BIKINI N° JANVIER-FÉVRIER-MARS 2023

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À découvrir dans ce numéro... TEASING SOUCOUPE VOLANTE «CUISINER EN PLEINE NATURE» «L’OCÉAN N ’ EST PAS UN AQUARIUM GÉANT» UNION PIRATE INUITS AVANT-GARDE SEIZ BREUR «BREST, C’EST SAN FRANCISCO» TOURNESOL LYONNAIS ZOUK

ÉDITO LE REVERS DES MÉDAILLES

On peut le dire sans trop se tromper : Gérald Darmanin n’est pas le ministre le plus apprécié (euphémisme) du gouvernement Borne. Et il serait étonnant que sa cote d’amour progresse davantage avec l’été 2024 qu’il nous promet : priorité aux Jeux olympiques de Paris et prière aux festivals de s’adapter sous peine de devoir annuler ou reporter. C’est en substance le message de la circulaire envoyée mi-décembre aux préfets. Du 18 juillet au 11 août, en raison de la mobilisation massive de forces de l’ordre pour les JO, « aucun événement d’ampleur ne pourra avoir lieu » sur le territoire. De quoi tirer un trait sur la plupart de nos festoches ? Si des rendez-vous comme les Vieilles Charrues ou l’Interceltique ont obtenu – après des concertations qui se sont fait attendre – des garanties sur leur tenue, ils devront en revanche ajuster leur calendrier. C’est ainsi que le festival carhaisien a déjà annoncé qu’il avancera ses dates du 11 au 14 juillet. Quant au grand raout lorientais, il devra certainement glisser dans la seconde partie du mois d’août et se résoudre « à réduire la formule », comme l’a déjà fait savoir le maire de la ville. Quid des événements de moindre ampleur ? Les rendez-vous de taille moyenne, sécurisés par des forces départementales ou locales, « auraient vocation à se maintenir » sans que des contours plus précis ne soient encore définis à ce stade. Mais « il y aura peut-être des annulations », a indiqué Rima Abdul-Malak, la ministre de la Culture. À peine remis de la crise sanitaire, le secteur du spectacle vivant se voit donc replongé dans de nouvelles incertitudes. En attendant les médailles, on a déjà leur revers.

La rédaction

SOMMAIRE

6 à 9 WTF : Lyonnais, Inuits, musiques ultramarines, Brest...

11 à 21 Seiz Breur : les frères fondateurs

22 à 27 À l’abordage

28 à 31 Feu de tout bois

32 à 37 Piscine Tournesol : la belle affaire

38 à 45 RDV : Ladylike Lily, Maud Le Pladec, Ô Lake, Rixes, Dark was the night, Vulves Assassines...

46 à 49 Nicolas Floc’h : « L’océan n’est pas un aquarium »

50 BIKINI recommande

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Ne pas jeter sur la voie publique. © Bretagne Presse Médias 2023.

4 janvier-février-mars 2023 #60

Alléchante programmation que celle de la 17e édition de La Route du Rock collection hiver : Panda Bear & Sonic Boom, Lee Ranaldo, Forever Pavot, En attendant Ana, Death Valley Girls, Heimat... Du 6 au 11 mars à Saint-Malo (La Nouvelle Vague) et Rennes (Antipode, Conservatoire).

WINTER IS COMING

QUEL LYONNAIS

ALLER VOIR ?

LYON : SES BOUCHONS, SA ROSETTE, SES QUENELLES, JEAN-MICHEL AULAS, LE RHÔNE, SA PLACE BELLECOUR... OUI, LYON,

Toujours du beau monde pour Jardins d’Hiver. Pour sa 5e édition, le festival littéraire organisé par Les Champs Libres accueille notamment Brigitte Giraud (photo) (Goncourt 2022), Blandine Rinkel (prix Méduse 2022), Sandrine Collette (prix Jean Giono 2022)… Du 3 au 5 février à Rennes.

