Les dossiers de demain N°7 "Villages cherchent visages"

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d e d e m a i n n ° 7 M a i 2 0 0 9

Mai 2009 - n° 7

L’AGENCE D’URBANISME DE LA RÉGION GRENOBLOISE

d o s s i e r s 21, rue Lesdiguières 38000 Grenoble - Tél. : 04 76 28 86 00 - Fax : 04 76 28 86 12 - Mél : accueil@aurg.asso.fr - www . aurg.org

les dossiers de demain

l e s

Villages cherchent visages



Sommaire Éditorial par Jérôme Grange

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Utopies sociétales et pratiques urbanistiques Table ronde

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Le village nouvelle frontière par Luc Gwiazdzinski

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Que sont nos villages devenus par Pascal Dibie

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Tentative de définition du village

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Mon quartier c’est un village

Être village à 12 kilomètres de Grenoble par Roger Caracache Créer des agglomérations rurales pour sauver le village par Claude Térouinard

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Un village sur la planète photographies

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Le village comme récit de soi par Nicole Mathieu

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Ces villageois qui n’en sont pas par Annabelle Morel-Brochet

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Habiter la Bièvre

Images du village dans l’agglomération grenobloise par Martine Goujon

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Villages croqués : dessins

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Retour vers le rural issu des textes de Village magazine et du collectif Ville campagne

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A le recherche de l’identité rurale par Frédéric Delattre

Bienvenue au village issu de documents de Mairie conseil -Caisse des dépôts et consignations Une installation « à la campagne » avec Adeline Ancel

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Vies de femmes en villages par Blandine Glamcevski

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L’Alpe des villes et l’Alpe des champs par Alexandre Mignotte et Claire Simon

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Villages de vacances, un vrai laboratoire par Pierre Belli-Riz

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Labels et réseaux par Mohammed Chahid

Bibliographie

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Les Dossiers de demain no 7

« Revillagiser » le monde avec Serge Latouche

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Les textes contenus dans cette publication n’engagent que leurs auteurs. Les Dossiers de demain sont publiés par l’Agence d’urbanisme de la région grenobloise. Toute reproduction doit être faite en accord avec l’Agence d’urbanisme et les auteurs. Un Flip book est diffusé avec le présent Dossier de demain Président de l’Agence d’urbanisme de la région grenobloise : Michel Issindou Directeur de la publication : Jérôme Grange Conception et réalisation : Sylvie Barnezet, Rachel Bernard, Florence Binet-Jourdain, Jacques Bondon, Fabrice Bouvier, Corinne Creissels, Juliette Desmots, Caroline Nocart, Chloé Thomas.

Les Dossiers de demain no 7

Ont également contribué à ce numéro : Adeline Ancel, Pierre Belli-Riz, Olga Braoudakis, Roger Caracache, Mohammed Chahid, Fanny Charon, Philippe Couillens, Frédéric Delattre, Pascal Dibie, Blandine Glamceski, Florian Golay, Martine Goujon, Serge Gros, Luc Gwiazdzinski, Serge Latouche, Fabrice Latuillerie, Sylvie Le Calvez, Nicole Mathieu, Anne-Marie Maür, Alexandre Mignotte, Annabelle Morel-Brochet, Jean-Yves Pineau, Frédéric Pontoire, Philippe Rannaud, Christophe Séraudie, Claire Simon, Claude Térouinard, Sylvie Vallet, André Zanassi.

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Crédits photographiques : page 10 : Benjamin Cuartero, page 11: Martine Bosshardt, page 14 : Agence d’urbanisme de la région mulhousienne, page 18 : Chloé Thomas, page 22 : Michel Aveque, page 23 : Philippe Couillens, page 24 et 25 : Agence de développement et d’urbanisme du pays de Brest, Agence d’urbanisme de l’agglomération de Besançon, Agence d’urbanisme et de développement intercommunal de l’agglomération rennaise, Agence d’urbanisme de la région mulhousienne, Fabrice Bouvier, Mara Calabro, Bruno Colard, Marie Couvrat-Desvergnes, F. Guy/Agence d’urbanisme de la région lyonnaise, Nathalie Rivet, Chloé Thomas, page 26 : Agence d’urbanisme de la région mulhousienne, page 31 : Philippe Couillens, page 34 : Agence d’urbanisme de l’agglomération de Besançon, page 50 : Agence Clermont-Métropole, page 53 : Cipra, pages 56 à 58 : Pierre Belli-Riz et Chantal Callais. Dépôt légal : à parution. Numéro ISSN : 1635-317X Imprimé par l’imprimerie des Eaux Claires sur papier recyclé Fedrigoni Symbol Freelife Satin et Inapa Oxygen.


Éditorial Le village tourne la page…

La ruralité interpelle l’urbaniste de multiples manières. Elle le fait notamment autour de sa compétence professionnelle. Il ne se passe pas un mois sans qu’un interlocuteur n’exprime son étonnement sur la capacité d’un urbaniste à être pertinent en dehors du tissu urbain constitué, en dehors de la ville. Or le village constitue notre horizon d’intérêt quotidien. En premier lieu, en raison des travaux (la lutte pour certains) sur l’étalement urbain et la périurbanisation, qui forment l’un des socles actuels de nos interventions et de nos réflexions. Notre horizon, également, par le fait que les villages, ou du moins les valeurs que notre société leur attache, paraissent représenter des modèles à devoir partout transposer. Dans nos villes, nos contemporains expriment vouloir réapprendre du village : convivialité, proximité, autonomie. Mais s’agit-il bien de modèles, ou alors de la confrontation à la résurgence d’un mythe, où les désirs des individus naviguent entre réalités et utopies. S’agit-il des indicateurs émergents d’une civilisation durable qui saurait créer des liens entre qualités réciproques de l’urbanité et de la ruralité ? Ou bien, s’agit-il des signes d’une quête irréfléchie d’assurance et de réassurance pour une société occidentale déboussolée, au risque de passer le village au photocopillage du marketing immobilier. Nos villes métropoles sont les espaces publics de notre village planétaire, lieux de rencontres et d’échanges d’une humanité mondialisée. Dans ce contexte, quels rôles, quels développements pour le grain le plus fin de notre urbanité locale ? Pour un retour vers le futur, comme vous, lecteur, le village peut-il tourner la page ? !

Les Dossiers de demain no 7

Jérôme Grange, directeur général de l’Agence d’urbanisme de la région grenobloise

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Utopies sociétales et pratiques urbanistiques En vue d’interroger la place de la notion de « village » dans nos pratiques, se sont réunis un après-midi à l’Agence d’urbanisme, une quinzaine de professionnels de la ville, principalement urbanistes et architectes. De la bande d’enregistrement de trois heures, cinq thèmes ont émergé. Le village comme réalité, le village comme image, le village comme modèle, le village comme symbole et le village comme référence. Cinq thèmes comme fil conducteur de ce numéro des Dossiers de demain.

Les Dossiers de demain no 7

Ce texte est issu d’une table ronde qui a réuni Sylvie Barnezet, Pierre Belli-Riz, Olga Braoudakis, Fanny Charon, Philippe Couillens, Corinne Creissels, Martine Goujon, Florian Golay, Serge Gros, Fabrice Latuillerie, Anne-Marie Maür, Frédéric Pontoire, Philippe Ranaud, Christophe Seraudie, Chloé Thomas, Sylvie Vallet, André Zanassi.

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Le village comme réalité L’influence des modes de vie urbanisés a transformé bien plus profondément les villages que la ville. Une mutation qui amène à se poser la question de ce qui reste de « villageois » aux villages actuels. Une interrogation encore plus prégnante quand elle porte sur ces villages périurbains qui se réclament haut et fort de leur identité villageoise pour exister dans la métropole. La seule réalité villageoise actuelle ne serait-elle pas alors de ne pas être la ville, une simple proposition pour un cadre de vie différent, un décor de vie ?

Souvenirs de vies au village « J’ai vécu dans un petit village des Hautes-Alpes où j’allais à l’école, je participais aux travaux des foins, des labours. J’y suis repassé il y a un mois environ et j’ai été catastrophé : une tristesse épouvantable ! Il ne s’y passe plus rien. Et pendant trente ans, j’ai participé à la démolition de tout cela. » « J’ai vécu enfance et adolescence dans un village rural de Corrèze dans les années 1970. Pour moi, le village c’est l’endroit où on se fait mordre par les chiens, où c’est difficile de ne pas se salir en traversant une cour de ferme parce qu’il y a des volailles, des cochons, etc. » « J’ai vécu dans un village du Nord-Isère qui votait Front national, avec la chasse tous les dimanches, l’imaginaire du village c’est la glandouille devant l’église parce que tu n’as pas de mobylette pour aller faire un tour. »

Aujourd’hui, la vie au village « J’habite dans un hameau avec des voisins de 80 ans qui m’imposent de faire des corvées, de débroussailler les chemins, etc. » « Les pensées routières colonisent aujourd’hui les villages : on les a éventrés, on a gommé les traces

de bouse, de crottin et on a goudronné les cours de fermes, les espaces publics, jusqu’aux limites de l’église ou du monument aux morts. Il n’y a plus de distinction puisqu’il faut pouvoir aller partout de manière équivalente. » « Le développement voulu par les élus qui disent rêver de devenir ou retrouver leur village, c’est tout sauf du village. Parce que le village c’est une forte densité et, avec la pratique actuelle du territoire, les gens ne veulent plus vivre dans un village. »

Mais c’est quoi un village ? « Le seul moment où la question de ce qu’est un village se pose, c’est lorsqu’on applique la loi montagne. C’est l’un des rares textes dans le Code de l’urbanisme où il est vraiment fait référence à la notion de village. » « Un village, dans le vocabulaire des montagnards, c’est un hameau. Souvent, le terme de village est lié à la commune et désigne un bourg et ses hameaux. » « Avec le village, on est sur un modèle économique et de vie qui est en intelligence directe, immédiate et empirique avec son territoire de proximité. C’est cette culture, cette adéquation de relations avec son milieu qui fait village.


Des questions pour l’urbaniste Comment travailler à l’amélioration des villages dans ce paradoxe entre mode de vie urbain et cadre de vie se référant à des valeurs du passé ? Comment met-on en valeur une place de l’église vide et un centre-bourg délaissé par les commerces ? Comment associe-t-on des espaces de stationnement à une densité de bâtiments qui exprime le cœur de la communauté villageoise ? Jusqu’où un village supporte des adjonctions de quartiers résidentiels lâches sans perdre un centre gravitaire et identitaire ? Quand on travaille pour un village, s’adresse-t-on à des utilisateurs de village ou à des citoyens-villageois ?

Le village comme image La demande de « village » est forte, elle fait même partie des arguments politiques de plus en plus de communes qui environnent les pôles urbains. Le terme est utilisé soit comme un argument identitaire, soit comme un projet communal. Il permet souvent de dire sa différence d’avec la ville, parfois même d’exprimer une forme d’opposition. La représentation collective du mot « village » semble donc à la fois forte et positive, mais son utilisation courante n’empêche-t-elle pas d’affronter les réalités et les évolutions de ces communes ? La trace d’un passé idéalisé que ce terme véhicule invite à une nostalgie qui ne peut constituer un fondement valable de projet.

« La notion de village est utilisée par les élus dès qu’ils se présentent et on sent qu’il existe un besoin de se reconnaître comme village (« notre village »), même dans des communes appartenant à la Métro [communauté d’agglomération Grenoble Alpes Métropole] et dépassant les 2 000 habitants. Et même sur des communes qui vont jusqu’à 10 000 habitants : c’est un gros village !» « La commune est parfois partagée entre plusieurs identités : un côté villageois avec le centrebourg, la petite église, la place… cette image que tous les habitants de la commune ont généralement, et d’un autre côté une forte relation à la ville par le travail, les loisirs… »

Ces éléments qui font village « Il y a toujours une survalorisation du centre avec l’église, le marché… ce qu’on met sur la couverture du magazine communal, sur le site internet, et des endroits où l’on sent qu’il y a un besoin d’urbanité, où il n’y aurait pas beaucoup à faire en termes de liaisons, d’accès aux berges, d’aménagements de sortie de gare… Mais ce n’est tellement pas le centre village qu’ils ne sont pas dans une idée d’investissements publics... »

Marketing politique « Tout dépend de ce qu’on entend par village : le

village traditionnel ou l’argument du maire qui nous dit « venez me faire un village hein ?! » « Aujourd’hui, on a plus de mal à parler du quartier que du village, parce que le quartier a pris des connotations différentes. Il y a donc un travail à faire là-dessus parce que c’est une vraie façon de ne pas aborder les problèmes, de faire du marketing politique. »

Une nostalgie de village qui piège « Nous avons animé une opération « Cœur de village » qui me faisait froid dans le dos parce qu’elle me semblait beaucoup trop empreinte de nostalgie plutôt que de poser loyalement les données du projet urbain d’extension villageoise. Le problème est là : lorsqu’on a vidé la ruralité de son sens et les habitants d’un village, il ne reste plus que l’écrin. » « Le village est intéressant mais il peut être aussi piégeant que le chalet en architecture. »

Ancrage au territoire et à l’histoire « Si on imaginait de raser complètement un village de Chartreuse et de le reconstruire à l’identique, je ne suis pas convaincu que les autochtones, même les néo-ruraux, le reconnaitraient en tant que village ; parce que les pierres ne sont pas les mêmes, parce qu’elles ne sont pas anciennes, parce qu’il n’y a pas cette appropriation territoriale identitaire. »

Des questions pour l’urbaniste Comment faire des représentations de villages un réel ferment d’imagination et de création prospective ? Comment utiliser ces images dans le travail de l’urbaniste en dépassant une nostalgie qui fige, vers des propositions adaptées aux nouveaux enjeux des communes périurbaines ? Faut-il travailler pour un décor ?

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Malgré ou contre la ville

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Le village comme modèle Pour constituer un modèle, le village doit être décomposé en différentes parties ou éléments de référence : la place, la rue, la maison, l’entrée, le monument… Mais également des parties de ce qui constitue le mode de vie villageois : la reconnaissance, la proximité, les temps collectifs, le contact avec la nature… Au-delà de la recherche de certains repères précis, il y a également des valeurs plus diffuses à retrouver : laisser faire le temps, garder des espaces non définis et permettre l’évolution. Une des transpositions du modèle villageois est le « village de vacances ». Ce type de programme est un vrai domaine de recherche urbanistique fondé sur l’analyse du modèle villageois car les modes de vie de vacances permettent des transpositions qui ne sont plus possibles dans le contexte périurbain. Les réflexions urbaines actuelles sur les éco-quartiers rejoignent en partie cette discussion et interrogent le modèle villageois par la quête d’un « espace bienveillant » au-delà des objectifs environnementaux.

Laisser faire le temps « Il faut bien préparer les espaces bâtis et les espaces libres pour que ça fonctionne. Et laisser faire le temps. » « Il faut laisser des marges, des « dents creuses », des espaces libres d’évoluer. »

Le modèle des villages de vacances « La question de la transposition possible de l’habitat permanent sur l’habitat de loisir est très intéressante mais à prendre avec des pincettes. […] Il y a des schémas dont on peut s’inspirer, qui sont relativement transposables. La question c’est : pourquoi certains schémas sont acceptés, voire recherchés dans l’habitat de loisir et rejetés dans l’habitat permanent ? Je fais l’hypothèse que les gens qui recherchent l’esprit de village dans l’habitat permanent sont des gens qui ont fait l’expérience de l’habitat de loisir et qui recherchent un peu la même chose… » « Aujourd’hui, on fait des parkings énormes à l’extérieur des villages-vacances et les gens ne

touchent plus leur voiture pendant des jours. Il y a donc des plans d’aménagements très intéressants à faire, avec uniquement des cheminements piétonniers… »

Dans des opérations actuelles « À Échirolles, il y a un quartier important qu’on a appelé « le village ». Il y a eu un effort pour créer un endroit avec un espace, une place, où on a essayé de retrouver des éléments significatifs, des repères… Mais ça ne vit pas parce qu’il manque le commerce, il manque « l’église », enfin les éléments qui permettent d’obtenir un espace équilibré où les gens se sentent bien ».

Les éco-quartiers, un lien avec le modèle villageois « Pour le quartier Vauban à Fribourg, on ne parle pas de village alors qu’il est comme un villagevacances : ils garent la voiture et vont à pieds, à vélo, et ils ont l’air contents comme au VVF ! Il y a donc peut-être quelque chose à fouiller… »

Des questions pour l’urbaniste Qu’est ce qui fait village ? Quels sont les éléments urbains significatifs, les pratiques sociales des villages qui sont transposables dans des opérations actuelles ? Comment introduire des réflexions sur le modèle villageois (formes et usages) dans l’actualité des éco-quartiers ? Comment trahit-on un modèle en séparant formes urbaines et modes de vie ?

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Le village comme symbole

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Il y a certainement là un enjeu professionnel pour les urbanistes : le décryptage d’une demande de village rejoignant une quête identitaire à respecter. La discussion a permis d’identifier deux types de valeur symbolique : une signification négative de repli et d’opposition : le village comme refus de l’urbain ; une signification positive de demande de liens sociaux, de solidarité : le village comme la recherche de l’espace « bienveillant pour la communauté ». Ces deux valeurs symboliques ne s’excluent pas, elles font toutes les deux partie de cette attente implicite à décoder et sur laquelle les urbanistes doivent travailler dans le dialogue avec les habitants et les élus. En outre, l’expression d’une demande de village dépasse les contextes locaux particuliers pour trouver un sens plus général, comme la recherche d’une appartenance territoriale et temporelle et un ancrage dans l’histoire en contrepoids de la métropolisation et la mondialisation. ».


La question identitaire est posée

La communauté, la solidarité, le lien social

« Si on veut comprendre les ressorts de nos publics et de nos élus, il faut respecter leur perception du village selon qui ils sont. On n’aura pas la même perception du village depuis l’ancien du village dont la famille est là depuis 300 ans, que depuis le néo rural. » « Lors de la concertation liée à l’élaboration d’un PLU, la notion de village est travaillée entre les élus et les citoyens, comme s’il y avait un contrat disant que les élus vont garder ce caractère villageois, s’en porter garants ». « La notion de « village historique » est au cœur de la présentation que font d’elles-mêmes toutes les communes de l’agglomération grenobloise »

« S’il y a un référent commun à tout le monde quant au village, c’est l’idée de lien social, de communauté. Mais lorsqu’on essaie de la mettre en œuvre en préconisant d’articuler et de rapprocher les habitations, de créer des espaces publics de rencontre, de favoriser la mixité sociale, etc., ça vole complètement en éclats. ».

« Je suis tous les jours confronté dans ma pratique professionnelle à l’emploi du terme « village » comme référence, comme symbole d’une certaine nostalgie ».

Le rejet de l’urbain « L’appellation de village est galvaudée et semble être un rejet de l’urbain. La campagne présidentielle de Mitterrand en est un bon exemple : on fait rêver les Français sur l’appartenance au village et le culte de la maison individuelle, qui vont un peu de pair. » « L’approche actuelle du village, cette sensibilité par rapport au village, c’est plus une définition par défaut et par réaction par rapport à un modèle urbain que les gens ne maîtrisent pas dans sa complexité. »

Le repli « La question du repli communautaire est importante. Au village olympique [quartier de Grenoble] par exemple, le sentiment d’appartenance à un village, à une communauté d’habitants qui se connaît, à une qualité de vie, etc., est extraordinairement fort. À la Tronche [ville de l’agglomération grenobloise], c’est la même chose. Et quand on va dans un vrai village comme Le Sappey [lire l’article de Roger Caracache, page 8] , il y a aussi un rejet de l’extérieur, qui vient plus souvent des derniers arrivants que des historiques. »

« Ma culture personnelle et ma pratique de la ville me renvoient aussi au village : j’habite dans le quartier Saint-Bruno [à Grenoble] mais on dit que c’est un village parce que c’est sympa, il y a le marché, tout le monde se connaît, etc. En même temps, on parle des villages de Paris, de Greenwich village… ça recouvre donc aussi d’autres types d’espaces. À la fin, on ne sait pas si « village » signifie quelque chose, mais on sent que ça représente une sorte d’espace bienveillant pour une communauté, quelle que soit sa taille. Et par rapport au rejet de l’urbain, le village pourrait en fait représenter la part qu’on aime bien de la ville, cette urbanité qu’on ne sait pas bien décrire et qui est faite de rencontres, d’événements, d’activités, de commerces, d’espaces publics, etc. »

Une urbanité de proximité et d’appartenance « La question du village renvoie à celle des appartenances territoriales. Les individus se situent dans de multiples appartenances et trouvent des références à la fois dans le très local et dans le très global. La notion de village traduit cette référence au très local : les gens éprouvent le besoin de se référer à un espace habité qui leur est proche, qu’ils valorisent, qui les valorise et auquel ils prêtent de nombreuses vertus. » « La question du village renvoie à celle de l’entre-soi. Est-ce que le village n’est pas le lieu dans lequel on va chercher à retrouver des gens qui nous ressemblent ? »

Des questions pour l’urbaniste Comment instaurer un dialogue avec les habitants et les élus pour explorer ensemble l’attente de « village » et aller au-delà de l’image ? Comment traduire en formes urbaines l’« espace bienveillant » ? Comment travailler en urbanisme sur les valeurs collectives qui sont contenues dans la demande de village, tout en répondant aux exigences fortes des libertés individuelles aujourd’hui acquises : propriété, tranquillité, accessibilité, autonomie, services… ?

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La nostalgie

L’espace « bienveillant »

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Le village comme référence La notion de village peut devenir un outil de l’urbaniste à la condition de le considérer dans toutes ses dimensions : réalités, images, modèles, symboles et références. Cela suppose de dépasser nostalgie, idéalisation et vision archétypale pour en faire un objet d’échanges et de débat. Le concept de village devient ferment de projets s’il a permis à l’urbaniste de se rapprocher d’une demande plus explicite et moins paradoxale. Les transpositions des « qualités villageoises » sont alors possibles vers des projets de natures très différentes, ce n’est plus un modèle mais un ensemble d’attentes et de besoins mieux exprimés. Il reste alors à se donner ensemble, habitants, élus, professionnels, les conditions de l’imagination, de la créativité pour innover. Peut-être une histoire de confiance et d’optimisme.

La notion de village, un outil pédagogique « En tant qu’urbanistes, nous pouvons utiliser le village comme outil pédagogique pour faire émerger une réflexion urbanistique avec les élus sur la pratique de l’habiter » « On est amenés à utiliser la notion de village, voire à l’instrumentaliser pour poser d’autres questions, interroger l’identité, sensibiliser à certains enjeux… »

Dépasser l’archétype « En rentrant par le biais modes de vie et fonctionnement objectif du territoire, on échappe un peu à l’archétype villageois qui n’est pas moteur »

Ne pas idéaliser la notion de village « Je m’interroge sur ce que la ville permet que ne permet pas le village et sur ce qu’on va perdre en essayant de faire des espaces bienveillants partout. […] Je trouve que la ville, avec toutes ses imperfections, permet l’anonymat, l’expression de la différence, des espaces de frottements, de conflits, d’expression de contradictions… Où sont-ils relégués ? »

Le village dans la ville dense

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« Dans les quartiers d’habitat social qui produisent pourtant des représentations avec de très fortes densités, des hauteurs très importantes, une minéralité forte… mais que les habitants qualifient

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de villages dans la vie quotidienne, du fait que tout le monde se connaisse, que les gens se déplacent à pieds facilement et que la plupart des services de proximité soient présents. »

Une vie de village dans la métropole « Beaucoup de villageois travaillent en ville et viennent tous les jours en vélo et en train. Ils se rencontrent tous les matins dans le train et forment une vraie communauté d’habitants, qui se connaissent et ont un vrai temps ensemble. Et cette temporalité fait village. Ils ont fabriqué une sociabilité dans les trajets, comme on le faisait sur les charrettes quand on allait faire les foins. » « Aujourd’hui un village, c’est au moins nos deux ou trois vallées : la sociabilité s’établit à l’échelle des bassins d’emploi, des milieux de vie. » « Des communes urbaines de petite ou moyenne taille qui voient arriver un tramway revendiquent parfois une double dimension : celle du village et celle de l’agglomération. […] Ce croisement entre dimension très locale et dimension métropolitaine est très présent dans les communes de deuxième couronne où il n’apparaît pas comme contradictoire, ni aux élus ni aux habitants. Ils considèrent qu’ils ont à la fois droit à la faible densité et à l’appellation de village et aux services du très urbain. Il faudrait donc resituer le village dans la notion de métropole. »

Des questions pour l’urbaniste Comment inventer, innover, bousculer, rassurer, avancer… dans des projets d’urbanisme à partir d’une réflexion sur la demande de « village » caractérisant le besoin paradoxale d’individualisme, de mouvements, de liberté, de choix, d’une part et d’autre part, des valeurs communautaires, d’ancrage historique et territorial, de solidarités et de permanences ?


