PARCOURS MATIERE & OUTILS DE CREATION URBAINS
1
2
SOMMAIRE
INTRODUCTION : parallèle entre cheminement du corps et de l’esprit le sujet la forme du mémoire bref historique LE PAYSAGE N’EXISTE QU’À TRAVERS UN SUJET
MODIFIER NOS SYSTÈMES DE REPRÉSENTATION - un déplacement de soi par rapport à soi l'espace est un lieu pratiqué, expérimenté incarner le regard le corps et ses affects l'espace est dynamique s’écarter de tout but prédéterminé pouvoir d’estrangement du trajet ALTÉRITE(S)- ouverture de soi aux autres espaces des regards éclectiques car la ville l’est abandon à la parole de l’autre – non spécialiste abandon à la parole des autres – spécialistes
OUVERTURES – projets « créer des systèmes de confrontation infiniment plus riches qu’un projet contrôlé »1 initier un mouvement qui se répande ne pas agir, savoir laisser du vide réengager l’homme par le plaisir pour conclure 1 Joseph Abram, article Nancy, impressions sur la ville « telle quelle », revue Autrement, 1989.
3
4
INTRODUCTION
Un parallèle entre cheminement du corps et de l’esprit
LE SUJET Le mémoire marque la fin d’un apprentissage qui s’étale sur plusieurs années. Il fait trace d’un état qui se meut mais que l’on doit figer momentanément. Il exprime des idées, nécessite de se poser des questions qu’il faut savoir exposer pour tenter de les communiquer. Il permet aussi de prendre du recul avant le début d’une carrière, avant de passer de l’autre côté sans toutefois cesser d’apprendre continuellement. L’apprentissage, de façon générale, que ce soit de l’architecture ou de tout autre chose, au sein d’une école ou pas, s’effectue grâce et par le déplacement. En effet nous nous déplaçons pour rencontrer celui ou celle qui transmettra son savoir mais aussi, nous nous déplaçons dans la connaissance même. A chaque avancée, à chaque réception d’une information ou d’un stimulis, notre intellect et notre mémoire se chargent de cette nouveauté, intensifiant, changeant ou forgeant l’opinion. Ne parle t-on pas d’ « orienter la pensée » ? Je vois la marche comme une métaphore de la démarche, de la progression intellectuelle. L’image adéquate pour moi, est celle du chemin labyrinthique ponctué de croisements multiples où il est nécessaire de faire des choix qui confèrent au parcours son caractère unique. Par là nous comprenons bien que le mouvement pour se rendre d’un point à un autre est en outre nécessaire, mais aussi que celui-ci apporte autant, sinon plus que les points eux-même.
5
« Il faut être nomade, traverser les idées comme on traverse les villes et les rues ». Francis Picabia Par ce mémoire, je voudrais parler de chemin(s), de parcours, et de l’acte même de se déplacer. Cela pour appuyer l’idée que l’on peut faire du déplacement, la matière première du contexte urbain, mais aussi un outil de compréhension et de production collective. Marcher concerne beaucoup d’entre nous et ne nécessite que très peu de choses : un contexte et un corps qui en soit capable. Par contre cet acte est fécond, il stimule la pensée, l’imagination du marcheur, et permet aux lieux parcourus d’exister. « Je ne puis méditer qu’en marchant ; sitôt je m’arrête, je ne pense plus, et ma tête ne va qu’avec mes pieds. » Jean Jacques Rousseau, Les Confessions, 1764.
LA FORME DU MEMOIRE En ce qui concerne la forme du mémoire, j’ai essayé de faire en sorte qu’elle en appuie le fond. Un texte conducteur qui constate, pose des questions, tente d’y répondre ou en ouvre d’autres. Un texte qui propose mais ne donne pas de solution, n’affirme rien. Celui-ci est entrecoupé d’apartés de toutes sortes. Ces encarts particuliers séquencent le discours mais il est possible de les contourner, d’y revenir plus tard, de les laisser de côté ou alors de les lire dans le désordre. Ces apartés constituent les rencontres qui ont fortement influencé ma démarche, m’ont fait bifurquer, m’ont aidé à choisir, à me repositionner. Ils représentent les mécanismes d’élaboration de mon travail, les points d’inflexion. Ces points, arrivées, départs ou arrêts furtifs ne sont ni chronologiques, ni classés selon quelque logique que ce soit, ils ouvrent juste des possibles : rapprochements, croisements, oppositions. Encore une fois, la métaphore de la marche peut prendre place, tels ces marcheurs issus de l’histoire de l’art, mais aussi comme tout un chacun, libre à vous de vous faire un chemin singulier à travers ce texte rythmé de rencontres variées, au sein de différents espaces de références : artistique, architectural, avant garde réactionnaire, textes, littérature, voyages, sciences …
6
7
8
BREF HISTORIQUE A partir de la fin du XXème siècle apparaît chez de nombreux artistes, le franchissement d’une distance spatiale comme protocole d’élaboration de l’œuvre, voir essence même de celle-ci. Ces artistes et leurs productions, affirment l’étroitesse qui existe entre l’acte de marcher et celui de créer. (cf. Marcher, créer, Thierry Davila). Ces rapports à l’Homme qui marche ne sont pas neufs. Cependant, il s’agissait plutôt jusque là, et ce depuis la Renaissance, d’une figure, d’une icône allégorique. Au XIXème siècle, la chronophotographie par Edward James Muybridge et Jules Etienne Marrey apporte un fort bouleversement car le mouvement lui même devient l’essence de telles représentations. Après l’illustration de l’Homme en déplacement, vint son exploration, sa rationalisation et sa compréhension.
Masaccio - Adam et Eve chassés du Paradis - Fresque 208 x 88 Chapelle Brancacci Florence - 1426-27
Eadward Muybridge - Etude de la démarche d’une femme descendant un escalier – Chronophotographie - 1880
9
La littérature du XIXème siècle est aussi riche en ce qui concerne le sujet. Karl Gottlob Schelle, philosophe et ami de Kant, fait de la promenade un art, envisageant cette activité non comme un simple mouvement du corps mais bien comme une action dans laquelle quelque chose de l’esprit est engagé. Balzac rédige à son tour, en 1833 une Théorie de la démarche, la marche qui est supposée soulever de hautes questions et réunir autour d’elle quelques unes des plus grandes disciplines de l’esprit. C’est également les pouvoirs de la marche
Alberto Giacometti - L’Homme qui marche - sculpture en bronze - 1961
10
qu’évoque la figure du flâneur Baudelairien. Viendront par la suite, au XXème siècle : les surréalistes, les situationnistes, puis les néo-dadaiste Fluxus, les landartistes, etc… Les land-artistes des années 1970 ont eux aussi utilisé le déplacement comme acte créatif. Grande influence pour des artistes tels que Francis Alÿs, le collectif italien Stalker, et autres artistes « touristes » de la deuxième moitié du XXème siècle, ces derniers voient en eux leurs pères. Si aujourd’hui la question n’est plus la même, c’est à dire celle d’une opposition entre nature et culture (ville),(réaction généralisée des années 70 dans de nombreux champs d’action et de réflexion) il s’agissait bien aussi, pour les landartistes, du concept de déplacement. Autour de celui-ci gravitaient les processus de création de l’oeuvre et de sa représentation sur plusieurs plans : esthétique, social et économique. Très tôt les land-artistes se détournent de la sculpture au profit du lieu, du déplacement et plus précisément à la marche à pied. L’attitude en tant qu’action, que process devient forme. « Marcher conditionne la vue et la vue conditionne la marche, jusqu’à ce qu’il semble que le pied puisse voir » Robert Smtihson, 1969 pour performance Nine Mirrors displacements, Yucatan Mexico.
Hamish Fulton - Making holes on the pennine Way - 1973
11
Francis Alys, - Paradox of Praxis 1 (Sometimes Making Something Leads to Nothing) - 1997
12
13
14
LE PAYSAGE N’EXISTE QU’A TRAVERS UN SUJET
La notion de paysage implique le point de vue de l’observateur. Le paysage est saisi par quelqu’un et est véritablement construit par l’esprit ; c’est une représentation. Tenter d’approcher la notion de paysage, y compris urbain (puisque c’est en ville que se concentre un grand nombre des activités humaines) ne peut se faire en omettant le sujet, l’être par lequel le milieu est transcrit, vécu, expérimenté et construit. Soit, dans le cas des villes : l’Homme. De ce fait, le sujet d’étude est forcement double car il est impossible de comprendre un milieu sans se soucier des interactions qu’il entretient avec ceux qui y vivent, car vivre implique un rapport de réciprocité. « l’Homme et le monde sont des êtres relatifs et le principe de leur être est la relation »1
En cela le monde n’est pas un objet fini à contempler, que l’on surplombe, mais par essence il est monde pour, et de l’Homme. On observe ainsi une implication mutuelle entre l’Homme et monde qui sont deux entités indissociables, engagés réciproquement. L’Homme est l’un des constituants majeurs de la ville. Ne pas le prendre en compte, fausse toute analyse. 1 Jean Paul Sartre, L’Etre et le néant, Gallimard, Paris, 1943, p. 370
15
L’observateur fait partie du processus observé, il est même le facteur essentiel qui rend possible et conditionne la réalité étudiée. « Sans un sujet vivant, le temps ni l’espace n’existent » 2
Supprimer ce rapport étroit dès l’étude risque de créer des formes qui malheureusement comme pouvait tristement le constater Pierre Sansot, ne concerneront plus l’Homme. Ne lui procurant plus de plaisir il finira par s’en détacher, et l’échange entre elle et l’homme s’estompera pour finir par s’effacer. « (…) le plaisir (signifie) un enlacement de la ville à notre être, une raison de continuer à la vivre (…) mais la ville n’est plus rien de ce qui d’elle à moi s’ échangeait. Un désert de pierres et d’habitants. »3
Pour qu’il y ait échange, le sujet se doit de s’engager dans et avec la ville. Dans le cas d’un site inconnu, cet engagement est plus flagrant ; le sujet y est à nu, immédiatement exposé à une saisie directe. Parallèlement, le sujet s’expose au site et le paysage est révélé. Il est d’autant plus possible de parler d’ouverture, d’un espace à un sujet, (favorisé par la marche) si le contexte est neuf ou si le regard s’est préalablement défait de toutes ses habitudes souvent restrictives.
