Louise AIMONETTO, Nathan BARRÉ, Grégoire BOINAY
PFE ENSAG Juillet 2020
Nouvelle manière d’habiter la rue Bab el-Wazir avec son patrimoine L’architecture vernaculaire réactualisée par une matérialité locale Retranscription et consolidation d’un patrimoine oublié
LE CAIRE vers une transition post-urbaine
Directeur d’études : Patrick Thépot Assistantes : France Laure Labeeuw, Julie Martin Responsables du Master Aedification-Grands territoires-Villes : Aysegül Cankat & Patrick Thépot
Louise AIMONETTO, Nathan BARRÉ, Grégoire BOINAY
PFE ENSAG Juillet 2020
Nouvelle manière d’habiter la rue Bab el-Wazir avec son patrimoine L’architecture vernaculaire réactualisée par une matérialité locale Retranscription et consolidation d’un patrimoine oublié
LE CAIRE vers une transition post-urbaine
Membres du jury : Aysegül Cankat France Laure Labeeuw Théa Manola Julie Martin Gilles Novarina Patrick Thépot Françoise Very
Directeur d’études : Patrick Thépot Assistantes : France Laure Labeeuw, Julie Martin Responsables du Master Aedification-Grands territoires-Villes : Aysegül Cankat & Patrick Thépot
Table des matières Avant propos
6
Remerciements 7
0.
L’HISTOIRE DU DIPLÔME
a. Introduction b. Retour du Caire
1.
LE CAIRE, UN TERRITOIRE LIQUIDE
1. Une histoire nilotique 2. Une superficie exponentielle 3. Un climat à appréhender 4. Une démographie incontrôlable
a. La Mère du Monde
9 11
16
21 22
b. La gestion des eaux du Nil, tensions et modes de vie
28
c. Un développement urbain incontrôlable
32
d. Le centre historique en péril
40
2.
1. Mise en contexte de la gestion de l’eau des pays Nilotiques 2. Conséquence de la construction du barrage d’Assouan 3. Des prévisions hydrauliques pessimistes 1. 2.
L’urbanisme planifié : l’expansion horizontale vers le désert L’urbanisme spontané : un sol fertile en danger
1. L’histoire et les frontières 2. Lois sociales et risques naturels 3. Vers un devenir positif, conscient et adapté
VERS UNE POST-URBANITÉ
a. La matérialité et la mise en œuvre, comme leviers de créations
1. Le savoir-faire antique, monumentalité et monolithisme 2. La réinterprétation des dispositifs bioclimatiques vernaculaires 3. Une domination des achwa’iyat dans le paysage du Caire
b. L’artisanat et les ressources locales
1. Le Nil comme route d'approvisionnement 2. Technique traditionnelle accessible et savoir-faire disponibles
53 54
61
c. Le patrimoine face aux enjeux contemporains
64
D. La question de l’espace public
73
3.
1. Des lieux chargés de sens, ancrés dans le quotidiens des Cairotes 2. Le patrimoine oublié : vers une réinterprétation des besoins contemporains 1. La culture du regard, approche théorique 2. La richesse du spontanée
BÂTIR AU CAIRE
a. Le mémorial à la Terre : Manifeste land-art
83 84
b. Régénération de la rue Bab el-Wazir
90
c. Mise en œuvre des projets
98
1. La maison de quartier 2. La richesse du spontané, le café de Georges 3. La porte bleue 4. Centre social pour femmes 5. La richesse du spontané, la place d'eau 6. La mamelouke bazar 7. Le dispensaire 8. La richesse du spontané, la dent creuse
4. CONCLUSION
157
5.
161
ANNEXES
a. Bibliographie, Filmographie Livres Articles Filmographie Iconographie
b. Extrait d'interview
162
165
Avant propos
« Le voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait. On voyage pour que les choses surviennent et changent; sans quoi on resterait chez soi. Nicolas Bouvier, L’usage du monde, 1963
6
»
اركش
Remerciements Nous tenons à remercier chaleureusement les enseignants du Master « AEdifications-Grands Territoires-Villes », À Patrick Thépot, directeur de la thématique et Julie Martin, enseignants passionnés, qui malgré les mesures de confinement sont restés très présents dans notre suivi, À Aysegül Cankat, et France-Laure Labeeuw, pour leurs regards neufs et incisifs sur notre travail, À Françoise Very pour l’amour des mots, Un grand merci à Mougib ElRahman, qui a su nous passionner pour sa ville natale, À Fabienne Boinay, pour son expérience partagée et les rencontres permises grâce à elle, À Georges Castel, archéologue, sans qui nos yeux n’auraient pas été aussi ouverts, À Matthieu Vanpeene pour sa franchise et ses réalités partagées, Aux membres du CEDEJ et de l’IFAO de nous avoir reçu et accordé du temps, À Mohamed Alphonse Daudet qui nous a fait visiter un morceau de paradis au cœur du Caire, et pour l’admiration que nous portons au travail des femmes de la fondation Wissa Wassef, À «habibi» pour ce séjour à Gizeh étonnant, À Mariam et Mayar pour ce détour épique à Alexandrie, À nos proches, pour l’accompagnement dans cette période qui marque un terme à nos études, Et bien sûr, à vous, pour votre lecture !
7
0.L’HISTOIRE DU DIPLÔME
0. L’histoire du diplôme
Mer méditerranée
Israël Alexandria
Jordanie
Le Caire Gizeh
Arabie Saoudite
Lybie
Mer rouge
Soudan
0
Fig. 1 : Plan de l’Égypte 10
100 km
a. Introduction d’années d’histoire semble ambitieux, il est donc indispensable de faire des choix de cadrage temporel. Nous étudions principalement la période contemporaine égyptienne, même si de nombreux allers et retours dans le temps sont nécessaires, avec notamment, une étude sur la matérialité antique. Une première vision du territoire se construit dans l'attente d'une confrontation aux réalités du terrain. Un sujet de diplôme comme celui-ci ne peut pas se passer d’une expérience sur place, ni d’une interrogation des hypothèses initiales. Il nous semble essentiel de partir pour comprendre ce territoire ou du moins essayer d’amener une justesse dans nos observations. Le voyage, c’est aussi aller chercher quelque chose et par l’expérience faite, se tourner vers toute autre chose. En arrivant sur place, nous sommes subjugués par la ville et par l’incroyable gentillesse des habitants. Nous passons treize jours à la découverte d’une architecture, d’un savoir-faire, de coutumes, de gastronomie, d’ambiance ou encore de marchandage, bercés par le son des muezzins. Initialement, cette expédition doit nous permettre d’appréhender toutes les caractéristiques du pays, énumérées précédemment, par notre expérience personnelle et les rencontres que nous allons faire sur place. L'observation de la vie cairote par le biais du voyage nous permet de prendre conscience de l’importance de l’habitabilité. Nous découvrons de nombreux projets surprenants dont le centre d’art de l’architecte Ramsès Wissa Wassef. Cet endroit particulièrement marquant, nous interroge sur cette atmosphère si agréable, et rare. Comment la retranscrire dans nos futures esquisses de projets ? Nous partons aussi pour visiter le site du concours afin d’en tirer le plus d’informations possible. Néanmoins, la visite est une réelle surprise. L’idée que nous nous en sommes faite à travers les photos transmises par les organisateurs du concours est largement erronée. Nous nous demandons alors comment envisager d’édifier un mémorial à la Terre au Caire, sur un site, à quelques
C’est décidé, nous partons pour le Caire !
Nous nous plongeons alors dans le berceau de la civilisation pour façonner notre analyse territoriale. L’immensité Cairote nous perd, si bien que ce que nous pensons être 100 mètres fait en réalité 1 kilomètre. Cette immensité physique est aussi culturelle, nous noyant dans des livres hétéroclites. S’attaquer à des milliers 11
0.a. Introduction
L’aventure commence en décembre. Nous cherchons alors un site de travail pour ce fameux projet de fin d’études. Les encadrants du master nous laissent la liberté du choix, sans aucune contrainte, ni sujet particulier imposé. Nous parcourons le monde sur les cartes satellites, en privilégiant les villes en développement, aux problématiques urbaines fortes. Nous cherchons en parallèle par quels prétextes nous souhaitons analyser un territoire pour y trouver des thèmes qui nous tiennent à coeur. C’est grâce à une plateforme proposant des compétitions d’architecture que nous choisissons de participer à « Hourglass », un concours international ouvert aux étudiants. Le site se trouve à Gizeh, en Égypte, le programme consiste à concevoir un mémorial à la Terre, qui serait plus qu’un monument. Il aurait pour objectif de sensibiliser à une reconnaissance mondiale de la détérioration de la planète. Il peut être également un rappel des grands changements qui se produisent à travers le monde et en même temps être un objet pour l’avenir des civilisations. Sans aucune ressource sur le Caire, nous rentrons en contact avec Mougib ElRahman, doctorant du laboratoire de recherche « les métiers de l’histoire de l’architecture ». Originaire du Caire, il réussit à nous transmettre sa passion pour sa ville natale immédiatement par ses anecdotes. Le Caire nous semble alors gigantesque, vivant, et très complexe par sa quantité de caractères singuliers.
0. L’histoire du diplôme
kilomètres des pyramides et du nouveau musée d’Égypte, délimité par une rocade surélevée, accolé à une base militaire et des zones industrielles fermées ?
faisant en sorte que notre réponse à ce sujet soit une articulation entre deux facettes du territoire cairote. À la fois manifeste landart et politique, il est destiné à interpeller le visiteur sur les ressources du vieux Caire par la translation physique d’une de ses rues, la rue Bab el-Wazir, que nous n’aurions sûrement pas découverte sans Georges Castel et qui deviendra notre nouveau site d’étude pour ce diplôme. Le centre historique du Caire se caractérise par un cumul d’usages culturels, constructifs, spontanés et patrimoniaux d’une grande richesse. Il est pourtant abandonné de l’investissement politique.
C’est cette découverte du site, cumulée à l'exploration du Caire, qui nous fait requestionner notre positionnement. Nous observons l’expansion urbaine galopante de la mégalopole, caractérisée par des modes constructifs aveugles du rapport au lieu et à la Terre. Cette urbanisation provoque aujourd’hui de nombreux risques écologiques et sociétaux. Le concours « Hourglass », par son public et son implantation, s’inscrit dans cette logique d’étalement, qui ne nous semble pas appropriée.
À l’instar de ce tissu urbain ancien, la désuétude du patrimoine oublié de la rue Bab el-Wazir et sa fragilisation depuis le tremblement de terre de 1992, ont masqué ses multiples potentialités. Nous imaginons alors la régénération de celle-ci par le projet, une première étape pour réinvestir le centre-ville. Entre programmes patrimoniaux et sociaux, les interventions architecturales ponctuelles permettent ainsi la réinterprétation des architectures vernaculaires par la mise en œuvre de matérialités locales. Elles nécessitent également de faire participer les dispositifs frugaux des habitants qui font vivre cette rue tout au long de la journée. À long terme, la réflexion veut susciter un impact global sur l’habitabilité cairote. Du concours international, nous favorisons le choix d’un site révélateur du Caire contemporain.
En amont de ce voyage, nous avions planifié un certain nombre de rendez-vous au Caire avec différents acteurs cairotes, égyptiens et français dont des archéologues, architectes, doctorants, chercheurs, ingénieurs ou urbanistes. Ces interlocuteurs nous présentent des visions de la ville très différentes de par leurs positions sociales dans le pays. Ces avis sont précieux pour nous, étudiants européens, au regard spécifique et étranger à ce contexte de projet. Nous avons le plaisir de rencontrer Mr Georges Castel, archéologue, installé au Caire depuis plus de cinquante ans. Georges a pu voir la ville se métamorphoser au fil du temps, jusqu’à ne plus reconnaître certaines rues. Nous visitons le Caire historique en sa compagnie, en parcourant les mosquées, les palais ottomans, les maisons bourgeoises de différentes époques étalées sur des siècles. Les commentaires sur les dispositifs spatiaux ancestraux sont rapidement emportés par la réalité de ce patrimoine en péril. Ces visites avisées et extrêmement bien conduites par Georges Castel sont une révélation pour tous les trois. Comment projeter le centre historique du Caire vers une transition post-urbaine par une revalorisation d’un patrimoine oublié et l’édification de programmes aux enjeux sociaux? À notre retour, il faut prendre du recul sur cette expérience intense. Nous décidons de continuer de participer au concours, en 12
0.a. Introduction
Fig. 2 : En haut à gauche, avec l’archéologue Georges Castel En haut à droite, visite de la pyramide de Djeser à Saqqarah En bas à gauche, intérieur de la mosquée du Sultan Hassan En bas à droite, détour de quelques jours vers Alexandrie 13
0. L’histoire du diplôme
Fig. 3 : Plan de la mégalopole du Caire 14
0.a. Introduction
15
0. L’histoire du diplôme
b. Retour du Caire
«
Pour qualifier le Caire, au long de ce voyage, j’essaye de lui donner une autre dimension, celle de ville aux sens.
»
Au long de ce travail et lors de notre voyage, je retrouve de nombreuses similarités avec le Brésil où j’ai vécu l’année dernière, mais aussi à travers d’autres voyages dans des villes émergentes sud-américaines ou asiatiques. Les développements urbains frénétiques que connaissent ces pays nous amènent à observer des phénomènes qui se répètent, notamment, ce qui nous frappe le plus : l’étalement aux dépens de l’histoire et de la culture. Cependant, c'est un bonheur incroyable de retrouver cette ambiance de villes effervescentes, animées en permanence. Je parle de similarités, mais il est évident que ce pays est unique, son caractère fort en fait un lieu extrêmement riche et complexe présentant des spécificités qui se superposent depuis des millénaires. Unique dans tous ses sens, auxquels nous nous sommes confrontés pendant treize jours. Qualifier une ville comme celle-ci me semble être un exercice impossible. Il s'y passe beaucoup trop de choses simultanément pour attacher une ambiance générale à un moment d o n n é . Cependant, pour la qualifier, au long de ce voyage, j’essaye de lui donner une autre dimension, celle de « ville aux sens ». J’essaye de m’attacher à analyser le plus de traits caractéristiques rencontrés et d’en faire une bibliothèque qui me permet de commencer à comprendre où je mets les pieds. Ville aux sens, c’est-à-dire ville qui stimule, qui se dévoile, offre un regard sans avoir besoin de voir. L’ouïe, le goût, le toucher, l’odorat et la vue, sont stimulés de façon simultanée à tout instant.
Énormément d’interrogations émergent de ce voyage, mais aussi des remises en question et des confrontations d’idéaux peut-être erronés et qui évolueront assurément avec le temps. Ce voyage est ponctué par une suite de rencontres, de personnes, liées professionnellement à notre projet ou non. Toutes ces rencontres, nous permettent d’avancer beaucoup plus vite que ce que nous pouvions imaginer. Les avis sur la ville, auxquels nous sommes confrontés sont soit d’une manière objective dans le sens que nous espérions, soit dans d’autres façons à l’encontre de toutes attentes. C’est cette richesse et cette multitude de paradoxes du voyage qui révélent à nos yeux un territoire source de projet infini et passionnant. Grégoire
16
Cette ville, bercée par le son des muezzins, bourdonne, lorsque ceux-ci se mettent à chanter, le temps s’arrête le moment d’un souffle pendant ce puissant appel.
Avant notre départ pour le Caire, j’avais lu des dizaines d’articles et de livres sur différents aspects de la ville. Je pensais être préparée à mon arrivée dans cette ville frénétique, que l’on qualifie d’unique. Je n’imaginais pas ressentir une telle atmosphère se dégageant de ces rues sinueuses, ces odeurs très présentes, cette poussière constante, ce monochrome beige qui habille chaque mur. L’ambiance n’est pas reposante, au contraire. Les habitants ne dorment jamais et la ville est en mouvement permanent. Nous devons échapper aux tuk-tuk sauvages, aux carrioles, et aux taxis fous. Le bruit des klaxons surprend à chaque virage, mais les Cairotes ont le goût du risque et personne ne marche sur les trottoirs, mais contre les voitures garées, ce qui fait de chaque trajet une véritable odyssée. Cette ville, bercée par le son des muezzins, bourdonne, lorsque ceux-ci se mettent à chanter, le temps s’arrête le moment d’un souffle pendant ce puissant appel, mais l’effervescence continue. En levant les yeux, je me rends compte que les immeubles sont penchés, et qu’aucune de mes photographies ne sera droite. Ces façades dangereuses, j’essaye de les visualiser sans paraboles ni climatiseurs, elles seraient nues, mais pas pour autant en ordre. Le long de la route du Caire qui rejoint celle de Gizeh, m’a permis de comprendre l’ampleur de l’étalement urbain, dans ces coques vides, éteintes, qui poussent sur d’anciens champs agricoles. Au bout de cette autoroute, nous nous retrouvons face aux pyramides de Gizeh, qui dans mon imaginaire se trouvaient au milieu du désert. La notion du temps semble alors abstraite, il s’agit de concevoir que ces pierres ont des milliers d’années et sont intactes face à nous, malgré les changements qui se déroulent face à elles. Témoins de l’évolution de la ville, du monde, les pyramides marquent ce lieu comme le berceau de l’humanité et de la civilisation. Ces vieilles dames survivent depuis des milliers d’années, au rythme des klaxons et de l’urbanité insensée
»
du Caire. La culture du café elle aussi semble intemporelle, elle marque la poétique du quotidien que l’on trouve au Caire, avec ces chaises sur la route, les étals en plein air, les vendeurs de rues. La meilleure gastronomie du Caire se trouve dans ces bouiboui, où l’on ne savait pas toujours ce que nous commandions. C’est ça aussi, l’aventure. Nous avons marché des heures au cœur de ces rues, face aux regards étonnés de ces habitants, peu habitués dans certains quartiers à voir passer un groupe de trois jeunes avec des sacs à dos, dont une femme sans voile sur la tête. Ces regards étaient pratiquement toujours bienveillants à mon égard, et je n’ai jamais senti un sentiment d’insécurité, au contraire, nous étions toujours accueillis. Il m’aurait été impossible de comprendre cette atmosphère sans n’avoir parcouru tant de kilomètres, sans n’avoir mangé autant de tameya, ni d’être monté dans les minarets, en haut desquels nous pouvions admirer cette ville, que je qualifie d’incontrôlable. Louise
17
0.b. Retour du Caire
«
0. L’histoire du diplôme
«
La ville se dévoile encore et encore sous des jours insoupçonnés, comme figée dans une métaphore éternelle de son propre folklore.
»
Le Caire est une ville de densité : historique, au travers de ses civilisations millénaires, sociale dans les interactions qu’elle préserve et atmosphérique lorsqu’un seul pas semble nous faire pénétrer un univers nouveau. Chaque lever de soleil est accompagné d’un frisson d’inconnu, alors que, bercé par les complaintes du muezzin nous partons nous perdre dans de nouveaux lieux. Nous avons, pour treize jours seulement été projetés dans un fantasme d’orientalisme moderne. J’en arrive aujourd’hui à penser d’une manière totalement incertaine - et peut-être juste que pour les quelques minutes où j’écris ces mots - que le Caire ne s’étudie que partiellement… Le Caire s’éprouve, se scrute, se ressent. À tel point que, parsemés dans nos journées nous retrouvons de manière récurrente et très ponctuelle, des lieux de pause, havre de paix, où la ville se dévoile encore et encore sous des jours insoupçonnés, comme figée dans une métaphore éternelle de son propre folklore.
ou éternel. Ce sont ces couches, innombrables, qui nous susurrent unes à unes les poésies du Caire passées et celles d’aujourd’hui. J’ai longtemps eu une vague appréhension à m’immerger en pays émergent. De peur de prendre tout trop à coeur. Le Caire est resté pour moi un lieu où la fracture de la précarité marque chaque angle de rue. Mais c’est aussi et surtout un lieu mouvant, celui d’un autre ordre, celui au sein duquel les spatialités sont espoirs, opportunités et enthousiasmes. Nathan
C’est en cela qu’elle est dense. Une balade en centre-ville se transforme en Égypte en une course du regard dans un dédale merveilleux. Si bien que j’ai souvent été submergé de frustration à l’idée de ne pas pouvoir m’arrêter pour comprendre et déchiffrer une atmosphère singulière : les commerçants tentant de nous alpaguer, une grand-mère cachée à sa fenêtre descendant un seau pour je-ne-sais-quoi, croiser le regard fardé d’une femme dont on ne décèle que les yeux, le bruit lointain et persistant des klaxons, le voile blanc perpétuel qui s’immisce dans les moindres recoins de la ville, la facture de chaque bâtiment vulnérable 18
0.b. Retour du Caire
19
1.LE CAIRE, UN TERRITOIRE LIQUIDE
1. Le Caire, un territoire liquide
a. La Mère du Monde
Fig. 1 : Carte historique “View of Cairo, from the Kitab i Bahriye” par Piri Reis, à la fin du XVIIe siècle, aquarelle sur papier, 68,2x34,1 cm. Exposé au Walters Art Museum, Baltimore, États-Unis 22
1. Une histoire nilotique
L’histoire du développement du Caire, de l’antiquité à la fin du moyen-Âge, se caractérise par un lent déplacement des centralités urbaines le long de la colonne vertébrale que représente le Nil. Les lieux d’extension de la ville sont étroitement liés aux fluctuations du fleuve.2 La cité du Caire est fondée en 969 de notre ère par la famille chiite des Fatimides. La ville a été surnommée par les Cairotes «la mère du monde» en raison de sa population toujours croissante, qui commençait à déborder de son
enceinte.3 Par son explosion démographique et sa politique urbaine, le Caire ne cesse de s’étendre à travers le delta et le désert. Le général Al-Sissi, comme Nasser à l’époque, tend à promouvoir de grands projets urbains pour se rendre légitime. Son soutien par quatre monarchies du Golfe, l’Arabie Saoudite, le Koweït, les Émirats arabes unis, et l’Oman, favorisent le régime militaire en Égypte car elles considèrent que les mouvements islamistes pourraient contester l’organisation monarchique de ces pays. Le Qatar et la Turquie continuent eux, de protéger les frères musulmans dirigés par Mohamed Morsi. Les pays du golfe mais aussi les EU, la France, l’Allemagne, la Russie soutiennent Al-Sissi car ils lui reconnaissent un rôle central contre le le terrorisme, et considèrent à nouveau l’Égypte comme une puissance stabilisatrice dans la région du Moyen-Orient. Car, il existe plusieurs foyers de déstabilisation autour du pays : Israël et les territoires palestiniens, la Libye, la Syrie et l’Irak et la péninsule du Sinaï à l’est du territoire Égyptien, sont devenues des régions de nondroit. La lutte d'Al-Sissi contre l’islamisme radical lui procure une légitimité aux yeux du monde.4
1 Agence spatiale européenne, Mégalopoles : une contribution de l’Agence spatiale européenne pour mieux comprendre le défi posé par mégalopoles à l’échelle planétaire, Publié par Artemis, 2005. 2 VOLAIT Mercedes, PIATON Claudine, HUEBER Juliette, Le Caire portrait de ville, 2011.
3 PRADINES Stéphane, A la découverte du Caire médiéval : Une métropole arabe hors norme, publié dans Histoire et Images médiévales, n°35, p. 56-65, 2010. 4 https://www.youtube.com/watch?v=fnwBW_kGjWg Arte, le dessous des cartes, l’Égypte d’Al Sissi, 2016
Le Caire se situe à l’entrée du delta du Nil. Cette position stratégique n’avait pas échappé aux Égyptiens, qui choisirent presque le même site pour bâtir leur capitale politique de Memphis et leur nécropole du plateau de Gizeh. Les plaines inondables jouxtant le Nil et la ville permettaient une culture riche et abondante. Plus tard, les Romains construisirent leur forteresse, appelée « Babylone », au sud du Caire, actuellement le quartier Copte.1 La prise musulmane de la cité changea une nouvelle fois le nom de la ville qui se transforma en Fustat (au sud du Caire).
23
1.a. La Mère du Monde
Fig. 2 : Évolution de la ville du Caire. Source : ANGÉLIL Marc, Housing Cairo, publié par Berlin Ruby Press, 2016.
1. Le Caire, un territoire liquide
Vallée agricole Vieille Ville 960 - 1798 Ville Coloniale 1798 - 1933 Première Couronne 1933 - 1960 Deuxième Couronne 1960 - ... Nouvelles villes Quartiers informels
0 2
10
20 km
Fig. 3 : Plan du Caire des quartiers anciens, jusqu’aux villes nouvelles.
2. Une superficie exponentielle L’Égypte a une superficie d’un million de kilomètres carré pour plus de 100 millions d’habitants (en 2020), soit une densité d’environ 99 habitants au km2 (117,6 habitants/km2 pour la France)5. La quasi-totalité de la population se retrouve dans la vallée du Nil et du Delta, le reste du pays étant désertique. Cependant, la superficie du Caire, ne fait que d’augmenter d’année en année. Les politiques favorisent l’urbanisation dans le désert avec un étalement horizontal d’est en ouest afin de répondre aux besoins démographiques. Depuis 25 ans, sa population a doublé et sa superficie a triplé6. Aujourd’hui sa taille est de 3085 km2, à défaut de structure politique et administrative commune à l’agglomération, les contours du Grand Caire (qui rassemble trois gouvernorats : Le Caire, Gizeh à l’Ouest et Qalioubiya au Nord)
Paris 105,4 km2
Le Caire 3085 km2
Fig. 4 : Comparaison entre la superficie de la taille de Paris et celle du Caire. Source : https://www. populationdata.net/
5 https://www.populationdata.net 6 BAYOUMI Hala, Atlas du Caire contemporain, publié par le CEDEJ, 2020.
24
Même si les plus aventureux continuent de conduire, les pluies abondantes et la poussière omniprésente rendent les routes très glissantes. La mégalopole entourée de déserts, s’étend sur des marges arides depuis 1960. La chaleur rythme la vie des Cairotes qui s’en protègent. De ce fait, l’utilisation d’air conditionné dans les nouvelles villes est récurrente. À l’inverse, l’architecture des quartiers anciens favorise la ventilation naturelle pour réguler la température.
varient selon les institutions. Les recensements de la population étant très rares et compliqués à mettre en place, la densité de la ville est également floue.
3. Un climat à appréhender
19% des ménages urbains équipés d’un climatiseur en 2015.
L’essentiel du territoire est composé de plateaux, percés par la vallée verdoyante
100 38°
40
80
30
60
20 21° 10 0
21°
8°
22° 40 10°
Jan.Fév.Mar.Avr.MaiJui.Jui.Aoû.Sep.Oct.Nov.Déc.
Précipitations (mm)
Température (°C)
températures7
50
4. Une démographie incontrôlable
20 0
Maximales quotidiennes Minimales quotidiennes Pluviométrie
Fig. 5 : Graphique du climat au Caire. Source : BAYOUMI Hala, Atlas du Caire contemporain, publié par le CEDEJ, 2020.
Fig. 6 : Façade climatiseurs.