TREMPLIN booster

Le tremplin rap Buzz Booster revient pour une nouvelle édition. Qui succédera à Dynjah, le lauréat breton 2022 ? Les prétendants peuvent s’inscrire jusqu’au 31 janvier. Un jury d’écoute désignera les premiers concurrents qui se départageront lors de la demi-finale régionale le 16 mars au 4bis à Rennes.

ZËRO

Un concert-lecture : voici ce que propose Virginie Despentes avec ses copains musiciens lyonnais de Zëro (photo). Pour cet exercice, l’autrice de Cher connard s’attaque au Requiem des innocents, œuvre mythique de Louis Calaferte publiée en 1952, puissant récit d’apprentissage autobiographique magnifié par la bande-son abrasive de Zëro, vétérans du pop-rock, cousins hexagonaux de Sonic Youth. Quand ? Le 28 mars à Hydrophone à Lorient et le 29 mars à l’Antipode à Rennes

ROMANE

BALLADUR

Originaires de Villeurbanne en banlieue lyonnaise, Romain et Amédée forment le duo Balladur, drôle d’objet musical protéiforme coolos et jouissif qui touche aussi bien à la new wave qu’au noise, avec un soupçon d’indus, de dub, de pop et de rythmiques world. Un joyeux gloubi-boulga underground, avec en prime un joli blaze en hommage au plus fameux goitre de la 5e République. Je vous demande de continuer !

Quand ? Le 12 février à Astropolis L’Hiver à Brest

Talkin’ bout a revolution de Tracy Chapman n’est pas qu’un classique de blindtest (erreur classique : confondre avec Neneh Cherry). C’est aussi une référence pour chanteuses de soul-pop d’aujourd’hui, notamment pour Romane, autrice d’un premier album, Ways of dreaming, sorti en octobre dernier. Autres influences revendiquées par la jeune et talentueuse Lyonnaise qui chante en anglais : Amy Winehouse et Otis Redding. Que du bon. Quand ? Le 16 février à l’Ubu à Rennes

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WTF
C’EST TOUT ÇA MAIS C’EST AUSSI UNE SCÈNE MUSICALE ÉCLECTIQUE PAS PIQUÉE DES HANNETONS. LA PREUVE. DR Pascal Ito
6 janvier-février-mars 2023 #60

INOUÏS INUITS

L’ ARCTIQUE S’INVITE SUR LES SCÈNES BRETONNES. SORTEZ VOS MOUFLES, ÇA VA CAILLER.

NANOUK L’ESQUIMAU

En 1922, le réalisateur Robert Flaherty dévoilait Nanouk l’Esquimau, un documentaire ethnographique qui, pour la première fois, s’aventurait en Arctique chez les Inuits. On y suit Nanouk et sa famille, dans leurs tâches du quotidien : navigation, pêche, chasse, construction d’igloo… Un film aux paysages enneigés et aux conditions extrêmes que réchauffe la compositrice de jazz Anne Paceo (accompagnée sur scène par Laura Perrudin et Gauthier Toux) dans ce ciné-concert dépaysant. Quand ? Les 26 et 27 mars au TNB à Rennes

LES CHANTS DU VIVANT

Quand le kan ha diskan du CentreBretagne rencontre le katajjaq (un chant de gorge pratiqué exclusivement par des femmes) de l’Arctique canadien, cela donne Les Chants du Vivant. Une création pilotée par l’Orchestre national de Bretagne qui rassemble sur scène quatre chanteuses (Marthe Vassallo, Nolùen Le Buhé, Lydia Etok, Nina Segalowitz, photo ) qui interprètent l’œuvre Chorus Nunavik Breizh de Katia Makdissi-Warren. Un hommage universel à la tradition orale. Quand ? Le 7 avril au Couvent des Jacobins à Rennes et le 8 avril au Palais du Grand Large à Saint-Malo

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« LE ZOUK PREND SA REVANCHE »

Y a-t-il des similitudes entre toutes les musiques ultramarines que vous abordez ?

