup quelqu’un découvre un truc. Jacques Demy tournait à Nantes, beaucoup, et à Rochefort, et à Cherbourg. Toutes ces villes sont restées liées à des films. Mais Sète n’est pas une ville de cinéphiles, mes films n’ont pas bien marché ici. C’est une aire de joutes, pas de cinéma. Trouvez-vous que la ville a beaucoup changé par rapport à votre enfance et votre jeunesse ?
Qu’est-ce que vous croyez, qu’une ville en 50 ans, elle ne change pas ? Mais vous voyez, je suis toujours avec ce qui se passe, je vis au présent. Et je vois la ville comme elle est. Avec ses évolutions, avec beaucoup de gens que j’ai connus et qui sont morts. Quand on est vieux, c’est un peu la punition. J’ai perdu des amis que j’aimais. J’aimais beaucoup Jacques Rouré, Pierre François… D’ailleurs, il y a un petit hommage à Pierre François dans une vitrine de mon exposition au musée Paul-Valéry. Mais tant qu’on est vivant, il faut y aller! (1) Oh What A Lovely War, film musical britannique de Richard Attenborough. (2) Plage où se trouvait l’ancien casino qui n’existe plus. (3) Son mari, réalisateur (1931-1990). (4) Réalisateur : il a tourné en 1991 La Belle Noiseuse au château d’Assas et, en 2009, 36 vues du pic Saint-Loup, au nord de Montpellier.
“Les installations, c’est une façon plus complexe de présenter les images, de les partager, mélangeant photo, ciné et dispositif en 3D. C’est aussi un autre rapport au public.” -Le pêcheur et le requin blanc. “J’ai été photographe, j’ai été cinéaste, et maintenant que je fais des installations, je travaille sur ce rapport ennemi et complémentaire de la photo et du cinéma. À tel point, qu’il y a dans l’exposition des “Portraits à volets vidéos”. Par exemple,celui du pêcheur, celui qui avait attrapé un requin blanc, très connu au port. Il est représenté sur le quai de la Marine, devant une petite fresque: c’est une vraie photo argentique, noir et blanc, à l’ancienne. Ensuite j’ai refilmé la fresque en couleur en vidéo haute définition. Résultat: de part et d’autre de la photo, une vidéo de cette fresque en couleur qui tangue un peu. L’effet est formidable.” -Les veuves de Noirmoutier.“Je mêle quatorze vidéos à des photos qui en sont issues. Les vidéos montrent des veuves, presque toutes de marinpêcheur. La plus vieille avait 97 ans, “Fine poutoune”. Et là, une des plus jeunes, 30-35 ans. C’est une catégorie dans la population qu’on écoute jamais. Il y a des émissions sur tout, mais il n’y en a pas sur les veuves. J’ai posé très peu de questions, je les ai beaucoup écoutées. Des sujets revenaient toujours: la table, où s’asseyait leur mari, leurs enfants, et puis tout d’un coup, la table est trop grande, alors elles mangent sur un petit coin. Des petites choses comme ça. Elles disent le manque, la solitude.” -La cabane du pêcheur.“Au milieu d’un désordre, de caisses et de filets, une projection avec des manifs, des gens qu’on frappe, qui alternent avec la plage de la Corniche, la beauté paisible de ces paysages marins. Rien que le bruit d’une petite vague, ça me ravit.” -Triptyque de patates:“Sur trois écrans, des patates invendables, mais en forme de cœur et qui respirent, comme dans mon film Les Glaneurs et la glaneuse. C’est symbolique, l’aliment du pauvre, qui a du cœur.” (1) Conservatrice du musée Paul-Valéry à Sète.
L’exposition: “Y’a pas que la mer”
Agnès Varda présente au musée Valéry, entre autre cinq créations inédites, des installations mêlant photo et vidéo. Mais aussi plus classiquement, des photos. Jusqu’au 22 avril 2012, ouvert tous les jours, sauf le lundi, de 10h à 18h ( jusqu’au 31 mars, puis de 9h30 à 19h) au musée Paul-Valéry, 148 rue François-Desnoyer. 04 99 04 76 16. Tarifs, avec accès aux collections permanentes : 7 €, 3 € (10-18 ans), gratuit (enfants moins de 10 ans, demandeurs d’emploi, scolaires ville de Sète).
