INTERVIEW #9 - MAI 2019 - YES WE ARE MAGAZINE
JARRI MIMRAM - PHOTOGRAPHE Jarri Mimram, photographe français venu du sud-ouest du pays, comme il le dira dans l’interview, base sa création visuelle sur les façades, de maisons le plus souvent, parfois d’immeubles. Tour de France incomplet mais si riche et si tendre, parfaitement cadré, et souvent, composé. D’autres sujets sont au menu de sa photographie, avec par exemple de délicieux paysages biarrots (de Biarritz, S-O), et, récemment, une évolution particulièrement impressionnante et puissante vers la déglingue et le clair-obscur en lieux abandonnés. De cet entretien coule sa personnalité délicate mais combative, à des années-lumière du clampin minable qu’on subit à longueur de journées, ici et là. Bonne lecture, et bonne découverte à ceux qui ne connaissent pas les photos de Mr Mimram.
Quels sont les sujets que tu préfères photographier ?
Dans les rues de Lille…(30)
Certains paysages me «parlent» particulièrement, mais j’adore surtout photographier l’habitat humain. Des «morceaux» d’habitat, très symboliques et ayant subi les outrages du temps, de la pluie, du soleil…des portes, des fenêtres, leurs volets…des morceaux de murs. J’aime les regarder, les toucher, et les photographier…car ils éveillent beaucoup d’émotion en moi. Ce sont eux qui permettent la communication maîtrisée entre l’intime et l’agitation. Ils laissent à ressentir les vies passées...les joies, les souffrances…le courage… l’humanité. Je les croise, je les vois, je les regarde avec amour…et j’appuie sur le bouton. Je laisse un peu de sol au bas de l’image, pour situer et donner de la profondeur. Puis je m’emploie à les rendre «tous beaux » avant de les poster sur ma page…pour qu’ils puissent voyager au loin et ravir d’autres regards.
Quels sont les artistes, et aussi, les gens, qui te font rêver ? Ils sont multitudes…célèbres ou inconnus, exposés en galeries ou «seulement» sur des blogs…qui m’offrent à rêver. Ils ont dessiné, peint, écrit avec la lumière…et je les perçois comme une musique pour mon âme. Je ne peux pas parler de peinture, tellement mes goûts sont étendus et ma mémoire des noms incertaine. J’aime également le dessin publicitaire du 20ème siècle, ses affiches, réclames…et les publicités autrefois peintes sur les murs de nos cités. En musique…ce serait trop long. Ma sensibilité s’étend de Brahms à certains morceaux d’AC-DC…en passant par David Bowie, Dire Straits, Francis Cabrel, et en n’oubliant pas le funk !!
Le rap, non, je «n’accroche» pas ... En photographie, trois personnes m’ont particulièrement marqué : - Ansel Adams, un technicien hors pair, inventeur du jadis célèbre «Zone System»… - (le grand) Josef Sudek, véritable poète de la lumière, dont j’ai pu contempler les oeuvres exposées au Jeu de Paume en septembre 2016 … - Eugène Atget, pour son œuvre témoignant avec sensibilité et passion d’une époque révolue. Ces photographes, par leurs productions et leurs vies, m’ont fait rêver…me font encore rêver, et m’inspireront toujours.
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Te considères-tu comme «très français» ? Je suis né et je vis dans une région proche de la frontière espagnole, un peuple ami, un peuple frère. J’ai vécu ma jeunesse à une période ou le mot racisme n’existait pas encore…nous vivions ensemble…d’origines sociales ou géographiques très différentes…sans nous poser de questions. Nos différences n’étaient pas proclamées richesses, mais la somme de ces différences en était bien une. Les valeurs qui nous unissaient étaient bien supérieures, en qualité et en nombre, à celles qui auraient pu nous opposer. …mais j’ai 59 ans, et le monde à changé. Je me sens «très français»… - lorsque je pense à cette nation qui a fait 209 guerres en 220 ans, qui est responsable des deux plus grands génocides récents (les Indiens d’Amérique et les esclaves noirs), et de plusieurs
autres millions de morts depuis…et prétend imposer sa loi à tous les peuples… -et idem lorsque je pense au Conseil Européen, cette pure construction de Washington qui annihile la souveraineté des nations, et enterre nos démocraties en dictant (comme dans «dictature») aux peuples comment ils doivent penser, et ce qu’ils doivent devenir. Plus généralement, je crois que chacun devrait se sentir heureux de vivre dans son pays natal…pour peu que ce pays lui offre des conditions de vie lui donnant envie d’y rester… Je crois aussi qu’il serait dans l’intérêt de chacun des pays riches de participer, sans rien en exiger en retour (si ce n’est la fraternité), au développement des pays les plus pauvres. Bombarder et piller ne fait qu’augmenter la misère humaine. Reflets de fenêtres…à Paris, quartier du Marais (01)
Quelle est ton point de vue sur les cartes postales, et comment te positionnes-tu par rapport à cette pratique ? J’adore les cartes postales… ces tirages photographiques au dos desquelles on écrivait au stylo à plume, en laissant juste assez de place pour le timbre postal…surtout celles en virage sépia, ou à l’or. Elles sont d’une profondeur extraordinaire, due en partie aux optiques de l’époque, et surtout à un développement du plan-film qui lui donnait de l’acutance (NDLR : piqué). Je ne suis pas collectionneur, en rien d’ailleurs…mais si j’avais dû l’être, c’eût été de vieilles cartes postales. Elles me parlent de ces vies disparues, de ces personnes qui pensaient les unes aux autres, et le leur disaient, par courrier ou avec les cartes postales. Je ne suis pas nostalgique de cette époque où le téléphone n’équipait pas encore tous les foyers.