Il y a beaucoup de différences et peu de liens musicaux évidents, mais ces musiques enregistrées au 20e siècle ont un pan d’histoire commune, qu’elles le veuillent ou non, notamment entre les territoires qui ont été assujettis à l’esclavage. La Réunion, la Guyane et les Antilles ont la même dualité entre des sonorités inspirées du rock, par ce qu’on appelle le doudouisme, et des musiques rurales beaucoup plus acoustiques et revendicatrices. C’est par ce biais qu’elles vont renaître, par les indépendances dans les années 1970.

Vous expliquez que les musiques ultramarines souffrent de clichés venant de la métropole. Peut-on y voir un point commun avec le répertoire traditionnel breton ? Dans un cas comme dans l’autre, ces musiques sont totalement absentes ou très peu présentes dans les grands médias. Elles ont longtemps été regardées avec mépris et sont cantonnées à quelques raccourcis, alors qu’elles portent une immense variété, encore plus forte pour les musiques ultramarines. Ce sont des résumés assez tristes, voire tragiques.

La perception tronquée du zouk antillais, qui est pourtant une musique majeure, en est-elle l’archétype ? C’est l’un des exemples les plus forts. L’évocation du zouk s’accompagne souvent d’un demi-sourire. On cite Franky Vincent, La Compagnie Créole, ce qui, au bout d’un moment, est assez usant. Une immense partie du zouk ne mérite pas cet étalonnage en tant que “musique de merde”. Parmi les artistes majeurs de cette scène, on peut citer Kassav’ (photo), Édith Lefel ou Joby Valente.

D’autant que beaucoup de musiques actuelles sont très influencées par le zouk sans que le public ne s’en rende compte…

Il est clair que parmi les musiques que beaucoup de jeunes écoutent, le zouk est très présent. Chez Aya Nakamura, chez Niska… L’Afrique a été un intermédiaire important :

à la fin des années 1980, plusieurs compilations associant des artistes congolais ou d’Afrique noire francophone et des musiciens de zouk ont été publiées. Une partie des musiciens africains nés dans les années 1990 ont dû les écouter, j’en suis persuadé. Cette musique prend sa revanche, mais on ne le sait pas forcément.

Vous racontez que le grand chanteur de maloya réunionnais Danyèl Waro a un lien personnel fort avec Rennes…

En 1976, il est condamné à 22 mois de prison pour insoumission, pour avoir refusé de faire son service militaire. Il est alors incarcéré à la prison Jacques-Cartier, à Rennes. En détention, il s’est notamment lié d’amitié avec des indépendantistes bretons. Mais il a mis du temps avant d’en parler.

Recueilli par Brice Miclet

WTF
DE LA RÉUNION À LA GUADELOUPE, EN PASSANT PAR LA NOUVELLE-CALÉDONIE, LES MUSIQUES FRANÇAISES D’OUTRE-MER AFFICHENT UNE DIVERSITÉ FOLLE. UN RÉPERTOIRE MIS À L’HONNEUR PAR L’ AUTEUR RENNAIS LIONEL BESNARD. Lionel Besnard, auteur de Musiques ultramarines paru aux Éditions Le Mot et le Reste
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8 janvier-février-mars 2023 #60
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«  BREST, C’EST SAN FRANCISCO   »

En expo, en livre, en fanzine... Brest est prisée des photographes. Pourquoi ?

Brest a des particularités architecturales intéressantes, avec ses lignes droites, ses perspectives, ses rues qui donnent l’impression de plonger dans la mer, sa lumière changeante, sa brume… Des similitudes étonnantes avec une autre ville très prisée des photographes : San Francisco. Mon confrère Loïc Moyou en a même fait l’objet d’une série photo qu’il a baptisé Recouvrancisco.