2 Jacob vOn Uexküll, Mondes animaux et mondes humains,
3 SANSOT Pierre, Rêveries dans la ville, Neuf considérations sur le bonheur des villes. Editeur : Carnets Nord, Paris, 2008. P.76-77
16
17
18
MODIFIER NOS SYSTEMES DE REPRESENTATION Un déplacement de soi par rapport à soi
L’ESPACE EST UN LIEU PRATIQUE, EXPERIMENTE Pour tenter de comprendre un territoire, puisque l’être et le monde interagissent, nous nous devons de passer par l’expérience, nous immerger dans le réel. Ce temps de l’expérience nous manque, dans nos villes, nos quotidiens, mais aussi au sein des analyses urbaines, dans les outils de planification et par là, dans les formes qui en résultent. Nous nous devons donc de modifier nos systèmes de perception, de représentation, mais aussi d’analyses, pour avoir une approche différente. En s’immergeant dans le réel, le marcheur a la possibilité de l’expérimenter à nouveau, dans un temps où, comme l’annonçait déjà Walter Benjamin en 1930 « la côte de l’expérience a baissé, et il apparaît même qu’elle tend à zéro »4. Benjamin parlait là de la situation suivant la catastrophe que fût la première guerre mondiale. Or, la critique peut s’étendre à la période contemporaine dans les grandes mégapoles où l’Homme qui, sans avoir le besoin d’une grande catastrophe, n’a plus l’occasion d’expérimenter. Son quotidien est rythmé de plus en plus souvent par des évènements qui ne le concernent plus vraiment, ou alors qu’il lit, entend, ou regarde, passivement. Comme le souhaitaient les situationnistes, il faut offrir à nouveau la possibilité d’être actif sur la ville, et cela peut, entre autre, passer par la marche, ou encore par « l’affirmation d’un 4 Walter Benjamin, Le narrateur, Essais 2, 1935-1940
19
vue aĂŠrienne de Nancy
20
comportement ludique constructif ».5 On ne peut être enlevé à l’emprise de la ville pour la comprendre. L’oeil omniscient qui sait tout mais aussi qui voit tout, imaginé par les peintres des utopies survit aujourd’hui et fausse nos rapports au monde. Nous ne pouvons avoir une vision claire de la ville, qui plus est si la mise à distance persiste, et que seul l’intellect cherche à en saisir la réalité. L’aménageur de l’espace, l’urbaniste, l’architecte, le cartographe doivent être enlacés avec le monde. « La ville panorama est un simulacre théorique, en somme un tableau qui a pour condition de possibilité un oubli et une méconnaissance des pratiques ». 6
C’est en bas, à même le sol, les rues, à même le trottoir que vivent les pratiquants ordinaires de la ville. Cette dualité entre le savoir omniscient et le sensible est aussi existante entre la théorie et l’expérience, entre l’euclidien et le sensible, et entre une vision cartographiée et celle in-situ.
Une citation de Lewis Caroll, dans le livre Sylvie et Bruno écrit en 1989, illustre parfaitement le rapport à l’expérience, à la nécessité pour comprendre un territoire de s’y confronter, plutôt que de se contenter de sa représentation. (Mein Herr est un personnage qui venait d’un pays où les géographes avaient réalisé une carte à l’échelle 1:1 mais celle-ci ne fût jamais déroulée car les paysans avaient protesté qu’en couvrant le territoire elle ferait obstacle au soleil et empêcherait toute culture de pousser) « Ainsi sit Mein Herr, nous utiliserons le pays comme sa propre carte, et je vous assure que ça marche très bien. » Il faut re-sensibiliser le savoir, dépasser des relations restrictives de cause à effets pour des relations sensibles et expressives. Afin de s’interroger non plus sur une certaine efficacité, (vision quantitative) mais plutôt sur des impacts, des effets, des usages (vision qualitative). Par leurs déambulations, les artistes « piétons planétaires » comme les situationnistes contesteront souvent la ville fonctionnaliste et la rectitude des parcours urbains qui laissent peu de place aux corps et à l’improvisation. Ils critiquent la ville et le territoire qui sont quadrillés, 5 « Théorie de la dérive » Publié dans Les Lèvres nues n° 9, décembre 1956 et Internationale Situationniste n° 2, décembre 1958, page 19, éditions Arthème Fayard (1997), p.51 6 Michel De Certeau, la ville vue du 110ème étage.
21
rationalisés, balisés par des outils de contrôle et d’appropriation de l’espace, d’un zonage qui divise.
INCARNER LE REGARD Le déplacement est un outil de travail tout autant lié à des objets créés qu’au corps lui même. Il faut chercher à incarner le regard. « Marcher est la façon la plus charnelle de pénétrer la ville ». Rebecca Solnitt
« l’impureté de la marche est précisément ce qui la rend digne d’être tentée : les paysages, les pensées, les rencontres, toutes ces choses qui relient l’intelligence au monde par l’intermédiaire du corps vagabond et sont le levain de l’esprit absorbé par lui même »7 La marche opère souvent après s’être dessaisi du monde connu, par une réactivation des sensations ou du moins par leur intensification. (cf. Situationnistes). Marcher permet d’acquérir une connaissance plus intime du milieu dans lequel on évolue que si l’on se contentait de regarder, car en effet, le recul n’existe plus. Le corps fait partie prenante du contexte avec lequel il interagit, intensifiant ses perceptions, ses sens. Le spectateur alors engagé devient acteur. La critique situationniste urbaine s’insurge contre des caractéristiques de la ville et de notre rapport à elle. Malheureusement cette pauvreté de nos potentiels d’action par le corps, dans nos villes, est toujours d’actualité. Cependant, l’action même de parcourir l’espace lentement, attentivement au lieu d’être passifs, pourrait faire de nous des acteurs. Ainsi, si la ville est réellement vécue, expérimentée par ses habitants, ses passants ; elle peut devenir une scène, véritable corps urbain. Créer, en ne prenant en compte que la vue entraîne un oubli du corps, et de la sorte de son déplacement, son orientation, ses perceptions, ses affects... Cela crée donc bien souvent des objets destinés à ne satisfaire que le regard, (sans toutefois oublier la fonction), du monumental, favorisant la spectacularisation des villes. Cette hégémonie de la vue provoque bien souvent une vision centrifuge et la patrimonialisation des villes. 7 Rebecca Solnit, l’Art de marcher, p177
22
Trisha Brown - Man walking down the side of the building - chorĂŠgraphie - 1970
23
LE CORPS ET SES AFFECTS De seuls paramètres métriques ne peuvent donc relater le fait urbain ; l’expérience permet aussi de se confronter à l’affection et de la saisir. Impalpable, celle-ci est pourtant essentielle et peut croiser perceptions, mémoire, plaisir, angoisse, psychologie… Pourtant celle-ci est difficilement exprimable, que cela soit par des chiffres, ou par toute autre donnée habituellement admise dans l’étude des villes. Il faut alors peut-être recourir à d’autres outils, à d’autres média de transcription : le récit, la carte sensible, par exemple. « un chemin objectivement plus long peut être plus court qu’un chemin objectivement très court, si ce dernier est un véritable calvaire et s’il paraît à celui qui le parcourt infiniment long » 8 « Il n’existe nulle coïncidence entre le plan d’une ville dont nous consultons le dépliant et l’image mentale qui surgit en nous, à l’appel de son nom, du sédiment déposé dans la mémoire par nos vagabondages quotidiens » Charles Baudelaire Prendre en compte les affects que provoque toute expérience urbaine induit l’importance du caractère du lieu, de son atmosphère. « L’espace flou du déplacement, son caractère cinématographique fait entrevoir qu’il est d’autres catégories pour énoncer l’urbanisation qui ne sont pas affaire de plans et de formes (statiques) mais d’ambiances, ouvrant la possibilité d’envisager un urbanisme des sensations » 9
8 Martin Heidegger, l’Etre et le Temps, Gallimard, Paris, 1964 9 Alain Guilheux, Architecture Action, une architecture post-théorique.
Wim Wenders - Les Ailes du Désir - extrait - 1987
24
09/2007 - 01/2008 UNE EXPOSITION - L’UMWELT Paris, Grande Halle de La Vilette
//Bêtes et Hommes Commissaire d’Exposition Vinciane Despret, Scénographe Patrick Bouchain En 2007 je visitai l’exposition «Bêtes et Hommes» à la grande halle de la Villette. Je découvris dans cette exposition des études sur les animaux et leurs comportements mais aussi sur les rapports entre Homme et animal. Beaucoup d’artistes, appuyant des théories soulevées par des scientifiques développaient la problématique de cette connaissance anthropomorphique projetée sur l’animal. En effet pour le comprendre nous projetons bien souvent sur eux une partie de nous même, de nos perceptions. Là m’apparurent de nouvelles notions, l’ «UMWELT », milieu propre d’un organisme, et l’ETHOLOGIE, soit l’étude du comportement (animal) d’un être dans son milieu. C’est à dire une étude qui prend en compte les relations et les perceptions qu’ils entretiennent avec leur environnement. Jakob Von Uexküll (1864-1944), éthologiste allemand fondateur de l’écologie, émet l’idée que le monde propre de l’animal, l’Umwelt», serait composé du monde appréhendé (Merkwelt), et du monde agité (Wirkwelt) qui pourrait être très différent du nôtre. Konrad Lorenz (1903-1989), biologiste et zoologiste autrichien cherche lui à fonder un ensemble explicatif théorique et une méthode qui rendraient compte de manière générale de la diversité des comportements instinctifs des animaux, dans leurs milieux naturels ou proches de la nature.
25
Cette notion de milieu devient un mode universel et obligatoire de saisie de l’expérience et de l’existence d’êtres vivants. Pour eux étudier un être vivant dans des conditions expérimentales construites c’est faire un milieu à l’animal, lui imposer un milieu, alors que le propre du vivant c’est de constituer son milieu, car vivant et milieu interagissent. L’individualité du vivant ne cesse pas à ses frontières de l’épiderme.
Il y aurait donc : l’UMWELT : le milieu de comportement propre à tel organisme l’UMGEBUNG : l’environnement géographique banal le WELT : univers de la science.
L’Umwelt pour le vivant est un ensemble d’excitations ayant valeur et signification de signaux. Pour agir sur un vivant, il ne suffit pas que l’excitation soit produite mais il faut qu’elle soit remarquée. L’intérêt de l’animal doit être orienté vers l’objet, dirigé vers lui par le sujet. Pour être efficace l’excitation doit être anticipée par une attitude du sujet. «Si le vivant ne cherche pas il ne reçoit rien. Un vivant ce n’est pas une machine qui répond par des mouvements à des excitations, c’est un machiniste qui répond à des signaux par des opérations». Le milieu physique est producteur d’excitations au nombre illimité, l’animal n’en retient que quelques unes. Ces excitations perçues ordonnent le temps et l’espace de l’Umwelt de l’animal. L’umwelt est donc un prélèvement sélectif de l’Umgebung. Cet umgebung peut être considéré comme l’environnement humain, c’est à dire centré, ordonné, orienté par un sujet humain, sur le monde usuel de son expérience perceptive et pragmatique. Le milieu dont l’organisme dépend est structuré, organisé par l’organisme lui même. Ce que le milieu offre au vivant est fonction
26
de la demande. C’est pour cela que dans ce qui apparaît à l’Homme comme un milieu unique, plusieurs vivants y prélèvent de façon incomparable les leurs, spécifiques et singuliers. L’Homme n’échappe pas à la règle, l’umwelt de l’Homme est celui de sa perception, c’est à dire le champ de son expérience pragmatique où ses actions, orientées et règlées par des valeurs imminentes aux tendances découpent des objets qualifiés, les situent les uns par rapport aux autres et tous par rapport à lui. Le réel est donc l’UMWELT de tous les vivants, y compris l’homme.