Le climat Égyptien est méditerranéen sur la côte d’Alexandrie, semi-désertique à hauteur du Caire et complètement désertique dans le Grand Sud. La pollution de l’air au Caire ne favorise pas un climat confortable. L’air est plus chaud, plus sec, et plus pollué. Les eaux pluviales sont si rares (en moyenne 18 millimètres de pluie par an)8, que lorsqu’il pleut, la ville est inondée dû à l’inefficacité du système d’écoulement. Nous avons pu être témoins de ce phénomène pendant notre voyage.
du Nil, et aménagés depuis des millénaires. Penser à l’Égypte ramène automatiquement aux pyramides du plateau de Gizeh, à “l’Égypte éternelle”. Il nous ramène aussi à cette immense oasis que constitue le Nil, où plus de 90% de la population vit. Un espace étroit qui couvre environ 5% du territoire. Le delta et la vallée du Nil sont au cœur de l’unité et de l’identité nationales, ce que résume la formule d’Hérodote « l’Égypte, don du Nil ».9 À travers de nombreuses archives et des
7 BAYOUMI Hala, Atlas du Caire contemporain, publié par le CEDEJ, 2020. 8 https://fr.climate-data.org/afrique/egypte/cairogovernorate/le-caire-3392/#climate-table
9 BAYOUMI Hala, Atlas du Caire contemporain, publié par le CEDEJ, 2020.
25
d’immeuble
composés
de
1.a. La Mère du Monde
1,2 m² d’espace vert/habitant. 23,4°C moyenne annuelle des
1. Le Caire, un territoire liquide
Israël Jordanie Le Caire Arabie Saoudite
Lybie
Soudan
Terre Eau Occupation de la population Capitale Soudan Pays limitrophes Frontière
0
Fig. 7 : Plan de l’occupation humaine du territoire Égyptien.
26
100
200 km
de 500 000 habitants14, l’équivalent de 50% de leur population entre 1970 et 1990. Les familles les plus éduquées et au revenu moyen partent, le quartier se dégrade alors sur le plan architectural et se paupérisent sur le plan social. Cette migration a eu de nombreux effets néfastes sur la désuétude des bâtiments et le regard porté sur ce secteur.
Nombre d’habitants (millions)
Dans ce cas, comment concilier l’explosion démographique avec la réduction progressive des ressources en eau dans un pays façonné et articulé depuis des millénaires autour d’un fleuve nourricier ?
35 30 25 20 15 10 5 1920
1952
1976
2011 2020 2035
Fig. 8 : Graphique démographique de 1920 jusqu’en 2035.
10 DENIS Eric, Le Caire, quand la ville déborde de son enceinte, dans Villes en parallèle, n°30-31, 2000. 11 Agence spatiale européenne, Mégalopoles : une contribution de l’Agence spatiale européenne pour mieux comprendre le défi posé par mégalopoles à l’échelle planétaire, Publié par Artemis, 2005. 12 BARTHEL Pierre-Arnaud, Le Caire : réinventer la ville, 2011. 13 VOLAIT Mercedes, PIATON Claudine, HUEBER Juliette, Le Caire portrait de ville, 2011.
14 VOLAIT Mercedes, Le Caire : les problèmes de la croissance à la lumière du recensement de 1986, dans Espace, populations, sociétés, L’urbanisation en Afrique Urbanization in Africa. pp. 213-225, 1988.
27
1.a. La Mère du Monde
textes10 traitant de la population au Caire, la réalisation de ce diagramme (figure 8) montrent l’évolution du nombre d’habitants au Caire depuis 1920. Ces chiffres ne peuvent pas totalement être vérifiés, car il n’existe pas, au Caire, de recensement obligatoire. Pour établir des données démographiques, le CAPMAS (Central Agency for Public Mobilization and Statistic, l’équivalent de l’Insee Égyptien) emploie des personnes qui partent sur le terrain dans le cadre d’études ciblées pour interroger les habitants. Certains articles indiquent 17 millions d’habitants aujourd’hui au Caire, d’autres vont jusqu’à 24 millions d’habitants. Au moment de l’indépendance de l’Égypte en 1952, le Caire était encore une petite ville de moins de 2,5 millions d’habitants. La rive occidentale du Nil était essentiellement vouée à l’agriculture et n’était guère urbanisée. Le Caire est la plus grande ville du Moyen-Orient et d’Afrique grâce à des vagues d’immigrants venus des zones rurales, associés à une forte croissance naturelle.11 La lecture est abondante sur les risques liés à une pression démographique toujours plus forte et à l’excessive concentration de la population dans la zone centrale. Le grand Caire compte chaque année 500 000 habitants de plus12, la croissance démographique s’établit autour de 2% aujourd’hui contre 4% durant les années 607013. D'autre part, on remarque la surprenante capacité de cette ville à accueillir un demimillion d’habitants en plus chaque année. Ceci est potentiellement dû à l’expansion du Caire, ainsi qu'à la densification des quartiers du centre-ville. À l’inverse, entre 1966 et 1976, les vieux quartiers du centre du Caire avaient déjà perdu 200 000 habitants. Entre 1976 et 1986, ces mêmes quartiers ont perdu à nouveau près
b. La gestion des eaux du Nil, tensions et modes de vie
1. Le Caire, un territoire liquide
1. Mise en contexte de la gestion de l’eau des pays Nilotiques
hydrique extrême16. En 2011 l’Éthiopie amorce la construction du barrage de la Renaissance, ayant pour ambition de devenir la plus importante centrale hydroélectrique d’Afrique. L’Égypte, dépendant à plus de 85% du Nil quant à son approvisionnement en eau, risque de connaître une désertification importante. Les fortes tensions, principalement entre l’Égypte, l’Éthiopie et le Soudan ont été amoindries à l’occasion de l’accord de Khartoum, ville symbolique à la confluence du Nil Bleu et du Nil Blanc, le 23 mars 2015: “Nous avons choisi de coopérer, et de nous faire confiance mutuellement dans l’intérêt du développement” déclare le président Égyptien ce jour-là. Cet accord de principe installe un compromis entre ces pays quant à la répartition des eaux du Nil en amont du barrage d’Assouan. Il n’exclut néanmoins pas la construction du barrage Éthiopien qui constitue un changement important quant à la gouvernance des eaux du Nil. En effet, le dernier accord date de 1959 et accorde à l’Égypte et au Soudan 87% des eaux du fleuves ainsi qu’un droit de veto sur tous projets hydrauliques, on parle d’un droit historique17. Ainsi, même si la menace d’une guerre de l’eau s’est en partie éloignée, des tensions restent palpables.
Long de 6650 km, le Nil est l’un des plus grand fleuve au monde avec l’Amazone. Dans les grandes étendues désertiques de l’Afrique du nord-est, ce cours d’eau mythique est, depuis les premières heures de l’agriculture, au centre des attentions. Les peuples de l’Égypte antique nommaient d’ailleurs ce territoire Kemet, aujourd’hui traduit par les égyptologues par «la terre noire», désignant le lit du Nil. Recouvert chaque année de limon fertile noir. Il lézarde le désert d’Afrique centrale jusqu’au littoral méditerranéen. On parle de pays nilotiques pour désigner les 11 pays dépendants des eaux du fleuve entre lesquels il existe aujourd’hui des tensions notables.15 Le Nil, en Égypte, est le résultat de la confluence de deux fleuves : le Nil Bleu et le Nil Blanc. Le premier, le plus grand des deux, s’écoule depuis le lac Tana au travers de l’Éthiopie. Son bassin versant s’étend plus à l’ouest, jusqu’en Érythrée et en Somalie. Le second prend sa source dans un archipel de lacs dont le principal, le lac Victoria, est à cheval entre la République Démocratique du Congo, la Tanzanie et le Kenya. Ils se rencontrent au centre du Soudan, à Khartoum.
2. Conséquence de la construction du barrage d’Assouan
La plupart des pays nilotiques sont des pays en développement, tandis que d’autres sont des puissances économiques émergentes revendiquant, à leurs échelles, un accès à l’eau traversant leurs territoires. Ces désaccords sont aujourd’hui mis en relief, notamment dans un rapport publié par le World Ressources Institute évaluant qu’à l’horizon 2030, un quart de la population mondiale connaîtra de graves pénuries d’eaux et des centaines de millions de personnes seront exposées à un stress
La construction du barrage d’Assouan en 1956 entreprise par le président Nasser va avoir un impact nouveau sur le développement de l’Égypte. Inauguré en 1971, ce barrage, «symbole monumentale de la politique de sécurité hydrique Égyptienne», a été le vecteur d’un essor économique majeur principalement grâce à la production massive d’hydroélectricité. Un autre objectif de la construction de ce barrage était de réguler 16 LEMA LANDU Jean-Jules, Afrique : La guerre de l’eau sur le Fleuve Nil, Ouest France, 2019 17 Le Monde avec AFP, L’Éthiopie, l’Égypte et le Soudan trouvent un accord sur le partage des eaux du Nil, 2015
15 AMIOT Hervé, Le Nil, axe de développement économique et de tensions géopolitiques, 2013.
28
SYRIE
MER MEDITERANEE
IRAQ
JORDANIE ISRAEL Le Caire
Gizeh
l
1.b. La gestion des eaux du Nil
ARABIE SAOUDITE
Ni
LIBYE EGYPTE
Assouan Lac Nasser
Nil
MER ROUGE
CHAD
SOUDAN
Khartoum
ERYTRHEE
YEMEN
Nil Nil
DJIBOUTI
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Lac Tana Nil
Golfe
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Bleu
Addis Abeba Nil B
ETHIOPIE
lanc
CENTRAFRIQUE
SUD SOUDAN Juba
OUGANDA REP. DEM. DU CONGO
Lac Albert
Lac Kivu
RWANDA
BURUNDI
SOMALIE
Lac Kyoga
KENYA
Kampala
Lac Edouard
Lac Turkana
Lac Victoria OCEAN INDIEN
TANZANIE
Fig. 9 : Carte du Nil, de ses sources jusqu’à la Mer Méditerranée 29
n
1. Le Caire, un territoire liquide
le cours du Nil afin de pouvoir bénéficier de la plaine fertile de manière constante en acheminant l’eau nécessaire au fur et à mesure de l’année. Ainsi le pays dispose d’une retenue de 90 milliards de mètres cubes d’eau : le lac Nasser.
Ces représentations de différentes urbanisations du lit du Nil montrent comment l’attitude des villes Égyptiennes a évolué à l'égard du fleuve. Dans un premier cas, le village s’installe en lisière de la vallée fertile, lieu à conserver pour les services écosystémiques qu’il procure. Dans un cas de figure plus actuel, la ville se développe depuis les rives du Nil en réduisant de manière considérable la surface disponible pour l’agriculture, c’est le cas du Caire, qui voit disparaître petit à petit ses terres arables.
Même si la construction de plusieurs infrastructures hydrauliques a permis à l’Égypte de rentrer dans une agriculture plus industrielle, les impacts positifs de ces barrages restent à nuancer. Le développement des villes du Nil menacent aujourd’hui le delta du Nil d’une expansion dérégulée. Zone désertique
Village en retrait du Nil
Vallée fertile agricole
Nil
Fig. 10 : Re-dessin schématique d’installation d’un village Égyptien ancien Zone désertique
Vallée fertile urbanisée
Nil
Fig. 11 : Re-dessin schématique d’installation d’une ville Égyptienne actuelle
3. Des prévisions hydrauliques pessimistes
Les différentes infrastructures nécessaires à l’irrigation sont mises en place par les gouvernements successifs et assurent aujourd’hui un apport d’eau bien au-delà de la plaine inondable du Nil. «Un genou bien noyé, c’est un champ bien irrigué», ce proverbe Égyptien nous a été confié par Matthieu Vanpeene18 lors d’un entretien. Il évoque l’abondance avec laquelle les champs étaient arrosés pendant les périodes de crues. Cette utilisation excessive de l’eau du Nil pour l’agriculture s’est répercutée sur les modes de vie actuels des Égyptiens : les pelouses dans le désert sont arrosées chaque jour, les Cairotes lavent leur voiture quotidiennement contre la poussière. 18 Matthieu Vanpeene est architecte et doctorant de l’IFAO (institut français d’archéologie oriental). Nous l’avons rencontré lors de notre voyage en Égypte.
30
1.b. La gestion des eaux du Nil
Fig. 12 : Un système d’acheminement des eaux vétustes est aujourd’hui obsolète.
Cette confiance que les Égyptiens placent dans les ressources du Nil quant à leurs besoins en eau est le résultat de siècle d’Histoire d’abondance et d’une mentalité qui doit aujourd’hui entrer en cohérence avec les problématiques environnementales actuelles. Tout comme l’orientation urbaine poussée par le gouvernement du président actuel, Al-Sissi dont les grandes lignes ont été brièvement expliqué par Marwa Khalifa19 lors d'un entretien: «Le Caire ne dispose pas de master plan urbain, c’est plus comme une vision à l'échelle du Delta». Vision qui mériterait, de manière certaine, d'être confronté avec des chiffres éloquents : en 2050, chaque habitant Égyptien vivra en dessous du seuil de pénurie d’eau absolue.20 Cette pénurie d’eau déjà présente en Égypte doit être observée dans son ensemble pour souligner une ingérence réelle : les systèmes d’irrigation sont aujourd’hui
1959
2000 m³/
2018
570 m³/
2050
370 m³/
Seuil de pénurie : 1000 m³/hab/an. Seuil de pénurie absolue : 500 m³/hab/an. Fig. 13 : Étude et prévision de la disponibilité en eau en m² par habitant en Égypte
très défectueux et pollués, ce modèle agricole indépendant des crues du Nil est très demandeur en eau, en engrais et en pesticides. Aussi, la qualité de l’eau utilisée est de plus en plus médiocre (salinisation et métaux lourds).21 Cette ingérence des réseaux d’eau se constate également au Caire, lors de rares périodes de pluie. Le réseau d’évacuation de celles-ci ne permet d’évacuer les pluies qu'en plusieurs jours : pendant ce temps, des portions de rue entière restent submergées.
19 Dr. Khalifa est professeure associée à la Faculté d’ingénierie du Caire dans le département d’architecture. Cet interview a été réalisé dans le cadre de nos recherches sur le développement urbain du Caire 20 BAYOUMI Hala, Atlas du Caire contemporain, publié par le CEDEJ, 2020
21 AYED Habib, De la pauvreté hydraulique en méditerranée : le cas de l’Egypte, Confluences Méditerranée, 2006
31
1868
Hosni Moubarak Gamal Abdel Nasser
1868 1960 2005 1994
1981-2011
Lestour berges du pour Nil, le jusqu’alors La du Caire privatisées par les propriétés gigantisme. Le bords Caire du haussmannien, riveraines, sont rendues aux Les Nil deviennent Cairotes par la création de l’influence française publics
corniches sur 40 kilomètres. La passion pour le gigantisme et la prouesse technique distingue également la période nassérienne. Elle s’incarne dans la Abdel Fattah tour du Caire, cylindre de béton ajouré, haut de 187 mètres. Elle al-Sissi est un repère dans la ville, sur l’île de Gezira.
Ville du 6 octobre : urbanisme La tour du Caire pour le 32 dans le désert. gigantisme. Parc al-Azhar, le poumon vert. Les bords du Nil deviennent publics
La loi 59 interdit Ville du 6toute octobre : urbanisme c dans o n s t le r u désert. ction sur les terres le poumon ver Parc al-Azhar, agricoles afin d’en protéger la productivité.
2050
Urbanisme militaire : la stratégie du Grand Caire 2050
Hosni Moubarak
2013-...
1981-2011 1954-1970 2005 1994 1960
2050
Gamal Abdel Nasser Khédive Ismâ’il Khédive Ismâ’îl
publics
Le Caire haussmannien, l’influence française
1958
1954-1970 1863-1879 1960 1868
2005 1994 1863-1879
1981-2011
Ville du 6 octobre : urbanisme dans le désert. Parc al-Azhar, le poumon vert.
2013-...
1863-1879
VILLE MODERNE DÉMESURE URBAINE
Khédive Ismâ’îl
1960
1868
Les bords du Nil deviennent publics
23 juillet 1952
1863-1879
Universelle, le Khedive Ismail est fortement influencé par les travaux entrepris à Paris sous la direction du baron Haussmann. Dès 1868, il entreprend au Caire des travaux de grande envergure. Cette atmosphère de la capitale française a laissé un quartier aujourd’hui Laentier tour duappelé Caire pour le «Le Caire Haussmannien». gigantisme.
Début 1952, le centre-ville du Caire brûle plusieurs heures durant, suite à un mouvement de colère antibritannique. Le roi Farouk abdique six mois plus tard, suite au coup d’État militaire du 23 juillet 1952, conduit par Gamal Abdel Khédive Ismâ’îl Le Caire haussmannien, Nasser. l’influence française L’explosion démographique entraîne un développement incontrôlé de l’habitat spontané qui commence à apparaître sur les terrains arables de l’agglomération. Le pays n’ayant aucun budget pour l’habitat populaire, notamment à cause des investissement de l’État dans Gamal Abdel la guerre contre l’Israël. 84% La tour du Caire pour le Gamal Abdel des habitations construites Nasser gigantisme. Nasser dans ces années là, sont des Les bords du Nil deviennent habitations informelles.
1954-1970
1868 sa visite en LeLors Cairede haussmannien, France pour l’Exposition l’influence française
1960
1954-1970
1. Le Caire, un territoire liquide
1863-1879
c. Un développement urbain incontrôlable
Urbanisme militaire : la straté du Grand Caire 2050
1863-1879
200
198 Hosni Moubarak
1868
Ville du 6 octobre : urbanisme dans le désert. Parc al-Azhar, le poumon vert.
Khédive Ismâ’îl
al-Sissi
1960 2005 1994
2050
1981-2011
du Grand Caire 2050 Ville du 6 octobre : urbanisme 33 dans le désert. Parc al-Azhar, le poumon vert.
La tour du gigantisme Les bords publics
Ville du 6 o dans le dé Parc al-Az
2050
2020
2011
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2005 1994
2050 1981-2011
la ville grâce à des moyens technologiques d’irrigation du désert. Le président fait actuellement construire une nouvelle capitale pour 45 milliards de dollars, alors que rappelons le, Urbanisme militaire : la stratégie un tiers de la population d'Egypte Abdel Fattahdu Grand Caire 2050 Urbanisme militaire : lalestratégie vit sous seuil de pauvreté.
2013-...
Hosni Moubarak
2013-...
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2005
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Abdel Fattah Abdel Fattah du 6 octobre : urbanisme Hosni Moubarak Ville du 6 octobre : urbanisme Al-Sissi al-Sissi dans le désert. La tour du Caire pour danslele désert. La politique militaire d’Al-Sissi Parc al-Azhar, le poumon vert. gigantisme. délaisse quartiers centraux Parc al-Azhar, le poumonles vert. Ville bords du 6 octobre, Les du Nil deviennent au profit de compounds et l’urbanisme dans publics d’étalement horizontale de
Ville Hosni Moubarak
le désert.
Fattah
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VILLES NOUVELLES 1981-2011
Moubarak
les événements du printemps arabe, tous ces projets ont été arrêté et ne redémarrent pas.
La tour du Caire pour le La tour du Caire pourMoubarak le Gamal Abdelgigantisme. Hosni gigantisme. Nasser Les bordsLeduCaire Nil deviennent haussmannien, Les bords du Nil deviennent publics l’influence française Parc Al-Azhar publics
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e Ismâ’îl
RÉVOLUTION ÉGYPTIENNE
Le Caire h l’influence 1.c. Un développement urbain incontrôlable
Une politique de villes nouvelles autosuffisantes dans le désert est lancée dans un rayon de 50 km du U r b: alanstratégie isme Caire. Le phénomène Urbanisme militaire Abdel Fattah : la de ségrégation du Grand Cairemilitaire 2050 al-Sissi stratégie du spatiale commence, De nombreux projets Grand Caire avec des villes et schémas urbains 2050 destinées aux classes Les habitants aisés du avaient été pensé aisées et d’autre, plus Caire souhaitent fuir pour résoudre ces populaires. Toutes ces le centre-ville vétuste, Gamal Abdel problèmes grâce à Le sont Caire haussmannien, nouvelles pollué et sur-densifié. Khédive villes Ismâ’îl Le Caire haussmannien, l’appuie de structure Nasser française un échec car l’influence aucune Ils partent en périphérie telle que l’Aga l’influenceexterne française solution de transport du Caire dans les Khan Trust for Culture, rapide n’a été étudié compounds. pour la préservation pour les relier à la des villes historiques. capitale. Cependant, avec
Urbanisme du Grand C
Seuil de pénurie : 1000 m³/hab/an. Seuil de pénurie absolue : 500 m³/hab/an. 10 de ramadan
El Obour
1. Le Caire, un territoire liquide
Badr
NEW CAIRO
6 octobre
Dreamland
15 Mai Agglomération existante Nouvelles villes
01
5
10 km
Fig. 14 : Plan du Caire et des villes nouvelles. Source : FLORIN Bénédicte, Vivre en parallèle ou à l’écart ? L’évolution des villes nouvelles du Grand Caire, dans Les Annales de la Recherche Urbaine, n°98, page 97 à 105, 2005.
1.
L’urbanisme planifié : l’expansion horizontale vers le désert
Moins de 5% d’Égyptiens résident dans les villes nouvelles 35 villes nouvelles en 2019 3 à 30% taux d’occupation moyen des villes nouvelles. 22
Les nouvelles villes à l’urbanisme militaire : La majeure partie des gens ont tendance à imaginer les pyramides de Gizeh comme un idéal, au milieu du désert, loin du tumulte de la ville. Cela a été le cas pendant quelques millénaires. Cependant, la vague urbaine a englobé les pyramides qui se retrouvent en banlieue du Caire, elles font aujourd’hui partie de l’urbanisation caractéristique du Grand Caire. Dès le début, la construction de ces villes s’accompagne de nombreuses critiques. On leur reproche leur manque d’humanité, de services et leur éloignement du centre. En 1977, avec l’aide d’urbanistes de L’IAURIF (Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Île-de-France) les aménageurs font basculer l’étalement urbain de l’Est (ville du 6 octobre) vers l’Ouest (New Cairo). La ville s’est étalée 22
SIMS David, Understanding Cairo : the logic of a city out of control, publié par l’université américaine du Caire, 2012.
34
Gizeh
Falaise de Moqqatam
New Cairo
6 octobre
Centre urbain Villes nouvelles dans le désert Villes informelles
0 1
5
10 km
Fig. 15 : Plan du Caire et de son étalement horizontal d’est en ouest. Source : Cluster Agency.
Fig. 16 : Google street view dans la ville du 6 octobre.
Fig. 17 : Vue satellite d’un des quartiers de la ville du 6 octobre.
d’abord par l’ouest, partiellement bloquée à l’est par la falaise du Mokattam. En 1991, les cinq villes nouvelles les plus avancées : Dix de Ramadan, al Badr, al Obour, Six Octobre et Quinze de Mai, n’abritent que 70 000 habitants soit 13% des 520 000 habitants prévus pour la première phase de lancement, en 1989. Les emplois promis par l’État y sont rares. Pourtant l’objectif premier était de désengorger un centre-ville bondé. Les services promis par les autorités n’ont jamais vu le jour : il n’y a aucune zone commerciale dans ces villes, pas de jardins ni d’espaces verts collectifs, aucun plan de transport en commun n’existe pour se rendre au centre-ville. Des réseaux informels de transport comme les minibus permettent à ceux qui n’ont pas de voiture de se déplacer. Il faut également comprendre que dans ces périphéries, ce sont les principes de la charte d’Athènes et non ceux de la charte d’Aalborg qui ont inspiré et continuent de guider la conception des villes nouvelles : elles sont
Fig. 18 : Restaurants syriens dans la ville du 6 octobre.24
marquées d’un fonctionnalisme rigoureux.23 De ce fait, aucun commerce ne peut ouvrir au rez-de-chaussée d’un immeuble de logements, car pour chaque quartier, sa fonction. Néanmoins, depuis la guerre en Syrie en 2011, la ville du 6 Octobre, à environ 45 minutes du Caire, toujours inoccupée par les habitants Égyptiens, est peuplée en majorité de Syriens de la classe moyenne fuyant leur pays d’origine mais n’ayant pas les ressources suffisantes pour aller en Europe ou en Amérique. La ville est alors surnommée « Petite Syrie » dans laquelle se développent des restaurants, vendeurs de café, magasins de vêtements, et commerces alimentaires spécialisés.24 Enfin, l’opinion publique est réticente à l’idée de construction habitable dans les déserts, associés dans l’imaginaire collectif à l’espace du vide : les déserts accueillent traditionnellement 23 EL KADI Galila, La régénération du centre-ville du Caire : le pari de la durabilité, paru dans Égypte/Monde arabe, 2012. 24 BAYOUMI Hala, Atlas du Caire contemporain, publié par le CEDEJ, 2020.
35
1.c. Un développement urbain incontrôlable
Le Caire
Grand Caire
Périphérie Est
Périphérie Ouest
Total Villes nouvelles
Superficie en km2 en 2009
Population en 1996
Population en 2005
Taux de croissance par an en %
Nombre de logements
% de logements vacants en 2006
723
172 000
414 000
6,60%
234 000
62,78%
1674 451
1174
13 231 000 47 000
219 000
16 200 000 548 000
1,70%
14,80%
1 752 000
10,70%
7 300 000 175 120 409 180
30,20% 65,70% 62,80%
1. Le Caire, un territoire liquide
Fig. 19 : Tableau du pourcentage de logement vacants en 2006 dans le Grand Caire. Source : CAPMAS, GOPP.
les cimetières.25 Les villes nouvelles dessinent aujourd’hui la limite du Grand Caire. Alors que le logement est un problème central, les dizaines de milliers de logements vacants font figure de paradoxe. Les villes du désert sont abandonnées et ne permettent pas d'endiguer la crise du logement.26
Au-delà des 600 000 logements promis par les promoteurs privés, de nombreuses infrastructures sont déplacées dans les villes nouvelles pour entretenir la relation avec certains pays. C’est le cas de la célèbre université Américaine du Caire, qui s’est installée depuis les événements du printemps arabe en 2011 dans la nouvelle capitale pour échapper au bruit, à l’hyper densité, et aux affrontements autour de la place Tahrir où elle était située.
L’eldorado des riches, Le Nouveau Caire, un futur Dubaï du Nil : La coalition arabe et internationale, a permis à l’état Égyptien de se désengager partiellement de son rôle de bâtisseur dans le développement urbain de sa capitale. Il reste l’instigateur de la construction d’infrastructures publiques (route, canalisations d’eau, égouts, électricité) afin de viabiliser peu à peu les villes nouvelles érigées par des promoteurs privés. Ceci a profité aux hommes d’affaires des pétromonarchies qui gravitent autour de la sphère du pouvoir. Les terrains désertiques appartiennent à 95% à l’Etat. À partir des années 1990, l’Etat met en vente de très grandes surfaces à des prix dérisoires. Ce sont au total 100 km2 de désert (la superficie de la ville de Paris) qui ont été vendu par l’État.27 On peut presque parler d’un “pacte” signé entre l’Etat et le secteur privé de la construction et de l’immobilier.28 Ces nouveaux aménagements et constructions immobilières ciblent une couche socio-professionnelle aisée, dans des lotissements sécurisés, les compounds.
