En guise d’introduction
Video : Taille d’une plume d’oie Planche de l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert : la taille de la plume Article : ecritures dans l’encyclopédie
Les matériaux du livre au Moyen Âge Jusqu’au XIIe siècle, la grande majorité des livres est réalisée en parchemin, soit de la peau de bête, le plus souvent du veau ou du mouton, préparée de façon à pouvoir recevoir les encres et les pigments. Une peau de mouton permet de réaliser 4 feuilles de grand format. Cela signifie qu’une cinquantaine de bêtes est nécessaire à la réalisation d’un manuscrit de 200 feuillets. La préparation de la page est longue et laborieuse. Il faut d’abord la poncer pour éliminer les aspérités qui peuvent gêner le glissement de la plume et provoquer des taches. Puis, on saupoudre la page de craie pour éliminer le gras. Le copiste trace ensuite la piqûre fig. 1 (petits trous à intervalles réguliers sur les bords de la page) et la réglure (traçage de lignes droites) au stylet (instrument de forme pointue) ou à la mine de plomb (ancêtre du crayon de bois).
Quant au vélin, parchemin d’une grande finesse et d’une grande souplesse, il provient de la peau de veaux morts à la naissance, ce qui explique sa rareté. Une légende antique relate que la bibliothèque de la ville grecque de Pergame fait concurrence à celle d’Alexandrie, au point que le Pharaon décide de ne plus lui fournir de papyrus. Le roi de Pergame est alors contraint de trouver un autre support d’écriture, et c’est ainsi qu’est inventé le pergamentum.
principal en noir. Puis, dans les espaces réservés à cet usage, on ajoute la rubrique (du latin ruber qui veut dire rouge). Il s’agit des éléments de repérage écrits en rouge : titres, marques de paragraphes, numéros de chapitres, etc. Vient ensuite le décor enluminé avec, en premier lieu, les initiales dont la taille et l’ornement varient en fonction de leur place dans le manuscrit : livre, partie, chapitre, paragraphe. Le reste du décor comprend des éléments qui illustrent ou commentent le texte.
Le plus souvent les pigments sont d’origine minérale ou végétale (noir de fumée, brou de noix), et sont mêlés à un liant d’origine végétale (noix de galle*, gomme arabique*), ou animale (colle de poisson, jauned’œuf).
Fig. 1 : BASO, ms. 142, f. 30 : détail de la piqure et de la réglure, XIIIe siècle.
L’oxyde de fer (la rouille) appelé minium en latin et employé pour obtenir du rouge, a donné le mot miniature parfois employé pour désigner les enluminures.
L’écriture se fait sur des feuillets isolés de parchemin. On commence par le texte
Parmi les pigments colorés il y a le lapis-lazuli ou l’azurite qui donnent le bleu. Le vert est obtenu avec de l’oxyde de plomb (le vert-de-gris), quant au carbonate de plomb (céruse), il sert à faire le blanc. Pour les textes les plus sacrés ou les plus prestigieux, il n’est pas rare que l’on emploie de l’encre d’or chrysographie ou d’argent chalcographie, et que le parchemin soit teinté à la pourpre, la couleur des empereurs.
Les feuillets sont ensuite regroupés en cahiers cousus ensemble sur des nerfs, eux-mêmes fixés aux ais (planches) de bois. Ces ais sont recouverts d’une couvrure en cuir pour les protéger.
Fig. 3 : BASO, ms. 216, plat inférieur de la reliure avec fenêtre en corne et trace de boulons, reliure en peau de cervidé, fin du XIIe siècle ou début du XIIIe.
Fig. 2 : BASO, ms. 236, f. plat supérieur de la reliure avec boulons et fermoirs, reliure en veau brun a décor de filets dessinant des losanges et de petits fers à froid, XVe siècle.
La couverture des manuscrits est souvent protégée par de gros clous métalliques fig. 2, les boulons, placés aux angles. Ils servent à éviter le frottement du cuir de reliure contre les rayonnages puisque les manuscrits sont rangés à plat.
Afin de ne pas se tromper dans l’ordre des cahiers, ceux-ci reçoivent une signature fig. 4 (un numéro) et une réclame : les premiers mots du premier feuillet du cahier suivant.
On ajoute aussi parfois une « fenêtre », petite lamelle de corne ou de mica (minéraux) sous laquelle est glissé un morceau de parchemin avec le titre de l’œuvre fig. 3. Lorsque le livre est en accès libre, il est souvent attaché par une chaîne à son pupitre.
Fig. 4 : BASO, ms. 50, f. 34v., signature de cahier.
L’exposition
Fig. 1 : Zacharie de Besançon, In unum ex quatuor (BASO, ms. 30, f. 54) : initiale M historiée d’un copiste au travail (l’auteur ?), Saint-Bertin, vers 1175-1199.
Retrouvez les enluminures sur la Bibliothèque numérique de la Bibliothèque d’agglomération de Saint-Omer
NB : Les legendes soulignées en dessous des illustrations renvoient au document numérisé quand il existe.
L’enluminure, un art lumineux L’enluminure est la peinture pratiquée dans les livres. Le mot vient du latin illuminare, qui signifie « éclairer ». Au Moyen Âge, on considère que la couleur est une émanation de la lumière : l’acte d’appliquer de la couleur sur une page est donc perçu comme une mise en lumière de celle-ci.
Pierre Lombard, Sentences (BASO, ms. 159, f. 119v.) : initiale Q historiée figurant un saint évêque écrivant, Saint-Bertin (?), fin du XIIe siècle ou déb. du XIIIe s.
Speculum Humanae Salvationis (BASO, ms. 236, f. 68v.) : Moïse recevant les tables de la loi, France du Nord, fin du XVe siècle.
Au Moyen Âge, le livre acquiert une valeur hautement spirituelle et sacrée. En effet, le Christianisme accorde, en tant que religion du Livre, une attention toute particulière à l’écriture. La dimension spirituelle de l’enluminure médiévale reste présente, de manière plus ou moins forte selon les époques.
D’un point de vue esthétique, ces peintures sont conditionnées par leur situation sur les pages des livres. Elles peuvent être des compositions étroitement liées au texte ou purement ornementales. Les données de composition d’une image (profondeur, couleurs, lignes…) traduisent souvent la pensée et la spiritualité de l’art médiéval.
Gratien, Décret avec la glose de Barthélémy de Brescia (BASO, ms. 433, f. 296) : ill.de la cause 34 (France du Sud ou Italie du Nord, 1350-1399.
