L’émergence du Landscape Urbanism*, réponse aux enjeux de formation des territoires contemporains ?
Aurore RAPIN Mémoire - ENSAL - M2 SPA0910 Tuteur : P. Marin
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“In the opening year of the twenty-first century, that seemingly old-fashioned term landscape has curiously come back into vogue.” 1 **
-- James Corner
* “Paysage Urbanisme”, voir définition dans la partie 1.a du présent document. 1
The Landscape Urbanism reader, éditeur Charles Waldheim, Princeton Architectural Press, New York, 2006. ** « Dans les années d’ouverture du vingt-et-unième siècle, le terme de paysage, à première vue obsolète, est curieusement de retour en vogue. », Jean Coin.
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D’après James Corner, la condition métropolitaine des villes contemporaines est à la base de l’émergence du mouvement. L’augmentation de la population mondiale induit une urbanisation2 du territoire constante et les villes regroupent désormais la moitié de la population mondiale. “ Au commencement du XXème siècle, seulement 16 villes dans le monde avait une population de plus d’un million d’habitants, maintenant, à la fin du siècle, plus de 500 villes ont plus d’un million d’habitants ; beaucoup se vantent de plus de 10 millions d’habitant, et sont toujours en expansion.” -- Introduction de James Corner, Terra Fluxus3. Leur développement souvent anarchique engendre de graves problèmes nuisant à la qualité de vie de leurs habitants : logement, transports, équipements sanitaires et sociaux, sont des défis permanents pour les autorités de tous les pays. Aussi, la prise de conscience écologique globale ainsi que le besoin pour certaines régions de retrouver un sentiment d’identité locale semblent être les nouveaux paris des territoires du XXIème siècle. La condition postmoderne des villes actuelles se lit dans la recherche d’une mobilité toujours accrue, et dans l’apparition de nouvelles formes d’urbanisation, en périphérie des centres-villes historiques voire même à plus grande échelle, entre les pôles urbains d’une région. On parle aujourd’hui d’aires urbaines et d’agglomérations de communes, de territoires périurbains et « suburbains », voire « rurbains ». Ainsi dans leur article4, Stéphanie Bender et Philipe Béboux décrivent l’ubiquité des territoires urbanisés d’aujourd’hui. L’étalement horizontal et les changements rapides, le grignotage des territoires agricoles et des écosystèmes sont finalement autant de maux qui ont conduit à la confusion des mondes de l’urbain et du rural, de l’urbanisme et du « paysage naturel ». Si la mondialisation tend à la convergence globale des enjeux de l’urbanisation du territoire, la croissance et les mouvements de populations mais surtout les conséquences territoriales des choix politiques et de l’économie de marché diffèrent selon les parties du globe. C’est en explorant les thématiques de master proposées dans les écoles d’architecture de renommées internationales, telles que l’Architecture Association de Londres, que l’expression Landscape Urbanism est apparue comme La nouvelle approche théorique et pratique du projet de grande échelle. Face à l’homogénéisation globale croissante des projets urbains d’aujourd’hui, la question se pose : en quoi le « Landscape Urbanism » répond-t-il aux enjeux de formation des territoires contemporains ?
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Par urbanisation, comprendre : le phénomène de développement de l'habitat humain, souvent sous forme de « villes ». James Corner, “Terra Fluxus”, dans The Landscape Urbanism Reader Cf note 1.
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S.Bender et P. Béboux, Constat d’une ubiquité ville-paysage. [en ligne], article sur site de la chaine de radio télévision suisse Les urbanités.rsr.ch [28.10.2009], tous deux professeurs à l’ETH de Zurich.
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Forgée par Charles Waldheim, architecte et vice-doyen de la faculté d’architecture, de paysage et de design de l’université de Toronto, l’expression fait sa première apparition lors de ses expositions et conférences à la Graham Fondation de Chicago en 1997. Cet évènement dévoile à l’occasion un groupe de théoriciens et praticiens opérant sous la bannière du mouvement : Field Operation (avec James Corner), Stan Allen, West 8, the Office for Metropolitan Architecture (OMA), and Foreign Office Architects (FOA)… Au travers la comparaison d’ouvrages théoriques publiés par des intervenants d’écoles proposant des masters tournés vers des projets de grande échelle, nous explorerons en quoi ce mouvement forme une nouvelle approche théorique du projet d’urbanisme. Les différences théoriques présentées dans The Landscape Urbanism Reader édité par Charles Waldheim en 2006 et Projet Urbain, de Philipe Panerai et David Mangin, en 1999, seront décryptées et présentées dans une première partie. Le retour en vogue du terme Landscape, associé à la discipline de l’urbanisme, réclame une redéfinition précise et permettra la présentation des caractéristiques et des grandes lignes de pratiques proposés par les théoriciens. Puis, en seconde partie, au travers l’observation de quelques projets du corpus de référence présentés dans l’ouvrage de Charles Waldheim, nous verront en quoi la théorie et la pratique peuvent être des réponses aux enjeux des territoires du capitalisme tardif. Les enjeux de ces espaces seront d’abord dégagés pour ensuite présenter comment les pratiques du mouvement répondent au déclin des projections spatiales de l’époque moderne et aux enjeux de mobilité que supposent la condition postmoderne des territoires des pays développés. Enfin, nous verrons comment cette théorie américaine et européenne répond à des enjeux d’extension de villes, d’abord sur leurs espaces respectifs, puis dans des conditions de développement différentes telles que celles des pays émergents. Grace à l’observation des nouveaux outils de projets qu’ils proposent face à ces conditions particulières, les limites de l’application de la théorie seront alors mises en avant pour tenter de répondre à la problématique.
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Sommaire
1. Les nouveautés théoriques du Landscape Urbanism. .............................................. 9 a.
Une combinaison de termes nouvelle ? ..............................................................................................11
b.
Landscape, la notion déterminante. ....................................................................................................14
c.
Des notions-clefs pour la pratique. .....................................................................................................19
2. Des solutions aux enjeux du capitalisme tardif ? ................................................... 23 a.
Des modernes abandonnés aux « profits » des postmodernes. ...........................................................25
b.
La mise en pratique sur les territoires du déclin. ................................................................................28
c.
Des solutions concrètes aux lieux de la mobilité ? .............................................................................32
3. Une réponse aux enjeux du développement des territoires ?.................................. 35 a.
« Landscape Colonisation » en pays développés. ..............................................................................37
b.
L’AA de Londres et urbanisation des pays émergents ? ....................................................................39
c.
Les oubliés du Datascaping. ...............................................................................................................42
Conclusion …………….…………………………………………………………………………...45
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1. Les nouveautés théoriques du Landscape Urbanism. « Cette proposition quasi-manifeste […] est une dissolution totale des deux termes en un seul mot, […]. Mais également, en même temps chaque terme reste distinct, suggérant leur nécessaire, peut-être inévitable différence. » 5 -- James Corner
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Voir Terra Fluxus. Cf note 3.
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Fig. 1 : Résultaats d'images suiite à la requête "nature". "
Fig. 2 : Résultaats d'images suiite à la requête "city". "
Fig. 3 : Résultaats d’images suiite à la requête "suburb".
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James Corner jette en ces quelques mots le paradoxe du nom donné à cette approche du projet de grande échelle. Cette « dissolution» est-elle une réponse théorique aux enjeux de formation des territoires contemporains ? A travers la lecture croisée de l’ouvrage de Charles Waldheim The Landscape Urbanism Reader et de celui de Philipe Panerai et David Mangin, Projet Urbain, la première partie de ce mémoire définira les enjeux de cette nouvelle combinaison de termes. L’étude étymologique et sémiologique du terme Landscape sera présentée dans l’idée qu’il forme la principale nouveauté de cette approche de projets de grande échelle. Enfin, les notions-clefs associées à l’expression seront explorées plus finement afin de caractériser au mieux les nouveautés de cette approche du projet à l’échelle de la formation des villes.
a. Une combinaison de termes nouvelle ? La combinaison de ces deux termes dont les champs sémantiques peuvent sembler opposés, selon James Corner est une provocation contre toute façon de penser distinctement l’urbain et le rural - les territoires autant que leurs caractéristiques. Le fondement de l’expression Landscape Urbanism réside dans cette association de deux termes qui semblent opposés dans leur perception et dans l’histoire. « Cette séparation catégorique et antinomique entre les deux champs (urbanisme et paysage) persiste non-seulement à cause d’une différence perçue entre les matériaux, techniques et dimensions imaginaires et morales de ces deux média… » La notion de paysage est toujours et encore attachée culturellement à l’image de la Nature, souvent représentée par des scènes bucoliques de vastes et douces étendues verdoyantes, considérées comme le « vertueux, bienveillant et apaisant […] antidote » à l’environnement corrosif de son autre négatif, la Ville moderne. [Fig. 1 et Fig. 2] « …mais surtout à cause d’une sur-classification des professions, une construction bien plus compliquée de relations de pouvoirs rivaux. » En effet aujourd’hui, les disciplines du “design” (dans le sens anglais du terme, « concepteur ») sont souvent marginalisées comme de simple pratiques du décor, affranchies de la réelle formation de l’espace, abandonnée aux développeurs, ingénieurs, et entreprises qui construisent le monde actuel au rythme de l’efficacité et du profit. La théorie d’architecture et d’urbanisme moderne à également contribué à la formation de cette opposition dichotomique. En 1955, l’architecte Victor Gruen, inventeur des méga-mall forge, en contradiction avec landscape, le terme « cityscape ». Il le caractérise comme « référant à l’environnement construit des bâtiments, des surfaces pavées et des infrastructures … ». D’autres “techno-scapes”, “transportation-scapes”, “suburb-scape” en ont plus tard dévié.