Il existe donc diverses manières d’habiter le monde en fonction de significations qui varient de vivant à vivant, selon nos perceptions, notre vision du réel varie. Il n’existe donc pas une réalité, mais plusieurs, subjectives. Ce type d’analyse permet de se dégager de préjugés car la base de l’éthologie consiste a accepter qu’il est impossible de prévoir les résultats que l’on va trouver, adopter une attitude de disponibilité réceptive face aux résultats.
Konrad Lorentz avec ses cygnes
27
28
L’ESPACE EST DYNAMIQUE La prise en compte du corps implique alors une prise en compte du mouvement (des séquences), donc de l’espace et du temps. Il faut s’extraire de l’architecture monumentale, statique (qui fait signe) pour une architecture qui ménage des cheminements, dynamique (qui fait sens). Celle-ci, hodologique (hodologie : science de l’étude des chemins) pousse au déplacement et ainsi introduit le temps dans l’œuvre. Ce dispositif s’oppose à la représentation. Le signe ou la forme prennent place lorsque le geste s’arrête, alors que le processus est dans le geste. Les sculptures de Carl Andre ou de Georges Trakas en sont de bons exemples. Pour qualifier son travail Trakas déclare que : «c’est une sorte de chorégraphie, la connexion constante entre les pieds et le cerveau». Valoriser le cheminement pour donner du sens, échapper au monumental, implique une prise en compte de l’entre deux, de la liaison, de l’intervalle comme substance. Il n’y a pas de notion d’espace si l’on supprime l’entre deux, la liaison. L’espace n’est pas qu’une addition de lieux propres. Ainsi Michel De Certeau distingue le lieu, statique, à l’espace, dynamique.
Il en est de même pour Leibniz qui oppose le lieu où règne « l’ordre des coexistants » à l’espace « l’ordre des successifs » .
Les choses se découvrent et m’apparaissent successivement, au fur à mesure d’une progression, physique ou mentale. Le monde n’est pas un objet déplié sur lequel je jette un regard synoptique et omniscient. Pour tenter d’approcher l’espace, il faut donc se dégager d’une vision contemplative aux fins d’une perception active où l’usage prime sur la vue. « vivre c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner »10
10 PEREC Georges, Espèce d’espaces, Edition Galilée, 2006.
29
Guy Debord - Guide Psychogéopraphique de Paris, Discours sur les passions de l’amour, pentes psychogéographiques de la dérive et localisation d’unités d’ambiance - 1957
30
Notre relation au monde, en prenant en compte la notion de distance inclut aussi le temps. Or espace et temps sont étroitement liés surtout dans l’espace urbain, celui du temps long, des flux multiples, etc.. Nous ne pouvons donc évincer l’une de ces notions dans l’étude. Intégrer le temps, le mouvement, par la marche, signifie également intégrer la lenteur. Celle-ci permet bien souvent de mieux voir, d’être plus attentif, de flâner librement, voir de s’adonner à la dérive. Cette lenteur peut aussi être perçue comme résistance au tumulte ou à toute logique de productivité. Walter Benjamin « la flânerie repose, entre autre, sur l’idée que le fruit de l’oisiveté est plus précieux que celui du travail. Il est bien connu que le flâneur fait des études. »11
S’ECARTER DE TOUT BUT PREDETERMINE La marche, comme mode opératoire, comme outil d’élaboration de l’œuvre, permet en tant que geste, que process, de s’écarter de tout but prédéterminé. Le propre du process est d’être tourné vers la propension à et non vers le but. Ce processus n’existe donc pas par sa propre présence visuelle, physique, mais par les actions, les ambiances et perceptions qu’il pourra engendrer. La matérialité importe moins que les effets, c’est l’instant intermédiaire qui est substance.
Est ce toujours la destination qui compte ? Est-ce que l’entre deux, le chemin, les virages, les détours et impasses qu’elle inclut ne sont pas dotés de plus d’enseignements ? Concentrons nous donc sur la façon de cheminer, et sur les rencontres faites en route. Flâner permet de ne pas pré-supposer de résultats, d’effets, mais au contraire de se laisser aller, de nous déprendre de nous-même, de s’ouvrir aux opportunités et en cela à ne pas orienter inconsciemment notre recherche. Beaucoup de découvertes ont été faites au moment où l’on ne s’y attendait pas, alors que l’on cherchait tout autre chose. Heidegger, dans Le défaut des noms sacrés, en 1981, introduit une distinction fondamentale sur l’essence de la pensée entre celle qu’il nomme la méthode et celle qui l’oppose, le chemin. La méthode est la pensée qui calcule, scientifique et technique, qui transforme le monde en espace d’opérations et la chose en objet. 11 Walter Benjamin, Paris, capitale... , p. 470.
31
32
22 AVRIL 2009 UNE LECTURE - UN POETE 49 nord 6 est - FRAC Lorraine Metz
//Jacques Roubaud - OuLiPo - la contrainte « Poète, mathématicien, oulipien, théoricien du rythme et de la mémoire, Jacques Roubaud est souvent qualifié d’inclassable. Son oeuvre dense mêle à l’envie poésie et prose, réalité et fiction, littérature et mathématique. Il nous offre ici une lecture de textes choisis, précédée d’une brève introduction sur l’Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle), proposée par Carole Bisenius-Penin, maître de conférence en littérature française à l’Université Paul Verlaine de Metz. » ( résumé du FRAC) Cette lecture d’une grande poésie à laquelle j’ai eu la chance d’assister m’ouvre à l’OuLiPo d’une part mais aussi de façon générale à la création sous contraintes. La contrainte comme principe créatif productif et déclencheur, qui permet de sortir de la règle comme « convention formelle historisée appartenant à la tradition culturelle » (Vera Molnar).Ces contraintes fonctionnent de manière quasi-autonomes et dispensent le créateur/concepteur d’un certain nombre de choix. Il s’agit là bien plus de processus créatif que de création pure, dont une part est livrée au vent du hasard. Par ce retrait assumé de la subjectivité, le concepteur accepte pour un temps, de ne pas tout contrôler. « la contrainte est la compagne de l’imagination ». Georges Perec. « ne pas essayer trop vite de trouver une définition de la ville, c’est beaucoup trop gros on a toutes les chances de se tromper ». Georges Perec, Espèce d’espaces. « j’aime marcher dans Paris, parfois sans but précis, pas vraiment au hasard, ni à l’aventure, mais en essayant de me laisser por-
33
ter . Parfois en prenant le premier autobus qui s’arrête, ou bien en préparant soigneusement, systématiquement un itinéraire (…) par exemple trouver un trajet qui traversant paris de part en part, n’emprunterait que des rues commençant par la lettre C » Georges Perec, Espèce d’Espaces Cette lecture accompagnait une exposition de peinture de Vera Molnar. Perspectives et variations. Elle aussi utilise des protocoles extérieurs comme l’informatique et les mathématiques pour ouvrir sa peinture à d’autres dimensions.
Ces artistes apportent un potentiel d’ouverture, à la fois pour détourner les protocoles de création, et pour permettre aux circonstances de prendre place, en laissant une zone d’incertitude, de non-contrôlé. Promenade (presque) aléatoire 1998-99 / 2009 Metz Algorithme, fil noir, clous. Dimensions variables. Collection FRAC Lorraine
34
Le chemin serait lui, la pensée poétique et philosophique qui laisse venir, sans programme initial d’opérations, d’infinis possibles. C’est donc l’expérience réelle de l’espace qui permet la pensée qui chemine. Est-il possible d’opérer à une pensée cheminante pour concevoir nos villes ?
LA VILLE « TELLE QUELLE » - Vivre et relire des lieux parfois quotidiens. à l’opposé du monumental « La marche peut expliciter le territoire » (Sansot). De nombreux artistes l’utilisent pour mettre à jour la ville, certaines de ses caractéristiques, mais aussi pour s’y perdre, la renouveler par la projection d’un regard neuf, voir la création de fables. Nous pourrions caractériser ces déplacements d’artistes dans la ville de deux façons ; les entrelacs d’une part, les transepts d’une autre. (cf. Thierry Davila) La dérive situationniste qui a eu beaucoup de retentissements pour les générations suivantes d’artistes et d’architectes, se situe plutôt du coté de l’entrelacs. Celle-ci est un « mode de comportement expérimental lié aux conditions de la société urbaine : technique du passage hâtif à travers des ambiances variées. Se dit aussi, plus particulièrement, pour désigner la durée d’un exercice continu de cette expérience ».12Cette dérive oeuvrait à travers la psychogéographie « l’étude des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus. » Les techniques employées étaient proches de celles des surréalistes, voir aussi du flâneur baudelairien : une errance au grès des sollicitations du terrain. Ludique, la dérive situationniste avait pour but l’action sur le décor urbain spectaculaire, pour le faire passer du côté de la scène. L’Homme sortait ainsi de l’aliénation dans lequel on le restreignait, par une poésie de l’instant présent, du hasard et de ses envies, et il s’engageait, choisissait. La dérive permettait d’unir l’art et la vie, et, par une révolution culturelle, de « changer la ville pour changer la vie ». Par une entreprise de saisie et de production de circonstances, la dérive situationniste est un mouvement à la fois physique et psychique. L’entrelacs de façon générale est unique et peut difficilement être reproduit. C’est un graphisme horizontal 12 Définition extraire de la revue de l’Internationale Situationniste n°1, Juin 1958
35
qu’aucune cartographie ne peut rigoureusement traiter, enregistrer. D’autres artistes, comme certains land-artistes tels que Hamish Fulton ou Richard Long utilisent plutôt le transept. Tous deux sont anglais, de la même génération, et tirent leur oeuvre de la pratique intensive de la marche, dans un paysage naturel, souvent vierge. Ils ramèneront ensuite des traces de leurs expériences, qui n’ont bien que le statut de traces. C’est bien l’expérience qui prime sur l’objet. Le processus est oeuvre. La route en ligne droite matérialise le parcours et la distance entre deux lieux qu’elle relie. Le transept, surtout en milieu urbain est une exploration tranchante car il coupe le tissu de la ville pour le voir autrement. Il transept s’éloigne de l’entrelacs aléatoire, et se rapproche plutôt d’une règle mathématique, d’une contrainte spatiale, comme celles, littéraires que se fixe l’OuLiPo. Ces règles permettent ruptures et traversées de typologies différentes. L’arbitraire rectiligne du transept ignore toute division sectorielle et toutes les distributions pré-établies de l’espace public. Entrelacs et transepts permettent d’analyser la ville : marcher pour mettre à l’épreuve les lieux, disloquer la ville et par là révéler l’ordre urbain et ses défaillances. Marcher dans le tissu urbain permet, par la lenteur, de porter une nouvelle attention aux traces, aux détails, au déjà-là. Ces traces, ces indices accumulés qui révèlent la vie de la ville, en traduisent une certaine vérité, un de ses visages possible et souvent mis de côté. Le marcheur apparaît comme un détective du presque rien.
