Philippe De Gobert poursuit au Havre ce travail singulier et polymorphe qui le caractérise, entre architecture, sculpture, construction de maquettes et photographie. Mettant le monde en miniature et le reconstruisant de toutes pièces, il esquisse de la ville rebâtie par Auguste Perret un portrait plein de poésie, une sorte de double troublant de vraisemblance et réinvente l’histoire de sa renaissance. En préambule à ce « conte photographique », Philippe De Gobert nous invite à partager sa vision du « merveilleux en architecture » : « une approche ludique et poétique de l’architecture, avec ses maladresses et ses erreurs, concoctée avec sérieux par un artiste, sans la rigueur qu’y aurait appliquée un scientifique ou un historien de l’art. »
24 €
OCTOPUS éditions
COUV IMPO GRAPHIUS DEGOBERT.indd 1
10/05/2021 10:35
PHILIPPE DE GOBERT DU MERVEILLEUX EN ARCHITECTURE AU CONTE PHOTOGRAPHIQUE
1
2
PHILIPPE DE GOBERT DU MERVEILLEUX EN ARCHITECTURE AU CONTE PHOTOGRAPHIQUE MuMa Musée d’art moderne André Malraux - Le Havre 29 mai - 7 novembre 2021
OCTOPUS éditions
3
Cet ouvrage est publié à l’occasion de l’exposition Philippe De Gobert. Du merveilleux en architecture au conte photographique présentée au MuMa – Musée d’art moderne André Malraux du Havre Du 29 mai au 7 novembre 2021 Cette exposition, produite par la Ville du Havre, est organisée par le MuMa – Musée d’art moderne André Malraux Commissaire de l’exposition : Annette Haudiquet conservatrice en chef du Patrimoine, directrice du MuMa – Musée d’art moderne André Malraux Assistée de Michaël Debris coordinateur des expositions au MuMa – Musée d’art moderne André Malraux Cette exposition s'inscrit dans la programmation d'Un Été Au Havre, saison estivale culturelle, née à l'occasion des festivités liées aux 500 ans de la ville et du port du Havre en 2017. Un Été Au Havre est réalisé sous la direction artistique de Jean Blaise et coordonné par le GIP Un Été Au Havre, composé de la Ville du Havre, du Havre Seine Métropole, de la Région Normandie, du Département de Seine-Maritime, de Haropa Ports de Paris Seine Normandie, de la Chambre de Commerce et d'Industrie Seine Estuaire et de l'université Le Havre Normandie.
La fondation Antoine de Galbert a apporté son soutien à l'édition bilingue de ce catalogue
L'exposition bénéficie du mécénat exceptionnel de la Matmut
de Seafrigo
du partenariat du Printemps
et des partenariats média L'exposition est soutenue par le Cercle des mécènes du MuMa (Alsei, Aris, Chalus Chégaray & Cie, CIM-Compagnie Industrielle Maritime, Engie, Exa Groupe, Helvetia, Jean Amoyal- Groupe Franc, LIA, MG Management, Safran Nacelles, Société d'importation et de commission, Société Générale, TOTAL)
et l'Association des Amis du MuMa
4
Que les personnalités ayant accordé leur bienveillante attention à ce projet trouvent ici l'expression de notre gratitude :
Philippe De Gobert tient à remercier personnellement : Nadia pour sa patience Aline pour sa confiance
Édouard Philippe, maire du Havre, président Le Havre Seine Métropole
Brigitte d’Assche, Antoine de Galbert, Fabienne Rotthier et Jim Cortvriend, Natasha Leeman, Katrine Simonart et au Havre, Sabine Meier, Léon Darmorik, Pierre Alinand, Jean-Claude Lefort
Fabienne Delafosse, adjointe au maire du Havre, chargée de la Culture François Cavard, directeur général des services de la Ville du Havre Claire Baclet, directrice générale adjointe des services en charge de la Culture Guillaume Gaillard, directeur Valorisation des Patrimoines
Annette Haudiquet et Philippe De Gobert expriment leur amicale reconnaissance à Aline Vidal pour avoir, dès les premiers jours, accompagné ce projet d’exposition, et à Antoine de Galbert leurs sincères et chaleureux remerciements pour son soutien qui a permis la publication bilingue de ce catalogue. Ils adressent leurs vifs remerciements aux institutions et aux personnes qui, à des titres divers, ont permis, par leur concours et leur soutien, la réalisation de cette exposition : Les prêteurs Les Archives municipales du Havre La Cité de l’Architecture French Lines & Compagnies, Patrimoine maritime et portuaire Les auteurs qui ont accepté de participer au projet éditorial Joseph Abram Damien Sausset Septembre Tiberghien Les traducteurs Charles Penwarden John Tittensor Ainsi que Pierre Beaumont Anne-Sophie Bertrand Jean Blaise Jean-Marie Châtelier Marie-Anne du Boullay Violeta Frank Julien Foucart Elisabeth Leprêtre Camille Maufay David Peyceré
Un film de Jean-Marie Châtelier, réalisé à la demande du MuMa, accompagne l’exposition : Philippe De Gobert. « La miniature est un des gîtes de la grandeur » (2021, 28 minutes) MuMa - Musée d’art moderne André Malraux Conservateur en chef du Patrimoine, Directrice : Annette Haudiquet Attachée de conservation chargée des collections et de la documentation : Clémence Poivet-Ducroix, assistée de Philippe Legouis Coordination des expositions : Michaël Debris Administration générale, comptabilité et régie : Laurent Boné puis Séverine de Bellefroid Comptabilité : Nathalie Morisse et Florence Lebrun Communication, relations presse, mécénat : Catherine Bertrand, assistée de Zhana Bellec Médiation numérique et réseaux sociaux : Claire Palué assistée d'Édith Grillas Régie des œuvres et montage de l’exposition : Michel Devarieux et Alain Lapoussière Médiation culturelle et accueil des publics : Marie Bazire et l’équipe du service culturel du musée : Jeanne Busato, Gaëlle Cornec, Patricia Devaux-Delettre, Karine Martin de Beaucé, Bénédicte Marin Accueil et surveillance - maintenance : Christian Le Guen et l’équipe d’accueil et de sécurité du musée : Yannick Angelini, Ségolène Beaulieu, Pierre-Olivier Beaumont, Catherine Chedru, Dominique Dugardin, Nadia El Aroussi, Claude Fécamp, Frédéric Hébert, Abdelkrim Lahrèche, Christine Lambard, Isabelle Mélinon, Héléna Patin, Catherine Scheuble, Laetitia Vallerent. Toutes les photographies, sauf mention particulière, sont de Philippe De Gobert et publiées avec l’aimable autorisation de la Galerie Aline Vidal, Paris. éditions Octopus Conception graphique et éditoriale, photogravure : Benoît Eliot Relecture, corrections : Sandra Pizzo ISBN : 978-2-900314-26-5 Impression : Graphius - Mai 2021 © MuMa, Le Havre, 2021 © éditions Octopus, 2021 © Pour leurs textes : les auteurs © Philippe De Gobert © Jean-Marie Châtelier © ADAGP, Paris, 2021 pour les œuvres de Philippe De Gobert, Albert Sébille, Véra Cardot, Marie-Françoise Plissart. © Fonds Perret. CNAM/SIAF/CAPA/Archives d'architecture contemporaine/Auguste Perret/UFSE/SAIF/2021,
5
6
PRÉFACE / FOREWORD
ÉDOUARD PHILIPPE, MAIRE DU HAVRE TRADUCTION CHARLES PENWARDEN
8
« DES LIEUX MAGIQUES TOUT ENTIERS ŒUVRE DE L’ESPRIT »
10
« MAGICAL PLACES THAT ARE ENTIRELY WORKS OF THE MIND »
12
ANNETTE HAUDIQUET
TRADUCTION CHARLES PENWARDEN
DÉPLIER L’ARCHITECTURE : LA LEÇON D’UN BRICOLEUR
SEPTEMBRE TIBERGHIEN
14
UNFOLDING ARCHITECTURE : A LESSON IN DIY 20 TRADUCTION JOHN TITTENSOR
LE MERVEILLEUX EN ARCHITECTURE
PHILIPPE DE GOBERT
24 THE MARVELLOUS IN ARCHITECTURE TRADUCTION JOHN TITTENSOR 25 PHILIPPE DE GOBERT/LA LUMIÈRE COMPOSÉE OU LE REGARD PHOTOGRAPHIQUE DU PEINTRE JOSEPH ABRAM PHILIPPE DE GOBERT / LIGHT COMPOSED OR THE PAINTER’S PHOTOGRAPHIC GAZE TRADUCTION CHARLES PENWARDEN
64
67
PHILIPPE DE GOBERT OU LA TEXTURE IMAGINAIRE DU RÉEL 106 DAMIEN SAUSSET PHILIPPE DE GOBERT OR THE IMAGINARY TEXTURE OF THE REAL 117 TRADUCTION JOHN TITTENSOR
LISTE DES ŒUVRES / LIST OF WORKS 156 BIOGRAPHIE / BIOGRAPHY
JULIEN FOUCART TRADUCTION LAURA AUSTRUMS
162
7
FOREWORD TRADUCTION CHARLES PENWARDEN
This summer marks the sixteenth anniversary of the inclusion of Le Havre city centre, rebuilt by Auguste Perret, on the UNESCO World Heritage List. This international recognition has led to fundamental changes in the perception of our city. Among those who live there, first of all, but also among those who do not know it well, or even not at all. Each manifestation of this transformation reminds us of the distance travelled. The research carried out by architectural historians, the work of urban rehabilitation and the systematic restoration of buildings, the creation and opening of the Perret show apartment, as well as a pro-active public awareness policy, have of course made a clear contribution to this development. More discreetly, the work of artists has played an equally important role, as we have always believed it should. It was this conviction that prompted the MuMa to invite photographers, and then video artists, to come and work in Le Havre. The first did so in response to a public commission made jointly by the City Council and the Ministry of Culture. Those that followed were involved in more personal initiatives or particular projects. Coming sometimes from far away (Italy, the United Kingdom, the United States, Brazil), sometime from nearby, all began with a hazy idea of the city and its history, but also unlimited curiosity. Having travelled many other paths, they arrived here with their experience, their references, ready to apply a vision that was fresh yet rich with all they had lived. In fifteen years, the succession of nearly twenty visiting artists have gradually built up a collection that now stands as a tremendous window onto the Le Havre scene. Their works also highlight both the transformation of the territory and the way it is viewed. From the new modern city that rose up out of the ruins, captured in 1956 by Lucien Hervé, to the one explored in 2015 by the photographer and traveller Bernard Plossu, with his 50 mm camera over his shoulder, the distance is only a few steps. Le Havre has many faces: a centre, a port, districts, an industrial zone, the sea that comes in far from the system of basins, but also light, or rather different lights, and wind – so many singular atmospheres and places that offer rich material for whoever is prepared to take the time to look. But today, there is something new! Philippe De Gobert invents a Le Havre that does not exist. He shows us a personal vision of a dreamed city, which bears a troubling resemblance to but is not the one we know, for his photographs show models that he himself carefully constructed, inspired by familiar elements typical of Perret’s centre. These trompe l’œils exude a poetry that transports us, taking us back to the wonder of our childhood building games. By his subtle work on light, by introducing elements that are meticulously chosen for their evocative power, like that steamer looming up out of the darkness and making ready to enter the port, De Gobert composes distinctive atmospheres in each of these scenes that link together to tell us a story: once upon a time where was a city by the sea, a city that reinvented itself – Le Havre. Édouard Philippe Mayor of Le Havre
8
PRÉFACE
Cet été marquera le 16e anniversaire de l’inscription du centre-ville du Havre, reconstruit par Auguste Perret, au Patrimoine mondial de l’Humanité. Cette reconnaissance internationale a entraîné des changements fondamentaux dans la perception de notre ville. Chez ceux qui y habitent tout d’abord, mais aussi chez ceux qui la connaissent peu voire pas du tout. Chaque manifestation de cette transformation nous rappelle le chemin parcouru. Les recherches menées par les historiens de l’architecture, les travaux de réhabilitation urbaine et les campagnes de restauration des bâtiments, la création et l’ouverture de l’appartement-témoin Perret, tout comme une politique volontariste de médiation en direction du public ont bien sûr contribué de manière évidente à cette évolution. Plus discrètement, le regard des artistes a joué, comme il se le devait, nous en avons toujours été convaincus, un rôle tout aussi important. C’est cette conviction qui très tôt a conduit le MuMa à inviter des photographes, puis des vidéastes, à venir au Havre et y travailler. Les premiers le furent dans le cadre officiel d’une commande publique portée conjointement par la Ville du Havre et le ministère de la Culture. Les suivants s’inscrivirent dans des démarches plus personnelles ou des projets particuliers. Venant parfois de loin (Italie, Grande-Bretagne, Etats-Unis, Brésil…) ou de plus près, tous partageaient à l’origine une méconnaissance de la ville et de son histoire, mais une curiosité sans limite. Ayant emprunté bien d’autres chemins, ils arrivaient ici avec leur expérience, leurs références, prêts à poser un regard neuf et pourtant riche de tout ce vécu. En quinze ans, près de vingt artistes se sont ainsi succédé, constituant petit à petit une collection qui prend aujourd’hui l’allure d’un formidable observatoire du paysage havrais. Ce fonds met tout autant en évidence l’évolution d’un regard que la transformation du territoire. D’une ville moderne nouvelle, qui sort des décombres, fixée en 1956 par Lucien Hervé à celle arpentée en 2015 par le photographe-voyageur Bernard Plossu, son 50mm en bandoulière, il n’y a qu’un pas. Le Havre a bien des visages : un centre, un port, des quartiers, une zone industrielle, la mer qui pénètre loin par le réseau de bassins, mais aussi une lumière ou plutôt des lumières, le vent, autant d’ambiances et de lieux singuliers qui offrent une matière riche à qui sait s’y attarder. Mais aujourd’hui, autre chose encore ! Philippe De Gobert invente un Havre qui n’existe pas. Il nous livre une vision personnelle d’une ville rêvée, qui a la troublante ressemblance de celle que l’on connaît, mais qui n’est pas elle, puisque ses photographies sont celles de maquettes qu’il a soigneusement construites, inspirées par des éléments familiers caractéristiques du centre Perret. De ces trompe-l’œil émane une poésie qui transporte, ramène à l’émerveillement des jeux de construction de notre enfance. Par un subtil travail sur la lumière, l’introduction d’éléments minutieusement choisis pour leur puissance évocatrice, comme ce paquebot surgissant de l’obscurité et s’apprêtant à entrer dans le port, Philippe De Gobert compose des atmosphères particulières pour autant de scènes qui s’enchainent les unes aux autres pour nous conter une histoire : Il était une fois une ville au bord de la mer, une ville qui sut se réinventer….. Le Havre. Édouard Philippe Maire du Havre
9
« DES LIEUX MAGIQUES TOUT ENTIERS ŒUVRE DE L’ESPRIT 1 » ANNETTE HAUDIQUET
« Du merveilleux en architecture au conte photographique » est le titre que Philippe De Gobert a souhaité donner à cette exposition. Il reflète tout à la fois la structure de l’accrochage en deux parties qui s’enchaînent classiquement, avec une introduction et un développement, mais aussi les étapes d’un projet qui s’est amplifié avec le temps, pour revêtir progressivement la dimension d’un récit. L’invitation faite à Philippe De Gobert reposait sur l’intuition qu’il trouverait au Havre une matière inspirante. Son intérêt pour l’architecture du XXe siècle, pour l’histoire des utopies qui la nourrissent, mais aussi son goût pour ces « constructions singulières » nées de l’imagination de « poètes rêveurs » et pour les projets fous « menés à bien…malgré d’innombrables difficultés »2 semblaient pouvoir le conduire ici, comme sur un nouveau terrain de jeu. Classant, en 2005, au Patrimoine mondial de l’Humanité Le Havre reconstruit par Auguste Perret et son atelier, l’UNESCO n’affirmait-il pas : « Parmi les nombreuses villes reconstruites, Le Havre est exceptionnel pour son unité et son intégrité […]. Il s’agit d’un exemple remarquable de l’architecture et de l’urbanisme de l’après-guerre, fondé sur l’unité de méthodologie et le recours à la préfabrication, l’utilisation systématique d’une trame modulaire, et l’exploitation novatrice du béton » ? Outre cette exemplarité, l’énergie féconde des projets qui avait présidé à l’élaboration du plan de reconstruction, le caractère titanesque du chantier mené en une vingtaine d’années nous paraissaient de nature à éveiller sa curiosité. Philippe De Gobert est donc venu au Havre une première fois au printemps 2018. Après s’être longuement baladé dans la ville, après avoir découvert l’appartement témoin, qui permet si bien de comprendre Perret « de l’intérieur », il a regagné son atelier à Bruxelles où il a commencé, selon son mode opératoire habituel, à fabriquer des maquettes d’immeubles inspirés de ceux du centre reconstruit, puis à les photographier, réalisant in fine de grands tirages noirs et blancs. Ce corpus, essentiellement constitué de vues d’intérieurs ou de paysages de front de mer, évoque un Havre imaginaire, saisi dans le silence et la pureté de sa naissance, vide, même si l’on distingue, ici et là, les signes discrets d’une présence humaine. Le charme opère immédiatement. Par le soin infini apporté à la construction des maquettes, par ces infimes détails qui confèrent aux méticuleux assemblages l’aspect troublant d’instantanés prélevés d’un quotidien renaissant, Philippe De Gobert montre, à l’unisson avec Gaston Bachelard, combien « il faut aimer l’espace pour le décrire si minutieusement comme s’il y avait des molécules de monde3.» Dans La poétique de l’espace qui a inspiré à Jean-Marie Châtelier le sous-titre du film qu’il vient de réaliser dans l’atelier de Philippe De Gobert – « La miniature est un gîte de la grandeur », le philosophe analyse les ressorts du pouvoir de séduction de ces objets « qui mettent le monde au diminutif ». Parce qu'elles permettent d’éprouver que « le monde est mon imagination », parce qu'elles renvoient aux « petites maisons de carton des jeux d’enfant, les « miniatures de l’imagination » nous rendraient tout simplement à une enfance […], à la réalité du jouet ». C'est pourquoi, poursuit-il, « la miniature fait rêver4 ». 10
1 Auguste Perret, Contribtion à une théorie de l'architecture, Paris, 1952. Cité dans Roberto Gargiani, Auguste Perret. La théorie et l'œuvre, Paris, Gallimard/Electa, 1994, p.39. 2 Philippe De Gobert, « Le merveilleux en architecture », dans ce catalogue p. 24. 3 Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, Paris, 1957, réédition Paris, Presses Universitaires de France, 2013, p. 149. Merci à Jean-Marie Châtelier d’avoir si justement emprunté à ce livre, notamment le beau chapitre consacré à « La miniature ». 4 Idem, p. 149, 142, 141, 143.
Philippe De Gobert fabrique ses maquettes de bâtiments, précise-t-il, « pour en comprendre le fonctionnement », rejoignant ce que Bachelard exprimait alors ainsi : « je possède d’autant mieux le monde que je suis plus habile à le miniaturiser 5.» Pour autant, dans la série havraise, la maquette n’est pas une finalité, mais une étape dans le processus d’élaboration de l’œuvre, la photographie. Tirée en grand format, celle-ci inverse le mouvement qui avait conduit à cette modélisation pour retrouver une échelle propre au paysage (ou à la scène d’intérieur), intégrant des fragments, empruntés ou factices, de la réalité. Aux premières œuvres qui évoquent une ville réédifiée, Philippe De Gobert a donné une suite, sous la forme d’un récit introductif rappelant les différentes phases de la reconstruction du Havre. Abandonnant le noir et blanc, ces nouvelles photographies, baignées d’une lumière crépusculaire, se teintent de couleurs. Comme surgies d’un passé déjà lointain, ces images fouillent dans nos mémoires, en convoquent d’autres – douloureuses – de ruines, visions d’une ville rasée d’où émergeront petit à petit des cabanes de chantier, des lampadaires de fortune, puis des appareils de levage et les premiers bâtiments. On ne peut faire l’économie de ce rappel historique, semble dire l'artiste. Primordiales, ces images sont nécessaires. Nous nous devons de les affronter de nouveau. Ce sont elles qui fondent le récit, incarnent la dimension d’épopée de cette reconstruction, sous-tendent l’immensité du défi, soulignent l’impérieuse nécessité de rêver pour rebâtir. C’est alors que Philippe De Gobert imagine un ultime développement de l’exposition. Sous l’apparence d’une digression dans laquelle il se livre, l’artiste nous parle de son univers, dévoile les pans de son musée imaginaire où se côtoient sur un pied d’égalité culotté, les icônes de l’architecture moderne et les fantaisies les plus débridées de prodigieux bricoleurs. « Le merveilleux en architecture » devient cette longue introduction qui, embrassant les jalons tout personnels d’une histoire de l’architecture racontée par Philippe De Gobert, désigne Le Havre de Perret comme partie de ce panthéon. Mais pour la première fois, l’ampleur du sujet – non plus un bâtiment mais une ville entière – conduit l’artiste à développer un propos sous la forme d’un récit, le « conte photographique », comme une possible histoire de la renaissance du Havre. « Une image qui rêve, il faut la prendre comme une invitation à continuer la rêverie qui l’a créée » écrit Gaston Bachelard6. C’est peut-être pourquoi l’œuvre de Philippe De Gobert touche, parce que, par sa grâce, elle embarque dans un univers poétique, laissant chacun libre d’y vagabonder à sa guise, l’esprit ouvert et accueillant à d’autres prolongements.
5 Ibid. p. 142. 6 Ibid p.143
11
“MAGICAL PLACES THAT ARE ENTIRELY WORKS OF THE MIND” 1 ANNETTE HAUDIQUET TRADUCTION CHARLES PENWARDEN
“From the marvellous in architecture to the photographic tale” is the title chosen by Philippe De Gobert for this exhibition. It reflects both the structure of the hanging in two parts that fit together in classical fashion, with an introduction and a development, but also the stages of a project that has grown in stature over time, so as to gradually take on the dimensions of a narrative. The invitation made to Philippe De Gobert was based on the intuition that he would find Le Havre an inspiring subject. His interest in the architecture of the 20th century and in the history of the utopias that inform it, but also his taste for the “singular constructions” that issued from the imagination of “dreamer-poets” and for mad projects “made real, despite countless difficulties,”2 would seem to plausibly lead him here, as if to a new playground. In 2005 the city reconstructed by Auguste Perret and his studio was listed as a World Heritage site by UNESCO. The citation reads: “Le Havre is exceptional among many reconstructed cities for its unity and integrity. […] It is an outstanding post-war example of urban planning and architecture based on the unity of methodology and the use of prefabrication, the systematic utilization of a modular grid, and the innovative exploitation of the potential of concrete.” Apart from this exemplary quality, we believed that the productive energy behind the elaboration of the reconstruction plan and the titanic scale of the project, which was completed over a score of years, was likely to arouse his curiosity. And so Philippe De Gobert came to Le Havre in spring 2018. On this first visit he spent long hours walking around the city and then saw a show flat that gave him an “inside understanding” of Perret’s ideas. After that he returned to Brussels and began, as per his usual method, to make model buildings inspired by the ones in the reconstructed centre, and then to photograph them, ending up with big black-and-white prints. This corpus, comprising mainly views of interiors or seafront landscapes, evokes an imaginary Le Havre, captured in the silence and purity of its birth, empty, even if here and there we can make out discreet signs of human presence. The spell works at once. By the endless care taken over building the models, by all those tiny details that give these meticulous assemblages the troubling appearance of snapshots sampled from a renascent everyday life, Philippe De Gobert confirms Gaston Bachelard’s observation that “one must love space to describe it as minutely as though there were world molecules.”3
1 Auguste Perret, Contribution à une théorie de l’architecture, Paris, 1952. Quoted by Roberto Gargiani in Auguste Perret. La théorie et l’œuvre: Paris: Gallimard/Electa, 1994, p. 39.
In The Poetics of Space, which inspired the subtitle of the new film Jean-Marie Châtelier made in De Gobert’s studio, “Miniature is one of the refuges of greatness,” the philosopher analyses the charm of these objects “that put the world in the diminutive.” Because with the miniature we can feel that “the world is my imagination,” and because they recall “the little cardboard houses that children play with”; “the tiny things we imagine simply take us back to childhood, to […] the reality of toys”; the “miniature causes men to dream.”4
3 Gaston Bachelard, The Poetics of Space, (La Poétique de l’espace, 1957), Boston: Beacon Press, 1994, p. 159. Thanks to JeanMarie Chatelier for having drawn on this book notably in his fine chapter on “The Miniature.”