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James Corner et ses acolytes constatent l’échec des projets urbains modernes et critique les pratiques plus récentes de l’urbanisme, qui prônent la formation d’environnements « semi-ruraux » comme meilleur cadre de vie de l’homme. Corner leur pose d’ailleurs la question suivante: « Do [you] really believe that putting people in touch with this fictional image called « nature » will predispose everybody to a more reverent relationship with the earth and with one another(as if relocating millions from cities to the countryside will actually somehow improve biodiversity and water and air quality) ? » Comme la ville a cassé son enceinte d’antan, le cityscape s’étend, se diffuse et se disperse dans les territoires ruraux, affaiblissant l’opposition ville-campagne issue du paradigme des siècles précédents, laissant place aux bien connues suburbs , territoires « périurbains », « suburbains », « rurbains » et bien d’autres termes ne faisant que révéler l’ubiquité de la ville contemporaines. “[...] les “scapes” variés [de Victor Gruen] sont maintenant en conflit et leurs définitions, diffuses et éperdues.” Si les deux termes sont opposés dans plusieurs sens, il semble donc que la lecture des territoires plus récemment urbanisés force leur association. [Fig. 3] Et c’est principalement en cela que réside la nouveauté de l’approche. Graham Shane6 explique que l’approche du Landscape Urbanism « crée de nouvelles recombinaisons, des hybridations jamais vues auparavant, libérant la discipline du projet urbain de l’actuelle opposition binaire et sans espoirs …». Aussi, selon Lindholm Guinilla7, le verbe « bringing together » est la contribution la plus importante et mais également la description la plus générale du Landscape Urbanism. Il s’agit pour lui, avant tout, d’un mouvement de rassemblement. L’expression Landscape Urbanism elle-même, par la simple juxtaposition des deux mots, tisse ainsi des relations entre eux sans pour autant en faire disparaitre l’un par rapport à l’autre. Le nom du mouvement induit de nouvelles mécaniques relationnelles et systémiques entre les disciplines au travers de territoires d’échelles et de portées plus étendues que celles de l’architecture, de l’urbanisme seuls, en « situant les parties en relation au tout, mais également reconnaissant la différence du paysage de l’urbanisme.»8 Ainsi, les « promesses » de l’approche répondent à la question de son paradigme contemporain.
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inscription dans
Graham Shane, “The Emergence of Landscape Urbanism”, dans The Landscape Urbanism Reader, cf. note 1 Landscape Urbanism – large-scale architecture, ecological urban planning or a designer research policy, Department of Landscape Architecture, SLU, Suède. 8 Voir Terra Fluxus, J.C. Page 33, Cf. note 3. 7
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En effet, la définition de la pensée complexe par Edgar Morin, comme n’étant ni purement holiste, ni réductionniste est ainsi donnée : « […] une pensée complexe, qui ne se réduit ni à la science, ni à la philosophie, mais qui permet leur intercommunication en opérant des boucles dialogiques. »9 L'expression consacrée est : « Le tout est plus que la somme de ses parties. » Célébrée par l’approche du Landscape Urbanism, cette pensée complexe et l’idée d’une négociation permanente entre « rassembler » et « distinguer » sont joliment illustrées dans le fameux essai de James Corner, par la métaphore d’un dialogue théâtral : « La pièce lyrique - entre nectar et NutraSweet, entre un chant d’oiseau et les Beastie Boys, entre les déluges du printemps et le goutte à goutte de l’eau du robinet, entre les mousses des brandes et les chaudes surfaces d’asphaltes, entre les espaces contrôlés et les réserves sauvages naturelles, et entre tous les événements et histoires locaux et les grands moments publics - est précisément la source toujours plus variée de la créativité et de l’enrichissement humain. »
Fig. 4 : Photographie d’Alex MacLean10, échangeur du New Jersey, USA. 9
Edgar Morin, Science avec conscience, 1982
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Gallerie Photo d’Alex MacLean [en ligne] http://www.photographersgallery.com/
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b. Landscape, la notion déterminante. La première nouveauté de la pratique par rapport à celle du projet urbain de Mangin et Pannerai se lit encore dans son nom. L’apparition du terme Landscape juxtaposé à celle d’urbanisme semble être la dimension ajoutée par rapport à celle du projet urbain, de l’urbanisme classique. Charles Waldheim l’écrit en introduction : « Landscape remplace l’Architecture en tant qu’élément constructif de base de l’urbanisme contemporain »11. En cela, il précise l’approche du projet urbain proposée Mangin et Pannerai qui suggèrent d’« inverser la tendance majoritaire […] de penser la ville à partir du bâtiment. […] » 12. « Penser la ville » à partir du Landscape, complète James Corner dans Terra Fluxus. Il le considère « comme un modèle pour l’urbanisme », comme « un champ conceptuel ». Landscape est ainsi compris comme un modèle de conceptualisation pour appréhender la complexité des territoires contemporains et concevoir des projets de villes. Il est présenté comme le seul ayant « la capacité du changement d’échelles, de localiser les tissus urbains dans leur contextes biotiques régionaux, et de projeter des relations entre des processus environnementaux dynamiques et la forme urbaine ». « […] Landscape [n’est pas] employé ici comme une esthétique bourgeoise ou comme un décor naturalisé. » affirme James Corner. Ce terme central dans la théorie du mouvement n’est pas entendu seulement dans le sens commun qu’on lui accorde et mérite une redéfinition précise.
Fig. 5 : Le paysage en peinture hollandaise Ruisdael, Le Moulin à vent de Wijk bij Duurstede, 1670. 11 12
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Cf. note 1. Introduction, Page 11 Voir Projet Urbain, Philipe Panerai et David Mangin, 1999, Introduction, Page 13.
« Qualifier Urbanism par Landscape, c’est suggérer que l’étymologie complète de Landscape est engagée. » 13ajoute Julia Czeniak. Le mot Landscape vient du néerlandais Landschap. Il est le résultat de la combinaison de « land » - équivalent à l’anglais signifiant terre, terrain, pays - et du suffixe « –schap », correspondant à l’anglais « -ship » indiquant l’état d’être ce que le nom signifie, littéralement donc l’état d’être la terre, le terrain, le pays, en français donc, le Paysage. Les racines germaniques du mot posent cependant la question de la traduction de l’expression. En effet, deux termes existent en langue allemande : le premier landschaft signifie une unité d’occupation humaine, ajoute une connotation intéressante que relève Czeniak, « un système changeant d’interrelations sociales et écologique ». Son homologue étymologique landskip, lui, évoque une signification couramment utilisée pour Landscape. Il suggère une connotation pittoresque : une image, une vue scénique. [Fig. 5Fig. 5 & Fig. 6] « La double identité de l’étymologie du mot Landscape – un jumelage dialectique et dialogique d’une « vue » et d’une « portion de terre occupée », de landskip/landschaft, image/processus, sujet/objet, esthétique/scientifique – est discutée dans de nombreux ouvrages. » 14 Bien qu’étymologiquement parlant la traduction française paysage - le suffixe « -age » peut indiquer également un état - corresponde au terme Landscape, plutôt que de traduire l’expression, on choisira de conserver le terme anglais au cours du mémoire pour plusieurs raisons. Tout d’abord pour sa proximité avec la forme allemande et ainsi l’évocation de cette « double identité étymologique ». L’emploi du mot anglo-saxon se justifie par la capacité de la langue anglaise à la formation de mots nouveaux par recombinaison, notamment à la façon dont le suffixe « -scape » est réemployé. On peut citer particulièrement, l’introduction du “SCAPE©” dans A Great Leap Forward 15, terme breveté par Koolhaas, cité à plusieurs reprises comme référant théorique par les partisans du Landscape Urbanism. Dans une publication de l’ETH Zurich16, la façon dont Koolhaas fait lecture de la ville est expliquée. Il la lit comme “SCAPE©", « une condition dans laquelle architecture, infrastructure et paysage sont indifférenciés et sujets aux mêmes forces. » Revenons à la caractérisation du mot Landscape. «[…] Landscape lui-même est un medium à travers lequel toutes les transactions écologiques doivent passer, c’est l’infrastructure du future et est donc d’une portée structurelle plutôt que ( ou autant que) pittoresque. »17 13
Looking back at Landscape Urbanism: Speculation on Site dans The Landscape Urbanism Reader, cf. note 1, p. 121. Idem, voir ouvrages cités par Czeniak dans sa référence n°31, page 123. 15 Chuihua, Judy Chung,. [et al.]; 2001 Great Leap Forward, Taschen ; Cambridge, Mass: Harvard Design School. p.706 14
16
Marc Angélil, Anna Klingmann, Cary Sires, « Hybrid morphologies : Infrastructure, Architectur, Landscape . » Daidalos : Architecture, Art, Culture n°73 (1999). 17
Richard Weller, An Art of Instrumentality : Thinking through Landscape Urbanism, dans The Landscape Urbanism Reader. Cf. note 1, p. 73.