«
Le futur du Caire, c’est donc le désert ? Oui, sans hésitation, car il faut continuer de protéger les terres agricoles. Les nouvelles communautés doivent être construites dans le désert du grand Caire pour accueillir les nouvelles populations. 29
»
Compounds* = Zones d’habitat résidentiel privées à destination des classes sociales aisées. En trente ans, on assiste à une “élitisation” des périphéries. La capitale a doublé sa superficie depuis les premières opérations de logement. En plein désert, ont jailli une centaine de gated communities.30 Cette forme urbaine n’a apparemment pas été directement importée des États-Unis en Égypte mais semble être passée par une étape intermédiaire : les monarchies arabes du Golfe. Les spécificités de ces quartiers aux États-Unis sont la surveillance, la fermeture et la protection qu’ils assurent visà-vis de l’extérieur. En Égypte, les compounds n’ont pas les mêmes caractéristiques. On ne se
25 BOUHALI Anne, Les compounds ou la fabrique d’un nouveau mode d’habiter. Des communautés fermées à la ville privatisée ?, Publié dans Géographie, 2008. 26 BAYOUMI Hala, Atlas du Caire contemporain, publié par le CEDEJ, 2020. 27 VOLAIT Mercedes, PIATON Claudine, HUEBER Juliette, Le Caire portrait de ville, 2011. 28 BOUHALI Anne, Les compounds ou la fabrique d’un nouveau mode d’habiter. Des communautés fermées à la ville privatisée ?, publié dans Géographie, 2008.
29 BARTHEL Pierre-Arnaud, Le Caire : réinventer la ville, 2011, page 38, propos de Hoda Edward Mikhail, exdirectrice adjointe de GOPP. 30 BARTHEL Pierre-Arnaud, Le Caire : réinventer la ville, 2011, page 18.
36
Fig. 21 : Photographie du mur du compound Kattameya Heights surplombant les immeubles de la promotion publique à New Cairo.34
Fig. 22 : Vue satellite du compounds de Madinaty à l’ouest du Caire.
protège pas des autres, mais on met en scène sa réussite sociale et économique. Ces gated communities comprennent des maisons individuelles, des immeubles, accompagnés d’équipements privés ou privatisés pour un usage collectif (rues, espaces verts, équipements de loisirs tels que piscine, golf ou tennis, etc.). Ces formes urbaines sont facilement repérables sur les images satellites grâce à leur urbanisme très singulier, et surtout au fait qu’elles sont délimitées par un périmètre. L’Etat, en laissant une grande place aux initiatives des promoteurs immobiliers privés dans le développement des déserts, a donné naissance à une forme urbaine inédite conçue pour les plus riches.31
leurs usages. À Al Rehab32, l’un des luxueux compounds situés à l’Est du Caire, on “arrose le désert”33 pour créer des jardins et alimenter des étangs et fontaines. Les trajets quotidiens et les modes de vie Égyptiens entraînent une pollution très importante à l’échelle de la ville.34
Cependant, les logements destinés au populations plus aisés sont inaccessibles aux ménages les plus modestes. Une nouvelle ceinture de logements informels risque de se construire autour pour les gens qui travaillent au sein des compounds. Le modèle fondé sur le principe d’une sectorisation des fonctions et des groupes sociaux ne semble pas viable.
La protection de l’environnement n’est pas au centre des préoccupations des aménageurs Égyptiens.
«
Certaines villes nouvelles, où presque personne ne vit, sont illuminées la nuit. Et à l’Ouest de la ville du 6 Octobre, il y a un immense marécage, visible sur Google Maps : c’est là qu’ont atterri les eaux usées de la ville depuis 30 ans…35
»
32 https://www.youtube.com/watch?v=laOwAQbI4vE Présentation publicitaire d’Al Rehab City. 33 HUBINET Nina, En Égypte, les villes du désert désertées, publié dans https://www.1538mediterranee. com/, 2018. 34 FLORIN Bénédicte, Les quartiers fermés du Grand Caire. Dimensions urbanistiques et idéologiques d’une forme de ville : nouvelle urbanité ou césure urbaine ? Publié par l’Université de Reims Champagne-Ardenne, 2012. 35 SIMS David, Understanding Cairo : the logic of a city out of control, publié par l’université américaine du Caire, 2012.
Ces nouvelles villes, construites sur un désert, ont recours à des dispositifs technologiques très énergivores pour s’abstraire de l’hostilité du climat (climatisation et irrigation à outrance). Les architectures qui en découlent n’ont pas de sens par leur emplacement, leurs matériaux, 31 BOUHALI Anne, Les compounds ou la fabrique d’un nouveau mode d’habiter. Des communautés fermées à la ville privatisée ?, Publié dans Géographie, 2008.
37
1.c. Un développement urbain incontrôlable
Fig. 20 : Complexe de logements à Dreamland. Source : Brochure publicitaire du Bahgat Group.
2. L’urbanisme spontané : un sol fertile en danger
bidonville.40 En effet, les immeubles inachevés en briques rouges et structure béton atteignent en moyenne 10 à 12 étages et sont habités par des familles pauvres, mais également des classes moyennes. On retrouve cette urbanisation illégale sur les marges agricoles et désertiques de l’agglomération, ce qui met en danger les ressources agricoles de l’Etat. Les quartiers centraux du Caire se sont également densifiés avec des constructions érigées dans les cours ou les interstices jusqu’alors inoccupés41
62% de la construction au Caire 1. Le Caire, un territoire liquide
aujourd’hui est informelle.36
500 hectares
sont perdus chaque année du fait de la progression de l’urbanisation au Caire.
11 736 ha/an
de perte moyenne annuelle de terre agricole en Égypte.37 Le défi premier des villes nouvelles était d’absorber une croissance démographique effrénée au Caire. Les promoteurs et les autorités ont diffusé des images de ville où il fait bon vivre, à l’opposé du centre du Caire. L’une des justifications pour la construction des villes nouvelles est également de contrer la progression des quartiers informels.38
Au début de notre voyage au Caire, nous logions dans le centre-ville du Caire, puis nous sommes partis à la découverte de Gizeh. La route pour rejoindre les deux villes est de quatorze kilomètres. Il faisait nuit, et tout le long de l’autoroute nous pouvions apercevoir ces masses de plusieurs étages en briques rouges, sans fenêtres, sans finition, sans lumière. Nous avons pu trouver des réponses à nos questionnements grâce à notre échange avec Matthieu Vanpeene :
L’expansion urbaine depuis les années 60 a empiété sur les propriétés agricoles à raison de 500 hectares par an : C’est le phénomène des ashwa’iyat. Les agriculteurs et les propriétaires fonciers subdivisent leur propriété en collaborant avec des courtiers locaux, qui permettent de contourner les règlements. Pourtant la loi 59 en 1966 interdit toute construction sur les terres agricoles afin d’en protéger la productivité. Le changement d’usage d’une terre agricole en habitat génère un profit de 200%, incitant les agriculteurs aux revenus modestes à vendre leurs parcelles.39 Aujourd’hui, les quartiers informels sont devenus le paysage dominant du Caire. Ils ne doivent pas être compris comme un
Les immeubles d’habitation entre Gizeh et le Caire sont très denses et tous construits en structure béton et remplissage brique. Pourquoi sont-ils tous vides ? “C’est un exemple de spéculation : les sociétés de BTP sans autorisation, ni permis de construire, se font payer en liquide et construisent pour des investisseurs privés qui attendent qu’un jour ce terrain gagne en valeur. Les gens n’ont pas confiance en les banques, c’est un investissement, un pari, sur l’étalement urbain. Pour le moment le terrain ne vaut rien et les bâtiments sont laissés bruts, il n’y a aucune finition, ce qui fait que la construction est très peu cher. Ceci est inenvisageable en France. Leurs notions de la rentabilité sont difficiles à saisir pour des Européens.” La spéculation autour de l’accès au logement a en effet pour conséquence l’entretien
36 VOLAIT Mercedes, PIATON Claudine, HUEBER Juliette, Le Caire portrait de ville, 2011. 37 BAYOUMI Hala, Atlas du Caire contemporain, publié par le CEDEJ, 2020. 38 BARTHEL Pierre-Arnaud, Le Caire : réinventer la ville, 2011, page 55. 39 BAYOUMI Hala, Atlas du Caire contemporain, publié par le CEDEJ, 2020.
40 BARTHEL Pierre-Arnaud, Le Caire : réinventer la ville, 2011, page 62, propos de Marion Fischer et Khaled M. Abdelhalim, responsables du programme de développement participatif des espaces urbaines. 41 BOUHALI Anne, Les compounds ou la fabrique d’un nouveau mode d’habiter. Des communautés fermées à la ville privatisée ?, publié dans Géographie, 2008.
38
1940 1940
1980 1980
2020 2020
Vallée agricole
Quartiers informels
0 1
Fig. 24 : Plan du Caire, de ses quartiers informels qui se construisent dans la vallée agricole. 39
5
10 km
1.c. Un développement urbain incontrôlable
Fig. 23 : L’évolution du plan cadastral d’Ard el-Lewa. Source : MAS Urban Design ETHZ. Découpées selon des parcelles de 100 à 300 mètres de long sur 6 à 17 mètres de large, chacune des parcelles agricoles est entourée de canaux d’irrigation. Avec cette urbanisation dite “informelle”, ces canaux sont transformés en ruelles ou rues de quartiers, dessinant une trame viaire régulière.
Compounds
1. Le Caire, un territoire liquide
Centre ville
Vallée agricole Ashwa’iyat
Fig. 25 : Photographie des franges agricoles et des ashwa’iyat. Source : ANGÉLIL Marc, Housing Cairo, publié par Berlin Ruby Press, 2016.
Fig. 26 : Schéma du nouveau paradigme urbain du Caire.
d’une situation de pénurie : la demande des Cairotes en situation de précarité se fait de plus en plus forte, les prix des logements augmentent, ce qui rend l’accès au logement pour les ménages les plus pauvres impossible. Le gouvernement ne construit que très peu de logements à caractère social. Les quartiers informels sont occupés par au moins 8 millions de personnes. Ils sont reconnus pour leur caractère fonctionnel : compacité de la trame urbaine, plurifonctionnalités, forte part de mobilité piétonne pour les déplacements entre le domicile et le travail, système secondaire de transport (tuk tuk, minibus).42 En créant un ministère du développement urbain et des quartiers informels en 2014, le gouvernement laisse penser qu’il place la réhabilitation des quartiers précaires dans ses priorités.43
Pour autant, les habitants vivent dans des ensembles dégradés, sans accès aux services de base. La subdivision des quartiers selon les classes sociales amène à une ségrégation spatiale et à une mixité sociale inexistante. Pour caricaturer, les riches sont dans les nouvelles villes, la classe moyenne en centre-ville, et les pauvres se retrouvent dans les ashwa’iyat (sur les marges agricoles et dans les quartiers historiques). L’État Égyptien met en place une sectorisation des fonctions et des groupes sociaux. Le plus grand défi du Caire sera de réduire les fortes inégalités urbaines.44 Entre urbanisme planifié et spontané, existe-t-il un équilibre possible ?
d. Le centre historique en péril
1. L’histoire et les frontières
Nous nous focalisons sur la partie la plus ancienne de la ville du Caire nommé « islamique » ou, ville historique. Il semble nécessaire de faire un rapide rappel sur l’évolution de ce morceau de la ville. Caractérisée par différentes phases, sous différentes occupations, le Caire historique a été marqué par deux grandes périodes : La conquête de l’Égypte par les armées arabes en 639 et en 1798 42 BARTHEL Pierre-Arnaud, Le Caire : réinventer la ville, 2011, page 23. 43 STADNICKI Roman et BEN OTHMANE Insaf, Le Caire, Ville rebelle ? Recomposition de l’action urbaine après l’épisode révolutionnaire. 2015.
44 Agence spatiale européenne, Mégalopoles : une contribution de l’Agence spatiale européenne pour mieux comprendre le défi posé par mégalopoles à l’échelle planétaire, Publié par Artemis, 2005.
40
BÛLAQ
MAQS
Vers HÉLIOPOLIS ANTIQUE
AL-QÂHIRA
Cité des morts
641
Rivage du Nil du temps de la conquête Création d’Al-Qahira Début du règne Fatimide Mise en place des premières remparts
1173
Unification de Fustât et Al-Qahira Début du règne de Saladin Mise en place des secondes remparts
AL-QATÂI NIL
AL-’ASKAR RAWDA
GÎZA
Colline MUQATTAM
Rivage du Nil du temps de SALADIN
Cité des morts
FÛSTAT
Édification de la Citadelle
Vers les pyramides (8km) Vers MEMPHIS (20km)
1250
Époque Mamelouke
15171798
Époque Ottomane
0 500 1 km
Fig. 27 : Carte et frise chronologique, le développement du centre historique du Caire entre 641 et 1798
et l’expédition de Napoléon Bonaparte qui dirigera l’Égypte vers un mouvement de modernité et donc de distanciation vis-à-vis de son héritage patrimonial et urbain. Au cours de la longue période des conquêtes arabes, se distingue différentes périodes marquées par de grands mouvements architecturaux et urbains. En 641, la fondation de Fustât, initie l’urbanisation de la rive est du Nil mais, dans un souci géographique et d’expansion, c’est en 969 qu’est initié le développement d’Al-Qahira par les Fatimides. Ce nouveau quartier abrite aujourd’hui le célèbre souk du Khan el Khalili, un centre touristique du Caire, marqué par ses attaches culturelles mais aussi un patrimoine monumental réhabilité et ouvert. L’organisation de la ville à l’époque Fatimide reste peu documentée, mais les édifices représentatifs de cette période sont encore nombreux, tels que les murailles.45 L’expansion urbaine Fatimide se dirigera ensuite au nord et au sud de l’enceinte, la partie Est ayant été définie comme lieu de décharge par le calife Hakim pour protéger la ville des eaux venant de la falaise du Mokattam. Cette colline de déchets reste une frontière de nombreuses années, ce n’est qu’au 21e siècle qu’elle deviendra l’emblématique parc Al-Azhar. L’unification de Fustât et Al-qahira se fera ensuite sous le règne de Saladin entre 1173 et 1193 qui s’imposera face aux Fatimides. Saladin fera édifier de nouvelles murailles qui regrouperont les différents tissus urbains déjà présents. Il fera aussi construire la citadelle, siège du pouvoir, présente sur la colline du Mokattam en surplomb de la ville. L’étalement urbain continue au sein de cette nouvelle enceinte et est le théâtre de nouvelles édifications marquantes sous le gouvernorat de Saladin mais aussi lors de l’occupation Mamelouk dès 1250. Entre 1517 et 1798, la période ottomane est marquée par une surdensification du périmètre occupé par les Mamelouks. 45 VOLAIT Mercedes, PIATON Claudine, HUEBER Juliette, Le Caire portrait de ville, 2011. p11-25
41
1.d. Le centre historique en péril
969
GAZÎRA
Citadelle
Création de Fustât
1. Le Caire, un territoire liquide
Ce développement urbain étalé sur plus de 1000 ans, offre aujourd’hui, un quartier historique marqué par un patrimoine certain, à la fois monumental et quotidien. Ce palimpseste complexe a fait s’effacer des marques du passé mais il permet tout de même aujourd’hui, de faire de cet endroit un musée urbain extrêmement riche architecturalement. Le dernier inventaire des monuments classés fait par Nicholas Warner en 200546, indique qu’il subsiste plus de 540 bâtiments historiques, traces de ses différentes périodes. La majorité du bâti toujours existant date de la fin du 19e, le quartier représente encore aujourd’hui le Caire traditionnel de par les coutumes, et l’ambiance. En effet, la morphologie de cette partie de ville est singulière, présentant une forme très organique constituée de ramifications complexes jouant entre plein et vide où la masse bâtie domine47. Les rues à échelle humaine semblent propices à l’intimité et sont encore aujourd’hui caractéristiques des concepts des villes arabo-islamiques.
2. Lois sociales et risques naturels
Le Caire historique est marqué par un grand nombre d’espaces en ruine avec de nombreux bâtiments anciens et contemporains en décrépitude. La carte de densité des édifices en ruine (en figure 28), montre que la concentration de ces ruines, est, de façon flagrante focalisée sur le Caire historique. Tous les types de ruines sont présents, allant de l’éboulement total, à la destruction partielle d’habitations communes et de monuments historiques. L’état général des bâtiments de ce centre historique est donc très mauvais même si les constructions présentant un réel risque d’effondrement ne sont pas majoritaires. Il existe différentes raisons à cette dégradation.
0
5
46 WARNER Nicholas, The monuments of historic Cairo. A map and descriptive catalogue, The american University in Cairo Press, ARCE conservation, 1, 2005, p57 47 GAMAL SAID Noha, Vers une écologie sensible des rues du Caire : le palimpseste des ambiances d’une ville en transition, Thèse dirigée par Jean-Paul THIBAUD, Grenoble, 2014, page 89, “construire, analyser, représenter la mémoire sensible des lieux”
10 km
Fig. 28 : Redessin d’une carte des bâtiments en ruine dans l’agglomération du Caire en 1986. Source : OUCC, 1996 42
1.d. Le centre historique en pĂŠril
Fig. 29 : Photographie des abords de la mosquĂŠe Ibn Touloun 43
1. Le Caire, un territoire liquide
Fig. 30 : Photographies du quartier Darb Al-Ahmar
Les lois sociales sur le logement, ont amené une désertion des propriétaires et des investissements qui permettaient d’améliorer l’ensemble et de l’entretenir. D’autre part, certaines conditions climatiques liées au vieillissement des bâtiments, à l’infiltration des eaux ou encore au tremblement de terre ayant frappé le Caire en 1992 participent à l’état actuel du bâti. Ces dégradations physiques contribuent largement à l’image que renvoient ces espaces. Nous avons pu observer l’habitude des résidents à jeter leurs ordures à même la rue n’ayant pas de lieux de proximité dédiés à cela. Cette pratique répandue est donc le reflet d’un manque de conscience sur le patrimoine à préserver mais aussi de moyens.
message islamique en Égypte par la mise en valeur des institutions religieuses mais aussi de lutter contre la pauvreté en proposant des loyers adaptés. Cependant, en réalité, même si les loyers revenaient toujours aux Waqfs et pour leur propre entretien, le ministère ne s’occupera pas des édifices et laissera cette tâche aux locataires qui deviendront par usage, les véritables propriétaires des lieux. Aujourd’hui encore, les loyers demandés par le ministère sont bloqués depuis les années 50 et se retrouvent en décalage avec les valeurs foncières et d’entretien actuelles. Le contrat entre les Waqfs et les locataires n’est matérialisé que par un simple bout de papier. Si un locataire désire céder son bien, il ne pourra pas vendre l’édifice, qui, de par ce statut particulier de propriété, est et restera au ministère.
Une des caractéristiques foncières du Caire est celle de la persistance des Waqfs, pratique consistant à mobiliser des biens en les affectants à une dimension religieuse. Par cette mesure, le bien devient inaliénable et ne peut n’être ni vendu, ni racheté. Cette pratique est instaurée au 10e siècle et permettra aux Waqfs publics mais aussi privés de se transmettre de génération en génération. Cet héritage religieux était alors entretenu par ses propriétaires grâce au loyer des usagers. En 1952 après la révolution Égyptienne, le système de Waqfs est aboli et tous les biens sont rattachés au ministère des Waqfs. Ce ministère continuera de louer ces biens (appartements, pièces, boutiques) à des particuliers. L’ambition du ministère des Waqfs est alors celle de promouvoir le
La réforme entreprise sous la présidence de Nasser après 1952 modifie le statut des Waqfs et engendre d’autres problématiques sur la gestion du foncier liées par exemple au détournement d’argent, la vente d’édifices, la liberté des constructions ajoutées.48 Une loi de contrôle des loyers est instaurée au Caire en 1944 sous Nasser. Cette loi sociale vise à 48 SALIN Élodie, Les centres historiques du Caire et de Mexico : représentations de l’espace, mutations urbaines et protection du patrimoine, Sciences de l’Homme et Société. Université de Nanterre - Paris X, 2002. Français. p 81,129,133.
44
plafonner les loyers qui subissent une inflation suite à la fin la guerre du désert de 1940 à 1943. Cependant, cette mesure sera remise en question à plusieurs reprises. Ces lois de blocage des loyers n’ont pas engendré de remise aux normes des bâtiments délaissés et auront des conséquences sur le marché foncier du centre historique. Au Caire, cette loi entraîne différentes pratiques de détournement. En compensation des revenus insuffisants des édifices, on observe par exemple, une hausse certaine des charges et de taxes pour des nouveaux locataires par les propriétaires. Une dynamique politique semble alors inenvisageable dans l’idée d’un système autonome de préservation. D’autre part, un grand nombre de propriétaires, choisissent de ne plus entretenir les édifices, n’en ayant plus les moyens. L’objectif de cette pratique est de déloger des locataires pour en récupérer le terrain dont la valeur foncière augmente. Les conséquences des blocages des loyers au Caire apparaissent donc négatives pour les populations les plus précaires. Au-delà de l’aide aux plus pauvres, cette loi a aussi permis aux plus aisés de se conforter dans des habitations luxueuses pour de modiques sommes. La loi de blocage des loyers s’est aussi accompagnée d’un droit d’usufruit qui propose aux familles de conserver un logement loué pour leur descendance. Cette mesure induit donc un transfert sur des générations de logements pour des sommes dérisoires. Cette seconde mesure a pour conséquence, aujourd’hui un grand nombre de logements vacants réservés pour les descendances de certaines familles.
Ces lois sociales ont donc eu une importance considérable sur le paysage du Caire historique tant par la dégradation des constructions que par l’émergence de nombreux immeubles issus de dérogations. Un paysage marqué par l’histoire contemporaine du Caire et reflet des inégalités sociales amenant une image négative. il est nécessaire de nuancer ce constat en le conjuguant avec d’autres facteurs. Le 14 octobre 1992, un séisme de magnitude 5,9 frappe le Caire, il causera la mort d’environ 550 personnes et provoquera de nombreux dégâts matériels. Des dizaines de milliers de personnes se retrouvent sans-abri et l’État se retrouve contraint de reloger ces personnes dans des HLM édifiés sur les zones agricoles, c’est donc sur ces nouvelles terres que la ville continuera de progresser. Le séisme de 1992 a accentué le désordre de la ville ancienne où se côtoient monuments, activités et habitants. La surdensité des activités et du nombre d’habitants s’est alors développé vers les nouvelles villes qui, elles, présentent des logements vacants. Ce déplacement des populations apparaît alors comme une solution rationnelle. Cette catastrophe naturelle a aussi lancé des discussions sur la volonté de préservation du patrimoine en danger. Un séminaire organisé par l’ARCE (American research center in Egypt), montre que la secousse n’a que peu aggravé la situation précaire du centre historique même s’il contribue largement à son visage actuel et sa fragilité. Cette catastrophe naturelle a aussi permis aux politiques de se dédouaner de l’état du centre historique et le constat des dégradations semble avoir été gonflé par les autorités tandis que certains édifices étaient
La mobilité locative semble fermée au Caire. En effet, le nombre de logements vacants est important, tandis qu’on observe une surpopulation dans les logements à faibles loyers pour les plus précaires ne pouvant pas prétendre à de nouveaux logements dont les loyers sont aujourd’hui trop élevés. Ces mesures de blocages des loyers ont été abolies de façons partielles au Caire en 1990, pour permettre une libération du marché. On retrouve de nombreux petits édifices de trois ou quatre étages, construits auparavant. Ces immeubles sont le fruit de nombreuses dérogations prévues par l’ancienne loi et 45
1.d. Le centre historique en péril
aujourd’hui, profitent d’une situation nouvelle pour proposer des loyers nettement supérieurs au marché actuel. Cependant, ces constructions permettent d’injecter de la monnaie dans l’économie de la ville, ce qui serait une des raisons du laxisme et de l’absence de sanction des autorités vis-à-vis de ces propriétaires abusifs.
1. Le Caire, un territoire liquide
dans un état similaire avant l’événement.49 À la suite de cet événement historique, le patrimoine tend à retrouver sa richesse potentielle. Sa valorisation et son exploitation apparaissent comme nouveau facteur de rentabilité. 3. Vers un devenir positif, conscient et adapté Le Caire historique, est aujourd’hui un lieu, ponctuellement rénové, réhabilité par des institutions privées étrangères et locales. Certaines institutions publiques interviennent dans l’idée de dynamiser le tourisme pour redonner à ce quartier sa place historique avec ses spécificités et ses attractivités liées entre autres aux commerces (souk). Classer un site ou un quartier est avant tout une « opération de prestige », visant à faire reconnaître une certaine importance historique ou culturelle d’un lieu de manière administrative. Cependant, ce processus a des conséquences économiques importantes pour des raisons touristiques au Caire. En 1979, l’UNESCO souligne la qualité du centre historique de la ville mais n'investie pas de fond de restauration. Le label « patrimoine mondial de l’Humanité » offre au centre historique une nouvelle image de référence. Dès 1979, l’UNESCO met alors en avant six zones de la ville autour de monuments majeurs de la culture Égyptienne. On retrouve quatre de ces six zones à l’intérieure des anciennes remparts fatimides énoncées précédemment. Cependant, le gouvernement Cairote n’a que peu pris en considération les recommandations de l’UNESCO. Le service des antiquités Égyptienne a alors privilégié la rénovation de monuments isolés sans se pencher sur les questions de rénovations de l’environnement urbain.
Fig. 31 : Photographie de l’intérieur de la mosquée Ibn Touloun
L’investissement se tournera alors majoritairement vers des monuments comme les pyramides de Gizeh et les musées prestigieux. Hors du souk animé du Khan elKhalili, la situation du Caire historique n’est pas propice au développement touristique, ni 49 MADOEUF Anna, La ville ancienne du Caire, espace de tous les patrimoines . Égypte/Monde Arabe, CEDEJ, Mutations, sous la dir. d’A. Roussillon, pp.59-79,page 3. 1996.
Fig. 32 : Photographie d’une école du quartier Darb Al-Ahmar 46
388 Carte 3-4 : Zones touristiques dans la vieille ville du Caire (sources Lonely Planet, Guide du Routard)
à la mise en valeur à l’échelle internationale de son patrimoine. Les touristes attirés par le souk ne sont pas conseillés à s’aventurer dans les rues sinueuses environnantes pour découvrir un quotidien Cairote traditionnel ainsi qu'un immense héritage bâti.
Bab el-Fûtûh
Vers le musée égyptien
! al-Hakim Jardin de l'Azbakiyya
Bab el-Nasr
!
