Le Havre44 Nouveauxregards
Vue aérienne du Havre, 1951. Campagne du Ministère de la reconstruction, travaux topographiques. AMH, fonds Tournant, 47Fi1081. Vue prise du Sud vers le Nord. On distingue les bassins du Roi et du Commerce, à droite la cité provisoire du quai Georges V, à sa gauche les premiers immeubles reconstruits. À l’extrémité du bassin du Commerce, le Monument aux morts œuvre du sculpteur Pierre-Marie Poisson, inauguré par Léon Meyer le 3 août 1924, resté intact malgré les bombardements.
Le Havre 44 Dans le quartier Notre-Dame. Cliché William Beaufils dit Will. BMLH Ph Will TIRA 0245. OCTOPUS éditions Nouveauxregards
Louise Campbell, professeur émérite, université de Warwick, Coventry. Spécialiste de l’architecture de la fin du xixe et du xxe siècle, elle étudie plus particulièrement l’interrelation de l’art et de l’architecture à l’époque moderne, en particulier l’architecture britannique moderne, l’art public de l’après-guerre et les ateliers et studios d’artistes. Elle publie sur ce dernier sujet Studio Lives : architect, art and artist in 20 th Century Britain (Lund Humphries 2019). En 2004-8 elle dirige un projet de recherche sur le thème « The life and work of Sir Basil Spence 1907-76 : architecture, tradition and modernity » qui conduit à l’exposition du centenaire de Spence Retour vers le futur : Basil Spence 1907-76. Cette recherche trouve son origine dans son exposition traitant la conception de la cathédrale de Coventry : To Build a Cathedral, 1987-University’s Mead Gallery et sa monographie Coventry Cathedral (1996). Elle a écrit un essai sur l’atelier d’Orpen dans le catalogue exposition de la Watts Gallery William Orpen : Method and Mastery (2019), et a travaillé avec le Leamington Museum & Art Gallery, en 2021 sur une exposition intitulée Modern Mercia : post-war art and design in Coventry and Warwickshire 1945-1970 traitant de la génération d’artistes et de designers travaillant dans le Midlands après la Seconde Guerre mondiale. Françoise Gasté, diplômée en littérature, philosophie et musique, elle se spécialise dans l’architecture de la reconstruction et s’intéresse plus particulièrement à la personnalité de son architecte en chef Auguste Perret. Parmi ses publications l’on peut citer : Marguerite Huré, des ateliers d’art sacré à l’abstraction géométrique, revue 2017 & plus, 2011, n° 1, p. 75 ; Raymond Audigier et l’église Saint Joseph du Havre : chronologie d’un chantier sous tension, revue 2017 & plus, 2015, n° 9, p. 88 ; Marc Devade, la couleur Écho des lumières, revue 2017 & plus, 2019, n° 15, p. 6. Sébastien Haule, , ingénieur d’études en sciences de l’information géographique au CNRS, UMR 8504 Géographie-cités. Historien de formation avec une expertise en matière de recherche et d’intégration de données géographiques non-conventionnelles - notamment géo-historiques (cartes anciennes, photographies aériennes), il conduit en marge de son activité professionnelle des travaux sur la Seconde Guerre mondiale et l’occupation, notamment au Havre et dans sa région, avec un intérêt particulier pour l’histoire des systèmes de défenses, militaires ou civils. Il a assuré le commissariat scientifique de différentes expositions dont : Le Havre 1942 : le mur de l’Atlantique (juin 2012, comme membre de l’association Mémoire et Patrimoine Le Havre 1939-1945), Le port du Havre en 1944 (novembre 2014, en collaboration avec Patrick Bertrand) et L’abri de vedettes rapides du Havre : histoire et légendes 1944-1971 (septembre 2015). Il a participé à de nombreuses journées d’études ou colloques dont : Les enjeux de l’histoire des bombardements du Havre. Atelier de recherche du projet Normandie 44, Université du Havre, 2016. Parmi ses publications l’on peut citer : « La digue Sud, monument du patrimoine maritime havrais », revue 2017 & plus, 2011, n° 2, pp. 99-117 ; « L’organisation de la Défense Passive au Havre (1929-1944) », in : J. Barzman, C. Bouillot, A. Knapp, Bombardements 1944. Le Havre, Normandie, France, Europe, Rouen, PURH, 2016, pp. 204-208. Et plus récemment, en collaboration avec Ben Muller et Dirk Peeters : Beaks & Beaches, German coastal defence 1941-1942, Middelburg (Pays-Bas), autoédition, 2022, 220. Andrew Knapp, docteur en sciences politiques, professeur émérite d’histoire contemporaine de la France à l’Université de Reading (Angleterre). Ses recherches ont porté sur la politique des partis sous la Ve République puis sur l’histoire contemporaine française de la Seconde Guerre mondiale et aprèsguerre avec un axe sur Le Havre. Depuis plusieurs années, il contribue à mettre en lumière la réalité des bombardements du Havre. Sa thèse Revolutionaries or technocrats ? Communists and town planning in Le Havre, 1965-1980 est déposée aux archives municipales du Havre. Parmi ses publications l’on peut citer : Le Gaullisme après de Gaulle (Seuil, 1996) ; Les Français sous les bombes alliées (Tallandier, 2014) ; en collaboration avec John Barzman et Corinne Bouillot, Bombardements 1944 : Le Havre, Normandie, France, Europe (Rouen : PURH, 2016) ; Charles de Gaulle (Routledge, 2020). Il a contribué à de nombreux documentaires recouvrant ses thématiques d’études, dont Nantes sous les bombes alliées (Aber Images, 2012) ; La France sous les bombes alliées (Phares et Balises, 2014) et Après le chaos, série documentaire de Barbara Necek et Quentin Domart (2022).
Auteurs4
Laurence Le Cieux, conservatrice en chef du Patrimoine. Après une carrière en musée où elle assure le commissariat de nombreuses expositions d’art accompagnées pour la plupart de catalogue, elle prend en charge, à sa création, la direction de la Valorisation du patrimoine culturel de la ville du Havre. Elle y est rédactrice en chef d’une nouvelle revue 2017 & plus qui donne à découvrir des aspects méconnus de l’histoire et de la culture havraises. En 2014 et 2019, elle organise différentes manifestations portant sur la mémoire des bombardements de septembre 1944 au Havre. Elle rédige actuellement le catalogue raisonné de l’œuvre du peintre Henri Hayden (1883-1970) dont elle gère les droits d’auteurs et les droits patrimoniaux. Stéphane Lobruto, historien et enseignant. Ses recherches portent sur la société du Havre et de sa région plus particulièrement durant la Seconde Guerre mondiale : La défense passive à Rouen, 1929-1944 (2002), La vie à Montivilliers sous l’occupation (2016). Son travail actuel porte sur Le dénombrement des victimes civiles au Havre, vaste et délicat sujet.
Claude Malon, docteur en histoire, ses recherches portent sur le négoce havrais dans tous ses aspects avec comme première publication une biographie consacrée à Jules Le Cesne, député du Havre - 1818-1878 (Bertout, 1995). S’en suivent la publication de sa thèse sur Le Havre colonial, 1880 à 1960 (Presses universitaires de Rouen et de Caen, 2006), puis en 2012 Occupation, épuration, reconstruction. Le monde de l’entreprise au Havre (1940-1950) aux presses universitaires de Rouen et du Havre. Des ouvrages collectifs et nombreux articles enrichissent cette bibliographie : La plus grande France introuvable (Cahiers de sociologie économique et culturelle, 2009), et dans le cadre de l’enquête du Groupement de recherche n° 2539, CNRS 2002-2009, ayant pour objet les entreprises françaises sous l’Occupation : L’épuration des instances économiques en Seine-Inférieure (Rennes, 2008), Gens du café en temps de guerre (Tours, 2009), Les entrepreneurs du coton colonial (Bordeaux, 2010), La sortie de guerre du textile normand, 1944-1957 (Metz, 2011), L’Histoire du Havre, Privat, 2017.
Corinne Bouillot, docteure en histoire contemporaine, maîtresse de conférences en études germaniques à l’Université de Rouen, membre de l’équipe interdisciplinaire sur les aires culturelles (ERIAC). Ses recherches portent sur l’Allemagne de l’après Seconde Guerre mondiale, en particulier sur les mémoires et politiques mémorielles en Allemagne, les rapprochements franco-allemands et les représentations, en France et en Allemagne, des destructions et des reconstructions. Elle a dirigé l’ouvrage comparatiste La reconstruction en Basse-Saxe après la seconde guerre mondiale. Histoire, mémoires et patrimoines de deux régions européennes (PURH, 2013) et codirigé Bombardements 1944. Le Havre, Normandie, France, Europe (PUHR, 2016). Plus récemment elle a réorienté ses recherches sur la Shoah à l’échelle régionale et elle contribue notamment au projet de Dictionnaire des victimes du nazisme en Normandie.
John Barzman, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Le Havre Normandie. Il a été co-coordonnateur de l’Institut de recherche en sciences humaines IDÉES - Le Havre 6 266 CNRS, UMR. Ses recherches portent sur les mouvements sociaux élargis à la région havraise - tout particulièrement au métier de docker, à l’évolution des sociétés portuaires, à la mémoire de la Seconde Guerre mondiale et à la reconstruction. Il a publié ou participé à la publication de nombreux ouvrages notamment Mémoire des cités (Falaises, 2005) ; avec Corinne Bouillot et Andrew Knapp, Bombardements 44 : Le Havre, Normandie, France, Europe (PURH, 2016), L’Histoire du Havre, Privat, 2017. Ses articles et contributions à de nombreux colloques ou journées d’étude font l’objet, pour la plupart, d’une diffusion en ligne. Pierre Beaumont, directeur des Archives municipales du Havre, conservateur du patrimoine. La valorisation du patrimoine, en particulier celui de la Reconstruction, et de l’histoire urbaine du Havre mais également les faits sociaux et événements marquants de la ville constituent des sujets de prédilection pour un service aux ressources diverses amené à travailler sur de nombreux projets en partenariat avec les autres acteurs culturels locaux. Commissaire d’une exposition patrimoniale d’importance portée par les Archives 1517. Le Havre, un rêve de la Renaissance dans le cadre des 500 ans de la Ville en 2017, Pierre Beaumont a participé à plusieurs publications (revue 2017 & +, Cahiers havrais de Recherche historique). Soutenant la conservation et la mise à disposition des fonds d’archives à la recherche, Pierre Beaumont a intégré le groupe de travail sur la Seconde Guerre mondiale de l’Université du Havre en rappelant l’importance de la question mémorielle des victimes civiles havraises des bombardements.
Les victimes civiles havraises : enjeux historiques et mémoriels par Pierre Beaumont
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Les paradoxes de la libération du Havre : ses enjeux économiques et politiques par Claude Malon Mémoires des bombardements alliés : comparaisons franco-allemandes par Corinne Bouillot
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L’église Saint-Joseph du Havre : œuvre testamentaire d’Auguste Perret par Françoise Gasté
Préface d’Édouard Philippe, Maire du Havre, Président Le Havre Seine Métropole Chaque guerre apporte son lot d’héroïsme… par Laurence Le Cieux
Entre confusion et dissimulation : déconstruire les mythes liés aux bombardements et à la Libération du Havre par John Barzman
Les enjeux
Bombardementsmémorielsdeseptembre 1944 et Libération du Havre 8
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Le phénix et la cité : Nation, cathédrale et urbanisme à Coventry par Louise Campbell
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Une opération complexe : le dénombrement des victimes civiles Havraises par Stéphane Lobruto
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La dernière ville normande libérée : Le Havre dernière étape de la bataille de Normandie par Andrew Knapp
5 Sommaire •
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La Défense Passive du Havre face aux évènements de septembre 1944 par Sébastien Haule
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Le Havre, la ville reconstruite et le port de croisière.
La méthode historique s’impose pour faire le partage entre les faits et les mythes en tentant de surmonter les obstacles mémoriels. Comparer la libération du Havre avec celle d’autres villes françaises aide aussi à mesurer la spécificité de notre histoire.
Pour autant, le besoin d’étudier cette période tragique de l’histoire n’a pas décru. Longtemps, l’incompréhension a prévalu, après le traumatisme. Des mémoires éclatées, parfois contradictoires, se sont exprimées. Aujourd’hui, les témoins deviennent rares. Au-delà des commémorations, nous devons donc continuer à acquérir et à transmettre des connaissances factuelles et actualisées pour comprendre les logiques et les motivations des différentes parties.
Cet ouvrage pose ainsi des briques utiles qui contribuent aux progrès de la recherche et au renouvellement du regard que nous portons sur la Seconde Guerre mondiale.
7 Préface
À l’occasion du 75e anniversaire de la libération de la ville du Havre, nous avons souhaité organiser une journée d’étude internationale sur Le Havre dans la Bataille de Normandie. Elle s’est tenue le 7 septembre 2019 et nous sommes heureux que les actes soient rassemblés dans cet ouvrage richement illustré de documents d’archives.
Point névralgique du mur de l’Atlantique, subissant les bombardements aériens alliés depuis le début de l’Occupation, Le Havre n’est pourtant pas visé par le Débarquement du 6 juin 1944. Les fortes défenses nazies incitèrent les Alliés à contourner ce port maritime de dimension internationale qui offrait, grâce à la vallée de la Seine, une voie d’accès majeure vers l’intérieur du territoire. Le Havre fut la dernière ville normande libérée, après avoir payé un lourd tribut à la guerre. Les journées de bombardement qui détruisirent la ville se sont à jamais inscrites dans la mémoire des Françaises et des Français. Le Havre s’est ensuite reconstruit. L’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2005 a redonné aux Havraises et aux Havrais la fierté de vivre dans cette grande cité portuaire tournée vers le large.
Édouard Philippe Maire du PrésidentHavreLeHavre Seine Métropole
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Chaque guerre apporte son lot d’héroïsme mais aussi de destructions, de traîtrise, de souffrances et de morts souvent inutiles. Le temps efface peu à peu les détails de ces instants fratricides ; seuls demeurent les faits saillants qui, dénués de leurs appendices, deviennent caricaturaux.
La Seconde Guerre mondiale, et plus particuliè rement les bombardements meurtriers des 5 au 11 septembre, a marqué la population havraise ; frappés par la mort, la souffrance et les destructions, les habitants n’ont pu se réjouir de la libération de leur ville. La nécessité pour les Alliés de s’emparer au plus vite de l’atout maître que représentait le port en eau profonde, puis de le mettre rapidement en service afin de ravitailler les troupes en marche vers la libération du nord de l’Europe, et pour les Havrais celle de survivre et reconstruire leur cité n’ont pas laissé le temps au deuil et à la réflexion sur les événements.
La journée d’études organisée par la ville du Havre, le 7 septembre 2019, à l’occasion du soixante-quinzième anniversaire de sa libération,
d’héroïsmeapporteChaqueguerresonlot
Au contraire, la violence des bombardements qui ont rayé de la carte la presque totalité du centre historique et ont fait plus de 2 000 victimes en une semaine a généré un tel traumatisme que leurs causes ont suscité dans la population havraise une forme d’incrédulité.
Laurence Le Cieux, conservatrice en chef du Patrimoine
Il en découle, plus de sept décennies après les faits, l’utilité d’une mise en perspective. Depuis quelques années, l’université du Havre et les chercheurs analysent avec le recul nécessaire les événements et leur réception, reconsidérés dans le contexte plus large du débarquement allié sur les côtes normandes. De même, la reconnais sance mémorielle est elle prise en compte et repla cée dans le champ des victimes européennes des bombardements de la Seconde Guerre mondiale.
9 a permis de clarifier de nombreux aspects de cette période encore laissés dans l’ombre et de dénoncer certains des faux arguments diffusés depuis la Libération. Cela a également été l’occa sion de parler plus amplement des victimes civiles et de l’enjeu mémoriel qui leur est lié.
C’est dire si cet ouvrage, tout en faisant progresser le débat sur les événements sans doute les plus traumatisants des cinq siècles de l’histoire de cette ville, ne va sûrement pas le clore.
Cet ouvrage partage le contenu de ces interven tions et nous permet de découvrir des documents inédits qui éclairent d’un jour nouveau l’histoire des bombardements du Havre et leurs consé quences. C’est ainsi qu’Andrew Knapp démontre que la douloureuse libération du Havre s’inscrit dans une étroite continuité avec la campagne militaire menée depuis le 6 juin 1944, et consti tue à ce titre la dernière étape de la bataille de Normandie. Sébastien Haule met la lumière sur la défense passive, aspect méconnu de la guerre des civils, et sur les préparations très en amont qui ont abouti aux efforts, considérables mais insuffisants, des équipes au moment des bombar dements. John Barzman et Claude Malon, chacun à sa façon, décortiquent et déconstruisent les mythes et les paradoxes liés aux bombardements, qu’il s’agisse des visées alliées sur le port, du comportement de la mairie Courant et de l’occu pant allemand, du rôle des entreprises havraises dans la guerre et dans la reconstruction, ou alors des retombées des bombardements sur la vie politique locale. Françoise Gasté souligne la place centrale et dramatique de l’église Saint-Joseph à la fois dans la mémoire des bombardements et dans la conception urbanistique d’Auguste Perret. Corinne Bouillot et Louise Campbell, elles, apportent une perspective internationale en commentant le rôle symbolique d’un autre édifice religieux reconstruit, la cathédrale de Coventry en Angleterre (Campbell), ou en comparant les traces mémorielles liées aux bombardements en France et en Allemagne (Bouillot).
Enfin, Stéphane Lobruto et Pierre Beaumont se penchent sur un problème de base de l’histoire des bombardements qui n’a toujours pas été résolu : le chiffrage précis du nombre des victimes.
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Cette distinction, malgré l’étonnement qu’elle suscita auprès des Havrais, les rendit rapidement fiers de leur appartenance et fut peut-être, dans l’inconscient collectif, jugée comme une légitime reconnaissance de la douleur injuste qui leur avait été infligée lors des bombardements des 5 au 11 septembre 1944.
Les recherches actuelles permettent d’approcher la réalité des faits de façon plus rigoureuse et d’éclairer quelques zones de l’histoire restées dans l’ombre. Certaines sont restituées dans les textes qui suivent.
Le centre reconstruit du Havre fut inscrit sur la liste des sites du patrimoine mondial de l’UNESCO par décision du 15 juillet 2005.
La Seconde Guerre mondiale au Havre entraîna les mêmes affres, duplicités, complicités que dans beaucoup d’autres villes ; cependant les conditions de sa Libération et le peu de cas laissé à la douleur qui s’en suivit restent un traumatisme qui n’a pas encore été abordé par tous avec résilience.
DEBOMBARDEMENTS11SEPTEMBRE1944ETLIBÉRATIONDUHAVRE
De nombreuses questions demeurent aujourd’hui encore sans réponse ou bien ont fait l’objet de récupération, d’aucuns cherchant après-guerre à tourner l’histoire à leur avantage.
12 Positions des troupes alliées au Nord de la France, au début de la journée du 5 septembre 1944. The National Archives of the United Kingdom, WO 205/1100, 21st Army Group, Overlord Daily Maps.
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Andrew Knapp
La dernière ville normande libérée Le Havre, dernière étape de la Bataille de Normandie1
«
Effectuer la prise de Rouen et du Havre vers J +90 avec l’objectif de nous emparer du port du Havre ». Voilà le but fixé dès mars 1944 par la section d’études du 21st Army Group, l’ensemble des forces britanniques qui doit débarquer en Normandie2. Et, en effet, le 4 septembre, le 1er Corps d’armée britannique se trouve devant les défenses allemandes érigées autour de la ville de François Ier, soit très précisément quatre-vingt-dix jours après le débarquement. Le programme, dirait-on, a été réalisé jusqu’au dernier détail. Il n’en est rien. Les combats se déroulent non pas selon le rythme régulier prévu en mars, mais en dents de scie. Pénible consolidation autour des plages du débarquement d’abord ; puis percée américaine en direction de Cherbourg, libérée le 27 juin ; puis, de nouveau, piétinement devant Saint-Lô (pour les Américains) et Caen (pour les Britanniques). Le 25 juillet (J +49), les forces alliées traînent toujours sur leurs positions avec un mois de retard. Ensuite, l’opération Cobra permet la percée (américaine) d’Avranches, tandis que les Britanniques brisent enfin le verrou de Caen. Ensemble, ils ratent de peu l’encerclement de l’ennemi dans la poche de Falaise entre le 16 et le 21 août, et engagent une coursepoursuite d’une rapidité inouïe vers la Seine et au-delà. À J +79 (le 24 août), les forces alliées se trouvent, dans l’ensemble, à la ligne prévue pour J +903. C’est que Le Havre, au bout de la pointe du pays de Caux, a été très largement contourné dès début septembre. Sa libération est donc la dernière étape de la bataille de Normandie au sens propre du terme : Le Havre est la dernière ville normande à être libérée. Rouen, largement endommagée par les lourds bombardements du printemps, a été délivrée le 30 août, Neufchâtel-en-Bray le 31, Dieppe et Saint-Valery-en-Caux le 1er septembre, Fécamp et Le Tréport le 2, auxquels s’ajoutent… Lille et Bruxelles le 3, et Anvers le 4.
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Le colonel Eberhard Wildermuth, commandant allemand de la Festung du Havre, nommé le 13 août 1944. in Wilhelm Kohlhaas, Eberhard Wildermuth. Ein aufrechter Bürger, Bonn, Domus-Verlag, 1960.
Contrairement à celle de Caen, la prise du Havre ne sert donc pas à débloquer la situation militaire, puisque le front très mobile se situe désormais au nord du pays et au-delà. Aurait-on été tenté de laisser la cité océane comme « poche » à ne prendre qu’à la fin des hostilités, à l’instar de ports comme Dunkerque ou Lorient ? Non, car il s’agit du port de haute mer le plus proche du front, dont la profondeur des bassins permet l’accueil de grands navires. S’en emparer au plus vite pour assurer le ravitaillement des armées alliées et remporter une victoire rapide et complète contre l’Allemagne nazie qui semble à portée de main, voilà le but des forces de libération en ce début septembre4. En fait, la victoire attendra encore huit mois, pendant lesquels près de 1,13 million de tonnes de munitions, près de 74 000 véhicules de toutes sortes et environ 1 million de militaires sont débarquées par le port du Havre remis en état tant bien que mal5 . Laisser Le Havre en « poche » non libérée aurait donc privé la victoire alliée d’un appui logistique considérable.
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Bundesarchiv, Bild 101-I-360-2093-15. Au pied du feu d’entrée du port, la Kriegsmarine a installé à l’automne 1942 deux canons de 9,4 cm Vickers d’origine anglaise, récupérées après juin 1940.
Défense de la façade maritime contre une invasion alliée : Le Havre, digue Sud, 1943.
Les bombardements en appui des troupes terrestres Comme d’autres ports français, Le Havre est classé « Forteresse » (Festung) sur ordre de Hitler. Certes, le colonel Eberhard Wildermuth, commandant allemand de la place, nommé le 13 août, dispose de moyens assez restreints : un peu moins de 12 000 hommes, mélange de plusieurs unités dont peut-être une sur cinq dispose d’une expérience et d’une combativité optimales ; une cinquantaine de canons, dont une trentaine de gros calibre, ainsi qu’une trentaine de canons antichars pour un front terrestre de 25 kilomètres. Il reste que Wildermuth est bien résolu à tenir le plus longtemps possible, selon les ordres du Führer, et qu’il emploie le peu de jours dont il dispose à souder ses hommes, à améliorer de son mieux les défenses de la Festung et à détruire les équipements portuaires havrais pour retarder leur utilisation par les alliés6.
Dans la logique guerrière des forces alliées en cet été 1944, la prise rapide d’une ville défendue s’effectue avec l’appui de l’aviation. Formés pour la plupart pendant la Première Guerre mondiale, les généraux ont la hantise de lancer leurs fantassins, voire leurs blindés, dans des attaques suicidaires contre les positions ennemies truffées de mitrailleuses et de canons antichars. L’aviation, dont la supériorité anglo-américaine est écrasante, représente une alternative apparemment facile en rendant possible l’équivalent d’un bombardement d’artillerie ultra-rapide. En effet, un seul quadrimoteur Lancaster, avec une capacité de 6,35 tonnes de bombes, peut lâcher en quelques instants l’équivalent de 560 obus lancés par la pièce d’artillerie terrestre britannique la plus utilisée. Et ce sont évidemment les Lancaster et autres gros appareils (Halifax britanniques, B17 « Forteresse » et B24 « Liberator » américains) qui offrent le meilleur rendement quantitatif.
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Une escadrille d’Avro Lancasters britanniques et leurs équipages. 14-2794.
The National Archives/AIR
Ceci explique l’utilisation régulière des bombardiers lourds en appui direct aux forces terrestres tout au long de la bataille de Normandie, aboutissant en fin de parcours aux terribles bombardements du Havre des 5 au 11 septembre 1944. Outre les bombardements massifs des vingt-quatre heures précédant le débarquement du 6 juin, on peut citer neuf exemples de ce type, concernant entre une centaine et un millier de bombardiers lourds : le 7 juin, contre la forêt de Cerisy ; le 14, contre Aunay-sur-Odon et Evrecy ; le 30, contre Villers-Bocage ; puis l’appui aux deux offensives britanniques pour prendre Caen et ses environs, Charnwood (7 au 9 juillet) et Goodwood (18 au 21 juillet) ; Cobra, offensive américaine près de Saint-Lô (25 au 29 juillet) ; Bluecoat, offensive britannique vers Vire (30 juillet-3 août) ; enfin Totalise et Tractable, les deux opérations anglocanadiennes pour prendre Falaise entre le 8 et le 16 août7. L’opération Astonia contre la Festung du Havre est donc en étroite continuité avec les précédentes.
Bimoteur De Havilland Mosquito.
