Patrick Bouchain, bouleverser les modes opératoires architecturaux...

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GRANDHOMME Audrey ERASMUS

HISTOIRE DE L'ART : Art du XXème siècle Professeur : Eric VAN ESSHE

PATRICK BOUCHAIN : bouleverser les modes opératoires architecturaux :

l'Art comme maître à penser de l'architecture

L'école nationnale du cirque, avec LoÏc Julienne, pour Bernard Turin, à Rosny-sous-bois, en 2004


SOMMAIRE

INTRODUCTION

1. Rapide tour d'horizon de l'architecte et de son œuvre 1.1 L'Homme ... 1.2 ... et son œuvre 2 COMME les artistes.... ou que peut apporter l'art ? 2.1 Question de SENS 2.2 Une réponse orientée SUJET 2.2.1 Cette remarque peut, elle aussi être comparée à ce qui a été soulevé dans l'histoire de l'art, du spectacle même. - Recherches scénographiques : - Une esthétique relationnelle - happening - ... et en architecture alors ? 2.2.2 Le nomadisme 2.3 Question d'action collective 2.3.1 Le concours et l'utilisateur 2.3.2 Réduire le nombre d'intermédiaires la leçon des autres disciplines, le théâtre le cinéma... 2.3.3 Une démarche collective qui se perd_retour sur l'histoire 2.3.4 Provoquer la fête collective 2.4 Vers une architecture décloisonnée 2.5 Adapter l'architecture à une production novatrice 2.6 Le recyclage et la trace face à la restauration matrimonialement 3 AVEC les artistes 3.1 Deux exemples concrets 3.1.1 le Lieu Unique, Nantes, 1999 − les barils colorés du plafond − le Grenier du Siècle − la Passerelle périphérique du grand atelier 3.1.2 Le Channel, Calais, 2007 − Les quatre pavillons : − L'intervention de François Delarozière et La Machine 3.2 ... parmi tant d'autres 3.3 collaborations littéraires

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE


INTRODUCTION Ma première rencontre avec Patrick Bouchain c'est faite à travers l'exposition Bêtes et Hommes à Paris en cette fin d'année 2007. En tant que scénographe, la variété des disciplines abordant ce thème du rapport de l'homme à l'animal annonçait déjà ce que j'allais toujours retrouver par la suite, au sein de chacun des projets auxquels il aurait participé : abolition de toutes limites entre scientifiques, artistes, architectes, biologistes, etc... Mêlés dans une réflexion, puis une production communes, les collaborations, ressources inépuisables, seront toujours de mise. Cela se confirma lors de la venue de Loïc Julienne (son collaborateur) à La Cambre pour une journée d'étude sur la programmation, puis lors du simple passage du porche « Le Channel » à Calais, sous lequel je passais avant de partager cette inauguration des plus partagée. Les particularités de cette démarche engagée, « humaniste et libertaire » font de lui une figure essentielle d'une architecture concrète, proche de la vie et des hommes, en somme de la réalité. Outre mon intérêt certain pour ces recherches que l'on pourrait qualifier d' « unir l'art et la vie », mon choix a surtout été dirigé parce que chaque projet est l'occasion d'une équipe constituée autour d'une production commune, d'acteurs de tout horizon, qui enrichissent le projet mais aussi qui s'enrichissent mutuellement, utopie réalisée et opérante qui permet le rapprochement des ARTS. Le sujet me semblait alors idéal... mais très voir trop vaste. Comment l'aborder ? Agissant toujours à partir de l'observation d'une situation pour enfin la contourner, la retourner, agir de la sorte me paraissait adéquat pour débuter mon propos. Nous essaierons ensuite, de recouper dans l'histoire de l'art et dans diverses disciplines artistiques les problématiques communément soulevées, questions de forme, de recyclage, de la création comme acte personnel/partagé, de la trace, du rapport entre spectateur et acteur... Nous illustrerons ces problématiques par quelques réalisations concrètes de collaborations pluridisciplinaires en deux lieux singuliers : le Lieu Unique à Nantes (ancienne usine Lefevre Utile_L.U.) et le Channel à Calais (anciens abattoirs). La pluridisciplinarité n'agissant pas qu'au sein de la production architecturale de Patrick Bouchain , nous relèverons rapidement les autres actes collaboratifs de cet homme hors pair, écriture enseignement politique ... avant de conclure.

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1. Rapide tour d'horizon de l'architecte et de son œuvre 1.1

L'Homme ...

Architecte atypique, né en 1945, Patrick Bouchain a étudié aux Beaux-Arts, faisant ses stages d'abord auprès d'André Hermant, collaborateur des architectes Auguste Perret et Le Corbusier, puis chez le peintre Henri Malvaux, directeur de l'école Camondo où il enseigna ensuite. Après plus de dix ans d'enseignement du dessin et de l'architecture, Patrick Bouchain a associé un souci politique à son travail d'architecte. Avec Jacques Lang, ministre de la culture du moment il est nommé directeur de l’Atelier d’Architecture et d’Urbanisme de la ville de Blois (1988-1993), et se consacre alors plus particulièrement à “l’art urbain”. Intéressé par le théâtre et les arts du spectacle en général, il a réalisé plusieurs chapiteaux et centres culturels, surtout en réhabilitation de friches, car les lieux délaissés font parti de ses réflexions récurrentes. 1.2 1982 1985 1986 1987

1988 1989

... et son œuvre Les Ateliers - Paris École Nationale Supérieure de Création Industrielle de la rue Saint Sabin Le Magasin - Grenoble Centre National d’Art Contemporain, site Bouchayer Viallet Les deux plateaux - Paris sculpture de Daniel Buren dans la cour d’honneur du Palais Royal La manu - Châtellerault schéma directeur de ré aménagement de la friche industrielle; réalisation de l’antenne universitaire, du musée de l’automobile et de l’école du cirque Zingaro - Aubervilliers théâtre équestre pour Bartabas Valmy célébration de la bataille avec D. Buren, Sarkis, A. Leccia, J.L. Vilmouth, Bartabas, les Trois 8

1990-1993

1991 1993

Atelier public - Blois direction de l’Atelier public d’Architecture et d’Urbanisme de la ville Hommage à Champollion – Figeac- installation de l’œuvre de J. Kosuth Dromesko – Lausanne - cabaret-volière itinérant pour Igor Jardin des Tuileries - Paris direction générale du projet de rénovation avec IM.PEI, J. Wirtz, P. Cribier/L. Bénech, A. Stinco