Gamaliyy a
! Place Attaba
Isma'iliyya
Mus ki
! !
Khan el Khalili
!al-Husain
!
al-Azhar
al-Ghûry
!
Musée d'Art Islamique
(
Bâtniyya Bab Zuwayla
rue de Po rt S aîd
Darrassa
!
! Sa le m
Khiyaniyya
!
Necropole de Qâtbay
Sa la h
Palais Abdîn
Vers les nécropoles
!
Darb al-Ahmar
'Ali
!
! ! ! !
Sayyeda Zaynab
Sultan Hassan
!
La citadelle
Jardin des Enfants
!
(
Vers le quartier copte (Vieux Caire)
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Ibn Tûlûn
Musée Gayer! ( Anderson Anderson
0 Légende :
500 m Zones touristiques proposées dans les guides Patrimoine Jardins
(
Musées
!
Mosquées importantes
vers des zones touristiques non indiquées sur la carte
Fig. 33 : Carte des zones touristiques de la vieille ville du Caire, source Lonely Planet, Guide du routard, Elodie Salin.
Égyptiens interviennent de plus en plus dans les processus de restauration des édifices. Les ouvriers et les techniciens sont embauchés sur place et composés majoritairement d’Égyptiens. Toutes les entreprises sont sous la tutelle du HCA (Haut Conseil des Antiquités du Caire), qui institue un véritable partenariat avec les missions étrangères51. Le HCA est également censé contrôler les travaux. Les missions étrangères ont permis de restaurer un petit nombre de monuments classés depuis plusieurs décennies. Cette mainmise étrangère sur la gestion du patrimoine Égyptien s’est initiée au 19e siècle au moment de la parution des concessions archéologiques réservées. Les interventionnistes occidentaux, se sont chargés des études et de la conservation du patrimoine Égyptien. Cette tradition approuvée par
50 MADOEUF Anna, La ville ancienne du Caire, espace de tous les patrimoines . Égypte/Monde Arabe, CEDEJ, Mutations, sous la dir. d’A. Roussillon, pp.59-79. 1996.
51 BACHARACH J. L., The restoration and conservation of Islamic Monuments in Egypt, 1995, American University in Cairo Press, Le Caire, 194 p. 445
47
1.d. Le centre historique en péril
rue al-A zha r
rue a all-M -Mue uezz
Qalaun
ad amm Muh rue
Le passé de ce centre semble aujourd’hui être l’unique argument politique pour extirper le Caire historique de la dégradation qu’il subit depuis des siècles, tant la ville est tournée vers la quête de modernité et s’échappe en périphérie. Cependant, il est nécessaire de ne pas s’enfermer dans un idéalisme qui mettrait au centre le patrimoine comme solution à tous ses maux. Anna Madoeuf dans sa thèse “La ville ancienne du Caire, espace de tous les patrimoines” dit que : «l’attachement à un patrimoine d’un autre ordre se crée, s’invente ; tel est le rôle du discours qui le sacralise, en empruntant à un large registre qui transcende le simple monument en stimulant la fibre identitaire, la fierté nationale, la glorification de l'histoire et du passé, cela dans un contexte social propice, en quête de consensus».50 Il est alors nécessaire de croiser l'ancien et l'acutel pour trouver de la pertinence dans une projection juste et adaptée du système urbain. En ce qui concerne les acteurs de la rénovation actuelle du centre historique, on compte largement plus d’institutions étrangères et privées que d’acteurs publics locaux. Le secteur privé Cairote n’attache que peu d’importance au Caire historique et les actions menées par ces organismes se tournent vers d’autres secteurs de la ville comme les rives du Nil ayant une valeur foncière plus attractive. Le processus de reconquête du centre historique n’en est qu’à son début et reste très théorique et partiel. On retrouve néanmoins un grand nombre de missions étrangères qui représente une majorité des actions de ce secteur. Le mode de fonctionnement de ces missions étrangères est simple. Les financements sont extérieurs (ambassades, centres de recherche, UNESCO…), les architectes et restaurateurs sont généralement étrangers, même si quelques restaurateurs
Necropole de Bab el-Nasr
1. Le Caire, un territoire liquide
les Égyptiens eux-mêmes a perduré et est aujourd’hui institutionnalisée.
morts et la ville historique du Caire. Ce projet permet aujourd’hui aux Cairotes de s’évader dans le poumon vert de la ville. Cependant, l’accès au parc est contrôlé et l’entrée payante ne permet pas à la majorité de la population d’en profiter. Le quartier voisin du Darb Al-Ahmar était pauvre mais comportait une grande quantité d’oeuvres d’art et d’architecture du monde islamique. L’Aga Khan cherche alors à utiliser le patrimoine comme stimulant d’un futur développement social et économique du quartier. Le parc Al-Azhar représente la première pierre d’un projet à grande échelle de réhabilitations environnementales et de restaurations culturelles. Ce projet de grande envergure lancé en 2005 est aujourd’hui bien amorcé et notre visite de ce site nous a permis de constater de nombreuses rénovations de monuments historiques terminées mais aussi en cours.
Certaines actions en dehors de la rénovation du patrimoine semblent émerger. Le travail de l’Aga Khan sur le quartier Darb al Ahmar est un exemple de prise en considération du système urbain global du centre historique du Caire. La fondation Aga Khan dirigée par Son Altesse le prince Karim Aga Khan IV aujourd’hui chef spirituel des ismaéliens nizarites, revendique les valeurs suivantes « la Fondation Aga Khan (AKF) rassemble des ressources humaines, financières et techniques afin de relever certains défis auxquels doivent faire face les communautés les plus pauvres et les plus marginalisées du monde. L’investissement dans le potentiel humain, l’accroissement des perspectives et l’amélioration de la qualité de vie globale font l’objet d’une attention particulière, notamment chez les femmes et les jeunes filles. La Fondation agit principalement dans six domaines, à savoir l’agriculture et la sécurité alimentaire, l’inclusion économique, l’éducation, le développement de la petite enfance, la santé et la nutrition ainsi que la société civile. ».52 Cette fondation philanthropique à but non lucratif dont le siège est basé à Genève, mène des actions dans différents domaines partout dans le monde. L’Aga Khan Trust for Culture lance en 1984 le projet du parc Al-Azhar. Cet organisme conçoit et finance la construction du parc Al-Azhar située sur le site de Darassa entre la cité des
Le travail de rénovation suivant les techniques anciennes a été réalisé de façon honorable et permet d’admirer aujourd’hui une architecture islamique extrêmement riche. Cependant il est difficile de cerner le projet urbain tant il semble compliqué à mettre en place. Effectivement les effets ne sont visibles que sur les monuments phares. Les plans d’aménagement d’infrastructures de l’Aga Khan semble limités quoiqu’ils aient été planifiés et pensés. Le quartier présente donc de réels enjeux et potentiels sociaux économiques mais aussi environnementaux et historiques. Il existe un réel espoir quant au devenir de ce quartier ressource foncière et source de qualités culturelles.
52 Présentations issue du portrait du site internet de la fondation Aga Khan.
Fig. 34 : Vue aérienne du parc Al-Azhar, la cité des morts a droite et le quartier Darb Al-Ahmar à gauche, photographe inconnu. 48
1.d. Le centre historique en péril
Fig. 35 : Intérieur de la Mosquée Bleue rénovée par la fondation Aga Khan 49
1. Le Caire, un territoire liquide
« Malgré les destructions dues à l’explosion urbaine et à la modernisation récente de ces villes, les centres anciens ont conservé un riche capital de monuments et de formes urbaines (...). Les mieux préservés des cités, Alep, Tunis et jusqu’à un certain point, le Caire (dont l’énormité a permis de compenser les pertes, non moins énormes), constituent des «conservatoires» où les chercheurs peuvent trouver, de nos jours, l’image d’un passé multiséculaire ; il y a peu d’expériences aussi impressionnantes, pour un historien, que celle de vérifier, dans les rues du Caire historique d’aujourd’hui, en les suivant sur le plan de la Description de l’Egypte (1800), les descriptions que fait l’historien Maqrîzî du Caire du début du XVe siècle. André Raymond53
»
Conclusion53
Nous avons pu faire toutes ces découvertes sur place, en croisant des données écrites et celles partagées par nos interlocuteurs, ces constats sur le contournement de lois, et ce paysage qui évolue malgré la politique mise en place. L’artificialisation du territoire semble sans limite depuis que les moyens techniques permettent de construire dans le désert. La question du logement semble trop complexe, incontrôlable et omniprésente pour être selon nous un programme pertinent pour notre projet de fin d’études même si ses caractéristiques et son histoire nous ont permis de comprendre la place du foncier au Caire et ses enjeux.
en Inde comme Égypte, n’est pas réductible à la démesure de leurs métropoles. Une grande partie des citoyens égyptiens et indiens qui participent de la transition urbaine s’affairent dans des petites villes, et des villages dont les activités s’écartent inexorablement de l’agriculture en même temps que ces localités s’étendent. Il s’y inventent de nouvelles trajectoires économiques et sociales. Dans ces localités, les transformations sont le plus souvent inaperçues et mal appréciées, dépréciées et ignorées parfois.”55 Ces orientations urbaines sont pour nous à mettre en parallèle avec la situation du centre historique du Caire. Effectivement, les contextes sont largement différents mais il existe des dynamiques similaires à celles distinguées par Éric Denis qui sont à mettre en valeur dans ce contexte égyptien.
Durant notre voyage, nous avons eu la chance d’assister à la conférence “From Egypt to India : subaltern urbanisation and innovation”54 dispensée par Eric Denis, chercheur au CNRS, directeur du laboratoire Géographie-cités, exposant ses recherches sur le terme théorique de “post-urbain”, utilisé pour reconnaître l’importance d’intégrer l’échelle locale et ses diversités d’usages pour penser un nouvel urbanisme conscient : “La croissance urbaine,
Nous proposons donc une étude sur la requalification du centre historique du Caire dans l’idée d’avoir des répercussions sur l’habitabilité Cairote en mettant en valeur les diversités et qualités de ce lieu spécifique.
53 André Raymond est spécialiste des études urbaines de l’aire arabo-musulmane, professeur à l’université de provence, Marseille (1977-1988), directeur de l’institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (1986-1989), Grandes villes arabes à l’époque ottomane, Paris, Sindbad, 1985, page 16. 54 http://cedej-eg.org/index.php/2020/02/18/rendezvous-du-cedej-3-25-fevrier/
55
50
Issu du résumé de la conférence d’Eric Denis.
1984
1984
2002
1. Conclusion
2020
2002
2020
Fig. 36 : Vue satellite de la mĂŠgalopole du Caire entre 1984 et 2020. Source : Google Earth. 51
2. VERS UNE POSTURBANITÉ
Treize jours sur un territoire ne suffisent pas pour sonder sa complexité. Ils nous ont néanmoins permis de rencontrer des personnes particulièrement instruites et vivants dans cette ville depuis plusieurs années, voir décennies. S’ouvrent à nous des sujets qui, dans l’enracinement qu’ils ont à ce territoire, mettent en perspective la pensée de la ville actuelle au regard de l’histoire qu’elle a parcouru, de la densité de savoirs et de sensations qu’elle fait vivre. Le principe de post-urbanité établi par Éric Denis sert alors de lunettes au travers desquelles nous allons procéder à la lecture du Caire. Nous abordons cette partie par l'approche de la matérialité dans la construction, témoignage pragmatique de l’évolution du lien de l’architecture à son territoire. Par la suite, nous nous focaliserons sur notre site d’étude, la rue Bab el-Wazir à travers la place de l’artisanat, du patrimoine et enfin, la question, fortement controversée, de l’espace public au Caire. Des thèmes qui permettront de mettre à profit nos connaissances dans les esquisses de projets proposés par la suite.
2. Vers une post-urbanité
a. La matérialité et la mise en œuvre, comme leviers de créations Aborder la question de la matérialité est l’occasion de faire une revue des qualités de l’architecture vernaculaire. Il est tout d’abord important de nuancer ce terme de “vernaculaire” en lui apportant une dimension supplémentaire à l’architecture sans architecte, ou encore celle propre à un pays donné : pour nous, ce sont celles qui, au travers de l’intelligence avec laquelle elles sont pensées dans un contexte donné (historique, géographique, économique, démographique) constituent un champs de références crédibles pour bâtir au Caire. 1. Le savoir-faire monumentalité et monolithisme.
alors à faire le choix d’exemples significatifs, qui appuient notre propos, mais qui, à fortiori, ne couvrent que quelques points précis du champ d’études existant.
«Les monuments ptolémaïques et romains 1
de Dendera , comme ceux d’autres sites, ont déjà suscité d’intéressantes études sur les techniques constructives qu’ont crédité les bâtisseurs de ces époques d’un grand savoirfaire dans leurs œuvres, et permis d’expliquer, sans avoir à évoquer leur jeunesse relative,que ces temples soient parmi les édifices antiques les mieux préservés de la vallée du Nil.3 2
»
antique,
Nous nous servirons donc dans ce premier aperçu des savoir-faire constructifs égyptiens du Temple de Dendera pour illustrer la question de la mise en œuvre de pierre de taille de gros appareillage.
C’est en 1956, que les égyptologues de toute nationalités se fédèrent autour de la préservation du temple d’Abou Simbel, menacée par la retenue d’eau qu’engendrerait en 1971 la construction du barrage d’Assouan. Le patrimoine de l'Égypte antique devient un patrimoine reconnu et est au centre des attentions, avec notamment la création du Conseil Suprême des Antiquités égyptiennes deux ans plus tard.
L'attention se porte tout d’abord sur la question des fondations. C’est en effet une mauvaise évaluation de la valeur de résistance à la compression des sols limoneux de la vallée du Nil qui serait le plus
Ce patrimoine d’architecture antique à l’aide d’une mise en œuvre spécifique, évoque la quête d’éternité. Tout d’abord, nous devons préciser que cette étude a pris sens, dans l’articulation de notre travail de fin d’étude, suite à la rencontre d’archéologues et d’architectes de l’Institut Français d’Archéologie Orientale lors de notre voyage au Caire. Cela nous force
1 On parle de l’époque Ptolémaïque en Egypte pour désigner la période durant laquelle gouverne Ptolémée 1er de -323 à -30 av. J.C. 2 Dendera est une petite ville d’Egypte sur la rive ouest du Nil qui se situe à 65 km au nord de Louxor. 3 ZIGNAGNI Pierre, Monolithisme et élasticité dans la construction égyptienne. Étude architecturale à Dendéra, BIFAO 96, 1996, p.453
54
La mise en œuvre de la pierre de taille en Égypte antique est tout autant ingénieuse au niveau de l’appareillage des pierres.5
Fig. 1 : Coupe de la mise en œuvre d’une fondation à caisson du temple d’Hathor à Dendera
Ces éléments de détails architecturaux permettent de mettre en lumière les fondamentaux de la pérennité des bâtiments antiques face à deux risques permanent avec lesquels l’architecte doit s’accorder : la question de l’eau, ainsi que le risque sismique, toujours plus présent dans le centre historique de la ville engendrant la dégradation importante du bâti.
1 2
2. La réinterprétation des dispositifs bioclimatiques vernaculaires.
3
Un second point d’intérêt fondamental se référe aux qualités de l’architecture Égyptienne et vernaculaire. Mercedes Volait confie que, la production architecturale de Hassan Fathy, de grande qualité par ailleurs, reste marginale dans la production «vernaculaire» ou «sans architecte»6. De la même manière que l’étude précédente sur les mises en œuvre antique, les dispositifs architecturaux mis en place par Hassan Fathy sont à réinterpréter. Nous explorons par ailleurs d’autres aspects clefs de son architecture qui pourront devenir des leviers de conceptions à exploiter.
4
Fig. 2 : Redessin légendé d’un détail mural antisismique.4 1 - Pierre de gros appareillage 2 - Mortier : Rôle important de lubrifiant au moment de la pose. Une fine couche, certainement très liquide, permettait de faire glisser le bloc avec une moindre résistance. Cette pellicule avait de surcroît l’avantage d’obstruer les micro-cavités subsistant au niveau des contacts des blocs et d’assurer une transmission homogène des charges. 3 - Cadre d’anathyrose : Perfectionnement du liaisonnement des blocs sous forme de canaux rempli de plâtre, de plomb, à la surface des lits d’attente.
4 ZIGNAGNI Pierre, Monolithisme et élasticité dans la construction égyptienne. Étude architecturale à Dendera, BIFAO 96, 1996, p.456 5 GOLVIN Jean Claude et LARRONDE Jean, Etude des procédés de construction dans l’Égypte ancienne, BIFAO, 1993 6 VOLAIT Mercedes, L’architecture moderne en Egypte, CEDEJ, 1988
4 - Agrafes : Éléments de scellement réunissant deux blocs contigus de la même assise. Ils peuvent être en bois, bronze, fer ou plomb.
55
2.a La matérialité et la mise en œuvre, comme leviers de créations
grand facteur de destruction involontaire. Cette réflexion a amené les architectes à inventer des dispositifs d’élasticité qui permettent à un édifice de subir des mouvements de terrain et d’y réagir sans que son intégrité structurelle et formelle en soit affectée.4 L’étude des savoirfaire des fondations peut alors être un réservoir de levier dans lequel puiser à l’heure où les précipitations en Égypte sont de plus en plus intenses et les nappes phréatiques hautes.
2. Vers une post-urbanité
La transformation, et l’optimisation, du matériaux terre à des fins de construction a été une part fondamentale du travail d'Hassan Fathy7. Illustrée par la voûte nubienne en brique de terre crue, elle est constituée de brique de 25 x 15 x 5 cm et forme une goutte d’eau, et a la particularité de ne pas nécessiter d’échafaudage lors de sa construction. Elle constitue donc un élément architectural simple à mettre en œuvre dans les savoir-faire qu’elle nécessite et rentable, tant en terme de matière et de moyens. Le déroulement de la construction d’une voûte nubienne.8
Fig. 3 : Système constructif de la voûte nubienne en brique de terre crue7. 1-2 - Construction d’un arc de tête avec un cintre en bois 3 - Amorce de la voûte nubienne 4 - Construction de la voûte en berceau au-dessus de la voûte nubienne.
transcrire l’intégralité de leurs caractéristiques. Néanmoins cela permet une étude rapide de leurs fonctionnements. - La compacité est dans les architectures de pays désertiques, un incontournable. La mise en œuvre de mur épais est alors un moyen de conserver la fraîcheur des bâtiment durant la journée. L’exemple des Maisons tours illustre bien cette épaisseur importante des murs sur un plan souvent carré. Elles sont encore plus remarquables dans leurs capacités à franchir cinq étages, un tour de force pour des constructions ancienne en terre crue. À plus grande échelle, nous pouvons aussi souligner que cette épaisseur du bâti caractérise aussi la rue : elles sont, dans les pays désertiques, souvent étroites afin de conserver la fraîcheur durant la journée tout en minimisant les vents chargés de poussières. - Le takhtabush est une loggia de plein-pied situé entre le patio intérieur et l’extérieur du bâtiment. Le patio étant moins ombragé, l’air plus chaud crée une dynamique avec celui, plus frais, du takhtabush et assure ainsi un flux de ventilation constant.
Nous nous intéressons pour finir ce tour d’horizon de l’architecture vernaculaire égyptienne à la planification des espaces. En parcourant quelques exemples qui illustrent en quoi la forme architecturale prend le climat en considération par le biais de dispositifs : réduction de la taille des ouvertures dans les pays chauds, pente de toit liée à la quantité de précipitation, etc... Il convient de rappeler que ces dispositifs architecturaux font bel et bien système entre eux et avec l’environnement. Ce catalogue9 ne permet peut-être pas de 7 Hassan Fathy est un architecte égyptien d'origine nubienne. Il reçoit en 1980 le prix Nobel alternatif pour le développement d'une architecture pour les pauvres. 8 CHOISY Auguste et BESENVAL Roland, La voûte « nubienne » à l’époque pharaonique (conception et construction), CNRS, 2015, p.78 9 Les dessins et explications des dispositifs qui suivent sont retranscrits d'après l'exposition sur le travail d'Hassan Fathy dans sa maison au Caire.
56
2.a La matérialité et la mise en œuvre, comme leviers de créations
Fig. 4 : Illustration de la compacité comme outils bioclimatique, photographie de la rue Bab el-Wazir, Le Caire. 57
2. Vers une post-urbanité
Fig. 5 : Le paysage non planifié du Caire
Fig. 6 : Structure en béton armé après un effondrement dû à la mauvaise qualité et mise en œuvre 58
Fig. 6 : Schématisation du principe de takhtabush.
- Le malqaf permet de capter le vent au-dessus du bâtiment. C’est une tour appartenant à la pièce centrale, orienté vers le vent dominant et permet un débit d’air. Les premier exemple de malqaf remonte à 1300 av. J.C.
3. Une domination des achwa’iyat dans le paysage du Caire David Sims comprend l’urbanisation du Grand Caire "comme une somme d’individus produisant leurs propres logiques de développement économique et d’aménagement territorial. Le théâtre où se jouent ces logiques de la manière la plus claire se situe au cœur de ce que Sims nomme la "ville informelle". Aujourd’hui ce tissus caractéristique du Grand Caire rassemble 64% de la population recensée."10
Fig. 7 : Schématisation du principe du malquaf.
- Le moucharabieh est une paroie ajourée permettant un ombrage nécessaire, n’obstruant pas le passage de l’air et limitant la poussière de sable. Ils sont très commun en Egypte et sont fabriqué à l’aide de bois, de plaque de plâtre et même de métal.
Au-delà de toutes les questions sociospatiales qu’une telle urbanisation soulève, les caractéristiques constructives de ces habitats, s'inscrivent dans l’évolution architecturale de l’Égypte. Ces édifices possèdent de nombreuses qualités comme une relative hétérogénéité socio-économique, des typologies variées (de la maison de style villageois à l’immeuble) ainsi qu’une vitalité marchande et artisanale remarquable.
Fig. 8 : Schématisation du dispositif du moucharabieh.
On constate depuis maintenant plusieurs décennies un regain d’intérêt pour les typologies vernaculaires. Il faut nuancer cette idée pour le cas du Caire, et plus généralement, de l’Égypte : l’architecture en terre crue évoquant pour certains occidentaux, un matériau au potentiel riche est aujourd’hui très peu utilisé. Même dans les campagnes égyptiennes, des structures en béton ont remplacé tout autre mode de construction à l’exception du sud de l’Égypte où la terre crue est encore mise en
Cette typologie d’habitats propose donc un fort potentiel de conversion et d’adaptabilité à l’usager, on distingue trois modèles récurrents : le Bayt (ou maison familiale), le Aimara (habitat multifamilial) et le Rab’a (logement collectif 10 SIMS David, Understanding Cairo. The Logic of a City without of Control, The American University in Cairo Press, 2010 cité par STADNICKI Roman, Comprendre Le Caire... pour comprendre la révolution égyptienne ?. Métropolitiques.eu, Métropolitiques, 2011.
59
2.a La matérialité et la mise en œuvre, comme leviers de créations
œuvre. Pour cause, le béton évoque, à l’heure d’aujourd’hui, une image de la modernité vers laquelle nombres d’Égyptiens se projettent. Nous pouvons aussi supposer que la mise en œuvre traditionnelle de la terre sous forme de voûtes et de coupoles ne permet qu’une élévation partielle des bâtiments. Soulignons le cas du Caire ou la question de la densité se pose aujourd’hui comme un des enjeux principaux du développement de la ville. Ainsi, même si la construction en terre crue possède bien des avantages, elle renvoie à un imaginaire rural et pauvre)au profit d’autres typologies et en particulier celle des quartiers non réglementaires.
2. Vers une post-urbanité
Fig. 9 : Adaptation du système de construction des logements non planifié dans différents contextes. À gauche, un Rab’a, type de logements accessible aux foyers les plus précaires. A droite, un Bayt, une déclinaison de ce système constructif pour une maison de campagne. Au centre, un Aimara, l'habitat multifamilial.11
pour les plus défavorisés)11. Néanmoins ils reçoivent en règle générale un traitement similaire : la structure est construite en béton armé (de très mauvaise qualité et souvent mal mise en œuvre) et sont composés de fondations, poteaux, poutres et dalles assurant le squelette-type. La mauvaise qualité relative de ces constructions est avant tout causée par la rapidité avec laquelle l’édifice est construit : ferraillage mal centré, prise du béton insuffisante.
moderne». En effet, elle vient répondre aux promesses non tenues du gouvernement en termes d’accessibilité à l’habitat pour les classes moyennes et défavorisées. On note par ailleurs que ces constructions s’adaptent de manière étonnante aux différentes contraintes de construction (situation financière, matériaux et outils disponibles, main d’œuvre locale, parcelles restreintes ou non, ...). À l’heure où des procédés technologiques ont remplacés les savoir-faire traditionnels en termes de confort d’habitat, cette typologie se développe dans son contexte comme la réponse des égyptiens aux enjeux de la question du logement et interroge alors sur sa nature de vernaculaire moderne.13
À cela vient s’ajouter un mur de remplissage en brique de terre cuite (n’étant souvent pas plus épais qu’une quinzaine de centimètres, en plein désert) au fur et à mesure que les occupants en ont besoin. Cette caractéristique d’évolutivité typique des constructions dites «non planifiée»12 marque le paysage du Caire et participe, d’une certaine manière, à cette effervescence de chantier permanent. Cette typologie d’habitat se distingue aujourd’hui comme étant le «vernaculaire 11 ANGÉLIL Marc, Housing Cairo, publié par Berlin Ruby Press, 2016. 12 SIMS David, Understanding Cairo. The Logic of a City without of Control, The American University in Cairo Press, 2010
13 SINGERMAN Diane, Cairo Contested - Governance, urban spaces and global modernity, The American University in Cairo Press, 2009.
60
b. L’artisanat et les ressources locales
1. Le Nil comme route d’approvisionnement
La question de l’artisanat en Égypte et des ressources auxquelles l’Homme a eu recours dans le milieu de la construction est étroitement lié à un atout majeur dont dispose le pays : le Nil. Axe de circulation majeur, il est aussi le lieu où les Hommes ont, depuis l’Antiquité, éprouvé les différents matériaux disponibles à ses abords. La présence de ce fleuve est l’origine d’un questionnement : quelle distance d’acheminement de matière est aujourd’hui cohérente pour l’édification de projet de petite échelle s’imposant une certaine localité quant à la provenance des matériaux utilisés ?
Fig. 11 : ci-dessous, transport de paille hachée par bateau sur le Nil, issu de MAURY Bernard, REVAULT Jacques, ZAKARIYA Mona, RAYMOND André, Palais et maisons du Caire (XVIe et XVIIIe siècles), Époque ottomane, publié par Centre national de la recherche scientifique, Paris, 1983.
61
2.b L'artisanat et les ressources locales
Fig. 10 : à gauche, carte postale de 1870 photographe inconnu, le Nil a joué un rôle fondamental dans l'acheminement des pierres pour la construction des pyramides de Gizeh.
