SIMON NICAISE ART THÉRAPIE AU FRAC NORMANDIE – SITE DE SOTTEVILLE-LÈS-ROUEN EXPOSITION DU 16 OCTOBRE 2021 AU 06 MARS 2022
À l’occasion de sa rentrée culturelle, le Frac Normandie – site de Sotteville-lès-Rouen, ouvre ses portes à l’artiste rouennais Simon Nicaise (né en 1982). Sous le titre « Art thérapie », l’artiste nous propose d’aborder sa pratique artistique à travers le prisme du soin, du thérapeutique. L’art peut-il soigner ? Si oui, qui soigne-t-il ? L’artiste ou le visiteur ? Ou les deux à la fois ? Tels sont les dilemmes que soulève Nicaise, non sans une dose de malice, pour ausculter près de dix ans de pratique artistique. Pour donner corps à ces interrogations, l’artiste reprend les codes de l’atelier, de la salle de remise en forme et du back office et opère une véritable mise à plat, au sens premier du terme, de son travail. L’art ainsi déballé se transforme en outil thérapeutique pour l’artiste et/ou le visiteur qui, dès lors, peut aborder l’exposition comme un véritable parcours de soins. À la nuance près que le parcours de bien-être proposé par Nicaise est jalonné d’inconforts, de matières et d’objets peu praticables ou recommandables tant pour la santé que pour leur exposition. Bougies incandescentes et en rouleau, cigarettes consumées et postées dans un équilibre précaire, canettes de bière déformées, fleurs abîmées ou recouvertes de cire, miroir décuplé, gouttes d’eau cannibalisées, tapis de sol en acier, dessins libres transposés en stickers, etc. De la sémantique poétique du bricolage ou technique de l’artisanat qui caractérise son travail, ces œuvres ainsi présentées peuvent aussi se lire comme des objets procurant, de manière plus ou moins raisonnable et souhaitable, un mieux-être. Loin du lâcher prise et de la libre expression de soi, Nicaise pose un regard décalé, à la fois poétique, sérieux et amusé sur sa pratique dans sa capacité à questionner non seulement notre quotidien, mais aussi notre rapport affectif à l’art.
Véronique Souben, directrice scientifique - Frac Normandie
A L’ENTRÉE Art Thérapie, appliquée sur le mur extérieur, est une plaque professionnelle annonçant le Frac Normandie comme reconverti en un cabinet de praticien. Simon Nicaise, art thérapeute ? Ou plutôt Simon Nicaise, artiste programmant qu’aucun ne sortira de cette exposition soigné. Conçu spécialement pour l’exposition, cet objet détourné joue le rôle d’une fausse piste qui pourrait être le modus vivendi de l’exposition.
AU REZ-DE-CHAUSSÉE Le rez-de-chaussée, libéré de ses cimaises, offre à la vue un seul grand espace dans lequel les volumes de Simon Nicaise se laissent embrasser. Littéralement mises à plat et en perspective, les œuvres qui le ponctuent suggèrent l’équipement d’un centre de soin. Par cet environnement, conçu tel un espace mental, Simon Nicaise nous immerge dans une pratique sculpturale qui déroule dix ans de création incisive et audacieuse.