36
les traces – Anvers - 2007
« L’usager de la ville prélève des fragments de l’énoncé pour les actualiser en secret » Roland Barthes, par M. De Certeau. « (...)on peut utiliser avec des retouches relativement légères, certaines zones qui existent déjà. On peut utiliser certaines personnes qui existent déjà » Guy Debord. Prendre en compte l’existant, le contexte quotidien, permet d’en finir avec la table rase. La déambulation prend place dans la ville existante pour en faire l’expérience y compris de façon critique et invite à réfléchir d’une tout autre façon sur la nature des objets du contexte et de ses multiples effets. Nous redécouvrons le « tissu banal » qui ne se conforme pas toujours au bon goût et pourtant qui est celui sur lequel se joue les transformations multiples. Là, apparaissent les juxtapositions parfois chaotiques (figure du temps, de différences, mais stimulantes pour l’esprit) qui forment la richesse de la ville. L’essence même de la ville produit de l’hétérogénéité : lieu de multiples intervenants, qui s’établit dans la durée, qui se transforme continuellement, au grès des usages, des volontés sauvages ou institutionnelles. La ville est hétérogène parce qu’elle est un mouvement perpétuel, de gens, du temps. « Une juxtaposition apparemment chaotique d’éléments criards donne l’impression d’une vitalité et d’une force mystérieuses, et ils fournissent aussi une approche inattendue de l’unité. »13
« Le marcheur est simultanément celui qui donne un profil à son chemin, ouvre ou trace une voie, et celui qui adapte ce trajet à un contexte, le construit en fonction des accidents et des contraintes du parcours, des évènements scandant la progression de ses déplacements, et qui invente un rythme au gré des vicissitudes de la flânerie. » 14 Le marcheur évolue in situ, dans ce milieu qui est contexte, sujet d’étude, mais aussi qui peut être objet de l’oeuvre elle-même. Ces sortes de ready-made urbains qui s’offrent dans l’espace de la déambulation, permettent également de sortir l’art de son contexte habituel, les galeries.
13 Robert Venturi, 1966 14 Thierry Davila, Marcher créer, Déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la f in du XXème siècle. P.22
37
38
la ville telle quelle -Suzhou, Chine - 2010
2007 UN MANIFESTE Bruxelles
//Ivan Chtcheglov (Gilles Ivain)
Le Formulaire pour un Urbanisme Nouveau A Bruxelles, un professeur passionné par cet écrit me prête le Formulaire pour un Urbanisme Nouveau d’Ivan Chtcheglov, manifeste du situationnisme dont je ne connaissais l’existence avant ce prêt. Ecrit en 1953, publié en 1958, il contient en lui toutes les caractéristiques du mouvement révolutionnaire. « Nous nous ennuyons dans la ville ».Le décor est planté : dur à l’égard de la ville, surtout celle d’après guerre, cet « urbanisme moderne », « fonctionnel », contre lequel nous devons nous insurger. Celleci, homogène, nous aliène, exacerbe la société de consommation et de spectacle dans laquelle nous nous trouvons et provoque la passivité de ses habitants par spécialisation etnormalisation de cette scène de notre quotidien. Passif, l’individu en oubli donc son corps, ses sens (mis à part la vue évidemment, dans cette société spectaculaire), et par là même le désir. Cette ville plate, homogène et cartésienne, dissout alors toute possibilité de s’y perdre, tel que l’on pourrait se perdre dans un labyrinthe ludique, urbain, réinventé constamment, à chaque intersection. Extraits choisis du Formulaire pour un urbanisme nouveau : «...l’exploration de l’espace urbain par la pratique de la dérive...» «(cette) théorie des influences cachées du décor que la dérive permet de mettre à jour baptisée psychogéographie»
39
«... un élargissement rationnel des anciens systèmes religieux, des vieux contes et surtout de la psychanalyse au bénéfice de l’architecture se fait plus urgent chaque jour, à mesure que disparaissent les raisons de se passionner» «...il y aura des pièces qui feront rêver mieux que des drogues et des maisons où l’on ne pourra qu’aimer. D’autres attireront invinciblement les voyageurs...» «... les quartiers de cette ville pourraient correspondre aux divers sentiments catalogués que l’on rencontre par hasard dans la vie courante (...) quartier LIBRE quartier NOBLE et TRAGIQUE quartier HISTORIQUE quartier UTILE quartier DES MINISTERES quartier DES ATELIERS quartier SINISTRE quartier de la MORT « l’activité principale des habitants sera la dérive continue. Le changement de paysage d’heure en heure sera responsable du dépaysement complet(...)» «On sait que plus un lieu est réservé à la liberté de jeu plus il influe sur le comportement et plus sa force d’attraction est grande « Théorie de la Dérive, «procédé situationniste qui se définit comme une technique du passage hâtif à travers des ambiances variées» «le champ spatial de la dérive est plus ou moins vague selon que
40
cette activité vise plutôt à l’étude d’un terrain ou à des résultats affectifs déroutants...» L’Internationale Situationniste a constitué pour moi une référence majeure par les problématiques qu’elle soulève. La question urbaine est au cœur des réflexions de ce mouvement. La ville au centre, en effet, car celle-ci représente pour eux le lieu où la transformation peut avoir lieu, à travers notamment la participation des citadins et la réintégration du sens poétique dans l’ordinaire. Reprenant l’idée d’Henry Lefebvre dans son droit à la ville, qu’il est possible de « changer la vie en changeant la ville ». Pour Guy Debord, chef de file, et les situationnistes, la dérive est plus qu’un moyen de s’échapper du quotidien, la possibilité de le réinventer. « opérer au dépassement de l’art tombé dans la marchandise culturelle, pour entreprendre une révolution de la vie quotidienne ; quitter la passivité du spectacle pour construire des situations réellement vécues, insurrectionnelles et joyeuses ». ( internationale lettriste. 1957) La dérive est donc l’un des moyens proposé, exposé dans la Théorie de la dérive de 1958, il en donne la définition suivante : « technique du passage hâtif à travers des ambiances variées. Le concept de dérive est indissolublement lié à la reconnaissance d’effets de nature psychogéographique, et à l’affirmation d’un comportement ludique-constructif, ce qui l’oppose en tous points aux notions classiques de voyage et de promenade. Une ou plusieurs personnes se livrant à la dérive renoncent, pour une durée plus ou moins longue, aux raisons de se déplacer et d’agir qu’elles se connaissent généralement, aux relations, aux travaux et aux loisirs qui leur sont propres, pour se laisser aller aux sollicitations du terrain et des rencontres qui y correspondent »1 Mais, plus que simple expérience vécue, la dérive offre 1 Guy Debord, Théorie de la dérive, Internationale Situationniste n°2,
41
des possibilités d’analyses « psychogéographiques » : « la psychogéographie est l’étude des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus »2 Quelques procédés menant à la dérive que proposaient les situationnistes dans la revue Potlatch n°23 du 13 octobre 1955 : - Ouvrir le métro, la nuit, après la fin du passage des rames. En tenir les couloirs et les voies mal éclairés par de faibles lumières intermittentes. - Par un certain aménagement des échelles de secours, et la création de passerelles là où il en faut, ouvrir les toits de Paris à la promenade. - Laisser les squares ouverts la nuit. Les garder éteints. (Dans quelques cas un faible éclairage constant peut être justifié par des considérations psychogéographiques.) - Munir les réverbères de toutes les rues d’interrupteurs ; l’éclairage étant à la disposition du public. (...) - Garder les gares telles qu’elles sont. Leur laideur assez émouvante ajoute beaucoup à l’ambiance de passage qui fait le léger attrait de ces édifices. Gil J. Wolman réclame que l’on supprime ou que l’on fausse arbitrairement toutes les indications concernant les départs (destinations, horaires, etc.). -Ceci pour favoriser la dérive.(...) Accentuer l’ambiance sonore des gares 2
42
Guy Debord, Essai de description géographique des Halles.