2. Technique traditionnelle accessible et savoir-faire disponibles
LA PIERRE «La pierre a demeurée à travers les siècles grâce aux montagnes régionales avoisinant la Capitale et donnant lieu à une exploitation incessante. Mais tandis que la brique crue ou cuite restait un matériau commun, à la portée des habitants les plus modestes, la pierre est réservée aux construction plus luxueuse.» Comme source d’approvisionnement principale, nous pouvons citer les nombreuses carrières aux alentours du Mont Moqattam, aujourd’hui partie intégrante du Caire. Des carrières similaires se trouvent sur les flancs de la vallée du Nil.
LA CHAUX «Ces matériaux qui entrent dans la préparation des mortiers et des enduits se trouvent en abondance dans toute la région du Caire où ils n’ont cessé d’être exploités.»
Environ 15 km
«Nous avons déjà indiqué à quelle lointaine tradition des temps pharaonique répondaient en Égypte la fabrication et l’usage de la brique d’argile. [...] On sait qu’un climat chaud et sec convient toujours à l’emploi des briques crues qui peuvent assurer aux constructions la résistance de longue durée. [...] Aujourd’hui l’usage de fours de type traditionnel a entièrement disparu au Caire. Depuis le début du siècle, l’évolution des briqueteries cairotes se manifeste dans leur nouvelle installation sur les rives du Nil, notamment aux abords de Gizeh. De plus, on se procure plus commodément par bateau l’argile et la paille haché qui rentrent toujours dans la composition de la brique. Utilisant de grands fours, leur mode de cuisson apparaît aujourd’hui comme une semi industrialisation.»
Environ 10 km
Moins de 10 km
2. Vers une post-urbanité
LA BRIQUE
LE CAIRE
Fig. 12 : Le Caire, accessibilité des matériaux de construction. 62
LE MARBRE
Nous avons pu remarquer qu’un grand nombre de constructions au Caire et ses alentours se font à l’aide de brique de calcaire, surnommé «pain de sucre» en raison de leur résistance aux intempéries très faible. Les rencontres que nous avons pu faire durant notre voyage nous ont permis de nuancer les potentiels de l’utilisation de ce matériau. Ils sont en effet directement taillés dans les montagnes à quelques kilomètres du Caire, dans des carrières souvent illégales comme celle de «l’enfer blanc d’Al Minya» à 245 km au sud du Caire. Conditions de travail périlleuse, sur exploitation impactant le paysage, travail de mineurs, nombreuses sont les raisons de modérer l’utilisation de ce matériau qui plus est très peu adapté à la construction.
L’Égypte et notamment le Caire de par sa position avantageuse recours depuis de nombreuse année à l’importation de matériaux de construction. Nous devons rappeler à cette occasion que le béton et l’acier, élément important de l’architecture au Caire, sont eux aussi importés massivement pour alimenter le marché de la construction.
Les rares essences utilisables sur les rives du Nil nécessitent des importations complémentaires des pays d’Orient et d’Occident. Aujourd’hui la quasi totalité du bois est importé. Nous pouvons imaginer des échanges avec d’autre pays nilotiques profitant d’un climat plus adapté à la culture durable du bois d’œuvre, comme c’est le cas en République Démocratique du Congo.
Plus de 700 km
Moins de 50 km
Environ 20 km
LE BOIS
Informations issues de nos observations sur site ainsi que MAURY Bernard, REVAULT Jacques, ZAKARIYA Mona, RAYMOND André, Palais et maisons du Caire (XVIe et XVIIIe siècles), Époque ottomane, publié par Centre national de la recherche scientifique, Paris, 1983.
63
2.b L'artisanat et les ressources locales
«On utilisa de tout temps les bateaux munis de voiles pour porter des blocs de divers calibres sur les rives les plus proches du chantier destinataire. Selon la nature et la couleur du marbre recherché, on se tournait alors vers différentes carrières : celle d’Edfou fournissait le marbre blanc ou le marbre noir. Qana offrait le marbre vert. Asiout le marbre ocre jaune clair, Louxor et Assouan le marbre rouge sinon le marbre noir. Ailleurs Beni Souif demeure réputé pour ses carrières d’albâtre.»
LE CALCAIRE
c. Le patrimoine face aux enjeux contemporains
1. Des lieux chargés de sens, ancrés dans le quotidiens des Cairotes
Lors de notre voyage nous avons pu passer un certain temps au sein de l’IFAO pour échanger entre autres avec Georges Castel mais aussi consulter les ouvrages de la bibliothèque de l’institut et son service de cartographie. De cela nous nous sommes intéressés à une partie précise du centre-ville que Mr Castel nous a fait découvrir auparavant. Le quartier Al-Qahira présenté dans la partie 1.d, est aujourd’hui délaissé politiquement, pourtant il regorge de trésors patrimoniaux et culturels.
2. Vers une post-urbanité
En 1950 K.A.C Creswell14 fait un état des lieux du centre du Caire et référence la majorité des édifices patrimoniaux encore présents. Ces précieuses informations sont utilisées encore aujourd’hui comme documents de travail pour les archéologues et spécialistes du patrimoine urbain Cairote.
Fig. 13 : Extrait de “Map of Cairo Showing Mohammedan Monuments”, 1950, K.A.C Creswell
Suite à cette analyse et à la visite du quartier, une portion de rue nous a particulièrement marqué le long de la rue Bab el-Wazir. Situé aux abords des fortifications de Saladin, elle permet de rejoindre la citadelle jusqu’à la mosquée Al-Azhar et le célèbre souk du Khan el Khalili. 14 Keppel Archibald Cameron Creswell, 1879-1974, Historien de l’art et de l’architecture islamique, professeur d’art islamique et d’archéologie à l’Université du Caire (1934-1951), désigné comme le fondateur de l’étude de l’architecture islamique primitive
64
exemples d’architectures marquantes de lu passé de ce lieu. L'analyse se tourne vers les bâtiments historiques d’habitation destinés à des classes sociales variées. La dernière partie se focalise sur une étude de cas de sabil, monument destiné à la distribution d’eau, centre d’interactions sociales à l’époque mamelouke et à l’époque ottomane.
2.5
5 km
Nous nous intéressons dans un premier temps aux palais mamelouks avec une analyse du palais Alin Aq, situé sur la rue Bab el-Wazir, accolé à la mosquée funéraire de Hayrbak.
Fig. 14 : Localisation à l'échelle du Caire de la rue Bab el-Wazir Sabil
Au moment de l’expédition d’Égypte par Napoléon à la fin du 18ème siècle, on retrouvait un grand nombre de ce genre de palais hérités de l’époque mamelouks. Cependant, ces anciens palais avaient été entièrement abandonnés par les castes aristocratiques et n’étaient plus utilisés que par des familles pauvres ou des artisans. À la fin du 20ème siècle, le comité de conservation des monuments de l’art arabe a cherché les rares palais mamelouks subsistants et a procédés à leur classement pour entreprendre des travaux de restauration d’urgence. À proximité de la citadelle, c’est grâce à cette mesure qu'on retrouve aujourd’hui trois de ces palais emblématiques dont le palais Alin Aq construit en 1293.
Rue Bab el-Wazir
Rab'
Pa l a i s Alin Ak
«
0 100 200m
Les membres se rendent à la sharia Bab ElWazir et s’arrêtent au palais d’Aline ak qu’ils visitent à l’intérieur et à l’extérieur. Ils estiment que ce palais, un des plus anciens monuments civils de l’Égypte musulmane, mérite toute l’attention du comité. Après échange de vues, il est recommandé au service de débarrasser les pièces du rez-dechaussée de toutes les poussières qui y sont accumulées et de veiller pour le moment à la sécurité de l’édifice15.
Fig. 15 : Localisation à l'échelle du quartier Darb AlAhmar de la rue Bab el-Wazir, et des édifices étudiés.
Foisonnante et très caractéristique de cette partie de ville, son état physique comme expliqué précédemment nous a amené à nous questionner sur son devenir possible. Nous avons alors procédé à une série de relevés sur place en portant principalement l'analyse sur des questions cadastrales, patrimoniales ou encore d’usages.
»
Cette partie se focalise sur la richesse patrimoniale de cette rue à travers trois
15 Extrait des procès verbaux du Comité de Conservation des Monuments de l’Art Arabe. Fascicule 40, exercice 1946-1953, 1961, p 186
65
2.c Le patrimoine face aux enjeux contemporains
0
2. Le patrimoine oublié : vers une réinterprétation des besoins contemporains
Emprunté au style architectural de palais sultanes, cet édifice est caractérisé principalement par de grandes proportions et de solides murs en pierre de taille, caractéristiques de cette architecture fortifiée. Ces dimensions se déploient tant horizontalement que verticalement. Les caractéristiques de matérialités engendrent un style très massif et sévère, inspiré des châteaux fortifiés imposés par les croisés en Syrie et en Palestine. Ci-contre, un catalogue de dispositifs illustrent à différentes échelles les caractéristiques de cette architecture. Les coupes redessinées, font un état des lieux actuel de cet édifice en parti détruit. C’est par l’analyse de photos et le redessin tirés du livre “Palais et maisons du Caire”16 que nous avons pu identifier ces éléments. Ceux-là pourront, par leur esthétique, leurs qualités constructives et leurs matérialités, nous servir à faire projet dans un contexte proche dans une interprétation contemporaine. A
2. Vers une post-urbanité
1
B
B'
1- On retrouve au nord les grandes salles du palais 2- Au sud des espaces de desserte et de services. 4
3- au milieu des espaces communs, se dessinent les traces d’un puits et de sa Noria (3b) (appareil destiné à élever l’eau des puits, constitué de godets attachés sur une chaîne sans fin qui entraîne une roue placée au-dessus du puits) qui fonctionna longtemps pour l’alimentation en eau du palais.
3
2
A'
4- L’entrée du palais est caractérisée par une chicane (flèche) créant ainsi une distance à la rue et permettant une plus grande intimité intérieure du palais. 1
0 0 .1 0.5
3b 0
1m 0 0 .2
1 5
0
0
0m 10m 10m
2m
1
0
0 10 Fig. 16 : Plan du palais Alin Aq construit en 1293
0 2
50
100
0.25 1.25
10
2.5 m
20 m
m
0 0
0 0 M., Palais et maisons du Caire, 2.5 16 GARCIN J.C. 0MAURY B. REVAULT J. ZAKARIYA Époque Mamelouke (XIIIe - XVe.5 siècle), 20 100 2.5 2.5 100 Groupe de recherche et d’études sur le proche orient, université de Provence, Édition du 1centre national de la recherche 500 25 m scientifique, 1982. 200 m 10 00 m
0
0
0 2 00
1
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5
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10 k
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50 250
1250 2
500
m
1- Orienté au nord, le grand iwan grande salle voûtée en berceau brisé, fermée de trois côtés par des murs, s’aère et s’éclaire par des fenêtres basses à grilles de fer que surmontent des ouvertures géminées et des oculi auparavant garnis de vitraux.
1
2
3
2- Un encorbellement encore partiellement visible séparait autrefois les deux corps de l’étage surmonté d’un lanterneau.
4- Entre les deux rangées de fenêtres superposées, on retrouve des tasseaux de fixation d’une bande épigraphique en bois sculptée et peinte autrefois présente. 5- Le qasr (palais) est composé de deux iwan (5a) séparés de la durqa’a (5b) centrale par deux grands arcs brisés (5c).
0 5m Fig. 17 : Coupe BB' transversale du palais Alin Aq
5 4
5c
5a
5c
5b
5a
0
Fig. 18 : Coupe AA' longitudinale du palais Alin Aq
67
5m
2.c Le patrimoine face aux enjeux contemporains
3- Les murs supérieurs en petits appareils sont revêtus de plâtre.
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présente aucun ornement. Cette simplicité de composition extérieure et intérieure est propre aux rab’ en opposition aux palais et édifices religieux de style burlesques. m
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L'unité de rab’ présentée sur les plans ci-contre est composée de plusieurs appartements accolés mais aussi superposés. On retrouve un escalier commun aux appartements, dissociés de l’espace commercial du rez-de-chaussée. Le premier étage permet de desservir les deux unités qui sont pourvues d’un escalier indépendant. On peut voir sur le plan du premier étage la présence de renfoncements latéraux des murs blanchis à la chaux. Ces renfoncements étaient destinés à recevoir des placards permettant ainsi une certaine optimisation de l’espace. Les pièces étaient couvertes d’un plafond ordinaire à solives apparentes que l’on retrouve sur les étages supérieurs. Au sein d’une unité de rab’ une famille pouvait se répartir entre les différentes pièces aménagées les unes au dessus des autres (voir figure 20). Ce type d’habitation par les étroites ouvertures 25
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17 GARCIN J.C. MAURY B. REVAULT J. ZAKARIYA M., Palais et maisons du Caire, Époque Mamelouke (XIIIe XVe siècle), Groupe de recherche et d’études sur le proche orient, université de Provence, Édition du centre national de la recherche scientifique, 1982.
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Le Rab’ al-Tabbana situé en face de la mosquée bleue et à proximité du palais Alin Ak présenté plus tôt, est une représentation de ces ensembles. La conception de ce rab’ semble se calquer sur les mêmes éléments fondamentaux que l’on retrouve à la fin de l’époque mamelouke. Chacune des unités de cet ensemble est composée de murs très épais (1 mètre) au rez-de-chaussée en pierres massives (voir figure 19). Les murs des étages, plus étroits, sont quant à eux en briques. L’ensemble est enduit à la chaux et ne
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Afin de nous rapprocher de typologies d’habitats plus modestes, nous nous intéressons aux “rab’”, un ensemble d’habitations souvent édifiés par des sultans à l’intérieur des remparts ou dans les faubourgs pour loger des personnes de classe moyenne. Véritables habitations collectives, elles se sont largement multipliées compte tenu de la forte augmentation de la population. Ces ensembles présentent d’intéressantes proportions de façades, parfois des cours intérieures, le tout étant réalisé comme les riches demeures privées en solide pierre de taille au rez-de-chaussée et briques aux étages supérieurs. Basés sur les principes de répétitions ces immeubles évoquent d’autres bâtiments collectifs de même nature.
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Il existe encore de beaux exemples de palais de l’architecture domestique historique du vieux Caire. Cependant, il n’existe plus aucune trace des constructions représentatives de la classe populaire de ces époques. Ce manque de traces physiques n’a pas permis aux chercheurs de présenter avec certitude leurs spécificités.17
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L’étude des sabils du Caire donne des indicateurs précieux sur l’évolution de la ville. L’accroissement de la population et l’urbanisation de nouvelles zones amènent logiquement à la construction de telles infrastructures de fontaines publiques assurant l’alimentation en eau des habitants. Les sabils de l’époque ottomane peuvent être considérés comme des monuments. Il en existe un nombre incroyablement élevé qui représentent les constructions les plus caractéristiques de cette période. Le nombre de sabils et leur qualité architecturale, font de ces bâtiments un sujet d’étude à part entière. Cela permet également de comprendre les caractères patronages de l’époque en présentant une forme d’initiative destinée à remplir une mission de service public, ou les souverains tendent à protéger et à venir en aide aux populations plus précaires présentant des besoins vitaux 19 d’approvisionnement en eau. 0 0.2 1 2m 0 0.25 1.25 1m Au 14e siècle pendant la période mamelouke, les sabils, de tailles imposantes, sont souvent annexés à des ensembles funéraires et 10 présentent m 0 2 10 20 m de 0 décorations. 2.5 12.5 beaucoup Concernant leur organisation, on retrouve une chambre principale rectangulaire ou carré et0 20un maximum de200 m3 fenêtres à grilles 100 0 25 125 100 m
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2.c Le patrimoine face aux enjeux contemporains
et sa matérialité sont frais en été et très bien adaptés au climat local. Typiquement cairotes, ces unités de logement est utilisé par la classe moyenne jusqu’au 19e siècle18. Aujourd’hui, le Rab’ étudié n’est plus qu’une ruine et certaines de ses parties ont été démolies pour permettre la construction de bâtiments contemporains plus rentables mais moins adaptés au contexte. On peut se questionner alors sur la place de ce patrimoine et l’intérêt qu’il suscite aujourd’hui même si, comme nous l’avons vu par le dessin, ces édifices présentent de réelles qualités constructives et spatiales exploitables dans des systèmes plus contemporains. La compréhension de ce patrimoine permet de tirer des enseignements sur la façon de concevoir dans ce contexte singulier.
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18 SAYED Hazem I., The Rab’ in Cairo: A window on mamluk architecture and urbanism, Massachusetts Institute 0 200 2000 m 1250 1000of m Technology. Dept.1000 of Architecture, 1987.0 250 19 RAYMOND André, Les fontaines publiques (sabīl) du Caire à l’époque ottomane, IFAO, p. 235-291, 1979.
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À l’Êpoque ottomane, on retrouve plus de 300 fontaines, citernes et abreuvoirs publics dont 1/3 se trouvent dans la rÊgion Al-Qahira. La construction de sabil est prÊsentÊe par AndrÊ Raymond, historien français spÊcialiste des villes arabes et de l’empire ottoman, en lien direct avec les mouvements locaux de population. On retrouve aujourd’hui la trace de seulement 117 des 300 sabils recensÊs dans la description de l’Égypte. Les sabils, considÊrÊs comme monuments, ne sont plus uniquement fonctionnels et sont considÊrÊs comme une manifestation de prestige des constructeurs. Émerge la question liÊe aux classes sociales ou l’ordre religieux et les classes supÊrieures se retrouvant prestataires de ces installations publiques destinÊes à la population globale. Le sabil ÊtudiÊ plus prÊcisÊment est celui d’ab al-rahman katkhuda (voir figure 23) situÊ au carrefour de la rue al-mouiz li-din allah et de la rue tambakchia face au palais mamelouk de l’emir bachtak. DatÊ de 1744, ce sabil est le fruit de deux influences diffÊrentes. Les mamelouks inspirent le plan de forme rectangulaires (voir figure 24), les sols dallÊs et les plafonds en
Fig. 22 : Carte de recensement des sabils du Caire historique. Source : RAYMOND AndrÊ, Les fontaines publiques (sabčl) du Caire à l’Êpoque ottomane, 1979.
20  CASTEL Georges, MEEBED-CASTEL Maha, ABDEL AZIZ BADR Hamza, La tombe et le sabil oubliĂŠs, ĂŠtude architecturale du sabil Sulaman Aga AL-HANAFI ĂŠdifiĂŠ en 1792, IFAO.
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KWWSV ZZZ LIDR HJQHW QHW $Q,VO S $QGUÂŤ 5D\PRQG /HV IRQWDLQHV SXEOLTXHV VDEĂO GX &DLUH ¢ O૷«SRTXH RWWRPDQH , >DYHF FDUWH@ k ,)$2 $Q,VO HQ OLJQH
à travers lesquelles le passant pouvait puiser l’eau. La salle d’eau est indÊpendante du reste du bâtiment et il est interdit de construire des logements au dessus de celle-ci. L’eau est acheminÊe de la citerne (prÊalablement remplie par des caravanes de chameaux venant des oasis) au bassin par une plaque de marbre inclinÊe appelÊe chazrawan, servant à rafraÎchir l’eau. Au 16e et 18e, le sabil reste fidèle à ce fonctionnement , cependant leurs esthÊtiques prÊsentent alors des dÊcorations de style ottoman. La forme rectangulaire des pièces se transforme à partir du 18e et les sabil s’arrondissent. Les façades sont ornÊes d’arcatures (sÊries d’arc de petites dimensions) autour des grilles et une base en pierre fait le tour de l’Êdifice. On retrouvera ensuite des logements au dessus des sabils, le chazrawan a disparu et les dÊcorations de style turc apparaissent.20
bois avec poutres apparentes. Les décors sont, quant à eux, d’influence ottomane. Ce monument associe un sabil au RDC avec un kuttab (école coranique) à l’étage dans un bâtiment indépendant (voir figure 25). Ce bâtiment présente trois façades identiques orientées sud nord et ouest. Après l’entrée, on accède à un petit vestibule qui comporte trois portes, une qui mène à la pièce de distribution de l’eau, une menant à la citerne d’eau et la dernière permet l’accès à l’école coranique de l’étage. 21 Au-delà de cette organisation spatiale et des matérialités présentes, un grand nombre d’ornementations directement sculptées ou visibles sur les faïences recouvrent les murs.
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21 TORKY Tarek, Sabil (fontaine publique) et Kuttab (école coranique) d’Abd al-Rahman Katkhuda, dans Discover Islamic Art. Museum With No Frontiers, 2020.
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D. La question de l’espace public
1. La culture du regard, approche théorique
«Dans le monde arabo-musulman, l’espace
La question de l’espace public depuis le début de cette étude au Caire a été primordiale. Les relevés à distance de cartographie précise ont été difficiles avec les outils que nous avions depuis la France. Le voyage au Caire a été une nécessité pour expérimenter ce qu’est « l’espace public » égyptien. Nos nombreux parcours dans la ville ont permis d’appréhender l’espace urbain. Connaître physiquement ce territoire a été un avantage considérable pour tendre à la justesse projectuelle à laquelle nous aspirons. Nous sommes trois jeunes architectes européens en voyage d’étude dans un nouveau contexte qu’aucun de nous n’avait encore apprivoisé, et dont le regard était profondément lié à notre culture. En Europe, l’espace public a vocation à être pensé, conçu, et dessiné. En Égypte, les urbanistes centrent leur travail sur la conception de grandes infrastructures (autoroute, centre commerciaux), peu sur la conception des espaces publics. Naïvement, lors de rencontres organisées avec des acteurs dans le domaine de l’urbain et de l’architecture nous posions la question « comment pouvez vous définir l’espace public et collectif au Caire ? ». Cette interrogation est rapidement apparue comme n’étant pas adaptée car incomprise par les locaux. La réponse du professeure Marwa Khalifa, nous a extrêmement surpris : « Il n’y en a pas, les gens ne se rencontrent plus tellement dans le vieux Caire ou dans le centre-ville ; ce n’est plus une destination « à la mode », les gens préfèrent aller dans les shopping malls ou aux bords des fontaines, loin du centre -ville ».
public des villes traditionnelles est sans doute particulier, certains ont dit qu’il n’existait pas.22
»
Au travers de l’article de Jean-Claude David, une définition générique de l’espace public semble cohérente : « Qui concerne les domaines de sens et d’usage. Qui concerne la collectivité sociale, politique et en émane. Qui appartient à l’État ou à une personne administrative, ou encore accessible, ouvert à tous. »23 Selon Pauline Guinard24, les définitions de l’espace public s’accordent généralement sur une triple acception du terme : juridique, sociale et politique. Ces trois dimensions ne coexistent pas forcément dans tous les espaces, ce qui nous fait dire que cet espace a plusieurs natures. Nous avons axé notre définition par nos observations antérieures, en parlant d’un espace de pratiques, évolutif, sociable, appropriable.
À la suite de ces révelations, peut-on savoir si l’absence ou la rareté des espaces publics étaient inhérentes au système citadin arabe et musulman avant l’introduction des formes urbaines modernes occidentales ? Ce constat était peut-être le reflet d’une lecture incomplète de ces villes, fondée sur la mise en œuvre de critères trop universels et intemporels.
22 DAVID Jean-Claude. Espace public au Moyen-Orient et dans le monde arabe, entre urbanisme et pratiques citadines, Géocarrefour, vol. 77, n°3, 2002. 23 DAVID Jean-Claude. Espace public au Moyen-Orient et dans le monde arabe, entre urbanisme et pratiques citadines, Géocarrefour, vol. 77, n°3, 2002. 24 GUINARD Pauline, Johannesburg. L’art d’inventer une ville, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 326 p, 2014.
73
2.d La question de l'espace public
Comment représenter cet espace public qui pour nous apparaissait ailleurs que dans les centres commerciaux et parcs privés. Malgré notre regard occidental qui aurait pu être un frein, nous avons chercher à percevoir les qualités dans ce qui n’est même pas qualifié d’espace public. Nous étions conscients des possibilités mais, sur place, sans savoir comment fonctionnait physiquement et juridiquement l’espace public, et sans rester sur place plusieurs mois, nous sentions que notre compréhension de ces espaces était limitée.
2. Vers une post-urbanité
Aysegül Cankat, docteure et professeure à l’école d’architecture de Grenoble, nous a permis concrètement d’affirmer les analyses faites. L’espace public peut être défini et compris par son statut juridique. Le droit romain, a instauré le public, le privé et la question de la limite. Cela n’a pas été appliqué dans les pays islamiques. Dans les villes régies par l’islam, l’espace public appartient au droit coutumier. Cela signifie que la vie urbaine est organisée par les coutumes. Ce sont elles qui permettent une négociation entre les habitants pour savoir où s’arrête la propriété de l’un et où commence la propriété de l’autre. L’organisation n’a pas de limite franche. On retrouve alors des espaces communs et partagés, qui vont graduellement du plus public au plus privé (seuil de la maison). Ces codes d’usage évitent les conflits en étant partagé implicitement. On remarque que ces éléments conduisent à une gestion particulière de l’espace urbain. Pour Stéphane Yerasimos l’opposition possible entre “ville islamique” et “ville occidentale” serait avant toute autre considération, la conséquence des différences entre un lieu régi par le droit romain et un autre régi par le droit musulman.25 Les éléments qui qualifient l’espace public, tels que la place, jardin public, parc, boulevard, sont presque absents du centre des villes arabomusulmanes ou orientales traditionnelles (les médinas)26. Dans le vieux Caire, l’espace marchand, lieu de consommation, est 25 CANKAT Aysegül, Istanbul, ville multiple : empreintes architecturales et urbaines des communautés, du XIXe au milieu du XXe siècle, Thèse soutenue à l’université Paris 1
Panthéon-Sorbonne, 2011, Vol I, Page 153. 26 DAVID Jean-Claude. Espace public au Moyen-Orient et dans le monde arabe, entre urbanisme et pratiques citadines, Géocarrefour, vol. 77, n°3, 2002.
aujourd’hui pratiqué comme un espace de loisirs.27 Le souk est sans doute l’espace public auquel on pense en premier. La visite du Khân al-Khalîlî (présenté comme un archétype du souk oriental), est incontournable du parcours des voyageurs du Caire.28 Notons qu’il est, en tant que souk, symbolique d’une image de l’orient, entretenue par les touristes. Également, l’espace public est souvent défini par l’espace des parcs et jardins. Le plus connu (et un des seuls) est le parc Al-Azhar. Son entrée est payante, 20£E soit 1 euro, ne faisant pas de ce parc, un parc public. Les tarifs d’entrée n’ont pas pour conséquence de favoriser une classe sociale aisée, mais simplement de connaître la fréquentation de celui-ci.29 Elle est d’ailleurs très impressionnante, ce qui paraît normal au vu de la densité du Caire et du ratio de 1,2 mètres carrés d’espace vert par habitant.30 Aussi, les frais d’entrée permettent l’entretien du parc et au gouvernement de se désengager de cette charge. La croissance fulgurante en termes d’expansion et de démographie du Caire a engendré de nombreux problèmes dans l’espace urbain et notamment dans le centre historique : pollution, collecte des ordures, explosion de la présence automobile. Nous avons pu observer cela dans la rue Bab el-Wazir qui a été notre principal site d’étude. Cette circulation exerce une forte pression sur les fonctions urbaines traditionnelles. Lors de notre visite dans cette rue, les tuk tuk zigzaguaient entre nous. Nous rasions les murs et il était très difficile de s’entendre parler. Pourtant, de nombreuses activités quotidiennes sont menées à l’extérieur, sur l’axe principal ou dans les impasses adjacentes ce qui a une incidence majeure sur les conditions 27 GILLOT Gaëlle. Espaces populaires, pratiques intimes : les jardins publics au Caire, à Rabat et à Damas, Géocarrefour, vol. 77, n°3, 2002. 28 MADOEUF Anna, Souk d’aujourd’hui et bazar oriental. Le Khân al-Khalîlî du Caire, 2014 29 GILLOT Gaëlle, Espaces populaires, pratiques intimes : les jardins publics au Caire, à Rabat et à Damas, Géocarrefour, vol. 77, n°3, 2002. 30 GILLOT Gaëlle, Le parc Al-Azhar. La vieille ville du Caire requalifiée par un jardin public. Dans Les Annales de la recherche urbaine, 2008, n°105. Page 16 à 25.
