Voyage sacré, sacré voyage

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Voyage sacré Sacré voyage Du site de Gisacum au musée d’Évreux



Voyage sacré Sacré voyage Du site de Gisacum au musée d’Évreux

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Cet album a été publié dans le cadre de l’exposition Voyage sacré, sacré voyage : du site de Gisacum au musée d’Évreux, organisée par le Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux dans le cadre des 150 ans de l’établissement, en partenariat avec la Mission archéologique départementale de l’Eure. Exposition visible au site archéologique de Gisacum au Vieil-Évreux du 17 juin au 17 septembre 2023, et au Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux du 21 octobre 2023 au 3 mars 2024.

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Voyage sacré Sacré voyage Du site de Gisacum au musée d’Évreux

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Inventer Gisacum 222 ans de recherches archéologiques au Vieil-Évreux

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Gisacum dans son contexte

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Gisacum, une ville-sanctuaire particulière

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Les thermes de Gisacum

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Un chantier permanent

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L’ensemble sacré

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La grande place publique

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La fin de Gisacum !

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Lexique

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« Voyage sacré, sacré voyage : du site de Gisacum au musée d’Évreux »… une exposition pleine de promesse, celle d’un voyage initiatique à travers le temps et la découverte d’incroyables trésors archéologiques. Le lien qui unit le site de Gisacum à la ville d’Évreux est et restera intimement lié à ces femmes et ces hommes qui, dans des temps reculés, ont de par leur culture, leurs modes de vie, leurs croyances, érigé des murs, construit des édifices et laissé des traces qui nourrissent encore aujourd’hui le travail des chercheurs. Grâce aux fouilles et analyses minutieuses qui ont été et seront encore réalisées, nous avons désormais une meilleure connaissance de ce que fut l’histoire de notre ville, de notre territoire. Et quelle histoire ! Peu à peu des réponses nous parviennent, des certitudes se révèlent… mais les sols n’ont pas encore délivré tous leurs secrets. Certaines histoires restent encore à écrire. Le Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux fête cette année ses 150 ans d’existence. Cette exposition est l’occasion de célébrer cet anniversaire et de rappeler que la naissance du musée s’inscrit dans une volonté commune de conserver et préserver ce riche patrimoine qui est le nôtre. Nous nous devons de sauvegarder cet héritage, de le comprendre et de le diffuser le plus largement possible. L’exposition a obtenu du ministère de la Culture le label « Exposition d’intérêt national ». Il s’agit pour nous d’une reconnaissance importante pour la qualité du travail accompli et l’engagement de chacun pour transmettre et faire rayonner auprès de tous les publics et ce, bien audelà de notre territoire, des connaissances précieuses sur notre passé commun. Je vous souhaite à toutes et tous de prendre beaucoup de plaisir à lire et découvrir cet ouvrage qui se veut le prolongement de cette belle exposition. Puisse-t-il vous éclairer et vous donner envie davantage encore de partir sur les traces de nos ancêtres, de vous plonger dans un fabuleux voyage à travers le temps. Guy Lefrand Maire d’Évreux Président d’Évreux Portes de Normandie

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Chers visiteurs, C’est avec un immense plaisir que je vous présente l’album de l’exposition « Voyage sacré, sacré voyage : du site de Gisacum au musée d’Évreux ». Cette exposition est un événement majeur pour le site de Gisacum et ses 2000 ans d’histoire mais pas seulement. En effet, l’année 2023 marque aussi les 150 ans de l’ouverture du Musée d’art, histoire et archéologie d’Évreux, rendu possible notamment grâce au dépôt en 1873 par le Département de l’Eure d’une partie des artefacts mis au jour sur le site archéologique de Gisacum. Cette exposition célèbre donc le site archéologique de Gisacum mais aussi le partenariat historique entre la Mission Archéologique et le Musée d’Évreux dont il est à la source. L’exposition nous invite à suivre un couple de pèlerins se rendant à Gisacum au début du 3e siècle de notre ère afin de participer aux fêtes en l’honneur de Jupiter, lorsque la ville-sanctuaire était à son apogée. Une sélection remarquable du mobilier archéologique exhumé au XIXe siècle ainsi que celui sorti de terre par la Mission Archéologique durant ces 30 dernières années jalonne cette exposition. Je suis particulièrement enthousiaste à l’idée que certaines œuvres vont retrouver leur terre d’origine après plus de 150 ans, notamment les statues d’Apollon et de Jupiter exposées au Musée d’Évreux. Cette exposition est véritablement une occasion unique pour tous les passionnés d’histoire et les curieux de découvrir ou redécouvrir Gisacum, site unique par sa taille (250 hectares) et la richesse de ses monuments. Une ville – sanctuaire qui, 200 ans après sa découverte, continue de livrer ses secrets aux archéologues.

La politique culturelle de proximité est une priorité du ministère de la Culture, qui encourage des projets ambitieux au cœur des territoires et au plus près des concitoyens. C’est ce que proposent les expositions labellisées d’intérêt national. Chaque année, ce label distingue une sélection d’expositions répondant à des critères d’exemplarité, présentées en région par des musées de France. Les expositions sont sélectionnées en fonction de leur qualité scientifique et du caractère innovant des actions de médiation culturelle menées en direction de tous les publics. L’exposition “Voyage sacré, sacré voyage : du site de Gisacum au musée d’Évreux”, produite par le Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux, dans le cadre d’un partenariat avec la Mission Archéologique Départementale de l’Eure, est à cet égard exemplaire. L’intérêt du thème traité, tout comme sa qualité scientifique, lui confèrent les atouts nécessaires pour en faire un événement d’intérêt national, accessible au public le plus large. Que soient félicités tous les acteurs et les nombreux partenaires qui ont contribué à cette réussite et que les visiteurs, comme les lecteurs de ce catalogue, puissent partager la découverte et l’émotion procurées par cette expérience sensible. Jean-Benoît Albertini Préfet de Normandie

Je vous souhaite une excellente visite et j’espère que cet album vous permettra de prolonger votre expérience. Bien cordialement, Alexandre Rassaërt Président du conseil départemental de l’Eure

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Elie Rafowicz Directeur adjoint du Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux et responsable des collections archéologiques. Éric Leconte Technicien spécialisé à la Mission Archéologique Départementale de l’Eure. Sabine Méry Directrice de la Mission Archéologique Départementale de l’Eure. Karine Duval Chargé de valorisation de l’archéologie préventive à la Mission Archéologique Départementale de l’Eure. Sébastien Cormier Régisseur des collections à la Mission Archéologique Départementale de l’Eure. Stéphanie Zeller Spécialiste de l’instrumentum à la Mission Archéologique Départementale de l’Eure.

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Remerciements Commissariat d’exposition : Elie Rafowicz (Musée d’Évreux), Sabine Méry (MADE) Commissariat scientifique : Elie Rafowicz, Sabine Méry, Sébastien Cormier, Karine Duval, Nathalie Gaubert, Éric Leconte, Stéphanie Zeller Direction du Musée d’Évreux : Camille Gross

L’exposition a bénéficié du label Exposition d’intérêt national, délivré par la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Normandie et de son soutien financier. Plusieurs institutions ont contribué à l’exposition grâce à des prêts, nous souhaitons ici les remercier : Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque patrimoniale d’Évreux.

Scénographie : Thierry Deleforge Graphisme : Benoît Eliot/Octopus Illustrations : Pierrick Legobien Edition : Octopus Suivi administratif et financier : Nathalie Osmont, Nelly Guerry (Musée d’Évreux), Karine Baumgertener (MADE)

Nous adressons nos remerciements à l’ensemble de l’équipe du musée d’Évreux, ainsi qu’à celle de la Mission archéologique départementale de l’Eure.

Régie des œuvres : Laura Gosse (Musée d’Évreux), Sébastien Cormier, Éric Leconte (MADE) Menuiserie, peinture, éclairage et accrochage : Arnaud Saillour, Lionel Dechiron (Musée d’Évreux), Marie Lemoine, Nicolas Dumont (MADE) Visites guidées et ateliers jeune public : Anne Mulot-Ricouard, responsable du service des publics et Magali Le Seguillon, médiatrice culturelle (Musée d’Évreux), Sabine Méry, responsable de la MADE, Nathalie Gaubert, responsable accueil et animation, Nicolas Dumont, Cyrille Ballaguy, Manon Adnet, médiateurs culturels (MADE)

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Inventer Gisacum 222 ans de recherches archéologiques au Vieil-Évreux Elie Rafowicz

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Notre histoire commence à quelques kilomètres d’Évreux, avec un professeur et ses élèves, sous le consulat de Bonaparte. En 1801, François Rever (1753-1828), prêtre convaincu par les idéaux de la Révolution et des Lumières, organise des excursions scientifiques lors des périodes de vacances des pensionnaires de l’École centrale de l’Eure. Il emmène ainsi ses élèves dans le village du Vieil-Évreux, connu pour ses vestiges, et y dispense ce qu’il a lui-même appelé une « espèce de cours pratique d’archéologie »1. Ainsi commence la toute première exploration documentée d’un immense site archéologique aux portes de la capitale euroise, Gisacum. Plus de deux siècles plus tard, en 2023, Gisacum continue de livrer ses secrets : les archéologues de la Mission Archéologique Départementale de l’Eure (MADE) fouillent le site chaque année, révélant l’importance de ce gigantesque sanctuaire gallo-romain. Avec presque 250 hectares de superficie, Gisacum est considéré aujourd’hui comme l’un des ensembles cultuels antiques les plus importants de Gaule romaine.

l’emplacement des thermes, et le centre d’interprétation du site ouvre ses portes en 2005. Dès lors, la fouille programmée du site, dirigée par la Mission, se concentre sur le grand sanctuaire, et livre chaque année son lot de découvertes remarquables.

Portrait de François Rever par Jean-Baptiste François Desoria, fin XVIIIe- début XIXe siècle. Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux, dépôt de la Société Libre de l’Eure, 1873. Inv. 8656.

L’histoire de la mise au jour des vestiges de Gisacum est particulièrement intéressante à plus d’un titre. D’abord, parce qu’elle revêt une importance nationale : suite aux premières études remarquables de Rever et à une exploration des thermes du sanctuaire par la Société Libre de l’Eure en 1829, de grandes fouilles vont être menées entre 1835 et 1841, financées par le Département de l’Eure et l’État2, qui feront de Gisacum l’un des premiers sites archéologiques de France à bénéficier de subventions publiques à grande échelle. Ensuite, parce que cette histoire marque une longue pause, empreinte par la genèse du musée d’Évreux, qui permet la valorisation d’un mobilier archéologique exceptionnel provenant du site, avant de reprendre à la veille de la Première Guerre mondiale. Si un antiquaire ébroïcien, Henri Lamiray (1882-1945), y fouille de manière modeste entre 1911 et 1914, c’est une figure autrement plus célèbre dans l’histoire de l’archéologie, le militaire Émile Espérandieu (1857-1939), qui dégage avec une équipe aguerrie l’ensemble des thermes de Gisacum. Enfin, la reprise des recherches sur le site à partir de 1974 reflète l’évolution de l’organisation de l’archéologie française. Grâce à l’association Archéo 27, l’immense emprise du site est reconnue pour la première fois par des prospections aériennes, et le Département reprend sa politique d’achat de terrains interrompue après les grandes fouilles du XIXe siècle. Des fouilles programmées y sont régulièrement menées par la MADE, créée en 1996. En 2002, un jardin archéologique est inauguré sur

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François Rever et les premières explorations, 1801-1827 Si les premières mentions de découvertes archéologiques au Vieil-Évreux remontent au XVIIIe siècle3, l’inventeur du site est bien François Rever, qui consigne le fruit de ses recherches dans un mémoire posthume4 qui marquera son temps. Son approche est exemplaire : en croisant recherches en archives, dépouillement des sources antiques, observations de terrain, cartographie, dessins d’objets et étude des techniques antiques, il aboutit à une première synthèse qui révèle l’importance du site, et qui reflète une approche scientifique et novatrice dans ce XIXe siècle naissant, où l’archéologie n’en est encore qu’à ses balbutiements. Avec des moyens très limités, Rever comprend et prouve l’importance du site : « Je pense qu’on ne regardera plus comme le simple site d’un camp de César, le terrain qu’occupent les ruines que je viens de décrire, et qu’on ne fera nulle difficulté d’y reconnaître les preuves de l’existence d’un grand établissement » 5. Pour l’identifier, Rever se fie aux sources écrites à disposition et aux données archéologiques existantes, alors très maigres : « Ce dut être Mediolanum Aulercorum, capitale du pays des Aulerci Eburovices, qu’on croit avoir été mentionnée par Ammien-Marcellin, et qu’on trouve dans l’itinéraire d’Antonin et dans les tables de Ptolémée »6. Aujourd’hui, grâce à l’épigraphie, nous savons que Mediolanum Aulercorum est le nom antique de la ville d’Évreux, capitale de cité* des Aulerques Eburovices, le peuple gaulois établi dans l’actuel département de l’Eure. Toutefois, l’intuition de Rever n’est pas si éloignée de la réalité : l’idée d’une capitale de cité bicéphale, avec un centre administratif, économique et politique (Mediolanum Aulercorum, situé à Évreux), et un centre religieux (Gisacum, situé au Vieil-Évreux) commence à s’imposer dans la recherche actuelle7. François Rever est aussi actif sur d’autres terrains, notamment à Lillebonne (Seine-Maritime), l’antique Juliobona, capitale de la cité des Calètes. C’est à lui qu’on doit une publication sur les premières fouilles menées sur ce site8, principalement connu pour son théâtre et une grande statue en bronze doré, l’Apollon de Lillebonne, découverte en 1823 et aujourd’hui conservée au Musée du Louvre. Rever mène d’ailleurs une étude pionnière9 sur les procédés techniques liés à la réalisation de la statue. 14

À la mort de Rever en 1828, la Société Libre de l’Eure, dont il fut l’un des fondateurs en 1798, reprend le

flambeau de la recherche au Vieil-Évreux et finance des fouilles au printemps et à l’été 1829, dirigées par un de ses membres, Charles de Stabenrath (1801-1841)10. Ces opérations concernent principalement les thermes, et ne sont menées que sur quelques mois, avant que les moyens ne viennent à manquer et que les troubles politiques de 1830 ne rendent leur poursuite impossible.

Les grandes fouilles, 1835-1841 La génération suivante va s’appuyer sur les recherches fondatrices de François Rever et aller plus loin, avec des moyens autrement plus conséquents. Dès les premières heures de la Monarchie de Juillet (1830-1848) et grâce au dynamisme de son préfet Antoine Passy (1792-1873), le Département de l’Eure va mener une politique faisant la part belle à l’archéologie. En 1832, la même année où Victor Hugo publie son fameux pamphlet Guerre aux démolisseurs, Passy fait paraître une Circulaire sur la recherche et la conservation des monuments11, qu’il adresse aux maires, professeurs et autres fonctionnaires du département. L’année suivante, prenant modèle sur la Seine-Maritime, il crée dans l’Eure une Commission départementale des antiquités12, à laquelle il attribue un budget, et fait acheter par le Département plusieurs terrains au Vieil-Évreux. « Nous sommes tous dans l’Eure les élèves d’un seul maître, de M. Rever ». Antoine Passy prononce ces mots en 1841 devant la célèbre Société des Antiquaires de Normandie, fondée par Arcisse de Caumont (18011873). On ne peut que souligner la véracité de ces propos : lorsque le Département de l’Eure décide de financer des fouilles de grande ampleur au Vieil-Évreux en 1835, on choisit pour les diriger l’ingénieur en chef des Travaux publics du Département, Alexis Robillard (1782-1864), ancien élève de Rever à l’École centrale d’Évreux13 !


Photographie d’Alexis Robillard. Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux.

La première année est dédiée au repérage et à l’achat de terrains : les thermes et le théâtre du site sont ainsi protégés. En 1836, les fouilles vont commencer, et vont se concentrer d’emblée sur un vaste édifice, le grand sanctuaire, dont les dimensions colossales incitent les fouilleurs de l’époque à le dénommer « la Basilique ». Très vite, Robillard et son équipe se rendent compte de son potentiel archéologique : on y met au jour en 1837 deux bras de statues en bronze et une inscription énigmatique14, ainsi qu’une série de petits bronzes. Mais les difficultés à trouver un accord avec le propriétaire du verger qui couvre la partie centrale du monument empêche la poursuite des fouilles. Dès lors, les opérations se poursuivent sur les thermes et le théâtre, grâce à des subventions versées par le Département de l’Eure et la toute jeune Commission des Monuments Historiques15. En décembre 1838, Robillard obtient du Conseil départemental l’embauche de deux collaborateurs pour le seconder, dont un certain JeanThéodore Bonnin (1807-1871), fils d’un notaire de Breteuil. Le jeune Jean-Théodore, qui modifiera par la suite son prénom en un « Théodose », jugé plus antique, va rester dans l’histoire comme le fouilleur du Vieil-Évreux.

Inscription bilingue, latine et gauloise, mentionnant GISACI CIVIS. Bronze. Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux, dépôt du Département de l’Eure, 1873. Inv. 4891.

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Carnet Bonnin avec plan coté d’une partie du grand sanctuaire, feuillets 88-89. Don Armand Benet, Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux.

En effet, un accord est trouvé en 1840 avec le propriétaire du verger, qui permet l’exploration de la partie centrale du sanctuaire. À l’automne, les découvertes spectaculaires se multiplient : statues de Jupiter et d’Apollon, bras de statues, statuettes d’animaux et de divinités, masque en tôle de bronze sortent de terre. La mise au jour des statues de Jupiter et d’Apollon suscite d’emblée un engouement sans précédent dans le monde savant. Le site est classé au titre des Monuments Historiques la même année. Le devenir de ces deux chefs-d’œuvre de l’art antique déchaîne les passions. Le vice-président de la Commission des Monuments Historiques, Prosper Mérimée (1803-1870), milite pour les voir rejoindre

Détail du Carnet Bonnin feuillet 79. Don Armand Benet, Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux.

Paris et le Cabinet des médailles : « Des objets de cette importance pour l’histoire de l’art et pour la science archéologique sont perdus quand ils sont enfouis dans un musée de province où personne ne peut les consulter »16. Le directeur du Cabinet des médailles, Charles Lenormant (1802-1859), défend au contraire l’idée de garder les statues sur place, et de créer un musée à Évreux.

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Jupiter du Vieil-Évreux. Bronze, argent et cuivre. Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux, dépôt du Département de l’Eure, 1873. Inv. 5404. © Antoine Cazin, La Fabrique de patrimoines en Normandie.


Bras gauche de statue. Bronze. Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux, dépôt du Département de l’Eure, 1873. Inv. 4830.

Apollon du VieilÉvreux. Bronze. Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux, dépôt du Département de l’Eure, 1873. Inv. 5405.

Masque en tôle de bronze. Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux, dépôt du Département de l’Eure, 1873. Inv. 4835.

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Statuette de cheval, bronze. Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux, dépôt du Département de l’Eure, 1873. Inv. 4818.


Devant l’emballement des événements, Alexis Robillard abandonne la conduite des fouilles, laissant Théodose Bonnin prendre seul la tête des opérations. Le jeune archéologue, ébloui par ces découvertes, ne demande alors rien de moins que l’obtention de la Légion d’Honneur et le titre de correspondant à l’Institut de France, l’une des plus hautes distinctions académiques de son temps. Ses demandes lui sont refusées, et il semble que Bonnin en ait gardé une certaine rancune. Une dernière campagne de fouille est menée en 1841, avant que les instances départementales ne s’opposent à leur poursuite. Une dernière subvention est votée pour permettre à Bonnin de publier les résultats des six campagnes. L’archéologue ne remettra plus jamais les pieds au Vieil-Évreux. Dans le même temps, un projet de musée voit le jour à Évreux : le principe de son établissement est voté à l’été 1842 par le Conseil Général17. Bonnin insiste auprès du préfet pour qu’il soit nommé conservateur du futur musée18, là encore sans succès, et le projet est ajourné. Quant à la publication des grandes fouilles, elle se résumera à un ouvrage lacunaire, Antiquités gallo-romaines du Vieil-Évreux, paru en 1845, ouvrage qui ne comporte à l’origine aucun texte, mais une succession de cinquante planches regroupant des plans, des coupes et des dessins d’objets.

Inscription en marbre, mentionnant DEO GISACO. Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux, dépôt du Département de l’Eure, 1873. Inv. 5385.

Bonnin ne publiera jamais de texte pour accompagner les planches. Toutefois, les notes de l’érudit montrent bien qu’il y avait travaillé19. Dans un projet de préface, Bonnin prévoyait entre autres d’aborder la question du nom du site, toujours en suspens au sortir des grandes fouilles : il semble avoir été le premier à proposer Gisacum, « le lieu de Gisacus », en fondant son hypothèse sur l’existence d’une divinité d’origine gauloise, Gisacus, nom qui apparaît sous deux formes différentes dans deux inscriptions exhumées sur le site20. Gisacum est né. Ce toponyme, forgé par les érudits du XIXe siècle à la suite de Bonnin, est toujours celui en vigueur aujourd’hui.

Statuette de colombe, bronze. Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux, dépôt du Département de l’Eure, 1873. Inv. 4829.

