Typical Plan Plan-type
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Avant-propos
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Le texte “Typical Plan” est un essai tiré du livre S,M,L,XL de Rem Koolhaas en collaboration avec graphiste Bruce Mau. Paru en 1995, année zéro de l’ère internet, cet ouvrage associe aux écrits architecturaux un répertoire graphique d’images de références important - plans, photographies, croquis, bandes dessinées, etc. Rem Koolhaas réalise, ici, une classification de la production architecturale de son agence O.M.A (Office for Metropolitan Architecture) selon la “taille” des réalisations. Il organise alors, le contenu du livre en quatre parties, les quatre tailles standard américaines : small, medium, large et x-large. Le texte “Typical Plan” se situe dans la deuxième partie du livre, il appartient donc aux essais sur les projets de taille moyenne. Entre l’essai sur le “Cadavre Exquis” et celui sur le “Byzantium”, Rem Koolhaas y développe la notion de “Typical Plan” et son impact à la fois dans l’élaboration d’un programme majeur et dans l’histoire de l’architecture même. Bien qu’il considère que cette notion est une invention américaine, il l’expérimentera dans son projet pour la Morgan Bank, pensé à Amsterdam en 1985. Il invoque alors ce projet dans son texte comme une incursion “d’une profondeur inhabituelle” dans la culture Hollandaise.
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Dans cette traduction initiatique, la notion de “Typical Plan” a été interprétée par l’idée de Plan-type, plus à l’image d’un plan générique que d’un étage courant. L’attribut générique fait apparaître, selon moi, un caractère à la fois matériel et véhiculaire, docile et sans limites. Dans la définition que Rem Koolhaas fournit du Plan-type, il oppose à des notions concrètes des métaphores plus abstraites; selon lui, le Plan-type est à la fois “le degré zéro de l’architecture”, “thérapeutique”, “sans qualités”, “une architecture du rectangle”, “un minimalisme pour les masses”, “profond”, “occidental”, “quadrillé”, “neutre”, “papier millimétré”... De plus, Rem Koolhaas assoie son récit en lui associant des notions plus scientifiques, s’appuyant à la fois sur les caractères concret et métaphysique, et jouant entre les deux. Le Plan-type correspond majoritairement à un programme de bureaux, considéré comme “le premier programme totalement abstrait”. Ainsi, il en vient à nous parler de l’absence d’exigences que le “business” a intrinsèquement. Ce terme anglais est ici désigné par le “Monde des Affaires”. Le Plan-type vient alors s’approprier la grille, vecteur d’indétermination et de neutralité, qu’il développe en n’existant que par sa répétition matérielle et sans limite. Rem Koolhaas, en parlant de la répétition du Plan-type, revient sur la question de l’architecture des gratte-ciels et des bâtiments de grande hauteur, mais aussi sur la ville issue du Plan-type, le “centre-ville”, accumulation même de ces formes architecturales. Ainsi, à travers l’idée de Plan-type se dessine paradoxalement une architecture de la disparition, prenant des allures de tours construisant le paysage de notre centre urbain.
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Traduction
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Typical Plan is an American invention. It is zero-degree architecture, architecture stripped of all traces of uniqueness and specificity. It belongs to the New World.
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Le Plan-type est une invention américaine. C’est le degré zéro de l’architecture, l’architecture dépouillée de toutes traces d’unicité et de spécificité. Il appartient au Nouveau Monde.
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The notion of the typical plan is therapeutic; it is the End of Architectural History, which is nothing but the hysterical fetishization of the atypical plan. Typical Plan is a segment of an unacknowledged utopia, the promise of a post-architectural future.
Just as The Man Without Qualities haunts European literature, « the plan without qualities » is the great quest of American building.
From the late 19th century to early 1970s, there is an « American century » in which Typical Plan is developed from the primitive loft type (ruthless creation of floor space through the sheer multiplication of a given site) via early masterpieces of smooth space like the RCA Building (1933) – its escalators, its elevators, the Zen-like serenity of its office suites – to provisional culmination such as the Exxon Building (1971) and the World Trade Center (1972-73). Together they represent evidence of the discovery and subsequent mastery of a new architecture (often proclaimed but never realized at the scale of the Typical Plan).