74
2.d La question de l'espace public
Fig. 26 : Photographie d'une rencontre avec les usagers de la rue Bab el-Wazir 75
2. Vers une post-urbanitĂŠ
Fig. 26 : Photographie d'une terrasse improvisĂŠe, rue Bab el-Wazir 76
de vie31. L’espace dont dispose les artisans, les petits commerçants et les cuisiniers ambulants semble s’effacer au profit du stationnement et de la circulation des voitures, moto, tuk tuk...
trois fois lors de notre voyage. Le contraste fut saisissant quand nous nous sommes baladés le vendredi, jour de prière, où tout était fermé, et le dimanche, où les embouteillages, les klaxons, et les magasins se faisaient entendre. Nous n’avons pas pu explorer cette rue la nuit, ni les autres jours de la semaine. Cependant, il nous semble pertinent d’établir un constat des usages permanent que nous avons pu voir pendant nos passages, ainsi que de retranscrire des formes en imaginant des scénarios d’usages à partir des constats. Le fait de ne pas pouvoir retourner au Caire crée une forme d’abstraction. Cela permet de s’extraire de l’échelle locale afin de dessiner ses spécificités sous forme d’une représentation générique d’alternance, d’imbrication et de superposition.
«
2.d La question de l'espace public
La circulation piétonne est rendue très malaisée. Les bancs sont rares au Caire, le stationnement est toujours favorisé. Il est vrai que cette grande ville ménage relativement peu de place à de grands parcs. 32
»
Au delà de notre problématique il s’agit alors de penser aux usages, et de se demander, qui pratique ces espaces et comment ? Les villes nouvelles comme le 6 octobre, ou les compounds pour les classes les plus aisées, sont planifiées selon les principes de la chartes d’Athènes, pour une ville fonctionnelle divisées en zones indépendantes. Les classes aisées se réfugies aujourd’hui dans leurs lotissements fermés. Nous avons pu lire que cette classe sociale considérait « farfelue l’idée de marcher en ville : on se rend quelque part, on ne se promène aujourd’hui plus en ville32». À l’inverse, le centre historique par ses qualités spatiales et les conditions socio-économiques de ses habitants mélangent les usages et les fonctions, qui créent une effervescence urbaine, une ambiance rythmée par des événements inattendus. Nous sommes allés à la rencontre des usagers de la rue Bab el-Wazir 31 GEHL Jan, Pour des villes à échelles humaine, Montréal : Les Éditions Écosociété, 2012. 32 BATTESTI Vincent, Des espaces publics au Caire : les jardins publics. 2004.
77
2. La richesse du spontanée
qu’il ne semble même plus être remarqué des Cairotes.
2. Vers une post-urbanité
Afin de rendre cette étude sur les diversités que nous avons rencontrés dans le centre historique du Caire la plus complète possible, nous proposons une analyse dans laquelle nous interrogeons l’espace public au Caire. Il convient toutefois de souligner que les différents dispositifs spatiaux présentés peuvent être de deux natures, permanents ou éphémères. En effet, notre rapide passage au Caire ne nous a pas permis de capter l’entièreté de ces scénarios. À quoi ressemble, la nuit, une ruelle occupée toute la journée par des potiers ? Comment un étal de vendeurs ambulants chemine dans les ruelles tout au long de la journée ? Autant de questions qui ont permis de percevoir cette quantité d’informations sous un œil scientifique et pragmatique, celui de la temporalité.
Fig. 27 : Photographie de la façade du "Café de Georges"
Ce café installé sur un angle de rue est un lieu de regroupement quotidien des habitants. Il se définit par l’ouverture complète de sa façade, ainsi qu'un sol en carrelage lavable à grande eau. Son aménagement est essentiellement fait grâce à du mobilier : chaises, tables, le bureau du patron. Cet espace, bien que sommaire, est un lieu où il est agréable de s’installer. Très attractif, il est bruyant et agrémenté d’odeurs de cafés. La plus petite de ces façades donne sur la rue : le bruit de la circulation est si présent qu’il ne semble même plus être remarqué des Cairotes.
Ainsi, il existe une dichotomie des espaces du quotidien. Les espaces permanents, qui rythment la vie de la rue (un parvis de mosquée, le seuil d’une ruelle), et les spatialités éphémères qui ponctuent la déambulation par des obstacles (des trottoirs occupés par des fumeurs de chichas, des carrossiers bricolant un scooter au milieu de la rue...). a. Les usages permanents
Les commerces :
Une certaine densité d’usages crée une effervescence tout au long de la rue Bab ElWazir, qui illustre les différentes caractéristiques du centre ancien de la ville. Nous catégorisons ces usages en trois groupes: Les lieux de restauration : Ce café installé sur un angle de rue est un lieu de regroupement quotidien des habitants. Il se définit par l’ouverture complète de sa façade, ainsi qu'un sol en carrelage lavable à grande eau. Son aménagement est essentiellement fait grâce à du mobilier : chaises, tables, le bureau du patron. Cet espace, bien que sommaire, est un lieu où il est agréable de s’installer. Très attractif, il est bruyant et agrémenté d’odeurs de cafés. La plus petite de ces façades donne sur la rue : le bruit de la circulation est si présent
Fig. 28 : Photographie d'installation d'un marchand ambulant 78
2.d La question de l'espace public
USAGES Occupation 31 informelle
41 Artisanat
Épicerie 14
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Restaurant 12
46 Boutique
Fontaines à eau Artisanat Restaurant Magasin Café Épicerie Occupation informelle
0 20
100
Fig. 29 : Carte des recensement d'usages de la rue Bab el-Wazir un dimanche après midi 79
200 m
Les locaux commerciaux bordent la rue Bab El Wazir. Chaque début de journée leurs rideaux d’acier font apparaître des boutiques souvent très remplies. Le seuil de ces commerces est le lieu d’un phénomène particulier : lorsque la rue est saturée de déchets, un nouveau niveau de route est coulé directement par-dessus les détritus. Ainsi, nous retrouvons de manière très récurrente un interstice d’environ 50 cm de large où le niveau initial de la rue est visible. L’enfilade des boutiques tout au long de la rue Bab El Wazir s’observe ainsi très légèrement en contre-bas.
b. Les usages éphémères Un premier repérage nous apprend que l’utilisation éphémère et spontanée de la rue se fait de manière homogène. Ces occupations se remarquent rapidement grâce aux différents dispositifs qui la mettent en place : toiles, auvents, mobiliers cloisonnant, ... Dans la continuité de cette étude, notons que l’appropriation d’espaces de manière éphémère se caractérise de façon récurrente, mais pas constante, par une occupation en «extension» des activités plus permanentes. Ce lien entre deux types d’usage nous indique qu’il semble y avoir une problématique économique dans cette occupation d’espace.
2. Vers une post-urbanité
Les espaces dédiés à la pratique d’un artisanat:
Fig. 30 : Photographie d'un artisan cairote. Source : theguardian.com "alive with artisans".
Les artisans du Caire historique sont visibles tout au long de la rue Bab El Wazir. Nous avons constaté une certaine hétérogénéité quant à la répartition des différentes pratiques : les potiers seront regroupés, de même que les tailleurs de pierre, les menuisiers, les carrossiers. Si certain regroupement de travailleurs s’affichent directement sur la rue, comme les carrossiers, d’autres occupent des parties plus reculées. Par exemple, les tailleurs de pierre sont dans des ruelles très étroites, adjacentes à la rue principale. Leurs locaux se situent en rez-de-chaussée et sont des espaces très minimalistes où un simple établi suffit pour travailler. Ils semblent parfois plus s’agir de stockage que d’atelier en tant que tel.
Fig. 31 : Photographie de déploiement de façade d'un commerce.
Au regard de cette quantité de dispositifs urbains qui participe à l’espace public du centre historique, il semble important d’approfondir cette étude en émettant des hypothèses de scénarios de création de ces espaces à partir de ce qui a été constaté sur place.
80
«Si nous nous attachons à la vie quotidienne, nous observons que du détail spatial naît la cohérence
d’usages. Il ne s’agit pas de mettre en évidence des relations de cause à effet entre le spatial et le social. Mais si les formes urbaines et architecturales ne peuvent pas causer un comportement, elles peuvent le favoriser ou au contraire l’empêcher. Pour Hassan Fathy et André Ravereau “la cohérence part du détail”33.
»
Pour l’artisanat : Les regroupements d’artisans se font légèrement à l’écart de l’axe de circulation principale. Parfois, les artisans ne travaillent plus à l’intérieur de leurs locaux mais directement dans la rue. Ils disposent ainsi de stock sécurisé, leur local, ainsi que d’un espace de travail plus lumineux, aéré et dans lequel ils peuvent échanger entre eux. Cette monopolisation de l’espace de passage est «un processus de privatisation de l’espace pour le plus grand profit des riverains et possède tous les avantages de l’intimité et de la protection.”34
Pour la restauration : Les espaces de restauration comme les cantines, les cafés, les boulangeries, nous sont apparus comme les lieux autour desquels se rassemble le plus de monde. Des terrasses émergent aux endroits avec un léger renfoncement, elles gravitent autour d’un café permettant d’y installer quelques tables ainsi qu’une séparation improvisée entre les clients et la circulation.
Pour les commerces : À la différence des lieux de restauration, les commerces concentrent leurs activités au maximum. Ainsi si un local n’est pas suffisant ou ne permet pas un échange suffisant avec la rue pour y pratiquer la vente, le propriétaire peut devenir marchand ambulant pour aller trouver des lieux plus attractifs ou exploiter sa façade audelà de son intérieur. Le long de la rue Bab El Wazir des façades se déploient pour venir créer des entre-deux : des toiles sont installées pour l’ombre, des étals de vente et étagères séparent une boutique et une autre.
Dans cette partie, ont été abordé les spécificités du territoire égyptien et cairote à travers plusieurs thématiques34. Il s’agit de se confronter à ces problématiques pour comprendre comment le Caire a été bâti et comment il est construit aujourd’hui afin d’ancrer le projet dans une réalité. Le travail de re-dessin est alors primordial, à travers des photographies, observations, relevés, en décomposant l’écriture de l’existant. Cette sélection orientée de données est un cadrage pour les esquisses de projets, pour tendre vers une justesse de conception et de pensée. Cette approche est physique, par le choix de la matérialité, et abstraite, par le choix de dispositifs éphémères et d’usage qui donnent à réfléchir sur le rythme de la rue. 33 CANKAT Aysegül, Istanbul, ville multiple : empreintes architecturales et urbaines des communautés, du XIXe au milieu du XXe siècle, Thèse soutenue à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2011, Vol I, Page 153. 34 YERASIMOS, Stéphane, Istanbul, la naissance de la ville ottomane, Revue Gégraphique de l'Est, 1997.
81
2.d La question de l'espace public
Fig. 32 : Coupe désituée des situations spontanées présentes dans la rue Bab el-Wazir.
3.BÂTIR AU CAIRE
a. Le mémorial à la Terre : Manifeste land-art
Fig. 1 : Photographie d'état des lieux
3. Bâtir au Caire
Le prétexte initial de notre travail au Caire était de participer au concours "Hourglass" pour concevoir un mémorial à la Terre à Gizeh, en périphérie du Caire. Lors de notre visite de site, l’idée que nous nous en étions fait à travers les photos transmises par l’organisateur était largement erronée. Que pouvions nous dessiner sur ce lieu atypique et orienté vers les dynamiques urbaines actuelles questionnée dans notre démarche ? Quelle attitudes adoptées pour en faire un outil manifeste ?
constructifs aveugle du rapport au territoire et à la Terre. Pour aller à l’encontre de ces phénomènes, ce projet évoque la ruine et la trace inscrit dans une temporalité. Sans contrôle, le mur représentant la rue s’effacera avec les aléas naturels : le soleil, l’eau, le vent et le sable. Mettre à la lumière cette portion du Caire est tout d’abord une manière de rappeler combien il est important que la ville se régénère sur ellemême plutôt qu’elle ne s’étende indéfiniment. À travers ce mémorial, nous mettons en avant des traces en dessinant les contours de cette rue historique. Il faut prendre conscience que la Terre n’a pas de ressource infinie, elle est limitée dans sa capacité à s’édifier. Les professionnels du bâtiment et de l’aménagement du territoire ont une réelle responsabilité. Leurs actions émettent des quantités de gaz à effet de serre faramineuses pour la construction de bâtiments. Pour les raisons que nous avons évoquées précédemment, le choix politique
Ce mémorial à la Terre, articulation des deux facettes du territoire cairote, manifeste landart, est alors destiné à interpeller le visiteur sur les ressources du vieux Caire par la translation d’une de ses rues, la rue Bab el-Wazir située dans la vieille ville, vers ce site vierge. Il porte attention au centre-ville délaissé, aux antipodes de ces nouveaux territoires urbanisés. Le Caire obéit aujourd’hui à une expansion urbaine galopante qui se caractérise par des modes
Fig. 3 : Genèse du projet 84
3.a Le mĂŠmorial Ă la Terre : Manifeste land-art
Fig. 2 : Planche de couverture, triptyque de notre proposition pour le concours "Hourglass" 85
Fig. 3 : Gravures éducatives et commémoratives
actuel au Caire est étonnement de s’étaler dans le désert, plutôt que de réhabiliter le centreville. Cet urbanisme frénétique a marqué le territoire et les traces laissées par l’Homme seront toujours présentes.
3. Bâtir au Caire
Les matérialités choisies, la pierre de taille et la brique de terre crue, sont utilisées depuis toujours dans la construction. Elles sont également des ressources disponibles aux abords du Caire. Il s’agit ici de concevoir en fonction du climat local. L’objectif est d’être le plus minimaliste possible en employant ces matériaux reconnus pour leurs qualités thermiques. Nous avons pensé la manière de limiter l’impact des fondations, à l’utilisation de matériaux peu polluant, ainsi que leur nécessité d’un apport en eau. Entre architecture éphémère, et hommage éternel, personne ne sait ce qui perdurera dans cette intervention. Le mémorial pourra entièrement disparaître pour témoigner des grands changements mondiaux climatiques à travers le temps. La végétation quant à elle, s’étend et se propage jusqu’à créer un nouveau climat au centre d’une nouvelle urbanisation. En parcourant ce mémorial, le visiteur devient le spectateur de la dégradation de ses interventions, le témoin de la capacité qu’a la Terre à reprendre ses droits. Par un parcours sensoriel, le mémorial incite les visiteurs à ressentir des atmosphères, parfois pesantes. La chaleur au Caire peut atteindre des températures très élevés en été, cette sensation d’étouffement, marque un choc jusqu’aux endroits couverts par une structure légère en roseau et paille où se situent les gravures commémoratives, lieu de recueillement, d’ombre, et de pause. Les visiteurs deviennent
Fig. 4 : Axonométrie des occupations d'usages et végétales 86
0.1
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Fig. 5 : Plan masse initial
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Fig. 6 : Plan masse transitoire (T50)
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3.a Le mĂŠmorial Ă la Terre : Manifeste land-art
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Fig. 7 : Plan masse final (T100) 100 m
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des sujets actifs de l’intervention, ils ne sont pas que de simples observateurs. Ces inscriptions gravées dans la pierre rythment la traversée du mémorial. Elles tendent à créer un sentiment d’éveil pour faire prendre conscience des dangers du changement climatique dans le monde. Nous sommes à Gizeh, mais si nous regardons vers une autre une direction, d’autres problématiques s’ouvrent au regard. Une plaque commémore chaque méfait du réchauffement climatique par continent. Pour le cas de l’Amérique du Sud, écrit en anglais et en arabe, les destructions principales sont causées par les feux de forêt, un chiffre éloquent aux yeux de tous permet à l'usager de mesurer l’impact gigantesque à l’échelle mondiale. Il s’agit d’apporter une pédagogie, des chiffres clés, pour que le visiteur ne soit plus ignorant de ce qu'il se passe dans le monde. Toutes les symboliques mises en place se veulent être un engagement en faveur de la coexistence entre l’homme et son environnement pour prendre du recul sur une autre manière de vivre la planète.
Fig. 8 : Perspective sur la matérialité "Architecture éphémère, hommage éternel"
3. Bâtir au Caire
L’opposition entre le site proposé par le concours et notre choix d’implantation dans le Caire historique, témoigne de notre remise en question de la politique urbaine cairote ainsi qu’une ré-interrogation de ce que doit être le patrimoine dans le quotidien des habitants au profit d’une meilleure habitabilité. Au terme de notre voyage au Caire, nous avons travaillé en parallèle sur le projet du mémorial et de l'acupuncture urbaine de la rue Bab el-Wazir. Ces allés et retours entre les deux facettes du territoire nous ont permis de clarifier le positionnement de nos interventions. Le projet du mémorial est pensé par le vide et le seuil, des dispositifs qui sont également intervenus dans la projection de la rue Bab el-Wazir. Leur symbolique tend à éveiller la conscience d'un patrimoine en péril, pour que chaque acte individuel ait une influence collective sur l'image future du Caire.
Fig. 9 : Perspective "Une nouvelle frange mémorielle" 88
VILLES NOUVELLES = RESSOURCE FONCIÈRE + EAU S’APPAUVRISSENT
UN MÉMORIAL À LA TERRE DANS UNE VILLE OÙ LA CONSCIENCE ÉCOLOGIQUE N’EXISTE PAS
SYMBOLIQUE POUR ÉVEILLER LA CONSCIENCE
MATÉRIALITÉ
ACUPUNCTURE ARCHITECTURALE
IMPACT GLOBAL SUR L’HABITABILITÉ
DISPONIBLE : BRIQUE INTEMPORALITÉ : PIERRE BIOCLIMATIQUE : TERRE
SYSTÈME CONSTRUCTIF POUR CONSOLIDER FACE AUX RISQUES SISMIQUES (1992)
PATRIMOINE + SOCIAL = L’IMAGE D’AVENIR POUR LE CAIRE Fig. 10 : Du concours international au site révélateur du Caire contemporain. 89
3.a Le mémorial à la Terre : Manifeste land-art
ARCHITECTURE ÉPHÉMÈRE GARDE LA TRACE + EFFET DE RUINE = MARQUER LES ÉVÉNEMENTS
ACTE INDIVIDUEL = INFLUENCE COLLECTIVE
b. Régénération de la rue Bab el-Wazir En découvrant la rue Bab el-Wazir, accompagné de l'archéologue Georges Castel, il était évident pour nous que ce site allait devenir notre sujet de fin d'études. Cette rue fait partie du quartier ancien et traditionnel typique du monde arabe se caractérisant par un cumul d’activités acquis au fil du temps. Ces dizaines de rues sinueuses renferment un patrimoine d’une grande richesse, souvent oublié et délaissé de l'investissement politique. Le tourisme est pourtant au cœur de l’activité économique du Caire, mais la désuétude de ces bâtiments et leurs fragilisations depuis le tremblement de terre de 1992 produit un impact négatif sur la protection de ce patrimoine oublié. Par les lois sociales et le manque d'aides publiques, des centaines de familles continuent de vivre dans ces logements fragiles. La classe aisée fuit ces quartiers au profit des villes nouvelles, et l'on assiste à une précarisation de l'habitabilité dans ces rues historiques.
3. Bâtir au Caire
Comment projeter le centre historique du Caire vers une transition post-urbaine par une revalorisation d’un patrimoine oublié et l’édification de programmes aux enjeux sociaux?
Grâce à l'analyse préliminaire effectuée pour le sujet du mémorial, nous avons pu confronter nos hypothèses de projet par la visite de site qui nous a permis d'avoir accès à de nouvelles informations et données. Les relevés physiques et photographiques sur place, et le temps passé à déambuler dans les rues historiques, ont permis de cerner l'ambiance, des usages, au profit d'une mise en valeur des entités individuelles. Travailler à l'échelle de la rue semble pertinent pour agir sur l'habitabilité cairote en proposant une acupuncture architecturale tout au long de la rue. Notre recherche de sens et de justesse dans les propositions projectuelles est fondamentale. Dans cette partie, à travers l'analyse et la conception, nous vous emmenons à découvrir la rue Bab el-Wazir, le temps d'un parcours, par ses potentialités et ses qualités urbaines.
Fig. 11 : Photographie des marchands ambulants. 90
Le Caire
Rue Bab el-Wazir 3.b Régénération de la rue Bab el-Wazir
Mémorial
Gizeh
Fig. 12 : Plan du Caire, de Gizeh, et des sites d'études.
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m 1020km 20 m
SOUK KHÂN EL-KHALILI
ENCEINTE AYYOUBIDE BAB ZUWEILA
PARC AL-AZHAR
SHARIA BAB EL-WAZIR
CITÉ DES MORTS
MOSQUÉE DU SULTAN HASSAN
FALAISE DE MOQQATAM
3. Bâtir au Caire
CITADELLE
Fig. 13 : Illustration des caractéristiques du quartier Darb al Ahmar
La rue Bab el-Wazir (en bleu) rejoint la citadelle à l’une des portes fortifiées, une des portes d’entrée du souk, un quartier très touristique. Nos interventions se déroulent le temps d’un parcours, pour marquer des arrêts dans cette ville en mouvement constant. L’échelle de la rue permet d’avoir un impact sur l’habitabilité des cairotes, avec une pensée précise jusqu'au détail constructif. 92
Altitude + 28m
Altitude + 31m
3.b Régénération de la rue Bab el-Wazir
Altitude + 55m
Fig. 14 : Plan cadastral et topographique de la rue Bab el-Wazir, un tissu urbain très dense avec une arborescence de rues sinueuses. 93
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3. Bâtir au Caire
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Mosquée de Qagmas Al-Ishaqi
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Mosquée d’Ahmad Al-Mihmandar
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Mosquée d’Altunbugha Al-Maridani
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Tombe d’Abul-Yusufein
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Madrasa (école) Umm As-Sultan Shaban
6
Mosquée d’Ibrahim Agha Mustahfizan (Aq Sunqur)
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Ancienne fortification
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Tombe d’Azdomor
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Fig. 15 : Plan et situation des édifices patrimoniaux, aujourd'hui principalement en désuétude. 94
200 m
3.b Régénération de la rue Bab el-Wazir
Fig. 16 : Photographies de la rue Bab el-Wazir et de son patrimoine en péril. En haut à gauche : un sabil laissé à l'abandon. En haut à droite : les immeubles d'habitations s'effondrent et ont besoin de renforts. En bas à gauche : l'intérieur d’îlot en ruine, occupé aujourd'hui par les déchets. En bas à droite : Un ancien palais, aujourd'hui, seul les façades subsistent. 95
1
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5
3. Bâtir au Caire
6 1
Maison de quartier - Bibliothèque - Librairie
2
Café de Georges
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La porte bleue - Centre éducatif - Exposition pour l’artisanat
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Centre social pour les femmes
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La place d’eau
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Mamelouke bazar
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Le dispensaire
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La dent creuse
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Fig. 17 : Plan programmatique, aux enjeux sociaux et patrimoniaux. 96
100
200 m
3.b Régénération de la rue Bab el-Wazir
Nous imaginons la régénération de la rue Bab el-Wazir par huit projets, une première étape pour réinvestir le centre-ville. Entre programmes patrimoniaux et sociaux, les interventions architecturales ponctuelles permettent ainsi la réinterprétation des architectures vernaculaires par la mise en œuvre de matérialités locales, en mobilisant les connaissances acquises par nos recherches. De nombreux sites singuliers ont pu être relevés: des ruines, mais aussi des dents creuses où plusieurs programmes mettront en valeur les savoir-faire des artisans locaux très nombreux (travail du bois, de la pierre, du cuir, des tissus), ainsi que par le mise en œuvre d’un système constructif parasismique, qui pourra dans le même temps solidifier le patrimoine fragilisé environnant. Ce cheminement abordera la notion de bien commun, et d’espace public, qui a été défini culturellement. Le travail d’acupuncture architecturale devient une occasion importante d'inviter de nombreux types d'interactions et de rencontres dans ce quartier qui demande à être révélé.
Fig. 18 : Photographies de la rue Bab el-Wazir et de ses enjeux.
En haut à gauche : des sites en ruine suite au séisme de 1992. En haut à droite : Une densification ou dilatation possible grâce aux dents creuses. En bas : Des terrasses informelles. 97
c. Mise en Ĺ“uvre des projets
3. Bâtir au Caire
1. La maison de quartier
98
1 2
W az ir El Ba b Ru e
2
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3.c Mise en Å“uvre des projets
1
1. La maison de quartier
Une bibliothèque ouverte aux habitants pour dynamiser la vie de quartier
Mettre en lumières les richesses culturelles pour les touristes
Un lieu pour l'événementiel et l'information
3. Bâtir au Caire
L'entrée de la rue Bab el-Wazir est marquée par la mosquée Abo Heriba. Elle est bordée par un ancien palais qui est lui dans un état dégradé. De part et d'autre de celui-ci, se trouvent deux ruines sur lesquelles nous proposons un premier duo d'édifice : parfaitement localisé pour créer un espace d'accueil, ils sont un signal, une porte d'entrée pour la rue.
façade poreuse lui donnant une allure de kiosque : c'est ici que différents éléments d'information sont adressés aux touristes, mais aussi aux habitants de la rue Bab el Wazir sur des événements et festivités. Dans le prolongement de celui-ci, l'édifice se déploie le long d'un mur, épais, reprenant la typologie architecturale de la mosquée. Tout en restant discret dans ce contexte architectural remarquable, la mise en œuvre d'un mur massif est l'occasion d'interroger cette épaisseur afin qu'il serve ce programme mixte de maison de quartier. Son épaisseur offre une multiplicité d'usage par le biais de mobilier encastré : des étagères pour les livres à disposition ou des espaces de travail plus individuel et profitant d'une lumière filtrée par des moucharabiehs.
