LES INCUNABLES AUDOMAROIS_AU BERCEAU DE L’IMPRIMERIE

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U N

PROJET

DE

LONGUE

HALEINE

Photo de groupe de l’équipe de refonte du CRI IX (Photo P. Aquilon - mars 2013)

La bibliothèque d’agglomération du Pays de Saint-Omer conserve plus de 200 éditions d’incunables, imprimées par près d’une centaine d’ateliers des Pays-Bas, de la vallée du Rhin, de l’Italie du Nord et de France. Récemment, ces livres ont fait l’objet d’un récolement par l’équipe patrimoniale à partir des notices préliminaires du Catalogue régional des incunables conservés en France, en vue de la finalisation du neuvième volume de cette collection, consacré à la région Nord-Pas-de-Calais. Ce vaste projet catalographique est initié dans la seconde moitié du XIX siècle, par Marie Pellechet, qui s’attèle au Catalogue général des incunables des bibliothèques de France. Elle commence à en publier des volumes dès les années 1870, mais elle ne peut achever son répertoire. C’est à partir de ce travail que l’on reprend le catalogage des incunables conservés en France, sous la forme des catalogues régionaux (CRI). e

La campagne de rédaction de ces catalogues est lancée en 1979 par la Direction du Livre et de la Lecture : le premier CRI réalisé est celui de Champagne-Ardennes, par Jean-Marie Arnoult. Tous les incunables conservés dans des collections publiques ou privées sont concernés, quel que soit le statut de l’établissement, à condition que l’accès aux collections soit possible. En 2012, près de la moitié des CRI est réalisée. Leur conversion rétrospective est en cours d’étude par le Service du Livre et de la Lecture (SLL) et le Centre d’Etudes Supérieures de la Renaissance de Tours. L’ancienne région Nord-Pas-de-Calais est une très riche en incunables (env. 1500 exemplaires), dont la plupart sont restés dans leurs lieux d’origine. C’est dans ce cadre que le CRI IX a été entamé et bien avancé dans les années 1980, par Frédéric Barbier alors conservateur à la bibliothèque municipale de Valenciennes. Le travail a été commencé à une époque où les standards de description étaient moins détaillés qu’aujourd’hui, notamment en ce qui concerne les données d’exemplaires. Un fascicule préliminaire, décrivant les collections d’Arras, de Bergues, de Lille et de Valenciennes, est publié par l’Association des Bibliothécaires de France en 1982. A la fin des années 1990, Pierre Aquilon, du Centre d’Etudes Supérieur de la Renaissance de Tours, reprend le travail de F. Barbier et complète les notices selon les nouveaux standards de description. En janvier 2012, le SLL, en accord avec la Direction Régionale des Affaires Culturelles pour le Nord-Pas-de-Calais, a décidé de relancer un chantier, en y associant les responsables des fonds anciens des bibliothèques concernées en région, avec la collaboration de P. Aquilon. Ils en confient la coordination au Centre Régional du Livre, qui la délègue à son tour à Marie-Claude Pasquet (bibliothécaire indépendante), afin de procéder à la remise à niveau des notices du CRI IX et de publier le volume. Celui-ci est désormais sous presse, c’est l’occasion pour la BAPSO de contribuer à la valorisation de cette collection à travers une nouvelle exposition patrimoniale, qui vous permettra de découvrir quelques-uns de ses fameux incunables. Marie Pellechet héliogravure de Dujardin - Montpellier, Médiathèque Municipale, Portrait 014

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U’EST-CE

QU’UN

INCUNABLE

?

Longtemps on a considéré, à la suite de Ferdinand Geldner (Inkunabelkunde: eine Einführung in die Welt des frühesten Buchdrucks, Wiesbaden, 1978), que le mot incunabula avait été employé pour la première fois dans le domaine du livre en 1640, dans le traité De ortu ac progressu artis typographicæ (Cologne, 1640) de Bernhard von Mallinckrodt (1591-1664) (ill. 5), doyen du chapitre cathédral de Münster. Dans cet ouvrage, Mallinckrodt s’efforce de démontrer que la ville de Mayence a joué un rôle plus important que la ville d’Haarlem dans le développement de l’imprimerie. Il y évoque les premiers imprimés sous le terme « incunable », et borne la période consacrée : ante annum secularem 1500 (p. 105) (avant l’année séculaire 1500 - une année séculaire est une année qui possède un millésime s’achevant par deux zéros). Bernhard von Mallinckrodt (1591-1664) entourage d’Anselm von Hulles, 1650 (Stadtmuseum Münster)