L’OBJET / LE DÉTOURNEMENT La pratique sculpturale de Simon Nicaise opère par transformations, ruptures, glissements et inversions à partir d’objets ou d’œuvres reconnaissables. Se maintenant en équilibre, il relève autant la nature mortifère de l’objet exposé qu’il en suggère une possible métamorphose thérapeutique. Parmi ces œuvres, certaines se réfèrent directement à des figures tutélaires de l’histoire de l’art. De Calder à Félix González-Torres, en passant par Carl Andre, ces revisites souvent ironiques, permettent autant un dialogue, une réactualisation qu’une émancipation. Une manière cathartique de rompre avec ces figures d’autorité. Installée à l’entrée, l’œuvre 50+(8ln(x)x6,5)13n) / (√5+7yn) = O², donne le “la“. Selon une équation mathématique complexe, un compas à verge (utilisé par les menuisiers) trace un carré au lieu d’un cercle. Mais la forme géométrique dessinée reste en suspens, inachevée. L’œuvre invite le spectateur à parfaire mentalement ce carré, autant qu’elle cherche à ébranler ses certitudes. Son rapprochement formel avec une horloge convoque de plus la notion d’espacetemps. L’œuvre Bougie cacahuète, placée à l’accueil, convoque plusieurs problématiques du travail de Nicaise comme le rapprochement d’objets, l’équilibre, la disparition, le rapport au temps. L’impossible équilibre d’un empilement de cacahuètes est ici réalisé par l’emploi de la cire. Alors que la forme ainsi érigée rappelle la Colonne sans fin du célèbre sculpteur Brancusi, l’expression d’une réactualisation sans fin se traduit à travers la présence renouvelée d’un quotidien (en guise de socle) daté du jour. Avec ces deux pièces, Collection + 1, 4th Steel Square d’après Carl Andre et Collection + 1, Orpheus Twice d’après Félix González-Torres, Simon Nicaise se réapproprie des œuvres emblématiques de l’art récent, qu’il trouble par l’ajout d’un élément. La logique rigoureuse et volontairement dénuée d’affect de l’artiste minimaliste américain Carl Andre est altérée par cette plaque d’acier supplémentaire qui annule le parfait carré. Le couple symbolisé par les deux miroirs côte à côte de Félix González-Torres se déséquilibre du fait de l’ajout d’un troisième. Ces citations interrogent la filiation, Nicaise se positionnant tel un élève dans un grand atelier de maître dont il reproduirait les chefs d’œuvres tout en y introduisant délibérément une perturbation.
Sans titre (tête en bronze) a été obtenue par le moulage dans un bain de cire puis de bronze d’une copie certifiée du Musée du Louvre. Il s’agit à l’origine du buste d’un anonyme réalisé par un sculpteur inconnu. Par ce procédé, Nicaise ajoute un centimètre de matière en plus à cette tête dont les traits distinctifs ne sont alors plus reconnaissables. Si par son aspect elle peut évoquer les têtes de Brancusi, elle est avant tout une manière pour Nicaise de renvoyer cette sculpture à un stade antérieur, encore inachevé, en devenir. Pour Gisant, Simon Nicaise revisite la sculpture funéraire de l’art chrétien. Découpé selon le débit Moreau appliqué habituellement au tronc d’arbre, seul le cœur de la découpe et donc du gisant a été conservé. La sculpture quasiment réduite à une ligne concentre le tout par le moins. Il fait naître un bloc de matière et renverse le procédé classique de la sculpture. Pour l’exposition au Frac, Nicaise met en scène son gisant sur une table de massage comme pour en appeler à un acte de conservation/restauration. Les trois têtes posées à même le sol appartiennent à la série Amazingo Physionomoniegus. Celles-ci, plus ou moins fortement déformées, rendent compte de l’expérience physique liée à leur réalisation. Obtenues après avoir coulé jusqu’à la limite du possible du plâtre dans un masque de farce et attrape, ces sculptures maintiennent une tension entre la souplesse du latex et la rigidité du plâtre, entre tradition du portrait moulé et étude morphologique. Si elles évoquent les « têtes de caractères » du sculpteur Franz Xaver Messerschmidt (1732-1783), leur titre renvoie à une pseudo-science, la physiognomonie, selon laquelle l’apparence physique d’une personne renseignerait sa personnalité. La bougie, matière réversible, est un élément récurrent de l’accrochage familièrement assimilé à la détente, la méditation. L’œuvre Touret renoue avec la tradition de la fabrication ancestrale de la bougie, mettant en scène un touret en bois autour duquel vient s’enrouler un kilomètre de cierge. Cette bougie se consume de manière continue et voit son cycle de vie rallongé. A travers Sans titre (mobile de bougie), Simon Nicaise convie plusieurs signes de sa pratique : les fruits secs à consommer en apéritif et les bougies. Un léger mouvement, presque imperceptible, anime l’ensemble. Il est généré par la consomption des bougies tandis que les cacahuètes et les olives de plomb – que l’on retrouve aimantées sur les rambardes à l’étage – équilibrent la composition. Par l’évocation d’un moment d’échanges, de rencontres, Nicaise affirme la dimension de partage de la production artistique. Les pièces de plomb quant à elles, parasitent l’espace et agissent tels des éléments perturbateurs. À l’apparence croisée d’un lingot évidé et d’une boîte de poids, l’œuvre Sans titre active le principe de forme et contre-forme. Nicaise a fondu la totalité des poids, du plus petit au plus grand, dans la forme de la boîte. Contenant et contenu ainsi fusionnés perdent leur fonction initiale au profit d’un objet portant en lui la fin d’un système, d’une valeur. Positionnée à hauteur du regard, Méditation convulsive est constituée de six clous de taille décroissante cloués les uns sur les autres et agit comme objet de focalisation ambivalent. Poésie du sans titre consiste en un trousseau de clés modifiées à l’état de matrices non gravées. Si, par cette opération elles sont rendues inopérantes, elles stimulent en revanche l’imaginaire de possibles ouvertures.