Le village nouvelle frontière Les faits sont là, ténus. Nous vivons désormais dans une France urbaine. Malgré tout, les villages n’ont pas disparu. Alors que les modes de vie se rapprochent, l’opposition symbolique entre « ville » et « campagne », « urbain » et « rural » semble paradoxalement ravivée.

Un poids non négligeable On définit souvent le village en creux par rapport à la ville, commune de plus de 2 000 habitants. D’après l’INSEE, l’Espace à dominante rurale défini comme l’ensemble des communes qui ne se situent pas dans l’Espace à dominante urbaine rassemblerait 18 % de la population, soit 10,5 millions d’habitants, sur 59 % du territoire. Malgré le discours dominant pour la suppression des 36 782 communes-aussi-nombreuses-quedans-le-reste-de-l’Europe, malgré les imprécations sur le coût des petites communes et des villages, les échelons de base de la démocratie résistent encore. La « démocratie chaude » reste une réalité vivante et les maires des petites communes, propulsés assistantes sociales, développeurs et aménageurs à la fois, sont bien les derniers piliers de la République2.

Des images contrastées Tout le monde s’accorde pour dire que la ville idéale, lieu de rassemblement et de séparation par excellence, n’a jamais existé. Le village idéal non plus. Les images sont contrastées. C’est souvent un petit monde enchanté pour celles et ceux qui n’y ont pas vécu. Pour celles et ceux qui

y sont nés et ont dû s’en aller en ville faire l’expérience de l’altérité et de l’anonymat, le village est plutôt synonyme d’enfermement, un univers étroit soumis au contrôle social. La ville rend libre. En ce début de XXIe siècle, le terme de « village » paraît à la fois désuet et furieusement tendance. Désuet d’abord car le mot même de village a vieilli. Tendance, car l’image du village est revisitée en permanence par la publicité et le marketing qui cherchent à ré-enchanter l’image authentique d’une France profonde en y puisant sans cesse clichés, personnages typiques et paysages bucoliques. Plus le village disparaît et se dilue dans la modernité, plus il semble présent dans les imaginaires. Plus il perd de sa substance, plus il paraît éternel. Plus il se transforme, plus on aimerait le retrouver inchangé, figé, pareil à autrefois, dans un passé idéalisé. Plus la ville nous angoisse, plus le village paraît rassurant. Plus les relations urbaines s’affadissent, plus le village se pare d’attributs conviviaux. Dans un monde de plus en plus mouvant et complexe, dans un univers qui nous échappe chaque jour un peu plus, la figure du village apparaît pour beaucoup comme un refuge sûr, le lieu stable de la proximité et du réel. Il est à la fois le repaire des gens d’ici et le repère des accourus d’ailleurs, celui des sédentaires et celui des mobiles. Il donne à qui le souhaite l’illusion d’un monde contrôlable, appréhendable, simple et organisé. Un monde où chacun se salue, se situe, un lieu où chacun est à sa place entre le « je » et le « nous ». Héritière de la paroisse, la commune ancre profondément ses racines dans l’histoire nationale. C’est l’échelon de base de la démocratie. La France éternelle est d’abord celle des villages que l’on contemple de la Colline inspirée. Image éternelle de l’enfance, image des clochers et des

Par Luc Gwiazdzinski , géographe, enseignantchercheur à l’Université Joseph Fourier de Grenoble.

1. Nouveau Petit Larousse Illustré, Dictionnaire encyclopédique, 1955, Librairie Larousse, p.1083 2. Gwiazdzinski L., Rabin G., 2007, La fin des maires. Dernier inventaire avant disparition, FYP Editions

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« VILLAGE. n.m. (de villa). Groupe de maisons habitées principalement par des paysans »1. C’est en ces termes que les dictionnaires définissaient le village au milieu des années cinquante. À cette époque, on parlait encore avec condescendance d’« habitudes villageoises » dans les « Provinces ». Les temps ont changé même si certains clichés restent tenaces, à l’image de ces quelques synonymes glanés sur Internet : « bourgade », « commune », « hameau », « localité », « patelin » et même « trou ».

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bords de route, image de juillet où tout un pays saucissonne en attendant le passage de la caravane du Tour de France. Une France villageoise des vacances estivales vers l’Ouest ou le Sud. Une France des bals populaires et des feux d’artifice. Une France de cartes de vœux où de petits villages sous la neige attendent la nouvelle année. L’église, la mairie, la Poste, le bistrot, l’école et la boulangerie : le décor paraît immuable. Le village, c’est aussi l’image d’une France éternelle, revisitée en permanence par la propagande et les publicitaires, entre les affiches du Maréchal Pétain et celles plus récentes de Jacques Séguéla pour le candidat François Mitterrand. Celles et ceux qui continuent à regarder le présent avec ces lunettes d’hier seraient bien inspirés d’aller faire un petit tour au village.

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Des évolutions rapides

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3. Mendras H., 1967, La fin des paysans, Sedeis 4. Hervieux B., Viard J., 1996, Au bonheur des campagnes, L'Aube

Le village a profondément changé, tant d’un point de vue paysager, sociologique que sur le plan institutionnel. Tout d’abord, on n’entre plus si facilement dans nos villages. On n’y pénètre plus toujours par une belle traversée sensuelle et charnelle. Le rondpoint redistribue les flux à l’entrée et des contournements permettent à peine d’effleurer le village. La plupart du temps, c’est le grand tour avec vue sur les arrières cours et passage obligé à la sortie des villages par les bâtiments agricoles que l’on distingue à peine des ateliers municipaux et des bâtiments de la zone artisanale, non loin de bien tristes lotissements. Les caractères traditionnels de la ruralité ne permettent plus de décrire et d’expliquer ce territoire. Longtemps, la société rurale a été définie

par une relation étroite entre un espace local et un groupe d’individus. S’opposant à l’urbain, lieu par excellence de la modernité, le rural était caractérisé comme le lieu où les activités agricoles et artisanales étaient réalisées par des populations attachées à leur territoire et vivant en quasi-autarcie. Dès les années soixante, Henri Mendras3 a montré la transformation rapide du rural en un espace agricole destiné à la production de denrées alimentaires. Puis on a assisté à la généralisation des modes de vie urbains. « L’hypersédentarité […] de la ruralité » s’est effacée sous l’effet de la généralisation de la « mobilité urbaine »4. Là où autrefois une quinzaine d’agriculteurs vivaient dans le bourg, un ou deux seulement poursuivent désormais leur activité. Pour une commune où subsistent encore une école, une épicerie, une boucherie, un bistrot et une boulangerie, combien de villages dortoirs ? Plusieurs phénomènes expliquent la transformation rapide du village et du monde rural : les recompositions sociales sous l’effet des mobilités, la diminution de la population agricole, la montée de nouvelles attentes en termes de patrimoine, d’écologie ou d’identité et l’émergence de fonctions nouvelles comme l’entretien du paysage, la qualité de production ou la protection de l’environnement. Enfin, la notion de « cadre de vie » est devenue une composante majeure dans la dynamique d’évolution des ruralités. L’éclatement des temps, des espaces et des mobilités a fait voler en éclat les cadres de la quotidienneté. Aujourd’hui, ce sont les vieux qui « tiennent le village » en journée, accompagnés des enfants quand subsiste encore une école. Celles et ceux qui vivent là travaillent désormais ailleurs. On ne les croise plus que le matin tôt, le soir après dixhuit heures ou le week-end. Les néo-ruraux se sont parfois installés ici, attirés par le cadre bucolique, ou rejetés au loin par la ville. Le week-end, d’autres populations rejoignent le village pour peupler les maisons aux volets clos. À la belle saison, les touristes ou les enfants des anciens habitants font revivre les villages les plus attirants. Il n’est pas sûr que tous ces usagers se croisent vraiment, colocataires d’un espace commun sans histoire ni temps communs. Il n’est pas sûr non plus qu’ils habitent vraiment les lieux de la même façon. Ils cohabitent et parfois le miracle se produit le temps d’une fête, d’un marché, d’une foire ou grâce au dynamisme d’une association. Le plus souvent, on s’ignore, comme on le fait si souvent en ville, et on vit un peu hors sol dans un décor champêtre. Les intérêts et les besoins ne sont pas les mêmes. Parfois, des conflits éclatent entre les néo-ruraux qui aiment le village sans ses odeurs, les cloches des


Des personnages héroïques Comme les santons dans la crèche, le village a ses figures éternelles : le curé, l’instituteur, le boulanger, le facteur et le maire. Seul, suite à la désertion de l’État et des prêtres, ce dernier s’accroche encore. Dernier pilier de la République, il fait front et pare au plus pressé dans ce grand bazar de la décentralisation. Seul, mal formé et excédé, le maire de petite commune ploie sous le poids de la paperasse et des responsabilités. Le maire est le premier interrogé quand une entreprise cesse son activité, quand une maison brûle ou quand les routes sont enneigées. C’est aussi le premier interpellé quand les écoles ferment, quand les trains ne s’arrêtent plus, quand une entreprise cherche un terrain où s’implanter ou quand le petit dernier ne trouve pas de boulot. Le maire, toujours le maire, alors qu’en parallèle, sans sa politique, ses représentations, sa présence même au cœur des communes, l’État a renoncé, comptable plutôt qu’organisateur, arbitre des bonnes mœurs libérales plutôt que visionnaire. Comment faire sans la Poste pour les envois ou le suivi des économies sur le Livret A ? Comment faire sans l’école, sans les postes d’instituteurs, dans des classes à trente-cinq élèves en banlieue où l’exclu est encore plus exclu. Comment faire quand le train n’est plus là, ou jamais à l’heure ? Comment faire quand l’électricité est privatisée ? Quoi faire quand l’état des routes dépend de l’argent du conseil général, déjà englué dans le social. Comment imaginer les justes arbitrages quand la politique d’aménagement du territoire dépend d’un conseil régional dont les élus sont issus d’une liste départementale élue à la proportionnelle… Alors qui est responsable, ou mieux, à qui profite le crime ? À la fois aménageurs, développeurs et assistantes sociales, les maires, héritiers des paroisses du Moyen-âge s’accrochent encore, là où les receveurs de Poste, les employés de la sécurité sociale, les gendarmes, les percepteurs et même les curés ont renoncé. Ils résistent encore et toujours à la montée de l’intercommunalité et au repli de l’État. Ailleurs en Europe, on les regarde avec une certaine curiosité, comme des symboles de la fameuse exception culturelle française. On les aime, on attend beaucoup d’eux et pourtant les maires se sentent de plus en plus seuls et abandonnés. L’amour des Français ne suffira sans doute pas à les rassurer. Combien de temps résisteront-

ils ? Combien de temps tiendront-ils encore face aux coups de butoir de l’idéologie dominante, isolés et sans l’aide de l’État ? Vont-ils être sacrifiés sur l’autel de la normalisation ? Va-t-on les remplacer par d’autres, à d’autres échelles ? Vont-ils disparaître et avec eux les villages ?

Un retour en grâce

Pendant des années, les sciences sociales ont délaissé l’étude des espaces ruraux et de leurs habitants. Pourtant les temps changent. Depuis peu, le monde rural revient à la mode. Le village est régulièrement réinvesti par le marketing. Les quartiers des métropoles s’accaparent le terme à des fins de convivialité. À Paris, « Bercy village » est un succès. Ailleurs, des « villages étapes » vous accueillent sur les autoroutes ou voies express. Sur internet, le quartier de Belleville5 se met en scène comme un vrai village avec son histoire, son plan, ses fêtes de village, ses commerçants, ses débats, son guide pratique. Le village en ville. À quand Paris village ? Les « villages de marques » ou « d’antiquaires » ne désemplissent pas. Les distinctions se multiplient. Le club des « plus beaux villages de France » s’agrandit. La maladie de la distinction et de la muséificication contamine jusqu’à la plus petite de nos communes. Des « villages fleuris » au haut débit, rien n’est trop beau pour exister, avec ou sans l’aide de l’Europe. On prête bien des vertus au monde rural. Dans un pays qui craint le futur et le changement et où chacun baigne dans « l’antepathie » - ou amour du passé -, on lui trouve tout à coup bien des atouts et avantages dont la sécurité, le bien-être et la convivialité après lesquels tout le monde court. C’était toujours mieux hier. L’église était au centre du village et les vaches étaient bien gardées. Le travail d’associations comme « Notre Village » est à l’image des mutations qui traversent le monde rural. D’un côté, elles continuent à œuvrer

5. belleville-village.com

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vaches ou celles de l’église, et les autochtones qui trouvent là des repères essentiels. La chasse, l’environnement, la gestion des déchets ou l’urbanisme font partie des sujets de discorde.

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pour « lutter contre la désertification de certains villages ». De l’autre, et face au retour de certaines populations en milieu rural, elles s’investissent pour « faire face à l’arrivée de ces nouveaux habitants et organiser la vie en commun de manière à préserver, voire à améliorer le cadre de vie en général ». Face à l’augmentation des coûts du foncier et des loyers, nombreux sont les couples aux revenus modestes qui ont été chassés des centres des villes, et à l’autre bout les familles plus aisées qui ont trouvé en milieu rural un cadre agréable loin des désagréments supposés de la ville. Dans les milieux parisiens, la « nouvelle loi PLM » (Paris-Luberon-Marrakech) a consacré la place essentielle de la maison de village dans le parcours zigzagant des élites françaises mondialisées. Pour certains, la résidence secondaire a parfois même pris le dessus sur la résidence principale. La cohabitation n’est pas toujours facile. On craint surtout l’arrivée de populations en difficultés, les problèmes d’intégration et les coûts. Le monde de la recherche réinvestit actuellement le monde rural et le village pourrait en profiter. Avec la publication récente de son ouvrage Le Village métamorphosé, l’ethnologue Pascal Dibie6 (lire son article page suivante) semble avoir donné le signal du départ pour de nouvelles investigations. Après lui, colloques, articles scientifiques et programmes de recherche annoncent au moins un retour en grâce du monde rural, avant peut-être une vague de fond. Le rapport du groupe de travail « Nouvelles ruralités » sorti en 2008 sous le titre Les nouvelles ruralités en France à l’horizon 20307 s’aventure même sur les chemins trop désertés de la prospective rurale.

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Résistance ou futurs gagnants ?

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6. Dibie P., 2006, Le village métamorphosé, Terre Humaine, 405 p. 7. Les nouvelles ruralités en France à l’horizon 2030, rapport du Groupe de travail. Nouvelles ruralités, 2008, INRA, 82 p.

Malgré les apparences, le village et le monde rural résistent encore à leur manière aux réseaux, à la convergence croissante des activités et des modes de vie, à la désertion de l’État, à l’ambition folle de gommer les particularités et les différences. Leur seule présence est un signe fort face à la tentation de bâtir un monde homogène et artificiel. Mieux, ils peuvent passer de la résistance à l’offensive, se servent de ce nouveau contexte pour recomposer autre chose échappant au regard impérieux de la ville sur ses marges pour devenir un centre. On a vu qu’il était difficile de réduire le village et l’espace rural à quelques tableaux de chiffres et cartes multicolores. Réfugié derrière des clichés exhibés comme autant de leurres, l’espace rural n’est pas immédiatement compréhensible, aisément quantifiable. Avec ses frontières, ses entraves, ce n’est pas un simple espace économique, sans attaches locales et identités mais un territoire singulier et

complexe, rocailleux, rustique comme l’accent de ceux qui y vivent, un territoire qui exige du temps. Il colle aux souliers. Il laisse entrevoir sa « finitude » et son imperfection. Incarné, il oppose souvent une sourde résistance à ceux qui ne voient en lui qu’une source de complications face à l’extension du domaine de la ville. L’idée même de village dépasse la matérialité des murs de pierre.

Inersement des valeurs ? En ces temps de rejet du gigantisme, d’échec des modèles de développement et de repli de l’État, il est possible que le village retrouve bientôt les faveurs de l’opinion, des aménageurs, urbanistes et autres développeurs. Il est possible que la ville et les urbains viennent y puiser de nouvelles idées et ressources. Les routes du développement durable passeront avec profit par le village. Le label « Notre Village Terre d’avenir » décerné par l’association « Notre village » qui « permet aux villages d'aborder le développement durable de manière concrète et adaptée » est peut-être précurseur. Le retour du small is beautiful, l’arrivée du slow food, le retour en grâce du jardin et d’autres mouvements pourraient prochainement emporter l’adhésion du plus grand nombre. Il est possible que l’on assiste bientôt à un inversement des valeurs : alors que la vie en ville paraît de plus en plus contraignante, la campagne pourrait devenir le nouvel espace de liberté, d’épanouissement, un lieu d’hybridation des modes de vie, d’invention et de créativité. Il faut ré-ouvrir le chantier du rural et du village pour enchanter l’avenir en toute modestie. À la marge de la ville, des hommes et des femmes ont reconstruit des parcours de vie, développé d’autres activités, imaginé de nouvelles pratiques et modes de vie, qui peuvent nourrir les réflexions sur la ville et sur l’urbain. Le village a longtemps été synonyme de « contrôle social ». On le quittait pour accéder à l’anonymat et faire carrière à la ville. L’hypermodernité va-t-elle inverser les flux ? Ira-t-on demain faire carrière à la campagne ? Fuira-t-on en masse la ville pour monter au village ? Après tant d’excès et de prétention urbaine, notre société reviendra peutêtre à plus de modération et de modestie. Loin des clichés, le village pourrait alors tirer son épingle du jeu. Le village prendra-t-il ses quartiers en ville ou la ville s’emparera-t-elle à nouveau de la campagne, manière de la faire disparaître ?… !


Que sont nos villages devenus ? Chaussant ses lunettes d’ethnologue, Pascal Dibie a transformé son village bourguignon de Chichery en laboratoire, pour analyser les profondes transformations du monde rural qu’il a observées en trente années.

La nouvelle donne d’une société de consommation Il semble que ce soit l’invitation et l’accès à une consommation plus large qui ait obligé les gens à

sortir du village puis à prendre l’habitude d’aller chercher ailleurs ce qu’on ne pouvait trouver sur place. Avec ces « sorties », l’espace relationnel s’est élargi, on a commencé à fréquenter un peu moins nos voisins, fait de plus en plus de « connaissances » à l’extérieur et, avec ces nouveaux amis, mis en place, sans s’en rendre vraiment compte, un univers quotidien qui ne ressemble plus du tout à l’ancien. La variété, qui n’était pas traditionnellement inscrite dans le monde paysan, a fait son entrée dans le village : produits nouveaux, amis nouveaux et modes nouvelles ont créé des goûts et des expériences inédites dont on se délecte encore un peu. Le village a rejoint la ville, sinon dans ses plaisirs, au moins dans ses loisirs. En tout villageois, il y a désormais comme un citadin privilégié. Oui, nous avons le privilège de l’espace - une maison, un jardin -, de la tranquillité et (croit-on) du bon air… Nous avons aussi le bonheur de la voiture facile qui nous fait nous déplacer où nous voulons quand nous voulons et nous donne ce sentiment d’existence libre et choisie. Par contre, plus compliqué est devenu le voisinage.

Par Pascal Dibie, ethnologue, écrivain, enseignant-chercheur à l’Université Paris 7

Qui sont les habitants de mon village ? On assiste en effet à une complexification de la population dite à tort villageoise, les termes en zone rurale, pour nos (ex)villages et rurbains pour leurs habitants, seraient plus appropriés. Toujours est-il que le fameux refrain sur l’homogénéité des habitants des villages n’est plus la règle. À bien y regarder, dans mon propre village, à Chichery, on peut désormais compter une minorité d’anciens paysans, les derniers « campagnards » qui ne représentent plus en France que 10 % de la population des villages.

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Le village n’est rien d’autre à l’origine que le résultat d’un début de vie en commun de familles distinctes qui produisirent un arrangement de l’espace où l’homme et ses maisons contiguës se calèrent au mieux qu’ils purent jusqu'à construire une harmonie. C’est aussi le fruit d’un univers qui s’invente en résonance avec les hommes qui le peuplent. Le village est une idée, comme l’écrivait Gaston Roupnel, sortie de « la mise en compte humain de toutes les valeurs et de toutes les figures inscrites par le sol et les lieux […] C’est un être vivant, qui a pris forme de son chantier et s’est façonné, comme les hommes, de ses œuvres. Il se dilate ou se contracte ; s’amplifie ou se rétrécit du mouvement qui recule ses frontières ». Les frontières de mon village, Chichery, ont en effet bougé, pour ne pas dire explosé. Nous en sommes à cet instant où l’espace géographique et social se modifie et où les villages, tous les villages du monde, se métamorphosent. D’hommes en pays il ne reste plus guère ; quant à nous, si nos maisons existent encore, nous sommes bel et bien montés dans le train à grande vitesse de la modernité et notre emballement ne surprend plus personne. Personne ne contestera que, tout comme les paysages, les villages se modifient. Ce qui faisait leur terreau et l’alimentait de sa dramatique quotidienne, l’homme, s’échappe chaque jour vers d’autres horizons, aimanté par l’irrésistible périphérie des villes où se développent les temples d’une nouvelle façon d’être : la consommation.