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Lehttps://fr.m.wikipedia.org.bimoteurDeHavilland
Mosquito, rapide et agile, servait lors des bombardements du Havre comme d’autres villes à baliser la cible avant l’arrivée de la force principale de quadrimoteurs Lancaster et Halifax. Le bilan de ces bombardements est pourtant mitigé, pour quatre raisons essentielles. En premier lieu, les forces ennemies ne se trouvent pas toujours là où on le croit : c’est ainsi qu’Aunay-sur-Odon est anéantie sans le moindre bénéfice militaire8. Deuxièmement, l’inévitable imprécision des tirs des appareils lourds fait que trop souvent leurs projectiles tombent non pas sur l’objectif, mais sur des civils, voire (dans les cas de Cobra, Totalise et Tractable) sur des troupes alliées. Troisièmement, il arrive que les cratères laissés par de tels bombardements fassent obstacle à la progression des forces alliées 9. Enfin, des positions retranchées font preuve de remarquables capacités protectrices, les troupes ennemies en ressortant, une fois passé le choc du bombardement, prêtes au combat10. Fin août 1944, ces écueils sont bien connus des alliés. Ils ne concluent pas pourtant à l’inefficacité de la méthode, car dans certains cas elle semble avoir malgré tout réussi. C’est notamment le cas du bombardement préliminaire à Cobra, opération qui aboutit à la fameuse percée d’Avranches11. La leçon qu’en tirent les stratèges alliés, c’est qu’il faut plus de précision, une meilleure coordination entre armée de l’air et forces terrestres, et surtout une exploitation rapide du choc initial de l’attaque permettant à ces dernières de dominer leurs adversaires12. Leçon pleinement retenue par le lieutenant-général John Crocker, commandant du 1er Corps d’armée britannique chargé de la prise du Havre13.
18 John Crocker, de Caen au Havre C’est en la personne de John Crocker, homme intègre, profondément croyant, taciturne – tout le contraire d’un flamboyant Patton ou Montgomery, avides de gloire14 – que s’établit un troisième lien entre la libération du Havre et les combats en Basse-Normandie. À la tête de quatre divisions et d’une brigade britannique, il se voit attribuer l’un des objectifs les plus difficiles du débarquement : la prise de Caen. Prévue pour le soir même du jour J, elle n’a lieu que le 9 juillet (soit J +33) pour la rive gauche, le 19 pour la rive droite. Si Crocker a piétiné, ce n’est guère sa faute. D’une part, les Allemands font de Caen une véritable plaque tournante de leurs effectifs en Normandie. D’autre part, Crocker n’a pas la maîtrise de l’intervention aérienne coordonnée par Montgomery ; pendant Charnwood, celle-ci a lieu beaucoup trop tôt, permettant aux forces ennemies de retrouver leurs esprits avant l’assaut terrestre lancé sept heures plus tard15 . Il n’est pas surprenant que, devant Le Havre, Crocker, avec ses deux divisions (une écossaise, une anglaise) outre artillerie et blindés, soit bien résolu à faire mieux, en liaison directe avec la Royal Air Force (RAF). D’autant plus que la directive de Montgomery du 26 août prévoit la prise de la ville et du port rapidement, et avec le strict minimum de forces nécessaires, car « l’essentiel de notre affaire se trouve plus au nord16 ». L’entrée laborieuse des troupes britanniques dans Caen, 9 juillet 1944.
dday-overlord.com
En fait, Crocker espère une victoire sans combat17. Lors d’une rencontre entre officiers britanniques et allemands, au lieu-dit le Mont-Cabert, au sud du plateau de Caucriauville, le soir du 3 septembre, Wildermuth est invité par écrit à livrer la ville, sans quoi les Britanniques procéderont à des bombardements de grande envergure. Le commandant allemand, bien que conscient que l’Allemagne a perdu la guerre18, est résolu à interdire le port aux alliés et à immobiliser un maximum de leurs troupes le plus longtemps possible. Il refuse la proposition de son adversaire tout en formulant la sienne : un délai de deux jours pour évacuer les civils19.
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C’est au tour de Crocker de dire non, pour des raisons qu’il explique dans des lettres à sa famille. « C’était une décision plutôt désagréable à prendre, mais j’ai dû refuser. Tout d’abord, j’estimais (et je le lui ai dit) que le salut de la population civile était entre ses mains [les mains de Wildermuth]. Si vraiment il se faisait du souci pour leur sort, il n’avait qu’à se rendre au lieu de persister dans une défense inutile. Ensuite, il était tout à son avantage de s’en débarrasser. Il n’y aurait plus de bouches inutiles, tous les vivres nourriraient désormais sa garnison. Plus d’éléments patriotes français qui risquaient de lui poser problème. Plus d’agents sur place pour aider nos troupes, et un gain de temps pour lui. » Et Crocker de décrire son adversaire comme « très têtu »20. Raisonnement compréhensible pour un général pressé après trois mois de combat, mais décision néanmoins plus que discutable, car l’absence de la moitié de ses fantassins (la 51e division des Highlanders écossais participe à la libération de Saint-Valery-en-Caux) impose de toute façon un ou deux jours d’attente à Crocker, sans compter la météo qui retarde encore l’assaut. De plus – bien que Crocker ne soit pas forcément en mesure de le savoir –, le ravitaillement n’a jamais été un souci majeur pour Wildermuth, qui estime disposer de suffisamment de vivres, y compris pour la population civile, pour durer quarante jours. Enfin, la Résistance, selon lui, n’a pu provoquer que « quelques incidents »21. Mais la décision de Crocker a pour résultat de lier inextricablement le sort des quelques 40 000 Havrais restés sur place à celui de leur ville.
Le Lieutenant-Général John Crocker, commandant du premier coprs d’armée britannique, août 1944. Imperial War Museum, photograph TR 2168.
Le Petit Havre du 5 septembre 1944. invite la population à trouver un abri contre les attaques britanniques imminentes. Lettre du Lieutenant général Crocker à son épouse, 7 sept.1944. Crocker (coll. privée, Grande Bretagne).
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Une autre décision de Crocker sera également lourde de conséquences pour les Havrais. Ayant déclaré, lors d’une réunion de planification du 3 septembre, qu’il cherche, dans un premier temps, à « créer du bruit et de la confusion plutôt que d’effectuer la destruction majeure des bâtiments de la ville », il donne au Bomber Command de la RAF des références cartographiques correspondant au centre-ville du Havre, puis Aplemont, Frileuse, le tunnel Jenner, Graville, afin de programmer les bombardements des 5 et 6 septembre22. Ce choix des cibles aboutit à un résultat directement inverse aux buts déclarés par Crocker. Les 3 385 tonnes de bombes larguées ces jours-là éventrent la ville et tuent 1 436 Havrais, soit près des trois quarts des victimes civiles de septembre23. Autant d’éléments qui contredisent la lettre de Crocker à sa femme, dans laquelle il déclare : « On bombarde systématiquement les lieux à l’heure actuelle, avec tout le soin que je peux prendre pour éviter les quartiers de la ville où sont concentrés la plupart des civils24 » Aucun avantage militaire significatif ne résulte de ces attaques préliminaires, les troupes allemandes s’étant déjà placées, pour l’essentiel, hors du centre-ville. Le « point d’orgue » des bombardements a lieu le 10, où un millier d’appareils de la RAF lancent près de 5 000 tonnes de bombes sur les positions ennemies à la périphérie de la ville (ainsi que sur Fontaine-la-Mallet, totalement anéantie) : une attaque si puissante qu’elle est entendue par les Londoniens à 225 kilomètres25 .
Ces bombardements se révèlent bien plus utiles que les précédents. Retenant les leçons de Caen, l’assaut terrestre leur succède de très près, à 17 h 45, le 10 septembre. Rondement menée contre un ennemi désorienté par les bombes et quasiment sans réseau de communication, cette attaque aboutit à la reddition de Wildermuth, blessé, le 12, vers midi, et à la cessation définitive des combats en fin d’après-midi. Parmi les combattants, la bataille a coûté 388 soldats britanniques (tués, blessés ou portés disparus) et un nombre comparable de soldats allemands ; quelque 11 300 hommes, la quasi-totalité de la garnison allemande, sont faits prisonniers26. « Nous venons de conclure une bataille très réussie en un temps record, écrira Crocker à sa femme. Tout s’est déroulé avec une précision d’horloge ». Astonia sera d’ailleurs étudiée, en tant qu’opération exemplaire, à l’école de guerre britannique après 1945. Avec, cependant, un bémol : les 1 536 morts et 517 disparus déclarés, ainsi que 650 blessés parmi les civils, et une ville détruite, officiellement, à 82 %27. Lorsqu’il écrit à sa femme le soir du 12, Crocker ne semble pas avoir pris la mesure de la catastrophe qu’il a déclenchée :
« Je suis descendu au Havre cet après-midi, avec l’intention de rendre visite au sous-préfet et au maire, de m’assurer que tout était entre les mains des autorités civiles, et de voir s’ils avaient besoin d’aide. On m’a enrôlé pour déposer une gerbe sur le monument aux morts de la ville. Les autorités étaient extrêmement reconnaissantes pour leur libération rapide, mais bien naturellement un peu assommées par ce qu’elles avaient vécu. Malheureusement, certains quartiers de la ville ont été tristement amochés et on déplore bon nombre de morts et de blessés civils. Mais c’était, hélas ! inévitable et elles [les autorités] se rendaient bien compte que cela faisait partie du prix à payer. » Et d’ajouter, comme pour se justifier : « Le commandant allemand était un Boche typique – un voyou dur et brutal. Il a refusé de se rendre28. »
Carte des zones bombardées entre le 5 et le 10 Septembre 1944 réalisée par le Bombing Analysis Unit britannique, chargé d’évaluer l’effet des bombardements sur les défenses allemandes de la Festung Le Havre. The National Archives UK, AIR 37-1263. Hormis les principales batteries allemandes, les zones cibles (Target area), les points de mire associés (Aiming point) et les concentrations de bombes (Bomb concentration) sont indiqués sur la carte.
23
« Le Havre (France). Concentration de troupes. 2e vague du bombardement de jour du 5 septembre, 1944, montrant les destructions provoquées par la première vague et la concentration de bombes quelque 20 minutes plus tard. Groupes nos. 1, 3 et 8 de bombardiers. »
The National Archives UK, AIR14-3676. « Le Havre (France). Concentration de troupes. 1re vague du bombardement de jour du 5 septembre, 1944, montrant les fusées de balisage qui tombent à 18 h 08 et la concentration de bombes 18 h 42½. Groupes nos. 1, 3 et 8 de bombardiers. »
24 Deux photographies aériennes (marquées « Confidentielles ») prises pendant le bombardement du 5 septembre 1944.
Dans ses Mémoires, en revanche, il tente à la fois de critiquer l’armée de terre pour lui avoir fait croire qu’il ne restait plus de civils dans les quartiers havrais à bombarder, et d’accorder tout ou presque du crédit pour la prise rapide de la ville au Bomber Command31. La seule vraie protestation provient d’un jeune capitaine britannique (et dramaturge dans le civil), William Douglas Home, qui, le 8 septembre, refuse de servir dans l’armée en quelque affectation que ce soit.
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Par la suite, il publie dans la presse britannique les raisons de son insoumission, ce qui lui vaut d’être condamné par une cour martiale à un an de travaux forcés. Malgré plusieurs tentatives, il ne fut jamais gracié. Le point de vue de Home est cependant très minoritaire : « Parfaitement inutile d’attaquer ce trou pourri, écrit-il à ses parents à propos du Havre. Ce n’est que pour permettre à un politicien quelconque de déclarer que toute la France a été libérée »32. Son attitude est en outre sous-tendue par une opposition globale à la guerre contre l’Allemagne nazie33. À toutes fins pratiques, donc, le jugement de Crocker sur Des soldats écossais du 51e Highland Regiment se rejoignent aux Havrais lors d’une cérémonie autour du monument aux morts, au soir de la Libération, 12 septembre 1944.
D’autres officiers britanniques ont pris, un temps, une attitude moins sereine que Crocker concernant le sort du Havre. Le chef des armées britanniques lui-même, Sir Alan Brooke, semble avoir été « plutôt horrifié » par les bombardements, suffisamment pour demander un rapport à son adjoint. Celui-ci, rapidement préparé, chiffre les morts et blessés civils – correctement – à entre 1 500 et 3 000. Mais aucune suite n’y est donnée29. Le chef du Bomber Command de la RAF, l’Air Chief Marshal Sir Arthur Harris, tente par la suite d’éviter de nouveaux bombardements à risque pour les civils (alliés, s’entend), par exemple à Vlissingen30.
Cliché William Beaufils, dit Will, BMLH Ph. Will TIRA 0089.
26 Entre bombardements et reconstruction, le centre du Havre déblayé, vers 1948. AMH, 31Fi2547. On y voit les du Commercebassinsetdu Roi ; les restes du Muséum et l’église Notre-Dame. Plus près de la mer se trouvent de service.Normandlesduimmeublesbaraquements,nombreuxquelquesduquartierPerrey,ainsique chantiersAugustin-encoreen
Il reste qu’aucune ville française n’a payé plus cher que Le Havre sa délivrance. Avec sans doute des souffrances supplémentaires liées à un sentiment d’abandon.
28 le bombardement et la prise du Havre reste, sinon incontesté, au moins dominant du côté britannique.
Entre 1940 et 1945, les alliés ont largué plus de 500 000 tonnes de projectiles sur l’Hexagone, provoquant la mort d’au moins 57 000 civils34. Les trois-quarts des bombes sont tombés entre mars et août 1944 ; près des deux-tiers des victimes ont trouvé la mort pendant la même période35 . Des 17 villes françaises de plus de 100 000 habitants en 1939, 15 sont officiellement classées sinistrées, c’est-à-dire avec un taux de destruction d’au moins 30 % 36. Caen perd près de 2 000 de ses habitants au cours de six semaines en pleine zone de combat ; plus de 1 800 Marseillais meurent au cours d’une seule attaque, le 27 mai 1944.
La fin du calvaire de Caen est connue du monde entier grâce à l’abondance des correspondants de guerre sur place. Mais le 12 septembre, la majorité d’entre eux sont déjà en Belgique, laissant à un reporter de l’agence Reuters le soin d’envoyer une dépêche annonçant la prise du port d’un point de vue exclusivement militaire37. La bataille de Normandie s’achève bien avec la libération du Havre, mais le sort de la ville et de ses civils n’a pas eu le retentissement que leur sacrifice méritait. Vue aérienne, 1957. La ville Perret prend forme. Cliché Louis Lecroisey, AMH, fonds Tournant, 47Fi1162. À noter deux « trous » dans le centre-ville : les futures Halles Centrales, s’ouvrirontquiaux années 1960, et l’emplacement du Théâtre détruit, où sera inauguré le « Volcan », en 1982. La reconstruction est ainsi achevée 38 ans après les bombardements.
Le Havre est loin d’être la seule ville française à souffrir sous les bombes.
Une version plus ample de ce papier se trouve dans John Barzman, Corinne Bouillot et Andrew Knapp (dir.), Bombardements 1944. Le Havre, Normandie, France, Europe, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2016, sous le titre « Des bombardements sur les champs de bataille normands : du débarquement au siège du Havre », p. 139-190.
5 Archives municipales, ville du Havre (AMH), H4/15/5, Charles A. Olsen, « History of the US Navy in Le Havre, France » ; R. Ruppenthal, The European Theater of Operations, op. cit., p. 124. 6 TNA, CAB 146/473, « Special Interrogation Report, Colonel Eberhard Wildermuth », 12 janvier 1946, p. 2-5 ; Wilhelm Kohlhaas, Eberhard Wildermuth. Ein aufrechter Bürger, Bonn, Domus-Verlag, 1960, p. 116-117.
33 Tim Luckhurst, « The playwright who dramatised his own war record : a reassessment of William Douglas-Home’s accounts of his refusal to fight for the liberation of Le Havre », in Contemporary British History, 30 (3), 2016, p. 389-406. 34 Andrew Knapp, Les Français sous les bombes alliées, Paris, Tallandier, 2014, p. 16-25. 35 Andrew Knapp, « Une arme nouvelle au centre de la guerre. Les bombardements dans la stratégie des alliés », in John Barzman, Corinne Bouillot et Andrew Knapp (eds.), Bombardements 1944, op. cit., p. 75-92, ici p. 90 ; Andrew Knapp, « Des bombardements sur les champs de bataille normands : du débarquement au siège du Havre », in ibid., p. 139-190, ici p. 142. 36 Danièle Voldman, La Reconstruc tion des villes françaises de 1940 à 1954 : histoire d’une politique, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 33-35. 37 Evening Standard, 12 septembre 1944 ; The Manchester Guardian, 13 septembre 1944.
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7 Ian Gooderson, Air Power at the Battlefront : Allied Close Air Support in Europe, 1943-1945, Londres, Frank Cass, 1998, p. 129-139.
18 Voir les confidences qu’il fait (sur écoute) une fois prisonnier à Trent Park, en Angleterre, où il qualifie l’échec du complot de juillet comme ayant évacué « notre dernière chance pour sortir de cette guerre ». TNA, WO 208/4164, CSDIC (UK), SRX 2035, « Wildermuth », 28 octobre 1944. 19 TNA, CAB 146/473, « Interrogation Wildermuth », p. 7, 11. 20 John Crocker papers (fonds privé). John Crocker à George Crocker, 7 septembre 1944. L’auteur est très reconnaissant à M. John Bingham, petit-fils de John Crocker, pour l’autorisation de publier des extraits de ces lettres.
8 TNA, FO371/49203, lettre du maire d’Aunay-sur-Odon à l’ambassadeur britannique à Paris, 19 mars 1945. 9 Antony Beevor, D-Day : The Battle for Normandy, Londres, Penguin, 2009, p. 429, 442 ; TNA, AIR 37/564, « Minutes of Allied Air Commanders’ Conference », 24 août 1944 ; AIR 14/861, « Report on errors in bombing ». 10 Ian Gooderson, Air Power at the Battlefront, op. cit., p. 240. 11 Ibid., p. 139, 159. 12 TNA, AIR 37/1033, « Use of heavy bombers in a tactical role », rapport du 30 août 1944.
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The National Archives of the United Kingdom (TNA), WO 223/64, « Operation Astonia, The Capture of Le Havre, 10-12 September 1944 », p. 1. 3 Roland G. Ruppenthal, The European Theater of Operations. Logistical Support of the Armies, vol. II, September 1944-May 1945, Washington DC, Center of Military History, United States Army, 1995 (1re édition 1959). Consulté le 15 septembre 2015. pdf,books/007/7-3-1/CMH_Pub_7-3-1.http://www.history.army.mil/html/URL :p.17,38,98.
Le 1er Corps d’armée britannique constitue la moitié de la 1re Armée canadienne, sous le commandement du général (canadien) Harry Crerar. Mais aucun soldat canadien n’a participé à Astonia. 14 Douglas Delaney, Corps Commanders : Five British and Canadian Generals at War, 1939-1945, Vancouver et Toronto, UBC Press, 2011, p. 123, 127. 15 Douglas Delaney, Corps Commanders : …, op. cit., p. 141, 148. 16 TNA, WO205/5G, « 21st Army Group. General Operational Situation and Directive », 26 août 1944. 17 TNA, AIR 51/324, « Operation “Astonia”, Preliminary Conference, Headquarters One Corps 1430 », 3 septembre 1944.
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Pour l’optimisme des commandants britanniques, voir WO 205/5G, « 21 Army Group, General Operational Situation and Directive », 26 août 1944, où Montgomery affirme que l’ennemi « n’est pas en condition de se battre contre nous », et le journal intime de Sir Alan Brooke, chef des armées britanniques, en date du 28 août, où il estime que « les Allemands ne peuvent plus durer longtemps » (Field Marshal Lord Alanbrooke, War Diaries, 1939-1945, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 2001, p. 585).
21 TNA, CAB 146/473, « Interrogation Wildermuth », p. 7. 22 TNA, AIR 51/324, « Operation “Astonia”, Preliminary Conference, Headquarters One Corps 1430 », 3 septembre 1944. 23 Pour les morts des 5 et 6 septembre, voir M. Dandel, G. Duboc, A. Kitts et E. Lapersonne, Les victimes civiles des bombardements en Haute-Normandie, 1er janvier 1944 – 12 septembre 1944, Caen, CRHQ-RED, La Mandragore, 1997, p. 77-79. 24 John Crocker papers, John Crocker à Hilda Crocker, 7 septembre 1944. 25 The Daily Express, 11 septembre 1944. Pour les bombes, voir TNA, AIR 22/340, « War Room Monthly Summary Including Bombs Dropped », septembre 1944. 26 TNA, WO 231/29, « Operation Astonia », p. 26 ; Douglas Delaney, Corps Commanders : …, op. cit., p. 167. 27 AMH, H4/14 avril, bilans des 18 janvier et 16 février 1945. Le chiffre de 82 % concerne surtout la commune du Havre, où certains quartiers restent pourtant quasiment indemnes.
28 John Crocker papers, John Crocker à Hilda Crocker, 12 septembre 1944. 29 TNA, WO233/29, « Bombing of Le Havre ». 30 TNA, AIR37/1034, « Telephone message for Air Chief Marshal Tedder from Air Vice Marshal Saunby [sic], RAF Bomber Command », 29 octobre 1944. 31 Sir Arthur Harris, Bomber Offensive, Londres, Collins, 1947, p. 238, 269. 32 William Douglas Home, Sins of Commission, Salisbury, Michael Russell, 1985, p. 60.
31 Sébastien Haule La Défense Passive du Havre face aux événements de septembre 1944
Le 7 août 1944, Pierre Courant, maire du Havre, adresse à Georges Moreau, préfet par intérim, une réponse à deux circulaires relatives à la coordination des services de secours aux populations, datées des 15 et 24 juillet. Le maire rappelle que les bombardements successifs qui ont touché la ville depuis quatre années ont conduit la municipalité à organiser des évacuations de populations à diverses reprises et à coordonner toutes les forces de la ville pour parer aux conséquences de ces attaques. Et il précise : « […] dès la fin de 1942, nous avions mis au point un système qui a été encore amélioré en 1943 et qui a été résumé dans un certain nombre de petites brochures […]. Tant au point de vue des évacuations que de la Défense Passive ou des divers services de protection, nous avons prévu la plupart des éventualités1 » .
Si ces « petites brochures » nous permettent de saisir l’évolution des mesures mises en œuvre pour assurer la protection de la population du Havre et de son agglomération, des archives récemment découvertes apportent des éléments nouveaux sur leur origine et le rôle des autorités allemandes dans la genèse du plan B de défense passive et son volet sanitaire. Ex supra, à travers le prisme de la Défense Passive, émerge la délicate question de la collaboration avec l’occupant et des liens avec les mouvements de résistance. Enfin, il faut s’interroger sur le fonctionnement opérationnel du plan B de défense passive, déclenché le 4 septembre 1944 lors du siège du camp retranché du Havre. Visite du général de Gaulle au Havre, 7 octobre 1944. Cliché William Beaufils dit Will. BM Le DevantHavre.la Passivelesdepréfecture,sous-legénéralGaullepasseenrevueéquipesdelaDéfensedelaville.
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Plan du Havre avec les secteurs définis par le plan d’organisation de la Défense Passive, août 1940. AD76, 32W Z92916. Chaque secteur dispose d’un poste de commandement et de secours : l’école maternelle rue Maurice Bouchor, le dispensaire brouardel et l’hospice général. Les postes de polices sont associés aux services de liaison des chefs des trois secteurs.
La Défense Passive du Havre est alors dirigée par Paul Messier (1891-1958), instituteur-adjoint au groupe scolaire de Frileuse, Joseph Scaron ayant probablement été écarté du fait de sa nationalité4 ; les formations sanitaires sont sous la responsabilité du Docteur Georges Profichet (1873-1964), président de la Commission administrative des hospices5 .
Organigramme fonctionnel de la Défense Passive du Havre, août 1940. AD76, 32W Z92916. Au lendemain des événements de juin 1940, la Défense Passive du Havre est réorganisée par Joseph Scaron (1895-1975) qui constitue un « comité de direction de la nouvelle organisation de la Défense Passive ». Cette organisation d’août 1940 est à la base du futur plan A.
La genèse des plans de Défense Passive du Havre et de son agglomération À l’été 1942, la Défense Passive du Havre fonctionne selon un modèle hérité de la réorganisation opérée en juillet-août 1940, sous l’égide de Joseph Scaron (1895-1975), nommé Directeur de la Défense Passive par Jean Risson, maire faisant fonction, sur recommandation d’Hermann Du Pasquier, sous-préfet par intérim2. Joseph Scaron, coureur automobile d’origine belge, et propriétaire du garage éponyme situé boulevard Foch, constitue un « Comité de Direction de la nouvelle organisation de la Défense Passive » afin de réorganiser celle-ci et définir son fonctionnement.
La Défense Passive du Havre s’appuie sur une division de la ville en trois secteurs (Nord, Sud et Ouest), avec chacun un poste de commandement et de secours, sa direction étant à l’Hôtel de ville3. Cette réorganisation, finalisée en septembre 1940, se fait avec l’accord et le contrôle des autorités allemandes.
Kreiskommandantur du Havre, datées du 20 avril et du 21 mai 1942, informant les maires de l’agglomération qu’ils auront à prendre d’urgence certaines dispositions en cas d’attaque ou d’événements militaires imminents.
33 À l’été 1942, la Défense Passive du Havre reste organisée selon trois secteurs dont les limites ont peu évolué, avec des effectifs limités et un matériel restreint6. Au 7 juillet 1942, son personnel comprend 1 directeur urbain, 3 chefs de secteurs, 3 sous-chefs de secteurs, 14 chefs de postes, 25 infirmiers et infirmières et 163 hommes7. Cette organisation correspond au plan A –c’est-à-dire à un plan d’organisation général destiné à faire face à des bombardements de moyenne gravité avec un nombre relativement restreint de Deuxvictimes.échelons
sont définis en fonction du nombre de victimes, en cas de bombardements intermittents ou en cas de bombardements plus importants. Au-delà, en cas de bombardements massifs avec un grand nombre de victimes ou lors d’opérations militaires sur la ville, un plan spécifique doit être mis en œuvre : le plan B de défense passive.