LES FLEURS / MEMENTO MORI Simon Nicaise utilise des éléments du vivant, périssables, comme ici des fleurs, et met en tension leur apparente fragilité, soit qu’il les fixe dans la cire, soit qu’il les associe à une machine et accélère leur décomposition. Destruction et création s’entremêlent. L’ironie parfois à l’œuvre est soulignée par la référence de certains titres à des chansons populaires. Ces titres induisent aussi un rapport à l’affect et au sentiment. Présentée (à l’étage) en fagot, Lionnel (2018) est une variation de l’œuvre originale, un mobile, qui comporte 32 roses recouvertes de cire. Simon Nicaise adopte la méthode artisanale propre à la confection de bougie, c’est-à-dire par bains successifs, mais ici la cire sert à conserver plutôt qu’à être consumée. Elle arrête le processus de flétrissement, fige le temps. Et tu tapes tapes tapes c’est ta façon d’aimer associe une machine à un bouquet de fleurs fraîches qui vient frapper la cimaise du Frac et y déposer des pigments colorés. Une composition abstraite apparaît peu à peu sous les coups successifs. Au cours du processus, les fleurs s’abîment, leurs têtes se répartissent sur le sol. Déployant plus de violence et avec des résultats plus éphémères que les historiques Machines à dessiner de Jean Tinguely, Simon Nicaise aborde avec ironie – soulignée par la référence à la chanson des années 1980 – cette machine autonome.
À L’ÉTAGE
L’ATELIER / LE BACK OFFICE Simon Nicaise a investi l’étage du Frac comme un espace flottant, celui de la réflexion, du temps passé dans l’atelier. Objets et rebus liés à l’espace domestique et intime de l’atelier comportent une charge émotionnelle que Nicaise réinvestit. Il associe à la banalité presque triviale de produits usinés des éléments fragiles, bricolés ou dénudés. Les socles et autres habituels dispositifs censés guider notre regard et soutenir la reconnaissance de l’objet comme œuvre d’art ont disparu. Les œuvres ainsi sans renfort sont livrées au visiteur comme en attente, en suspension.
Mobile parmi les mobiles évoque l’archétype du mobile, ici réalisé avec des cigarettes en partie consumées dont les cendres semblent en lévitation. Nicaise cherche à littéralement suspendre le temps, à fixer un instant éphémère. Il se maintient en équilibre entre une certaine crudité de la représentation, avec l’usage de rebuts, et la délicatesse comme la hardiesse de sa tentative. À l’instar de nombreuses œuvres présentées dans l’exposition, ce mobile participe à une immersion dans l’atelier de Nicaise. Les cigarettes, à nouveau, sont posées comme un jeu de construction ou de méditation pour l’œuvre Cendrier. Cette sculpture constituée des 20 cigarettes contenues dans un paquet cristallise différentes temporalités : l’avant, le pendant et l’après. La longueur d’une cigarette conditionnant son temps de combustion, la pièce de Simon Nicaise s’apparente à un outil de mesure d’un temps à part.