15
Fig. 6 : Page d’’accueil du site internet de Stann Allen Architeect.
Fig. 7 : Le payssage de l’acropole et ville d’A Athènes, Grèce. Source : Nation nal Geographic..
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Le terme de paysage imbrique donc plusieurs définitions: la définition classique dérivant de son apparition dans le domaine de la peinture néerlandaise, mais également une définition plus contemporaine à laquelle Richard Weller associe tout d’abord le terme d’infrastructure. En d’autres termes, cet ensemble d'éléments interconnectés formant un système organisé, qui fournissent le cadre pour supporter la totalité de la structure. Le mot infrastructure évoque les éléments essentiels, le fondement d’un système. “ What is meant by landscape cannot be considered unless one works through what can be meant by ecology, and it is perhaps there that we find a new conceptual imaging of landscape, one which landscape urbanist sensibilities apprehend as hybridization of natural and cultural a systems on a globally interconnected scale. ” 18 Weller complète ainsi les connotations et significations du mot, en ajoutant la notion d’écologie, déjà employée par plusieurs auteurs du corpus de texte étudié, mais également par Lynch19 qui utilise le terme « écologique » pour décrire sa troisième morphologie hybride de la ville, qu’il décrira de manière plus approfondie comme « un système de flux et de boucles feedback ». D’ailleurs, la première association de la notion de paysage à celle d’écologie remonte à 1939, en Allemagne, où Carl Troll forge l’expression “ landscape ecology”. [Fig. 6] Si l’on suit Weller, la définition d’écologie doit également être explorée. L’étymologie du mot écologie est liée au concept d’habitat, compris dans le sens large de cadre de vie. Le nom formé de deux racines grecques : le suffixe « éco-» correspondant au nom « oikos », qui signifie la maison, et le suffixe « -logie » correspond au nom « logos » dont le sens bien connu n’est autre que le discours, la parole, la science. D'après cela, le terme tant consommé d’écologie signifie littéralement le discours, la science de la maison. L'écologie est donc plus largement l’étude des relations entre les êtres vivants et le milieu naturel où ils vivent. Ainsi, Christophe Girot résume simplement : “Landscape […] est simplement la somme totale des périodes d’habitat sur la terre.”20 [Fig. 7] Cette prise en compte de l’écologie permet au Landscape Urbanism de s’inscrire dans le paradigme contemporain du changement perpétuel, et de répondre aux enjeux de soutenabilité de la formation des villes. Grâce à cette compréhension et aux connaissances des systèmes écologiques, de l’entretien des écosystèmes, des besoins humains et culturels, et des moyens techniques et des pratiques à travers lesquels les environnements urbains sont (re)construits et gérés à travers le temps, face aux changements continus et dans un climat d’incertitude, les partisans du Landscape Urbanism ont les clefs en main pour la construction d’un futur urbain durable.
18
Cf. note 17. * Tentative de traduction : « Ce que l’on signifie ici à travers Landscape ne peut pas être considéré le travail de ce que signifie écologie, et c’est peut-être là que nous trouvons une nouvelle image conceptuelle du Landscape, une image que la sensibilité des landscape-urbanistes appréhende comme une hybridation des systèmes naturels et culturels à une échelle d’interconnexions globales. » 19 20
Kevin Lynch, Good city form. Ch. Girot, Vision in motion : representing landscape in time dans The Landscape Urbanism reader, cf. note 1 p.94
17
En effet, la sur-simplification des mécanismes de construction de la ville, et la réduction de la richesse phénoménale de la vie physique sont pour Corner la source de l’échec des pratiques du projet urbain moderne. Les acteurs du Landscape Urbanism voient ainsi dans la combinaison des visions picturale et écologique du Landscape décryptées ci-dessus un « objectif à travers la ville contemporaine est représentée et un médium à l’aide duquel elle se construit ».21 C’est en comprenant cette vision du mot que l’on conçoit la différence avec les théories développées par Pannerai et Mangin qui s’appuient sur la tradition italienne d’analyse urbaine à travers des notions de typologie, morphologie. Ils souhaitent « combler le vide de l’enseignement de l’urbanisme sur les aspects morphologiques » et pensent la description des formes urbaines comme un enjeu de travail, comme ils le précisent dès le premier chapitre : dans formes urbaines sont inclus « des tracés, des découpages, des dispositions matérialisées, construites, inscrites sur le sol qui conditionnent les capacités de développement et de renouvellement des activités sur un territoire. » Ainsi, s’ils rejoignent parfois le paradigme postmoderne du changement perpétuel, ils définissent et conçoivent toujours le projet urbain par la caractérisation de formes bien définies : « primauté des espaces publics et respect des tracés existants ; découpage parcellaire en accord avec les types de bâtiments à édifier ; dessin des façades et des dispositions typologiques en relation avec les conventions du quartier ». Si l’analyse de la condition des villes fait partie des éléments fondateurs des deux théories, les notions clefs associées à la pratique du Landscape Urbanism sont, elles, plus de l’ordre du processus.
Fig. 8 : Figure des cycles adaptatifs : paradigme du Déséquilibre. Source : L.H. Gunderson, C.S. Holling, Panarchy, 2002
21
18
Charles Waldheim, Introduction: A reference manifesto, dans The Landscape Urbanism reader, cf. note 1
c. Des notions-clefs pour la pratique. L’écologie contemporaine et la sémantique associée à ce champ scientifique sont déterminants quant aux projets du mouvement. « Des termes tels que diversification, flux, complexité, instabilité, indétermination et autoorganisation » sont pour Richard Weller générateurs et influents dans la façon dont les designers du mouvement considèrent et construisent nos lieux. En s’appuyant sur l’essai de James Corner et sur le texte de Lindholm Guinilla, trois associations de notions clefs sont dégagées afin de décrypter plus précisément les caractéristiques de la pratique de ce mouvement émergent. Temps et contingence sont deux mots clef qu’il convient d’explorer. « La désignation de Terra Firma (ferme, immuable, fixe et définie) donne la voie en faveur des processus changeant parcourant le champ de l’urbain : Terra Fluxus. » 22 James Corner inscrit ainsi le discours du mouvement dans le passage au paradigme de la postmodernité. Il insiste sur la prise en compte du temps comme réelle 4ème dimension dans la conception de l’espace et met ainsi en lien la pratique du Landscape Urbanism avec la vision de l’« écologie » décrite précédemment : les métropoles contemporaines sont lues comme « l’arène vivante de processus et d’échanges au travers du temps. » [Fig. 8] Dans son essai Terra fluxus, James Corner dessine les grandes lignes de la pratique dont le premier en liste est « processes over time », selon lequel ce nouvel urbanisme dérive moins de la compréhension de la forme urbaine que de la compréhension et la mise en place de processus : « Comment les choses fonctionnent dans l’espace et le temps. ». Ainsi, pour lui, les processus d’urbanisation – accumulation de capitaux, mondialisation, protection environnementale, appropriation des lieux etc. - sont plus signifiants et effectifs dans la formation des rapports urbains. « Mettre l’accent sur les processus urbains ne signifie pas l’exclusion de la forme spatiale mais plutôt la recherche de la construction d’une compréhension dialectique, de comment elle se rapporte aux processus qui la traversent, s’y manifestent et la maintiennent.» C’est en cela que cette pratique diffère principalement de celle énoncée dans le « Projet Urbain » des parisiens sans pour autant l’oublier.23 La contingence, autrement dit la probabilité qu' une chose arrive ou n'arrive pas, en opposition à la nécessité est mise en avant dans les deux théories. Cependant la façon dont les données imprévisibles sont prises en compte dans le projet n’est pas mise en espace de la même façon.