Saint-Omer, Librairie Jeanjean, carte postale (BASO, 1Fi 168) : Vue de NotreDame en 1q835.
La production de livres en Morinie au Moyen Âge La lecture des textes sacrés est au cœur de la spiritualité monastique. Toute abbaye se doit de posséder une collection de manuscrits, bien rangés à plat sur les rayonnages de ses armoires à livres. Pour la constituer, elle peut bénéficier de dons de mécènes ou d’autres maisons religieuses mais souvent, elle se dote d’un scriptorium (atelier d’écriture) afin d’enrichir ses collections en copiant des ouvrages prêtés pour l’occasion.
Le scriptorium (atelier d’écriture) n’est que rarement une structure permanente dans une abbaye, sauf si celle-ci a fait de la production de livres son activité principale. Il est mis en place en fonction des besoins de la communauté, puis supprimé lorsque ces besoins ont été satisfaits. Ainsi, les nombreux incendies que Saint-Bertin a subit durant la première moitié du Moyen Âge correspondent à chaque fois à de lourdes destructions de ses livres et à une intensification de l’activité de copie des moines.
Librairie Jeanjean, carte postale (BASO, 1Fi 187) : Ruines de Saint-Bertin en 1820.
La Collégiale Notre-Dame ne devient cathédrale qu’après la destruction de Thérouanne par Charles Quint en 1553.
Située dans la province ecclésiastique de Reims, diocèse de Thérouanne (archidiaconé de Morinie), une abbaye dédiée à Saint Pierre est fondée en 649 sur les terres données à l’évêque Omer par le seigneur morin Adroald, pour convertir les populations locales. En 746 elle prend le vocable de Saint-Bertin, du nom de son second abbé, et connaît rapidement un grand essor, grâce au rayonnement de son fondateur et à la prévoyance des premiers abbés. Le rôle important de
L’abbaye de Saint-Bertin dans la formation du clergé local est l’un des moteurs de la production de livres au sein de ses murs. La Collégiale de Notre-Dame de SaintOmer est née en 820 d’une séparation opérée entre les moines du monastère bas (abbaye de Saint-Bertin) et ceux de l’église haute (église dédiée à la Vierge sur le mont Sithiu) qu’Omer fait édifier en 662. Cette dernière est sécularisée et confiée à 30 chanoines. Ils possèdent des livres pour assurer le service liturgique et d’autres manuscrits prestigieux comme en témoigne une Vie de Saint Omer du XIe siècle superbement illustrée. Certains chanoines ont eux-mêmes copié des manuscrits comme Lambert, qui a connu une grande renommée avec son Liber
Floridus.
Adrien de Montigny, recueils de vues cavalières des processions du Duc Charles de Croÿ, (Prague, Národní Knihovna Ceské republiky, ms. XXIII/A9/1, f. 75) : Chartreux près St Omer [La chartreuse du Val de Sainte-Aldegonde (Longuenesse)], vers 1590-1607 ©
Retrouvez le recueil :
Vues cavalières des processions du Duc Charles de Croÿ, (Prague, Národní Knihovna Ceské republiky, ms. XXIII/A9/1, f. 75) sur le site : http://www.manuscriptorium.com/?q=fr
Dom Bertin de Vissery, Synopsis historiae cronologicae […] monasterii Beatae Mariae de Claromarisco, Clairmarais, 1748, (BASO, ms. 850-1, dessin encarté entre les f. 120-121) : Vue cavalière annotée du complexe abbatial de Clairmarais.
Le prieuré de Clairmarais est fondé en 1128 par l’abbé des Dunes (l’abbaye des Dunes était située près de Furnes en Belgique). D’abord placé sous la règle bénédictine, il devient, grâce à Bernard de Clairvaux, une abbaye cistercienne en 1137 et édifiée sur son emplacement définitif en 1166. Elle bénéficie des largesses de puissants seigneurs comme les Rois d’Angleterre ou les Comtes de Flandres, ce qui lui permet de se doter d’une belle bibliothèque dès la fin du XIIe siècle. L’abbaye l’enrichit par une activité de copie au sein de ses murs comme en attestent quelques noms de scribes cités dans le nécrologue de l’abbaye. Le plus ancien apparaît en 1175. La Chartreuse du Val-Sainte-Aldegonde est fondée en 1298-1299 par les seigneurs de Sainte-Aldegonde. Elle a très tôt pour vocation d’accueillir les cadets des
notables locaux. On ne peut pas attester d’une réelle activité de copie au sein de cette institution. En revanche, plusieurs artistes ou ateliers audomarois de talent, actifs dans la seconde moitié du Moyen Âge (XIIIe – XVIe siècles) ont été mis en évidence et souvent nommés d’après leur manuscrit de référence : « maître / atelier du ». Malgré leur contribution au rayonnement artistique de la ville, leur nom n’a été que très rarement conservé.
C’est aussi probablement le cas pour les nombreuses autres maisons religieuses de la région, dont la taille ne permet d’envisager qu’une production occasionnelle de livres à usage personnel peu ou pas ornés.
L’enluminure du Haut Moyen Âge Le Haut Moyen Âge désigne la période de l’histoire de la chrétienté d’Occident située entre la chute de Rome en 476 et la fin du Xe siècle. Pour notre territoire, cela comprend la période couverte par les dynasties mérovingienne (481-751) et carolingienne (751-987).
barbare perdure dans les lettres ornées et les entrelacs fig. 3. Parallèlement, les compositions narratives se développent notamment pour les textes sacrés (vies de saints, psaumes…).
Fig 1 : Jérôme de Stridon,
Commentaire des Psaumes
(BASO, ms. 15, f. 103) : initiale Q ornée, Saint-Bertin, 1e moit. du IXe s.
L’enluminure des âges barbares et de l’époque mérovingienne témoigne d’une sensibilité particulière pour l’abstraction géométrique fig. 1 et la figuration animale fig. 2. Cette forme d’expression vient notamment de l’orfèvrerie, art particulièrement développé chez les Francs et autres peuples germaniques, dont le caractère très graphique est facilement transposable sur parchemin. A cette époque, on a donc peu d’enluminures en pleine page. Par contre, les initiales ornées sont souvent représentées par des jeux d’entrelacs abstraits (répétition de motifs enchevêtrés) et de formes animales complexes. Avec l’empire carolingien, le style évolue sous l’influence de la renaissance carolingienne. C’est le retour du goût pour l’Antiquité romaine qui inspire les enlumineurs de l’époque. Mais l’héritage
Fig 2 : Jérôme de Stridon, Commentaire des Psaumes (BASO, ms. 15, f. 218) : initiale D figurée par un oiseau, Saint-Bertin, 1e moit. du IXe s.