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L’idée du Plan-type est thérapeutique ; elle marque la fin de l’Histoire de l’Architecture, qui n’est rien d’autre que la fétichisation hystérique du plan atypique. Le Plan-type est un segment d’une utopie non-reconnue, la promesse d’un futur post-architectural.
Tout comme L’Homme sans qualités hante la littérature européenne, « le plan sans qualités » est la quête suprême de la construction américaine.
De la fin du 19ème siècle jusqu’au début des années 70, se déroule un “siècle américain” au cours duquel le Plan-type se développe en partant de la forme primitive du loft (création brutale de surfaces par la pure multiplication d’un site donné) via les premiers chefs d’œuvre d’espace fluide comme le gratte-ciel de la RCA (1933) – avec ses escalators, ses ascenseurs, la sérénité zen de ses ensembles de bureaux – jusqu’à l’aboutissement provisoire à travers l’Exxon Building (1971) ou le World Trade Center (1972-73). Ensemble, ils témoignent de la mise au point puis de la maîtrise d’une nouvelle architecture (souvent proclamée mais jamais réalisée à l’échelle du Plan-type).
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The ambition of Typical Plan is to create new territories for the smooth unfolding of new processes, in this case, ideal accommodation for business. But what is business? Supposedly the most circumscribed program, it is actually the most formless. Business makes no demands.
The architects of the Typical Plan understood the secret of business: the office building represents the first totally abstract program – it does not demand a particular architecture, its only function is to let its occupant exist. Business can invade any architecture. Out of this indeterminacy Typical Plan generates character.
Raymond Hood, one of its inventors, defined the typical plan with tautological bravura: “ The plan is of primary importance, because on the floor are performed all the activities of the human occupants.”
(Typical Plan provides the multiple platforms of 20th-century democracy.)
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L’ambition du Plan-type est de créer de nouveaux territoires pour le bon déroulement de nouveaux processus, en l’occurrence, l’agencement idéal pour le Monde des Affaires. Mais qu’est-ce que le Monde des Affaires ? Censé être le programme le plus défini, il est en réalité le moins formaté. Le Monde des Affaires n’exige rien de précis.
Les architectes du Plan-type ont compris le secret du Monde des Affaires ; le bâtiment de bureaux représente le premier programme totalement abstrait – il n’appelle pas une architecture particulière, son unique fonction est de permettre à son occupant d’exister. Le Monde des Affaires peut investir tout type d’architecture. De cette indétermination, le Plan-type engendre du caractère.
Raymond Hood, un de ses inventeurs, a défini le Plan-type par une audace tautologique : « Le plan est de première importance, car ce sont sur ces plateaux que s’accomplissent toutes les activités des occupants ».
(« Le Plan-type fournit les multiples plates-formes de la démocratie du 20ème siècle).
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Typical Plan is an architecture of the rectangle; any other shape makes it atypical – even the square. It is the product of a (new) world where sites are made, not found. At its best, it acquires a Platonic neutrality; it represents the point where pragmatism, through sheer rationality and efficiency, assumes an almost mystical status.
Typical Plan is minimalism for the masses; already latent in the first brutally utilitarian explorations, by the end of the era of Typical Plan, i.e., the sixties, the utilitarian is refined as a sensuous science of coordination – column grids, façade modules, ceiling tiles, lighting fixtures, partitions, electrical outlet, flooring, furniture, color schemes, air-conditioning grills – that transcends the practical to emerge in a rarified existential domain of pure objectivity.
You can only be in Typical Plan, not sleep, eat, make love.
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Le Plan-type est une architecture du rectangle ; toute autre forme le rend « atypique » – même le carré. C’est le produit d’un (nouveau) monde dans lequel les sites sont fabriqués, et non trouvés. A son apogée, il acquiert une neutralité platonique ; il représente le point où le pragmatisme, par pure rationalité et efficacité, atteint un statut quasi mystique.
