Revue la Raison

Page 1

la raison

Le Mensuel de la Libre Pensée

La Raison N°589 - mars 2014

Ventôse CCXXII

Non à la Ratification des langues minoritaires et régionales

Liberté-Egalité Fraternité-Laïcité Unité de la République

3,50 e


Notes de lecture De la Justice

J

par Jacques Langlois

acques Langlois, qui écrit régulièrement dans le « Monde libertaire » et le blog anarchiste « Divergences » a déjà publié plusieurs ouvrages aux Éditions libertaires : « Des causes de la crise » en 2009 et « Le capitalisme c’est le vol » en 2011. Son ouvrage « De la justice » paru en septembre 2013 est une analyse sociologique des mécanismes contemporains de l’injustice.

On peut tirer grand profit de cette lecture sans pour autant, bien entendu, partager les options socialistes libertaires de l’auteur, qui se réclame à la fois de Proudhon, Marx et des travaux de Pierre Bourdieu. C’est le livre d’un militant engagé du combat social pour l’émancipation de l’homme qui n’hésite pas à relier ses travaux théoriques à de nombreux sujets d’actualité. On y trouvera de nombreuses définitions des termes, (justice, égalité, équité …) que nous employons facilement, sans toujours avoir la certitude que nous leur donnons tous la même signification. Nous ne résistons pas au plaisir de citer le passage suivant : « de façon générale, les religions s’accommodent fort bien des inégalités et injustices terrestres soit par repli sur soi, soit par la promesse d’un monde meilleur. En attendant l’ordre terrestre relève de la Providence divine, ce qui est une autre façon de fonder les inégalités sur une transcendance qui repousse d’avance toutes les prétentions à vouloir changer l’état des choses ». Soulignons l’excellente couverture créée par « l’Atelier des grands pêchers ».

Henri Huille De la Justice de Jacques Langlois aux Éditions libertaires - 270 pages - 15€

Photo de couverture : La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.

Sommaire

Notes de lecture De la Justice Editorial Ainsi va le monde AILP 8 Soutenez, participez au 4e Congrès de l’AILP Notes de lecture Debout les athées de la Terre 8 AILP 9-10 La Libre Pensée reçue à Bruxelles, contre le délit de blasphème Europe 11-12 Non à la ratification de la Charte des langues régionales.. Religions 12 Une conversion très spéciale Pacifisme 13-14 La République doit réhabiliter les 650 Fusillés pour l’exemple Les généraux fusilleurs 15 Joffre Sciences 16 Une nouvelle atteinte à la liberté de la recherche Dossier 17-20 La Commune de Paris et la démocratie 2 3 4-7

Laïcité 21-22 Meilleurs vœux laïques pour 2014 Notes de lecture Walid Khalidi 22 Laïcité 2014 : 55e budget antilaïque 23 Silence, on tourne 24 Rites laïques 25-27 Marc Blondel reçoit Jean-Luc Roméro Vincent Lambert 27 Cinema Une entreprise pédagogique, le général du Roi 28 La Taupe Sisyphe 29 Antidogmatique 30-31 Manuel Valls, le triumvir Encarts Entraide et Solidarité et Association laïque des Mal32 Voyants 35 In memoriam Henri Marchand 33 Vie des Fédérations 34 Notes de lecture Armand Simonnot 35 et Photo du mois Bénédiction Déclaration commune d’Europa Laïca, … 36


Dossier La Commune

de

Paris

et la démocratie

« Nous avons revendiqué l’émancipation des travailleurs et la délégation communale en est la garantie »

Nous ne pouvons en quelques pages donner toute la substance de la Commune de Paris dont la portée est universelle ; ce mois-ci, nous nous attarderons sur un aspect, plus spécifique, celui de la démocratie dite « communale ». En effet, il nous est seriné que le « monde est un village » Bien plus qu’une référence à celui qui fit un long voyage autour du monde pour revenir à son « petit village », il faut y lire un rejet de la citoyenneté : si le monde est un village, toute le monde est citoyen, mais personne ne peut décider. Le problème est : qui décide les limites du village ? Si le monde est un village, pourquoi les accords de Schengen, pourquoi Lampedusa, pourquoi la vindicte contre d’autres habitants du « village » ? entière. Louise Michel et André Léo furent les noms les plus connus mais non uniques. Rimbaud a bien écrit à propos des mains de ces femmes « Elles ont pâli, merveilleuses, /Au grand soleil d’amour chargé/ Sur le bronze des mitrailleuses / À travers Paris insurgé ! ».