Fig3 : Evangéliaire (BASO, ms. 192, garde contrecollée) : initiale H ornée, Saint-Bertin, 2e moit. du IXe s.
Vers la fin du IXe siècle, apparaît en Grande-Bretagne un nouveau type d’initiales, caractérisées par la présence d’animaux plus ou moins hybrides qui se mordent les uns les autres et se terminent par des entrelacs combinés avec des rinceaux (motifs d’arabesques de feuillage). Ce motif, qui se développe pendant le Xe siècle, est à l’origine des initiales habitées (motif à l’intérieur de la lettre mais ne faisant pas corps avec elle) ou figurées (le motif fait partie intégrante du corps de la lettre). Ces initiales connaîtront un immense succès durant l’art roman. Du point de vue de la couleur, deux techniques se développent. La première est une peinture avec des couleurs opaques uniformes et des modelés rehaussés de blanc, le tout délimité par un contour à l’encre brune. La seconde, plus répandue, est le dessin polychrome avec un choix limité de couleurs, qui annonce les harmonies colorées de l’art roman. Les documents les plus anciens que l’on conserve de l’abbaye de Saint-Bertin datent de la fin du IXe siècle et témoignent de l’activité intense de son scriptorium. Ces manuscrits sont essentiellement ornés de lettres à entrelacs abstraits ou de forme animale. Avec le déclin de l’ère carolingienne, la production manuscrite est marquée par une économie de moyens qui se reflète dans les dessins à la plume rehaussés de couleurs de la Vie de Saint Wandrille fig. 4. On retrouve ce style dans les Apocalypses de Trêves, Valenciennes et Cambrai enluminées dans un scriptorium moyen-rhénan (région située vers l’actuelle frontière belgo-allemande).
Fig 4 : Recueil de vies de saints (BASO, ms. 764, f. 9v.) : scène de dédicace, vallée du Rhin, fin du IXe siècle ou début du Xe.
Evangiles (Boulogne sur Mer, BM, ms. 11, f. 10) : Majestas Domini / Pantokrator, Angleterre (Winchester ?), vers 990-1010. © Bibliothèque municipale de Boulogne-sur-Mer.
Retrouvez les enluminures sur le site Enluminures pour les manuscrits conservés à la Bibliothèque de Boulogne-sur-Mer
Evangiles (BASO, ms. 56, f. 35) : Majestas Domini / Pantokrator, Saint-Bertin, vers 990-1012.
l’An Mil et le début de l’art roman Le terme « roman » est utilisé pour la première fois en 1818 pour caractériser les églises des XIe et XIIe siècles. Il est ensuite employé pour désigner l’ensemble de la production artistique du royaume Franc. L’art roman résulte d’une évolution de l’art carolingien pendant le siècle de l’An Mil. Après le milieu du XIe siècle, la situation politique s’améliore dans le royaume Franc. Les Capétiens, au pouvoir depuis trois générations, voient les conflits diminuer. L’Eglise a largement contribué à cette accalmie en instaurant la « paix de Dieu ». Les basiliques sont rénovées et les scriptoria (ateliers d’écriture) à nouveau actifs. Après les ravages des invasions barbares, les communautés religieuses ont un grand besoin de livres pour la lecture des textes sacrés. L’expansion des grands ordres monastiques tels que Cluny (fondée en 909), les Chartreux (fondés en 1084) ou Cîteaux (fondée en 1098) génère une forte production de livres pour fournir les nouvelles abbayes. Les ordres religieux sont peu influencés par les frontières politiques ou géographiques. Ainsi, les développements artistiques sont favorisés grâce à l’amélioration des réseaux de communication et aux échanges culturels qui se créent entre les abbayes. Il est courant que les abbés soient nommés loin de leur maison d’origine. Ainsi, Gérard de Brogne (mort en 959) et Richard de Saint-Vanne (mort en 1046), originaires de Lotharingie (vallée de la Meuse et du Rhin) ont dirigé un temps l’abbaye de Saint-Bertin d’où la diffusion d’expressions artistiques germaniques. On trouve aussi parmi les manuscrits réalisés à Saint-Bertin sous l’abbé Odbert (987-1007) : un recueil des évangiles enluminé dans le style anglo-saxon de l’école de Winchester fig. 1 et fig. 2, et 3, et un manuscrit dont les lettres ornées ont été réalisées par les scribes Riculfe, d’origine anglo-saxonne et Baudouin, d’origine locale. Odbert lui-même a
enluminé des manuscrits dans un style mêlant l’héritage de l’art carolingien et l’influence des expressions artistiques régionales de son époque fig. 4. Ce mélange de cultures permet la naissance et l’expansion de l’art roman, qui s’étend progressivement entre la seconde moitié du XIe siècle et la seconde moitié du XIIe siècle.
Evangiles (Boulogne sur Mer, BM, ms. 11, f. 11v.) : Annonciation (détail), Angleterre (Winchester ?), vers 990-1010 © Bibliothèque municipale de Boulogne-sur-Mer.
Evangiles (BASO, ms. 56, f. 1) : détail de la table des canons, Saint-Bertin, vers 9901012.
Fig. 4 Gesta Francorum Iherusalem expugnantium, 1e moitié du XIIe siècle (BASO, ms. 776, f. 50v.) : plan de Jérusalem.
les fondements de l’art roman L’art roman est très influencé par la pensée philosophique inspirée de Platon qui conçoit le monde selon deux états opposés :
le monde de la matière, informe et en mutation
le monde des Idées, représente la perfection.
qui
Dans la pensée médiévale et monastique, les représentations ont trois rôles principaux : Magnifier la parole de Dieu : importance de la lettre dans l’enluminure romane. Aider à l’interprétation du texte sacré : l’enluminure, très codifiée, illustre le texte sans en être totalement dépendante. Inciter à la piété : par des enluminures grandioses et richesse des coloris pour subjuguer ou avec des figures « monstrueuses » pour effrayer afin que le lecteur reste dans le « droit chemin » fig. 3.
Fig 2 : Evangiles, Saint-Bertin, 1e moitié du XIe siècle (BASO, ms. 56, f. 33v.-34) : l’évangéliste Matthieu et incipit de son évangile avec Initiale L historiée figurant le Roi David
Il existe également une production artistique laïque d’expression moins « spirituelle ». Mais, outre que l’on en a conservé nettement moins de témoignages, elle ne comprend que peu d’enluminures, qui restent à cette époque une production essentiellement monastique.