Le Plan-type est un minimalisme pour les masses ; déjà latent dans les premières investigations brutes de l’utilitarisme, à l’ère de la fin du Plan-type, c’est-à-dire, les années 60, son aspect utilitaire se raffine en une voluptueuse science de la coordination – grilles de colonnes, modules de façade, dalles de plafond, systèmes d’éclairages, cloisons, prises électriques, revêtements de sol, mobilier, gammes de couleurs, grilles de climatisation – qui transcende le caractère pratique pour émerger dans une atmosphère existentielle raréfiée de pure objectivité.
On ne peut qu’être dans le Plan-type, et non dormir, manger ou faire l’amour.
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Typical Plan is deep. It has evolved beyond the naïve humanist assumption that contact with the exterior – so-called reality – is a necessary condition for human happiness, for survival. (If that is true, why build at all? And anyway, aren’t the disadvantages of the exterior – ozone-depleted, carbo-charged, globally heated – by now well established?)
Air conditioning, which is the sine qua non of Typical Plan, imposes a regime of sharing (air) that defines invisible communities, homogeneous segments of an airborne collective aligned in more powerful wholes like the iron molecules that form a magnetic field. Heroically, Typical Plan delivers a world laundered of ego.
Typical Plan is Western. There is no equivalent in any other culture. It is the stamp of modernity itself. In the ever-increasing dimension from skin to core – the hidden potential of depth – it proclaims the superiority of the artificial to the real which remains, whether admitted or not, the true credo of Western civilization, the source of its universal attraction.
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Le Plan-type est profond. Il a dépassé la présomption humaniste naïve selon laquelle le contact avec l’extérieur – la soi-disant réalité – est une condition nécessaire au bonheur humain, et à la survie. (Si cela est vrai, pourquoi construire finalement ? Et quoi qu’il en soit, les inconvénients de l’environnement – affaibli en ozone, chargé en carbone, globalement surchauffé – ne sont-ils pas désormais bien établis ?)
La climatisation, condition sine qua non du Plan-type, impose un régime de partage (de l’air) définissant des communautés invisibles, segments homogènes d’un collectif atmosphérique, alignés selon de puissantes entités telles que les molécules de fer dans un champs magnétique. De manière héroïque, le Plan-type nous livre un monde lavé de tout égo.
Le Plan-type est occidental. Il n’a d’équivalent dans aucune autre culture. Il est la signature même de la modernité. Dans la distance toujours croissante de l’enveloppe vers le cœur – le potentiel caché de profondeur – il proclame la supériorité de l’artificiel sur le réel qui reste, qu’on l’admette ou non, le véritable credo de la civilisation occidentale, la source de son attraction universelle.
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Typical Plan knows what European architecture will never learn: that modular coordination is at most postponed failure, a temporary rollback of the frontiers of chaos.
Typical Plan is gridded, not in the absolute, clumsy manner of European Platonics (a moralistic system to measure misfit and thus create unhappiness), but on the contrary, through the development of anti-ideological devices: a metaphysics of slack that gives an aura of crispness to even the most severely conflicted geometrical coexistences, bestowing the appearance of modular conquest on the essentially messy, reasserting orthogonality from the most compromised givens.
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Le Plan-type sait ce que l’architecture Européenne n’apprendra jamais : la coordination modulaire est au mieux un échec différé, un recul provisoire des frontières du chaos.
Le Plan-type est quadrillé, non pas, à la manière maladroite et absolue des Européens Platoniques (un système moralisateur pour révéler l’inadapté et créer ainsi de la tristesse), mais au contraire, par le développement de dispositifs anti-idéologiques : une métaphysique de la détente qui habille d’une aura cristalline, les coexistences géométriques les plus sévèrement opposées, conférant au désordre majeur l’apparence d’une conquête modulaire, réaffirmant l’orthogonalité à partir d’éléments les plus corrompus.