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Du site de Gisacum au musée d’Évreux, 150 ans de valorisation ! Créé officiellement en 1873, le Musée d’Évreux est l’aboutissement d’un processus qui prend racine à Gisacum : si le projet initial de création d’un musée dans la capitale euroise à l’été 1842 n’aboutit pas, l’extraordinaire mobilier exhumé par les fouilles départementales reste à Évreux. On l’entrepose dans l’amphithéâtre de la Bibliothèque municipale d’Évreux, où il dispose de « casiers spéciaux » 21. Le Bibliothécaire municipal, Alphonse Chassant (1807-1908), en a la garde et assure l’accès lorsqu’une demande de consultation est formulée22. Parallèlement, au gré de legs de notables locaux, commence à se former une collection municipale. Tableaux et objets d’art sont donnés à la ville, tandis que les aménagements urbains qui se multiplient dans la seconde moitié du XIXe siècle dans Évreux livrent leurs lots de découvertes archéologiques. Immédiatement après la fin des grandes fouilles de Gisacum, nous retrouvons Théodose Bonnin et Alphonse Chassant à Évreux. Le premier, devenu Inspecteur des Monuments Historiques de l’Eure, fouille dans la ville tandis que le second l’assiste et documente les découvertes : en 1843, les vestiges d’un théâtre sont dégagés. En 1846, non loin de la Place de l’Hôtel de Ville actuelle, certainement dans les fondations du rempart antique, Bonnin exhume une inscription, connue comme « l’inscription des foulons de Mediolanum » 23, qui reste encore aujourd’hui la seule mention épigraphique du nom antique de la ville d’Évreux. Les importants travaux entrepris parallèlement à ces découvertes et dans les décennies suivantes pour percer et agrandir la Route de Paris, au sud-est du centre-ville actuel, vont révéler une vaste nécropole. Évreux antique, Mediolanum, est en train de se révéler. Sous le Second Empire (1852-1870), le projet de création de musée est toujours à l’arrêt. Toutefois, la renommée des découvertes faites à Gisacum ne va faire que grandir. Jupiter et Apollon du Vieil-Évreux voyagent : on les expose en 1867 à Paris, sur le Champ de Mars, à l’occasion de l’Exposition Universelle. L’attribution à la ville d’Évreux d’un lot de la fameuse collection Campana au printemps 186324 constitue un jalon important de la genèse du musée d’Évreux et initie un mouvement de fond qui va aboutir à sa création officielle dix ans plus tard.

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Hasard ou coïncidence, deux ans à peine après la mort de Théodose Bonnin, le premier maire d’Évreux sous la IIIe République, Jean-Louis Lépouzé (1821-1882) crée un

musée pour sa ville. Nous sommes en 1873. La disparition de Théodose Bonnin a-t-elle débloqué la situation ? Quoi qu’il en soit, on choisit pour diriger le musée une « victime du 2 décembre », Alphonse Chassant, révoqué de ses fonctions de bibliothécaire vingt ans plus tôt pour ses prises de position républicaines, suite au coup d’État de Napoléon III le 2 décembre 1851. Le musée nouvellement créé est un musée « municipal et départemental »25. D’octobre 1873 à mars 1874, les collections départementales sont transférées au musée d’Évreux26, qui ouvre ses portes au public le 22 avril 1874. D’abord installé dans deux salles du couvent des Ursulines, situé dans l’actuelle rue Édouard Ferray, le musée se déplace ensuite dans une école de l’actuelle rue Guillaume Costoley, avant d’occuper un bâtiment flambant neuf, inauguré en 1880 sur la place de l’Hôtel de Ville27, où les plus beaux objets des collections départementales prennent place dans des vitrines. Entre ces déménagements successifs, Jupiter et Apollon du Vieil-Évreux repartent à Paris pour l’Exposition Universelle de 187828. La renommée des deux grands bronzes n’est aujourd’hui plus à faire : beaucoup plus proche de nous, l’exposition Roma e i barbari (Rome et les barbares), organisée au Palazzo Grassi de Venise en 2008, présentait au milieu d’autres chefs-d’œuvre la statue de Jupiter du Vieil-Évreux.

La poursuite timide des recherches, 1911-1939 Si les collections départementales sont désormais bien valorisées à Évreux, les recherches à Gisacum restent suspendues jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale. De 1911 à 1914, deux savants vont reprendre le flambeau. C’est d’abord Henri Lamiray (1882-1945), antiquaire ébroïcien établi rue Chartraine, qui mène une série de sondages dans le grand sanctuaire à partir de 191129 : repartant des plans de T. Bonnin, l’antiquaire fouille lorsque son emploi du temps le permet, c’est-àdire le dimanche, accompagné parfois « d’un ou deux ouvriers » 30. Ce n’est pas comparable à l’échelle des grandes fouilles menées de 1835 à 1841. Toutefois, contrairement à ses prédécesseurs, H. Lamiray publie de manière exhaustive le résultat de ses recherches. Parallèlement aux recherches de l’antiquaire, de 1912 à 1914, c’est un poids lourd de la recherche archéologique française qui s’intéresse à Gisacum. Le gardois Émile Espérandieu (1857-1939), alors commandant du bureau de recrutement à Évreux31, est sollicité par la Société française des fouilles archéologiques pour reprendre l’exploration du site. É. Espérandieu vient de fouiller


Notes et dessins d’Alphonse Chassant décrivant des découvertes archéologiques, ici des tombes antiques, à Évreux. Bibliothèque patrimoniale d’Évreux. Fonds Chassant.

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La redécouverte de Gisacum, 1976-2023 Si l’importance du site est comprise dès les premières fouilles au XIXe siècle, grâce aux dimensions des édifices mis au jour et à l’extraordinaire mobilier exhumé, son étendue n’est réellement comprise que bien plus tard, dans les années 1970, lorsque la prospection aérienne se développe. Roger Agache (1926-2011), pionnier de la discipline, survole Gisacum à l’été 1976. L’association Archéo 27, fondée en 1974, va prospecter sur le site jusqu’en 2003 : Philippe Béchelen, Serge Godet, Michel Gaspard, Annie Étienne et Pascal Eudier se sont ainsi relayés pour cartographier l’intégralité du site et construire son image actuelle36.

Notes et croquis d’Alphonse Chassant décrivant la découverte de sépultures lors des travaux d’aménagement de la route de Paris à Évreux. Bibliothèque patrimoniale d’Évreux. Fonds Chassant.

sur le Mont Auxois (Côte-d’Or), et a dégagé avec son équipe une partie de la ville romaine d’Alésia. Il s’agit d’un des archéologues français les plus en vue de son temps. L’objectif affiché par la Société est d’achever le travail entrepris par A. Robillard et T. Bonnin, et de créer un musée de site32. É. Espérandieu fait venir trois de ses fouilleurs expérimentés du Mont Auxois. Ils n’auront le temps de mener que deux campagnes, achevées à l’été 1914. Les travaux entrepris se limiteront aux thermes de Gisacum, et l’ambitieux projet porté par la Société française des fouilles archéologiques s’éteint avec la Grande Guerre. Le mobilier exhumé par ces fouilles, entreposé dans une cabane de chantier, est volé pendant le conflit33.

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À partir des années 1930, le directeur des Archives départementales de l’Eure, Marcel Baudot (1902-1992), relance les recherches sur Gisacum sous le prisme des archives et des recherches de terrain. Il entreprend de publier quantité de notes inédites d’A. Robillard et de T. Bonnin34 et commence à fouiller un fanum* situé non loin du site, sur l’ancienne commune de Cracouville, aujourd’hui rattachée à celle du Vieil-Évreux. Ses fouilles, publiées partiellement35, révèlent un petit sanctuaire aux portes de Gisacum. La Seconde Guerre mondiale met fin aux recherches de terrain de M. Baudot.

Depuis 1996 et la création de la Mission Archéologique Départementale de l’Eure, Gisacum fait l’objet d’une fouille archéologique programmée, dirigée d’abord par Laurent Guyard, puis par Sandrine Bertaudière. Ces campagnes successives, menées avec une méthodologie et des techniques de l’archéologie du XXIe siècle, révèlent chaque année des quantités d’informations inédites, et livrent peu à peu tous les secrets du site. Ces progrès dans la connaissance de Gisacum constituent l’objet des prochains chapitres de cet ouvrage. Parallèlement, le mobilier extraordinaire exhumé par A. Robillard et T. Bonnin continue d’être exposé au musée d’Évreux. Créé en 1873, inauguré en 1874, plusieurs fois déplacé, le musée est abrité depuis les années 1960 dans l’ancien palais épiscopal de la ville, à l’ombre de la cathédrale. Une grande salle souterraine, creusée au début des années 1980, en regard du rempart antique, a constitué pendant presque quarante ans un cadre d’exception à la présentation des collections archéologiques. Aujourd’hui, cet espace est fermé, après avoir connu d’importants problèmes structurels37. Le parcours permanent du musée, refondu en partie en 2021, présente à nouveau une sélection d’objets emblématiques des collections archéologiques. La réalisation d’un diagnostic complet de la section de rempart encadrée par un architecte du patrimoine, lancé par la ville d’Évreux et l’État en 2023, aboutira in fine à la réfection totale de la salle, permettant de remettre à l’honneur dans un espace repensé et rénové les splendeurs de Gisacum.


Copie d’Alphonse Chassant du plan du théâtre antique d’Évreux, réalisé par Théodose Bonnin. Bibliothèque patrimoniale d’Évreux. Fonds Chassant.

1 F. Rever, 1827. 2 C. Fontaine, 2005, p. 33. 3 Voir P. Le Brasseur, Histoire civile et ecclésiastique du Comté d’Évreux, 1722. 4 Mémoire sur les ruines du VieilÉvreux, Département de l’Eure, Ancelle fils, Évreux, 1827. 5 F. Rever, 1827, p. 96. 6 Ibid. p. 107. 7 G. San Juan, F. Delacampagne (dir) 2011, pp. 115-116. 8 F. Rever, 1825. 9 F. Rever, 1823. 10 Ch. De Stabenrath, 1831. 11 Archives départementales de l’Eure, cote 5K22. 12 M. De Boüard, 1985, p. 37. 13 Évreux, Archives Départementales de l’Eure, cote 1K21. 14 Évreux. Musée d’Art, Histoire et Archéologie, Inv. 4891  : inscription bilingue latine et gauloise, récemment réétudiée et décrite dans le RIIG :

https://riig.huma-num.fr/exist/ apps/riig/documents/EUR-0101, consulté le 12 janvier 2023. 15 M. Baudot, 1936 a. 16 Paris, Archives de la Médiathèque du Patrimoine, cote 80/5/3. Référence tirée de F. Bridey, 2014. 17 Archives départementales de l’Eure, cote 119T2. 18 Voir les lettres de Bonnin adressées au Préfet du Département, Archives départementales de l’Eure, cote 119T2. 19 M. Baudot, 1936 a. 20 Toutes deux conservées au Musée d’Évreux : Inv. 5 385 (CIL XIII 3 197) et Inv. 4 891 (RIG II, L-16, p. 183-194). 21 Archives départementales de l’Eure, cote 119T2. 22 Voir lettre de Chassant demandant au Préfet du Département l’autorisation de donner accès à une statuette de Bacchus en novembre 1850. Archives

départementales de l’Eure, cote 119T2. 23 Évreux. Musée d’Art, Histoire 2 et Archéologie, Inv. 11 656. 24 E. Rafowicz, E. Sartini, F. Biagi, 2021. 25 Lettre du maire d’Évreux JeanLouis Lépouzé au Préfet de l’Eure, en date du 4 avril 1880. Archives départementales de l’Eure, cote 119T2. 26 Voir procès-verbaux d’enlèvement des objets appartenant au Département et à la Société Libre de l’Eure pour leur transfert au Musée municipal (1873-1874), Archives du Musée d’Art, Histoire et Archéologie. Environ 1 400 objets sont concernés. 27 Ce bâtiment abrite aujourd’hui la Maison des Arts SolangeBaudoux. 28 L. Gonse, 1879. 29 H. Lamiray, 1930.

32 Ibid. pp. 41-42. 33 Ibid. p. 76. 34 M. Baudot, 1936 a. 35 M. Baudot, 1936 b. Marcel Baudot perd une partie de ses notes lors des bombardements d’Évreux durant la Seconde Guerre mondiale. 36 Les travaux d’Archéo 27 ne se limitent pas à Gisacum. L’association a déclaré la découverte de centaines de sites dans le département, grâce à ses campagnes de prospection aériennes. 37 Un dégât des eaux en janvier 2016 a provoqué l’évacuation des collections et une première fermeture. Une réouverture partielle de la salle en juin 2018 a permis l’organisation d’expositions temporaires. La chute du parement extérieur du rempart en avril 2021 a entraîné une nouvelle fermeture de la salle.

30 Ibid., p. 108. 31 C. Fontaine, 2005, p. 41.

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Gisacum dans son contexte Éric Leconte

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Implantée sur un des points hauts du plateau de SaintAndré-de-l’Eure et à cheval sur cinq communes (Le Vieil-Évreux, Cierrey, Miserey, Le Val-David et La Trinité), l’agglomération gallo-romaine du Vieil-Évreux se situe dans la partie orientale du territoire des Aulerques Eburovices, un des plus petits peuples de la Gaule, à 6 kilomètres à l’est du chef-lieu de cité* antique Mediolanum Aulercorum (Évreux), capitale économique, politique et administrative. Si aucun centre gaulois important n’est connu à Évreux (dans l’état actuel de la recherche, seules les fermes gauloises du Long-Buisson et de Parville ont été repérées, même si César mentionne néanmoins l’équivalent d’un centre urbain1) ou dans ses environs proches, il est probable que les Gaulois se réunissaient régulièrement, dans un lieu qui reste à découvrir. Au Vieil-Évreux, seuls quelques rares vestiges d’occupation gauloise ont été mis au jour par les fouilles de la Mission archéologique départementale de l’Eure (MADE), ce qui reste insuffisant pour caractériser une occupation structurée2. Apparu peu de temps après la création d’Évreux, aux environs du milieu du Ier siècle avant J.-C., Gisacum se caractérise alors par la création de quartiers localisés autour d’un temple et d’un forum. Sous Trajan (98-117) ces quartiers sont rasés et un urbanisme exceptionnel, unique dans le monde romain, se met en place. On en connaît les dimensions : 5,6 kilomètres de périmètre, 1,8 kilomètre de diamètre pour environ 230 hectares, ce qui en fait l’un des plus vastes sanctuaires connus de Gaule romaine et de l’Empire.

Évreux / Le Vieil-Évreux entre dans ce groupe de « villes doubles » comme Lisieux / Le Vieux-Lisieux, Le Mans / Allonnes. Ces grands sanctuaires périurbains étaient de grands lieux de pèlerinages et donc de rencontres, sans doute à l’occasion de foires liées aux fêtes religieuses. Par son ampleur, Gisacum peut être considéré non seulement comme le sanctuaire principal des Aulerques Eburovices, mais également comme un lieu de pèlerinage à rayonnement régional, voire « national », à l’image de celui de Grand (Vosges). Le site comporte un axe monumental matérialisé par un alignement imparfait des thermes, du grand sanctuaire et du théâtre. Au nord de ce dernier se trouve une grande place publique (ledit « Champ des Dés »), que l’on interprète comme un possible forum. Autour de cet ensemble monumental, de grands espaces vides isolent ces bâtiments publics du reste de l’agglomération, sous la forme de prairies. L’agglomération est circonscrite par une bande bâtie d’environ 100 mètres de largeur (habitat principalement reconnu par photographies aériennes grâce aux travaux de l’association Archéo 27), affectant la forme d’un hexagone imparfait. Tous les bâtiments civils tournés vers le grand sanctuaire avaient une façade stéréotypée, précédée parfois d’un portique, longeant la rue principale devant laquelle passait un aqueduc d’au moins 2,2 kilomètres. Trois axes de voirie rayonnent depuis ce polygone. Le premier à l’ouest se dirige vers Évreux, le deuxième, au sud, mettait vraisemblablement le site en relation avec la voie antique Évreux-Dreux (Durocassium, capitale de cité des Durocasses). Le troisième, à l’est, permettait de rejoindre la voie menant vers Paris (Lutetia, capitale de cité des Parisii).

27


28

© Pierrick Legobien.


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Évreux et sa région durant l’Antiquité Le paysage à l’époque antique est déjà largement domestiqué. Le plateau dominant Évreux est dévolu à la culture de céréales (froment, orge, lentille, épeautre), la culture du noyer y est probable ainsi que celle de la vigne3. L’élevage est attesté (bœuf, mouton, cochon). Les champs et les prairies sont séparés par des fossés et des haies4. De nombreux petits bosquets sont disséminés au gré de la nature du sol, et les forêts sont rejetées à plusieurs kilomètres de la zone étudiée (on y pratique la chasse au cerf et au sanglier). Le fond de la vallée de l’Iton, humide, voire très humide, est dédié aux cultures maraîchères mais également à l’élevage. Quelques fermes, dont certaines peuvent être assimilées à des villae* (Le Long-Buisson, Parville, villa des Quinconces), pérennisent d’anciens établissements gaulois et contribuent à l’approvisionnement de la capitale de cité en produits frais. En parallèle, la capitale de cité propose des produits manufacturés. C’est donc dans ce type de paysage que les Aulerques Eburovices vont venir s’établir dans la seconde moitié du Ier siècle avant J.-C. à l’emplacement de ce qui deviendra Évreux, en fondant Mediolanum Aulercorum, qui à son apogée couvrira une superficie d’environ 60 hectares pour une population estimée entre 7 000 et 8 000 habitants. Rapidement cette capitale de cité va prospérer grâce au commerce, idéalement située à un nœud routier la mettant en relation avec Paris (Lutetia), Rouen (Rotomagus), Lisieux (Noviomagus Lexoviorum), Chartres (Autricum) et grâce à la rivière Iton, alors navigable au moyen d’embarcations de type barges, vers la grande voie fluviale constituée par la Seine. Grâce à cette prospérité, Évreux va ériger des monuments publics : un théâtre vers 41-54, des thermes vers 185-210 (succédant probablement à un édifice antérieur5). La partie actuelle de la ville située autour de la cathédrale étant probablement dotée d’une parure monumentale bordant un possible forum, si l’on se réfère aux nombreuses découvertes mentionnant des fûts de colonnes et de nombreux chapiteaux corinthiens6.

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Les premiers siècles de la « domination » romaine, et ce jusque vers les années 250, marquent une période d’essor considérable de l’économie, bénéficiant en outre de « l’Optimum climatique Romain », une embellie climatique caractérisée par un adoucissement des températures et un accroissement relatif de l’humidité7. À Évreux, commerce et artisanat semblent florissants (boutique de vaisselier, textile, métallurgie, verrerie), essor

rendu possible par un réseau viaire très développé et très fréquenté pour l’approvisionnement en produits de toutes sortes répondant aux besoins des habitants (huîtres de la côte est du Cotentin par exemple) ou bien en raison de très nombreux chantiers de construction sur le territoire de la cité (thermes et théâtre d’Arnières-sur-Iton par exemple), chantiers nécessitant la livraison de calcaires des carrières de Bapeaume, dans la forêt d’Évreux, de la Vallée de l’Oise, mais aussi de marbres de Tunisie, Grèce, Turquie et Libye. Aujourd’hui encore, de nombreuses routes que nous empruntons régulièrement reprennent le tracé de voies antiques (la RD 55 reliait Évreux à Condésur-Iton8, la RN 13 mettait en relation Paris à Évreux et au-delà à Lisieux9), parfois ponctuées de relais routiers, comme c’est probablement le cas à Arnières-sur-Iton10. Cet essor économique et démographique profite de la Pax romana, et perdure jusqu’au milieu du IIIe siècle, époque à laquelle un arrêt brutal s’opère : les édifices publics sont démantelés, l’habitat se rétracte ou bien est abandonné. La fameuse « crise du IIIe siècle » recouvre en réalité plusieurs crises simultanées : crises institutionnelles, politique, économique, climatique, auxquelles s’ajoute le début des grandes migrations. C’est donc probablement en lien avec le premier incendie d’Évreux, daté des années 250, qu’est décidée, sous le règne de l’empereur Postume (260-269), la construction d’un premier rempart, destiné à protéger la ville des raids barbares. Cette tentative n’aboutit pas, la construction étant abandonnée dans les années 270-280, abandon consécutif à une deuxième destruction, semble-t-il plus massive. Le trésor monétaire retrouvé Place de l’Hôtel de Ville le 23 août 1890 (plus de 110 000 monnaies) est certainement à mettre en relation avec cette première tentative, et aurait été destiné à en financer la construction. Ce n’est qu’au retour d’une période plus calme, au début du IVe siècle (ou plus tôt ?), suite à une reprise en main par le pouvoir impérial, que commence la construction des remparts avec une emprise plus réduite, remparts que l’on peut encore observer aujourd’hui dans la ville. Le premier projet aurait probablement atteint une superficie d’environ 18 hectares, tandis que le second encercle un espace réduit à 9 hectares et laisse notamment les thermes et le théâtre en dehors de l’enceinte.


vers Brionne (Breviodurum) vers Rouen (Rotomagus) vers Lillebonne (Iuliabonna)

vers Rouen (Rotomagus) vers Pont-de-l'Arche (Uggade)

Parville

V vers Lisieux (Noviomagus)

Rue de la Justice Haut-Empire (?) 2de 1/2 du IIe s.

EVREUX

F

F

Miserey "La Haute Borne"

galerie de silex

de craie

sol

sol

Sanctuaire ? enceinte

LEP Hébert fin Ier av. JC IIIe s.

voie

1

voie

2

Evreux Rue des Quinconces

Evreux F LEP Hébert

V

"Le Long Buisson" Parcellaire et nécropole proto villa et voirie gallo Habitat VIe - Xe s.

St-Sébastien -de-Morsent

La Côte au Buis

F

vers Beauvais (Caesaromagus)

Emprise approximative de la nécropole antique

"Zone de la Tourelle" Enclos proto Habitat HMA

H

"Saint-Laurent" Habitat et métallurgie de la Tène Nécropole de la seconde 1/2 du Ier s. ap. JC Aqueduc Hameau rural des VIe et VIIIe s.