Dieu, l’intelligence universelle, façonne la matière à partir du modèle de ses Idées dont la beauté transparaît dans ses créatures ainsi modelées. L’art propose des représentations qui expriment cette idée originelle de la perfection. Ainsi, les arts picturaux de l’âge roman sont essentiellement des arts du trait et de la couleur, d’où l’importance de la géométrie fig. 2. Durant la première moitié du Moyen Âge, les artistes se servent des formes pures pour exprimer la pensée du Créateur. Ce n’est pas la réalité qui est montrée mais une vision plus spirituelle du monde. L’enluminure romane ne s’apparente donc pas à un style réaliste mais reflète un monde idéal fig. 4.
Fig. 3 Recueil de textes patristiques et vie de saint Brandan, Saint-Bertin, déb. XIIe siècle (BASO, ms. 71, f. 80v.) : initiale S figurée et habitée .
Fig. 3 Grégoire le Grand, Morales sur Job, SaintBertin, 3e quart du XIIe siècle (BASO, ms. 12-1, f. 6) : Initiale I historiée figurant Job, la Patience, Grégoire le Grand, un ange et le Christ.
Retrouvez sur le site Enluminures les manuscrits conservés à la Bibliothèque de Boulogne-sur-Mer.
l’enluminure romane en audomarois Le scriptorium de Saint-Bertin domine la production de livres enluminés au XIIe siècle dans l’audomarois. De nombreux manuscrits ont dû être réalisés suite à l’incendie de l’abbaye en 1090. Mais la renommée de cet atelier fait que ses enlumineurs produisent des livres ornés pour d’autres abbayes de la région (abbaye d’Hénin-Liétard, abbaye de Clairmarais).
Fig. 1 Origène,
Homélies sur la Genèse, Saint-Bertin,
Les manuscrits enluminés de cette époque font apparaître plusieurs identités artistiques et des styles bien affirmés. Le scriptorium de l’abbaye de Saint-Bertin connaît ainsi une nouvelle apogée sous Godescalc (1163-1179), digne de celle du temps d’Odbert. Dans la première moitié du XIIe siècle, un enlumineur talentueux exécute des peintures dans plusieurs manuscrits de Saint-Bertin fig. 1. Son style brillant est influencé par l’enluminure anglo-normande de cette époque qui affectionne le dessin au trait coloré et la couleur diluée (lavis). On y retrouve également des éléments de l’art mosan (de la vallée de la Meuse) notamment dans le choix des compositions en médaillons superposés. Ce style se retrouve chez un enlumineur anonyme de Saint-Bertin des Evangiles d’Hénin-Liétard fig. 2: harmonie de couleurs, nombreux drapés, proximité avec les arts de l’orfèvrerie. Un autre peintre, excellent coloriste, actif dans le troisième quart du XIIe siècle, nous a laissé son nom, Alexandre. On lui doit des enluminures du premier volume d’un exemplaire des Morales sur Job de Grégoire le Grand fig. 3 et d’une dizaine d’autres manuscrits de cette époque. Cet enlumineur est probablement un disciple ou un contemporain de l’enlumineur des
Evangiles d’Hénin-Liétard.
1e moitié du XIIe siècle (BASO, ms. 34, f. 1v.) : initiale I historiées de scènes de la Genèse et de représentations des vertus.
Fig. 2 Evangiles d’Hénin-Liétard, Saint-Bertin, milieu du XIIe siècle (Boulogne -sur-Mer, BM, ms. 14-1, f. 23) : Initiale L historiée figurant le roi David, Abraham et le Christ. © Bibliothèque Municipale de Boulogne-surMer.
Fig. 6 Grégoire le Grand, Morales sur Job, Saint-Bertin, fin du XIIe siècle (BASO, ms. 12-2, f. 194v.) : Initiale Q habitée d’une sirène bicaude.
Il se caractérise par un dessin à la plume qui se concentre sur les lettres et associe rinceaux fig. 5 (motifs d’arabesques végétales) et entrelacs (dessins enchevêtrés) à des figures humaines ou animales fig. 6. Par le dynamisme de ses compositions et sa dimension graphique, il est déjà engagé dans le tournant artistique que constitue le style 1200. On retrouve son influence dans des lettres ornées de plusieurs manuscrits de Clairmarais sans que l’on puisse dire si ces derniers ont été envoyés à SaintBertin pour y recevoir leur décor ou si des enlumineurs de Clairmarais se sont directement inspirés de la production réputée de l’abbaye voisine.
Fig. 4 Grégoire le Grand, Morales sur Job, Saint-Bertin, fin du XIIe siècle (BASO, ms. 12-2, f. 84v.) : la Vierge couronné recevant l’Esprit Saint, foulant aux pieds un lion, et tenant un médaillon où figure Job avec les attributs de la patience.
Entre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe, se développe le style du « Maître de Zacharie de Besançon » dans de nombreux manuscrits fig. 4.
Fig. 5 Grégoire le Grand, Morales sur Job, SaintBertin, fin du XIIe siècle (BASO, ms. 12-2, f. 84v.) : initiale Q ornée d’une palmette.
Fig. 1 De aspectibus, traduction latine anonyme du Kitāb alManāẓir ( )كتاب المناظرtraité d’optique Abū ʿAlī al-Ḥasan ibn al-Ḥasan ibn al-Haytham (dit Alhazen ou Alhacen - 965-1039), Paris (?), 2e moitié XIIIe siècle (BASO, ms. 605, f. 1) : miniature figurant Alhazen enseignant.
Fig. 4 : Hugues de Fouilloy, Le pasteur et son troupeau, Saint-Bertin, vers 1210-1220 (BASO, ms. 94, f. 48) : Le Christ conférant sa charge pastoral à l’abbé, le bon pasteur et le mauvais pâtre.
Fig. 2 Aristote,
Métaphysique, Paris, fin du XIIIe siècle (Saint-Omer, BASO, ms. 723, f. 1) : Page ornée avec initiale C historiée figurant Aristote dictant son œuvre.
Du « roman » au « gothique » Pour l’enluminure, le style gothique apparaît au tournant du XIIe – XIIIe siècle avec le style 1200. A cette époque et grâce au développement des villes, le mécénat artistique de l’église se déplace des abbayes vers le clergé séculier qui vit au milieu des laïcs. Les écoles urbaines fig. 1 et les chapitres canoniaux (collèges de chanoines affectés à une collégiale ou cathédrale) supplantent peu à peu les écoles abbatiales et génèrent une augmentation de la production de manuscrits dans les villes où ils sont implantés.