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Typical Plan is neutral, not anonymous. It is a place of worship. More austere than a Cistercian monastery, it accommodates infinitely greater numbers, a 20th-century church without doctrine.
Although the dominant emphasis of Typical Plan is on abstraction, there is plumbing. It’s doesn’t deny those residual features that make humans animals still.
Ingenious architectural arrangements of miniature, very understandable labyrinths organize the traffic between the exalted and the impure zones of Typical Plan. These spaces – restrooms, urinals, pantries, services stairs, trucking bays – are the sanctuaries for all those primitive aspects upon whose exclusion the correct unfolding of business depends.
Typical Plan is to the office population what graph paper is to a mathematical curve. Its neutrality records performance, event, flow, change, accumulation, deduction, disappearance, mutation, fluctuation, failure, oscillation, deformation. Typical Plan is relentlessly enabling, ennobling background.
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Le Plan-type est neutre, non pas anonyme. C’est un lieu d’adoration. Plus austère qu’un monastère cistercien, il satisfait des nombres infiniment plus grands, une église du 20ème siècle sans doctrine.
Bien que l’abstraction gouverne le Plan-type, il s’y trouve tout de même de la “plomberie”. Il ne renie pas ces caractéristiques résiduelles qui font des êtres humains encore des animaux.
Des arrangements architecturaux ingénieux de labyrinthes miniatures, néanmoins intelligibles, organisent la circulation entre les zones exaltées et impures du Plan-type. Ces espaces – toilettes, urinoirs, offices, escaliers de services, halls de chargement – sont les sanctuaires de tous ces aspects primitifs, de l’exclusion desquels dépend le bon fonctionnement des affaires.
Le Plan-type est à la population des bureaux ce que le papier millimétré est à la courbe en mathématiques. Sa neutralité enregistre les performances, évènements, mouvements, changements, accumulations, soustractions, disparitions, mutations, fluctuations, échecs, oscillations, déformations. Le Plan-type permet et anoblit sans cesse l’arrièreplan.
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Typical Plan implies repetition – it is the nth plan: to be typical, there must be many – and indeterminacy: to be typical, it must be sufficiently undefined. It presumes the presence of many others, but at the same time suggests that their exact number is of no importance.
Typical Plan x n = a building (hardly a reason to study architecture!): floors strung together by elevators of incomprehensible smoothness, each discreet “ting” of arrival part of a never-ending addition.
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Le Plan-type implique la répétition – il est le énième plan : pour être « type », il en faut beaucoup – et de l’indétermination : pour être « type », il doit être suffisamment indéfini. Il présume la présence de beaucoup d’autres, mais en même temps suggère que leur nombre exact n’a aucune importance.
Le Plan-type x n = un bâtiment (pas vraiment une raison pour étudier l’architecture !) : des étages reliés les uns aux autres par des ascenseurs d’une fluidité insaisissable et chaque tintement discret d’une arrivée comme partie intégrante d’une addition sans fin.
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Typical Plan threatens the myth of the architect as demiurge, source of unlimited supplies of uniqueness.
As in the scene of a crime, the removal of all obvious signs of the perpetrator characterizes the true typical plan; its authors form an avant-garde of architects as erasers. Its unsung designers – Bunshaft, Harrison and Abramovitz, Emery Roth – represent vanishing acts so successful that they are now completely forgotten. These architects were able to create aleatory playgrounds (interior Elysian fields accessible to anyone’s lifetime), i.e., perfection in quantities – trillions of acres – that have become, 25 years later, literally unimaginable.
Securely entrenched in the domain of philistinism, Typical Plan actually has hidden affinities with other arts: the positioning of its cores on the floor has a suprematist tension; it is the equivalent of atonal music, seriality, concrete poetry, art brut; it is architecture as mantra.
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Le Plan-type menace le mythe de l’architecte en tant que démiurge, source d’une production sans limite d’unicité.