Mais en 2009, Yann Sordet, dans son article « Le baptême inconscient de l’incunable : non pas 1640 mais 1569 au plus tard » (Gutenberg Jahrbuch, n°84, p. 102-105), souligne qu’en réalité le doyen de Münster a très probaHadriani Junii , Batavia, Leyde : François I Ravlenghien, 1588 blement emprunté cette expression au médecin et phi(Saint-Omer, BA, inv. 3761) lologue hollandais Hadrianus Junius (1511/1512-1575), e qui l’emploie dès le milieu du XVI siècle. En effet, ce dernier consacre un chapitre au développement de l’imprimerie à Haarlem dans sa Batavia (Leyde en 1588) et emploie le terme incunabula pour évoquer les premières réalisations de l’art typographique (p. 256 - ill. 7 & 7bis). Chez Junius, il ne désigne pas directement les premiers livres imprimés, mais l’époque de l’invention du procédé typographique. Il explique que ce terme rappelle de manière métaphorique les premiers balbutiements de cette technique nouvelle encore « au berceau » (ad incunabulus en latin). La jeunesse de l’invention, pour Junius, se voit aux imperfections de ses premières réalisations : les feuilles étant imprimées sur une face seulement, une fois les cahiers pliés et le livre formé les pages blanches en regard ont dû être contrecollées afin d’éviter l’inélégance de pages entièrement vides. L’usage de ce terme reste extrêmement limité avant le XIX siècle, car on emploie alors plus souvent des périe phrases telles que : librorum ab inventa typographia ad annum 1500 (livres imprimés dans le XV siècle), etc. e e C’est aux XIX et XX siècle qu’il s’impose. La première occurrence en français date de 1802, dans le Dictionnaire raisonné de bibliologie de Gabriel Peignot. e

Hadriani Junii, Batavia, Leyde : François I Ravlenghien, 1588 (Saint-Omer, BA, inv. 3761)

Hadrianbus Junius, portrait gravé par P. Galle, 1572

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A

L’ORIGINE DES RECENSEMENTS D’INCUNABLES

Les premiers recensements d’incunables sont allemands. Ludwig Hain publie son Repertorium bibliographicum en 1828, avec Walter Arthur Copinger et Dietrich Reichling.

Walter Arthur Copinger (1847-1910)

Les Anglais suivent avec l’index de Robert Proctor : « Ce savant instaura une technique encore inconnue [Classement par pays, par villes, puis par ateliers dans l’ordre chronologique] qui eut un grand retentissement et donna, dans tous les pays, aux études typographiques, une impulsion irrésistible. Le catalogue des incunables du British Museum est le fruit direct de ces travaux et la consécration immédiate de ces méthodes ».

Robert Proctor (1863-1903)

C’est aussi en Angleterre, en 1980, que s’est mis en place l’Incunabula Short Title Catalogue. Bien que ces notices soient très abrégées, elles donnent un numéro d’identité à chaque édition, qui permet aux chercheurs de s’y référer de manière certaine. Cette base internationale recensait 30.350 éditions en 2014.

Aux États-Unis, le libraire Hans P. Kraus s’est servi des fiches bibliographiques de Marie Pellechet, récupérées pendant la Première Guerre Mondiale, pour constituer son « Inventory and Reference Library », mis en vente par Sotheby’s en 2003. Les pays germaniques ne sont, bien sûr, pas en reste, avec le Gesamtkatalog der Wiegendrucke (en français le Catalogue complet des incunables), Hans P. Kraus (1907-1988) porté par la Staatsbibliothek de Berlin. Le projet est commencé en 1904 et le premier volume est publié en 1925, suivi de six autres jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale. Les sept premiers volumes sont réédités après la guerre et augmentés de six opus supplémentaires. Désormais les notices sont informatisées. En France, le Catalogue Régional des Incunables se poursuit. Le volume IX, qu’illustre cette exposition pour la partie dévolue à SaintOmer, comprend également la description des incunables de : Arras, Avesnes-sur-Helpe, Bergues, Boulogne-sur-Mer, Bourbourg, Calais, Cambrai (BM et Archidiocèse), Douai, Hesdin, Lille (Bibliothèque Municipale, Bibliothèque universitaire, Bibliothèque de l’Université Catholique), Roubaix, Saint-Omer, Valenciennes (Bibliothèque et Archives), et de l’abbaye Saint-Paul de Wisques.