Le style 1200 est tout à fait représentatif de cette époque de transition. Il apparaît principalement en pays mosan, la vallée du Rhin, le Sud-Est de l’Angleterre et la France septentrionale et semble influencé par l’art de l’émail et du vitrail.
Le clergé séculier, les courtisans et les bourgeois prennent de l’importance et influencent les changements dans la production manuscrite. On voit s’opérer une laïcisation des arts du livre. Même s’il reste religieux, l’art de la fin du Moyen Âge est de plus en plus destiné à des laïcs. La réalisation de manuscrits n’est plus seulement un acte de piété mais devient une opération de commerce soumise à la concurrence. Par ailleurs, la plus grande diversité de la clientèle entraîne une variété de livres produits et l’apparition de nouveaux thèmes iconographiques. A cette époque, l’importance de la philosophie d’Aristote fig 2 joue un rôle dans l’évolution de l’art roman vers l’art gothique. Cette philosophie prône le pouvoir de la raison fig. 3 qui préconise de connaître l’homme et le monde avant d’atteindre le but ultime, la connaissance de Dieu. Ce renouveau de l’intérêt pour l’humain modifie l’iconographie fig. 3. La peinture commence à mettre en valeur le corps humain notamment en insistant sur le côté charnel et humain des acteurs du sacré. Le Christ « s’humanise » et devient un Christ d’amour et de douleur qui a souffert dans sa chair pour le salut des hommes. La Vierge et les saints prennent de plus en plus d’importance et sont montrés en exemple.
Fig. 3. Richard de Saint-Victor, Les 12 patriarches, SaintBertin, début du XIIIe siècle (BASO, ms. 118, f. 1v.) : diagramme illustrant signification allégorique des 12 descendants de Jacob.
Fig. 1 Hugues de Fouilloy, La roue de la religion, Saint-Bertin, vers 1210-1220 (BASO, ms. 94, f. 37v.) : La roue de la vraie religion.
le style 1200 à Saint-Omer Les fonds restent essentiellement abstraits et placent les scènes dans un cadre intemporel. Les personnages sont souvent juxtaposés et représentés à la même hauteur. En revanche, les postures sont plus souples et plus gracieuses même s’il reste une légère rigidité dans la gestuelle. On retrouve le goût pour l’Antiquité dans la multitude des drapés. Néanmoins, les expressions sont figées, stéréotypées voire absentes. Plusieurs manuscrits enluminés dans la région et conservés à Saint-Omer illustrent ce style. Les dernières productions du Maître de Zacharie de Besançon présentent des caractéristiques du style 1200 à Saint-Bertin. L’un des plus célèbres exemples est un recueil contenant un traité sur la symbolique des oiseaux, enluminé pour l’abbaye de Clairmarais à partir de l’exemplaire de l’abbaye des Dunes (près de Furnes en Flandre-Occidentale)fig.1. L’enlumineur du Traité des oiseaux de Clairmarais ou un de ses collaborateurs a aussi travaillé sur une Bible en images produite à Saint-Bertin et actuellement conservé à La Haye.
Fig. 2 Papias, Elementarium doctrinae erudimentum, Saint-Bertin, vers 1210-1220 (BASO, ms. 193, f.78v.) : Initiale L habitée d’une chasse au lièvre.
Le style 1200 laisse peu de place à la profondeur et à la perspective. La disposition de l’espace est plus symbolique que réaliste.
Cette attribution à l’abbaye de Saint-Bertin laisse supposer que l’ensemble des manuscrits associés à ce style proviendrait du même scriptorium. On peut citer également un exemplaire de l’Elementarium doctrinae de Papias (lexicographe du XIe siècle) provenant de Clairmarais fig. 2 et un manuscrit liturgique destiné à la Collégiale Notre-Dame de Saint-Omer.
Certains manuscrits viennent de plus loin.
On retrouve un autre témoignage du style 1200 dans l’initiale historiéequi orne le début d’une Bible provenantde Clairmarais fig. 3.
C’est vraisemblablement le cas de plusieurs manuscrits de Clairmarais dont le style suggère une origine anglaise qu’on retrouve dans un manuscrit réalisé à l’abbaye de Saint-Alban, en Angleterre. Il se caractérise notamment par un décor géométrique particulier qui évoque le tweed fig. 4, et des lettres ornées de motifs végétaux qui se développent en girandoles de petites feuilles duveteuses fig. 5, vertes, bleues et vieux-rose.
Fig. 3 Livre de l’Exode avec la glose ordinaire, Saint-Bertin (?), vers 12201230 (BASO, ms. 100, f. 1) : initiale H historiée avec la figure de Moïse.
Mais l’enlumneur a employé une palette différente des autres manuscrits et les lettres sont colorées sans motifs floraux, ce qui laisse supposer qu’il provient d’un autre atelier que celui de l’abbaye de Saint-Bertin.
Fig. 4 Pierre de Mora, Alphabetum in arte sermoncinandi, Angleterre (Saint-Alban ?), vers 1200-1225 (BASO, ms. 217, f. 1) : initiale D ornée.
Fig. 5 Livre d’Isaïe glosé, Angleterre (SaintAlban ?), vers 1200-1225 (BASO, ms. 235, f. 1) : initiale L ornée.
Fig. 3 Second volume d’une Bible glosée, Saint-Omer ou Thérouanne, vers 1270-1290 (BASO, ms. 5, f. 247) : page ornée du début de l’épître de Paul aux Hébreux avec deux initiales historiées. Un P figurant Timothée dans une tour et un M figurant le martyre de Paul.
l’enluminure « gothique » A partir du milieu du XIIIe siècle, la « rigidité » romane disparaît au profit d’un style plus proche de la réalité. Un art courtois se développe, élégant et raffiné, avec des personnages menus et élancés fig. 1. Les drapés deviennent plus amples et témoignent d’un intérêt grandissant pour les effets de matière. On remarque aussi une plus grande attention apportée à l’expressivité des personnages. Les visages sont nettement plus individualisés et le peintre cherche à figurer les expressions de façon plus réaliste. Dans un premier temps, l’espace reste abstrait mais la valeur symbolique des éléments du décor est moins affirmée. La disposition des personnages perd les règles rigides des époques précédentes. Ils sortent des cadres et occupent de plus en plus la surface de la page.
Fig. 1 Psautier glosé, Saint-Omer ou Thérouanne, vers 1310-1320 (BASO, ms. 35, f? 1) : Initiale B historiée avec le roi David jouant de la harpe.