Comme dans la scène d’un crime, la suppression de tous les signes compromettants de l’auteur, caractérise le véritable Plan-type ; ses créateurs forment une avant-garde d’architectes escamoteurs. Ses héros méconnus – Bunshaft, Harrisson et Abramovitz, Emery Roth – incarnent des escamotages si réussis qu’ils sont désormais complètement tombés dans l’oublie. Ces architectes étaient capables de concevoir des esplanades de jeu aléatoires (des champs Elysées d’intérieur accessibles à tous et à tout âge), c’est-à-dire, de la perfection en quantités – des millions d’hectares – qui sont devenues, 25 ans plus tard, littéralement inimaginables.
Solidement retranché dans le domaine du Philistinisme, le Plan-type a en fait caché ses affinités avec d’autres arts : le positionnement des noyaux sur les planchers crée une tension suprématiste ; l’équivalent de la musique atonale, de la sérialité, de la poésie concrète et de l’art brut ; c’est l’architecture en tant que mantra.
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Typical Plan is empty as possible: a floor, a core, a perimeter, and a minimum of columns.
All other architecture is about inclusion and accommodation, incident and event; Typical Plan is about exclusion, evacuation, non-event.
Architecture is monstrous in the way in which each choice leads to the reduction of possibility. It implies a regime of either/or decisions often claustrophobic, even for the architect. All other architecture preempts the future; Typical Plan – by making no choices – postpones it, keeps it open forever.
The cumulative effect of all this vacancy – this systematic lack of commitment – is, paradoxically, density. The typical American downtown is a brute accumulation of Typical Plans, a massif of indetermination, hollowness as core.
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Le Plan-type est aussi vide que possible : un plancher, un noyau, un périmètre et un minimum de colonnes.
Tout autre architecture parle d’inclusion et d’adaptation, d’imprévu et d’évènement ; le Plan-type parle d’exclusion, d’évacuation et de non-évènement.
L’architecture est monstrueuse dans le sens où chaque choix conduit à la réduction des possibilités. Même pour l’architecte, elle implique un régime binaire et souvent claustrophobique de décisions. Tout autre architecture anticipe le futur ; le Plan-type – en ne faisant aucun choix – le remet à plus tard, le laissant ouvert à tout jamais.
Paradoxalement, la densité est le résultat cumulatif de tout ce vide – ce défaut systématique d’affectation des choses. Le centre-ville américain typique est une accumulation brutale de Plans-types, un massif d’indétermination, creux en son coeur.
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Could the office building be the most radical typology? A kind of reverse type defined by all the qualities it does not have? As the major new program of the modern age, its effect is one of deprogramming. Typical Plan is the initial mutation in a chain that has revolutionized the urban condition. Concentrations of Typical Plan have produced the skyscrapers, the only �new� urban condition: downtown, defined by sheer quality rather than as a specific formal configuration. The center is no longer unique but universal, no longer a place but a condition. Practically immune to local variation, Typical Plan has made the city unrecognizable, an unidentifiable object. Typical Plan is a quantum leap that provokes a conceptual leap: an absence of content in quantities that overwhelm, or simply preempt, intellectual speculation.
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L’immeuble de bureaux pourrait-il être la typologie la plus radicale ? Une sorte de type inversé défini par toutes les qualités qu’il n’a pas ? Nouveau programme majeur des temps modernes, son effet est celui de la déprogrammation. Le Plan-type est la mutation initiale d’une chaîne qui a révolutionné la condition urbaine. Des concentrations de Plan-types ont produit le gratte-ciel, la seule “nouvelle” condition urbaine : un centre-ville, défini par une qualité pure plutôt qu’une configuration spécifique formelle. Le centre n’est plus unique mais universel, n’est plus un lieu mais une condition. Pratiquement insensible aux variations locales, le Plan-type a rendu la ville méconnaissable, tel un objet non-identifiable. Le Plan-type est un saut quantique à l’origine d’un saut conceptuel : une absence de contenu dans des quantités à même de submerger, ou simplement de préempter, toute spéculation intellectuelle.