extrait d’une publicité pour le n°11 de l’Internationale Situationniste, octobre 1967
POUVOIR D’ESTRANGEMENT DU TRAJET - par l’imaginaire réactiver le discernement Le trajet, comme matière première de l’oeuvre, permet de substituer à la sensation automatisée une réactivation du discernement par la puissance sensationnelle de l’étrange. En effet, marcher stimule et développe l’imagination et donc relance par là nos pouvoirs de perception afin de sentir vraiment et à nouveau. Thierry Davila parle de pouvoir d’estrangement de l’art. Francis Alÿs affirme qu’en marchant, l’homme acquiert une capacité de fictionner le réel, d’introduire dans le mouvement de la ville des fables, des mythes, des récits. En cela son travail est « politique dans le sens grec de polis, la ville comme un lieu de sensations et de conflits d’où l’on peut extraire les matériaux pour créer des fictions, de l’art et des mythes urbains »15 L’étrange permet de déconstruire nos systèmes de représentation et de compréhension de la ville par cette vision autre qu’il procure. Michel de Certeau appuie également cette nécessité de créer des fables dans le réel pour le fracturer, le mettre à distance. Pour qu’il n’y ait plus de réalité incontestable mais des déplacements entre réalités et mythes, afin d’insérer du flou dans le mouvement de la ville. Le flou crée un espace à la lisière où l’art peut prendre place. « Au système technologique d’un espace cohérent et totalisateur, lié et simultané, les figures cheminatoires substituent des parcours qui ont une structure de mythe, du moins on entend par mythe un discours relatif au lieu/non-lieu (ou origine) de l’existence concrète, une histoire allusive et fragmentaire dont les trous s’emboîtent sur des pratiques sociales qu’elles symbolisent».16
Il est nécessaire de laisser place aux bricolages subjectifs, aux parcours fabuleux, dans un espace contrôlé, balisé. « le réel est accablant lorsque l’imaginaire ne le féconde pas » annonce Thierry Davila. 17 Par l’imaginaire nous réagençons le réel, et en cela nous nous intégrons dans la ville même, nous produisons sur elle un point de vue et construisons un regard singulier. Voilà ce que fait le marcheur, il pénètre la ville en projetant sur elle ses mythes, parties de lui même, à plusieurs échelles dans le mouvement 15 Francis Alÿs, Walk/Paseos, Museo de Arte Moderno, Mexico, 1997, p.17 16 Michel de Certeau, l’Invetion du quotidien, p.153-154. 17 Thierry Davila, Marcher créer, Déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la f in du XXème siècle. P.100
43
même de son existence. Par là, il fracture l’ordonnancement pré-établi, regarde singulièrement, sans a-priori, son cadre avec qui un échange peut avoir lieu. Les parcours fabuleux, bien que singuliers, retrouvent ainsi une reconnaissance. Conclusion : La prise en compte et la valorisation de l’expérience par la marche (et donc par le corps, ses affects, l’imagination...) de la ville ordinaire, en tant que processus sans but prédéterminé, permet d’envisager L’ESPACE COMME UN MILIEU (de vie) et plus comme un espace absolu. Cette configuration singulière transdisciplinaire remettant en cause la problématique de la spatialité et de la relation de l’homme à son milieu, a eu un grand retentissement dans de nombreux domaines mais ne semble pas toujours être prise en compte dans l’architecture et l’urbanisme actuels. Cette pensée appuie fortement l’affirmation de pluralité des milieux, des mondes, des espaces, ces « umwelts » selon Von Uexkull. En terme d’espaces, en dehors d’une ouverture aux spatialités subjectives (perceptions corporelles, émotions, affections, imaginations) éprouvées face au monde et issues d’un enchevêtrement à lui, nous pouvons aussi ouvrir la réfléxion aux autres espaces disciplinaires : « espace de l’art » « espace de la science », « espace des sciences humaines »…
44
sol ou ciel ? - polaro誰de
45
46
ALTERITES
Ouverture de soi aux autres espaces
En dehors d’un déplacement de soi par rapport à soi comme on a pu le voir précédemment, en tant que bouleversement après questionnement de nos schémas de pensée, de perception, il est bon de savoir atteindre un déplacement de soi par rapport aux autres. L’autre en tant qu’autre Homme, extérieur à moi, qui pense, sent et se meut, dans un espace concret commun au mien mais qui n’est pas identiquement perçu. Cet espace commun que constitue la ville rapproche les Hommes sur un territoire collectif et partagé, mais l’usage que chacun en fait lui confère de multiples visages. « Je ne dirais pas que l’espace c’est l’autre (le temps le serait aussi) mais que l’espace sert à déployer nos rapports à l’autre, parfois même à les résoudre voire à les souder, les ressouder… »Daniel Sibony.
DES REGARDS ECLECTIQUES CAR LA VILLE L’EST Se pencher sur le regard et l’opinion que jette autrui sur la ville, et ainsi, en croisant les récits, multiplier ses sens, ses significations, rappelle au moins la
47
complexité et la diversité de la réalité humaine, de ses attentes, de ses désirs. La notion d’Umwelt, développée par l’éthologue Jakob von Uekhull insiste sur le fait que chaque être vivant vit dans un temps et un espace qui lui sont propres. Nous nous devons de garder cela en mémoire. L’éthologie réfléchie essentiellement aux espèces animales, mais il en est de même pour l’Homme. Selon le milieu, et selon l’Homme, l’expérience sera différente et unique.
En terme d’exemple significatif, Jean-Yves Petiteau, chercheur au LAUA de Nantes et au CRESSON de Grenoble a créé « la méthode des itinéraires ». Celle-ci consiste pour le sociologue à suivre un individu réalisant un itinéraire. Ce dernier sera donc le temps de l’expérience son guide. Un photographe les accompagne pour témoigner de chaque modification de parcours. Le dialogue est lui aussi entièrement enregistré. La personne qui chemine livre le temps du parcours le récit qu’il projette sur le lieu, parfois métaphorique, parfois de l’ordre du souvenir, cherchant la « mémoire involontaire », celle qui étonne. Ce récit mis en parallèle à d’autres, est interrogé et interroge la lecture et les repères du chercheur. Il bouleverse les habitudes, donne une nouvelle visibilité au territoire. Là s’en trouve sa richesse. En cumulant ces paroles, ces récits, en les croisant, nous pouvons alors nous approcher de ce qu’est par essence la ville, une superposition d’énonciations, de subjectivités, de temporalités. Nous n’habitons pas un corps générique mais des corps qui se distinguent par leurs cultures et leurs capacités perceptives. Cette complexité d’approche mais aussi d’essence de la ville se doit de perdurer car c’est ce qui en fait sa richesse. Dans le cas contraire l’Homme, en tant que partenaire principal, s’en désintéresserait. Face à une trop grande simplicité, ou simplisme, l’Homme ne se réalise pas.
ABANDON À LA PAROLE DE L’AUTRE – NON SPECIALISTE L’utilisateur fait parti du fait observé. Il doit donc être pris en compte. Cette expérience participative, comme le proclamaient les situationnistes agit comme antidote au spectacle. Cette expérience d’humilité, en laissant la parole à l’autre ne travaillant pas activement sur l’espace, peut permettre de découvrir des propos
48
attendus et inattendus, touchant à l’essentiel de leurs vécus. Cette parole laissée à l’autre offre un considérable potentiel d’ouverture, perturbant nos schémas de pensée habituels, parfois sclérosés et inadaptés.
Confiance en la parole de quelqu’un qui interroge ses propres références, car sa valeur en a autant que celle de n’importe quel spécialiste. Le véritable déplacement consiste à abandonner sa propre lecture du territoire, pour accepter celle d’un autre. « Dans ce livre, comme sur tous mes chantiers, je fais appel à d’autres pour enrichir l’œuvre commune de leurs points de vue et de leurs savoir-faire, parce que écrire seul – comme construire seul – me paraît impossible, et que l’architecture n’est pas qu’affaire de spécialistes ou de techniciens. » Patrick Bouchain, à propos et dans Construire Autrement.
Il est possible de faire quelques légers parallèles avec l’histoire de l’art. Tout d’abord avec l’Art Brut créé par le peintre sculpteur et théoricien Jean Dubuffet qui cherchait un art spontané, sans prétentions culturelles, dans des productions réalisées par des non-professionnels de l’art, indemnes de culture artistique. Mais aussi avec le concept de « sculpture sociale » énoncée dans les années 70 par Joseph Beuys, en tant qu’oeuvre d’art totale, où « chaque personne (est) un artiste », suite à son exigence d’une concertation créative entre société et politique. Se diriger vers un concept d’oeuvre « participative », en vue d’ouvrir le champ à ceux qui n’ont pas « appris » dont le regard s’est donc moins modifié, voir codifié.
ABANDON À LA PAROLE DES AUTRES – SPECIALISTES Pour affronter la complexité du paysage urbain et ouvrir à de nouveaux regards, de nouvelles approches, les frontières entre disciplines doivent être dépassées. Proposer l’ouverture, comme l’expose Derrida « à d’autres questions sur la possibilité de la discipline, sur l’espace de l’enseignement, à d’autres expériences théoriques et pratiques. Non seulement au nom de la sacro-sainte interdisciplinarité qui suppose des compétences attestées et des objets déjà légitimés, mais en vue de « jets » (projets, objets, sujets) nouveaux, de gestes nouveaux, encore inqualifiés »
49
L’interdisciplinarité n’est pas un sujet nouveau, et pour cause, le fruit des ces interfécondations est riche. C’est même une posture intellectuelle qui renouvelle nos mécanismes de pensées, démultiplie les polarités pour augmenter les surfaces de contact possibles. Le spécialiste ouvert à d’autres disciplines sera plus précieux qu’un hyperspécialiste, en délimitant un sujet d’un nouvel ordre qu’aucune discipline n’aborde seule. Penser l’espace urbain peut aussi se faire à travers d’autres champs intellectuels, qui abordent la question d’autres bords. Ainsi l’emprunt de concepts liés à la psychologie de la perception, à la sémiologie, à l’esthétique, l’éthologie, l’anthropologie, la sociologie, la danse, etc., devra être tenté.
CONCLUSION : Agir à plusieurs induit une multiplicité des approches, des regards, des envies, des outils et par là, des formes qui en résultent. L’ouverture vers l’autre peut renouveler nos méthodes, nos ambitions, pour ainsi s’approcher d’une réalité contemporaine complexe.
50
11/2007 UN ATELIER - UN ARCHITECTE
Bruxelles, école d’architecture de La Cambre -
//Patrick Bouchain et Loïc Julienne, Agence Construire
Au sein de mon atelier de l’école d’architecture de La Cambre à Bruxelles, on nous prévient d’une prochaine intervention. Le jour venu, Loïc Julienne, associé de Patrick Bouchain est des nôtres. Il vient nous parler des idées partagées et diffusées au sein de l’agence Construire, appuyées par l’exemple du projet du Channel sur le site des anciens abattoirs de Calais : faire de l’architecture un mouvement collectif, transdisciplinaire, initier le mouvement, laisser de l’ouverture pour que le temps puisse prendre place, mettre en place du sens et non de la forme, construire moins pour plus de plaisir, … Je découvre ensuite d’autres oeuvres des architectes, construites: le musée de l’Immigration, le pavillon de la biennale de Venise de 2006, le Lieu Unique de Nantes, mais aussi écrites : Construire autrement, comment faire ?, La Ferme du Bonheur, Le Lieu Unique, etc... On observe dans leur travail une attention particulière au sens, une volonté de s’entourer de multiples spécialistes extérieurs à la discipline architecturale, une recherche de l’hétérogénéité, une tendance à la remise en question, des partis pris hors normes, … Au sein de l’agence et sur les chantiers ces principes enrichissent tout le temps du projet : de la conception à la réalisation. Ces architectes prônent l’architecture « HQH» pour une « haute qualité humaine ». Au sein de la production architecturale
51
contemporaine où l’image est souvent ce qui domine, cette agence recentre ses intérêts sur l’Homme, la convivialité, l’échange. L’illustration parfaite de cet échange interdisciplinaire et humain est le Pavillon de la France, à la biennale de Venise en 2006, METACITE/METAVILLA où philosophe (Michel Onfray), collectif pluridisciplinaire (EXYZT), artistes (Buren, Liliana Motta, Cyrille Weiner, Jean Lautrey...), cuisiniers, etc., étaient invités pour accueillir le public et les gens de passage de la façon la plus conviviale qui soit. Cette convivialité c’est aussi retrouvée au sein des concepteurs qui habitaient littéralement le pavillon.
« Le pavillon sera une grande maison de la France dans laquelle nous pourrons accueillir, offrir «le gîte et le couvert» et transmettre. Il sera une succession d’actes d’architecture, un lieu d’échanges et de convergence des savoirs comme peut l’être un chantier, et non un discours sans actes. A la différence des autres pavillons, il montrera, en réunissant des compétences diverses, que l’architecture est un art majeur et qu’elle appartient à tous les arts, ce qu’on a tendance à oublier. En effet, les «constructeurs» avec lesquels je travaille, pour le Pavillon comme sur tous les chantiers, exercent des métiers différents - architectes certes, mais aussi plasticiens, cinéastes, philosophes... Ensemble, nous définissons et nous mettons en oeuvre une réponse transdisciplinaire à la question de la Méta-Cité »
52
Métacité/Métavilla, avec EXZYT, pavillon de la France à la biennale d’architecture de Venise, 2006.