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On peut y ajouter les bienheureux retraités locaux, le plus souvent des enfants du pays qui s’étaient exilés en ville et font un retour au village bien mérité. Ces derniers estiment qu’ils vont enfin pouvoir jouir de leur vie libre sur ce qu’ils considèrent plus comme leur terroir que leur territoire. Très souvent, aux premiers temps de la retraite, ils s’investissent dans la vie du village, avant que de se sentir fatigués, ils ne cèdent leur place à des plus jeunes, voire à des « étrangers ». Une nouvelle espèce d’habitants vient en effet repeupler nos villages. On peut les catégoriser en « conversationnistes » et en « réenracinés ». Ces héros contemporains du grand retour sont venus se ressourcer à la campagne. Ils n’ont de cesse d’essayer de reconstituer la campagne. Militants du « vrai », de l’authentique, ce sont des décalés du temps qui voudraient que subsiste encore le village d’hier. Ils s’inventent des associations aussi diverses que peu variées pour défendre de nouveaux terroirs au nom de la patrimonialisation du monde rural. Partout désormais fleurissent ces « logiques vertes » qui réclament l’impossible : du naturel, du rural, du bucolique, du sans bruit, du sans pollution, du sans odeur et tous les avantages de la ville… La mode passera, si elle n’est pas déjà passée ! Il y a aussi ces nouveaux voisins qui sont en village parce qu’ils refusent la civilisation urbaine et ses tracas. Ces derniers, à la recherche d’un antimodèle urbain anticapitaliste, venus chercher l’opposé de ce qu’ils vivaient en ville, croient un peu en l’ancien théâtre rupestre idéal, mais ils ont le mérite de l’ouverture, du dialogue et de la recherche d’échanges, aussi bien de services

qu’intellectuels. Plus inquiétante du point de vue du devenir de nos espaces ruraux est l’arrivée d’habitants inattendus issus d’une logique du refus. Il s’agit d’une frange nouvelle et de plus en plus importante qui vient habiter les quelques logements sociaux mis a leur disposition dans nos villages. Tout comme leurs voisins, ils voudraient bien jouir des plaisirs de la consommation et de l’accès aux services de la ville, mais leurs revenus quasi inexistants font que le plus souvent ce sont des victimes de la logique urbaine de l’exclusion. Ils sont devenus, par les faits économiques, des sous-citoyens en ce qu’ils ne peuvent pas participer à temps plein à la société de consommation. Ceux-ci, presque ostracisés par la population qui les entoure et s’en méfie, vivent le village comme un lieu de réclusion. Périphérisés contre leur gré, ils vivent très mal « le profond emmerdement de la ruralité », pour reprendre l’expression de Raymond Queneau, et se sentent comme assignés à résidence par

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Tentative de définition du village

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1. Source : http://www.urbanisme. equipement.gouv.fr/IMG /pdf/Littoral_3_c le72d5d6.pdf

Définir le terme village n’est pas chose aisée. Si l’on commence par revenir à son étymologie, on constate que village dérive du latin médiéval villagium qui signifie groupe d'habitations rurales. Le Petit Robert ajoute « groupe d’habitations assez important pour avoir une vie propre (à la différence du hameau) ». Côté démographie, il n’existe pas de définition du village. Ou en creux, si l’on considère que l’urbain ou la ville commence avec 2 000 habitants agglomérés. Sur les 36 500 communes françaises, 31 200 sont rurales et 5 300 urbaines. Parmi les communes rurales, le plus grand nombre (27 000) ont moins de 1 000 habitants et plus de 10 000 communes comptent

entre 200 et 500 habitants. En France, la population rurale est particulièrement nombreuse dans l’Ouest de la France. Dans certaines régions françaises, comme en LoireAtlantique ou en Bretagne, les habitants utilisent le terme de village pour toute agglomération d'habitations, par opposition au bourg qui est le cheflieu communal. La dénomination village peut alors être utilisée en lieu et place de celle de hameau. En Haute-Loire, on parle également du bourg et de ses villages. Finalement, ce qui caractérise le plus concrètement le village, c’est d’une part sa forme continue et d’autre part son caractère vivant. D’après la direction générale de l’Urbanisme, de l’Habitat et


Une inexorable accélération ? Pour la majorité des habitants, l’histoire individuelle ne se construit plus au village, d’une part parce que le village n’a plus cure de son finage et qu’il fait désormais partie intégrante d’un territoire urbain, d’autre part parce que notre rapport au temps et à l’espace s’est entièrement modifié. Nous avons subi, comme en ville, l’accélération générale de notre vie et de ce qui s’y rapporte, ce n’est plus désormais le présent qui nous préoccupe mais le futur qui s’est installé comme la philosophie du temps. Il semblerait que la dimension temporelle se développe en un continuum ininterrompu où le futur, comme le passé, est sans cesse valorisé et le présent inexistant. Ainsi, c’est le rythme, notre rythme de vie qui s’est profondément modifié. Il s’est accéléré au point que plus personne au village n’a de temps pour l’autre en dehors de la famille. Tous, nous nous sommes inscrits dans une urgence absolue qui nous pousse toujours plus en avant et fait de la vitesse le parangon de notre fonctionnement. Le changement est visible de ce côté-là ; nous sommes pris dans cet étrange maelström et nos récriminations individuelles, lorsque nous nous rencontrons, vont dans ce sens, sans que nous puissions donner aucune réponse. Wittgenstein écrit à propos des tentatives de décryptage de nos sociétés contemporaines « nous attendons à tort une explication alors que c’est une description qui est la solution de la diffi-

de la Construction1, le village est un ensemble d'habitations organisé autour d'un noyau traditionnel, assez important pour avoir une vie propre. Plus importants que les hameaux, les villages offrent des services de proximité - administratifs (mairie, école…), cultuels ou commerciaux - tout au long de l'année. En termes de composition, ce qui caractérise le village est son unité. Unité par la continuité du bâti, par son organisation et son implantation spatiale le long des voies et des espaces publics. Notons que cette forme continue peut prendre des configurations diverses, selon la géographie et l’histoire du lieu, villages-rue en Lorraine, villages circulaires du Languedoc, villages perchés, etc.

culté ». Voila pourquoi j’ai chaussé, à trente ans d’intervalle, mes lunettes d’ethnologue et me suis lancé dans la description au plus près de mon petit village de l’Yonne à travers Le village retrouvé (1979) et Le village métamorphosé. Révolution dans la France profonde (2006). C’est ainsi que j’ai tenté de débusquer les changements des cultures, des hommes et des consciences survenus dans notre fragile univers. Je me suis intéressé aux phénomènes banals mais irrésistibles qui, en cette entrée dans le XXIe siècle tout neuf, ont opéré une véritable révolution dans nos villages et dans nos villes désormais inséparables. J’ai décrit autant que j’ai pu et j’ai reçu la confirmation que la métamorphose de nos sociétés est bien réelle, que nos échelles ont changé et avec elles la pensée et un large pan de notre humanité. !

Le caractère rural est inhérent au village ; le parcellaire agricole préexistant conditionne la trame du tissu urbain et, par conséquent, le rythme des constructions et l'orientation des voies. Le relief apparaît souvent comme un facteur qui ordonne et clarifie la forme urbaine des villages. Le village planétaire Quant au village planétaire (en anglais global village), c’est une expression récente qui manifeste à la fois le raccourcissement des distances dû au développement des communications (particulièrement avec les NTIC) et met en évidence la globalisation de l’économie qui engendre une « autarcie » à l’échelle de la planète entière.

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manque de moyens. Ces derniers sont vécus dans les villages comme l’avant-garde des exclus du système.

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« Revillagiser » le monde Surtout connu comme l’un des penseurs de la décroissance, Serge Latouche a notamment conceptualisé l’après-développement. Il pointe les dangers de l'uniformisation du monde, sous prétexte d'universalisation du modèle politico-économique. Entretien avec Serge Latouche, économiste, contributeur de la revue du Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales, professeur émérite à la faculté de droit, economie et gestion Jean Monnet de l’Université Paris XI.

Le monde est tout sauf un village, et dans le même temps, il faut se faire à l’idée qu’il ne sera plus comme avant, avec des cloisonnements, que l’on ne pourra plus s’enfermer dans un lieu séparé des autres. Ce qui se joue d’un côté a des répercussions sur l’autre : avec internet, nous sommes tous reliés en temps réel, mais ce village est aussi traversé de conflits. Il me semble que cette notion de village global recouvre celle d’universalisme, avec cette idée un peu terrifiante, un peu totalitaire d’uni. L’homme n’est pas fait pour vivre dans une seule société, dans une seule culture. Pour qu’il y ait une culture, il en faut au moins deux différentes, chacune se

définissant par opposition ou en complémentarité avec une autre. Je pense beaucoup plus à un monde pluriel de coexistence de dialogues interculturels, de dialogues plus ou moins conflictuels, un espace de « diversalité », plutôt que d’universalité. Mes collègues économistes disent que nous sommes allés beaucoup trop loin - cela est confirmé, la crise financière est en partie une conséquence de l’unification des marchés financiers. Il faut donc aujourd’hui refragmenter les marchés financiers. « Revillagiser » le monde, cela ne serait pas, à mon avis, une idée stupide. En tant qu’économiste, je suis sensible à l’idée de relocaliser les emplois, notamment face aux

Mon quartier, c’est un village

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Texte issu du travail réalisé par l’Agence d’urbanisme et le département de sociologie de l’Université de Grenoble appelé Baromêtre de quartiers.

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Dans chaque quartier, des habitants structurent leur vie sociale au niveau local du quartier, tandis que pour d’autres, le quartier est un « simple toit ». Si ces derniers réduisent volontiers le quartier à l’unité résidentielle du logement, les premiers, plus nombreux, ceux qui enracinent leur vie dans le quartier, le qualifient volontiers de micro-monde autosuffisant. « Mon quartier, c’est un village » est une première représentation formulée dans plusieurs quartiers, très différents les uns des autres. Quelle représentation est à l’œuvre dans cette formulation ?

Mon quartier est unique L’affirmation « mon quartier, c’est un village » a certainement un rapport avec la mémoire du quartier. Alors que son histoire est mal maîtrisée par les habitants, alors que depuis longtemps, les anciens quartiers ont disparu, le village de la tradition se réintroduit métaphoriquement dans les quartiers. Les habitants réinventent-ils un fil avec le passé ? Est-ce une manière de rendre le quartier habita-

ble ? Cela exprime-t-il un propos anti-ville ? Dans certains cas, oui. La ville est alors vue comme nocive, destructrice de liens, etc. Dans d’autres cas, non : n’est-ce pas alors plutôt reconnaître une forte « identité de quartier » ? Est-ce vouloir montrer la singularité de son quartier, face à l’universel de l’urbain ? Est-ce une manière d’humaniser son quartier ? Est-ce une façon de contrecarrer la qualification de quartier dit « fragilisé » ? Car le village, par sa métaphore, est fondé sur l’interconnaissance, sur le mélange « harmonieux » des différences sociales, économiques et culturelles. Est-ce une manière de fournir une image alternative du quartier, pour combattre la réalité d’une double désaffiliation qui conjugue précarité du travail et fragilité relationnelle ? Ou est-ce une manière de se défaire du « statut d’assisté » ? Dire du quartier, « c’est un village », c’est en tout état de cause lui donner une dimension humaine qui signale qu’on y est attaché, mieux, qu’on appartient à cette entité.


problèmes de chômage. En fait, je pense qu’il faut relocaliser la vie tout simplement, redonner sens au vivre localement, donc « reterritorialiser », relocaliser la politique, le politique. Cela touche à la question démocratique, qui ne peut qu’être villageoise, de mon point de vue. Or, notre système politique entraîne une perversion, que j’ai pu observer, dans le village de trois cents habitants des Pyrénées Orientales dans lequel je vis. Nous avons élu une équipe municipale très sympathique, plurielle, avec une charte éthique qui a fonctionné quelques mois, mais qui ensuite est retombée. Car il faut le savoir, le Code des communes ne reconnaît qu’une personne : le maire. La collégialité n’est pas reconnue. Les villages font, d’un certain point de vue, la richesse de la France. Je passe une grande partie de ma vie en Italie, pays qui comporte moins de communes. Il existe des communes qui sont fractions d’autres : par exemple, la commune de Grimaldi Ventimiglia est une commune de montagne de mille habitants, fraction de Ventimiglia, c'est-àdire qu’elle n’a aucun pouvoir. Dans cette ville, il n’y a pas une épicerie, la première est à une demie heure sur des routes de montagne, sans bus. Ces villages finissent par devenir des lieux de résidence secondaire pour des gens qui viennent en voiture, avec au moins deux voitures par foyer. En revanche, ces villages sont vides, sans un emploi local, il n’y a rien mis à part le curé. À partir de cette expérience italienne, je me pose donc la question de ce que vont produire, en

France, les regroupements de communes, les communautés de communes…

Mon quartier, cette grande famille

Le quartier, solidaire et collectif

Cela exprime-t-il un repli sur des valeurs locales qui limite l’horizon à un rêve d’autarcie villageoise ? Le quartier comme village rejoint alors l’idée du quartier comme « grande famille », qui assure une autosuffisance affective et économique ainsi qu’une protection rapprochée. Les relations, fondées sur un partage d’expériences, nouent une communauté de fortune, où la communication, sans aller jusqu’à la communion, constate au moins un destin partagé. Il y a à l’œuvre une culture relationnelle d’entraide. Cela témoigne d’un art de garder un réseau de distances vivables où l’on recherche une ambiance protectrice de camaraderie. Mais cette ambiance de camaraderie est fragile, tout ce qui y met du désordre risque de la menacer. N’oublions pas que le village est un lieu où les conflits sont exacerbés. La métaphore du quartier-village est-elle l’expression « naïve » d’une prédisposition à la sociabilité ? C’est le mélange jeunes/vieux, plus riches/moins riches, etc., qui assure la circulation du désir de vivre ensemble, avec et malgré les différences et les difficultés.

Face à un monde social en plein bouleversement, n’est-ce pas alors se rassurer à bon compte et désigner là un havre de paix sociale complètement en décalage par rapport aux représentations médiatiques des banlieues ? Ce retour à des valeurs passées exprime une manière de reconstruire du stable, là où on est menacé par la précarisation. Le village n’est-il pas une métaphore pour contrer toutes ces représentations d’anomie que les experts collent aux habitants ? Ne s’agit-il pas, face au processus d’individualisation, de déclarer une manière de vie qui s’imagine encore solidaire et collective ? Dans beaucoup de quartiers, nous avions diagnostiqué une espèce de repli frileux d’une partie des habitants dans la sphère du logement, comme cocooning ultra moderne et spécifique aux classes sociales à l’abri. Ne faut-il pas faire volte face et se demander au contraire, loin de l’individualisme imposé par nos sociétés, comment le collectif est en sourdine fabriqué en permanence par les discours des habitants ? Le village n’est-il pas alors une expression de vie plus collective que passéiste ?

Des villages autonomes ?

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Je pense, comme certains du Mouvement pour la décroissance, qu’il faudrait fractionner les villes et constituer des « démos ». Une ville de six millions d’habitants nous paraît trop importante, chaque quartier pourrait constituer un « démos » autonome... En effet, nous pouvons nous poser la question face à la crise écologique : est-ce qu’une ville de six millions d’habitants, et à plus forte raison, une mégalopole comme Shangaï ou Mexico avec ses vingt à vingt-cinq millions d’habitants, sont des villes soutenables ? Il serait raisonnable de limiter les tailles des villes. Certains avancent le chiffre de trente mille, d’autres de soixante mille habitants… un nombre qui permet d’être à la fois autonome et complémentaire. Mais cela suppose une véritable révolution culturelle. On peut regarder du côté de l’histoire, ce qui nous permet d’inverser notre réflexion actuelle : par exemple, à l’époque de la fin de l’empire Romain, lorsque Rome est passé de deux millions à trente mille habitants, voire moins. Les archéologues redécouvrent aujourd’hui la période que les Italiens appellent le « tardo antico ». Ils analysent comment, petit à petit, tout s’est dégradé, les aqueducs ne fonctionnaient plus et l’agriculture déclinait. L’approvisionnement s’organisait alors autour de « diacres », chargés par des petits groupes d’habitants de subvenir aux besoins des communautés qui installaient une

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petite église dans un ancien temple…

Des villages en résistance Il existe aujourd’hui en Angleterre un mouvement appelé « transition towns » : ce sont des villes se préparant à l’autonomie énergétique. Je pourrais aussi pointer le cas de communes qui tentent d’éviter des catastrophes, comme ce fut le cas de Mouans-Sartoux, à quelques kilomètres de Cannes. Cette zone, particulièrement sensible à la pression foncière, était destinée à devenir une banlieue de Cannes, avec des projets faisant disparaître tout ce qui pouvait rester d’agriculture, alors que c’était encore une zone de vignobles et de culture florale. La première bataille de l’équipe élue menée par André Aschieri, a été d’empêcher la destruction du tissu agricole ; elle a en partie réussi et il reste aujourd’hui quelques agriculteurs. L’équipe a aussi évité le pire des projets immobiliers de construction de résidences de luxe, qui prévoyait de faire passer la commune à trente mille habitants. La seconde bataille à été d’obtenir la réouverture de la gare, qui permet aujourd’hui plus de dix dessertes par jour.

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Les villages africains

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En Afrique, la ville, le village est avant tout un groupe humain, le bâti est tout à fait secondaire. L’idéal traditionnel de la société africaine est exprimé par le mot bamtaare qui est l’harmonie du groupe humain vivant dans le même lieu, et c’est la fonction fondamentale de la palabre. La palabre est cette gestion de l’harmonie villageoise, qui ne réussit certes pas toujours ; lorsqu’il y a de gros conflits, le village éclate et une partie va fonder un autre village. En Afrique, une communauté humaine crée son habitat et encore aujourd’hui, des communautés se déplacent et vont construire le village ailleurs. En Occident, des gens s’installent et ne feront jamais une communauté au sens africain, notre façon d’habiter est totalement différente. Ce qui ne veut pas dire qu’un village africain ne peut pas facilement accueillir des étrangers. Dans l’histoire africaine, on sait que telle famille n’est pas dans la communauté originelle, c’est inimaginable le temps que passent les villageois à parler des origines, de la généalogie ; et comme il n’y a pas de textes écrits, chacun peut réinventer une histoire qui alimente les discussions le soir, à la veillée, et qui alimente aussi les conflits.

L’économie du village On oppose souvent la ville et le village, ce dernier étant un lieu où il n’y aurait pas d’échanges. Mais la ville était le lieu du marché et donc des

échanges marchands. Dans les villages, il existe des échanges non marchands, les coups de main étaient traditionnels, on tenait une comptabilité d’entraide, l’économie du don. Il existe donc une économie, des échanges importants, mais non médiatisés par le marché et très peu par la monnaie. Les villes, elles, ont besoin de s’approvisionner et donc de consommer ce qu’elles ne produisent pas, et avec notre système actuel, nous sommes arrivés à des cas caricaturaux comme celui des crevettes danoises nettoyées au Maroc puis revenant au Danemark avant d’être vendues dans le monde entier… En revanche, il faut garder les marchés locaux, lieux d’échanges, de marchandage, avec des rapports humains, où le prix change d’après le statut des personnes… Les Français adorent les marchés, ils vont aux puces le dimanche, c’est le type même des marchés de sociabilité où l’on passe du temps, ça a un côté festif et ça n’a rien à voir avec un supermarché ! Dans la société de décroissance telle que je l’imagine, l’idée est d’articuler des échanges non marchands et des échanges marchands qui n’obéissent pas à la pure logique du marché, une sorte de métissage du marché par l’esprit du don, du marchand par le non marchand et le plus possible local. Ce n’est pas vraiment nouveau, car John Maynard Keynes disait : « les marchandises doivent circuler le moins possible, les hommes et les idées peuvent circuler le plus librement possible, et les capitaux pas du tout », or nous avons fait exactement le contraire.


Être village à 12 kilomètres de Grenoble

Depuis 1871, les élus du Sappey se posent régulièrement la question de l’aménagement d’une place de village. Or, le Sappey c’est : un village coupé en deux par une départementale, un habitat diffus, un centre village difficile à identifier en dehors de l’église. Nous voulions éviter que la création d’une place soit un simple geste ornemental et nous conduise à faire l’impasse sur une réflexion en profondeur sur l’espace. Le village avait le sentiment de ne pas exister s’il n’avait pas un lieu central qualifié de « place de village ». L’idée est venue d’inverser la question : la place de village, non pas comme point de départ, mais comme aboutissement.

Qu’est-ce qu’un village ? Nous nous sommes posé la question : qu’est-ce qui fait village ? Où ça commence, où ça s’arrête ? Cela nous a renvoyé aux limites et formes du village. Nous nous disions que lorsque nous aurions exploré les deux questions, celle de la place arriverait naturellement, comme un aboutissement. Cela nous a fait changer de méthode : au lieu d’engager tout de suite des travaux, nous avons constitué un groupe de travail réunissant le CAUE1, l’Agence d’urbanisme, le Syndicat mixte du Schéma directeur, la DDE. Pour une fois, un village ne s’occupait pas que de son embellissement mais proposait une réflexion sur l’espace de vie, ses fonctions et ses articulations dans le temps. Le CAUE a produit un diagnostic : l’histoire du lieu, sa morphologie, ses dysfonctionnements, ses atouts. Et nous avons commencé à tracer des axes politiques. Ce document a permis de faire évoluer la réflexion des élus. Et cela a permis de gagner

cinq ou dix ans, car au lieu d’être dans l’acces- Par Roger Caracache, soire, nous n’étions pas loin d’un PADD2. Nous maire du Sappey de posions les bonnes questions, nous savions globa- 2001 à 2008 lement ce que nous ne voulions pas et vers quoi nous voulions aller. Qu’est-ce qui fait village ? Et bien ce qui fait village, c’est la possibilité de subvenir aux besoins de la population sur place, c’est développer les services de proximité et des emplois intramuros et être en relative indépendance de la grande ville, tout en (dans notre cas) entretenant des échanges avec la vallée. Les gens qui viennent habiter là ont des projets de vie qui supposent d’être à la fois en rupture et en liaison avec l’urbain. Pour qu’il y ait village, il faut qu’il y ait un vide autour, autrement c’est un quartier, c’est un espace habité relié à une continuité d’habitat. Au fond, pour moi, ce qui fait village, c’est la dialectique entre le creux et le plein. Cette réflexion allait aussi nous servir pour dimensionner cet espace de vie. Si nous voulions rester village, nous avions un adversaire, c’était l’étalement. À douze kilomètres de Grenoble, comment peut-on encore faire village ? Nous avions un premier atout : il y a un col à passer, nous sommes à mille mètres d’altitude, il y a un changement climatique… Mais nous pouvons très facilement devenir une banlieue verte de Grenoble. Et l’idée d’être un élément accroché à Grenoble était inconcevable pour les élus. Pour qu’il y ait village, il faut qu’il y ait une entrée 1. Conseil d’architecture, et une sortie, et c’était à nous de bien marquer les d’urbanisme et de limites. Elles devaient être le moins artificielles l’environnement 2. Projet d’aménagement possible, c'est-à-dire que par la suite, l’habitat et de développement devait s’inscrire dans cette morphologie pour durable

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Le Sappey-en-Chartreuse, niché à mille mètres d’altitude, à une douzaine de kilomètres de Grenoble, séduit de plus en plus d’urbains en quête de verdure et de grands espaces. Comment continuer à construire un village vivant sans devenir une banlieue verte de Grenoble ? Roger Caracache nous livre son expérience et quelques pistes de réflexion.

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venir l’affirmer et la revendiquer. Derrière cette question, cela supposait la densification, une réflexion sur la forme du bâti, une réflexion qui renoue avec l’histoire de l’habitat local.

Une proposition qui a fait polémique En 2004, la commune a proposé un projet de création d’un bâtiment de douze logements sociaux, contemporain sur le plan architectural, sur pilotis, tout en bois et sans le « traditionnel » toit à quatre pans chartrousin. Ce projet a provoqué une importante levée de boucliers [ndlr].

Les opposants au projet considéraient les aménagements proposés comme trop modernes. Cette polémique a été très intéressante, car nous ne pouvions pas être dans cette dialectique du proche de l’urbain et de la distinction si à notre tour on n’inversait pas ce sens-là, en montrant qu’en montagne nous n’étions pas obligés de faire de « l’esthétique ONF ». Nous pouvons être un village de montagne, affirmer nos atouts dans l’identitaire - la forêt, la nature - et en même temps produire de la modernité. Pour les habitants, ce qui fait village, c’est une bonbonnière au centre avec mon épicier, mon école, ma poste, mon église, mon parking, mon bistrot… ça c’est pour la socialité, et le reste, c’est ma maison-chalet avec deux à trois mille mètres carré de terrain. Mais le village ce n’est pas ça, le village, c’est un bourg avec évidemment tout cela,

et puis un habitat densifié : des petits groupes de maisons, des hameaux densifiés aussi. C’est une conduite urbanistique très encadrée, où sont imposés des gabarits de hauteurs, d’alignements, avec un cahier des charges dans lequel l’architecte devra s’inscrire et non pas passer des heures en commission urbanisme pour savoir si tel pan de mur est conforme ou pas. Il s’est joué un vrai conflit sur la perception de cet espace là. Au fond, nous avons désespérément tenté cette hypothèse qui persistait à dire : « je peux être différent à douze kilomètres d’une ville et de ma différence je vais faire un atout, je vais jouer moderne pour marquer plus fort… ». Au lieu de faire un modèle réduit de la ville, je voulais travailler sur la modernité pour aboutir à une personnalisation du lieu qui se distingue de la ville par sa morphologie et qui propose une manière d’habiter en montagne créative. Ça n’est pas passé.