Malgré l’importance de la production parisienne fig. 2, les ateliers provinciaux, très féconds, se développent fig. 3. Les enlumineurs font preuve de liberté, fantaisie et spontanéité. Cela se traduit par l’importance de l’enluminure des marges alliant observation de la réalité et imaginaire débridé. Le décor marginal n’est plus un prolongement de la lettre et devient autonome. A partir du XIVe siècle, on constate une unité stylistique à travers l’Europe, grâce aux échanges commerciaux entre le Nord et le Sud. Cet « art gothique international » se caractérise par une grande élégance, une finesse des traits, des postures gracieuses, beaucoup de couleurs et une importance donnée à l’architecture dans les scènes représentées.
Fig. 2 Second volume d’une Bible glosée, Paris, vers 1230-1335 (BASO, ms. 4, f. 196v.-197) : pages ornées du début du livre de Jonas avec initiale E historiée figurant Jonas recraché par la baleine.
Fig. 3 Grégoire IX, Décrétales (BASO, ms. 434, f. 158v.) : miniature du Livre 3 figurant des Indignes chassés pendant l'élévation, Paris, début du XIV e siècle.
l’enluminure gothique à Saint-Omer (fin XIIIe – début XVe siècle) A la fin du Moyen Âge, les abbayes audomaroises déclinent au profit du clergé séculier et des laïcs. La production d’enluminures se déplace des abbayes vers des ateliers laïcs. Pour l’audomarois, Saint-Omer et Thérouanne sont les deux principaux centres urbains qui ont produit de nombreux manuscrits enluminés à cette période. Dans les années 1280-1300, une douzaine de manuscrits enluminés dans un atelier local présente un style proche fig. 1 que l’on peut regrouper autour d’une encyclopédie enluminée à Saint-Omer avant 1297 pour un abbé de l’abbaye de Saint-Bertin, Eustache Gomer.
Fig. 1 Missel à l’usage de Saint-Bertin (BASO, ms. 89, f. 76) : page ornée du début du sanctoral, Saint-Omer, vers 1280-1290.
Le Psautier de Gilbert de sainteAldegonde (don de la Collégiale NotreDame de Saint-Omer à la Chartreuse de Longuenesse en 1323) constitue un autre groupe stylistique. Les lettres historiées sont de la fin du XIIIe siècle fig. 2 mais le frontispice avec la scène de dédicace est un ajout des années 1320 réalisé par un artiste local dont le travail s’est diffusé dans les diocèses artésiens et flamands. Fig. 2 Psautier de Gilbert de Sainte-Aldegonde (BASO, ms. 270, f. 20) : initiale D historiée avec le baptême du Christ, Saint-Omer, vers 1275-1299.
Parallèlement, les riches audomarois se procurent des livres en dehors de la région. C’est le cas de nombreux manuscrits juridiques dont un exemplaire des Décrétales enluminé à Paris par un atelier influencé par l’art de Maître Honoré vers 1300-1310 fig. 3, ce qui témoigne de la diffusion de l’enluminure parisienne en province.
Un maître enlumineur se distingue : Maître Honoré. Cet enlumineur d’origine amiénoise dirige un atelier à Paris vers 1292-1300, et se caractérise notamment par un dessin très souple, une grande élégance dans la gestuelle, un coloris assez modulé et un rendu très dense des modelés qui suggèrent le volume. Maître Honoré surpasse tous ses contemporains par la composition subtilement cadencée de ses scènes et ses personnages soigneusement modelés qui acquièrent une épaisseur nouvelle.
L’atelier du Maître de Méliacin, actif à Paris vers 1280-1310, enlumine un recueil de textes d’Aristote pour l’abbaye de Saint-Bertin. D’autres manuscrits juridiques de SaintBertin ou de la Collégiale Notre-Dame de Saint-Omer viennent du Sud de la France, d’Italie ou d’Espagne. A partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, les débuts de la guerre de Cent ans et la Grande Peste entraînent un ralentissement économique dans la région. La production de manuscrits s’en ressent. Ils sont moins ornés et moins originaux que ceux des décennies précédentes.
Fig. 4 et 5 Jean de Fribourg dit le Lecteur, Summa confessorum ou Libelli quaestionum casualium (BASO, ms. 124, Saint-Omer ou Thérouanne, dernier tiers du XIVe siècle.
Les décors marginaux peuvent, par exemple, se répéter à l’identique dans les différents chapitres comme dans une copie de la Somme de Jean le Lecteur fig. 4 et 5. Il faut attendre 1390-1410 pour que l’Audomarois connaisse un nouvel élan intellectuel qui démarre chez les religieux. Plusieurs manuscrits enluminés à Saint-Bertin témoignent d’une expression artistique éloignée du goût parisien et des développements contemporains de l’enluminure flamande. Les personnages sont assez statiques mais une volonté de modernité transparaît dans le choix de techniques comme la semi-grisaille (peinture en camaïeu de gris avec de légers rehauts de couleur fig. 6.
Fig. 6 Series abbatum bertinianorum (BASO, ms. 755, f. C) : Fondation de l’abbaye SaintPierre et Saint-Paul (plus tard Saint-Bertin) sur les terres de la villa de Sithiu donnée par Adroald à Omer alors évêque de Thérouanne, Saint-Bertin, 1400-1407.
Fig. 3 Speculum humanae Salvationis, traduction française par Jean Miélot (BASO, ms. 183 f. 42), Saint-Omer vers 1450.
L’enluminure à la fin du Moyen Âge (seconde moitié du XVe-XVIe s.) A la fin du Moyen Âge, les ateliers provinciaux renaissent et s’appuient sur le mélange entre un certain réalisme et l’expression d’une spiritualité individuelle et méditative. Dans la seconde moitié du XVe siècle, certains noms de scribes ou d’enlumineurs sont connus : la sœur clarisse Françoise Heuchin, Jacques Broustel ou Ernoum le Fèvre. Parallèlement, le mécénat de l’abbaye de Saint-Bertin reprend de l’importance grâce à de prestigieux abbés comme Guillaume Fillastre (1451-1473) qui fait orner ses livres par les plus grands enlumineurs de son temps, tel l’Amiénois Simon Marmion fig. 1.
Fig. 4 Psautier à usage de Saint-Omer (BASO, ms. 258, f. 1v.-2) : page ornée, Amiens ou SaintOmer milieu des années 1450.
1450-1460, sont produits de petits livres de dévotion simplement enluminés de lettres ornées et d’encadrements aux motifs de feuillages fig. 4.
Fig. 1 Missel d’Odoard de Bersacques (BASO, ms. 60,f. 65) : miniature de l’office pour Saint Omer figurant ce dernier, Bruges, atelier de Simon Benning, vers 1540-1550.