Gesamtkatalog der Wiegendrucke

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L ES

DÉBUTS

DE

L’IMPRIMERIE

Au Moyen Âge, la transmission des connaissances s’effectue au travers des copies e e manuscrites. Du V au XII siècles, ce sont les ateliers monastiques (scriptoria) qui e remplissent cet office. À partir de la seconde moitié du XII siècle, des ateliers laïcs prennent progressivement le pas, portés par le développement urbain et l’avènement des universités, qui génère une augmentation importante de la demande en livre. C’est ainsi que se développe un nouveau corps de métier : les libraires. Au XV siècle, les libraires expérimentent diverses techniques et tentent de reproduire les textes et les images mécaniquement. La gravure sur bois (xylogravure) connaît un certain succès. Les images pieuses collées aux manteaux des cheminées, aux fonds des coffres ou encore aux têtes de lit, que l’on voit parfois reproduites dans les tableaux des primitifs flamands, en témoignent. Mais la xylogravure ne peut reproduire des livres entiers : il faudrait une planche de bois gravée par page ! e

L’imprimerie avec des caractères mobiles en pâte de terre cuite a été inventée, e par l’alchimiste chinois Bi Sheng - 畢昇 (990-1051), au milieu du XI siècle. Cette technique se transmet en Corée avec Choe Yun-ui (1102-1162), qui conçoit les caractères métalliques, puis au Japon. Statue de Bi Sheng (Qingou Oriental Land Park)

On ne sait pas comment lui en est venue l’idée, mais il faut attendre encore 300 ans pour que l’orfèvre mayençais Johannes Gensfleisch, dit Gutenberg (1400 ?-1468) expérimente un procédé similaire en Europe. Il est probable que sa connaissance de la technique métallographique (matrice dans laquelle on coule le métal en fusion), qu’utilisent les graveurs, les orfèvres et les fondeurs, l’a guidé sur la voie. Exilé de Mayence pour des raisons politiques, c’est d’abord à Strasbourg qu’il débute ses travaux sur l’imprimerie. Puis, il retourne dans sa ville natale en 1438 et contracte un emprunt de 800 florins auprès de Johann Fust, contre des intérêts et le gage de sa presse et de ses outils. Entre 1450 et 1454, Gutenberg peaufine la production des caractères en métal (alliage de plomb, fer, étain et antimoine) et teste la presse à bras et l’encre en imprimant de petits documents : poèmes, grammaire latine de Donat, lettres d’indulgence. Une fois la technique définitivement mise au point, Gutenberg et ses associés, Peter Schöffer et Johann Fust, impriment les premiers exemplaires du texte de la Bible. Ils en produisent alors 180 exemplaires.

Peter Schöffer (1425-v. 1503)

Cette technique se répand rapidement dans environ 150 villes européennes. À l’époque, la France est le troisième pays producteur d’incunables, après l’Allemagne et l’Italie.

Gutemberg, gravure extraite de Portrait et histoires des hommes utiles, Paris, Société Montyon et Franklin, 18.. (Saint-Omer, BA, Cabinet des estampes, P.FG.G.00075)

Donat, imprimé par Gutenberg vers 1454-56 (Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Rar. 103,1)

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À

QUOI ÇA RESSEMBLE UN INCUNABLE ?

Les premiers imprimés s’inspirent directement des L’imprimerie n’a pas supplanté la production manuscrits, qui conservent un certain prestige.Outre manuscrite du jour au lendemain. Des l’ascendance prestigieuse des manuscrits, cette vo- manuscrits continuent d’être produits et lonté de se rapprocher au plus près des écritures à la vendus pendant encore au moins un siècle. main est aussi motivée par des habitudes de lecture établies depuis plusieurs siècles, qui auraient rendu difficile le déchiffrement de volumes imprimés avec des caractères radicalement différents des lettres manuscrites. La mise en page du livre va néanmoins lentement évoluer. Les lettres gothiques sont progressivement reme placées par les lettres romaines ou des bâtardes inspirées des écritures courantes du XV siècle. On s’adapte aussi à l’évolution même de l’écriture manuscrite. Ainsi, les lettres italiques sont commandées par l’imprimeur vénitien Alde Manuce à son typographe Griffo, afin d’imiter au mieux l’écriture que développent les humanistes de la Renaissance.