22 23
Cf. note 3, essai de James Corner. Cf. Chapitre 7 de Projet Urbain : « Prise en compte du temps ».
19
Les master-plans trop fixes de Pannerai et Mangin sont travaillés à travers la détermination et la mise en place de morphologies de parcellaires et de typologies et de gabarits architecturaux qui par essence bloquent les mutations possibles des territoires. Alors que le Landscape Urbanism, selon Graham Shane, propose de « ne pas accepter les formules readymade du projet urbain. » et parle plus d’une caractérisation des surfaces horizontales, comme nous le verrons au cours des parties suivantes. Cela passe également par l’exploration des notions de trans- ou interdisplinarité et de contextualisation. « Conflation » (correspondant au français amalgame, assimilation) et « Bringing together » (rassembler en français) sont deux termes clefs apparaissant tout au long des discours qui tentent de définir le mouvement. « […] c’est une proposition d’amalgame et d’unification disciplinaire, une unite qui malgré tout contient, tient ensemble la différence – différence des idéologies programmatiques, et des contenus culturels de chachun de ces mots […] : « landscape », « urbanism ». »24 Ainsi, d’après James Corner, c’est dans l’expression même de Landscape Urbanism que l’on retrouve cette idée du d’association de champs disciplinaires différents. Ce sont les processus de formation des territoires urbains contemporains qui « réclame[nt] la « conflation » des distinctions professionnelles et institutionnelles en un nouvel art de synthèse, une pratique du « matériauespace » capable de faire des ponts entre les échelles et leurs portées avec perspicacité critique et profonde créativité. » Cela signifie un travail ambitieux d’inscription dans le schéma complet des échelles, des dynamiques et des perspectives induites, l’étude de la spatialité à différentes échelles et de la temporalité dans les différents processus naturels et culturels que suppose le projet. Mais, d’une situation avec une longue tradition de spécialisation, cela n’est pas tache facile de travailler et penser de manière interdisciplinaire. Il existe cette compétition entre les professions en lieu et place d’une façon plus économique d’agir qui serait de combiner les compétences pour une même question. « L’interdisciplinarité n’est pas le calme d’une sécurité facile ; cela commence effectivement […] quand la solidarité des vieilles disciplines– peut-être même violement au travers des sursauts de la mode – dans l’intérêt d’un nouvel objet et d’un nouveau langage … » -- Roland Barthes, cité dans l’introduction de Ch. Waldheim. Les systèmes juridique et administratif et la profonde culture disciplinaire toujours actuelle sont donc une éventuelle barrière à la mise en place d’une telle pratique, notamment en France, où la refonte complète du cadre législatif et de l’ordre des concepteurs d’espace serait nécessaire. Le Landscape Urbanism cherche donc à englober la complexité d’une situation, d’en réaliser la multiplicité. La notion d’interdisplinarité va donc de pair avec leur idée du contextualisation : c’est un des moyens proposés dans le but conserver cette complexité à travers un processus de projet. 24
20
Cf. note 3, essai de James Corner.
« Chaque pas vers un élargissement des questions, des dynamiques élaborant des relations entre différentes échelles est une contextualisation. »25 Un des signifiants principal du Landscape Urbanism est donc de travailler de manière contextuelle. L’ambiguité de la notion de contexte semble être à souligner pour la comparaison des deux approches : si le Projet Urbain prend en compte le contexte typo-morphologique environnant le site de projet, le Landscape Urbanism considère un sens plus élargi du mot. Cette dernière approche relève la diversité des visions de l’environnement accordée aux différentes disciplines qui sont responsables de sa formation. « Le Landscape Urbanism est avant tout un projet d’imagination, un épaississement spéculatif des possibilités du monde. » La transdiciplinarité du mouvement permet d’ouvrir un nouveau champ des possibles. A l’inverse des schémas et sujets académiques usuels, le Landscape Urbanism semble élargir plutôt que limiter. « L’imagination collective, informée et stimulée par les expériences du monde matériel doit continuer d’être la première motivation de toute tentative de création.» L’imaginaire de la sphère publique est le troisième des points clef évoqués par James Corner dans Terra Fluxus. [Fig. 9] On peut noter que l’importance donnée aux espaces publics par rapport aux objets architecturaux est une idée commune avec celles des théories du projet urbain de Pannerai et Mangin. « Les espaces publics sont premièrement les conteneurs de la mémoire et des désirs collectifs…. » Les prémices de la pensée du Landscape Urbanism se trouvent ainsi également dans la critique postmoderniste du tabula rasa de la modernité et de leur incapacité de produire des espaces vivables, riches de sens. L’échec des modernes réside dans la compréhension de la ville comme construction d’une conscience, d’une histoire collective. Mais Charles Waldheim pose également d’autres fondements à au Landscape Urbanism dans la critique des projets urbains postmodernisme, auxquels on peu apparenter certaines grandes lignes de Projet Urbain ,en dénonçant une conception nostalgique de la ville à travers l’agrégation d’objets architecturaux has-been séquencés dans des organisations ensembles, à l’échelle du piéton. 26 « Cette dépendance aux objets architecturaux […] séquencées spatialement ne peux plus être soutenue, étant donné l’augmentation des différents flux de mobilité, la culture de l’automobile et la décentralisation. L’indétermination et les flux de la ville contemporaine, le fléau de l’urbanisme traditionnel européen, sont précisément les qualités explorées dans les travaux émergents de Landscape Urbanism. » 25 26
Cf. essai de Lindholm Guinilla, note 6. Charles Waldheim, “Landscape as Urbanism” dans The Landscape Urbanism reader, cf. note 1
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Le mouvement propose donc d’utiliser « les systèmes infrastructurels et le paysage public qu’ils engendrent ». Le paysage contemporain d’infrastructures lourdes légué par le fordisme font partie intégrante des espaces publics actuelles et de leurs pratiques, et sont ainsi « …le lieu d’imagination sociale et géographique. » Ce qui revient, selon Julia Czeniak, à considéré également le sens premier mot Landscape, le sens pittoresque évoquant le champ sémantique et les notions associées à la représentation : « Pour être « Landscape» donc, dans toute sa complexité, les concepteurs doivent considérer son aspect : son apparence, son image et ses préoccupations représentationnelles. »
L’expression et leur introduction du Landscape comme modèle pour la conception urbaine, comme infrastructure socio-écologique correspond donc bien à une lecture de l’ubiquité des territoires contemporains. Sans exclure les méthodes de Projet Urbain plus traditionnelles, la proposition rentre en adéquation paradigme post moderne, Terra Firma laisse la place à Terra Fluxus. Aussi, pour introduire des projets de référence, James Corner questionne ainsi : « Comment chacun des mots « paysage » et « urbanisme » s’altèrent mutuellement ? » On peut donc se demander comment ces idéologies théoriques sont elles retranscrites dans les projets et les méthodes employées.
Fig. 9 : Ouverture du parc de la High Line au public, un projet de Field Operation. http://www.zimbio.com/
22
2. Des solutions aux enjeux du capitalisme tardif ? «All types of spaces are valuable, not just the privileged spaces of more traditional parks and square, and they must therefore be inhabitable in a meaningful way ».27
-- Kelly Shannon
27
Kelly Shannon, “Recovering the landscape of Infrastructure”, dans The Landscape Urbanism reader, cf. note 1.
23
Fig. 10 : Phase 1: “Taylorism takes command”,
Fig. 11 : Phase 2 “The factory under-one-roof is super-ceded.”
Fig. 12: Phase 3: “Production patterns are decentralized”
24
a. Des modernes abandonnés aux « profits » des postmodernes. Dans leur essai ‘After Ford’28, Patrick Schumacher et Christian Rogner expliquent la convaincante relation entre l’urbanisme de la modernité et les impératifs de l’économie Fordiste, ainsi que le spectacle d’abandon connu dans de nombreuses villes industrielles nord-américaines, conséquence de la crise du modèle socio-économique de « production de masse mécanique, développée par Ford, en premier lieu à Detroit.». En définissant trois phases de développement successives, ils décrivent l’évolution des systèmes techniques et spatiaux du modèle Fordiste : l’application des principes de décentralisation et de différenciation à des échelles toujours plus grandes (régionale, nationale puis mondiale) avec les infrastructures de transport, de communication et de production qu’ils induisent ; en d’autre termes, la dilution progressive de la ville industrielle dans les paysages de l’Amérique du Nord. [Fig. 10, Fig. 11, Fig. 12]
La crise du modèle économique industriel proposé par Ford, projeté dans l’espace par les urbanistes modernes, laisse place au modèle postfordiste du « plateau rhizomatique », où « les fonctions et leurs positions révèlent leur interdépendances». La ville industrielle moderne ne répond plus à ces nouveaux processus de mise en réseau et d’auto-organisation. « Les villes comme Détroit sont abandonnées», et le développement spatial des principes postfordistes prends place à coté… Comme le modèle économique fordiste a pris place à Détroit, les complexités et contradictions de l’économie globale postmoderne trouvent leur reflet spatial l’urbanisation contemporaine. Robert Venturi29 et Edward W. Soja30 proposent alors d’analyser les motifs spatiaux d’un des plus grands pôles de développement de la spéculation économique du monde : Los Angeles est à l’urbanisation postmoderne ce que Détroit était au développement des villes moderne. [Fig. 13] Le modèle économique est toujours en place aujourd’hui, et les problèmes de sa projection spatiale dans des processus d’étalement urbain, sont devenus évidents dans les années 1990 : enclaves privées, communautés résidentielles, méga-malls et parcs à thèmes se sont multipliés dans le paysage américain mais également européens. En ce qui concerne les différentes mutations de la forme des villes européennes, l’essai de Graham Shane31 fait référence aux amusants dessins de Cedric Price « The city as an egg ».