L’ordonnance allemande du 15 mai 1942 et la mise en place du volet sanitaire du plan B de défense passive de l’agglomération du Havre
La mise au point du plan B de défense passive est la conséquence de deux notes de la Kreiskommandantur du Havre, datées du 20 avril et du 21 mai 1942, informant les maires qu’ils auront à prendre d’urgence certaines dispositions dans le cas où l’agglomération viendrait à être isolée à la suite d’événements militaires10. Celle-ci serait considérée comme camp retranché suite à l’interdiction de toute communication avec l’extérieur sur ordre des autorités allemandes en cas d’attaque ou d’événements militaires imminents11
L’existence d’une ordonnance de la Kreiskommandantur datée du 15 mai 1942 concernant « le ravitaillement de la population et les précautions médicales » et ordonnant « l’établissement et l’organisation du corps médical sur le territoire de la ville du Havre et ses environs pour le cas où ils seraient le théâtre de combats militaires » apporte un éclairage complémentaire sur la genèse du plan B et son volet sanitaire. Celle-ci est citée par le Docteur Auguste Coty (1887-1950) dans un document, rédigé début juin 1942, intitulé « Organisation médico-chirurgicale de la ville du Havre et de ses environs », qui définit les bases de la future Annexe n° 1 au plan B de la Défense Passive12. Auguste Coty, récemment nommé Médecin Chef de la Défense Passive par le préfet régional, vraisemblablement au printemps 1942, rappelle en préambule de ce document qu’il s’agit « […] de mettre sur pied une organisation occasionnelle répondant dans la mesure du possible aux diverses éventualités pouvant se présenter du fait des événements militaires », qu’il précise de manière presque prophétique en s’appuyant sur l’ordonnance allemande en question : « Le Havre, brusquement attaqué, investi et rapidement privé d’eau, de gaz, d’électricité est intensément bombardé et n’a pu être évacué ; les communications interquartiers sont devenues précaires et intermittentes du fait des bombardements, des Couverture de la brochure Défense passive, plan B, datée du 31 octobre 1942. AD76, 32W deconséquenceauladesetdemoyensàConsistantZ92908.essentiellementunrenforcementdesdedéblaiementlorslarecherchedesvictimesàuneréorganisationservicessanitairesdeDéfensePassive,lamisepointduplanBestladedeuxnotesla
La construction de nouvelles installations sanitaires – notamment les abris chirurgicaux - a aussi pour origine une « note » des autorités d’occupation, très probablement l’ordonnance mentionnée par le Docteur Coty, comme l’atteste le compte rendu de la réunion hebdomadaire entre l’administration militaire allemande et les autorités havraises du 13 mai 1942. Sont réunis l’Oberkriegsverwaltungsrat Dr Emmer et le Sonderführer Rehkatsch de la Kreiskommandantur, le sous-préfet, le maire du Havre et le Docteur Profichet.
34 éboulements et sans doute du fait de l’interdiction de circuler, prescrite par le commandement »13. Cette nouvelle organisation médico-chirurgicale – loin d’être idéal selon le Docteur Coty – doit bouleverser celle en place jusqu’alors et nécessitera « […] le dévouement, l’ingéniosité et l’effort individuel de tous […] », ainsi que « […] la compréhension et l’aide de la Kommandantur »14.
L’organisation projetée est déterminée par la possibilité d’utiliser certains abris à des fins sanitaires, notamment les plus grands : ils « […] s’échelonnent à flanc de coteau selon un axe Est-Ouest qui divise l’agglomération havraise […] en deux parties de surface sensiblement égale »15 . La nouvelle organisation médicochirurgicale sur le terrain va être structurée par la géographie de l’agglomération du Havre : au niveau de la costière, les centres chirurgicaux et d’hospitalisation ; en ville basse et sur le plateau, des postes légers, dont des postes de secours avec permanence médicale au centre des zones densément peuplées.
Le Havre dispose alors de deux centres chirurgicaux : l’abri Mazeline, en activité depuis septembre 194016, dans l’enceinte des Forges et Chantiers de la Méditerranée, et le centre Polaire, rue Hélène Boucher, en cours d’aménagement17. Du fait de la petite capacité de ces deux centres, et de « […] l’absence […] de tout autre grand abri collectif », l’hospitalisation prolongée des blessées est prévue à l’Hospice Général et à la Maternité « […] sans autre protection que celle des toitures et celle plus précaire encore, hélas ! de la CroixRouge » 18.
Lors de cette réunion, les autorités allemandes préviennent le sous-préfet et le maire du Havre « […] qu’une note leur sera incessamment adressée ; cette note prévoit une attaque possible et la possibilité de combat dans la ville. Il convient de prendre dès à présent les mesures de précaution pour pouvoir soigner les civils qui pourraient être victimes de telles attaques notamment la création de centres chirurgicaux pour les premiers soins et de prévoir les médecins et chirurgiens qui pourraient être chargés de ces services. Également devront être envisagés des locaux parfaitement abrités où ces soins pourraient être donnés » 19. Faut-il voir là un « devoir d’humanité » de la part de l’occupant comme l’écrit le Docteur Coty ?
D’une part, les questions relatives à la défense passive sont une des prérogatives de l’administration militaire allemande en France : au niveau local, ces questions relèvent de la Kreiskommandantur, depuis le début de l’occupation20. Ensuite, ce type d’installations peut être réquisitionné par l’occupant pour ses propres besoins, comme pour le poste Polaire dès le 29 décembre 194221.
Léopold Abadie (1877-1959) à l’entrée d’une tranchéeabri constituée de plaques préfabriquées en béton, appelée aussi « abri de guerre », édifiée place saint-Vincent-de-Paul à l’automne 1939. AMH, Léopold31Fi2390.Abadie, adjoint chargé notamment des services de la Défense Passive, dont il est aussi le directeur à l’automne 1939, est un des artisans des plans de protection élaborés dans les années 1930. Bien que faisant partie des « adjoints fuyards » en juin 1940, il est confirmé dans son poste de conseiller municipal auprès de Jean Risson par arrêté du 9 mai 1941, poste qu’il conserve lorsque Pierre Courant est nommé maire par Vichy. Il sera maire du Havre entre 1954 et 1956. Vue aérienne de l'Hospice général, 6 octobre 1944.
Nouvellement nommé Médecin Chef de la Défense Passive du Havre par le préfet régional, il est à l’origine du volet sanitaire du plan B mis en place à l’aube de l’été 1942 à la demande des autorités allemandes.
Institut national de l’information géographique et forestière (IGN)Remonter le temps, mission IGNF PVA 1-0 1944-10 C1710-0351 1944 US25-84, cliché 3033. On distingue une croix rouge cerclée de blanc sur le toit du pavillon de chirurgie (devenu le pavillon mèreenfant, qui a été détruit en 2011), côté rue du Docteur Vigné. Il y a également deux croix sur la toiture Est du pavillon Maillard (à gauche de la chapelle). Des croix peintes sont aussi présentes sur la toiture du pavillon Potain (à droite de la chapelle).
35 Auguste Coty (1887-1950). (Dictionnaires biographiques, industriels et commerciaux –Département de la Seine-Inférieure, Rouen : Allain et fils éditeurs, 1928-1929, p. 79).
Médecin du bureau de bienfaisance depuis 1920, il exerce depuis 1927 comme médecin des chemins de fer de l’État et médecin de l’atelier de construction du Havre. Responsable des services sanitaires de la Défense Passive pour le secteur Sud en août 1940, il intervient auprès d’Émile Bézin pour la mise à disposition de l’abri Mazeline.
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Archives S. Haule. Érigé à la veille de la guerre, cet abri est destiné à l’origine au personnel des Forges et Chantiers de la Méditerranée, boulevard d’Harfleur. Il est mis à disposition des services sanitaires de la Défense Passive du Havre par son directeur, Émile Bézin, afin d’y aménager un poste de grande chirurgie opérationnel fin septembre 1940. Organisation médico-chirurgicale de la ville du Havre et de ses environs, juin 1942.
Enquête sur le coût de l’occupation allemande en matière de défense passive, 1944. AMH, FC, H4, carton 14, liasse 6.
Vue d’une des chambres aménagées dans l’abri Mazeline.
AD76, 32W ReproductionZ92902. de la première page du rapport rédigé par le Docteur Coty définissant les bases du volet sanitaire du futur plan B de défense passive.
Le centre chirurgical aménagé dans les caves de l’ancienne brasserie Polaire, rue Hélène-Boucher, est réquisitionné par les autorités allemandes le 29 décembre 1942, ce qui conduit la municipalité à aménager une installation similaire dans la même rue, non sans l’autorisation de l’occupant. Ces chantiers impliquent de nombreuses entreprises havraises comme Thireau-Morel, Albert Colboc, les établissements Maître ou encore la menuiserie Doré.
Ces quelques lignes extraites du préambule du projet d’organisation médicochirurgicale de juin 1942 sont symptomatiques de l’ambiguïté des rapports entre les autorités havraises et l’occupant. Elles conduisent à s’interroger sur le diptyque vichysme/collaboration à travers le prisme de la Défense Passive, en particulier au sein de ses cadres.
En nous prévenant des possibilités militaires, l’Armée allemande a accompli envers nous un devoir d’humanité dont nous devons lui savoir gré ; nous pensons donc que nous pouvons compter sur sa bonne volonté, et même sur son aide si elle nous est nécessaire, dans l’accomplissement de notre tâche. D’ailleurs, une inflexible loi de solidarité la lie à nous devant certains périls : tel l’épidémie. Cette aide, qui nous sera peut-être nécessaire pour mettre en place notre organisation nouvelle, sera absolument nécessaire pour en permettre le fonctionnement. Nous pensons donc qu’une compréhension mutuelle des nécessités et des obligations sera la base d’une coopération loyale pour une œuvre que son caractère place au-dessus des querelles humaines »22.
Le sous-préfet précise que, selon un renseignement confidentiel de Pierre Courant, « […] un nommé Gasrel, licencié du corps de la Défense Passive par M. Gillet comme militant communiste serait allé voir M. Rols, Directeur départemental du service de la Défense Passive »25 . Pierre Courant a en effet communiqué ce renseignement au sous-préfet dans une note, non datée mais jointe aux courriers du 13 décembre 1941, signée de sa main : « Je vous fais envoyer d’autre part une lettre concernant Gillet. D’après mes renseignements
Le 28 novembre 1941, le Général Serant23, représentant l’Amiral de la Flotte François Darlan, adresse un courrier au préfet au sujet de Léon Gillet qui « […] serait de nationalité belge ». Si le fait est confirmé, il est demandé au préfet, « […] sauf avis contraire et motivé […], d’envisager son remplacement par une personnalité française »24.
D’un point de vue hiérarchique, le Directeur urbain est un poste clef dans l’organisation fonctionnelle de la Défense Passive. Léon Gillet (1885-1970) occupe la fonction depuis le 14 novembre 1940. Belge et havrais d’adoption, il contracte un engagement dans la Défense Passive le 30 août 1939 et occupera successivement les postes de brancardier, de chef d’îlot et de chef de secteur avant d’être nommé Directeur urbain.
Défense Passive, vichysme et collaboration
«
Le 16 décembre 1941, le sous-préfet envoie au préfet deux lettres, datées du 13 décembre 1941, rédigées par le maire du Havre et Léopold Abadie « […] contenant des appréciations élogieuses sur M. Gillet […] ». Léopold Abadie le présente comme un chef étant pour son personnel un exemple constant, à la tête de ses unités à chaque alerte de jour comme de nuit. La lettre de Pierre Courant est tout autant élogieuse : « […] Il a montré des qualités tout à fait remarquables de chef et il tient parfaitement en mains ses hommes. » Et le maire du Havre de conclure : « […] Lui-même a fait beaucoup plus pour sa Patrie d’adoption que beaucoup de Français pour leur véritable Patrie ».
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Les agents de la Défense Passive du Havre photographiés dans la cour de l’École rue Jean Macé, où est installé le poste de secours du même nom. AD76, 32W Z92902. Léon Gillet, Directeur urbain de la Défense Passive du Havre, est au premier rang, tête nue. Les sept agents assis à ses côtés sont décorés de la Médaille d’honneur pour Actes de Courage et de Dévouement. Il s’agit probablement de ceux de la promotion mensuelle d’août 1943. Le cliché est dédicacé par Léon Gillet le 3 mars 1944 à Eugène Simoneau, sous-préfet du Havre en février-mars 1944.
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In fine, par dépêche du 5 janvier 1942, l’Amiral de la Flotte François Darlan avise le préfet de sa décision de maintenir Léon Gillet dans ses fonctions : il se voit attribuer par la même occasion l’insigne de deuxième classe de la Défense Passive. Il ne fait aucun doute que les interventions de Pierre Courant et de Léopold Abadie ont permis de maintenir Léon Gillet dans ses fonctions. Le destin d’Auguste Gasrel (1894-1942) est des plus dramatique. Arrêté le 22 octobre 1941, il est interné au Front Stalag 122 à Compiègne. Électricien à la Compagnie Électro-Mécanique à la veille de la guerre28, membre du parti communiste en 1936-1937, il était avant son internement Chef du Secteur Nord de la Défense Passive29. Dans la requête rédigée le 20 avril 1942 en vue d’obtenir sa libération, il indique n’avoir jamais appartenu au parti communiste et précise que son arrestation a été causée par une dénonciation mensongère de Léon Gillet pour une affaire d’abus de feuilles de tickets de pain. Il fera partie du convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », composé d’un millier d’otages communistes et d’une cinquantaine d’otages juifs30. Selon les archives du camp d’Auschwitz, Auguste Gasrel, enregistré sous le numéro 46325, déporté à Auschwitz I, est décédé le 1er octobre 194231. Bien qu’après-guerre son appartenance au parti communiste ait été confirmé32, son arrestation et sa déportation apparaissent liées à son renvoi de la Défense Passive - du fait de son appartenance politique - et à l’affaire autour du poste occupé par Léon Gillet impliquant les édiles havrais et les plus hautes instances du gouvernement de Vichy. Défense Passive et résistance Miroir de la société havraise, la Défense Passive compte parmi ses personnels des membres de mouvements de résistance. Les travaux récents de Brigitte Garin33 montrent que plusieurs membres du « Groupement de Résistance Générale », dirigé par Gérard Morpain, rebaptisé « L’Heure H » en février 1942, font partie de la Défense Passive du Havre34. Émile Schild (1891-1992) fait partie des personnels de la Défense Passive entrés en résistance. Cet ébéniste intègre la Défense Passive le 29 avril 1943. En août 1944, il est chef du poste Hélène Boucher35 . Rattaché au mouvement « Libé Nord », il crée en juillet 1944 un groupe de combat appelé « groupe DP » avec sous son commandement plusieurs membres de la Défense Passive avec lesquels il fait équipe36.
À la Libération, Émile Schild remplace Léon Gillet, relevé de ses fonctions à la demande du Comité Local de la Libération Nationale37. Révocation et nomination sont officiellement entérinées respectivement le 23 janvier et le 9 février 1945 par arrêtés du Commissariat Régional de la République, sur propositions du Directeur départemental de la Défense Passive, André Hébert. La révocation de Léon Gillet est motivée par le fait qu’au cours des derniers
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la question posée aurait été provoquée par une plainte de Gasrel licencié par lui comme militant communiste et qui avait été voir […] le conseiller Rolls. Cette affaire a pour moi un intérêt capital »26.
Termes qui résonnent étrangement à la lecture des actions d’Émile Schild et de son groupe : dans la nuit du 14 et 15 juin 1944, alors que la prison est touchée lors des bombardements visant le port, il aurait pénétré à l'intérieur de celle-ci, accompagné de trois équipiers résistants, sous le couvert de leur brassard DP, permettant ainsi aux détenus politiques de s’enfuir. Lors du siège, le 11 septembre 1944, le « groupe DP » effectue des patrouilles armées « […] avec des ambulances de la DP à partir du poste Hélène Boucher en direction de Graville ». Utilisation pour le moins surprenante des moyens de la Défense Passive alors que la ville a été lourdement bombardée et sa population durement touchée40
40 bombardements il a été « […] notoirement insuffisant […] », André Hébert précisant que lors de sa dernière inspection il a pu constater « […] que son maintien à ce poste entraînerait la démission à peu près totale des membres de la Défense Passive »38. Émile Schild est directement informé de sa nomination par André Hébert : « Chef d’abord occulte et au grand jour ensuite d’une organisation composée d’hommes ayant accepté volontairement de risquer leur existence pour le bien de tous, cette nomination en vous honorant, honore avec vous tous les membres de la Défense Passive du Havre et de son agglomération »39.
Le fonctionnement opérationnel du plan B lors du siège du Havre
L’organisation du volet sanitaire du plan B évolue au printemps 1944 comme l’atteste une note, envoyée aux maires et aux personnels concernés41, complétée par un cahier concernant l’affectation du personnel transmis par Léopold Abadie le 7 juin 194442. Émile Schild (1891-1992). SHD, GR 16P 539592. Ébéniste de profession, Émile Schild entre dans la Défense Passive du Havre le 29 avril 1943. En août 1944, il est chef du poste Hélène Boucher. Résistant, membre du mouvement « Libé Nord », il est à la tête d’un groupe de combat appelé « groupe DP » créé en juillet 1944. Nommé Directeur urbain de la Défense Passive du Havre à la Libération après le renvoi de Léon Gillet, il sera par la suite chargé des services de déminage.
La troisième tranche de travaux consiste à la construction de la galerie ouest du futur tunnel routier et son aménagement en bloc chirurgical et abri, in fine jamais réalisé du fait des réquisitions allemandes.
41 Plan de situation de l’abri souterrain de défense passive sous la côte Sainte-Marie, avril 1943. DDTM, STH, 1-8-10 dossier 2.
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Les modifications du volet sanitaire concernent les centres de secours et la répartition des personnels et s’expliquent en partie par la mise en service de l’abri-chirurgical du Bois Cody44, tout en tenant compte des réquisitions allemandes : hormis le poste Polaire, la réquisition d’une partie de l’abri-tunnel de la côte Sainte-Marie où un bloc chirurgical est prévu est mentionnée dans la même note.
Il s’agit de préciser les modalités de déclenchement du volet sanitaire, l’ordre de mise en œuvre ne pouvant être transmis par aucun avertissement sonore du fait d’une interdiction des autorités allemandes : les postes sanitaires des secteurs concernés par des opérations militaires ou touchés par des bombardements intensifs devront être mis en état d’alerte par les médecins et infirmières qui y sont affectés43.
Albert Choain, Ingénieur en Chef de la ville du Havre en charge du projet, informe le 13 avril 1944 le Docteur Coty qu’il sera impossible d’aménager le bloc chirurgical avant la fin du mois d’août, et que sans la réquisition du 12 mars 1944, celui-ci aurait pu fonctionner vers fin avril45 . Il ne sera jamais réalisé. À compter du 6 juin 1944, du fait des opérations de débarquement en baie de Seine, les autorités allemandes interdisent les signaux d’alerte, avec pour conséquence un état d’alerte permanent pour les services de défense passive du Havre et de son agglomération46. Les bombardements violents des 14 et 15 juin 1944 exécutés par le Bomber Command contre les navires et les installations de la Kriegsmarine du port du Havre entraînent l’élargissement du plan A avec un état d’alerte permanent pour les trois postes chirurgicaux principaux, jusqu’au déclenchement du plan B le 4 septembre 194447. Le fonctionnement opérationnel du plan B, et plus précisément celui des services sanitaires, nous est connu grâce au Docteur Pierre Mauger (1915-2000)48 Lors du siège du camp retranché du Havre, suite aux bombardements des 5 et 6 septembre 1944, les blessés sont transportés directement aux postes principaux ou secondaires, ou bien dans un poste de secours, où un triage est effectué en fonction de la gravité des blessures. À proximité des zones bombardées, les postes de secours traitent 30 à 50 blessés par jour, les cas les plus graves étant dirigés vers les postes chirurgicaux principaux49. Les postes chirurgicaux secondaires à Sainte-Adresse et à Sanvic jouent un rôle important, se substituant aux postes chirurgicaux principaux du fait de l’isolement de certains secteurs.
Alors que l’agglomération du Havre est assiégée, le préfet organise un plan de secours finalisé lors d’une conférence le 11 septembre 1944 en présence des chefs des services concernés, des représentants des œuvres de bienfaisance, et des Docteurs Dessaint et Petit, respectivement Président du Comité médicosocial de la Libération et Chef des équipes chirurgicales mobiles de Rouen. Les bombardements qui ont touché Le Havre et sa périphérie font en effet redouter à l’autorité préfectorale « […] la destruction des établissements hospitaliers, en même temps qu’un nombre important de blessés civils »50. Le dispositif s’articule autour d’une équipe chirurgicale dirigée par le Docteur Pruvot et détachée à Saint-Romain-de-Colbosc, prête à entrer au Havre, des équipes chirurgicales en provenance de Rouen, un centre chirurgical de deuxième urgence à Yvetot,
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Hospice général, 1945, vue de l’entrée principale, rue Gustave Flaubert, ornée d’une énorme croix rouge. Archives S. L’hospiceHaule.général est au cœur des dispositifs sanitaires de défense passive dès la veille de la guerre, mais ne dispose pas d’installations chirurgicales à l’abri des bombes et projectiles. Si au début de l’Occupation l’ancienne cave à cidre de l’établissement, dans le soussol du pavillon de chirurgie, est aménagée dans ce but, il faut attendre la livraison de l’abri chirurgical en août 1944 pour traiter les blessés lors des bombardements.
Plan de l’abri chirurgical de l’hospice général. AMH, Hop 099.
Les dates d’approbation des marchés confirment que la construction d’abris chirurgicaux n’est entreprise qu’à l’aube de l’année 1943 : que ce soit pour l’abri chirurgical de l’Hospice général ou pour celui du Bois Cody, les marchés respectifs ne sont approuvés que le 4 janvier 1943. Ces chantiers exécutés par l’entreprise Albert Colboc seront retardés du fait des pénuries de matériaux et du manque de main-d’œuvre.
45 avec une « auto-chir »51 envoyé de Paris, et enfin un centre chirurgical de 3e ligne installé par les hôpitaux de Rouen. Lorsque l’équipe du Docteur Pruvot arrive le 12 septembre au Havre, accompagnée de membres de la Croix-Rouge, 500 à 600 blessés sont hospitalisés ou en cours d’hospitalisation, une centaine de lits sont disponibles et les salles d’opérations sont en bon état. Il n’y a pas d’électricité et il y a besoin de pansements et de médicaments52. Le dispositif est partiellement levé dès le 13 septembre, ce qui témoigne de l’efficacité opérationnelle du plan B de défense passive et de son volet sanitaire. L’estimation faite par le Directeur Régional de la Santé et de l’Assistance pour la région de Rouen concorde par ailleurs avec les quelque 690 blessés examinés et traités selon le Docteur Mauger53. Au total, entre 1000 et 1200 blessés ont été soignés pendant le siège dans les différents postes des services sanitaires de la Défense Passive du Havre54. La Défense Passive, obstacle mémoriel ?
À l’aube de l’été 1942, les mesures de défense passive pour Le Havre et son agglomération sont renforcées à la demande des autorités allemandes. Cela s’est traduit par la mise en place d’une organisation évolutive – incluant les services sanitaires - en fonction de la situation militaire du camp retranché du Havre, y compris dans la perspective de bombardements lourds ou d’une guerre de siège.
Lors des événements dramatiques de septembre 1944, le plan B – qui englobe l’ensemble de l’agglomération – a permis de sauver de nombreuses vies alors que les bombardements faisaient de la ville une table rase.
Sans remettre en cause l’action de la municipalité dans la mise en place de ces dispositifs et la construction des abris chirurgicaux, il convient de souligner le rôle des autorités allemandes, gommé au lendemain de la Libération, avec l’écriture d’une histoire de la Défense Passive intégrée au souvenir-écran du bombardement du 5 septembre 1944, concept mis en avant par les recherches de l’historien Claude Malon55 : cette histoire – à l’écriture tronquée par la destruction des archives des services concernés lors des bombardements de septembre 1944 et instrumentalisée à des fins politiques au lendemain de la guerre – a participé à l’occultation au Havre de la période de l’occupation allemande et de l’administration vichyste. Réinvestir l’histoire de la Défense Passive du Havre, c’est s’interroger sur l’ambiguïté des rapports entre l’occupant et la municipalité dirigée par Jean Risson puis Pierre Courant et les édiles havrais impliqués. C’est aussi s’intéresser au rôle des mouvements de résistance auxquels certains membres des personnels de la Défense Passive appartenaient. In fine, à travers l’évolution de son organisation, le rôle et les actions des différents acteurs et son fonctionnement, l'étude de la Défense Passive du Havre et de son agglomération est bien plus une nouvelle grille de lecture qu’un obstacle mémoriel à la compréhension de l’histoire havraise entre 1939 et 1945. Abri-chirurgical, Hospice général, de nos jours l'Hôpital Flaubert, 12 août 2014. Salle auouvertseulseptembredesdea permischirurgicalBois-Codyl’abri-chirurgicalinstallation,aoûtOpérationnelledede l’abri-chirurgicald’opérationl’Hospicegénéral.en1944,cetteavecduetlecentreMazeline,detraiterprès700blesséslorsévénementsde1944.Ilestleouvragedecetypeponctuellementpublicdenosjours.
21 Il ne sera remplacé par un poste de secours dans les caves de l’ancien dépôt de bananes dans la même rue qu’en 1944, non sans autorisation allemande : « […] les caves où seront entrepris les travaux ont été mises à la disposition de la Défense Passive par les Autorités Allemandes, en conformation de la réquisition des sous-sols de l’ancienne Brasserie Polaire, situés dans la même rue et qui avaient été M.posteprécédemmentaménagésenabrisetdesecourschirurgical.le Kreiskommandant de la Ville du Havre a donné son avis favorable pour l’autorisation des travaux à effectuer, dès le mois de mai 1943 ». Ville du Havre, Service (ADSM,dossierdieenvisagésnotel’anciendementDéfensearchitecture,Passive,Aménaged’uncentrechirurgicalsecoursdanslescavesdedépôtdebananes,descriptivedestravauxsignéeparL.AbaetR.Garnier,pièced’undatédemars1944271W269).
1 Lettre de P. Courant au préfet de Seine-Inférieure (ADSM, 14W Z38862). Les brochures évoquées sont : Défense Passive, plan A (janvier 1944) ; Défense Passive, plan B (octobre 1942) ; Annexe n° 1 au plan B de la Défense Passive (avril 1943) ; Évacuation totale ou partielle de l’agglomération havraise (janvier 1943).