12
2 Philippe De Gobert, “Le merveilleux en architecture,” in this catalogue p.24.
4 Idem, p. 155, 160, 149, 152.
Philippe De Gobert makes his models of buildings, he says, “in order to understand how they work.” In this he is one with Bachelard, who observes that “The cleverer I am at miniaturizing the world, the better I possess it.”5 That being said, in this Le Havre series the model is not a finality but a stage in the process of elaborating the work, the photograph. In a large-format print, this reverses the direction initiated by the model-making and returns to a scale suited to landscape (or an interior scene), while integrating borrowed or factitious fragments of reality. After the first works, evoking a reconstructed city, De Gobert continued with an introductory account recalling the phases in the reconstruction of Le Havre. Putting aside black-andwhite, these new photographs which bathe in a dusky light are tinged with colour. As if looming out of an already distant past, these images dig into our memories and summon up other, painful ones, of ruins, visions of a razed city in which, little by little, builders’ huts emerge, makeshift streetlights, then lifting machines and the first buildings. This historical reminder is unavoidable, De Gobert seems to be telling us. These primordial images are necessary. We must face them once again. For they are the foundation of this story, and embody the epic dimension of this reconstruction, underscoring the immensity of the challenge and the imperious need to dream in order to rebuild. This was when Philippe De Gobert imagined an ultimate development of the exhibition. Behind the appearance of a digression in which he reveals himself, the artist talks to us about his universe, reveals aspects of his imaginary museum, a place where icons of modern architecture and the wildest fantasies of prodigious bricoleurs are impudently treated as equals. “The marvellous in architecture” becomes a long introduction that, taking in the highly personal steps of a history of architecture told by Philippe De Gobert, designates Perret’s Le Havre as part of this pantheon. But, for the first time, the scope of the subject – no longer just a building, but an entire city – leads the artist to develop ideas in the form of a narrative, a “photographic tale,” like a possible history of the rebirth of Le Havre. “An image that dreams, it must be taken as an invitation to continue the daydream that created it,” writes Gaston Bachelard6. And perhaps that is why De Gobert’s work touches us. By its grace, it leads us into a poetic world where we are free to wander where we will – with an open mind, receptive to other developments.
5 Ibid. p. 150. 6 Ibid. p. 152.
13
DÉPLIER L’ARCHITECTURE : LA LEÇON D’UN BRICOLEUR SEPTEMBRE TIBERGHIEN
“
“
Je sais que vous pensez que je suis fou, mais faisons ensemble un livre sur l’architecture1.
Kurt Schwitters à Mies van der Rohe
14
Visiter l’atelier de Philippe De Gobert, c’est faire l’expérience d’un voyage en enfance : l’observation des maquettes, amoureusement assemblées par l’artiste à l’aide de menus objets et autres matériaux récupérés, transporte dans un lointain ailleurs, un monde miniaturisé qui provoque à coup sûr l’émerveillement. S’ajoutent à cela les photographies de moyens et grands formats, toutes réalisées à partir des modèles précédemment décrits, mises en scène et en lumière dans son studio avec la précision d’un scénographe. Ces allers-retours successifs entre l’architecture et sa représentation, les nombreux jeux de mise en abyme, sans compter les références historiques convoquées par l’artiste, tout cela donne le vertige. N’ayant rien oublié des illusions et subterfuges qui le ravissaient lui-même enfant, Philippe De Gobert prolonge indéfiniment cet état de grâce. Il se fait ainsi le passeur d’une tradition de poètes et de conteurs qui, bien avant lui, ont transmis ce goût du voyage et de l’aventure sans avoir à sortir de chez soi2 .
1 Propos rapporté par Robert Motherwell dans son introduction à The Dada Painters and Poets : An Anthology, New York, Wittenborn, Schultz Inc., 1951, p. XXI, cité dans Marc Dachy, La Cathédrale de la misère érotique. D’un rythme supérieur en architecture : le « Merzbau » de Kurt Schwitters, Paris, Sens & Tonka, 2015, p. 16. 2 Voir Pierre Bayard, Comment parler des lieux où l’on n’a pas été ?, Paris, Éditions de Minuit, 2012. 3 Dans une note d’intention sur la présente exposition transmise par Philippe De Gobert en août 2020. Cette allusion au bricolage n’est pas sans évoquer la définition de Claude Lévi-Strauss, où il oppose la logique conceptuelle et abstraite de l’ingénieur à la sensibilité concrète du bricoleur, faisant feu de tout bois : voir La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962. 4 Philippe De Gobert. De toutes pièces, œuvres 1972-2019, Le Grand-Hornu, musée des Arts contemporains, 2017.
C’est en « bricoleur passionné », pour reprendre la formule de l’artiste3, que ce dernier a rassemblé pour la première partie de son exposition au MuMa, intitulée « Du merveilleux en architecture au conte photographique », une vingtaine de projets architecturaux qui ont été réalisés entre 1781 et 2010 tantôt par des amateurs éclairés, par des artistes de l’avantgarde ou par des architectes de renom, desquels transparaît un goût pour l’exubérance, l’anarchisme et l’innovation. Il s’agit d’un ensemble de maquettes reconstituées par Philippe De Gobert d’après des documents d’époque et accompagnées de grandes planches explicatives telles qu’on pourrait en trouver dans un écomusée de la fin du siècle dernier, constituées de montages d’images et de textes glanés au fil de ses recherches. Du célèbre Merzbau de Kurt Schwitters à Hanovre, détruit par des bombardements en 1943, au Palais idéal du facteur Cheval en passant par la villa Malaparte, qui a servi de décor au film Le Mépris de Jean-Luc Godard, ou encore la colonne détruite du Désert de Retz, qui aura inspiré l’architecte russe Constantin Melnikov pour son atelier à Moscou, tous ces projets ont pour vecteur une énergie créatrice hors du commun, contagieuse, qui les rapproche de l’œuvre d’art totale, offrant un délicieux contrepoint à la doctrine du fonctionnalisme. Inspirantes à bien des égards, ces constructions fantastiques dessinent également un autoportrait en creux de l’artiste, révélant diverses facettes de sa personnalité d’autodidacte accompli. Et quel meilleur écrin aurait-on pu rêver que la grande galerie du musée, avec ses baies vitrées ouvrant sur le port du Havre, pour déployer un tel musée imaginaire ? Lors de sa dernière exposition monographique d’envergure4, qui revenait sur l’ensemble de sa carrière, un premier travail rétrospectif avait été établi par Philippe De Gobert : il s’agissait de grandes planches reprenant les plans, notes et autres visuels ayant servi à la réalisation des Artists’ Rooms, sortes d’antichambres de la création, présentées aux côtés de quelques œuvres originales. En dévoilant l’envers du décor de ses réalisations, le photographe semblait poursuivre une réflexion déjà amorcée quelques années auparavant avec la série des Archives improbables. Ces photographies surimpressionnées mettaient en relation des vues de vrais ateliers avec d’autres, fictifs, réalisés par ses soins. Ce n’est donc pas très étonnant de retrouver aujourd’hui l’artiste dans la posture de l’historien, qui s’autorise néanmoins quelques libertés d’interprétation et détours du côté de la fiction. 15
DE L’UTOPIE À L’ARCADIE Né en 1946 à Bruxelles dans une famille d’artistes, d’une mère illustratrice et d’un père décorateur, Philippe De Gobert a été très tôt initié à l’art. Durant ses études techniques en photographie, il réalise ses premiers assemblages d’objets et sculptures, inspirés par les collages dadaïstes et plus particulièrement par Kurt Schwitters, influence marquante sur laquelle nous reviendrons. Pour subvenir à ses besoins, il devient assistant dans des studios publicitaires. Porté par les idéaux contestataires de mai 1968, il participe à l’occupation du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles aux côtés de Marcel Broodthaers, avec qui il s’était lié d’amitié suite à une rencontre à la galerie Saint-Laurent, où ce dernier avait exposé un an plus tôt5. En 1973, il démissionne de son emploi pour partir séjourner à Ibiza avec sa compagne et un ami architecte dans le but de restaurer une authentique finca selon des techniques vernaculaires ancestrales. À l’époque, l’île est le repère à la fois de hippies et de célébrités en mal de villégiature s’étant fait construire de somptueuses et coûteuses villas. Il semblerait que ce soit le gouffre séparant ces deux sphères économiques et sociales – sans parler de la froideur de l’accueil des insulaires, voyant d’un mauvais œil ces touristes bigarrés – ainsi que les conditions du travail d’ouvrier – non rémunéré – qui ont contribué à précipiter cette expérience utopiste vers une fin anticipée6. Néanmoins, cette épreuve du réel aura eu du bon, car dès son retour à Bruxelles l’année suivante, Philippe De Gobert entreprend ses premières miniatures, des jardins clos faisant référence à des artistes connus tels que Lucio Fontana, Marcel Broodthaers, Andy Warhol, Jean-Pierre Raynaud, Christo ou George Segal. Voici comment il décrit lui-même l’origine de ces œuvres : « J’ai un jour été séduit par un petit jardin venu d’Orient, ce fut soudain comme un coup de foudre. J’avais devant moi la nature en modèle réduit, l’arbre (bonsaï) était bien vivant, les rochers, la terre, l’eau, le gravier étaient bien réels, mais tout avait une autre dimension. Un microcosme, un univers immédiatement intelligible. J’étais fasciné par cette image du monde à mon échelle. […] Du jardin à l’atelier, je n’ai franchi qu’une petite porte ; la porte d’une maison de poupée ; de chambre en chambre, d’atelier en atelier, j’ai tout meublé, j’y ai apporté les accessoires indispensables à la personnalité de chacun des illustres occupants7. »
C’est ce déclic poétique – du jardin vers l’atelier – qui lui permet, à partir de 1978, d’entreprendre de petites maquettes à l’effigie d’œuvres d’artistes célèbres, les Artists’ Rooms. Celles-ci se présentent comme des sculptures murales, à la croisée de la peinture et de l’architecture, avec un point de vue frontal qui diffère de l’observation habituelle des maquettes, qu’on peut appréhender de tous les côtés. Cette entreprise de miniaturisation consiste à essayer de saisir les mystères de la création auxquels est confronté l’artiste dans son quotidien solitaire pour les encapsuler, à l’instar des marins qui introduisent des navires dans des bouteilles. L’absence de toute représentation humaine dénote l’emphase mise sur le mode opératoire et le lieu de la création plutôt que sur le créateur lui-même, laissant au spectateur la possibilité de s’immerger dans ce qui fait la spécificité de chacune des pratiques illustrées. De sa prime jeunesse jusqu’au début de sa carrière, Philippe De Gobert renvoie l’image d’un rêveur idéaliste, ce qui s’illustre à travers le choix de plusieurs « folies » architecturales présentes au sein du corpus exposé au MuMa. Citons notamment la villa Malaparte, la Nave Puglia du poète et écrivain Gabriele D’Annunzio, ainsi que la colonne détruite du Désert de Retz. La première de ces folies, la villa Malaparte, a été conçue par l’architecte Adalberto Libera pour l’écrivain italien Curzio Malaparte sur une falaise inaccessible dans le golfe de Salerne, à l’est de Capri. Construite entre 1938 et 1942, dans un style architectural moderniste, elle offre à son occupant des vues imprenables sur la nature environnante. La deuxième œuvre est une embarcation militaire, la Nave Puglia, que le poète et héros de guerre italien D’Annunzio a fait démonter et réinstaller dans sa propriété de Gardonne dans les années 1920, conférant à son domaine des airs de parc d’attractions. La troisième, la colonne du désert de Retz, a été construite en 1781 par l’aristocrate François de Monville au nord de la forêt de Marly, dans les Yvelines. L’esthétique de la ruine, qui a conquis la bourgeoisie française du xviiie siècle, notamment grâce aux paysages bucoliques d’Hubert Robert, aura sans doute inspiré le maître d’œuvre qui, par contraste avec l’aspect délibérément décati de la structure extérieure, a pris grand soin d’aménager confortablement les appartements intérieurs. L’histoire raconte que c’est grâce à Le Corbusier, qui l’aurait emmené en automobile voir le Désert de Retz, que l’architecte russe Constantin Melnikov, alors occupé à construire le pavillon soviétique de l’Exposition internationale des arts décoratifs à Paris en 1925, aurait adapté les plans de sa maison-atelier de l’Arbat, à Moscou8. Celle-ci est composée de deux 16
5 Tous les repères chronologiques ont été repris du catalogue de l’exposition monographique Philippe De Gobert. De toutes pièces au musée des Arts contemporains du Grand-Hornu, 2017, p. 199-203. 6 Selon les propos recueillis lors d’un entretien avec l’artiste le 22 décembre 2020. 7 Philippe De Gobert…, op. cit., p. 25 8 Voir la planche illustrée du Désert de Retz conçue par Philippe De Gobert. Les sources ne sont pas citées, mais l’anecdote est relativement connue dans le milieu de l’architecture.
tours cylindriques emboîtées et percées d’ouvertures régulières au motif hexagonal, comme on peut le constater dans la maquette reproduite par Philippe De Gobert. L’image d’un monde apaisé, préservé des travers de l’humanité et duquel l’être humain s’est éclipsé, revient de manière récurrente dans la pratique de Philippe De Gobert. Comme l’expliquent Maurice Culot et Bruno Foucart, ce refuge ultime n’a eu de cesse de séduire, à la manière d’un mirage, les artistes et intellectuels, toutes époques confondues :
« La mythologie, de l’Antiquité aux Lumières, a fait de l’Arcadie, région montagneuse plutôt inhospitalière du Péloponnèse, le symbole d’un monde pastoral chanté par les poètes, un lieu idyllique où règne l’Âge d’or. Une patrie, une fiction poétique où s’invente le lyrisme, une terre du chant et de la parole, reliée à la nature et au monde, une ouverture métaphysique sous le regard du dieu Pan et de sa flûte. Le paysage idéal arcadien invoque un rapport apaisé entre la vie et la terre. […] Le thème poétique de l’Arcadie, patrie virgilienne avec ses robinsonnades paradisiaques, resurgit régulièrement au cours de l’histoire à des moments d’anéantissement ou d’espoir, de changements politiques ou artistiques radicaux9».
Jardin clos et Artists’ Rooms ne pourraient-ils pas, à leur manière, être considérés comme des hétérotopies, « des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables10 » ? Des utopies de poche, à l’abri des sirènes d’alarme et des désastres d’une décennie marquée par une agitation politique et sociale importante, par la prise de conscience de la gravité des problèmes écologiques et le début d’une nouvelle crise économique. Les Artists’ Rooms avaient bien l’un ou l’autre référent (une photographie prise dans un livre ou le souvenir d’une visite d’exposition), ainsi qu’un détail rendant immédiatement identifiable le créateur domicilié à cette adresse (dripping de Pollock ou blanc immaculé de l’atelier de Mondrian), mais l’inventivité et la variété de leurs compositions n’étaient redevables qu’à l’imaginaire de l’artiste. C’est ainsi qu’à partir des années 1990, Philippe De Gobert s’oriente progressivement vers une dépersonnalisation de ces intérieurs pour ne garder que l’idée d’un refuge pour créateur retiré de la cohue du monde : les Studios. Petit à petit, c’est par extension de l’espace et glissement sémantique que l’atelier, puis l’architecture tout entière, se donne à voir en tant que création et à la place du créateur. L’important étant d’avoir, pour paraphraser Virginia Woolf, une pièce, un endroit, un lieu à soi pour se retrouver et parfaire la connaissance intime des mouvements de son âme11. DE LA MAQUETTE À LA PHOTOGRAPHIE ET VICE VERSA
9 M aurice Culot et Bruno Foucart (dir.), Modernes Arcadies, Bruxelles, Archives d’architecture moderne, 2017, p. 12-13. 10 Voir la définition complète des hétérotopies dans Michel Foucault, « Dits et écrits 1984 », Des espaces autres, conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967, dans Architecture, mouvement, continuité, no 5, octobre 1984, p. 46-49. 11 Virginia Woolf, A Room of One’s Own, Londres, Hogarth Press, 1929. En français, le titre a d’abord été traduit par Une chambre à soi (trad. Clara Malraux, Paris, Gonthier, 1965), puis plus récemment par Un lieu à soi (trad. Marie Darrieussecq, Paris, Denoël, 2016), cette dernière version évacuant la notion de domesticité propre à l’univers dit « féminin ». 12 M. Dachy, La Cathédrale de la misère érotique…, op. cit. 13 Ibid., p. 51.
À la différence des Artists’ Rooms, les Studios se présentent non plus comme des objets tridimensionnels, mais comme des vues photographiques en noir et blanc, prises à l’intérieur des maquettes. Afin d’éviter l’écueil du systématisme et de l’illustration, Philippe De Gobert, qui a été formé à la photographie technique, qu’il a toujours employée comme activité de subsistance parallèlement à son activité artistique, s’est mis à photographier ses modèles. Du référent initial, avec tout l’imaginaire des ateliers d’artistes qu’il convoquait, la photographie poursuit ce geste d’affranchissement de la poétique de l’habiter, en inscrivant ce rapport à la maquette dans un imaginaire toujours plus proche de l’utopie. Paradoxalement, la photographie participe chez lui à un travail d’effacement, d’estompage du référent initial. Elle permet de quitter la reproduction en miniature d’un espace donné pour l’ouvrir de l’intérieur, en posant son appareillage optique à l’intérieur même de ses maquettes, et en lui attribuant une échelle tout autre, bien plus grande, par la taille des tirages réalisés. Et Philippe De Gobert de poursuivre le lent et profond travail de réappropriation des espaces qu’il a à cœur de représenter depuis le début de sa carrière. L’une des figures l’ayant sans doute le plus encouragé dans cette voie est l’écrivain, poète et artiste dadaïste Kurt Schwitters. Son Merzbau, aussi appelé Cathédrale de la misère érotique, construit à Hanovre entre 1920 et 1937, était, selon les dires de Marc Dachy, « un double métabolique », à la fois une installation, une habitation et une transposition spatiale de la personnalité de l’artiste12. Cette construction organique prenant place dans l’appartement et l’atelier de Schwitters était littéralement façonnée de l’intérieur en creux, grottes et crevasses contenant des objets ayant appartenu à l’artiste, sortes de reliques progressivement ensevelies sous la construction elle-même. Les seuls témoins privilégiés qui purent pénétrer l’antre avant sa destruction durant les bombardements en 1943 relatent une expérience quasi mystique. En effet, au cœur même de cette cathédrale, sur une colonne s’élevant vers le ciel, apparaissait le moulage d’une tête d’enfant – le fils disparu de Schwitters –, faisant de ce manifeste constructiviste un cénotaphe13. Selon Marc Dachy, la cathédrale était à la fois une réponse à l’architecture du Bauhaus et une critique 17
de l’architecture fasciste. Schwitters entendait changer le monde avec son expression plastique, mais il n’eut pas la possibilité d’achever son œuvre, car la guerre éclata et il dut fuir l’Allemagne nazie pour se réfugier en Norvège avec son autre fils, puis à Londres, où il mourut en 1948. Il est intéressant de noter que, du Merzbau, seules demeurent des traces photographiques et une reconstitution à l’échelle 1/1 conservée au musée Sprengel de Hanovre. Toute la fortune critique de Schwitters et de son œuvre s’est constituée autour de la documentation, son invisibilité n’ayant fait qu’accroître la notoriété de l’artiste et l’imprégner d’une aura de mystère. Plusieurs aspects de la personnalité attachante de Schwitters – du moins à en croire les témoignages de ses contemporains –, comme sa folie, son espièglerie, mais également son aptitude à transformer son environnement de manière tout à fait empirique, sans jamais avoir reçu aucune formation en architecture, ont pu séduire Philippe De Gobert et faire en sorte qu’il s’identifie à son œuvre. La maquette que ce dernier a réalisée est une interprétation personnelle du Merzbau recelant des éléments relatifs à sa propre vie. Certes, ce n’est pas la première fois que l’artiste signale sa présence de manière discrète, à travers la réappropriation d’un élément emprunté à une autre œuvre, sans qu’il s’agisse pour autant d’un pastiche. Ce fut le cas notamment d’un tableau de Van Eyck, Les Époux Arnolfini, que Philippe De Gobert a repris à son compte dans l’un de ses Artists’ Rooms et dont il a signé de son propre patronyme le miroir convexe qui figure au fond de la chambre du couple. Mais là où la réplique de la Cathédrale de Schwitters va plus loin, c’est qu’elle met en évidence le pouvoir de la photographie à réifier une architecture disparue, tout en inscrivant son auteur dans une sorte de généalogie fictive, faisant de sa maquette un ultime monument à la gloire des bricoleurs. À la rigueur de l’historien, Philippe De Gobert oppose l’attitude décomplexée, ludique et volontairement didactique de celui dont la science s’éprouve sur l’établi. C’est en ce sens qu’il faut sans doute interpréter la présence du mot « merveilleux » dans le titre de l’exposition qui lui est dédiée au MuMa. Ce que désigne ce terme est autant l’aspect fantastique, extraordinaire, surprenant, relatif à certaines constructions choisies par l’artiste et leur pouvoir d’attraction, presque magique, exercé sur l’imaginaire que leur faculté à s’inscrire dans un continuum temporel en dépit de leur finitude apparente. Pour le dire autrement, c’est parce qu’elles font état d’un processus en cours, avec des étapes intermédiaires et des « arrêts sur image », que les maquettes et planches explicatives qui les accompagnent revêtent ce potentiel de fascination. On peut considérer ces dernières pour leur contenu informatif, renseignant le lecteur sur les principaux éléments à retenir de chaque projet, mais on peut aussi les regarder comme des objets esthétiques à part entière, issus de collages de textes et d’images. Leur fond coloré évoque d’ailleurs le blueprint, technique d’impression utilisée jadis par les architectes pour la reproduction de dessins techniques, procédé dérivé du cyanotype. Qui sait si, d’ici quelques années, Philippe De Gobert ne réunira-t-il pas ces planches en un livre destiné aux amateurs d’architecture dédicacé à Kurt Schwitters et Mies van der Rohe, en souvenir d’une boutade.
18
19
UNFOLDING ARCHITECTURE : A LESSON IN DIY SEPTEMBRE TIBERGHIEN TRADUCTION JOHN TITTENSOR
“
“
I know you think I am insane, but let’s do a book on architecture together. — Kurt Schwitters to Mies van der Rohe1
Visiting Philippe De Gobert’s studio is like taking a trip back into childhood : observing the models, lovingly assembled by the artist from small objects and recycled bits and pieces, bears you away to some distant place, a miniaturised world that’s bound to leave you in awe. Then there are the photos ranging from medium to large-format, all made from the models described above, staged and lit in the studio with the precision of a set designer. The oscillation between architecture and representation, the repeated, playful mises en abyme, and of course the historical references the artist has called up, are enough to make your head spin. Having forgotten nothing of the illusions and subterfuges that delighted him as a child, De Gobert extends this state of grace indefinitely. He thus becomes the conduit for a tradition of poets and storytellers who, long before him, had handed on this yen for travel and adventure without having to leave your armchair. 2 As a passionate bricoleur, to use the artist’s own words,3 De Gobert has brought together for the first part of his exhibition at MuMa, entitled "From the marvellous in architecture to the photographic tale", twenty architectural projects carried out between 1781 and 2010 by enlightened amateurs, avant-garde artists or renowned architects, all of them with an undisguised penchant for exuberance, anarchism and innovation. The result is a collection 20
1 Robert Motherwell (ed.), The Dada Painters and Poets : An Anthology, various translators (Boston, MA : Belknap Press, 1989 [Second revised edition]), p. XXVII quoted by Marc Dachy, La cathédrale de la misère érotique. d’un rythme supérieur en architecture : le Merzbau de Kurt Schwitters (Paris : Sens & Tonka, 2014). 2 See Pierre Bayard, How to Talk about Places You’ve Never Been, trans. Michele Hutchison (New York : Bloomsbury, 2016). 3 In a statement of intent for the exhibition, submitted by the artist in August 2020. The allusion to bricolage is reminiscent of Claude Lévi-Strauss’s definition, in which he contrasts the conceptual and abstract logic of the engineer with the concrete sensitivity of the bricoleur, who uses whatever comes to hand. See Claude Lévi-Strauss, The Savage Mind, trans. Doreen and John Weightman (Chicago : University of Chicago Press, 1966).
of models, reconstructed by the artist from period documents and accompanied by large explanatory plates – montages of images and texts gleaned from his research – of the kind to be found in a late-twentieth-century eco-museum. From Kurt Schwitters’ famous Merzbau in Hanover, destroyed by the bombings, to Facteur Cheval’s Ideal Palace, the Villa Malaparte, which served as the set for Jean-Luc Godard’s film Le Mépris, and the broken column in the Désert de Retz garden, which inspired Russian architect Constantin Melnikov to build his studio in Moscow – all these projects are driven by an extraordinary, contagious creative energy whose delightful counterpointing of the doctrine of functionalism suggests a rapprochement with the total work of art. Inspiring in many ways, these fantastic constructions also provide an implicit self-portrait of the artist, revealing various facets of his personality as an accomplished autodidact. And what better setting could there have been for such an imaginary museum than MuMa’s main gallery, with its bay windows opening onto the port of Le Havre? For his most recent large-scale monographic exhibition4, which embraced his career from the very beginning, De Gobert had prepared an introductory retrospective work: it consisted of large explanatory plates of the plans, notes and other visuals used for Artists’ Rooms, sorts of antechambers of creation, presented alongside some original works. By revealing the backstory of his creations, the photographer seemed to be pursuing a line of thought begun a few years earlier with the improbable archives series. These superimposed photographs brought together views of real workshops with fictitious ones of his own making. It is hardly surprising, then, to find the artist now in the role of a historian who nonetheless allows himself a few liberties of interpretation and detours into the realm of fiction. FROM UTOPIA TO ARCADIA Born in Brussels in 1946 into a family of artists – mother an illustrator, father an interior designer – Philippe De Gobert was introduced to art at an early age. While studying photographic technique he made his first assemblages of objects and sculptures, inspired by Dadaist collages and more particularly by Kurt Schwitters, a major influence to whom we shall return. To support himself, he worked as an assistant in advertising studios. Buoyed by the anti-establishment ideals of May 1968, he took part in the occupation of the Palais des Beaux-Arts in Brussels, alongside Marcel Broodthaers, befriended at the Saint-Laurent gallery when Broodthaers was exhibiting there a year earlier.5 In 1973, he resigned from his job and went to Ibiza with his partner and an architect friend to restore an authentic finca according to the ancestral vernacular techniques of the island’s inhabitants. At the time Ibiza was a haven for hippies, but also for celebrities who had built themselves sumptuous, expensive holiday villas. It would seem that it was the gulf between these two economic and social spheres –not to mention the chilly reception from the natives, who took a dim view of these colourful tourists – plus the lack of pay for the labourers, which helped precipitate this utopian experiment towards its predestined conclusion.6 Still, the reality check had its good side : back in Brussels the following year, De Gobert immediately embarked on his first miniatures in the form of walled gardens referring to well-known artists such as Fontana, Broodthaers, Warhol, Raynaud, Christo and Segal. Here’s his description of how they came about : "One day I fell under the spell of a small Oriental garden. All of a sudden, like a thunderbolt.
