UNIVERSITE TOULOUSE II JEAN-JAURES UFR Histoire, Arts et Archéologie Département Archives et Médiathèque Licence Information Option Image
SUJET DE RECHERCHE :
La photographie de guerre DURAND Aurélie
Montauban, Janvier 2015
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Sommaire INTRODUCTION................................................................................................................................3 PREMIERE PARTIE :..........................................................................................................................7 Représenter la guerre, des guerres pour exemples...............................................................................7 A/ Photographier la guerre avant 1939.......................................................................................7 a) La guerre de Crimée (1853-1856).................................................................................8 b) La guerre de Sécession (1861-1865).............................................................................9 c) la Première Guerre mondiale (1914-1918)..................................................................10 d) La guerre d'Espagne (1936-1939) ou la première guerre d'images.............................11 B/ Photographier la guerre après 1939......................................................................................12 a) La Seconde Guerre mondiale (1939-1945).................................................................13 b) La guerre du Vietnam (1955-1975).............................................................................14 L'histoire d'une photographie : La petite Phan Thi Kim Phuc de Nick Ut.........................................15 c) L'après Vietnam : les Malouines et le Golfe................................................................16 DEUXIEME PARTIE : ......................................................................................................................17 Représenter le photographe de guerre, son mythe..............................................................................17 A/ Un métier hors du commun..................................................................................................17 B/ Du métier au mythe : des conflits et des légendes qui participent au mythe.......................19 a) Des conflits : l'Espagne et le Vietnam.........................................................................20 b) Un appareil mythique : le Leica..................................................................................21 c) Robert CAPA, un destin au service du mythe.............................................................22 L'histoire d'une photographie : La mort d'un milicien espagnol par Robert Capa.............................24 TROISIEME PARTIE :......................................................................................................................26 La photographie et la société..............................................................................................................26 A/ Impact sur la société.............................................................................................................26 a) Les médias : une agence, Magnum et un magazine, Life............................................26 b) Les bienfaits de la photographie de guerre..................................................................29 B/ Problèmes liés à la photographie de guerre..........................................................................30 a) Remise en cause de la photographie............................................................................30 b) Accoutumance et indifférence vis-à-vis des images....................................................31 c) La question du beau et du spectaculaire......................................................................32 CONCLUSION..................................................................................................................................35 BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................................................37 ANNEXES.........................................................................................................................................38
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INTRODUCTION La photographie de guerre est un vaste sujet et un sujet encore d'actualité de nos jours. Dernièrement ont eu lieu du 6 octobre au 14 novembre 2014, les rencontres des correspondants de guerre à Bayeux dans le Calvados. Ces rencontres existent depuis 1994 et permettent de donner une vision du métier de photoreporter et des conflits mondiaux. Avant de s'intéresser à la photographie de guerre à proprement parler, il est important de définir la photographie et d'expliquer, comment elle est devenue en quelques siècles, le mode de représentation majeur. « La photographie se définit comme une technique permettant d'obtenir une image permanente par l'action de la lumière sur une surface sensible (photo argentique) ou par mémorisation de signaux numérisés provenant de la conversion des rayons lumineux captés des cellules photosensibles (photo numérique). »1 Qu'est-ce que la photographie : un outil de communication, une forme artistique, un outil scientifique ou un simple loisir. Et si la photographie était tout cela. C'est-à-dire un pont entre les sciences, l'art et l'information. La photographie participe activement au domaine de la communication
de
masse
et
à
la
divulgation
d'informations
dans
notre
société
contemporaine :« L'importance de la photographie ne réside donc pas seulement dans le fait qu'elle est une création, mais dans le fait qu'elle est un des moyens les plus efficaces de façonner nos idées et d'influer sur notre comportement. »2 La photographie débute avec l'utilisation à des fins scientifiques de la camera obscura. Cette chambre noire avait la forme d'une pièce plongée dans l'obscurité dont l'une des parois, pourvue d'un orifice, permettait à la lumière d'entrer et de former, sur la paroi opposée, une image inversée. Puis au XVIIe siècle, les chambres noires portatives de petit format apparaissent. Elles se composent de deux pièces s'emboîtant l'une dans l'autre de manière à régler la mise au point. Malheureusement ces appareils ne permettent pas de fixer durablement l'image. Pour cela, il faut attendre la découverte de la photosensibilité et les inventeurs, Niepce et Daguerre. Nicéphore NIEPCE est le premier a réalisé des photographies alors appelées les héliographies. Puis vers 1831, DAGUERRE améliore le procédé et réalise ses premières images sur des plaques de cuivre recouvertes d'une couche photosensible d'iodure d'argent. Après exposition de la plaque 1 THIELLAND Olivier, 2005, Photographier la guerre, Mémoire de fin d'études, p 2. 2 FREUND Gisèle, 1974, Photographie et Société, Paris, Seuil. Citation de la page 7.
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pendant quelques minutes, il soumet celle-ci à des vapeurs de mercure, qui font apparaître une image positive fixée à l'aide de sel marin. En 1839, Jacques DAGUERRE invente un procédé plus performant : la daguerréotypie. Une image est fixée sur une plaque de cuivre argentée en chambre noire. Ce procédé emballe la société et est très vite exploité pour les portraits, puis les premiers reportages. Par contre, cette méthode connaît beaucoup de difficultés : la plaque devait être préparer peu de temps avant et développer juste après exposition à la lumière solaire. À cette époque, le temps de pose est long. Il faut compter au moins plus d'une demi-heure. Le dernier inconvénient du daguerréotype est le fait qu'il ne procure pas de copies : la chambre noire ne produit qu'une seule image. En 1841, l'inventeur britannique William Henry Fox Talbot fait breveté un nouvel appareil : le calotype. Ce procédé passe par un support négatif et permet d'obtenir un nombre illimité de tirages. Talbot avait en fait remarqué que la sensibilité de la lumière d'un papier d'iodure d'argent pouvait être augmentée si ce dernier était plongé, avant exposition, dans un bain de nitrate d'argent et d'acide gallique. Le calotype sera utilisé pendant une décennie puis remplacé par les méthodes sur verre à l'albumine et au collodion humide. La plaque de verre était recouverte de cette substance et, au moment de la prise de vue, placée humide dans un châssis spécial. Le temps de pose variait de 3 à 12 secondes. Les améliorations techniques continuent dans le temps notamment grâce à Richard Leach MADDOX et George EASTMAN. Le premier met au point à partir de 1871, les plaques au gélatino-bromure qui sont quarante fois plus sensible que celles au collodium humide. Quant au deuxième, il met au point en 1889, le premier support de pellicule souple et transparent, sous la forme d'un ruban de nitrate de cellulose. La photographie sort du champ de l'expérimentation. Elle peut s'ouvrir à un large public et à différents domaines. Le premier domaine que la photographie expérimente est celui de l'art. Au milieu du XIX e siècle, elle s'impose au rang des beaux-arts alors qu'à ses débuts, elle était considérée comme un substitut du dessin et de la peinture. Puis, des photographes l'ont ensuite abordée en y transposant une esthétique issue de la peinture, à l'image du caricaturiste français NADAR (Gaspard Félix Tournachon). L'étape majeure pour la photographie en tant que mouvement artistique a lieu en 1902. Quand Alfred STIEGLITZ, photographe américain, crée le mouvement Photo-Sécession qui défend la photographie comme forme artistique. Le groupe se compose notamment de Gertrude Käseber, Edward Steichen, Clarence White et s'organise autour de la revue Camera Work (19031917). La volonté du mouvement est de libérer la photographie de la peinture dans le but de la concurrencer. Le reportage constitue l'autre domaine que la photographie emprunte. Il a pour fonction 5
l'information en lien ou non avec l'actualité. Le photoreportage est une partie importante de l'histoire de la photographie. Ce terme fait référence au documentaire, au documentaire social et au photojournalisme. L'origine du reportage réside dans l'engouement pour les expéditions permises par les évolutions techniques entre 1850 et 1880. Les vues des monuments, des sites archéologiques, de paysages et d'habitants de contrées lointaines fascinent la société. Les photographes de l'époque partent alors à la conquête du monde par le regard. Dans les toutes premières photographies documentaires, on trouve celles du photographe britannique Roger FENTON sur la guerre de Crimée et celle de l'équipe de Matthew BRADY sur la guerre de Sécession. La photographie documentaire concerne autre chose que la guerre, par exemple : les vues de paysages exotiques et l'évolution du paysage urbain (Eugéne Atget). Au tournant du XXe siècle, le développement de la presse et des moyens de reproduction photomécanique participent à l'essor de la photographie de reportage. Les photographes souhaitent faire de leur appareil photo, un outil d'éveil des consciences et un instrument de critique. C'est la naissance du documentaire social photographique : la photographie devient une arme. Dans ce mouvement de dénonciation par la photographie, on trouve le photographe, Jacob August RIIS qui par ses photographies des quartiers de New York, cherche à dénoncer les conditions de vie de ses habitants, mais, c'est grâce à l’État américain que le reportage social connaît son apogée avec l'enquête de la « Farm Security Administration » dans les années 30. Cette enquête doit témoigner des conséquences de la crise économique dans le monde agricole et faire un inventaire des régions les plus touchées par la dépression. Les photographes de cette enquête sont : Dorothea LANGE, Arthur ROTHSTEIN, Russell LEE, Ben SHAHN et Walter EVAN. Grâce aux travaux de RIIS et de la « FSA », la photographie devient preuve et sert à dénoncer : le photojournalisme peut naître. Le photojournalisme doit énormément à la création dans les années 60, des premières agences internationales — Magnum, Gamma, Sygma et Sipa — mais ses origines remontent au XIXe siècle. Les photojournalistes travaillent pour des quotidiens, des périodiques, des magazines et des agences de presse. Ils couvrent l'actualité dans des domaines variés : le sport, les arts, la politique, etc. Ils sont envoyés sur le terrain par une agence et rendent comptent d'un événement à un instant « T » dans l'urgence. Cette notion d'immédiateté a largement été aidée par les progrès technologiques des années 1930, avec notamment la miniaturisation des appareils (Leica) et la production de pellicules très sensibles. Grâce à ses évolutions, les photographes peuvent opérer dans la spontanéité et réaliser des photographies chocs, inédites, témoignant de l'inattendue. Ces nouveaux photographes (Robert CAPA Margaret BOURKE-WHITE, Eugene SMITH) trouvent vite leur tribune dans les 6
magazines illustrés apparus à la fin des années 30 : Life et Look aux Etats-Unis, et Picture Post en Grande-Bretagne. La photographie témoigne donc depuis ses débuts des conflits de la planète. Si au début, la photographie de guerre ne servit qu'à l'archivage de certains aspects du combat, comme nous le verrons, elle participe aussi au combat contre les horreurs de la guerre. Par ailleurs, nous nous intéresserons à la figure du photographe de guerre (le photoreporter), ainsi qu'à l'évolution de la photographie de guerre dans une société inondée d'images.