« Défense passive, nouvelle organisation », Le Petit Havre, 16 septembre 1940. 6 Ville du Havre, Défense passive, plan B, Le Havre, Imprimerie du journal Le Petit Havre, 1942, p. 1 (ADSM, 271W217). 7 Formations de la Défense Passive de la ville du Havre, note de L. Gillet au sous-préfet du Havre, 7 juillet 1942 (ADSM, 32W Z92894).
18 Ibid., p. 3. 6deaériennesdeGénéral,bâtimentssuravaientrougessymboliques,Protectionsdescroixsurfondblanceneffetétépeinteslatoituredeplusieursdel’Hospicedontlepavillonchirurgie.Voirlesvues3033et3034lamissionUS25-84,octobre1944.
13 Organisation médicochirurgicale de la ville du Havre et de ses environs, juin 1942, p. 1 (ADSM, 32W Z92902)
22 Organisation médicochirurgicale…, op.cit., pp.1-2 (ADSM 32W Z92902)
9 Ville du Havre, Défense Passive, plan A…, op. cit., p. 14. 10 Lettre de L. Abadie à A. Rols, 10ladépartementaldirecteurdeDéfensePassive,septembre1942 (ADSM 271W217). Léopold Abadie (1877-1959) est l’adjoint au maire du Havre chargé des questions de défense passive. 11 Sur le plan B de défense passive de l’agglomération du Havre, voir S. Haule, « L’organisation de la Défense Passive au Havre (1929-1944) », in : J. Barzman, C. Bouillot, A. Knapp, Bombardements 1944. Le Havre, Normandie, France, Europe, Rouen, PURH, 2016, pp. 204-208. 12 Lettre attribuée à P. Courant adressée au préfet régional, 18 juin 1942. Ce courrier de soutient fait suite à une demande des personnels du Service de Santé d’assurer leur rémunération et leur indemnisation au cas où, la ville du Havre étant isolée par des événements militaires, ses membres « seraient obligés de consacrer tout leur temps à leur service public » ou bien seraient « victimes de leur dévouement ». Cette lettre, copie non signée sur papier pelure, est accompagnée du projet
24 Lettre signée L.-E. Serant, pour l’Amiral de la flotte, ministre de la Défense Nationale, au préfet de la Seine-Inférieure, 28 novembre 1941 (ADSM, 32W Z92908).
25 Lettre du sous-préfet du Havre au préfet de Seine-Inférieure, 16 décembre 1941 (ADSM, 32W Z92908).
26 Note manuscrite signée P. Courant, non datée, sur papier à en-tête de la Mairie du Havre (ADSM, 32W Z92908).
30 GASREL Auguste, Ernest ; biographie en ligne consultée le 22 octobre 2021ernest/fr/2011/11/gasrel-auguste-politiques-auschwitz.https://deportes31 Auschwitz prisoners ; base de données en ligne, constituée à partir des archives des camps d’Auschwitz, consultée le 22 octobre 2021prisoners/org/en/museum/auschwitz-http://auschwitz.
8 Ville du Havre, Défense Passive, plan A, Le Havre, Imprimerie du Journal Le Petit Havre, 1944, 30 p. (BM Le Havre, R 2603).
2 Lettre du sous-préfet du Havre à J. Risson, 6 juillet 1940 (ADSM, 32W Z92909).
Défense Passive, procèsverbaux des réunions des 12 et 19 juillet 1940 et en annexes le détail de la nouvelle organisation, un organigramme et le plan des secteurs (ADSM, 32W Z92916).
Les préfets de la Seine-Inférieure, Rouen : imprimerie Lainé, 1946, p. 15 et pp. 64-66. Entre juin 1940 et septembre 1944, les fonctionnaires (préfets, sous-préfets, etc.) de l’autorité de fait, dite État français, ainsi que les maires et les membres des conseils municipaux sont nommés par le régime de Vichy.
28 AM Le Havre, 1RP128. 29 Renseignements sur Auguste Gasrel, note confidentielle du commissaire central au sous-préfet du Havre, 11 août 1942 (ADSM, 51W416).
32 Le 18 mars 1948, Edmond Parisse, secrétaire de la section Havre-Ville du Parti communiste français, certifie qu’A. Gasrel « […] appartenait au Parti Communiste avant 1939 et qu’il a continué à travailler au sein de notre parti jusqu’à son arrestation ». Selon son (SHD,tractsconsistérésistanted’homologation,dossierl’activitéd’A.Gasrelauraitàladiffusiondeanti-allemandsGR16P245215).
3
5
VoircréationRenéposterégionalétéPassivesanitairesCotyLa(ADSM,Chefvouslededemédico-chirurgicaled’organisationlavilleduHavreetsesenvirons,rédigéparDocteurCoty,«[…]queaveznomméMédecindelaDéfensePassive»32WZ92902).nominationd’AugusteàlatêtedesservicesdelaDéfenseduHavreadoncentérinéeparlepréfetdeNormandie,alorsoccupéparBouffet,depuissaenjuin1941.R.Eude,
27 Lettre du sous-préfet du Havre au maire du Havre, 19 janvier 1942 (ADSM, 32W Z92908).
34 Pierre François Morgand (1921-1945), participant en août 1940 à la réunion fondatrice du mouvement, est chef de poste à la Défense Passive ; Théodore
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20 Dans un courrier daté du 2 août 1940 adressé à J.E. Longuet, chef du bureau de l’Hygiène et Secrétaire de la Défense Passive, J. Scaron rend compte d’une « conversation » avec le Hauptmann Flechsel du bureau n° 4 de la Kommandantur sur différentes questions relatives à la défense passive (ADSM, 32W Z92916).
23 Léon-Eugène Serant (1884-1980), général de brigade, devient Directeur de la Défense Passive au secrétariat d’État à la guerre le 15 décembre 1940 SHD,consultéet7416-general-serant ;(http://atf40.1fr1.net/pagele17/08/2020 ;14YD1002).
4 Selon l’article 1er de la loi du 17 juillet 1940 concernant l’accès aux emplois dans les administrations publiques, « Nul ne peut être employé dans les administrations de l’État, des (ADSM,administrationsl’accèsduparmesuresnéoriginaire,nationalitépublicscommunesdépartements,etétablissementss’ilnepossèdelafrançaise,àtitrecommeétantdepèrefrançais.»Cesserontrenforcéesl’article1erdelaloi3avril1941relativeàauxemploisdanslespubliques51W418).
14 Ibid 15 Ibid., p. 2. 16 Pierre Mauger, Organisation et fonctionnement des services médico-chirurgicaux de la Défense Passive au Havre pendant les bombardements et pendant le siège (1940-1944), thèse de doctorat en médecine, Paris, Faculté de Médecine de Paris, 1945, p. 3. 17 Organisation médicochirurgicale…, op.cit., pp.2-3 (ADSM 32W Z92902).
19 Compte rendu de la réunion à la Kreiskommandantur du 13 mai 1942 (ADSM, 32W Z92886).
33 Garin Brigitte, Une famille normande dans la tourmente nazie. Vie et mort du réseau de résistance Salesman. Rouen – Le Havre – Dieppe – Dévillelès-Rouen – Les Andelys –Gisors…, Petit Caux : Wooz éditions, 2020, 464 p.
50 Rapport sur l’organisation des secours sanitaires pour la population du Havre à l’occasion du siège et de la libération du Havre par les Alliés (samedi 9 septembre au mercredi 13 septembre), par le Docteur Jean Cayla, Directeur Régional de la Santé et de l’Assistance pour la Région de Rouen, 13 septembre 1944 (ADSM, 271W220).
43 Ville du Havre, Défense Passive – Annexe n° 1 au Plan B (Service Sanitaire), note imprimée…, op.cit. (AM Harfleur, non coté).
46 Information reportée sur différents états des vacations dues au personnel de la Défense Passive d’Harfleur pour les mois de juin, juillet et août 1944 (AM Harfleur, H4 carton 2).
39 Lettre du àdedépartementalDirecteurlaDéfensePassiveÉ.Schild,20février 1945 (ADSM, 271W229).
47 Attestation de service de D. Lasmartres-Edde au sein du personnel sanitaire de la Défense Passive, signée L. Abadie, 16 novembre 1950 (AM Le Havre, FC H4 14bis, liasse 2). Voir aussi Pierre Mauger, « Organisation…, op.cit., p. 22.
48 Pierre Mauger est interne aux Hospices du Havre depuis le 21 février 1942.
Affectation du personnel – Se substitue aux pages…, op.cit (AMH, Sanvic, FC H4 6, liasse 2).
51 C’est-à-dire une ambulance chirurgicale automobile, dispositif dont le concept remonte à la première guerre mondiale.
52 Rapport sur l’organisation des secours…, op.cit. (ADSM, 271W220). 53 312 à l’Hospice Général, 196 à l’abri-chirurgical du Bois Cody et 183 au poste de grande chirurgie Mazeline. Voir P. Mauger, Organisation…, op. cit., p. 31. 54 Ibid., p. 34. 55 C. Malon, « (dir.),rechercheetBombardement-écrannouvellespistesde»,in :J.Barzman
Les enjeux de l’histoire des bombardements du Havre, résultats et nouvelles pistes, Le Havre, Université du Havre, 2016, p. 3.
38 Révocation du Directeur D.P. du Havre, lettre du Directeur départemental de la Défense Passive à l’Inspecteur régional de la Défense Passive, 21 novembre 1944 (ADSM, 271W229).
47 Baillard est membre de la Défense Passive et fait également partie du « Groupement de Résistance Générale », ibid., pp. 163-165 et 169.
40 Dossier 19PLibél’activitéconcernantdumouvementNord(SHD,GR76/21) ; SCHILD Émile Henri, menée14dupréciseGRd’homologationdossier(SHD,16P539592).É.Schildqu’ilest«chefposteDPKléber»lejuin1944lorsdel’actioncontrelaprison.
35 État du personnel de la Défense Passive du Havre, 25 août 1944 (ADSM, 32W Z92913) ; Ville du Havre, état du personnel de la Défense Passive, 7 août 1944 (ADSM, 271W229) ; SCHILD Émile Henri, dossier d’homologation (SHD, GR 16P 539592) ; il s’agit du poste de secours installé dans les caves de l’ancien dépôt de bananes. 36 Dossier 76/21) ;Libél’activitéconcernantdumouvementNord(SHD,GR19P État du personnel de la Défense Passive du Havre, 25 août 1944 (ADSM, 32W Z92913). Il s’agit de : H. Panel, chef de poste ; J. Morice, chef d’équipe ; P. Didiez, R. Fauvel, A. Jehl, A. Lachèvre et J. Varlet, agents D.P. ; et H. Vottier, conducteur auto 37 Vacations de M. Gillet, note de la étéfonctionsqu’ilencorelaquellenote,271W229).18ladépartementaleDirectiondeDéfensePassive,décembre1944(ADSM,D’aprèscettel’informationselonL.GilletperçoituntraitementalorsaétédémisdesesàlaLibérationatransmiseparÉ.Schild.
45 Ville du Havre, Travaux communaux, lettre de l’Ingénieur en Chef au Docteur Coty, 13 avril 1944 (AMH, Sanvic, FC H4 6, liasse 2).
41 Ville du Havre, Défense Passive – Annexe n° 1 au Plan B (Service Sanitaire), note imprimée signée par le Docteur Coty et L. Abadie, 6 mai 1944 (AM Harfleur, non coté).
42 Lettre de L. Abadie au maire de Sanvic, 7 juin 1944 et cahier Affectation du personnel – Se substitue aux pages 10 à 20 de l’Annexe n° 1 du Plan B (Service Sanitaire) (AM Le Havre, Sanvic, FC H4 6, liasse 2).
44 Cette répartition s’articule comme suit au 7 juin 1944 : Hôpital Général, poste de grande chirurgie Mazeline, hôpital-abri du Bois Cody, 2 postes de secours Mallet).ToussaintRouellesQuentin,SanvicSanvicd’Or,Mont-Joly,posteCaserneplaceÉcoleCharles-Augusteprimaire(George-Lafaurie,et(Sainte-Adresse,chirurgicauxBourse)16postesdesecoursÉcoledejeunesfillesrueMarande,Jean-Macé,Batadel’Hôteldeville,despompiers,Hélène-Boucher,Frileuse,ParcMairiedeGraville,IrueGaribaldi,IIruedeSaint-Bléville,Harfleur,etpropriétéàFontaine-la-Voirlecahier
49 Pierre Mauger, « Organisation…, op.cit., p. 23-24 ; 6 postes de secours auraient été détruits par les bombes ou par l’incendie.
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49 John Barzman Entre confusion et liésDéconstruiredissimulationlesmythesauxbombardements et à la Libération du Havre
L’exagération du nombre de victimes civiles des bombardements de septembre 1944 est devenue parfaitement évidente après le colloque de 2014.3
Les exagérations ont été constatées dans les témoignages oraux, de première main ou rapportés, le bouche-à-oreille associatif, les sites Internet, les discours officiels, les articles de journaux, les actualités télévisées, les films documentaires dont le principal est celui de Christian Zarifian, Table rase, réalisé en 1983, les romans historiques. Les confusions, volontaires ou involontaires, qui soustendaient les chiffres étaient issues initialement de la difficulté du décompte ; s’y ajouta le mélange des morts de toute la guerre et de ceux de septembre 1944, des morts civils et militaires, des morts au Havre même et des Havrais morts en d’autres lieux. Le nombre des victimes civiles avérées est aujourd’hui établi : un peu plus de 2000.
L’Hôtel de ville en ruine, septembre 1944. Cliché Marcel Maillard. AMH, 31Fi 848. Cette façade, exposée au sud, donnait sur le jardin du premier plan ouvert sur la rue de Paris. L’Hôtel de ville de Charles Louis Fortuné Brunet-Debaisne en 1932. AMH, 6Fi 806. Ce bâtiment inauguré en 1859 était appelé « le Petit Louvre ».
Nombre de morts
Huit remarques brèves1 pointent les confusions, mises hors champ, et reprises sélectives de certains épisodes qui ont longtemps troublé la mémoire des bombardements du Havre.2 Les trois premières sont universellement admises par les historiens.
La darse Ouest du bassin Bellot au 1er plan et au second plan le bassin de marée. Tous les hangars, les quais et les écluses ont été dynamités par les troupes d’occupation avant leur reddition, 1944. Photo GPMH.
50 Volonté britannique de détruire un port rival des ports anglais La deuxième rumeur qu’on peut définitivement classer comme fausse concerne les motivations du bombardement côté britannique. On a beaucoup affirmé, et l’argument est repris dans Table rase, que les Britanniques voulaient éliminer un grand port français capable de concurrencer les ports anglais. Or on sait aujourd’hui qu’au contraire, les plans alliés, britanniques autant qu’américains, espéraient récupérer le port dans le meilleur état possible alors que l’objectif allemand était de le détruire pour freiner l’avance alliée. Le raid aérien britannique du 14 au 16 juin 44 ne visait pas le port dans son ensemble, mais la base allemande de vedettes lance-torpilles située sur le môle central. La démolition et l’obstruction du port ont été méticuleusement mises en œuvre par les troupes de Wildermuth au cours de l’été 44. Quand on fait le bilan de toute la guerre, il faut évidemment ajouter aux dégâts de l’été 44 l’incendie volontaire des bacs à pétrole de la CIM par les forces françaises battant en retraite en juin 1940, les pillages allemands pendant l’occupation, et d’autres bombardements alliés. Mais il est erroné d’attribuer ces destructions à l’Opération Astonia.
51 Bassin de marée, août 1945. Cliché J. Jacquin. AMH, 31Fi2540. Dès la sal’arméepérennesréparationdégagementetdesauxprovisoiresinstallegrâcel’arméelibérationaméricaine,au16thPort,desquaisnécessairesdébarquementsLibertyshipentreprendleetladesstructuressabotéesparallemandeavantreddition.
52 5 6 1 2 8 3
Zone 7 : Point de transfert de munitions des Dukw vers les trains de marchandises, les hangars ou les camions de transport.
Zones 3 et 4 : Déchargement d’essence, d’huile et de lubrifiant conditionnés et d’autres marchandises des barges ou des allèges chargées depuis les grands navires dans la zone 5. Zone 5 : Mouillages opérationnels pour Liberty Ships et autres navires océaniques déchargés à l’aide de Dukw, barges et Landing Craft vers les zones 3, 4 et 7 et les hangars. Zone 6 : Poste d’amarrage pour caboteurs et charbonniers.
53 Port du Havrezones opérationnelles.
Zone 8 : Point de chargement des bombes d’avion des Dukw vers les trains de marchandises. Zone de déchargement des Liberty Ships et cargos depuis les postes d’amarrage du ponton Pier vers les camions de transport. Hangar aux cotons (Cotton warehouse) : Hangar de l’intendance (QM, Quartermaster) disposant d’importantes infrastructures routières pour les camions et le Dukw, et d’une desserte ferroviaire.
Hangars 11, 12 et 13 : Hangars utilisés par l’intendance, avec dessertes routières et ferroviaires, en particulier destinés au déchargement des wagons frigorifiques. Hormis ces informations, le plan situe les ponts et écluses détruits (lock gate & bridge blown, gate locks blown, bridge blown), les routes bloquées (road blocked by debris), les cratères de bombes (bomb craters) et les zones détruites (demolished areas).
4
Zone 1 : Opérations sur plage, débarquement de troupes et de véhicules depuis des LST, LCT et LCI. Zone 2 : même fonction que la zone 1, par temps calme seulement.
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Fonds 498, Transportation Corps, Vol V Historical Report Part I (Oct-Dec 1944), NARA, College Park. Utilisé par le 16e Major Port au 31 décembre 1944. Chaque zone (Area) a une fonction particulière.
On entend souvent « rasée à 100 % » (qui correspond au titre du film de Zarifian, Table rase) ou « détruite à 80 % ». Si l’on parle des surfaces détruites, un simple coup d’œil sur la carte des bombardements montre qu’il s’agit d’une exagération.
Au point de vue affectif, le bombardement terrible des quartiers Notre-Dame, Saint François, du Perrey et de l’Hôtel de Ville, a privé Le Havre de son cœur historique et de son lieu de promenade préféré, ce qui explique, avec le manque d’exposé rationnel de l’événement, le traumatisme ressenti par la population.
J’en viens à des remarques sur la mémoire des bombardements peut-être moins partagées que les trois premières et qui devraient faire l’objet de discussions et de nouvelles recherches.
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Mais au point de vue quantitatif, les dégâts matériels ont été exagérés.
Exagération des dégâts immobiliers et portuaires
Une étude plus rigoureuse distinguerait la valeur des biens immobiliers en francs, des surfaces en mètres carrés ; les bâtiments bombardés de ceux qui ont été détruits par la suite pour faciliter une reconstruction dans l’esprit hygiéniste et pour obtenir une vaste perspective architecturale d’un seul tenant, même au prix de l’effacement des dernières traces du bombardement ; les sinistrés totaux des sinistrés partiels. On sait par ailleurs que les experts français en négociations internationales pour réparations, indemnités et dommages de guerre, comme André Siegfried, recommandaient de tirer l’évaluation des dégâts, notamment ceux du port, vers le haut. Claude Malon a exploré ces questions dans son ouvrage sur le monde de l’entreprise au Havre4.
AMH, fonds Fernez, 51Fi471. Gommer les divisions. Le Havre matin du 13 septembre 1944. AMH, PERS258. « Nous vous attendions dans la joie, nous vous accueillons dans le deuil ».
Le Havre bombardé vu depuis les hauteurs septembred’Ingouville,1944.
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Ces organismes ont été confrontés à des choix politiques, comme par exemple La propagande vichyste et allemande cherche à présenter le COSI comme une aide aux « bons Français ». Ici le photographe préposé à la tâche montre des enfants évacués du Havre, arrivant gare Saint-Lazare à Paris puis redirigés par camion vers une autre destination. On devine sur la bâche du camion les mots « Vichy… et Comité ouvrier de secours immédiat ». AD76, 32W (Z92913 et 92902).
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Absence d’unanimisme dans la population
Cette instrumentalisation était particulièrement forte au Havre qui contenait des organisations collaborationnistes nombreuses (RNP, Francistes, PPF), des élites si vichystes que notre collègue Malon parle de « Vichy sur Seine », de nombreux sinistrés et organismes d’aide aux sinistrés. Étatiques, para-étatiques, municipaux, associatifs, politiques, ces réseaux s’interpénétraient, chacun avec ses équilibres internes et ses domaines d’intervention privilégiés. Citons la Défense Passive, les Équipes nationales (avec leurs Sections d’Opération et de Secours), la Croix Rouge Française (avec ses Équipes d’urgence), l’Association des Villes Côtières, l’Association des sinistrés du Havre6, les Artificiers noirs, les Équipes d’Entraide Ouvrière (de la JOC), et la plus sulfureuse de toutes, le Comité ouvrier de secours immédiat ou COSI (qui fait l’objet d’une remarque particulière ci-dessous).
La formule « Nous vous attendions dans la joie, nous vous accueillons dans le deuil » est très largement reprise pour décrire les sentiments de la population havraise à la Libération. Cette formule, publiée par Le Havre Matin le 13 septembre, au lendemain de la reddition des troupes allemandes, est trompeuse car elle gomme les divisions qui existaient aussi bien parmi les 40 000 habitants de la ville encore présents en août 1944, que parmi les évacués. En effet, les deux catégories comptaient encore en ce tragique été des collaborationnistes convaincus, des vichystes en cours de reconversion, des indifférents à la politique et des résistants de plusieurs tendances. Certes on peut supposer qu’après coup, presque tous ont ressenti de la tristesse face aux destructions. Mais les positionnements avant l’assaut étaient plus contrastés. Les collaborationnistes attendaient les Alliés la rage au cœur, déçus de la défaite des troupes allemandes ; les vichystes en cours de reconversion les attendaient avec inquiétude, se demandant quelle serait l’attitude des vainqueurs à l’égard des collaborateurs ; même appréhension chez les trafiquants divers ; enfin les patriotes, les résistants, les apolitiques peu informés prévoyant la fin des combats, attendaient sans doute les Alliés dans la joie ; mais cette joie était troublée chez les plus lucides d’une part, par une inquiétude sur la place qui serait faite aux différents courants de la résistance, et d’autre part et surtout, par la prémonition des bombardements et des pertes qu’impliquerait la libération du Havre. La formule est donc inexacte et démagogique. Politisation de l’aide aux sinistrés L’aide aux sinistrés est souvent présentée comme une œuvre destinée à combattre la passivité, inspirée par la solidarité patriotique ou la compassion, apolitique, unificatrice, quasi-consensuelle. Or plusieurs historiens ont montré l’instrumentalisation politique de l’humanitaire par le régime de Vichy et les groupements fascistes, et, dans le sens contraire, les tentatives clandestines de l’infléchir dans un sens oppositionnel ou résistant.5
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Ainsi, Léopold Abadie, qui dirige la Défense Passive, est aussi l’homme que le maire nommé par Vichy, Pierre Courant, choisit pour représenter la Ville à l’hommage public rendu à Jean Leber, Havrais, chef de centaine de la Milice, mort au combat contre les résistants dans le massif des Glières, en avril 447 La cérémonie a lieu en présence des représentants du Parti populaire français.
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Liste des personnels du COSI dont la présence est indispensable. AD76, 32W (Z92902). Cette liste, soumise à la mairie par son secrétaire Ch. Vailland, le 15 août 1944, réclamant de maintenir sur place six délégués et quatre aides pendant le siège auquel la ville se préparait, atteste de l’importance du COSI dans la politique de la municipalité du Havre.
la décision des commandants allemands de réquisitionner des abris destinés aux civils havrais, notamment des tranches du futur Tunnel Jenner, au bénéfice des soldats et marins allemands. Parmi les personnalités les plus engagées dans ces différents réseaux on trouve Léopold Abadie, adjoint au maire, chargé des services de la Défense Passive, le Docteur Profichet, médecin-chef de l’Hôpital général, Maître Galanti, avocat, et M. Edmont Pit. Les deux derniers sont à la fois fondateurs de l’Association des sinistrés et conseillers du COSI.
Cette affiche prétend faire le bilan de 18 mois d’action du COSI national. Celui-ci ayant été fondé en mars 1942, l’affiche pourrait dater de septembre 1943. Elle vise à relativiser les aspects politiques du comité : sa mise en œuvre par les autorités d’occupation allemande, son caractère antisémite, sa concurrence avec les organismes plus proches de Vichy, comme le Secours national, sa proximité et son infiltration par les partis collaborationnistes.
Ces personnes sont perçues comme tellement vitales que le journal annonce où on peut les contacter de jour comme de nuit. Dix personnes dont l’activité principale est le COSI sur une population de 40 000 habitants au maximum, est un chiffre conséquent. Depuis sa fondation en 1942, la section havraise du COSI, présidée par Pierre Courant et pénétrée par différents courants politiques collaborationnistes et collaborateurs, a distribué des secours (pris sur l’amende imposée aux juifs accusés à tort d’avoir appelé les bombardements de leurs vœux), des meubles et habits (issus en partie des aryanisations de biens dits juifs, comme ceux saisis au domicile de Léon Meyer dont l’inventaire a été retrouvé) ; elle a participé au Restaurant du Maréchal qui distribuait des repas
Rôle important du COSI au Havre pendant les bombardements
Affiche de propagande collaborationniste publiée par l’Office de répartition de l’affichage (ORAFF).
Toutefois le symbolisme de la croix celtique doublée d’une roue dentée évoque un rapprochement de l’extrême droite et de la classe ouvrière. La croix celtique a été utilisée comme symbole par le Parti populaire français (PPF) sous l’occupation, puis reprise par des groupements fascisants comme l’OAS, Ordre nouveau, le GUD et d’autres. L’affiche est produite par l’ORAFF qui met en œuvre la politique allemande de l’affichage en France, fonction éminemment politique.