1994

1995

La grange au lac - Évian auditorium pour les Rencontres Musicales d’Évian - M. Rostropovitch Comme deux tours - Châtellerault installation de l’œuvre de J.L. Vilmouth dans l’ancienne manufacture Valeo Thermique Habitacle - La Verrière centre administratif et technique, laboratoires; 300 postes de travail, 15.000 m2

1996

1997

1998

La chocolaterie - Blois schéma directeur d’aménagement et cahier des charges architectural du site Poulain CCI du Loir et Cher; 30.000 m2 de logements, activités et services Valeo Eclairage Signalisation - Sens centre administratif et technique, laboratoires; 300 postes de travail, 30.000 m2 Parc A10 - Blois/La Chaussée St. Victor schéma directeur d’aménagement, règlement et plan de ZAC pour une zone d’activités de 100 ha, plantation d’une forêt de 40 ha; CCI de Loir et Cher Thomson Multimédia - Boulogne Billancourt siège social du groupe; 900 postes de travail Le campement - Rennes St. Jacques et l’Europe baraque, tente, réfectoire, atelier itinérant; pour Igor, E. de Véricourt, F. Tanguy -2-


1999

La forêt des délaissés – Gilles clément Caisse des Dépôts et Consignations reconquête naturelle des délaissés urbains par des techniques forestières LU - Nantes transformation des anciennes usines pour Jean Blaise, Camille Virot, Jean Lautrey, artistes Malien, et le CRDC

MIAM - Sète musée international des arts modestes pour Hervé Dirosa Valeo Distribution - Breuilpont plateforme logistique et bureaux, 15.000 m2 Valeo Sécurité Habitacle - Abbeville centre administratif et technique, laboratoires, 180 postes de travail, 15.000 m2 Les roues de l’an 2000 - Paris manifestation Les Grandes Roues sur les Champs Elysées avec J. Simon, Generik Vapeur, A. Leccia, C. Krespin, J.L. Vilmouth, C. Proust, L. Dandrel, G. Rhodes, R. Le Van Kim, Azanie, C. Acquart, Y. Bernard

2000 2002 2005 2006

Musée international des Arts modestes (Sète) Académie Fratellini (Saint-Denis) Liliana Motta, Laurent Gachet Piscine les Bains (Bègles) N. Condorcet, L. Julienne Pavillon français à la biennale d'architecture de Venise, - Daniel Buren, Igor de la

2007

Volière Dromesko, Exyzt, Collective of architects and graphic, designers, Cyril Weiner, Liliana Motta, Michel Onfray, Jean Lautrey, Lucien Kroll, Pierre Giner, Cyrille Weiner, Encore Heureux, architectural agency, Winner New, Albums of Young Architects Award, 2006, Patrick Degeorges, Antoine Nochy... Cité nationale de l'histoire de l'immigration (Paris) Loïc Julienne

Exposition Bêtes et Hommes, Halles de La vilette, Paris Transformation des abattoirs le Channel (Calais), Loïc Julienne, F. Delarozière, Joel Duccorroy, les étudiants de l'école d'architecture de Lille, Liliana Motta,...

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2 COMME les artistes.... ou que peut apporter l'art ? Après un (triste) constat de la production architecturale, nous tenterons de relever certaines des problématiques soulevées par les artistes et leurs solutions apportées, pour ensuite les comparer aux productions et théories énoncées par l'architecte. 2.1

Question de SENS :

Au cours de l'histoire de l'Art la distinction établie entre œuvre comme produit et œuvre comme processus, n'a fait qu'évoluer. L'œuvre d'art passant du produit fini vers une possible qualification voir démonstration de l'élaboration de l'œuvre, ou de son concept (art conceptuel, Fluxus, les situationnistes...). Concept qui parfois même ira jusqu'à s'arrêter là, la forme n'ayant pas de valeur intrinsèque. L' « esthétisme », le Beau (comme le Vrai et le Bien) énoncé par Platon, n'est plus l'unique valeur déterminante en art. De cette évolution naîtra par exemple le ready-made de Duchamp, l'objet « trouvé » et manufacturé se suffisant alors à lui même, en tant qu'il illustre (entre autre), un concept. Globalement l'art contemporain se situe dans cette continuité, la subjectivité (des artistes mais aussi des mœurs) s'étant développée les codes, dont esthétiques, ébranlés par ce fait, n'ont plus lieu d'être. Comment définir la forme juste, vraie, belle (qui dans l'antiquité provenait de la nature ou de l'inspiration divine) dans ce monde contemporain multiple et varié ? Cela paraît anachronique... Pourtant l'architecture s'évertue bien souvent à produire des formes. Présentation et représentation de leur auteur, ces objets oublient cependant quelques considérations inhérentes à cet art qu'est l'architecture, visité, usité et vécu quotidiennement par tous et donc pour tous. Patrick Bouchain quant à lui, pense l'architecture comme « un procédé où le faire compte autant que le résultat fini » et, « cette disposition courante dans la création artistique contemporaine déconcerte quand elle s'applique à un projet de réalisation public. Généralement l'architecture n'est pas considérée comme un art. Quand elle l'est c'est d'un point de vue plastique. Seule la qualité sculpturale d'un édifice est communément perçue comme artistique »1 Croyant beaucoup au pouvoir et à la richesse du moment du chantier, ce contexte idéal d'après l'architecte, permet à l'acte de faire de fusionner avec le résultat. Cette valorisation du temps du chantier et donc du processus de construction se manifeste dans le soin apporté aux conditions de travail des ouvriers, à la cabane de chantier, aux rencontres en son sein, à la discussion, à la production collective, au partage. Cette notion de production collective peut être également interprétée comme résultant de cette évolution de l'histoire de l'art du XXème siècle, désacralisation de l'objet mais aussi de l'artiste qui alors admet que l'autre puisse venir enrichir l'œuvre de ces connaissances et de sa personne. Désacralisation également de l'artiste transformé en initiateur d'une pratique non finie et en perpétuelle évolution qui prend son indépendance et qui alors peut progresser librement, stigmatisant divers acteurs et temporalités. Nous nous concentrerons sur ces autres aspects ensuite

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Christophe Catsaros. Le Lieu Unique, L'Impensé, Ed. Actes Sud, 2006

