UNE ŒUVRE LITTÉRAIRE DIVERSIFIÉE
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Les premières ambitions littéraires du jeune Rolland sont théâtrales. Bien que quelques pièces soient représentées, dont Les Loups (1898), œuvre écrite dans le contexte de l’affaire Dreyfus et qui inaugure un cycle consacré à la Révolution française, il n’atteint pas à la notoriété. C’est par le succès inattendu d’un petit opuscule, une Vie de Beethoven, que la reconnaissance arrive. Publiée aux « Cahiers de la Quinzaine » de Charles Péguy, l’œuvre inaugure le message rollandien :
Mais la première guerre mondiale a changé le parcours de Rolland. En septembre 1914, depuis la Suisse où il se trouve au début du conflit, il fait paraître dans le Journal de Genève un texte amené à une incroyable destinée, Au-dessus de la mêlée. Ce texte, qui apparaît alors comme un manifeste pacifiste, vaut à son auteur de violentes critiques et l’accusation de défaitisme, mais lui amène aussi de nombreuses sympathies, notamment dans les milieux syndicalistes ou enseignants. En 1915, lui est décerné le prix Nobel de littérature.
« L’air est lourd autour de nous. La vieille Europe s’engourdit dans une atmosphère pesante et viciée. Un matérialisme sans grandeur pèse sur la pensée, et entrave l’action des gouvernements et des individus. Le monde meurt d’asphyxie dans son égoïsme prudent et vil. Le monde étouffe. – Rouvrons les fenêtres. Faisons rentrer l’air libre. Respirons le souffle des héros.
C’est au lendemain du conflit une véritable autorité morale qui publie sa « Déclaration d’indépendance de l’esprit », signée par des intellectuels du monde entier. Il devient dans l’entre-deux-guerres une figure majeure de l’engagement intellectuel, signataire de nombreux manifestes, engagé dans les principaux mouvements pacifistes, compagnon de route du parti communiste qui célèbre en grande pompe ses 70 ans en 1936. Il se tourne également vers l’Orient et introduit en Europe la pensée de Gandhi, qu’il accueille en 1931 dans sa maison de Suisse, où il réside alors.
[…] Je n’appelle pas héros ceux qui ont triomphé par la pensée ou par la force. J’appelle héros, seuls ceux qui furent grands par le cœur. » Romain Rolland, préface à « Beethoven », dans les Cahiers de la Quinzaine, 1903, 10e Cahier de la 4e série, p. 5-6.
Bien plus encore, le cycle romanesque Jean-Christophe, qui s’échelonne de 1904 à 1912 en feuilletons dans les Cahiers, est un véritable succès. Ce roman, qui raconte l’histoire, de sa naissance à sa mort, du musicien allemand Christophe Kraft, dont la vie suit le cours du Rhin, a donné son nom au « roman-fleuve ». Après la première guerre mondiale paraissent de nouvelles œuvres comme le roman bourguignon Colas Breugnon ou le second grand cycle romanesque, L’Âme enchantée, l’histoire d’une jeune femme au parcours indépendant.
Je n’ai commencé d’être connu vraiment qu’avec La Vie de Beethoven, en 1903. J’avais alors trente-sept ans. J’écrivais depuis quinze ans. J’avais composé vingt œuvres (sans compter les articles de revues) : sur le nombre, plus de la moitié publiée, et quatre drames représentés. Le tout, dans l’inattention. […] Le seul Péguy m’avait tendu la main ; il avait été frappé par la lecture en manuscrit de mes Loups, et les avait aussitôt publiés dans une de ses belles éditions d’avant les Cahiers, – ainsi qu’il publia, dans les années qui suivirent, Danton, Le Temps viendra et Le Quatorze Juillet. Mais Péguy était en ces temps plus inconnu encore que moi. Et il fallut le succès foudroyant de ma Vie de Beethoven, elle aussi publiée en un de ses Cahiers de la Quinzaine, où nous combattions côte à côte, pour attirer sur nous l’attention de Paris. Romain Rolland, Le Voyage intérieur, 1942.