4 Philippe De Gobert. De toutes pièces, oeuvres 1972–2019, at the Musée des Arts Contemporains Le Grand Hornu, Boussu, Belgium, in 2017. 5 All chronological references have been taken from the catalogue of the monographic exhibition «Philippe De Gobert. De toutes pièces», at the Museum of Contemporary Arts Le Grand Hornu, 2017, pp. 199–203. 6A ccording to an interview with the artist on 22 December 2020. 7 Philippe De Gobert, op. cit. p. 25
I had nature in front of me in a scale model, the tree (bonsai) was truly alive, and the rocks, the earth, the water, the gravel were real, but everything had another dimension. A microcosm, an immediately intelligible universe. I was fascinated by this image of the world on my scale. [...] From the garden to the studio, I only went through a small door; the door of a doll’s house; from room to room, from studio to studio, I furnished everything, I brought the accessories indispensable to the personality of each of the illustrious occupants."7
It was this poetic shift – from garden to studio – that enabled him, from 1978 onwards, to start making his Artists’ Rooms, scale models of works by famous artists. These are presented as wall sculptures, at the crossroads between painting and architecture, with a frontal viewpoint that differs from the usual observation of models, which can be seen from all sides. This venture into miniaturisation involves trying to capture and encapsulate the mysteries of creation the artist faces in his solitary existence, like sailors who put ships in bottles. The total absence of human representation denotes an emphasis on the modus operandi and location of creation rather than on the creator himself, leaving the possibility of viewer immersion in the specificity of each of the practices illustrated. These include the Villa Malaparte, Gabriele D’Annunzio’s Nave Puglia and the broken column of the Désert de Retz. 21
Designed in a modernist vein by the architect Adalberto Libera for the Italian writer Curzio Malaparte, the villa was built between 1938 and 1942 on an inaccessible cliff in the Gulf of Salerno, east of Capri, where it offers breathtaking views of its surroundings. The Nave Puglia was a warship which the Italian poet and war hero had dismantled and re-installed on his property in Gardone Riviera in the 1920s, giving his estate a theme park feel. The column was built in 1781 by the aristocrat François de Monville to the north of the forest of Marly, some twenty kilometres west of Paris. The aesthetics of the ruin, having conquered the French bourgeoisie of the eighteenth century, notably through Hubert Robert’s bucolic landscapes, was undoubtedly a source of inspiration for de Monville, who, despite the scrupulously decayed appearance of the exterior structure, took great care to comfortably furnish the interior apartments. The story goes that it was thanks to Le Corbusier, who took him by car to see the Désert de Retz, that the Russian architect Konstantin Melnikov, who was then busy building the Soviet pavilion for the 1925 International Exhibition of Decorative Arts in Paris, adapted the plans for his house-cum-studio on the Arbat in Moscow.8 The house consists of two interlocking cylindrical towers with regular openings in a hexagonal pattern, as can be seen in the model reproduced by Philippe De Gobert. The image of a peaceful world, preserved from human shortcomings and from which man has vanished, is a recurring feature of De Gobert’s practice. As Maurice Culot and Bruno Foucart explain, this ultimate refuge never ceases to enthral artists and intellectuals of all periods, like a mirage : "Mythology, from Antiquity to the Enlightenment, has made Arcadia, a rather inhospitable mountainous region of the Peloponnese, the symbol of a pastoral world hymned by poets, an idyllic place where the Golden Age reigns. A homeland, a poetic fiction where lyricism is invented, a land of song and speech, connected to nature and the world, a metaphysical opening under the gaze of the god Pan and his flute. The ideal Arcadian landscape invokes a peaceful relationship between life and earth [...] The poetic theme of Arcadia, Virgil’s homeland with its paradisal castaway tales, regularly reappears in the course of history at times of annihilation or hope, of radical political or artistic changes."9 Couldn’t the Walled Garden and the Artists’ Rooms, in their own way, be considered heterotopias, "places [which] are outside of all places, even though it may be possible to indicate their location in reality."?10 Pocket utopias, sheltered from the alarm bells and disasters of a decade marked by major political and social unrest, by the awareness of the seriousness of ecological problems and the beginning of a new economic crisis. The Artists’ Rooms did have one or another referent (a photograph taken from a book or the memory of a visit to an exhibition), as well as a detail that made the creator domiciled at that address immediately identifiable – think Pollock’s dripping or the immaculate white of Mondrian’s studio – but the inventiveness and variety of their compositions were due solely to the artist’s imagination. Thus, from the 1990s onwards, Philippe De Gobert gradually moved towards a depersonalisation of these interiors, retaining only the idea of a refuge for creators withdrawn from the hustle and bustle of the world (the Studios). Gradually, via extension of space and semantic shift, the studio, then the entire structure, comes to be seen as a creation and as replacing the creator. The important thing, to paraphrase Virginia Woolf, is a room of one’s own in which to find oneself and fully achieve the intimate knowledge of the movements of one’s soul11. FROM MODEL TO PHOTOGRAPH AND VICE VERSA Unlike the Artists’ Rooms, the Studios are no longer presented as three-dimensional objects, but as black-and-white photographic views taken inside the models. In order to avoid the pitfalls of systematism and illustration, De Gobert, who has always lived off his métier as a technical photographer alongside his artistic activity, began photographing his models. Starting out from the initial referent, with all the imagining of artists’ studios that it conjured up, photography prolongs this gesture of liberation from the poetics of living by embedding the relationship to the model in an imaginative realm ever closer to utopia. Paradoxically, photography is part of his work of blurring and erasing the initial referent. It allows him to leave behind the miniature reproduction of a given space and open it up from the inside, by placing his optical equipment inside his models and giving their interiors a completely different, much larger scale, through the size of the prints produced. Thus he pursues the slow and profound task of reappropriating the spaces he has been bent on representing since the beginning of his career. 22
8 See the illustrated plate of the Désert de Retz, designed by Philippe De Gobert. The sources are not cited, but the anecdote is relatively well known in architectural circles. 9 Maurice Culot and Bruno Foucart, Modernes Arcadies (Brussels : Archives d’Architecture Moderne, 2017), pp. 12–13. 10 For the full definition of heterotopias, see Michel Foucault, «Of Other Spaces» (1967), trans. Jay Miskowiec, http://web. mit.edu/allanmc/www/foucault1.pdf 11 Virginia Woolf, A Room of One’s Own (London : Hogarth Press, 1929).
One of the figures who undoubtedly encouraged him most in this direction was the writer, poet and Dadaist artist Kurt Schwitters. Built in Hanover between 1920 and 1937, his Merzbau – also known as the Cathedral of Erotic Misery – was, in art historian Marc Dachy’s words, "a metabolic double", simultaneously an installation, a dwelling and a spatial transposition of the artist’s personality.12 This organic construction, which took shape in Schwitters’ apartment and studio, was literally formed from the inside out, with hollows, caves and crevasses containing objects that had belonged to the artist, relics of sorts, which were gradually buried under the construction itself. The happy few who were able to enter the lair before its destruction during the bombings in 1943 speak of a quasi-mystical experience. At the very heart of this cathedral a column rising skywards culminated in the cast of a child’s head – that of Schwitters’ dead son – and transformed this constructivist manifesto into a cenotaph13. According to Marc Dachy, the cathedral was both a response to Bauhaus architecture and a critique of the fascist style. Schwitters was out to change the world with his mode of expression, but the work was never to be completed : when war broke out he had to flee Nazi Germany with his surviving son, first to Norway, then to London, where he died in 1948. Interestingly, all that now remains of the Merzbau are photos and the full-scale replica in the Sprengel Museum in Hanover. The entire critical fortune of the artist and his work has been built up around the documentation, Merzbau’s invisibility having only increased the artist’s notoriety and imbued him with an aura of mystery. Among the varied aspects of Schwitters’ personality – an endearing one, according to his contemporaries – his madness, mischievousness and pragmatic ability to transform his environment without any training in architecture, may have captivated De Gobert to the point of identification with Schwitters’ work : the outcome was a personal interpretation of the Merzbau with the discreet interpolation of autobiographical elements. This was not, of course, the first time he had unobtrusively made his presence felt through appropriation of a borrowing from another work, without lapsing into pastiche. This was notably the case with Van Eyck’s The Arnolfini Portrait, which De Gobert used in one of his Artists’ Rooms, and for which he signed his own name on the convex mirror on the far wall of the lovers’ room. But where the replica of Schwitters’ Cathedral goes further is in highlighting the power of photography to reify a lost work of architecture, while at the same time inscribing its creator in a kind of fictional genealogy and making his model an ultimate monument to the glory of bricoleurs. To the rigour of the historian, Philippe De Gobert opposes the relaxed, playful, deliberately didactic attitude of someone whose knowledge has been bench-tested. It is doubtless in this sense that we should interpret the "marvellous" in the title of the exhibition at MuMa. What the term points to is as much the fantastic, extraordinary, astonishing aspect of certain constructions chosen by the artist and the near-magical power of attraction they hold for the imagination, as their ability to lock into a temporal continuum, despite their apparent finitude. Put another way, it is because they show an ongoing process, complete with linkages and "freeze-frames", that the models and explanatory plates that accompany them have this potential for fascination. The latter can be considered for their informative content, pointing the reader towards the main elements to be retained from each project, but they can also be seen as aesthetic objects in their own right, resulting from collages of texts and images. Their coloured background is reminiscent of the blueprint, a printing technique derived from the cyanotype and once used by architects to reproduce technical drawings. Who knows if, in a few years’ time, Philippe De Gobert will not put these plates together in a book for architecture buffs, dedicating it to Kurt Schwitters and Mies van der Rohe in memory of a wisecrack.
12 Marc Dachy, La cathédrale..., op. cit. 13 Ibid., p. 51.
23
“
L’intérêt porté à certaines architectures m’a amené très tôt à les construire en maquette pour tenter d’en comprendre le fonctionnement. N’ayant aucune formation dans le domaine, j’ai plutôt agi en bricoleur, en amateur passionné, me documentant au hasard des découvertes dans les livres et les revues. Mon attention s’est surtout tournée vers des constructions singulières, utopiques, voire vers les recherches menées tantôt par un ingénieur (Richard Buckminster Fuller) qui inspira les expériences architecturales du mouvement hippie en Californie, tantôt par un poète rêveur (Panamarenko) ou un illuminé opiniâtre comme le Facteur Cheval, tous persuadés qu’ils pourraient mener à bien leurs projets malgré d’insurmontables difficultés. Il fallait être un peu fou pour vouloir, comme Curzio Malaparte, construire cette villa sur un rocher en avancée dans la mer et difficilement accessible par la terre pour y amener les matériaux. Quelle idée bizarre a incité François de Monville, en 1781, à mettre en chantier cette « folie » qu’est la Colonne détruite dans sa propriété de Chambourcy (Le Désert de Retz) : construire une ruine pour y habiter ! C’est ce monument qui, lors d’une visite en compagnie du Corbusier au Désert de Retz, a vraisemblablement inspiré l’architecte russe Constantin Melnikov pour son atelier à Moscou. Qu’est-ce qui a poussé le poète fasciste Gabriele D’Annunzio à dépenser une fortune pour remonter, à terre, un bateau planté parmi les cyprès dans sa propriété face au lac de Garde ? Ou encore, ce Belge à édifier un paquebot en maçonnerie (une réplique de Normandie) dans les dunes pour y ouvrir un restaurant ? Il y a aussi ce Martiniquais surnommé Zétwal qui, alors que les Américains y avaient déjà posé le pied depuis quelques années, était convaincu qu’il pourrait atteindre la Lune uniquement par la force poétique des textes d’Aimé Césaire, lus et amplifiés par des hautparleurs, dans une capsule construite de ses mains. L’idée m’est venue de montrer tout cela dans une « exposition d’architecture », qui serait plutôt un autoportrait en creux de mes passions. Certes, il y a des plans, des photographies, des textes et des références historiques, mais il faut voir l’exposition comme une approche ludique et poétique de l’architecture, avec ses maladresses et ses erreurs, concoctée avec sérieux par un artiste, sans la rigueur qu’y aurait appliquée un scientifique ou un historien de l’art.
Les planches reproduites ci-dessous ont été adaptées par l'artiste pour le projet éditorial. Les maquettes et les photographies présentées dans l'exposition ont ainsi été intégrées dans les planches informatives.
24
“
PHILIPPE DE GOBERT LE MERVEILLEUX EN ARCHITECTURE
“
Very early on, my interest in certain kinds of buildings led me to make maquettes of them, in an attempt to see how they worked. With no training in the field, I opted for a DIY approach, gleaning my information here and there in books and magazines. I focused mainly on odd, utopian buildings and, even experiments : by Buckminster Fuller, the engineer who inspired hippy architecture in California; by the dreamy poet Panamarenko; and by that stubborn visionary, the Facteur Cheval – all of them convinced they would win out against overwhelming odds. You had to be a bit crazy to want – like Curzio Malaparte – to build that house on a rock sticking out into the sea and practically impossible to get to with your building materials. Likewise, what weird idea drove François de Monville, in 1781, to embark on the "folly" that was the Broken Column in his "Désert de Retz" Anglo-Chinese garden at Chambourcy? A ruin built to be lived in! Apparently it was the same monument, during a tour with Le Corbusier, that inspired the design of Russian architect Constantin Melnikov’s Moscow studio. What prompted the Fascist poet Gabriele D’Annunzio to spend a fortune reassembling a warship on land, among the cypress trees on his property facing Lake Garda? Or the Belgian who built a masonry liner – a replica of Normandie – in the dunes, to open a restaurant? And let’s not forget Zétwal, from Martinique. Some years after the American lunar success, he decided that all he needed to reach the moon was the poetic force of Aimé Césaire’s texts, read and amplified by loudspeakers in a capsule of his own making. My idea was to show all this in an "architecture exhibition", which would be more like a selfportrait of my passions. Of course, there are plans, photographs, texts and historical material, but the exhibition should be seen as a playful, poetic approach to architecture, concocted seriously by an artist with all its clumsiness and mistakes, but without the rigour that a scientist or art historian would have brought to the task.
“
PHILIPPE DE GOBERT
TRADUCTION JOHN TITTENSOR
THE MARVELLOUS IN ARCHITECTURE
The illustrations reproduced here have been adapted by the artist for this publication. The models and photographs presented in the exhibition have been incorporated into information panels.
25
26
27
> VILLA ARBAT (THE MELNIKOV HOUSE) The most emblematic building in Melnikov’s oeuvre may well be his own house, built between 1927 and 1929, which consists of two towers or alveolar lattices in brick. Sixty of the more than two hundred openings are glazed with windows of three types, while the others are stopped with a mix of clay and rubble. The wooden floors have neither pillars nor girders. They are constituted by a rectangular grid of flat plates that form a kind of orthotropic slab. The biggest room, a studio of 50 square metres, on the third floor, is lit by 38 hexagonal windows. In 1925, Melnikov designed and built the Soviet Pavilion for the International Exhibition of Decorative Arts where he came to supervise the end of the work. On this occasion he met figures from the western architectural avant-garde including Le Corbusier, who took him in his car to see each of his constructions, as well, quite probably, as the Désert de Retz and its Broken Column.
> THE BROKEN COLUMN The Désert de Retz is an Anglo-Chinese garden that was created at the end of the 18th century by an aristocrat, François de Monville. The Broken Column, the main folly in the Désert de Retz, was built in 1781 and became its owner’s principal residence. In contrast with the ruined look of the exterior, the interior arrangements were extremely refined. In 1941 the site was made a listed monument thanks to the initiative of Jean-Charles Moreux and Colette. In December 1966, André Malraux passed a law empowering the state to oblige the owners of listed buildings to undertake repair work. The first work on saving the Désert de Retz, financed by the state, was carried out from 1973 to 1979.
28
LES TEXTES DES PLANCHES ONT ÉTÉ TRADUITS PAR CHARLES PENWARDEN
29
> THE IDEAL PALACE OF THE POSTMAN CHEVAL
When doing his round in April 1879, the country postman Cheval, then aged 43, came upon a stone so strange that it inspired a dream. A true autodidact, he spent thirty-three years of his life building, all on his own, a dream palace in his kitchen garden, inspired by nature, postcards and the first illustrated magazines that he delivered.
30
31
32
33
> THE CASA MALAPARTE IN CAPRI
This villa was designed by architect Adalberto Libera for the writer Curzo Malaparte on an inaccessible plot of land of 12,000 square metres, the Capo Massulo, a steep cliff rising 32 metres above the Mediterranean, overlooking the Gulf of Salerno, which Malaparte bought when he fell in love with the island. The property can be reached only on foot from Capri, or from the sea via a stairway cut into the rock which comes down to a landing stage. Libera made the first sketches in 1938, without the aid of a topographic survey. However, Malaparte fell out with the architect and completed the building with a local mason. The villa is a parallelepiped in red masonry, 54 metres long and 10 metres wide, set into the rock. The villa is known above all for its external appearance, cut through by a monumental inverted pyramid staircase leading to a solarium roof. A curving white wall stretches across the roof. Jean-Luc Godard shot his film Le Mépris there in 1963.
> LA NAVE PUGLIA
The poet and writer Gabriele D’Annunzio spent huge amounts on dis-assembling and reinstalling the prow of the cruiser Puglia in his property of Gardone, along with other mementoes of war. He also created a mausoleum there in the neo-medieval style, sometimes called the “fascist luna park.”
34
35
> “ ‘T BOOTJE” THE 5 CONTINENTS
The white prow that seems to be coming out of the corner of the building, between the first and second floors bears the initials of P. Roels, a shipowner from Antwerp. Indeed, the people of Antwerp nicknamed this building ‘t Bootje, (“little boat”). A circular loggia resting on this prow is divided into five parts, comprising stained glass windows carrying the names of the five continents.
36
37
> HOTEL NORMANDIE
Following an argument with the owner of "La Péniche", a boarding house, in 1936 the hotelier Jean Van Den Bergh built not far from, in the dunes of Oostduinkerke on the Belgian coast, a similar modernist building that he called “Normandie” in reference to the liner of the same name that, in 1935, had crossed the Atlantic between Le Havre and New York in record time.
> INVITATION TO A VOYAGE
This boat was built in 2010 by a doctor, at his home, on the edge of a pond in Brabant, Wallonia, as a play and adventure area for his children. Ten years later, the children had grown up and the slender craft was gradually transformed into a beached wreck.
> ZETWAL
Robert Saint-Rose, nicknamed Zétwal, is the man who wanted to be the first person from Martinique in space. In 1974, not far from Volga Plage, Zétwal decided to organise the most brilliant event in history : walking on the moon thanks to a rocket propelled by poetic energy. He wanted to build a rocket so that the first Frenchman in space would be a West Indian, and thus to restore the pride of a people disoriented by economic and identity problems. “Stand erect, rise up to the sky.” He took Aimé Césaire literally and took his words as fuel. If the destiny of Robert Saint-Rose haunts the imagination, if his first attempt at flight failed, there was no avoiding the fact that a few days later the rocket and its passenger had disappeared. It had therefore taken off. Zétwal is up there somewhere, declaiming Césaire above our heads.
38
39
40
41
42
43
44
45
46
47
48
49
> THE BLACK MARIA
Black Maria was the name given by Thomas Edison’s employees to the first film studio in the history of cinema, located in West Orange, New Jersey, in 1893. This name was inspired by the construction’s resemblance to the vehicles used by the police in Ireland. Mounted on a circular rail, it could be oriented so as to maximise the natural light that reached the set. The roof opened by means of a system of pulleys. The camera was on the inside, at the other end of the building.
> THE GEODESIC DOME
Richard Buckminster Fuller taught at Black Mountain College in North Carolina in the summers of 1948 and 1949. As director of the summer institute in 1949, he returned to the geodesic dome with the help of a group of teachers and students. This was the project that would make him famous. Although this structure was originally created thirty years earlier by Walther Bauersfeld for the Zeis Planetarium at Jena, in Germany, Fuller managed to obtain the American patents.
> THE ATOMIUM
Built for Expo 58 in Brussels, this steel structure represents an iron crystal enlarged 165 million times. It is 102 metres high and consists of nine balls connected by tubes. The steel was originally covered with triangular aluminium plates, but these were replaced by stainless steel when the monument was renovated in 2004–6. Its name, “Atomium,” is a portmanteau word that merges “atom” and “aluminium.”
50
> ATELIERS JEAN PROUVÉ
In 1947 Jean Prouvé created the Fabrique Maxéville in Nancy, which produced prefabricated houses and schools as well as furniture in sheet metal. This factory was active until 1953. In Le Havre he conceived the “Paralume” to be placed over the museum roof in order to diffuse light.
51
52
53
> THE MERZBAU
Kurt Schwitters created the word Merz by cutting out the central syllable of the word COMMERZBANK for a collage. Between 1923 and 1937 the Merzbau (Merz construction) gradually took over the floors of the artist’s studio and apartment in Hannover. This “total” artwork was constituted by an accumulation of found objects, of personal mementoes, of walls and of plaster casing with sharp sides. It was at once an installation, a dwelling and a spatial transposition of the artist’s personality. “Everything was in ruins, anyway, and now it was a question of rebuilding something new from the fragments. That is what Merz was.” This constantly evolving work was not much documented, but the scale of the project continues to fascinate. The Merzbau was totally destroyed in 1943 during an Allied bombing raid. At the initiative of Harald Szeemann, a stage designer, Peter Bisseger, set about making an actual size reconstruction of the Merzbau for the Sprengel Museum in Hannover, working from the few existing photographs and the memories of the artist’s son. In 2011 the German institution lent the ensemble to the Berkeley Art Museum (California).
> VILLA WITTGENSTEIN
In 1926, at the request of his sister, Margarethe Stonborough, the philosopher Ludwig Wittgenstein completely rethought the mansion that she had commissioned from architect Paul Engelman (a disciple of Adolf Loos) in Vienna. He spent over a year redrawing the plans, adapting the proportions of the rooms, doors and frames, and even producing his own designs for door handles, electricity switches and radiators. He took this rigour to the point of aligning the divisions of the floor slabs with the axes of the window frames and working out the precise positions of the light bulbs on the ceiling. The walls were covered with white plaster, the floor was charcoal-black artificial stone and the metal door frames were in neutral grey or satin grey-green metal. There were no baseboards or architraves; corners and angles were bare and without mouldings.
54
55
56
57
58
59
60
61
> THE GLASS HOUSE
In 1927 a doctor by the name of Dalsace bought an 18th-century building at the back of a courtyard in the 7th arrondissement of Paris with a view to having it razed and replaced by a modern house. However, the tenant on the third floor of the building refused to vacate it. The solution chosen was, with the help of the architects, to introduce a metal structure under that floor which made it possible to demolish the lower part of the building and to build in its place the future “Maison de Verre” (Glass House). The main façade over the courtyard and part of the garden façade was made of translucent glass bricks that allowed an extraordinary amount of light to enter the interior spaces while protecting the privacy of the occupants. At night, big spotlights lit up the facades from outside, spreading a warm light around the rooms inside. The interiors were wholly designed by the decorator Pierre Chareau, including original furniture suited to the professional activity and avant-garde tastes of the occupants.