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PREMIERE PARTIE : Représenter la guerre, des guerres pour exemples. « Jusqu'alors, l'homme ordinaire ne pouvait visualiser que les événements qui se passaient près de lui, dans sa rue, dans son village. Avec la photographie, une fenêtre s'ouvre sur le monde. »3 Avant cette fenêtre qu'est la photographie, une autre fenêtre permettait la représentation du monde : la peinture. Ce mode de représentation fut pendant de nombreux siècles, le mode de représentation majeur, avant que la photographie et le cinéma ne perturbent l'ordre établi. Bien entendu, la peinture a représenté le combat et la guerre —mais de quelle manière —en mettant en scène un héros et en présentant une mise en scène narrative. Pour affirmer cela, il nous suffit de regarder Le Passage du Rhin (1672)4 d'Adam-François VAN DER MEULEN ou encore La bataille d'Aboukir5 ( vers 1800) de Louis-François LEJEUNE. La question légitime que nous nous posons et que nous nous poserons dans ce dossier est la suivante : qu'apporte de plus la photographie à la représentation de la guerre. La réponse est simple, elle permet d'être au plus près, en montrant le quotidien et puis l'horreur. Une chose est sûre, grâce à son apparition, la peinture a évolué dans sa représentation de la guerre : Guernica 6(1937) de PICASSO et La guerre7 (1928-1931) d'Otto DIX en témoigne.
A/ Photographier la guerre avant 1939 Ici, nous ne sommes encore qu'au balbutiement de la photographie de guerre car celle-ci est encore tributaire de la technique. La représentation de la guerre nous semble alors partielle. Néanmoins, ces premiers reportages de guerre rapportent le courage des pionniers de la photographie de guerre. Ensuite, vient la guerre d'Espagne (1936-1939) où la photographie de guerre entre encore plus dans la modernité en comparaison avec la Première Guerre Mondiale (1914-1918), grâce aux évolutions techniques. 3 4 5 6 7
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Ibid. Citation de la page 102. Cf.Annexes. Cf.Annexes. Cf.Annexes. Cf.Annexes.
a) La guerre de Crimée (1853-1856) Dans l'Histoire de la photographie, quand on parle de la guerre de Crimée, on l'évoque comme le premier reportage de guerre de l'Histoire. De multiples photographes-témoins ont cherché à rendre compte par l'image de ce conflit qui opposa les Russes aux Anglais, aux Français, aux Turcs et aux Sardes autour de Sébastopol, mais le seul dont le nom reste sur nos lèvres est : Roger FENTON. Ce photographe britannique, ancien élève du peintre DELAROCHE (1797-1856) et portraitiste officiel de la famille royale s'enthousiasme à l'idée de rendre compte d'un conflit important pour sa nation — après autorisation de son roi et de sa reine, il part pour la Crimée, le 20 février 1855— chargé de cinq appareils pesant dans les quarante kilos et sept cent plaques au collodium permettant des prises de vue avec des poses de 3 à 20 secondes. Il rencontre très vite des problèmes techniques liés à la chaleur : les plaques sèchent avant d'être insérer dans l'appareil, or, le développement au collodium exige que la plaque soit encore humide. Malgré cela, il rentre au pays, malade, après trois mois et demi d'expédition avec trois cent soixante plaques qui seront exposés. Que montrent ses photographies ? En fait, elles ne montrent pas la guerre et son horreur, ni la mort. Elles témoignent uniquement de la vie quotidienne. On peut y voir alors les militaires, les officiers, les paysages de ruines mais aucun cadavre, ni de blessés. « Fenton se rapproche du théâtre de l'action et présente des scènes de bivouac et les champs de bataille. Mais on ne voit pas les combats, la technique ne le permettant pas […]. »8 Mais la technique est-elle la seule excuse de FENTON pour ne pas montrer la guerre. Selon Susan SONTAG dans Devant la douleur des autres : « le premier photographe de guerre, n'est rien de moins que l'envoyé « officiel », dépêché sur place début 1855, à l'instigation du prince Albert, par le gouvernement britannique »9. Cette idée souligne le fait qu'il s'agit en fait d'une commande et non d'une expédition faite sur le propre chef de FENTON. Ce dernier reçoit alors la consigne de ne pas montrer les horreurs de la guerre pour ne pas effrayer la population britannique : « Ayant reçu du ministère de la Guerre, la consigne de ne pas photographier les morts, les estropiés et les malades, et ne pouvant, du fait d'un matériel encombrant, s'attacher à d'autres thèmes, Fenton entreprit de rendre compte de la guerre comme d'une excursion […]. 10» Néanmoins, une seule photographie de Roger FENTON évoque la guerre et surtout les traces 8 REBICHON François, 2001, De la peinture à la photographie et inversement..., in : Voir, ne pas voir la guerre : histoire des représentations photographiques de la guerre, Paris : Somagy, citation de la page 41. 9 SONTAG Susan, 2003, Devant la douleur des autres, Paris, Christian Bourgois éditeur. Citation de la page 56. 10 Ibid. Citation de la page 56.
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qu'elle laisse derrière elle, il s'agit de The Valley of the Shadow of Death 11. Cette photographie, nous montre des boulets de canon dans une vallée, ce sont des objets de mort mais ce n'est pas la mort, ce n'est pas l'horreur, c'est l'après. L'après, voilà sur quoi se concentre ce premier reportage de guerre. Nous ne voyons que la périphérie. Pourtant, la représentation évolue très vite avec l'équipe de Matthew BRADY qui rendra compte de la guerre de Sécession. b) La guerre de Sécession (1861-1865) Cette guerre est considérée comme le premier grand conflit « couvert ». Selon François REBICHON, dans Voir, ne pas voir la guerre ; de nombreux photographes privés ou mandatés cherchent à en saisir les aspects, à l'exception du combat lui-même, mais parmi cette foule de photographes, certains se démarquent sous la tutelle de la figure de proue : Matthew BRADY. Figure emblématique de cette aventure photographique, Matthew BRADY est connu pour être un grand portraitiste de son époque notamment grâce aux photographies d'Abraham LINCOLN. Il ouvre son premier studio à New York en 1844 et le second en 1856 à Washington. Il revient de cette aventure qu'est la guerre de Sécession avec sept mille plaques, il devra attendre treize ans pour que le ministère de la Guerre s'intéresse à ces clichés. Sur le terrain, BRADY semble être le premier grand photoreporter, prêt à saisir les moments décisifs : « Il essaie d'être partout, de tout enregistrer. Il photographie sans aucune complaisance, paysages dévastés, officiers, soldats, blessés, cadavres, s'approchant aussi près qu'il le peut de la mêlée12 ». La différence avec Roger FENTON s'illustre ici, dans le fait, que BRADY ose montrer la mort, l'horreur de la guerre. Au point que le New York Times à l'époque déclarera que Matthew BRADY a « apporté à la maison la terrible réalité et la gravité de la guerre ». Quant aux membres de son illustre équipe, Alexander GARDNER et Timothy O'SULLIVAN, on remarque qu'ils témoignent de la volonté de montrer la réalité. Une des photographies les plus connues de cette guerre est celle de O'Sullivan intitulée, La moisson de la mort13, présente dans le livre, Gardner's Photographic Sketch Book of the war (1866) ; prise sur le champ de bataille de Gettysburg, elle représente des cadavres jonchant le sol. Deux grands thèmes iconographiques se dégagent alors de cette époque : 11 Cf.Annexes. 12 BORGE et VIASNOFF, Histoire de la photo de reportage, Paris, Nathan, p 16. 13 Cf.Annexes.
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en premier lieu, la photographie représente la vie quotidienne des armées, c'est-à-dire qu'elle s'attache à montrer les individus (du simple soldat au Général) ; dans un second temps, elle s'attaque à de nouveaux sujets et se met à dévoiler, les camps de prisonniers, les ruines et les cadavres sur le champ de bataille. La représentation de la guerre comme nous pouvons le voir dans l'exemple de l'équipe de Matthew BRADY dépend aussi de la liberté d'action du photographe. Cette liberté peut lui être enlevée comme pendant le conflit qui suit : la Première Guerre mondiale. Outre, une absence de liberté, la photographie de guerre bénéficie à cette période d'évolutions techniques et de l'émergence de la presse illustrée. c) la Première Guerre mondiale (1914-1918) « Après l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche à Sarajevo, toute l'Europe s'embrase en 1914. Puis les États-Unis entrent en guerre en 1917. 14» Si pour les deux conflits évoqués précédemment des noms de photographes se poser sur nos lèvres, il en est rien pour ce conflit. Les photographes deviennent anonymes et les amateurs se mettent à travailler pour la presse ou pour l'édition de cartes postales afin de montrer la vie quotidienne des populations. La presse organise même des concours (Le Miroir15) et commence à jouer un rôle majeur pour la photographie. En effet, à compter de 1904, la photographie de presse émerge vraiment, lorsque le Daily Mirror en Angleterre illustre ces pages uniquement avec des photographies. La presse s'emballe et décide de rendre compte du premier conflit mondial en images notamment dans des journaux comme L'Illustration (1843-1944). La question, que nous devons avoir en tête à la lumière de cette information est la suivante : de quelle manière la Première Guerre mondiale est représentée. À l'orée du conflit , l’État français décide de prendre la représentation de la guerre en main est créé le Service Photographique des Armées (S.P.A). Les rôles de la photographie sont définis le 1 er novembre 1915 par le lieutenant-colonel Dupuis : la propagande, l'Histoire générale et les archives historiques. Les photographes sont alors contrôlés, c'est-à-dire, qu'ils doivent avoir un visa d'habilitation et qu'ils dépendent du ministère de la Guerre. 14 REBICHON François, 2001, De la peinture à la photographie et inversement..., in : Voir, ne pas voir la guerre : histoire des représentations photographiques de la guerre, Paris : Somagy, citation de la page 49. 15 En mars 1915, Le Miroir lance le concours de la plus saisissante photographie de la guerre récompensé d'un prix de 30 000 francs à l'époque. Cf. SALLES Daniel, 22 déc.2014, Photographier la guerre [en ligne]. Disponible sur http://www.expositions.bnf.fr [consulté le 11 septembre 2014].