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La cabane de chantier du Channel 2.2

Une réponse orientée SUJET

Nous l'avons dit plus haut, l'architecture est l'affaire de tous puisque tout un chacun en profite quotidiennement. Hors paradoxalement, l'utilisateur, non technicien ou spécialiste est considéré comme simple consommateur du lieu et est toujours écarté de la phase de conception pour un bien qui lui est pourtant destiné. Des démarches participatives en architecture ou en urbanisme commencent à voir le jour mais, souvent vitrine d'une fausse démocratie, les sollicitations arrivent en aval et pas en amont de la réflexion et n'offrent qu'à peu d'entre eux la parole. Une part du problème provient des moyens d'expression offerts. Face aux spécialistes et à leur langage particulier, tout citoyen ne peut agir. De plus la consultation d'une population par la parole (medium le plus utilisé) est en elle même très discriminante. 2.2.1 Cette remarque peut, elle aussi être comparée à ce qui a été soulevé dans l'histoire de l'art et du spectacle. - Recherches scénographiques :

De quoi d'autre est-il question lorsque Jacques Polieri crée le « théâtre à scènes annulaires » pour la maison de la culture de Grenoble en 1968, ou le « théâtre du mouvement total » de l’Exposition universelle d’Osaka en 1970 ? Polie ri cherche là, en tant que scénographe, à renouveler l'espace scénique, à faire tomber les institutionnels murs de la boîte à l'italienne, l'espace scénique s'élargissant et se dématérialisant progressivement en prenant au centre de la dynamique scénique, le spectateur. La vision est ainsi défocalisée. Le centre à changé. Dans l'espace polierien, chaque spectateur est intégré dans sa singularité, et peu appréhender l'espace différemment de son voisin. N'ayant qu'une vue partielle et particulière, dans le mouvement continu du spectacle et de lui même, il constitue son propre spectacle selon son organisation mentale de ses perceptions uniques et fugitives.

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« Le premier principe recherché es! celui de l'espace unique. Le spectacle et le public sont réunis dans le même lieu. Il n'y a pas de séparation entre eux. Le deuxième principe est celui du spectacle autour du public. Mon ambition est donc d'amener le spectacle théâtral à sortir de la scène, à rejoindre les spectateurs, à entrer au milieu d'eux, à les entourer comme nous voulons le faire, à remplir l'espace, à entrer en mouvement, à jouer avec les quatre dimensions, à tenter d'atteindre quelque chose de cosmique. »2 "Salle gyroscopique satellisée" par Jacques Polie ri (1967) - Une esthétique relationnelle

De même dans l'Esthétique Relationnelle, Nicolas Bourriaud aborde cette caractéristique de l'art comme interstice social possible. « L’art est un état de rencontre »3. Dans cet « art relationnel », l’accent est mis sur « l’expérience de la relation sociale », elle peut, ou non, se matérialiser sous forme "d’objets d’art" ou non, surtout traces de cette rencontre partagée. De cet art de la relation découle aussi l'art de la participation. L'acteur est amené à parcourir l'œuvre (il engage son corps dans l'installation), à la poursuivre, voir à être lui même l'œuvre. Création qui sans ce spectateur n'existe pas ; d'état passif il progresse donc vers l'état actif prenant le rôle d'un spect-acteur. Ces démarches semblent « démocratiser » l'art mais aussi, inséparablement l'accès à la culture et donc aux lieux d'expressions. - happening

Autre exemple, déjà en 1965, lorsque Yoko Ono, dans Cut Piece, à Londres lors du « Destruction in Art Symposium » (DIAS), pendant une heure environ, agenouillée par terre invite le public à la déshabiller en découpant ses vêtements avec des ciseaux. Mis à part la symbolique et la signification de son happening, la question du rapport avec le public est bel et bien soulevée. Sans lui l'œuvre n'existe pas, et même si c'est l'artiste qui « offre son corps » c'est bien du public dont on parle ici. Jusqu'où ira-t-il dans cet état de précarité affligé à l'artiste ? Le public est amené à agir, à réagir, à parcourir l'espace temporel et spatial de l'œuvre qui lui aussi, comme chez Polieri a explosé.

2 M. Corvin, Polieri une passion visionnaire, Ed. Adam Biro, 2000 3 Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Les presses du réel, Dijon, 1998

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Yoko Ono,

Cut Piece, 1965

- ... et en architecture alors ?

Si nous revenons à Patrick Bouchain, à son équipe et à son œuvre, il est inévitable que toutes ces préoccupations aient été intégrées elles aussi. Projetée dans une autre discipline, l'architecture, (si un cloisonnement entre diverses disciplines existe) la problématique est la même. Ils ont pu apporter des réponses, et celles-ci s'avèrent être plutôt convaincantes. L'architecte pense que « l'acte de construire pourrait se vivre comme une sorte de démocratie participative en acte »4. IL ne faut pas leurrer la population par de belles images, « il est préférable de transmettre une idée d'architecture, de l'enrichir avec les élus et les utilisateurs, d'entraîner les gens et de créer une confiance qui permette de passer ensemble à l'acte de construire »(cf.4)) Cela passe notamment par le chantier, véritable « acte culturel », accessible au public, qui tente de s'ouvrir sur la ville. La cabane de chantier, élément fort de tout projet de Bouchain, est le lieu où est rendue possible cette rencontre entre spécialistes et non-spécialistes, public et ouvriers, ouvriers et architectes, etc... Véritable intermédiaire il crée du lien. Lieu d'accueil, de documentation, de partage de repas, d'expériences, lieu de visite et où, dans le cadre d'un lieu dédié à la culture, lieu où les créations puissent continuer, s'affirmer et même aider à créer ce lien. Le chantier comme contexte de création est atypique mais démocratise ces lieux habituellement fermés et laissé aux techniciens. Le public apprend, les techniques, les métiers, apprends sa ville, et s'impatiente. Les citoyens s'approprient un lieu qui leur est destiné, dès le début, les différentes interactions possibles entraînent tous ceux qui le désirent, chacun y trouve son compte, est alors créé un lieu partagé, où chacun a pu s'investir ou au moins comprendre. Mais ce renversement établi au sein du chantier envers le public, les citoyens, dépasse ce cadre pour aussi devenir un renversement de la démarche constructive en elle même. Contre le lot d'habitudes bureaucratiques et expéditives, le chantier devient un lieu d'échange qui n'est plus limité à la phase intermédiaire