> CITÉ RADIEUSE
The unité d’habitation in Briey ( Meurthe-etMoselle) was built by Le Corbusier in 1959–60, based on the model established for the Cité Radieuse in Marseille, also known familiarly as “La Maison du fada” (The Madman’s House). Abandoned and in danger of demolition in the 1980s, it was later rehabilitated and is now occupied by private owners.
> AUGUSTE PERRET
The son of a Communard and stonecutter, Auguste Perret created with his two brothers, Gustave and Claude, an innovative production structure comprising an architectural agency and a building company. Auguste Perret was the first architecture to dare to design buildings in concrete, a material then used only by engineers. He did so because he believed that fine architecture, as in the age of cathedrals, should display its structures rather than hide them, and that it was important to use the materials of the day, not least for economic reasons, and, finally, because concrete was the only material that could make his architectural dreams a reality.
62
63
PHILIPPE DE GOBERT/ LA LUMIÈRE COMPOSÉE OU LE REGARD PHOTOGRAPHIQUE DU PEINTRE JOSEPH ABRAM
“
Si la rhétorique proscrit la tautologie qu’elle définit comme la répétition inutile d’une même idée en des termes différents, la musique en a fait, depuis des siècles, un usage abondamment justifié. Qu’est-ce donc, dans sa croissance organique, qu’un développement musical, sinon une Tautologie commandée par les lois mystérieuses, obscures parfois, de la Nature et de la Vie ?
64
“
Luc Ferrari (1961) 1
TAUTOLOGOS I Au début des années 1960, présentant l’une de ses œuvres, le compositeur Luc Ferrari (1929-2005) définissait son travail de création musicale en référence à la « tautologie », en insistant sur le caractère éminemment productif de cette figure discursive dans le champ artistique. Il expliquait à cette occasion la spécificité d’une démarche visant à rendre sensible, « au travers de variations apportées à une collection restreinte de matériaux fortement diversifiés », un processus heuristique issu de « la répétition inlassable d’une même structure ». Pris isolément, les sons employés présentent des analogies de matière, mais, au bout d’un certain nombre de superpositions, celles-ci s’effacent au profit « d’une perception de densité sonore » qui, dans le temps, s’organise « en une forme2 ». Ancien élève d’Olivier Messiaen et membre, aux côtés de Pierre Schaeffer et de Pierre Henry, du Groupe de recherche de musique concrète (GRMC), le jeune musicien, admirateur de John Cage, cherchait à expliciter ce qu’il considérait comme un simple « principe de construction », ensemble de moyens de production, et « support d’intentions dramatiques », seules capables, selon lui, de conférer à l’œuvre « un sens3 ». Ce processus de création décrit par le compositeur, sa complexité, l’intellectualité du bricolage qu’il suppose, tout comme la densité formelle sur laquelle il débouche ne sont pas sans rapport avec le travail « pictural/photographique » de Philippe De Gobert. L’entité « lumière/espace » que met en forme l’artiste, qu’il transforme, ou plutôt qu’il lamine, au travers de dispositifs paradoxalement flexibles et rigoureux, absorbe, dans la perfection lisse des images produites, le bric-à-brac des matériaux convoqués, souvenirs iconiques de toutes sortes, documents-monuments empruntés à l’art, à la nature et à la vie. À l’instar de l’avant-garde musicale des années 1950-1960, qui incorporait des sons hétéroclites dans le logos d’une tradition savante, Philippe De Gobert fusionne les composants référentiels, les moyens techniques et leurs scories en un réel bidimensionnel qui happe, dans les rouages implacables de la photographie, l’espace fluide et le regard qui l’appréhende. Si l’artiste expose, comme partie intégrante de son œuvre, les maquettes minutieuses qui contribuent, en tant qu’outil, au laminage de la « lumière/espace », c’est probablement par pur souci de transparence, de dévoilement des procédés… Il y a dans son travail une persistance moderne, un archaïsme perceptif, où se joue, dans un contexte global de postmodernité, le destin poétique, toujours inachevé, de la vision perspective.
1 Luc Ferrari, Tautologos I, 1961, 4 min 17, musique électroacoustique réalisée dans les studios d’Hermann Scherchen à Gravesano (Suisse), texte de présentation figurant sur la pochette du disque BAM Musique expérimentale 2. 2 Luc Ferrari, Tautologos II, 1961, 14 min 54, musique concrète, texte de présentation de l’œuvre, www.lucferrari.com. 3 Ibid.
PLANÉITÉ VOLUMIQUE Dans la série des Ateliers (1993-1998), que l’on peut considérer comme fondatrice de sa problématique photographique, Philippe De Gobert laisse transparaître la singularité d’une approche profondément ancrée dans la grande tradition picturale, en particulier celle des maîtres du Nord qui, abordant avec élégance la question de l’intériorité (Van Eyck, Vermeer, De Hooch, Neefs, Saenredam…), ont fait de la fluidité de l’espace et de la lumière qui le traverse le thème privilégié de leurs recherches. Si l’univers de l’atelier, l’usage de la maquette et le recours à la photographie étaient déjà présents dans son travail dès la fin des années 1970, force est de constater que c’est l’agencement de tous ces éléments en un dispositif productif inédit qui constitue, au cours des années 1990, le moment décisif de son parcours. Alors que, dans la série des Artists’Rooms (1978-1992), la maquette, nourrie d’une riche documentation iconographique, s’identifiait, en tant qu’objet, à l’œuvre réalisée, elle s’affirme désormais, avec les Ateliers, comme un outil de conception savant, voué au façonnage de cette matière spatiale et lumineuse, typiquement picturale, qui fascine l’artiste. 65
La maquette lui permet d’isoler cette entité diaphane, puis de la fixer, d’un coup, au moyen de la photographie. Elle participe à l’œuvre, dont elle reste l’élément clé, mais le résultat final lui échappe. Dans cette opération, quasi magique, d’extraction-abstraction, la maquette n’est plus tout à fait la maquette, et la photographie elle-même change de statut. Liées l’une à l’autre en un dispositif productif créé de toutes pièces, elles élargissent conjointement, dans cette configuration machinique, le champ d’investigation de l’art. Dans ce laboratoire de haute précision, Philippe De Gobert expérimente une lumière composite, qu’il diffuse sur les parois internes d’un volume malléable. Mais il lui faut, pour reconstituer in vitro cette matière évanescente qui gît au sein de la peinture, devenir lui-même peintre, ou plus exactement apprendre à peindre en photographie, quitte à inverser en cours de processus la logique inhérente à cette discipline rêvée par ses inventeurs comme un moyen offert à la lumière pour se transformer par ses propres ressources en tableaux… RESTITUTION SIGNIFIANTE Toute photographie est, par définition, une perspective instantanée, qui prélève sa matière visuelle dans le réel, tout en laissant la lumière gérer mathématiquement sa cohésion géométrique. Ralentir ce mécanisme éclair pour s’inscrire dans son cercle, telle est la stratégie adoptée par Philippe De Gobert pour investir, en amont, la texture de l’image. La lumière qu’il compose à l’intérieur de ses maquettes unifie l’espace vide, en le solidifiant, créant ainsi une entité volumique en suspension, dont la photographie saisit l’empreinte planaire en noir et blanc. Comme les décors de cinéma, ces constructions pragmatiques contribuent pleinement à l’action/narration, mais les acteurs sont ici la lumière et l’espace et quelques objets parsemés sur le sol ou adossés aux parois, à la périphérie du vide… Installations légères et démontables déterminant la production de l’image, elles s’intègrent dans l’œuvre-processus en tant que traces, ou comme fragments. Les photographies qui en résultent font penser, par leur expression douce et frontale, aux peintures d’Hammershøi4, et aussi, secrètement, à celles de Bonnard, ou de Renoir, dans leurs rapports infra-sensibles à Delacroix. Partant du vide entre les choses, le peintre-photographe transforme l’espace isotrope en lieux signifiants. Comme le suggèrent les Architectures emblématiques (Villa Wittgenstein à Vienne, Atelier Melnikov à Moscou, Maison de verre à Paris…) dont il restitue artisanalement l’aura, la machine conceptuelle qu’il met en mouvement, et qu’il perfectionne inlassablement, fonctionne avec justesse, élargissant sans cesse ses moyens techniques pour englober dans son exploration les significations les plus complexes5. Il en est ainsi de la série des Ateliers new-yorkais (2016-2018), qui procède par collage de matériaux graphiques disjoints pour générer, à hauteur de gratte-ciel, une étendue paysagère digne d’Edward Hopper. Dans la série ayant pour thème Le Havre (2019-2020), l’artiste densifie la plastique de l’image pour absorber dans sa substance des contenus sémantiques liés à l’histoire tragique de la ville et à sa renaissance au milieu des décombres6. La catastrophe et l’urbanité sont traitées, en toute équivalence, comme des matériaux. À l’intérieur des immeubles, les planchers des appartements sont jonchés de piles de livres, de galets (certains dilatés en rochers), de cadres apposés aux cloisons7. Par les fenêtres hautes et larges, on distingue sous un ciel chargé de nuages, entre les blocs d’habitation, la lumière argentée de l’océan… Ces photographies « composées » transposent dans l’universalité de la peinture la mémoire latente, non formulée, de la cité portuaire8. Comme Man Ray ou Moholy-Nagy, Philippe De Gobert émancipe plastiquement la lumière photographique, mais, au terme d’un processus d’une rigueur absolue, il ramène cette matière libérée dans le giron de l’ordre perspectif, produisant ainsi, en lieu et place d’une image physiquement prélevée, un double entièrement fabriqué, à la fois plausible et parfait. Tous les points de contact entre ce double et la situation spatiale qu’il prend pour modèle coïncident. Mais, par-delà sa perfection technique, et le surréalisme discret qui le sous-tend, l’art de Philippe De Gobert, conceptuel et concret, n’est pas un art de l’illusion. C’est un art de la congruence, qui produit, dans son éblouissante tautologie, des images signifiantes9. Luc Ferrari observait en 1961, à propos de Tautologos I : « Le temps des prospections est dépassé. Voici que d’un solfège une syntaxe est issue et, de la syntaxe, une parole chargée de sens. Mais [précisait le compositeur] la parole des profondeurs, née de la rencontre de l’objet sonore et de la conscience qui l’appréhende, est une interrogation plutôt qu’un enchaînement de certitudes, tout le contraire d’une rhétorique10. » Dans le travail de Philippe De Gobert, la signification se construit dans la texture même de l’image, dans la fusion des matériaux hétérogènes et des processus radicaux qui font l’œuvre. La parole qui en émerge souligne à sa manière – à travers la vision ordinaire dont elle interprète les mécanismes, comme sur une scène de théâtre – l’étrange objectivité du monde. 66
4 Voir Vilhelm Hammershøi, La Danse de la poussière dans les rayons de soleil (1900), Intérieur, Strandgade 30 (1900), Intérieur, rayon de soleil sur le sol (1906), La Très Haute Fenêtre (1913)… 5 Voir, par exemple, l’interprétation que donne Philippe De Gobert de la maison-atelier construite par Toshiaki Ishida au pied du mont Fuji à Cipango (Japon). 6 Pour cette série, Philippe De Gobert choisit la phase presque féerique où la cité portuaire, en cours de reconstruction, résorbe dans son urbanité nouvelle les décombres de la ville ancienne. La couleur intensifie le contenu dramatique des images et le caractère surréel de leur historicité recomposée. 7 La rencontre avec l’architecture d’Auguste Perret aurait pu se produire, pour Philippe De Gobert, vingt-cinq ans auparavant, car il aurait très bien pu ajouter à sa série fondatrice sur les Ateliers celui de Mela Muter, où demeurait Jean Dubuffet, et d’où le peintre havrais écrivit à Perret, en 1946, une lettre prémonitoire, point de contact symbolique entre deux univers artistiques. 8 Ces images représenteront peut-être un jour, mieux que tout document d’archives, la mémoire universelle du Havre. 9 Le déploiement de l’œuvreprocessus se fait aussi sur un mode tautologique, comme l’atteste la production typiquement duchampienne des Boîtes à outils (2008) et des Archives improbables (2012), qui complètent les maquettes expérimentales et les tirages photographiques. 10 L. Ferrari, Tautologos I, op. cit.
PHILIPPE DE GOBERT / LIGHT COMPOSED OR THE PAINTER’S PHOTOGRAPHIC GAZE JOSEPH ABRAM TRADUCTION CHARLES PENWARDEN
“
If rhetoric proscribes the tautology, which it defines as “the useless repetition of the same idea in different terms”, the music made of it since centuries an abundantly justified use. What is thus, in its organic growth that of a musical development, if not a Tautology ordered by the mysterious, obscure laws sometimes, of Nature and the Life?
“
Luc Ferrari (1961)1
67
TAUTOLOGOS I When, at the turn of the 1960s, he was presenting one of his musical pieces, composer Luc Ferrari defined his creative work with reference to tautology, emphasising the eminently productive character of this discursive figure in the artistic field. He explained the specificity of an approach that, “through the variations made to a limited collection of highly diversified materials,” set out to make palpable a heuristic process emerging from “the tireless repetition of the same structure.” Taken on their own, the sounds he used displayed material analogies but, after a certain number of superimpositions, this yielded to “a perception of aural density” that, over time, was organised “into a form.”2 A former student of Olivier Messiaen and member, alongside Pierre Schaeffer and Pierre Henry, of the Groupe de Recherche de Musique Concrète, the young musician, an admirer of John Cage, sought to bring out what he considered as a simple “principle of construction,” a set of means of production and “support for dramatic intentions” that, as he argued, were the only way of bestowing “a meaning”3 on a work. This creative process described by the composer, and the complexity and intellectuality of the bricolage that it implies, as well as the formal density in which it results, are not unrelated to the “pictural/photographic” work of Philippe De Gobert. The “light/space” entity to which the artist gives form and that he transforms, or rather, compacts, by means of devices that are at once flexible and rigorous, absorbs into the smooth perfection of the images produced the bric-a-brac of the materials brought into play, those visual memories of all kinds, “documents-monuments” taken from art, nature and life. Like the musical avant-garde of the 1950s and 60s, which incorporated heterogeneous sounds into the logos of an erudite tradition, De Gobert merges the referential components and the technical resources into a two-dimensional real that captures in the implacable mecanic of photography both fluid space and the gaze that apprehends it. If the artist exhibits as an integral part of his work the meticulously made models that serve as a tool to laminate together “light and space“, this is no doubt simply out of a concern to be transparent, to reveal his procedures. There is in his work a modern persistence, a perceptual archaicism in which, in the global context of postmodernity, the always unfinished poetic destiny of perspectivist vision is played out.
VOLUMIC PLANARITY In the Ateliers series (1993 – 98), which can be seen as founding his photographic problematic, Philippe De Gobert affords a glimpse of the singularity of an approach that is deeply rooted in the great pictorial tradition, notably that of the Northern masters who, by elegantly exploring the question of interiors (Van Eyck, Vermeer, De Hooch, Neefs, Saenredam, etc.), made the fluidity of space and of the light that passes through it the privileged theme of their researches. While the world of the studio and the use of models and of photography were all present in his practice by the late 1970s, it is clear that it the decisive moment in his work came in the 1990s when De Gobert combined all these elements in a new productive system. 68
1 Luc Ferrari, Tautologos I, 1961, 4’ 17”. Electroacoustic music made in the studios of Hermann Scherchen at Gravesano (Switzerland). Presentation text printed on the cover of the record BAM Musique expérimentale 2. 2 Luc Ferrari, Tautologos II (1961) – 14’54, concrete music, text presenting the work on the site lucferrari.com. 3 Luc Ferrari, Tautologos II, op. cit.
Whereas in the Artist’s Rooms series (1978 – 92) the maquette, based on rich documentation, could, as an object, be identified with the finished work, in the case of the Ateliers it took its place as a tool for conception, used to shape that spatial and luminous material, typically pictorial, that fascinates the artist. It was the model that allowed him to isolate that diaphanous entity which he then captured, at one go, using photography. While part of the work, and indeed its key element, it is separate from the final result. In this almost magical operation of extraction/abstraction, the model is no longer quite the model and the status of photography itself also changes. Linked together in a productive apparatus assembled from scratch by the artist, they jointly expand, by their machinic configuration, the field of investigation of art. In this high-precision laboratory, De Gobert experiments with composite light, which is diffused over the interior surfaces of a malleable volume. But in order for him to reconstitute in vitro this evanescent material that resides within painting, he must himself become a painter or, more exactly, learn to paint with photography, even if that means reversing in midprocess the logic inherent in this discipline which, at its origin, was imagined as a natural way for light to transform itself into painting by deploying its own resources.
4 See Vilhelm Hammershøi, Dust Motes Dancing in the Sunbeams (1900)/Interior Strandgade 30 (1900)/Interior, Sunlight on the Floor (1906)/ Tall Windows(1913)… 5 See, for example, de Gobert’s interpretation of the house/ studio built by Toshiaki Ishida at the foot of Mount Fuji at Cipango (Japan). 6F or this series, de Gobert chose the almost magical phase when the port city, which at the time was under reconstruction, was absorbing into its new urban fabric the ruins of the old city. The colour intensifies the dramatic contents of the images and the surreal character of their recomposed historicity. 7 Gobert could have encountered Perret’s architecture twentyfive years earlier, for he could very easily have added to his founding series on Ateliers (studios) that of Mela Muter, where Jean Dubuffet lived and worked, and from which the Le Havre painter wrote to Perret in 1946 a premonitory letter, a symbolic point of contact between two artistic universes. 8 These images may one day represent the universal memory of Le Havre, better than any archive documents. 9 The deployment of the workprocess also occurs in a tautological mode, as attested by the typically Duchampian production of the Boîtes à outils (2008) and Archives improbables (2012) which complete the experimental models and the photographic prints. 10 L uc Ferrari, Tautologos I (1961), op. cit..
SIGNIFYING RECOMPOSITION Every photograph is, by definition, an instantaneous perspective that takes its visual material from the real, while letting light mathematically manage its geometrical cohesion. Slowing down this lightning mechanism in order to inscribe himself within its circle – that is the strategy adopted by Philippe De Gobert in order to enter into the image’s texture. The light that he composes inside his models unifies the empty space, solidifying it, thereby creating a suspended volumetric entity whose planar imprint photography captures in largeformat black and white. Like cinema sets, these pragmatic constructions partake fully in the action/narration, but the actors here light, space and a few objects scattered over the floor, on the periphery of the void. These demountable installations (integrated into the workprocess as traces, or as fragments) determine the production of the image. The photographs that result bring to mind, by their gentle, frontal expression, the paintings of Hammershøi,4 and also, more discreetly, those of Bonnard and Renoir in his relation to Delacroix. Starting with the void between things, the painter-photographer transforms isotropic space into signifying places. As suggested by the architectures emblématiques (Villa Wittgenstein, Vienna/ Melnikov Studio, Moscow/Maison de Verre, Paris, etc.) whose aura he recreates in artisanal fashion, the conceptual machine that he sets in motion functions with precision, constantly extending its technical resources in order to encompass within its explorations the most complex meanings.5 This is the case with the series of New York Studios (2016 – 18), which proceeds by collaging disjointed graphic materials in order to generate, at skyscraper height, a stretch of landscape worthy of Edward Hopper. In the series whose theme is Le Havre (2019 – 20), the artist densifies the plasticity of the image so as to absorb into its pictorial substance semantic contents linked to the city’s tragic history and rise from the ruins.6 The catastrophe and the urban development are treated as equivalents, like materials. Inside the buildings, the floors of the apartments are strewn with piles of books, frames leaning against the walls, pebbles (some of them swollen to the point of looking like rocks).7 Through tall, wide windows, between the housing blocks, we make out the silvery light of the sea under a sky packed with clouds. These “composed” photographs transpose into the universality of painting the latent, unformulated memory of the port city.8 Like Man Ray or Moholy-Nagy, De Gobert plastically emancipates photographic light, but at the end of a process that is absolutely rigorous, he brings this freed material back within the order of perspective, thereby producing, instead of a physically taken from real image, a double created from scratch, at once plausible and perfect. All the points of contact between this double and the spatial situation that it takes as its model coincide. However, beyond its technical perfection, and the discreet surrealism underlying it, De Gobert’s conceptual and concrete art is not an art of illusion; it is an art of congruence which, in its dazzling tautology, produces signifying images.9 In 1961 Luc Ferrari observed of Tautologos I that : “The time of the survey is exceeded. Here syntax is resulting of a musical theory; and of syntax, a word full of sense. But the word depths, born from the encounter of the sound object and the conscience which apprehends it, is an interrogation rather than a chain of certainty; all opposite of a rhetoric”10 in De Gobert’s art, meaning is constructed in the very texture of the image, in the fusion of heterogenous materials and radical processes that make the work. The word that emerges from this underscores in its way (through the ordinary vision of which it interprets the mechanisms, as if on the stage of a theatre) the strange objectivity of the world. 69
70
“
Par cet ensemble de photographies je me suis plongé dans un passé que je n’ai pas connu de la ville et de sa reconstruction . Il faut l’appréhender comme une fiction imaginée par un artiste avec toutes les libertés et la distance qu’un poète est en droit de prendre avec l’histoire et la réalité .
Through this set of photographs I immersed myself in the unknown past of the city and its reconstruction.
“
This work has to be understood as a fiction imagined by an artist with all the freedom and detachment a poet has the right to bring to history and reality.
PHILIPPE DE GOBERT
TRADUCTION JOHN TITTENSOR
71
72
73
74
75
76
77
78
79
80
81
82
83
84
85
86
87
88
89
90
91
92
93
94
95
96
97
98
99
100
101
102
103
104
105
PHILIPPE DE GOBERT OU LA TEXTURE IMAGINAIRE DU RÉEL DAMIEN SAUSSET
“
Qu’est-ce donc que représenter sinon porter en présence un objet absent, le porter en présence comme absent, maîtriser sa perte, sa mort par et dans sa représentation et, du même coup, dominer le déplaisir ou l’angoisse de son absence dans le plaisir d’une présence qui en tient lieu.
106
“
Louis Marin1
Voici vingt-cinq épisodes d’une période clé dans le développement du Havre : celle de sa disparition sous les bombes puis de sa reconstruction dans les années 1950 selon les plans d’Auguste Perret. Tout débute avec son martyre. Séquences avec des amas de briques, des murs branlants, des façades d’immeubles crevées, des cratères de bombes et les premiers déblaiements. Ici et là, des tas de pierres et de gravats, des empilements de poutres et de briques. Le long de chemins à peine esquissés, de rares lampadaires jettent une lueur crépusculaire sur ces ruines. Les horizons, toujours gris et chargés de nuages, laissent éventuellement émerger les lueurs vibrantes du couchant. Vient la reconstruction, tout aussi terrible dans son dénuement, tout autant baignée d’une clarté blafarde. Au sol, échafaudages, empilements de matériaux déjà destinés aux futures constructions. S’y adossent des cabanes d’ouvriers et de manœuvres. Des barrières de bois aussi, dérisoires, délimitant de possibles boulevards, rues et axes de circulation. Tels des spectres figés, des grues veillent surplombant les structures d’immeubles, symboles d’un futur meilleur, forcément enchanteur. L’homme, véritable fantôme, traverse ces paysages lunaires dans quelque voiture solitaire. Au fil de la séquence, le bâti prend forme, déploie ses toits-terrasses et ses poutres en béton, ses entablements et ses corniches, ses balcons et ses galeries. La nuit, certains appartements s’éclairent. Dans le lointain, un paquebot – le Normandie ou le France – fend une mer irisée avec pour ultime destination New York. Débute alors un second ensemble d’images plus lumineuses : des vues d’intérieurs d’appartements à peine achevés et occupés provisoirement par quelques services techniques de Perret. Dans d’autres, ni meubles ni locataires visibles, mais des empilements de livres, des séries de cadres alignés contre le mur ou de surprenants ensembles de galets et rochers. Parfois, les murs s’ornent de chromos : des transatlantiques, ces mêmes qui font la légende de la ville. D’autres intérieurs se parent de simples reproductions de cette cité modèle dessinée par Perret. La ville, justement, on la perçoit par fragments, presque subrepticement, au travers des baies vitrées. Vues sur le port et son industrie lourde, aperçus sur les tours de Perret enfin achevées. Et, en fond visuel, la mer infiniment ouverte, véritable miroir des cieux pareils à du béton. Enfin, une dernière image, sans doute la plus intrigante : un intérieur, également vide hormis quelques gravats. Sur la mer insondable du parquet, un modèle réduit de transatlantique sombre lentement dans l’épaisseur du bâtiment. Nous voilà donc face à un ensemble d’images d’une redoutable efficacité, égrenant en quelques tableaux la légende d’une ville symbole de l’immédiat après-guerre. Mais avant même d’être des photographies, ces œuvres s’affirment comme des maquettes2. Malgré leur extrême sophistication, l’abondance de détails, une première évidence s’impose : nous ne sommes pas face à des reconstitutions exactes des bâtiments phares de Perret et de l’urbanisme mis en œuvre. Des pans entiers de la ville manquent. Le tissu urbain apparaît simplifié. Quant aux couleurs et aux lumières qui baignent ces créations, leur caractère artificiel éclate au regard. Cette ville est grandement imaginaire. Ces photographies ne captent pas un modèle réduit visant une parfaite exactitude, mais bien une maquette avec ses erreurs et ses degrés d’interprétation. Ce qui compte, c’est l’ensemble, non les parties, leur évidence d’images et non de simples copies réduites. 1 Louis Marin, Représentation et simulacre, Paris, Le Seuil, 1994, p. 305. 2 Chaque œuvre est réalisée dans l’atelier de l’artiste généralement à l'échelle 1/100e et placée dans le dispositif sur le plateau de prises de vue, sous forme de paysage, devant un ciel imprimé comme fond. Le résultat final, une photographie, est une impression numérique jet d’encre montée sur Dibond (aluminium), puis montée sur une caisse américaine gris foncé. 3 Jean-Luc Godard, Allemagne neuf zéro, 1991, France, 62 min. 4 Libération, « Du visuel à l’image, regarder la guerre du Golfe », 4 février 1991, dans Serge Daney, La Maison cinéma et le monde, t. III, Les Années Libé, 1986-1991, Paris, P.O.L, 2012, p. 784-786.