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Les photographies qui s'en échappent reposes sur une succession de clichés montrant la guerre comme un joyeux pique-nique. La mort est occultée et quand un cadavre est montré, c'est bien entendu celui de l'ennemi. « Chacun d'entre nous conserve dans son souvenir la photographie cliché du poilu revenant du combat , l'allure goguenarde, les souliers crottés de boue, les moments joyeux de pause, du casse-croûte au bord de la route, ou lorsque le soldat fabrique des objets avec des culasses d'obus, petits riens d'une vie guerrière somme toute heureuse : l'image type de propagande, où la guerre est « jolie. 16» » Par ailleurs, une modernité technique apparaît avec la miniaturisation des appareils qui débute à partir de 1898 avec l'invention du Kodak par George EASTMAN. Il s'agit en fait du premier appareil photo de poche dit à soufflet, le Folding Pocket Kodak. Le modèle de Folding, le plus célèbre de la Grande Guerre est le Vest Pocket. Cette miniaturisation des appareils se poursuivra jusqu'à nos jours. Pour finir, nous pouvons dire que la Première Guerre mondiale fait de la photographie, un instrument de propagande, de souvenir et d'archivage mais le grand oublié reste le photographe. L'importance du photographe se dessine par le conflit suivant, la guerre d'Espagne. d) La guerre d'Espagne (1936-1939) ou la première guerre d'images Ce conflit oppose le gouvernement républicain du Front populaire espagnol à une insurrection militaire et nationaliste dirigée par Franco. Pendant trente-deux mois, républicains et nationalistes vont s'affronter, jusqu'à reddition de Madrid sans conditions aux nationalistes, le 28 mars 1939 et la cessation totale des combats, le 1er avril 1939. Cet événement s'avère être un événement clé de l'Histoire et de l'histoire de la photographie. Elle fait rentrer le photojournalisme dans l'ère moderne. « La guerre d'Espagne est avant tout « visuelle » : c'est une guerre d'images et en images, dont la presse illustrée du monde entier va être le témoin essentiel. »17 Cette guerre entraîne une certaine frénésie des journaux et des magazines. La presse française et internationale envoient un nombre impressionnant de photographes et de journalistes. C'est pendant cette guerre que l'expression, « être au plus près du réel » prend tout son sens pour la photographie de guerre. 16 BLONDET-BISCH Thérèse, 2001, Vues de France, in Voir ne pas voir la guerre, Paris : Somagy, citation de la page 58. 17 FONTAINE François, 2003, La guerre d'Espagne : une guerre d'images, in Voir ne pas voir la guerre, Paris : Somagy, citation de la page 85.
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« En France, L'Intransigeant et Paris-Soir, les deux quotidiens du soir au plus large tirage ( 200 000 exemplaires pour le premier et 700 000 pour le second, en 1936), sont les grands gagnants de cette course à l'information. Ils ont tous les deux choisi d'affréter un avion particulier pour l'Espagne en guerre afin de se procurer les documents les plus exclusifs dans les délais les plus brefs. 18» Qui plus est, à cette époque, les magazines nous apparaissent plus vivants grâce à une mise en page originale et moderne (découpage, montage, superposition), ils se veulent plus sensationnels et saisissants. À l'image du magazine Regards, dont le numéro 148 du 11 novembre 1936, propose une double page sur le bombardement de Getafe (Sud de Madrid) où on trouve une photographie de neuf visages ensanglantés d'enfants, photographiée en gros plan. Un autre magazine dont nous parlerons plus en profondeur dans une autre partie, s'inscrit dans cette mouvance en voulant à tout prix, nous présenter ces stories,c'est Life. Comment les photographes arrivent-ils à être au plus près ? La miniaturisation des appareils se poursuit avec l'apparition du Leica et du Rolleiflex, ces deux appareils permettent une plus grande liberté et participent tout comme la presse illustrée au mythe du photoreporter. Le mythe du photoreporter se dessine avec la guerre d'Espagne et son photographe majeur, Robert CAPA, nous reviendrons sur ces sujets plus tard. Quelles sont donc alors les différences entre les photographes de la guerre d'Espagne et les pionniers de la photographie de guerre ? Outre la miniaturisation des appareils, ces photographes apparaissent engagés et plus seulement spectateurs, mais la grande avancée dans cette guerre repose sur la reconnaissance du statut de photoreporter. C'est-à-dire qu'à l'inverse du conflit précédent, les photographies sont signées. La liberté et l'engagement du photographe prennent encore plus de profondeur dans le conflit suivant : la guerre du Vietnam. Cette guerre aura une influence majeure dans l’exercice de la photographie de guerre, par la suite.
B/ Photographier la guerre après 1939 Nous sommes après la guerre d'Espagne, grâce aux évolutions techniques et surtout à l'apparition des nouveaux appareils, le cadre de la photographie de guerre est posé. La photographie explore alors de nouvelles perspectives, la propagande lors de la Seconde Guerre mondiale et la dénonciation par l'image avec la guerre du Vietnam. 18 Ibid. Citation de la page 86.
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a) La Seconde Guerre mondiale (1939-1945) « Dans cette guerre, chaque armée à son service photographique et les magazines veulent montrer le spectacle des manœuvres et des combats : chaque camp assigne aux photographies un emploi démonstratif. Différents procédés sont alors utilisés pour cette démonstration comme le montage, la séquence, le gros plan, la contre-plongée. 19» Dans le cadre de la guerre 39-45, la photographie repose sur la propagande, aussi bien pour le camp allemand, que pour le camp français. En Allemagne, GOEBBELS définit même le rôle de l'art : « Mettre la photographie et les arts graphiques au service de la cause allemande 20». Les services photographiques allemands envoient sur le terrain des photographes habilités, armés de Leica. Ces photographes sont alors surnommés les « P.K » car ils appartiennent à des Propaganda Kompanien. Les missions des photographes engagés sont simples : montrer le bon moral des troupes et montrer aux autres pays la puissance de l'armée allemande .L'armée allemande contrôle aussi la presse en décidant des images autorisées à la publication dans le magazine Signal, édition spéciale du Berliner Illustrierte Zeitung. Ce magazine n'a pas d'équivalent français. Il sortait chaque semaine des pages couleurs à partir de 1941. En dernier lieu, il est important de préciser que la photographie participe largement au culte de la personnalité d'Hitler. Quant à la France, la photographie de guerre connaît trois temps pendant cette période : dans un premier temps, le Grand Quartier général se charge de donner les autorisations aux agences de photographier la guerre, la censure est alors draconienne ; ensuite, lors de l'occupation allemande sous le gouvernement de Vichy, la photographie, au même titre que l’État français se met au service de l'idéologie nazie ; enfin, le Service photographique de la France libre participe à la glorification du sauveur, le Général de Gaulle. Pour conclure, cette brève évocation de la photographie de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale, je tiens à spécifier que la propagande n'est pas le propre des deux conflits mondiaux de l'Histoire et concerne bien d'autres conflits : la guerre d'Indochine, la Corée, les Malouines et le Kosovo.
19 THIELLAND Olivier, 2005, Photographier la guerre, Mémoire de fin d'études, p 23. 20 GOEBBELS souligne le rôle de l'art en 1933 lors de son discours d'ouverture de l'exposition Die Kamera.
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b) La guerre du Vietnam (1955-1975) L'intervention américaine débute en 1965. Cette guerre est la première guerre filmée et photographiée de l'Histoire, mise sous les feux des projecteurs mondiaux, elle marque profondément l'imaginaire du monde occidental. Si ce conflit a marqué le monde, c'est le fait de la grande liberté des photographes. Celle-ci est permise par le président JOHNSON qui assure une liberté aux journalistes sur le terrain et facilite l'exercice de leur métier. La liberté entraîne une mobilisation massive. De nombreux photographes tiennent à couvrir ce conflit, dont Larry BURROWS, Don McCULLIN et Nick UT. Ici tout est autorisé, la seule censure est celle du photographe lui-même. De ce fait, cette liberté produit des images fortes comme celle de la petite Phan Thi Kim Phuc brûlée au napalm de Nick UT. Certaines de ces images montrent aussi l'horreur du sang. Les images dures apparaissent alors dans les pages des magazines comme Life, selon ce magazine ; ces images sont nécessaires pour faire prendre conscience des réalités par la population. Par leur âpreté, ces images apportent un impact négatif sur l'opinion publique américaine et sur les populations du monde entier ; elles seront même accusées d'avoir participé à la défaite américaine. Avec cette guerre, la photographie s'assigne la tâche de critiquer la guerre et élabore en somme une propagande anti-guerre. Cette liberté gagnée n'existe plus à l'heure d'aujourd'hui, « une cécité imposée par les militaires et les politiques 21», c'est mise en place.
21 GERVEREAU Laurent, Montrer la guerre ? Information ou propagande, Paris, Scérem CNDP, citation de la page 9.
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Illustration 1 : La petite Phan Thi Kim Phuc brûlée au napalm, Trang Bang, Sud-Vietnam, 8 juin 1972, Nick Ut.