53
54
OUVERTURES Projets...
Quel rôle pour l'architecte, après ces analyses et ces réflexions ? Est-il toujours possible de créer quelque chose ? Peut être que, sous cet angle nouveau, le rôle de l'architecte et ses missions ont elles aussi changées. Ses fonctions ne deviennent plus les mêmes. L'architecte n'est peut être pas uniquement celui qui construit, qui répond à une demande pré-formulée. Il peut être aussi celui qui soulève certaines vérités cachées, sur l'espace et sur notre rapport à lui, celui qui tente d'initier un mouvement, pousse à l'action, celui qui propose de laisser du vide, et tente de réengager l'Homme au sein de sa ville.
« CRÉER DES SYSTÈMES DE CONFRONTATION INFINIMENT PLUS RICHES QU’UN PROJET CONTRÔLÉ »18 Comme nous avons déjà pu l’évoquer, la ville est par essence hétérogène. Tout projet homogénéisant lui nuit en s’opposant à sa vraie nature. « les lieux ne se sont-ils pas trop assagis avec le temps ? (…) nous sommes devenus tièdes à l’égard de la ville »?19
18 Joseph Abram, article Nancy, impressions sur la ville « telle quelle », revue Autrement, 1989. 19 SANSOT Pierre, Rêveries dans la ville, Rémanences et recommencements de la ville. Editeur : Carnets Nord, Paris, 2008. P.111
55
L’homogénéisation du tissu urbain provoque chez l’Homme une perte d’attention, d’affectivité, voir d’esprit critique. Les villes ont tendance à perdre en caractère propre, entre elles mais aussi en leur sein. Mondialisation et homogénéisation tendent à atténuer ces ambiances variées recherchées par le propos situationniste. Optons alors pour une ville, stimulante, imprévisible, contradictoire, qui ne se conforme pas au « bon goût ». Une ville aux multiples sens, étonnante ! la « ville telle quelle. » où tensions, distorsions, écarts de conduite, indomptabilité échappent à la volonté de cohésion du projet… En marchant le sujet s’expose à ces disponibilités, aux circonstances offertes par le contexte qu’il peut même provoquer. Là était le propos situationniste. La dérive était cette entreprise de saisie et de production de circonstances, ce jeu entre des situations urbaines résultant d’un parcours. Tentons alors d’entailler le donné, d’agir par déplacements singuliers et souvent modestes pour faire corps avec lui plutôt que de le reconstruire complètement. Ces déplacements peuvent aussi être vus comme des détournements (de la fonction, de la forme....) valorisant ou soulevant un détail, une trace, un temps, des usages, riches en évocations. Introduire du déséquilibre, du chaos, de la place au hasard, pour perturber nos habitudes et nos perception et ainsi permettre l’existence de lieux hétérogènes ludiques, où se perdre, se cacher.
INITIER UN MOUVEMENT QUI SE RÉPANDE L’architecte peut être aussi celui qui initie un mouvement qui se répande, qui fasse tâche d’huile, pris en charge par le rythme de la ville et par ses habitants. Au lieu d’organiser définitivement, il peut initier une nouvelle attention à la réalité quotidienne ou imaginaire de la ville, notamment par le déplacement lent, la suppression d’un rapport de causalité, et une ouverture aux opportunités qu’offre le process à l’inverse de la quête prédéfinie. Il devrait pousser à l’expérimentation au quotidien, pour aller avec mais aussi contre le contexte, tenter de rendre la ville non comme un décor intouchable mais comme un terrain d’intervention. Se réapproprier la ville ordinaire qui est dépaysée par et grâce au temps du parcours. Générer une sensation de dépaysement, voir un état d’appréhension conduit à une intensification des capacités perceptives, engendre un regard nouveau, voir la création. Selon Sartre, «action et perception vont ensemble»
56
10/05/2009 UNE INTERVIEW - UN ARCHITECTE ARTE - L’art et la manière
//Didier Fiuza Faustino /
Bureau des Mésarchitectures Didier Fiuza Faustino est architecte mais la transversalité des disciplines est au coeur de son travail. A travers ses performances, ses videos, ses installations, qui constituent une sorte de laboratoire c’est bien l’architecture qu’il interroge. Cette pluralité d’approches, questionne le corps, ses contraintes physiques, son mouvement, et son rapport à l’espace. Dans son oeuvre il engage des réponses radicales et troublantes comme autant de moyens d’agir et de faire réagir pour faciliter l’instabilité de l’usager dans sa perception de l’espace. Il tente de modifier la relation habituelle du corps à l’espace en installant de nouveaux rapports. Pour Faustino c’est l’expérience sensible et sensuelle que l’on fait de l’espace qui en constituent le fondement, et ce, facilité par l’instabilité d’une situation. Les composantes dominantes de son architecture ne sont pas géométriques mais sensibles. L’architecture chez lui se conçoit presque comme une surface textile, déformable et sensible à l’acte humain. Image de nos propres actions, l’architecture y est comme une extension de soi, mentale et physique. « Faustino assigne avant tout à l’architecte la mission urgente de produire du sens : plus intéressé par l’intérêt et la force des hypothèses dégagées que par les résultats tangibles, il développe des projets dont la somme constitue un véritable laboratoire de recherche sur les moyens d’aiguiser notre attention à l’espace construit. »Nadine Labedade. Dénonçant l’architecture stérile et impuissante, uniforme,
57
préparée, nette, lisse, trop bien réglée, qui ne fait que rendre plus criant le manque « d’expérience et de sensation », il privilégie le dysfonctionnement qui, seul, peut attiser la présence au monde et l’instinct de vie, perdus dans ces lieux « sans défauts ni accrocs ». Dans Spacemaker (capsule, instrument tridimensionnel de perception, 1996), il essaie d’explorer une enveloppe souple et poreuse pourvue de loupes placées à ses extrémités pour transmettre l’air et le son , l’extérieur s’y appréhende dans ses dimensions sensibles de manière amplifiée. Faustino applique selon moi de nombreuses idées soulevées par les situationnistes : la construction de situations particulières, la dénonciation de la société du spectacle mais avant tout, il réintroduit l’action sur et par l’architecture, à travers le corps de celui qui l’expérimente. Pour lui l’architecture questionne, expérimente mais n’est pas forcément de l’ordre du tangible.
Citation de Didier Fiuza FAUSTINO
58
« le monde (…) se dévoile comme indication d’actes à faire ces actes renvoient à d’autres actes ceux la à d’autres et ainsi de suite » « l’espace originel qui se découvre à moi est espace hodologique ; il est composé de chemins et de routes, il est instrumental et il est le site des outils »20 Ces chemins et les routes qui font le monde sont porteurs de possibilités, d’un futur. Ceux-ci qui, selon Jean Luc Brisson « doivent être considérés comme les incarnations d’une sorte de projet du monde vis à vis de lui même ». La traversée est invention21. Il y a toujours une imbrication du fait observé et du sujet qui observe, mais aussi, à travers lui, du déjà là et du projeté, de la découverte et de la production, et donc de la traversée et de la création d’un espace particulier.
NE PAS AGIR, SAVOIR LAISSER DU VIDE La ville se doit d’être un territoire laissé volontairement ouvert pour qu’improvisations, gestes, actions, interventions, et oeuvres puissent avoir lieu. Accepter le vide, qui laisse du potentiel pour de nouvelles identités permet le changement perpétuel, l’imprévu et laisse libre court à l’appropriation physique et mentale. Par ce vide volontairement laissé, on peut surprendre le piéton, lui laisser une place. Penser le « entre », le trajet, permet d’évacuer les questions de causalité et de finalité. Il faut chercher ou provoquer ces espaces inframinces, dans lesquelles le corps parvient à être impressionné, à produire de la mémoire et des micro-situations expérimentales. « Croire au monde, c’est ce qui nous manque le plus ; nous avons tout à fait perdu le monde, on nous en a dépossédés. Croire au monde, c’est aussi susciter des évènements même petits qui échappent au contrôle, ou font naître de nouveaux espaces temps, même de surfaces ou de volumes réduits. »22
Il faut laisser du vide pour pouvoir y marcher et s’abandonner au devenir des lieux, discerner puis laisser être (critique puis abandon). Parfois, pour regarder des espaces, il faut les arpenter, les traverser en les laissant être ce qu’ils sont ou 20 Jean Paul Sartre, l’Etre et le Néant, Gallimard, Paris, 1943, p. 386 21 Thierry Davila, Marcher créer, Déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la f in du XXème siècle. 22 Gilles Deleuze, Pourparlers, Paris, Minuit, 1990, p.239.