Le premier volume de Vincent miroir historial. Trad. Jean du Vignay. Paris : Antoine Vérard, I) 29 IX 1495 ; II et III) [inter IX 1495 et IV 1496] ; IV) [s.d.] ; V) 7 V 1496. (Saint-Omer, BA, inc. 132)

Parthenica secunda, sive Catharinaria. Add. Franciscus Ceretus. Baptista Mantuanus : In Robertum Severitatem panegyricum carmen. Somnium Romanum. Epigrammata ad Falconem. In divum Albertum carmelitam carmen. De Vita divi Ludovici Morbioli. De contemnenda morte. – Paris : Georg Wolf [et Johann Philippi,] 1494. – 4°. (Saint-Omer, BA, inc. 116-4)

Entre autres emprunts à la traduction du livre manuscrit, les libraires impriment aussi souventuncolophon(dugrecancien κολοφών : « couronnement », « sommet », « achèvement ») qui indique le nom de l’imprimeur et/ou du libraire, avec la date et le lieu d’édition. Rapidement, les imprimeurs veulent se différencier les uns des autres et apposent leur marque en tête et/ ou en fin de volume. Au début de l’imprimerie, les volumes sont vendus sous la forme de blocs de pages non reliés, la reliure étant à la charge Missel d'Odoard de Bersacques, prévôt de la de l’acheteur. Les premiers imcollégiale de Saint-Omer, chapelain puis grand primés n’ont souvent même pas aumônier de Charles Quint, Bruges, atelier de Simon Benning, 1530-1558 de page de titre et commencent (Saint-Omer, BA, ms. 60) immédiatement par les premiers e mots du texte ou incipit. Il faut attendre la fin du XV siècle pour que la page de titre s’impose. D’abord très simple, elle est ensuite de plus en plus travaillée. Afin d’éviter que cette page ne s’affadisse à la lumière, les libraires prennent l’habitude de la protéger d’une feuille vierge inscrite à la main d’une mention abrégée du titre, c’est ce que l’on appelle le « faux titre ». Par la suite, ces faux titres sont eux aussi imprimés.

Missel à l’usage de Tournais, Paris : Johannes Higman, pour Willem Houtmaert, 20 X 1498. (Saint-Omer, BA, inc. 14)

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L E

DÉCOR

DES

INCUNABLES

Comme pour la mise en page, la décoration des premiers imprimés s’inspire de celle des manuscrits. Ce décor est d’ailleurs lui-même fait à la main dans de nombreux cas. En effet, dans un premier temps, les impressions se font uniquement en noir. Tous les éléments de couleur sont ajoutés à la main dans un second temps. C’est le cas notamment des éléments de structuration de la page, tels que les intitulés ou les débuts de textes. Souvent inscrits en rouge dans les manuscrits, on les appelle, pour cette raison, des « rubriques » (du latin ruber : « rouge »). C’est le cas dans la Bible de Gutenberg par exemple. Toutefois, assez rapidement, cette méthode chronophage est abandonnée et on imprime les titres en noir, en se contentant de les souligner en rouge éventuellement. D’ailleurs, il est probable que ce soulignement soit le fait du possesseur et non de l’imprimeur. Les lettrines, en revanche, sont généralement exécutées à la main par un enlumineur, guidé par les « lettres d’attentes ». Celles-ci sont de minuscules caractères imprimés ou inscrit à l’encre noire dans les espaces où le peintre doit intervenir, qui lui indiquent quelle lettre il doit peindre. Comme pour les manuscrits, il arrive que cette intervention soit abandonnée faute d’argent. Parfois, à l’inverse, ces lettres enluminées sont aussi travaillées que dans les manuscrits.

Lettre d’attente (Saint-Omer, Ba, inc. 36)

Lettre enluminée (Saint-Omer, BA, inc. 10)

Lettre enluminée (Saint-Omer, BA, inc. 5)

Rapidement néanmoins, un décor plus important va se développer, avec, d’une part, les lettrines, ou « lettres grises » quand elles désignent un ornement typographique, et, d’autre part, les bois gravés insérés dans les livres. Les premiers bois gravés sont les « bandeaux » qui viennent agrémenter les pages de titre et remplacent les ornements marginaux des manuscrits. Il y a aussi les marques d’imprimeurs, qui renforcent l’identification sur la page de titre, ou à la fin de l’ouvrage, servant de bandeau publicitaire avant l’heure.