28
Dans Stalking Detroit, eds. G. Daskalakis, Ch. Waldheim & J. Young, Barcelone, Editions Actar, 2001, pp. 48-56, [en ligne] http://www.patrikschumacher.com/Texts/AfterFord.htm
29
R. Venturi, D. Scott Brown et S. Izenour, Learning from Las Vegas, Cambridge 1972 Edward W. Soja, Postmodern Geographies, London, 1989. 31 Graham Shane, “The Emergence of Landscape Urbanism”, dans The Landscape Urbanism reader, cf. note 1. 30
25
Fig. 13 : Las Vegas Landscape by night.
Fig. 14 : Concept des “Three Egg Diagram” de Cedric Price réinterprété par Ben Myers
Fig. 15 : David Mangin, La ville franchisée : formes et structures de la ville contemporaine, 2004
26
“There was the traditionnal, dense, ‘hard-boiled egg’ cityfixed in concentric rings of development within its shells or walls. Then there was the ‘fried-egg’ city, where railways stretched the city’s perimeter in accelerated linear space-time corridors out into the landscape, resulting in a star shape. Finally there was the postmodern ‘scrambled egg’ city, where everything is distributed even in small granules or pavilions across the landscape in a continuous network.” [Fig. 14] La convergence à l’échelle mondiale d’un urbanisme de secteurs conduite par l’économie de marché globale est également dépeinte dans le dernier ouvrage de David Mangin32. Il y détaille les conséquences morphologiques, économiques et sociales du mitage du paysage par les infrastructures routières, les lotissements pavillonnaires et les centres commerciaux. [Fig. 15] On retrouve ainsi sensiblement des conditions territoriales similaires aux Etats-Unis d’Amérique et sur le Vieux continent. En référence aux écrits de Wall33, Richard Weller34 décrit les situations contemporaines des métropoles américaines ou européennes comme les conditions du capitalisme tardif qui est selon lui “la généricité des espaces, et la mobilité des capitaux, des biens et des personnes”. De plus, la récente prise de conscience environnementaliste globale met de plus en plus à mal ce modèle du tout profit instantané. Face à la crise écologique et sociale planétaire (accroissement des disparités entre pays développés et en développement, population mondiale croissante, raréfaction des ressources naturelles, perte de biodiversité, changements climatiques…) le concept de développement durable est une réponse de tous les acteurs mondiaux pour reconsidérer la croissance économique actuelle afin de prendre en compte les aspects environnementaux et sociaux du développement. Le Landscape Urbanism se doit donc de répondre aux enjeux que Richard Weller résume, en citant Lootsma : « le but du projet est de ‘réaligner les conditions du capitalisme tardif vers des fins plus socialement et écologiquement enrichissantes.’35 » Ainsi, il se doit d’être « un baume pour les plaies de l’âge industriel » et porter attention aux espaces de l’abandon du paradigme moderne. Mais également, il a à prendre en compte ceux du développement postmoderne toujours d’actualité, les réalités technologiques et écologiques du monde postindustriel. Kenneth Frampton le souligne : « il y a un besoin pressant de transformer certaines typologies métropolitaines, telles que les centres commerciaux, les parcelles de parkings et les parcs de bureaux. […] ». « Infrastructures », « Sprawling cities », « Drosscapes36 », le Landscape Urbanism ouvre donc le champ de potentiels sites d’action. 32 33
David Mangin, La ville franchisée : formes et structures de la ville contemporaine, Editions de la Villette, 2004. Alex Wall, “Programming the Urban Surface”, dans Recovering Landscape, Ed. James Corner.
34
Richard Weller, “An Art of Instrumentality: Thinking through Landscape Urbanism”, dans The Landscape Urbanism reader, cf. note 1 35
Bart Lootsma, “Synthetic Regionalisation: the Dutch Landscape toward a Second Modernity”, cf. note 31.
27
b. La mise en pratique sur les territoires du déclin. Les changements de modèles de l’économie capitaliste laissent négligemment de coté ses espaces de projection, quand les modèles viennent à être dépassés. A travers sa théorie, l’approche du Landscape Urbanism suggère la transformation urbaine des espaces qui constituaient le plus souvent la ville du travaille. Ainsi plusieurs projets explorent le réinvestissement de sites industriels abandonnés ou de sites dit contaminés. Si la pensée du mouvement a principalement été forgée par Charles Waldheim et d’autres théoriciens américains, les projets précurseurs dans la considération des paysages de la désindustrialisation sont apparus en Europe notamment au cours du Concours du Parc de la Villette, lancé en 1982. La compétition initie la trajectoire de parcs urbains postmodernes, articulant les relations entre infrastructures urbaines, évènements publiques et le futur urbain indéterminé de grands et complexes sites postindustriels. [Fig. 16] S’étalant sur 125 hectares, le plus grand abattoir de Paris fait l’objet de son remplacement par des programmes d’activités publiques. Deux entrées seulement sur 470 se sont démarquées en révélant le changement de paradigme sous-jacent dans leur conception d’un urbanisme plus contemporain : la proposition lauréate de Bernard Tschumi mais également le deuxième prix, soumis par OMA et Rem Koolhaas. [Fig. 17]
Fig. 16 : Site des abattoirs de la Villette, Paris. En premier plan sur la droite. 36
28
Alan Berger, “Drosscape”, dans The Landscape Urbanism Reader, cf. note 1, pp.197-217
Les deux projets engagent e le Landscapee dans ses différents d seens évoquéss en premièère partie. Il I est le moyyen d’organniser les chhangements sociaux ett programm matiques à travers le temps, pluss spécialemennt d’arrangeer des activités urbainees complexees et changeeantes. p tels que q le Layeering, décom mposant less différentess Au travvers de nouuveaux proccessus de projets parties, ou la mise d’une Grid structurant s l surface du la d sol tout en autorisaant leur autonomies et e individualittés, le parc reste r donc ouvert o à de possibles mutations m auu cours du teemps. Ainsi, avecc le développpement d’idées postm modernes d’indéterminaation, et d’im mprévisibiliité, les deuxx projets répoondent aux enjeux terriitoriaux qu’induise le changement c de paradigm me. d réinvestiissement des espaces dee l’industriee Fordiste. On O peut En ont suivi d’autrres projets de citer en exeemple les diivers projetss allemands de requaliffication de la l région dee la Ruhr, au utrefois cœur industtriel europééen du charbbon et de l’aacier. Lors de l’IB BA de 19899 à 1999, pllus 120 projjets ont été exécutés daans un proggramme de régénération r n urbaine intégrative. L’héritage inndustriel dee la région fut recyclé, au traverss de la reco onversion et e l’adaptationn de ces énnormes reliqques à des programm mes de logem ment, de coommerce ett d’activitéss culturelles corresponda c ant au nouvveau développpement économique.
Fig. 17 : Propoosition de Rem Koolhaas, K Collage et Processuus diagrammatiq que et Layeringg.
29
Fig. 18 : Latz and Partner Architects, Park de Duisburg-Nord, MĂŠtamorphose du terrain industriel des hauts-fourneaux.
Fig. 19 : Field Operations, Fresh Kills Park. Layering et Phases de dĂŠveloppement.