4 J.C. Planche, L'architecture Enjouée, Les Cahiers du Channel n°32, Octobre 2007

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Duo pour un danseur et une pelleteuse, pendant les travaux du Channel, et Bouchain et la

participation aux Bains de Règles. « Entre la décision de faire et son accomplissement, mais bien l'étape primordiale du projet : la phase de concrétisation, de mise à l'épreuve et de négociation avec le réel.»5 Nous verrons plus tard; après ce bouleversement du rapport au spectateur, celui de la relation entre les divers intervenants. 2.2.2

Le nomadisme

Autre référence artistique liée au travail de l'architecte et qui concerne la relation de l'artiste à son public. Le Nomadisme. Dans nos sociétés développées, cette architecture capable de mouvance est très souvent utilisée par les artistes qui partent en tournée de villes en villes. Cela leur permet de jouer et de se représenter devant un public des plus grands, changeant, et de profiter de contextes toujours différents. La structure nomade, empreinte d'une grande liberté, permet de se déplacer avec son lieu, pour se confronter aux autres et les rencontrer. C'est entre autre pour de telles raisons que Patrick Bouchain apporte beaucoup de soin à de telles architectures, qu'ils travaille souvent avec des compagnies de spectacle vivant en déplacement. Comme le caravansérail, avec Loïc Julienne, pour José Manuel Gonzales, à Noisetier Marne-laVallée, en 2002, L'amphithéâtre démontable, avec Jean-Christophe Denise, pour Bartabas, au château de Versailles par exemple en 2005, L'école nationale du cirque, avec Loïc Julienne également, pour Bernard Turin, à Rosny-sous-bois, en 2004, Le théâtre du Centaure, pour Camille et Manolo, Marseille, en 2001, etc. ...

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Christophe Catsaros, Le Lieu Unique, L'Impensé, Ed. Actes Sud, 2006

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De haut en bas et de gauche à droite, L'école Nationale du Cirque, 2004 ; Le caravansérail, 2002 ; 'école Nationale du Cirque, 2004 ; L'Amphithéâtre démontable, 2005,

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2.3

Question d'action collective

« L'autre, c'est aussi celui qui construit avec moi, car construire est un acte collectif, construire crée le lien, c'est l'expression de la culture des hommes »6 2.3.1

Le concours et l'utilisateur

Un des problèmes dans la construction (publique) est celui du concours. Dans un concours, les architectes proposent un projet et les élus choisissent. Le Marché de définition, est une alternative possible. « Cette autre procédure, permet de commencer à parler du projet avec les élus, les utilisateurs, le public, de la manière- dont on va travailler ensemble avant de passer à la réalisation concrète. Cette procédure est très fructueuse : de la même manière qu'on n'achète pas un billet d'avion avant de voir où on veut aller, on réfléchit ensemble sur la mise en oeuvre d'un programme d'architecture avant de passer à l'acte. »7 Le marché de définition permet de traduire les désirs du commanditaire, de l'utilisateur. La maîtrise d'œuvre communique et échange avec le futur utilisateur pour connaître et parfois révéler la demande, les désirs le plus justement possibles. Le problème c'est qu'en architecture on ne demande pas le point de vue de l'utilisateur sous prétexte qu'il n'a pas les capacités pour y répondre. Cela provient peut-être du fait que le domaine architectural est perçu comme plus technique qu'artistique. Cette remarque s'appuie en remarquant que le concours (ou l'utilisateur semble oublié) n'existe pas dans pas dans les autres disciplines artistiques. Mais réussir à intégrer l'utilisateur au projet n'est pas chose facile. Il faut apprendre à communiquer, parfois simplement, réussir, ensemble à fair émerger des désirs, le sens (et non la forme) et lorsque celui ci est trouvé, « il se libère avec une telle puissance qu'il produit de la beauté ». Pour ce faire il faut parfois aussi savoir renverser le programme et savoir se mettre en retrait. Ce retrait est nécessaire, pour que, à la manière de P. Bouchain, le vide se crée et permette d'accueillir l'utilisateur ; d'abord l'intégrer à la conception pour qu'il s'approprie le projet puis lui laisser sa liberté pour qu'il prolonge le projet, voir même qu'il dépasse le concepteur. Donc quitter le lieu sans le clore, laisser l'appropriation latente, pour celui ou ceux qui le marqueront au fur et à mesure de leurs désirs variés. La non finitude des lieux (déjà abordée plus haut) découle aussi de cette volonté, et provoque la trace, du temps et des hommes, de leurs désirs, travail, et plaisirs (ce que l'on abordera plus loin). Savoir en faire peu pour plus de plaisir « plus on en fait, plus on ferme ; moins on en fait, plus on ouvre te plus on donne : le moins de forme pour le plus de sens, le moins de règlements pour le plus de liberté »8, accompagner et entraîner tout le monde dans un mouvement pour une quête de sens. 2.3.2 Réduire le d'intermédiaires : la leçon des autres disciplines, le théâtre le cinéma...

nombre

Au cinéma, en danse ou en théâtre, chaque acteur est reconnu sans qu'il y ait annihilation de l'auteur, les différents acteurs agissent sans hiérarchie sur le champ de la complémentarité et non de la concurrence. Il faut bien entendu un « chef d'orchestre » qui assiste à toute répétition pour accorder mais pas pour diriger. Chaque acteur peut se permettre d'interpréter, et c'est ces interprétations, qui créent la variété, la qualité de l'approche artistique. De plus dans ces disciplines, observons qu'il n'existe pas de multiples intermédiaires entre le metteur en scène et l'acteur, il est bien question de collaborations et d'échanges productifs qui 6 Patrick Bouchain, Construire autrement, comment faire ?, Ed. Actes Sud, l'Impensé, 2006 7 J.C. Planche, L'architecture Enjouée, Les Cahiers du Channel n°32, Octobre 2007 8 Patrick Bouchain, Construire autrement, comment faire ?, Ed. Actes Sud, l'Impensé, 2006