L’IMAGE, LE VISUEL Il faut attendre la vingt-septième minute d’Allemagne neuf zéro3 de Jean-Luc Godard, et la fin d’un long travelling entrecoupé de vues sur les camps de concentration, pour entendre un vieil espion usé – Lemmy Caution – s’écrier : « Est-ce que le narrateur n’est pas dans une situation impossible, difficile et solitaire davantage aujourd’hui qu’autrefois ? Je le crois. Mais il lui faut pourtant être là, absent et présent, oscillant entre deux vérités aléatoires : celle du document et celle de la fiction. » Cette déclaration intervient dans une clôture de l’histoire avec l’échec des anciennes utopies politiques. Elle évoque également, dans cette période qui a suivi la chute du mur de Berlin, une forme de désenchantement envers le pouvoir de l’image. Cette même année 1991, face au traitement partial dans les médias de la première guerre du Golfe, le critique de cinéma Serge Daney publie dans Libération4 une chronique 107
virulente où il trace une démarcation stricte entre image et visuel. Transcription vide d’un nouvel ordre audiovisuel présent dans les médias, le visuel n’enregistre plus la réalité. Il ne renvoie qu’à lui-même en tant qu’artifice immédiatement reconnaissable et assimilable par tous. Sa nature ? S’affirmer comme une « grande signalétique » de la réalité sociale et politique synthétisant les clichés de la communication et les codes de la publicité, des jeux vidéo et d’un certain cinéma. À l’image, qui demeure ouverte et reste un lieu d’expérience, le visuel oppose un monde clos, sans hors-champ. Daney conclut en affirmant combien le visuel réfute l’altérité, alors que l’image en fait sa raison d’être. Constat amer confirmé trente ans plus tard par notre passion pour les réseaux virtuels, notre enthousiasme devant le traitement parcellaire des informations ou la manière dont s’organise la férocité de nos rapports sociaux. Tout le travail de Philippe De Gobert se situe dans cette perspective. Chez lui, l’image est pensée, travaillée, imaginée, comme une réponse à cet océan visuel qui nous entoure. Sa pratique artistique, il la conçoit de façon à lutter contre une culture de l’immédiateté, de l’événement et de l’oubli célébré comme une vertu. Et si ses sujets et ses thèmes, il les puise dans le passé – ateliers d’artistes du XXe siècle, vues d’architectures des années 1930, skyline de New York des années 1950 –, c’est aussi pour mieux interroger les signes de la modernité et se positionner envers un concept jugé un peu rapidement dépassé. Certes, sa pratique, faite de maquettes et de photographies, peut sembler étonnamment éloignée des grands enjeux politiques contemporains. Chez lui, aucune volonté de critique directe et acerbe de notre univers, pas de dénonciation virulente des codes de la communication sociale de masse. Mais ses œuvres, dans leurs formats, leurs modes de production et de présentation, proposent un prodigieux feuilletage de sens convoquant une question essentielle : quelles sont la place et la fonction de l’art dans nos sociétés contemporaines ? Il faut, pour être complet, réaffirmer combien cet homme reste un parfait connaisseur des enjeux de l’art contemporain. Ami de Marcel Broodthaers (1924-1976) et de tant de créateurs belges, il est aussi ce photographe professionnel captant et documentant les principales expositions du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, lieu longtemps à la pointe de l’actualité du champ artistique. Enfin, par sa formation initiale de photographe et son travail alimentaire de commande publicitaire pour diverses marques, il maîtrise parfaitement les codes complexes de la communication. Autant dire que l’ensemble de son art est nourri de rencontres passionnées et irriguées par des exemples aussi hétérogènes que la peinture, la sculpture, l’installation, la photographie « plasticienne » et même la performance. Là se trouve sans doute son analyse de la désillusion et de la disparition du sujet artistique, sur l’effacement de la notion d’auteur et donc sur les conditions de la subjectivité5. Sa dernière série sur Le Havre s’inscrit dans cette logique. LE HAVRE OU L’IMAGE AU PÉRIL DE LA MÉMOIRE Cet ensemble sur Le Havre apparaît même comme l’aboutissement d’une réflexion sur l’image, toutes les formes d’image. Comment percevoir ces œuvres ? Comme des artifices ou en tant que documents sur un épisode glorieux de la modernité ? Doit-on les identifier comme des maquettes ou comme des images photographiques d’un format imposant ? C’est sans doute dans cette indécision calculée que se joue la portée de cette série. Si ces œuvres sont à la croisée de plusieurs types de pratique, si elles convoquent de multiples courants de l’histoire de l’art, si elles questionnent finalement notre perception des choses, elles s’affirment immédiatement comme des divertissements. Et ce divertissement, c’est déjà celui de l’artiste dans son atelier œuvrant à assembler avec une patience extrême et jubilatoire un gigantesque « jeu de construction » où se mêlent son imaginaire, ses envies et évidemment ses réflexions6. Philippe De Gobert ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme en 1975 : « J’ai rêvé d’Alice, de Gulliver, je suis parti en exploration pour le monde des modèles réduits. Dans les magasins de jouets, ma déception fut grande : il n’était question que de guerres, de soldats, de canons, de robots, de cow-boys, d’engins spatiaux, de tous les bolides recouverts d’autocollants aux marques de cigarettes ou d’apéritifs. Un instant je me suis arrêté le long d’un chemin de fer où tournait inlassablement un petit train électrique, entrant et sortant d’un tunnel sous un triste paysage de la Suisse en carton-pâte. Mon rêve était ailleurs7. » Ce divertissement, c’est en retour le nôtre, ou plus exactement la convocation de notre passé le plus intime, celui de l’enfance avec son imaginaire libre, encore détaché des diktats de notre société. Bien plus que ses œuvres antérieures, trop parfaites, trop savantes dans leurs rendus pour évoquer notre propre expérience du jeu et de la construction, la série du Havre convoque avec une force terrible le souvenir de notre ancienne capacité à bâtir 108
5 De même, il faudrait sans aucun doute documenter la manière dont Philippe De Gobert s’empare de la question du style en la réduisant presque à une poétique du motif. 6 On retrouve cette même jubilation dans Le Cours des choses (Der Lauf der Dinge), vidéo de vingt-huit minutes de Peter Fischli et David Weiss de 1987 où s’enchaînent les actions/réactions d’objets du commun les uns avec les autres. 7 Philippe De Gobert, De toutes pièces. Œuvres / Works, 1972-2019, musée des Arts contemporains au Grand-Hornu, MAC’s, 2017, p. 25.
des mondes improbables et fantastiques à partir de presque rien. Qui ne garde la nostalgie de ces Lego, Meccano, châteaux de sable ou, plus simplement, de ces arrangements de quelques objets au sol esquissant les contours de routes, de villes rêvées, de forteresses imprenables, de palais mystérieux voire de maisons utopiques où pouvaient circuler des soldats de plomb, des princesses prisonnières et des chevaliers héroïques, une ménagerie exotique et quelques petites voitures ? Contempler une maquette, c’est se plonger dans ces déchaînements anciens et merveilleux de l’imaginaire. D’où notre fascination. Fascination pour le labeur qui a conduit Philippe De Gobert à ces réalisations, pour ces dizaines d’heures passées à travailler, coller, assembler, monter, pour cette passion du détail qui semble le caractériser. D’où notre admiration aussi devant ces fonds, ces lumières soigneusement réglées, cette volonté de s’approcher du réel. Mais ici, nous ne sommes pas confrontés à un imaginaire en roue libre. Il y a eu des documents, des vieilles photos d’époque, l’exploration d’archives, des relevés et des croquis faits sur place, des déambulations et des errances qui l’ont conduit à arpenter cette ville, à l’expérimenter au même titre qu’il convenait de la rêver. D’ailleurs, Philippe De Gobert avait clairement fixé les limites de toute reconstitution documentaire lors d’un entretien en 1993 : « Ma démarche consiste à rêver, à imaginer un lieu, puis à le construire de toutes pièces, mais mon chantier est l’échelle d’une maquette, l’entreprise qui s’annonçait fastidieuse devient de ce fait ludique. […] Autant que possible, j’utilise des matériaux qui correspondent à ceux que l’on mettrait en œuvre à vraie grandeur. Généralement, les maquettistes se heurtent à des difficultés insurmontables parce qu’ils essayent de refaire en petit ce qui existe en grand. Ils tentent une représentation. J’inverse le processus, je pars des matériaux existants : le bois, le plâtre, la poussière, le papier, en les choisissant pour leur rendu naturel. […] J’évacue la prouesse, je procède à une simple mise en œuvre, qui est le fruit d’une patiente observation des choses. C’est en regardant longuement des cailloux que je trouve le rocher8. » Dès ses débuts, Philippe De Gobert a donc placé la maquette au cœur de ses spéculations sur l’illusion et la façon dont un objet convoque toujours un référent absent. L’utilisation de la photographie comme moyen de fixer et de cadrer une réalisation est apparue dans un second temps, témoignant d’un déplacement vers la question du signe et donc de l’image. D’où ce point commun entre ces œuvres : celui d’une épure, une sorte de vide scénique qui va s’accentuant avec les années, transformant nombre d’entre elles en scène de théâtre vide toujours en attente d’action. L’humain, terriblement absent, les traverse par le biais de quelques objets épars, distribués ici et là dans ces espaces du silence. S’inquiéter du signe, se préoccuper de son pouvoir sur l’image, revient à refuser tout type d’anecdote, à écarter toute dérive narrative, à oublier la figure humaine ou ses instantanés d’existences figées attestant d’une présence au monde qui, dans le cas de la photographie, est toujours de l’ordre du cadavre. Le fameux « ça a été » de Roland Barthes. La série du Havre et son ouverture sur la complexité de faits historiques permettent donc de formuler une hypothèse : l’image serait peut-être la possibilité offerte à la réalité de traverser le réel pour nous atteindre sans la médiation du langage. Philippe De Gobert deviendrait alors un artiste qui ne cesse de miser sur la puissance souterraine des images, sur leurs capacités d’étrangeté et leurs aptitudes à se rendre indifférentes aux discours. L’ART DE LA MAQUETTE
8 Ibid., p. 23. 9 De re aedificatoria, rédigé entre 1442 et 1452, publié en latin en 1485 puis en français en 1553. 10 Il faudrait évidemment étudier comment certaines des constructions spatiales – telle la Tour à la IIIe Internationale de Vladimir Tatline (1920) – réalisées par les constructivistes soviétiques dans les années 1919-1923 sont à la fois des sculptures et des maquettes autonomes, à la fois des propositions spatiales et des études de formes. 11 Œuvre actuellement dans les collections du Museum of Modern Art, à New York. Fresh Widow fut redoublée en 1921 par une variation plus française, La Bagarre d’Austerlitz, elle aussi signée Rrose Sélavy. 12 Reproduite à vingt exemplaires lors de sa première édition en 1941 à Paris.
Comprendre la série du Havre, c’est déjà percevoir ce qu’implique la modélisation d’un lieu une fois appliquée à l’art contemporain. Si, aujourd’hui, la maquette appartient au vocabulaire de l’art contemporain, il n’en fut pas toujours ainsi. Longtemps, elle fut une extension de l’architecture. On crédite Leon Battista Alberti (1404-1472) d’avoir écrit le premier texte mentionnant sa fonction : dans le second chapitre de son Art d’édifier9, il affirme, anticipant certaines des préoccupations de Philippe De Gobert, qu’une bonne maquette ne doit être pas être « fignolée, poncée et décorée avec un art consommé, mais simple et nue, afin de juger le talent de l’inventeur et non l’adresse de l’exécutant ». Avec le xxe siècle, la maquette quitte enfin les rivages de l’architecture pour se transformer en proposition plastique esthétiquement autonome. Une fois encore, Marcel Duchamp fait figure de pionnier10 avec Fresh Widow (1920)11, modèle réduit d’une fenêtre américaine haute de 77 centimètres dont il remplace les vitres par du cuir noir. Vingt ans plus tard, sa fameuse Boîte-en-valise12 (1941) se présente sous la forme d’une mallette renfermant quatre-vingt-treize fac-similés de ses principales œuvres. Ce « musée portable », pour reprendre les mots mêmes de Duchamp, tient tout autant de l’atelier réduit, de la galerie d’exposition, voire d’un article de représentant de commerce avec ses exemples de produits à vendre. Lorsqu’il le réalise dans les années 1940, le principe de maquette s’inscrit dans une logique de déconstruction de la notion 109
d’œuvre d’art originale via le multiple et la série13. On retrouve cette même interrogation chez Philippe De Gobert, où le geste réaffirme, comme chez Duchamp, à la fois la dimension artisanale de toute pratique artistique et son caractère hautement spéculatif. Si, comme le professe Duchamp, la réplique devient le simulacre d’un réel impossible à capturer, alors la maquette telle que la conçoit Philippe De Gobert incarne le recours à un regard susceptible de puiser dans des équivalences formelles la possibilité d’un réenchantement du monde via le jeu avec le réel. Non sans amusement, Philippe De Gobert évoquera ouvertement Duchamp à plusieurs reprises comme figure tutélaire qui subrepticement ne cesse d’irriguer les pratiques contemporaines14. Citons La Maison du célibataire (1988), maquette d’appartement où sont mis en scène ses principaux ready-made, transposant au passage l’archive de la valise en tableau illusionniste de l’atelier fictif de Duchamp. Trois images en surgiront. Deux ans auparavant, telle une boutade tout empreinte d’un humour belge, Philippe De Gobert avait produit Nain descendant un escalier, fantaisie parodiant le célèbre tableau de Duchamp Nu descendant l’escalier15 (1912). Loin du pastiche ou de la reconstitution, l’hypothèse de la Boîte-en-valise de Duchamp se retrouve également dans L.W. 1, 2, 3 (Ludwig Wittgenstein), ensemble réalisé en 1999. Présentées sous la forme de coffrets, ces œuvres rassemblent les éléments soigneusement rangés d’une série de maquettes de la célèbre Maison Wittgenstein, villa construite en 1927 à Vienne par Jacques Groag et Paul Engelmann, deux disciples d’Adolf Loos. Destinée à la sœur du philosophe, Gretl, cette maison de style moderniste est pliée, condensée, réduite, niée en quelque sorte. Seuls apparaissent les matériaux (bois, carton…), ordonnés avec cette rigueur qu’ont les boîtes de jeux anciennes et réussissant ce tour extraordinaire d’enfermer dans un simple écrin un monument du fonctionnalisme architectural. « Plutôt que de rassembler, explique Philippe De Gobert, les pièces détachées chaque fois en une seule maquette formellement figée, j’ai préféré les collecter dans des coffrets où elles sont rangées comme dans un magasin de décors et d’accessoires16. » Une fois au mur tel un tableau, chaque boîte se transforme en motif abstrait qui répond ainsi à l’image du lieu même collée sur l’envers du couvercle. Dès lors, le regard hésite devant ces deux formes de document : de la reconstitution réduite à ses composants soigneusement rangés ou de la reproduction sous forme de vignette, laquelle s’approche le plus de la vérité d’un lieu ? Et toujours ce doute, cette ambiguïté sur ce qui est à voir, ce qui nous éclaire ou nous trompe, nous met en demeure de questionner la nature du réel et des possibles représentations. D’où, dans cette exposition, la présence de ces sortes d’affiches sur fond bleu où sont présentées quelques images d’archives des lieux ensuite reconstitués en maquettes. La série du Havre ne dit pas autre chose et renvoie une dernière fois à Duchamp et à son fameux Étant donnés17 (19461966), installation où le visiteur découvre à travers le trou d’une vieille porte le spectacle d’un corps féminin, cuisses ouvertes, allongé dans un paysage faussement champêtre. Avec malice, Philippe De Gobert revendique la même économie de moyens, mais avec une autre visée. L’ART DE LA MAQUETTE, DES POIRIER À DE GOBERT Cette passion pour la maquette dans tous ses états, Philippe De Gobert n’est pas le seul à la partager. Au début des années 1970, elle devient un support de quelques pratiques artistiques inscrites dans un vaste mouvement de réexamen et de dépassement des procédures pop puis conceptuelles. La maquette – comme d’ailleurs la photographie – apparaît comme un paradigme de la représentation à l’ère de la consommation de masse, mais dans une logique ouvertement critique. Pour les artistes qui s’en emparent, elle offre un double avantage : réaffirmer le travail de l’atelier sans pour autant renier l’influence du réel. En émerge aussi une interrogation envers la théâtralité propre à l’art minimal, particulièrement incarnée dans le caractère héroïque de ses modes d’apparition et de sa célébration des matériaux « pauvres ». D’une certaine manière, une maquette permet de retravailler la question du document une fois ce dernier dégagé de la question de l’archive. Ce qui est en jeu est bien la notion d’information, devenue centrale ces années-là dans le débat artistique. Toute maquette s’impose alors comme un document, mais réinventé, fonctionnant sur la miniaturisation et cherchant à présenter une réalité recomposée, voire imaginée. C’est dans ce sens qu’il convient de percevoir les Dwellings de Charles Simonds, petites architectures de bâtiments archaïques insérées par l’artiste dans les interstices d’immeubles de Manhattan entre 1970 et 1979 et qui dénoncent, sur un mode emphatique, la désagrégation sociale du tissu urbain new-yorkais. 110
13 Ce principe était en germe depuis de nombreuses années chez Marcel Duchamp, notamment dans sa Boîte verte de 1934. 14 La place essentielle de la pensée de Marcel Broodthaers a notamment permis à Philippe De Gobert, dans les années 1970, de percevoir la pertinence du legs de Duchamp au-delà de la question du ready-made. 15 Alors que la toile de Duchamp se voulait une tentative de synthèse entre le cubisme analytique et la décomposition du mouvement propre au futurisme, la photographie de Philippe De Gobert se transformait en parodie d’une peinture tant admirée et caricaturait par la même occasion les multiples hommages qui en avaient été faits par la suite, telle Ema (1966), peinture fameuse de Gerhard Richter. 16 Philippe De Gobert, De toutes pièces…, op. cit., p. 114. 17 É tant donnés : 1° la chute d’eau 2° le gaz d’éclairage…, installation au Philadelphia Museum of Art.
Au même moment, Anne et Patrick Poirier produisent des maquettes de sites antiques (tel Ostia Antica, 1973 ; Domus Aurea, 1976). Ces œuvres excèdent les conventions de l’art pour énoncer un rapport distancié à l’histoire et au monde. Loin d’affirmer la portée nostalgique de ces compositions, ces ruines attestent surtout d’une forme de mélancolie. La ruine fait signe et rend pensable l’origine. Au lieu d’être un simple retour à la poussière, à la mort, elle met en suspens le processus de dégradation du vivant comme pour mieux penser le présent. Philippe De Gobert retiendra la leçon, lui qui a croisé très tôt la pratique de Charles Simonds18 puis d’Anne et Patrick Poirier, notamment lors de leur imposante exposition personnelle en 1978 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Les destructions de la série du Havre s’annoncent au contraire comme des pétrifications de l’histoire, pétrifications frôlant l’hallucination. Elles deviennent des souvenirs par anticipation, redoublant voire se substituant aux documents historiques et aux photographies d’archives de la ville. Les œuvres suivantes, celles de la reconstruction, fonctionnent sur le même principe et exacerbent un réseau d’association dans notre mémoire pour s’inscrire dans notre présent. Mary Carruthers, dans son travail sur la question de la mémoire à la Renaissance, affirme : « N’oublions pas que, lorsque l’on parle de lieu à propos de la mémoire, on fait référence non pas à un endroit ou un espace au sens propre, mais à une localisation à l’intérieur d’un réseau, à la distribution de la mémoire au moyen d’un réseau d’association19. » Il faut ainsi percevoir la présentation, au sein de cette exposition, de quelques images historiques de Lucien Hervé ou de maquettes d’époque des bâtiments de Perret presque comme des « souvenirs inventés », qui ne sauraient souffrir la comparaison avec l’actualité des œuvres de Philippe De Gobert. Se souvenir n’est donc pas étranger à savoir comment oublier. Dernier point, mais non des moindres : la maquette n’est pas une sculpture. Elle n’en possède ni l’autorité ni l’héroïsme. La maquette s’apparente plus à une collection d’images à trouver. On tourne toujours autour, on se baisse, hausse les pieds à la recherche d’un point de vue idéal. Elle est la promesse d’une déambulation de l’œil, d’une flânerie de l’âme dans les recoins de son architecture et dans les plis de l’histoire qu’elle porte. Messagère d’une missive envoyée par un passé plus ou moins lointain, elle oppose une forme d’opacité20 au principe de transparence et d’immédiateté propre au modèle (le modèle est toujours la stricte réduction d’une chose). L’ATELIER En cela, la série du Havre – traversée d’une ville sous la forme d’une séquence de photogrammes d’un film impossible – rompt délibérément avec le motif particulier de l’atelier d’artiste, motif qui avait été au cœur de la pratique de Philippe De Gobert. On doit au romantisme d’avoir durablement inscrit l’atelier d’artiste dans l’imaginaire occidental comme lieu d’expression du génie. Espace étrange, mystérieux, d’autant plus sujet aux fantasmes qu’il demeure depuis les années 1950 un sujet fétiche dans les magazines d’art. Et toujours la même idéologie : celle d’un héros soudain saisi dans le silence de la création par l’œil du photographe ou la plume du critique. Les images de Hans Namuth d’un Pollock luttant contre sa toile en avaient fixé la rhétorique, celles de Doisneau enregistrant un Picasso démiurge ou celles de Cartier-Bresson d’un Giacometti manipulant ses sculptures en donnent une version plus romanesque. Actuellement, la grammaire du reportage d’atelier se décline avec succès, exposant des espaces monumentaux, imaginés par quelques architectes stars, forcément colonisés par les ténors du marché de l’art et leurs hordes d’assistants. La complaisance des reportages sur les espaces de production de Takashi Murakami ou de Jeff Koons atteste de la transformation de l’atelier en plate-forme logistique d’une pratique artistique devenue entreprise. 18 Philippe De Gobert se souvient d’avoir découvert Charles Simonds par le biais d’une petite publication, mais surtout d’avoir été marqué par une réalisation dans le hall d’entrée d’un collectionneur d’Anvers. 19 Mary Carruthers, Machina memorialis. Méditation, rhétorique et fabrication des images au Moyen Âge, Paris, Gallimard, 2002, p. 76. 20 On retrouve cette même opacité dans les maquettes d’artistes aussi divers que Thomas Schütte, Olafur Eliasson ou les frères Chapman, par exemple.