30
Les objets déconstruits sont recyclés comme agrégats pour de nouvelles structures de terrain servant à la qualification des espaces libres entourant les bâtiments, sièges de la construction d’une nouvelle mémoire collective. [Fig. 18] Dans la lignée de ces grands projets de recyclages des lieux de l’abandon de l’économie de production-consommation, le récent Fresh Kills Park de Field Opération, sur Staten Island à New York entre tout juste dans une phase de réalisation. [Fig. 19] Encore aujourd’hui, 45% de la superficie du site est occupé par une des plus grandes décharges en plein air des Etats-Unis. Ce projet n’est spécialement intéressant du point de vue de l’échelle de son site d’action, ni par la singularité de l’ingrate activité qui s’y déroule actuellement. Il est remarquable surtout, au regard des théoriciens du Landscape Urbanism, dans les processus mis en place et les moyens engagés pour sa conception et sa réalisation. La présence des praticiens du mouvement au sein d’une équipe de consultants interdisciplinaire est le réel changement notable, surtout en ce qui concerne l’investissement central d’écologistes autant que de designers en communication graphique. Ainsi menés par Field Operation ou d’autres équipes s’inscrivant sous la bannière du mouvement, ces projets de grande échelle challengent le leadership culturel et politique des architectes, les présomptions professionnelles disciplinaires de la conception et la construction de notre environnement. «[…] le fait que des projets de cette échelle et de cette portée demandent une expertise professionnelle aux intersections de l’écologie et l’ingénierie, des pratiques sociales et des processus politiques […]recommandent ainsi le Landscape Urbanism comme cadre disciplinaire pour reconcevoir le champ urbain contemporain. »37
Fig. 20 : Field Operation, Parc linéaire de la High Line, New York. 37
Charles Waldheim, “Landscape as Urbanism”, dans The Landscape Urbanism Reader, cf. note 1, p. 51.
31
c. Des sollutions conccrètes aux lieux de la mobilité? Les inffrastructures de transport sont un des princip paux héritagges que l’éppoque mod derne nous a légué et quee le postmoodernisme à renforcé. Le grand nombre n de voies v ferréees abandonnées sont, à l’instar des d sites inddustriels forrdistes, déjàà beaucoup explorées e paar les conceepteurs d’esspace : la reeconversionn de la Highh Line de New N York enn parc public linéaire estt un des proj ojets récemm ment délivréé par Field Operations. O [Fig. 20] Le domainne de l’esppace publicc est princcipalement formé d’innfrastructurres routièrees qui sonnt largement pratiquées. Cependant ces systèm mes ont été conçus c et évvalués sur dees critères de d technicitéé s t, et d’efficacité fonctioonnelle, enn quelque sorte « exeemptés d’aavoir à fonnctionner socialement 38 ment ou écoologiquemennt » . C’estt en cela qu u’ils constittuent le pluss souvent des d rupturess esthétiquem physique vooire sociale et écologiqques, particuulièrement en e ce qui cooncerne les autoroutes. Dans son essai qui leur est enntièrement consacré, c Jaacqueline Taatom présennte des référrences en cee qui concernne l’insertioon urbaine de d voies desstinées au trrafic à grannde vitesse een milieu urrbain densee. Souvent juustifiés parr des raissons scienttifiques san nitaires et de fluidiité de circculation, lee réinvestisseement de ces lieux peeut donner l’opportuniité de nouvvelles maniifestations du d domainee publique. Elle E précisee que les proojets cités ne n constituen nt pas des guides g pourr la pratiquee mais qu’ilss sont plutôt le fondemeent d’un « changement de la structure de réféérence pourr le dessin d’autoroutes d s urbaines, d’utilité d à urrbanité, de responsabil r lité à opporttunité. » “The deesign of urbban highwayy can then truly t be connceived as tthe design of o the publicc 3 39 realm” Le proj ojet « Nudo--de-la-Triniitat » des esspagnols Jo oan Roig et Enric Batlllede de 199 93 en est unn bon exemple à présentter. En effeet, il intègree échangeurr autoroutier, parc et éqquipement sportif danss un même prrojet. [Fig. 211]
Fig. 21 : Joan Roig R et Enric Batlle, Nudo-de--la-Trinitat. Echhangeur, Parc ett Piscine municcipale. 38 39
32
Elisabeth Mossop, M “Lanndscapes of Inffrastructure”,, dans The Landscape Urbaanism Reader,, cf. note 1, p. 171. Jacqueline Tatom, “Urbban highways & the reluctannt public realm lm” dans The Landscape L Urrbanism Read der, cf. note 1.
En ce qui concerne d’autres infrastructures, le design de la digue Est de Zeeland au Pays-Bas, conçu par West 8, peut être lu comme une bonne application de l’approche du Landscape. Dans ce projet, la double identité étymologique (représentative et écologique) du terme est bien mise en jeu. Des dépôts de sable sont aplatis en vaste plateau et recouverts par des lits de coquillages. A marée haute, ils sont des lieux de repos idéaux pour les oiseaux côtiers. Ainsi, le plateau n’offre pas seulement une intrigante perspective de motifs graphiques infestés d’oiseaux aux automobilistes qui traversent la digue mais également la sécurité d’une aire de freinage d’urgence ainsi qu’un panorama ouvert sur la mer. [Fig. 22] D’autre part, même si le projet lauréat n’est pas encore en voie de réalisation, le grand concours du parc de Downsview est une autre manifestation à citer. Sur le site d’une base militaire aérienne très peu utilisée à Toronto, Field Operation et Stan Allen proposent en commun un projet exemplaire selon Charles Waldheim, au vue de l’orchestration de contenus les plus divers et incongrus. Maintenant typiques pour des projets de ce type, sont les diagrammes détaillés de phasage, d’habitat animal, d’opération de plantations successives et de systèmes hydrologiques tout autant que les infrastructures classique de l’urbanisme. [Fig. 23] Ils présentent ainsi selon Waldheim « la compréhension de l’énorme complexité auxquels sont confronté les travaux à cet échelle » et répondent ainsi, aux de nombreux enjeux de leur territoires.
Fig. 22 : Digue conçue par West 8. Photos issues de leur site web.
33
Les projets présentés sont de vrais projets d’échelle métropolitaine, transdisciplinaires et socioécologiques. Les praticiens de la théorie sont ainsi passés outre la longue période d’acceptation esthétique des lieux du postmodernisme que décrit Graham Shane et considèrent les espaces abandonnés par l’économie capitaliste ainsi que tout autre espace comme potentiel lieu de projet. Ils répondent ainsi à certains enjeux mutations des territoires des métropoles contemporaines des pays et continents « riches » que sont les Etats-Unis d’Amérique et l’Europe. On peut nuancer ce propos, devant le manque de recul sur la capacité de ces projets d’espaces publics à fonctionner dans des échelles de temps plus longues. Mais le succès à l’instant T qu’ils remportent et l’image positive de ces nouveaux espaces publics landscaped entrainent le développement de la discipline, également portée par de grand concours. Les propositions vont parfois assez loin dans la transformation des territoires du déclin et le changement de stratégie et de méthodes, comme le titre du projet de Charles Waldheim le montre : « Decamping Detroit », présenté lors de l’exposition de Chicago, propose ainsi la déconstruction progressive de la banlieue de la ville. On peut donc se demander si la théorie répond seulement aux territoires du déclin. Qu’en est-il des paysages de l’expansion ?
Fig. 23 : Prévision de l’évolution de la biodiversité pour le parc de Downsview.
34
3. Une réponse aux enjeux du développement des territoires ?
« Une chose semble certaine : tout est incertain […]. L’expérience enseigne que les tentatives de la maitrise du tout sont glorieusement vaines. »40
-- Richard Weller.
40
“An Art of Instrumentality: Thinking through Landscape Urbanism.” dans The Landscape Urbanism Reader, cf. note 1.
35
Fig. 24 : Le paysage de Melun-SĂŠnart et la proposition de Rem Koolhaas.