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streetshooting 8REPÈRES Le Conseil municipal des jeunes
Chaque commune décide de l’existence et des règles de son conseil de jeunes. À Frontignan, les élèves des collèges ont élu leurs représentants pour deux ans. Le groupe participe à un séminaire de formation à la vie publique, avant de siéger lors de trois assemblées plénières par an.
Dix-sept
Le nombre de conseillers municipaux jeunes qui nous ont fait part de leurs projets sur les vingt élus. Quinze élus de 13 à 17 ans, plus deux volontaires “conseil” de l’ancien conseil municipal.
Leurs préoccupations
La solidarité, tous azimuts. Un thème proposé par la Ville, avec l’environnement, mais aussi au cœur des inquiétudes et des projets des jeunes élus.
LES RASSEMBLEURS Donnell, Loric, 14 ans, et Grégory, 17 ans
“Q
uel projet voulez-vous réaliser pour Frontignan?” C’est la question posée par La Gazette à vingt collégiens, fraîchement élus au Conseil municipal des jeunes de Frontignan. Certains ont à peine 13 ans, mais ils parlent déjà “budget” ou “volonté de changer les choses pour les jeunes”, de “populations oubliées”, créent des alliances thématiques… Bref, de petits maires en puissance, sérieux, à la parole posée, et ultra-sensibles au sort de leurs concitoyens. Souvent délégués de classe, ils ont fait campagne en octobre dernier, avec leur profession de foi, dans leur collège, Simone-de-Beauvoir, les DeuxPins et Sainte-Thérèse, ou au lycée MauriceClavel. Avant une élection gérée par Gérald, l’animateur du service jeunesse, où mille jeunes (50 % des inscrits) ont voté. Lors de la première assemblée plénière le 19 novembre, ces vingt porte-parole des enfants ont pu arborer avec fierté leur écharpe tricolore. Ils ont désormais deux ans pour se concerter, passer du rêve à la réalisation, avec l’appui des services techniques de la Ville. Et dénouer les rouages des collectivités, pour que leurs idées généreuses ne restent pas lettre morte…
“Les jeunes de La Peyrade sont oubliés ! Pour eux, nous voulons créer un local associatif. Pour passer du temps ensemble, on ne serait pas obligé de traîner dehors en se faisant regarder de travers : on pourrait faire des jeux, des soirées, dans une ambiance conviviale et sécurisée. Nous avons aussi besoin d’une navette gratuite, un minibus de 12 places pour rejoindre le centre-ville : on pourrait se mélanger avec les autres jeunes, et accéder au Pasado, les activités du service jeunesse pendant les vacances.”
Les élus du Conseil municipal des jeunes fourmillent d’idées. Ils nous confient les projets qui leur tiennent à cœur. Premiers pas dans la politique.
Si j’étais maire de Frontignan… Aurore, 13 ans
“Si j’étais maire, j’élargirais les jumelages à d’autres communes d’Angleterre, ou d’Allemagne : des pays dont on apprend la langue et dont on parle beaucoup. J’aimerais organiser des échanges entre collèges, qu’on pourrait financer en partie par des petits spectacles : cela permettrait de découvrir d’autres cultures pour des familles à petit budget, et d’apporter une ouverture d’esprit dans la ville. Parfois, les gens ne comprennent pas la culture des autres, alors que nous sommes tous égaux…”
LA VOYAGEUSE
LES MUSICAUX
Alexandre, 15 ans, et Sullivan, 13 ans
“Nous proposons d’organiser des concerts à prix libre afin de collecter des fonds pour des associations comme les Restos du cœur, le Secours populaire ou la Croix-Rouge. La musique réconcilie les gens, même en période de conflit, comme au Togo. Il en faut pour toutes les générations, et tous les styles, y compris le rap, le jazz, le R’n’B, l’électro, le gospel… Si on était maire, on développerait les animations pendant l’hiver : à Frontignan-La Peyrade, on manque de moments pour rassembler la population !”