Philippe De Gobert n’a jamais été dupe de ce petit jeu. Pour lui, tout atelier, avant même d’être territoire de labeur, champ de bricolage et continent de la création, reste un espace mental, incarnation de toutes les spéculations, les doutes comme les illuminations. L’atelier devient une métaphore d’une pensée en mouvement sans incarnation précise. La série Artists’Rooms, réalisée dans les années 1980, avait inauguré le mouvement en fonctionnant sur un mode ouvertement facétieux, avec cette interrogation sur les stéréotypes liés à l’atelier d’artiste tout en se présentant comme autant d’hommages à certaines pratiques. Chaque mise en scène déployait avec humour quelques objets évoquant sur le mode parodique tel ou tel artiste – la tulipe de Mondrian, l’or de l’arte povera, les objets peints en blanc de Manzoni, le bric-à-brac de Calder, les machines de Panamarenko. 111
Ce motif de l’atelier, c’est aussi un portrait, portrait en creux, prenant au fil du temps la forme d’un portrait chinois, celui de Philippe De Gobert lui-même, traçant implicitement une constellation d’influences ou de pratiques admirées. Déjà Jardins d’artistes, œuvre plus ancienne (1975), avait esquissé une hiérarchie de ses engouements : Broodthaers, Warhol, Fontana, Segal, Christo… Ce principe, il l’a repris en 2017 lors de son passage au MAC’s, au Grand-Hornu, mais appliqué et élargi à l’exposition entière. La présentation de maquettes originales, plusieurs séries de photographies de maquettes d’ateliers, l’ensemble des Relectures photographiques, bref toute la scénographie évitait l’écueil de la rétrospective, avec son éternel besoin de narration perceptible dans la restitution chronologique des enchaînements d’œuvres. L’exposition déployait De toutes pièces – tel était son titre – son imaginaire avant même d’être la somme de ses réalisations. Le visiteur pouvait y croiser aussi bien Giotto, Van Eyck, Cézanne, Rousseau, Brancusi, Matisse, Mondrian, Magritte, Calder, Yves Klein, Barnett Newman, Ad Reinhardt, Robert Ryman, Donald Judd et bien évidemment Joseph Cornell. Ni leçon d’histoire par d’autres moyens (Philippe De Gobert n’a pas cette prétention21) ni généalogie clairement revendiquée (certaines pratiques sont extrêmement éloignées de ses préoccupations esthétiques), l’ensemble constituait une réflexion sensible sur les conditions mêmes de la création, invitant les visiteurs à contempler autant des typologies d’espaces que le processus de réification en œuvre dans sa pratique. Le basculement vers la photographie, vers une saisie de ses maquettes, avait aussi pour mérite de s’inscrire parfaitement dans le contexte de restructuration du champ de l’art contemporain. En tant que technique d’enregistrement, elle lui permettait d’atteindre un degré de sophistication inédit en fixant un point de vue unique, autoritaire22. Ce qui compte désormais, c’est la fabrication d’une image, « monumentale » dans sa présentation et son traitement, entraînant l’éviction des attributs psychologiques des artistes et l’exclusion de toute forme d’humour. Seul subsiste le presque vide, un espace nu en suspens, animé par le jeu de l’éclairage des grandes verrières. Les rares objets en deviennent presque des pièces à conviction. Percer à jour l’identité des artistes ne constitue pas une finalité. D’ailleurs, les titres n’y faisaient même pas référence. Le déplacement au sein de l’exposition du MAC’s était aussi conceptuel, passant d’une analyse critique des lieux communs liés aux ateliers d’artistes célèbres à une interrogation sur la modernité, ses attributs et donc en dernier ressort l’image. D’où l’affirmation par Philippe De Gobert de sa passion pour les architectures des années 1930. Étaient convoqués Pierre Chareau avec sa Maison de verre (2008), Le Corbusier pour l’atelier d’Ozenfant (2008), la maison de l’Arbat (2002) et la Maison Wittgenstein (1999). Mais cette escapade dans l’architecture la plus avant-gardiste des années 1920 et 1930 ne s’arrêtait pas à quelques noms. C’est toute la structure de l’espace qu’il fallait repenser afin de mettre à l’honneur les baies vitrées et les larges fenêtres de ces lieux. Or, on sait combien la fenêtre, l’idée d’ouvrir l’intérieur largement vers l’extérieur, fut l’un des parangons du mouvement moderne en permettant au regard, mais aussi au corps tout entier, de se projeter dans le paysage et le monde extérieur. Dans son passage du plan figé au plan libre, l’architecture moderniste mobilise un corps en mouvement incarnant cet homme nouveau propre à se propulser dans le futur. Pour Philippe De Gobert, l’architecture moderniste avait surtout l’avantage de réaffirmer une plasticité de la lumière par ses larges ouvertures vers l’extérieur, rejoignant en cela l’affirmation de Gérard Wajcman : « Arracher en somme la fenêtre à l’air et à la lumière pour la donner à l’œil, lui donner l’œil pour complément unique – ce que je nommerai le mariage du cadre et du regard : ce geste serait le geste même de la peinture23. » Rendre les verrières et les fenêtres opaques participe de ce renversement en exposant la structure du langage indiciel présent dans toute photographie. Il faudra attendre 2015 et la série NY pour voir apparaître des extérieurs. L’atelier s’ouvre au réel, déployant la complexité formelle du skyline à Manhattan. Le Havre s’impose comme l’aboutissement de ce processus. LES PHOTOGRAPHIES DE MAQUETTES La photographie de maquette est donc un genre en soi, genre en partie initié par Philippe De Gobert dès les années 1990. Il n’est alors pas le seul. Des artistes comme Bernard Voïta, Oliver Boberg, Edwin Zwakman, Thomas Demand et surtout James Casebere développent au même moment divers protocoles où les architectures miniaturisées sont conçues, pensées, élaborées à seule fin d’être photographiées. La banalité des sujets (architectures contemporaines, paysages industriels, fragments d’intérieur) le dispute à une forme de déshumanisation. Dans presque tous les cas, les réalisations renvoient à un document original, souvent une photo identifiée, trouvée ou récupérée. La maquette en donne alors une seconde vision (une interprétation). Puis, au final, la prise de vue en génère une troisième. 112
21 De même qu’il rejette totalement l’idée qu’il soit un simple ethnographe des us et coutumes des artistes. 22 On trouve la confirmation de ce principe dans la construction même des maquettes du Havre, élaborées en fonction de l’image à venir, avec leurs perspectives tronquées destinées à répondre idéalement à l’angle de vue photographique. 23 Gérard Wajcman, Fenêtre. Chroniques du regard et de l’intime, Paris, Verdier, 2004, p. 48-49.
Mouvement infini témoignant d’une pratique circulaire destinée à mettre en abyme une image manquante et à créer une béance entre réel et fiction. Comme eux, Philippe De Gobert utilise des archives (photographies, descriptions, dessins), comme eux, il rend perceptible la mise en abyme. Mais, contrairement à eux, il ne s’inscrit pas dans une philosophie du doute, ni même dans le champ postmoderne de la critique de l’image. Pour ces artistes, l’expérience photographique, si elle est une prise de vue, reste une prise d’image, c’est-à-dire l’appropriation puis le détournement d’une image déjà existante24, alors que chez Philippe De Gobert elle est construction d’image. Ce jeu ambigu, complexe, fait d’allers-retours entre l’image, le réel et la réalité, le philosophe Jean-Paul Curnier en a fait le sujet même de sa réflexion. Pour lui, l’image est mode de pensée et finalement outil destiné à nous ramener au monde, quand la fausse transparence des mots, des discours ou des visuels nous en éloigne irrémédiablement. « Nous avons appris à vivre dans le réel des images, dans plus de réel grâce aux images, nous avons appris aussi le langage que les images tiennent entre elles, nous savons quelquefois voir en elles des reprises, des citations, des effets d’ajouts, des sortes de conversations. […] Nous avons aussi appris grâce à elles à nous éloigner du réel et à nous rapprocher du réel. Nous avons appris la fiction, l’illusion du vrai et la réalité. Nous nous sommes rapprochés, plus près sans doute que jamais, du sentiment de la réalité du monde extérieur et que nous appelons de plus en plus couramment le “réel” et, en nous approchant, nous avons appris à éprouver plus encore le réel en nous, c’est-à-dire la conviction ressentie comme une évidence de notre propre réalité inscrite dans la réalité25. »
24 Comme l’avaient prouvé dans les années 1950 Robert Rauschenberg avec ses Combine Painting, puis Andy Warhol, Gerhard Richter notamment dans son Atlas ou Sigmar Polke dans ses œuvres des années 1970. 25 Jean-Paul Curnier, Montrer l’invisible. Écrits sur l’image, Paris, Jacqueline Chambon, 2009, p. 133. 26 À cet égard, l’œuvre essentielle de Robert Smithson The Monuments of Passaic (Artforum, 1967) condensait dans une publication à la fois une référence au grand tour du xviiie siècle, un reportage sur la ville de naissance de l’artiste et un propos sur ce qu’est un site. Surtout, ce travail, à travers de faux monuments de marges urbaines en ruine, déployait une incertitude et une ambiguïté quant aux rapports entre le monde (le réel) et ses reproductions, y compris lorsque ces dernières se veulent les plus objectives. 27 Jean-François Chevrier, Une autre objectivité / An Other Objectivity, Paris, Centre national des arts plastiques, 1989, p. 24 28 L a plupart des images de la série du Havre font 104 x 148 cm et s’inscrivent dans la moyenne des formats qu’il réalise depuis le milieu des années 2000. À noter que 104 cm correspond à la largeur possible du papier.
Tous ces photographes constructeurs pourtant ont une histoire commune, celle de placer leur pratique au sein de ce vaste mouvement de reconsidération de la photographie, et plus particulièrement dans ce que l’on nommera la photographie mise en scène. On se souvient combien son apparition dans les années 1980 (Jeff Wall, Andreas Gursky, Suzanne Lafont, Ken Lum, Bill Henson, Gregory Crewdson, Patrick Tosani…) participait d’une réinvention de l’image notamment en actualisant les principes d’objectivité tels qu’ils avaient été expérimentés par les artistes des années 1960 et 1970. Était alors rejeté tout un pan de la photographie porté par une vision essentialiste et lyrique de l’être humain avec cette croyance en une nature universelle. L’instant décisif de Cartier-Bresson devenait le parangon d’une photographie de l’émerveillement qu’il convenait de proscrire. Pour ces jeunes artistes se jouait précisément là une possibilité de lutter contre cette destruction de l’expérience opérée par le visuel. Largement héritière des recherches menées par les artistes conceptuels des années 1960, de Ed Ruscha à Bruce Nauman en passant par Dan Graham, Jan Dibbets ou Robert Smithson, cette nouvelle photographie misait ouvertement sur les critères d’objectivité transformés en critères d’expérience26. Sous-jacent, ces pratiques portaient un idéal : celui qu’une image pouvait être simultanément un document (et donc une information) et une fiction. Jean-François Chevrier a parfaitement résumé cette tendance dans une formule en 1991 : « L’autorité de l’invention (la mise en scène, image fabriquée) remplace l’originalité de la vision27. » Ces photographies n’étaient donc pas le résultat de trouvailles, ou la saisie de données sensationnelles soudain captées par l’œil héroïque de l’opérateur, mais bien des réponses à une crise, celle de l’actualité, qui dès cette époque s’incarnait dans la prise de contrôle des imaginaires par les médias. De ce fait, leurs mises en scène cherchaient à articuler la fiction sur une pratique de capture du réel dépourvue de forme narrative trop insistante. En refusant le choc visuel, en évitant si possible une trop grande monumentalisation des tirages (comme chez Gursky), la photographie mise en scène procédait d’un travail d’une extrême précision fait de réglages minutieux, à la fois en amont, lors de la préparation à la prise de vue, mais aussi en aval, avec des choix précis sur les procédés de tirage, sa dimension, le type d’encadrement et évidemment une forme de présentation. L’articulation des images dans l’espace même d’exposition devenait essentielle et participait largement d’une actualisation des notions de montage telles que l’avait théorisé le cinéma. Philippe De Gobert appartient indéniablement à cette mouvance et on comprend mieux le soin qu’il apporte lors de ses prises de vue, avec l’emploi d’un appareil moyen format (puis numérique en haute définition ces dernières années) permettant une définition parfaite de l’image, avec la méticulosité de ses éclairages puis, dans un second temps, cet ajustement des couleurs lors des tirages. Le format, imposant sans être monumental28, donne une autorité à chaque image et une plasticité similaire à celle du tableau – une grande image encadrée, destinée au mur, réclamant une confrontation avec le spectateur. Chez Philippe De Gobert, l’image-tableau n’intervient pas comme forme d’adhésion opportuniste aux besoins du marché ou comme réponse à la quête de décoratif et aux goûts des collectionneurs, mais bien en tant que possibilité d’accentuer la valeur d’actualité de ces images. 113
Afin de pousser l’articulation fiction/réel à l’extrême, il use d’une épure du sujet ou, dans le cas du Havre, d’une artificialité affirmée. La référence descriptive et objective à un lieu précis (tel atelier, tel moment de l’histoire du Havre) s’inscrit dans un rendu symbolique où le temps glisse vers l’espace. Au lieu de se cantonner à la sphère de la connaissance intellectuelle, ses œuvres, notamment la série du Havre, convoquent surtout la perception sensorielle. Le reproche d’une complaisance morbide pour des formes figées, l’idée de memento mori d’où est exclu tout humain, une sorte de célébration d’un pathos du vide où rôderait l’absence, la mort, omettent de percevoir que c’est justement dans ces espaces désertés de toute présence que peut s’affirmer la durée de la perception et donc de l’expérience. D’où des motifs a priori « pauvres », ces architectures meublées de quelques signes épars refusant l’anecdote et la narration. D’où ces appartements de Perret en attente de destination. D’où aussi ce jeu avec les maquettes, constructions à la fois merveilleuses et dérisoires, merveilleuses dans leur réalisation, leur capacité à nous entraîner dans une multiplicité de temps, dérisoires dans leur adéquation avec l’actualité de notre époque mais rendues si actuelles dans leur visée et leur présentation. C’est sans doute en cela que Philippe De Gobert se distingue radicalement d’autres artistes qui pratiquent la photographie de maquette. Alors que James Casebere déploie un univers d’enfermement, sombre, volontairement romantique dans ses effets et attestant d’une civilisation de l’aliénation, que Bernard Voïta s’inscrit dans une photographie démontrant combien le rationalisme appartient à une histoire qui semble vieillir, qu’Edwin Zwakman cherche à travers ses architectures à modéliser les conditions sociales de l’homme contemporain et que Thomas Demand reconstitue avec une minutie hallucinante des photographies fameuses marquées idéologiquement ou historiquement, Philippe De Gobert détache ses sujets de toute forme d’événement pour les inscrire dans un temps désincarné. Cet artiste se tient plus aux côtés de Jeff Wall que de Casebere. Walter Benjamin avait sans aucun doute tracé le chemin lorsqu’il affirmait dans sa Petite histoire de la photographie : « Chacun pourra constater combien une image, mais surtout une œuvre plastique, et au plus haut point une architecture, se laisse mieux saisir en photo que dans la réalité29. » On l’aura compris, Philippe De Gobert ne s’intéresse pas à la photographie en tant que telle. Ses œuvres n’en explorent pas les possibilités techniques ni les limites formelles. Elles ne nous disent pas ce que la photographie elle-même peut révéler de notre monde. Mais ces photographies nous disent beaucoup sur ce que peut être l’expérience artistique à travers et avec la photographie. Il n’est pas innocent de voir que cette interrogation en passe par le motif de l’atelier puis la constitution de maquettes, deux types d’espaces totalement artificiels. L’art de Philippe De Gobert ne participe pas d’une forme de kitsch nostalgique qui se nourrirait d’un moment idéal perdu. Au contraire, toutes ses réalisations récentes maintiennent une ambition : répondre aux images par les images, penser l’image dans le langage de l’image et, dans ce mouvement, réfuter la puissance du visuel. La série du Havre, magnifique dans sa relation au réel et dans sa capacité à ouvrir nos imaginaires, constitue bien une tentative accomplie de nous faire comprendre que l’image est encore de l’ordre de la rédemption. C’est à la fois peu et beaucoup.
29 Walter Benjamin, Petite histoire de la photographie, Paris, Payot, 2019, p. 11.
114
115
116
PHILIPPE DE GOBERT OR THE IMAGINARY TEXTURE OF THE REAL DAMIEN SAUSSET TRADUCTION JOHN TITTENSOR
“
What does it mean to represent, then, if not to convey an absent object into presence, to bear it into presence as absent, to master its loss, its death by and in representation, and by the same token, to dominate the displeasure or the anguish of its absence in the pleasure of a presence that takes its place ?
1 Louis Marin, On Representation, trans. Catherine Porter (Stanford : Stanford University Press, 2001), p. 311.
“
Louis Marin1
Here are twenty-five episodes from a key period in the development of Le Havre : being bombed off the map followed by its reconstruction in the 1950s according to the plans of Auguste Perret. It all starts with the city’s martyrdom. Sequences with piles of bricks, shaky walls, cracked building facades, bomb craters and the first clearings. Here and there, piles of stones and rubble, heaped-up beams and bricks. Along barely outlined paths street lamps, few and far between, cast a weary luminescence over the ruins. Perpetually leaden, cloud-banked horizons occasionally let the vibrant glow of sunset through. Then comes the reconstruction, equally terrible in its dispossession, in its suffusion in pallid light. On the ground : scaffolding, piles of materials already destined for future construction. Tradesmen’s and labourers’ huts adjacent. Pitiful wooden barriers marking out possible boulevards, streets, traffic routes. Like frozen spectres, cranes keep watch over the housing blocks, symbols of a better – could it conceivably be worse? – future. Man, a real ghost, crosses these lunar landscapes in a few solitary cars. As the sequence unfolds, the process takes shape : roof terraces and concrete beams, entablatures and cornices, balconies and galleries. At night, the lights go on in some apartments. In the distance, an ocean liner – the Normandie, the France – cuts through an iridescent sea, ultimate destination New York. Then begins 117
a second, brighter set of images : the interiors of barely completed apartments temporarily occupied by some of Perret’s technical departments. In others, no visible furniture or tenants, but piles of books, frames lined up against the wall, puzzling arrangements of pebbles and rocks. Walls sometimes adorned with chromos : the transatlantic liners of the city’s legend. Other interiors embellished with simple reproductions of Perret’s model city. The city, in fact, can be seen in fragments, almost surreptitiously, through the bay windows. Views of the port and its heavy industry, glimpses of Perret’s finally completed tower blocks. And in the background, the infinitely open sea, a true mirror of the concrete-like skies. Finally, a last image, probably the most intriguing of all : an interior, also empty apart from some rubble. On the fathomless sea of the floor, a scale model of a transatlantic liner sinks slowly into the depths of the building. Here we are, then, faced with a set of images of formidable effectiveness, a few paintings itemising the legend of a city emblematic of the immediate post-war period. But even before becoming photographs, these works assert themselves as maquettes2. Despite their extreme sophistication and abundance of detail, it is immediately clear that these are not exact reconstructions of Perret’s landmark buildings and their urban planning context. Whole sections of the city are missing. The urban fabric appears simplified. As for the colours and lights that bathe these works, their artificial character is obvious. This city is largely imaginary. De Gobert’s subjects are not scale models aiming at perfect accuracy, but maquettes complete with errors and degrees of interpretation. What counts is the whole, not the parts : the works as undisguised images and not mere reductions.
IMAGE, VISUAL It is not until the 27th minute of Jean-Luc Godard’s Germany Nine Zero,3 and the end of a long tracking shot interspersed with views of the concentration camps, that we hear a wornout old spy – Lemmy Caution – exclaim, "Isn’t the narrator in a more impossible, difficult and lonely situation today than in the past? I think so. But he has to be there, absent and present, fluctuating between two random truths : that of the document and that of fiction." Coming at "the end of history", with the failure of the old political utopias, the comment also spoke to a disenchantment with the power of the image in the period following the fall of the Berlin Wall. That same year, 1991, faced with the biased media treatment of the first Gulf War, French film critic Serge Daney published a virulent column in the Paris daily Libération,4 in which he drew a rigorous distinction between image and visual. The visual, an empty transcript of a new audiovisual order in the media, no longer records reality. It refers only to itself as artifice, immediately recognisable and assimilable by all. Its nature? To assert itself as a "great indicator" of social and political reality, synthesising the clichés of communication and the codes of advertising, video games and a certain kind of cinema. While the image remains open-ended and a locus of experience, the visual proposes a closed world, with no off-screen. Daney concludes by stressing the visual’s exclusion of the otherness which is the image’s raison d’être. A bitter observation confirmed thirty years later by our passion for virtual networks, our enthusiasm for the fragmented processing of information, and the organised ferocity of our social relationships. All of Philippe De Gobert’s work is created with this in mind. For him, the image is thought out, worked on, imagined, as a response to the visual ocean surrounding us. He sees his practice as a battle against the culture of immediacy, of the event and of oblivion celebrated as a virtue. And if his subjects and themes are drawn from the past – artists’ studios from the 20th century, architectural views from the 1930s, the New York skyline from the 1950s – it is also in order to better question the signs of modernity and to take a stand against a concept somewhat hastily deemed outdated. True, a practice founded on maquettes and photographs can appear radically disconnected from the major political concerns of our time, and indeed, there is no espousal here of any direct, acerbic critique of our world, no trenchant denunciation of the social codes of mass communication. But in terms of format, production and presentation the De Gobert oeuvre comes with a prodigious layering of meaning that raises a crucial question : what is the place and function of art in our contemporary societies? A reminder is needed here that our artist is an absolute connoisseur of the challenges of contemporary art, a friend of the late Marcel Broodthaers (1924–1976) and so many other Belgian creators, and a professional photographer who documents the main exhibitions at the Palais des Beaux-arts in Brussels, a venue long in the forefront of current artistic events. Further, through his initial training as a photographer and his advertising work for various 118
2 Each work is created in the artist's studio, as a rule on a scale of 1:100, and situated within the set as a landscape against a backdrop of a printed sky. The final result, a photograph, is a digital inkjet print mounted on Dibond (aluminium) and set in dark grey box frames. 3 Jean-Luc Godard, Germany Nine Zero, France, 1991, 62". 4 "Du visuel à l'image, regarder la guerre du Golfe", Libération, 4 February 1991, repr. in La Maison cinéma et le monde. Les années Libé, 1986-1991 (Paris : P.O.L, 2012), pp. 784 – 786.
brands, he has mastered the complex codes of communication. In other words, the whole of his art is nourished by passionate encounters and fuelled by activities as various as painting, sculpture, installation, conceptual photography and even performance art. This doubtless explains his analysis of today’s disillusionment and the disappearance of the artistic subject, together with his erasure of the notion of the author and thus of the preconditions of subjectivity5 – all of which are present in his latest series on Le Havre. LE HAVRE, OR THE IMAGE ENDANGERED BY MEMORY This ensemble can even be seen as the culmination of a reflection on the image in all its forms. How, then, should these works be perceived? As mere artifice or as documentation of a glorious modernist episode? Should they be identified as models or photographic images of imposing proportions? It is undoubtedly in this calculated indecisiveness that the significance of this series lies. If these works are at the crossroads of several types of practice, if they call upon multiple currents from the history of art, if they ultimately question our perception of things, whatever, they immediately proclaim themselves entertainment. And this entertainment is already that of the artist hard at work in his studio, exuberantly but patiently assembling a gigantic "construction game" involving his imagination, his desires and, of course, his ideas.6 This was exactly what De Gobert meant when he said in 1975, "I dreamed of Alice, of Gulliver, I set off to explore the world of scale models. In the toy shops I was very disappointed : there was only talk of wars, soldiers, cannons, robots, cowboys, spacecraft, cars all covered with stickers for cigarettes or aperitifs. For a moment I stopped alongside a model railway where a small electric train was tirelessly entering and exiting a tunnel under a sad, pasteboard Swiss landscape. My dream was elsewhere." This entertainment is in turn our own or, more precisely, the summoning up of our most intimate past, that of childhood with its imagination unfettered and still detached from the diktats of our society. Much more than his previous works – too perfect, too erudite in their rendering to evoke our own experience of play and construction – the Le Havre series summons with terrible force the memory of our former capacity to build improbable, fantastic worlds out of almost nothing. Who doesn’t feel nostalgia for those Legos, Meccanos, sand castles and, more simply, those arrangements of a few objects on the ground outlining roads, dream cities, impregnable fortresses, mysterious palaces, and even utopian houses, all places where tin soldiers, captive princesses and heroic knights, an exotic menagerie and a few small cars could go about their business. To contemplate a De Gobert model is to immerse oneself in these marvellous, back-in-the-day outbursts of imagination. Hence our fascination. Fascination with the toil that led to these creations, with the dozens of hours spent working, gluing, assembling, mounting, with this passion for detail that seems to characterise him. And our admiration, too, for these backgrounds, these carefully adjusted lights, this desire to get closer to reality. But here we are not confronted with a freewheeling imagination. There were documents, vintage photos, the exploration of archives, surveys and sketches made on the spot, roamings and rovings that led him to take the measure of this city, to experience it in the same way as it should be dreamed. In an interview in 1993 De Gobert had made no bones about the limits to documentary reconstruction : "My approach consists of dreaming, imagining a place, then building it from scratch, but my site is on the scale of a model, and the undertaking, which was threatening to be tedious, thus became playful. . . . As far as possible, I use materials that correspond to what would be used in a full-scale model. As a rule, model makers come up against insurmountable difficulties because they try to remake in small what exists in large. They attempt a representation. I reverse the process. I start with existing materials – wood, plaster, dust, paper – chosen for their natural effect. . . . I exclude the feat of skill, I set about a simple implementation which is the fruit of patient observation of things. It’s by looking at stones for a long time that I find the rock."
5 Similarly, the way he addresses the question of style, reducing it almost to a poetics of motif, should undoubtedly be documented. 6 This same joyousness is to be found in Der Lauf Der Dinge (The Way Things Go), a 28-minute video by Peter Fischli and David Weiss from 1987 showing a chain reaction activated by everyday objects.