36
En majorité, les territoires évoqués précédemment font l’objet d’installation et de migration de populations (habitants ou visiteurs) relativement faible par rapport à celle déjà installée sur place. Les projets présentés répondent à des conditions de développement dans des situations où la revalorisation de sites déjà plus ou moins urbanisés est à l’honneur. Qu’en est-il pour les territoires de l’extension urbaine ? a. « Landscape Colonisation » en pays développés. Si “l’indétermination est la quintessence de notre époque”41, le paradigme postmoderne remet en question les traditionnelles méthodes de conception d’extension des villes : les villes nouvelles et leurs master-plans (« plan-maître » en français) ne sont plus à l’ordre du jour. Kelly Shannon formule l’impossibilité de fixer la morphologie de la ville et prône ainsi des stratégies de développements, des plans-guide plutôt que la technique classique du masterplan. Ainsi, elle cite Marcel Smet qui se questionne : « Comment les designers contemporains travaillent avec la condition d’incertitude – interprétée non pas par le manque de clarté mais comme l’indétermination au regard des développements futures et l’incapacité de dessiner une forme définitive. » Sur le sujet de cette incertitude, Rem Koolhaas fait à nouveau son apparition, en parlant seulement d’organisation, de diversification et de redistribution, « d’irriguer les territoires à potentiel »42. C’est sur ces mots qu’il développe le projet de Melun Sénart, réponse à la consultation réclamée par la commune pour la création d’un nouveau quartier. [Fig. 24] « Le site de Melun Senart, le dernier des villes nouvelles qui encercle Paris, est trop beau pour imaginer une nouvelle ville là avec innocence et impunité. L’immensité du paysage, la beauté des forêts et le calme des fermes forment une présence intimidante, et hostile à toute notion de développement. Le construit est maintenant fondamentalement suspect. Le « non-construit » est vert, écologique, populaire. Si le construit- le plein - est maintenant hors de contrôle – sujets à de permanents tourments politiques et financiers – la même chose n’est pas encore vraie pour le « non-construit » ; le vide peut être le dernier sujet plausible de certitudes. A un moment, quand la complexité de chacune des entreprises trois-dimensionnelles sont infernale, la préservation du vide est comparativement facile. Dans abandon délibéré – manœuvre tactique pour renverser une position défensive – notre projet proposes d’étendre ce changement politique dans le domaine de l’urbanisme : Prendre la position de faiblesse de l’urbanisme comme prémisse. » -- Office of Metropolitan Architecture
41 42
Essai de Richard Weller Cf. note 38. “Whatever Happened to Urbanism ?“ dans Rem Koolhaas et Bruce Mau, S,M,L, XL, Monacelli Press, 1995.
37
Ainsi, l’Architecte propose de travailler sur le vide. Il s’appuie sur des éléments du paysage qu’il est nécessaires de conserver, des infrastructures sur lesquelles il faut organiser ce futur territoire organisé. Le système formé par les espaces libres conservés et les voies rapides « maitrisées » soulignées et traitées comme des éléments structurants permet de garantir les « qualités de beauté, de sérénité, d’accès, et d’identification quelque soit – ou même en dépit de – sa future architecture ». Ce système, on le voit, propose un mode de constitution de la ville très pragmatique et assez provocateur qui renonce à simuler ou à reconstituer la forme urbaine continue à travers la mise en place de typologies traditionnelles, faussement similaires aux formes vernaculaires environnantes. A l’aide de la qualification précise des espaces vides, il choisi donc d’encadrer les mouvements imprévisibles de la formation discontinue du bâti de la ville, dus à l’instabilité des pressions politiques, culturelles et financières qui la contraigne. Ainsi le projet renverse les rôles formels et structurels de figure et sol, de bâtiments et espaces libres. Ce cadre vide résulte d’un soigneux inventaire des conditions existantes - habitats, fragments d’histoire, des corridors écologiques et infrastructures - et de nouveaux programmes. Ce système autorise les « îles » dévolues au développement de construction à une extrême flexibilité et autonomie (les gabarits ne sont pas prédéfinis, par exemple…) tout en conservant une grande cohérence territoriale. Dans the Landscape Urbanim Reader, on trouve également en référence la stratégie urbaine de Paola Vigano pour la région de Salento, en Italie. Cette région est soumise à des fluctuations extrêmes de population et de vagues de « migrations temporaires d’habitants » : comptant seulement 800 000 autochtones, elle reçoit chaque année la visite de plus de 2 millions de touristes. L’urbaniste conçoit alors des scénarios de développement pour la région en considérant cette dernière comme un grand « parc » contemporain. «Le terme ici ne fait pas seulement allusion à un lieu de loisir, mais doit être compris comme un groupe de situations environnementales dans le sens le plus large, [...]le caractère poreux de la ville diffuse présente de superbes opportunités pour le développement correcte de la biodiversité. »43 Une série de petites villes concentrées y sont implantées. Certaines régions, selon son partenaire de travail Bernardo Secchi, ne nécessitent penser une concentration et une densification très forte. On peut alors se poser la question des migrations permanentes : Comment le Landscape Urbanism se met il en pratique lorsqu’il s’agit de villes en forte expansion, où les pressions d’urbanisation sont plus marquées ?
43
Kelly Shannon, “From theory to Resistance: Landscape Urbanism in Europe”, dans The Landscape Urbanism Reader,
cf. note 1.
38
b. L’AA de Londres et urbanisation des pays émergents ?
Avec plus de 12 millions de futurs citadins prévus d’ici à 2020, la Chine, entre autres pays émergents, est en plein exode rural. Combiné à cela, le boom économique encourage un urbanisme à grande vitesse et le pays prévoit plus de 400 nouvelles villes. Construites dans des temps les plus courts imaginables, elles changent complètement la face des vieilles villes. Ainsi malheureusement, Shanghai a déjà fait disparaitre la majorité des tissus historiques et leurs parcelles sont rapidement remplacées par des tours anonymes. [Fig. 25] Le skyline de Pékin et des autres villes chinoises se retrouve de plus en plus bondé par des « bâtiments-repères », la création de boulevards, d’autoroutes et d’infrastructures semble sans fin et les sites en construction se trouvent dans tous les espaces vides de la ville. Pour le Pays du Milieu, la poursuite des intérêts financiers au sein du marché mondial et les stratégies d’urbanisation à court termes ne sont que des menaces à plusieurs niveaux. Elles le condamnent à grande échelle, à l’échec de la production d’une vision intègre et cohérente du pays, et à échelle locale, à la faillite des mécanismes de négociations entre les intérêts économiques et les traditions culturelles, les pressions des développements et les écologies existantes. Face à la surpopulation des zones côtières, cet urbanisme à grande vitesse à conduit à amener même les plus petits villages de campagne à faire face au phénomène de globalisation : ses capitaux étrangers et son architecture générique. Or Kelly Shannon le souligne : “Le Landscape Urbanism ne peut pas seulement revigorer les professions de l’environnement construit avec de nouvelles stratégies opératives, mais, et c’est peut être plus important, réinvestir une capacité critique résistante des projets dans le contexte toujours globalisant, contribuant à l’homogénéisation des territoires.”
Fig. 25 : La ville de Shanghai et son urbanisation générique et effrénée. Photos de Jorges Ayala
39
Fig. 26 : Analyse du site de l’ile Qi Ao. Souce : blog personnel de Jorges Ayala.
40
En parallèle, le rythme effréné et l’échelle de ce développement urbain ont rendu évident l’interrelation des problèmes d’immigration massive avec ceux de pollution, et de perte des terres cultivées. Les côtes sont déjà surpeuplées et polluées, l’urbanisation s’étant désormais également sur l’intérieur des terres. Ainsi on peu se demander comment les praticiens de l’approche étudiée répondent aux enjeux de ces pays émergents. Si ces derniers ne sont pas évoqués par les théoriciens dans l’ouvrage exploré précédemment, ils le sont par leurs homologues britanniques. En effet, pour l’année 2009-2010, le programme de master en Landscape Urbanism de l’Architecture Association School de Londres44 explore au travers de projets donnés aux étudiants les enjeux des territoires décryptés ci-dessus. Les étudiants se voient donc proposées quatre typologies de situations de projets récurrentes sur le territoire chinois. En premier lieu, la conception de stratégies d’extension pour les nouvelles agglomérations de grandes échelles est mise en avant comme le moyen d’une critique du phénomène mondialisé de l’étalement urbain. En second, l’émergence de villages urbains en rase campagne leur permet de questionner les rapports d’occupation des sols urbains et ruraux, et de mesurer les potentiels qu’ils présentent pour de nouvelles écologies industrielles. Le troisième type de lieu proposé est celui de la juxtaposition des master-plans génériques au développement de villes plus vernaculaires et informelles. Le dernier thème est nommé « identités matérielles » et sonde l’inadéquation du New Urbanism installant des styles de bâtiments occidentaux ou pseudo-vernaculaire, aux attentes d’« identité » de ces territoires. Mais le territoire chinois fait l’objet de leur intérêt depuis quelques années déjà et des projets d’étudiants ont donc été présentés. Ainsi, un des derniers programmes proposait l’exploration de projets d’urbanisation pour l’île de Qi Ao, située dans le delta de la rivière Pearl. [Fig. 26] A travers l’exploration du site à différentes échelles, le récemment diplômé de la AA, Jorges Ayala45 propose un projet s’appuyant sur une succession de données numérisées : mouvement et pollution des eaux selon les saisons, simulations de conditions climatiques extrêmes, direction des vents, topographie et marées, flux de circulations mais également un relevé des tissus et bâtiments existants. C’est cette analyse du site qui lui permet ainsi de se rattacher à l’approche proposé par un des théoriciens de la discipline, Stan Allen qui affirme qu’il faut donner : . « Une attention plus particulière aux conditions de ces surfaces– pas seulement leur configuration, mais également leur matérialité et leur performance »46 Ces différentes données très techniques lui servent de paramètres d’entrée pour la construction d’une structure d’espaces vides pour l’urbanisation future de l’île. Toute la recherche de computation apparaissant dans son projet peut être qualifiée d’urbanisme paramétrique. [Fig. 27] 44
Voir leur site internet : http://www.aaschool.ac.uk/lu/ Voir son blog personnel http://www.jorge-ayala.com/ 46 Stan Allen, “Mat Urbanism: the thick 2-D”, dans Le Crobusier’s Venice Hospital, Ed. Hashim Sarkis, Munich, Prestel, 2001. 45
41
c. Les oubliéés du Datasscaping. Les soolutions d’uurbanisme paramétriqu p ue des étudiiants de la AA propossent des inffrastructuress écologiquess et compleexes qui seemblent êtree en adéqu uation avec la théorie décryptée en e premièree partie. Grââce à l’utillisation de véritables datascapess, ils perm mettent de résoudre lees profondss problèmes écologiquees que posse l’urbaniisation exp ponentielle du territoiire chinois, dans unee dynamique contextuellle du fait dee la prise enn compte de toutes ces données. d De plus, sii l’on suit toujours t less écrits théooriques de James Cornner concernnant les graandes ligness méthodologgiques évoqquée dans “Operation “ p unee s and Worrking methoods”47, Jorgges Ayala pratique reconsidéraation des tecchniques dee conceptuallisation, rep présentationn et d’opérattion de projeet. De part l’’utilisation des capaccités des outils o numéériques - en e autre, à gérer la complexitéé d’imbrication d’échellles, de discciplines et la simulatiion de proccessus spattio-temporels dans dess temps records - l’urbaanisme paraamétrique couvre la qu uestion du temps t de coonception qui q peut êtree problématiqque dans le cas de la Chine, subisssant la presssions arduess de l’exodee rural. Richard Weeller le conffirme en cess termes : « L’orddinateur peuut travaillerr dans le teemps, stimuulant et visualisant dees processuss dynamiqques de chhangement sous s des conditions spécifiques sp – modélisa ant des fluxx 448 écologiqques et cultturels en rellation au deessin d’interrventions. » Mais quelques q quuestions conncernant l’em mploi de cees nouvelles méthodess de projet peuvent p êtree soulevées : devant la complexité c de la mise en place du u paramétriqque, doit-onn repenser la l formationn architecturaale et arriveer à de véritaables architectes-inform maticiens, des d concepteeurs-cyborg gs ?