L'histoire d'une photographie : La petite Phan Thi Kim Phuc de Nick UT Qu'est devenue la petite Phan Thi Kim Phuc plus de quarante ans après cette photographie ? Cette photographie a fait d'elle un personnage familier pour des millions de personnes. Quelle place donne Phan Thi Kim Phuc, mère de famille, à cette photographie dans sa vie ? Phan Thi Kim Phuc est toujours là, elle a quitté le Vietnam pour le Canada. Longtemps, elle n'a pas voulu parler de cet événement du 8 juin 1972, à l'âge de 9 ans ; ce bombardement au napalm la brûle profondément et manque de lui coûter la vie. L'éternelle « fille de la photo » a fait finalement un choix, celui de devenir, une ambassadrice de la paix. Depuis lors, la dame qu'elle est maintenant, a fondé une association pour aider les enfants victimes des guerres, a fait le tour du monde pour rencontrer les chefs d’État et les activistes, dans l'unique but de diffuser son message de paix. Si elle est l’héroïne de la photographie, il ne faut de même pas oublier l'autre héros, l'homme derrière l'appareil : Nick UT. Né dans le delta du Mékong, il n'a que 21 ans à l'époque des faits et n'est même pas photographe de formation. Il est embauché par Associated Press à la suite du décès de son frère aîné, photographe à l'agence. Le 8 juin 1972, de nombreux photographes dont Nick UT se poste sur la route 1 de Trang Bang et assistent avec horreur à l'événement : deux avions de l'armée sudvietnamienne, croyant viser un repaire de Viêt-congs, bombardent une pagode abritant ses propres soldats et des civils. Et puis dans la fumée, des silhouettes humaines se précipitent vers les journalistes et les photographes pour obtenir de l'aide. À cet instant, alors que la plupart des photographes rembobinent leur Leica, Nick Ut prend cette photo. La photographie devient la représentation de la folie de la guerre, de cette guerre. En à peine quelques jours, elle fait la « une » 16
des journaux et provoque la colère des opposants à la guerre. Elle embarrasse aussi le président NIXON qui soupçonna même à l'époque que la photo était truquée. Par la suite, cette photographie remporte de nombreuses récompenses dont le prix Pulitzer.22
c) L'après Vietnam : les Malouines et le Golfe Les guerres suivantes sont appelées bien souvent les guerres sans images, du fait que le laisserfaire visuel du Vietnam n'est plus de mise. « Ces guerres sans images nous reportent en arrière dans des figurations de la périphérie et des traces. 23» Depuis les conséquences du Vietnam sur l'opinion publique, les États contrôlent tout à nouveau. En effet, les reporters sont maintenus à distance des conflits afin d'éviter la diffusion des images pouvant choquer l'opinion publique, et les images sont largement surveillées par les services de presse aux armées. On parle même de mise en scène de la guerre. « Ils organisent des « pods », la presse américaine étant bien entendu majoritaire, où ils invitent des correspondants sélectionnés dans des mises en scène caricaturales censées figures les « bonnes heures » du conflit.24 » Les guerres comme les Malouines et le Golfe proposent donc un retour en arrière dans la représentation de la guerre. C'est-à-dire que les images montrent la périphérie, la puissance matérielle des armées, et non l'horreur.
22 COJEAN Annick, La fille de la photo sort du cliché [en ligne]. Disponible sur http://www.lemonde.fr [consulté le 28 septembre 2014]. 23 MORVAN Yan, 2001, Des Malouines au Kosovo, in Voir ne pas voir la guerre, Paris : Somagy, citation de la page 157. 24 Ibid. Citation de la page 162.
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DEUXIEME PARTIE : Représenter le photographe de guerre, son mythe. « L'homme du jour, le héros, le ténor de l'actualité, c'est le photographe qui mérite amplement la vedette. […] Quand le ciel déchaîne la tempête, quand la terre tremble, quand les cratères s'enflamment et que les gens terrifiés, courent hagards et blême vers un salut incertain, lui ferme, au milieu de la commotion générale, garnit son Kodak et s'en va, pour l'édification et l'instruction du monde prendre des vues de ces spectacles grandioses dans leur terrible déploiement. 25» Cette citation de Maurice LETELLIER issue de L'impassible photographe (1910) montre que le reporter-photographe est un être adulé et prouve l’avènement lointain de cette nouvelle profession. Cet avènement a été rendu possible par la presse illustrée, la miniaturisation des appareils (Kodak et Leica) et le besoin croissant d'images. À partir de cet instant, la légende commence et ne cesse plus de prendre de l'ampleur au cours du XXe siècle.
A/ Un métier hors du commun Dans notre esprit, cette profession hors-normes suscite la curiosité du fait de la forte présence du danger dans son exercice. Le photoreporter risque sa vie pour informer de ce qu'il se passe dans un pays en guerre. Le lot du photographe de guerre apparaît alors être la mort, les blessures physiques et les blessures mentales. L'individu qui exerce ce métier doit donc avoir de nombreuses qualités : le courage, la débrouillardise et une bonne condition physique. Qui plus est, l'image du héros contemporain du photoreporter est largement entretenue par les autres arts, notamment la littérature et la bande dessinée (avec la figure du Tintin d'Hergé). Il est donc un être magnifié mais la vraie question à se poser est la raison d'un tel engagement. « Gilles côtoie la mort pour servir son idéal : témoigner, encore témoigner. Pensait-il que dévoiler l'horreur au grand public pouvait contribuait à la faire reculer ? Avait-il réellement conscience de risquer sa vie pour chercher des photos qui donnent le frisson ? 26»
25 CHEROUX Clément, 2001, Mythologie du photographe de guerre, in Voir ne pas voir la guerre, Paris : Somagy, propos de LETELLIER Maurice cité page 307. 26 HENROTTE Hubert, 2005, Le monde dans les yeux, Paris : Hachette Littérature, citation de la page 28.
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« Notre travail consiste à tout consigner pour l'Histoire.27 » Il semble y avoir trois raisons fondamentales à cet engagement : le témoignage pour l'humanité, le rétablissement de la vérité et pour certains photographes, le goût du risque. Si des éléments ont servi à la constitution du mythe comme nous le verrons, il est important de se poser la question suivante : qu'en reste-t-il ? Que signifie être photographe de guerre de nos jours. Le mythe continue d'exister malgré un bon nombre de difficultés. Les photoreporters de guerre survivent grâce à la passion de leur métier, en dépit des inégalités qui peuvent exister entre les photographes. Selon Olivier THIELLAND: « Il y a autant de contrat que de photographes ». En effet, de nombreux statuts existent : indépendant, auteur ou journaliste. Les photographes d'agences (comme Sygma, Gamma et Sipa) peuvent nous sembler mieux lotis car ils sont payés en salaires sur les revenus de leurs ventes en France et en droit d'auteur sur leurs ventes à l'étranger, mais il n'en est rien. La vérité est que le mythe est en crise pour différentes raisons : l'hégémonie de la télévision qui écrase la photographie de guerre : l'apparition de la télévision à largement modifier le rapport à l'image ; la seconde raison est le fruit de la première : la crise de la presse écrite à cause de la baisse du lectorat et l'évolution de cette dernière pour attirer à nouveau les lecteurs ; l'hégémonie de la presse people qui efface les sujets de société comme les guerres ; la récente inaccessibilité aux conflits : née aux Malouines, ce contrôle des états-majors pose la question de l'objectivité ; le danger des groupes religieux extrémistes semble par ailleurs être aujourd'hui la plus grande menace pour les journalistes ; le dernier élément d'angoisse pour les photographes est la réactualisation du marché de la photographie en partie à cause d'Internet28. Pour Jean-François LEROY, organisateur du festival Visa pour l'image de Perpignan : « ce n'est pas le photojournalisme qui est malade, c'est la presse. » 29 En effet, le photojournalisme a toujours susciter des vocations, par exemple en 1996, 1385 photojournalistes possèdent la carte de presse. 30 Face à ces difficultés, les photoreporters doivent trouver de nouvelles solutions pour la survie du 27 THIELLAND Olivier , 2005, Photographier la guerre, Mémoire de fin d'études, propos de Philip Jones-Griffiths cité page 39. 28 Les nouvelles perspectives de diffusion et de la vente à destination des particuliers permissent par Internet, menacent d'une certaine manière les photographes quant aux droits qu'ils ont sur leurs images. 29 Ibid. Propos de Jean-François Leroy cité page 44. 30 AMAR Jean-Pierre, 2000, Le photojournalisme, Paris : Nathan, propos de la page 91.
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photojournalisme. « Animés par leur passion, les photographes explorent de nouvelles voies. Le photojournalisme est bien « à la croisée des chemins ». C'est à lui d'inventer son avenir pour continuer de raconter le monde. 31» Pour la survie, les photographes empruntent alors des chemins de traverse, compte tenu du fait que la presse ne commande plus, ils se tournent notamment vers les ONG (Organisations non gouvernementales qui leur assurent une présence sur le terrain), les bourses et les prix. L'autre tendance du photojournalisme est de s'orienter vers le monde de l'art, c'est-à-dire que l'élaboration d'expositions ou d'ouvrages d'édition d'art apparaît comme de nouveaux débouchés pour les photographes (par exemple James NACHTWEY), mais cette tendance est largement critiquée, selon certaines personnes, les photographes oublient leur « vocation première d'informer, de témoigner, de donner un point de vue sur le monde 32 ». À côté de ces solutions, deux méthodes existent : la communication globale, c'est-à-dire une information orientée vers la fast information — l'apanage des chaînes d'information en continu — ou un retour à une manière plus ancienne de travailler, ce qui signifie pour François HEBEL, ancien directeur de Magnum, de prendre son temps en s'intéressant à l'après. « Une nouvelle voie a été ouverte par des reporters moins pressés, pour beaucoup moins intéressés. Ils sont une poignée qui depuis une dizaine d'années entreprennent des projets à long terme. Ils affirment un style fort et un point de vue, refusent une prétendue objectivité et développent une grande proximité avec leurs sujets. 33» Quels sont les événements majeurs qui ont permis à ce mythe aujourd'hui en crise d'exister ? Certains conflits ont marqués l'histoire du mythe du photoreporter comme la guerre d'Espagne et la guerre du Vietnam, de plus, les améliorations techniques avec la miniaturisation des appareils et la figure mythique du photoreporter incarnée par Robert CAPA ont contribué à l'image du mythe.