LE MARITIME Camille, 14 ans
“Je veux proposer des stages d’été aux jeunes qui n’ont pas les moyens de faire de la plongée ou du bateau. Au lieu de rester sur la plage, on découvre le littoral, et les beautés de la mer : être actif et se sensibiliser à l’écologie, c’est important ! J’aimerais aussi faire voyager les jeunes en Afrique ou dans les DOM-TOM, ça permettrait de les sensibiliser au racisme. Les gens se respecteraient mieux, alors qu’au collège, les gens de couleur se font rejeter.”
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pages réalisées par Raquel Hadida / photos de Raquel Hadida
Marie et Joan, 14 ans
“Nous avons toutes les deux une sœur ou un cousin trisomique ou en fauteuil. Ça nous a aidées à grandir. Les gens ne les regardent pas et les jugent sur leur apparence. Nous voudrions donc organiser une journée de sensibilisation aux handicaps, par exemple un samedi après-midi en mai, au parc Victor-Hugo. Avec des activités adaptées, pour tous, comme de la peinture, des bijoux en perles, des jeux de société. Et si nous étions maires, nous changerions tous les trottoirs, trop étroits pour les fauteuils roulants, donc dangereux.”
LES PARTAGEUSES
Marwin, 13 ans
LES RÉVÉLATEURS DE TALENTS Roberto, 14 ans et Camille, 13 ans
“Nous souhaitons créer un espace d’expression libre pour les jeunes, pour laisser parler leur sensibilité: d’autres villes en ont! Alors pourquoi pas un mur de graffs autour de Victor-Hugo ou de la salle de l’Aire? Des ateliers où chacun s’exprime, par exemple à partir d’un mot, sous forme de dessin, ou de musique, et un lieu d’exposition, où on échange les compétences… Ce n’est pas parce qu’on est jeunes qu’on n’a pas de talent! Il suffit d’une ou deux fois par semaine, et le budget n’est pas très élevé.”
L’ENGAGÉ
“Le bénévolat est en péril, les sujets importants manquent de bras ! Si j’étais maire, je mettrais des affiches partout dans la ville pour soutenir les initiatives de solidarité. J’aimerais organiser une journée intergénérationelle avec un concert, dont tout le bénéfice serait reversé à une association, et faire passer des messages dans des radios locales pour recruter des bénévoles pour les associations. Et n’oubliez pas : engagez-vous !”
Lucie, 14 ans
“À travers des actions dans tous les collèges ou des lotos, je souhaite financer des vacances pour les enfants du Sénégal. J’y suis allée l’année dernière comme aide-moniteur, avec Vasi-JV (vacances pour jeunes volontaires) : cette expérience m’a beaucoup apporté, j’ai vu le bonheur des enfants des rues. Si j’étais maire, je sensibiliserais les enfants dès 7 ans à la solidarité internationale, et je montrerais les réalisations pour améliorer l’image de la ville, y compris face aux touristes.”
Arnaud, 17 ans, et Kevin, 18 ans
L’INTERNATIONALE
LES SPORTIVES Julie et Carla, 14 ans
“Notre priorité : améliorer le skate-park pour faire aboutir le projet des élus précédents. Trop détérioré, il est devenu dangereux, alors que c’est un lieu de réunion gratuit, donc privilégié pour les jeunes. Nous voulons y aménager une buvette avec canapé, télé, baby-foot. Et si nous étions maires, nous fixerions les tarifs des clubs sportifs en fonction des moyens familiaux. On se débrouillerait pour que l’utilisation des salles soit plus cohérente… pour éviter qu’un club se retrouve sur un coin de béton, sans vestiaires, comme en boxe française !”