Conjuguer tradition et modernité Le pari était d’être à la fois inscrit dans une forme urbaine de tradition, et en même temps dans la modernité. Modernité dans les actes et les formes architecturales, c'est-à-dire l’inverse de l’urbain : l’inverse de la vallée qui s’étale, l’inverse de la vallée qui se coupe en pastilles… Pour les habitants, collectif est égal à ville. C’est curieux, parce que des logements collectifs au

Créer des agglomérations rurales pour sauver le village

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Rencontre avec Claude Terouinard, Président des maires ruraux d'Eure-et-Loir, maire de Chatillon-en-Dunois

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Selon vous, quels sont les critères qui définissent un village, aujourd’hui ? Un village, c’est le temps qui passe et qui ne meurt jamais : c’est aussi les matériaux du lieu qui ont servi à bâtir les maisons du village, simples mais expressions d’un terroir. Les habitants y passent, s’y enracinent parfois, mais le village a toujours la même mission : les accueillir au fil des ans. Un village, ça permet d’échapper à la part de fragilité qui nous interpelle en nous procurant la certitude d’une certaine pérennité, où l’habitant met ses pas dans ceux de ceux qui l’ont précédé, tout en préparant la place des générations à venir. Il y a encore beaucoup de sédentarité au village, dans un monde bouleversé par la mobilité et la concentration urbaine . C’est un des grands défis de la ruralité : après le « paysan maître en son village », savoir, dans la vocation résidentielle du village, préserver l’âme du village pour sauver en chaque villageois toute sa part d’humanité et d’altruisme. Les critères d’un village resteront toujours identiques, car le village habite le villageois,.

Quel est le quotidien d’un maire d’un village, aujourd’hui ? Le quotidien d’un maire aujourd’hui a changé, car les habitants, de plus en plus éduqués en ville, y éprouvent parfois un sentiment d’éloignement et d’isolement. Le maire vit au milieu de tous, les écoute, leur donne les dernières nouvelles, les conseille pour s’y retrouver dans la complexité des circuits administratifs. Le maire essaie aussi, avec de petits moyens humains et financiers, d’adapter son village aux défis de la « résidentialisation » tout en sauvegardant une certaine vision de l’espace et de la répartition de l’habitat. On dit que l’avenir des villages passe obligatoirement par l’intercommunalité.... Les villages sont aujourd’hui confrontés à l’ambition « métropolitaine » de mettre en place la société de l’urbanité généralisée, où les campagnes seraient avant tout des lieux de contemplation et accessoirement des espaces de production. La ville veut imposer sa vision du village pour y retrouver des racines,


Structurer le cœur de village À partir d’une question de place, la réflexion a donc été riche. La première attente était de renforcer le tissu de service de proximité commercial, la seconde était d’être un village plus accueillant sur le plan du cadre de vie. Pour cela, il était nécessaire d’avoir de la maîtrise foncière pour pouvoir produire du logement là où nous le décidions, et pas en fonction de l’évolution du marché, afin de donner un tissu plus dense au sein du village. Cela s’est accompagné de mesures politiques. Nous avons été le premier village à entrer dans l’EPFL3. Et nous en avons abusé, de l’EPFL, puisque nous avons fait quatre opérations. Lorsque nous avons parlé de maîtrise foncière,

des lieux de beauté et de liberté. L’intercommunalité, face à cette lourde menace, doit dépasser la mutualisation de services à la population. Elle doit non seulement regrouper les villages, mais, face au retrait inéluctable de l’État, elle doit atteindre une taille critique qui lui permettra de recruter des hommes et des femmes en mesure de répondre aux défis de cet impérialisme urbain. C’est peut-être par la création d’agglomérations rurales que l’on sauvera le village. L’habitat et l’urbanisme doivent être l’expression concrète d’une certaine vision du village, sachant habilement marier tradition et modernité. La notion de village est très présente dans la tête des gens, pourquoi ? La France fut une nation paysanne jusqu’à la fin du XIXe siècle et même au début du XXe siècle. Dès que l’on part à la recherche de ses ancêtres, on aboutit dans un village, véritable mémoire de la société, alors modelée par l’agriculture. Et puis le temps de

cela a fait un tollé. Et nous avons montré que cela pouvait se faire dans des conditions très loyales. La commune a acheté la grange qui est à l’entrée du village pour y installer douze logements et des surfaces commerciales ou de services. Elle a surtout acheté, sur le centre même du village, une grande maison ancienne pour y installer la mairie. Elle a aussi acquis un pan de maison pour transférer le bureau de tabac qui était dans une impasse, elle a acheté un bout de terrain à l’autre bout de la place… Enfin, nous avons fait un jeu de dominos qui a structuré pour les quinze à vingt ans à venir le cœur de village. Nous jouions les développeurs locaux en facilitant le déménagement de certains commerces et en servant de marchepied. Peu à peu, une dynamique s’est installée, mais vous êtes obligé de passer par là pour montrer que c’est possible.

Être producteur de son lieu de vie Nous avons aussi des reproches à nous faire, la démonstration n’a jamais vraiment été faite que l’habitat groupé, l’habitat intermédiaire, étaient si convaincants que ça. À Villeurbanne, il y a une opération qui s’appelle « le village vertical ». Des personnes constituent des groupes pour acheter des terrains et concevoir de l’habiter ensemble. L’image du village vertical est intéressante, car nous retrouvons à la fois la symbolique du village, du vivre ensemble et le

l’industrie a concentré dans les banlieues les hommes de la terre. Mais avec la montée des services et de l’individualisme ou de l’indifférence à l’Autre, on rêve d’une autre vie… Alors, les citadins redécouvrent toutes ces petites communautés humaines que sont nos villages, où ils ont sans doute l’impression que dans un monde agité, bouleversant, ici, au village, le temps s’est comme immobilisé, que les gens ne sont pas obsédés par la frime, que l’être y compte plus que l’avoir, que manger les légumes de son jardin est un luxe de roi, qu’au fond, à part la santé, il ne peut rien vous arriver et que même s’il vous arrive quelque chose, il y aura toujours un bras secourable pour vous soutenir, à commencer par le maire. Car le village sait toujours accueillir celui qui fait l’effort de le comprendre et de l’aimer. Le village est une structure durable, qu’il convient de développer dans le respect de son environnement et de son harmonie sociale. !

3. Établissement public foncier local

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Sappey, il y en a, et pas toujours très heureux sur le plan architectural. Comment se fait-il que nous avons fait des bâtiments collectifs de dix, quinze, vingt logements il y a quinze ou vingt ans et qu’aujourd’hui on en soit incapable ? J’ai un début d’explication avec les anciens : les anciens du village ne se sont jamais opposés à tout cela ; pour eux, un vrai village, c’est un village qui investit, qui crée des logements pour les habitants. Ce type d’aménagement, si cela ressemble à la ville, cela veut dire que l’on a de l’avenir, que l’on est en progrès. Si nous n’intégrons pas de mixité, des classes moyennes, des jeunes, nous n’aurons ni diversité, ni potentialités de services.

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vertical. Pour une fois, il y a une demande sociale, qui n’est pas typée, et qui se pose la question du partage et de la mixité de l’espace, du déplacement, de l’intergénérationnel, etc… Et ces personnes, réintroduisent la notion de village par le vécu.

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Cela suppose aussi qu’il y ait des architectes qui se mobilisent et que les gens ne désertent pas le collectif au profit de la maison individuelle. J’ai commencé à le vivre au Sappey avec l’arrivée de jeunes couples qui avaient envie de quitter la ville et qui, pour une fois, pensaient que c’était idiot d’acheter deux mille mètres carré et que plutôt que d’acheter seuls, ils pouvaient s’y mettre à plusieurs et cela coûterait bien moins cher. Donc on entre par le biais de l’économie et par la génération nouvelle dans une autre façon de concevoir le bien-être et l’aménagement, à la fois poussée par l’économie et par une forme d’utopie. Regardez ce qui se passe dans le logement social, on catégorise, puis on va chercher les habitants. Et si nous faisions l’inverse ? Si nous réunissions des gens et si avec eux nous montions le projet. Je crois que nous pouvons être producteurs de notre lieu de vie. Il faudrait avoir des aides institutionnelles qui permettent notamment aux petits villages de tenter cette aventure de la densification, d’une nouvelle forme urbaine. Or politiquement, sur le plan des moyens, il n’y a pas un soutien très fort, donc la vision dominante reprend le dessus.

Le village imaginaire Qu’est-ce qui fait que l’on soit, depuis quelques années, dans ce retour idéologique et culturel vers le pastiche et l’ancien ? Pourquoi ce refus de la « modernité » ? Pourquoi s’accrocher désespérément à cette pseudo forme du passé ? Qu’est-ce qui fait que ces habitants en mal de ruralité fabriquent un espace esthétique qui n’a aucun sens historiquement ? Si nous lâchions nos règlements d’urbanisme, des maisons en rondins de bois fleuriraient partout… C'est-à-dire que l’on associe la moyenne montagne au chalet suisse. Il serait intéressant de creuser la question de l’imaginaire dans l’habitat, l’imaginaire imposé aussi. Pourquoi la singularité, la fantaisie, la personnalisation ne s’expriment pas là, alors qu’elles s’expriment dans l’habit, dans les mœurs, dans la voiture ? Si vous dites aux gens que demain il n’y aura que trois types de voiture, ils descendent tous dans la rue pour défiler ; et dans l’habitat, grosso modo, ils font tous la même maison, croyant d’ailleurs qu’ils n’ont pas la même. C’est un paradoxe de la situation. Je n’arrive pas à m’expliquer ce besoin de standard ! Je m’interroge sur la survie du village. Si les communes n’abandonnent pas l’idée qu’elles sont une station de ski pour devenir un village quelque part en Chartreuse avec une réflexion profonde sur l’identité, la capacité de développement, l’originalité du site, elles vont se faire dépasser urbanistiquement, au nom de cette population qui, grâce au Parc [naturel régional de Chartreuse] peut acheter trois mille mètres carré de terrain. Nous sommes destinés à être des zones résidentielles de grand luxe.


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Un village sur la planète

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Le village, comme récit de soi Pour Nicole Mathieu, l’importance est d’entendre ce que les gens disent et ressentent, les mots qui révèlent leurs souffrances ou désirs et leur aspiration au bien être. Ella a construit le concept de « mode d’habiter » qui désigne les types de relation des sociétés à leurs lieux de vie, à leurs milieux et ressources.

Le concept de mode d’habiter Bâti sur un entre-deux-concepts, celui géographique de genre de vie3, devenu obsolète pour cause d’abandon du paradigme des rapports sociétés/natures par la géographie, et celui sociologique de mode de vie, banalisé par l’usage statistique et le discours circulant sur les modes de vie urbains, le concept de mode d’habiter est construit pour recomposer les deux versants des expressions antérieures. Pour genre de vie, le versant de la matérialité et de la naturalité du social ; pour mode de vie, la force des représentations individuelles et collectives. Le terme mode d’habiter est alors lancé pour réactiver les sens

endormis ou perdus dans les deux autres. En tout état de cause, il a été conçu pour dépasser les notions de résidence, de logement, d’habitat voire d’habiter, qui réduisent à une seule dimension - si importante soit-elle - le rapport sensible de chacun, à tous les lieux marqués par sa présence physique ou qu’il rêve d’habiter. C’est en retraçant les étapes de cette construction, que je tenterai de démontrer qu’il est révélateur de ce que contient a(e)ffectivement le terme de village, une vision de la relation entre la nature et les lieux et milieux de vie, qu’ils soient ruraux ou urbains, village de ville ou village de campagne.

Par Nicole Mathieu, directrice de recherches émérite au CNRS, UMR Ladyss (Laboratoire dynamiques sociales et recompostion des espaces)

L’habiter en 2020 Le concept de mode d’habiter m’a d’abord servi à mettre en évidence la diversité qu’engendrent les différentes représentations et formes de relation entre le rural et l’urbain. Il m’a aussi permis d’établir une passerelle entre les représentations sociales exprimées en termes savants pour désigner des types d’espaces - urbain, périurbain, rural métropolisé ou isolé - et ceux populaires de ville et de campagne, de bourg ou de village, qui renvoient à des préférences, voire des attachements individuels à des lieux, à des rapports entre ville et campagne, mais aussi ville et nature, ainsi qu’à des modèles régionaux et locaux (communautaires ?) de l’habiter. Comment, si l’on veut imaginer l’habiter en 2020, ne pas tenir compte de ces modèles régionaux de peuplement et de relations villes/campagnes européens ? La conception de la place de la nature et des ressources dans la relation entre la ville et la campagne, la disposition des habitats et la relation entre le centre-ville, le bourg, le village,

1. Grodwohl, M., 2008, recherhches en cours : « être » et « habiter ensemble », http://www.marc-grodwohl.com 2. Je ne dis pas les savoirs profanes car on ne peut parler de « savoirs » que lorsque l’on a mis au jour et théorisé les dessous de ces mots en termes d’émotions, de mémoire et de pratiques. 3. Sorre Maximilien, 1948 La notion de genre et de vie et sa valeur actuelle. Annales de géographie

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« Interroger à nouveau le village »1, cette question me donne l’opportunité de réfléchir sur la raison pour laquelle j’ai toujours considéré que l’enjeu du travail d’un chercheur est de penser l’écart entre les représentations savantes et/ou politiques de la nature, du rural et de l’urbain et le contenu complexe - chargé d’affects et de valeurs symboliques - des mots2 par lesquels les gens désignent et expriment leurs rapports aux lieux. La nature, la campagne, la ville, et bien sûr le village, sont ces mots populaires qui font partie du langage quotidien, des récits de soi comme des récits de lieux de vie, avec presque toujours la conscience de ce paradoxe : les mêmes mots servent à identifier des lieux qui ne cessent de changer. Construire des concepts ayant pouvoir de passerelle entre la pensée ordinaire et populaire et la pensée savante à laquelle s’abreuve le politique est, de mon point de vue, la tâche principale du chercheur.

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« Mon village »

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4. En particulier le pays de Luzy (Nièvre), le Causse Méjan (Lozère), le canton de Gavray (Manche) et plusieurs quartiers de Paris (la Bastille, La Ruche, la place des Fêtes…) mais aussi la lecture des terrains de recherche de Lucile Grésillon à Paris, de Wandrille Hucy à Rouen, de Blandine Glamcevski en Lorraine.

Ce que me dit jeudi 24 septembre 2008, un taxi parisien venu me chercher à La Ruche à 6 heures du matin pour me conduire à la gare SaintLazare : « J’ai cru que vous sortiez du bois ! Comme de mon village du Congo ! Je n’aime pas le béton, ici on ne marche jamais sur le sol, dans l’appartement c’est le ciment, c’est le ciment dehors… » Et en me montrant depuis la Concorde la place de la Madeleine : « Bien sûr c’est beau pour le touriste, mais on ne peut pas vivre ici, ici ce n’est pas la vie ! ». Il a acheté une maison dans son village au Congo et y a fait « creuser un puits où il y a de l’eau minérale [sic]. Ma fille, décoratrice, qui a fait la Sorbonne s’est étonnée : tes cheveux ont poussé ! C’est l’eau je lui réponds ! Et ma femme qui a voulu apporter du lait et des lotions pour les cheveux, la figure et

le corps ! Mais là-bas ce n’est pas la peine ! ». Et tandis que je paye la course : « J’aime la nature, j’ai appelé ma deuxième fille Naturelle, elle va à l’école à Fontenay-sous-Bois. » Inversement, le 19 novembre 2008, tandis que j’attends le bus 82 devant la gare du RER Fontenay-sous-Bois, un homme de cinquante ans et quelque, noir, assez élégant dans son costume cravate, m’interpelle perdant patience, du fait de cette longue attente : « Ici c’est un village, ce n’est rien, c’est froid ! Moi j’aime Paris, c’est la ville, c’est chaud, on peut parler, se promener, vivre. Je ne peux pas me passer de Paris, et on n’a pas besoin de payer un ticket pour y arriver si on y est, tandis qu’ici, il faut payer pour sortir et entrer dans un village, vide. »

le lotissement et jusqu’au lieu-dit et à la ferme isolée ; la circulation entre toutes ces formes d’agglomération et de localisation des activités et du travail, la temporalité et les lieux des événements et de fêtes qui donnent sens à la communauté ou au vivre ensemble ; tout ceci définit différentes cultures de l’habiter, différents modes d’habiter, méditerranéen, nordique, d’Europe centrale, voire tout simplement français en toutes ses régions. Le savoir populaire ne s’y trompe pas et repère avec ses mots les différences de formes qui distinguent la ville de la campagne, le bourg viticole du village lorrain, les quartiers de villas des lotissements de maisons standardisées et bon marché… Les mots savants de mitage, urbanisation, périurbanisation, espace ouvert, ceinture verte font obstacle à une compréhension de ce pourquoi les gens vivent là plutôt qu’ailleurs, du pourquoi de leur choix - entre raison et désir - de travailler ici, de résider là, de circuler par là et d’organiser leur vie quotidienne autour de lieux qu’ils désignent et auxquels ils accordent des valeurs plus ou moins grandes : la campagne, la ville, le bourg aux maisons basses et serrées, le village - en ville comme à la campagne - tantôt disposé comme un bourg sans commerce, tantôt composé de maisons dispersées mais liées par le nom même du lieu dit, la maison, la ferme ou la barre parfois appelée cité.

d’habiter du côté des lieux, on a donc mis en évidence à quel point, en dépit de l’uniformisation qu’entraînent les matériaux et les modes de vie globalisés, les formes dans lesquelles les gens vivent, et qu’ils produisent, sont loin de coïncider avec les termes utilisés dans le discours des praticiens de l’aménagement et de l’urbanisme pour dire la relation rural/urbain : l’étalement urbain, la ville compacte, l’urbanité ne recouvrent pas la diversité des modes et des cultures locales de l’habiter et en particulier, la place importante - idéelle et réelle - accordée à la forme du village. Dans la pensée démographique, cette relation ville/campagne se résume à des gens qui migrent vers la ville parce que c’est là qu’on trouve du travail ; à des gens qui préfèrent s’installer en périurbain parce qu’ils ressentent un besoin de nature qui ne peut être satisfait en ville ; à un ensemble de stéréotypes auxquels il est difficile d’échapper, sauf quand il y a enjeu commercial ou politique. Ainsi, le mot village, absent du langage de la sphère politique, statistique et urbanistique, réapparaît quand il faut rassurer et donner un visage humain du politique - la fameuse affiche qui fit élire François Mitterrand. Ou quand il faut vendre des maisons industrielles regroupées en lotissements et néo villages. Ou pour attirer le touriste de passage vers une ville. Voire même, lorsqu’il faut rendre la ville aimable en dépit des difficultés rencontrées pour l’habiter. C’est donc en se tournant délibérément vers la mise au jour du rapport que chaque individu entretient avec ses lieux et milieux de vie,

Le mode d’habiter comme révélateur affectif et sensible En faisant jouer le sens du concept de mode


Le rapport à la nature De tous ces récits de lieux de vie, ressort de façon récurrente l’importance du rapport à la nature, nature dans la ville, nature dans la campagne, nature domestiquée, nature sauvage5. Avec une plus ou moins grande acuité selon le sexe, l’âge et les capacités physiques des personnes, la sensibilité au climat, aux odeurs6, au bruit, à l’animal et à la végétation, à ce qui est offert au regard, en somme, aux différences dans le temps et dans l’espace des qualités physiques des milieux où chacun circule, travaille, se repose et côtoie l’autre est constituante du rapport affectif aux lieux. La préférence pour le modèle de la multi résidence - au centre-ville, à la campagne, à la montagne etc. - se fonde, en partie, sur cette évaluation sensible des milieux où chacun vit physiquement ou par le souvenir - un temps plus ou moins long. D’où la « ville mal-aimée »7 que certains ne peuvent supporter que s’ils ont une maison de campagne ou de village, d’où aussi la mise en culture ou en paysage des sols urbains une terrasse au neuvième étage d’un immeuble où vigne, pommier, légumes sont cultivés, les jardins privés des maisons de la loi Loucheur, les jardins collectifs (d’insertion) au pied des barres et tours de cités… Inversement, si la campagne est mal-aimée, on se fait un refuge urbain dense en revenant au bourg ou à la petite ville ou en équipant sa maison isolée du maximum de NTIC. Mais ce rapport sensible au rural et/ou à l’urbain trouve aussi son fondement dans l’attachement à des lieux de mémoire ordinaires et personnels. L’origine rurale ou citadine, et la position sociale modèlent également ces préférences pour le village et la maison rurale qui symbolisent le lieu du vivre ensemble, du voisinage et de la moindre séparation entre lieu de travail et lieu de vie.

Le rapport àl’habitat Avec l’irruption de l’utopie politique du développement durable8, la question qui se pose à nous est celle de l’usage partagé des milieux et des ressources naturelles, celle d’une cohabitation des hommes et des sociétés telle qu’elle permette de concilier les trois dimensions contradictoires de l’environnemental, de l’économique et du social. On en revient alors à la propriété principale du concept de mode d’habiter, à savoir sa capacité à confronter et à articuler l’analyse des lieux habités et la conscience qu’ont les gens de les habiter. Il s’agit à la fois d’évaluer les propriétés et les processus des écosystèmes qui constituent les habitats et de les qualifier par rapport à des degrés d’habitabilité, et d’éthique de l’habiter, qui renvoient aux représentations et pratiques individuelles et à celles collectives, à l’échelle du quartier ou du village, du territoire ou du milieu de vie. Cette co-évaluation des pratiques des individus et des collectifs, ainsi que des lieux et milieux, pour leur capacité à être durables, est notre tâche principale. Mais une fois de plus, la nécessité de construire une passerelle entre la conceptualisation et les changements des représentations et des pratiques populaires est essentielle. Savoir comment chaque individu perçoit l’effet de ses pratiques de circuler, de travailler, de se loger, de vivre ensemble sur la « face de la terre »9, comment chacun habite et se comporte par rapport aux ressources des lieux sur lesquels il pose son empreinte, comme sur celles rares qui sont éloignées mais qu’il consomme indirectement, est d’autant plus important que les changements de comportements se manifestent déjà dans les pratiques alimentaires, les consommations d’énergie, la gestion des déchets… Mais encore plus important, est d’observer ce qui se passe à l’échelle du « village »10, c'est-à-dire dans le lieu où pourrait se construire ou se retrouver cette conscience collective d’une responsabilité commune, vis-à-vis d’un milieu partagé, où la cohabitation se détermine en surmontant les conflits d’usage de sols et de ressources à repenser comme des biens communs.

5. Cf. Hucy, W, Mathieu, N., 2006, « Vivre et habiter dans une ville au naturel. L’agglomération rouennaise : terrain d’expérience et modèle », in Quatre ans de recherche urbaine 2001-2004 ACIVille ministère de la Recherche coordonné par E. Bajolet, M.-F. Mattei et J.-M. Rennes, Presses Universitaires François Rabelais/Maison des Sciences de l’Homme « Villes et territoires », pp. 127-140. 6. Cf. Lucile Grésillon, 2005, Sentir Paris, Bien être et valeur des lieux, Thèse de doctorat Université de Paris 1, à paraître aux éditions Quae. 7. Salomon Cavin, J., 2005, La ville mal-aimée. Représentations antiurbaines et aménagement du territoire en Suisse : analyse, comparaisons, évolution, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes 8. Cf. Mathieu, N., 2006, « L’urbanisme touché par le développement durable ? », Natures Sciences Sociétés, 14, 341-342 ; Mathieu, N., 2006, « Pour une construction interdisciplinaire du concept de milieu urbain durable », Natures Sciences Sociétés, 14, 376-382 ; Robic, M.C., Mathieu, N., « Géographie et durabilité : redéployer une expérience et mobiliser de nouveaux savoir-faire », in Le développement durable, de l'utopie au concept : de nouveaux chantiers pour la recherche, Marcel Jollivet, Editeur scientifique Paris ; Amsterdam ; Elsevier, NewYork, 2001, pp. 167-190. 9. Pinchemel, G. et P., 2005, Géographes, une intelligence de la terre, Paris, éditions Arguments. 10. Village au sens de l’habitat d’une population qui peut être le territoire des sans domiciles du bois de Vincennes, comme celui d’un « village » classique, quartier rural ou urbain.

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comment il se les représente, comment il les pratique, que l’on peut donner sens à ce qu’habiter veut dire, du côté des gens eux-mêmes. Dans les nombreux récits de lieux de vie que je recueille depuis plus de vingt ans dans mes terrains d’observation4, comme dans ces terrains de passage que sont le métro, les tramways, les bus et taxis parisiens, les trains… trois mots, trois qualificatifs des lieux, reviennent toujours pour exprimer un rapport entre les individus et leurs lieux de vie : la nature, le village et la maison, associés dans une combinatoire complexe avec la campagne et la ville. C’est autour de ces trois archétypes que se définit - ou s’espère - le bien -être ressenti à les traverser ou à y rester un temps plus ou moins long.