59
ce qu’ils deviendront. Dans le process oriental, il convient d’assister ce qui vient naturellement,non pas agir, ce qui implique un choix, mais en laissant advenir (épouser plutôt qu’imposer)23 soit, accepter de ne pas faire forme ou de laisser le temps que forme se fasse... 23 cf. François Julien dans le Philotope n°6
60
valoriser les vides pour que prennent place les usages - ancienne voie ferrée – Nancy - 2009
REENGAGER L’HOMME PAR LE PLAISIR L’Homme se doit de ré-engager son corps dans le paysage. Il fait l’expérience de la spatialité par cette sa participation physique et sensible vécue dans l’espace : monter, descendre, toucher, sentir, ... Par les sens le corps reprend vie, et par là même du plaisir. Malheureusement, il n’existe pas pour les concepteurs de formes pré-établies provoquant à coup sûr le plaisir, d’où la nécessité de patience, pour que la ville se dévoile lentement. La laisser être ce qu’elle est, hétérogène, ne pas chercher à atténuer ces contextes particuliers et uniques, porter une fine attention aux regards pluriels et sensoriels, et casser, par la ville, cette mise à distance entre nous et notre corps, provoquant l’oubli total de ce dernier, en dehors du désagrément d’une douleur ou de fatigue. L’Homme se doit d’être affecté par son cadre de vie. Il faut réintégrer dans toute considération sur la ville la notion de plaisir, car comme le dit Pierre Sansot, « si l’Homme suspend cette posture affective, s’il ne se sent pas concerné par elle, il fini par en faire un milieu polyfonctionnel qui ne le concerne pas ». «Nous nous ennuyons dans la ville, il n’y a plus de temple du soleil. Entre les jambes des passantes, les dadaïstes auraient voulu trouver une clef à molette, et les surréalistes une coupe de cristal, c’est perdu. Nous savons lire sur les visages toutes les promesses, dernier état de la morphologie. La poésie des affiches a duré vingt ans. Nous nous ennuyons dans la ville, il faut se fatiguer salement pour découvrir encore des mystères sur les pancartes de la voie publique, dernier état de l’humour et de la poésie. (...) Entre l’amour et le vide-ordure automatique, la jeunesse de tous les pays a fait son choix et préfère le vide-ordure. Un revirement complet de l’esprit est devenu indispensable, par la mise en lumière de désirs oubliés et la création de désirs entièrement nouveaux. Et par une propagande intensive en faveur de ces désirs. Nous avons déjà signalé le besoin de construire des situations comme un des désirs de base sur lesquels serait fondée la prochaine civilisation. Ce besoin de création absolue a toujours été étroitement mêlé au besoin de jouer avec l’architecture, le temps et l’espace.»24 Contre l’ennui dans les villes. 24 CHTCHEGLOV Ivan, Le Formulaire pour un Urbanisme nouveau, Ecrits Retrouvés, Ed. Allia, Paris, 2006
61
62
03/2010- 08/2010 UN PAYS - UNE VILLE
// Chine - Beijing Quoi de mieux pour se perdre, pour bouleverser ses repères que de se projeter dans une autre ville, une autre culture, de l’autre côté du monde ? Ici, à Beijing la différence est partout, la langue, les proportions des constructions, des vides, la durée d’une journée, les bruits, les odeurs, les signes, les goûts... mais aussi et surtout dans les façons de vivre, bien que cela ait tendance à s’homogénéiser. Quand on ne peut que peu communiquer par la parole, notre attention s’éveille, aux détails, aux gens, aux gestes. Et pour se faire comprendre notre gestuelle aussi s’anime. Le temps semble se ralentir, car il faut savoir être patient, un rien devient long, car le fossé est grand entre nous, l’étranger, et eux. C’est alors que l’on tend l’oreille, on observe longuement : les habitudes, les flux, les couleurs, les matières, et ceux-ci prennent le rôle de mots... Je me confronte pour la première fois à une ville d’une telle échelle. En chantier permanent elle s’étend de jour en jour. Les opérations de logements et de bureaux naissent par dizaines de tours. J’apprends qu’elle fait la moitié du territoire de la Belgique. Seulement ici tout est proportionné, les transports oeuvrent à plein régime, les flux se mêlent et s’emmêlent, poussepousses, vélos, taxis, bus et camions se frôlent en s’évitant. Du côté des voiries les avenues se déploient à perte de vue, les rues supportent les marchés de quartier, les ruelles servent à étendre l’espace privé,... Pour moi ces dernières, labyrinthiques sont de bons terrains pour se perdre, pour faire l’expérience concrète de la ville. Si l’organisation chinoise nord/sud est/ouest des voies lui confère une illusion géométrique, les venelles y introduisent une
63
impression chaotique. Dans ces quartiers traditionnels de hutongs (habitat dense de maisons à cours d’un niveau en briques grises) vestiges d’un mode de vie menacé de disparaître, la vie est partout, dans le moindre interstice, dehors, dedans. Les plantes, les légumes, du mobilier disparate pour accueillir le voisin recouvrent le sol, et sur les murs des slogans et voeux de chance, bonheur et bonne année nous souhaitent la bienvenue. Ici dans la ville, l’espace urbain a une épaisseur. Les superpositions hétéroclites s’assument franchement, fruit paradoxal très attachant de l’enchevêtrement de plusieurs époques, traditionnelle, communisme maoïste et modernité contemporaine. On frôle souvent le kitsch, mais on ne manque pas d’humour et de dérision. On ne cache pas, le lieu du trop propre et du trop lisse est ailleurs. On expose et on s’expose dans la rue, lieu du mélange. La rue est la rue de quelqu’un : celle des chinois. Ils se l’approprient et y viennent vous rencontrer à l’aide d’un sourire. Car c’est en son sein que l’on y fait le taichi du matin, que l’on y danse le tango sur de la musique techno, où l’on y joue du erhu (violon chinois à deux cordes), où l’on y organise des concours de cerfs-volants, et où l’on déguste des brochettes et des soupes, au ras du trottoir sur de petites chaises en plastiques pour enfants.
64
65
66
POUR CONCLURE
Une situation paradoxale
L’EXEMPLE DE L’HYPERCRITISCISME SITUATIONNISTE & DE NEW BABYLON PAR CONSTANT NIEUWENUIS L'abandon au devenir, cette « construction de situations » hétérogènes, cette glorification du mouvement, ne peut être telle une science exacte, définie, inéluctable. Si la forme ne concerne que la vue, s'il faut éviter le point de vue généralisant, si l'espace apparaît dans l'entre deux, s'il faut créer du vide pour que prennent place des possibles, s'il faut suggérer mais ne pas figer… Il faut alors en accepter l'incertitude, les descriptions non linéaires, les imprécisions. Accepter aussi qu'il faille s'insérer difficilement entre ces notions, sans toutefois atteindre d'idéal acquis une fois pour toute. Celui-ci devra perpétuellement être réadapté. Les tentatives de créations architecturales sont alors ambiguës comme ont pu l'être certaines réalisations de mouvements contestataires. L'Internationale Situationniste ayant eu pour moi un important retentissement, je vais utiliser pour illustrer ce paradoxe et pour conclure, l'exemple de Constant, artiste peintre et architecte hollandais.
Issu du mouvement COBRA, Constant Anton Nieuwenhuys (1920-2005) intègre l'Internationale Situationniste avec qui il partage un grand nombre d'idées : l'aversion au fonctionnalisme, à l'utilitarisme mais aussi sur les effets libérateurs de la pratique de la dérive au quotidien pour son potentiel d'action ludique. Celles-
67
ci auront une influence déterminante sur son travail, qui tente d'éloigner l'homo faber de la productivité dans laquelle il ne se réalise pas, pour le rapprocher de l'homo ludens.
Peu à peu, au début des années 60 un fossé se creuse entre les deux Hommes et leurs pensées respectives. Constant est convaincu que les arts, peinture et sculpture, sont des moyens efficaces pour lutter contre cette disciplinarisation de l’espace s’ils contribuent ensemble à la création d’une cité nouvelle. Pour lui les arts permettent de créer des ambiances inédites et par là, la construction de situations éphémères et singulières. Ainsi il cherche à atteindre un dépassement de l’art et de ses propriétés marchandes, consuméristes et utilitaires. Il va se séparer du mouvement révolutionnaire situationniste par besoin de visualiser (formaliser) les théories bâties au sein du mouvement. En 1960, Constant démissionne et se consacre entièrement à l’étude d’une « ville nouvelle» : New Babylon, ville futuriste post-révolutionnaire et utopique. Cette ville nouvelle est exclusivement consacrée aux loisirs, offrant des possibilités de rencontres, d’expériences et de surprises sans cesse renouvelées prenant la forme d’un labyrinthe changeant où la mobilité des habitants en dérive continue n’y rencontre plus d’obstacles. Par ce projet il cherche aussi à intensifier l’engagement du corps de ceux qui l’occupent à travers l’espace et le temps. Cette ville n’est plus celle où l’on demeure mais celle où l’on circule.
68
Constant - Labyrinthe d’échelles mobiles – aquarelle - 1959
69
Debord émet en 1959 un avis qui diverge sur cette tentative de concevoir un urbanisme et une architecture nouvelle « l’urbanisme unitaire n’est pas une doctrine d’urbanisme mais une critique de l’urbanisme. […] Aucune discipline séparée ne peut être acceptée en elle-même, nous allons vers une création globale de l’existence »1Pour Debord, contrairement à Constant, l’urbanisme unitaire est plus un instrument de contestation visant à renverser l’organisation dominante de la vie qu’un programme architectural virtuel.« La plus grande idée révolutionnaire à propos de l’urbanisation n’est pas elle-même urbanistique, technologique ou esthétique »2 On observe peu à peu, qu’« en rompant avec toute pratique effective de l’architecture et de l’urbanisme les situationnistes n’ont jamais pu expérimenter les modalités d’une réinvention du quotidien. »3Au nom d’une théorie générale de révolution, les situationnistes tombent dans l’hypercriticisme qui nie le réel et par là toutes les potentialités pour le réinventer. Bien qu’oeuvrant à de belles idées ayant eu de forts retentissements, cet esprit de négation, peut-être démesuré, les a conduit à l’impuissance, et à « l’écueil (...)de n’avoir pas oeuvré du tout ». 4 Si l’on regarde avec un oeil critique la production de Constant, on y soulève aussi quelques ambiguïtés. L’apparition de « secteurs » réintroduit le zonage tant critiqué de la rationalisation. Lorsqu’il redevient architecte, et pense en terme de mise en oeuvre de son projet, Constant retrouve les positions qu’il a dénoncées par ailleurs. Là est toute la complexité d’un mouvement ou d’une pensée critique : que faire alors lorsque l’on a tant dénoncé, remis en cause ? Une difficulté pour intégrer de telles idées à des programmes architecturaux qui en gardent ce contenu critique apparaît alors, car la construction a tendance à figer. Dans ce cas, le constat est paradoxal car pour être le plus en accord avec ces théories le mieux est d’aborder le territoire hors de tout désir de géométrisation, voir même, hors de toute volonté constructive.
1 « L’architecture et le jeu » in Guy Debord…, p. 158. 2 Guy DEBORD, La société du spectacle, L’aménagement du territoire, ch. 179 3 Philippe Simay, Une autre ville pour une autre vie. Henri Lefebvre et les situationnistes, n°4 Métro poles 4 cf. note 26.