V

vers Condé-sur-Iton (Condate) vers Le Mans (Vindunum)

Miserey "La Coudre"

Le Petit Pré

H

LE VIEIL-EVREUX

Aqueduc

Carrières de Bapeaume

vers Lutetia

V

Le Long Buisson

H Arnières-sur-Iton Agglomération d'un certain statut (Relais routier ?) Thermes, théâtre, fanum IIde 1/2 du 1er s. - IVe s.

vers Paris (Lutetia)

F

vers Cracouville vers Condé-sur-Iton Aqueduc Aqueduc

"Rue de la Dîme" - La Grande Contrée Sud Enclos proto Parcellaire proto et/ou gallo-romain, Ier - IIIe s. voirie antique ? incinérations gallo-romaines, Haut-Empire Habitat et artisanat du VIIe au X/XIe s.

Guichainville

F

H Site HMA (fin VII - Xe s.)

vers Condé-sur-Iton (Condate)

F

(Condate)

Cracouville

"Le Devant de la Garenne" Ferme indigène du Ier s. av. JC Sanctuaire du Ier s. ap. JC auquel succède 1 habitat rural abandonné au IIIe s. Saint-Luc

"La Petite Dîme" Incinérations gallo-romaines, milieu du Ier s. ap. JC Habitat et artisanat du IVe au VIIe s.

V

Cracouville 1er état : époque augustéenne 2e état : fin Ier / début IIe s. Abandon : vers 275 (?) Réutilisation comme nécropole fin VIIe s. (?)

vers Dreux (Durocassio) vers Chartres (Autricum)

Les Ventes "Les Mares Jumelles"

aqueduc

N 0

500 m

2500 m

H

habitat

F

fanum / sanctuaire

V

villa

tracé de l'aqueduc voie antique atelier de tuilier atelier de potier carrière

Contexte archéologique antique du site du Vieil-Evreux. © E. Leconte.

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L’archéologie confirme cette transformation urbaine : l’économie paraît péricliter, l’habitat traditionnel galloromain est abandonné et peu de traces d’une occupation alto-médiévale sont perceptibles. Parallèlement à ce déclin, on assiste à une reconquête du milieu forestier, significative d’une baisse importante de l’activité humaine. Nous entrons alors, pour le Vieil-Évreux, dans les brumes de l’histoire…

Qui vit à Gisacum ? L’archéologie nous apporte des connaissances sur les habitants de Gisacum, leur mode de vie et leurs occupations. On sait que de nombreux artisans y travaillent le métal (fer, bronze) et l’os (tabletterie), une boutique de quincaillerie a également été repérée. On présume que l’élite locale y possède l’équivalent de nos résidences secondaires. De part la fonction religieuse du site et donc face à la nécessité d’accueillir de nombreux pèlerins, il est probable que de nombreuses auberges (thermopolium*) s’y soient développées. La fouille de nécropoles est un autre moyen d’établir un portrait de la population. En effet, les inhumations étaient souvent matérialisées par des stèles. La découverte de celles-ci présente donc un grand intérêt puisque, outre le nom du défunt et l’âge de son décès, ces monuments funéraires nous apportent des informations sur sa famille et son métier. Hélas, aucun cimetière antique n’a été, jusqu’à ce jour, découvert sur le site. L’hypothèse actuelle suppose que les défunts de Gisacum étaient inhumés à Évreux, dans la nécropole du Clos-au-Duc. La fouille de cette grande nécropole peut néanmoins nous apporter quelques informations.

32

En confrontant les données issues des études ostéologiques effectuées sur les squelettes retrouvés dans les nécropoles régionales, les anthropologues constatent une homogénéité de la population tant du point de vue de la stature que de celui de l’hygiène, des conditions de travail et des pathologies qui leurs sont associées. Il apparaît en effet que la population d’Évreux à l’époque antique se révèle plutôt modeste, même si une élite locale y est manifeste, puisque quelques sépultures privilégiées se distinguent. Les fouilles de la nécropole du Clos-au-Duc (en fonction du Ier au IVe siècle) et les études anthropologiques effectuées sur les squelettes démontrent de façon formelle un état sanitaire de la population assez médiocre, mais dans la « norme de l’époque », tout comme l’est la stature des Ébroïciens (1,69 mètre pour les hommes, 1,54 mètre pour les femmes) 11. Nombreuses caries, abcès, pathologies associées à des travaux pénibles, révèlent une population plus laborieuse

que oisive. Nous sommes donc loin de l’image d’Épinal d’une civilisation dont les citoyens désœuvrés n’attendent que du pain et des jeux (panem et circenses*) ! Les Aulerques Eburovices, peuple gaulois devenu galloromain, adoptent rapidement, du moins dans une large part, le mode de vie « à la romaine » : changements dans les pratiques de consommation, syncrétisme religieux, multiplication des thermes notamment. Mais qu’en est-il de l’usage du latin ? Le corpus des pièces disponibles pour répondre à cette question est assez peu fourni. L’épigraphie et l’onomastique nous indiquent que cette assimilation fut longue et que si l’élite gallo-romaine semble s’être très rapidement mise au latin, il n’en fut pas de même pour l’immense majorité de la population ; celleci parlant et écrivant une sorte de « gallo-latin » que l’on retrouve parfois sur les graffitis mis au jour à l’occasion de fouilles (graffiti des thermes de Pîtres, tablettes de defixio* de la nécropole du Clos-au-Duc12). L’étude des dédicants de Berthouville (trésor datant du IIe siècle) nous montre ainsi que plus d’un tiers de ceux-ci sont des Gaulois encore non complètement romanisés13. Une inscription en bronze, mise au jour à Gisacum en 1837, reflète également ce « bilinguisme » d’une partie de la population fréquentant la ville-sanctuaire. Quant à estimer la population vivant à Gisacum au IIIe siècle, cela reste difficile à appréhender. Tout au plus peut-on donner, dans une sorte de fourchette, forcément surévaluée si l’on tient compte de la population proposée pour Évreux (entre 7 000 et 8 000 habitants), la capacité d’accueil du théâtre, estimée à environ 7 000 spectateurs14.


Relations Évreux - Mediolanum Aulercorum / Le Vieil-Évreux - Gisacum Le véritable nom et le statut de Gisacum restent encore flous. Il est toutefois aujourd’hui communément admis que celle-ci était étroitement associée au chef-lieu de cité Mediolanum Aulercorum. Si la création du chef-lieu est légèrement antérieure à celle de Gisacum, il apparaît que durant cette phase d’essor, Évreux l’emporte sur le Vieil-Évreux d’un point de vue monumental, même s’il est plus que probable que le statut de « ville-double » associée à Gisacum soit, dès cette époque, en vigueur. En effet on constate un dédoublement des édifices publics, chaque monument de Mediolanum ayant son pendant à Gisacum, ce qui s’explique par le fait que, lors des cérémonies religieuses et/ou politiques, le sénat* local15 se déplaçait à Gisacum pour procéder à ces manifestations diverses. Nous pourrions ainsi comparer, avec toute la prudence qui s’impose, Gisacum avec les villes de pèlerinage actuelles de Lisieux, Lourdes, Saint-Jacques de Compostelle, etc., qui proposent aux pèlerins hôtels et boutiques de souvenirs.

viandes, etc.). La ville-sanctuaire est donc également un lieu de commerce et d’échanges mais aussi certainement de villégiature pour les élites de Mediolanum. Contrairement à Mediolanum, l’abandon de Gisacum est perceptible dès les années 250 de notre ère. Cet abandon est davantage à mettre en relation avec les premiers pillages barbares qui dévastent le nord et le nord-ouest de la Gaule romaine, et la crise politico-économique qui s’ensuit, plutôt qu’avec le caractère religieux du site. Une partie des habitants de Gisacum se replie alors probablement sur Mediolanum Aulercorum. Toutefois cet abandon progressif est à nuancer puisque certaines parties de Gisacum continuent à être sinon habitées, du moins fréquentées jusqu’à la fin du IVe siècle, notamment dans le grand sanctuaire devenu un castellum18. Par la suite, Évreux - Mediolanum retrouvera lentement toute sa primauté, en devenant siège d’évêché dès le VIe siècle, tandis que Le Vieil-Évreux - Gisacum tombera dans un profond sommeil jusqu’aux alentours du XIIe siècle.

Tout ceci semble rester valable jusqu’à la fin du Ier siècle. Sous le règne de Trajan (98-117 après J.-C.), une montée en puissance de Gisacum s’amorce, au « détriment » du chef-lieu de cité. Tout au long du IIe siècle, on assiste à une monumentalisation considérable de Gisacum : installation de la bande bâtie hexagonale, grand sanctuaire, agrandissement des édifices publics, embellissement de l’habitat. Quelles en sont les causes ? Peut-être pourrions-nous y voir une conséquence de la Peste antonine (les spécialistes pensent à une épidémie de variole) qui toucha l’Empire entre 166 et 190, et marqua fortement les esprits, occasionnant une très forte mortalité et suscitant une recrudescence de la ferveur religieuse16. Que s’est-il passé chez les Aulerques Eburovices ? Déplacement d’une partie de la population ébroïcienne ? Accroissement de la population de Gisacum ? Toujours est-il que les temples et sanctuaires connus à Évreux ou dans ses faubourgs sont abandonnés (à l’exception d’un édifice cultuel situé sous le Lycée Hébert, rue Du Guesclin), et que le grand sanctuaire du Vieil-Évreux voit le jour sous sa forme monumentale vers la fin du IIe siècle. Il est indiscutable que tout ceci soit le fruit d’une volonté politique forte, mais dont les motivations et les éléments déclencheurs restent inconnus. Gisacum accroît ainsi son rôle fédérateur et continue, voire augmente, sa capacité agricole destinée à approvisionner Mediolanum en produits frais17 (céréales,

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In 1è cen re di te e d nt ’E at vr ive eu De de x e et str fo t ab uc rti an tio fic do n at n ma io de s s n No d’ s t ive Ev ra d su uv re va ’E r u ea ux ux vr ne ux eu d su tra e x f pe va or rfi ux tifi cie d ca tio m e fo oi rt n nd ifi re cat io n d’ Ev re ux

Statut

Arnières-sur-Iton

Agglomération

Cracouville

Sanctuaire

Evreux

Cité

Evreux (rue de la Justice)

Sanctuaire

Evreux (rue des Quinconces)

Villa

Evreux (LEP Hébert)

Fanum

Guichainville (La Petite Dîme)

Habitat rural

Guichainville (Rue de la Dîme)

Habitat rural

Guichainville (Le Devant de la Garenne)

Sanctuaire

Guichainville (Le Devant de la Garenne)

Habitat rural

Le Long-Buisson

Villa

Le Vieil-Evreux

Agglomération

Parville

Villa

St-Sébastien-de-Morsent

Atelier de potier

Période d’enfouissement des «trésors monétaires» trouvés à Evreux Période faste du site

Seconde moitié 1ère moitié

Guerre des Gaules

IIe siècle

Seconde moitié 1ère moitié

IIIe siècle

Seconde moitié 1ère moitié

Peste antonine

re

Période de déclin du site

1ère moitié

Ier siècle

34

IVe siècle Seconde moitié 1ère moitié

dé m cé en oli ré lie tio m n n on av du ie ec sa de u n clô ne ctu ai tu re re

Ier siècle avant J.-C. Site

Castellum du Vieil-Evreux

Ve siècle

Seconde moitié 1ère moitié

Démolition finale du sanctuaire

Seconde moitié


Gisacum I

Protohistoire

Construction de l'aqueduc en pierre

G I S A C U M

Début 1er s. première occupation Construction du grand sanctuaire du forum Occupation Occupation tibéro-claudienne augustéenne sur le sanctuaire

-100

M E D I O L A N U M

Gisacum II

0

Construction du théâtre

Première démolition du sanctuaire abandon du théâtre ? temple sévérien

100

300

250 Incendie d'Evreux

138-144 Inscription des foulons d'Evreux

41-54 Construction du théâtre d'Evreux

Démolition finale du sanctuaire

castellum

200

185-210 Construction des thermes d'Evreux -25 Création d'Evreux ?

Abandon des thermes et du macellum

Construction et occupation des thermes du Vieil-Evreux

Temples flavio-antonins

400

Fin IIIe-début IVe s. Construction des remparts d'Evreux

275-280 Destruction des thermes d'Evreux, nombreuses destructions dans la ville elle-même, tentative de fortification de la ville d'Evreux

314 1ère mention écrite d'une communauté chrétienne dans la future Normandie : Avitianus, évêque de Rouen,assiste au concile d'Arles

Période d'utilisation de la nécropole du Clos au Duc

Guerre des Gaules

-100

Construction du macellum

Peste antonine

0

100

Contexte historique de l’évolution de Gisacum Après une période de paix quasi complète de plus de deux siècles, du moins à l’intérieur des frontières de l’Empire, de la mort d’Auguste (19 août 14 ap. J.-C.) à l’assassinat de Sévère Alexandre en 235, une période de crises touche l’ensemble de l’Empire romain. Pour tenter d’appréhender les causes de l’évolution de Gisacum, nous devons prendre en considération ce contexte politique et historique. La première campagne de démolition du grand sanctuaire, vers 250, est à replacer dans la période dite de l’Anarchie militaire (235-284), qui voit plus d’une quarantaine d’empereurs et d’usurpateurs se succéder, et l’apparition d’un éphémère « empire gaulois »* entre 260 et 274, qui voit la Bretagne et les provinces de Gaule s’unir pour faire face à la menace barbare, au moment où l’empereur à Rome lutte en Italie du nord et ne peut venir en aide à ces provinces. Ces crises multiples (graves épisodes de guerre civile, invasions, épidémies de variole, crise économique) expliquent vraisemblablement la vie assez brève du grand sanctuaire de Gisacum reconstruit sous les Sévères, entre trente et cinquante ans, dont la construction pourrait s’être étalée sur une vingtaine d’années. La clôture du monument quant à elle, est effective dans les années 275-280, soit l’époque à laquelle l’empereur « gaulois »

200

Incursions barbares Bagaudes Usurpation de Carausius

313 Edit de Milan

300

400

Probus (276-282) repousse des incursions de Francs et d’Alamans. Localement, cette période se caractérise par deux épisodes de destruction dans la ville de Mediolanum, avec comme corollaire une première tentative de fortification de la cité ébroïcienne, tentative avortée, vraisemblablement dans le courant des années 275-276. De nombreux enfouissements monétaires sont attestés durant ce laps de temps. Sur un total de 64 « trésors » recensés sur l’actuel département de l’Eure pour la période galloromaine, 35 appartiennent à cette période de troubles, soit presque 55 %. Suite à la fermeture rituelle du sanctuaire de Gisacum, le grand temple central est transformé en castellum* aux alentours des années 280, fonction qu’il semble occuper jusque dans les années 340-35019. Parallèlement, Mediolanum s’est dotée d’une enceinte fortifiée qui voit probablement le jour entre 300 et 325. La chronologie de la transformation du grand sanctuaire de Gisacum en fortification correspond à la répression par l’empereur Maximien (285-305) des Bagaudes, bandes qui ravagent la Gaule du nord. Dans les années qui suivent, l’empereur Constance Chlore (293-306) pacifie cette partie de l’Empire alors partiellement sous

35


l’influence de l’usurpateur Carausius (286-293). Le père du futur empereur Constantin est alors chargé de lutter contre les pirates saxons et francs qui se livrent à des raids maritimes le long des côtes de la Manche et dont les bases principales se situent en Bretagne (Angleterre) ainsi qu’à Boulogne, Rouen - Rotomagus (voisine de Mediolanum et Gisacum) constituant une sorte d’avantposte sur la Seine. Après ces derniers épisodes, et ce jusqu’au début des années 350, la reprise en main des Gaules par les différents empereurs, assure à celle-ci une relative tranquillité. C’est durant cette période que nous voyons apparaître de façon documentée une lente diffusion du christianisme, dans ce qui deviendra la future Normandie. C’est en effet en 314 que nous avons la mention du premier évêque historiquement attesté : Avitianus de Rouen, qui assiste au premier concile d’Arles organisé par l’empereur Constantin. L’abandon de la fortification de Gisacum coïncide avec l’entrée en scène, en 355, du futur empereur Julien, qui mène une série de campagnes militaires dans les Gaules, menacées par de nouvelles usurpations et vagues de grandes migrations. Julien s’établit à Lutèce (Paris) à l’hiver 357. Il est accompagné du militaire, futur historien, Ammien Marcellin, qui profitera peut-être de son séjour pour se rendre à Évreux - Mediolanum, cité qu’il évoque avantageusement dans son ouvrage. On peut supposer que l’éloge d’Ammien20 s’adresse à une cité dotée d’une fortification « flambant neuve ». Dès lors et contrairement à un discours parfois avancé, on peut raisonnablement supposer que suite à l’abandon du castellum* de Gisacum dans les années 340-350, la transformation de la ville-sanctuaire en carrière de matériaux21 n’a pas profité à l’érection du rempart de Mediolanum puisque celle-ci existait déjà, du moins partiellement. A contrario cependant, la première campagne de démolition du sanctuaire aurait pu, elle, contribuer à l’érection de la première tentative avortée de doter Mediolanum d’une enceinte. Évreux-Mediolanum a réussi à garder sa prééminence grâce à son statut de capitale de cité, qui lui a permis l’érection de ses remparts permettant d’abriter une partie de la population mais également les autorités locales qui pouvaient encore subsister, et probablement une éventuelle garnison.

36

Le déclin du Vieil-Évreux - Gisacum peut s’expliquer par la fuite probable d’une partie de sa population cherchant la sécurité d’une ville fortifiée, ce qui favorisa

l’abandon d’un bon nombre de champs cultivés et la reforestation des alentours (qui aboutira au paysage que nous pouvons observer encore aujourd’hui dans ses grandes lignes), et d’autre part par sa « transformation » progressive en chantier d’approvisionnement en matériaux de construction. Mais aussi peut-être, par l’abandon progressif de la religion romaine au profit du culte catholique. Qui a pu occuper durant presque 70 ans, cette petite fortification ? Les renseignements issus des recherches récentes apportent quelques éléments de réponse. Ces fouilles nous montrent une population de type « paysans-soldats » pratiquant l’élevage, l’agriculture, et différentes activités artisanales. Le caractère militaire ne transparaît que très peu, car la plupart du mobilier peut être associé aussi bien à des activités de type chasse que militaire. Il n’en reste pas moins que la découverte de restes humains en relation avec le castellum* paraît démontrer qu’il s’y est produit un affrontement meurtrier dont nous ignorons tout.

1 Jules César - La Guerre des Gaules, livre III, chapitre XVII, M. Nisard, F. Didot, Paris, 1865, p. 223. 2 Cette « occupation » résiduelle est également confirmée par C. Lourdeau, 2013. 3 D. Lukas, 2010. 4 O. Buchsenschutz, 2009. 5 P. Wech, 2011 a. P. Wech, 2012. 6 J. Mathière, 1925 ; H. Lamiray, 1927 ; C. Lecœur, 1931 ; V. Brunet, 1997 ; L. Gadebled, 1873. 7 V. Carpentier (dir.), C. Marcigny (coord.), 2006. 8 Y.-M. Adrian, 2000. 9 N. Roudié, 2003. 10 R. Blondeau, 2017. 11 S. Pluton-Kliesch, 2009. 12 M. De Bouärd, 1962. 13 P. Lajoye, 2000.

14 C. Hartz, 2015. 15 E. Deniaux, 1990. 16 B. Rossignol, 2000/1. 17 C. Hartz, 2015. 18 S. Bertaudière, 2015. Données scientifiques à paraître. 19 S. Bertaudière, 2015. Données scientifiques à paraître. 20 Ammien Marcellin, Histoire de Rome, Livre XV, chapitre XI. Dans Collection des Auteurs latins publiée sous la direction de M. Nisard, Ammien Marcellin, Jordanès, etc., Paris, Firmin Didot, 1869, p. 44. Ammien conclut ainsi son exposé : « Toutes ces provinces et cités sont la fleur de la Gaule ». 21 S. Bertaudière, 2015. Données scientifiques à paraître.


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© E. Leconte.

Aulerques Eburovices Les Aulerques Eburovices (littéralement, Aulerques signifie “ceux qui sont loin de leurs traces”, Eburovices quant à lui signifie « ceux qui vainquent les sangliers »1) sont un des plus petits peuples de la Gaule. Si l’on en croit César, le contingent fourni par ceux-ci lors de l’envoi de l’armée de secours destinée à débloquer Vercingétorix assiégé dans Alésia par le général romain, représente environ 1,10 % du total des effectifs fournis par les autres peuples de Gaule. Quoi qu’il en soit, il est certain que les Aulerques Eburovices ne figuraient pas parmi les tribus les plus importantes au moment de la Guerre des Gaules. La ville principale des Aulerques Eburovices du temps de l’indépendance gauloise nous est encore inconnue. C’est vers le milieu du Ier siècle avant notre ère qu’ils s’établissent et fondent Mediolanum Aulercorum (“Mediolanum” signifie littéralement : « au milieu de la plaine »2), l’actuelle ville d’Évreux, dont le nom dérive directement du terme “Eburovice”. Le territoire sur lequel s’étendait l’autorité de cette cité correspond, à peu de chose près, au 2/3 sud du département actuel de l’Eure.