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enrichissent l'œuvre. Les temps laissés à la répétition, permettent la remise en situation. Alors comment expliquer la douzaine d'intermédiaires intervenants séparément dans le projet d'architecture ? Le message a le temps de s'altérer dans cette longue chaîne d'exécution obstacle à la concrétisation. Comme nous avons vu plus haut, il faut tenter d'amoindrir la rupture établie entre spectateur et acteur par la participation active, entre maîtrise d'œuvre et utilisateur par le marché de définition, la quête de sens, mais aussi entre architectes et entreprises, et de façon générale entre les différents acteurs. C'est le défi que se fixe Patrick Bouchain dans ses projets : tenter d'impliquer les intervenants autrement que dans un rapport hiérarchique et sourd. Premièrement l'architecte décide de dessiner le carnet de détails à la main, simples, lisibles et précis, adressés directement à ceux qui devront les réaliser. Ce carnet permet une communication aisée entre architecte et exécutant mais aussi laisse la marge d'interprétation possible au technicien, à l'entreprise qui, spécialisée dans un savoir faire, peut suggérer une modification. L'échange est donc réel car mutuel, non hiérarchique, maître d'œuvre et entrepreneurs apprennent l'un de l'autre. Chacun est amené à proposer des solutions selon ses compétences ; atypique, ce pouvoir accordé voir même exigé, valorise le faire, et le travail est effectué par goût et non plus par obligation hiérarchique. Le chantier apporte donc ces variations, ces apports multiples, et amène le projet à évoluer au grès des savoirs, des expérimentations. La prédétermination mentale et figée de la Grande Architecture laisse place à une indétermination mouvante et à ses compromis, réajustements, d'une architecture expérimentée, concrète et partagée. Les temps laissés à la répétition, en théâtre en musique ou en cinéma, permettent la remise en situation, place à l'expérimentation que l'architecture se doit d'intégrer. (rmq : remarquons dans cette pratique, la place du processus dans l'œuvre, du sens qui prend le pas sur la forme, cf., Question de SENS)

2.3.3

Exemple tiré du carnet de détail à l'intention des entrepreneurs Une démarche collective qui se perd_retour sur l'histoire - 11 -


L'architecture à été pourtant, autrefois acte collectif, voir même de société. La cathédrale médiévale, rassemblait les gens (pas dans la joie certes) et les savoirs, le verrier, le peintre, le tailleur de pierre... Sans doute la spiritualité les unissait. De cette union découlait une certaine pédagogie. Le savoir devait être essentiellement transmis oralement, par expérimentation. Les métiers se sont ensuite spécialisés, ébranlant cette unité. L'extrême séparation s'est ensuite effectuée avec le Taylorisme et le travail à la chaîne au début du XXème siècle avec l'industrialisation. Plus qu'une séparation des métiers, la séparation de tâches ultra-spécialisées a vu le jour. Au XIXème siècle, Wagner lançait pourtant déjà le principe du Gesamstkunswerk, oeuvre d'art totale reprise par l'art nouveau, Arts and Crafts, le Bauhaus, etc.... La volonté d'associer artistes et artisans, avec ou sans les potentialités nouvelles offertes par l'industrie, au sein d'une même oeuvre complète. De nos jours de telles démarches restent marginales, tant les filtres administratifs sont nombreux. Mais celle de Patrick Bouchain et de son équipe peut s'en approcher, tout d'abord par l'expérimentation que l'on a déjà précédemment évoquée mais aussi par la pluridisciplinarité abordée de façon collective. 2.3.4

Provoquer la fête collective

Réunir mais comment ? L'oeuvre de certain artistes comme Jean Daniel Berclaz soulève la notion de convivialité par la fête - Jean Daniel Berclaz, le Musée du point de vue, (à Metz notamment ) L’artiste propose ici d’organiser un buffet dans une ville déterminée en y conviant quelques personnes. Il choisi des lieux dignes d’un grand intérêt mais qui sont parfois oubliés, comme une digue à Metz. En cela il offre en plus d’une certaine convivialité, un nouveau point de vue aux habitants sur leur ville.

Jean Daniel Berclaz, le Musée du point de vue, 1999

Dans cette démarche globale, caractéristique de l'oeuvre de Bouchain, la notion de fête, de partage trône. Car la fête provoque la relation, les échanges humains. L'illustration parfaite de cela, est le Pavillon de la France, à la biennale de Venise en 2006, METACITE/METAVILLA où philosophe (Michel Onfray), collectif pluridisciplinaire (EXYZT), artistes (Buren, Liliana Motta, Cyrille Weiner, Jean Lautrey...), cuisiniers, etc., étaient invités pour accueillir le public et les gens de passage de la façon la plus conviviale qui soit. Cette convivialité c'est aussi retrouvée au sein des concepteurs qui habitaient littéralement le pavillon. « Le pavillon sera une grande maison de la France, dans laquelle nous pourrons accueillir, offrir "le gîte et le couvert" et transmettre. Il sera une succession d'actes d'architecture, un lieu d'échanges et de convergence des savoirs comme peut l'être un chantier, et non un discours sans actes. A la différence des autres pavillons, il montrera, en réunissant des compétences diverses, que - 12 -


l'architecture est un art majeur et qu'elle appartient à tous les arts, ce qu'on a tendance à oublier. En effet, les "constructeurs" avec lesquels je travaille, pour le Pavillon comme sur tous les chantiers, exercent des métiers différents - architectes certes, mais aussi plasticiens, cinéastes, philosophes... Ensemble, nous définissons et nous mettons en œuvre une réponse transdisciplinaire à la question de la Méta-Cité »9

Metavilla/Metacité, Pavillon de la France, Biennale de Venise, 2006

2.4

Vers une architecture décloisonnée

Le 1% artistique à été créé en 1936 à l'initiative de Jean Zay afin de faire entrer l'art à l'école, 1% du budget de chaque école devra être attribué à la commande d'une oeuvre artistique. Avec la guerre l'initiative est abandonnée, reprise ) la libération, et à partir de 1981 la gauche relance l'initiative étendue à d'autres arts, design, paysagisme, éclairage, mode... (les deux plateaux réalisé avec Daniel Buren fait partie de ce type de commande). Les artistes alors choisis doivent réellement s'intégrer au processus de création et ne pas venir s'additionner a posteriori. « ce 1% offre avant tout un moyen de se questionner, en provoquant des rapprochements entre différents types de connaissances puisque de universitaires et des chercheurs viennent sur des chantiers qu'ils ne fréquentent jamais et que les architectes et ceux qui font le chantier doivent réfléchir (à) leurs pratiques ».10 Il constitue une exigence de liberté créatrice, en adéquation avec les idées de l'architecte qui ira même au delà, avec le 1% solidaire (à la fois solidaire et politique), le 1% scientifique (le chantier 9 Patrick Bouchain, interviewé 10 Joseph Confavreux, annexe : Le 1% scientifique, Patrick Bouchain, Construire autrement, comment faire ?, Ed. Actes Sud, l'Impensé, 2006