70
Constant - Labyrinthe aux ĂŠchelle mobile - maquette laiton, bois et plexiglas - 1957
Constant- Secteur oriental - maquette, bois, mĂŠtal et plexiglas - 1959
71
72
02/2009- 07/2009 LE Projet de Fin d’Etudes
// Expérimenter la dérive EXPERIMENTER LA DERIVE Pour mon PFE, plutôt qu’un projet architectural, je voulais METTRE A L’EPREUVE, établir un PROCESSUS PLUTOT QUE DE VISER UN BUT PREDETERMINE. Questionnée par les questions que soulève l’Internationale SItuationniste je voulais expérimenter la dérive et DERIVER au sein meme du projet. Et cela par un processus en trois grandes étapes : la première faite de constats sur la ville et nos rapports à elle, la deuxième en réalisant une expérience participative à l’échele 1:1 à Nancy, pour enfin, troisièmemement extraire de ce qui a été rélevé, du sens
MISE AU POINT UN PROTOCOLE PERMETTANT DE RELEVER DIFFERENTES APPROCHES SUBJECTIVES DU PAYSAGE : LA PARTICIPATION : des petites annonces + un blog pour trouver des participants variés
73
PASSER PAR LE JEU : 20 cartes comme autant de protocoles pour expérimenter un espace défini, mis à l’épreuve par la contrainte (et le hasard) ouvrir le champ des possibles, et dépshychologiser l’expérimentateur
REGLES DU JEU : -Tirer une carte au hasard (un protocole pour traverser la zone) et jeter un autre regard sur son quotidien -traduire par un médium au choix ses perceptions, sensations, sous forme de notation (outil dynamique qui permet d’enregistrer le mouvement pour en dégager du sens) -répondre à un court questionnaire -établir une carte mentale du trajet parcouru
74
DEFINIR LE LIEU DE L’EXPERIENCE, LA ZONE TRAVERSEE, MISE A L’EPREUVE PAR LES SENS... LA MARCHE : Pour choisir le lieu je choisi le carré car arbitraire, de deux km de coté pour être a l’échelle de la marche (essentiel car la lenteur de la marche, permet la projection et déclenche l’imaginaire). A Nancy, (lieu expérimenté quotidiennepent pour la plupart des participants) ce carré est incliné selon le réseau d’axes orthogonaux qui l’organisent, et est placé à l’interstice de la ville ancienne et industrielle. De plus cette zone possède un large potentiel d’ambiances variées selon de multiples points de vue : paysager, architectural, patrimonial, et elle contient les voies d’eau souvent oubliées à Nancy.
75
RECUEUILLIR ET COMPRENDRE LES PARCOURS ET IMPRESSIONS D’UNE VINGTAINE DE PARTICIPANTS ce schéma retrace les dérives d’une 20aine de participants. Points clefs stimulis multiples, du détail à la vue, sans hiérarchie
réussir à recueillir, analyser voir filtrer cette importante dose d’information quelques exemples de cartes sensibles produites :
76
77
78
79
prendre du recul, émettre un avis critique puis EXTRAIRE des RECITS de nouveaux constats : - maniere générale un PLAISIR à se prendre au jeu et à l’expérience, et la volonté d’etre surpris. - grâce aux relevés de temps de progression selon quelques séquences spatiales, la différence entre théorie et expérience est confirmée : un paysage stimulant agit sur notre perception du temps. Nous ne pouvons donc nous extraire du réel (où le temps et le mouvement entrent en jeu) pour comprendre un territoire. - munis d’une carte en main et dans le cadre d’un protocole particulier les participants ont su jetter sur la zone un regard différent.
5 SITUATIONS caractéristiques pour un projet faits de SEQUENCES: (prennant le relais des cartes)
1 / Le Déjeuner sur l’herbe négation de la ville pour ce qu’elle est : minérale : (lieu : les berges de Meurthe) 2 / L’Art des Bruits négation de la ville pour ce qu’elle est : bruyante : (lieu : Porte de la Craffe, vieille ville) 3 / Densité négation de la ville pour ce qu’elle est : dense (lieu : venelle des Tanneries) 4 / VIDE/VEBE (re)mettre en scène le corps : (lieu : Voie Express Banlieue Est) 5 / Vie (privée) mode d’emploi Mettre en scène le rapport public/ privé : (lieu : pignon aveugle, carrefour à la sortie d’un pont)
80
1 / Le Déjeuner sur l’herbe
Iles végétales amarrées ponctuellement aux rives mais mobiles, pouvant éventuellement s’assembler, pour répondre au paradoxe de cette campagne idyllique à la ville, pour créer des moments d’isolements possibles et profiter d’une sensation de tanguage atypique.
3 / Densité
Créer un resserrement ponctuel en appuyant la verticalité et l’étroitesse du lieu et les perceptions corporelles induites, par des éléments verticaux répétés. Lieu du frottement, où les regards se croisent s’échangent
81
4 / VIDE/VEBE
Créer un lieu pour s’arrêter pour vivre l’entre deux rives, réinventer de nouveaux rapports à l’eau, profiter de la vue d’ensemble en hauteur, de la compréhension de la ville.Un projet belvédère mettant en scène le vide à l’endroit le plus haut, au dessus de la Meurthe. Profiter de cette projection dans le paysage, du corps en sensation de vertige en détournant les inconvénients.
2 / L’Art des Bruits
exploration sonore du monde réel, de ses potentialités, en un détournement de bruits, sorte de musique concrete, où le bruit devient une expérience a vivre. Amplifiés dans la porte, par le sombre. L’ouïe retrouvée.
5 / Vie (privée) mode d’emploi
82
Projections de scénettes de vie quotidiennes, telles des coupes d’immeubles. Mise en scène du façadisme, du voyeurisme et du spectaculaire qui emplissent nos villes par le médium de l’extrat plat : la vidéo.
BIBLIOGRAPHIE
LIVRES - GUIHEUX Alain, Architecture Action, une architecture post théorique, Ed. Sens & Tonka, Paris, 2002 - FAUSTINO DIDIER FIUZA / BUREAU DES MESARCHITECTURES, Anticorps, Collection Frac centre, Ed. HYX, Orléans, 2004 - LA PIETRA Ugo, Habiter la ville, Collection Frac centre , Ed. HYX, Orléans, 2009 - FAUSTINO Didier Fuiza, Design Document Series / DD21 Damdi Architecture Publishing, Korea. 2007 - Comme une danse, collection Les carnets du paysage n° 13 et 14, Ed. Actes Sud, Arles, et l’école Nationale Supérieure de Paysage, Versailles, 2006, 2007 - Cheminements, collection Les carnets du paysage n° 11, Ed. Actes Sud, Arles, et l’école Nationale Supérieure de Paysage, Versailles, 2004 - RUSSOLO Luigi, L’art des Bruits, Manifeste futuriste, Milan - 11 mars 1913 - - VIOLEAU Jean-Louis , Situations Construites, Editeur :Sens Et Tonka, Collection :11 / Vingt, 2006 - CHTCHEGLOV Ivan, Le Formulaire pour un Urbanisme nouveau, Ecrits Retrouvés, Ed. Allia, Paris, 2006 - Figures de la négation ; Avant-Gardes Du Dépassement De L’Art, Collectif, Ed. Paris Musées, 2004 - DAVILA Thierry, Marcher, Créer. Déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la fin du XXème siècle, Collection : Arts Plastiques, Editions du Regard, Paris, 2002
83
- SANSOT Pierre, Rêveries dans la ville, Editeur : Carnets Nord, Paris, 2008 - DRI Angélique, Esquisses et Déambulations, TPFE, Ecole d’Architecture de Nancy, 2007. - LYNCH Kevin, L’image de la Cité, Ed. Dunod, Paris, 1998 - BOUCHAIN Patrick, Construire Autrement, comment faire ?, Ed. Actes Sud, Collection l’Impensé, 2006 - CICHY Emmanuel, Un Canal au coin de la rue, promenade en ville de Nancy, TPFE, Ecole d’Architecture de Nancy, 2001. - PETRARQUE, Ed. Mille Et Une Nuits, La Petite Collection, 2001 - TRAKAS George, Patrick Corillon, Lois et Franziska Weinberger, Regards Croisés Sur Les Paysages, Ed. Jean Pierre Huguet, 2008. - PAUQUET Sandra, Territoires actuels » Des errances dans la friche du Ost Strand à Berlin, vers un nouveau espace public ? 2005. - PEREC Georges, Espèce d’espaces, Edition Galilée, 2006.
ARTICLES - POUSIN Frédéric, « Les concepteurs de la ville en quête de l’espace familier (1945-1975) », Strates, n°14, 2008, p. 191-211 - GUIGOU Brigitte, Marie-Pierre LEFEUVRE, « Réflexion sur l’apport de la sociologie à la pédagogie du projet », Lieux communs n°7, 2003, p. 86 – 95 - PETITEAU Jean-Yves, « Des itinéraires pour habiter une ville », Lieux communs n°4, 1996-1997, p. 121 – 139 - PASQUIER Elisabeth, Jean-Yves PETITEAU, « Itinéraires d’un chef de projet dans son quartier_une méthode d’enquête sociologique appliquée à une nouvealle profession», Les annales de la recherche Urbaine, n°68-69, 1995, p. 80 – 81 - PETITEAU Jean-Yves, RENOUX Bernard, « Itinéraires du grand Desbois, Docker à Nantes», Les annales de la recherche Urbaine, n°55-56, 1993, p. 126-139 - DUQUENNE Bruno, « Raymond Depardon, Errance, lectures », Lieux Communs n°6, 2002 , p. 180-182. - BEDARIDA Marc, « Walking through the Psychogeography of Paris », Lotus International n°97, 1998. - FREYDEFONT Marcel, « L’Informe de la ville », Un élu, un artiste, missions repérage(s) : 17 rencontres itinéraires pour une approche sensible de la ville, Ed. l’Entretemps, Tours, 2006
84
- ABRAM Joseph, « Impressions sur la ville « telle quelle », Autrement, 1990, p. 91 – 100 - BERENSTEIN JACQUES Paola, Corps et décors urbains, les enjeux culturels de la ville. « Errances urbaines : l’art de faire l’expérience de la ville. Autres chemins contre la spectacularisation urbaine », Ed. L’Harmattan, Paris, 2006 - MACHABERT Dominique, Le parcours à l’œuvre, Alvaro Siza, Abbaye du Thoronet (83), - YOUNES Chris, PAQUOT Thierry , Revue le Philotope n°6, - PETITEAU, Jean-Yves. La méthode des itinéraires ou la mémoire involontaire. In : BERQUE Augustin, BONIN Philippe, De BIASE Alessia, LOUBES Jean-Paul et PETITEAU Jean-Yves. Colloque Habiter dans sa poétique première, 1-8 septembre 2006, Cerisy-La-Salle. Conférence donnée le 3 septembre. 16 p. Actes à paraître - BOUVIER Mathieu, De la marche considérée comme un des beaux arts,
EMISSIONS DE RADIO - La comédie urbaine, émission Vivre sa ville animée par ANDREU Sylvie avec Michaël DARIN, du O7/03/2010, France Culture - émission Metropolitain animée par CHASLIN François avec BERTHOZ Alain, du 25/03/2010, France Culture - Bruits de Chine, avec FLEISCHER Alain, radio campus Lille, 2006
FILMS - STARKOWSKY Andreï, Stalker, 1979 - WENDERS Wim, Alice dans les villes,
85
86
REMERCIEMENTS
Je remercie mon directeur d’études Joseph ABRAM mais aussi mes professeurs Marie-Josée CANONICA et Claude VALENTIN pour leur soutien, leurs encouragements pour un projet qui s’avèrait être risqué. Un grand merci également aux participants de mon projet de fin d’études, à Valérie BRETAGNE, docteure sociologue qui m’a soutenue dans mes recherches, et à ceux qui ont pu m’aider dans la réalisation ou la communication de mon expérience sur Nancy. De façon générale, merci à ceux à l’origine de ces rencontres variées, fruits de mon cheminement.
87