Évidemment destiné aux habitants de la rue, les touristes sont invités à s'y rendre, depuis le souk pour poursuivre leur découverte des environs. La maison de quartier permet alors de faire coexister un programme destiné aux touristes, mettant en lumière la grande richesse culturelle qu'ils peuvent découvrir au fil de la rue ; ainsi qu'une partie destinée aux habitants : une bibliothèque, des locaux disponibles et conçus pour accueillir des rassemblements associatifs ou différents événements caractéristiques de la vie d'un quartier. En guise de signal sur la place, le pavillon d'accueil s'aligne au palais et affiche une 100
Édifice signal
Programme
À l'entrée de la rue Bab El Wazir, l'édifice d'entrée de la maison de quartier fait signal sur la place. C'est la porte d'entrée de la rue.
Édifice d'accueil et d'informations Espace de travail collectif
Espace de rassemblement de quartier Élement de travail individuel Sanitaires
3.c Mise en œuvre des projets
Circulation
Le mur instrument
L'édicule d'entrée servant de point d'information touristique, sa façade est poreuse. Un espace ouvert se déploie le long d'un mur pouvant moduler son ouverture sur l'espace public.
L'épaisseur du mur et le rythme de la façade nous rappelle la façade de la mosquée. Cette épaisseur est alors pensée pour répondre à de nouveaux enjeux.
Fig. 19 : Genèse du projet 101
Fig. 20 : Élévation Nord montrant les deux édifices tenant le palais.
3. Bâtir au Caire
GSEducationalVersion
Fig. 21 : Une ruelle discrète ouvrant sur une place de voisinage. 102
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6 3.c Mise en œuvre des projets
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Fig. 22 : Plan de situation des édifices
5
10m
4
Librairie
2
Édifice d'entrée et d'information
5
Place de voisinage
3
Espace polyvalent
6
Mosquée Abo Heriba 103
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Place de la mosquée Abo Heriba.
0
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01
Le rez-de-chaussée comme l'étage sont des espaces suffisamment équipés pour permettre une exploitation quotidienne tout en offrant, de manière plus hebdomadaire la possibilité de recevoir des rassemblements de plus de cinquante personnes. À cette occasion, l'épaisseur du mur doit alors être interrogée. Tout d'abord, dans le lien particulier qu'elle permet d'établir avec l'espace public qui lui fait face. D'autre part, en terme de dimensionnement et de sécurité. Certains tronçons de mur sont plus fins afin de résister, en cas de séisme, selon la même fréquence que les murs mitoyens. On applique la même logique pour la section de mur adossé au palais en s'adaptant cette fois-ci à la mise en œuvre en pierre de taille de gros appareillage.
4
3 2
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Fig. 23 : Plan du rez-de-chaussée
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3. Bâtir au Caire
5
Fig. 24 : Élévation Est
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5
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GSEducationalVersion
2
Espace de travail collectif
3
Sanitaires
4
Rassemblement de quartier (environ 20 personnes)
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Espace de travail individuel modulable et rangements
Fig. 25 : Plan R+1
5
10m 20 m
01
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Comptoir d'accueil
3.c Mise en œuvre des projets
1
3. Bâtir au Caire
Pour tenir compte des différentes problématiques liées à un déplacement de matière, nous pouvons puiser dans les savoir-faire des maçons de l’Égypte antique. La ré-interprétation des fondations à caissons utilisées dans le Temple de Dendera (voir page 55) permet de dissiper une grande partie des risques sismiques et adapte le bâtiment au phénomène de gonflement des sols à cause de l'eau. Nous avons pu observer que des précipitations pouvaient engendrer des stagnations d'eau sur plusieurs jours. Le site se trouvant légèrement en contrebas, la fondation à caissons s'est trouvée être la réponse appropriée. Pensée à l'époque pour soutenir des éléments architecturaux monumentaux, nous pensons l'épaisseur qu'elle autorise sous deux angles. Comme l'évoque cette déclinaison de détail, le mur devient le support de différents éléments de mobilier rendu amovible grâce à des dispositifs simples à mettre en œuvre et à entretenir. Ainsi, les usagers disposent de la possibilité de déployer la façade sur la rue. Les différents éléments de seuil entre la maison de quartier et la rue qui lui fait face sont dimensionnés grâce à une étude de l'appropriation spontanée et éphémère, par les habitants, et d'éléments architecturaux plus pérennes: l'installation d'auvents, d'extensions de boutiques, ou de terrasse improvisées. L'édifice de la maison de quartier propose un programme dialoguant entre les deux protagoniste du centre historique du Caire : les habitants et les touristes.
Fig. 26 : Façade de la mosquée Abo Heriba sur la rue Bab el-Wazir Poutre en bois 20 x 30
1
Panneau en bois à moucharabieh, 160 x 150
2
Panneau en bois plein 80 x 160
3
Remblai avec déchets de taille de maçonnerie nivellement en sable du Gebel
4
Muret en brique crue enduite sur la face intérieure
5
Lit de sable du Gebel
6
Maçonnerie en briques allégées enduites
7
Rangement/bibliothèque aménagé dans les murs
8
0
0.5
1m
20 m
10 2
Fig. 27 : À droite, déclinaison de détail du mur de façade et son déploiement. Développement des différents dispositifs encastrés permettant la modularité des usages ainsi que la qualification du seuil vis à vis de l'espace public. 0
106
280
1
2
160
3
4 3.c Mise en œuvre des projets
5
7 6 Coupe AA'
Coupe BB' 140
100
8
A
A’
B
107
B’
3. Bâtir au Caire
2. La richesse du spontané, le café de Georges
108
Même si des usages sont attendus, les lieux ne sont pas forcément prédéfinis à l’avance. Un outils : La grille (page suivante) est un essai de généralisation et de comparaison de situations. C’est une approche cartésienne et pragmatique, qui par la hiérarchie mettra en valeur les spécificités des sites. Inspirés de la boîte à outils de Jan Gehl1 « 12 critères de qualité pour les espaces fréquentés par les piétons », les critères laissent également la possibilité de penser une diversité locale. 1 GEHL Jan, Pour des villes à échelles humaine, Montréal : Les Éditions Écosociété, 2012.
109
3.c Mise en œuvre des projets
Trois des huit sites de travail sont sujets à un re-dessin spécifique. Il y a une nécessité à faire participer le non construit pour affirmer les potentialités de la rue. Le travail ici est de faire émerger des opportunités par une analyse interprétative et d'observations. Ces trois sites sont répartis tout au long de la rue Bab elWazir. Nous les envisageons comme base de réflexion sur les dispositifs spatiaux desquels émergent une appropriation des habitants. Nous nous penchons ainsi sur ce nouvel espace public généré par l’usager, et par ses caractéristiques dimensionnels et sensibles. En faveur d’une intervention à cette échelle, nous partons de constats pour analyser et penser un ensemble cohérent. Ces diversités participent à explorer les instants, les rythmes, les événements qui ponctuent, qui interrogent.
1
3. Bâtir au Caire
2
Flux piétons Événements Flux motorisés Mobiliers
110
12
5
10
10m
20 m 20 m
00
10
Fig. 28 : Plan de l'effervescence de la rue.
Délimiter un espace pour éviter les occupations 250 désagréables
250
une
100
100
40
40
300
1
Planter dans conserve
2
LA PLACE
300
L’INTERFACE COMMERCIALE
250
100
40
300
3.c Mise en œuvre des projets
protection -Proximité avec la circulation automobile -Perception sensorielle désagréable (poussière, pollution, déchets) -Dispositif pare soleil confort + Invitation à circuler + Possibilité de marcher + S’asseoir + Possibilité d’observer attrait + Échelle de l’environnement + Vis-à-vis + Profiter du climat (soleil/ombre) + Présence de végétation ou d’eau + Modularité de l’espace 111
3. Bâtir au Caire
3. La porte bleue
112
2 1
azir El W Bab Rue
2
113
3.c Mise en Å“uvre des projets
1
3. La porte bleue Ce lieu est aussi apparu comme très polyvalent, donnant directement sur la rue très effervescente et aussi très calme dans sa cour plus intime. Nous imaginons dédier cet espace, très beau, mais oublié, à un système global de production/éducation/exposition pour l’artisanat du quartier. Ce programme permet aussi d’inciter les touristes venant du souk à découvrir plus précisément les savoir-faire des Cairotes jusque-là mis à l’écart. Ce lieu devient un centre d’impulsion vecteur d’interactions entre habitants, intervenants et étrangers au cœur du quartier Darb al-Ahmar.
Découvrir les savoirfaire Cairote en tant que touriste par des salles d'expositions et l'ouverture des ateliers. Avoir un atelier confortable pour travailler
3. Bâtir au Caire
La mise en place du programme s’est faite suivant un cycle presque toujours totalement ouvert au public entre résidences, éducations
Lors de notre série de relevés des usages de la rue, nous avons été frappés par la forte présence d’ateliers d’artisanat. Effectivement, isolés des voies principales, le caractère très sommaire de ces ateliers nous a semblé déconnecté compte tenu de l’importance de ce patrimoine au Caire. Il nous a paru important de proposer une infrastructure mettant en avant ces savoir-faire oubliés. Le site de la porte bleu est surprenant tout d’abord par la beauté de son entrée. Nous avons été intrigués par ce lieu a la fois très beau, mais aussi très abîmé, laissant apercevoir quelques éléments porteurs subsistants. Une fois passé la porte principale très caractéristique du lieu, nous avons circulé vers la cour intérieure, découvrant un second seuil à l’arrière du bâtiment. La deuxième partie du bâtiment tout aussi d’une grande qualité architecturale, apparaît aujourd’hui presque totalement abandonné mis à part par quelques habitants vivant dans une grande précarité.
Fig. 29 :Photographie d'une petite école de la rue Bab el-wazir 114
et expositions. La façade donnant sur la rue Bab el-Wazir se caractérise par deux langages distincts. Le premier, présentant une façade vitrine, permet au gens qui circulent dans la rue de s’émerveiller, non devant des salles d’expositions, mais devant les ateliers de production totalement ouverts. La porte bleue, entrée principale du bâtiment est quant à elle rénovée à l’identique et invite les touristes et habitant à rentrer dans le bâtiment et ainsi pouvoir contempler les œuvres des salles d’expositions, organisées autour d’un patio permettant aussi de desservir les ateliers jusqu’au deuxième étage. Circulation Monte charge Escaliers
3.c Mise en œuvre des projets
Existant
Programme
L'organisation des espaces est définie suivant les opportunités que nous offrent les murs encore existants du bâtiment
Espaces d’expositions Terrasse publique Annexe résidents Ateliers Accueil public - Logements résidents
Fig. 30 : Genèse du projet 115
4
5 3
6
2
2
1
Fig. 31 : Plan du rez-de-chaussée
01
5
10m
Cette deuxième partie de l’édifice est donc principalement dédiée aux étudiants résidents de cet atelier-exposition. On retrouve au rezde-chaussée un espace d’accueil ainsi qu’un
Atelier Espaces d'exposition Cuisine résidents Accueil visiteurs Bibliothèque publique Terrasse publique Murs existants Murs nouveaux
2
1 2 3 4 5 6
10
20 m
Au niveau de la cour intérieure, on retrouve un espace de cuisine accessible pour les résidents, mais aussi faisant office de café touristique permettant de mélanger les usagers et ainsi de renforcer les interactions entre habitants et visiteurs. Cet espace central du bâtiment renforce aussi son système cyclique faisant intervenir la partie en arrière-cour plus réservée et intime.
0
3. Bâtir au Caire
2
116 0
1
5
10 m
3.c Mise en Ĺ“uvre des projets
Fig. 32 :Photographie d'une femme artiste, tisseuse du Ramses Wissa Wassef Art Center 117
A
3
5 4
2
1
Fig. 33 : Plan du R+1
01
5
10m
1 2 3 4 5
Atelier Sanitaires collectifs Espace détente résidents Chambre PMR Chambre double Murs existants Murs nouveaux
2
10
20 m
grand espace de détente ouvert à tous. Aux étages, deux niveaux de chambres et sanitaires collectifs pourront accueillir jusqu'à une vingtaine de résidents. La façade de l’arrièrecour conserve son aspect d’origine avec une reproduction fidèle de l’architecture encore en bon état au rez-de-chaussée et premier étage. Le deuxième étage étant entièrement à reconstruire, il conserve les rythmes des étages inférieurs avec un traitement des menuiseries contemporain. L’aménagement intérieur sur les trois niveaux est, quant à lui, entièrement repensé pour ces nouveaux usages et pour favoriser les circulations avec les ateliers.
0
3. Bâtir au Caire
A’
118 0
2.5
12.5
25m
0
10m
0
10m
Limite verticale entre existant et extension Fig. 34 : Coupe A-A'
3.c Mise en œuvre des projets
Fig. 35 : Élévation Ouest
119
3. Bâtir au Caire
4. Centre social pour femmes
120
2
B Rue
azir El W ab
1
2
121
3.c Mise en Ĺ“uvre des projets
1
1. Centre social pour femmes
En 2017, le Caire est la ville la plus dangereuse pour les femmes²
99,3% des Égyptiennes ont subit une forme de harcélement sexuel
Pour les femmes en détresse qui y trouvent un refuge avec leurs enfants
Pour des femmes qui ont besoin d’une consultation
3. Bâtir au Caire
En 2013, 19,9 millions d’égyptiennes ont été mutilé (excision), pourtant cet acte est puni par la loi depuis 2008³
Un support d’émancipation des femmes par le travail et l’artisanat
En 2017, le Caire est la ville la plus dangereuse pour les femmes, 99% des Égyptiennes ont déjà subi une forme d’agression sexuelle. Les violences domestiques sont stigmatisées, aucune législation interdisent ces dernières, pratiquement aucune mesures protègent les jeunes filles, ni les femmes1. Les études soulignent que ce phénomène est largement accepté par la société. Les recherches portant sur les violences sexuelles et liées au genre contre les femmes et les jeunes filles dans le domaine public, notamment le harcèlement sexuel, ont également donné des résultats inquiétants. Le film de Mohamed Diab, «les femmes du bus 678», évoque la problématique d’attouchement sexuel dans les transports en commun.
Comment répondre à ces besoins en créant un espace calme et intime propice à accueillir les femmes le temps d’une journée ou pour quelques mois ? Ce centre social s’adresse aux femmes en détresse qui y trouvent un refuge avec leurs enfants, des femmes qui ont besoin d’une consultation sur un modèle de planning familial, ou simplement pour celles qui demandent un support d’émancipation par le travail et l’artisanat. Comme l’ensemble du Caire historique, la rue Bab el-Wazir est un monde vivant, bruyant, riche en sollicitation. Faisant face à un mausolée abandonné, il y a peu d’usage permanent autour de ce qui est actuellement une dent creuse. Les marchands de rues s’installent parfois dans le recoin du monument pour vendre de la nourriture. Les ateliers et les échoppes du centre social au rez-de-chaussée deviennent alors une interface ouverte à tous sur la rue mais qui crée une barrière avec l’intérieur.
1 El-Zanaty, Fatma et Ann Way, “Table 17.1 Experience of physical violence since age 15 by background characteristics”, Egypt Demographic and Health Survey 2005, p222. 2
Une étude de la fondation Thomson Reuters en 2017.
3 https://www.unfpa.org/ Unicef, "Programme on Female Genital Mutilation: Accelerating Change" en 2013.
122
Programme
Limite sonore
Consultation
Activités professionnelles : échoppes, ateliers, bureaux
Les échoppes s'organisent comme une succession de filtres sonores et visuels, permettant de diluer l’agitation de la rue.
Rafraîchissement
Circulation
Le patio est un véritable outil bioclimatique, au service du rafraîchissement et du confort des usagers qui circulent autour de cette ouverture.
La circulation s’enroule autour du patio, et organise les espaces distincts des uns des autres.
Accueil
Communautaire : cuisine, logements
3.c Mise en œuvre des projets
Fig. 36 : Genèse du projet 123
Ces boutiques mettant en valeur l'artisanat des femmes, s’organisent comme une succession de filtres sonores et visuels, permettant de diluer l’agitation de la rue. La circulation quant à elle s’enroule autour du patio, et organise les espaces distincts des uns des autres.
On observe cela jusqu’autour de ce site où la brique est sous toutes ses formes : murs de clôtures porteurs, simple remplissage dans une grille béton. La pierre est aussi une alternative constructive en tant que ressource disponible aux abords du Caire. Cependant sa mise en œuvre n’est pas si maniable que celle de la brique et demanderait un savoir-faire et une logistique plus spécifique. Nous avons observé son utilisation au travers d’architectures historiques et élitistes, ce qui tend à créer une distance avec le programme du centre social qui se veut en adéquation avec son contexte par sa matérialité.
Le projet s’implantant dans une dent creuse, poursuit la minéralité de la rue où se mêlent logement, patrimoine et artisanat. En observant les vues satellites historiques, nous pouvons remarquer que le site est vide depuis 2014. De nombreux immeubles en ossature poteaux/ poutres béton et en remplissage briques sont construits depuis les deux dernières années. On vient donc réécrire sur un sol qui a déjà peut-être connu une quinzaine de bâtiments différents. La façade du centre social laisse peu entrevoir l’intérieur par des ouvertures minimalistes qui laissent deviner trois strates : au rez-dechaussée des commerces ouverts derrière les arcades. Au premier niveau, des ateliers derrière le moucharabieh de briques, les bureaux au deuxième niveau se perçoivent derrière les fleurs de béton qui assurent l'intimité et l'apport de lumière naturelle. Le paysage dominant du Caire en briques rouges marque le savoir-faire autour de ce matériau, et de sa mise en œuvre maitrisée par tous. Pour ce projet, la brique est une matérialité qui s’impose pour tout ce qu’elle permet. Elle est ancrée dans le territoire. 3. Bâtir au Caire
Fig. 37 :Photographie de Nasser Nouri - Briqueterie de Mansoura City (200 km au nord du Caire) - 2008
Fig. 38 : Photographie du site actuel 124
Logements
Échoppes
Artisan ébeniste
Logements
Logements
Fontaine à eau
Marchand de rue + terrasse
Fig. 39 : Élévations
Mausolée d’Abul Yusufayn 1329
0 0
125
1
2
5
10
10m
20 m
3.c Mise en œuvre des projets
Sabil de Mohammad Kuhrhuda 1718
Commerce
2
6
1
4
3
5
3. Bâtir au Caire
Fig. 40 : Plan du rez-de-chaussée
0 0
12
7
5
10
20 m 10m
9
8
Patio Cuisine Salle de consultation 126
7 8 9
Ateliers Logements Bureaux
20 m
4 5 6
20 m 25m
10
Accueil Échoppes Cantine
10 12,5
2
1 2 3
2 00 2,5
0
Fig. 41 : Plan du premier et du deuxième niveaux
et du confort des usagers qui circulent autour de cette ouverture.
Depuis une entrée dérobée, dont le dispositif est inspiré des palais ottomans et de l’habitat vernaculaire, on accède au centre social par une chicane qui s’ouvre sur ce grand patio végétal entouré d’arcades ombragées. Le projet s’organise en filtre d’intimité, les premiers étant le gardien et les ateliers, le second est le patio végétal. Le troisième est l’atrium du centre de santé. Le patio est un véritable outil bioclimatique, au service du rafraîchissement 1 2 3 4 5 6 7 8
Pierre de taille 100x50x50 Plancher bois 20x4
La façade principale comme les autres est composée de murs de briques autoporteuses, et d’un plancher composé de voutains mixte en béton et brique. Ce centre pour femme est un monde intérieur, une parenthèse de fraicheur de calme et d’intimité dans ce Caire effervescent.
7 4
Natte tressée en fibre de palmier Solives bois 12x8 Poutres bois 30x15 Cloison ossature bois/ torchis Fleur de pierre
2 1
5
3
6
Moucharabieh en bois
8
3.c Mise en œuvre des projets
Fig. 42 : Essai d’une matérialité - La pierre massive, comme expression d’une histoire. 1 2 3 4 5 6 7 8
Brique 20x10x5 Poutre béton 15x10 Voutain en brique Dalle béton Garde corps en brique Poteau béton 15x15 Fleur de béton Moucharabieh en bois
7
5 2 6 4
1
3 8
Fig. 43 : Essai d’une matérialité - La brique, un vernaculaire contemporain 127
2 00 0.5
10 2.5
20 m 5m
4
3. Bâtir au Caire
3
1
1 2 3
Rue Bab el-Wazir Échoppes Ateliers
2
4 5 6
Bureaux Cuisine + Cantine Logements
Fig. 44 : Coupe perspective 128
6
6
129
20 m 5m
10 2.5
2 0.5
00
3.c Mise en Ĺ“uvre des projets
5
3. Bâtir au Caire
5. La richesse du spontanĂŠ, la place d'eau
130
qui sont en prise directe avec la vie urbaine."1 Ouverture : Les dessins sont ici situés et localisés, pourtant ces situations (estrade, retrait, muret), constituent un ensemble d’éléments et dispositifs qui permettent de penser le projet ailleurs qu’au Caire. Il s’agit de s’extraire de la localité de cette rue pour expérimenter des méthodes de projet en s’outillant à partir de ces questions de relations, la pensée des instants, des usages inattendus. En effet, un projet pensé de manière très rationnelle pourra être perturbé par des éléments imprévus : on ne peut pas tout imaginer ni tout contrôler. 1 CANKAT Aysegül, Istanbul, ville multiple : empreintes architecturales et urbaines des communautés, du XIXe au milieu du XXe siècle, Thèse soutenue à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2011, Vol I, Page 61.
131
3.c Mise en œuvre des projets
Pourquoi pas ? Les interventions ont pour but de tendre vers une occupation probable qui consoliderait l’identité de la rue ainsi que les modes de vie des usagers. Ce qui pourra être mit en place participe à valoriser les spécificités de ces sites : l’ombre, la lumière, le silence, l’intimité, la dilatation de la rue, etc… En réinterprétant et en utilisant les dispositifs de références nous pouvons les employer pour imaginer ce même lieu avec différents usages. L’objectif est d’ouvrir les pratiques au détournement. La circulation par exemple impacte terriblement le déploiement d’activités sur l’espace commun, qui caractérise pourtant l'effervescence du centre historique du Caire. "Les dispositifs qui favorisent le stationnement prolongé des piétons, le stationnement debout ou assis permettent une appropriation improvisée de l’espace. Les espaces les plus prisés sont ceux
1
3. Bâtir au Caire
2
Pigeonniers Déchets 00 132
12
5
10
10m
20 m 20 m
Fig. 45 : Plan de l'effervescence de la rue.
10
Flux piétons Événements Flux motorisés Mobiliers
50
110
Dispositif d'appropriation
Transversalité, ramification, dilatation = différentes ambiances ressenties.
50
1
L'IMPASSE
2
LE MURET 110
50
protection -Proximité avec la circulation automobile -Perception sensorielle désagréable (poussière, pollution, déchets) confort + Invitation à circuler + Possibilité de marcher + S’asseoir + Possibilité d’observer + Niveau de bruit urbain + Effet de bordure (se tenir debout) attrait + Échelle de l’environnement + Profiter du climat (soleil/ombre) + Présence de végétation ou d’eau 133
3.c Mise en œuvre des projets
110
3. Bâtir au Caire
6. La mamelouke bazar
134
ab eB Ru
El
zir Wa
2
1
2
135
3.c Mise en Ĺ“uvre des projets
1
1. Le mamelouke bazar
Pouvoir acheter des objets artisanaux réalisés dans la rue Bab el-Wazir Habiter dans une trame ancestrale réhabilitée de manière contemporaine
Retrouver l'esprit du souk dans un marché couvert
3. Bâtir au Caire
Le projet du Mamelouke Bazar est le seul cas dans lequel la question du logement est abordée. C'est aussi ce projet au travers duquel nous venons nous positionner sur la question de réhabilitation d'un patrimoine oublié du centre historique du Caire, par ses qualités et diversités.
ainsi qu'un fragment de la façade sont notre base de réflexion. Sur les différents plans historiques auxquels nous avons pu avoir accès, nous voyons figurer une coursive en partie arrière desservie par un escalier. Se conformer à la structure d'origine de l'habitat Mamelouke nous offre alors la possibilité conjuguer un rez-de-chaussée commercial, généreux et adapté aux besoins des marchands de la rue, avec des logements en partie supérieure. Un tel programme est aussi une invitation à dialoguer avec le projet de la Porte Bleue (page 112) en proposant un espace de vente pour les différents biens conçus directement dans la rue. Nous renforçons alors ce lien entre les artisans Égyptiens et les touristes internationaux, curieux en évoquant cette authenticité aussi présente en dehors du souk.
Le projet prend place dans un ancien habitat Mamelouke datant du XIIIème siècle. Aujourd'hui en ruine, le rez-de-chaussée est occupé par des installations non-réglementées. De part et d'autre de celui-ci des constructions visiblement non-planifiés se dressent là où un exemple d'habitation collective ancestrale prenait place autrefois. À l'inverse de cette évolution que connaît nombre de constructions en désuétude dans le centre historique du Caire, nous proposons un projet respectant la typologie d'origine de l'habitat mamelouke tout en y apportant une réflexion sur les usages et les manières d'habiter actuels.
Le plan du rez-de-chaussée nous expose comment conjuguer la question d'un logement contemporain avec celle d'une trame structurelle dimensionnée il y a 700 ans. En effet, les besoins des foyers ont évolué. Nous proposons un plan en capacité de s'adapter à des familles de 5 ou des couples sans enfants.
Seuls éléments encore en mesure d'être restaurés, quatre murs porteurs transversaux 136
De plus les différents équipements nécessitant des gaines techniques sont mutualisés pour réduire leur nombre et leur impact sur la nature des logements. Au rez-de-chaussée les espaces de ventes sont fidèles à ceux que l'on retrouve de manière récurrente dans toute la ville : ils sont très denses et dessinent des circulations étroites au travers desquelles les visiteurs se faufilent. Une analyse préalable relatifs au espaces de commerces nous a en effet servi à identifier ce caractère mouvant des seuils qui s'étendent parfois sur une portion importante de la rue. Ils installent une transition intelligente dans les interactions qu'ils permettent tout en teintant l'ambiance de ce folklore particulier, que nous occidentaux, avons à l'esprit en parcourant les ruelles du centre historique.
Programme Rez-de-chaussée commercial avec mezzanine Logements
3.c Mise en œuvre des projets
Circulation
Structure heritée
Emprise des logements
Éléments stucturaux conservé
Mur de l'escalier
Emprise de la structure d'origine
Emprise originelle de la coursive, réduite afin d'aggrandir les logements
Le dimensionnement des murs stucturaux est questionné afin de répondre à des problématiques contemporaine du quartier.