Dreux Durocasio

Carnutes

Il était principalement délimité par des cours d’eau, la Charentonne à l’ouest du département, l’Eure à l’est et l’Avre au sud. La partie du département comprise entre l’Eure et la Seine devait appartenir à un autre peuple, peut-être les Veliocasses ou les Parisii. Cette unité territoriale, déduite des anciennes limites de diocèses héritées de l’Ancien Régime, faute de sources disponibles pour l’époque antique, couvrait donc approximativement une superficie de 3 100 km², soit environ moitié moins que l’actuel département de l’Eure. Si Mediolanum Aulercorum / Évreux apparaît en tant que cité dans les sources antiques (principalement par le biais d’itinéraires routiers), il n’en va pas de même pour Gisacum / Le Vieil-Évreux. C’est cette indigence des sources qui a amené les archéologues du XIXe siècle à proposer le nom de Gisacum à cette agglomération antique, suite à la découverte de deux mentions épigraphiques, dont l’une d’elles, gravée sur marbre blanc, évoquait le dieu Gisacus.

1 P.-Y. Lambert, La langue gauloise, Éditions Errance, Paris, 2003. 2  F de Beaurepaire, Les noms des communes et anciennes paroisses de l’Eure, Picard, Paris, 1981.

37


3

Gisacum, une ville-sanctuaire particulière Sabine Méry

38


Un plan urbain polygonal Dans son premier état, daté du Ier siècle de notre ère, la ville de Gisacum est constituée de deux îlots d’habitations, qui se développent autour d’un premier sanctuaire et d’une grande place publique1. Ces premiers quartiers s’inscrivent dans une trame orthogonale, caractéristique des villes de Gaule romaine, orientée nord-ouest/ sud-est2. Ces quartiers sont progressivement abandonnés au cours du IIe siècle et remplacés par un urbanisme original, qui perdurera jusqu’à la fin de l’occupation de la ville, à partir du milieu du IIIe siècle. En effet, dans son second état, la ville s’étend sur près de 250 hectares, surface délimitée par l’habitat, qui forme un polygone imparfait, ceinturant les différents édifices de la ville. De grands espaces vides mettent en valeur l’allée centrale de Gisacum, qui se compose des thermes, du sanctuaire, du théâtre et d’une grande place publique3. Les différentes parties de la ville sont reliées entre elles par un système viaire, dont le tracé a pu être dessiné grâce aux prospections aériennes (de Roger Agache en 1976, puis de l’association Archéo 27 depuis les années 1990), aux prospections géophysiques et aux fouilles archéologiques.

Forum ?

Sanctuaire primitif ?

La voirie de Gisacum s’intègre au réseau de voirie du territoire des Aulerques Eburovices4. Les habitats situés au nord de l’agglomération, qui semblent avoir eu des fonctions artisanales et commerciales, sont disposés de part et d’autre des voies de communication qui partent de la ville, en direction de Mediolanum Aulercorum/Évreux et de Condate/Rennes. Au sud, les domus*, plus luxueuses, sont localisées à proximité de la voie menant à la capitale de cité5. Enfin, une voie unique semble border l’intérieur de l’hexagone formé par les maisons, sur 5,6 kilomètres de périmètre. La fouille conduite par Cécile Hartz en 2010 au lieu-dit « Les Terres Noires » a révélé que la voirie en façade des habitations mesurait une dizaine de mètres de large, tandis que celle reliant l’agglomération à son chef-lieu de cité était réduite, à l’intérieur de l’agglomération, à 3 mètres de large6. Nous pouvons alors supposer que cette seconde voie était aménagée pour un usage préférentiellement piétonnier, ce qui devait renforcer la monumentalité de l’axe central de Gisacum. Enfin, comme nous allons le présenter plus bas, l’ensemble de l’agglomération est entouré d’un réseau d’aqueducs, parcourant un vaste espace dégagé au sein de la couronne bâtie.

0

500 m

Voirie observée Voirie restituée Fossé Anomalies géophysiques négatives Habitat Monuments publics Zone stratifiée Zone urbaine probable

Le Vieil-Évreux au Ier siècle ap. J.-C. © Mission Archéologique Départementale de l’Eure.

39


Habitat vers Paris/Lutetia

Fanum Nord Place publique Aqueduc

vers Évreux/Mediolanum

Temple central

Théâtre

Fanum Sud

Thermes Habitat

Nord

Aqueduc Macellum

vers Chartres/Autricum

0

40

Plan obtenu du Vieil-Évreux aux IIe et IIIe siècle à partir des données de prospections aériennes, géophysiques et de fouilles. © Cécile Hartz.

250

500 Mètres


Les bâtiments à organisation simple avec cour arrière

Les bâtiments à plan en L

Les bâtiments à organisation simple avec cour arrière Les bâtiments à organisation simple avec cour arrière

Les bâtiments à plan en L Les bâtiments à plan en L

Les bâtiments à organisation complexe

Les bâtiments à organisation complexe avec cour(s) intérieure(s)

Les bâtiments à organisation complexe

Les bâtiments à organisation complexe avec cour(s) intérieure(s)

Les bâtiments à organisation complexe Les bâtiments à organisation complexe

Les bâtiments à organisation complexe Les à organisation complexe avecbâtiments cour(s) intérieure(s) avec cour(s) intérieure(s)

Structure maçonnée repérée jusqu'à 1 m de profondeur en prospection géophysique

Cour

Structure maçonnée repérée jusqu'à 2 m de profondeur en prospection géophysique Structure maçonnée repérée jusqu'à 1m de profondeur en prospection géophysique

Structure excavée Cour

0

Typologie Ruedes habitations identifiées à Gisacum. Structure © Cécile Hartz. maçonnée repérée jusqu'à 2 m

de profondeur en prospection géophysique Structure maçonnée repérée jusqu'à 1m Structure maçonnée repérée jusqu'à 1m de profondeur en prospection géophysique de profondeur en prospection géophysique Rue

Structure maçonnée repérée jusqu'à 2 m

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D.A.O. C. Hartz 0

Structure excavée

Cour Cour

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D.A.O. C. Hartz

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20 m 20 m


La couronne d’habitat Les maisons repérées à Gisacum forment une bande bâtie d’environ 100 mètres de largeur, pour un périmètre d’environ 5,6 kilomètres7. Les travaux menés par Cécile Hartz ont montré qu’il existait trois catégories d’habitat à Gisacum : les habitats modestes à plan simple, les habitats à structuration plus complexe et les habitats aisés, organisés autour d’une cour centrale8. Les habitats à structuration simple, majoritaires au VieilÉvreux, comportent trois ou quatre pièces en façade, dont les dimensions sont comprises entre 4 et 9 mètres de longueur pour 3 à 10 mètres de largeur. Parfois, des pièces présentes sur une des ailes créent un plan en « L » et permettent de faire la liaison entre la rue et une cour où se concentrent des activités9. Certaines demeures disposent de fondations en pierres, sur lesquelles sont érigés des murs en terre et en bois. Il est également probable que certaines maisons ne soient construites qu’en matériaux périssables. Les toitures sont, quant à elles, faites en imbrices* et tegulae*, retrouvées en abondance lors des prospections pédestres10. Localisé plutôt dans la partie nord de l’agglomération, cet habitat modeste recelait parfois des traces d’activités métallurgiques (scories, coulures). Il s’agit bien souvent d’édifices à fonction mixte, où vit une population modeste. Ces habitants produisaient peut-être des denrées ou des objets dans les cours à l’arrière des demeures, et Vue aérienne des habitats simples au nord de Gisacum. Les maisons, dont les piles des portiques sont visibles dans les champs sous la forme de petits points, sont bien isolées les unes des autres. © Cliché Archéo 27, A. Étienne et P. Eudier, 1991.

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les vendaient dans les pièces de façade. Les espaces dévolus à l’habitat pouvaient alors être localisés dans une ou deux pièces de façade, ou à l’étage11. Les habitats à structuration complexe présentent de nombreuses caractéristiques similaires à la catégorie précédente. Cependant, ils sont trois fois plus grands (avec des surfaces bâties pouvant atteindre 650 à 700 m²), et présentent une structuration plus importante dans la partie arrière des maisons12. En effet, plusieurs occurrences ont révélé que, derrière une vaste cour, se développait un espace ouvert, d’environ 200 m², interprété également comme une cour, mais peut-être à usage domestique. Il peut être bordé sur un ou deux côtés par des pièces à la fonction indéterminée13. Ces demeures sont plutôt localisées dans la partie sud de Gisacum, à proximité des thermes. Les prospections pédestres ont permis de récupérer des restes de placage de calcaire et de pilettes d’hypocauste, ce qui permet d’envisager que certaines pièces étaient chauffées par le sol14. Il est possible de suggérer que les propriétaires de ces maisons étaient suffisamment aisés pour y installer des éléments de confort. Les habitats aisés repérés à Gisacum sont assimilables à des domus*. Localisés préférentiellement dans les parties ouest et sud-ouest de l’agglomération, ils se caractérisent par des édifices de dimensions importantes (900 m² en moyenne), dotés d’un plan centré autour d’une cour (mesurant souvent entre 200 et 250 m²), certainement réservée à l’agrément15. Ces grandes demeures, principalement à fonction résidentielle, étaient réservées à l’élite de Gisacum16. Elles étaient raccordées à l’aqueduc, et disposaient donc de l’eau courante. Certaines pouvaient même posséder des thermes privés. Ces habitations, qui s’articulent sur le bord extérieur de la voie principale de Gisacum, ont toutes la particularité d’avoir leur façade tournée vers l’intérieur de la ville17. Des portiques bordent certaines demeures, de manière à pouvoir protéger les passants du soleil ou de la pluie le long de la voirie. Ils abritaient parfois des boutiques qui s’ouvraient sur eux, tandis que les colonnes de pierre ou les madriers de bois pouvaient soutenir un appentis ou supporter un étage18. Ces maisons s’intégraient dans un parcellaire urbain bien déterminé, qui a pu être mis en évidence, notamment par les prospections aériennes et géophysiques19. En effet, chaque édifice est inséré dans un système parcellaire,


et un ambitus, c’est-à-dire un petit espace d’un ou deux mètres de large, sépare les différentes propriétés20. Les limites de ces lotissements pouvaient être matérialisées au sol (bornage ? fossés ?), mais, en l’absence de fouilles archéologiques, cette donnée ne peut être vérifiée. Si les formes des habitats identifiées au Vieil-Évreux sont similaires à ce que l’on connaît dans le reste de la Gaule romaine, la taille des parcelles, estimée entre 1 000 et 1 500 m², est très élevée21. Cet habitat, qui semble en premier lieu rejeté en périphérie de l’agglomération, renforce au contraire la distinction entre quartiers urbanisés et cœur monumental, et participe ainsi à la mise en scène du site22.

Le rôle de l’eau à Gisacum Située à 6 kilomètres de Mediolanum Aulercorum, qui est traversée par l’Iton, l’agglomération de Gisacum est étonnamment pauvre en ressources naturelles aquatiques. En effet, en se situant sur le plateau SaintAndré, l’Iton n’arrive pas jusqu’à la commune du VieilÉvreux et les nappes phréatiques sont localisées à plus de 70 mètres de profondeur. Ceci n’est pas sans soulever de nombreuses questions quant au choix de l’implantation de cette ville-sanctuaire à cet endroit précis de la cité des Aulerques Eburovices. Par ailleurs, contrairement aux idées reçues, cette partie de la Normandie présente une pluviométrie très faible23. Bien qu’elles n’auraient pas été suffisantes pour assurer l’approvisionnement en eau courante pour la ville, aucune structure de stockage ou de récupération d’eau de pluie n’a de toutes façons été repérée sur le site. Le développement monumental de Gisacum à partir du IIe siècle, et la construction de thermes, vont nécessiter la construction d’un aqueduc, afin de fournir en abondance de l’eau courante pour les édifices publics, comme pour certaines habitations.

Carte topographique du tracé de l’aqueduc. © P. Wech.

Bien que de nombreuses portions de cet aqueduc aient été fouillées depuis le XIXe siècle24, nous ne connaissons pas la localisation précise de sa prise d’eau25. Il semblerait que son captage se fasse dans la vallée de l’Iton, en amont de la commune de Damville (Eure). Cependant, il n’est pas possible de savoir si l’eau était captée dans l’Iton-même, dans une autre source, selon quelles modalités, etc.26 43


Son tracé jusqu’au Vieil-Évreux se porterait à près de 27 kilomètres27, de façon plutôt rectiligne. Généralement, les aqueducs ont un parcours sinueux, puisque les ingénieurs utilisent au maximum les courbes de niveau entre la source de captation et la cité à alimenter en eau. Le Vieil-Évreux étant situé dans une zone de plateau, le manque de dénivelé oblige à recourir à un tracé le plus droit possible. Différentes mesures prises à plusieurs endroits du tracé permettent de restituer un pendage moyen du canal de l’ordre de 35 cm/km. Le débit moyen d’eau acheminée, calculé d’après la formule de Bazin28, est estimé entre 9 000 et 17 000 m3/jour29. Afin de maintenir au canal une pente suffisante pour assurer un écoulement gravitaire, différents dispositifs ont été implantés au fur et à mesure de la construction de cet ouvrage hydraulique. Il peut s’agir de tunnels, percés horizontalement dans la roche à partir de puits verticaux creusés à intervalles réguliers. Ce type de tronçons, reconnu à cinq emplacements et sur près de 9 kilomètres, est identifiable en surface grâce aux buttes formées par les déblais d’extraction, issus du creusement des puits et du percement de la galerie. Dans d’autres cas, les conduits sont maçonnés directement dans des tranchées remblayées par la suite. Sur 7 kilomètres, ce mode d’implantation a été repéré grâce à de légers talus au sol, ou au moyen de la prospection aérienne30. Lorsque l’altitude du terrain devenait trop faible et que l’aqueduc sortait de terre, les concepteurs antiques ont eu recours à différentes solutions : des ponts de bois, des levées de terre artificielles, ainsi que des substructions maçonnées. Cinq talus ont été découverts sur 1 300 mètres du tracé de l’aqueduc. Il s’agissait de monticules de terre élevés à la hauteur voulue, dans lesquels on creusait le sommet pour y installer les maçonneries de l’ouvrage hydraulique. Les substructions maçonnées se répartissent en deux murs pleins sur 800 mètres du parcours, et un pont sur arcades, d’une longueur de 230 mètres31. Ce dernier, étudié au XIXe siècle par Théodose Bonnin, comportait 42 arches, dont les piles cruciformes sont encore visibles par prospection aérienne, près de l’ancienne gare de Saint-Aubin-du-Vieil-Évreux. La mise en perspective des modes d’implantation et des profondeurs du canal par rapport au niveau du sol, démontre l’existence de normes de construction : ces dernières définissent les types d’ouvrages à réaliser en fonction de la profondeur ou de la hauteur à atteindre pour l’installation du canal32. 44

Une fois arrivé dans l’angle sud-ouest de Gisacum, sur la marge extérieure de l’habitat localisé au lieu-dit des

« Terres Noires », l’aqueduc déversait son eau dans un castellum diuisorium*. Ce monument se composait d’un bassin maçonné, de forme trapézoïdale, possédant en son centre une cuve en bois, entourée d’une banquette permettant la circulation des personnes chargées de son entretien33. Ce château d’eau répartissait ensuite les flots d’eau dans différentes canalisations. Il possédait deux branches principales, au nord et au sud, destinées à alimenter les monuments publics de l’agglomération. La branche septentrionale desservait principalement la place publique, avant de traverser la couronne d’habitat périphérique. La branche méridionale, quant à elle, alimentait les thermes, le macellum*, probablement le sanctuaire et un bassin situé immédiatement à l’arrière du mur de scène du théâtre34. Les piles maçonnées quadrangulaires du pont qui acheminait cette eau ont été repérées en prospection aérienne par Roger Agache. Des branches secondaires, sur la partie ouest du château d’eau, permettaient d’approvisionner les maisons construites dans le nord de l’hexagone35. Le canal, qui ceinture l’intérieur de la couronne bâtie, est rythmé de diverses anomalies repérées en prospection aérienne, qui pourraient être interprétées comme des puits36. Les habitants de Gisacum pouvaient alors disposer de l’eau courante presque devant leur demeure. L’aqueduc semble avoir été mis en service au début du IIe siècle. Dans son premier état, le canal se matérialise, pour ses parties aériennes, par des ponts en bois, et pour les parties souterraines, par des sections maçonnées37. De larges dalles calcaires sont liées à de l’argile, afin d’assurer l’étanchéité du conduit et de ne pas voir l’eau se diluer à mesure de son parcours. À la fin du IIe siècle, les ponts en bois sont remplacés par des levées de terre ou des ouvrages maçonnés sur arcades, ce qui a engendré quelques modifications du tracé de l’aqueduc. Le plus souvent, le nouvel ouvrage s’implante parallèlement à l’ancien, afin, vraisemblablement, de ne pas interrompre l’alimentation en eau durant les travaux38. Les parties souterraines sont quant à elles soit réutilisées à l’identique, soit remplacées par des constructions maçonnées. Cette phase de monumentalisation de l’aqueduc est peut-être à mettre en lien avec l’embellissement de Gisacum dans le courant du IIe siècle.


Départ de la branche nord

Départ de canalisation secondaire

Banquette Départ de canalisation secondaire

Départ de canalisation secondaire

Bassin en bois

Banquette

Arrivée de l'aqueduc

NORD

0

2m

Plan du bassin de répartition établi à partir des fouilles conduites en 2007. © P. Wech.

Départ de la branche sud

45


Photographie aérienne du quartier des thermes de Gisacum. Les piles du pont sont parfaitement visibles au sud du cliché. © Cliché : Roger Agache, DRAC Hauts-de-France.

Probable tracé antérieur (prospection aérienne) Bassin de répartition (fouille 2007)

Grand sanctuaire

Esplanade

Fanum ouest c

Thermes primitifs ?

du

ue

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Thermes Réparation du canal (fouille 2008)

Pont en bois des thermes (fouille 2001)

ud

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B

Macellum Pont en bois (prospection électrique 2007) Pont maçonné des thermes (fouille 2003-2004) Polygone bâti

Évolution chronologique de l’aqueduc dans ses portions urbaines. © P. Wech.

46

Aqueduc : 1er état connu / restitué Aqueduc : pont en bois Aqueduc : état final Aqueduc : pont maçonné N Voirie connue / restituée Bâti antique

100 m


Ces deux états de l’aqueduc sont notamment visibles dans le secteur des thermes. Les fouilles conduites entre 1996 et 2001 ont montré qu’à l’origine, au début du IIe siècle, ce monument était alimenté en eau par un pont en bois39. Lors de l’extension du bloc thermal, dans le dernier quart du IIe siècle, l’ouvrage hydraulique fut détruit, parce qu’il se trouvait sur l’emplacement des nouvelles adjonctions, et remplacé par une version maçonnée. Ce second aqueduc, celui repéré en photographie aérienne, sera par la suite connecté au macellum*, bien que la construction de celui-ci ne fût jamais achevée. Enfin, les opérations archéologiques ont révélé un certain entretien des bras de l’aqueduc à l’intérieur de l’agglomération antique. Des fouilles conduites en 2008, dans la partie sud-ouest de la couronne bâtie, ont dévoilé la présence d’une sorte de « dos d’âne », peut-être fait de dalles juxtaposées sur la toiture du specus*40, qui permettait à la voirie de surmonter la branche du canal qui s’écoulait à cet emplacement41. En effet, le tracé du second état du canal, dans sa version maçonnée, venait percer la voie alors en place. On comprend le souci de maintenir à la fois le franchissement de la voie, à l’entrée de l’agglomération, des hommes, des bêtes et des véhicules, mais aussi le besoin de rétablir au plus vite le flux de l’aqueduc en direction des thermes et du reste de la ville42.

Ainsi, les demeures et le réseau hydraulique participent du dynamisme de la vie quotidienne qui se menait à Gisacum. Des quartiers bien spécifiques semblent se dessiner, en fonction de la richesse de la population. Certaines maisons couplaient activités artisanales et commerciales avec espaces de vie, d’autres ne semblent dédiées presque exclusivement à des fonctions résidentielles. Les branches de l’aqueduc, quant à elles, semblent cerner et délimiter l’habitat et les différents monuments qui étaient approvisionnés en eau au sein de l’agglomération. Comme pour les autres monuments de la ville, on constate un abandon des quartiers résidentiels et du système d’adduction d’eau à partir du IIIe siècle. Il est en tout cas établi que ces quartiers d’habitat et la mise en place de l’aqueduc ont contribué à la mise en scène urbanistique démesurée de la ville-sanctuaire à partir du IIe siècle de notre ère. 1 S. Bertaudière, 2015, p. 61. 2 C. Hartz, 2013, p. 119. 3 S. Bertaudière, 2013, p. 8. 4 D. Cliquet, 1996, p. 55. 5 C. Hartz, 2010, p. 179. 6 C. Hartz, 2012, p. 127 7 S. Bertaudière, 2013, p. 8. 8 C. Hartz, 2010, p. 173. 9 C. Hartz, 2017. 10. C. Hartz, 2010, p. 174 11. Ibid. p. 175. 12. Ibid. p. 175. 13. Ibid. p. 175 14. Ibid. p. 176 15. Ibid. p. 176 16. Ibid. p. 177 17. C. Hartz, 2011, p. 95. 18. C. Hartz, 2010, p. 178. 19. Ibid. p. 177. 20. Ibid. p. 177. 21. C. Hartz, 2011, p. 97. 22. C. Hartz, 2012, p. 127. 23 Moins de 700 mm pour une année, chiffre équivalant aux précipitations annuelles niçoises (source BRGM, Atlas hydrogéologique de l’Eure, 1989). 24 Dès les fouilles de François Rever en 1801.

25 P. Wech, 2007, p. 136. 26. Ibid. p.136. 27 P. Wech, 2011 b, p. 94. 28 À partir du rayon hydraulique et de la pente, la formule de Bazin permet de calculer le débit d’un écoulement d’eau. 29 P. Wech, 2011 b, p. 94. 30 P. Wech, 2007, p. 136. 31. Ibid. p. 136. 32 P. Wech, 2015, p. 212. 33 P. Wech, 2011 b, p. 95. 34 P. Wech, 2007, p. 138. 35 P. Wech, 2015, p. 212. 36 P. Wech, 2011 b, p. 95. 37 P. Wech, 2015, p. 212. 38 Ibid. p. 213. 39 P. Wech, 2011 b, p. 97. 40 Le specus est le canal couvert d’un aqueduc. 41 P. Wech, 2010. 42 P. Wech, 2011 b, p. 102.