Déjà élus au Conseil des jeunes 2009-2011, Kevin et Arnaud voient leur mandat renouvelé. Objectif : faire profiter les nouveaux élus de leur expérience. “Ils ont des projets plein la tête, mais souvent irréalisables, on le sait : il n’y aura pas les financements, ou la Mairie bloquera… Nous voulons les guider pour éviter qu’ils reproduisent les mêmes erreurs. Nous proposons de créer un conseil consultatif par projet, en lien direct avec le chef de service et l’élu senior concerné. Nous voulons qu’il en ressorte quelque chose de fort, pas un projet par défaut.”
LES PROTECTEURS OU LES PARRAINS La Gazette n° 268 - Du 5 janvier au 1er février 2012
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lesconviviales uu ASSOCIATIONS
CVacances • SKI. L’association montpelliéraine
Passe Muraille propose du 19 au 24 février 2012 un séjour près de Laguiole “Ski en Aubrac”, glisse et boules de neige pour les 8-13 ans : jeux à ski, sauts de bosses, promenade en raquettes, construction d’igloo, luge. Cours pour les débutants. Hébergement en gîte. Tarif : 490 € (hors frais de dossier et d’adhésion). Contact : dossier d’inscription au 04 67 06 96 04 ou téléchargeable sur le site www.lepassemuraille.org.
PHOTO RAQUEL HADIDA
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CSolidarité • BLOUSES ROSES. L’association
Les blouses roses qui soutient les patients cherche des bénévoles pour intervenir sur le bassin de Thau. Renseignements pour l’antenne sétoise au 06 27 85 30 65, ou par mail: lesblousesroses34@ gmail.com. Site Internet de l’association en France : www.lesblousesroses.asso.fr. Seul engagement : être disponible un après-midi ou un soir par semaine au moins. • MALADES. La section locale de Sète, de l’association Visite des malades en établissements hospitaliers (VMEH) vous propose de devenir visiteurs des malades en donnant bénévolement un peu de votre temps. la VMEH est reconnue d’utilité publique. Contact : 09 51 44 65 08 ou 06 14 03 79 15.
CCulture • THÉÂTRE. Les Z’ateliers d’herbodis
organisent des stages de théâtre et d’expression corporelle, pour les adolescents ou les enfants à partir de 6 ans, animés par Géraldine et Luc Sidobre, metteurs en scène, comédiens, éducateurs spécialisés dans le théâtre pour enfants. Une fois par mois, samedi ou dimanche, de 10h à 16h30 au Lazaret à Sète. Rens. et inscriptions : 06 01 39 16 13, sidluck@ free.fr • JAZZ. Le festival Jazz à Sète lance l’appel à candidatures pour son tremplin 2012 (7e édition). Ce tremplin s’adresse aux groupes de jazz de l’Hexagone, composés de 5 musiciens maximum, et n’ayant jamais été distribués par un label commercial avant le
Le Reiki, une touche de bien-être énergétique
Vingt et une positions en une demi-heure, sensation de chaleur. Rien à voir pourtant avec le Kama Sutra : le Reiki procure une sensation de détente, tout habillé, grâce au toucher énergétique de trois praticiens. Rien d’ésotérique non plus, “c’est un travail sur le corps”, assure Martine Fougères, la créatrice de l’association Reiki à Frontignan. Celle-ci réunit une trentaine de praticiens amateurs et propose des séancesdécouvertes gratuites, ainsi que des formations. “J’étais une jeune maman fatiguée. Le Reiki m’a rendue beaucoup plus sereine et disponible pour ma famille et mon travail.” Cette technique japonaise “permet de s’auto-traiter et de traiter son entourage pour alléger les souffrances de la vie quotidienne - bobos, angoisses, fatigues, insomnies, maux de tête-, mais aussi accompagner un malade”. Séance-découverte gratuite tous les derniers mardis du mois, sur réservation, de 18h30 à 21h, rue du Garrigou à Frontignan-La Peyrade (puis 30 €/h pour les 2 suivantes). Association Reiki, 04 67 48 10 31, bienetrereiki@free.fr, http://bienetrereiki.free.fr/association_reiki