Lettre grise figurant la Pentecôte (Saint-Omer, BA, inc. 84)

Page de titre ornée de "bandeaux" (Saint-Omer, BA, inc. 31-2)

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L A

GRAVURE DANS INCUNABLES

LES

Les ouvrages réalisés au moyen de la gravure sur bois, appelés xylographes, précèdent la production des premiers livres imprimés. S’ils ne font pas flores en raison de leur coût de production trop élevé, le principe de la gravure sur bois pour orner les livres perdure et se développe pendant plusieurs siècles. Les artistes s’inspirent souvent des cycles iconographiques des grandes traditions manuscrites, comme c’est le cas des missels ou des psautiers, des grands ouvrages narratifs tels les Grandes Chroniques de France, les classiques de l’Antiquité et certains ouvrages scientifiques. Il n’est d’ailleurs pas rare que les dessinateurs des patrons pour les bois gravés soient eux-mêmes enlumineurs, tel le Florentin Francesco Roselli (1445-1513), élève de l’enlumineur Francesco del Cherico, aussi très connu pour ses gravures de cartes géographiques et une série de gravures de la vie de la Vierge et du Christ. Le phénomène est partie culièrement bien renseigné en France pour le XVI siècle.

Chroniques de France, Paris : Jean Maurand, pour Antoine Vérard, 10 IX 1493 (Saint-Omer, BA, inc. 99)

Terentius Afer (Publius), Comodiæ. Commentares de Donatus, Guido Juvenalis, Ascensius Badius (Jodocus). Add. Vita Terentii. Strasbourg : Johannes Grüninger, 11 II 1499 (Saint-Omer, BA, inc. 76)

Hortus sanitatis. – [Strasbourg : Johannes Prüss, non post 21 X 1497]. (Saint-Omer, BA, inc. 63)

Les matrices de ces gravures coûtent cher et font partie du fonds de commerce. Elles sont souvent réemployées dans des contextes divers. De même, leurs modèles circulent beaucoup et, comme il n’y a pas de copyright à cette époque, il n’est pas rare qu’un libraire fasse copier les motifs d’un livre concurrent pour les intégrer à sa propre production. Ainsi, il ne faut pas s’étonner de retrouver le bois illustrant le chapitre sur l’ail de l’Hortus Sanitatis (Jardin de santé), imprimé à Strasbourg par Johann Prüss en 1497, dans un volume des œuvres d’Horace, imprimé aussi à Strasbourg, mais par Johann Reinhard Grüninger, en 1498. Le même esprit d’économie incite régulièrement les imprimeurs à recomposer des scènes à partir de plusieurs bois, voire à découper ces derniers pour en isoler des morceaux de paysages ou des personnages afin de les remployer dans d’autres scènes. Cette pratique est trahie par la présence de lignes blanches au niveau de la jonction des bois dans une même scène et par des bois similaires dans des scènes différentes.

Terentius Afer (Publius), Comodiæ. Commentares de Donatus, Guido Juvenalis, Ascensius Badius (Jodocus). Add. Vita Terentii. Strasbourg : Johannes Grüninger, 11 II 1499 (Saint-Omer, BA, inc. 76)

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L A

COULEUR DANS INCUNABLES

LES

Le livre imprimé laisse globalement une place moins importante à la couleur que le manuscrit. Ne serait-ce que l’encre d’écriture, dont la couleur varie plus facilement dans les manuscrits que dans les livres imprimés. Ces derniers sont, en effet, produits à l’aide d’une encre de composition différente de celle des manuscrits, plus poisseuse pour adhérer aux caractères de la presse, séchant moins vite, elle peut être produite en plus grande quantité. Cela réduit ainsi considérablement les variations de teinte de l’encre au sein d’un même volume. L’enluminure est également un peu moins présente. Si au début de l’imprimerie, la rubrication des volumes reste assez systématique, celle-ci se fait progressivement plus rare, au fur et a mesure de l’enrichissement des signes typographiques : pieds-de-mouche, lettrines de casses différentes, accolades et autres astérisques.

Epistolae. Ed. Adrianus de Brielis. – Mayence, Peter Schöffer, 7 IX 1470 (Saint-Omer, BA, inc. 16)

L’adjonction de couleur devient alors un élément de luxe, souvent dévoe lu à des enlumineurs, dont l’activité fleurit encore jusqu’à la fin du XVI siècle. Libre à l’acheteur de faire enluminer son livre, s’il en a les moyens. Là encore, la mise en couleur peut être plus ou moins fine, plus ou moins riche, allant de simples rehauts dans certains bois à de riches lettres ornées et à la mise en peinture des illustrations quand il y en a.

Nicolaus Panormitanus de Tudeschi, Lectura super V libris Decretalium. – Venise, Johannes de Colonia et Johannes Manthen, III, 1475-1477 (Saint-Omer, BA, inc. 51)

Aristoteles, Lapidarius. Quomodo virtutes pretiosorum lapidum augmentantur. Physiognomia. – Merseburg : [Lucas Brandis,] 20 X 1473 (Saint-omer, BA, inc. 68)

L’ajout de métaux précieux, comme c’est souvent le cas dans l’enluminure médiévale, est cependant plus rare, en raison de la difficulté de faire adhérer ces substances métalliques sur le papier.