République et démocratie communale La République, ce n’est pas l’absence de monarque ; plus exactement, ce n’est pas que cela. C’est une série de lois et de mesures pour que la res publica, la chose publique, soit effectivement publique et commune. Autrement, cette République serait bien peu démocratique. C’est un esprit républicain, et même libertaire, (et tant pis pour les sectaires de quelque nom qu’ils s’affublent) qui fait dire à Robespierre, à la tribune de la Convention, le 10 mai 1793 : « Fuyez la manie ancienne des gouvernements de vouloir trop gouverner : laissez aux individus, laissez aux familles le droit de faire ce qui ne nuit point à autrui ; laissez aux communes le pouvoir de régler elles-mêmes leurs propres affaires en tout ce qui ne tient pas essentiellement à l’administration générale de la République ; en un mot, rendez à la liberté individuelle et tout ce qui n’appartient pas naturellement à l’autorité publique ». Il formulait ainsi une tradition républicaine que la Commune a poursuivie et étendue.

Internationalisme Contre tout abcès xénophobe, le programme de la Commune voulait la libération de l’Humanité entière, et pour cette raison même, était fondamentalement et essentiellement internationaliste. Elle faisait régulièrement référence dans ses proclamations ou dans les discours de ses membres à « la Commune universelle ». Le droit de vote et d’éligibilité fut accordé sans restriction de nationalité. Un des membres les plus connus de la Commune fut l’ouvrier hongrois, le libre-penseur Leo Frankel élu en vertu d’un décret spécial parce que le drapeau de la Commune était celui de « la république universelle ». Leo Frankel Des centaines de militants non-français furent ainsi électeurs, éligibles et élus. On pourrait citer, entre autres, le russe Lavrov, sa compatriote Elisabeth Dimitrieff, les polonais Dombrowki et Wroblewski, qui furent, pour les deux derniers, des chefs militaires de la Commune au combat ; la démocratie n’a pas de frontières, de limites. Nous ne reviendrons pas ici sur la place des femmes dans la Commune ; elle mérite bien plus qu’un article. Notons seulement qu’au moment où le cléricalisme et le bonapartisme entendaient les confiner, au contraire, avec la Libre-Pensée, avec le mouvement ouvrier, les meilleures représentantes du combat pour l’émancipation des femmes (qu’elles ne limitaient ni à un sexe, ni à un genre) œuvraient pour la libération de l’Humanité toute

Tombe de Wroblewski au Père Lachaise

17

La Raison n°589 - mars 2014


Dossier avec les « régions » et les bonnets de nuit réactionnaires, colorés en rouge ! Cette déclaration de la Commune de Paris énumérait les droits de chaque commune : le vote du budget communal, la direction des services locaux, le droit permanent de contrôle et de révocation des magistrats ou fonctionnaires communaux de tous ordres ; la garantie absolue de la liberté individuelle, de la liberté de conscience (à noter!) et la liberté de travail, le libre et juste exercice du droit de réunion et de publicité ; l’organisation de la Garde nationale avec élection de ses chefs. Il n’y a pas une de ces lignes qui ne soit une accusation contre l’Union européenne ! L’administration centrale du pays était définie comme la « délégation des communes fédérées ». Il était souligné que la Commune de Paris ne cherchait pas la destruction de l’unité nationale. Au contraire ! Son but était la fin du Dmitrieff Elisabeth « militarisme, du fonctionnarisme, de l’exploitation, de l’agiotage, des monopoles, des privilèges auxquels le prolétariat doit son servage, la Patrie ses malheurs et ses désastres ». La République a bien un contenu social et c’est un trait constitutif de la République française que cette démocratie communale. L’Union vaticane appelée officiellement Union européenne, parce qu’elle est vaticane, doit combattre et détruire aussi bien la République que les libertés communales.