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tremplin. Les dossiers sont à envoyer avant le 15 février. La fiche d’inscription est à télécharger sur jazzasete. com (rubrique programmation). Pour rappel, le groupe ayant remporté le tremplin 2011, Guitar Addiction, a assuré la première partie de Richard Bona et Raul Midon le 16 juillet au Théâtre de la Mer. • ÉCRITURE. L’association Clair de Plume organise jusqu’au 29février 2012, un concours de textes en prose sur le thème de la femme. Les personnes intéressées pour y participer peuvent demander le règlement à l’association - par mail: clairdeplume34@hotmail.fr - ou par courrier (enveloppe affranchie à leur nom) Clair de Plume 36 chemin de la Pouled’Eau 34110 Vic-la-Gardiole. • DANSE. Luciole atelier C3 propose différents ateliers de danse réguliers. Lundi: danse contemporaine ados de 17h30 à 19h00, danse contemporaine adultes de 19h15 à 21h00. - Mardi: danse contemporaine enfants 7/9 ans de 17h30 à 18h45, méthode Feldenkraïs adultes de 19h à 20h. - Mercredi: danse contemporaine enfants 3/4 ans de 10h à 11h, danse contemporaine enfants 5/6 ans de 11h15 à 12h15, tango adultes débutants de 19h à 20h30, tango adultes intermédiaire de 20h30 à 22h. - Jeudi : atelier postural adultes de 19h à 20h. Vendredi : méthode Feldenkraïs adultes de 10h à 11h. Contact: 0954945405,
La Gazette n° 268 - Du 5 janvier au 1er février 2012
lucioleatelier@free.fr, 47 rue Pierre-Sémard, 34 200 Sète. • ÉCRITURE. Atelier Icare propose un atelier d’écriture toute l’année le mercredi de 14h à 15h pour enfants de 8 à 13 ans animé par Annie Waksman. Au 81 Grand'Rue Haute à Sète. Inscr. : 04 99 02 44 81. • ÉCRITURE BIS. Le Comité du Quartier Haut organise un club d’écriture “Papiers de soi”. Écrire à Sète, écrire pour transmettre, pour témoigner, pour défricher son labyrinthe, pour le plaisir, se faire plaisir, pour vivre mieux. Et éditer un livret collectif au final. Tous les jeudis, à partir du jeudi 5 janvier 2012, de 17h à 19h. Salle Le Collège, 42 bis Grand’Rue Haute. Contacts et inscriptions: Elyette Guiol, 06 50 17 45 56. • CHŒUR. Cantarelo (chorale
Balaruc-les-Bains) recherche choristes, hommes de préférence. Répétition le mercredi de 14h30 à 17h30. Tarif : 15 €/trim. Tél. : 06 60 83 35 89.
• BIBLIOTHÈQUE. L’annexe de la Bibliothèque Pour Tous de Sète est ouverte toute l’année les lundi et jeudi de 9h à 12h, au local Espace de l’Amitié, Corniche de Neuburg, à la Corniche. Prêt de romans, biographies, BD et livres pour enfants, pour lecteurs résidents ou vacanciers. • DANSE AFRICAINE. Pour l’association Vent d’Afrique, Makou
Dolima accompagné par les musiciens du groupe “La Terrenga” propose des cours de danse africaine (amateurs ou confirmés, de 14 à 77 ans), tous les samedis de 11h à 12h30 (sauf pendant les vacances scolaires).Tarifs, à compter du 1er janvier 2012: 116€ le trimestre, 13 € la séance. Séance
d’essai remboursée en cas d’abonnement trimestriel. Parrainage: 10 % de remise sur un abonnement trimestriel. Lieu: gymnase de l’école des Terres blanches, avenue Jean-Moulin à Frontignan. Rens.:0673406283,0952940162, v e n t d a f r i q u e @ y a h o o . f r, http://vendt.afrique.free.fr
• BAROQUE. “Les Barocades”, ateliers de musique baroque et Renaissance à Campagnan, direction Domitille Debienassis, pour musiciens et chanteurs amoureux de ce répertoire. Les lundis de 14h à 15h30. Rens : Jean-Luc Serrano, 04 67 24 93, 06 84 29 58 53, jean-luc. serrano023@ orange.fr
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