Fig. 46 : Genèse du projet 137
Fig. 47 : Élévation Ouest
01
5
3. Bâtir au Caire
Limite verticale entre existant et extension
Fig. 48 : Photographie historique du Rab', ensemble de logement Mamelouke de la rue Bab el-Wazir 138
10m
5
4 2
1 3.c Mise en œuvre des projets
3
Fig. 49 : Plan de R+1
0
1
5
10m 20 m
Murs existants Circulation en coursive
4
Pièce commune
2
Vestibule
5
Cuisine et salle de bain en vis à vis
3
Chambre parentale 139
0
2
1
10
Murs nouveaux
5 3
4
1
3. Bâtir au Caire
2
Fig. 50 : Plan de situation des édifices
1
5
10m
Entrée des logements
4
Sanitaires
2
Salles des employés
5
Espace de vente
3
Réserve 140
0
2
1
10
20 m
0
3.c Mise en Ĺ“uvre des projets
Fig. 51 : Ambiance du souk dans le Caire historique 141
3. Bâtir au Caire
7. Le dispensaire
142
B Rue
zir l Wa ab E
1
2
3
143
3
2
3.c Mise en Ĺ“uvre des projets
1
1. Le dispensaire
par le temps et sûrement affaiblis par le séisme qui a frappé le Caire en 1992.
Bénéficier de services de proximité
Après cet état des lieux, il nous semble alors important de nous positionner grâce à ce nouveau bâtiment dans des dynamiques de diminution des risques d’effondrements, de résistance propre du bâtiment et de dissipation des aléas sismiques des constructions alentours. Cette approche est alors appliquée par la mise en place d’une trame de poteaux et poutres en bois et de fondations qui seront utilisées pour le fonctionnement global du bâtiment. La mise en place d’une telle structure permet de recréer de la cohésion entre les différents bâtiments du site et ainsi de proposer une meilleure homogénéité, propice à la résistance sismique. Le bâtiment devient un instrument ajustable à accorder avec son environnement en attention aux composants identifiés.
Soigner dans une zone d'habitation précaire où peu d'infrastructures de santé existent.
Situé à l’écart de la rue Bab el-Wazir, le site choisi est caractérisé par son calme. La partie de ce lieu qui nous intéresse est aujourd’hui un espace libre, présentant quelques assises, mais surtout recouvert de gravats. En face, on retrouve un mausolée rénové. Le sentiment de sérénité qui se dégage de ce lieu est fortement renforcé par cet édifice sacré et peu fréquenté. De l’autre côté, on retrouve un immeuble contemporain au nord qui clôt l'espace et différentes constructions à l’ouest, très abîmées
3. Bâtir au Caire
Lors de notre relevé des usages sur la rue et ses alentours, nous n’avons identifié aucune infrastructure de santé, il nous semble pertinent et indispensable de dédier une des parcelles choisies à cette pratique. Cet espace, calme comme expliqué précédemment, nous a semblé être le plus adapté à recevoir ce type de programme.
Fig. 52 :Photographie de la façade Est du site d'implantation du dispensaire 144
Existant
Structure
Bâti existant
Façades dégradées aveugles
La mise en place de la trame structurelle permet de recréer une cohesion entre les bâtiments et ainsi d'homogénéiser un système face aux risques d'effondrements.
Programme
Circulation
Circulations - Attentes
Les différents espaces du dispensaire sont organisés autour d'un accueil et d'une circulation centrale publique.
Façades dégradées
Façades solides aveugles
3.c Mise en œuvre des projets
Consultations Sanitaires Accueil
Fig. 53 : Genèse du projet 145
4
3
3
A
1
A’
4
3. Bâtir au Caire
2
1 2 3 4
Accueil Espace d'attente principal Espace d'attente secondaire Salle de consultation
Fig. 54 : Plan du rez-de-chaussée
0
146
1
5
0
2
10
10m
20 m
Grâce à notre expérience du lieu et les photos prises sur place, nous pouvons nous positionner quant à l’organisation du dispensaire suivant les façades environnantes. Les pignons aveugles seront les supports des espaces bâtis en opposition aux façades habitées qui bénéficieront d’extensions extérieurs. De part son système constructif simple, le dispensaire a vocation à se développer, tant horizontalement que verticalement suivant la demande générale liée à la santé. Les nouvelles terrasses mises en place et utilisées par les habitants des bâtiments environnants permettent alors de nouveaux accès et feront du dispensaire
un bâtiment refuge en cas de séisme ou toute autre catastrophe liée à l’architecture. S’organisant autour d’un espace d’accueil, l’attente se fera principalement à l’extérieur du bâtiment, sur le parvis, en cas de forte affluence. La présence de différents sas entre l’accueil et les salles de consultations permettra une attente intermédiaire avant la prise en charge des patients. Ces espaces intermédiaires, sont agrémentés de végétation qui permettra de conditionner les malades dans un climat de fraîcheur, propice au calme et rassurant avant toutes interventions.
0
2
0 1
10
5
10m
20 m
Fig. 56 : Élévation Est
0 1
147
5
10m
3.c Mise en œuvre des projets
Fig. 55 : Coupe A-A'
3. Bâtir au Caire
Fig. 57 : Plan du R+1
0 1
0
2
5
Les ouvertures du bâtiment sur l’extérieur se composent principalement de moucharabieh. Ceux-là permettent de conserver de l'intimité une fois à l’intérieur du bâtiment, en affirmant le sentiment de voir sans être vu et ainsi profiter de la lumière extérieure filtrée pour limiter la chaleur.
10
10m
20 m
conditions d’hygiène et de pérenniser la façade, seul les linteaux en bois restent apparents pour rythmer celle-ci. Cet ensemble bâti repose sur un socle continu en béton cyclopéen composé des gravats déjà présents sur le site. Ce socle est lui-même posé sur une fondation de graviers permettant d’optimiser la souplesse du bâtiment et son lien aux fréquences du sol alors antisismique. Ce socle devient le liant du bâtiment unifié par le sol, il dessine les circulations et offre des potentiels d’usages en devenant par exemple une assise aussi bien à l’intérieur du bâtiment qu’à l’extérieur.
Le système constructif de ce bâtiment permet de limiter les coûts de constructions ainsi que le temps de mise en œuvre. On retrouve le squelette initial en bois qui est rempli de briques de terre crue, riches de leurs qualités thermiques et écologiques. Ces briques sont enduites afin de proposer de meilleures 148
2
3
6
2,1m
7 4
40cm
1 9
10
8
Coupe A-A’
Coupe B-B’
60cm
B’
A’
B
3.c Mise en œuvre des projets
A
5
1 2 3 4 5
Socle beton cyclopéen Poutre bois 10x20 Linteau bois 30x30 Moucharabieh bois Poteau bois 30x30
6 7 8 9
Remplissage briques 10x20x5 Enduit à la chaux Lit de sable du Gebel Remblais avec déchets de taille de maçonnerie
Fig. 58 : Détails du système constructif et des usages 149
0 2 0 0.25
10 1.25
10 Muret en brique crue enduite sur la face intérieure
m 2.520m
1 2 3 4 5
Accueil Espace d'attente principal Espace d'attente secondaire Sanitaires Salle de consultation
3. Bâtir au Caire
5
2
Fig. 59 : AxonomĂŠtrie du dispensaire 150
4 3
1
5
5 3
151
30°
30°
3.c Mise en œuvre des projets
5m
2
1 0
3. Bâtir au Caire
8. La richesse du spontanĂŠ, la dent creuse
152
ces dispositifs peuvent entraîner d’autre usage. Ce travail offre donc des clés pour faire du projet ailleurs que dans son lieu d’origine. La manière dont on se fabrique des méthodes projectuelles est un véritable outil pour les futurs architectes que nous sommes.
153
3.c Mise en œuvre des projets
L’objectif est de questionner cet outil de redessin, d’hypothèses et de qualification, dans le travail de l’architecte. En pensant autrement le projet qui se construit à partir de cette localité, et en le dessinant d’une manière singulière, on invente une nouvelle forme de projet qui pourra être conçue ailleurs. La spontanéité de l’espace public, n’est pas propre aux pays en développement. Cette démarche projectuelle pourra nettement s’effectuer dans un contexte comme Grenoble. En faisant abstraction de la localité, des outils génériques peuvent intervenir pour que des dispositifs comme le muret, le rétrécissement de l’impasse, la dilatation d’une place etc, deviennent des concepts spatiaux de références. Il semble évident qu’au Caire, ou à Grenoble,
2
3. Bâtir au Caire
1
Pigeonniers Déchets 00 154
12
5
10
10m
20 m 20 m
Fig. 60 : Plan de l’effervescence de la rue.
10
Flux piétons Événements Flux motorisés Mobiliers
50
Admirer les pigeons vu d'en bas
80
50
S'asseoir au bord de la rue, des trottoirs de sociabilité
150
Venir s'équiper pour sa chicha
80
50
1
LA RUE
2
150
80
50
150
confort + Invitation à circuler + Possibilité de marcher + S’asseoir + Possibilité d’observer attrait + Échelle de l’environnement + Profiter du climat (soleil/ombre) + Présence de végétation ou d’eau + Modularité de l'espace 155
3.c Mise en œuvre des projets
protection -Proximité avec la circulation automobile -Perception sensorielle désagréable (poussière, pollution, déchets) -Dispositif pare soleil
LA DENT CREUSE
4. CONCLUSION
4. Conclusion
Fig. 1 : Vue satellite du quartier historique du Caire, Darb al Ahmar. Source : Google Earth. 158
Pour conclure cette étude, il semble important de questionner à nouveau la démarche projectuelle mise en place ayant permis de développer des outils de conception.
dans la mégalopole du Caire est une manière de faire dialoguer des valeurs personnelles avec la complexité d'un contexte urbain d'aujourd'hui. L’échelle du grand territoire explorée dans un premier temps, donne une orientation à nos idées, celle de révéler des atouts physiques présents dans cette ville. En tant que postulat, la réinterprétation du terme post-urbain apparaît comme une évidence pour une approche consciente de l’écologie et du sociale tournée vers l’histoire. Les trois grandes échelles d’intervention s’imbriquent et se questionnent mutuellement. Leurs articulations permettent de regarder d'un œil plus critique la substance de ce qui est révélé.
C'est lors des prises de décisions conjointes et de regards en arrière qu'une synergie du groupe est décisive. Comment d’un rassemblement de trois personnes, ce projet de fin d’études ne porte qu’une vision commune et reste, tout au long de son développement, enrichie des individualités de chacun. C'est par les biais de ces échanges assidus et de nos cultures complémentaires que ce travail se construit. Les hypothèses de projets proposées sont l'occasion de mener des expérimentations selon des convictions partagées dans un nouveau contexte. Cette démarche s’est mise au point suivant des approches, entre autres, prospectives, sensibles, physiques et sociales afin de problématiser le cadre spécifique du Caire. C’est en synthétisant différents regards portés sur le territoire que nous avons pu identifier des leviers qui répondent à des enjeux importants.
Le projet propose d’initier de nouvelles dynamiques et une revalorisation de la rue Bab el-Wazir. Cet engagement se traduit par l'édification d’infrastructures de proximité. Au travers de la mise en œuvre locale et ancestrale, les projets s’inscrivent dans l’idée de pérenniser l’architecture environnante. La maison de quartier, porte d’entrée de la rue et point central d’informations, en est une illustration par son système constructif actualisé adapté aux risques sismiques. Abordées suivant différentes thématiques, des réponses programmatiques proposent un espace intime dédié aux femmes ainsi qu’un dispensaire ouvert à tous. L’image désuète que renvoie la rue Bab el-Wazir aux yeux des touristes est renversée par la nouvelle place que trouvent les savoir-faire artisanaux au travers de vitrines culturelles proposées par les projets de la porte bleue et du mamelouk bazar. Ces interventions veulent susciter une meilleure habitabilité pour les Cairotes et réaffirment un lien intime entre les habitants et les touristes.
Tout d’abord, le travail sur la rue, orienté par des problématiques très locales nous a amenés à découvrir des besoins caractéristiques introduisant la notion de nécessaire. Cette micro-échelle de recherche est apparue comme une révélation et offre la possibilité de regarder et d’apprendre par l'observation. La frugalité inhérente à ce contexte est devenue une source abondante de stratégies conceptuelles. Les intentions s’affirment quand les principes sont clairs et ouvrent une discussion. Le travail d’esquisse n’est pas une finalité, il fait partie d’un processus, une manière de regarder sous un autre angle et de confronter les intentions premières.
Nous nous sommes focalisés dans cette étude sur la rue Bab el-Wazir, cependant, les enjeux que ses problématiques soulèvent ne sont pas isolés et se retrouvent en d’autres endroits du Caire historique. Dans l’idée d’adapter cette démarche à de nouveaux contextes similaires, la diversité des échelles de projets et de programmations, semble propice à se développer au-delà de cette rue. Ces nouveaux points d’impulsions agiront comme un cluster, résonance de plusieurs notes jouées simultanément.
D’une grande diversité, les quartiers du Caire nous apprennent énormément sur les besoins locaux. Les études relatives au centre historique permettent de comprendre les aléas urbains rencontrés et de nous positionner à leur encontre. Chercher des réponses au travers de cette échelle intermédiaire est d’une importance capitale pour imaginer des programmes et proposer des directions de projets. Loin d'être anodin, le choix de travailler 159
5.ANNEXES
a. Bibliographie, Filmographie Livres Agence spatiale européenne, Mégalopoles : une contribution de l’Agence spatiale européenne pour mieux comprendre le défi posé par mégalopoles à l’échelle planétaire, Publié par Artemis, 2005. ANGÉLIL Marc, Housing Cairo, publié par Berlin Ruby Press, 2016. BARTHEL Pierre-Arnaud, Le Caire : réinventer la ville, 2011. BAYOUMI Hala, Atlas du Caire contemporain, publié par le CEDEJ, 2020. BENDAKIR Mahmoud, La préservation d’une architecture millénaire en terre, les vestige de Mari, édition de la Villette, 2009. BENHABIB Djemila, Des femmes au printemps : essai, 2012. CANKAT Aysegül, Istanbul, ville multiple : empreintes architecturales et urbaines des communautés, du XIXe au milieu du XXe siècle, Thèse soutenue à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Vol I et II, 2011. FATHY Hassan, Construire avec le peuple, 1969. GAMAL SAID Noha, Vers une écologie sensible des rues du Caire : le palimpseste des ambiances d’une ville en transition, Thèse dirigée par Jean-Paul THIBAUD, Grenoble, 2014. GARCIN J.C. MAURY B. REVAULT J. ZAKARIYA M., Palais et maisons du Caire, Époque Mamelouke (XIIIe - XVe siècle), Groupe de recherche et d’études sur le proche orient, université de Provence, Édition du centre national de la recherche scientifique, 1982. GEHL Jan, Pour des villes à échelles humaine, Montréal : Les Éditions Écosociété, 2012. GUINARD Pauline, Johannesburg. L’art d’inventer une ville, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 326 p., 2014. JACOBI Dominique, Pascal Coste toutes les Égypte, Publié par Marseille : Parenthèses, 1998. MADOEUF Anna, La ville ancienne du Caire, espace de tous les patrimoines. Égypte/Monde Arabe, CEDEJ, Mutations, sous la dir. d’A. Roussillon, pp.59-79, 1996. MASBOUNGI, Ariella, Métamorphose de l’ordinaire : Paola Vigano, Grand prix de l’urbanisme 2013, Marseille : Éditions Parenthèses, 2013. MAURY Bernard, REVAULT Jacques, ZAKARIYA Mona, RAYMOND André, Palais et maisons du Caire (XVIe et XVIIIe siècles), Époque ottomane, publié par Centre national de la recherche scientifique, Paris, 1983. RAYMOND André, Grandes villes arabes à l'époque ottomane, Paris : Sindbad, 1985. SALIN Elodie, Les centres historiques du Caire et de Mexico : représentations de l’espace, mutations urbaines et protection du patrimoine, Sciences de l’Homme et Société. Université de Nanterre - Paris X, 2002. SAYED Hazem I., The Rab’ in Cairo: A window on mamluk architecture and urbanism, Massachusetts Institute of Technology. Dept. of Architecture, 1987. SIMS David, Understanding Cairo : the logic of a city out of control, publié par l’université américaine du Caire, 2012. SINGERMAN Diane, Cairo Contested - Governance, urban spaces and global modernity, The American University in Cairo Press, 2009. PERRAUDIN Gilles, Construire en pierre de taille aujourd’hui : musée des vins et jardin ampélographique, Patrimonio, Haute-Corse, Publié par Presse du réel, 2013. VIGANO Paola, Les territoires de l’urbanisme : le projet comme producteur de connaissance, MétisPresses, 2012. VOLAIT Mercedes, PIATON Claudine, HUEBER Juliette, Le Caire portrait de ville, 2011. WARNER Nicholas, Monuments of historic Cairo, publié par l’université américaine du Caire, 2004. YERASIMOS, Stéphane, Istanbul, la naissance de la ville ottomane, Revue Gégraphique de l'Est, 1997. 162
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164
b. Extrait d'interview Matthieu Vanpeene, 1 mars 2020. Architecte diplômé de Belleville en 2011, doctorant sur la construction grecquo romaine, étude constructive de la pierre à l'IFAO, Le Caire.
Et au sujet de l'architecture en pierre ? Il n’y a plus eu de construction de pyramides à partir du Moyen-Empire (-2033 à -1786 av JC). La pensée égyptienne autour de l’architecture de pierre se lie à la quête de l’éternité (théologie). Il y a une grande résistance aux tremblements de terre, par un travail latéral, et ce qui va retenir le bloc (la force de frottement). Les pierres sont cramponnée, chevillée avec du bois. Il n’y a pas eu de traité de construction, mais leurs savoir-faire étaient incroyables. (voir le Temple de Dendérah en Égypte). L'exemple du temple de Deir el-Shelwit est très intéressant pour ses assemblages en agrafe et les détails de cerclage. Les toitures quant à elles, étaient de véritable monolithes (voir le travail d’Henri Chevrier au moment de la restauration à Karnak). On trouve à Helwan des carrières de pierre de calcaire. À l’ouest d’Alexandrie, ils découpent la montagne pour les pierres blanches.
Qu'en est-il de l'architecture en terre crue en Égypte aujourd'hui ? Il y a de nombreux exemple comme la tombe de Ramsès II à Louxor, la voûte est en terre crue, en partie préservée. Le profil est en goutte d’eau (théorisé par Choisy pour la descente des charges), voûte nubienne, sans besoin d'échafaudage. Toutes les constructions civiles antiques étaient construites en terre crue, jusqu’à la période byzantine, où la terre cuite la remplace. On utilise encore aujourd’hui la brique de terre crue au sud de l’Égypte (cela tend à disparaître dans les campagnes). Quelles en sont les limites ? La modernité sociale ! Les gens veulent du béton, de la terre cuite qui ne sera jamais enduite, car ce qui compte c’est l’intérieur du logement. Les murs ne font que 10 centimètres d’épaisseur, où il fait 55° degrés en été. Les dalles fines en béton sèchent très peu. On ne peut pas monter assez haut avec les BTC (maximum 2, 3 étages, sauf pendant l’antiquité où les maisons pouvaient monter jusqu’à 5 étages (voir maison NEHET n°3 https://www. nehet.fr/). La solution serait de concevoir une architecture mixte, structure béton et remplissage terre crue. Les cloisons intérieures font offices de contreventement.
La brique de terre cuite est très présente dans le paysage Cairote, pourquoi ? Il existe de nombreuses briqueteries autour du Caire, qui utilisent du charbon, du carburant, pour faire cuire les briques (fortes odeurs). Vers Louxor rive ouest, il y a des fabriques de briques pour les chantier de construction. Pour les fabriquer il faut compter 24h à 48h de cuisson, elles mettent jusqu’à 5 jours pour refroidir. Elles sont brûlées au mazout. Les logements entre Gizeh et le Caire sont très denses et tous construits en structure béton et remplissage brique. Pourtant ils sont tous vides, pourquoi ? C’est un exemple de spéculation et de lavage d’argent sale (exploitation clandestine…). Les sociétés de BTP se font payer en liquide et construisent pour des investisseurs privés qui attendent qu’un jour ce terrain gagne en rentabilité. C’est un investissement sur le pari de l’étalement urbain. Pour le moment le terrain ne vaut rien et les bâtiments sont laissés brut, il n’y a aucune finition, ce qui fait que la construction est très peu chère. Un autre exemple, à Zamalek, un quartier très riche de la ville du Caire, on peut voir une tour
Comment se fabriquent les briques en Égypte? Les briques de terre crue sont fabriquées à base d’un mélange terre et paille (qui évite qu’elles craquent), ce mélange macère 5 jours pour que la paille se ramollisse. Au sol, ils étalent du sable ou de la cendre et viennent mettre le mélange dans des moules en bois. La brique en séchant perd environ 10% au séchage. Cela dépend de la taille de la brique. Elles restent ensuite de 3 semaines à 1 mois au soleil pour les plus grandes. Le mortier viendra absorber les imperfections. 165
de parking de 20 étages, elle est vide depuis 30 ans car le propriétaire n’entreprend rien pour changer son usage. On attend le moment où ça deviendrait rentable. Ceci est inenvisageable en France. Notion de rentabilité autre et difficile à saisir. En Égypte ce qui intéresse les politiques c’est ce qu’ils peuvent vendre et rapporter de l’argent, c’est cela qu’il développe.
tout moment devenir un parking. Existe-t-il des risques naturels au Caire ? Séisme : Aucun bâtiment ne resterait intacte à Giza, Downtown ne souffrirait pas trop. L’eau : Nouvelle ville avec gazon d’une verdure impeccable, on est riche donc on a un gazon. L’Égypte a été habitué au gaspillage, c’est le pays d’Afrique où l’on gaspille le plus l’eau car il y a le Nil, telle une source inépuisable depuis des millénaires. En technique d’irrigation, qui arrive à ses limites, les problèmes de gravité ne permettent pas d’amener l’eau trop loin dans le désert. Gaspillage de l’eau effréné, les gens nettoient tous les jours leurs voitures pour qu’elles brillent. Leur technique d’arrosage de champs est aussi incompréhensible : ils noient le champ. Malgré les préventions, il n’y a aucune mesure de prise quant au risque d'assèchement avec 123 millions d’habitants. Quand les pays en amont du Nil disent qu’ils vont construire un barrage pour irriguer, l’Égypte est en désaccord car ils se sentent propriétaires du Nil. Pourtant ce sont la pluie des pays en amont. Un accord s’est terminé il y a cinq ans qui marquait que le Nil était une propriété d’Égypte. L’eau dans cette région géographique du monde est un élément très complexe. Sable : pas de risques. Poussière : car il ne pleut pas assez.
On nous a parlé de lois sociales qu'a mis en place Nasser au moment de sa présidence, les baux sont toujours bloqués aujourd'hui ? La loi pour la location a été modifié, les baux ont été verrouillés, un bail signé à l’époque ne pouvait pas augmenter. On ne pouvait pas non plus mettre dehors les gens. Socialement cela part d’une bonne attention. Les gens ne seront pas expulsés avec la montée des prix. Le problème c’est que les propriétaires n’ont pas eu les moyens d’entretenir les bâtiments avec des loyers aussi bas (60 LE pour 100 mètres carrés), ce qui explique le niveau de désuétude de certains quartiers historiques. Ainsi que l’idée d’une volonté de modernité ne donne pas envie de sauvegarder le patrimoine. Comment définir l'espace public Cairote ? L’espace public est une non question, il n’y a pas d’espace public. Par exemple à Paris il y a la voirie, inclut aussi le transport en commun, implique des équipements, des parcs, des respirations, des jeux sur les rythmes… Tout ce qui est accessible au plus grand nombre et qui appartient à la collectivité. En Égypte si tu reprend cette définition, il n’y a pas d’espaces publics, ce qui appartient à la communauté c’est la voirie, mais encore, le trottoir appartient à l’immeuble en face de la portion de trottoir. Les arbres dans les rues, ce sont les gens qui vivent là qui ont planté les 3 arbres en face. Des rues gigantesques (celle qui mène au zoo, une très large), il y a un bâtiment avec 3 arbres face à cette maison. Les gabarits européens avec les plantations n’ont rien à voir en Égypte. Ces arbres n’appartiennent pas à la communauté mais à un seul propriétaire. Les parcs par exemple, (sauf celui d’Al-Azhar qui a une ambition qui est presque public mais payant), sinon les parcs ne sont pas publics, ni populaire. Le reste ce sont des privés qui louent des terrains dans les quartiers. Ils peuvent à
Le grand tort des projets voulus et créés par l’état aujourd’hui c’est qu’ils sont immobiles. Normalement on met les bases et tu laisses vivre. L’état fixe les choses “ici on va faire ça” et ça ne changera jamais tant que l’état aura la main dessus. Manque de lieux appropriables. Ouvrir des opportunités, donner l’ouverture pour que les gens s’approprient l’espace, aménager des respirations. Réfléchir à la fonction potentiel des espaces. Ici l’état construit les routes et la pensée de l’urbanisme s’arrête ici.
166
Fig. 1 : Centre d'art Wissa Wassef, réalisé par l'architecte Ramsès Wissa Wassef. 167
LE CAIRE : Vers une transition post-urbaine. Le terme théorique de “post-urbain” est utilisé pour reconnaitre l’importance d’intégrer l’échelle locale et ses diversités d’usages pour penser un nouvel urbanisme conscient. Nous souhaitions répondre à un concours international proposant de concevoir un mémorial à la Terre en périphérie du Caire, à Gizeh. Lors de notre voyage en Égypte, nous avons observé l’expansion urbaine galopante de la mégalopole, caractérisée par des modes constructifs aveugles du rapport au lieu et à la Terre. Cette urbanisation provoque de nombreux risques écologiques et sociétaux. Le programme du concours, par son public et son implantation, s’inscrit dans cette logique d’étalement. À l’inverse, le quartier historique se caractérise par un cumul d’usages culturels et constructifs, spontanés et patrimoniaux. Il est pourtant abandonné de l’investissement politique. Ces découvertes nous ont donc amené à requestionner notre positionnement en prenant le contre-pied de cette urbanisation macrophage au profit de la mise en valeur de spécificités locales. Les projets que nous proposons interviendront comme une acupuncture urbaine pour créer de nouveaux points d’impulsion dans le centre historique du Caire. La régénération de la rue Bab el-Wazir est imaginée au travers de nouvelles dynamiques entre programmes sociaux et patrimoniaux. Les cinq interventions ponctuelles permettent de réinvestir le centre-ville par la réinterprétation des architectures vernaculaires et la mise en œuvre de matérialités locales. Le risque d’effondrement, est pour nous l’occasion d’adopter une attitude raisonnée : résister, diminuer et dissiper l’aléa sismique. En étant attentif à tous les composants avoisinants, ces bâtiments deviennent des instruments qui s’accordent à leur environnement. À long terme, la réflexion veut susciter un impact global sur l’habitabilité cairote.