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Ces villageois qui n’en sont pas Le terme de « village » n’est pas anodin. Il renvoie à un mode d’habiter évocateur d’un passé rural et agricole, d’une sociabilité locale qui contraste avec le mouvement et l’anonymat d’une urbanité elle aussi mythifiée. Il est indispensable de prendre la mesure de sa profonde transformation.

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Par Annabelle Morel-Brochet, géographe, laboratoire Ville Mobilité Transports (ENPC – INRETS – UPEMLV)

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1. On ne peut considérer comme villages les seules communes dites rurales, ni les communes de l’espace à dominante rurale. 2. Thèse de doctorat d’Annabelle Morel-Brochet (Université Paris 1) sur Ville et campagne à l’épreuve des modes d’habiter, 2006 ; Contrat MEDAD/PUCA sur Vieillir en pavillon, rapport final 2008, sous la direction de L. Rougé et M. Berger ; Recherche R2DS / LVMT sur Les Natifs du périurbain francilien, 2008-2009. 3. On peut aussi considérer une autre possibilité avec un premier de 1945 à 1965 et un second de 1965 à 1985. Voir Mendras H., La Seconde Révolution française 1965-1984, Gallimard, Paris, 1988. 4. Mendras H., La fin des paysans ; changement et innovation dans les sociétés rurales françaises, Actes Sud, Arles, (réed.1996). 5. Kayser B., La renaissance rurale : sociologie des campagnes du monde occidental, Armand Colin, Paris, 1989. 6. D’après les résultats du recensement de la population de 2004, INSEE.

Questionner le village aujourd’hui revient à interroger plusieurs réalités du peuplement des petites communes1. La première est constituée par la diversité de leurs habitants, de leurs origines, des motifs et des contextes qui les ont conduits à y élire domicile. Mais il faut aussi considérer leur vie quotidienne : les contraintes, les activités, ainsi que la géographie des réseaux sociaux de ces « villageois » qui sans doute pour la plupart ne se retrouvent pas dans cette expression un peu surannée. Notre propos s’appuie, outre la littérature scientifique, sur un corpus d’entretiens, réalisés dans le cadre de trois recherches récentes2 auprès d’une centaine de personnes habitant pour la plupart des petites communes rurales et périurbaines du Maine-et-Loire et de Seine-et-Marne.

Le village est mort, vive le village Commençons par remonter le temps sur plusieurs décennies, car la période dite des Trente Glorieuses3 a été le creuset d’intenses mutations de la société française, tant dans son organisation sociale que spatiale. L’accélération de l’exode rural a participé à alimenter la formidable croissance urbaine d’après-guerre. Mais dans le même temps, c’est aussi pour le milieu rural, et tout spécialement agricole, un grand mouvement de modernisation des systèmes de production et des exploitations. S’en suivra ce qu’Henri Mendras appelle la « fin des paysans »4, c’est-à-dire la fin de la société rurale organisée par et autour de la paysannerie française. D’autres éléments un peu plus tardifs, parmi lesquels la généralisation du travail féminin, l’amélioration des conditions de transport ou

encore l’évolution des politiques de logement, se sont conjugués avec un regain d’intérêt pour les campagnes comme cadre de vie plus enviable que l’environnement dense des grandes métropoles. C’est ainsi que sous les traits du village, les formes plus diffuses de la croissance urbaine ont rencontré cette « renaissance rurale »5. Ce mouvement migratoire alimentant les petites communes françaises, qu’on les qualifie de rurales ou d’urbaines, se poursuit aujourd’hui encore6. Dans les villages et les petites villes, les nombreux départs et arrivées de populations aux trajectoires diverses ont eu pour conséquence un brassage inédit. Les principes de l’organisation de la société villageoise en ont été altérés, avec toutefois des variations importantes selon les contextes géographiques et les combinaisons sociales locales. Les formes de sociabilité et d’interconnaissance, l’assiduité aux manifestations festives, les règles du contrôle social informel ou encore la composition et l’équilibre des pouvoirs au sein des instances de représentation collective (conseils municipaux, associations, etc.) s’en sont trouvés modifiés. Ceci n’a pas été sans susciter quelques conflits sur les scènes communales. Mais c’est aussi l’apparence des villages qui a changé. Au bâti rural traditionnel, s’est ajouté un bâti plus récent, plus standardisé aussi, sous une forme groupée et excentrée (lotissements) ou plus dispersée. Le village a donc bien changé de visage.

Partir à la campagne ? Habiter au village ? Qu’est-ce qui a conduit tant de ménages à choisir d’habiter dans un village, parfois loin de tout ? En matière de stratégies de localisation, les recherches des dernières décennies ont établi


Population des villes, population des champs Nos enquêtes identifient globalement une ligne de partage social et économique, confirmée par les statistiques, entre la population des pôles urbains et celle qui vit en dehors de ceux-ci (communes périurbaines et de l’espace à dominante rurale). Dans ce deuxième ensemble, il se dessine une représentation de toutes les catégories socioprofessionnelles, avec cependant une sous-représentation des étudiants, des cadres et professions intellectuelles, et des ménages d’une personne qui, à l’inverse, sont surreprésentés dans les centres urbains denses. Par ailleurs, la surreprésentation ouvrière hors des pôles urbains et des employés en leur sein peut sans doute être attribuée à la forte présence du tertiaire de commandement dans les pôles, à la différence des établissements industriels et logistiques largement plus desserrés10. Cette ligne de partage se manifeste au-delà du profil des habitants, dans leur mode d’habiter le territoire. Si beaucoup n’aspirent pas à vivre au

cœur de Paris ou d’Angers, ils n’entretiennent pas avec la ville de rapport de détestation ou de soumission. La ville fait partie de leur vie : quotidiennement pour ceux qui y travaillent, régulièrement ou occasionnellement pour les autres. Les aménités commerciales et récréatives de la ville sont d’ailleurs plus volontiers exploitées par ces derniers ; les premiers évitant souvent le pôle lorsqu’ils ne sont pas contraints et préférant les polarités secondaires à proximité du domicile.

On n’habite nulle part par hasard On ne peut pourtant pas affirmer qu’il y a un seul type d’habitant dans ces villages, ne serait-ce que parce que ceux-ci regroupent des autochtones (villageois « de souche ») et des allochtones. À propos des nouveaux venus, on évoque souvent leur culture et leur mode de vie « urbains » qui contrastent avec les pratiques du vivre ensemble local. On parle également de l’absence d’ancrages sociaux antérieurs dans la commune ou ses environs, dans le « pays ». On donne souvent d’eux l’image de familles qui auraient pu s’implanter n’importe où, indépendamment de toute stratégie géographique, au simple gré des opportunités d’accession à la propriété. Un peu comme si l’espace, les lieux, étaient vides de sens, de significations, d’a priori. Pourtant, et c’est un des enseignements de ces recherches empiriques, il est rare que ces personnes n’aient aucun lien préalable sur place ou à proximité, ni aucune raison de s’installer ici plutôt qu’ailleurs. Le plus souvent, un membre du ménage au moins a une connaissance, un ami, un collègue, un frère ou une cousine sur la commune ou dans une localité voisine. « Comment vous êtes arrivés ici ? (Lui) Ah bah, parce que moi j'ai de la famille dans le coin, une cousine. (Elle) Et puis... parce que nos enfants habitent à l'est de Paris, on ne voulait pas aller trop loin. » Souvent aussi, si l’on remonte

7. Bonvalet C., Fribourg A.-M., Stratégies résidentielles, PUF / Ined, Paris, 1990. 8. Motte B., « L’accès des ménages aux services dans l’espace périurbain francilien », Strates, n°14, pp. 149-164, 2008. 9. Mathieu N. in Eizner N., Jollivet M. (dir.), L’Europe et ses campagnes, Paris, 1996. 10. Piron O., « Où va-ton construire demain ? », Études Foncières, n°124, pp.12-15, nov./déc. 2006.

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qu’un certain nombre de facteurs entraient toujours en jeu. Parmi ceux-ci, figurent en bonne place le lieu d’emploi, et donc les distances-temps induites entre le domicile et le travail, la répartition géographique de l’offre immobilière (dans les petites communes, les locations et les appartements sont rares voire inexistants), la structure du ménage et sa position dans le cycle de vie7. Or, on a pu assister à un desserrement progressif de l’emploi des grandes métropoles vers leur périphérie, à une accessibilité plus grande du territoire, appuyée sur la performance du déplacement automobile8 et, dans certaines régions, sur le développement des transports en commun. De plus, et malgré une division sociale de l’espace qui contrarie la logique purement concentrique, plus on s’approche du pôle urbain principal, plus les prix des logements sont élevés. Enfin, les représentations collectives de la ville et de la campagne se sont en partie modifiées, au gré de la croissance urbaine et de la montée des préoccupations environnementales. Se sont ainsi développés une idéologie antiurbaine9 et un intérêt, si ce n’est pour la nature avec un grand N du moins pour un cadre de vie moins artificialisé et plus végétalisé, de même que pour des lieux de vie à « dimension humaine ». Cet ensemble de facteurs, soutenus par différentes politiques publiques et la volonté de nombreuses petites municipalités de voir croître leur population, ont ainsi permis de répondre favorablement à une aspiration constante et commune à une majorité de ménages : devenir propriétaire et, si possible, d’une maison individuelle.

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dans la biographie résidentielle, l’un des deux a vécu dans ce « pays » ou dans le pays voisin par le passé. Toutefois, le périmètre de recherche résidentielle se limite rarement à une commune bien précise, encore moins s’il s’agit d’un village. Le ou les lieux de travail interviennent évidemment dans la définition de ce périmètre, de même que le rapport entre coût immobilier et capacité financière du ménage. Mais d’autres éléments sont aussi considérés. Pour les jeunes couples enquêtés, le choix d’habiter dans un village répond à une culture antérieure non urbaine et à un désir de trouver un cadre de vie moins urbain encore que celui qu’ils ont connu jusque-là. « Vivre ici, c’était vraiment le projet… de se dire ouais on veut aller vivre à la campagne, on veut plus vivre en ville. On s’est surtout dit que ce serait beaucoup plus facile de déménager de la campagne pour aller vivre en ville si on se plaisait pas que de prendre un petit appart maintenant en ville, d’y faire grandir nos enfants et de péter les plombs… et quand tes gamins ont douze ans, passer de la ville à la cambrousse où il y a rien, c’est pas évident pour eux. Donc on a préféré le cheminement inverse. » Plus la région est urbanisée et le prix du foncier

élevé, comme c’est le cas pour l’Île-de-France, plus les jeunes ménages sont contraints de s’éloigner (de leurs proches, de leur travail, de la localisation idéale, etc.). « Ça faisait trois weekends qu’on visitait des maisons vers Nemours. Et le type de l’agence me dit : je vais vous emmener voir une maison à Auxy. Alors moi je lui dis : ben non Auxy ça existe pas… moi, je l’ai pas sur la carte. Forcément, c’est pas en Seine-et-Marne ! C’est dans le Loiret. Je lui dis : Non c’est pas la peine ; déjà Nemours ça me paraissait un trou paumé ! Finalement on est allé visiter et puis quand on a vu la maison… ! Par rapport à tout ce qu’on avait vu avant… ça a fait tilt. Bon, on s’est dit cette maison… si nous on peut se payer ça il faut qu’on se le paye. Parce que… Vingt kilomètres plus haut pour le même prix, enfin pour plus cher, y avait à peine des murs ! » Si le compromis de l’éloignement est consenti, il ne doit pas mettre en péril le lien social antérieur, du moins les liens sociaux les plus essentiels pour le ménage. Presque toujours, il s’agit aussi pour eux de se trouver à une distance-temps raisonnable et acceptable du réseau social antérieur, des parents (pour des raisons affectives mais aussi d’entraide), d’un ou plusieurs amis. « Toi, si t’avais les

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Habiter la Bièvre

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Le territoire de la Bièvre, situé entre Lyon et Grenoble, a la particularité de ne pas être construit autour d’une seule ville centre, mais organisé à partir d’un réseau de bourgs de moyenne importance, de 1 000 à 4 000 habitants, qui sont tous de véritables petits centres économiques et administratifs. L’autre caractéristique de ce territoire est d’être soumis à des influences urbaines diverses : les agglomérations voironnaise, grenobloise et lyonnaise, Bourgoin-Jallieu, L’Isle-d’Abeau, Saint-Marcellin et Romans, la vallée du Rhône. Territoire de plaines agricoles et de collines, la Bièvre est considérée comme un espace de respiration entre les pôles urbains. Depuis plusieurs années, le territoire attire de plus en plus de résidents issus des agglomérations voisines. Cette forte attractivité constitue un enjeu de taille pour accueillir les nouvelles populations, maintenir l'espace nécessaire au développement économique, préserver l'identité et la qualité du cadre de vie et adapter le niveau d'équipements et de services à de nouveaux besoins. Le territoire étant peu desservi par les transports en commun et les habitats étant diffus, les habitants fonctionnent avec l’automobile, et pas forcément à l’échelle de la proximité. Dans ce contexte, le vil-

lage est à la fois toujours pôle de référence, par son caractère de lieu de mémoire, de patrimoine et de convivialité, mais l’on voit émerger aussi de nouvelles centralités reposant sur le concept de l’accessibilité, comme des zones commerciales et économiques proches de l’autoroute. On pourrait ainsi dire que la proximité de l’autoroute est peutêtre plus cruciale que celle du village. Par ailleurs, les habitants mettent en balance le développement souhaitable des services locaux avec la nécessaire préservation du caractère « rural » et tranquille des lieux qui doit l’emporter. Pendant plusieurs semaines courant 2008, Benjamin Cuartero, stagiaire à l’Agence d’urbanisme de la région grenobloise a arpenté les routes, les chemins et les places des villages de la Bièvre. Et il a rencontré des habitants ancrés dans ce territoire ou nouvellement arrivés. Voici quelques extraits de paroles d’habitants. Le calme de la nature « Un havre de paix ». « Le calme, c’est vraiment l’adjectif le plus important… La tranquillité, la sérénité… l’aspect paisible aussi… sans aucun problème. » « Entendre des voitures en ouvrant les fenêtres, entendre le brouhaha des voitures en bas de chez


moyens, où tu irais t’installer ? Ben j’irais là où sont les amis ou la famille quoi surtout. Là où j’ai un intérêt à être. » Cette distance qui les sépare ne doit pas être un obstacle au maintien de relations régulières. C’est pourquoi, pour eux, le réseau de transport (son implantation géographique, sa fluidité, les accessibilités) est largement partie prenante des stratégies de localisation. « Tu vois, on va régulièrement le samedi soir chez Sophie et Nico et on rentre après. Tu mets une heure. C’est pas pire que quand on habitait à Combs-la-Ville et eux place Clichy. Donc c’est vrai qu’il y a du kilomètre mais en temps, finalement, c’est pas si loin. » Si l’un est amené (plus souvent l’homme) à effectuer de longues navettes, on assiste souvent, préalablement (pour les enseignantes notamment) ou par la suite, à une relocalisation de l’emploi de l’épouse à proximité du domicile. Toutefois, la dépendance à l’automobile n’est bien souvent pas un apprentissage à réaliser au moment de cette installation résidentielle qui met à distance lieu de travail et réseau social. Elle est souvent déjà acquise et pleinement intégrée au mode d’habiter. « Moi ça fait des années que je prends ma voiture pour aller chercher le pain ou autre chose, alors

que je fasse 200 mètres ou 8 kilomètres, pour moi, c’est pareil ».

moi, je ne supporte pas… ». « C’est déstressant, c’est la campagne… ». « La nature, le calme, la verdure... entendre les oiseaux chanter… Ne pas se lever le matin et avoir l’immeuble d’en face devant les yeux, ne pas entendre les voitures qui klaxonnent dans la rue […] ». « Ce n’est pas la ville, c’est le rural, mais sans l’être de trop […] On n’est pas loin du centre-ville, de l’école… C’est semi-rural ». « En plus le climat est parfait. La colline nous protège du nord, on est plein sud […] et puis on peut profiter de la piscine l’été. […] c’est réel, c’est pas artificiel comme environnement… »

avoir une gendarmerie dans le village, c’est pas inintéressant. »

Le sentiment de sécurité « Voilà c’est un territoire où je me sens en sécurité, c’est un territoire où je respire… » « C’est quand même relativement paisible [...] et

Le plus délicat lorsque les nouveaux arrivants s’installent, c’est bien sûr l’intégration villageoise, surtout lorsqu’ils ne bénéficient pas de connaissances sur place. Dans les villages et petites villes, le processus d’intégration commence classiquement par une prise de contact avec le voisinage, puis par l’école des enfants et, éventuellement, par une pratique associative, largement facilitée pour ceux qui ont une culture associative préalable. Quoi qu’il en soit, dans les premiers temps qui suivent l’installation, les arrivants font ce qu’il faut pour s’attacher quelques sympathies ou solidarités locales, avec le voisinage immédiat notamment. Et ce, qu’ils soient arrivés de façon isolée ou qu’il s’agisse d’installations simultanées dans un lotissement tout juste achevé. « Ben ici… on connaît des gens… nos voisins. Ils sont hyper gentils en fait, on a été les voir au départ… on s’est présentés. Je pense qu’ici il faut aller se présenter. Et puis après on a été rapidement un peu dans la panade parce que c’est vrai que, la vie à la campagne, c’est beau quand c’est l’été et qu’il fait beau. Alors

Le vécu des déplacements « On est dans une situation géographique intéressante du fait qu’on est à proximité de Lyon, à proximité de Grenoble, on n’est pas dans le quotidien des bouchons de Grenoble, ni de ceux de Lyon ». « Je trouve que les cadences de cars sont trop faibles ». « Tous les jours on se fait Grenoble-Colombe […]. En moyenne une heure et quart, une heure et demie […] ça peut aller jusqu’à deux heures. Et le soir idem… Donc ça fait du deux heures et demie voire trois par jour. » « Je suis très critique à propos de la SNCF. Les horaires ne sont pas adaptés et il n’y a pas assez de trains. Au niveau de l’autoroute, même si la sortie est toute proche, globalement je mets un peu plus de temps pour rentrer chez moi chaque jour… » « Je pense que les trois quarts serait d’accord pour prendre le train, si y en avait beaucoup plus souvent. »

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A taille humaine « […] Il y a deux mamies qui habitent juste à côté ; quand je fais de la soupe, je leur en amène. Parfois, l’été, on va boire l’apéro, sur le petit perron… » « J’ai commencé à amener les enfants à l’école. J’y ai rencontré la personne qui est aujourd’hui devenue ma meilleure amie… C’était la prof de danse de ma fille […] ».

S’intégrer, un enjeu toujours présent

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on a été les voir, tu vois. On y va souvent : on leur achète des œufs, ils nous ont donné du raisin, des trucs comme ça. » La configuration spatio-temporelle des nouveaux lotissements met « automatiquement » en contact des ménages aux profils souvent assez proches et qui ont, par leur statut de nouvel arrivant, des intérêts et des problématiques en commun. Au départ, dans les lotissements, tout va bien en général : beaucoup d’efforts sont faits, des services sont rendus. L’entraide fonctionne et un groupe social prend forme pour la circonstance. Par la suite, l’individualisation et la singularisation des parcours, des profils, des personnalités s’affirment au gré de la progression de l’ancrage, de la familiarisation avec l’espace local et l’appropriation territoriale (la maison, le jardin, le « quartier », le village, le secteur environnant). « Au début, il n'y avait pas de barrières, il n'y avait rien. Les gens se sont mélangés : les apéros collectifs, tout ça, vous voyez. Et puis petit à petit, les petites histoires sont sorties et c'est devenu plus difficile. Moi, je n'ai gardé des relations qu'avec ma voisine qui est décédée il y a trois mois et avec les voisins d'en face. » C’est ainsi que cette collectivité de circonstance et d’intérêts communs, qui a moins de raisons d’être, se défait progressivement pour se recomposer. Des groupes plus restreints se reforment alors au gré des affinités, le réseau social local s’étend à d’autres foyers géographiquement moins proches. Le lien social local se complexifie. Le contexte d’installation le plus éprouvant concerne un cas de figure assez particulier, celui de ces communes « champignons » qui ont vu leur population croître brutalement dans les années 70, sous l’impulsion des politiques publiques du type « Chalandonnettes » (Loi Chalandon). Dans le cas d’une commune comme Othis (Seine-et-Marne), qui ne disposait que d’une trame villageoise traditionnelle très réduite, les cinq à dix premières années ont constitué un défi complet pour les nouvelles populations. D’une part, beaucoup avaient vécu jusque-là tout

ou partie de leur vie en milieu urbain dense, mais aussi en appartement et dans le secteur social. Le changement de mode d’habiter était total. De plus, malgré l’attractivité de ces opérations résidentielles et d’une accession jusque-là rêvée, certains ménages ont sacrifié beaucoup pour « être là ». « C'est comme ça qu'on a pu... en grappillant d’un côté et de l'autre, on arrivait à payer, mais tout juste, quoi. Il fallait d'abord payer, et puis on mangeait après, si on pouvait… On tirait le diable par la queue. » Et comme la plupart étaient de jeunes couples avec enfants et que ni l’équipement communal (services, commerces) ni le réseau de transport n’avaient été anticipés ou adaptés, les contraintes de mobilité, et plus largement l’ensemble de la vie quotidienne des familles, se sont avérés extrêmement pesants. Aujourd’hui, ces communes sont mieux équipées et mieux desservies, permettant aux familles arrivées plus récemment une phase d’installation moins pénible. De ce point de vue, ces villages sont devenus en une ou deux décennies de « vraies petites villes ».

Les ressorts du village contemporain En somme, la première chose pour qui s’interroge sur les villages d’aujourd’hui et leurs habitants, est de se départir d’une représentation surannée du village qui, pour active qu’elle soit, ne doit pas ignorer les profondes transformations matérielles et sociales de son organisation. L’origine de ces dernières est à la fois endogène et exogène : la fin des sociétés rurales, la mobilité croissante des individus et la métropolisation des territoires. Ensuite, et de ce fait, la figure du village s’avère composite et complexe. Et cela s’en ressent sur la fragmentation et la labilité des identités spatiales. Aussi, le désir de vivre dans un village, l’attachement affectif et concret à ce mode d’habiter, ne se lisent-ils que difficilement à travers une identité villageoise locale. Une attention à la culture habitante des individus, à leur trajectoire résidentielle, est fondamentale. Mais un souci constant pour la trivialité des pratiques sociales et spatiales régulières, sinon quotidiennes, et un regard attentif à ce qui guide les comportements résidentiels des ménages sont des clés plus opérantes pour saisir les ressorts du village contemporain.