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What insecurity triggered the crisis of Typical Plan? Where did the rot start? Was it its very apotheosis that turned neutrality into anonymity?
Did the plan without qualities create men without qualities? Was the space of Typical Plan the incubator of the man in the gray flannel suit?
Suddenly, the graph blamed the graph paper for its lack of character.
It was as if Typical Plan created the castrated white-collar caricature, suppressed family photos, frowned on the fern, resisted the personal debris that now – 20 years later – makes most offices ghastly repositories of individual trophies, packed with the alarming assertions of millions of individual mini-ecologies.
An environment that demanded nothing and gave everything was suddenly seen as an infernal machine for stripping identity.
Nietzsche lost out to Sociology 101.
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Quelle insécurité a déclenché la crise du Plan-type ? Où la pourriture s’est-elle amorcée ? Fut-ce sa réelle apothéose qui convertit la neutralité en anonymat ?
Le plan sans qualités a-t-il engendré des hommes sans qualités ? Est-ce que l’espace du Plan-type fut l’incubateur de l’homme en costume gris ?
Soudain, le graphique a blâmé le papier millimétré pour son manque de caractère.
C’était comme si le Plan-type avait créé la caricature du col blanc castré, supprimé les photos de familles, désapprouvé la fougère, résisté aux débris personnels qui maintenant – 20 ans plus tard – font de la plupart des bureaux des dépôts infâmes de trophées individuels, associés aux constats alarmants de millions de mini-écologies individuelles.
Un environnement qui n’exigeait rien et qui donnait tout fut soudain vu comme une machine infernale à dépouiller les identités.
Le cour d’initiation à la Sociologie a dépassé Nietzsche.
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In Europe, there are no Typical Plans.
In the twenties, European architects fantasized about offices. In 1921, Mies imagined the ultimate atypical plan in Friedrichstrasse; in 1929, Ivan Leonidov proposed the first office slab for Moscow, a House of Industry. Its rectangles were conceived as socialist Typical Plans: a parallel zone reintroduced the full paraphernalia of daily life – pools, tanning beds, clublike arrangements, small dormitories – to created a compressed 24-hour cycle not of business-life, but of life-business. In 1970, Archizoom interpreted Typical Plan as the terminal condition of (Western) civilization, a utopia of the norm.
Since then, the one really new architectural subject this century has introduced has been endlessly denigrated in the name of ideology – its occupants “slaves”, its environment “faceless”, its accumulations “ugly”. Europe has suffered from catastrophic failure to accommodate – to “think” – the one typology whose emerge was architecturally and urbanistically irresistible. Typical Plan has been forced underground, condemned to the status of parasite – devouring larger and larger sections of historical substance, invading whole centers – or exiled to the periphery.
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En Europe, il n’y a pas de Plans-types.
Dans les années 20, les architectes européens ont cogité sur les bureaux. En 1921, Mies imagina l’ultime plan atypique dans la rue Friedrichstrasse ; en 1929, Ivan Leonidov proposa le premier bloc de bureaux à Moscou, une Maison de l’Industrie. Ses rectangles étaient conçus comme des Plans-types socialistes : une zone parallèle réintroduisit l’attirail complet de la vie quotidienne – piscines, cabines de bronzage, prestations de clubs, petits dortoirs – créant un cycle de 24H condensé non pas autour de la vie des affaires, mais pour le commerce de la vie. En 1970, Archizoom interpréta le Plan-type comme la condition terminale de la civilisation (occidentale), une utopie de la norme.
Depuis lors, l’unique concept architectural réellement novateur que ce siècle ait introduit, a été sans cesse dénigré au nom de l’idéologie – avec ses occupants “esclaves”, son environnement “sans visage”, ses accumulations “hideuses”. L’Europe a souffert d’un catastrophique inaptitude à adapter – à “penser” – la typologie dont l’émergence était architecturalement et urbanistiquement irrésistible. Le Plan-type a été réduit à la clandestinité, condamné au statut de parasite – tout en dévorant des sections sans cesse grandissantes de contenu historique, envahissant des centres entiers – ou exilé à la périphérie.