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Parmi les organismes d’aide aux sinistrés, le Comité ouvrier de secours immédiat, organisme foncièrement antisémite, mérite une mention spéciale pour sa présence pendant le bombardement. En effet, en août 1944, une réunion se tient à la mairie pour exempter de l’évacuation forcée les personnes jugées indispensable.8 On note parmi celles-ci dix personnes du COSI, dont six jugées utiles au fonctionnement de la ville et quatre « indispensables au foyer ».
60 et des vivres ; et elle a organisé des réunions de propagande qui blâment les juifs et les Anglais pour les malheurs de la France. Pierre Courant, président d’honneur du COSI, a été condamné à l’inéligibilité par la Chambre civique du Havre, le 25 avril 1945, pour cette participation au COSI. Mais il a fait appel et un deuxième procès l’a déclaré innocent de cette accusation.9 L’argument utilisé au cours de ce procès est que le COSI du Havre était différent du COSI national. Cet argument et le parcours du COSI havrais doivent être examinés par les historiens car ils constituent la pièce centrale de la politisation de l’aide aux sinistrés.
L’inflexibilité du Colonel Wildermuth Pendant un temps, le commandant allemand de la place a été présenté comme préoccupé par le sort des Havrais qu’il a cherché à évacuer, face au commandant britannique Crocker. On sait aujourd’hui que les choses étaient plus compli quées. La priorité de Wildermuth était l’exécution des ordres du Führer : retarder l’avance alliée, et détruire le port du Havre. D’où la division de la population en personnes indispensables au camp retranché et bouches inutiles à évacuer, la répres sion des déserteurs allemands et des résistants français jusqu’au dernier moment, et la réquisition de plusieurs abris construits par la Défense passive pour la protection des civils. Si l’on veut chercher une logique au comportement de Wildermuth pendant la bataille du Havre, il faut probablement le mettre en parallèle avec ceux d’autres comman dants de la Wehrmacht sur le front occidental, comme von Choltitz à Paris, qui appliquent les consignes d’Hitler jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus faire exécuter leurs ordres par leurs subordonnés, et, une fois capturés, reconstruisent Wildermuth en 1950. In. Wilhelm Kohlhaas, Eberhard Wildermuth. Ein aufrechter Bürger, Bonn, Domus-Verlag, 1960. Hermann Eberhard Wildermuth (1890-1952) est nommé secrétaire d’État à l’Économie du Landtag de Adenauer.cabinetladuen 1946,Wurtemberg-Hohenzollernàpartirde1949,membreBundestag,ministrefédéraldeReconstructiondanslepremierduchancelierKonrad Meubles et objets contenus dans l’appartement de Monsieur Léon Meyer, 5 place Carnot, Le Havre. AMH, fonds P. Courant 105Z178. Cet inventaire se trouve dans le Fonds Pierre Courant récemment donné au mairerévocationendeprotection,sonzoneseaL’ancienmunicipalesArchivesduHavre.maireduHavredûseréfugierpuiscacherdanslalibre,laissantdomicilesansaprèslerefussonretourauHavrejuillet1940,puissaentantqueofficielen1941.10
- la collaboration de Pierre Courant, maire nommé par Vichy après la destitution du maire élu, Léon Meyer, - la diffamation et l’effacement de la mémoire de Léon Meyer, déporté comme juif, - la déportation des juifs havrais et le pillage (« aryanisation ») de leurs biens, - la répression de la résistance au Havre, - l’immensité des profits illicites au Havre, - l’adhésion aux idées et organisations nazies (RNP, JNP, Francistes, PFP) au Havre, - et la volonté de transformer la population enoutil de guerre par l’évacuation des bouches inutiles et par les privations et brimades quotidiennes des habitants restants, au nom de la priorité au renforcement de la forteresse.
2 Cf. J. Barzman, C. Bouillot, A. Knapp (sld), Bombardements 1944 : Le Havre, Normandie, France, Europe, Rouen : PURH, 2016 ; Les enjeux de l’histoire des bombardements du Havre. Résultats et nouvelles pistes. Interventions recueillies, résumées et présentées sous la direction de John Barzman brochure_lh_1944_21-07.univ-lehavre.fr/IMG/pdf/https://www. pdf ; C. Malon, Occupation, épuration, reconstruction. Le monde de l’entreprise au Havre (1940-1950), Rouen : PURH, 2013, et « Guerres et occupation. 1940-1944 Vivre et travailler dans une forteresse allemande » dans E. Saunier et J. Barzman (sld), Histoire du Havre, Toulouse : Privat, 2017. 3 Notre collègue S. Lobruto détaille le sujet p.98. 4 C. Malon, 2013. 5 Jean-Pierre Le Crom, Au secours L’instrumentalisationMaréchal ! de l’humanitaire (1940-1944), Paris : PUF, 2013 ; Gilles Morin, « Le Comité ouvrier de secours immédiat, “une entreprise allemande sous le masque de la solidarité” » 20 & 21. Revue d’histoire 2019/2 (N° 142), pages 75 à 91. 6 Association des Sinistrés, déclarée au sous-préfet du Havre le 1er décembre 1943. 7 Petit Havre, 11 avril 1944. 8 « Réunion tenue à l’Hôtel de Ville du Havre le mardi 15 août 1944 à la salle des commissions sous la présidence de M. le Sous-Préfet » et « Liste des personnels dont le maintien est indispensable », « Évacuation août 1944 », ADSM Z 92950
Buste de Léon Meyer, 1934, œuvre d'Alphonse Saladin. Léon Meyer, (1868-1948) est sous-secrétaire d’État au Port, à la Marine marchande et aux Pêches, (1924-1925), ministre de la Marine marchande 1932-33. Maire du Havre de 1919 à 1940, issu d’une famille israélite alsacienne, il sera destitué et déporté au camp de Bergen-Belsen, puis Theresiensdadt, il sera libéré en 1944.
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1 Ces remarques sont une forme d’hommage aux victimes qui méritent que le contexte et les causes de leur mort soient connus, ainsi qu’aux survivants et à leurs descendants qui ont besoin de la compréhension des faits.
9 Arrêt 236 de la Cour de Justice du Havre-Chambre civique, présidée par M. Turban, en présence de M. Roulin, Commissaire du Gouvernement, 25 avril 1945, ADSM 245 W 7 et RG, 3 521 W. 11 Les procédures de confiscation et de vol des meubles dits « juifs » sont décrites dans Annette Wieviorka et Floriane Azoulay, Le pillage des appartements et son indemnisation, RF-MESJF, 2000. 10 Cf. en ligne, Les enjeux…, op. cit., 2016. leur parcours en omettant les crimes de guerre, et se positionnent du côté des Etats-Unis dans la Guerre froide naissante, d’abord prudemment pour éviter des représailles contre leur famille, puis très ouvertement.
La mémoire des bombardements, écran de la collaboration Pour conclure, je voudrais souligner que les bombardements et le traumatisme qu’ils ont causé ont joué le rôle d’un écran qui a caché ou minimisé d’autres aspects très importants de la guerre11 :
Les paiements.MorelSGTBAparticulièremententreprisesetThireau-attendentleurs
Le paradoxe, dans notre langage courant, désigne un phénomène d’apparence contradictoire, contraire aux idées reçues ou à la vraisemblance. Mais il peut fort bien disparaître une fois qu’on l’a expliqué. Ce paradoxe se résout, contrairement à celui de Zénon. Quand on sait ce qui rend une chose étonnante, on s’en étonne moins. Un paradoxe expliqué n’en est plus un. Les paradoxes en histoire sont affaires de représentations, et dans l’histoire de la libération du Havre, on peut s’étonner de quelques phénomènes dont le caractère contradictoire peut rendre perplexe. On s’étonnera d’abord, pour tenter ensuite de comprendre et de dissoudre ces paradoxes. Trois axes de réflexion autour de la libération du Havre seront ici proposés : les enjeux et les paradoxes du nombre, les enjeux et les paradoxes de l’économie, les enjeux et les paradoxes de la politique et de la mémoire. Enjeux et paradoxes du nombre
Pendant la Première Guerre mondiale, Le Havre reste une ville de l’arrière, et pourtant le sacrifice humain est encore plus cruel qu’au terme de la Seconde : 7 500 marins et soldats tués pour 130 000 habitants, (5,4 %, parmi les taux record Un symbole ambivalent ?
Pour mieux les faire apparaître, il n’est pas inutile de simplifier les chiffres aujourd’hui en notre possession. Le paradoxe du nombre apparaît si l’on compare celui des Havrais, habitants ou victimes, pendant les deux guerres. On pourrait le formuler ainsi : ce n’est pas la guerre la plus meurtrière qui a le plus marqué la mémoire des Havrais.
Février 1956, le chantier est arrêté. AMH, fonds Tournant, 47Fi1271.
63 Claude Malon Les paradoxes de la libération du Havre Ses enjeux économiquesetpolitiques
64 en France, 3,8 % pour le pays). La Seconde Guerre mondiale fait entre 3 500 et 5 000 victimes selon les modes de calcul, (3 % pour Le Havre, 1,3 % pour la France), mais une majorité de civils cette fois. L’exagération, durant des décennies, du nombre de victimes des bombardements de 1944 n’est pas sans rapport avec ce paradoxe, comme si l’on avait voulu démontrer que le second tribut à la guerre était à la hauteur du premier. Même contraste pour la démographie urbaine comparée des deux conflits. Sous l’Occupation, la population des résidents est de 60 000 en moyenne (contre 160 000 en 1939 et 227 000 dans l’arrondissement1), puis 40 000 au moment de la tragédie finale : elle est donc divisée par deux ou trois, voire par quatre à la fin. Pendant la Grande Guerre, la ville abrite 260 000 personnes : résidents, réfugiés, soldats français et alliés valides ou blessés ; la population est donc multipliée par deux. Au total, en 1918, la ville abrite quatre à cinq fois plus d’habitants qu’en 1942 !
Les chiffres de l’exode de 1940 peuvent aussi laisser perplexes, surtout si l’on songe à l’utilisation qui en a été faite. Si spectaculaire et présent dans les mémoires, l’exode, comme les bombardements, a contribué à victimiser les Havrais. Mais cela s’est produit seulement plus tard ; car on l’a oublié il a servi à culpabiliser au moment où il s’est produit 87 % de la population alors concernée. Le discours des vichystes havrais, critiquant ceux qui avaient « détalé », n’était pas différent de celui de Pétain qui accusait les Français fuyant leur ville d’avoir contribué à la défaite. L’exode a favorisé la prime aux « restants », autoqualifiés de « courageux ». Paradoxalement, il a rendu plus facile l’installation de Vichy-surSeine. À l’arrivée des Allemands, il ne reste que 20 000 personnes. Il en reviendra 40 000 en juillet au rythme de 5 000 dans les premiers jours2. S’agissant de nombres, il faut aussi imaginer le décalage entre la statistique postérieure et la perception immédiate de la tragédie du 5 septembre, à la mesure du traumatisme. Dans un mémoire du Vagabond Bien Aimé, l’un des principaux réseaux de résistance gaullistes locaux3, se trouve un paragraphe significatif de la force du choc : « Rien ne justifiait un tel massacre. Si des objectifs militaires ont été atteints, 12 000 Havrais, tous civils, hommes, femmes et enfants gisent sans vie dans les décombres… Oui, 12 000 morts malgré les statistiques d’apaisement qui situent aux environs de 2 000 le nombre de victimes et données par les autorités de la ville. » La statistique avait raison, puisque ces victimes étaient environ 2 040 (et non 3 000 comme continuent à l’écrire certains journaux). Mais 12 000 victimes, c’est ce qui se serait produit si la ville n’avait pas été aux trois quarts vidée de ses habitants.
Le paradoxe économique est le suivant : à peu de chose près, les entreprises actives et prospères pendant la reconstruction sont les mêmes qui ont tiré un large profit de l’Occupation. Rappelons seulement deux exemples : la SFTR, Société française des travaux routiers de la famille Lepage, entreprise champignon, est passée de 40 à 1 200 ouvriers entre 1939 et 1942. Thireau Morel, la plus connue des entreprises du BTP, a vu ses profits, en francs constants, multipliés par douze sous l’Occupation, en francs courants trois fois plus4. Comment cela est-il possible ? C’est le secteur le plus concerné par la collaboration économique sous l’Occupation, et qui sera le plus indispensable à la reconstruction. Le BTP havrais et national, sous-traitant de Todt et des sociétés allemandes, est passé d’une suractivité à l’autre, du béton allemand au béton français. De la construction des 450 blockhaus havrais du Mur de l’Atlantique à la reconstruction du nouveau port d’abord, puis de la nouvelle ville. Pourquoi ? Est-ce si étonnant ? Il faut bien sûr compter avec les arguments de la nécessité et de la compétence. Cette explication ne suffit pas. En effet, cela n’aurait pas été possible sans la clémence de l’épuration économique. Les mansuétudes et les inégalités de traitement de l’épuration financière et professionnelle5 ont facilité la reconstruction.
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La commission Parmentier, qui aurait dû, en théorie, éloigner des marchés publics les entreprises ayant réalisé plus de 35 % de leur chiffre d’affaires grâce à la commande allemande, a épargné les plus importants participants havrais à la construction du Mur de l’Atlantique, mis en cause par le rapport Ferré, soit une vingtaine d’entreprises. On écarta seulement deux horsains : un Parisien et un Italien. Les attestations de contrainte fournies par la Chambre de commerce ont sauvé la plupart des constructeurs de blockhaus, à deux exceptions près, mais aussi les entreprises métallurgiques et portuaires. Les représentations de la reconstruction comportent des tabous, comme les dommages de guerre, et des refoulements, comme celui de la collaboration économique, contrainte ou zélée, et de sa responsabilité indirecte dans le martyre de la ville. De l’économique au symbolique il n’y a qu’un pas. Voyons de plus près un paradoxe significatif d’une certaine gouvernance mémorielle de la libération du Havre : celui de la symbolique de l’église Saint-Joseph, conçue comme un mémorial aux victimes des bombardements. Le projet des architectes Perret et Audigier est réalisé par une entreprise parisienne, la SGTBA6. Dès l’Occupation, son président, le colonel Paul Tricon, la met en sommeil pour rejoindre de Gaulle à Londres. C’est donc une entreprise que l’on peut qualifier de « résistante ». Jusque-là, tout va bien. Mais qui lui associe-t-on ? Thireau-Morel7. Pour dédier cette œuvre aux victimes des bombardements, on confie sa construction à un spécialiste des bunkers et de la base de vedettes lance-torpilles, une entreprise clé du Mur de l’Atlantique. Ce Mur, « monument de la collaboration8 », qui a conduit les Alliés à faire des victimes civiles pour reprendre Le Havre, car la Festung était une véritable force de dissuasion. Des entreprises ont ainsi conduit des milliers de Havrais à édifier le mur de leur cimetière. On n’a pas été très regardant, il y a soixante-dix ans, à l’heure de la première dédicace aux victimes. En 1950,
Enjeux et paradoxes de l’économie
66 septembreFrançoissurdeConstructionl’îlotN14leboulevard1er,1955. AMH, 32Fi, livréimmeublechantier,panneaul’indiqueMorelThireaulesConstruitThireau-Morel.fondsparentreprisescommeledecetseraen1956. Construction de la base de vedettes rapides du Havre, automne 1942. BArch, Bild 101I-292-127711 / Collection J.-P. Dubosq – Mémoire et Patrimoine Le Havre 1939-1945.
Le martyre de la ville, loin d’attirer la lumière sur les réalités de l’Occupation, a valorisé le souvenir des pénuries et des bombardements alliés. Il a jeté une ombre bien commode sur les aspects inavouables de la période de Vichy, sur les sujets qui fâchent et que l’on se hâte d’oublier. Le régime victimo-mémoriel a pris le pas sur le régime mémoriel républicain et résistancialiste qui a pu être plus prégnant dans des villes ou des régions épargnées. La libération dans le deuil en septembre 1944 est un souvenir-écran. Il a fait oublier que les bombardements précédents ont constitué un fonds de commerce à la propagande des vichystes et des Allemands. Ainsi ont agi le Secours national, humanitaire maréchaliste des notables, et le COSI, Comité ouvrier de secours immédiat, humanitaire prolétarien antisémite guidé et financé par les nazis, et présidé par le maire Pierre Courant avec la complicité de syndicalistes maintenus par Vichy. Le traumatisme a permis aux hommes de Vichy-sur-Seine9 d’être lavés de leurs compromissions. Le dévouement protecteur de Pierre Courant est l’arbre qui cache la forêt. Celle des professions de foi de son adjoint à la Jeunesse, ravi de constater que Le Havre occupé était enfin débarrassé du « cosmopolitisme », ou des décisions de son adjoint à la Défense passive qui organise l’hommage officiel de la municipalité à un milicien tué au plateau des Glières en aidant les Allemands contre la Résistance10. Celle de l’adhésion des élites économiques et politiques, et d’une partie de la population au pétainisme, au vichysme et à la Révolution nationale, voire bien pire. Car enfin, Le Havre est libéré : mais de quoi ? Seulement de la présence allemande et des bombardements alliés, comme deux générations d’entrepreneurs de mémoire ont tenté de le faire croire en effaçant de la photo de famille nombre de personnages compromettants ?
67 à l’heure où débute la construction de l’église, c’est déjà l’heure du grand pardon : un patron, membre de la Chambre de commerce et du Comité local de libération, entre au conseil d’administration de Thireau-Morel, aux côtés de grands noms du négoce et de l’industrie locale…
Enjeux et paradoxes politiques et mémoriels
Le paradoxe politique est criant, et ses enjeux politiques et mémoriels considérables. La ville libérée par les Alliés et les résistants redonne quelques mois plus tard le pouvoir à ceux qui l’ont administrée sous Vichy. Comment cela est-il possible ?
Contrairement à la légende vertueuse, sous l’Occupation, les collaborationnistes (Rassemblement national populaire de Déat, francistes du Parti socialistenational du Havre, Parti populaire français de Doriot, Légion des volontaires français) sont beaucoup plus nombreux que les résistants. Les pronazis vichystes et ultras sont plus nombreux au Havre que dans tout le Calvados11. Si la Gestapo allemande du Dr Ackerman a sévi, les gestapistes havrais n’étaient pas en reste. Les Havrais n’étaient donc ni pires ni meilleurs que d’autres. Parmi eux se sont distingués des délateurs, des chasseurs de Juifs et des réfractaires au STO, des miliciens tortionnaires de résistants, des trafiquants à grande échelle12… Parmi les rengaines de la légende, de nos oreilles entendues : « Il n’y avait pas de juifs au Havre. » Blanchiment de l’action des vichystes et nazillons havrais, jusqu’à
Dès l’automne 1944, si des hommes en place sous Vichy raflent la mise au point de gagner les élections de mai 1945, c’est parce que la Résistance est en miettes.
Cette publication ignorait tout de la collaboration économique et politique, et présentait même le COSI, qui distribuait aux sinistrés de bon aloi l’argent et les meubles volés aux Juifs, comme une organisation « résistante ». Pourquoi pas la milice comme un repaire de gaullistes tant qu’on y est ?
On ne passe pas impunément de 500 à 1 200 combattants en quelques jours.
68 ce que des historiens, universitaires pour la plupart, fassent émerger l’histoire de l’aryanisation des entreprises et de l’extermination d’un tiers des Juifs havrais13. La ville aurait donc choisi d’élire comme maire, un homme nommé par Vichy, qui plus est doublement mis en cause et rendu inéligible par la chambre civique et le jury d’honneur. Là est le paradoxe. La mémoire dominante n’a fait, durant des décennies, que cultiver le mythe du tampon, voire du glaive et du bouclier cher aux avocats du régime de Vichy. La révolution paxtonnienne ne fait que commencer dans cette ville. Aujourd’hui encore, d’aucuns continuent de servir aux Havrais le roman que certains ont envie d’entendre. Le numéro spécial d’une feuille locale pour le soixante-dixième anniversaire de la Libération, faisait fi de tous les travaux universitaires des vingt dernières années. Il s’appuyait sur le plaidoyer pro domo de Pierre Courant et sur le livre de Julien Guillemard qui entretenait la légende dorée : « Il se disait à Londres que Le Havre et sa municipalité étaient très anti-allemands » La belle affaire ! Quid de Vichy ?…
Si l’on en croit les résistants du Vagabond Bien Aimé, « des collaborateurs notoires sont devenus des chefs de la Résistance » … Certains auraient même une responsabilité dans la tragédie du 5 septembre. En effet, que disent ces résistants historiques ? « Nous avons constaté ceci : les chefs de chars anglais possédaient tous un plan de la ville marqué de nombreux points intitulés objects. »
En s’élargissant au moment de la Libération, la cohorte des résistants s’est fragilisée. Beaucoup voient d’un mauvais œil les résistants de la dernière heure.
Le Vagabond estime que ces points, contrôlés par lui, notamment dans le quartier Saint-Joseph, n’ont aucun caractère militaire, des restaurants, des hôtels fréquentés par des soldats allemands. Sous prétexte de jouer au chef important, des “amateurs” ont communiqué directement aux Alliés
Le rapport de l’inspecteur Kubler des Renseignements généraux est éloquent ; le 7 décembre 194414 les choix sont déjà faits : « L’heure H, augmenté de Combat et du groupe Robinet, ainsi que le groupe Vagabond Bien Aimé, opterait pour M. Courant, ex-maire du Havre pendant l’Occupation. » Le rôle de Charles Loisel, ex-chef des FFI « d’opinion politique de droite », qui deviendra l’adjoint de Pierre Courant y est souligné. Un rapport du 6 février 1945 insiste sur l’hostilité de la quasi-totalité des organisations de résistance envers le groupe Libération, qui détient les rênes municipales avec le groupe Sicre, président du comité local de libération, nommé par le commissaire de la République.
L’hommage d’Émile Sicre à Pierre Courant sera d’ailleurs une manœuvre électorale contre-productive. En outre, la prétendue mainmise des FTP et des communistes sur le Comité de libération évoquée dans un roman récent est pour les mêmes raisons largement un mythe15 .
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On dispose d’une statistique de la préfecture de région sous Vichy : 226 878 habitants dans l’arrondissement, dont 2 078 étrangers, soit 0,9 %. ADSM, 40 W 159.
À la Libération, pour toutes ces raisons, la Résistance havraise a perdu la bataille de la mémoire. Le roman vertueux du Havre sous l’Occupation, cultivé durant des décennies, protégé par le souvenir-écran du traumatisme de 1944, fait douter de la validité du concept de mémoire collective tel qu’on l’utilise trop souvent aujourd’hui. Celui-ci masque la domination d’une mémoire de réseau, pour ne pas dire de clan, et voile opportunément les conflits de représentations nécessaires à la compréhension des années grises. En revanche, les « entrepreneurs de mémoire » existent bel et bien. Heureusement, l’histoire demeure une science de la rectification permanente.
10 cf. Le Petit Havre du samedi de Pâques 1944. 11 Chiffres des R.G. (ADSM, 40 W, fichier des renseignements généraux de l’arrondissement du Havre) comparés aux chiffres de Jean Quellien sur le Calvados pendant l’Occupation.
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des informations fantaisistes, non vérifiées contrairement à celles qui étaient transmises par l’intermédiaire des renseignements français. Le Vagabond réclame que ces amateurs qui ont contribué à la tragique erreur de ciblage, soient livrés à la justice militaire16.
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6 cf. Stéphane Bureau, La Société générale des travaux en béton armé, mémoire sous la direction de Dominique Barjot, Paris IV-Sorbonne, 2000.
Selon un rapport de la Banque de France. Archives de la Banque, Paris. 3 Archives nationales, 72 AJ/80/XIV, « La guerre en veston », p. 136. 4 Claude Malon, Occupation, épuration, reconstruction. Le monde de l’entreprise au Havre, 1940-1950, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2012, et « Destructions constructions, reconstructions : l’économie havraise et la guerre, 1940-1950 », in John Barzman, Corinne Bouillot et Andrew Knapp (dir.), Bombardements 1944. Le Havre, Normandie, France, Europe, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2016, p. 237-256. 5 Chiffrées dans Claude Malon, Occupation, épuration, reconstruction, op. cit., p. 290, grâce aux archives du Comité de confiscation des profits illicites.
12 cf. Claude Malon, Occupation, épuration, reconstruction, op. cit 13 Marie Paule Dhaille-Hervieu, « Les Juifs au Havre pendant l’Occupation allemande », in John Barzman et Éric Saunier (dir), Migrants dans une ville portuaire, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2005, p. 107-116.
16 Archives nationales, « La guerre en veston », op. cit., p. 154.
14 Archives départementales de la Seine-Maritime, Z 28.264 15 À l’échelle nationale, les Comités locaux de libération sont balayés en avril-mai 1945, et en général, les organisations de résistance servent de supplétifs aux partis politiques (MRP, socialistes, etc.). (Voir les travaux de Jean-Marie Guillon.). Que Sicre n’ait pas été élu après avoir été nommé n’est pas étonnant. En revanche, là où Le Havre est singulier, c’est qu’il est plus rare que les résistants gaullistes soutiennent des équipes d’anciens vichystes habilement reconvertis.
7 Plus d’autres de moindre surface, mais également mis en cause par le comité de confiscation des profits illicites : Robert (bâtiment), Jolly-Hugget et Leroy (électricité). ADSM, 260 W.
9 cf. Claude Malon, « Guerres et Occupation », in Éric Saunier et John Barzman (dir.), Histoire du Havre, Paris, Privat 2017.
8 Titre du film documentaire (France Télévisions, 2010) et du livre de Jérôme Prieur (Denoël, 2010, et Seuil, « Points Histoire », 2017).
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Chacun sait combien le patrimoine syncrétise les valeurs, les cultures, les croyances d’un peuple. S’attaquer à lui, c’est attaquer au cœur ses bâtisseurs et ses inventeurs, mais aussi les populations pour lesquelles il constitue une partie de la fierté civique et l’identité même.
Peu à peu le travail de mémoire devient celui du chemin de la guérison.
Dans d’autres, notamment en France ou en Italie, les « nécessités de la guerre » primant sur toute autre considération, produisirent sensiblement le même
Nicolas Detry, Le Patrimoine Martyr. Destruction, protection, conservation et restauration dans l’Europe « post bellica », p. 71 Hermann, 2020.