Images du village dans l’agglomération grenobloise Comment les communes de l’agglomération grenobloise définissent-elles leur rapport au village ? Quelle image du village est véhiculée ? C’est ce que nous avons voulu savoir en nous rendant sur les sites internet de chacune des communes. Citations et extraits…

Le village d’origine fait partie de l’histoire des communes. Petites ou grosses, toutes font référence au village historique. Sur la plupart des sites internet des communes, la référence à l’ancien village est présente et fait partie de la mémoire collective. « Le petit village d'antan de Meylan atteint les 3 000 habitants (1960) et des quartiers voient le jour : Mi-Plaine en 1960, Grand-Pré et le début d'Inovallée (Zirst) en 1970, pour une population atteignant les 10 000 personnes, les Béalières sont habitées en 1984 et, dès 1990, l'aménagement des quartiers Maupertuis et Charlaix. Seul le quartier du Haut-Meylan recouvre le site occupé par le village d'autrefois. » « En 1698, la commune de Gières compte 660 habitants. Ses ressources sont exclusivement agricoles et l’on y cultive en particulier le chanvre. C’était aussi le temps des foires, et le 18 octobre de chaque année se tenait la « Foire au beurre »[…]. Les ménagères y achetaient leur provision de beurre pour toute l’année, mais aussi les sabots et galoches en prévision de l’hiver. C’était aussi un marché à bestiaux, principalement des moutons et brebis. » « En 1826, Fontaine ne compte pas plus de 500 à 550 habitants. Le village est composé d'un grand nombre de petits hameaux et de maisons isolées ». Devenues villes, certaines communes continuent d’évoquer le village historique qu’elles étaient, comme témoignage de leur évolution : « À l’aube du XXe siècle, Sassenage n’est encore qu’un village d’à peine 1 500 âmes ; un chiffre

d’ailleurs resté d’une relative stabilité depuis la moitié du siècle précédent. La commune a ensuite connu une croissance exponentielle. » « Durant des siècles, Domène fut un village essentiellement tourné vers l'agriculture et l'artisanat. Un contexte bouleversé à la fin du XIXe siècle par la découverte de la houille blanche ». « De village, Eybens est devenu une ville de près de 10 000 habitants ». « Après-guerre, Échirolles n’était qu’un village au pied de la Frange Verte ». Aujourd’hui, certaines communes entendent bien préserver cette image de village associée à la qualité de la vie, au charme d’une « ville-village » ou d’une « ville à la campagne ». « Seyssins est une commune de l'agglomération grenobloise appréciée pour son environnement et son cadre de vie agréables. Ces caractéristiques lui valent cette reconnue "Ville à la campagne". » « Des berges de l'Isère aux sommets du Néron et du Rachais, Saint-Martin-le-Vinoux s'étire sur un territoire de plus de 1 000 hectares. Si la partie haute est encore largement rurale, le village conserve son cachet du début du siècle ». « Sassenage : en quelques pas, vous aurez oublié la proximité de l’agglomération grenobloise pour découvrir le charme et la tranquillité d’une ville-village où il fait bon flâner ».

Les « vrais villages » revendiquent leur identité Les petites communes rurales de l’agglomération grenobloise tiennent à leur appellation de village. Leurs enjeux sont multiples et la maîtrise du développement communal en constitue un des principaux.

Par Martine Goujon, documentaliste à l’Agence ‘ d’urbanisme de la region grenobloise

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Le village : toute une histoire

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Ainsi, on peut lire sur le site du Fontanil : « Vingtcinq ans d'efforts ont su faire du Fontanil un village à l'environnement privilégié, protégé, valorisé et conforté. Pour y parvenir, il a fallu maîtriser l'urbanisation, protéger les coteaux, conserver et réhabiliter le patrimoine, réaménager divers lieux et places, réorganiser, assurer la pérennité des équipements, veiller à la propreté et embellir le village. » La commune de Noyarey entend, elle, préserver ses atouts agricoles : « La plaine de Noyarey constitue, avec son prolongement sur Sassenage, un périmètre d'environ 200 hectares de terres alluviales, riches. Équipé depuis 1990 d'un réseau d'irrigation, cet espace idéal pour le développement des cultures maraîchères et des petits fruits […] approvisionne directement l'agglomération […]. Ces cultures spécialisées partagent l'espace avec les grandes cultures comme le maïs mais aussi de nombreux jardins familiaux. Avec l'appui de la Métro1, un projet de territoire coordonné par l'ADAYG2 est en cours d'élaboration pour favoriser le développement durable de cette plaine, l'une des trois zones agricoles de l'agglomération. Les agriculteurs et leur personnel, familial ou salarié, représentent une vingtaine d'emplois. […] Parmi eux, deux sont éleveurs de moutons. »

Réussir son urbanité

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« Situé entre plaine et montagne, au pied du Vercors, sur la rive gauche de l’Isère, à quelques kilomètres de Grenoble », Noyarey affiche sa « rurbanité ». Le Fontanil, « petit village au sein de l'agglomération grenobloise, à dix minutes du centre de Grenoble » affiche son caractère de « campagne à la ville » : « Avec bientôt 3 000 habitants, la commune du Fontanil représente 0,5 % de la population de l'agglomération grenobloise dont elle fait partie. Il y a maintenant vingt-cinq ans, nous avons décidé de réussir notre rurbanité. Depuis cette date, nous nous sommes attachés à rester rurbains afin de devenir la « campagne à la ville » de notre village. Le titre de Champion Rhône-Alpes de l'environnement en 1986 et la troisième fleur en 2003, confirmée en 2007 sont venus couronner et conforter nos efforts dans cette direction. »

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1. Communauté d’agglomération Grenoble Alpes Métropole 2. Association pour le développement de l’agriculture dans l’Y grenoblois 3. Agence nationale pour la rénovation urbaine

Une certaine qualité de vie L’identité des villages passe également par une qualité de vie : villages fleuris, fête des moissons, foires et kermesses et autres animations en constituent un des ingrédients. Ainsi à Noyarey : « La forte identité de village dynamique que cultive Noyarey depuis plusieurs années, s’illustre aujourd’hui à travers un tissu

associatif particulièrement riche […], le développement des services aux habitants, les nombreuses animations et fêtes du village… ». À Noyarey également, « l'un de ces rendez-vous incontournables est la fête de la Saint-Antoine et son traditionnel passage du Crochon… Tous les ans, la tradition veut que le patron des charcutiers et les éleveurs de porcs soient honorés autour d'un banquet. Les réjouissances sont organisées à tour de rôle par les Nuccérétains détenteurs du fameux Crochon pour une année ». La fête des moissons a lieu tous les ans à SaintPaul-de-Varces au cœur du village, avec exposition d’outils et de vieux matériels agricoles, battage du blé et remise en service du matériel du syndicat agricole… Enfin, la commune du Fontanil propose des manifestations liées au village et à la culture : Fontalivre Village (un salon du livre) et Font'Art Village (rencontre de peintres, expositions de peintures d'art contemporain…).

Les quartiers sont aussi des « villages » Devenues petites ou grandes villes, les communes ont gardé l’appellation village pour nommer leurs quartiers. Sur la plupart des sites internet, la notion de village est toujours présente mais elle revêt une acception multiple : quartiers, zone artisanale, zone d’activité… Référence à la notion de proximité ? À la qualité des services et des équipements ? Image de la diversité sociale et de la mixité ? Les exemples sont nombreux : Village sud à Echirolles, Village olympique à Grenoble, Village à Saint-Martin-d’Hères, Village artisanal à Claix… Ainsi à Claix, le « village artisanal concilie activité et habitat, participant ainsi au maintien d'une vie permanente dans la zone. [Il] ne subit pas les nuisances de l'autoroute car il en est plus éloigné et protégé par un écran de verdure, ponctué par le ruisseau du Lavanchon récemment embelli ». À Échirolles, « Le Village Sud, sélectionné par l’ANRU3, fait l’objet d’un grand projet de renouvellement urbain de 2007 à 2012. L’objectif ? Ouvrir le quartier sur la ville et améliorer son image. »


Villages croqués

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Lorsqu’on évoque le village, viennent à l’esprit des images, des odeurs, des musiques, une lumière particulière, celles d’un lieu qui a pu émerveiller (ou terroriser) nos sens. C’est à partir de cette hypothèse qu’une douzaine de personnes travaillant ordinairement à l’Agence d’urbanisme, se prêtant au jeu, ont volontiers troqué la souris et l’esprit rationnel pour offrir leur coup de pinceau, leurs couleurs ou leurs mots pour dire un village. Quatre regards graphiques ont inspiré les plumes et fait naître des textes lors d’un atelier d’écriture. Nous y avons glané quelques bribes qui, entrant en résonnance avec les images, offrent un regard singulier sur le village. Par petites touches de nostalgie, de tendresse, mais aussi au travers de regards acerbes et emprunts parfois de tristesse, Caroline, Chloé, Fabrice, Fatima, Florence, Juliette, Marie, Rachel, Sylvie vous invitent à faire un tour au village.

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« En venant ici, tu voulais quitter ta cité, ses rixes et trouver un sentiment de bonheur comme pour te dire que tu pourrais vivre ici et

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t’éloigner de la ville.

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»

« Tante Adèle m’a donné quelques petites consignes pour bien réussir les fameuses confitures de cerises. Succulent ! « Des rubans de souvenirs se sont rencontrés, bousculés, entremêlés, et ont fait des glissades dans ma mémoire.

»

»


»

« Je t’attends donc, ma chère Henriette, pour sortir de mon boudoir. Il y a au mois d’octobre la foire au maïs et le concours de pétanque ; et on pourra manger des oursins et des huîtres.

»

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« Sinon, les pieuses sont toujours aussi charmantes avec leur dieu.

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« Nous tirerons les volets pour masquer le soleil, nous quitterons la

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maison comme deux copines pleines de vie, main dans la main, pour courir vers d’autres horizons, enfin !

»

« J’aimerais tellement que cette maison ne soit pas comme une vasque vide et vaseuse…

»


« Et puis des maisons se construisent tout autour. Ce n’est plus le village, avec les parties de boules, les promenades ordinaires du dimanche après un bon repas qu’on faisait avec Maurice.

»

« Tu voyais les corbeaux dans un ciel plombé, et forcément tu ne voyais qu’eux, alors que l’ensemble des villageois te

»

« Un type se sera perdu et te demandera son chemin. Lentement, tu le guideras entre les maisons serrées serrées jusqu’à l’orée du désert doré du labeur des foins.

»

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tendaient les bras.

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« Je prends pourtant ma tâche à cœur et, puisque c’est là que toute la famille se retrouve, je cherche la décoction magique qui fera revenir le temps où nous jouions à la pétanque en toute saison, où nous allions ramasser des jonquilles, des girolles ou de la mâche sauvage qui se cache au bord de certains chemins…

»

« Malgré toutes ces lumières qui dansent sur le toit des maisons, malgré toutes les rencontres que j’ai faites,

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le village est vide et triste.

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»


« Devine Maurice ! Hier, je me suis retrouvé devant ce vieux café où nous avons passé tant de temps à faire le monde ! Et le monde n’a

»

« Au repas de midi, ça discute dur. On n’est pas d’accord pour l’activité de l’après-midi. Moi il faut que ça bouge et papa il veut rien, du silence !

»

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pas bougé…Enfin, c’est peut-être moi…

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« Nos bains dans la fraîcheur du soir, nos promenades entourées de tranquillité, sans bruit, nos « chasses à la framboise » en

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rentrant de la mer.

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»

« On ira lancer des balles dans le silence du ciel et faire voler des cerfs-volants dans la brise légère.

»


Retour vers le rural La migration de la ville vers la campagne représente une véritable recomplexification des tissus ruraux. Loin d’être un phénomène isolé, cette migration s’inscrit dans un contexte plus large, celui d’une société en mutation en train de créer une nouvelle géographie.

L’ère de la mobilité Les migrations interrégionales se sont, en effet, accrues : en moyenne, chaque année depuis 1999 en France, 1,9 % des habitants ont changé de région, contre 1,6 % la décennie précédente, avec onze régions bénéficiaires et onze déficitaires. On note un accroissement démographique des zones périurbaines (+1,4 % par an) et des espaces à dominante rurale (+0,8 % par an). Entre 1990 et 1999, cela représente 2,2 millions de personnes de plus pour le périurbain et 1,8 millions pour le rural, avec notamment une nouvelle attractivité pour le rural « isolé », ce qui constitue un renversement de la tendance démographique historique. 500 000 néo-ruraux se sont installés « à la campagne » de 1999 à 2004 ; c’est une tendance démographique lourde confirmée par les derniers recensements. De fait, aujourd’hui,

plus de 60 % des communes rurales retrouvent un gain de population et se disent qu’il n’y a pas de fatalité au déclin et à la déprise… Ce sont globalement les départements littoraux du sud qui gagnent en population. Mais les départements ruraux, y compris ceux enclavés dans les zones de montagne, attirent de nouveaux arrivants au point de compenser le manque de naissance. Exemple, le Cantal (environ 150 000 habitants), avec un excédent migratoire de 490 personnes par an entre 1999 et 2005, est passé du statut de terre d’exode qui était le sien depuis plus d’un siècle - il connaissait encore dans les années 90 un déficit migratoire de 1 000 habitants par an - à celui de terre d’accueil. Cet apport de population compense presque l’excédent des décès sur les naissances. Autre exemple, la Creuse (123 000 habitants) dont le solde naturel négatif est compensé par le solde migratoire positif (+0,6 points entre 1999 et 2005). De même, deuxième département le moins peuplé de France, les Hautes-Alpes voient leur population augmenter depuis dix ans, ayant presque atteint son plus haut niveau historique…

Texte issu de documents de Village magazine, et du collectif Ville campagne

Qui sont les migrants et quelles sont leurs motivations ? Tout d’abord les retraités du Nord, mais aussi la population active et en particulier de jeunes ménages en quête de qualité de vie. En effet, plus de 40 % des migrants sont des actifs, 14 % sont des retraités, 9 % sont des « étrangers » européens et non européens. Le profil type des migrants est une famille dont les parents sont âgés de 30 à 45 ans, employés, cadres ou professions intermédiaires, avec des jeunes enfants.

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Le phénomène de migration ville campagne s’inscrit dans un large mouvement de mobilité. Au quotidien (travail, loisirs…), au niveau saisonnier (séjours en vacances) et même à l’échelle de la vie entière (ruptures et changements familiaux, professionnels…), notre vie est marquée par le mouvement. Dans ce contexte de turbulences, il est indispensable de garder à l’esprit que les nouveaux arrivants des campagnes ne sont pas acquis durablement, peut-être ne font-ils que passer… Bref, « c’est un phénomène réversible », selon les mots de Jean-Claude Bontron, directeur de la Société d’études géographiques et sociologiques appliquées. Cette idée, relativement nouvelle, est à prendre en compte concrètement dans l’accompagnement des porteurs de projets et dans la construction des politiques territoriales.

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1. Radioscopie d’un phénomène durable : l’installation de citadins à la campagne, enquête réalisée auprès de 453 personnes constituant un échantillon représentatif des « citadins » ayant leur résidence principale dans des villes et/ou agglomérations de plus de 100 000 habitants

D’après une enquête Ipsos réalisée en 20051, près de 34 % des citadins souhaiteraient vivre en milieu rural. 13 % (2,7 millions) disent vouloir engager des démarches dans les cinq années à venir. Et 12 % des citadins (2,5 millions) disent vouloir s’installer en milieu rural pour y continuer leur vie professionnelle..

Les motivations des migrants

Les enjeux pour les villages qui accueillent 2. Le programme Leader vise au développement des zones rurales, sur la base d’un partenariat territorial entre acteurs publics et privés, lire aussi l’article ci-dessous. 3. Les bénéficiaires de Leader sont constitués en Groupes d'action locale composés d'acteurs publics et privés. 4. Pour en savoir plus, connectez-vous sur www.projetsencampagne.com. 5. Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles.

Que l’on soit « néo » ou pas, les attentes en matière de services sont à peu près les mêmes : services d’éducation, services à la personne, services marchands, services de santé et de transports en commun et services socioculturels. On peut identifier deux types de territoires d’accueil : les territoires qui développent des stratégies proactives visant à « faire venir » (création de flux) et les territoires constatant l’arrivée de nouvelles populations, avec des stratégies visant à « intégrer » (gestion de flux). Parce qu’elle est transversale, inscrite dans la durée et qu’elle prend en compte les spécificités du territoire, une politique d’accueil peut devenir le pilier d’un

projet de développement local. Trois principaux enjeux sont à relever pour ces villages : l’information et l’accompagnement, les services et les équipements, enfin l’intégration.

Une montée en puissance des territoires Les territoires peuvent disposer de plusieurs programmes ou d’outils structurants, notamment dans le cadre de programmes européens : les programmes Leader2 (soixante-cinq territoires en bénéficient), le dispositif « Sites de proximité en Rhône-Alpes », la possibilité de créer des Pôles locaux d’accueil ou des Relais locaux d’accueil et d’information (région Limousin, groupes d’action locale3 du Pays d’Aurillac et des Cévennes…). Certaines collectivités locales, comme la région Limousin, les conseils généraux des Côtes d’Armor, du Lot, de l’Allier, de l’Ariège, du Cantal, créent des services tournés spécifiquement vers l’accueil. Ces collectivités ont une volonté d’agir sur l’offre et l’attractivité du territoire en travaillant les conditions d’activité, de réceptivité (logements, foncier) et d’habitabilité du territoire (services, culture, liens sociaux…). La dynamique est aujourd’hui en route : une charte nationale de l’installation en milieu rural existe avec des déclinaisons territoriales, des outils communs de promotion de l’offre sont développés, des rencontres professionnelles ont lieu, comme Projets en campagne4, manifestation biennale coorganisée par la région Limousin, le collectif Ville Campagne et le Cnasea5 avec pour objectif de réunir en un lieu unique des territoires ruraux de toute la France, des personnes désireuses de s’installer en milieu rural ou semi-rural et des organismes conseils dont la mission est d’accompagner ces candidats dans la construction de leur projet.

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A la recherche de l’identité rurale

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À partir de propos recueillis auprès de Frédéric Delattre, coordinateur du programme Leader du Pays voironnais

1. Liaison entre actions de développement de l’économie rurale, programme de financement européen.

Comment faire vivre un territoire mouvant en prenant en compte son identité rurale ? C’est la question sous-tendue par le projet Leader1 du Pays voironnais. Passage obligé entre Grenoble, l’agglomération lyonnaise et la vallée du Rhône, le Pays voironnais bénéficie d’une situation stratégique importante. À l’image de nombreux territoires, largement vert et agricole, mais aussi fortement confronté aux problématiques du périurbain, il est très marqué par la disparition de l’identité villageoise. C’est notamment la suppression progressive des limites franches des villages et des vides entre les hameaux qui participe à ce délitement. Favoriser les stratégies locales et innovantes de développement d’un territoire à la fois rural et urbain, tel est l’objectif énoncé du programme Leader . Ayant déjà largement entamé la réflexion sur la préservation et la valorisation de ses espaces

naturels, le Pays voironnais s’est fait fort d’étendre la démarche aux dimensions touristique, patrimoniale, économique, pour construire un projet qui permette de « faire émerger et consolider une culture commune de territoire assise sur l’identité rurale ». Ce projet, coordonné par un groupe d’action locale composé de partenaires publics et privés, se veut le plus transversal possible, basé sur le partage, l’échange, le dialogue, pour tenter de créer une identité commune de territoire, entre ruraux et urbains, entre nouveaux et anciens habitants du Pays voironnais. Partager les points de vues Qu’est-ce qui est facteur d’identité rurale ? Les frontières sont ténues, entre ce qui tient du rural et ce qui tient de l’urbain. Et si l’on interroge deux habitants, ils n’auront pas la même appréhension. L’important dans ce projet, est donc avant tout de


Village magazine Village magazine et L’Acteur rural sont le fruit d’une aventure collective. Celle d’un groupe d’amis, professionnels de la communication pour certains, du développement local pour d’autres, tous passionnés par la campagne. Montrer que la campagne est certes lieu de mémoire, de culture, de savoir et de savoir-faire mais aussi lieu de création, d’innovation, laboratoire où se construit l’avenir autrement, telle est son ambition. À l’origine du projet, Sylvie Le Calvez et Claire Lelièvre, cofondatrices en 1993 de L’Acteur rural, société de presse installée au cœur de la campagne normande. Quinze ans plus tard, elles sont toujours là, à la tête d’un projet éditorial ambitieux qui se donne pour objectif de valoriser la campagne, d’informer sur la vie et la création d’activités économiques, sociales et culturelles en milieu rural, et de mettre en perspective les enjeux sociétaux de la campagne. www.village.tm.fr.

diffuse les expériences. Il coorganise également des manifestations d’envergure nationale : Projets en campagne, dont la Foire nationale a pour objectif de mettre en relation territoires et candidats à l’installation ainsi que l’Université européenne de l’accueil, qui permet les échanges d’expériences remarquables et offre un espace de réflexion pour la construction des politiques d’accueil. En tant que centre de ressources, il a notamment créé le portail web de l’installation à la campagne. www.installation-campagne.fr.

Réseau de compétences

construire une culture commune de territoire. Et le point de convergence pourrait bien être le village. De nombreuses pistes d’actions C’est dans cette perspective que s’inscrit le projet, qui affiche l’enjeu « rester et vivre au village » comme facteur d’équilibre du Pays voironnais. Dans cette mesure, il s’agira de travailler sur la relation entre nouveaux arrivants et habitants locaux afin d’améliorer l’accueil et l’intégration des nouveaux. Ceci pourrait par exemple se traduire par la réalisation d’un guide du savoir vivre en Pays voironnais. Dans la même perspective, la création de pépinières ou de jardins éducatifs à destination de la population pourrait être de nature à instaurer le dialogue entre habitants et agriculteurs, désamorçant ainsi les tensions possibles et les conflits d’usage. Rendre chacun acteur de son lieu de vie participe

en effet à un partage serein du territoire. Face aux questions de la périurbanisation et des villages-dortoirs, il sera de mise de faire vivre les villages en développant notamment les services à la population, importants pour la cohésion du territoire. Ainsi, les projets de commerces multiservices par exemple, pourront être favorisés, permettant, comme le préconise le schéma de secteur du Pays voironnais, de garantir un certain équilibre des villages vis-à-vis les uns des autres. La valorisation de la production locale grâce à des événements culturels et artistiques greffés à des comices agricoles, grâce au développement de sentiers de promenades et randonnées, grâce à la création d’une « route des saveurs » permettront à tous, habitants et agriculteurs, de se sentir appartenir à un territoire qui vit et qui nourrit. Pour que tous les Voironnais puissent dire « j’appartiens à ce territoire ».

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Association créée en 1999, le collectif Villeampagne rassemble vingt-trois membres (associations spécialisées, collectivités, organismes publics et médias). Ensemble, ils forment un réseau de compétences pour les territoires ruraux souhaitant accueillir de nouveaux habitants et pour les particuliers porteurs d’un projet d’installation à la campagne. À l’origine du concept de politique d’accueil de nouvelles populations, le collectif Ville Campagne réalise des études, anime des formations, accompagne les territoires et les projets,

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Bienvenue au village Des villages et des territoires en perte de population ou avec une population vieillissante se retroussent les manches pour accueillir de nouveaux habitants. Voici l’exemple de deux territoires, le pays de Langres, entre Chaumont et Vesoul et le pays de Combraille en Marche, dans la Creuse, qui s’appuient notamment sur leur conseil de développement. Visites. Texte issu de documents de Mairie Conseils, Caisse des dépôts et consignations

En deux décennies, de 1980 à 1999, le pays de Langres (165 communes, 12 communautés de communes et 48 000 habitants aujourd'hui) s'est vidé de près d'un dixième de sa population. En 2003, la charte du pays s'est fixé l'objectif pour 2013, « d'enrayer le déclin démographique et de renforcer l'attractivité du territoire ».

Installations en pays de Langres Le conseil de développement local du Pays de Langres a alors expérimenté une démarche d'accueil de nouvelles populations en créant, en son sein, un comité de suivi des candidats à l'installation, en partenariat avec le pays de Chaumont. Les candidats sont mis en contact avec un des techniciens qui accompagne le projet.