On ne sait pas s’ils ont été enluminés à Amiens ou Saint-Omer. Ce problème d’identification du lieu de production se pose également pour d’autres manuscrits comme les trois exemplaires du Speculum Humanae Salvationis de Jean Mielot, réalisés vers 1440-1460 pour l’abbaye de Saint-Bertin fig. 2, celle de Clairmarais fig. 3 et la Collégiale Notre-Dame de SaintOmer.
Vers
Fig. 2 Speculum humanae Salvationis, traduction française par Jean Miélot ( BASO, ms. 184, f. 25) : la cour céleste, Saint-Omer, vers 1470-1480
A partir de 1450, le développement de l’imprimerie transforme progressivement la production des livres. L’usage du papier se développe et se prête moins à l’enluminure que le parchemin. La gravure supplante peu à peu l’enluminure. Cette dernière s’apparente de plus en plus à des tableaux fig. 5, en prenant parfois la forme de compositions en pleine page. Il y a moins d’initiales ornées. Néanmoins la production de manuscrits perdure à travers les commandes des humanistes mais l’image perd son importance au profit de l’écriture.
Fig. 5 Guillaume Fillastre, Le livre de la Toison-d'Or (BASO, ms. 723, f. 5) : miniature du premier chapitre « Cy sensieult quelle chose est et dont viend la Thoyson dor et pour quoy lordre de la Thoyson se fit et est instituee », Saint-Omer (?), vers 1500.
Présentation des mécènes
Au moyen âge les livres sont des objets coûteux à réaliser de par leurs matériaux de fabrication : peaux de mouton pour le parchemin en grande quantité, pigments précieux pour les encres, cuir pour la reliure, etc., mais aussi en raison du temps qu’il faut pour les copier, les enluminer et les relier. Ils sont font donc souvent l’objet d’un véritable mécénat artistique et culturel de la part des puissants tant ecclésiastiques que laïcs et sont régulièrement l’objet des cadeaux diplomatiques, de legs ou de dons. Ces grands mécènes ont parfois été peints ou se sont fait figurer dans leurs livres, offrant à la postérité le souvenir de leur grandeur. C’est le cas d’Omer et de Bertin, de Bernard de Clairmarais, de Gilbert de Sainte-Aldegonde, ou encore d’Odoard de Bersaques, dont vous pouvez admirer les représentations dans des miniatures extraites de quelques un des plus prestigieux manuscrits des collections de la bibliothèque, réalisés à différentes époques et particulièrement représentatifs de leur style.
le Seigneur Adroald remet la terre de Sithiu à Omer, évêque de Thérouanne, région mosane, fin du XIe siècle.
Vie de Saint-Omer (BASO, ms. 698, f. 15v.)
le copiste, frère Pierre Bourgois (futur abbé d'Auchy-lesMoines), en prière devant saint Omer et saint Bertin, SaintOmer, 1405.
Jean le Long d'Ypres dit Yperius, Chronique des abbés de SaintBertin, dite Chronique d'Yperius (BASO, ms. 739, f. 15v.)
Scène de dédicace figurant Robert de Béthune, abbé de Clairmarais, offrant son livre à la Vierge à l'Enfant, Cambrésis, vers 1265-1270.
Richard de Saint-Laurent, Traité des vertus (BASO, ms. 174, f. 2v.)
Gilbert de Sainte-Aldegonde en prière devant la Vierge à l'Enfant, Flandre occidentale, 1er tiers du XIVe siècle.
Psautier de Gilbert de Sainte-Aldegonde (BASO, ms. 270, f. H)
miniature de l’office pour saint Omer figurant Odoard de Bersacques, Bruges, atelier de Simon Benning, vers 1540-1550.
Missel d’Odoard de Bersacques (BASO, ms. 60, f. 65)
GLOSSAIRE Antiquisant
:
inspiré
par
l’Antiquité
classique.
Armarium (a) : armoire en latin, nom
donné aux meubles contenant les livres. Ars Nova : « art nouveau », expression qui désigne la peinture flamande du XVe siècle. Cerne : trait qui délimite une forme en dessin. Channel style : style qui se développe des deux côté de la Manche (Channel en anglais) Chrysographie : écriture à l’encore d’or. L’encre d’or et d’argent peut être à la/en coquille , lorsque le métal est broyé très finement et incorporé à un liant, la préparation obtenue était alors conservée dans un coquillage qui lui a donné son nom. Da n s le cas de su rf a c e s p lu s importantes l’enlumineur applique directement le métal à la feuille. Codex : nom latin des livres reliés. Composition narrative : image construite pour raconter une histoire. Diurnal : recueil des prières de la journée. Drapés mouillés : rendu pictural du tissu dont la multiplication des plis évoque les textiles mouillés. Ecclésiastique (l') : livre biblique de l’ Ancien Testament, appelé aussi Livre de la Sagesse de Ben Sira ou Siracide, écrit vers 200 avant J.-C. Grisaille : technique de peinture qui consiste à n’utiliser qu’un camaïeu de gris. On parle de semi-grisaille lorsque la composition est agrémentée de rehauts de couleurs Hiératisme : qualifie une attitude solennelle et majestueuse. Isocéphalie : composition où les personnages ont tous la tête au même niveau. Lavis : technique picturale qui consiste à varier les teintes d’une même couleur par dilution du pigment. Lectio divina : pratique religieuse des textes sacrés. Lotharingie : Royaume de Lothaire II (855869), qui s'étendait entre les vallées de la Meuse, de l'Escaut et du Rhin, jusqu'à la mer du Nord. Miniature : terme employé parfois pour la peinture sur parchemin. Il dérive du nom latin de l’oxyde de fer (la rouille) minium, qui est employé pour obtenir du rouge. Modelés : rendu de l’épaisseur des formes.