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comme lieu de recherche et d'observation scientifique), puis voir même le 1% consacré à la formation et un autre à la vieillesse. Bouchain revendique ainsi, l'abolition de toute frontière entre les genres, telles les productions artistiques contemporaines. Il appuie ainsi également ce que nous soulevions à propos des collaborations, des savoirs partagés selon les compétences de chacun, sans hiérarchie. Pourrions nous comprendre cela comme une affirmation que « tout est art » ou alors tout peut être art ou du moins digne d'autant d'intérêt. Liliana Motta par exemple, constante collaboratrice aux projets de Bouchain, formée aux Beaux arts, se revendique artiste botaniste et affirme que l'art et la science opposés en apparence ne le sont peut être pas tant que ça : tout deux transforment le banal et le quotidien en merveilles et amènent à voir la réalité selon un point de vue particulier. Son travail se fixe essentiellement sur les pantes rudérales (les mauvaises herbes) et montre, révèle les critères et les réglementations qui ordonnent leur exclusion ou leur éradication. Pour elle l'approche botaniste, même si elle n'est pas complètement métaphorique peut amener à comprendre la vie des hommes. Ceci n'est qu'un exemple parmi tant d'autres des collaborations qui se mêlent sans hiérarchies des genres, autour du travail de Patrick Bouchain, et de sa volonté de présenter sans classifier. Chaque projet voit émerger philosophes, écrivain, sculpteurs, peintres, artistes botaniste, étudiants, designer, collectifs, etc... 2.5

Adapter l'architecture à une production novatrice

De façon générale l'architecture est perçue comme lieu de pouvoir et d'autorité, hors, si l'on veut libérer ce qu'il s'y passe à l'intérieur, et qui par ce fait, profite de ce contexte (volontairement ou non) il faut d'abord passer par une réforme de celui ci. Dans le cas de lieu accueillant la création artistique la nécessité de ce bouleversement est d'autant plus grande. Toute démarche qui se prétendrait novatrice se verrait directement annihilée si le pouvoir institutionnel qui les expose ne change pas. Mais il s'agit là encore, plutôt d'un changement de modes opératoires plutôt que de forme. L'art à déjà traité cette question qu'est celle de l'œuvre exposée dans le lieu institutionnalisés. Duchamp en 1942 dans Mile of String, dénonçait cette institutionnalisation des artistes par le musée, leur enfermement, leur protection qui comme le spectateur l'était, en déambulant, gênés pour progresser. Mile of String, Duchamp en 1942

A cela il proposait alors La Boîte en Valise, 1968, solution d'un musée portatif et donc libéré. - 14 -


La Boîte en Valise, Duchamp, 1968 Un demi-siècle de revendications à l'encontre du musée en ce qu'il sanctifie l'art a t'il des répercutions aujourd'hui ? Peu hélas, et cela ne choque pas, ou plus... Il faut pourtant assumer, en scénographie d'expositions les impératifs que posent les artistes pour que la culture variée et non formatée puisse progresser. Ne serait-ce pas là les même aspects relevés par Bouchain et contre lesquels il s’institue ? A ceux-ci il répond de façon presque similaire à Duchamp : mobilité et désinstitutionalisation du lieu d'exposition libéré. Le lieu, dont les modes opératoires auront changés, sera aussi ouvert et capable d'accueillir en son sein, la pluridisciplinarité des démarches. 2.6

Le recyclage et la trace face à la restauration patrimonialiste

A la restauration du patrimoine souvent choisie, Bouchain réponds par le réemploi ou le recyclage. Restaurer pour lui implique un retour sur l'état d'origine du lieu, état fixé arbitrairement, et qui annule toutes étapes intermédiaire. Mais l'architecture n'est pas qu'un ensemble de murs, de baies, etc..., l'architecture est usages, travail et vie de l'Homme, mémoire... Donc la restauration doit aussi répondre à cela, montrer également le fonctionnement. Les traces de ce fonctionnement doivent être visibles et il est invraisemblable de les recouvrir, surtout dans une friche industrielle, car la mémoire collective du lieu est en elles. Ce qu'il se passera donc ensuite en leur sein devra aussi imprégner les murs, les stigmatiser et se superposer aux anciennes. Ce palimpseste fait vivre le lieu, le fait évoluer et cristallise la mémoire des gens. Figer un bâtiment, notamment par ces finitions (au lieu de recyclage et de palimpseste) en plus d'élever inutilement les coûts, tire un trait sur les raisons d'être de ces lieux qui les ont fait naître. Encore une fois privilégier la forme au détriment de la fonction, le contraste voir les dissonances au détriment d'une homogénéisation stérile. De plus ces marques, traces du passé, invitent à en faire de nouvelles. Elles permettent les modifications, et cette architecture qui peut alors évoluer peut accueillir des oeuvres qui elles aussi, à leur tour, évolueront, dans un contexte fort, libre et favorable. Un lieu qui raconte sa restructuration, qui se raconte. En faire paradoxalement moins et produire le plus possible. Boltanski, agit lui aussi, en tant qu'artiste sur la mémoire collective, par l'inventaire. Il utilise des objets quelconques déchargés de toute qualité particulière mais dont le contenu travaille l'imaginaire, le souvenir. Jouant le rôle de conservatoire de la mémoire l'oeuvre de Boltanski agit contre l'oubli, de soi mais aussi d'une mémoire collective, et « C’est parce que ses propositions sont universelles qu'elles touchent au plus profond chacun de - 15 -


nous »11 Boltanski agit du pluriel au singulier, agiter la mémoire commune pour que surgisse le souvenir particulier au fond de chacun de nous.