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4 Les thermes de Gisacum Karine Duval

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De la redécouverte à la mise en valeur Les thermes de Gisacum ont été découverts par François Rever au début du XIXe siècle. Le terrain qui les abrite a été acheté par le Département de l’Eure dès 1837. Il faut ensuite attendre les années 1970 pour que leurs vestiges soient à nouveau dégagés, restaurés puis protégés par une toiture en 1978. Le Conseil général de l’Eure décide en 1994 de réaliser un projet de mise en valeur du monument. Avant cela, des fouilles programmées ont été entreprises. Le but de ces fouilles était d’une part d’évaluer l’état des vestiges avant restauration ; d’autre part de comprendre scientifiquement l’édifice, tout en s’assurant de préserver un espace dédié aux futures fouilles archéologiques. Les fouilles ont débuté en 1996 et se sont poursuivies jusqu’en 2001. Parallèlement aux campagnes de fouilles, une prospection géophysique a été réalisée aux abords de l’édifice thermal. Trenteneuf sondages ont été effectués, couvrant une surface totale estimée à plus de 1 200 m2. Afin de documenter le futur projet de restauration, des relevés architecturaux ont été réalisés. Une fiche descriptive par salle a été effectuée présentant un plan détaillé, l’emplacement des relevés ainsi que l’état des maçonneries et leur nature.

Vue aérienne du jardin archéologique des thermes. © CD27 - MADE.

Un relevé photographique systématique a été mis en place par la Société Strati-Concept, évitant ainsi toute erreur de représentation graphique. En complément des relevés architecturaux, des études sur le mobilier archéologique (mortiers, céramique, monnaies, faune) et le paléoenvironnement ont enrichi les recherches1.

La définition des thermes S’il existe des thermes privés dans les villae* et les domus*, les thermes publics sont destinés à l’ensemble des citoyens. Ils sont souvent dotés, en plus de leurs équipements proprement balnéaires, d’une palestre dédiée aux exercices physiques. Les thermes participent au maintien de la santé publique, en permettant aux populations de se laver régulièrement. Le prix d’entrée dans les bains publics est généralement modique, ce qui facilite l’accès à un grand nombre de personnes. Toutes les catégories sociales y sont représentées. Les thermes ont donc une fonction sociale importante : ils font partie intégrante de la vie urbaine à la romaine. Ce lieu de mixité sociale est l’occasion d’échanger, mais également de manger, de jouer aux dés

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© Pierrick Legobien.


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ou de faire du sport. Ainsi, moules, huîtres et coquillages ont été retrouvés en grand nombre lors des fouilles de la palestre de Gisacum, bien que la majorité des résidus alimentaires soit essentiellement composée d’ossements de bœuf, de porc, de mouton et de chèvre.

Les thermes de Gisacum Au total, cinq édifices thermaux ont été découverts à Gisacum. Trois d’entre eux sont des bains privés installés à proximité de maisons. Un petit édifice thermal public a été installé à côté du sanctuaire. Mais l’ensemble thermal principal de Gisacum, de dimensions beaucoup plus vastes, est quant à lui installé dans une zone densément peuplée. Ces grands thermes publics de Gisacum s’inscrivent dans la tradition des constructions monumentales galloromaines, et appartiennent à un ensemble de monuments qui comprend un théâtre, un sanctuaire et une grande place publique. Toute la parure monumentale du site est entourée d’un réseau d’aqueducs. Cependant, pour des raisons d’approvisionnement en eau, les thermes de Gisacum ont été placés dans le creux d’un vallon, ce qui remet en cause l’axe monumental classique de bon nombre d’agglomérations antiques à vocation religieuse où s’alignent thermes, sanctuaire et théâtre2. Les grands thermes sont constitués de trois parties s’inscrivant dans un rectangle de 116 x 109 m : une cour de service bordée par des latrines, un bloc thermal et une palestre entourée d’une galerie à colonnade, ou portique. La cour de service est un espace réservé au stockage des matériaux nécessaires au fonctionnement et à l’entretien des thermes, tâches qui sont assurées par des esclaves. Le bloc thermal, espace dédié aux bains et aux soins du corps, se compose de deux espaces balnéaires symétriques situés de chaque côté d’une chaufferie centrale. Cette double série de salles devait permettre d’augmenter la capacité d’accueil pendant les fêtes religieuses, ou à distinguer une partie réservée aux femmes d’une autre réservée aux hommes. Chaque espace balnéaire était lui-même composé d’un vestiaire (apodyterium), d’une salle froide (frigidarium), de deux salles tièdes (tepidarium), et d’une salle chaude (caldarium). Il est fort probable que les grands thermes aient servi à la fois à un usage classique (bain, loisirs et détente) et aux rituels de purification préalables aux pratiques cultuelles, pendant et en dehors des fêtes religieuses3. 52

Enfin, la palestre forme un grand espace à ciel ouvert dédié aux sports. On y pratiquait différentes disciplines

telles que la lutte, les lancers de disque et de javelot, ou encore des jeux de balle.

Le parcours du baigneur Deux entrées à l’est et à l’ouest permettent l’accès à la palestre ou aux vestiaires, première étape des bains. Dans l’apodyterium, les baigneurs déposent leurs vêtements et affaires personnelles dans des niches, des casiers ou sur des étagères. Les vêtements sont parfois placés sous la surveillance directe d’un esclave. De là, ils peuvent avoir accès à la palestre ou au frigidarium, où se trouvent à chaque extrémité des piscines froides. Puis, le baigneur se rendait dans le tepidarium qui sert généralement de salle de massages, et enfin le caldarium au fond duquel sont aménagées une étuve et deux piscines.

Restitution d’un caldarium des thermes de Gisacum. De nombreux métapodes de bœuf fendus ont été retrouvés lors des fouilles, témoignant de l’extraction de mœlle osseuse destinée à la fabrication des onguents pour les soins de la peau, mais aussi d’huile pour l’éclairage. La chaleur de la pièce permettait au baigneur de se racler la peau à l’aide d’un ustensile appelé le strigile, sorte de racloir en fer recourbé. Une fois ses ablutions terminées, le baigneur ressort des thermes en prenant le chemin inverse de celui qu’il avait suivi au début : il repassait donc par les pièces tièdes et froides. La construction des thermes de Gisacum et son évolution Le bloc thermal et la palestre sont aménagés entre 100 et 150 de notre ère. Si l’on compte la palestre, l’édifice occupe une superficie de 9 150 m² (109 x 84 m). À l’origine, l’édifice est alimenté par un aqueduc en bois, qui alimente également d’autres édifices du site. La palestre présente une galerie à colonnade sur trois de ses côtés, galerie certainement ponctuée de bancs. Au centre se situe le terrain d’exercice. La cour de service au sud possède deux pavillons d’entrée dans les angles, qui donnent accès aux latrines ou au bloc thermal, en empruntant deux couloirs latéraux. Une entrée secondaire est aménagée dans l’axe des thermes entre les latrines. Elle sert vraisemblablement d’accès à la cour sud, indispensable pour alimenter la chaufferie des thermes en bois de chauffage.


Vue du caldarium ou salle chaude, extrait de la modélisation 3D des thermes de Gisacum. © Canopé, 2023.

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Le complexe thermal dispose d’un double réseau d’égouts. Le réseau supérieur ceinture les salles chaudes et recueille les eaux des toitures des piscines froides et chaudes, ainsi que celles de la palestre. Elles sont ensuite évacuées par un collecteur traversant la cour sud, qui se divise en deux branches dans les latrines. Les deux canalisations se réunissent plus loin pour sortir dans le vallon. Entre 150 et 200 de notre ère, de nouveaux travaux sont entrepris dans les thermes, augmentant leur superficie. L’aqueduc en bois est remplacé par un pont-canal maçonné. La cour au sud du balnéaire est close par un portique couvert, abritant deux tours d’angle et des latrines. La superficie des thermes atteint alors 10 000 m². Au IIIe siècle, les thermes sont encore agrandis. Cette fois, le parcours du baigneur est bouleversé. Les salles initialement froides deviennent des salles tièdes, et les vestibules sont transformés en salles froides, équipées de deux bassins. Deux grandes salles rondes succèdent aux premiers vestiaires. Elles sont construites sur les façades extérieures est et ouest du monument, dans le prolongement du balnéaire. Ce sont des vestiaires (apodyterium) qui disposent de leur propre système de chaufferie et permettent l’accès au balnéaire et à la palestre. Leur construction traduit une augmentation de la fréquentation de l’édifice. Un dernier agrandissement du complexe thermal intervient dans les années 230-250 de notre ère. Si le balnéaire ne semble pas subir de modification architecturale, différentes salles annexes s’ajoutent principalement à l’est de l’édifice, sur sa façade extérieure. La construction de ces salles extérieures ne sera jamais achevée : on peut vraisemblablement lier cet arrêt brutal à une baisse soudaine de la fréquentation des thermes, qui conduit à leur fermeture puis à leur abandon définitif4.

Un système de chauffage complexe L’hypocauste (hypocaustum) est le nom donné au système de chauffage par le sol utilisé à l’époque romaine dans les thermes et les bains privés.

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Deux foyers produisent de l’air chaud. Des niches sont souvent aménagées près des foyers, destinées à constituer des réserves à combustible. Les foyers étaient ouverts des deux côtés : à l’avant pour le charger en combustible, à l’arrière pour que la chaleur produite se diffuse dans l’hypocauste. Ce dernier prend la forme d’un vide sanitaire, sur lequel était posé un sol nommé suspensura, formé d’une épaisse couche de mortier de tuileau, souvent doublé d’un lit de briques. La suspensura

reposait sur un grand nombre de pilettes disposées à intervalles réguliers, sur un radier de briques. Ces pilettes étaient formées de briques superposées, de forme majoritairement carrée, dont la hauteur variait selon la température qu’on souhaitait obtenir. Afin que l’air chaud circule mieux dans les salles, les murs étaient doublés intérieurement par un réseau de tubulures (tubuli), canalisations de terre cuite de section rectangulaire mises bout à bout. L’évacuation des gaz chauds se faisait le plus souvent par des cheminées. Ces tubuli sont rendus invisibles par un décor mural qui associe de la peinture à des placages de pierre.

Le décor dans les thermes Le luxe des thermes de Gisacum n’est pas exubérant. La partie basse des murs est constituée de grandes plaques et de panneaux d’opus sectile en marbre. La partie haute est peinte de grands panneaux de couleurs auxquels s’ajoutent parfois des figurations. Ponctuellement, des dallages au décor en opus sectile ornent le sol. L’opus sectile (littéralement « appareil découpé ») est une technique artistique qui utilise des marbres taillés pour la décoration de pavages et de marqueteries. Les plafonds en bois sont suspendus grâce à des fiches métalliques en T ou en L, ou sont constitués de voûtes sur solive.

La palestre La palestre est entourée d’une galerie à colonnade dans laquelle on accédait par au moins trois ouvertures. Cette galerie à colonnade, ou portique, devait comporter des bancs. L’installation de bancs dans les portiques pose la question de leur fonction réelle au sein des thermes. L’hypothèse retenue est celle d’un aménagement particulier en rapport avec les festivités religieuses. Les célébrants des cérémonies religieuses venant du sanctuaire auraient pu participer sous ces portiques à des banquets rituels. Des quantités très importantes de restes fauniques ont d’ailleurs été exhumées dans les niveaux d’occupation des thermes5. Les deux accès principaux à la palestre se font par les vestiaires. Le baigneur avait alors le choix de se rendre directement dans la salle froide des thermes ou bien dans la palestre. Le dernier accès se trouve au nord-ouest de la palestre. Le portique est délimité d’un côté par le mur d’enceinte des thermes, couvert d’enduits peints, et de l’autre par une colonnade ouvrant sur la cour. Au centre


Vue des latrines, extrait de la modélisation 3D des thermes de Gisacum. © Canopé, 2023.

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Évolution de l’architecture des thermes © E. Follain.

Premier état

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Troisième état

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Écorché de l’intérieur des thermes montrant le fonctionnement technique. © E. Follain.

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Le jardin archéologique La reprise des fouilles archéologiques dans les thermes à la fin des années 1990 visait dès le départ à mettre en valeur les vestiges, en rendant possible la création d’un jardin archéologique sur plus de deux hectares. Les architectes ont utilisé la symétrie du monument pour en laisser une moitié dans l’état découvert par les archéologues et restaurée. L’autre moitié a été restituée avec des élévations évoquées par des murs en bois, marquant l’emplacement des bains, pour faciliter la compréhension du bâtiment et de ses usages. Thermes en cours de restauration. © S. Bertaudière.

de la palestre, les fouilles ont permis de reconnaître un drain en silex destiné à collecter les eaux pluviales du lieu. Ce drain rejoint alors un réseau d’égouts. Pour capter les eaux de pluie, le sol de la palestre est très légèrement incliné vers le drain axial. Les recherches archéologiques ont également révélé l’existence de petits bâtiments accolés aux portiques, dont la fonction nous échappe. Au sein de la palestre, on pratiquait le lancer de javelot ou de disque, la course, le saut en longueur, les jeux de balle, la lutte et le pugilat, l’ancêtre de la boxe. Cette épreuve opposait deux combattants qui se donnaient des coups de poing. Des lanières de cuir étaient enroulées autour de leurs mains pour les protéger, et leur tête était vraisemblablement préservée des coups par une calotte en bronze.

Abandon et démantèlement À la fin du IIIe siècle, les thermes ne sont plus en activité. Grâce aux fouilles archéologiques, nous savons que ce grand bâtiment continue d’être occupé avant d’être en partie démoli au IVe siècle, comme d’autres monuments de Gisacum. Ces démolitions visent à récupérer méticuleusement les matériaux, tels que les tuiles ou les maçonneries. Une fois ces récupérations effectuées, les vestiges sont remblayés et la surface est mise en culture. Une partie des latrines est toutefois réoccupée au début du Moyen Âge.

Pour cela des grands principes architecturaux ont été suivis : • Tous les ouvrages mis en œuvre sont réversibles, sans dommage pour les vestiges archéologiques ; • Il était également essentiel que le public ne confonde pas l’état antique des thermes et les ajouts contemporains, grâce à l’utilisation de matériaux spécifiques comme le bois ; • Pour reproduire à l’échelle des vestiges disparus, des végétaux taillés à la hauteur et au volume des constructions disparues ont été plantés ; • Enfin des panneaux explicatifs et un système sonore, permettant l’immersion des visiteurs au sein des vestiges, ont été installés6. C’est ainsi que, depuis plus de vingt ans, les visiteurs de Gisacum peuvent flâner au milieu des vestiges de thermes datant de plus de 1 800 ans ! 1 S. Bertaudière, S. Cormier, 2000. 2 L. Guyard, S. Bertaudière, S. Cormier, A. Coutelas, 2008. 3 S. Bertaudière, L. Guyard, S. Zeller, 2018. 4 S. Bertaudière, S. Cormier, 2000. 5 L. Guyard, T. Lepert, 1999. 6 P. Allart, M. De Rancourt, V. Molard-Parizot, 2011.

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5 Un chantier permanent

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Entre la fin du Ier siècle avant notre ère et le milieu du IVe siècle de notre ère, l’agglomération antique de Gisacum a connu de nombreuses constructions, modifications et agrandissements, aussi bien dans ses monuments publics que privés. Ces différents chantiers ont laissé de multiples traces permettant aux archéologues de restituer l’histoire du site et d’appréhender les différentes techniques utilisées pour bâtir et mettre en œuvre à l’époque galloromaine. La reprise des fouilles archéologiques par le Département de l’Eure depuis 1996 a permis de recueillir des informations sur les chantiers de construction des monuments, aussi bien pour les étapes du gros œuvre (terrassement, fondations, murs et toitures), que celles du second œuvre (travaux de finition et de décoration, décors peints et revêtements des sols et des murs).

Les travaux de gros œuvre à Gisacum, quelques exemples de vestiges liés à cette phase de construction

Nivellement et piquetage Au vu du relief, d’importants travaux de terrassement sont parfois nécessaires avant la construction d’un bâtiment, c’est le cas par exemple du complexe thermal. Les thermes1 ont été construits ex nihilo sur un terrain quasiment vierge. La première étape fut le décaissement d’un versant du vallon où le monument a été installé. Les déblais ont servi à combler ce vallon, permettant ainsi d’obtenir une surface plane avant de commencer les travaux de construction. Le bâtiment a ensuite été implanté à l’aide de piquets dont les seuls témoins sont leurs empreintes moulées dans le mortier des fondations.

Empreinte de piquet dans un mur. © L. Guyard

Les fondations La technique la plus utilisée dans l’agglomération pour les maçonneries a consisté à creuser des tranchées de la largeur de la fondation, puis d’y installer des blocs de silex liés à du mortier. Les parois de ces fondations sont alors irrégulières, car le mortier épouse le bord de la tranchée. La seconde technique, rarement utilisée à Gisacum, a consisté à ouvrir une large tranchée et de monter la fondation comme un mur, puis de remblayer de part et d’autre de celle-ci. Les parois de ces fondations sont alors lissées par les bâtisseurs. Les soubassements d’un mur en terre et bois sont réalisés avec des blocs de silex sans liant, déposés dans de petites tranchées aménagées dans le sol, que

Solin du macellum. © L. Guyard.

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© Pierrick Legobien.


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Ornières. © L. Bonelli.

l’on nomme solins. C’est notamment le cas pour l’habitat du Ier siècle de notre ère ou pour les murs internes du macellum* (marché).

Les murs Plusieurs techniques ont été utilisées pour monter ces maçonneries, les deux plus communes seront présentées ici. Les maçonneries en blocs de silex liés à du mortier : ce type de construction est élaboré à l’aide d’échafaudages en bois. Il ne subsiste de ces aménagements temporaires que les boulins dans les murs (trous marquant l’encastrement des pièces de bois horizontales) et les trous de poteaux au sol, afin de maintenir cette structure. Les maçonneries en grand appareil : des blocs calcaires de grands modules taillés et posés à sec (sans mortier) sont installés sur la fondation. C’est notamment le cas pour les murs des temples du sanctuaire sévérien. Les bâtisseurs ont utilisé deux techniques de pose en fonction des espaces (vides ou comblés).

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La première technique a consisté à remblayer au fur et à mesure les soubassements, en créant une pente, permettant ainsi aux charrettes et aux traîneaux d’apporter les blocs au plus près de la fondation. Sur le sol d’une des rampes, les remblais sont encore marqués par les ornières des passages répétés. Près de celles-ci, des déchets de taille et de la poudre

Boulins. © H. Dessales.

de pierre calcaire découverts le long de la fondation témoignent de l’ajustement des blocs sur place. Ces déchets résultent de l’utilisation des ciseaux à pierre tendre et de la scie pour l’ajustement des blocs calcaires. Une fois la première assise installée, les bâtisseurs ont remblayé sur une hauteur de bloc, permettant d’installer les blocs suivants sans avoir recours à des machines de levage. Les remblais qui se succèdent présentaient tous en surface des ornières et des déchets, ainsi que de la poudre de pierre calcaire le long du mur, indiquant qu’ils ont continuellement utilisé cette méthode. La seconde technique a consisté à installer des machines de levage le long des fondations, pour la pose des blocs calcaires. Cette pratique a été employée pour les murs extérieurs, où l’aménagement d’une rampe aurait été plus long à concevoir et d’aucune utilité par la suite.

Des aires de travail liées à la construction Autour des édifices, de nombreuses traces de l’activité des artisans ont pu être observées et analysées. Si nous prenons l’exemple du sanctuaire, l’activité des maçons et des tailleurs de pierre est encore palpable. Pour réaliser son mortier, le maçon a utilisé du sable, de la chaux et de l’eau. La recette a d’ailleurs été découverte grâce à l’étude de ces mortiers par un pétroarchéologue*.


Relevé S. Bertaudière.

Lors de la fouille des abords de l’édifice, une zone de stockage du sable, ainsi qu’une aire de gâchage, où sont mélangés les composants du mortier, ont été mises au jour. Le maçon s’installait au plus près des fondations pour y fabriquer son mortier puis, une fois un secteur achevé, se déplaçait dans une autre zone. La chaux utilisée pour la préparation du mortier est vraisemblablement fabriquée en partie sur place. Lors de la fouille de l’édifice thermal, de nombreux indices du travail de la chaux ont été repérés dans les couches de construction, notamment des nodules de chaux, des incuits (calcaire en cours de calcination), des surcuits (calcaire trop cuit), des scories, ainsi que des éléments de parois de fours à chaux. Les fragments d’incuits découverts permettent d’identifier deux sources d’approvisionnement du calcaire : le calcaire du Lutétien du Bassin parisien, qui affleure à quelques kilomètres à l’est du site, en bordure de la plaine de Saint-André, et la

craie blanche du Campanien du Crétacé, présente juste au sud de l’agglomération. La chaux est fabriquée en chauffant du calcaire à une température élevée (généralement entre 900 et 1 000 °C). Ce processus de chauffage est appelé calcination, transformant ainsi le calcaire en chaux vive. Elle est ensuite éteinte avec de l’eau dans des bacs d’extinction. Elle peut être ensuite utilisée pour fabriquer le mortier. Les vestiges d’un bac d’extinction de la chaux ont été mis au jour dans la cour arrière du sanctuaire. Il s’agit d’une fosse creusée dans le sol de la cour. Le fond a été recouvert par de petites planches dont il ne subsiste que les négatifs et les parois composées de tuiles. L’étude des mortiers, employés dans les maçonneries, a permis d’obtenir de nouvelles données sur le déroulement du chantier, mais également de fournir des informations sur les étapes de construction. Associée à l’analyse

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stratigraphique, l’étude a permis d’affiner et de conforter la chronologie des différentes phases de construction de l’édifice thermal et du sanctuaire.