B/ Du métier au mythe : des conflits et des légendes qui participent au mythe «Aucune de ces photos n'était signée par leurs auteurs et le statut du photographe fut considéré pendant un demi-siècle comme inférieur, comparable à celui d'un simple serviteur auquel on donne des ordres, mais qui n'a aucune initiative. Il fallait une tout autre race de 31 COLO Olivia, ESTEVE Wilfrid, JACOB Mat, 2005, Photojournalisme à la croisée des chemins, Paris : Marval Éditions. Citation de la page 5. 32 Ibid.Citation de la page 86. 33 Propos d'HEBEL François, ancien directeur de Magnum.
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reporters photographes pour donner à cette profession du prestige. 34» a) Des conflits : l'Espagne et le Vietnam ● La guerre d'Espagne donne jour au photoreporter moderne même si le métier existe bien avant cet événement. En fait, à cette époque, le métier connaît des évolutions techniques sans précédent : dans un premier temps, l'apparition d'appareils photo légendaire (le Rolleiflex et le Leica), puis ; l'apparition de pellicules de plus en plus sensibles. Ces évolutions font gagner de l'autonomie et de la liberté aux photographes dans la couverture des événements. Ils s'approchent désormais au plus près. De plus, les photoreporters sont enfin reconnus par les magazines, c'est-à-dire que l'anonymat n'est plus de mise. « C'est au cours de la guerre d'Espagne que le reporter — surtout s'il a le statut d'envoyé spécial — voit apparaître de plus en plus souvent son nom à la « une » des quotidiens et en couverture des magazines. 35» À l'inverse des autres reportages qui étaient fondés sur les expéditions (Crimée) et la propagande (Première Guerre mondiale), dans le conflit espagnol, les photographes sont pour la première fois engagés. « Il va de soi que les correspondants présents dans chacune des deux zones sont « marqués politiquement » et font preuve bien souvent, de leurs sympathies agissantes. 36» Certes ce conflit marque le début du mythe du photographe de guerre mais il est aussi caractérisé par le danger et les risques pris par les photographes. De nombreux photographes perdent la vie dans l'exercice de leur métier. On peut ici citer comme exemple Gerda TARO. Pour finir, nous pouvons dire que cette guerre symbolise le passage de la simple documentation au grand reportage de guerre. ● La guerre du Vietnam symbolise l'apogée de la profession. Ce conflit est très important pour l'histoire des photoreporters. Il marque par la violence des images et l'engagement des photographes. On peut parler d'une fièvre de l'information, vu le nombre de photographes présents sur le terrain. « À la fin de l'année (1965), environ 250 reporters dont 131 Américains, se trouvent au 34 FREUND Gisèle, 1974, Photographie et société, Paris : Seuil. Citation de la page 105. 35 FONTAINE François, 2003, La guerre d'Espagne : une guerre d'images, in Voir ne pas voir la guerre, Paris : Somagy. Citation de la page 87. 36 Ibid.Citation de la page 88.
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Vietnam. Dés lors, leur nombre va croître parallèlement à celui des troupes, atteignant 175 Américains fin 1966, 179 en janvier 1968 […].37 » Qui plus est, le président JOHNSON assure le libre accès au terrain aux photographes et aide à l'exercice du métier grâce à la création du Joint United States Publics Affairs Office. Ce service autonome dépend du seul ambassadeur de Saïgon. Son rôle est de fournir les informations officielles et d'assurer les contacts avec la presse. Ce service se charge aussi du transport des journalistes dans le pays à l'époque, sans imposer de réelle censure. Cette absence de censure explique l'engouement des reporters pour couvrir cette guerre. Tout comme lors de la guerre d'Espagne, le photographe apparaît prêt à tout pour témoigner, informer et faire la bonne photographie, même prêt à mourir. D'ailleurs, d'illustres photographes y laisseront la vie : Larry BURROWS et Gilles CARON. En conclusion, le nombre de photographes, qu'il s'agisse de l'Espagne ou du Vietnam, la concurrence qui existe entre eux, la liberté d’exécution, la mort de grands noms et la violence des clichés participent à la légende du métier de photoreporters. b) Un appareil mythique : le Leica Pour la plupart des photojournalistes, le Leica est la seule arme contre la guerre, mais c'est aussi un moyen de protection. L'appareil photographique est bien le seul bouclier du photographe face à l'horreur. « L'usage de l'appareil photographique était presque un soulagement. Il intercalait une mince barrière entre moi et l'horreur. 38» En quelques décennies, cet appareil est devenu la Roll Royce des appareils photographiques, il est un objet de culte et de collection, notamment grâce à des personnalités politiques et des photographes. Quelle est donc l'histoire du succès du Leica ? Le premier voit le jour en 1913. Il est le fruit du travail de l'inventeur allemand, Oskar BARMACK, alors ingénieur pour la firme Leitz à Wetzlar, près de Francfort. On parle de l'appareil des temps modernes, de petit format (24 x 36 mm), il permet la prise de vues en lumière réduite et en pose instantanée. Commercialisé après la Première Guerre mondiale, il connaîtra de nombreuses modifications, par exemple en 1925, il permet de réaliser 36 photos. Sa réussite tient avant tout sur 37 PORTES Jacques, 2001 , Indochine, Corée, Vietnam, in Voir ne pas voir la guerre, Paris : Somagy. Citation de la page 144. 38 CHEROUX Clément, 2001, Mythologie du photographe de guerre, in Voir ne pas voir la guerre, Paris : Somagy. Propos de Margaret Bourke-White cité page 307.
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la qualité de ses objectifs qui permettaient de tirer des agrandissements de grand format à partir de petits négatifs. En 1954 ; il connaît ses modifications majeures : baïonnette pour objectifs interchangeables, viseur à cadre lumineux avec lignes de délimitation de l'image en fonction des focales, molette de réglage des vitesses d'obturation et dos ouvrant permettant un armement rapide. Il se nomme alors le M3 et apparaît être l'outil parfait du photojournaliste. Ses atouts pratiques sont : sa résistance, sa légèreté et sa taille. Grâce à cela, de nombreux photographes donneront ses lettres de noblesse à cet appareil, dont Henri CARTIER-BRESSON, Jane Evelyn ATWOOD et Robert CAPA. « Le leica est un bloc-notes rapide, discret et pas plus grand que la main.39 » c) Robert CAPA, un destin au service du mythe
« Si les professions de photojournaliste et de photographe de guerre sont devenues mythiques, c'est aussi grâce aux hommes qui risquaient leur vie en couvrant les guerres aux quatre coins de la planète. 40» Personnage mythique, Robert CAPA a marqué de manière définitive le photojournalisme. Son travail, ses photographies, son courage mais aussi sa vie participent à sa légende. De son vrai nom Endre Erno FRIEDMAN, il naît le 22 octobre 1913 à Budapest (Hongrie). En juillet 1931, il s'inscrit à Berlin à la Hochschule fur Politik, pour étudier le journalisme. Il quitte l'école et obtient un poste d'assistant à la Desphot, une agence de photojournalisme, fondée en 1928 par un de ses compatriotes, Simon GUTTMAN. Il y devient très vite apprenti-photographe. Avec la montée du nazisme, il est contraint de quitter l'Allemagne pour Paris en 1933. Là-bas , Endre devient André. En 1934, il rencontre Gerda POHORYLLE, plus connu sous le nom de Gerda TARO. C'est sous son influence qu' André FRIEDMAN devient Robert CAPA. Elle crée le personnage, dessine son costume, sa coiffure et toute son allure. Le personnage naît au printemps 1936, alors que les ventes se font rares, André et Gerda utilisent un subterfuge, Robert CAPA. Gerda propose les photographies d'André FRIEDMAN sous le nom de Robert CAPA, c'est un succès. Ce pseudonyme lui apporte une portée internationale car il est prononçable dans toutes les 39 Propos de Henri CARTIER-BRESSON. 40 THIELLAND Olivier, 2005, Photographier la guerre, Mémoire de fin d'études, citation de la page 52.
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langues. CAPA va s'en servir avec génie. Sa légende se dessine avec la guerre d'Espagne, une photographie (La mort du milicien espagnol), et la création de l'agence Magnum dont il devient le président en 1947. « Mais la vie reste difficile. Alors, en ce printemps 1936, pour forcer le destin André s'invente une alter-ego, Robert Capa. Américain,riche et célèbre et photographe, Capa doit assurer la bonne fortune de ses images. L'Amérique se vend mieux, pense-t-il, qu'un exilé hongrois.[...]. La légende est en route. 41» Dès le 5 août 1936, CAPA et sa compagne, Gerda TARO, envoyés en Espagne par le rédacteur en chef de Vu, Lucien VOGEL ; commencent à photographier les combats. Là-bas, le 5 septembre 1936, CAPA réalise la photographie illustrant ce conflit. Cette image mythique suscitera de nombreux doutes pendant plus de 30 ans. En effet, à cette époque, le couple TARO et CAPA pratiquent comme de nombreux photographes la mise en scène de la guerre, mais pour Gisèle FREUND; cette image est vraie. Publiée pour la première fois par la revue française Vu , CAPA y capte un moment insaisissable et devient un modèle pour tous les photographes par cette photographie. « Après l'Espagne, la légende ne s'arrête plus. La Chine, l'Afrique du Nord, l'Italie, Omaha Beach et Berlin, il est de tous les fronts. La paix chez Capa est une escale. 42» Il apparaît alors comme un des premiers photographes engagés qui aime le goût du risque. Il se plonge surtout sans concessions dans l'exercice du métier à la suite du décès de sa compagne. Gerda TARO meurt en Espagne, le 25 juin 1937. À la suite de cet événement, CAPA s'enferme soi-disant dans le désespoir, l'alcool, il ne peut rester sans rien faire et retourne à la guerre notamment en Extrême-Orient. Selon Ingrid BERGMAN, qui fut une de ses nombreuses conquêtes : « Jamais sa peur ne sera plus forte que son désir de danser avec la mort. 43 » Peut donc dire alors que CAPA est en quelque sorte suicidaire. Les témoignages nous disent le contraire. Il aime la vie, les jeux, les femmes et l'alcool, c'est juste que pour en jouir pleinement ; il doit s'approcher le plus près possible du danger. Il incarne merveilleusement l'archétype du photographe de guerre, à tel point que le Picture Post le sacre de son vivant, le 3 décembre 1938, « le plus grand photographe de guerre ».