Fig. 27 : Evoluution de la grillee structurelle duu projet selon diifférents paramètres. 47 48
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Voir son esssai Terra Fluuxus, dans Thee Landscape Urbanism Ur Readeer, cf. note 1. Voir son esssai An art of Instrumentaliity dans The Landscape L Urbanism Reader,, cf. note 1.
La computation des datascapes réclame des connaissances très poussées de l’informatique. Et, aux problèmes que cela peut poser, la solution que la théorie apporte se trouve probablement dans les notions de transdisciplinarité qu’elle propose. Si les méthodes de projet sont bien transformées comme le préconise Corner, on peut poser la question, dans ces projets paramétriques, du devenir de la fameuse dimension plus pittoresque et sensible du Landscape. Ainsi, en travaillant sur d’abstraits champ de données, on peut se demander ce qu’il est advenu du fameux parti-pris et du point de vue subjectif. Aussi, devant leur recherche de performances environnementales très techniques, on peut citer Julia Czeniak qui critique : «Les pratiques contemporaines qui favorisent le temps à l’espace, la performance à l’apparence, l’effet à la signification vont néanmoins inévitablement se confronter au registre représentatif du Landscape. »49 Or, il n’existe pas ou très peu de projets de ce type dont la construction a commencé. Mais à l’image des grands concours de la villette ou plus récemment Freshkills qui ont porté le mouvement théorique dans les pays développés, un concours vient d’être remporté par l’agence dont fait parti Jorge Ayala : Plasma Studio et GroundLab ont été choisis pour monter le projet et suivre le chantier de l’exposition mondiale d’horticulture de Xi’an. Ils ont ainsi conçu le projet d’un parc de 37 hectares autour d’un lac artificiel, ainsi que les bâtiments nécessaires à l’exposition. Encore une fois, la pratique associée à la théorie est toute récente voire presque inexistante et le manque de recul ne permet pas vraiment de mesurer l’impact social et culturel de ces projets très informatisés montés par des européens… En outre, et si l’on suit leur logique d’intervention dans des pays de culture très différente, on peut déplorer l’absence d’un regard porté sur les conditions des pays sous-développés par la pratique... Pourtant, ceux-ci font aussi les frais de la condition postmoderne de l’économie des pays développés, et de la globalisation. Pire, leur faiblesse économique et technique fait qu’ils sont plus gravement touchés par les catastrophes climatiques. L’exemple du séisme qui a sévit à Haïti et ses conséquences dramatiques auraient pu pourtant susciter des réactions. Dans des contextes de crise ou de faiblesse économique, la complexité des projets proposés par les méthodes de Datascaping peuvent-elles correspondre à une simplicité/rapidité de solutions mise en œuvre ? Ce sont ces solutions plus simples et rapidement montées qui pourraient répondre à une urbanisation écologique des pays « pauvres ». Or le style à la Zaha Hadid, caractéristique du langage poststructuraliste des projets issus de la AA, sont bien connus pour leurs déboires financiers. On peut ainsi se demander comment, au travers de ces nouveaux outils, les théories et points de vus d’urbanisation soutenable du Landscape Urbanism pourront répondre aux enjeux des pays sousdéveloppés. 49
Looking back at Landscape Urbanism: Speculation on Site dans The Landscape Urbanism Reader, cf. note 1
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En conclusion, l’étymologie du terme Landscape permet aux théoriciens du mouvement d’englober la complexité des sites de projet : de l’imbrication des différentes échelles induites à la multitude des processus qui les « traversent, s’y manifestent et la maintiennent.» au cours du temps. Et c’est bien cela qui leur permet de s’inscrire dans le paradigme postmoderne, et d’apporter de grandes notions-clefs à une pratique : temps et contingence, transdisciplinarité et contexte, imaginaire et mémoire collective. Cependant cette complexité rend la communication de la théorie du Landscape Urbanism difficile. Les outils de projets employés et les méthodes de représentation utilisés nuisent au déploiement du mouvement. La petite boite de l’architecte traditionnelle est bien plus accessible que l’étendue conceptuelle du projet de paysage urbain. Mais c’est aussi un frein à sa pratique en elle-même. Dans sa description des « Operative and working methods », James Corner déplore : « les techniques pour communiquer le vaste champ de ces questions manquent désespérément – et cette aire seule, dessert et détourne nos attentions et recherches prioritaires ». De plus, fortement encrées dans une tradition disciplinaire de la conception de l’espace, les conditions législatives actuelles ne favorisent pas le mouvement. Pourtant, même si encore trop faiblement mise en œuvre, la pratique répond aux enjeux de ces territoires européens et américains : déclin des espaces de la modernité et les lieux de la mobilité accrue sont explorés dans des dynamiques de projet profondément territorialisées. La théorie propose également des moyens de réponse aux enjeux de l’expansion des territoires urbanisés, mais ceux-ci n’ont pas encore eu l’occasion d’être pleinement concrétisés. L’école de la AA propose même des solutions qui poussent la rapidité de conception à son maximum, pour répondre aux pressions d’urbanisation de pays émergent, en utilisant les techniques d’urbanisme paramétrique. La confiance que l’école accorde aux technologies numériques a cependant ses limites, en ce qui concerne la double étymologie faisant la complexité du Landscape, tout du moins. Les tout-récents concours remportés par les britanniques de Plasma Studio permettront bientôt de mesurer l’impact concret de l’aspect représentationnel des paysages urbains paramétriques qu’ils mettent en espace. Ainsi, si de façon prometteuse, cette nouvelle théorie du projet urbain réponds aux enjeux de soutenabilité dans les conditions postmodernes des pays développés, il lui reste encore à faire ses preuves face aux pressions d’urbanisation des pays émergents et à inventer des solutions simples et rapides pour des conditions plus extrêmes d’économies et d’urgence environnementales…
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Bibliographie :
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Divers portefolio et sites officiels de praticiens du « landscape urbanism » : http://www.fieldoperations.net/ http://www.stanallenarchitect.com http://www.stoss.net/ http://www.latzundpartner.de/ http://www.weissmanfredi.com/ http://www.west8.nl http://www.dirtstudio.com/ http://www.jorge-ayala.com/ http://www.plasmastudio.com/ http://www.groundlab.org/
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L’émergence du Landscape Urbanism, réponse aux enjeux de territoire contemporain ? Aurore RAPIN Mémoire - ENSAL - M2 SPA0910 Tuteur : P. Marin
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