Cette démarche d'accueil commence à porter ses fruits. Depuis janvier 2006, une trentaine d'installations ont été conduites (reprise d'un restaurant, création d'une activité de prestation touristique autour de la randonnée avec des ânes, création d'une activité autour de la production d'escargots, etc.), par le comité de suivi qui s'occupe aujourd'hui d'une quarantaine de projets. Parallèlement, le pays connaît une évolution démographique encourageante : le déclin démographique qui était de - 8 % entre 1980 et 1999, a atteint -1,15 % entre 1999 et 2007. Pour la première fois depuis trente ans, le solde migratoire s'approche de zéro, même si le solde naturel, compte tenu du départ de jeunes actifs, est devenu négatif. « Les résultats de cette politique d'accueil portent

Une installation « à la campagne »

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Rencontre avec Adeline Ancel, ostéopathe à Sainte-Feyre, dans la Creuse

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Quelles raisons vous ont poussée à vous installer à la campagne ? Je suis une « fille de la campagne », j’ai grandi dans le Lot-et-Garonne. C’était donc un choix clair depuis le début de ma recherche que de trouver un endroit où je pourrais m’épanouir, aussi bien professionnellement que personnellement, dans une zone relativement peu urbaine. J’ai donc choisi Guéret et la Creuse pour son environnement rural. Ensuite, la recherche d’une maison à louer m’a amenée à Sainte-Feyre, dans un hameau extrêmement calme, mais qui reste tout de même très près de Guéret. Avez-vous rencontré des difficultés particulières ? La principale difficulté était de trouver une maison en location où je puisse à la fois vivre et installer

mon cabinet. J’ai sûrement eu beaucoup de chance, car lors de mes différents contacts avec les professionnels immobiliers du secteur, ceux-ci m’avaient prévenue qu’il y avait très peu de maisons à louer, mais les trois locaux que j’ai visités auraient pu tous convenir à l’usage prévu. Il faut dire que j’ai été bien encadrée et aidée par les personnes s’occupant du Pôle local d’accueil de Guéret que j’ai rencontrées pendant plus d’une heure, leur exposant mes désirs d’installation, et elles m’expliquant la situation médicale en Creuse. Par la suite, elles m’ont aidée à trouver une maison en location. Les gens, et en particulier les personnes âgées, sont extrêmement contents de voir un jeune s’installer dans leur village ou leur département, et surtout quelqu’un qui apporte un service qui manquait jusque là. Donc je ne peux pas dire que j’ai rencontré de diffi-


sur des quantités relativement faibles, note Sophie Sidibé, chargée de mission accueil et emploi au pays. Mais il faut prendre en compte d'autres indicateurs qualitatifs, par exemple la capacité à rassembler les techniciens de divers organismes autour d'une table, favorisant une meilleure connaissance du travail des uns et des autres et une meilleure collaboration. Cette mobilisation est essentielle pour aller plus loin. Par ailleurs, il faut prendre en compte le facteur temps, un des paramètres difficile à maîtriser : du projet à l'installation, il faut compter deux ans, notamment parce que l'accompagnement se fait le plus souvent à distance. Notre problème est aussi celui des moyens. La première étape de cette démarche a été financée sur les deniers du pays, avec un budget annuel allant de 2 500 à 5 000 euros. Cette expérimentation aura permis de positionner l'accueil et le maintien de populations et d'activités, comme stratégie pour la seconde période (2007-2013) de mise en œuvre de la charte [du pays]. » Les trois axes de travail fixés pour construire une politique globale d'accueil sont expliqués par Sophie Sidibé : « Le premier est de mieux connaître et renforcer l'offre existante du territoire. Les offres d'activités économiques sont répertoriées par les chambres consulaires ou l'Adasea1. En revanche, nous devons faire davantage de recherches sur les offres d'espaces (logements, locaux professionnels, foncier, etc.) et de services par exemple. Le second est de promouvoir l'offre d'accueil en développant une stratégie de communication vers l'extérieur, en ciblant davantage les publics, par exemple les personnes originaires du pays et qui vivent dans les centres urbains proches (Dijon),

mais aussi les résidents secondaires. Enfin, nous souhaitons mieux accompagner la personne dans l'adéquation individu/projet de vie/territoire et son intégration locale. Ce dernier point peut être en partie résolu par le développement d'une culture de l'accueil s'appuyant sur les associations qui ont cette capacité de mobilisation locale. C'est important. Si la population n'est pas convaincue de la nécessité d'une démarche d'accueil, si elle n'a pas confiance en son territoire, cela peut porter préjudice à l'arrivée de nouveaux habitants et à la pérennité de leur installation. »

cultés particulières. Cela s’est passé très rapidement, moins de trois mois entre la première visite à Guéret et le début de mon activité professionnelle.

agréable. J’avais un peu peur en m’installant de me retrouver isolée et éloignée géographiquement de Guéret pour mes patients. Mais ceux-ci arrivent toujours à s’arranger pour venir en consultations, ils se font amener par des voisins, la famille, des amis… c’est ça aussi, la campagne ! Et ils apprécient en général le fait que je sois installée au calme, loin du bruit et de l’agitation (et également le fait qu’ils ne rencontrent pas de difficultés pour se garer juste devant !). L’une des phrases que j’entends le plus souvent de leur part est « vous êtes bien installée, ici ! »

Le pays de Combraille en Marche, dans la Creuse, a, lui, mis en place en 2005 le pôle local d'accueil qui propose notamment un accompagnement spécifique pour les populations anglophones et organise des stages découverte à destination des candidats à l'installation. Le pays de Combraille en Marche est composé de cinq communautés de communes (76 communes et 27 434 habitants). C'est un territoire enclavé, victime d'un fort déclin démographique (il a perdu le tiers de sa population en quarante ans). Il est en outre marqué par sa faible densité (17 habitants au kilomètre carré) et le vieillissement de la population : 38 % de la population a plus de 65 ans contre une moyenne française de 20,6 %. C’est pour contribuer à rééquilibrer cette situation et permettre une meilleure intégration des nouveaux arrivants que le pays a mis en place un pôle local d'accueil. Un accompagnement est proposé par le conseil régional du Limousin depuis le début des années 2000. À la demande des territoires intéressés et après analyse de leurs forces et faiblesses

Votre installation vous a-t-elle « changé la vie » ? Le désir de rester et de continuer à m’implanter ici est présent. Néanmoins, je ne peux pas dire si je resterai ici toute ma vie, on ne sait pas toujours ce que nous réserve le futur…

1. Association départementale pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles

Les Dossiers de demain no 7

Aujourd’hui, quel bilan tirez-vous de cette expérience ? Après juste un an d’exercice et plusieurs centaines de patients reçus, le bilan est excellent. Je travaille de façon régulière, et plus que beaucoup de mes anciens camarades de promotion installés dans de grandes agglomérations. Le bouche à oreille a extrêmement bien fonctionné et continue de m’apporter beaucoup de patients. C’est aussi un avantage de la campagne, où les gens ont plus de relations les uns avec les autres et ont tendance à parler facilement de leurs soucis de santé et de la personne qui leur a apporté un soulagement. Mon cadre de vie et de travail est extrêmement

Le pôle accueil de Combraille en Marche

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en matière d'accueil, le conseil régional finance l'animation d'une politique d'accueil et encourage la création d'actions adaptées. La mission du pôle consiste tout d'abord à sensibiliser les acteurs à la nécessité de l'accueil. « Ce travail se fait notamment par l'intermédiaire des cent personnes qui composent le conseil de développement et qui se font l'écho de cette politique d'accueil », explique Roland Desgranges, chargé de mission accueil au pays. Il se fait également à travers la mobilisation des maires et par la lettre d'information du pays, diffusée deux fois par an auprès de tous les habitants. « Nos messages associent toujours la volonté d'accueil à celle du maintien de l'existant. En effet, favoriser uniquement les projets des nouveaux arrivants pourrait être mal vécu par les personnes qui vivent ici depuis longtemps. » La politique d'accueil se traduit également par le repérage des opportunités (bail à céder, nouveaux projets, etc.) et de l'offre en matière d'habitat.

tionnons, en fonction des besoins du territoire, des personnes dont les projets sont déjà avancés, afin que l'installation puisse se réaliser dans l'année qui suit le stage. Le taux de réussite est satisfaisant puisque l'installation se concrétise en moyenne pour 50 % des participants. » Chaque année, dix candidats suivent ces stages, organisés une fois par an. Le budget de cette politique d'accueil s'élève à 40 000 euros pour l'animation, pris en charge par le conseil régional. Le coût des stages est de l'ordre de 7 000 euros, subventionnés par l'État. Les dispositifs en direction du public anglophone sont pris en charge à 50 % par le Fonds social européen et à 20 % par le conseil régional du Limousin. « La politique d'accueil ne se résume pas au pôle local d'accueil, elle réunit tous les aspects économiques, sociaux, culturels du territoire. Tout est lié, souligne Roland Desgranges. Dans le cadre de cette politique, l'habitat est le chantier primordial et une OPAH à l'échelle du pays est en cours ». Le pays réfléchit également à la création de logements et de locaux professionnels temporaires. En projet : la construction d'un bâtiment de cent mètres carrés, pour accueillir une activité en attendant que le porteur de projet trouve des locaux adéquats.

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Pour en savoir plus : www.localtis.fr. Ce site internet de Mairie-conseils édité par la Caisse des dépôts et consignations, présente de très nombreuses expériences de territoires.

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Par ailleurs, le pôle local d'accueil a mis en place des cours de langue française et un accompagnement des populations anglophones ainsi que des stages. Les cours ont bénéficié à cent quarante personnes en 2007. La même année, cent cinquante personnes se sont rendues aux permanences organisées tous les quinze jours, dans cinq communes du pays. Pour compléter le dispositif, des soirées thématiques, consacrées à la sécurité sociale, à l'urbanisme, aux impôts, au tourisme, sont organisées quatre fois par an et ont attiré en 2006 environ quarante personnes par soirée. Des stages « découverte » sont destinés à mettre en relation les candidats à l'installation avec les acteurs concernés par leur projet : techniciens des chambres consulaires, notaires, boutique de gestion, etc. Outre ces séances d'information/formation, sont proposés des visites du territoire et un bilan personnalisé sur le développement des projets. « L'objectif de ces stages est de transformer l'essai, explique Roland Desgranges. Nous sélec-


Vies de femmes en villages

Il n’y a pas un type de femme, un type de vie dans l’espace rural, mais une diversité de situations. Alors qu’il paraît normal aujourd’hui que les femmes se présentent sur le marché du travail, il est nécessaire de prendre en compte cette donnée, pour comprendre leurs modes de vie. Il faut considérer aussi le fait que la journée de travail d’une femme s’articule autour du travail domestique et du travail professionnel, puisque comme le confirme un certain nombre d’études, l’essentiel des tâches domestiques lui incombent. Ce constat justifie l’analyse de cette population particulière, étant donné que dans un village, l’offre en termes de services, de structures de garde et d’emploi est moindre par rapport à celle proposée en milieu urbain1.

Qui sont ces femmes ? Les femmes qui habitent en milieu rural s’y sont installées pour des motivations différentes et le plus souvent dans une démarche d’accession à la propriété. Les nouvelles arrivantes, selon leur situation par rapport à l’emploi, subissent leur installation en milieu rural ou en sont actrices. Une part de la population féminine, en effet, ne travaille pas ou arrête de travailler au moment de déménager. Elle quitte en principe un logement HLM pour venir habiter dans une maison dont elle est propriétaire. La disponibilité des terrains constructibles à des distances raisonnables du lieu de travail du conjoint détermine le choix du village. Le choix de l’espace rural est justifié par le coût du terrain qui est moins important que dans l’espace urbain. Les lotissements ainsi constitués renforcent le sentiment d’isolement que peuvent ressentir ces femmes qui n’ont pas

d’emploi, exacerbé par l’absence de com- Par Blandine Glamcevski, merces, d’activités et de lieux de sociabilité. sociologue Elles fréquentent alors le village à leur manière. Elles arpentent les rues et les chemins pour les promenades, se rendent dans les commerces quand ils existent, elles vont à l’école chercher leurs enfants, mais passent aussi beaucoup de temps chez elles. Ces femmes sont peu qualifiées. Parmi elles, un certain nombre refuse que cette situation dure et occupe alors des emplois précaires sur place : elles deviennent assistante maternelle, femme de ménage… Une autre part de femmes habite le milieu rural, sans toutefois l’investir vraiment, l’essentiel étant d’avoir trouvé la maison idéale. Le rapport au travail reste privilégié puisqu’il faut maintenir l’emploi à tout prix, même si les trajets domiciletravail sont importants, n’excluant pas la possibilité d’essayer de trouver un emploi plus près de chez soi, par la suite. Ces femmes apprécient la qualité de vie apportée par l’espace rural : le calme, l’espace, le paysage, la possibilité d’avoir un jardin pour s’y reposer et créer un potager. Toutes ces caractéristiques sont également recherchées par une autre part de la population féminine, mais s’accompagne, en plus de l’intérêt porté à la maison, par un intérêt porté à la localité. En effet, la recherche se fait aussi en fonction de la perception du dynamisme local, ces dernières souhaitant souvent s’investir dans 1. La recherche qui a la vie locale, avec contrairement aux deux permis d’étayer les résultats groupes précédents, l’espoir d’établir des rela- présentés dans ce texte a été réalisée auprès de tions avec les habitants. femmes en âge de Enfin, des femmes originaires du village ont sou- travailler qui habitent haité habiter là plutôt qu’ailleurs, dans un uni- dans des villages lorrains.

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Qui sont les femmes qui choisissent de s’installer dans un village ? Pourquoi font-elles ce choix ? Quels modes de vies induit-il ? À partir de rencontres de femmes installées dans des villages lorrains, Blandine Glamcevski propose des portraits de femmes plus ou moins impliquées dans leur vie de village.

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vers qu’elles connaissent, bénéficiant du réseau d’entraide dont elles sont familières et du patrimoine familial. Les agricultrices, en revanche, s’installent davantage dans le village du conjoint.

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Le rapport au travail

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Les femmes qui n’ont pas d’activité professionnelle sont amenées à fréquenter davantage de lieux au sein du village. C’est le cas également de celles qui travaillent dans la localité, mais le rapport au local n’est pas de même nature. Les femmes inactives ont un rapport routinier avec les lieux : promener les enfants, les accompagner à l’école, aller acheter le pain… et créent des liens ou des habitudes avec les gens qu’elles rencontrent chaque jour : discuter avec la boulangère, aller boire le café chez une autre… L’infirmière ou la boulangère, par exemple, s’inscrivent autrement dans les lieux : elles créent des relations sociales privilégiées avec les patients ou clients, tout en gardant une distance sociale suffisante pour conserver l’intégrité de leur vie privée. Toutes n’accèdent pas à l’emploi local dans les mêmes conditions : une partie d’entre elles saisit l’opportunité d’un emploi offert sur place. Pour d’autres, l’installation en milieu rural a été motivée par un projet professionnel individuel ou de couple. Le rapport au local des agricultrices est spécifique. Il s’exprime dans la pratique de leur activité, essentiellement. Le statut juridique auquel elles peuvent prétendre (exploitante associée) leur procure une identité professionnelle. De plus en plus d’agricultrices proposent des activités agritouristiques. Cela montre leur volonté et leur capacité à développer des activités qui requièrent des compétences particulières, mais aussi leur faculté à s’adapter aux nouvelles demandes du public et donc, à l’évolution de la société. Les femmes qui travaillent à l’extérieur du village ont, par la force des choses, moins d’occasions de le côtoyer. Le temps consacré à l’extérieur de chez soi et de la commune réduit les possibilités. Cependant, les enfants en bas âge, le lieu de la famille élargie, la durée du travail amènent à fréquenter le village. Mais la fréquentation des lieux au sein du village ne dépend pas uniquement du temps dont elles disposent. Celles dont l’installation en milieu rural a été motivée par la recherche d’une certaine qualité de vie et d’un dynamisme local, sont davantage investies sur les lieux que la plupart des femmes inactives. Les priorités sont dif-

férentes et les façons d’habiter diverses. Ces priorités résultent du rapport à l’activité d’une manière générale, qui se caractérise par une bonne adéquation entre l’emploi occupé et ce qu’en attend l’individu. L’espace rural est, selon le rapport que l’on entretient avec le travail, soit une source de dynamisme individuel, parce qu’on peut s’investir ou participer à de nombreuses activités en dehors des activités routinières, soit un frein parce qu’il condamne à un certain isolement lorsque l’on n’exerce pas d’activité professionnelle et que l’on est relativement peu mobile.

L’activité associative Deux formes principales de participation à la vie associative du village peuvent être identifiées. La première consiste à proposer des activités qui n’existaient pas auparavant, souvent innovantes, culturelles ou artistiques, à l’initiative de nouveaux arrivants qui ont le désir de s’investir dans cet espace, avec le soutien de certaines personnes habitant le village depuis longtemps ou depuis toujours. Ces pratiques ne concernent pas un public exclusivement féminin. L’association fait office alors, dans ce cas, d’organe intégrateur. Les activités proposées peuvent être des loisirs, mais aussi des services, comme la création d’un accueil périscolaire. La deuxième forme est illustrée par le souci de faire perdurer des activités existantes, en assurant le retour des personnes qui y participaient les années précédentes. Ce sont des activités manuelles accessibles à un large public et pratiquées dans une ambiance conviviale. Elles permettent surtout la création d’un lieu de sociabilité pour certaines femmes au foyer, mais aussi retraitées. Les personnes les plus à même de participer aux activités associatives de leur village sont celles qui entretiennent un rapport affectif avec le local.

Recherche d’une adéquation entre travail et milieu de vie Le repérage et l’analyse des pratiques dans le rapport au territoire et au travail permettent de comprendre que la quête des individus est finalement unique. Malgré les aspirations diverses, la quête d’un bien-être, mais aussi et surtout la recherche de repères et d’une identité, motivent les modes d’habiter. Les unes cherchent à construire un autre idéal de femme au foyer, les autres veulent s’épanouir dans leur travail en créant un environnement domestique apaisant, et enfin, les dernières aspirent à être actrices de leur environnement, par la pratique d’activités qui les lient à leur espace.


L’Alpe des villes et l’Alpe des champs La proximité entre un village et une ville alpine n’est pas récente. Mais l’évolution de leurs relations et des tensions qui les animent est bel et bien sensible à travers tout l’arc alpin. Par là même, la notion de village alpin est partout interrogée.

Les transformations associées à ce phénomène de globalisation concourent à une « remise à jour » des conceptions héritées de l’identité et de la culture alpine. L’iconographie et le titre du troisième rapport de la Cipra sur l’état des Alpes, Nous les Alpes, ont cherché à témoigner de ce renouvellement de l’« habiter » dans les Alpes et par là même, de la notion de village alpin.

Tradition et modernité

Il convient toutefois de s’interroger sur le contenu et le message délivrés par ces images. Le village alpin, à l’instar du Japon dont les clichés éculés perdurent pourtant, serait-il aussi, désormais, fait d’une douce alchimie mêlant tradition et modernité ? Mais quelle modernité dans ces anciennes vallées industrielles désertées ? Et quelles traditions dans ces superettes de village où le saucisson le plus local est au mieux breton ? Le village, comme les voitures, serait-il donc condamné à devenir hybride pour survivre ? Ce n’est certainement pas le cas pour de nombreux élus locaux, qui du Mercantour au Triglav n’ont pas attendu la prime de reprise des anciens modèles

Depuis près d’un demi siècle, des changements majeurs ont progressivement mis en œuvre de nouveaux modes de régulation et d’organisation sociale, économique et territoriale qui ont peu à peu modifié toutes les régions du monde, y compris les vallées alpines les plus reculées. Si les représentations archétypales des Alpes se fondent encore souvent sur une association d’activités et de sociétés traditionnelles à dominante rurale, articulées autour du village et comme préservées par les crêtes enneigées du monde globalisé, plus de 60 % de la population alpine vit aujourd’hui dans des villes.

Par Alexandre Mignotte, CIPRA France et Claire Simon, Réseau de communes Alliance dans les Alpes

1. Le Synchrotron

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« C’est vraiment l’idéal du village alpin ici… que c’est chouette ! Ces maisons, solides, toutes ces fleurs, le petit ruisseau, les oiseaux… ». Voilà ce qu’on pouvait entendre hier encore, à vingt-cinq minutes de Grenoble. C’est vrai que c’est beau ce coin autour de Proveysieux, Sarcenas, Quaix-enChartreuse. À bien regarder ces belles bâtisses fleuries, les prairies ragaillardies du printemps, on en oublierait presque ce gros anneau brillant dans la vallée1, et puis aussi l’autoroute et les zones commerciales toutes proches. Tous les atomes, véhicules, consommateurs, qui s’activent dans ces infrastructures pensent-ils à lever les yeux, alors que nous oublions de baisser les nôtres ? Le village est l’élément central de la structuration symbolique des Alpes. Il est le lieu des racines et de l’authentique, le lieu de la constance et de la mémoire. Le village alpin c’est le lieu du temps retrouvé, des saisons. Mais c’est aussi, de plus en plus, le lieu d’un temps qui s’échappe et qui s’accélère.

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pour faire de leur village un creuset d’innovation et d’adaptation. Les ressorts de l’avenir du village, qu’ils soient démographiques, économiques ou autres, sont autant en dedans qu’en dehors de celui-ci. L’autarcie - énergétique pour l’instant - est autant recherchée et affichée qu’un désir d’hyperconnexion.

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Des villages se prennent en main

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Cet art du grand écart est l’apanage de 270 communes alpines regroupées au sein du réseau Alliance dans les Alpes né en 1997. Pour de nombreuses communes du réseau, ce grand écart se décline par le courage d’avoir une grande vision mais d’avancer à petits pas, par la sagesse de mettre à plat les conflits pour mieux coopérer, par le génie de mettre en valeur la créativité et les atouts des habitants et de leur territoire et par la patience, car réinventer la notion de village demande des années, voire des décennies. Enfin, nombre de membres du réseau sont dotés d’une générosité qui les pousse à partager leurs expériences avec d’autres communes… Les plus innovants sont souvent les communes en « crise », qui sauvent leur village du déclin, parfois même de la mort. Ainsi, après vingt ans de crise liée à la fermeture d’une importante usine de coutellerie, Steinbach an der Steyr (Autriche), comptait au milieu des années quatre-vingt, 1 847 habitants, 68 emplois et 27 entreprises. Alors que le processus de déclin paraissait inexorable, les habitants de Steinbach ont décidé de ne plus assister en spectateurs passifs au délabrement de leur commune. Élus de tous bords, experts et citoyens ont fait table rase de leurs conflits pour faire ensemble l’inventaire des forces et faiblesses de leur village et pour faire émerger une vision d’avenir ambitieuse. Puis, pas à pas, tous se sont mis à l’œuvre pour rénover le centre du village, rouvrir ses boutiques, repeupler ses appartements… Aujourd’hui, avec ses quelque 2 030 habitants, 258 emplois et 56 entreprises, Steinbach a dépassé les chiffres de 1967. Les associations et le bénévolat fleurissent et les jeunes plus nombreux que la moyenne autrichienne - s’impliquent dans la politique locale. Au-delà des chiffres, Steinbach a réinventé son village sur le fond ; en témoigne l’importance de la production agricole biologique dans la commune ou encore la bonne qualification de ses habitants et entrepreneurs. Il y a aussi Massello (Italie) ou Auzet (France), qui, avec quelques dizaines d’habitants et d’élus engagés, réassemblent une à une les pierres de leur village. Massello a vu, dans la gastronomie et la production agricole locale, une recette appétissante pour faire venir des visiteurs et créer des emplois dans la restauration et l’agriculture. À Auzet, c’est un savant mélange d’ateliers relais

(boulangerie et menuiserie), de revalorisation des activités agricoles et forestières, de développement d’activités éco-touristiques et musicales, qui a permis à la population de passer de 35 habitants dans les années quatre-vingt, à 85 en 2008. Et aujourd’hui, Auzet doit construire de nouveaux logements, qu’elle souhaite passifs, pour relever du même coup le défi énergétique qui se pose à nos sociétés ! Peu de communes touristiques dans les Alpes se pensent en crise. Pourtant il y a une quinzaine d’années, Werfenweng (Autriche) a perçu les bénéfices, mais aussi les nuisances engendrées par le tourisme, notamment l’invasion des voitures. La commune a alors imaginé d’accueillir des visiteurs qui choisissent de laisser leur voiture au garage pendant les vacances. Depuis, Werfenweng se forge une nouvelle identité autour de la mobilité douce. Grâce à ses groupes de travail, à sa politique de marketing et autres investissements, Werfenweng peut afficher des nuitées en hausse (à capacité de lits égale), une place du village remodelée en « place de la mobilité », de nouveaux modes de transport sur ses routes et chemins… En douceur, cette révolution de la mobilité déteint sur tout le village : les bornes solaires pour recharger les véhicules électriques sont devenues le symbole de Werfenweng, les filières économiques locales s’épanouissent...