Armoiries de la branche parisienne de famille de Saint-Yon : d’Azur à la croix estrée d’or, losangée de six pièces de gueules en pal et de quatre du même couchées en face, cantonnée de quatre cloches d’or bataillées de sable. On note la présence d’une brisure : la pièce médiane de la croix est chargée d’une fleur d’argent. Un certain Garnier de Saint-Yon a été garde de la bibliothèque de Charles VI, sous la régence du duc de Bedford, de 1412-à 1413 et de 1418 à 1429, juste avant la dispersion de la bibliothèque royale. (Saint-Omer, BA, inc. 99)

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L ES

INCUNABLES DE SAINT-BERTIN

La bibliothèque d’agglomération du Pays de Saint-Omer est dépositaire d’une importante collection de livres et de documents anciens, qui témoigne de la richesse culturelle de l’Audomarois depuis le Haut Moyen Âge jusqu’à l’époque contemporaine. La majorité des livres anciens de la bibliothèque proviennent du dépôt littéraire de Saint-Omer constitué en ventôse de l’an II de la République (février 1793), et donc des confiscations révolutionnaires dans les grandes maisons religieuses de la région. On y conserve actuellement 210 éditions incunables, réparties en 135 volumes, dont 41 recueils. C’est une collection qui reflète bien l’histoire culturelle audomaroise par son contenu dont 131 provenances institutionnelles nous sont connues, soit presque la totalité des volumes. En premier lieu, se trouve l’abbaye de Saint-Bertin, fondée au milieu du VII siècle, dont le scriptorium a été l’un des plus importants et des plus actifs de la région. Il ne faut donc pas s’étonner que parmi les provenances connues des incunables audomarois, Saint-Bertin n’arrive qu’en seconde position avec 13 livres – sous réserve d’identifier la provenance des autres volumes. e

La richesse en manuscrits de sa bibliothèque a probablement rendu inutile l’acquisition de versions imprie mées à la fin du Moyen Âge. D’ailleurs, la plupart de ces volumes du XV siècle semblent avoir rejoint la bibliothèque de l’abbaye que bien plus tard, peut être au titre d’objet de collection plus que pour leur utilité réelle. Ainsi, le fameux exemplaire de la Bible de Gutenberg porte l’ex-libris de l’abbé Mommelin le Riche, qui dirige l’abbaye entre 1706 et 1723. Or Saint-Bertin possède déjà un grand nombre d’éditions bibliques à cette époque. L’ex-libris de Mommelin se trouve également dans le volume des épîtres de Jérôme imprimé à Strasbourg par Johann Mentelin après 1469.

Ex-libris de Saint-Bertin : BONIFACIUS VIII, pape, Liber sextus Decretalium. Comm. Johannes Andreae. – Speyer : Peter Drach, 17 VIII 1481 (Saint-Omer, BA, inc. 48)

Ex-Libris armorié de Momelin le Riche abbé de Saint-Bertin : d'azur au chevron d'argent accompagné de trois roses de même à cinq feuilles, posées deux et une (Saint-Omer, BA, inc. 1)

Il nous faut cependant relativiser l’hypothèse d’acquisition des incunables portant l’ex-libris de Mommelin le Riche par ce dernier. En effet, il peut s’agir aussi d’un simple témoignage du financement d’un train de reliure sur les fonds propres de l’abbé ou d’une sélection par ce dernier parmi les livres de l’abbaye pour se constituer une bibliothèque personnelle. La plupart des autres incunables de Saint-Bertin portent des mentions datées du XVII siècle. e

Liber dictus practica noua usui fratrum | in cenobio Sithiu p famulantium deputatus | atque secunda aprilis anno 1513 ex manibus Simonis Telier | fratris magistri Petri Telier huius cenobii balivi redemptus” (XVIe s.) (Saint-Omer, BA, inc. 53)

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A

UTRES PROVENANCES AUDOMAROISES

La plus importante collection audomaroise d'incunables est celle de la Chartreuse du Val-Sainte-Aldegonde à Longuee nesse, dont la fondation remonte à la fin du XIII siècle (1298). Cet ensemble comprend dix-huit volumes avec des ex-libris e majoritairement du XV siècle. Le contenu de la bibliothèque des Chartreux de Longuenesse attend encore d’être étudié. Toutefois, il est déjà intéressant de constater qu’il ne nous en reste qu’une vingtaine de manuscrits dont la provenance est attestée, soit à peine plus que d’incunables. Par ailleurs la plupart des manuscrits des Chartreux sont des livres de dévotion, tandis que leurs incunables présentent une plus grande diversité de contenu.