Je ne suis pas nostalgique des temps passés. Mais j’ai énormément de respect pour tout ce qui est un bienfait, et réaliser une carte postale dans l’ancien temps demandait de la compétence, de la peine et du travail. Etre photographe était un métier exigeant, un véritable savoir-faire au niveau de la prise de vue, de la maîtrise des formules optiques, de la chimie…. Je suis nostalgique de la perte de cet état d’esprit de l’époque, où chacun faisait du mieux possible, en y mettant un point d’honneur. Une vieille valeur ayant bien du mal à survivre, mais celle de nos grandparents, et de leurs parents, et de ceux qui précédaient. Ceci dit, je suis souvent en totale admiration devant la beauté de certaines photos sorties d’un appareil réglé en mode «tout automatique». Une belle image est une belle image, même si elle n’est pas le fruit d’une longue expérience… d’ailleurs, l’expérience ne produit pas systématiquement de belles images.
Cela t’a déjà été demandé dans une autre interview, mais peux-tu de nouveau nous donner quelques Tumblr que tu aimes particulièrement ? Joker ! (Rire) Mes amours ressentent les mêmes, éclectiques. Mais j’avoue ne pas m’imposer le temps d’être plus assidu, de ne pas suivre et liker autant que je le voudrais les gens auxquels je suis abonné. Par le fait, des pages comme l’excellent Yes We Are Magazine me rendent bien service pour découvrir des photographes talentueux(ses). (Et en plus c’est vrai !) Je suis assez régulièrement le blog The Soft Pangolin (siiii, c’est également vrai)…car j’admire plusieurs de ses réalisations. Je perçois du Gustav Klimt dans les productions d’Anne…et j’aime particulièrement Klimt. Ah, si, je me suis également abonné il y a quelques temps à un blog de street photography…beaucoup de noir et blanc, des contrastes poussés...pas du tout mon style à priori…mais dont plusieurs images me portent. Je me surprends moi-même (et c’est plutôt bien). Il s’agit du blog «Errances», la page d’Elsa Bertrand.
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Dans les rues de Lacq…(01)
Comment le christianisme est-il important dans ta vie et ta création ? Ta question est intéressante…et je te remercie de l’avoir posée ! (Rire) Plus sérieusement, oui, cette question est véritablement intéressante. Pourquoi ? Parce que je me la pose régulièrement depuis quelques temps ! (Rire) Le monde ne va pas bien, en vérité rien ne va bien dans ce monde…et notre si «grandissimeépoustouflante-inter-galactique» civilisation se meurt. Ce n’est pas la faute des étoiles, ou de la météo, c’est de la nôtre, nous nous sommes trompés de maître. Nous nous sommes trompés de roi. Pensez…un roi vert ! «Je suis chrétien»… il m’est arrivé plusieurs fois, très récemment, de me définir moralement (et politiquement) de cette manière claire et concise. …me choquant moi-même. Pourquoi ? Comment en suis-je arrivé là ? Pour imager en seul mot ce qui m’anime (du latin anima : âme). Parce que nous sommes allés trop loin, que nous nous trompons même par les mots … Que beaucoup de mots sont aujourd’hui employés à la place de leurs contraires, que le sens disparaît et que les esprits, ainsi déstabilisés, se perdent (…pense par exemple au mot «démocratie»). Que le sophisme est prince et que le mensonge règne. Que, poussé par quelque démon, je me sens obligé de redresser la tête ? Je suis chrétien. Pas seulement par héritage,
Parle-nous de ton évolution artistique, sens-tu qu’un chemin est en train d’être construit, ou que tu stagnes ? Bah, je ferai court…même si la question est excellente, et que je te remercie de me l’avoir posée (rire). En vérité, je ne me pose pas cette question… je fais. Ai-je bien répondu ? (Rire)
mais par un choix renouvelé à chaque instant. Je suis un chrétien en terre chrétienne. Je n’éprouve aucune animosité envers ceux qui vivent une autre pratique, je déplore seulement que nos religions nous opposent là ou notre spiritualité devrait nous rapprocher. Il est d’ailleurs heureux que je n’aie aucune haine envers les autres, cela ne ferait que démontrer que je ne suis pas réellement chrétien. Être chrétien, c’est être anarchiste. C’est reconnaître les valeurs d’humanité primordiales, et ne pas vouloir en vivre d’autres. Être chrétien, c’est ne pas haïr…mais c’est aussi refuser de se soumettre à la terreur.
LIENS : JARRI MIMRAM :
jarrimimram.tumblr.com
Galerie de Jarri dans YWAMag (cliquer sur le rectangle gris en bas de page après la première page, 58 images).
BASILE PESSO/INTERVIEWER : basilepessoart.tumblr.com
yeswearemagazine.tumblr.com
instagram.com/basilepesso
ANNE PANGOLIN GUÉNO /GRAPHIC DESIGN :
thesoftpangolin.tumblr.com
instagram.com/thesoftpangolin
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