41 AMAR Marianne, 2001, Les routes sensibles de Capa, in Voir ne pas voir la guerre, Paris : Somagy. Citation de la page 91. 42 Ibid. Citation de la page 91. 43 Propos d'Ingrid Bergman, mentionnés dans le film : Robert Capa, l'homme qui voulait croire en sa légende, 2004 ; Patrick Jeudy.
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En dehors des photographies de la guerre d'Espagne, il est aussi connu pour les images du débarquement sur Omaha Beach. À l'époque le magazine Life envoie six photographes : Robert CAPA, Bob LANDRY, Ralph MORSE, George RODGER, David SCHERMAN et Frank SCHERSCHEL. CAPA embarque avec la compagnie E dans un secteur dénommé Easy Red. Il saisit tout, mais une erreur de manipulation au laboratoire, ne nous laisse que 11 photos utilisables. Grâce à ces photographies sauvées, le jour J reste en notre mémoire. En outre, CAPA correspond parfaitement par son allure, à la définition de Hervé MILLE : « Le photographe était un véritable gentleman. » C'est pour ces raisons que CAPA a donné une image d'envergure au métier de photographe de guerre. Il reste un exemple pour beaucoup. Il meurt au combat, le 25 mai 1954 en Indochine, en sautant sur une mine, l'appareil photo à la main. « Si tes photos ne sont pas assez bonnes, c'est que tu n'est pas assez près.44 »
Illustration 2 : La mort d'un milicien espagnol,1936, Cordoue (Espagne), Robert CAPA.
L'histoire d'une photographie : La mort d'un milicien espagnol par Robert CAPA. 44 Propos de Robert Capa.
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À l'époque des faits, cette photographie provoque une sensation de jamais vu et suscite pour cette raison et de nombreuses autres, de sérieux doutes quant à son authenticité. L'absence de négatif, les contradictions successives dans les explications de CAPA et l'impossibilité d'identifier le soldat, épaississent le mystère. En 1937, Robert CAPA s'explique au World Telegram de New York. Il s'est soi-disant trouvé seul avec ce milicien sur le front de Cordoue, lorsque soudain, les mitrailleuses tirent et CAPA déclenche. Il saisit l'homme qui tombe, les bras écartés. CAPA affirme qu'il était seul. Il prétend que le milicien aussi était seul. Sauf que la séquence de son appareil prouve le contraire. Une autre photographie quasi similaire à la première, montre un autre homme tombant à la renverse, double parfait du précédent. Sur la date et le lieu, CAPA dans son journal de bord ne mentionne rien. Selon des journalistes anglais des années 70, il s'agit d'une mise en scène pour la propagande. De nos jours, nous connaissons enfin l'identité du milicien, c'est Federico Borell GARCIA, originaire d'Alcoy. Il est mort près de Cerro Muriano, probablement le 5 septembre 1936. Néanmoins, une partie du mystère reste là, car à l'inverse d'autres photographies, Robert CAPA, nous donne peu d'informations dans son journal de bord. Cette photographie publiée pour la première fois dans Vu (le 23 septembre 1936) puis un an plus tard dans Life, illustre parfaitement la définition de ce qui fait une bonne photographie selon Hubert HENROTTE dans Le Monde dans les yeux : « Une bonne photographie de magazine doit relater un événement, mais aussi l'enrichir, contribuer à l'approfondir et l'expliquer aux gens, et supporter l'épreuve du temps : si forte et si parlante qu'elle sera encore utilisée bien après l’événement.45 »
45 HENROTTE Hubert, 2005, Le monde dans les yeux, Paris : Hachette Littérature. Citation de la page 48.
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TROISIEME PARTIE : La photographie et la société. « Aujourd'hui , tout le monde est subjugué par les images électroniques de toute actualité, transmises instantanément. Les magazines les découvrent en même temps que celles de la télévision. On est en admiration, mais cela ne pourra pas durer éternellement. Il y a en ce moment une lecture de l'image qui est complètement dévoyée. Ce n'est pas une solution en termes journalistiques. Il y aura un retour aux sources, par un besoin de sincérité, de vérité, de profondeur. Actuellement, on ne jure que par l'image choc, consommable immédiatement et aussitôt remplacée par une autre du même type. Mais il va falloir revenir à un mode de réflexion. 46» Hier encensée, la photographie de guerre est de nos jours remise en cause. Nous devons réfléchir sur l'impact de la photographie de guerre sur la société ainsi que sur les problèmes et les désagréments qu'elle entraîne.
A/ Impact sur la société Par quels moyens, la photographie de guerre espère-t-elle agir sur les consciences. Essentiellement grâce au rôle des relais de la photographie. Si la société peut se sentir concerné par la guerre grâce au pouvoir de la photographie, c'est avant tout par les véhicules moteurs que représentent les magazines et les agences. « Une guerre dont il existe des photographies devient « réelle ». 47» a) Les médias : une agence, Magnum et un magazine, Life ● Avant Magnum, à cause de l'utilisation de photographies par la presse, les photographes indépendants passent nécessairement par les agences de photos, sorte d'intermédiaires entre producteurs et acheteurs de l'image. Cette situation confère aux agences une position stratégique dans la reconnaissance de la photo comme média d'information sur les guerres. Bien que Magnum provoque une révolution dans le photojournalisme, il ne s'agit pas de la première agence photo de 46 Ibid.Citation de la page 281. 47 SONTAG Susan, 2003, Devant la douleur des autres, Paris, Christian Bourgois éd.. Citation de la page 112.
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l'Histoire. La première agence est fondée aux Etats-Unis par Georges GRANTHAM BAIN en 1898, la Montauk Photo Concern. Pendant longtemps, le photographe n'a aucun moyen de contrôle sur les ventes de ses photographies. Les photographes sont en fait exploités par les agences. Face à cette exploitation, des photographes décident de créer leurs propres agences, à l'image de Robert CAPA. Il réalise ce projet le 22 mai 1947 avec de nombreux confrères dont Henri CARTIER-BRESSON, David « Chim » SEYMOUR, George RODGER et William et Rita VANDIVERT. Tous achètent des actions en parts égales. Avec les années, le groupe grossit : Marc RIBOUD et Raymond DEPARDON, par exemple. Grâce à la création d'une telle agence, les photographes sont maintenant propriétaires de leurs négatifs, ils assurent ainsi leurs droits et leur liberté d'action. En reprenant le pouvoir sur leurs images, ces photographes souhaitent exprimer leurs sentiments et leurs idées sur les problèmes de leur époque. Magnum marque donc une volonté d'engagement et de témoignage. «Pour ce groupe de photographes, la photographie n'était pas seulement un moyen de gagner de l'argent. Ils voulaient exprimer à travers l'image, leurs propres sentiments et leurs idées sur les problèmes de leur époque.48 » Pour Michael IGNATIEFF, auteur du livre Magnum : « Un photographe de Magnum doit réaliser des images qui nous invitent à prendre du recul, à nous arrêter quelques instants, à réfléchir et à reconsidérer notre culture qui dévore les images dans ce véritable fast-food visuel49 ». La mission d'agences de ce type est de marquer les esprits grâce à des photos impossibles à oublier, à l'image de La mort d'un milicien espagnol de CAPA ou encore de la photographie de Marc RIBOUD, lors de la marche sur Washington. La photographie apparaît être une arme dans la bataille de la mémoire contre l'oubli. Qui plus est, ces agences permettent l'éducation de la société sur ce qui se passe dans le monde, et si elles parviennent à toucher par leurs photographies, les illustrés n'y sont pas étrangers. ● Les magazines nous donnent connaissance des images prises par les photographes de guerre. Ce sont eux qui choisissent les photographies qui paraissent. Par leur rôle de diffuseur, ils jouent un rôle important dans l'impact que les photographies ont sur la société, même si maintenant, le lecteur peut passer par d'autres médias pour voir ce type de photographies. Le magazine Life est un symbole et possède diverses équivalents dans différents pays, par 48 FREUND Giséle, 1974, Photographie et Société, Paris, Seuil. Citation de la page 154. 49 Magnum, préface de Michael IGNATIEFF, 2000, Londres, Phaidon, p.52 et p.58.
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exemple, Paris-Match en France. Sans ce type de presse, la photographie ne serait pas reconnue de la même manière. Pourquoi Life est-il différent des autres magazines ? Le premier numéro paraît le 23 novembre 1936. Avant Henry R.LUCE, son créateur avait déjà fondé le magazine Time en 1929, puis, au moment de l'assassinat du roi Alexandre de Yougoslavie à Marseille en 1934 ; il décide de faire un supplément photographique à Time. Face au succès, il à l'idée de publier un magazine d'information qui repose essentiellement sur l'image. Life voit le jour. « Le premier numéro paraît le 23 novembre 1936. Tiré à 466 000 exemplaires, il dépasse un an plus tard le million pour être tiré à plus de huit millions en 1972.50 » À l'époque, ce magazine est un projet novateur à cause de la primauté de l'image. Raconter des histoires en séquences de photographies signées de grands noms semble être une idée séduisante. Avec l'évolution de l'imprimerie, ce magazine bénéficie d'une reproduction sur papier couché et d'une mise en page novatrices. La rédaction par la pluralité des sujets (actualité, histoire, art, sciences, musique, livres) met tout en œuvre pour plaire au plus grand nombre et dispose à cet effet d'un budget conséquent pour couvrir les événements grâce à l'argent de la publicité. « Voir la vie, voir le monde, être témoin des grands événements ; observer le visage des pauvres et le geste des puissants, voir l'étrange : machines, armées, foules, ombres dans la jungle et ombres sur la lune ; voir le travail de l'homme : ses peintures, ses tours et ses découvertes ; voir des choses cachées derrière des murs et des chambres, des choses dangereuses qui apparaissent ; voir et prendre du plaisir à voir ; voir et être envahi ; voir et apprendre ; ainsi, voir et être montré sont-ils maintenant le vœu et la nouvelle attente de la moitié du genre humain. 51» Pour trouver la ligne éditoriale qui plairait au plus grand nombre et susciterait la curiosité des lecteurs, il fallut des mois à Henry R.LUCE. Pour Giséle FREUND, il se voulait éducateur des masses, du fait qu'à l'époque en question, la photographie est perçue comme une reproduction exacte de la réalité. « Le monde qui se reflétait dans Life était plein de lumières avec un peu d'ombres. En somme, c'était un pseudo-monde qui inspirait de faux espoirs aux masses. Mais il est aussi vrai que Life a vulgarisé les sciences, ouvert des fenêtres sur des mondes inconnus alors, éduqué les masses à sa façon, et contribué à faire connaître l'art. 52» À regrets, le magazine Life à l'image de nombreux magazines de ce type, disparaît. Le dernier 50 FREUND Giséle, 1974, Photographie et Société, Paris, Seuil. Citation de la page 133. 51 R.LUCE Henri, éditorial du premier numéro de Life, 23 novembre 1936. 52 FREUND Giséle, 1974, Photographie et Société, Paris, Seuil. Citation de la page 140.