Thus from the outset, De Gobert made the maquette the focus of his speculations about illusion and the way an object always calls up an absent referent. The use of photography as a means of framing and pinning down a work appeared at a later stage, signalling a shift towards the question of the sign and therefore of the image. Hence the common factor in these works : a pared-down quality, a sort of scenic emptiness that has become more pronounced over the years, transforming more than a few of them into an empty stage on standby. The human factor, terribly absent, indwells as a few sparse objects scattered here and there in these spaces of silence. To worry about the sign, to be concerned about its power over the image, is to refuse any kind of trivia, to dismiss any narrative drift, to forget the human figure or its snapshots of frozen existences attesting to a presence in the world which, 119
in the case of photography, is always of the order of the corpse. Of Roland Barthes’ famous ça a été ("that once was"). The Le Havre series’ openness to the complexity of historical fact thus enables a hypothesis : the image might be the possibility offered to reality to traverse the real and reach us without the mediation of language. This would make De Gobert an artist endlessly betting on the subterranean power of images, on their capacity for strangeness and their ability to make themselves immune to discourse. THE ART OF THE MAQUETTE Understanding the Le Havre series first of all requires a grasp of the implications of a maquette in a contemporary art context. If today the maquette has found its place in the vocabulary of contemporary art, it was not always so. For a long time it was an extension of architectural practice. Leon Battista Alberti (1404–1472) is credited with writing the first text to mention its function. Anticipating some of Philippe De Gobert’s concerns, he states, in the second chapter of The Art of Building" (1485),7 that a good maquette should not be "polished, sanded and decorated with consummate art, but simple and bare, in order to judge the talent of the inventor and not the skill of the executor." In the 20th century, the maquette finally cut its moorings with architecture to become an aesthetically autonomous artistic proposition. Yet again, Marcel Duchamp was a pioneer8 with Fresh Window (1920)9, a model of a 77 cm high model of a French window whose glass panes he covered with black leather. Twenty years later came his famous The Box In a Valise, (1941)10, a suitcase containing ninetythree facsimiles of his main works. This "portable museum", as Duchamp termed it, was simultaneously a reduced studio, an exhibition gallery and a travelling salesman’s gamut of samples. When he made it in the 1940s, the principle of the maquette was part of a logic of deconstruction of the notion of the original work of art via the multiple and the series.11 This same questioning is found in De Gobert’s work, where the artistic gesture reaffirms, as in Duchamp’s case, both the artisanal dimension of all artistic practice and its highly speculative character. If, as Duchamp maintained, the replica becomes the simulacrum of an ungraspable reality, then the maquette as imagined by De Gobert embodies recourse to a gaze capable of drawing from formal equivalences the possibility of a re-enchantment of the world via play with reality. More than once De Gobert has wryly but openly cited Duchamp as a tutelary figure who surreptitiously never ceases to influence contemporary practices.12 Pertinent here is La Maison du célibataire (The Bachelor Pad; 1988), a maquette of an apartment in which Duchamp’s main readymades are on display, transposing the archive of the suitcase into an illusionist painting of Duchamp’s fictitious studio. Three images would emerge. Two years earlier, with typically Belgian wit, De Gobert had produced Nain descendant un escalier (Dwarf Descending a Staircase), a fantasy parodying Duchamp’s famous nude of 1912.13 Far removed from pastiche or reconstruction, the hypothesis behind Duchamp’s box in a suitcase crops up again in L.W. 1, 2, 3 (Ludwig Wittgenstein), produced in 1999. Presented in the form of boxes, these works bring together the carefully arranged elements of a series of maquettes of the famous Wittgenstein villa, built in 1927 by Jacques Groag and Paul Engelmann, disciples of Adolf Loos. In De Gobert’s hands this modernist house, originally designed for the philosopher’s sister Gretl, is folded, condensed, reduced, and in a way negated. Only the materials (wood, cardboard, etc.) appear, ordered with the rigour of old games boxes and pulling off the extraordinary trick of enclosing a monument of architectural functionalism in a simple case. "Rather than gather the individual parts into a single formally fixed model," says the artist, "I opted for collecting them in boxes where they’re arranged as if in a shop selling stage sets and props." Once on the wall like a painting, each box is transformed into an abstract motif that responds to the image of the place itself stuck on the underside of the lid. From then on, the viewer hesitates in front of these two forms of document : of the reconstruction reduced to its carefully arranged components, or the reproduction in the form of a vignette, which comes closer to the truth of a place? And always this doubt, this ambiguity about what is to be seen, what enlightens or deceives us, demanding that we question the nature of reality and its possible representations. Whence the presence in this exhibition of these sort-of posters, archival images of the venue presented on a blue background, then recreated as maquettes. The Le Havre series is no different, and refers one last time to Duchamp and his famous Étant donnés (Given; 1946–1966)14, an installation in which the visitor discovers, through the keyhole in an old door, the spectacle of a female body stretched out, legs apart, in a faux-rural landscape. De Gobert mischievously claims the same economy of means, but with a different aim. 120
7 De re aedificatoria, written between 1442 and 1452, was published in Latin in 1485 and in French in 1553. For the first Englishlanguage version translated directly from the original, see Leon Battista Alberti, On the Art of Building in Ten Books, trans. Joseph Rykwert, Neil Leach and Robert Tavernor (Cambridge, MA : MIT Press, 1988). 8 We also need to look into some of the spatial constructions produced by the Soviet Constructivists in the years 1919–1923 – Tatlin's Monument to the Third International (1920), for example – and their dual status as sculptures and autonomous maquettes, as spatial proposals and studies of form. 9 Currently in the collection of the Museum of Modern Art, New York. Fresh Window was duplicated in 1921 by a more French variation, La Bagarre d'Austerlitz (The Brawl at Austerlitz), also by Rrose Sélavy. 10 Initially published in 20 copies in Paris (1941). 11 This principle had been in the making for many years, particularly in his 1934 Green Box. 12 In the 1970s the crucial influence of Marcel Broodthaers' ideas enabled De Gobert, in particular, to spot the relevance of Duchamp's legacy as extending beyond the question of the readymade. 13 While Duchamp's painting was an attempt to synthesise analytical cubism and the breakdown of movement characteristic of futurism, De Gobert's photograph offered a parody of a much-admired painting and, at the same time, caricatured the many subsequent tributes, such as Gerhard Richter's famous painting Ema (1966). 14 Given : 1. The Waterfall, 2. The Illuminating Gas. Installation at the Philadelphia Museum of Art.
THE ART OF THE MAQUETTE : FROM THE POIRIERS TO DE GOBERT Philippe De Gobert is not the only one to share this passion for the model in all shapes and forms. In the early 1970s it became a support for a number of artistic practices that were part of a vast movement to re-examine and overcome pop and then conceptual procedures. The maquette (like the photograph) appeared as a paradigm of representation in the age of mass consumption, but with an overtly critical rationale. For its proponents it offers a double advantage, reaffirming the work in the studio without denying the influence of reality. It also gives rise to a questioning of the theatricality specific to minimal art, particularly embodied in the heroic character of its modes of appearance and its celebration of "poor" materials. In a way a maquette allows us to re-address the issue of the document, once this latter has been freed from the question of the archive. At stake here is the concept of information, which has become central to the artistic debate in recent years. Any model is then imposed as a document, but reinvented, operating on miniaturisation and seeking to present a recomposed, even newly imagined reality. It is in this sense that Charles Simonds’ Dwellings should be perceived – small, archaic structures slipped by the artist into the interstices of Manhattan buildings between 1970 and 1979, in a vigorous denunciation of the disintegration of New York’s urban social fabric. At the same time, Anne and Patrick Poirier were producing models of such ancient sites as Ostia Antica (1973) and Domus Aurea (1976). In their transcending of the conventions of art, these ruins express a distanced relationship with history and the world. Far from affirming any nostalgic significance, they attest above all to a form of melancholy. The ruin is a sign and makes the origin thinkable. Instead of being a simple return to dust, to death, it suspends the ongoing degradation of the living world, as if to better weigh up the present. De Gobert had learned this lesson well, having first crossed paths with Charles Simonds15 and then with Anne and Patrick Poirier very early on, notably during the couple’s imposing solo show at the Palais des Beaux-arts in Brussels in 1978. On the contrary, the destructions of the Le Havre series were announced as petrifications of history bordering on hallucination. They became memories by anticipation, duplicating or even replacing the historical documents and archival photographs of the city. The following works, those of the Reconstruction period, function on the same principle and exacerbate a network of associations in our memory so as to inscribe themselves in our present. In her book on memory during the Renaissance, Mary Carruthers advises, "Keep in mind that when we speak of ‘place’ in memory, we refer not to a literal spot or space, but to location within a network, ‘memory’ distributed through a web of associations."16 The presentation of some historical images by Lucien Hervé or period models of Perret’s buildings in this exhibition should therefore be seen almost as "invented memories" that cannot be compared with the actuality of Philippe De Gobert’s works. Remembering, then, is not all that different from knowing how to forget. Last but not least, the maquette is not a sculpture. It possesses neither the sculpture’s authority, nor its heroism. The maquette is more like a collection of images to be tracked down. You circle around it, bend down, stand on tiptoe, always in search of the ideal point of view, fulfilment of the promise of a roving gaze, a stroll of the soul through the nooks and crannies of its architecture and the folds of its history. Bearer of a missive sent by a more or less distant past, it opposes a form of opacity17 to the principle of transparency and immediacy proper to the model, which is always the strict reduction of a thing. THE STUDIO
15 De Gobert remembers discovering Charles Simonds through a small publication, but was above all impressed by a work in the entrance hall of an Antwerp collector. 16 Mary Carruthers, The Craft of Thought (Cambridge : Cambridge University Press, 1998), p. 54. 17 This same opacity can be found in the maquettes of artists as diverse as, for example, Thomas Schutte, Olafur Eliasson and the Chapman brothers.
In this respect, the Le Havre series – a journey through a city in the form of a sequence of stills from an impossible film – deliberately breaks with the particular motif of the artist’s studio, which had been at the heart of De Gobert’s practice. Romanticism is responsible for having permanently inscribed the artist’s studio in the Western imagination as a place for the expression of genius. A strange, mysterious space, all the more prone to fantasies in that it has remained an art magazine fetish since the 1950s. And always the same ideology : a hero suddenly seized in the silence of creation by the eye of the photographer or the pen of the critic. Hans Namuth’s images of Pollock struggling against his canvas established the rhetoric, while Doisneau’s images of Picasso as a demiurge and Cartier Bresson’s of Giacometti handling his sculptures give a more novelistic version. Today, the grammar of studio reportage is a great success, laying bare monumental spaces imagined by a few star architects and inevitably colonised by the art market’s bigwigs and their hordes of assistants. The complacency of the reports on Takashi Murakami or Jeff Koons attests to the studio’s transformation into a logistical platform for an artistic practice that has become a business.
121
Philippe De Gobert has never been fooled by this little game. For him every studio, more importantly than in its role as a territory for hard work, a land of bricolage, a continent of creation, remains a mental space, the embodiment of all speculations, doubts and illuminations; a metaphor for a shifting idea with no precise incarnation. The Artist’s Room series, produced in the 1980s, had inaugurated the shift with its openly facetious challenging of artist’s studio stereotypes, while at the same time presenting itself as a tribute to certain practices. Each production humorously displayed a few objects that parodically evoked a particular artist – Mondrian’s tulip, the gold of Arte Povera, Manzoni’s white-painted objects, Calder’s bric-a-brac, Panamarenko’s machines. This studio motif is also (implicitly) a portrait, one evolving in the course of time into a Chinese portrait of none other than Philippe De Gobert himself and (implicitly) tracing a constellation of influences or admired practices. The earlier Jardins d’artistes (Artists’ Gardens; 1975) had already sketched out a hierarchy of his infatuations – Broodthaers, Warhol, Fontana, Segal, Christo, etc. – and the same principle was applied at MAC’s Grand Hornu in 2017, but this time extended to the entire exhibition. The presentation of original maquettes, several series of photographs of studio models, all of the Relectures photographiques (Photographic Rereadings) – in short the entire scenography – avoids the pitfall of the retrospective with its eternal need for narration perceptible in the chronological restitution of the sequence of works. The exhibition unfolded his imaginary realm "From Scratch" – such was its title – even before being the sum of his achievements. Visitors were likely to run into Giotto, Van Eyck, Cézanne, Rousseau, Brancusi, Matisse, Mondrian, Magritte, Calder, Yves Klein, Barnett Newman, Ad Reinhardt, Robert Ryman, Donald Judd and of course Joseph Cornell. Neither a history lesson by other means (De Gobert has no such pretensions),18 nor a clearly claimed genealogy (certain practices are extremely distant from his aesthetic preoccupations), the ensemble constituted close reflection on the actual preconditions of creation, inviting visitors to contemplate as much the typologies of spaces as the process of reification at work in his practice. The switch to photography and the recording of his maquettes also had the merit of fitting perfectly into the context of the restructuring of the contemporary art field. As a recording technique, it allowed him to reach an unprecedented degree of sophistication by establishing a single, authoritarian point of view.19 What counted now was the making of an image, "monumental" in its presentation and treatment, leading to the ousting of the artists’ psychological attributes and the exclusion of any form of humour. There remained only a near-emptiness, a naked space in suspense, animated by the play of light from the big skylights. The rare objects almost became court exhibits. The aim was not to reveal the identity of the artists – which the titles did not even refer to. The shift was also conceptual, moving from a critical analysis of the commonplaces associated with the studios of famous artists to speculation about modernity, its attributes and thus ultimately the image. Whence the affirmation of his passion for the architectural styles of the 1930s, and the invocation of Pierre Chareau and his Glass House (2008), Le Corbusier for the Ozenfant studio (2008), the Arbat house (2002) and the Villa Wittgenstein (1999). Nor did this foray into the most avant-garde architecture of the 1920s and 1930s stop at a few names. The entire structure of the space had to be rethought in order to give the venue’s big windows the prominence they deserved. We know that the window – the idea of opening the interior to the outside – was an exemplary feature of the modern movement, allowing not just the eye, but the whole body, to project itself into the landscape and the outside world. In its passage from the fixed to the free plan, modernist architecture mobilised a body in movement embodying this new man capable of propelling himself into the future. For De Gobert modernist architecture possessed the supreme advantage of reaffirming the plasticity of light through its large openings to the outside, in line with Gérard Wajcman’s assertion : "In short, to tear the window away from the air and the light in order to give it to the eye, to give it the eye as a unique complement – what I would call the marriage of the frame and the gaze : this gesture would be the very gesture of painting."20 Making the skylights and windows opaque participates in this reversal by exposing the structure of the indexical language present in all photography. It was not until 2015 and the New York series that exteriors appeared. The studio opened up to the real world, deploying the formal complexity of the Manhattan skyline. Le Havre is the natural outcome of this process. THE MAQUETTE PHOTOGRAPHS All this made maquette photography a genre in itself, and one partly initiated by Philippe De Gobert in the 1990s. He was not alone, though. At the same time artists including Bernard Voïta, Oliver Boberg, Edwin Zwarkman, Thomas Demand and above all James Casebere 122
18 He also totally rejects the idea that he is a mere ethnographer of artists' habits and customs. 19 This principle was confirmed in the actual construction of the maquettes of Le Havre, which were built with the image to come in mind : their truncated perspectives were designed to respond ideally to the photographic viewing angle. 20 Gérard Wajcman, Fenêtre, chronique du regard et de l'intime (Paris : Verdier, 2004), p. 48 – 49.
were developing protocols of their own, in which miniaturised structures were conceived, thought out and constructed for the sole purpose of being photographed. The banality of the subjects – contemporary buildings, industrial landscapes, fragments of interiors – competes with a form of dehumanisation. In almost every case their works draw on an original, in many cases an identified, found or salvaged photograph. The maquette then provides a second vision, an interpretation, with a third generated by the photo-shoot. An infinite movement that bears witness to a circular practice designed to establish a mise en abîme of a missing image and create an abyss between reality and fiction. Like the others, Philippe De Gobert uses archival material – photographs, descriptions, drawings – and like them, he makes the mise en abîme perceptible. Contrariwise, he is not part of a philosophy of doubt, or even of the post-modern school of image criticism. For these artists, the photographic moment remains a shooting of an image, that is to say the appropriation and then the diversion of an already existing image,21 whereas for De Gobert this is construction of an image. This ambiguous, complex game, made up of back and forth between the image, the real in general and reality, is what philosopher Jean-Paul Curnier had made his subject. For him, the image was a thought mode and ultimately a tool for bringing us back to the world when the false transparency of words, rhetoric or visuals irremediably distances us from it. "We have learned to live in the reality of images and in increased reality thanks to images. We have also learned the language that images speak among themselves, and we can sometimes detect their repetitions, quotations, add-in effects, sorts of conversations. . . . Thanks to them, we have also learned to distance ourselves from reality and to bring ourselves closer to reality. We have learned about fiction, the illusion of truth and reality. We have come closer, perhaps closer than ever before, to the sense of reality in the external world, which we more and more commonly call the ‘real’, and as we have come closer, we have learned to experience even more of the real in ourselves, that is to say, the conviction felt as a matter of course of our own reality embedded in reality."22
21 As Robert Rauschenberg proved in the 1950s with his Combine Painting, followed later by Warhol, Gerhard Richter's Atlas and Sigmar Polke's works of the 1970s. 22 Jean-Paul Curnier, Montrer l’invisible, Ecrits sur l’image (Paris : Jacqueline Chambon, 2009), p. 133. 23 In this respect, Robert Smithson's essential The Monuments of Passaic (Artforum, 1967) condensed into a single essay a reference to the Grand Tour of the eighteenth century, a report on the artist's birthplace and a statement on what a site is. Above all, this article, through false monuments of urban margins in ruins, displayed uncertainty and ambiguity as to the relationship between the world (the real) and its reproductions, even when the latter are intended to be totally objective. 24 Most of the images in this series are 104 x 148 cm and are in line with the average size he has been making since the mid-2000s. Note that 104 cm is the possible width of the paper.
All these photographer-builders, however, have a shared history, in setting their practice within this vast movement of reconsideration of photography, and more particularly in what has come to be called staged photography. Thinking of artists like Jeff Wall, Andréas Gursky, Suzanne Lafont, Ken Lum, Bill Henson, Gregory Crewdson, Patrick Tosani and others, we recall how strongly its appearance in the 1980s contributed to a reinvention of the image, notably in updating the principles of objectivity as they had been experimented with in the 1960s and 1970s. This involved rejection of an entire segment of photography underpinned by a lyrical, essentialist vision of humanity and a belief in a universal human nature. Cartier-Bresson’s decisive moment became the epitome of a photography of wonder to be proscribed. For these young artists, this was precisely the opportunity to fight against this destruction of experience by the visual. Largely heir to the research carried out by the conceptual artists of the 1960s (from Ed Ruscha to Bruce Nauman via Dan Graham, Jan Dibbets and Robert Smithson), this new photography openly focused on the criteria of objectivity transformed into a criterion of experience.23 Underlying these practices was an ideal : the notion that an image could simultaneously be a document (and therefore information) and a fiction. French critic Jean-François Chevrier formulated this tendency perfectly in 1991: "The authority of invention (the mise en scène, the fabricated image) replaces the originality of vision." These photographs were therefore not the result of discoveries, or the capture of sensational data suddenly caught by the heroic eye of the photographer, but rather responses to a crisis, that of current events, which from that time on was embodied in the media’s takeover of the imaginative function. As a result, their stagings sought to articulate fiction around a practice of capturing the real without an overly insistent narrative form. By refusing visual shock and avoiding, if possible, too great a monumentalisation of the prints (as with Gursky), staged photography proceeded from an extremely precise exercise made up of meticulous adjustments, both upstream during the preparation of the shooting and downstream with precise choices as to printing processes, dimensions, type of framing and, of course, form of presentation. Interconnection of the images in the exhibition space itself became essential and played a large part in updating the notions of editing as theorised by cinema. Because De Gobert undeniably belongs to this movement, we can better understand the care he takes when shooting with a medium format camera (high definition digital in recent years) that allows perfect image definition of the image, with the meticulousness of his lighting and, in a second stage, adjustment of the colours during printing. The format, imposing without being monumental,24 gives each image authority and a plasticity similar to that of a painting : a large framed image, destined for the wall, demanding a confrontation with the viewer. In De Gobert’s work, the picture image does not intervene as a form of opportunistic adherence 123
to the needs of the market or as a response to the quest for decoration and the tastes of collectors, but rather as a possibility for accentuation of the topical value of these images. Out to push the interconnection between fiction and reality to the extreme, he resorts to purification of the subject or, in the case of Le Havre, an affirmed artificiality. The descriptive and objective reference to a precise place (such and such a workshop, such and such a moment in the history of Le Havre) is part of a symbolic rendering in which time slips towards space. Instead of being confined to the sphere of intellectual knowledge, his works, particularly the Le Havre series, call on sensory perception. The reproach of a morbid indulgence toward frozen forms, the idea of memento mori from which all human beings are excluded, a sort of celebration of absence and death lurking in a pathos of emptiness, fails to perceive that it is precisely in these spaces void of all presence that the duration of perception and therefore of experience can be affirmed. Hence the supposedly "poor" motifs, these buildings furnished with a few scattered signs refusing anecdote and narrative. Hence these Perret apartments awaiting their future. Hence also this play on maquettes as constructions both marvellous and derisory : marvellous in their realisation and their capacity to draw us into a multiplicity of timeframes, derisory in their fit with the actuality of our time, but made so current in their aim and their presentation. It is undoubtedly in this that he is radically different from other practitioners of model photography. While James Casebere deploys a universe of confinement, dark, deliberately romantic in its effects and attesting to a civilization of alienation; while Bernard Voïta is part of a photography demonstrating how deeply rooted rationalism is in a history that seems to be aging; while Edwin Zwakman seeks through his structures to model the social conditions of contemporary man and Thomas Demand brings hallucinatory meticulousness to his recreation of famous, ideologically or historically connoted photographs, De Gobert detaches his subjects from any form of event to embeds them in a disembodied time. He is more closely allied to Jeff Wall than to Casebere. Walter Benjamin had undoubtedly paved the way when he wrote in his Short History of Photography, "Everyone will have observed how much easier it is to get the measure of a picture, especially sculpture, not to mention architecture, in a photograph than in reality."25 It is clear that De Gobert is not interested in photography as such. His works do not explore its technical possibilities or its formal limits, nor do they tell us what photography itself can reveal about our world. But these photographs do have a lot to say about what the artistic experience through and with photography can be. It is hardly simplistic to see the relevance of this issue to the studio motif and then the creation of maquette – two types of totally artificial spaces. Philippe De Gobert’s art has nothing to do with the kind of nostalgic kitsch that feeds off some lost ideal moment. On the contrary, all of his recent works maintain a specific ambition : to respond to images with images, to think the image in the language of the image and, in doing so, to refute the power of the visual. The Le Havre series, magnificent in its relationship to reality and its capacity to open up our imaginations, is an accomplished attempt to make us understand that the image is still of the order of redemption. This is both a little and a lot.
25 Walter Benjamin, A Short History of Photography, trans Stanley Mitchell, https://monoskop.org/images/7/79/ Benjamin_Walter_1931_1972_A_Short_ History_of_Photography.pdf, p. 23.
124
125
126
127
128
129
130
131
132
133
134
135
136
137
138
139
140
141
142
143
144
145
“
Le Havre était à l’époque des voyages en transatlantique un passage obligé pour se rendre aux USA, il m’a paru intéressant de faire la liaison entre les vues intérieures des appartements du Havre et mes photographies d’ateliers New Yorkais . Il y a en effet des similitudes dans le processus de création de ces images .
Back in the heyday of the transatlantic liner, Le Havre was an obligatory part of the voyage to the United States, and I thought it would be interesting to make the connection between the interior views of the apartments there and my photos of New York studios. There were, in fact, similarities between both creative processes.