La démocratie Mais l’essentiel des conséquences de la Commune, c’est d’avoir inscrit la démocratie politique qui est, à la fois, un des aspects et la préface de la démocratie sociale. Mais, en même temps, comme dans tout œuf il n’y a pas obligatoirement un poussin qui sommeille, la démocratie politique n’est que la première lettre de l’alphabet et un

Vive la Commune

Comme le dit Ernest Labrousse dans sa préface à l’Histoire socialiste de la Révolution française de Jaurès « le socialisme français est un socialisme républicain », non pas parce qu’il affirmerait sa préférence à la forme républicaine de gouvernement mais parce que le socialisme, le mouvement ouvrier, la Commune ont donné chair et vie à la République, aux services publics, à l’unité et à l’indivisibilité de celleci, aux libertés publiques, aux libertés communales. Cette indivisibilité chère aux Communards ne signifie ni uniformité ni disparition de la vie politique locale ; au contraire ! La déclaration « Au peuple français » adoptée le 19 avril, est un des documents programmatiques de la Commune de Paris. La déclaration soulignait le principe de « 1’autonomie absolue de la commune étendue à toutes les localités de la France, et assurant à chacune l’intégralité de ses droits, et à tout Français le plein exercice de ses facultés et de ses aptitudes, comme homme, citoyen et travailleur ». Il n’y a unité et indivisibilité de la République qu’en ce sens : l’unité est garantie par l’égalité de chacune de ses unités élémentaires et l’indivisibilité, à la fois, garantit l’unité et est garantie par elle. Les unités élémentaires, les atomes de la République sont les communes et attaquer les communes, leur existence, leur nombre, leurs prérogatives, c’est attaquer la République elle-même. Par le haut, avec le FMI et la mondialisation et par le bas, La Raison n°589 - mars 2014

Le bourgeois fuit la Commune de Paris

18


alphabet ne se réduit pas à la lettre « a ». Nous ne pouvons prendre que quelques exemples.

ne voulez pas de réformes, vous aurez des révolutions » est lourde de menaces approchantes ! Cette volonté de démocratie éclate quotidiennement dans chacun des actes de la Commune et à chacune de ses sessions.

Quand, dans les premiers jours de la Révolution, le comité de la Fédération républicaine et le comité central de la garde nationale opèrent leur fusion, dans la déclaration préalable des statuts adoptés, on peut lire : « La République est le seul gouvernement possible ; elle ne peut être mise en discussion. La garde nationale a le droit absolu de nommer tous ses chefs et de les révoquer dès qu’ils ont perdu la confiance de ceux qui les ont élus, toutefois après une enquête préalablement destinée à sauvegarder les droits de la justice. »

La démocratie ne s’oppose nullement - bien au contraire - à la centralisation politique -, il n’y a de démocratie que contrôlant le pouvoir. Une politique sans pouvoir, cela s’appelle la subsidiarité, l’œuvre de l’Eglise, l’œuvre de Dieu (et que les hommes ne s’en occupent pas !). La première séance de la Commune de Paris est ouverte par son doyen d’âge, Beslay : Que dit-il ? « Depuis cinquante ans, les routiniers de la vieille politique nous bernaient avec les grands mots de décentralisation et de gouvernement du pays par le pays. Grandes choses qui ne nous ont rien donné ». Il poursuit « la Commune que nous fondons sera la Commune modèle. Qui dit travail, dit ordre, économie, honnêteté, contrôle sévère.»

Dans une discussion au moment où les Versaillais ont entamé leur marche sanglante, un membre de la Commune affirme « En ce moment, il me semble que nous perdons notre temps. Nous avons nommé, hier, neuf délégués ; ils ont un mandat bien défini à remplir, ils n’en ont pas d’autres. Ne les entravons pas. Nous pouvons toujours les révoquer, s’ils font mal. Nous les contrôlerons, nous les surveillerons, mais n’allons Aux morts de la Commune pas gêner leur liberté d’action. » La célèbre « Adresse de la Première Internationale », bien connue, a été publiée en juin 1871, soit peu de jours après la fin des combats.

La Commune de Paris a donné de multiples gages de la démocratie révolutionnaire. Jamais elle n’a insulté le peuple en lui demandant de « participer » à la démocratie. Le peuple travailleur ne participe pas à la démocratie. Il est la démocratie, son point de départ, son point d’arrivée, son vecteur et son moyen d’action. Ainsi, le 23 mars un appel commun aux travailleurs, diffusé par les sections parisiennes de l’Internationale et la Chambre fédérale des sociétés ouvrières affirme : « Nous avons revendiqué l’émancipation des travailleurs et la délégation communale en est la garantie, car elle doit fournir à chaque citoyen les moyens de défendre ses droits, de contrôler d’une manière efficace les actes de ses mandataires chargés de la gestion de ses intérêts. »