Les travaux du second-œuvre à Gisacum, quelques exemples de vestiges liés à cette étape de construction

Aux abords des temples, plusieurs aires de travail de la pierre ont été observées, nous permettant de reconnaître l’organisation spatiale et le déroulement du chantier. La fouille de l’espace de travail, situé devant la cella du temple central, a permis d’identifier trois secteurs.

Mise en place de revêtements muraux et des dallages3

Au plus près de la cella du temple, l’espace est dédié aux machines de levage, permettant l’installation du décor en grand appareil de la porte monumentale. De gros trous de poteaux ont été fouillés, indiquant l’emplacement des machines de levage. À quelques mètres de la porte, une aire de travail des blocs calcaires a été identifiée. Elle se compose d’une succession de niveaux de poudre et de déchets de taille calcaires piétinés, marqués d’empreintes de blocs autour desquelles quelques traces d’outils sur le sol sont les témoins de l’activité du tailleur de pierre. Le dernier secteur en lien avec cette activité correspond à la zone d’arrivage des blocs. Elle se situe à proximité immédiate de l’aire de travail, évitant ainsi le déplacement et la manipulation de ces éléments. Le sol de cet espace est marqué de nombreuses ornières de charrettes et autres traîneaux, qui témoignent de l’intensité de l’activité. Des cabanes de chantier et des espaces de stockage Aux abords des thermes, des trous de poteaux, de la terre rubéfiée, des creusements dans le sol, ainsi que des amas de gravier et de tuileau (terre cuite concassée employée pour la fabrication des mortiers hydrauliques) témoignent de ce chantier de construction. Ces vestiges peuvent être interprétés comme étant les vestiges de bâtiments sur poteaux, de petits fours domestiques, d’aires de stockage des matériaux et de fosses d’extraction comblées par la suite avec des déchets liés au chantier (nodules de mortier, déchets de taille, parois de four à chaux, incuits et du tuileau mal concassé2). Ils reflètent les diverses activités menées régulièrement sur cet important chantier de construction.

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Du point de vue de l’origine des matériaux employés dans la construction de l’édifice thermal, (gisements sources), l’étude a permis d’identifier 22 types de roches décoratives (calcaire, grès, marbre, roche métamorphique et schiste). Dans l’ensemble, les proportions sont les mêmes entre les roches lointaines (Italie, Grèce, Asie Mineure, Tunisie), les roches régionales du sud de la Gaule (Gaule Aquitaine et Narbonnaise) et du nord (Gaule Belgique), et les roches locales. Si l’on considère le caractère esthétique des matériaux du revêtement, les roches régionales offrent un choix de matériaux de remplacement, car le département de l’Eure est pauvre en roches décoratives. Sa position géographique, proche de la Seine et de la zone de contact géologique entre le massif Armoricain et le bassin parisien, lui permet de profiter des gisements régionaux et lointains exploités à partir du IIe siècle de notre ère4. Lors d’une phase d’embellissement du premier sanctuaire, datée du début IIe siècle de notre ère, les sols en béton des galeries sont recouverts par un dallage en calcaire, dont il ne subsiste que quelques dalles en place ou les empreintes de celles-ci. Les déchets calcaires liés à la pose du dallage ont été par la suite utilisés pour faire le sol de la cour arrière de l’édifice, où ils ont été employés comme un radier recouvert par le mortier de tuileau, qui a servi de lit de pose pour le dallage. Deux types de déchets en calcaires durs et tendres sont reconnus. Les premiers sont des déchets de sciage et de taille et les seconds des déchets d’ajustement, tous les deux montrant les mêmes traces d’outils. Certains déchets sont liés à la préparation des revêtements du sol et des murs. C’est notamment le cas pour les déchets avec un parement brut de carrière et une face sciée, ou d’autres qui présentent les deux faces sciées. Deux raisons principales expliquent leur abandon lors de cette phase de construction. D’une part, l’usage de blocs importés de la carrière conduit l’artisan tailleur de pierre à ôter l’extrémité du bloc, dont le parement brut est très irrégulier, pour satisfaire la réalisation d’un sciage modulaire. D’autre part, lors de cette action de découpe des placages et des dallages, des produits peuvent se briser, ce qui conduit dans certains cas, sauf pour un remploi éventuel, à les exclure du lot en préparation.


D’autres déchets sont liés à la mise en place finale du dallage ou du placage. C’est notamment le cas pour les éléments de petits modules qui conservent des traces de taille aux ciseaux à pierre et de sciage. La superficie relevée des dalles varie de 0,2 à 1,3 m2 ; aucune trame particulière ne semble avoir été suivie lors de la mise en place du dallage. Ce choix de construction laisse à penser que les bâtisseurs cherchaient à économiser du temps et de la matière première, en utilisant au mieux les modules des blocs de carrière, et en réduisant les activités de taille et d’ajustement des dalles lors de la pose du revêtement.

Deux machines inédites dans l’édifice thermal Lors de la phase d’agrandissement de l’édifice thermal, vers 220-240, deux ateliers de sciage ont été installés à l’intérieur des thermes, dans des espaces couverts. Vestiges des bancs de scie. © S. Bertaudière.

Les vestiges de deux bancs de sciage de pierre se composent de plusieurs trous de poteaux, permettant de recevoir le bâti, de couches de sable fin jaunâtre interprétées comme étant l’abrasif, de déchets de sciages de calcaire, marbre et schiste, ainsi que de nombreuses traces de sciage qui entaillent le sol en béton des pièces où ils ont été installés. Les traces de sciages parfaitement parallèles entaillent le sol en béton sur parfois 1 centimètre de profondeur. Trois groupes d’entailles ont pu être identifiés, nous permettant ainsi de restituer un banc avec guide, muni d’une scie à plusieurs lames. Les incisions dans le sol en béton (même profondeur et sans trace de dent) indiquent qu’une scie à lame lisse a été utilisée avec un système de va-et-vient. La longueur de la lame a été estimée à 1 mètre, voire 1,30 mètre (la trace la plus longue mesure 1,56 mètre). Les blocs débités sont donc inférieurs à 1 mètre de long. Ce type de lame nécessite l’utilisation d’un abrasif additionné d’eau, ici du sable jaune très fin, retrouvé sous la forme de tas ou de plaques sur le sol. Les peintures murales Très peu de surfaces peintes sont encore en place sur le site. Les enduits peints sont plutôt retrouvés sous la forme de fragments soit effondrés sur place, soit présents dans des niveaux de démolition.

Seuls quelques pigments ont été mis au jour dans les niveaux de construction, essentiellement du « bleu égyptien » (mélange de sable, de calcium, de cuivre et de fondants, comme des cendres végétales portées à haute température). La reprise des fouilles sur le site de Gisacum depuis 1996 a livré de très nombreuses informations sur les différents chantiers de construction, que ce soit sur leur organisation spatiale, les techniques de construction et de mise en œuvre employées, leur approvisionnement, mais aussi sur les activités des différents corps de métiers impliqués. Grâce à ces vestiges, plus ou moins bien conservés, on découvre une agglomération en perpétuelle transformation. Des maisons sont construites tandis que d’autres sont agrandies. Un édifice est démoli pour en reconstruire un toujours plus grand, jusqu’au moment où la ville périclite et est abandonnée, arrêtant de fait l’activité édilitaire. 1 L. Guyard, S. Bertaudière, S. Cormier, 2012. 2 L. Guyard, S. Bertaudière, S. Cormier, A. Coutelas, 2008. 3 L. Guyard, S. Bertaudière, S. Cormier, 2012. 4 Ibid.

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6 L’ensemble sacré Sébastien Cormier

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Au cœur de Gisacum se trouve l’ensemble sacré, composé d’un grand sanctuaire et d’un théâtre. Cet ensemble a été érigé et utilisé sur une période de plus de 300 ans, connaissant d’importants remaniements, avant d’être abandonné et démonté dès la fin de l’Antiquité, afin d’en récupérer les matériaux. Lors de la reprise des recherches archéologiques sur le sanctuaire en 2005, seuls quelques sondages ont été réalisés, avec pour objectif principal d’évaluer le potentiel stratigraphique de la zone occupée par les monuments religieux depuis leur origine. Parallèlement, les archéologues souhaitaient obtenir une chronologie de référence et mesurer l’étendue des fouilles anciennes. Au fur et à mesure des campagnes de recherches suivantes, les déblais des fouilles anciennes ont été évacués et les vestiges d’un vaste édifice cultuel sont apparus, en particulier ceux du dernier état du monument, daté de l’époque sévérienne (début du IIIe siècle) et composé d’un temple central et d’une galerie de liaison, sur une surface de près de 2 000 m2. Des fouilles thématiques plus ciblées ont ensuite été réalisées sur les différentes phases d’occupation du sanctuaire.

Une origine gallo-romaine

Premiers temples Il faut vraisemblablement attendre la seconde moitié de ce siècle (entre 50 et 100) pour que le site connaisse une occupation de type cultuel, avec la construction d’un premier temple en pierre, de plan circulaire de 17 mètres de diamètre. Dans un second temps, deux temples géminés à plan centré (fana*) et alignés viendront s’ajouter au premier édifice, l’ensemble formant un groupe de trois temples communicants entre eux et entourés d’un péribole*. À l’intérieur des cellae* de ces temples, plusieurs constructions sont identifiées comme des podiums ou des socles de statues. Durant la période antonine, au début du IIe siècle, les temples connaissent une phase d’embellissement monumental : des dallages sont installés sur les sols des galeries et dans la cour avant, des peintures murales habillent le haut des parois, et les socles de statues des cellae sont agrandis. Ce premier ensemble cultuel est démoli vers la fin du IIe siècle, pour permettre la construction d’un nouvel espace religieux. La pérennité du culte est probablement assurée pendant la durée des travaux dans des temples périphériques, repérés par photographie aérienne dans l’angle sud-ouest du sanctuaire.

Jusqu’à aujourd’hui, aucune occupation gauloise n’a jamais été mise en évidence au Vieil-Évreux. Les premières traces attestées ne sont pas antérieures à la fin du Ier siècle avant notre ère. C’est en effet du règne d’Auguste (de -27 à 14) que datent des aménagements de sols, des structures sur poteaux, des foyers et des niveaux charbonneux qui caractérisent cette première occupation. Le site se développe véritablement durant la première moitié du Ier siècle (entre 0 et 50), avec un aménagement de sol sur une surface très étendue, d’environ 1 500 m2, et des structures bâties en bois sur solins.

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70 © Pierrick Legobien.


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FANUM NORD B

FANUM NORD A

Bâtiment desservi par un portique

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Voirie Ier-IIe s.

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Mur observé, restitué, hypothétique Base en calcaire observée, restituée Sol des cellae observé, restitué Sol des galeries observé, restitué

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Voirie, allée observée, restituée

Monument claudio-antonin.

CG27-MADE claudio-antonin - Janvier 2016 d’après fouilles anciennes Th. Bonnin, Clichés aériens Archéo 27 et R. Agache, Monument Prospections géophysiques de Géocarta. Fouille : S. Bertaudière, L. Guyard. (en cours d’étude) 2005-2008 : Fouille et DAO : L. Guyard. 2009-2016 : Fouille et DAO : S. Bertaudière.


Agrandissement et apogée

Un chantier de construction bien documenté

Sous le règne de la dynastie sévérienne (193-235), le sanctuaire est reconstruit sur une surface d’au moins 6 hectares, avec trois temples sur podium alignés dans un axe nord-ouest sud-est et reliés par des galeries de liaison. Un portique monumental, retrouvé entre ce temple et le théâtre, pourrait compléter le plan du sanctuaire. S’il ferme une avant-cour, le temple atteindrait alors 8 hectares.

Les niveaux stratigraphiques environnants de l’édifice cultuel conservent des témoins archéologiques des différentes étapes de sa construction. Les traces du chantier de construction du temple central sévérien sont conservées dans les cours nord et sud de l’édifice, ainsi que dans la galerie nord du temple et dans la galerie de liaison sud1.

Choix des matériaux Lors des nombreuses campagnes de fouille (20052023), les archéologues ont pu documenter cet ensemble monumental ainsi que l’important chantier nécessaire à sa construction. Les murs du temple central sont construits pour une grande part avec des blocs de silex extraits des argiles naturelles environnantes et alternés avec des assises de briques. Des moellons de calcaire tendre servent aux chaînages d’angle des murs de l’édifice et d’autres moellons taillés dans des tufs calcaires complètent l’architecture en petit appareil. Les matériaux utilisés pour le grand appareil rassemblent plusieurs variétés de calcaire. La sélection des bâtisseurs est établie selon des critères de solidité et d’aspect esthétique des roches, dictée par le registre décoratif concerné. Les blocs des premières assises des murs sont taillés dans des calcaires tendres et des craies à silex. À l’opposé, les blocs des registres supérieurs sont taillés dans des calcaires fermes de texture fine et homogène. Les marches des escaliers et les dallages extérieurs sont réalisés dans des calcaires durs de texture grossière, marqués par de nombreuses empreintes ou des moulages fossiles. Dans le podium qui supporte la galerie de liaison du sanctuaire, seul le silex taillé en moellon est choisi pour la construction.

Les déchets de taille liés à la préparation des blocs d’architecture, vraisemblablement réalisés dans une zone située à l’écart du chantier, sont réutilisés pour asseoir les premières assises de blocs en grand appareil. Ces témoins d’un recyclage direct des déchets de pierre ont été observés dans la fondation du mur de la galerie sud du temple central. Ces mêmes déchets de taille sont présents dans les remblais argilo-limoneux supérieurs, installés au rythme de la construction et de l’élévation de l’édifice. Ces remblais sont aménagés sous la forme de rampes, ce qui facilite l’acheminement des blocs en grand appareil au plus près des structures en cours d’édification. Dans ces niveaux d’argile, on recense également d’autres déchets liés à la construction sévérienne et des surplus de matériaux non utilisés. On reconnaît par exemple un bloc avec des amorces de sciage du même calibre que les moellons des angles des murs du temple, ainsi que des rebuts de démolition du monument claudio-antonin antérieur : éclats de taille et des fragments de dallage brisés lors de leur récupération. Les remblais supérieurs aménagés sont entrecoupés de minces niveaux de construction intermédiaires, dont l’observation attentive a permis de repérer des traces de traîneau consécutives à l’installation des blocs en grand appareil. Les niveaux correspondant chacun à une étape de travail se composent de petits éclats de taille et de poudre de pierre, qui permettent d’identifier l’usage des ciseaux à pierre tendre et de la scie pour l’ajustement des blocs en grand appareil. Les bâtisseurs vont ajuster les blocs d’une même assise en utilisant la scie entre les joints ou avec d’autres outils de taille, pour réduire ainsi les écarts dans les alignements. Une aire de travail située devant le temple central sévérien et la galerie de liaison sud a été observée et fouillée en 2008 et 2009. La fouille extensive de cette zone permet de connaître l’organisation et le déroulement des travaux du gros œuvre. Les niveaux de déchets de taille concentrés en façade de la cella*, à hauteur du pronaos*, correspondent aux travaux de préparation et de finition du décor en grand appareil de la porte monumentale et de la colonnade du temple. Dans cette zone, deux trous

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de poteaux se situent sur une ligne parallèle à la façade de la cella du temple et constituent les vestiges d’une machine de levage. Ils disposent chacun d’un calage puissant réalisé avec des déchets de blocs de grand module. On peut avec prudence envisager l’utilisation d’un appareil à deux montants (dikolos), selon la description donnée par Héron d’Alexandrie et reprise par Anastasios K. Orlandos, qui n’est qu’une variante du trispastos* de Vitruve2. Il ne s’agit pas de l’unique témoin d’une machinerie liée aux travaux du gros œuvre dans ce secteur. Postérieurement à l’usage d’un appareil à deux montants, il faut évoquer la présence de deux empreintes situées à équidistance de la cella. Il pourrait s’agir des vestiges d’un échafaudage ou d’un autre appareil de levage qui reste encore aujourd’hui difficile à préciser. À quelques mètres de cette zone de travail, sur une étendue plane, plusieurs ornières ont conservé leur tracé linéaire partiel dans les niveaux de déchets, ce qui confirme une zone d’arrivage régulière des blocs au plus près du monument. Un peu plus loin, à une distance de 6 mètres environ de la cella du temple, l’aire de travail se compose de déchets de taille grossiers et de niveaux partiellement piétinés, marqués par des empreintes de blocs, des marques de coups d’outils et des cales en pierre pour les blocs en cours de réalisation. Une fosse de déchets de taille a également été repérée, son comblement est constitué de coins de blocs et de larges éclats de taille.

74 Sous-sol de la cella. Photographie L. Guyard.

Plan et architecture du temple central et de la galerie sud Seuls le temple central du sanctuaire sévérien et la galerie de liaison sud ont fait l’objet de fouilles archéologiques approfondies en aire ouverte. Les temples nord et sud alignés sur l’édifice central et reliés par les galeries de liaison ne sont connus qu’à partir des plans anciens, des observations géophysiques et des photographies aériennes. Le temple central est un édifice de plan rectangulaire sur podium ouvert par une colonnade sur sa façade orientale et accessible par un escalier. L’édifice est équipé d’une pièce en sous-sol construite sur le même plan que la salle cultuelle et dont l’accès se faisait depuis cette dernière par une échelle ou un escalier. Ce dernier devait être situé au centre de la pièce, parce qu’aucune trace n’a été repérée sur les murs périphériques. Si la fonction de ce sous-sol reste inconnue, son intérêt se mesure aux soins apportés à sa construction. Le dallage a été probablement réalisé avec les anciennes appliques murales et les dalles des sols en marbre et en calcaire des temples antonins antérieurs, qui ont été redécoupées pour s’ajuster parfaitement. La hauteur des murs du temple conservée se situe juste en dessous du niveau de circulation antique. En comparant cette élévation avec la volée de l’escalier dont les six premières marches sont encore en place, on peut restituer un escalier de 25 à 30 marches qui permet d’accéder à la terrasse du temple (le pronaos*), dont le podium s’élève à près de 5,70 mètres de hauteur. Les murs qui encadrent l’escalier seraient restitués sur une hauteur équivalente et marquent ainsi le prolongement du podium du temple. Dans la cour faisant face au temple, les vestiges d’une allée monumentale construite avec des dalles imposantes permettent de restituer un axe de circulation qui longe vraisemblablement les trois temples dans un axe nord-sud et une seconde allée dans le prolongement de l’escalier vers l’est3.


Temple nord

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Temple central

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Plan et architecture du temple central et de la galerie sud. CD27-MADE - Janvier 2023 d’après fouilles anciennes Th. Bonnin. Clichés aériens Archéo 27 et R. Agache, Prospections géophysiques de Géocarta. 2005-2009 : Fouille, DAO : L. Guyard. 2010-2021 : Fouille, DAO : S. Bertaudière.

Temple sud 75


La colonnade ouverte de la façade orientale du temple serait composée de six colonnes centrales et de pilastres aux angles. Sur les côtés, les façades sont ouvertes dans l’axe du portique des galeries de liaison et sont aveugles vers l’arrière, avec une architecture en grand appareil. Les colonnes de la façade du temple reposent sur des bases moulurées lisses à plinthe et se composent d’une suite de tambours lisses ou ornés d’un décor fictif de larges feuilles tombantes et d’un treillage inférieur. Seuls quelques éléments permettent de restituer des pilastres d’angle rudentés et cannelés, sans écarter la possibilité d’un ornement plus luxueux. Les colonnes et les pilastres sont coiffés de chapiteaux de style corinthien avec des couronnes de feuilles d’acanthe surmontées d’un abaque orné. Un entablement sculpté coiffé d’une cimaise ornée d’un motif floral assure la jonction avec la toiture composée de tuiles (tegulae*) et de tuiles demi-rondes (imbrices*). Un fronton triangulaire surmonte la colonnade orientale du temple. Son décor est mal connu mais il pourrait être orné d’une scène mythologique et d’une dédicace (inscription), à l’image de certains temples du monde romain. Le travail de restitution des élévations mené depuis quelques années permet de proposer une hauteur de l’édifice d’environ 22 à 23 mètres, soit l’équivalent d’un immeuble de sept étages. À titre de comparaison locale, l’élévation du temple central est proche de la hauteur de la nef de la cathédrale d’Évreux. On retiendra des nombreux éléments de l’entablement une grande variété de motifs végétaux, géométriques et figurés, illustrant ainsi l’étendue de la richesse artistique propre à l’architecture sévérienne. Parmi les registres figurés qui retiennent l’attention, la frise ornée de scènes mythologiques associant des tritons, des personnages et des monstres aquatiques, témoigne à elle seule du talent des sculpteurs et de la volonté des commanditaires concernant le programme iconographique. Des compositions aussi luxueuses devaient orner le fronton du temple dont les thèmes étaient voués à l’exaltation du pouvoir impérial et divin. De ces scènes, il ne reste aujourd’hui que de nombreux éléments morcelés, dont on ne connaît pas l’organisation et le schéma d’ensemble. Les Amours, les figurations féminines et masculines au regard expressif, les corps en mouvement et les nombreux attributs véhiculant des messages religieux sont les acteurs de ces scènes mythologiques, dont la portée symbolique retient notre attention, à défaut de la comprendre.

