La révolution dans le roman Madame Bovary « L’apparition de Madame Bovary fut une Révolution dans les lettres » : Maupassant résume ainsi la rupture provoquée par le premier livre publié de Flaubert. Le sous-titre « Mœurs de province » le place pourtant dans la continuité de Balzac. Mais le lecteur perçoit tout de suite sa radicale nouveauté. Après le « Nous » initial, le narrateur n’intervient plus pour juger les personnages. L’histoire est racontée de leur point de vue, celui d’Emma surtout, sans qu’on puisse s’identifier à elle, en raison d’une voix ironique qui la met à distance. On ne sait si Flaubert a vraiment dit « Madame Bovary, c’est moi ! » Rien ne laisse deviner une telle complicité avec l’héroïne. Consommatrice d’images romantiques, elle rêve d’une vie sublime dans un milieu médiocre : la force du roman provient de cette tension entre la banalité d’une histoire, inspirée par un fait divers réel, et la densité de la prose travaillée comme un poème. Flaubert invente sa méthode définitive de travail : plusieurs mois d’élaboration des plans et scénarios précèdent cinq ans de lente avancée dans la « mécanique compliquée » des phrases. Son exigence de perfection explique les 4 500 pages de brouillon. En bousculant les conventions romanesques, l’auteur s’en prend aux valeurs sociales de la morale et de la religion. Il sait qu’il va choquer le lecteur, et surtout la lectrice, mais il est loin d’imaginer que son œuvre va subir la censure de ses premiers éditeurs à la Revue de Paris, avant de comparaître devant un tribunal correctionnel. Le scandale rend Flaubert célèbre du jour au lendemain. Le succès ne s’est jamais démenti, de son vivant et jusqu’à aujourd’hui. Madame Bovary est l’un des romans français les plus lus, traduits, illustrés et adaptés au cinéma et à la télévision. Comble de la consécration : il est passé dans le langage courant en devenant un nom commun, le bovarysme.