Que dit-elle en tirant les leçons pour les combats futurs (et donc pour nos combats actuels) ? « Son véritable secret [la Commune] le voici : c’était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du travail. » Il avait été auparavant dit dans cette déclaration : « La Commune fut composée des conseillers municipaux, élus au suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville. Ils étaient responsables et révocables à tout moment. La majorité de ses membres était naturellement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière. La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois. Au lieu de continuer d’être l’instrument du gouvernement central, la police fut immédiatement dépouillée de ses attributs politiques et transformée en un instrument de la Commune, responsable et à tout instant révocable. Il en fut de même pour les fonctionnaires de toutes les autres branches de l’administration. Depuis les membres de la Commune jusqu’au bas de l’échelle, la fonction publique devait être assurée pour un salaire d’ouvrier. » « Au lieu de décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe dirigeante devait « représenter » et fouler aux pieds le peuple au Parlement, le suffrage universel devait servir au peuple constitué en communes, comme le suffrage individuel sert à tout autre employeur en quête d’ouvriers, de contrôleurs et de comptables pour son affaire. » A quel point, en ces jours médiatiques, ce passage peut-il bruisser et froisser en nos oreilles ! Le suffrage universel sert depuis des années à fouler aux pieds le peuple souverain et l’imprécation hugolienne « vous

La Commune de Lyon rejoint celle de Paris

19

La Raison n°589 - mars 2014


Laïcité Silence, on tourne…

U

n observateur un tant soit peu attentif des publications sur l’école ne peut qu’être frappé par le silence observé aujourd’hui par des auteurs qui, hier, défrayaient la chronique en enquêtant sur l’école privée confessionnelle sous contrat, dénonçaient le caractère intégriste de certains établissements en l’opposant au sens de la mesure dont, par contraste, l’épiscopat aurait fait preuve, etc. Billevesées, disions-nous. Ils protestaient alors véhémentement. Depuis, plus un mot. Car évidemment les récentes mises au point de l’épiscopat en matière scolaire, la réaffirmation de leur caractère évangélisateur etc., condamnent au mutisme ces braves guerriers sous les armes au temps de Sarko-Chatel et devenus gentils moutons, Hollande et Peillon une fois venus. On est toujours étonné de la capacité de certains publicistes à oublier leurs roulements de pectoraux face à des injustices qu’ils condamnaient sévèrement naguère. Leurs amis étant au pouvoir, ils ont adopté un profil bas et se tiennent cois, ils ont opéré le tournant de l’alignement sans phrases sur la politique du ministre …

Vincent Peillon et Caroline Saliou, présidente de l’Association des Parents d’élèves de l’Ecole Libre APEL

logique du détricotage systématique du tissu républicain va jusqu’à son terme, et si donc la réforme passe en force, les municipalités étranglées et sommées d’obéir vont multiplier les « solutions » de ce type.

Peillon finalise Debré Et pourtant ce serait bien le moment de protester contre la territorialisation destructrice de l’Enseignement public, contre ce chaos invraisemblable déclenché par la réforme des rythmes scolaires. Improvisation, bluff, mesures « pour le communiqué », toutes choses avérées, ne sont que les signes extérieurs d’un mal plus profond. Ce dont il s’agit c’est d’une entreprise de contre-révolution dirigée contre l’école publique, une tentative de pousser jusque dans ses conséquences extrêmes le coup de force de la loi Debré perpétrée il y a plus de cinquante ans contre l’Ecole publique, institution républicaine s’il en fut.

C’est pourquoi il faut ardemment souhaiter que la résistance se développe et obtienne le retrait de la « réforme » Peillon, machine de guerre, qui veut mettre un point final à l’existence de l’école publique, nationale et laïque.

Grosses ficelles pour masquer le forfait antirépublicain On voit bien que le ministre est expert en faux semblants ; il fait inscrire la devise républicaine au fronton des écoles publiques : la belle affaire ! Comme si un concept, si respectable soit-il en lui-même, pouvait de quelque manière donner le change sur la réalité des mesures qui en sapent la mise en œuvre ? L’égalité, c’est l’égalité des droits de tous les enfants à l’instruction que la réforme Peillon détruit en supprimant à la pelle des heures de cours dans les matières fondamentales ; la liberté, c’est ce que le respect et l’activation des lois et institutions républicaines rend possible en matière d’instruction, en assurant aux maîtres leur indépendance, donc leur statut, que la réforme Peillon veut liquider ; la fraternité, c’est ce qu’une École républicaine, donc nationale, conformément à l’histoire de ce pays, peut seule permettre de faire passer dans la vie, un « vrai savoir » qualifiant et porteur de culture, dont la réforme Peillon, si elle était menée à son terme, aboutirait à barrer l’accès à des millions d’enfants .