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numéro publié est celui du 28 décembre 1972. Les causes de cette disparition sont multiples, notamment, l'inflation et la concurrence de la télévision à compter des années 60. Pour conclure, les trois piliers de la diffusion de la photographie, que sont les photographes, les agences et les magazines, apparaissent indispensables à la photographie de guerre. Ils permettent la diffusion au plus grand nombre pour peut être agir sur la société. b) Les bienfaits de la photographie de guerre Dénoncer et témoigner sont les missions du photographe de guerre. Il les réalise au travers de son appareil photographique, véritable arme de dénonciation à ses yeux. L'image selon lui lutte contre la guerre. L'image doit donc parler et parler fort au plus grand nombre. Ce concept selon lequel l'image lutte contre la guerre se répand depuis la seconde moitié du XIX e siècle. La pédagogie pacifiste pense que le choc et l'émotion provoqués par les clichés peuvent « remodeler les esprits ». C'est-à-dire aider la société à ouvrir les yeux. L'ouvrage allemand, Krieg dem Kriege (1924) de Ernst FRIEDRICH s'inscrit parfaitement dans cette mouvance. Son auteur pense qu'en montrant l'horreur à la société, cette dernière se rendra compte de la folie que représente la guerre. FRIEDRICH met alors en image l'horreur de la guerre pour selon, Susan SONTAG dans La douleur des autres, « faire une thérapie de choc » par la photographie. Le livre De la guerre à la guerre (titre français) s'organise autour du dialogue entre les photographies et les légendes. Cellesci sont plus ou moins importantes selon le bon vouloir de l'auteur. Par exemple, FRIEDRICH choisit parfois de ne rien expliquer et à contrario, certaines images bénéficient de moult informations. En outre, l'auteur décide aussi d'apporter une portée internationale à son œuvre pour toucher le plus grand nombre, en accompagnant chaque photographie d'une légende en quatre langues : allemand, français, hollandais et anglais. « En revanche, lorsque Friedrich commente les portraits des gueules cassées, la précision revient en force. Âges, professions, dates de la blessure, sont alors mentionnés. […] Il s'agit alors de permettre l'identification entre le lecteur et le pauvre défiguré. En donnant une identité à ces gueules cassées, […], on leur rend une humanité qui semble physiquement perdue. 53» Dans son livre le photographe allemand écrit ceci : « Pas un seul homme, dans aucuns pays, ne peut s'élever en témoin contre ces photographies en disant qu'elle ne sont pas vraies ou bien qu'elles 53 OFFENSTADT Nicolas, L'image contre la guerre, in Voir ne pas voir la guerre, Paris : Somagy. Citation de la page 273.
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sont en contradiction avec la réalité. Qu'on ne vienne pas, non plus, me dire : quelle horreur de montrer de telles images. Qu'on me dise plutôt enfin,e-n-f-i-n, on a démasqué ces mensonges […]». Néanmoins, vouloir faire de la photographie, un instrument de lutte contre la guerre est une belle intention mais peut-on réellement lui accorder un tel pouvoir. Compte tenu, que la photographie ne demande pas une intelligence de lecture particulière, si ce n'est celle du cœur, nous pouvons dire que la photographie est une langue universelle, au pouvoir insoupçonné. « Une photographie ne dispose que d'un seul langage et s'adresse potentiellement à tout le monde. 54» Ce pouvoir de prise de conscience donnée à la photographie s'illustre parfaitement dans l'exemple de la guerre du Vietnam. En montrant le vrai visage de la guerre, ces images ont tellement eu d'importance sur la société, qu'elles obligèrent par la suite les états-majors à mettre fin au « laisser voir ». Mais plus qu'un moyen de lutter contre la guerre, la photographie lutte avant tout contre l'oubli. Les images empêchent l'amnésie. « Chacun d'entre-nous dispose dans son stock mental de centaines de photographies. 55 » Peut-on conférer à la photographie, les mêmes pouvoirs qu'hier, de nos jours. L'apparition de la télévision a considérablement fait bouger les lignes. À un point tel, que nous pouvons nous demander si l'horreur, n'est pas devenue normale aux yeux de la société.
B/ Problèmes liés à la photographie de guerre Même si son efficacité a pu se prouver dans le cas de la guerre du Vietnam, la photographie de guerre peut ne pas être efficace pour agir sur les consciences pour deux raisons : le processus d'accoutumance aux images violentes et l’indifférence des spectateurs. a) Remise en cause de la photographie La photographie fut perçue à ses débuts comme le reflet exact de la réalité. Les gens lui faisaient aveuglément confiance. C'est grâce à cette confiance aveugle qu'elle a pu pendant un certain temps agir et dénoncer. Toutes les belles idylles ont une fin et pour bien des raisons, la photographie a pu se révéler trompeuse. Dans un premier lieu, elle peut être trompeuse dans sa réception. C'est-à-dire que l'observateur 54 SONTAG Susan, 2003, Devant la douleur des autres, Paris, Christian Bourgois éditeur. Citation de la page 28. 55 Ibid.Citation de la page 30.
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peut mal interpréter. Selon Olivier THIELLAND, « l'interprétation de celui qui regarde peut faire défaut et ainsi changer la réalité 56». Ceci signifie a proprement parler, qu'une image amène à plusieurs réalités alors qu'une photographie se veut véridique. Chaque personne qui regarde une photo réfléchira et créera sa propre réalité, sa propre histoire, sur la situation que la photographie représente. Dans un autre lieu, c'est le photographe qui n'est sans doute pas objectif. En effet, l'idée selon laquelle la photographie et le reflet de la réalité suppose que ce dernier soit objectif, or ceci est-il vraiment possible. Une photographie repose toujours sur des choix. « Elle est toujours l'image choisi par quelqu'un, photographier, c'est cadrer, et cadrer, c'est exclure. Qui plus est, le trucage des images est bien antérieur à l'ère de la photographie digitale et des manipulations de Photoshop : une photographie est, depuis toujours, susceptible de fournir une représentation erronée.57 » La photographie peut alors se jouer de la société en choisissant de traiter tel conflit plutôt qu'un autre, elle occulte les autres de nos consciences ; en jouant le jeu de la propagande (Première Guerre mondiale), elle transforme la réalité et elle peut aussi jouer le jeu de la mise en scène pour des besoins esthétiques comme dans l'exemple de la photographie, The home rebel Sharpshooter. Cette photographie réalisée pendant la guerre de Sécession par l'équipe de BRADY, représente un soldat mort, pour des besoins esthétiques, le corps a été déplacé d'un endroit à un autre. De ce fait, si l'objectivité de la photographie est remise en question, nous pouvons sans doute remettre en cause son pouvoir d'agir sur les consciences aussi, surtout dans notre société contemporaine ; où l’indifférence est « reine ». b) Accoutumance et indifférence vis-à-vis des images La photographie est un objet puissant pouvant revendiquer lutter contre la guerre mais elle est de nos jours en lutte avec l’indifférence et l'accoutumance. Véritable seul objet d'information et seul moyen de voir les images à sa création, la photographie n'est plus seule, aujourd'hui, l'image est partout ; si bien qu'une photographie de guerre ne provoque plus nécessairement le rejet et l'horreur. Alors les sentiments que souhaitent provoquer une photographie de guerre tels que la compassion, le dégoût ou la colère, ont disparu avec le robinet à image qu'est la télévision. 56 THIELLAND Olivier, 2005, Photographier la guerre, Mémoire de fin d'études, p.69. 57 SONTAG Susan, 2003, Devant la douleur des autres, Paris, Christian Bourgeois éditeur. Citation de la page 54.