Les Canettes escalier sont les œuvres reliées le plus directement à l’expérience qu’a faite Simon Nicaise du compagnonnage. À travers elle, il rappelle que l’artiste ne travaille pas de manière isolée, que les collaborations entre métiers sont autant présentes dans la création dite artistique que dans d’autres domaines. En réalisant son Tour de France, Nicaise a bénéficié de la transmission de savoirs et de techniques qui nourrissent régulièrement sa pratique. Les canettes parées d’escaliers hélicoïdaux – issus des chefs d’œuvres compagnonniques - en sont des illustrations. Toutefois, il ne s’agit pas pour l’artiste de rivaliser avec le niveau des compagnons mais bien d’éprouver et de faire sienne l’invitation à la remise en cause, à l’abandon de ses certitudes et à l’enrichissement au travers de l’altérité. À partir des cierges enroulés autour du Touret, Simon Nicaise a extrait une ligne qu'il a modelée en un nœud de Jambe de chien qui donne son titre à l’œuvre. Ce nœud est initialement destiné à raccourcir temporairement un cordage. Cannibalisation d’une goutte d’eau présente un congélateur conservant une multitude de boules de neige. À l’appareil utilitaire, industriel, Nicaise associe, par l’évocation de jeux d’enfants, une « poésie fleur bleue ». Le titre reprend les termes d’une des premières théories sur la croissance des flocons de neige. Au fur et à mesure du temps, chaque boule de neige va s’agglomérer à ses voisines pour ne former plus qu’un seul et même bloc réalisant métaphoriquement la théorie météorologique.
Manifeste pour un coucher de soleil est un dessin d'enfant transposé sous forme adhésive et réalisé par Aloïs Nicaise pour la première bouteille de bière de la brasserie Pain Liquide que Simon Nicaise a créée au sein de son atelier. Après lui avoir demandé de dessiner un manifeste, sa réponse a été un coucher de soleil. Présentant cette composition brute au dynamisme et équilibre accidentels sur le même plan que ses propres œuvres ou même que celles de ses figures tutélaires, Nicaise interroge les rapports d’autorité, de filiation et de transmission.
ACTUALITÉ DE SIMON NICAISE Exposition au travail Du 9 octobre au 13 novembre 2021 à la galerie Backslash, Paris 3ème 29 rue Notre-Dame-de-Nazareth
PROCHAINS ÉVÈNEMENTS LECTURE PERFORMANCE DE GILLES FURTWÄNGLER Jeudi 09 décembre à 18h30 au Frac « C’est comme si un arc-en-ciel avait vomi ici. » ÉCOUTE L’ARTISTE : SIMON NICAISE Jeudi 16 décembre de 10h30 à 12h Conférence à l’Auditorium du musée des Beaux-Arts de Rouen
PUIS EN 2022 : UN ATELIER POUR LES ENFANTS avec l’artiste Simon Nicaise pendant les vacances scolaires d’hiver UNE CONFÉRENCE Art et thérapie – Liaisons dangereuses ? par Jean Florence, psychologue, philosophe et psychanalyste (sous réserve). UNE SOIRÉE DE PROJECTION avec Portraits de femmes réalisé par Alain Cavalier. UNE EXPOSITION DANS UN CAMION ...
ET POUR FINIR UNE SOIRÉE DE CLÔTURE AVEC : UNE ÉMISSION DE LA RADIO DUUU LA SORTIE DU PREMIER NUMÉRO DE LA REVUE PAIN LIQUIDE UN CONCERT DE BERNARDINO FEMMINIELLI Le samedi 5 mars à 18h au Frac Le Frac remercie pour le montage de l’exposition : Noémie Pilo et Loraine Baud
FRAC NORMANDIE – SITE DE SOTTEVILLE-LÈS-ROUEN Ouvert du mercredi au dimanche de 14h à 18h Entrée gratuite – Fermeture du 20 décembre 2021 au 4 janvier 2022 Accès handicapés
Le journal d’exposition ainsi que La’Fiche pour le jeune public sont à votre disposition à l’accueil. Vous pouvez également télécharger ces documents et d’autres sur notre site internet : www.fracnormandierouen.fr Renseignements : 02 35 72 27 51 Le Frac Normandie bénéficie du soutien du Ministère de la Culture / DRAC de Normandie, de la Région Normandie et de la ville de Sotteville-lès-Rouen