Larésultat.reconstruction morale et la reconstruction matérielle s’effectuent lentement et en parallèle, se heurtant à « un passé récent inavouable, inassimilable, indicible »1.
Les conflits armés, de par le monde, ont toujours eu un impact sur ces témoins culturels, mais le xxe siècle a consciemment fait de ces atteintes une arme destructrice de l’identité et de la mémoire collective des peuples.
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LES MÉMORIELSENJEUX
Les textes qui suivent mettent en évidence l’intégration du fait mémoriel lié au second conflit mondial à travers différents exemples européens.
Les bombardements en Europe lors du second conflit mondial résultèrent, de part et d’autre, de décisions pensées et calculées en raison de leur portée matérielle et psychologique sur les populations et les armées. Dans de nombreux cas, les villes, leur patrimoine et leur population civile furent sciemment visés.
L’Allemagne réunifiée, plus décomplexée par rapport à son passé que l’ancienne RFA, semble en effet avoir redécouvert, au tournant des années 2000, les bombardements alliés dévastateurs sur les villes allemandes. Les médias se sont emparés du sujet, affirmant qu’il avait été occulté pendant des décennies.
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Deutsche Fotothek, CC BY-SA 3.0 de. Au premier plan, l’allégorie de la Bonté, d'August Schreitmüller est restée intacte sur la tour de l’Hôtel de ville.
Mémoires des bombardements
Ruines de Dresde, vues de l’Hôtel de ville, 1945.
Entre le 13 et le 15 février 1945, 772 bombardiers lourds de la Royal Air Force et 527 de L’US Army ont largué 3900 tonnes de bombes explosives et incendiaires sur Dresde. On estime à environ 25 000 le nombre de tués.
franco-allemandesComparaisonsalliés
Elle est principalement centrée sur les premières décennies de l’après-guerre, pour relativiser l’idée souvent admise que les bombardements auraient, jusqu’à la « redécouverte » récente du sujet, laissé peu de traces dans les cultures mémorielles allemande et française3.
Une partie des historiens a dénoncé la résurgence d’une perspective victimaire, Corinne Bouillot
En 2014, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire des bombardements alliés sur Le Havre, les chercheurs et chercheuses réunis lors d’un colloque international pour ouvrir de nouvelles perspectives de travail sur la guerre aérienne constatent que les événements eux-mêmes, tout comme l’étude de leur mémoire, constituent un champ qui reste largement à explorer1. Dans le même temps, il apparaît que cette étude n’a de véritable sens que si elle inclut une comparaison des situations locales et de leur représentation dans un contexte européen2. La présente contribution porte sur les mémoires officielles et leur inscription dans les espaces urbains à travers l’édification de monuments ou la sanctuarisation de lieux de mémoire. Elle revient sur la place des bombardements alliés dans les mémoires françaises et allemandes, à la fois nationales et locales, et tente de synthétiser, à travers quelques exemples, les similitudes et les divergences dans deux pays touchés respectivement par des bombes « amies » et des bombes « ennemies ».
74 mais surtout, elle a remis en cause cette thèse du tabou, montrant au contraire que c’est bien la mémoire des bombardements qui a été dominante au moins dans les deux ou trois premières décennies de l’après-guerre4.
En France également, le regain d’intérêt récent de la communauté scientifique, des médias et des responsables politiques pour le sujet contrasterait avec une « amnésie » qui aurait perduré pendant des décennies. Certes, les bombardements n’ont longtemps été évoqués, dans les principales commémorations de la Seconde Guerre mondiale, que de manière oblique, et leurs victimes n’ont pas été intégrées systématiquement dans le « grand récit national ». On peut à cet égard considérer comme une césure importante, à l’échelle nationale, l’hommage rendu spécifiquement aux victimes civiles des bombardements par le président Hollande en 2014, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire du Débarquement. Toutefois, si l’on prend en compte les échelles locales, on s’aperçoit que plusieurs villes ont bien construit une mémoire des victimes civiles, et ce dès les premières années d’après-guerre. Il faudrait donc parler ici de concurrences mémorielles plutôt que d’oubli.
C’est tout d’abord dans la tension entre mythes nationaux et identités locales que l’étude comparative entre France et Allemagne permet de dégager des similitudes et des divergences.
En RFA, de nombreux monuments d’hommage aux victimes des bombardements alliés ont été inaugurés dès les années 1950. Celui de Würzburg, représentant une famille touchée par le drame sous forme de gisants plus grands que nature, a été érigé en 1954 dans le cimetière où étaient inhumées les milliers de victimes du grand raid britannique de mars 1945. Celui de Nuremberg, inauguré en 1959 à la mémoire des quelque 6 000 victimes civiles de la ville, a même été construit, sous forme de grand beffroi, avec les pierres de la synagogue incendiée par les nazis lors de la « nuit de Cristal » en 1938. Cette réutilisation n’a pas fait débat, signe assez évident des priorités mémorielles de l’époque5 . À Hanovre, la ruine laissée en l’état de l’Aegidienkirche (église Saint-Gilles) est sans doute le premier monument de ce type : l’urbaniste en chef de la reconstruction affirmait dès 1949 l’avoir conçu après avoir visité en Angleterre la ruine commémorative de la cathédrale de Coventry détruite pendant le « Blitz ». Inaugurée en 1954, la ruinemonument de Hanovre était, dès l’origine, dédiée en principe à toutes les victimes des deux guerres mondiales. Mais tant dans la symbolique du lieu que dans les discours qui ont accompagné les commémorations, la priorité a clairement été accordée aux victimes allemandes des bombardements6. Il en est de même pour d’autres ruines comme celle, plus connue, de l’église du Souvenir à Berlin, flanquée d’un édifice moderne consacré en 19617. Ou encore la ruine de l’église Saint-Alban à Cologne, où le président fédéral Theodor Heuss a fait installer en 1959 la copie d’une célèbre sculpture de Käthe Kollwitz, Les Parents en deuil, pour transformer le lieu en un mémorial fédéral8. L’hommage, principalement tourné vers les victimes civiles allemandes, dépasse ici clairement la mémoire locale.
75 Couverture d’un numéro spécial du magazine Der Spiegel (1/2003). « Quand le feu tomba du ciel ». Discours de François Hollande le 6 juin 2014. Commémoration du 70e anniversaire du débarquement allié en Normandie au Mémorial de Caen.
76 Monument aux victimes des bombardements du 16 mars 1945 sur Würzburg. Sculpture de Fried Heuler.
77 Hanovre, l’Aegidienkirche (église Saint-Gilles) détruite lors d'un raid aérien en 1943.
Ses ruines ont été conservées. À l’intérieur, une sculpture de Kurt Lehmann intitulée Demut (Humilité) y a été placée en 1959.
Dès la fin de la guerre, c’est le mythe résistancialiste, celui d’une France majoritairement combattante, qui devait constituer le nouveau ferment de la nation. Lorsque les souffrances civiles autres que celles endurées par les résistants étaient évoquées, elles étaient présentées comme un « tribut » payé par les Français à leur libération. La mémoire des bombardements était d’autant plus incommode qu’elle était peu compatible avec l’hommage rendu aux libérateurs alliés. En outre, la propagande de Vichy sur les bombardements alliés « criminels » et « barbares » jetait potentiellement un discrédit sur leur mémorialisation ultérieure. À Rouen par exemple, la visite qu’avait rendue le maréchal Pétain à la « première des villes martyres » moins d’un mois après le bombardement nocturne du 19 avril 1944 avait constitué l’un des points culminants du discours vichyste anti-allié et notamment antibritannique10. Malgré ces hypothèques, plusieurs villes françaises bombardées ont souhaité très tôt inscrire dans leur paysage urbain leur statut de « ville martyre » en envisageant d’ériger ou d’aménager des monuments spécifiques honorant la mémoire de leurs victimes civiles. C’est le cas, au Havre, de l’église Saint-Joseph, achevée en 1957 et dont la fonction de mémorial est rappelée dans la présente publication11. L’exemple rouennais est quant à lui particulièrement significatif de la tension entre le local et le national. La municipalité a envisagé dès 1947 d’aménager la porte de l’ancien Hôtel des douanes détruit pendant
La RDA accordait elle aussi une place importante aux bombardements alliés dans sa culture mémorielle, en les instrumentalisant idéologiquement. La mémoire des « raids terroristes » sur les villes allemandes – une expression déjà utilisée par les nazis – s’intégrait en effet parfaitement au discours contre les agresseurs « impérialistes anglo-américains », taxés de « fascisme » dans le contexte de la guerre froide. Dresde, très largement détruite par les bombardements de février 1945, tardifs et donc souvent contestés, était ainsi érigée en symbole non seulement local mais aussi national, et la ruine de la Frauenkirche (église NotreDame) y avait aussi été conservée pour servir de mémorial9.
Dans les années 1950-1960, c’est en effet une perspective victimaire qui domine en RFA, et l’amnésie porte plutôt sur les crimes nazis. Les Allemands se posent majoritairement en doubles victimes, du nazisme et des Alliés. Par ailleurs, ces églises-monuments sont destinées à contraster avec la reconstruction, dont on vante les mérites. Parallèlement à l’expression du deuil, on observe dans les villes allemandes comme à l’échelle du pays un discours qui survalorise le relèvement après la « catastrophe ». Cette catastrophe, peu contextualisée, est intégrée dans le mythe de l’« heure zéro » (Stunde Null), qui semble faire commencer l’histoire en 1945 et permet d’occulter les responsabilités allemandes.
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Si, en Allemagne, les cultures mémorielles locales des villes bombardées s’accordent finalement assez bien, pour les premières décennies d’après-guerre, avec les schémas dominants à l’échelle nationale, il n’en est pas de même pour la France, où les concurrences sont plus fortes entre les mythes nationaux et les identités locales.
79 Cologne, La ruine de l’église Saint-Alban. À l’arrière-plan, la sculpture de Käthe Kollwitz Les Parents en deuil.
Caen, ancien calvaire Saint-Pierre. Monument dédié aux victimes de la bataille de Caen, œuvre d’Anna Quinquand, érigé en 1962. les bombardements de la « Semaine rouge » (mai-juin 1944), alors réédifiée sur un nouveau site, en un monument à la mémoire de toutes les victimes des bombardements de l’agglomération. Il semble toutefois que ce projet n’ait pas été présenté devant la Commission centrale des monuments commémoratifs créée en 1947, celle-ci devant prioritairement honorer des « faits glorieux de la guerre ».
Le monument rouennais aux victimes des bombardements a toutefois été inauguré plus tard, en 1964, à une époque où la reconstruction était globalement achevée12. On observe une chronologie similaire à Caen, avec la reconstruction, en 1962, de l’ancien Calvaire Saint-Pierre sous forme de monument évoquant explicitement les destructions subies par la ville, puis le transfert, en 1964, d’une victime civile inconnue dans l’enceinte du château – reliquat d’un projet de Mémorial du martyre de la ville envisagé dès 194513. À la fin de la même décennie, la ville de Saint-Lô inaugure, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire du Débarquement, son monument à la mémoire des victimes civiles du 6 juin 1944. Il est donc abusif de parler d’amnésie. Il faut toutefois souligner la diversité des situations locales et remarquer que la mise en récit mémorielle n’est pas nécessairement liée à l’ampleur des destructions mais qu’elle est subordonnée à une hiérarchie des priorités. À Nantes par exemple, la mémoire des
Alors qu’à la même époque cette commission rendait, pour Rouen, un avis favorable sur le projet de Monument aux martyrs de la Résistance de Seine inférieure, inauguré en 1949.
80 Rouen, la Porte de l’ancien Hôtel de la Douane, monument aux victimes civiles de 1940-1944. Inventaire régional de Normandie.
Des réseaux mémoriels transnationaux s’étaient constitués dès les années d’aprèsguerre, en particulier entre Coventry et des villes allemandes. Parmi les exemples européens de jumelages de villes se référant à un vécu commun de la guerre aérienne, on peut évoquer celui conclu dès la fin des années 1950 entre Caen et Würzburg. La charte officielle de renouvellement du jumelage en 1982 rappelle que « cette expérience commune et douloureuse de l’histoire » a constitué le fondement de la coopération des deux villes en faveur de la paix.
81 bombardements de 1943 semble avoir longtemps été occultée par celle de l’hommage rendu aux « Cinquante otages » fusillés par les Allemands en 194114.
Et à Lyon, la crainte du révisionnisme et d’une continuité des discours accusant les Alliés a empêché jusqu’à aujourd’hui les élites locales de rendre un hommage trop appuyé aux victimes des bombardements15 . Ailleurs encore, comme à Marseille16, et sans doute aussi au Havre17, l’éclatement des monuments ou plaques rendant hommage aux victimes des bombardements n’a manifestement pas favorisé l’émergence d’un récit mémoriel local vraiment cohérent.
En Allemagne, la thèse du tabou supposé se fonde sur l’idée que les cultures mémorielles auraient, depuis la fin des années 1960, été centrées principalement non pas sur les victimes allemandes, mais sur les victimes des Allemands, notamment celles de la Shoah. Certes, on a commencé à rompre le mutisme sur les crimes nazis dès cette période, mais les responsabilités allemandes n’ont en réalité dominé les mémoires officielles qu’à partir des années 1980 – et encore plus tardivement si l’on considère l’échelle locale. Pour reprendre l’exemple des monuments de Hanovre, il faut noter que le Mémorial pour les Juifs assassinés de la ville n’a été inauguré qu’en 1994, après de longs débats18. En France, il faut attendre également les années 1970-1980 pour une prise de conscience des crimes de Vichy. Et si les années 1990 ont vu la Shoah accéder à une place centrale dans la mémoire nationale, les victimes juives restent jusqu’à aujourd’hui assez peu visibles à l’échelle des villes.
Même si l’on considère qu’en France comme en Allemagne les priorités mémorielles ont changé quelques décennies après la guerre, les bombardements n’ont en réalité jamais disparu totalement des mémoires urbaines. Les lieux de mémoire évoqués plus haut ont continué à être le théâtre de cérémonies rendant hommage aux victimes.
Il est intéressant de constater qu’avec le temps la représentation des bombardements est de plus en plus convergente dans les pays meurtris par des bombes « amies » et les pays soumis à des attaques ennemies. Dès les années 1950, on trouvait déjà dans toute l’Europe des schémas de représentation communs, telle l’image du « phénix renaissant de ses cendres », qui s’exprimait aussi dans l’iconographie et les monuments, comme à Caen et à Würzburg19. Mais ces convergences s’accentuent à mesure que la mémoire des bombardements s’européanise, voire s’universalise autour de l’idée que le souvenir doit servir la paix et la réconciliation entre anciens ennemis.
On le voit notamment, pour l’Allemagne et la France, à travers deux exemples : le jumelage entre Hanovre et Hiroshima, conclu en 1983 avec l’idée qu’une « catastrophe similaire » [à celle des bombardements sur l’Allemagne et sur le Japon] ne doit pas se répéter ; et l’inauguration du Musée mémorial de Caen en 1988, né de la volonté du maire de l’époque de faire de la mémoire de la destruction de Caen (inscrite symboliquement dans l’architecture du bâtiment) le fondement d’un message pacifique international.
Cette convocation de la mémoire des bombardements à des fins de réconciliation n’est pas sans poser le problème d’une décontextualisation, qui a souvent été évoquée dans les débats des années 1990 et 2000 en Allemagne, à une époque où, comme en France, la mémoire des bombardements revenait davantage sur le devant de la scène. Car les Allemands pouvaient-ils devenir des « victimes parmi d’autres » ? Ce sujet a notamment fait débat au moment de la reconstruction de la Frauenkirche de Dresde, réédifiée entre 1994 et 2005 grâce entre autres à des dons britanniques20. Les controverses sont d’autant plus virulentes que l’extrême droite allemande s’empare régulièrement de l’exemple emblématique de Dresde pour relativiser les crimes nazis – sa frange la plus radicale évoquant même un « holocauste par les bombes ».
82 C’est en effet dans les années 1980 que culmine cette volonté de paix et de réconciliation, dans un contexte marqué par la course aux armements et la menace nucléaire. Durant cette décennie, les bombardements ne sont donc pas oubliés, mais il y a déplacement de la mémoire vers une autre sphère, plus universelle.
Il faut sans doute saluer, en France comme en Allemagne, le renouveau de la mémoire des bombardements à partir des années 1990. Ce renouveau s’est opéré à partir d’une réflexion éthique sur les guerres contemporaines et leur impact sur les populations civiles. Il a trouvé son inscription dans la pierre à travers l’édification de nouveaux monuments ou lieux de mémoire, et s’est appuyé sur l’implication des derniers témoins. Il reste toutefois nécessaire d’approfondir, dans toute l’Europe, la connaissance des événements, de leur contexte et de leur mémorialisation ultérieure pour prévenir toute forme de relativisation de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Ou encore pour déconstruire les mythes, comme ceux qui ont longtemps été vivaces aussi au Havre.
4 Pour une présentation synthétique de ces discussions, voir Malte Thießen, « Un lieu de mémoire tabou ? Le débat sur les bombardements dans l’Allemagne du tournant du millénaire », in Bombardements 1944, op. cit., p. 103-113.
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6 Pour une étude détaillée de la mémoire des bombardements à Hanovre, voir Corinne Bouillot, « Die Erinnerung an den alliierten Luftkrieg in Hannover. Eine lokale Analyse im europäischen Vergleich », in Niedersächsisches Jahrbuch für Landesgeschichte, vol. 9, Göttingen, Wallstein Verlag, 2017, p. 129-146.
7 Voir Celina Kress, « Anker oder Ärgernis. Die Berliner (dir.),IconWiederaufbaustreitWilhelm-GedächtniskircheKaiser-zwischenundUrban»,inGeorgWagner-Kyora Wiederaufbau der Städte : Europa seit 1945/Rebuilding European Cities : Reconstruction-Policy since 1945, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2014, p. 349-366. 8 Voir Hannelore Fischer (dir.), Käthe Kollwitz. Die trauernden Eltern. Ein Mahnmal für den Frieden, Cologne, Dumont, 1999, p. 157 et s. 9 Voir Michael S. Falser, « Trauerarbeit an Ruinen. Kategorien des Wiederaufbaus nach 1945 », in Michael Braum, Ursula Baus (dir.), Rekonstruktionen in Deutschland : Positionen zu einem umstrittenen Thema, Bâle, Birkhauser, 2009, p. 60-97, ici p. 81 et s. ; Thomas Fache, « in LuftangriffeDresdensGegenwartsbewältigungen.Gedenkenandiealliiertenvorundnach1989», Luftkrieg, op. cit., p. 221-238.
Ce colloque a constitué le fondement principal de l’ouvrage collectif comparatiste : John Barzman, Corinne Bouillot et Andrew Knapp (dir.), Bombardements 1944. Le Havre, Normandie, France, Europe, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2016. Pour l’état de la recherche, voir notamment Boris Leval-Duché, « Les bombardements alliés dans l’histoire des années noires : historiographie et perspectives », in Bombardements 1944, op. cit., p. 37-52.
20 Voir Thomas Fache, « Gegenwarts bewältigungen. Dresdens Gedenken an die alliierten Luftangriffe vor und nach 1989 », in Luftkrieg, op. cit
11 Voir le texte de Françoise Gasté p. 100.
18 Voir Corinne Bouillot, « Die Erinnerung an den alliierten Luftkrieg… », in Niedersächsisches Jahrbuch für Landesgeschichte, op. cit
Voir Neil Gregor, « Trauer und städtische NürnbergsErinnerungenIdentitätspolitik.andieBombardierung»,inJörgArnold,Dietmar Süß, Malte Thießen (dir.), Luftkrieg. Erinnerungen in Deutschland und Europa, Göttingen, Wallstein-Verlag, 2009, p. 131-145.
12 Voir Corinne Bouillot, « La mémoire rouennaise… », in La Reconstruction en Normandie et en Basse-Saxe après la Seconde Guerre mondiale, op. cit
2 Corinne Bouillot, « Introduction », in Bombardements 1944, op. cit., p. 15-33.
16 Voir Robert Mencherini, « “Leçon des tombeaux” et polysémie mémorielle. Autour du bombardement de Marseille, le 27 mai 1944 », in Bombardements 1944, op. cit., p. 415-430.
15 Voir Isabelle von Bueltzingsloewen, « Le bombardement de Lyon du 26 mai 1944 : une mémorialisation impossible ? », in Bombardements 1944, op. cit., p. 431-448.
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10 Voir Corinne Bouillot, « La mémoire rouennaise des bombardements dans son contexte régional et national, 1944-2011 », in Corinne Bouillot (dir.), La Reconstruction en Normandie et en Basse-Saxe après la Seconde Guerre mondiale. Histoire, mémoires et patrimoines de deux régions européennes, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2013, p. 339-362.
13 Voir Pierre Bergel et Corinne Bouillot, « Mémoires croisées des bombardements. Perspectives locales franco-allemandes : Rouen, Hanovre, Caen, Würzburg », in Bombardements 1944, op. cit 14 Voir Didier Guyvarc’h, « Un événement majeur de l’histoire de Nantes partiellement occulté : les bombardements de septembre 1943 », in Bombardements 1944, op. cit., p. 397-413.
19 Voir Pierre Bergel et Corinne Bouillot, « Mémoires croisées des bombardements. Perspectives locales franco-allemandes : Rouen, Hanovre, Caen, Würzburg », in Bombardements 1944, op. cit. Sur ce qui suit, voir aussi Malte Thieβen, « Les bombarde ments dans la mémoire des villes européennes : une approche urbaine comparatiste », in Bombardements 1944, op. cit
Dresde, Frauenkirche (église Notre-Dame). Détruite, comme la majeure partie de la ville, lors bombardementduallié le 13 février 1945, elle a été reconstruite à l’identique en Les2005.anciennes pierres ont été réintégrées à l’édifice et se démarquent par leur couleur foncée.
17 La question de la mémoire officielle havraise est évoquée, dans une étude plus transversale, par Andrew Knapp : « “Nous vous attendions dans la joie, nous vous accueillons dans le deuil” : la libération dans la mémoire des Havrais », in Michèle Battesti et Patrick Facon (dir.), Les Bombardements alliés sur la France durant la Seconde Guerre mondiale : stratégies, bilans matériels et humains, Paris, Cahiers du Centre d’études d’histoire de la défense, n° 37, 2009, p. 77-101.
Le présent texte reprend partiellement, en élargissant le corpus des villes étudiées, les grandes lignes de la contribution suivante : Pierre Bergel et Corinne Bouillot, « Mémoires croisées des bombardements. Perspectives locales franco-allemandes : Rouen, Hanovre, Caen, Würzburg », in Bombardements 1944, op. cit., p. 379-395. Il s’appuie également sur les comparaisons européennes présentées par Malte Thießen, « Les bombardements dans la mémoire des villes européennes : une approche urbaine comparatiste », in Bombardements 1944, op. cit., p. 361-378.
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Les Havrais rassemblés devant les ruines du théâtre au soir de la libération, 12 septembre 1944. Cliché William Beaufils dit Will. BMLH, Wph.
Le nombre de 5 000 victimes, annoncé très rapidement, bien que contre-carré dès février 1945, s’est installé dans la durée1. L’absence de travail efficace de croisement des sources, de vérifications, a engendré ce flou préjudiciable pour la mémoire et l’histoire.
Depuis peu, grâce à la disponibilité et la communicabilité de sources variées conservées aux Archives municipales, un travail de dénombrement a été entrepris2. Cependant, les enjeux de recensement des victimes ou les questions mémorielles ne sont bien évidemment pas nouvelles. Comment les Havrais, la Ville du Havre ont-ils commémoré ces victimes durant les soixante-quinze ans écoulés ? Quels sont les enjeux ou les représentations à l’œuvre ?
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La question des victimes civiles des bombardements de la Seconde Guerre mondiale, majoritairement anglo-américains, a été refoulée, écartée, et n’a pu pendant longtemps être abordée de manière frontale ou publiquement. Ce en raison de leur exploitation par la propagande durant l’Occupation, qu’elle soit allemande ou vichyste, de la valorisation de l’acte libérateur et du rôle de la
Pierre Beaumont
AuRésistance.Havre,la question de la cause ou de la nécessité des bombardements des 5 et 6 septembre qui ont détruit le centre-ville est liée à la mémoire des victimes civiles de ces bombardements.
Drapeau et plaque en hommage aux équipiers nationaux, place de l’Hôtel de ville, après les bombardements de septembre 1944. AMH 31Fi2446.
Les victimes civiles havraises Enjeuxethistoriquesmémoriels
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Le gouvernement provisoire de la République adopte en 1945 différents statuts spécifiques pour les combattants, prisonniers, déportés et requis du STO… tout en visant de manière symbolique à favoriser pour l’avenir la réconciliation et l’unité des Français. Une de ces mesures est l’ordonnance n° 45-2717 du 2 novembre 1945 relative aux actes de décès des militaires et civils morts pour la France. Elle prévoit d’accorder la mention de « Mort pour la France » de manière très large et notamment « à toute personne décédée à la suite d’actes de violence constituant une suite directe des faits de guerre ». Cette ordonnance abroge la loi du 2 juillet 1915 qui accordait cette mention à tout civil « tué par l’ennemi ». On élargit donc Sépultures de civils improvisées square Saint-Roch AMH 6Fi18.
En effet, à la différence de la Première Guerre mondiale, la population civile a été très touchée par le second conflit mondial3. Par ailleurs, pour les Français, les expériences sont multiples, antagonistes et même conflictuelles : combattants et prisonniers de guerre de 1939-1940, Français libres, requis du Service du travail obligatoire (STO), déportés, résistants, collaborateurs à divers degrés… De plus, en raison des circonstances, la frontière entre statut des victimes civiles ou combattants est parfois difficile à établir.
La place des victimes civiles en France Avant toute chose, il paraît nécessaire de préciser les évolutions juridiques du statut des victimes civiles en raison de leur forte mortalité dans le conflit.
de septembreles bombardementsaprès1944. Cliché F. Pillon,
Dès après le 12 septembre 1944, jour de la Libération du Havre, cette mémoire s’inscrit déjà dans les ruines des lieux où se trouvent encore les victimes, alors que des sépultures temporaires sont improvisées square Saint-Roch, autour du monument aux Morts et au cimetière Sainte-Marie. C’est le cas en particulier pour les secouristes des Équipes nationales disparus sous l’immeuble du café Guillaume-Tell.