Les communiqués nationaux de la Fédération Nationale Libre Pensée à ce sujet sont imparables. Nous vérifions tous les jours la justesse de notre diagnostic. L’analyse de notre camarade Jacques Fassié parue dans La Raison et nos motions de congrès ont caractérisé de façon claire le forfait en cours. Ce qui est cause c’est l’unité nationale des programmes pour les élèves, c’est l’indépendance du contenu du savoir à transmettre par rapport aux élus auxquels ce savoir aurait à être subordonné, puisqu’ils auraient qualité pour en décider, et c’est donc aussi de façon corollaire, l’indépendance des maîtres garantie par leur statut qui est ici remise en cause.

Tout se tient Les atteintes aux conquêtes de la démocratie se multiplient en conséquence de cette agression contre l’enseignement public ; agression qui ne pourrait - si elle aboutissait - que lui porter le coup de grâce. A l’heure où ces lignes sont écrites, on constate que des localités sollicitent les parents pour prendre en charge les activités périscolaires. On croit rêver. Le droit du travail et la laïcité, intimement solidaires, sont bafoués d’une façon nouvelle - nouvelle au moins à cette échelle : d’une part le principe « tout travail mérite salaire » est jeté aux oubliettes, d’autre part s’inaugure une situation où le tout-venant peut s’ingérer dans l’Ecole publique alors que dans le même temps on assiste à une déqualification-dénaturation du travail d’animateur.

Alors, assez de ces grosses ficelles bonnes pour des gogos visant à faire croire que le ministre de l’Education nationale serait républicain du fait de l’inscription qu’il a fait apposer à l’entrée des écoles ! D’ailleurs les forces vives du peuple ne tombent pas dans le panneau ! Il est en train de se construire dans ce pays un état d’esprit résistant qui ne peut que réjouir les citoyens soucieux de l’avenir de ces conquêtes fondamentales. Chaque libre penseur s’en félicite et s’efforce d’y prendre part là où il peut le faire sous des formes diverses.

Mais, à supposer que dans leur ensemble les municipalités partantes pour les nouveaux rythmes scolaires -très minoritaires au demeurant- ne sombrent pas dans l’immédiat dans cette caricature, cela n’entame en rien la légitimité des critiques de fond contre la destruction programmée de l’école de la République que constituent les mesures Peillon. Car si la La Raison n°589 - mars 2014

Et du même coup, on aidera à ce que certains mouvements et associations d’origine laïque et républicaine sortent du bénioui-ouisme tragique dans lequel se dissout leur fonction primordiale. Pierre Roy

24


La Taupe Sisyphe

«T

pas la leur et que le gars d’en face c’était aussi eux. Parce que vois-tu la logique militaire est telle que celui qui hésite au Chemin des Dames est un déserteur à fusiller et que le général qui a provoqué des dizaines de milliers de morts doit mourir dans son lit,la conscience tranquille. Question de grade n’est-ce pas ?

oi et tes copains vous me faites penser à Sisyphe » me crie-t-elle du bord de son trou. C’est une taupe très mythologique. « Tu n’as pas l’air de connaitre ! »« Pas trop, tu sais pour moi la mythologie c’est loin. »« Non c’est très actuel. Je vais te rafraîchir la mémoire. Sisyphe était le fils d’Eole le dieu du vent. »« Ca, ça me plait bien. Eole c’est le vent, celui de la liberté par exemple. A la Libre Pensée on aime, beaucoup même. » « On dit qu’il fonda Corinthe, mais c’est pas sûr, enfin moins que les raisins du même nom. Mais ce qui l’a fait passer à la postérité ce ne sont pas ces activités bucoliques mais deux gros péchés que les dieux ne pouvaient laisser passer. »« Mais encore ? »

Sisyphe par Titien Alors vous vous tournez avec espoir vers le politique en espérant que… Effectivement, des Conseils Généraux votent des motions de soutien. Même celui de la Corrèze dont le président de l’époque avait soutenu votre demande. Rusé qu’il était : ça peut me faire gagner des voix, devenir populaire et, de toutes manières, c’est un autre qui prendra la décision, je suis donc à couvert.