Mosan : relatif à la vallée de la Meuse. Néoplatonisme : courant philosophique de la
fin de l’antiquité qui fut christianisé par les philosophes de l’école d’Alexandrie dont les grandes figures sont Philon († 50) puis Origène († vers 250) et Plotin († 270) qui sera l’une des principales sources de saint Augustin († 430). Pantokrator : « omnipotent » en grec, désigne certaines représentations de la majesté de Dieu dans l’art. Parchemin : peau de de bête traitée pour servir de support à l’écriture. Une légende antique relate que la bibliothèque de la ville grecque de Pergame faisait concurrence à celle d’Alexandrie, au point que le Pharaon décida de ne plus lui fournir de papyrus. Le roi de Pergame fut alors contraint de trouver un autre support d’écriture, et c’est ainsi que fut inventé le pergamentum. Rinceau : motif ornemental composé d’entrelacs végétaux. Roman : à l’origine il s’agit d’un terme de linguistique du XVIIIe siècle, qui désignait des parlés vernaculaires issues d’une dégradation du latin. Il désigne plus tard la culture du Moyen Âge centrale. Rotulus (i) : « rouleau » en latin. Scriptorium (a) : mot latin qui désigne l’atelier d’écriture. Ce n’est que rarement une structure permanente dans une abbaye, sauf si celle-ci a fait de la production de livres son activité principale. Séculier : désignation du clergé qui reste au contact des laïcs, en opposition aux réguliers qui vivent cloîitrés et obéissent à une règle. Vélin : parchemin d’une grande finesse et d’une grande souplesse qui provient de la peau de veau mort à la naissance. Vigneture : motifs ornemental en forme de feuilles de vignes.
BIBLIOGRAPHIE FRANCOPHONE INDICATIVE Ouvrages et mémoires sur la Bibliothèque de Saint-Omer et ses manuscrits BLED (Oscar). « Les origines de la bibliothèque de Saint-Omer et ses deux premiers conservateurs », dans Mémoires
de la Société des Antiquaires de la Morinie, tome XXXI, 1912-1913, p. 195-232.
BERTELOOT (Stéphanie), Une vita du XIe siècle. La Vita Audomari ou la vie d'un Saint évêque mérovingien, Lille, 1994 (mémoire de maîtrise). DEREMBLE (Colette). « L’illustration romane de la Vie de Saint Omer, manuscrit 698 de la Bibliothèque de Saint-Omer », dans DELANNE-LOGIÉ (Nicolette) et HILAIRE (YvesMarie) (éd.). La cathédrale de Saint-Omer : 800 ans de mémoire vive, Paris, 2000. GIL (Marc), NYS (Ludovic), Saint-Omer gothique : les arts figuratifs à Saint-Omer à la fin du Moyen âge, 1250-1550 : peinture, vitrail, sculpture, arts du livre, Valenciennes, 2004. GUILBERT (Anne), Etude d'une Bible. Le manuscrit 5 de la bibliothèque de SaintOmer, Université de Paris-Sorbonne, 1988 (mémoire de maitrise). HERMANT (Charles). Variété historique. La bibliothèque communale de Saint-Omer et ses bibliothécaires, Saint-Omer, 1903. O URSEL (Henry), D EREMBLE -M ANHÈS (Colette), THIÉBAUT (Jacques), Nord Roman, Flandres, Artois, Picardie, Laonnois, Abbaye de la Pierre-qui-Vire, 1994.
TIXIER (Frédéric), Un exemplaire de l'In Unum ex quatuor: Le Ms 30 de Saint-Omer, Paris X – Nanterre, 2004 (mémoire de maîtrise). TOUPIOL (Christine), Etude du Nouveau Testament de la Bible enluminée de SaintBertin (Manuscrit 68 de la Bibliothèque Municipale de Saint-Omer, Lille, 1997 (mémoire de maîtrise). On consultera également avec fruit les nombreux articles relatifs aux fonds de la bibliothèque dans les Mémoires et le
Bulletin de la Société académique des Antiquaires de la Morinie ; ainsi que les
nombreux articles d’André BOUTEMY sur les manuscrits d’Odbert et les publications de Jean-Charles BÉDAGUE sur la collégiale-cathédrale de Saint-Omer.
Quelques monographies référence sur l’enluminure.
de
La revue Art de l’enluminure, Paris,
depuis 2002.
AVRIL (François), REYNAUD (Nicole), Les manuscrits à peintures en France : 14401520, Paris, 1994. AVRIL (François), L’enluminure à l’époque gothique, Paris, 1995. CAHN (Walter), La Bible romane, Paris, 1982.
CASSAGNES-BROUQUET (Sophie), La passion du livre au Moyen Age, Paris, 2003. CHARRON (Pascale), Le Maître Champion des Dames, Paris, 2004.
du
Quelques catalogues d ’ ex p o s i t i o n s où f u re n t présentés des manuscrits audomarois
DALARUN (Jacques), dir., Le Moyen Âge en lumière, Paris, 2002.
L’art du Moyen Âge en Artois, Arras, 1951.
DE HAMEL (Christopher), Une histoire des manuscrits enluminés, Londres, 2001.
Les manuscrits à peintures en France : du VIIe au XIIe siècle, Paris, 1954
GLENISSON (Jean), dir., Le Livre au Moyen Âge, Paris, 1988.
Les manuscrits à peintures en France : du XIIIe au XVIe siècle, Paris, 1955
HANS-COLLAS (Ilona) ; SCHANDEL (Pascal), WIJSMAN (Hanno), AVRIL (François), Manuscrits enluminés des anciens Pays-Bas méridionaux. I. Les Manuscrits de Louis de Bruges, Paris, 2009.
Le vaste monde à livres ouverts : manuscrits médiévaux en dialogue avec l'art contemporain, Paris, 2002.
NORDENFALK (Karl), L’enluminure Moyen Âge, Paris, 1988.
au
NORDENFALK (Karl), Manuscrits irlandais et anglo-saxons : l'enluminure dans les Iles Britanniques de 600 à 800, Paris, 1977. PÄCHT (Otto), L’enluminure médiévale : une introduction, Paris, 1996. PORCHER (Jean), L’Enluminure française, Paris, 1959. RECHT (Roland), L'image médiévale : le livre enluminé, Paris, 2010. WATSON (Rowan), Les manuscrits enluminés et leurs créateurs, Digne, 2004.
La France romane au temps des premier Capétiens (987-1152), Paris, 2005. La représentation de l’Invisible. Trésors de l’enluminure romane en Nord-Pas-deCalais, Valenciennes, 2007. Trésors carolingiens : Livres manuscrits de Charlemagne à Charles le Chauve, Paris, 2007. Liber Floridus 1121: the World in a Book, Tielt, 2011 Miniatures flamandes, 1404-1482, ParisBruxelles, 2011.
Livret de l’exposition réalisé par la section patrimoniale de la bibliothèque d’agglomération de Saint-Omer
Retrouvez l’ensemble de la programmation de :
Retouvez l’actualité de l’espace Patrimoine et de de la bibliothèque sur
le site de la bibliothèque d’agglomération de saint-Omer. Ne manquez aucune de nos conférences, expositions , animations en nous suivant sur notre page Facebook.
Bibliothèque d’agglomération de Saint-Omer—Avril 2013