Par ailleurs, le caractère obligatoire de l’inscription du nom des morts pour la France sur les monuments aux morts ou dans leur environnement immédiat a été rappelé par la loi du 28 février 20125 . Bien que récente, cette loi s’inscrit dans l’esprit de l’ordonnance de 1945 et vise à systématiser la démarche d’inscription des victimes, en particulier civiles. Plus globalement, la mémoire des victimes civiles est aussi reconnue et mise en lumière aujourd’hui grâce en particulier à l’action de la région Normandie6. La reconnaissance officielle des souffrances des civils lors de la bataille de Normandie par le président de la République François Hollande le 6 juin 2014 a eu bien sûr aussi à cet égard une portée symbolique très forte.
Une photographie témoigne de l’existence d’un mât avec drapeau et d’un écriteau qui rappelle leur destin tragique7.
89 implicitement la mention aux victimes des violences des Alliés. Toutefois, il est nécessaire d’apporter la preuve que le décès est la conséquence directe d’un fait de guerre, démarche plus complexe et souvent réalisée pour les civils à la demande des familles et non par les autorités elles-mêmes4.
Les lieux de mémoire au Havre : mémoire résistante et mémoire des victimes civiles
L’État ayant laissé, comme pour la Première Guerre mondiale, les communes organiser cette mémoire, la question de la matérialisation de la mémoire des événements se pose au Havre comme ailleurs. Qu’en est-il exactement ? Comment, dans l’immédiat après-guerre et au-delà, est gérée la question des lieux de mémoire ? La mémoire résistance et combattante est-elle dominante ?
Le Monument Souviens-toi ! Cependant, le premier des monuments édifiés après-guerre est consacré à la mémoire des victimes des nazis et réalisé de manière provisoire par des bénévoles avec des matériaux de récupération. Il s’agit d’une initiative de l’antenne régionale de l’Association nationale des victimes du nazisme. Au cœur, il y a d’abord l’hommage aux victimes déportées, même si au moment de son inauguration, le 9 septembre 1945, on cherche à y adjoindre tous les morts de la guerre, « […] tous ceux qui sont tombés pour la Libération de la France et la grandeur de la République8. »
90 Commémoration du 8 mai en 1964 au monument « Souviens-toi ! », place des Expositions. AMH 31Fi334. Monument mémorial de la « Résistance et de la Déportation - Souviens toi », place de l’Hôtel de ville. Ville du Havre, 2022.
La volonté des associations et représentants des résistants et déportés est bien, au Havre comme ailleurs, de singulariser la mémoire de la Résistance et de la Déportation en particulier par rapport aux monuments aux morts de la Première Guerre mondiale. La place de l’Hôtel de ville est très rapidement envisagée par les associations de résistants et déportés comme lieu d’érection d’un monument à la Résistance9. Cette démarche trouve son aboutissement au Havre en 1990 avec l’aménagement du Monument mémorial de la Résistance et de la Déportation Souvienstoi ! qui porte le nom des victimes déportées, résistantes mais également juives.
L’installation de ces pavés fait suite au travail de recherche sur des victimes havraises de la Shoah mené par des lycéens havrais en 2016 et 2017 puis à l’initiative de l’association des Pavés de Mémoire qui a soutenu localement la démarche de Gunter Demnig. Cet artiste berlinois est à l’origine de l’installation dans l’espace public allemand puis européen de « Stolpersteine » (littéralement, pierres d’achoppement), pavés de laiton portant individuellement les noms, prénoms, dates de naissances, de déportation et de décès des victimes. Ces pavés, fichés dans les trottoirs, sont installés devant le dernier domicile connu ou le lieu d’arrestation de ces personnes.
Le 28 avril 2022, Édouard Philippe, maire du Havre, a dévoilé 12 « Stolpersteine » ou pavés de mémoire dans 5 lieux différents de la ville.
Une mémoire des victimes des bombardements portée par la municipalité Courant Pierre Courant (1897-1965), maire du Havre de 1941 à 1944, nommé par Vichy, est destitué à la Libération puis réélu en 194710. Sa popularité tient alors beaucoup à son rôle pendant le siège du Havre, ce qu’il n’hésite d’ailleurs pas à rappeler11. En 1948, un projet de monument aux victimes civiles est adopté par la municipalité.
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Le 12 juillet, le conseil municipal examine la demande de transfert du monument Souviens toi ! de la place des Expositions auprès du monument aux Morts place Gambetta, demande formulée par la section départementale des Amicales des réseaux de la France combattante et « L’Heure H ». À cette occasion, le maire signale que : « Il y aurait lieu d’honorer également d’autres victimes qui sont au nombre de 3 à 5 000, les victimes des bombardements aériens. »
Des « Stolpersteine » au Havre, une démarche nouvelle Beaucoup plus près de nous, c’est dans le cadre d’une démarche artistique et mémorielle nouvelle qu’ont été honorées au Havre des victimes du nazisme.
Différente de l’apposition classique des plaques commémorative individuelles ou collectives sur des immeubles, cette démarche est révélatrice d’une nouvelle conception de la mémoire dans l’espace public approprié par des artistes.
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93 Pierre Courant lors de la cérémonie commémorative de la Libération du Havre, 12 septembre 1948. AMH Cette31Fi330.photographie est la seule connue qui représente le « tertre » en hommage aux victimes civiles, situé à proximité du monument aux Morts.
AMH 12Fi12. La population est invitée à demander que « le monument de la Résistance à la gloire de ses héros et de ses martyrs soit élevé place de l’Hôtel de ville ».
Le maire donne son accord au transfert du monument Souviens toi ! et annonce avoir l’aval d’Auguste Perret, architecte en chef de la Reconstruction, pour créer autour du monument aux Morts une place du Souvenir, ensemble architectural composé d’un « monument perpétuant le souvenir des victimes du nazisme et également un monument qui honorerait les morts du Havre, victimes des bombardements »12.
Pierre Courant compare les jeunes équipiers aux résistants tués par l’ennemi. Pour les résistants et leurs représentants après-guerre, une telle façon de présenter les équipiers pose problème, car les Équipes nationales et les organisations de secours aux populations ont été mises en place et encadrées par le gouvernement de Vichy. duduAnnoncerassemblement12septembre1948.
En 1953, l’ouverture d’un concours d’architectes et de sculpteurs est décidée pour ce monument, envisagé alors comme une colonnade entourant le monument aux morts. Bien qu’adopté en conseil municipal, ce projet ne sera pas réalisé. Il est combattu avec vigueur par des conseillers de l’opposition qui privilégient la réalisation d’un monument spécifique à la Résistance14.
Pour les cérémonies du 12 septembre 1948, un « tertre » isolé est aménagé place Gambetta. Seule, une photographie conservée aux Archives permet de matérialiser ce lieu très sommairement aménagé13. Une pancarte signale : « Ici sera érigé un monument rappelant la mémoire des 5 000 civils havrais morts par suite d’événements de guerre (1939-1944) ». La polarisation autour du chiffre de 5 000 victimes est encore à signaler.
Union ou confusion des mémoires ?
La position de Pierre Courant semble répondre à la problématique générale posée après la Libération : identifier les situations en rassemblant la population et éviter la concurrence des mémoires. Toutefois, n’y a-t-il pas risque de confusion des mémoires entre les victimes de la répression nazie et les victimes de bombardements alliés ? À cet égard, le discours de Pierre Courant en 1952, premier hommage durable aux victimes civiles, prononcé lors du dévoilement de la plaque des Équipiers nationaux, groupe de jeunes secouristes morts le 5 septembre 1944, interpelle : « […] L’héroïsme chez les très jeunes a toujours fait l’objet d’une fervente admiration et ceux-là sont du même sang que le jeune tambour Bara et que les jeunes résistants qui ont subi les supplices de l’ennemi. Partout, à mesure que la Ville se reconstruira, nous honorerons tous les Martyrs dignement avec le respect qui leur est dû à tous. Mais, au moment où la France a besoin de revivre, plus courageuse et plus ardente que jamais, si elle ne veut pas disparaître, ne devonsnous pas honorer tous les actes de courage ? N’y a-t-il pas là tout ce qu’il faut pour inspirer au Pays le désir d’une réconciliation entre tous ceux qui l’ont servi ? 15
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»
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Mais la condition de l’établissement d’un mémorial des victimes est la réalisation d’une liste, ou tout au moins de chiffres établis, vérifiés. Or, ce sont jusqu’à aujourd’hui des plaques générales qui ont été apposées. La question du mémorial des victimes civiles, encore posée dans les années 2000 par François Poupel et l’association Remember Le Havre 1944, est réactivée également par la loi de 2012.
Les96 évolutions de l’hommage aux victimes civiles de 1956 à 1970 À partir des années 1950, des temporalités et des lieux de mémoires différents se mettent en place et perdurent jusqu’à aujourd’hui. Les journées des 5 et 6 septembre sont consacrées aux victimes des bombardements lors d’hommages auprès des différentes plaques, en particulier celle des Équipiers nationaux et celle du tunnel Jenner dévoilée en 1956. Le 12 septembre, jour anniversaire de la Libération, est consacré à l’hommage aux victimes du nazisme et aux combattants, qui a lieu successivement au monument Souviens-toi ! et au monument aux Morts. Durant ces années, le projet d’ensemble monumental mémoriel envisagé en 1953 est abandonné. L’hommage au « tertre de la place Gambetta » c’est ainsi qu’il est nommé se poursuit les années suivantes, de 1949 à 1955, et jusqu’à l’avènement de la première municipalité communiste de René Cance en 1956. Cette année-là, lors des cérémonies de la Libération, il est annoncé qu’un monument à la Résistance est projeté place de l’Hôtel de ville. La presse annonce qu’un hommage sera rendu à l’emplacement du théâtre disparu aux 5 000 victimes civiles mais qu’il n’y aura pas d’hommage au « tertre » à gauche du monument. Il en est de même en 1957 et en 1958, et cet hommage ne sera pas annoncé en 1959 par la municipalité de Robert Monguillon. On ne trouve plus ensuite mention dans la presse d’un monument aux victimes civiles jusqu’en 1970, date à laquelle est signalé le monument érigé à la mémoire des victimes civiles dans le cimetière Sainte-Marie, près des sépultures des victimes. Si le projet de mémorial est abandonné, une plaque générale à la mémoire des victimes civiles se trouve apposée au pied du monument aux Morts. Nous n’avons pas trouvé trace de son installation. Cette plaque a-t-elle été apposée en 1971 à l’occasion de l’inscription du nom des soldats morts lors de la Seconde Guerre mondiale, en Indochine et en Algérie, qui fait suite à la décision du conseil municipal16 ?
Perspectives historiques et mémorielles
Le 6 septembre 2019, c’est l’église Saint-Joseph qui est honorée en tant que lieu de mémoire pour les victimes des bombardements avec l’apposition d’une plaque sur son parvis. La monumentalité de l’édifice, son caractère exceptionnel, symbole de la renaissance de la ville, et le lieu même de son édification ont du sens par rapport aux événements, même s’il ne s’agit pas d’un édifice civil.
Vers un mémorial des victimes civiles ?
1 Le dossier de remise de la Légion d’honneur à la Ville du Havre établi en 1949 recense 5 126 morts havrais pendant le conflit mais ne donne pas d’éléments précis à l’appui qui puissent étayer ce chiffre (AMH, K3 6 l. 5 à 12).
3 Le nombre de morts français du second conflit mondial est évalué à 217 000 militaires et 350 000 civils. Cette évaluation, bien que revue à la baisse selon des estimations récentes, est encore la plus communément donnée. Source : mondiale.pendant_la_Seconde_Guerre_org/wiki/Pertes_humaines_https://fr.wikipedia.
97 Monument aux victimes civiles (à gauche) et sépultures au cimetière Sainte-Marie à droite).
10 Pierre Courant est maire de 1947 à 1954, député de 1945 à 1962, ministre du Budget (1951-1952) et ministre de la Reconstruction (1953).
16 AMH, délibération du Conseil municipal n° 116 du 7 décembre 1970. Note 2.
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11 Pierre Courant, Au Havre pendant le siège : Souvenirs du 1er au 12 septembre 1944, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1946. Une amicale intitulée « Ceux du siège » est également constituée en 1949 autour de Pierre Courant. Cette initiative est fortement attaquée par la presse communiste (L’Avenir du Havre, semaine du 23 au 29 décembre 1949).
12 AMH, délibération du conseil municipal n° 5 du 12 juillet 1948. Dossier préparatoire, AMH, FC M1 50-10. 13 AMH 31Fi330.
14 AMH, délibération du conseil municipal n° 6 du 30 janvier 1953. 15 Extraits du discours prononcé par Pierre Courant lors l’inaugurationdede la plaque des Équipiers nationaux le 12 septembre 1952. AMH, dossier documentaire Équipiers nationaux, 38.1.5.
4 Olivier Wieviorka, La Mémoire désunie. Le souvenir politique des années sombres de la Libération à nos jours, Paris, Éditions du Seuil, « Points Histoire », 2010.
Ville du Havre, 2022. Suite aux travaux d’Andrew Knapp en 2010 puis aux travaux de l’université, un recensement est en cours17 à partir des différentes sources dont disposent les Archives municipales (GGHSM). Ce recensement, malgré ses limites (voir plus bas), répond à une nécessité de connaissance de ces personnes. Il permettra de retrouver toutes les informations disponibles, voire de retrouver des lieux de mémoire ou des sépultures. Hormis la réalisation d’un mémorial matériel, d’autres perspectives d’utilisation ou de mise en valeur de ce dénombrement sont envisageables. Il appartiendra à la Ville du Havre de les déterminer.
2 Voir p 98 la présentation du travail de recensement entrepris par Stéphane Lobruto.
8 « À la mémoire des victimes de la 7danslalatombésSTO,auxetstalagsprisonniersetcombattante,et1945,mortspourManifestationdimanchemonumentL’inaugurationLibération.duprovisoire9septembre.dusouvenirrendrehommage :auxglorieuxde1939-auxsoldats,marinsaviateursdelaFranceauxinternésdéportéspolitiques,auxdisparusdanslesetoflags,auxfusillésmartyrsdelaRésistance,déportésraciauxetduàtousceuxquisontpourlaLibérationdeFranceetlagrandeurdeRépublique.»InsertionlejournalHavrelibre,septembre1945.
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La comparaison avec les situations de Rouen et Caen est aussi éclairante. Voir Corinne Bouillot, « La mémoire rouennaise des bombardements dans son contexte régional et national », In Corinne Bouillot (dir.), La Reconstruction en Normandie et en Basse-Saxe après la Seconde Guerre mondiale : Histoire, mémoires et patrimoines de deux régions européennes, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Mont-Saint-Aignan,Havre,2013.
5 « Lorsque la mention ‘’Mort pour la France’’ a été portée sur son acte de décès (dans les conditions prévues à l’article L. 488 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre), l’inscription du nom du défunt sur le monument aux morts de sa commune de naissance ou de dernière domiciliation ou sur une stèle placée dans l’environnement immédiat de ce monument est obligatoire […]. » Article 2 de la loi du 28 février 2012. 6 Il convient de signaler en particulier l’ouverture du mémorial de Falaise (Calvados) en 2016, projet soutenu par les collectivités normandes. 7 AMH, 31Fi2446.
98 Registre des victimes des bombardements du 4 au 20 juin 1944. AMLH FC 4H16-3. Appel au recensement des victimes (mai 1945). AMH FC 4 h 16-3. AMLH 115W32. Ces fiches recensent les victimes bombardementsdes des 5 et 6 septembre 1944.
Au 1er février 2022, la base de données constituée comprend 4 170 noms dont 423 victimes de la répression et des déportations (STO compris) et 3 747 victimes d’actes de guerre, essentiellement donc des bombardements allemands et alliés.
LobrutoUne
Le dénombrement des victimes civiles havraises
Des raisons matérielles et organisationnelles ont longtemps rendu un travail de dénombrement des victimes civiles havraises, en particulier celles décédées des suites des bombardements, très difficile. Aujourd’hui, passés les délais légaux de communicabilité, l’ouverture des archives permet le croisement des différentes informations et la mise en œuvre de vérifications indispensables. Cependant, il est utile de signaler que même si ce travail actuel, en bonne voie d’aboutisse ment, a pour but d’être le plus exhaustif possible, sa complétude ne pourra jamais être totalement assurée.
99 Stéphane
opération complexe
Les sources utilisées sont multiples. Signalons en particulier le recensement général de toutes les victimes de la guerre ordonnée par le décret du 16 janvier 1945, seulement déclaratif et donc sujet à caution, les enquêtes menées ponctuellement pour obtenir le titre de « Mort pour la France », là encore très imparfaites et incomplètes. L’État-civil, constitué d’actes officiels, forme une source juridique de premier ordre. Des bénévoles du Groupement généalogique du Havre et de la Seine-Maritime (GGHSM) ont été associés à un certain nombre de vérifications dans les actes de naissance ou de décès extérieurs à la ville. Toutes ces informations ont été croisées avec d’autres sources disponibles et pour la plupart conservées aux Archives municipales. Pour les victimes des bombardements, signalons les rapports de police, articles de presse, archives de l’Hôpital, registres d’inhumation des cimetières ou encore témoignages et mémoires personnelles. Pour les déportés, mentionnons les enquêtes menées dans le cadre de la création du monument L’Oiseau blessé ainsi que les dossiers de la section locale de la Fédération nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP).
Vue extérieure de la seconde église inachevée, prise après 1903 depuis la place Saint-Joseph. AMH, 45Fi3.w.
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« Son style était un style de transition rappelant le gothique avec trois nefs, un transept avec lanterne et cinq chapelles absidiales donnant à l’ensemble un aspect harmonieux qui pouvait la faire considérer comme un modèle d’église paroissiale. » Fernand de Plinval, président de la coopérative des églises sinistrées.
Françoise Gasté
L’égliseœuvreSaint-JosephduHavretestamentaired’AugustePerret
À la veille de la Seconde Guerre mondiale le boulevard François 1er, tracé sur les anciennes fortifications, parallèlement au perrey, s’était loti ; l’église Saint-Joseph et son Institution d’enseignement catholique dotée d’une imposante chapelle en style néo-byzantin de William Cargill (1903), avaient contribué à faire de cet endroit l’un des plus beaux quartiers de la ville, car si les négociants protestants habitaient en majorité la Côte, la bourgeoisie catholique, jusque-là en partie sur Sainte-Adresse, s’y était installée. Le Reconstruction s’organise, des architectes havrais sont pressentis pour celle de Saint-Joseph ; en attendant, une troisième église est aménagée dans une demilune en tôle ayant servi de lieu de culte dans cet ex-camp américain, zone de transit destinée aux GI's en attente de leur retour aux USA, maintenant rebaptisé Camp François 1er et habité par de nombreuses familles de sinistrés.
Le 14 juin l’église Saint-Joseph est victime d’un premier sinistre, le 5 septembre 1944 c’est la dévastation complète du quartier et de l’église, très appréciée des paroissiens dont plusieurs ont péri, parmi lesquels l’abbé Jean Périer en charge de la Cettecure.église avait été érigée en style néo-gothique primitif en 1873 par le chanoine-architecte Charles Robert, ingénieur de la Marine, avec des fonds privés réunis par le conseil de fabrique, et pour cette raison n’était pas achevée ; en attente de nouveaux dons pour la construction d’un clocher, on avait provisoirement annexé celui de la première église en bois, aménagée en 1871 dans un hangar à machines de l’Exposition maritime internationale de 1868, en vue de créer une paroisse pour desservir le quartier du Perrey, alors habité par des pêcheurs et des familles d’ouvriers employés dans les chantiers navals Augustin Normand et Eudes.
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Cliché William Beaufils dit Will. BMLH Wph 44. On a utilisé les tambours des colonnes renversées pour ériger l’autel. À droite et de face, le futur curé de la paroisse, le vicaire Marcel Marie (1911-1995).
102 Messe célébrée sur les ruines de l’église par l’abbé Lefèvre, le 5 septembre 1945, date anniversaire de la destruction du quartier.
Le 18 décembre 1950, Auguste Perret est nommé architecte en chef de la reconstruction de l’église Saint Joseph et Raymond Audigier son collaborateur.
Faisant valoir dès le début « le statut de sanctuaire et de mémorial des victimes pour la mise en place des crédits supplémentaires », Aug. Perret reprend son projet, faisant affleurer au cours de l’année 1951 une église symbole de la renaissance d’une ville qu’elle structure et rassemble à l’image du plan centré à partir duquel tout l’espace s’organise, « tout entier conçu pour le rassemblement des fidèles autour de l’autel ».
Mais après sa rencontre avec Jacques Tournant, architecte-conseil du remem brement, représentant de l’agence Perret et installé depuis peu au Havre, Marcel Marie change d’avis enthousiasmé par le projet non réalisé d’Auguste Perret (1874-1954) d’une église tour de 200m de hauteur, pour la basilique Sainte-Jeanne d’Arc à Paris Belleville (1926).
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Clocher de la chapelle provisoire, camp François 1er Vidéogramme in "Renaissance du Havre" documentaire de Marcel Camus, Gaumont, 1949. Après les bombar dements, une petite chapelle en tôle ondulée bénite le 10 avril 1948 à 20h, est aménagée dans le camp François 1er, ex Cité de la Liberté, en présence d’une foule nombreuse.
En octobre 1947 Raymond Audigier (1907-1987) est désigné de manière tacite par la Société Coopérative de la Reconstruction Immobilière des Églises et Édifices religieux sinistrés de la Seine Inférieure ; supposant que les dommages de guerre seraient modestes, il conçoit un avant-projet en ce sens avec une tour lanterne pour, écrit-il, « ajouter au caractère paroissial de l’église celui d’un mémorial, en souvenir de tous ceux qui sont restés sous les décombres ». Celui-ci est refusé par l’abbé Marcel Marie (1911-1995) « arguant que ce principe était dépassé et que les clochers ayant un caractère trop bourgeois ne se faisaient plus » ; R. Audigier en établit donc un autre conservant toutefois « le principe d’un clocher sous la forme économique d’une flèche indépendante approuvé par le diocèse »1 .
La nouvelle église s’émancipe progressivement de la précédente ; délaissant ses ornements extérieurs, elle se dramatise à l’intérieur. D’abord avec le plan centré, d’usage courant en architecture funéraire, qui renvoie aux mausolées antiques, aux premiers édifices chrétiens qui avaient le caractère de martyris, c’est-à-dire
105 Concours pour la 1PerspectiverueSainte-Jeanne-d’Arc,basiliquedelaChapelle,Paris18e.surl’abside,erjuin1926. Fonds : Perret, Auguste et Perret frères, dossier : 535 AP doubléCrayon1926-1928.Augusted’architectureCNAM/SIAF/CAPA/Archives924/2.duxxesiècle/Perret/UFSE/SAIF/annéesurcalquedepapierJapon.
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AMH, fonds Fernez, 51Fi83.
Elle se dramatise également avec la raréfaction de la lumière à la base, afin qu’elle provienne d’en haut et creuse les ténèbres pour se répandre sur l’autel. Aug. Perret demande à l’artiste verrier Marguerite Huré (1895-1967), avec laquelle il avait travaillé à plusieurs reprises et notamment pour les verrières de Notre Dame du Raincy (1923) en Seine-Saint-Denis, « une lumière dorée, que vous obtiendrez comme vous l’entendrez. Vous baserez fortement pour aboutir, en haut de la tour, au blanc » 2 .
Vue intérieure de l’église Saint-Joseph avant 1964.
AMH, fonds Fernez, 51Fi187. Photographie prise avant les travaux d’aménagement intérieur conçu par l’architecte Guy Verdoïa en 1964. Les trois emmarchements circulaires seront fractionnés pour la pose, au-dessus de l’autel, d’un dais soutenu par quatre pieds métalliques.
Elle compose alors une basse continue de couleurs sombres rythmées sur chacune des orientations par un brun rouge « porto » que « Aug. Perret aimait beaucoup », et termine comme convenu avec le blanc ; quant à « la lumière dorée » demandée en référence à celle du tombeau de Napoléon aux Invalides, elle s’en inspire en contrant les lilas bleutés du Nord par leur complémentaire, l’orange au Sud. Vue intérieure de l’église Saint-Joseph après 1964.
107 élevés sur le lieu d’un martyre, ici celui de plus de 2000 victimes disparues sous les bombardements de septembre 1944.
108 C’est aussi cette lumière dorée, symbole de la Résurrection, que les auteurs des verrières de la cathédrale anglicane de Coventry (Angleterre) reconstruite par l'architecte Basil Spence (1962) ont choisi pour illustrer la cinquième et dernière étape de la vie ; et avant de commencer le vitrail du baptistère exécuté par le verrier Patrick Reyntiens, le peintre John Piper s’était rendu dans plusieurs églises françaises dont Notre-Dame du Raincy où le travail de Marguerite Huré sur la progression de la couleur l’avait particulièrement intéressé et inspiré. Ces artistes ont-ils eu connaissance de la chapelle du petit séminaire de Voreppe près de Grenoble ? En 1931 Marg. Huré y avait décliné sur trois orientations les différentes étapes de la vie d’un prêtre, de son engagement « à son retour au Père », avec un langage symbolique de la couleur comme ce sera le cas pour les dix verrières de la cathédrale de Coventry, qui expriment elles aussi la relation de Dieu avec l’homme, aux différents âges de la vie.
C’est Marguerite Huré qui va musicaliser l’ensemble de l’édifice, offrant en hommage « à son cher maître », un tombeau au sens poétique de composition Elledédiée.orchestre ce vitrail comme une partition dont les claustras donnent le rythme et la mesure, « un poème symphonique » aux 12 765 pièces de verre antique avec « un jeu rythmique des pleins et des vides » ; à la base les verrières sont étroites et espacées, un largo ; elles se rapprochent à la galerie carrée donnant un mouvement ascensionnel qui se ralentit avec le début de pyramide plus ajouré, un allegro suivi d’un andante, avant de s’élancer sur les dix-sept travées
En septembre 1954, R. Audigier recevait une délégation d’architectes de Coventry venus visiter le chantier de la Reconstruction. Au-delà de l’évocation du tombeau de Napoléon dont la fin des travaux et la décoration avaient été assurés en 1860 par Charles-Fortuné Brunet-Debaines, un architecte havrais ayant réalisé ici de 1855 à 1859 son grand œuvre, l’Hôtel de ville, inspiré de ses projets de restauration du Louvre, la notion de tombeau parcourt tout cet édifice, s’augmentant des intentions de chacun.