« D’abord, comme c’était un plaisantin, il avait capturé la mort si bien qu’on ne mourait plus. Ca fâchait les dieux. Mais à tout prendre, pourquoi s’en inquiéter puisqu’ils étaient déjà immortels ? Quand même, d’autres immortels ça pouvait faire une concurrence désastreuse. Passons. Par contre, ce trublion de Sisyphe commit une faute bien plus grave. Il surprit Zeus en personne en train d’enlever une jeune fille avec des intentions plus qu’évidentes et il le dénonça. Tellement suspectes et évidentes ces intentions que Junon, dont on sait qu’elle était jalouse comme une tigresse, même si par ailleurs elle aussi… enfin passons, en fit un drame.

Manque de chance, l’autre n’a pas pris de décision et notre Président du Conseil général est devenu à son tour Président tout court, tout en récupérant la patate chaude. Devenu chef des armées, il ne pouvait décemment faire de peine à ces généraux qui allaient se couvrir de gloire, et lui avec, au Mali et en Centre-Afrique après avoir loupé son coup en Syrie. On ne réussit pas à tous les coups. Alors, rusons. On envoie le mistigri à un sous ministre qui répète comme d’autres : « on va faire du coup par coup », comme ça il y en a pour des siècles et d’ici là je serai parti pour poursuivre ma glorieuse carrière.

Les dieux, soucieux de respectabilité, comme tous ceux qui n’en ont pas, se réunirent et condamnèrent Sisyphe à rouler vers le haut d’une montagne un rocher qui toujours retombait quand on arrivait près du sommet. Supplice éternel et toujours recommencé. »« Quel rapport avec nous ? » « Vous êtes Sisyphe ! Vous poussez vers le haut de la montagne un gros rocher qui se nomme Fusillés pour l’exemple. Toujours, vous pensez que vous allez réussir à le faire basculer de l’autre côté et, patatras, à chaque fois il redégringole. Et vous recommencez. Pourtant vous n’avez pas commis de faute envers les dieux qui vous gouvernent. Il serait peut-être temps de commencer !

Comme ça grogne sec, on a une idée géniale : on va faire un espace spécial Fusillés aux Invalides. C’est pas une reconnaissance ça ? D’autant que c’est les militaires qui vont faire le commentaire, du genre : la guerre c’est dur, il faut bander ses énergies pour la victoire finale, le prix à payer est une discipline sans faille et il peut arriver, oh rarement, qu’il faille sévir dans l’intérêt de tous, d’ailleurs la plupart des condamnations, on ne dira pas à mort, n’ont pas été exécutées. On ne dira pas parce que ces civils n’ont rien compris, ça ferait tâche.

Cette question de fusillés pour l’exemple, ça remonte à la Grande Guerre. Enfin, on dit Grande bien qu’on ait fait bien mieux depuis, mais bon, la Grande. En tous cas, ça fait un siècle et, grands naïfs, vous pensez que, depuis le temps, il doit y avoir prescription. Pas du tout, parce que vous vous heurtez à un grand dieu jaloux : l’Armée, enfin ses généraux gardiens de son honneur. Et l’honneur de l’armée ce n’est pas rien.

Mais ça ne marche pas non plus. Alors on se tait, on regarde ailleurs, on a tellement de problèmes à ne pas régler. Ce qu’on ne voit pas, c’est qu’on finit par ressembler à Adolphe, Thiers , pas l’autre. Thiers a été le complice actif des Généraux fusilleurs des Communards. Son nom sera à jamais exécré par les amis de la République, ceux qui croient au bon vent de la liberté : Eole. Faut-il être le complice passif, cent ans après, d’autres généraux fusilleurs des mêmes innocents pour faire plaisir à d’autres généraux plus actuels qui vont couvrir d’une gloire immortelle leur chef de guerre et complice. Bien sûr que c’est difficile d’être fidèle à soi-même mais ça se nomme: l’Honneur. Et Sisyphe, soyez-en sûr, continuera à rouler son rocher avec persévérance. »

Il y aurait eu 650 Fusillés pour l’exemple. C’est pour eux que vous agissez. Noblement, parce vous oubliez ceux dont on ne peut plus rien dire, ceux qui ont été abattus d’un coup de révolver, ceux qu’on a envoyé à des corvées dont on savait qu’ils ne reviendraient pas, ceux qu’on a poussé entre les lignes pour y rester. 650. Et vous croyez que les généraux vont manger leur képi en reconnaissant que finalement ceux qu’on a fusillés n’ont pas trahi, qu’ils en avaient assez d’une guerre qui, finalement, n’était

Jacques Lafouge

Retrouvez la Libre Pensée sur www.fnlp.fr 29

La Raison n°589 - mars 2014


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.