Ex-libris et ancienne cote des chartreux de Ste-Aldegonde : “liber cartuSiensium Ppe Scm audomaru” (XVe-XVIe s.). – “S xix” (Saint-Omer, BA, inc. 109)

Le mode de fonctionnement des couvents de Chartreux, où les religieux vivent isolés dans leur cellule, n’a probablement pas facilité la constitution d’une vaste bibliothèque commune dans les premières années de l’existence de cette maison. Il semble néanmoins que le développement de l’imprimerie ait facilité l’achat de livres pour la communauté, qui a ainsi pu enrichir leur collection à l’époque moderne.

La troisième provenance la plus importante est celle du Séminaire episcopal, créé en 1604 par l’évêque Jacques Blase. Cet ensemble compte douze incunables, donc cinq ont été offerts par un certain François-Joseph De Lannoÿ, chanoine de Notre-Dame de Saint-Omer. Le patronyme « de Lannoÿ » est assez répandu dans la région, de sorte que l’on ne peut affirmer que ce chanoine appartienne à l’illustre famille des comtes de Lannoy.

Ex libris : J. de Lannoÿ p. i. can aud” (XVIIe s.) ; “Bbliothecae seminarii Audomarensis ex dono r.d. de Lannoy, eiusd. seminarii præsidis”. (Saint-Omer, BA, inc. 49)

Reliure aux armes de Jacques Blase (1540 ?-1518), 6e évêque de Saint-Omer de 1600 à 1618 : coupé d'azur et de sable, au sautoir d'argent surchargé d'un surchargé d’un sautoir alaisé potencé de gueules brochant sur le tout, accompagné, en chef, d’une couronne traversée de deux palmes adossées passées en sautoir, le tout d’or, et, en pointe, d’un poignard du même garni d’or, la pointe en bas. (Saint-Omer, BA, inc. 102)

Après le Séminaire, vient l’abbaye Notre-Dame de Clairmarais, fondée à la fin du XII siècle. Elle possédait également une belle bibliothèque d’où proviennent dix incunables. e

inc. 72

Enfin, cinq volumes appartenaient aux Capucins de Saint-Omer, sept aux Jésuites anglais, quatre à l’évêque Jacques Blase, quatre aux Dominicains, trois aux Franciscains, trois au Chapitre de Notre-Dame, un aux Jésuites français et un aux Carmélites.

Ex-libris armorié de Joseph Maillart (1643-1717), 51e abbé de Clairmarais (de 1688 à 1717) : d'azur, au sautoir dentelé d’argent cantonné de 4 maillets du même. (Saint-omer, Ba, inc. 72)

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L A

BIBLE DE GUTENBERG DE SAINT-OMER

Le plus célèbre de nos incunables, et probablement aussi de tous nos livres anciens, est sans conteste la Bible, imprimée sur papier, avant août 1456, par Johannes Gutenberg à Mayence. La bibliothèque possède en effet le seul exemplaire conservé en province des quatre possédés par la France (les trois autres sont à la Bibliothèque Nationale), sur les 49 repérés à ce jour dans le monde. A l’origine, les deux volumes de cette Bible étaient composés de 648 et 634 pages à 42 lignes, totalisant 2564 colonnes, soit plus de trois millions de caractères. Les spécialistes estiment qu’elle a demandé 1282 journées de travail que se sont partagées six ouvriers. Ces derniers ont donc œuvré en moyenne 213 ou 214 journées sur un peu plus de sept mois de travail. Liste des livres bibliques du volume (Saint-Omer, BA, inc. 1)

L’exemplaire audomarois est incomplet puisqu’il ne comprend que le premier tome, contenant l’Ancien Testament, dont le détail des livres est inscrit à la main dans la marge supérieure du premier feuillet. Elle est imprimée sur papier et en excellent état

C’est une impression très sobre, qui ne comprend qu’une seule initiale filigranée au début des Psaumes. Elle est imprimée sur papier et en excellent état [encart].