Son amie Marie Dormoy raconte comment Aug. Perret demandant que « les jeux d’orgue fussent placés au sommet de la tour Saint-Joseph de façon à ce que le son de l’orgue descendit sur les fidèles en même temps que la lumière des vitraux »3 , elle lui amena à son domicile, rue Raynouard Paris XVIe , le très renommé Marcel Dupré, brillantissime organiste titulaire de l’orgue de Saint-Sulpice et directeur du Conservatoire de Paris. Celui-ci est « passionnément intéressé » par le projet, et propose la création d’un jeu d’écho expressif, « ce dispositif serait unique au monde » écrit-elle dans un courrier adressé à Raymond Audigier, daté du 15 février 1954, mais la créance des dommages de guerre est insuffisante, « la coopérative ne peut envisager sa réalisation ».
Pour Aug. Perret cette église est non seulement le lieu de son œuvre testamentaire mais celui, pense-t-il, de sa dernière demeure ; il souhaitait y être enterré comme il était d’usage pour les architectes bâtisseurs, et en avait précisé l’emplacement à son ami Pierre Dalloz, directeur du service Architecture du Ministère de la Reconstruction, « sous la tour » avait-il murmuré, déjà affaibli.
Lumière filtrée par les verrières de Marguerite Huré. Cliché Fernez, AMH, fonds Tournant, 51Fi189.
Vue intérieure de l’élévation depuis l’autel. Cliché Fernez, AMH, fonds Tournant, 51Fi179. Marguerite Huré (1895-1967) artiste verrier. Archives MA30, Boulogne Billancourt.
Pose de la première pierre de l’église Saint-Joseph du Havre, le 21 octobre 1951. AMH, 80W35, fonds Tournant. De gauche à droite : Auguste etJosephMonseigneurPerret,MartinRaymondAudigier.
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3 Marie Dormoy, Souvenirs et Portaits d’amis, Mercure de France, Paris, 1963 4 Marcella Lista, Polyphonies Paul Klee (1879-1940), catalogue d’exposition, Cité de la musique, Arles, Actes Sud, 2011.
2 Texte de présentation du vitrail rédigé par Marguerite Huré et édité en plaquette sans date par l’abbé Marcel Marie.
L’église Saint-Joseph depuis une terrasse de la Porte Océane, janvier 2010. Pays d’art et d’histoire Le Havre Seine Métropole.
Mais cette partition musicale des claustras peut également se lire d’est en ouest, initiant une rotation, symbole de la journée, de la vie, de la conversion spirituelle, s’inscrivant dans ce mouvement artistique au tournant du xxe siècle où « les correspondances entre musique et peinture sont consubstantielles à la naissance de l’abstraction »4 .
113 régulières de la tour octogonale, « le mouvement le plus vif, le plus animé de la symphonie ».
Ce rythme visuel distribue les sept couleurs principales choisies par l’artiste verrier comme étant les sept notes de la gamme : orange, jaune, vert, violet, rouge, verdâtre, blanc, déclinées en cinquante nuances.
Rejoignant, par-delà bientôt un siècle, celle que Auguste Perret avait voulu édifier en 1926, cette église illustre à la lettre la nature intrinsèque de Saint Joseph, « Filius accrescens Joseph » selon la formule de l’Ancien Testament, reprise par Monseigneur Joseph-Marie Martin le 21 octobre 1951, lors de la pose de la première pierre, ce qui veut dire aller en s’accroissant, que son destin est de toujours grandir.
De la petite chapelle provisoire dans un local de l’Exposition maritime internationale de 1868 à aujourd’hui, cette église acquiert à chaque étape de son histoire une épaisseur sémantique, une reconnaissance augmentée, civile avec son classement au titre des Monuments historiques, et religieuse avec sa récente consécration.
Gageons que ce qu’elle a à vivre n’est pas terminé, et que le projet d’une nouvelle affectation, celle de basilique comme l’appelaient ceux qui l’ont reconstruite par contamination de sens avec l’ombre projetée de celle dont elle procède, est la promesse de sa prochaine vêture.
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L’église-mémorial Saint-Joseph est édifiée non pas à l’échelle paroissiale mais à celle du centre reconstruit, 133 ha d’un seul tenant, dont elle devient le symbole de la renaissance.
1 Les citations proviennent du Fonds Raymond Audigier déposé aux Saint-Joseph.reconstructiondedaté,textemunicipalesArchivesduHavre,dactylographié,nonrelatantlesconditionssanominationpourladel’église
117 Louise Campbell
L’emblème du phénix occupe une place importante dans la littérature de la reconstruction britannique après la Seconde Guerre mondiale1. Exeter Phoenix était le titre du plan de Thomas Sharp pour Exeter en 1946. Cette bête mythique fournit ici l’image d’une nouvelle entité surgissant des flammes de la guerre. Un ouvrage sur l’urbanisme, publié durant la guerre, Resurgam, contient une illustration représentant la sculpture du portail sud de la cathédrale Saint-Paul, reconstruit par Christopher Wren après le grand incendie de Londres de 16662. Wren avait emprunté le mot resurgam (du latin « Je me lèverai à nouveau ») à une pierre tombale brisée dans l’incendie, et y avait associé l’image d’un phénix. En 1946, un phénix a été sculpté sur la Levelling Stone, dalle d’ardoise placée à l’entrée de la nouvelle zone piétonne de Coventry3. L’architecte Basil Spence a repris cette image en 1962 dans le titre de son livre, Phoenix at Coventry, qui décrit le projet de construction d’une nouvelle cathédrale4. Les deux projets ont vu le jour lors du blitz de novembre 1940. Cependant, contrairement au Havre, le centre-ville de Coventry et sa cathédrale ont été conçus par des architectes différents. Éléments centraux de la scène de la reconstruction, les deux projets offrent des visions contrastées de l’avenir et des manières différentes de réconcilier les citoyens avec la destruction du cœur historique de leur ville. Messe dans la cathédrale en ruines, mai 1945.
La Levelling Stone. Cette pierre commémore l’inauguration officielle de la reconstruction de Coventry après les attaques ennemies de 1940-1942.
Le phénix et la cité Nation, cathédrale et àurbanismeCoventry
Coventry – site maître dans la production de bicyclettes, de motos et de voitures en Grande-Bretagne – produisait en 1940 des avions et des munitions. Cela a sans aucun doute fait de cette ville la cible d’un raid nocturne dévastateur de la Luftwaffe en novembre, raid qui a tué environ 600 personnes et en a blessé plus d’un millier5 . D’autres raids destructeurs ont suivi en 1941 et 1942. Le moment choisi pour le raid de 1940 est essentiel dans la compréhension de son énorme impact. Coventry a été la première ville en dehors de Londres à subir un raid majeur, faisant craindre que d’autres villes ne suivent. Bien que l’on se soit attendu que d’autres cathédrales anglaises soient détruites, celle de Coventry fut en fait la seule. Le blitz de Coventry a été largement commenté et cité comme exemple des horreurs de la guerre moderne. On craignait beaucoup que le moral des civils n’en souffre. Le ministère de l’Information a suggéré que le mauvais moral pouvait être atténué par l’accent mis sur la vision de l’avenir : « … [Faire] référence à l’avenir, à la reconstruction, à la planification, déplacer l’attention du présent vers l’avenir »6. Le matin après le raid, le prévôt de Coventry dit à un journaliste : « Nous la reconstruirons7. » L’artiste topographe Muirhead Bone dessine l’intérieur de la cathédrale en ruine, avec des pierres empilées et des silhouettes d’ecclésiastiques étudiant les plans8. Il évoque l’imposante hauteur de la tour de 90 mètres et la large nef de ce qui était autrefois une magnifique église médiévale. Destructions bombardementsdes du Blitz dans le centre de Coventry, 16 novembre 1940. Collections Imperial War Museum. Lt Taylor War Office official Broadgatephotographer. dans le centre de Coventry après le Blitz des 14 et 15 novembre 1940. La carcasse brûlée du grand magasin Owen Owen, ouvert en 1937, domine la scène de dévastation. Les residents et les visiteurs à l’ Upper Precinct profitent des commodites de la zone commerciale pietonne de Coventry.
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Pendant ce temps, différentes alternatives se présentent pour la cathédrale : doit-elle être reconstruite à l’identique, pierre à pierre, à côté de la tour survivante ? Ou faut-il démolir les ruines et les remplacer par une cathédrale entièrement nouvelle ? La tour et la flèche de la cathédrale médiévale ont fourni le point central du plan de Gibson. L’ancienne place du marché, Broadgate, a été conçue comme un jardin séparant la zone historique de la zone commerciale. Gibson et son équipe ont envisagé un centre-ville de faible hauteur, au profil dominé par les trois flèches historiques de Coventry – celles de la cathédrale, de l’église Holy Trinity et du Christ Church. Une nouvelle rocade devait réduire les embouteillages, et une zone commerciale piétonne sur deux niveaux était précisément alignée sur la flèche de la cathédrale.
Dans The Culture of Cities, l’historien américain Lewis Mumford suggère que les communautés doivent s’approprier leurs propres plans10. Gibson retient cette idée ainsi que d’autres leçons de Mumford. Le nouveau plan de Coventry est largement médiatisé : maquettes, expositions, concours contribuent à susciter l’adhésion des citoyens. Le message est qu’un présent bien ordonné est préférable au chaos du passé11 En 1946, une cérémonie rattache la reconstruction du centre-ville à une nouvelle ère de paix. Une pierre figurant un phénix (la Levelling Stone) est posée à l’occasion du premier anniversaire de la victoire. Les bâtiments sont construits Maquette du projet de reconstruction de Coventry par Donald Gibson, 1940. Imperial War Museums, inv D 15518.
120 Mais la municipalité a une longueur d’avance. En 1939, contrôlée par les travaillistes (Labour Party), elle a déjà nommé un architecte afin de résoudre le problème du tissu urbain très encombré. Cet architecte, Donald Gibson, est allé plus loin et a repensé tout le quartier autour de l’hôtel de ville. Quelques semaines après la destruction du centre-ville, Gibson élargit son plan. « Comme un feu de forêt, le mal actuel peut apporter plus de richesses et de beauté », suggère-t-il9. Il imagine de nouveaux bâtiments civils installés dans un parc, un périphérique qui soulagerait le centre-ville de la circulation automobile et des zones séparées dévolues à la culture, à l’éducation et au commerce.
« À Ouistreham et Hermanville, dans le Sword Sector où j’avais atterri, se trouvent deux belles églises normandes. Les Allemands ont placé des tireurs d’élite dans chaque tour de l’église, et pour les faire sortir, des chars ont été appelés. Ils ont Broadgate à l’entrée de la zone commerciale de l’Upper Precinct (architectes Donald Gibson et W.S.Hattrell, 1948-55).
Sir Basil Urwin Spence, 1954. By Howard Coster.
121 autour selon une trame standard de 6,3 mètres sur 7,2. Différents architectes conçoivent les magasins et les bureaux de Broadgate. La hauteur des bâtiments est strictement contrôlée ainsi que dans le quartier commerçant adjacent ; les matériaux de parement sont limités à la brique locale, à la pierre de Hornton et à l’ardoise. L’afflux de nouveaux travailleurs dans la ville induit l’urgence du développement d’un centre commercial, ainsi que de nouveaux logements et écoles. Aussi Gibson et son équipe insistent-ils pour lancer leur ambitieux Pendantprogramme.cetemps, le projet de construire une nouvelle cathédrale est à la traîne. Le clergé en temps de guerre s’alarme « du faux attachement » dont les ruines font l’objet et estime qu’elles ne sont pas appropriées pour représenter l’église dans la ville12. Mais en 1951, lorsqu’un architecte est finalement choisi pour concevoir la nouvelle cathédrale, les ruines sont devenues trop symboliques pour pouvoir être détruites. Elles sont utilisées pour les services et les cérémonies en plein air, pour les prières individuelles, et ont implicitement acquis le statut Basilde mémorial.Spencen’est pas de Coventry, mais de la ville d’Édinbourg13. En tant que soldat de la troisième division d’infanterie britannique, il a participé au débarquement de Normandie de juin 1944 et constaté ses effets dévastateurs.
En 1940, les citoyens pleurent la perte de toutes ces choses autant que la perte de leurs proches et de leur maison. Spence cherche à les accompagner dans cette perte par un projet qui fait référence à la tradition mais utilise le langage artistique du présent. Se référant au traumatisme de 1940, il écrit que les ruines sont un mémorial éloquent au courage des habitants de Coventry. Il prévoit de déplacer l’autel en gravats et la croix carbonisée dans le nouveau bâtiment16. Ses dessins du concours de 19501951 montrent une tapisserie derrière l’autel représentant le Christ crucifié17.
La cathédrale de Coventry est à l’origine une église paroissiale dédiée à saint Michel, construite entre la fin du xive siècle et le début du xve siècle, avec des chapelles dotées de riches marchands et guildes comme celles des merciers, drapiers, chapeliers et fabricants de feutre. Avec l’augmentation de la population, l’église est consacrée cathédrale en 1918. Ce bâtiment tient un rôle important dans la vie de la ville ; c’est un lieu richement orné, avec ses vitraux remarquables, un lieu de cérémonies civiles ainsi que de cérémonies religieuses et de culte15 .
122 explosé les verrières du beffroi. En tant qu’architecte témoin de l’assassinat d’un si bel édifice, j’ai senti que d’autres moyens auraient dû être trouvés… la destruction des grandes œuvres rend le monde plus pauvre… », se souvient-il14. Sa réponse aux ruines de la cathédrale de Coventry, sans toit ni vitraux, suscite l’émotion, et son approche est très romantique. Voyant l’autel improvisé de pierres brisées et la croix faite des poutres carbonisées du toit placées là après le blitz, auxquels s’adjoint l’inscription « Père Pardonnez », ajoutée en 1948 au mur de l’abside, il décide d’incorporer ces éléments à son projet. La nouvelle cathédrale est placée perpendiculairement à l’ancienne, formant un unique ensemble. Cette fusion d’anciens et de nouveaux matériaux et formes est le principe directeur de la conception de Spence. La nouvelle cathédrale est construite en grès rose – ressemblant à celui de la précédente et fait écho à son plan long et étroit, à sa nef et ses bas-côtés séparés par des colonnes. C’est une disposition traditionnelle dans les églises et les cathédrales anglaises.
Ce thème iconographique de mort et de renaissance, de sacrifice et de résurrection, est élaboré au début des années 1950 alors que Spence et son équipe attendent le permis de construire. La cathédrale de Coventry – comme l’église Saint-Joseph du Havre – est construite avec des fonds de compensation des dommages de guerre. Ces derniers étant insuffisants, les maquettes et les conférences contribuent à mobiliser un soutien public et à attirer les dons qui sont essentiels pour l’achèvement de la nouvelle cathédrale de Coventry et de ses œuvres d’art. Spence a détesté la cathédrale de Chartres sans ses vitraux en 194418. Aussi le vitrail fait-il partie intégrante de sa conception pour Coventry. Les verrières de la nef, conçues par une équipe d’artistes du Royal College of Art, sont composées dans un spectre de couleurs allant du vert au rouge, violet et or, comme celles de l’église Notre-Dame du Raincy d’Auguste Perret. Comme au Raincy, les fines colonnes de béton de la nef permettent une excellente visibilité. Mais à Coventry, les colonnes soutiennent un plafond purement décoratif. Les murs latéraux de la cathédrale sont porteurs et revêtus à l’extérieur de pierre de parement19.
123 À droite sur la façade, la sculpture de Jacob Epstein Saint Michel et le Diable.
L’ancienne cathédrale de Coventry inaugurée en 1918.
Les vitraux de la nef de la nouvelle cathédrale, œuvre de Lawrence Lee, Keith New et Geoffrey Clarke.
L’autel improvisé dans les ruines de la cathédrale. L’autel a été construit avec les gravats de la cathédrale sinistrée et la croix avec le bois des poutres calcinées.
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Vitrail du Baptistère de la cathédrale de Coventry, œuvre de John Piper et Patrick Reyntiens.
Autel de la cathédrale. La croix est de Geoffrey Clarke. Derrière l’autel, la tapisserie est de Graham Sutherland.
Grande verrière de la cathédrale, œuvre de John Hutton.
La relation étroite entre la cathédrale et la ville – créée par le blitz – s’est lentement tendue au cours des années 1950. Une crise survient en 1954, lorsque la ville exige qu’on lui donne un accès préférentiel aux matériaux et à la main-d’œuvre, alors frappés de pénurie. Le ministre des Travaux publics du gouvernement conservateur de Harold Macmillan refuse la demande de la ville, soulignant que la cathédrale est un monument national et pas seulement local.
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« La cathédrale n’est pas un bâtiment qui concerne uniquement Coventry. L’écho des bombes qui ont détruit votre ville a été entendu dans le monde entier. Nous ne pouvons pas dire combien de personnes attendent dans ce pays et à l’étranger que cette église se lève et prouve que les traditions anglaises vivent à nouveau après le blitz… », écrit-il21. Spence a tenté de contrer les souvenirs douloureux grâce à une cathédrale qui commémore les morts, célèbre le rétablissement de la Grande-Bretagne après la guerre et met en valeur les arts du temps de la paix. Aujourd’hui, Coventry est connue pour sa nouvelle cathédrale plutôt que pour son centre-ville autrefois en plein essor. Mais Gibson a le mérite d’avoir aidé les citoyens à la résilience
À l’extérieur, face à l’écran, l’image des ruines derrière le spectateur se reflète sur la surface du verre. Faisant demi-tour, la vision de la nouvelle cathédrale vers les ruines se fait par une fenêtre médiévale d’où le remplage a été enlevé20. Depuis la nef en ruine, la vue d’un auvent en béton suspendu au-dessus du porche et du mur d’enceinte de la cathédrale en ruine offre une sensation bienvenue d’abri et de protection, comme une main tendue en bénédiction.
Le vitrail du baptistère – l’image d’une échappée de soleil conçue par John Piper et Patrick Reyntiens – se compose d’une armature de pierre superbement ouvragée dans laquelle l’artiste a dû ajuster cent quatre-vingt-quinze vitraux individuels. L’autel improvisé et la croix sont restés dans les ruines, mais la nouvelle croix du maître-autel, conçue par Geoffrey Clarke, évoque les formes en bois tordu de l’original carbonisé. Derrière l’autel, une tapisserie dessinée par Graham Sutherland représente non pas la crucifixion mais le Christ ressuscité, entouré des emblèmes des quatre évangélistes ; une prédelle, visible seulement depuis la chapelle de la Dame, représente la crucifixion. Depuis l’autel, les vitraux de la nef se découvrent entièrement. Il en va de même pour la Grande Verrière de John Hutton, à l’entrée de la cathédrale, qui figure des saints et des anges. C’est une interprétation moderne des portails sculptés des cathédrales romanes. La transparence de cet écran semble comme un puissant appel vers le passé. De l’intérieur comme de l’extérieur, les ruines de l’ancienne cathédrale sont une présence insistante. En sécurité à l’intérieur de la nouvelle église, nous pouvons voir le lieu de la mort et de la destruction. Notre regard est guidé par les figures sur le verre, qui apparaissent comme les fantômes des morts.
À côté de l’escalier principal, la jonction entre la maçonnerie de l’ancienne et de la nouvelle cathédrale est presque invisible. À droite de l’entrée se trouve la sculpture de Jacob Epstein, Saint Michel et le Diable, symbolisant la victoire triomphale de l’ange gardien sur le mal.
Ce traitement de la maçonnerie a contribué à relier la cathédrale de Spence à la précédente, à la fois physiquement et symboliquement.
Monument aux victimes de la rue Bayley.
Les ruines à ciel ouvert de l’ancienne église Saint-Michel. À gauche, sous l’auvent, on accède à la Grande verrière de John Hutton et à la partie neuve de la cathédrale. Coventry, Place du Millenium.
On distingue au sol l’Horloge de fuseaux horaires de Françoise Schein et Le Whittle Arch de MacCormac, Jameson, Pritchard.
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127 1 Peter Larkham, « Selling the future city : images in UK post-war reconstruction », in Iain Boyd Whyte (ed.), Man-Made Future : planning, education and design in midtwentieth-century Britain, Londres et New York, Routledge, 2007. 2 Resurgam, London, Ministry of Information, 1945. 3 Louise Campbell, Paper Dream City/modern monument : Donald Gibson and Coventry’ in Whyte, op. cit.. 4 Basil Spence, Phoenix at Coventry : the building of a cathedral, Londres, Geoffrey Bles, 1962. 5 Norman Longmate, Air Raid : the bombing of Coventry, Londres, Hutchinson, 1976 ; Jeremy et CarolineGould, Coventry : the making of a modern city 1939-73, Londres, Historic England, 2016. 6 Ian McLaine, The Ministry of Morale : Home Front morale and the Ministry of Information in World War II, Londres, Allen & Unwin, 1979, p. 131. 7 Richard Thomas Howard, Ruined and Rebuilt : the story of Coventry Cathedral, 1939-1962, Coventry, The Council of Coventry Cathedral, 1962, p. 20. 8 Coventry Cathedral ruins, 1944, Herbert Art Gallery, Coventry. 9 Donald Gibson, « Problems of Building Reconstruction », in Journal of Royal Society of Arts, décembre 1940. 10 Lewis Mumford, The Culture of Cities, Londres, Secker & Warburg, 1938. 11 Coventry of the Future, Guide to the exhibition in the Drill Hall, Coventry, Corporation of Coventry, 1945. 12 Louise Campbell, Coventry Cathedral : art and architecture in post-war Britain, Oxford, Clarendon Press, 1996, p. 43. 13 Voir Louise Campbell, Miles Glendinning et Jane Thomas (eds.), Basil Spence Buildings and Projects, Londres, RIBA Publications, 2012. 14 Basil Spence, Phoenix at Coventry : the building of a cathedral, op. cit., p. 1. 15 George Demidowicz, St Michael’s Coventry : the rise and fall of the old cathedral, Londres, Scala, 2015. 16 Appendix C., « The Architect’s inonCompetitorReport.no.91.ReportCoventryCathedral», Basil Spence, Phoenix at Coventry : the building of a cathedral, op. cit. 17 Louise Campbell, Miles Glendinning et Jane Thomas (eds.), Basil Spence Buildings and Projects, op. cit., p. 78. 18 Basil Spence, Phoenix at Coventry : the building of a cathedral, op. cit., p. 51. 19 Louise Campbell, Coventry Cathedral : art and architecture in post-war Britain, op. cit. 20 See Kitty Hauser, Shadow sites : photography, archaeology and the British landscape 1927-55, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 250-252. 21 « Minister’s reasons for issuing a building licence », in Builder, 30 avril 1954, p. 756. 22 À Survey of Public Art in Coventry, Coventry, Herbert Art Gallery and Museum/City of Coventry Libraries, Arts & Museums Department, 1980.
par une réalisation qui n’est pas grandiose mais porteuse d’humanité. Comme Mumford, l’anonymat croissant et l’uniformité de la vie urbaine l’inquiètent profondément. Le Upper Precinct dans la zone commerciale est conçu comme une place de marché traditionnelle avec ses plantations, ses fontaines et son pavage, créant un cadre pour la sociabilité et le plaisir. Comme nous l’avons vu, il encadre la vue sur la tour de la cathédrale ancienne. Mais Gibson a également essayé d’ancrer d’une autre manière les citoyens (à la fois ceux récemment arrivés et les résidents de longue date) dans leur nouvel environnement. Il commande des œuvres d’art pour le centre-ville qui représentent des épisodes de l’histoire de Coventry. Broadgate House, le bâtiment phare du nouveau centre-ville, est riche de l’horloge mécanique Godiva et Peeping Tom, d’une sculpture d’Alma Ramsey, Sir Guy et la vache Dun, d’une mosaïque Les Martyrs de Coventry et des figures sculptées des peuples de Coventry22. Un peu plus loin, la magnifique peinture murale de Gordon Cullen représentant l’histoire naturelle, les industries et l’architecture de Coventry est installée dans la partie inférieure de la zone commerciale (Le Lower Precinct). Ces œuvres ne sont pas envisagées comme de simples éléments décoratifs. Elles sont destinées à donner un sens et une texture à l’expérience quotidienne de la ville. Par ces moyens, Gibson espére façonner une nouvelle iconographie civique, réconcilier les gens avec les traumatismes du passé et fournir à la ville moderne la mémoire de ce qui a disparu.
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Le Havre 44 Nouveauxregards
Les terribles bombardements des 5 et 6 septembre 1944 qui précédèrent la libération du Havre rayèrent de la carte une grande partie de la ville. Aujourd’hui la cité nouvelle, chef d’œuvre d’Auguste Perret, semble être là d’évidence et reçoit l’hommage de nombreux visiteurs. Mais beaucoup ignorent que « ce e merveille » est bâtie sur les décombres d’un sinistre douloureux.
Les Havrais se sont en effet rapidement tournés vers leur nouvel avenir, enfouissant les faits pour n’en garder qu’une image convenue.
Depuis plusieurs années, chercheurs, historiens, universitaires, analysent les archives de ce e période et élargissent le champ de leurs études au plan local mais également en le rapprochant de tels évènements en Europe. Ils découvrent ainsi de précieux documents qui reme ent en perspective leur contexte et apportent des réponses à certaines questions restées jusqu’alors dans l’ombre.
Il refonde ce qui a permis la rédaction de « ce roman du Havre ». Enfin il établit des comparaisons avec d’autres pays d’Europe sur l’approche des enjeux mémoriels liés à la Seconde Guerre mondiale.
Cet ouvrage donne donc à découvrir de nouveaux éléments et explications ayant trait aux bombardements mais également aux conséquences inhérentes à la Libération du Havre, dernière ville libérée de Normandie.
OCTOPUS éditions 15 €