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« Les guerres, à présent, sont aussi le spectacle son et lumière de nos salons. 58» L’indifférence serait la seule option alors possible. Une chose néanmoins est sûre et ce pour n'importe qui, il est plus facile de regarder les morts en face quand il s'agit d'une contrée lointaine. « Que faire du savoir que nous communiquent les photographies de souffrances lointaines ? Les gens sont souvent incapables de comprendre les souffrances de ceux qui leur sont proches. Malgré tout l'attrait du voyeurisme...il paraît normal d'éluder la question du malheur des autres[...]. 59» L’indifférence n'est sans doute pas l'unique explication au fait que la photographie ne lutte plus, comme le souligne, Olivier THIELLAND : « lorsque la télévision montre des images du conflit syrien, par exemple, qui ne s'est pas surpris à changer de chaîne pas forcément par indifférence mais par sentiment d'impuissance ». Susan SONTAG aborde aussi ce sentiment d'impuissance et souligne le fait qu'il s'agit d'une réaction humaine. « La compassion est une émotion humaine instable. Elle doit se traduire par l'action, faute de quoi elle s'étiole. […] Si le sentiment est qu'il n'a rien que « nous » puissions faire … alors l'ennui, le cynisme, l'apathie gagnent. 60» Quant à l'accoutumance, elle est l'apanage de notre société contemporaine résidant dans une culture de masse inondée d'images, par cette inondation, l'humain s'habitue à l'horreur des images. Il faut dire qu'avec la télévision, le cinéma et les jeux vidéos, la violence est sans doute devenu un divertissement. Pour conclure, nous pouvons dire que l'accumulation des images a pu d'une certaine manière anesthésier les consciences. Qui plus est, une nouvelle tendance se développe dans la représentation de la guerre en photographie, la volonté du beau. Nous pouvons alors nous poser des questions : l’esthétisme est-il de mise pour représenter la guerre et cette nouvelle représentation peut-elle à nouveau éveiller les consciences. c) La question du beau et du spectaculaire « La chose a souvent plus « belle » allure, ou est perçu comme tel, sur une photographie. C'est, en effet, l'une des fonctions de la photographie que d’améliorer l'apparente normale des choses.61 » 58 59 60 61
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Ibid.Citation de la page 26. Ibid.Citation de la page 107. Ibid.Citation de la page 89. Ibid.Citation de la page 89
Est-ce que la photographie de guerre doit être belle ? La photographie de guerre comme n'importe quelle photographie se pose la question de l'esthétisme, mais son véritable but est de choquer. La rendre belle peut donc constituer un risque de donner une « image édulcorée ». En outre, le public attend de la photographie la réalité : « Ce qu'exige le public, en matière de photographie de l'horreur, c'est le poids du témoignage sans la touche artistique, qu'il assimile au manque de sincérité ou d'artifice. Les images des événements cauchemardesques paraissent plus authentiques si elles n'ont pas l'apparence que confèrent un bon éclairage et une composition soignée...62 ». Hors l'esthétisme n'est pas de mise dans l'idée de réalité et suppose sans doute une sorte de manipulation des sentiments, selon Susan SONTAG. L'esthétisme peut alors être un danger dans la représentation de la guerre. « La possible exploitation des sentiments (pitié, compassion, indignation) dans la photographie de guerre, et des automatismes mis en œuvre pour provoquer l'émotion.63 » Cette exploitation des sentiments est l'apanage de notre société de consommation soumise à la profusion d'images et ressemble au technique publicitaire. Face à cette question du beau, deux camps existent :
le premier, la vague anti-artistique, refuse l'utilisation du beau et de l'esthétique dans l'horreur, car, pour eux les deux ne peuvent s'accorder ;
le second camps revendique la beauté dans les photographies et semble être le mouvement majoritaire aujourd'hui avec les photographes James NACHTWEY et Sebastiao SALGADO.
D'après Susan SONTAG : « Il y a de la beauté dans les ruines. », l'exemple des photos du World Trade Center en septembre 2001 de James NACHTWEY en sont la preuve64. Par ailleurs, pour Michel IGNATIEFF, cette question du beau n'est pas nouvelle et existe depuis l'agence Magnum : « Les photographes de Magnum furent parfois critiqués pour développer une « esthétique » de la violence et une beauté de la tuerie. Mais il s'agit là d'une partie de leur tâche : donner une certaine beauté à l'horreur afin qu'elle en devienne inoubliable et qu'elle se consume dans la mémoire des gens.» Cette réflexion souligne bien que le propre de la photographie est de rendre les choses plus belle à l’œil, peut-être plus « digeste ». Quant au problème du spectaculaire, il est apparu lors du premier conflit télévisé, la guerre du 62 Ibid.Citation de la page 35. 63 Ibid.Citation de la page 88. 64 Cf.Annexes
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Vietnam, placée alors sous « l’œil inquisiteur » de la caméra. Cette apparition de la télévision a provoqué une « routinisation » de l'image, responsable directe de l'accoutumance et de l’indifférence aux images. Face à la télévision qui fonctionne sur le concept du spectaculaire, la photographie a du en faire autant et se mettre à la recherche du scoop. « La chose réelle peut ne pas être assez effrayante, il faut alors la rehausser ou la mettre en scène de manière plus convaincante65. » Pour conclure, la télévision et les nouveaux médias sont-ils responsables de tous les maux que rencontre la photographie de guerre. Selon Olivier THIELLAND, la responsabilité des États est à mettre en question, car ce sont eux au préalable qui ont encouragés la photographie de guerre par des expéditions (Guerre de Crimée) et une liberté permise (Guerre du Vietnam).
65 THIELLAND Olivier, 2005, Photographier la guerre, Mémoire de fin d'études, p 78.
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CONCLUSION Au terme de cette recherche, nous avons dressé un rapide historique de l'histoire de la photographie de guerre, afin de rendre compte des différences de représentation de ce sujet lors des diverses conflits. Cette représentation a largement évolué depuis la Guerre de Crimée. Aujourd'hui, une nouvelle question se pose dans la représentation de la guerre, le photojournalisme plasticien. Cette nouvelle forme d'expression prend sa source dans la crise de la presse et l'impossibilité d’accéder aux conflits depuis la guerre du Vietnam, elle propose un regard d'artiste et une nouvelle lecture des événements. L'artiste majeur de ce mouvement pour le sujet de la guerre est Jeff WALL et sa photographie, Deads Troops Talk.66 Cette photographie représente une scène de bataille où les soldats se réveillent, se parlent et rigolent. Ce n'est pas la réalité, il s'agit d'une fiction. Jeff WALL a fabriqué la scène dans son studio et a basé l'action de son œuvre en Afghanistan. Ce photographe qualifie ses photographies de « presque documentaire », c'est-à-dire qu'elles ressemblent à du reportage, mais n'en sont pas. En mettant en scène des soldats morts en train de rire, Jeff WALL pose la question de l'absurdité de la guerre. Le propre du photojournalisme plasticien est alors de poser des questions sur l'absurdité du monde, plus que de témoigner, il interroge. « Nous vivons dans une société marquée par la guerre : il est normal que la création plastique s'y inscrive par tous les moyens.67 » Nous avons pu voir notamment dans ce dossier que la photographie de guerre est largement tributaire des évolutions techniques. L'évolution technique ne s'arrête pas au Leica. De nos jours, l'apparition du numérique a changé les choses. Décriée à ses débuts, la photographie numérique a aidé le photojournalisme par ses nombreux atouts : le moindre coût ( films et développement), la vérification instantanée et la possibilité d'intervention d'un bout à l'autre de la chaîne graphique. Le photographe est maître de sa création. Par ailleurs, cette évolution technique a remis la notion d'amateurisme au goût du jour. N'importe qui peut témoigner d'un événement, car comme le souligne Susan SONTAG : « La photographie est le seul art majeur dans lequel le professionnalisme et les années d'expérience n'ont pas, sur l'amateurisme et l'inexpérience un avantage insurmontable […]. 68»
66 Cf.Annexes 67 GERVEREAU Laurent, Montrer la guerre ? Information ou propagande, Paris, Scérem CNDP, citation de la page 119. 68 SONTAG Susan, 2003, Devant la douleur des autres, Paris, Christian Bourgois éditeur. Citation de la page 36.
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Néanmoins, la photographie de guerre ne se résume pas à des questions de représentation et d'évolutions techniques, mais avant tout à des questions de réception. En dehors du fait, qu'elle propose de lutter contre la guerre malgré les dangers de l'accoutumance et de l'indifférence, la représentation de la guerre soulève un autre problème. Au cours de la rédaction de ce dossier, nous avons pris des photographies pour illustrer des conflits (La petite Phan Thi Kim Phuc de Nick UT et La mort d'un milicien espagnol par Robert CAPA). Or illustrer des conflits à l'aide d'une seule photographie pose la question du résumé par l'image, c'est-à-dire que dans la mémoire collective, un conflit majeur n'évoque qu'une seule image cliché. « Le problème n'est pas qu'on se souvient grâce aux photographies, mais qu'on ne se souvient que des photographies de guerre.69 » En d'autres termes, la photographie de guerre pose beaucoup de questions dans sa représentation et sa réception. Qui plus est, elle repose sur un mythe, celui du photographe de guerre. La représentation de la guerre est donc un sujet complexe et la photographie de guerre est encore à notre regret d'actualité. Dans le monde contemporain, nous pouvons nous demander si les efforts effectués par les photoreporters sont utiles, car comme le souligne tristement Laurent VAN DER STOCKT : « N'oubliez pas : tout ça ne sert à rien.70 »
69 Ibid.Citation de la page 97. 70 ANIZON Emmanuelle, Minés par le terrain, les reporters de guerre ont le blues [en ligne]. Disponible sur www.telerama.fr [consulté le 15 novembre 2014].
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BIBLIOGRAPHIE
Livres : COLO Olivia, ESTEVE Wilfrid, JACOB Mat, 2005, Photojournalisme à la croisée des chemins, Paris, Marval Éditions. FREUND Gisèle, 1974, Photographie et société, Paris,Seuil. HENROTTE Henri, 2005, Le monde dans les yeux : Gamma-Sigma, l'âge d'or du photojournalisme, Paris, Hachette Littérature. SONTAG Susan, 2003, Devant la douleur des autres, Paris, Bourgois. THIELLAND OLIVIER ,2005, Photographier la guerre, Mémoire de fin d'études, Politique et Communication, Lyon : Institut d'études politiques, 87 pages. Magnum, préface de Michael IGNATIEFF, 2000, Londres Phaidon. Voir ne pas voir la guerre : histoire des représentations photographiques de la guerre, Somagy, Éditions d'art.
Sites Internet : www.expositions.bnf.fr www.lemonde.fr www.telerama.fr
Vidéos : Photographie et société d'après Giséle Freund, film documentaire de Teri WEHN-DAMISH, 2005. Robert Capa, l'homme qui voulait être une légende, film documentaire de Patrick JEUDY, 2004.
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ANNEXES
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Illustration 1 : Le Passage du Rhin (1672) d'Adam-Franรงois VAN DER MEULEN.
Illustration 2 : La bataille d'Aboukir ( vers 1800) de Louis-Franรงois LEJEUNE. 40
Illustration 3 : Guernica (1937) de PICASSO.
Illustration 4 : La guerre (1928-1931) d'Otto DIX.
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Illustration 5 : The Valley of the Shadow of Death, Roger FENTON, 1855.
Illustration 6 : La moisson de la mort, Timothy O'SULLIVAN, 1861-1865.
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Illustration 7: SĂŠrie World Trade Center, James NACHTWEY, 2001.
Illustration 8 :Dead Troops Talk, Jeff WALL, 1992.
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