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Les galeries de liaison qui relient les trois temples se divisent en trois parties contigües et parallèles, leur hauteur pourrait avoisiner les 20 mètres. La première partie est construite sur un épais remblais d’argile, dont

la hauteur est identique à celle du podium. Elle dispose d’une colonnade ouverte vers l’est et permet un accès direct au temple central par ses façades latérales sur la terrasse précédant la cella (le pronaos). La seconde partie de la galerie est construite sur un vide sanitaire situé en sous-sol, accessible seulement par endroits. Seul l’espace supérieur à hauteur du temple pourrait communiquer avec ce dernier, par l’intermédiaire de portes ou de larges baies préalablement construites. Dans ce couloir central, les parois pourraient être ornées de décors peints et de placages en marbre moulurés colorés provenant de différentes provinces de l’Empire (Aquitaine, Grèce, Tunisie, Asie mineure). Ce décor de rappel sublime l’architecture monumentale, en créant des ouvertures fictives qui agrandissent les espaces internes, ce que l’on qualifierait aujourd’hui d’architecture en trompe-l’œil. La dernière partie de la galerie est un espace situé en rez-de-chaussée et uniquement accessible par la cour arrière du sanctuaire. La partie orientale de la galerie de liaison dispose de sa propre ordonnance architecturale. D’après les indices obtenus par l’étude des éléments d’architecture, l’élévation et le traitement décoratif sont distincts de ceux mis en œuvre pour le temple central. Le mur du fond de cette galerie dispose également d’un ornement particulier. Si la documentation reste encore aujourd’hui très lacunaire, ce mur pourrait être composé d’une enfilade de niches abritant des statues. De la galerie ouverte sur l’extérieur, on ne connaît pas le rythme des colonnes, mais les découvertes récentes permettent de saisir le rôle essentiel de cette allée couverte empruntée par les pèlerins, dont le décor est voué à l’exaltation du pouvoir impérial. Deux puits situés aux extrémités de la galerie participent à l’ornement du lieu. Ils sont matérialisés par une margelle bâtie peut-être surmontée d’une large vasque. Leur profondeur dépassant les 20 mètres, les commanditaires ont souhaité donner l’illusion d’une eau jaillissante du sous-sol alors que les puits sont soit simplement alimentés par les eaux pluviales, soit par l’eau de l’aqueduc. Cette mise en scène de l’eau dans le sanctuaire revêt un caractère classique quand on saisit la portée symbolique de cet élément dans la vie religieuse (l’eau est sacrée) et son intérêt dans l’organisation des espaces urbains : l’eau est utile pour l’hygiène et distribuée en abondance dans les thermes et les édifices de loisirs. Il n’est donc pas surprenant de voir que cette eau distribuée par un aqueduc alimente d’autres puits et des bassins d’agrément découverts lors des recherches menées dans la cour orientale du sanctuaire4. Ces structures décoratives mettant en


© Pierrick Legobien.

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scène l’eau intègrent une série d’aménagements cultuels associant vraisemblablement des bases de statues et des autels, dont on perçoit difficilement leur répartition spatiale dans la cour et dans les espaces de circulation du sanctuaire. Ces aménagements, dont la plupart ont disparu consécutivement aux travaux de démolition et de récupération de l’édifice religieux, pourraient trouver leur place le long des allées monumentales de la cour ou bien encore aux extrémités des murs de l’escalier.

Blocs de frise du temple aux personnages aquatiques et monstres marins. © Sébastien Cormier.

L’espace privilégié de ces divers aménagements décoratifs serait la galerie de façade ouverte reliant les temples, dont nous avons souligné le rôle essentiel dans le plan et l’ornement du sanctuaire, en particulier avec les puits monumentalisés. Les découvertes récentes permettent de mesurer l’intérêt de cet axe de circulation dans le programme iconographique d’ensemble. Dans le comblement d’un des puits de la cour, la découverte et l’analyse d’une série de blocs sculptés permettent de les rattacher à une arche monumentale construite à l’extrémité nord de la galerie, en monumentalisant ainsi le passage vers le temple central. Large de 6 mètres environ, l’arche dessine deux baies séparées par un pilastre central. Ce dernier, ainsi que les colonnes latérales, sont ornés de divinités et de scènes mythologiques se référant aux cultes dionysiaques (oiseau, canthare, candélabre à rubans…). Au sommet de l’arche, une archivolte est ornée d’une grande scène composée d’Amours ailés porteurs de médaillons à rubans et de corbeilles de fruits, dans une ambiance également dionysiaque symbolisée par des masques, des pedum*, ainsi que des instruments de musique. Ces décors qui évoquent des scènes de joie et de spectacle permettent d’aborder le plan et l’architecture du théâtre de Gisacum. Ce monument communique directement avec le grand portique oriental du complexe religieux, par l’intermédiaire d’une courte voie. Si l’édifice de spectacle entretient une relation étroite avec le complexe religieux, en particulier dans la trame urbaine monumentale, son orientation vers l’est, tournant le dos au sanctuaire et brisant ainsi la relation visuelle entre les deux monuments, suscite encore de nombreuses interrogations.

Représentation d’une divinité et d’un Amour ailé. © Sébastien Cormier.

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Le théâtre Le théâtre a fait l’objet de deux campagnes de fouilles au XIXe siècle, qui ont permis de dresser des plans de l’édifice mais qui présentent toutefois un certain nombre d’incohérences. Les relevés sont contradictoires, ce qui rend difficile le rattachement du théâtre dans les répertoires typologiques des édifices de spectacle. D’autres observations réalisées au cours du XXe siècle ont complété les données et ce n’est qu’en 1997-1998, avec un levé topographique des vestiges existants et une campagne de prospection géophysique, que le plan du théâtre s’est précisé et que la présence de structures jusqu’alors supposées s’est confirmée (disposition des vomitoires et un bâtiment d’arrière-scène). La forme générale du monument restait cependant toujours imprécise et les nouvelles campagnes de fouilles menées entre 2010 et 2013 ont permis d’identifier quatre états appartenant à deux théâtres successifs5. Le premier théâtre observé reste encore énigmatique. Seule une faible partie du mur périmétral curviligne a été observée et la question de ses accès ainsi que son articulation avec l’espace scénique restent encore inconnues. Un projet d’agrandissement, en particulier des gradins, a semble-t-il nécessité une démolition soigneuse du mur périmétral curviligne, afin de récupérer les matériaux de construction. Ce second théâtre connaîtra ensuite différentes phases successives d’agrandissements. De forme semi-circulaire dite « outrepassée », la hauteur de la cavea* devait être modeste, avec néanmoins un diamètre estimé à 110 mètres. L’édifice ne dispose pas de murs radiants internes et les caissons de remblais sur lesquels reposent les gradins sont définis par les couloirs d’accès, appelés vomitoires. On estime sa capacité à 7 000 places. Le premier agrandissement du second théâtre est caractérisé par la construction d’un nouveau mur périmétral curviligne muni de plusieurs contreforts, percé de neuf entrées réparties sur le pourtour de l’enceinte. Les maçonneries sont particulièrement soignées et le mur d’enceinte était probablement revêtu d’enduits peints rouges. Les vomitoires desservent plusieurs séries de gradins (maeniana) et le grand couloir axial donne accès à la partie inférieure de la cavea*. Les autres couloirs rayonnants permettent d’accéder à la seconde série de gradins, et les parties hautes de la cavea* sont accessibles par le biais d’étroites cages d’escalier aménagées sur le côté de certaines entrées. En contrebas, le mur de l’orchestra* d’environ 20 m de diamètre, n’est conservé que sur une très faible hauteur. Son installation a nécessité

un creusement de la pente naturelle, probablement afin de rentabiliser l’espace et d’augmenter la capacité d’accueil de l’édifice. D’autres accès sont probablement à restituer de part et d’autre du plateau scénique, d’après la lecture des plans et les croquis réalisés au XIXe siècle. Le second théâtre connaît ensuite une nouvelle phase de reconstruction, dont l’objectif n’est pas de l’agrandir, mais seulement de le rehausser. Plusieurs structures sont alors modifiées. Les couloirs situés à l’arrière du mur périmétral rectiligne sont bouchés par d’imposantes maçonneries, surélevant ainsi le mur de scène. Certains espaces vont être reconstruits en pierre ou seulement maçonnés, comme les cages d’escalier permettant d’accéder à un possible portique, ou déambulatoire, couronnant la cavea*. Les parties supérieures de cette dernière sont arasées, afin d’y construire un mur concentrique, parallèle à l’enceinte du théâtre et qui constitue ainsi un soubassement pour le portique. La modification de la pente des gradins entraîne une reprise des accès, dont les murs des vomitoires ont conservé les traces de construction. La partie basse de la cavea* et l’orchestra* n’ont pas été modifiées et seul le couloir axial a été faiblement rehaussé pour installer un nouveau sol de circulation. Seuls les murs du couloir central ont été prolongés, afin de rattraper la pente du théâtre exhaussé. Les nouvelles maçonneries du vomitoire sont beaucoup plus imposantes que les précédentes et servaient probablement à maintenir le décor monumental de cette entrée jouant ainsi un rôle significatif et complémentaire, lié à la proximité du sanctuaire. 1 L. Guyard, S. Bertaudière, S. Cormier, 2012. 2 A .K. Orlandos, 1968. Vitruve, De l’architecture, Livre X, texte établi, traduit et commenté par L. Callebat et P. Fleury, Paris, Les Belles Lettres, rééd. 2003, 10.2.1-2.3: 88, 92-3. 3 S. Bertaudière, 2017. 4 S. Bertaudière, 2020. 5 L. Guyard, S. Bertaudière, S. Cormier, C. Hartz, F. Carvalheiro-Fereira, P. Wech, Ch. Fontaine, 2011. F. Ferreira, 2015.

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La grande place publique Stéphanie Zeller

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Histoire des interventions archéologiques dans cette zone de Gisacum La grande place publique de Gisacum se situe à 200 mètres au nord du théâtre. Le premier à avoir fouillé ce monument est François Rever, entre 1801 et 1804. Cet érudit curieux et lettré a publié, en 1827, un ouvrage1 dans lequel il relate l’ensemble de ses découvertes sur la commune du Vieil-Évreux. Ses descriptions sont accompagnées d’un certain nombre de planches d’illustrations, avec des plans et de nombreux dessins de mobiliers découverts lors de ses travaux. Concernant la place publique, n° 16 sur le plan de Rever, il y décrit « le pavé en ciment d’une grande pièce de 24 mètres de long, sur 12 de large », ainsi qu’une « autre [pièce] un peu plus grande et pavée de même » et « une vaste enceinte […] de 72 mètres de long, sur 36 de large. » Dans la première pièce décrite, cinq fragments de mosaïque à décor géométrique noir et blanc ont été mis au jour. Il est amusant de noter que ce sont les petits cubes de mosaïque, que l’on nomme tesselles, qui ont donné son toponyme à ce lieu : le champ des Dés, et ce dès l’époque de Rever, puisqu’il nous relate que « les enfants du village jouaient avec ces cubes qu’ils allaient chercher dans le champs où ils étaient certains d’en trouver toujours2. » L’auteur nous décrit également une voie qui longerait au nord l’édifice. Dans les années 1840, Théodose Bonnin, archéologue et historien local, pratique à son tour des fouilles dans cette grande place, pour le compte du Département de l’Eure. Il en a laissé lui aussi un plan3. Mises à part ces explorations anciennes partiellement documentées, la grande place de Gisacum n’a jamais été fouillée. Plus d’un siècle après les coups de pioche de Théodose Bonnin et de son équipe, ce sont les photographies aériennes qui ont permis de localiser la grande place et d’en préciser le plan, grâce aux travaux pionniers de Roger Agache en 1976, suivis de ceux de Pascal Eudier et Annie Étienne dans les années 1990 et enfin de Jean-Noël et Véronique Le Borgne à partir de 2010. À cela viennent également s’ajouter des prospections géophysiques réalisées en 2005 par la société Terra Nova. Le principe est simple : il s’agit de mesurer la résistivité du sous-sol, grâce à l’émission d’un courant électrique entre deux électrodes. Selon la nature des éléments présents dans le sol, la réponse sera plus ou moins forte. Par exemple, un mur, plus résistant par nature, freinera le passage du courant électrique. Il est dès lors possible de

F. Rever 1827, pl. 1.

dresser une carte de résistivité, laquelle constituera un reflet assez précis de certains éléments du sous-sol. Tous ces éléments cumulés permettent de proposer l’hypothèse de deux états de construction successifs4. Description des différents états de la place publique Dans la première phase, à l’est, apparaît un ensemble de 45 mètres de long sur 70 mètres de large, entouré sur trois côtés d’une galerie de 6 mètres de large. Au centre se trouve une cour de 27 mètres de large pour une longueur de 43 mètres, traversée par une branche de l’aqueduc. Elle est fermée à l’ouest par un probable bâtiment à deux nefs. Une cour plus grande, de 92 mètres de long pour 60 mètres de large, se développe vers l’ouest. En vis-à-vis, au-delà de la voirie qui longe le monument au nord, un alignement de cellules accueille peut-être des boutiques. Aucune modification ne semble apportée à la partie orientale lors de la seconde phase d’aménagement. On note en revanche l’ajout, au sud-est, d’une pièce hémicirculaire de 22 mètres de diamètre, laquelle comporterait, selon les résultats de la prospection géophysique, un sol massif. Au sud-ouest, deux autres pièces ont été repérées, dont l’une mesure 24 mètres sur 12 mètres et présente des contreforts d’angles. C’est probablement dans cette pièce qu’a été découverte la mosaïque blanche et noire, qui devait couvrir une superficie de 300 m2, et dont Rever nous a relaté la trouvaille dans son ouvrage. À l’ouest, la grande

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© Pierrick Legobien.


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cuivre et d’autres petits objets qu’il ne connaissait pas. » Plus loin, il précise « que, dans un seul espace de trois mètres carrés, [il a] trouvé plus de douze cents petits objets de toilette, de parure et de luxe […] et qui diffèrent tellement les uns des autres par les dimensions, les formes, le soin dans le travail, ou le goût du dessin, qu’on ne peut croire qu’ils n’aient autrefois composé que l’écrin d’un seul particulier. Il faut donc que j’aie rencontré la montre ou le magasin d’un quincaillier-bijoutier de ce tems (sic)-là. » Le mobilier découvert a fait l’objet d’une longue description de sept pages dans le mémoire de François Rever, ainsi que d’illustrations sur trois planches. Par la suite, plusieurs chercheurs ont fait référence à ce mobilier en publiant également des dessins d’objets ou en les citant. C’est le cas d’Alexis Robillard (dessins vers 1838-1839, conservés aux Archives nationales sous la côte AN-36AS97-001), de Théodose Bonnin (1845, planche XXXVII), d’Émile Espérandieu (1913) et de Léon Coutil (1921)6.

© Le Borgne-Dumondelle, 2011.

cour semble agrandie pour atteindre 115 x 62 mètres. Entre cet ensemble et la voie se développe un long bâtiment rectangulaire, qui pourrait avoir accueilli toute une série de boutiques. Il est difficile aujourd’hui d’attribuer une fonction particulière à chaque espace du monument, particulièrement en l’absence de fouille archéologique récente. L’agencement d’une place publique avec une grande esplanade, une galerie et des boutiques est relativement fréquente5, notamment dans les chefs-lieux de cité. Il est tout à fait probable qu’un sanctuaire aux dimensions aussi gigantesques que Gisacum ait été doté d’une grande place d’échanges : la réunion de milliers de pèlerins donne évidemment lieu à des échanges économiques. Les boutiques, lieux de vente de divers produits manufacturés

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C’est certainement au sein d’une de ces boutiques, au n° 18 sur son plan, que François Rever a fait une découverte « d’après l’indication et le consentement du propriétaire de ce terrain, qui [lui] dit qu’en labourant, il avait souvent trouvé dans cette place, des boutons de

François Rever a fait don de ce mobilier à sa mort à la Société Libre de l’Eure, qui l’a donné au Département de l’Eure. Les objets ont été déposés au Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux dès sa création en 1873, et se trouvent aujourd’hui dans les réserves de ce dernier. À l’occasion de l’élaboration d’un master 2 en 2008, consacré au mobilier de cette fouille, ont été retrouvés environ 600 objets (sur les 1 200 de départ). Les descriptions de François Rever mentionnent des lots très importants d’artefacts : « plus de deux cents agraffes (sic) ou fragmens (sic) d’agraffes (sic)7 », de « nombreuses attaches8 », des « clous de parure […] au nombre de plus de trois cents9 », « plus de cent anneaux10 ». Ce sont tous des objets en alliage cuivreux. D’autres objets, en os, signalés par Rever, n’ont pas été retrouvés. Le groupe d’objets le plus représenté est celui des clous. 216 ont été retrouvés et sont répartis en cinq types, auxquels il faut ajouter une catégorie à part pour les clous indéterminés (souvent sans tête ou avec une tête trop partiellement conservée). La description qu’en avait faite l’érudit est particulièrement détaillée : « Les uns de forte fonte, en forme de clous de girofle, boutons de roses, coquilles de diverses espèces, etc. Les autres, de fonte mince et délicate, à tête ronde, plate, etc., en bossettes, gouttes de suif, capsules de gland, bassines, etc. […] Il y a de ces clous d’ornement à tête mince et large […] ; il y en a de garnis en émail comme les aggraffes (sic) et les boutons […] ; on voit sur


quelques-uns, des vestiges de l’application d’une feuille très-mince en étain, ou de l’emploi d’un étamage poli qui a conservé beaucoup de brillant11. » Les clous peuvent être à tête pleine ou ronde et large, ou émaillée, et avoir une tige longue ou petite, épaisse ou fine. Ce type d’objets, très classique dans l’Antiquité romaine, est difficile à dater. Il est également extrêmement compliqué de déterminer l’usage qui pouvait en être fait (ameublement ou autre). Les agrafes mentionnées par François Rever ont été divisées en deux groupes : le premier est celui des rivets à un seul pied (qu’il appelle « boutons »), le second est celui des appliques à deux pieds. Les rivets, qui sont des attaches avec une tête d’un côté, et une tige dont l’extrémité forme un petit disque de l’autre, sont moins bien décrits par l’auteur : « […] et que je désigne sous le nom de bouton, parce qu’elles ne sont garnies en dessous que d’une seule tige à tête plate. […] Il y en avait dont la rondelle était à l’extérieur ornée d’émaux de diverses couleurs12. » Ces objets, au nombre de 109 dans l’étude, sont relativement diversifiés dans la forme de leur partie supérieure : arrondie, en amande, émaillée, en forme de pelte*, de coquille ou de pétales, ou bien striée. Ces objets étaient très courants dans l’Antiquité et étaient utilisés soit sur les vêtements, soit sur les éléments de harnachement. F. Rever 1827, pl. 15.

Les appliques, qui sont au nombre de 174, sont semblables aux rivets, mais possèdent deux tiges sur la partie inférieure. Comme pour les clous, la description de François Rever est très précise : « quelques unes (sic) ont la forme des pelta (sic), boucliers d’amazones ou de cavalerie. […], d’autres portent des ornemens (sic) en feuille de trèfle, queue de perce oreille, nœuds de ruban. D’autres ont la forme de solitaire, de navettes, queue d’aronde, petites barres unies terminées en bouton ou cannelées de long, ou taillées en travers13. » Les variantes de la partie supérieure sont en partie semblables à celles des rivets, auxquelles s’ajoutent des formes géométriques allongées rectangulaires, des formes de boucliers, ainsi que des formes plus complexes et très décorées. Leur utilisation est semblable à celle des rivets.

Les autres types de mobilier sont présents en moins grande quantité. Ce sont tout d’abord des attaches à deux pointes, sortes de clous doubles, dont les tiges étaient repliées pour faire office de fixation sur du cuir, par exemple. Ce type d’artefact est interprété en tant qu’applique de harnais. Ce sont ensuite des disques, dont certains comportent une perforation centrale et des décors moulurés. Il s’agit d’appliques de meubles, fixées sur un support en bois par un clou décoratif. S’ajoutent enfin à cet ensemble des fibules, sortes de broches qui permettent d’accrocher les tissus des vêtements entre eux, ainsi que des petites bobines, dont l’usage nous échappe.

L’autre lot important de mobilier retrouvé au sein de la place publique est celui des anneaux. On n’en compte pas moins de 76. Rever n’en fait aucune description précise, mises à part les différentes tailles présentes dans cet ensemble. La plupart sont de simples anneaux non décorés, dont certains, très fins, pourraient être des anneaux de doigt. D’autres, dentelés, ont pu être liés à l’ameublement ou à la serrurerie. Deux autres, enfin, de forme polygonale pour l’un et avec de fines stries pour l’autre, ont également pu servir d’anneaux de parure.

Ce lot d’objets découvert par François Rever au début du XIXe siècle est tout à fait unique. En effet, il se caractérise en premier lieu par le très grand nombre d’artefacts collectés au moment de la fouille. De plus, de grandes séries apparaissent, notamment pour les appliques et les clous, au sein desquelles les objets sont identiques dans leur forme, mais offrent des tailles différentes, parfois en plusieurs dizaines d’exemplaires. De plus, le constat a été fait du caractère « neuf » de ces objets : il semblerait en effet qu’ils n’aient jamais été utilisés. Selon les écrits du

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N

N Espace libre

Espace libre

?

?

Espace libre

?

? ?

Espace libre ?

Hypothèse pour une phase 1

Evolution hypothétique de la place publique d’après les données des prospections aériennes et géophysiques. © L. Guyard.

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Hypothèse pour une phase 2 Monument public

Aqueduc

Boutiques

Rue (sol conservé)

Sol de cour

Sol de rue restitué

Sol de cour probable

Bas-côté ?