Page manuscrite sur parchemin (Saint-Omer, BA, inc. 1, f. 241verso, détail)

Elle a toutefois fait l’objet d’une restauration au e XVII siècle. On lui a remplacé le feuillet 241 par une page de parchemin, dont l’écriture semble chercher à imiter la typographie du volume. La reliure n’est plus celle d’origine mais on a pris soin de conserver l’ex-libris armorié de l’abbé Mommelin le Riche qui se trouvait sur le contreplat supérieur de la reliure d’origine. Elle a été remplacée lors d’une autre restauration, réalisée en 1953. C’est à Marie Pellechet que l’on doit la « redécouverte » de cette Bible en 1892, dont l’annonce fut publiée l’année suivante dans le Journal des Savants. Mais, en réalité, le volume avait déjà été identifié vers 1807 par J.-C.-J. Aubin, premier bibliothécaire de Saint-Omer, dans son catalogue, repris par Hector Piers dans ses Variétés historiques sur la ville de Saint-Omer (1832, p. 199-201).

Page imprimée sur papier (Saint-Omer, Ba, inc. 1)

Plusieurs copies ont été imprimées sur parchemin et certains richement enluminées, dont celle conservée à la Bibliothèque du Congrès à Washington, celle de la Pierpont Morgan Library de New York et l’un des exemplaires de la Bibliothèque Nationale de France.

Jean-Charles Joseph Aubin, notice catalographique de la Bible de Gutenberg de Saint-Omer (Saint-Omer, BA, ms. 842-1, p. 13-14-15)

initiale B filigranée au début du livre des Psaumes (Saint-Omer, BA, inc. 1)

incu... LES INCUNABLES AUDOMAROIS AU BERCEAU DE L’IMPRIMERIE


L

ES « RARISSIMES » DE SAINT-OMER

Si la collection audomaroise d’incunables est quantitativement relativement modeste, elle compte cependant quelques éditions rares ou célèbres dans le monde des bibliophiles, en plus de sa Bible de Gutenberg. Entre autres raretés, la BAPSO conserve également l’un des neuf exemplaires actuellement recensés dans le monde, du Sermo super psalmum L : Miserere mei Deus de Jean Chrysostome, imprimé par Ulrich Zell à Cologne en 1466.

JJea Chrysostome, Sermo super psalmum L : Miserere mei Deus. – [Köln :] Ulrich Zell, 1466. (Saint-omer, Ba, inc. 118)

Elle a aussi un unicum

Il s’agit de la confirmation de la nomination de Jean le Vasseur, prieur des Dominicains de Saint-Omer, comme inquisiteur dans les diocèses de Thérouanne, Cambrai, Arras et Tournai. Celui-ci a été imprimé probablement à Audenarde chez Arend de Keysere, ou à Louvain, chez Herman van Nassau et R. Loeff, le 15 juin 1480.

inc. 140

Confirmation de la nomination de Jean le Vasseur, Prieur des dominicains de Saint-Omer, comme Inquisiteur dans les diocèses de Thérouanne, Cambrai, Arras et Tournais. Pays-Bas méridionaux (Audenarde : Arend de Keysere ou Louvain : Herman van Nassau et R. Loeff), [15 juin] 1480 (Saint-Omer, BA, inc. 140)

Plus récemment encore, nous avons trouvé, dans l’une de nos e reliures du XVI siècle, deux rares placards anopisthographes (terme signifiant « qui ne sont pas imprimés au verso ») sur parchemin. Il s’agit d’indulgences, imprimées sur parchemin, promulguées au nom de Raymond Perraud, commissaire pontifical, pour inciter les Chrétiens à prendre part à l’expédition contre les Turcs, imprimées à Lübeck par Steffen Arndes, vers 1490. (Saint-Omer, BA, inc. 143 contreplat sup. de l'inv. 2208)

Par ailleurs, des découvertes ont été faites récemment. En 2013, un nouvel incunable est ajouté à notre collection : il s’agit du Circa materiam statutorum de Baldus de Ubladis, imprimé à Milan, par Uldericus Scinzenzeler en juillet 1497. Il constituait la seconde pièce d’un recueil qui n’avait pas été dépouillé.

inv. 4703bis

(Saint-Omer, BA, inc. 142)

En 2015, c’est un fragment du feuillet signé s2 de l'édition vénitienne de la Somme Théologique de Thomas d’Aquin (Part. 2, qu. 90, art. 1) imprimée par Johannes de Colonia et Johann Manthen le 20 juin 1480. Celui-ci était intercalé parmi les gardes d’un petit Psautier hébreu, imprimé par Froben en 1563, provenant du collège des Jésuites anglais de Saint-Omer.

Enfin, durant l’été 2018, un autre incunable est retrouvé parmi les pièces d’un recueil. Il s’agit du Fasciculum temporum de Werner Rolevinck, imprimé à Venise par Erhard Ratold le 8 septembre 1485.

(Saint-Omer, BA, inc. 144)

inc. 140

inc. 140

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