11 Paul Ardenne, ART L'Age Contemporain, Une histoire des arts plastiques à la fin du XXème siècle, Ed. Du Regard, Paris, 2003

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Christian Boltanski, Les Registres du Grand- FĂŞtes dans la cour du Lieu Unique Hornu, 1997, Installation

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3 AVEC les artistes Soulevons tout de même que, dans son travail, l'architecte se retrouve souvent impliqué avec des scènes nationales, des troupes de spectacle vivant, etc... La plupart de ces commanditaires étant issus du monde la culture, ces rapports de collaboration, de pensée de l'architecture comme art, humaine et libertaire, est facilité car ces acteurs sont eux même culturellement engagés. 3.1

Deux exemples concrets 3.1.1

le Lieu Unique, Nantes, 1999 −

le Grenier du Siècle

Façade exceptionnelle du Grand Atelier, salle de représentation, le Grenier su siècle est la réponse apportée à la demande programmatique initiale d'une façade « prestigieuse ». Les impératifs sont alors, là encore retournés. Ce Grenier du siècle est constitué d'un paroi creuse, un mur de béton protège acoustiquement la salle de représentation sur lequel est créé un rayonnage qui accueillera des boîtes abritées dans une seconde peau extérieure, faite de verre et de métal. Dans ces boîtes sont entreposés les dix milles objets nantais sélectionnés comme souvenir de ce siècle. Dans un siècle, ou maintenant dans 91 ans, ouvrir les boîtes offrira un témoignage du siècle passé. Tout Nantais a été invité à y déposer, à son grès, l'objet ou les objets qui lui paraissaient représentatifs. Patrick Bouchain y a déposé des plans et les outils de l'architecte : équerres, règles,etc., qui seront surement remplacés totalement dans un siècle. Accumulation d'objet quotidiens, hétéroclites, parfois sans intérêt apparent. Ils attendent le jour où on l'es découvrira et où, par une évolution certaine des habitudes, leur statut aura changé, transformés en de petites reliques témoignant d'un passé révolu. Ce Grenier est le témoin d'une mémoire collective, fruit d'une collaboration démocratique, humaine, qui rassemble les gens, dans leurs différences, leur unicité, liés à un même lieu : leur ville. Ce mur est le symbole également, sur l'espace public, du principe participatif qu'il incarne. Trace d'un temps, superposée aux traces d'autres temps, l'usine, la friche puis maintenant, stigmate d'une reconversion, un centre d'art et de partage. −

les barils colorés du plafond

Dans le cadre du « recyclage » de l'usine Lefevre Unique (L.U.), à Nantes, le 1% artistique à été confié à deux plasticiens, Jean Lautrey et Camille Virot qui ont été à Bamako, travailler avec des artistes locaux maliens, afin de récupérer un produit fini, issu des restes de l'occident : des barils. Nous récupérons alors ainsi nos déchets envoyés en afrique, mais ouvragés par des forgerons maliens spécialisés dans le recyclage de déchets industriels occidentaux. Ces barils colorés, seront alors suspendus au dessus de la grande salle : le Grand Atelier. Ils corrigent l'acoustique mais aussi symbolisent le passé colonial de la ville, notre comportement envers les pays moins développés, etc., un acte fort, engagé et politique. « Elle résonne des voix de toutes les personnes qui ont participé à sa constitution ».12 −

la Passerelle périphérique du grand atelier

Dans le Grand Atelier, une passerelle périphérique a été crée à l'aide de morceaux de chalutiers démobilisés à cause de la réduction de la pêche (et paradoxalement croissance de la sur-pêche). Ici est soulevé (au dessus de nos têtes) la question de nos consommations, des conséquences de cette réduction pour les milieux et les régions dont la pêche était leur principale ressources et qui était culturellement inscrite dans le territoire. Trace ici encore, ce recyclage intelligent prouve l'engagement politique important, tout comme pour les barils. Nous assistons ici à un explicite manifeste du réemploi de ce qui peut l'être, du recyclage, mais aussi d'une intention politique. Preuve que l'architecture c'est aussi ça, une certaine éthique de la construction, un positionnement politique ; savoir faire des choix, formels ou de sens. Bouchain opte pour plus de sens. 12 Cf. 6.

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Le Grenier du Siècle, Nantes

3.1.2

Les barils colorés et à la passerelle

Le Channel, Calais, 2007

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Maquette expliquative du Channel, qui se trouvait dans la cabane de chantier Scène nationale installée dans les anciens abattoirs de la ville de Calais, le Channel a pour but d'ouvrir la création contemporaine à un public notamment populaire. Ouvrir à tous l'accès à la culture alors désacralisé. Bouchain était alors l'architecte idéal pour traduire architecturalement ces intentions démocratiques. Véritable manifeste de collaboration, d'ouverture de la maîtrise d'œuvre, d'une architecture anonyme, les architectes associés du projet, Loïc Julienne et Patrick Bouchain, accompagnés de Francis Peduzzi, directeur du Channel délivrent une partie de la commande à d'autres intervenants : −

Les quatre pavillons :

Quatre pavillons alignés évoquent l'architecture ouvrière et anonyme courante à Calais, appropriation collective du bord du littoral. − le pavillon des plantes par Liliana Motta, artiste botaniste, qui constitue les murs à l'aide de bacs dans lesquels poussent des plantes nécessitant peu d'entretien. − Le pavillon des lettres, œuvre de l'artiste Joël Duccorroy, faite de plaque minéralogiques dont les mots qui les constituent sont issus des propositions des calaisiens amenés à participer, ce qui en fait, en plus d'une réalisation collective, un lieu où la mémoire collective constitue le revêtement, traces humaines. − Le pavillon déterminé par des impératifs d'économie, réalisé par des élèves de l'école d'architecture de Lille. Le revêtement à été réalisé sans aucune chute, et l'isolation en bâtiplume, procédé isolant, de récupération de plume de poules compressées. Le Channel étant installé sur un ancien abattoir, là aussi c'est bien à la mémoire du lieu que l'on fait référence. − Le dernier fait référence aux cabanes de plage, petite structure balnéaire en bois, noir et blanc, autonome et anonyme

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Les quatre pavillons, celui de Liliana Motta au premier plan, puis celui de Joël Duccoroy, et celui des élèves de l'école de Lille − L'intervention de François Delarozière et La Machine