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For offices, Europe multiplies a plan known since the Renaissance: a corridor with rooms on both sides. (Is there a connection between the notorious absenteeism of the Western European office population and its sacred cow, the private cell?)
The European office is thin, as thin as its more historic substance. The European needs daylight and air, even though a simple extrapolation of the square meters involved reveals that this need will destroy the very décor that reassures him of his historical status.
Where the American office assembles a critical mass, the European office dismantles it, simply because the things that happen in an office are supposed to be “bad”; we like our badness in small doses.
There is something almost insane and masochistic about the quantity of utterly inferior substance that is generated in the Old World – in the name of identity, even.
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Pour les bureaux, l’Europe reproduit un plan connu depuis la Renaissance : un couloir bordé de pièces. (Y-a-t-il une connexion entre l’absentéisme notoire de la population de bureaux de l’Europe de l’Ouest et sa vache sacrée, la cellule privée?)
Le bureau européen est mince, aussi mince que sa substance plus historique. L’Européen a besoin de la lumière du jour et d’air, bien qu’une simple extrapolation des mètres carrés concernés, révèle que ce besoin détruira le véritable décor lui réassurant de son statut historique.
Là où le bureau américain constitue une masse critique, le bureau européen la démantèle, simplement parce que les choses qui se produisent dans un bureau sont supposées être “mauvaises” ; nous aimons notre mauvais condition à petites doses.
Il y a quelque chose de presque malsain et masochiste dans la quantité de substance tout à fait inférieure qui est générée dans l’Ancien Monde - au nom de l’identité même.
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Morgan Bank is an attempt at typical plan in Europe. It is a loft building – a block of Typical Plans. Because it is projected in Amsterdam and within Berlage’s famous extension – a fragile composition of axes, coherences, coordinations, controls – it undergoes a minimum of adaptation to perform certain urbanistic duties: a negative corner of two high walls defines an important Berlage plaza and the entrance – a slit that communicates as little as possible about the interior; a roof patio consolidates the “not-office” program – cafeteria, meeting rooms, etc. Otherwise the building is simply abstract office space, its dimensions chosen to enable a maximum of permutations, introducing, in Holland, unusual (and ultimately unwelcome) depth. The raised floor distributes homogeneous conditions of services across the entire surface. Columns give minimal interference. The single “feature” is a glass staircase that connects all floors.
Since the project is in Europe, a height limit was imposed. The proportion typical/ atypical plan is itself atypical: a typically European 50/50 split.
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L’édifice de la Banque Morgan est une tentative de plan-type en Europe. C’est un bâtiment de style loft, un bloc de Plans-types. Parce qu’il est pensé à Amsterdam et au sein de la fameuse extension Berlage – une composition fragile d’axes, de cohérences, de coordinations, de contrôles – il subit un minimum d’adaptation pour réaliser certaines tâches urbaines : un angle rentrant fait de deux hauts murs dessine une importante place Berlage, et l’entrée – une fente communicant le moins possible vers l’intérieur ; un patio sur consigne le programme “annexe aux bureaux” – cafétéria, salles de réunion, etc. Sans quoi, le bâtiment est simplement un espace abstrait de bureaux ; ses dimensions choisies pour permettre un maximum de permutations, introduisent, en Hollande, une profondeur inhabituelle (et à la limite malvenue). Le plancher surélevé offre des conditions homogènes de services sur l’ensemble de la surface. Les colonnes induisent une interférence minimale. La seule caractéristique est un escalier de verre connectant tous les étages.
Comme le projet se trouve en Europe, une hauteur limite a été imposée. La proportion type/atypique du plan est par elle-même atypique : un partage typiquement européen à 50/50.
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Atelier de Traduction Enseignants : Sébastien Marot, Jean Taricat, Lisa Corderoy 08.01.13
traduction du texte Typical plan de Rem Koolhaas extrait de S,M,L,XL (1995) par Bérénice Curt
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