“
PHILIPPE DE GOBERT
TRADUCTION JOHN TITTENSOR
146
147
148
149
150
151
152
153
154
155
LISTE DES ŒUVRES EXPOSÉES
Toutes les œuvres, sauf mention particulière, sont de Philippe De Gobert et lui appartiennent.
p. 6 • Maquettes d’immeubles Perret au Havre, Grue de chantier, 2019, carton mousse & polystyrène peint, à l’échelle 1/100e, 30 cm haut.
p. 19 et 33 • Maquette Casa Malaparte, 2019, bois et carton peint, 29 x 81 x 52 cm
p. 26-27 • Maison de l’Arbat Konstantin Melnikov, 2019, planche informative, tirage sur vinyle, 110 x 158 cm
p. 27 • Maquette Maison de l'Arbat, 2002, bois peint, 42 x 80 x 55 cm
p. 27 • La Maison de l'Arbat Atelier Constantin Melnikov, 2002, tirage numérique 1/3, 79 x 104 cm
p. 29 • La Colonne détruite du Désert de Retz, 2019, planche informative, tirage sur vinyle, 121 x 91 cm
p. 31 • Le Palais idéal du facteur Cheval, 2019, planche informative, tirage sur vinyle, 121 x 91 cm
p. 32-33 • Casa Malaparte à Capri, 2019, planche informative, tirage sur vinyle, 110 x 158 cm
p. 35 • La Nave Puglia, 2019, planche informative, tirage sur vinyle, 121 x 91 cm
p. 37 • ‘T’Bootje Huis, 2019, planche informative, tirage sur vinyle, 121 x 91 cm
p. 39 • Hôtel Normandie à Oostduinkerke, 2019, planche informative, tirage sur vinyle, 121 x 91 cm
p. 40 • Maquette du bateau de « l’Invitation au voyage », 2020, bois naturel, 35 x 35 x 20 cm
156
p. 41 • L’Invitation au voyage, 2020, p. 42 • Zétwal, 2020, planche planche informative, tirage sur informative, tirage sur vinyle, vinyle, 121 x 91 cm 121 x 91 cm
p. 43 • Maquette de la fusée de Zétwal, 2020, aluminium ondulé et matériaux divers, 25 x 20 x 20 cm
p. 44 • Maquette Black Maria 3, 2020, bois exotique, 32 x 53 x 53 cm
p. 44 • Black Maria, 2020, planche informative, tirage sur vinyle, 110 x 158 cm
p. 45 • Maquette Black Maria 2, 2004, bois carton noir et aluminium ondulé, 30 x 52 x 52 cm, collection particulière.
p. 47 • Maquette du Dôme géodésique, 2019, tubes de styrène, 35 x 48 x 48 cm
p. 48 • Atomium, 2019, planche informative, tirage sur vinyle, 121 x 91 cm
p. 49 • Maquette Atomium, 2016, bois, aluminium et mousse polystyrène, 50 x 50 x 50cm
Maquette de l'école provisoire, 2019, bois, styrène et aluminium, 29 x 59 x 51 cm
p. 52 • Merzbau, la Cathédrale de la misère érotique, 2020, planche informative, tirage sur vinyle, 121 x 91 cm
p. 56 • LW I, boîte à outils, 2008, bois peint, 20 x 45 x 33 cm
p. 56 • LW II, boîte à outils, 2008, bois peint, 20 x 45 x 33 cm
p. 53 • Maquette du Merzbau, 2020, bois et matériaux divers, 30 x 53 x 40 cm
p. 57 • LW III, boîte à outils, 2008, bois peint, 20 x 45 x 33 cm
p. 46 • Dôme géodésique, 2019, planche informative, tirage sur vinyle, 110 x 158 cm
p. 51 • Ateliers Jean Prouvé, 2019, planche informative, tirage sur vinyle, 121 x 91 cm
p. 55 • LW 66, 2019, tirage numérique 1/3, 30 x 42 cm
L'Atelier de Marcel Duchamp IV, 2011, tirage numérique sur papier mat 1/3, 40 x 50 cm
157
p. 60 • Maquette Cité radieuse, 2009, bois peint, 40 x 40 x 50 cm
p. 59 • Le grand mur de verre, mdv 20, 2008, tirage numérique 1/3, 172 x 220 cm
p. 60 • Cité radieuse de Val de Briey, 2009, planche informative, tirage sur vinyle, 121 x 91 cm
p. 61 • Journée radieuse, 2009, tirage numérique 2/3, 148 x 104 cm
p. 63 et 4e de couverture • Perret, 2020, planche informative, tirage sur vinyle, 121 x 91 cm
p. 72-73 • LH 1463, 2020, tirage numérique 1/3, 79 x 120 cm
p. 74-75 • LH 1541, 2020, tirage numérique 1/3, 104 x 158 cm
p. 76 • LH 1030 2020, tirage numérique 2/3, 104 x 83 cm
p. 77 • LH 1152, 2020, tirage numérique 2/3, 104 x 83 cm
p.78-79 • LH 1747, 2020, tirage numérique 1/3, 104 x 120 cm
p. 81 • LH 945, 2019, tirage numérique 1/3, 104 x 138 cm
p. 83 • LH 2281, 2020, tirage numérique 1/3, 138 x 104 cm
p. 84-85 • LH 1193, 2020, tirage numérique 1/3, 104 x 158 cm
p. 86-87 • LH 1636, 2020, tirage numérique 1/3, 104 x 138 cm
p. 88-89 • LH 1587, 2020, tirage numérique 1/3, 104 x 158 cm
p. 58 • La Maison de verre, 2020, planche informative, tirage sur vinyle, 121 x 91 cm
158
p. 90-91 • LH 1354, 2020, tirage numérique 1/3, 104 x 158 cm
p. 92-93 • LH 0550, 2019, tirage numérique 1/3, 104 x 138 cm
p. 95 • LH 0065, 2019, tirage numérique 1/3, 79 x 120 cm
p. 97 • LH 0442, 2019, tirage numérique 2/3, 104 x 88 cm
p. 98-99 • LH 1317, 2019, tirage numérique 1/3, 104 x 138 cm, coll. part.
p. 100-101 • LH 1383, 2019, tirage numérique 2/3, 79 x 119 cm
p. 102-103 • LH 0726, 2020, tirage numérique 1/3, 79 x 104 cm
p. 105 • LH 2034, 2020, tirage numérique 1/3, 138 x 104 cm
p. 115 • La Maison du célibataire, 1988, maquette, 50 x 25 x 30 cm
p. 116 • Nain descendant un escalier, d’après Marcel Duchamp, 1984, tirage cibachrome, 20 x 25 cm.
Maquette de l'appartement témoin, 2019, bois peint, 30 x 90 x 110 cm
p. 128-129 • LH 5241, 2019, tirage numérique 3/3, 104 x 148 cm
LH 5620, 2020, tirage numérique 1/3, 104 x 90 cm
p. 131 • LH 0098, 2019, tirage numérique 1/3, 104 x 90 cm
p. 126-127 • Vue axonométrique de l’appartement témoin, 2019, dessin aquarellé, papier Arche, 66,5 x 102 cm
p. 133 • LH 0106, 2019, tirage numérique 1/3, 104 x 90 cm
159
p. 134-135 • LH 1769, 2020, tirage numérique 2/3, 110 x 168 cm
p. 137 • LH 1261, 2019, tirage numérique 1/3, 128 x 104 cm
p. 143 • LH 1197, 2019, tirage numérique 1/3, 128 x 104 cm
p. 145 • LH 1198, 2020, tirage numérique 1/3, 128 x 104 cm
p. 150-151 • NY 2 Getty, 2017, tirage numérique 1/3, 98 x 148 cm
LW 15, 2019, tirage numérique 1/3, 30 x 30 cm
160
p. 153 • NY 6, Hopper jour, 2017, tirage numérique 2/3, 138 x 97 cm
p. 138-139 • LH 0484, 2019, tirage numérique 1/3, 104 x 120 cm
p. 147 • Albert Sébille, Affiche “Cie Gle Transatlantique. French Line. Hâvre, Plymouth, New-York.”, vers 1935-1940, impression sur papier, 98 x 60 cm, collection French Lines & Compagnies (Inv. FL003646)
p. 154-155 : NY 3, 2016, tirage numérique 1/3, 149 x 210 cm
LW 54, 2019, tirage numérique 1/3, Maquette NY 6 Hooper, 2017, 30 x 30 cm bois peint, 32 x 42 x 40 cm
p. 140-141 • LH 1212, 2019, tirage numérique 1/3, 104 x 148 cm
p. 149 • NY 10, Dans l'atelier de Georges Segal, 2017, tirage numérique 1/3, 138 x 104 cm
p. 166-167 • LH 053, 2019, tirage numérique 1/3, 79 x 104 cm
Œuvres exposées non reproduites au catalogue Dessins Atelier Perret Axonométrie d'un ilot sur sol surélevé, 2 nov. 1945 1945 Mine de plomb sur calque 31,2 x 63,1 cm Paris, Institut Français d’Architecture, (535 AP 254/1 (doc. CNAM-45-01-0063)
Atelier Perret Perspective axonométrique d’un immeuble Non daté. Encre et pierre noire sur calque 61,4 x 44,3 cm Paris, Institut Français d’Architecture, 535 AP 254/1 (doc. CNAM-45-01-0069).
Atelier Perret Partie supérieure du chapiteau des grandes colonnes de l'hôtel de ville en perspective. Mine de plomb sur calque 36,5 x 27,5 cm Vers 1945-1955 Paris, Institut Français d’Architecture, 535 AP 254/23 (doc. CNAM-45-01-0289).
Atelier de Reconstruction du Havre Projet d’ISAI (immeuble sans affectation individuelle) place de l’Hôtel-de-VillePlan en élévation 1946 Calque entoilé 21 x 87,8 cm Le Havre, Archives municipales fonds Jacques Tournant
Maquettes Pierre-Edouard Lambert/Atelier de Reconstruction du Havre. Perspective du front de mer Sud, projet de reconstruction 8 mars 1946 Photographie de dessin entoilée. 53,6 x 95,2 cm Le Havre, Archives municipales, fonds Jacques Tournant
Anonyme Esquisse d'un projet (non réalisé) de reconstruction de l'hôtel de ville. Esquisse de la façade sud de l'hôtel de ville Début des années 1950 Dessin entoilé 96,5 x 139,4 cm Le Havre, Archives municipales, fonds Jacques Tournant
Georges Brochard /Atelier de Reconstruction du Havre. Maquette de projet de tour cruciforme pour l’Hôtel de Ville du Havre au 1/100e. Octobre 1952 Bois, contreplaqué, carton, rhodoïd. 83 x 20 x 19 cm Le Havre, Archives municipales, fonds Jacques Tournant
Ruines du chantier A.Normand, reproduction d’une photographie ancienne coll. J.C.Lefort
Reproduction d’une carte postale du chantier A.Normand, coll. P. Allinand
[Atelier de Reconstruction du Havre ?] Maquette de l’église Saint-Joseph du Havre au 1/100e Années 1950 Bois, contre-plaqué, carton, verre peint 106 x 69,5 x 59,5 cm Le Havre, Archives municipales (acquisition 2020)
Photographies Léon Darmorik , « Renversant », 2019, photographie, 30 x 40 cm
161
BIOGRAPHIE BIOGRAPHY Biographie rédigée par Julien Foucart publiée dans le catalogue de l'exposition Philippe De Gobert, De toutes pièces, au Musée des Arts Contemporains au Grand Hornu en 2017 Excerpts from the biography written by Julien Foucart published in Philippe De Gobert, De toutes pièces, the catalogue of the exhibition held at the Musée des Arts Contemporains, Le Grand Hornu, in 2017 Traduction par Laura Austrums
1946 Philippe De Gobert naît à Bruxelles en 1946 dans une famille d’artistes. Les parents, tous deux peintres, se sont connus à l’académie. Sa mère exerce la profession d’illustratrice et son père, boiseur/ marbreur de formation, est décorateur. Dès l’âge de 12 ans, les deux fils, Philippe et Paul, peignent des aquarelles « sur le motif », accompagnant ainsi les parents dans leurs escapades picturales. Le père, Guy De Gobert, développera plus tard, dans les années 1960, une œuvre dans la mouvance du pop art et de l’hyperréalisme. Philippe De Gobert was born in Brussels, into a family of artists. His parents, who were both painters, met at art school. His mother worked as an illustrator and his father, who trained as a grainer and marbler, was an interior decorator. From the age of 12, their two sons, Philippe and Paul, painted watercolours en plein air, accompanying their parents on their pictorial escapades. In the 1960s, Guy De Gobert, Philippe’s father, developed works in the Pop Art and Hyperrealisme genres. 1967 Étudiant, il se passionne pour l’œuvre de Kurt Schwitters. As a student, De Gobert developed a passion for the works of Kurt Schwitters. 1968 Débute en tant qu’assistant dans plusieurs studios de photographie publicitaire et industrielle. Un travail alimentaire qui lui permet d’approfondir ses connaissances de la pratique photographique. Philippe De Gobert participe à l’occupation du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles qui a lieu dans la foulée des mouvements de l’Université Libre de Bruxelles. Started working as an assistant at several advertising and industrial photography studios. This work paid the bills and enabled him to develop his practical knowledge of photography. Took part in the occupation of the Palais des Beaux-Arts in 162
Brussels in the wake of student protests at the Université Libre de Bruxelles. 1971-1972 Entame une nouvelle série d’objets poétiques, animés et sonores. Began working on a new series of poetic, animated and sound objects. 1973 Philippe De Gobert abandonne son travail d’assistant en photographie publicitaire. Left his job as an advertising photography assistant. 1974 Collabore à la réalisation des peintures murales de son frère Paul. Karel Geirland, nouveau directeur du Palais des BeauxArts de Bruxelles, lui commande ses premiers reportages photographiques d’expositions. Worked with his brother Paul on wall paintings. Karel Geirland, the new director of the Palais des Beaux-Arts in Brussels, commissioned De Gobert’s first photo-reportages of exhibitions. 1975 Commence un travail à échelle réduite et réalise ses premières miniatures : des jardins clôturés faisant référence aux artistes Fontana, Broodthaers, Warhol, Raynaud, Christo, Segal. Began working at a reduced scale, creating his first miniatures : enclosed gardens that referenced such artists as Fontana, Broodthaers, Warhol, Raynaud, Christo and Segal. 1976-1977 Expose ses « petits paysages et jardins » à la New Smith Gallery à Bruxelles, puis à l’art shop du Palais des Beaux-Arts en 1977. Exhibited his Small Landscapes and Gardens at the New Smith Gallery in Brussels and at the museum shop of the Palais des Beaux-Arts.
1978 Entreprend la réalisation des Artist’s Rooms, petites maquettes, pièces uniques d’ateliers imaginaires ou fidèles en référence à l’œuvre d’artistes célèbres. Started creating his Artist’s Rooms – small, unique models of imaginary studios of faithful reproductions that reference famous artists. 1979 Les Artist’s Rooms font l’objet d’une exposition personnelle de Philippe De Gobert au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Un petit ouvrage reprenant une sélection de maquettes est publié à cette occasion. The Artist’s Rooms formed the basis of his solo exhibition at the Palais des Beaux-Arts in Brussels. A small book including a selection of models was published for the occasion. 1984 Construit l’atelier fictif de Joseph Cornell, artiste surréaliste américain parmi les pionniers de l’assemblage, en reprenant des éléments distinctifs de son œuvre et les introduisant dans une maquette inspirée de son propre atelier, qui était à l’époque situé en sous-sol et assez exigu. Cornell travaillait dans le garage de sa maison au 3708 Utopia Parkway à Flushing [New York]. Réalise pour l’exposition L’Art et le Temps, une pièce en trois parties consacrée à l’œuvre de René Magritte dans laquelle un train miniature sort de la cheminée de La Durée poignardée, passe sous un rocher et pénètre dans la porte de La Réponse imprévue. Built the fictional studio of Joseph Cornell, and American Surrealist artist who was a pioneer of assemblage, including distinctive elements from his work, in a model inspired by De Gobert’s own studio, which was then in a basement and rather cramped. Cornell worked in the garage of his house at 3708 Utopia Parkway in Flushing, New York. For the L’Art et le Temps exhibition, he created a work in three parts, dedicated to the oeuvre of René Magritte, in which a miniature train emerged from the chimney of La Durée poignardée and passed under a rock before entering the door of La Réponse imprévue. 1986 Participe à « Portrait de scène à l’île aux phoques » organisé par Laurent Jacob à Venise, avec les Artist’s Rooms sur Van Eyck et Duchamp, puis l’année suivante à « Arte in situazione » à l’Academia Belgica à Rome et ensuite à « Portraits de scène » au Musée d’Ansembourg à Liège. Took part in "Portrait de scène à l’île aux phoques", organized by Laurent Jacob in Venice, whith his Van Eyck and Duchamp Artist’s Rooms and, in the following year, in "Art in situazione" at the Academia Belgica in Rome, followed by "Portraits de scène" at the Musée d’Ansembourg in Liège. 1987 Exposition personnelle à la Raffinerie du Plan K. Un Campanile de quatre mètres de haut propose « une subtilité mécanique de jeux d’espace ». L’exposition est conçue comme un voyage imaginaire en Italie à partir de la composante architecturale dans les œuvres des artistes italiens De Chirico, Morandi et Giotto. Le spectacle chorégraphique présenté en même temps par la Compagnie du Plan K a pour thème la découverte de la perspective à la Renaissance.
Solo exhibition at the Raffinerie du Plan K, in which a four-metre high Campanile suggested ‘the subtle mechanics of a series of areas’. The exhibition was designed as an imaginary journey through Italy, based on architectural components found in the works of De Chirico, Morandi and Giotto. The accompanying choreographic performance presented by the Plan K Company interpreted the discovery of perspective during the Renaissance. 1988 Présente à la Galerij van de Akademie à Waasmunster une installation inspirée des Nymphéas de Monet. Presented an installation inspired by Monet’s Waterlilies at the Gallery of the Academy in Waasmunster. 1993 Voulant échapper au travail trop illustratif des Artist’s Rooms, il entame la série Les images détournées dans laquelle il masque à la gouache sur de vieilles photos documentaires d’ateliers d’artistes tous les détails anecdotiques permettant d’identifier l’œuvre ou la personnalité de l’occupant. Il élimine, par ce travail de catharsis, le superflu, ne laissant visibles que l’architecture du lieu, la lumière et quelques objets peu identifiables. C’est au départ de ces images détournées qu’il amorce un tournant décisif dans son œuvre en entreprenant la construction de maquettes d’ateliers, sans références. Ces maquettes numérotées de 1 à 16 serviront de modèles à des photographies en noir et blanc de grand format. Ces images porteront le titre générique d’« Atelier » avec numéro du modèle correspondant. In an attempt to escape from the illustrative character of the Artist’s Rooms, De Gobert began his Les images détournées series, in which he painted over all the anecdotal details on old documentary photographs of artist’s studios, making it impossible to identify the works or the personality of the occupant. During this cathartic process, he eliminated superfluous details, leaving only the location’s architecture, the light and a few objects that were not too identifiable. The Distorted Images marked a decisive shift in his work, and he went on to construct models of studios devoid of references. 1995 Première exposition des photos d’ateliers et de leurs modèles au Centre d’Art Contemporain à Bruxelles. The first exhibition of the Ateliers photographs and their models took place at the Centre d’Art Contemporain, Brussels. 1996 Expose à la Galerie Velge & Noirhomme à Bruxelles en compagnie du photographe Hervé Charles. Participe à l’exposition Photopeintries organisée par Enrico Lunghi au Casino Luxembourg. Two-person exhibition at Galerie Velge & Noirhomme in Brussels with photographer Hervé Charles. Took part in the Photopeintries exhibition organized by Enrico Lunghi at the Casino Luxembourg. 1997 Exposition au FRAC Bourgogne à Dijon avec Simone Decker et Daniel Firman. Exhibition with Simone Decker and Daniel Firman at the FRAC Bourgogne, Dijon. 163
1998 Exposition personnelle au Théâtre Granit et à l’École d’art de Belfort, puis au Musée de L’Élysée à Lausanne. Solo exhibition at the Théâtre Granit and the Ecole d’art in Belfort, followed by the Musée de L’Élysée, Lausanne. 1999 Exposition personnelle au Centre d’Art Contemporain de Meymac en Corrèze. Découvre l’ouvrage de Bernhard Leitner, The Architecture of Ludwig Wittgenstein. A documentation, consacré à la villa que le philosophe Wittgenstein fit construire pour sa sœur à Vienne vers 1927. Sur base des photos et plans publiés dans cet ouvrage, il construit une maquette des parties de la villa qui lui semblent intéressantes à traiter photographiquement. Ce travail fait l’objet d’une commande qui sera suivie d’une exposition de grands tirages noir et blanc et de l’édition d’un portfolio par la galerie Aline Vidal à Paris (Fiac, 1999). Solo exhibition at the Centre d’Art Contemporain in Meymac, Corrèze. Read Bernhard Leitner’s The Architecture of Ludwig Wittgenstein : A Documentation, about the villa in Vienna which the philosopher Wittgenstein built for his sister around 1927. Based on the photographs and plans published in the book. De Gobert made a model of the parts of the villa he considered to be interesting from a photographic perspective. This work was commissioned and was followed by an exhibition of largeformat, black-and-white photographs and the publication of a portfolio by the Aline Vidal gallery in Paris (FIAC, 1999).
Le Campanile écarlate was presented at Galerie Aline Vidal during their "Photos récentes" exhibition, with photographs from the series created for the Bois des Moutiers in Varangeville and Les Archives improbables. 2015 La fondation Salomon lui offre la possibilité d’un séjour à New York qui donne lieu à une nouvelle série de maquettes et de photographies d’ateliers new-yorkais. Foundation Salomon offered Philippe De Gobert the opportunity to visit New York, resulting in a new series of models and photographs of studios in the city. 2017 Exposition personnelle à caractère rétrospectif au MAC’s, Musée des Arts Contemporains au Grand-Hornu. La galerie Aline Vidal présente une exposition solo de ses photographies lors de la foire Paris Photo au Grand Palais à Paris. Retrospective solo exhibition at the MAC’s, Museum of Contemporary Arts at Grand-Hornu. The Aline Vidal gallery is presenting a solo exhibition of his photographs during the Foire de Paris for Photography at the Grand Palais in Paris. 2018 Participe à l’exposition itinérante « De(s) rives » sur l’île de SaintLouis à Paris à l’initiative d’Aline Vidal. Took part in the traveling exhibition "De(s) rives" on the island of Saint-Louis in Paris at the initiative of Aline Vidal.
2005 Inspiré par la lumière et les espaces des tableaux hollandais du XVIIe siècle (Emmanuel de Witte, Vermeer, Saenredam), il entame la série De porte en porte dans laquelle il montre les volumes de pièces en enfilade : Sujet de l’image précédente, Va-et-vient… Ce travail fait l’objet d’une exposition à la Galerie Aline Vidal à Paris et est montré au salon Paris Photo, la même année.
2019 Commissariat de l’exposition « As seen » à Kanal-Pompidou Bruxelles portant sur un choix de photographies d’architectures des années trente issues du CIVA. Exposition personnelle à la galerie Alice Mogadgab à Bruxelles. Expose en duo avec Stéphane Tidet à Paris-Photo, Galerie Aline Vidal.
Inspired by the light and spaces in 17th-century Dutch paintings [Emmanuel de Witte, Vermeer and Saenredam], he began working on the Door to Door series, in which the presented volumes of adjoining rooms, including Sujet de l’image précédente and Va-et-vient. This work was exhibited at Galerie Aline Vidal in Paris and at the Paris Photo salon.
Solo exhibition at Galerie Alice Mogadgab, Brussels.
2006 Exposition personnelle à l’Hôtel des Arts de Toulon. Le catalogue accompagnant l’exposition comporte des textes de Gilles Altieri (commissaire), Michel Baudson, Jean-Marc Huitorel. Solo exhibition at the Hôtel des Arts in Toulon. The accompanying catalogue included texts by Gilles Altieri [curator], Michel Baudson and Jean-Marc Huitorel. 2011 Antoine de Galbert, fondateur de la Maison Rouge, lui passe commande d’une œuvre pour sa collection : Le Campanile écarlate. L’œuvre est montrée dans la Galerie Aline Vidal lors de l’exposition "Photos récentes" qui comprend les photos de la série consacrée au Bois des Moutiers de Varengeville et Les Archives improbables. Antoine de Galbert, founder of the Maison Rouge, commissioned a work by Philippe De Gobert for his collection. 164
Curated the exhibition « As seen » at Kanal-Pompidou Brussels on a selection of photographs of architecture of the 30s from CIVA’s collection. Two-person exhibition at Paris-Photo, Galerie Aline Vidal in Paris with Stéphane Tidet 2021 Exposition personnelle au MuMa au Havre, Philippe De Gobert. Du merveilleux en architecture au conte photographique. Solo exhibition at the MuMa, Le Havre.
Photographie de plateau. Jean-Marie Châtelier, 2021
165
166
167
168
Philippe De Gobert poursuit au Havre ce travail singulier et polymorphe qui le caractérise, entre architecture, sculpture, construction de maquettes et photographie. Mettant le monde en miniature et le reconstruisant de toutes pièces, il esquisse de la ville rebâtie par Auguste Perret un portrait plein de poésie, une sorte de double troublant de vraisemblance et réinvente l’histoire de sa renaissance. En préambule à ce « conte photographique », Philippe De Gobert nous invite à partager sa vision du « merveilleux en architecture » : « une approche ludique et poétique de l’architecture, avec ses maladresses et ses erreurs, concoctée avec sérieux par un artiste, sans la rigueur qu’y aurait appliquée un scientifique ou un historien de l’art. »
24 €
OCTOPUS éditions
COUV IMPO GRAPHIUS DEGOBERT.indd 1
10/05/2021 10:35