« L’homme-plume » « Je suis un homme-plume. Je sens par elle, à cause d’elle, par rapport à elle et beaucoup plus avec elle. » Flaubert à Louise Colet - 31 janvier 1852
Louise Colet est prévenue : son amant n’est pas un homme comme les autres. Il est écrivain, et rien d’autre. Il se définit tout entier par l’instrument de son écriture : une plume. Ce n’est pas seulement un outil, mais une manière d’être au monde et aux autres. Ses sensations et ses sentiments passent par là : c’est en écrivant qu’il vit véritablement. Il se tient assis dans son large fauteuil, devant une table ronde dominée par un Bouddha doré, immobile comme lui, entouré de livres, dans la pièce qu’il occupe au premier étage de la grande maison, avec vue sur la Seine. Quarante mètres carrés pour lui tout seul. Grâce à une aquarelle peinte par le jeune Georges Rochegrosse, futur illustrateur de Salammbô, on peut se représenter ce cabinet de travail. Des animaux familiers peuplent l’univers de l’artiste : l’encrier en forme de grenouille, les peaux de bête au sol, les monstres de La Tentation de saint Antoine représentés sur la gravure de Callot accrochée au mur, un lévrier couché au pied du divan qui doit dresser l’oreille quand le maître passe ses phrases à l’épreuve du « gueuloir ». Grâce aux rentes assurées par les biens de sa famille, et après ses crises nerveuses qui le dispensent d’une fonction sociale, le fils cadet peut se consacrer entièrement à la littérature, 10 heures par jour et 365 jours par an. Certes, il a vécu comme un autre, il a voyagé, il a aimé, il est « monté » à Paris, mais sa vraie vie s’est passée entre la lampe et le papier : une « vie si plate et tranquille, où les phrases sont des aventures et où je ne cueille d’autres fleurs que des métaphores » (lettre à Élisa Schlésinger, 14 janvier 1857).