0

10

50 m


savant, cette découverte a été faite sur une surface très réduite de seulement 3 m2, le long de la place publique. C’est l’ensemble de ces faits qui permet d’émettre l’hypothèse que ces objets peuvent avoir constitué le fonds de commerce d’une boutique, dans laquelle nous pourrions reconnaître aujourd’hui une mercerie ou une quincaillerie.

Type

Description

Type 1

Tête ronde/

Nous ne disposons pas de renseignement quant à la vie de cette boutique. Nous savons simplement que ces objets ont été découverts sous la couche de labour, suite à l’indication fournie par l’agriculteur. S’agit-il de la dernière couche d’occupation à cet emplacement durant l’Antiquité ? Rien ne permet de l’affirmer. Cependant, s’il s’agissait d’une occupation antérieure, il paraîtrait douteux que le mobilier, présent en si grande quantité, n’ait pas été récupéré auparavant. Un autre argument plaide en faveur d’une occupation située juste avant l’abandon de Gisacum, dans les années 250 de notre ère. Certains objets identiques à ceux du corpus de Rever ont été découverts lors de fouilles récentes sur le site. Ils proviennent quant à eux de contextes bien datés, lesquels se situent vers la fin du IIe ou au début du IIIe siècle. Il semble ainsi possible que ce mobilier soit issu d’une structure abandonnée ou détruite dans le courant du IIIe siècle.

NB Restes

allongée, arrondie

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Type 2

Tête en forme de coquille

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Type 3

Tête rectangulaire

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Type 4

Tête en forme de bouclier

16

Type 5

Tête complexe

10

Inderminé

3

Typologie des clous de l’étude. (S. Zeller, 2008)

1 F. Rever, 1827. 2 Ibid., p. 45. 3 T. Bonnin, 1845. 4 Guyard et alii 2015, p. 220-221; M. Provost 2019, pp. 730-733. 5 S. Zeller, 2008, pp. 84-91. 6 S. Zeller, 2014, p. 138. 7 F. Rever, 1827, p. 89. 8 Ibid., p. 91. 9 Ibid., p. 93. 10 Ibid., p. 94. 11 Ibid., pp. 93-94. 12 Ibid., p. 91. 13 Ibid., p. 89.

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8 La fin de Gisacum !

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Un essor stoppé vers le milieu du IIIe siècle

Un habitat fortifié !

Autour de 250, toute activité de construction cesse et le sanctuaire ferme ses portes. Le complexe cultuel est partiellement démoli. La construction d’un petit édifice, interprété comme un macellum* (marché), installé non loin des grands thermes, est interrompue. Un dépotoir de restes animaux recouvre son chantier inachevé. Certaines maisons en cours de reconstruction sont elles aussi abandonnées. Dans les grands thermes, une ultime campagne d’agrandissement s’arrête brutalement. Les bancs de sciages de la pierre sont abandonnés et presque aussitôt après la démolition de l’édifice thermal commence.

Le système défensif À la fin du IIIe siècle, le sanctuaire est transformé en petite fortification d’environ 200 mètres de long pour une largeur de 90 mètres. Les trois temples sont ceinturés par un système défensif (fossé et talus) de forme ovalaire. Le talus est constitué de nombreux remblais issus vraisemblablement du creusement du fossé. Il mesure 8,10 mètres de large pour une hauteur supposée variant de 2 à 3 mètres. Le fossé externe, de profil en V, mesure quant à lui 8,50 mètres de large à l’ouverture pour une profondeur de 3,80 mètres.

Un sanctuaire fermé symboliquement1 Durant cette période de crises (troubles politiques, économiques et militaires) que connaît l’Empire romain, l’ensemble de l’agglomération périclite. Le monument principal de l’agglomération est fermé et partiellement démoli. Les marches et les remblais de soutènement de l’escalier du temple central, l’un de ses murs de maintien, ainsi que les divers aménagements dans la cour ont été récupérés. Les galeries de liaison semblent éventrées au plus près du temple central. L’architecture du monument semble quant à elle préservée. Le sanctuaire perd quelques-uns de ses attributs sacrés, ce qui semble confirmer le contexte d’une fermeture symbolique souhaitée par l’autorité publique. Parmi le mobilier lapidaire identifié, plusieurs témoins principaux de l’ornement du temple traduisent vraisemblablement la volonté d’enlever de celui-ci certaines de ses composantes iconographiques religieuses. Cet acte de démontage n’est pas exhaustif mais relève probablement de choix symboliques précis. Ce premier démontage de l’édifice correspond probablement à la désacralisation du sanctuaire.

Ce système défensif avait déjà été observé dès le XIXe siècle en plan et en coupe. Il a également été repéré en prospection aérienne par l’association Archéo 27 et en prospection géophysique à l’emplacement de l’actuel terrain communal de football, situé juste au-dessus du temple sud, à l’extrémité du sanctuaire. Un petit fossé interne mesure 1,20 mètre de large pour une profondeur de 0,20 mètre. Il sert vraisemblablement à canaliser les eaux de ruissellement du talus, afin de protéger l’espace entre la galerie de liaison sud et le système défensif. Ce petit fossé interne commence à l’angle arrière sud du temple central sévérien et se poursuit probablement le long de la galerie de liaison. La partie avant semble elle aussi ceinte par un talus et un fossé. Cette hypothèse est confirmée par les prospections géophysiques et aériennes, ainsi que par un sondage réalisé dans la cour avant de l’édifice.

Un complexe d’entrée dans la cour avant ? À l’intérieur de la petite fortification, deux îlots constitués de remblais d’argile ont été observés devant le temple central. Un premier îlot forme une sorte de plateforme d’environ 35 m2 de superficie dans l’angle sud-ouest de l’escalier récupéré du temple central. Le second a été mis au jour dans le secteur nord de la cour. Ces aménagements pourraient correspondre aux vestiges d’un complexe d’entrée. Une surface de circulation située entre les deux îlots plaide en faveur de cette hypothèse.

L’occupation de la fortification2 Cette occupation couvre une surface d’environ 150 m2 entre les deux îlots présentés précédemment, à l’emplacement de l’escalier du temple central en partie récupéré : les habitants se sont donc installés sur un terrain en pente ! 89


Plateforme ?

Fossé

Entrée ? Puits transformé en dépotoir

Talus

Localisation de la coupe du système défensif

Fossé interne

N

La petite fortification de la fin du IIIe s. ap. J.-C. Mur observé, restitué, hypothétique Fossé observé, restitué Talus observé, restitué

90 0

20 m

CD27-MADE - Janvier 2017 d'après fouilles anciennes Th. Bonnin. Clichés aériens Archéo 27 et R. Agache. Prospections géophysiques de Géocarta 2005-2009 : Fouille, DAO : L. Guyard. 2010-2023 : Fouille, DAO : S. Bertaudière


Le mobilier mis au jour dans cette succession d’occupations est assez similaire. Des éléments liés à la première démolition de l’édifice (fragments de blocs calcaires, revêtement de sol et de mur et éléments de toiture) sont mélangés à des objets issus de la vie quotidienne (éléments de parure, toilette, céramique très fragmentée datée de la fin IIIe-début du IVe siècle, clous de chaussures...) des rejets de consommation (os, huîtres, moules), et quelques éléments liés à de l’artisanat, notamment le travail du fer et de l’os. Des monnaies ont également été mises au jour : la plus récente, exhumée dans le niveau le plus récent, est frappée entre 350 et 352 (bronze de Magnence). Les niveaux intermédiaires ont livré des monnaies frappées de la période 330-348. En ce qui concerne la partie inférieure, les monnaies les plus récentes ont été frappées entre 275 et 294.

es dépotoirs témoins de diverses activités D dans la fortification3 Deux dépotoirs à ciel ouvert ont été identifiés dans la cour avant et un puits abandonné a également servi de décharge pendant cette période.

La faune Les ossements d’animaux jetés dans le puits correspondent à des restes de consommation, de préparations bouchères ou charcutières, du travail artisanal et des cadavres d’animaux partiels ou complets. Les apports carnés proviennent d’animaux d’élevage et de gibiers issus de la chasse. Le bœuf est l’animal le plus consommé à cette période, avant le porc. Les caprinés sont avant tout élevés pour la production de lait et de laine. Les volailles ont principalement été élevées pour leurs œufs mais ont été également consommées. Les poules et les porcs semblent avoir été élevés sur place ou à proximité de la fortification, parce que des mort-nés ont été jetés dans le puits.

La vaisselle employée dans la fortification est essentiellement réalisée en céramique commune sombre. Quelques rares récipients en fer sont également utilisés.

es indices d’activités : artisanat, L chasse et… guerre ? De nombreux fragments d’outils ont été retrouvés et témoignent d’activités variées. Certains de ces outils permettaient de travailler la pierre (burin, pic de carrier), le bois (coin à fendre, herminette, mèche), le cuir (poinçon), les fibres textiles (peson de métier à tisser), le fer (burin/ ciseau, soie de préhension). Des déchets évoquent aussi le travail du métal, avec notamment des fragments de scories, des chutes de forge et des masses métalliques. Le travail de l’os et des matières dures animales est représenté par des fragments de bois de cerf et des ébauches d’objets abandonnés. Des armes, telles que des pointes à douille et une pointe de flèche, témoignent d’une activité de chasse confirmée par les ossements de gibiers (cerfs, chevreuils, sangliers, lièvres, pigeons et grives) jetés dans le comblement du puisard. La découverte également d’un fer de lance et des éléments d’un bouclier sont à considérer en revanche comme des armes de guerre.

Des arêtes, des écailles ainsi que des coquilles d’huîtres et de moules témoignent de la consommation de poissons et de coquillages sur site. L’étude à venir révélera plus précisément les espèces pêchées et les lieux d’approvisionnement.

La vaisselle Les repas étaient préparés grâce à des mortiers (écraser, piler) et des jattes (mélanger). Cuits dans des pots en terre, les aliments étaient ensuite consommés dans des écuelles, à l’aide de cuillères et de couteaux. Servies dans des cruches ou des flacons, les boissons étaient consommées dans des gobelets.

Restitution du fossé et du talus. © J.-F. Masurier.

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Des objets de la vie quotidienne L’étude du petit mobilier a également permis d’identifier de très nombreux objets liés au domaine personnel. Le comblement du puits contenait de très nombreux objets de parure et de vêtement (fragments d’anneaux, de fibules, d’épingles et de bracelets en os, perles d’ambre et de verre, boucles de ceinture et bagues-clés), d’objets liés aux soins du corps (palette à fard, specillum, pince à épiler, cure-oreille) et des monnaies. De très nombreux clous de chaussures en connexion ou à l’unité sont également les témoins des rejets de semelles entières mais aussi du nettoyage et du raclage de sol de la cour. Des déjections canines ont également été retrouvées dans ces niveaux (présence d’os dans le coprolithe) apportant une nouvelle preuve que des sols ont été nettoyés, et que les résidus ont ensuite été jetés dans un des puits. Quelques rejets liés à la première démolition Les objets en lien avec le domaine de la construction (agrafes à bois, crampons de menuiserie, charnières, clefs, crochets de suspension pour plafond, pattes à marbre, ferrures), associés à la démolition de l’édifice, sont encore présents dans cette séquence. Des pilettes et des tubuli ont également été mis au jour dans ces niveaux et indiqueraient que des bâtiments publics ou privés chauffés étaient peut-être installés dans l’enceinte du sanctuaire. Un petit bâtiment était peutêtre présent dans le sanctuaire pour le gardien ou pour y accueillir les pèlerins. Une fiche en T à queue (servant à suspendre des carreaux en terres cuites) confirme la présence d’un petit bâtiment chauffé.

’environnement à la fin du IIIe siècle L de notre ère4 L’étude des restes de la microfaune (ossements des insectivores et des rongeurs), mais aussi celle des pollens, permet d’évoquer l’environnement au cours de l’Antiquité tardive, à partir de la fin du IIIe siècle. La fortification semble avoir été densément occupée sur une surface restreinte, probablement entourée d’espaces boisés et de quelques cultures (jardins, petits champs ou potagers). À cette période, l’agglomération abandonnée est petit à petit envahie par la végétation.

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Cette fortification de forme ovalaire (200 mètres par 90 mètres de large), délimitée par un talus et un fossé, implantée sur le sanctuaire, constitue à ce jour le seul exemple connu en Gaule. En revanche, ce changement de fonction est avéré sur d’autres sites. C’est notamment le cas de Champigny-Lès-Langres (Haute-Marne), où les bâtiments sont réutilisés comme entrepôt. À Reims,

le temple suburbain est détruit par un incendie en 250 pour connaître une occupation profane. Il semblerait que quelques habitants de l’agglomération antique se soient regroupés dans cet espace en continuant d’exercer leurs activités.

Un vaste chantier de démolition (courant IVe siècle) Après avoir abrité une fortification, le sanctuaire est totalement démoli. Le chantier est organisé et méthodique et résulte d’une commande publique, et non d’habitants démontant çà et là des éléments pour construire leurs bâtisses. À l’emplacement de l’escalier du temple central, les niveaux en lien avec la fortification sont perforés par plusieurs aménagements. Deux escaliers rudimentaires cernent deux dispositifs liés au démontage de l’édifice. L’un pourrait correspondre à une rampe pour acheminer les éléments récupérés et le second pourrait être interprété comme étant les vestiges d’une machine de levage. Plusieurs aires de travail liées au débitage des blocs sont présentes dans la cour avant au plus près de l’édifice. Certains blocs ont été abandonnés en cours de débitage. Les déchets de blocs en grand appareil ou de blocs sculptés liés au décor du monument jonchent le sol de la cour avant, ou ont été déversés dans les tranchées de récupération situées à proximité. Cet ensemble de déchets représente toute la chaîne opératoire liée à la transformation des blocs en moellons. Ils pourraient servir à l’achèvement de l’édification du rempart d’Évreux, seul chantier d’importance connu à ce jour dans la région pour cette période. La seule certitude pour le moment est que le sanctuaire a servi de carrière de pierres. Pendant et après cette récupération, certains blocs complets ont été jetés dans les puits situés dans la cour avant. Ces beaux éléments appartiennent au décor et à l’architecture du sanctuaire. Des bases et des fûts de colonne entiers, le décor d’un arc, une frise marine, des éléments de l’entablement du temple central et de la galerie de liaison découverts dans ces puits permettent petit à petit de proposer une restitution de plus en plus précise de l’édifice.


Une occupation médiévale et moderne Seule l’église Saint-Denis implantée à l’arrière du sanctuaire évoque cette période. Quelques éléments, datés des XIe-XIIe siècles au plus tôt, témoignent d’une réoccupation durant cette période. Le site est ensuite fréquenté à la fin du XVIIe siècle ou au début du XVIIIe siècle par une maison, dont il ne reste que les vestiges d’une cave située sur l’angle nord-est du temple central sévérien.

1 L. Guyard, S. Bertaudière, S. Cormier, C. Fontaine, 2014. 2 Les études du mobilier ont été réalisées par A. Bourgois (CRAVO) S. Cormier (MADE) C. Loiseau (Eveha), V. Drost (Cabinet des médailles), D. Théolas (MADE), S. Zeller (MADE). Travaux inédits, à paraître. 3 Les études du mobilier ont été réalisées par A. Bourgois (CRAVO) S. Cormier (MADE) C. Loiseau (Eveha), V. Drost (Cabinet des médailles), D. Théolas (MADE), S. Zeller (MADE). Travaux inédits, à paraître. 4 Étude menée par A. Bourgois (CRAVO) et L. Gaudin (ArkéoMap), Travaux inédits, à paraître.

Rapidement, il ne subsistera du site que quelques buttes de gravats à l’emplacement du sanctuaire, des thermes et du théâtre.

Bloc de corniche en cours de débitage. © S. Bertaudière.

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Lexique Bagaudes Nom donné aux paysans révoltés formant des bandes armées dans le nord-ouest de la Gaule à partir de la fin du IIIe siècle de notre ère. Castellum Lieu fortifié, petit camp militaire. Castellum diuisorium Ouvrage qui reçoit l’eau d’un aqueduc et la répartit dans différentes conduites, à l’image d’un château d’eau. Cavea Cavité elliptique ou demi-circulaire formée par les gradins d’un théâtre ou d’un amphithéâtre. Cella, cellae Pièce centrale d’un temple abritant la statue de la divinité. Normalement interdite aux fidèles, la cella peut être subdivisée en plusieurs pièces si le temple est consacré à plusieurs divinités. Chef-lieu de cité ou « capitale de cité ». Lorsque la Gaule devient romaine, elle est divisée en « cités », correspondant aux territoires occupés par les différents peuples gaulois. Pour chacune de ces cités existe un chef-lieu, ou capitale, correspondant généralement à la plus grande agglomération du territoire. Defixio Pratique de magie consistant à inscrire un nom sur une lamelle, généralement en plomb, et en indiquant la malédiction souhaitée. La lamelle est ensuite enfouie dans le sol, pour que les divinités infernales accomplissent la malédiction. Domus Maison urbaine.

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Empire gaulois À partir de 260, l’empereur régnant à Rome, Gallien, ne peut défendre la frontière rhénane des incursions barbares. Plusieurs généraux (Postume, Victorin, Tétricus) prenant le titre d’empereur se succèdent alors dans les Gaules jusqu’en 274, année où l’empereur

Aurélien met fin à cette sécession des provinces gauloises. Ce nom d’« empire gaulois », ou « empire des Gaules », désigne cette période de 14 ans où les provinces frontalières du Rhin se sont organisées sans Rome pour assurer leur défense. Fanum, fana Temple typique des provinces du nord-ouest de l’Empire romain (Gaules, Bretagne, Germanie), de tradition celtique et de plan concentrique, souvent carré, constitué d’une cella centrale fermée, le plus souvent entourée d’une galerie. Imbrex, imbrices Tuile à section semi-circulaire qui recouvre les tuiles plates (tegula, tegulae). Macellum Marché couvert. Opus sectile Sol réalisé en plaquettes de pierres régulières ajustées selon des formes géométriques ou figurées. Orchestra Partie circulaire du théâtre entre les gradins et la scène, où se placent les spectateurs de marque. Pax romana « La paix romaine », nom donné à la période faste que connaît l’Empire romain à partir d’Auguste (devenu empereur en 27 avant notre ère) qui met fin aux guerres civiles, période qui dure environ deux siècles, jusqu’à l’apparition des premières menaces barbares. Panem et circenses « Du pain et des jeux », expression forgée par l’auteur satirique Juvénal (fin du Ier siècle de notre ère) qui lui donne un sens péjoratif, en soulignant le caractère oisif de ses concitoyens qui ne se préoccupent plus que de remplir leurs estomacs et se divertir aux jeux du cirque. Pedum Houlette ou bâton de berger. Cet attribut est parfois associé à des divinités, il est souvent représenté dans des scènes poétiques et festives. Pelte Bouclier en forme de croissant. Péribole Enceinte sacrée, matérialisée ou symbolisée, entourant un temple antique.


Pronaos Nom grec, littéralement « l’espace situé devant le temple », qui désigne le vestibule ou l’entrée d’un temple. Sénat Le terme désigne en premier lieu l’assemblée des sénateurs romains. Mais il désigne aussi, dans la plupart des cités de l’Empire, les conseils municipaux composés d’élites locales. Specus Canal couvert d’un aqueduc. Tegula, tegulae Tuile plate, par opposition à l’imbrex, tuile semi-circulaire. Thermopolium Littéralement « vendu chaud », et nom donné à l’Antiquité à un établissement qui vend de la nourriture chaude, auberge. Trispastos Nom donné par Vitruve à un palan comportant trois poulies. Tubulus, tubuli Canalisations en terre cuite, de forme quadrangulaire, où circule de l’air chaud. Mises bout à bout et plaquées contre un mur, elles permettent le chauffage des parois. Villa, villae Domaine rural composé d’une pars urbana (l’habitat) et d’une pars rustica (bâtiments dédiés à l’exploitation agricole). Vomitoire Dans les théâtres et amphithéâtres, les vomitoires sont les entrées en forme de couloir aménagées dans les différents murs qui séparent les différentes galeries de l’édifice pour accéder aux gradins. N.B. : une partie des définitions de ce lexique provient de l’ouvrage de J.-L. Lamboley, Lexique d’histoire et de civilisation romaines, ellipses, Paris, 1995.

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Aux termes de la loi sur le droit d’auteur et du code civil, la reproduction, totale ou partielle, de cet ouvrage sous quelque forme que ce soit, originale ou dérivée, et avec quelque procédé d’impression que ce soit (électronique, numérique, mécanique, microfilms, de films ou autres) est interdite, sauf autorisation écrite de l’éditeur. Conception graphique : Benoît Eliot / Octopus. Impression : PBTISK. © Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux. © Mission archéologique départementale de l’Eure. © Pour leurs textes : les auteurs. © Éditions Octopus, mai 2023. Éditions Octopus 76350 Oissel-sur-Seine ISBN : 978-2-900314-40-1

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Couverture. Crédits photographiques : Antoine Cazin, la Fabrique du Patrimoines en Normandie (hg) - Aurélien Papa, Départerment de l’Eure (hd) - Thierry Bouffiès, Évreux Portes de Normandie (bg).



Voyage sacré Sacré voyage Du site de Gisacum au musée d’Évreux

Gisacum est le grand sanctuaire des Aulerques Eburovices, peuple gaulois devenu gallo-romain. Il s’agit d’un des sites archéologiques antiques les plus importants du département de l’Eure, voire de Normandie. Objet d’étude depuis 1801, Gisacum s’étend sur près de 250 hectares. Les recherches récentes, en cours depuis 1996, conduites par la Mission Archéologique Départementale de l’Eure, continuent de révéler les secrets de l’un des plus grands sanctuaires de Gaule romaine.

Statuette de cheval, bronze. Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux, dépôt du Département de l’Eure, 1873.

978-2-900314-40-1

18 €

OCTOPUS éditions


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