Un réseau pour innover Steinbach, Auzet, Massello ou Werfenweng arborent les succès de leurs efforts. Mais en ces temps où tout change à la vitesse des fibres optiques, aucun de ces villages ne peut se reposer longtemps sur ses lauriers. Pour maintenir la flamme en vie et susciter de nouvelles « vocations », Alliance dans les Alpes mise sur les échanges d’expériences. Ainsi en mars dernier, une cinquantaine de personnes se retrouvaient à Cruseilles (France) autour du thème « Nouveaux enjeux, nouvelle identité, nouvelle vitalité : pour une commune, comment créer son projet d’avenir ? ». Les représentants des communes françaises, italiennes, suisses et autrichiennes sont repartis avec un nouvel élan pour continuer à façonner et à croire en leur vision pour l’avenir de leur village. Les 16 et 17 octobre 2009 à Bad Reichenhall/D, Alliance dans les Alpes invite à découvrir sous un autre angle ce que des communes innovantes proposent pour que l’Alpe des villes et l’Alpe des champs mènent un dialogue fructueux et unissent leurs forces, afin que les Alpes ne soient pas qu’un décor pour âmes nostalgiques, mais un véritable lieu de vie conscient de ses racines et tirant parti des bienfaits des temps modernes.


Villages de vacances, un vrai laboratoire L’habitat de loisirs prend souvent le village comme référence pour proposer le cadre de vie de moments privilégiés. Quelles leçons en tirer ? Cet habitat peut-il être considéré comme une avant-garde pour inspirer les formes de l’habitat permanent ?

Le temporaire supportable et le permanent insupportable ? Pas question, bien sûr, de reproduire des solutions toutes faites. Les conditions de vie ne sont pas vraiment comparables : le temps des vacances, ce moment privilégié où l’on a envie de profiter de l’instant, engage paradoxalement à plus de tolé-

rance que la vie de tous les jours. On accepte des choses que l’on ne supporterait pas en temps ordinaire : l’espace vital réduit et la promiscuité ont moins d’importance parce que l’on vit beaucoup dehors. Le bruit des autres invite plutôt à partager la fête. On s’installe dans un rythme de vie commun, communautaire presque, même si on n’a pas plus choisi ses voisins qu’en ville. On se libère de certaines contraintes pour en accepter d’autres. La relation à l’automobile, par exemple, est bien différente : cet objet familier, qui d’ordinaire doit rester proche et disponible à tout moment, peut être quasiment abandonné pour toute la durée du séjour, sous le soleil ou sous la neige… Par ailleurs, dans les villages de vacances, beaucoup de services sont pris en charge par des prestataires intégrés ou extérieurs. Cela a un coût parfois important, voire un surcoût inattendu. Mais en vacances, on est généreux ou on oublie de compter, souvent. Et il faut bien que quelqu’un entretienne le beau paysage des espaces collectifs : on ne peut pas compter sur l’appropriation individuelle des espaces extérieurs pour en assurer une image harmonieuse. Des terrasses ou des balcons, mais pas de grands jardins privatifs, donc : on apprend une certaine économie de l’espace. Et au final, on peut faire l’expérience de nouvelles relations de voisinage, dont certains aspects peuvent changer l’idée du quotidien, en particulier le vécu de la proximité et de la densité1.

Unité et diversité On croit parfois que les conditions de production de l’habitat de loisirs sont différentes, et que la

Par Pierre Belli-Riz, architecte DPLG, urbaniste OPQU, enseignant chercheur à l’École nationale supérieure d'architecture de Grenoble

1. Attention cependant à ne pas se faire trop d’illusions sur ces notions ! Lire ou relire Jean-Claude Chamborédon et Madeleine Lemaire : « Proximité spatiale et distance sociale, les grands ensembles et leur peuplement » in Revue française de sociologie XI-1, janvier-mars 1970.

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L’imaginaire du village renvoie principalement à deux mémoires, celle du passé et de la tradition d’une part - les villages de notre enfance - celle du temps libre et des loisirs d’autre part - les villages de nos vacances. Les deux peuvent parfois s’associer dans une même nostalgie, celle des villages des vacances de notre enfance… Mémoires dérisoires ? Pas si simple ! Le temps des loisirs peut être celui de la futilité, l’habitat de loisirs n’est que temporaire, mais il n’en est pas moins une affaire sérieuse. En France, le tourisme social devient même dans les années soixante une affaire d’État, avec l’aménagement du littoral et des stations de montagne. Cette politique est l’exacte symétrique de celle des grands ensembles de logement social ; d’un côté, l’habitat permanent sous forme de machines à habiter, de bâtiments impersonnels conçus pour le Français moyen, un travailleur anonyme qui ne doit surtout pas s’attacher à un territoire particulier ; de l’autre, l’habitat de loisirs de masse pour offrir à ce même Français moyen un repos bien mérité et un dépaysement salutaire. D’ailleurs, les mêmes architectes sont parfois simultanément à l’œuvre dans les deux domaines ; et ils semblent souvent plus inspirés dans le deuxième cas que dans le premier. Quelles leçons tirer de ces expériences urbanistiques et architecturales souvent originales ?

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De Port Grimaud à Gassin

2. François Spoerry : opération « greffe de village » à Gassin, 1989. La commune de Gassin a reçu en 1995 la Marianne d’Or pour cette réalisation et pour son effort de logement des actifs locaux. 3. Jacques Sixtus, Bernard Gouyon et P.L. Coutos, architectes : opération d’habitat individuel groupé à Saint-Pantaléon-lesVignes (Drôme), 1981, analysée in Pierre BelliRiz (dir.) : La mesure urbaine de la maison individuelle, rapport de recherche PUCA-METL, 2003.

rigueur de l’économie y est moindre. Au contraire ! L’image du luxe est trompeuse, en réalité, elle ne doit pas coûter cher. D’abord, il s’agit d’une production de masse, comme pour le logement social, permettant des économies d’échelle. Ensuite, les périodes d’occupation étant réduites, l’amortissement de l’investissement est encore plus exigeant que pour l’habitat permanent. Et les courtes saisons de chantier obligent à choisir des techniques particulièrement rapides et performantes. En contrepartie, certaines performances techniques peuvent être moindres. En fait, l’habitat de loisirs est un champ d’expérimentation privilégié pour la construction très économique, avec des techniques légères, modulaires, des systèmes de composants, par exemple. L’important est de produire de la diversité, même si le fractionnement des volumes cache une unité de conception et de gestion très forte et produit une identité commune. L’équilibre entre unité et diversité, c’est peut-être cela, la magie du village…

Qui ne connaît Port-Grimaud, décor de carte postale qui provoqua en son temps, dès 1964, une polémique virulente et l’accusation sans appel de pastiche ? À y regarder de près, Port-Grimaud est bien une invention moderne : un village sans voitures, une marina où l’on peut garer son bateau au bout de son jardin, des techniques de construction rationnelles et économiques, des variations de façades reposant sur l’utilisation habile d’un catalogue de composants, un vocabulaire architectural inventif qui synthétise des influences multiples… Rien, en fin de compte, qui ne soit pas transposable dans l’habitat de tous les jours, quoiqu’on dise. L’architecte François Spoerry rêvait d’ailleurs que des résidents permanents habitent sa marina. Les promoteurs d’alors ont jugé que c’était trop beau pour ça ; mais les vacanciers d’hier sont les retraités d’aujourd’hui qui y passent la plus grande part de leur temps. Et Spoerry a réalisé son rêve en 1989 à quelques kilomètres de là, à Gassin : l’extension discrète d’un village ancien, avec les mêmes principes, inclut des HLM qui ne ressemblent décidément pas à des HLM2. Autant on peut reprocher à Port Grimaud son caractère fermé, introverti, autant l’opération de Gassin est une greffe réussie, en continuité douce avec le vieux village.

Entre modernisme et régionalisme Cet exemple n’est pas isolé. Spoerry a inspiré d’autres architectes, comme Jacques Sixtus qui a réalisé en 1981 une extension de village à SaintPantaléon-les-Vignes, dans la Drôme3. À l’origine, le promoteur voulait vendre ces maisons comme des résidences secondaires ; elles se sont rapide

Labels et réseaux

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Entretien avec Mohammed Chahid, consultant-directeur de MATI Cabinet Conseil, Mission d’appui aux territoires et à l’innovation

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Que cherchent les élus des villages lorsqu’ils adhèrent aux labels et réseaux du type « Les plus beaux villages de France » ? Les responsables des collectivités locales recherchent tout d’abord la reconnaissance de leurs communes et au travers elle, la valorisation patrimoniale de leurs sites et des efforts consentis par la collectivité pour se démarquer. L’émiettement communal, avec plus de 36 000 communes, ne permet pas une identification de celles qui disposent d’un véritable potentiel patrimonial. Des labels de qualité peuvent faire émerger une réelle reconnaissance de sites remarquables. Par la suite, la labellisation doit être accompagnée d’une dynamique de réseau, d’appui aux démarches locales et d’une mutualisation des bonnes pratiques.

Pourquoi ces labels et réseaux se sont-ils autant développés ? Le développement de labels trouve sa justification dans des reconnaissances spécifiques, voire sectorielles et apporte difficilement une réelle plusvalue. Mais il s’agit de distinguer les démarches privées, portées par les socioprofessionnels ayant pour finalité le développement économique, et celles publiques ou parapubliques, mettant plus l’accent sur la valorisation patrimoniale ou l’attractivité générale d’un site ou d’un territoire. La grande dispersion du patrimoine rural a logiquement induit la mise en place de labels et de réseaux, mais trop nombreux qui ne favorisent pas la lisibilité des démarches. Seuls quelques uns arrivent à tirer leur épingle du jeu.


Un village uniquement dédié au tourisme est-il viable ? Un village uniquement dédié à une unique activité comme le tourisme se risque à une certaine mono-fonctionnalité déconnectée des réalités sociales et des autres dynamiques économiques locales. Les entrepreneurs peuvent être extérieurs au village, ce dernier devenant un fond de commerce comme un autre. L’immobilier et le foncier d’une manière générale deviennent hors de prix pour des jeunes résidents obligés d’aller ailleurs pour s’installer. Le village monotouristique devient répulsif pour ses propres habitants. Le développement durable est aujourd’hui de plus en plus incontournable et appelle à un développement intégré autour de valeurs et de principes communément admis : équité sociale, préservation de l’environnement et efficacité économique.

Comment penser le développement d’un village avec un label ou dans le cadre d’un réseau qui a priori fige l’image du patrimoine ? Le processus de labellisation ne doit pas prendre le pas sur le projet de développement. L’association des habitants devient ici une forte nécessité pour une réelle appropriation du village et de son projet. Le recours à une médiation continue permet d’atténuer les difficultés rencontrées par une trop forte emprise du tourisme sur le village. En outre, le village ne peut se détacher de son ancrage territorial. La diffusion vers d’autres sites du territoire d’appartenance a le double avantage de limiter l’effet de la concentration touristique et de valoriser les autres formes du patrimoine local. Enfin, le recours à une diversification économique peut être salutaire pour éviter une image figée et statique du développement. Ici, trop de tourisme peut nuire à une attractivité basée sur d’autres potentiels du territoire.

4. Voir notamment Pierre Lajus : « Le précaire et le permanent » in Techniques et architecture n°333, décembre 1980. 5. Pierre Lajus, architecte : Villa Morton, 45 rue Morton à Bordeaux Caudéran, 1979 ; opération analysée in Pierre Belli-Riz (dir.), op. cit. 2003. 6. Georges Candilis : Recherches sur l’architecture des loisirs, Karl Krämer Verlag, Stuttgart, 1972 ; nombreux projets et réalisations à CanetPlage, le BarcarèsLeucate, le Grau-du-Roi, Deauville, etc. 7. Atelier de Montrouge (Jean Renaudie, Pierre Riboulet, Gérard Thurnauer, Jean-Louis Véret, architectes) : village de vacances Le Merlier à Ramatuelle (Var), 1959-1965 ; voir notamment Catherine Blain (dir.), L'Atelier de Montrouge, la modernité à l'œuvre (1958-1981), éd. Actes Sud-Cité de l'architecture et du patrimoine, Arles, 2008. 8. C’était notamment un surnom populaire donné au quartier Renaudie de Saint-Martin-d’Hères (Isère) réalisé entre 1974 et1982.

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ment arrachées comme résidences principales. Il faut aussi citer l’architecte Pierre Lajus qui, dans sa région du Sud-Ouest, a développé des procédés constructifs modulaires souples et légers qui se sont appliqués aussi bien à des villages de vacances qu’à des résidences principales4. Il reconnaît par ailleurs s’être inspiré des cabanes de pêcheurs du bassin d’Arcachon dans la Villa Morton qu’il a réalisée en 1979 près de Bordeaux5. Pierre Lajus accomplit dans cette réalisation une synthèse entre régionalisme et modernisme, alors que dans les années soixante l’opposition faisait rage entre ces deux notions. Pourtant, l’idéal du village était déjà très présent dans le courant moderniste. Georges Candilis, par exemple, se souvient de ses racines grecques dans ses projets et réalisations pour le littoral LanguedocRoussillon ; mais il choisit de traduire l’idée organique du village à travers une rationalité géométrique quasi obsessionnelle, avec des sys-

tèmes très perfectionnés de trames et de modules6. L’Atelier de Montrouge réalise de même des opérations remarquables dès la fin des années cinquante, notamment le village de vacances Le Merlier à Ramatuelle, classé au Patrimoine du XXe siècle7. Mais lorsque Jean Renaudie développe le même registre dans le logement social, la réception de l’image n’est plus du tout la même. Cette architecture d’influence méditerranéenne, qui peut nous rappeler les villages pittoresques et les médinas où l’on a aimé flâner en touriste, reçoit le surnom dévalorisant de casbah8. On peut y voir une peur de l’étranger ; on peut aussi comprendre un rejet de l’étrange, du déplacé, ou encore de cet universalisme moderne qui a, par son systématisme excessif, produit de la banalisation et de la confusion. La transposition des références montre ici ses limites : hors de son contexte, le dépaysement est devenu déracinement. D’autres architectes ont compris plus tard qu’entre modernisme et régionalisme, ce n’est peut-être qu’une question de style qui peut cacher la même forme urbaine. L’architecte Jean-Marc Legrand, par exemple, conçoit en 1964 une « unité touristique » pour La Grave (Hautes-Alpes) dans le style moderne de l’époque. Il ne réalise le début de ce programme qu’en 1980, sur les mêmes principes de groupement, mais dans un style régionaliste complètement différent et tout aussi maîtrisé9 ; et en 1998, un Village-hôtel vient compléter un ensemble cohérent identifié aujourd’hui comme le « nouveau village ».

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Du dépaysement au repaysement

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9. Jean George et Jean-Marc Legrand, architectes : « Unité touristique de La Grave-La Meije » in Techniques et architecture n°333, décembre 1980. 10. Voir notamment à ce sujet Daniel Le Couédic : La maison ou l’identité galvaudée, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2004.

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On pourrait encore multiplier les exemples. Bien sûr, dans chacun, il faut distinguer la valeur de typicité (les traits communs, les principes généraux qui peuvent être reproduits, la base des variations possibles) et la valeur de singularité (le caractère unique d’une situation locale et historique qui fait qu’on ne peut le reproduire tel quel, comme un modèle). Il faut aussi distinguer la forme urbaine du style architectural, qui plaît à certains et pas à d’autres : vaste débat… L’exemple a donc besoin d’être sans cesse interprété dans une situation nouvelle, unique. La question ne saurait se réduire à une question d’image, le pittoresque n’est que la partie émergée d’un iceberg. Mais il faut peut-être reconnaître qu’à travers l’habitat de loisirs, l’idée du village, après une période qui proposait le dépaysement comme palliatif à la banalisation du cadre de vie, nous amène aujourd’hui vers un désir de « repaysement » : se retrouver, se sentir quelque part, dans un territoire qui nous appartient et auquel on appartient. Pour beaucoup, ce sera sûrement plus une fiction nouvelle qu’un retour aux sources. Cette fiction exprime selon certains le retour du refoulé, la nostalgie d’une réalité disparue, et elle échappera sans doute difficilement à la marchandisation et aux lois de la consommation culturelle10. Mais ce peut être malgré tout une belle fiction, une belle histoire. À suivre ?


Bibliographie

La rurbanisation ou la ville éparpillée Gérard BAUER et Jean Michel ROUX, Seuil, 1976, 192 p. Le village retrouvé Pascal DIBIE, Grasset, 2008, 256 p. (Coll. L’Aube/poche essai) (Réédition de l’ouvrage publié en 1979). L’ethnologue Pascal Dibie livre une analyse à la fois empirique et documentée du milieu paysan des années quatre-vingt face à l'avancée de la ville. Le village métamorphosé. Révolution dans la France profonde Pascal DIBIE, Collection terre humaine, Plon, 2006, 405 p. Vingt-sept ans après Le village retrouvé, un récit ethnologique sur le village rurbanisé et sur la façon dont le villageois s’urbanise et évolue entre local et mondialisation. « Que reste-t-il de nos hameaux ? » Christine DURAND (coord), Village, n° 57, juilletaoût 2002, p. 22-36. Comment acquérir et restaurer un hameau aujourd’hui ? Quel est le rôle des sociétés d’aménagement foncier rural ? Quelles peuvent être les difficultés de chantier ? Quelles sont les tendances de ce marché immobilier singulier ? Pourquoi mesure-t-on ce fort développement des écovillages ? Autant de questions qui sont abordées par ce dossier. La fin des maires. Dernier inventaire avant disparition

Luc GWIAZDZINSKI et Gilles RABIN, FYP Editions, 2007, 160 p. « Coincés entre la désertion de l'État et la montée de l'intercommunalité, nos maires vont-ils disparaître ? ... » Au bonheur des campagnes Bertrand HERVIEUX et Jean VIARD, L'Aube, 2005, 154 p. (Réédition de l’ouvrage publié en 1996). Cet ouvrage est le fruit d'une vaste enquête menée tant dans les villages que dans les villes. Il analyse la mise en désir de cette campagne, lieu de loisirs mais aussi de paysannerie gardienne des paysages, par des villes devenues sans limite. Vivre et habiter une villme au naturel. L’agglomération rouennaise : terrain d’expérience et de modèle Wandrille HUCY et Nicole MATHIEU, in Quatre ans de recherche urbaine 2001-2004, ACI-Ville, Ministère de la Recherche, Presses Universitaires François Rabelais/Maison des Sciences de l’Homme « Villes et territoires », 2006, p. 127-140. Envies de campagnes : les territoires ruraux français Jean-Pierre HUSSON, Ellipses Marketing, 2008, 207 p. Les espaces ruraux français sont aujourd'hui revendiqués, plébiscités, redevenus à la mode et pour beaucoup en renaissance. Nos campagnes sont pour l'essentiel vivantes ou revivifiées, portées par des projets qui mutualisent leurs forces au sein de nouvelles échelles de territoires voulues et partagées. Les campagnes demeurent des mosaïques nourricières mais sont encore perçues comme des écrins de patrimoine, des lieux de nature et de biodiversité, avec des paysages amènes et sédatifs. L'ouvrage réalise une mise au point actualisée sur ces territoires placés entre nature et société, situés entre promotion, succès, envies et dysfonctionnements. (Présentation éditeur). « L'Europe et ses campagnes » Marcel JOLLIVET et Nicole EIZNER (dir.),Presses de Sciences Po, 1996, 399 p. Peut-on parler d'une Europe « agrarienne » ou d'un « agrarianisme » européen ? Peut-on parler d'une fin des campagnes agricoles en Europe ? Comment s'opère le passage à un espace rural ne se confondant plus avec un espace agricole ? Pour y répondre, il faut s'interroger sur ce que sont les agriculteurs et sur ce qu'est le rural, tant dans les ex-pays de l'Est que dans les pays de la nouvelle Union. (Présentation éditeur).

Les Dossiers de demain no 7

« Le village ambigu. Des voisins de la ville » Gérard BAUDIN et Sabine DUPUY, Les Annales de la recherche urbaine, n° 90, sept. 2001, p. 77-84. La représentation citadine du village comme territoire idéal offre au politique la métaphore géographique et patrimoniale qui illustre son discours sur la nécessaire proximité. À écouter les habitants, il s’agit d’un village qui concentre en miniature les aménités et la diversité de la grande ville. Cette ville dans le village semble être le miroir ambivalent des désirs contradictoires et contrariés des diverses couches moyennes. Disponible sur : http://www.annalesdelarechercheurbaine.fr/IMG/pdf /Baudin_Dupuy_ARU_90.pdf

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Bibliographie (suite) La renaissance rurale : sociologie des campagnes du monde occidental Bernard KAYSER, Colin, 1989, 316 p. L’ouvrage propose une analyse sociologique du redéploiement que connaît aujourd’hui l’espace rural et montre notamment comment les politiques d’aménagement et de développement le prennent en compte en y accordant des moyens non négligeables. « L’urbanisme touché par le développement durable ? » Nicole MATHIEU, Natures Sciences Sociétés, 14, 2006, p. 341-342. « Pour une construction interdisciplinaire du concept de milieu urbain durable » Nicole MATHIEU, Natures Sciences Sociétés, 14, 2006, p. 376-382. La fin des paysans ; changement et innovation dans les sociétés rurales françaises Henri MENDRAS, Arles, Actes Sud, 1996, 437 p. (Réédition de l’ouvrage publié en 1967). Un ouvrage qui a suscité des polémiques lors de sa parution : l’auteur constatait la disparition du mode de production paysan pour donner place à des agriculteurs-producteurs obéissant aux règles du marché et de la technique. Le livre est devenu un classique.

Les Dossiers de demain no 7

Les nouvelles ruralités en France à l’horizon 2030 Olivier MORA (dir), Ed. Quae, 2009, 112 p. En posant la question des « nouvelles ruralités », cet ouvrage, comnadité par L’INRA, étudie les dynamiques de tous ordres qui jouent sur les rapports entre villes et campagnes. Après un état des lieux des espaces ruraux et de leurs tendances d'évolution, il propose quatre scénarios de devenirs possibles des ruralités à l'horizon 2030.

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Ville et campagne à l'épreuve des modes d'habiter. Approche biographique des logiques habitantes Annabelle MOREL-BROCHET, Doctorat de géographie, Université Paris 1, 2006, 572 p. Cette étude, centrée sur l’habitant, analyse les sensibilités géographiques et la valeur des milieux de vie urbains, périurbains et ruraux. À partir de soixante-neuf récits de lieux de vie, l’auteur explore les composantes et les mécanismes de la relation habitante.

Disponible sur http://tel.archives-ouvertes.fr/tel00264308/fr/ « L’accès des ménages aux services dans l’espace périurbain francilien » Benjamin MOTTE, Strates, 2008, 14, p. 149-164. Disponible sur : http://www.geographiedijon.fr/IMG/pdf/MotteBaumvol_2008.pdf « Géographie et durabilité : redéployer une expérience et mobiliser de nouveaux savoir-faire » Marie-Claire ROBIC et Nicole MATHIEU, Le développement durable, de l'utopie au concept : de nouveaux chantiers pour la recherche, Elsevier, New-York, 2001, p. 167-190. Vieillir en pavillon : mobilités et immobilités des personnes âgées dans l‘espace périurbain Martine ROUGE et Lionel BERGER (dir.), PUCA, 2008, 195 p. À partir d’informations statistiques et d’entretiens avec des retraités habitant en logement individuel dans des communes périurbaines d'Ile-de-France, de l'aire urbaine de Marseille et de l'aire urbaine de Toulouse, cette étude propose une analyse de la mobilité ou de l'immobilité résidentielle de ces ménages. La ville mal-aimée. Représentations antiurbaines et aménagement du territoire en Suisse : analyse, comparaisons, évolution Joëlle SALOMON-CAVIN, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2005, 237 p. Cet ouvrage rassemble les résultats des recherches doctorales réalisées par Joëlle Salomon-Cavin qui s’est intéressée aux origines historiques du sentiment anti-urbain en Suisse ainsi qu’à son évolution. L’auteur a tenté d’approfondir les implications de ce sentiment sur l’aménagement du territoire. Cette hostilité envers la grande ville exercerait selon elle une influence sur l’orientation des politiques d’aménagement du territoire.



d e d e m a i n n ° 7 M a i 2 0 0 9

Mai 2009 - n° 7

L’AGENCE D’URBANISME DE LA RÉGION GRENOBLOISE

d o s s i e r s 21, rue Lesdiguières 38000 Grenoble - Tél. : 04 76 28 86 00 - Fax : 04 76 28 86 12 - Mél : accueil@aurg.asso.fr - www . aurg.org

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