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UN PARCOURS SCOLAIRE EXEMPLAIRE DU COLLÈGE DE CLAMECY À L’ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE
Issu d’une famille de la petite bourgeoisie, c’est dans les classes élémentaires du collège de garçons de Clamecy, la petite ville nivernaise dont il est originaire, que Romain Rolland commence vers 7 ans sa scolarité, un enseignement distinct de celui dispensé dans les écoles primaires. Il n’en garde guère de bons souvenirs : « Parmi les petits de mon âge, à Clamecy, je n’eus pas de vrai compagnon. On jouait, on bataillait, on se disputait les prix, entre les deux ou trois petits-bourgeois les plus forts de la classe (et cette rivalité était absurdement attisée par les rivalités des familles) ; on s’invitait mutuellement, deux ou trois fois par an, à un goûter, dans les familles (et c’était une rivalité de plus : car dans la petite ville, tout devenait rivalité entre petits-bourgeois). » Romain Rolland, Souvenirs de jeunesse (1866-1900). Pages choisies, Lausanne, La Guilde du livre, 1947, p. 12-13.
À la veille de sa classe de rhétorique, afin de lui permettre de poursuivre de meilleures études, toute sa famille déménage pour Paris, un événement extrêmement douloureux et qui fait peser sur ses épaules une forte culpabilité. Au lycée Louis-le-Grand il rencontre Paul Claudel, dont le parcours d’enfant provincial « transplanté » à Paris est identique au sien. Les deux jeunes gens, que l’amour de la musique rapproche, deviennent amis : « Je me suis nourri pendant trois ans de Thucydide et de Tacite, et de Sophocle et de Virgile. J’ai su par cœur le texte entier en grec d’Œdipe roi, et les Épîtres et les Odes d’Horace, en latin. Avec Claudel, qui m’a révélé les Deux Masques, je me gargarisais de l’Orestie et de Prométhée, dans les commentaires éclatants de Saint-Victor, et nous épluchions les contresens de Leconte de Lisle, tout en gonflant nos joues de ses homériques barbarismes. » Romain Rolland, op. cit., p. 23-24.
Après deux échecs, il entre à 20 ans à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, mais ce sont de nouveaux examens encore qui l’attendent. Il témoigne à plusieurs reprises combien sa jeunesse a été obscurcie par cette obligation de succès scolaire. Malgré un parcours réussi, il n’a décidément guère le goût des études et ce qui le sauve se trouve une nouvelle fois hors appareil scolaire : ses lectures, la musique et quelques amitiés sincères.
En ce qui me concerne, j’ai été formé, non par l’esprit et l’art d’une seule nation, mais par les maîtres que je me suis librement choisis dans la « Littérature universelle ». Dès mon enfance, ma vraie école a été, non pas l’école, collège, lycée, etc. (j’y apprenais plutôt à connaître les « petits d’hommes ») – mais la bibliothèque de mon grand-père. Je m’y suis nourri, avant quinze ans, de Corneille, de Schiller et de Shakespeare. Ajoutons-y Don Quichotte, Gulliver et les Milleet-une-nuits. Lettre de Romain Rolland à Christian Sénéchal, 28 septembre 1934.