C'est Francis Peduzzi qui a obligé les architectes à travailler avec François Delarozière et la Machine (avec qui Patrick Bouchain avait déjà collaboré sur l'île de Nantes). Il leur a donc fallu apprendre à travailler ensemble pour prendre en compte de la commande. L'intervention de François Delarozière ne se résume pas qu'à des simples ajouts ornementaux, mais il complète le site de son langage organique, fantastique, et allégorique stimulant l'imaginaire. Il transforme le château d'eau en belvédère surplombant la ville, signe la devanture du restaurant, crée un escalier monumental, osseux, point de convergence du site.... Artiste artisan, Delarozière unie les savoirs et migre vers une architecture totale en ce qu'il traite le moindre détail de façon particulière et originale.

le château d'eau en belvédère

3.2

... parmi tant d'autres

Ces deux exemples illustrent une pratique courante chez l'architecte. Ils sont cités là, en terme d'exemplarité de la démarche mais les autres projets de collaboration ne manquent pas. 3.3

collaborations littéraires

Nous pouvons constater qu'au sein même de ces publications, les collaborations existent. - création aux éditions Actes Sud de la collection L'Impensé, « série dirigée par Patrick Bouchain et Claire David située au carrefour entre ie citoyen, l'élu, l'architecte et le chantier, propose une autre façon de penser l'architecture et le paysage. Ces récits 21


exemplaires, racontés par des constructeurs, des artistes, des utilisateurs des lieux ou des journalistes concernent par une réalisation, requalifient des espaces délaissés par l'urbanisme, l'industrie ou l'économie, et révèlent les dysfonctionnements ou les blocages de notre société. » Avec par exemple, le livre Construire autrement, comment faire ?, Ed. Actes Sud, l'Impensé, 2006, par l'architecte lui même où sont invités Michel Onfray, Lucien Kroll, Daniel Buren, Gilles Clément, Patrick Degeorges et Antoine Nochy, Romain Paris et Otar Iosseliani, à apporter leurs « Paroles Constructives ». 3.4 −

− − − −

collaborations d'expositions,

Les Grandes Roues sur les Champs Elysées, en 1999/2000 avec J. Simon, Generik Vapeur, A. Leccia, C. Krespin, J.L. Vilmouth, C. Proust, L. Dandrel, G. Rhodes, R. Le Van Kim, Azanie, C. Acquart, Y. Bernard « Oui, avec Plaisir » à La Villa Noailles, Hyères, en 2005, avec Florence Sarano, commissaire d'exposition, et Cyrille Weiner photographe « la Manière et la Matière » à Arc en Rêves, au CAPC de Bordeaux, 2006 « Snowbeams » en 2006, avec Daniel Buren « Bêtes et Hommes » avec Vinciane Despres et Yollande Baccaud, artiste commissaire, 2007

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CONCLUSION

Ce qui frappe dans l'œuvre de Patrick Bouchain, (et des équipes qu'il constitue autour de chaque projet) c'est cette propension à l'autre, cette préoccupation humaine et engagée au coeur du projet d'architecture. Pour lui l'architecture est envisagée globalement. Temporellement, le projet entremêle un avant (concertation, participation), un pendant (le chantier) et un après (ouverture apte à accueillir les utilisateurs, laisser la liberté d'agir, de superposer les traces de différents états, différents désir, de marquer le lieu d'une mémoire collective) sans distinction, aucune de ces phases n'est reléguée au second rang. Manifeste explicite, comprenons dès lors que l'architecture est une discipline globale, qui peut entrainer avec elle différent acteurs, différentes disciplines, et renouveler certains rapports préétablis. DECLOISONNONS L'ARCHITECTURE Il soutient que la distinction entre l'architecture et les autres disciplines artistiques n'a pas lieu d'être. J'ai décidé de confronter différents thèmes abordés en art et dans le travail de Bouchain pour mettre en évidence ces rapports étroits, les problématiques et solutions comparables, avec des exemples éparses tirés de l'histoire de l'Art : rapport spectateur/acteur, fin de la distinction des genres, mobilité, support de la mémoire collective, la question du quotidien, l'art comme interstice social, notion de fête et de collectif.... Multiples thèmes tout comme son travail peut l'être. Dans son œuvre l'architecte prouve explicitement la relation de l'architecture aux autres, aux hommes pour qui elle est destinée, mais aussi, thème fort soulevé dans l'histoire de l'art du XXème siècle, (cf, Paul Ardenne, Un Art Contextuel, Paris, Ed° Flammarion, 2002) de l'architecture à son contexte. Bouchain critique cette habitude à penser l'architecture dissociée des autres arts, alors que nous l'avons vu, les enjeux et les problématiques se rapprochent. Les genres comme les hommes interagissent sur un pied d'égalité. Dans son travail, cette distinction, n'existe pas, art et architecture (mais aussi, science, social, économie, ...) convergent ensemble vers un seul et même but : en faire moins pour plus de PLAISIR !!

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BIBLIOGRAPHIE : Livres :

Paul Ardenne, ART L'Age Contemporain, Une histoire des arts plastiques à la fin du XXème siècle, Ed. Du Regard, Paris, 2003 Patrick Bouchain, Construire autrement, comment faire ?, Ed. Actes Sud, l'Impensé, 2006 Christophe Catsaros, Le Lieu Unique, L'Impensé, Ed. Actes Sud, 2006 Uta Grosenick, Women Artists, Taschen, 2001 J.C. Planche, L'architecture Enjouée, Les Cahiers du Channel n°32, Octobre 2007 METACITE/METAVILLA, livre de la biennale de Venise 10, 2006

Articles :

Patrick Bouchain l'électron libre, d'architectures n°113, spetembre 2001 Théâtre équestre itinérant, AMC n°123, mars 2002 Propos sur l'architecture éphémère, AMC n°123, mars 2002 Détails, La condition publique, Roubaix, AMC n°126, juin juillet 2002 L'usage, stratégie de conservation du patrimoine, AMC n°132, mars 2003 Zingaro dans les écuries du Roi, d'A, mai 2003 Académie Fratellini : interpréter les règles et le catalogue, d'A 132, octobre 2003 Académie Fratellini, Saint Denis, AMC n°139, décembre 2003, janvier 2004 Bâtiment Forrain, Marne la Valée, AMC n°146, octobre 2004 Encore Patrick Bouchain ?, d'A 148, août septembre 2005 Concours : un îlot en devenir, AMC n° 162, juin juillet 2006 Bouchain ou l'architecture plurielle en acte, Archistorm 29, 01/2008

Autres sources

Diverses sources internet entretien téléphonique avec Cyrille Weiner photographe collaborant avec Patrick Bouchain video des entretiens de Chaillot ...

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