Quels éléments affectionnez-vous ?

Il y a les grues, les ponts de l’Iroise et Albert Louppe qui se voisinent avec ses câbles, les arches… Même les goélands sont beaux ici. J’aime leur côté punk, à zoner sur le port et à s’envoler quand ils emmerdent les gens. Ils incarnent bien la grande liberté de cette ville je trouve.

Sa réputation historique de ville moche est bel et bien obsolète ?

La gentrification n’a pas encore ici fait complètement son œuvre et c’est tant mieux. Ce qui était des motifs de moquerie hier sont aujourd’hui des atouts.

Sorties : l’ouvrage Gwel de Daniel Molinier (aux Éditions Autonomes) et le fanzine Straed (dédié à la photographie de rue brestoise)

Expo : Les Hautes Solitudes de Nolwenn Brod au Musée de Bretagne à Rennes

LE PHOTOGRAPHE DANIEL MOLINIER NOUS PARLE DE L’INCROYABLE PHOTOGÉNIE DE LA CITÉ DU PONANT.
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Daniel Molinier
10 janvier-février-mars 2023 #60
DOSSIER

omment être Breton et moderne ? Comment éviter que cette région ne soit pas tournée que vers son passé ? Comment faire pour que ce territoire soit pleinement dans son temps, ouvert au meilleur des autres cultures et conscient des enjeux de son époque ?

Ces questions peuvent sembler banales tant elles semblent évidentes aujourd’hui. Elles animent bon nombre d’acteurs, en particulier ceux du monde culturel breton qui, depuis une cinquantaine d’années et le renouveau celtique notamment, ont fait du métissage (quelle que soit sa nature) une de leurs caractéristiques, rappelant ainsi que l’identité n’est pas une chose figée.

Il y a tout juste cent ans, cette réflexion, qui paraissait alors saugrenue, allait être portée par un groupe de jeunes illustrateurs, sculpteurs, céramistes, graveurs… Jeanne Malivel, René-Yves Creston, Georges Robin ou encore Suzanne Candré-Creston sont alors à peine âgés de la vingtaine mais ils souhaitent redéfinir l’image populaire bretonne en associant héritage culturel et esprit moderne. C’est dans cette volonté que naît le mouvement Seiz Breur. Une “fraternité” d’artistes qui, si elle n’a pas eu à son époque l’audience qu’elle escomptait (c’est là le propre des courants d’avant-garde), a posé une des premières pierres de la Bretagne d’aujourd’hui.

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Projet d’étoffe imprimée. Suzanne Candré-Creston, 1931. Fonds Musée des Beaux-arts de Brest métropole

« INTÉGRER LA MODERNITÉ

Le mouvement artistique Seiz Breur fête cette année son centenaire. Pour mieux comprendre son éclosion en 1923, replongeons-nous dans le contexte de l’époque : au début du 20e siècle, l’art breton, c’était quoi ? Quand on regarde les revues de l’époque, il y a une question qui revient souvent : « Existe-t-il un art breton ? » Ceux qui s’attachaient au pittoresque trouvaient qu’il y avait en Bretagne quelque chose de l’ordre de la maladresse, une intrusion de la paysannerie dans la création artistique. Quelque chose capable de charmer le visiteur et le touriste, mais pas de s’inscrire dans un courant artistique majeur. La fin du 19e et le début du 20e, c’est aussi l’invention du tourisme moderne. Et que veulent les touristes ? Ils veulent trouver en Bretagne ce qu’on va chercher aujourd’hui au Kenya, c’est-à-dire quelque chose d’inattendu, d’exotique, différent de ce qu’on connaît… À l’époque, la Bretagne, c’est ça. Dans la région, certains vont en profiter en inventant, par exemple, des meubles où on sculpte des Bretons en costume, ce qui n’avait alors jamais été fait. Il s’agit de “bretonneries” que les fondateurs du mouvement Seiz Breur détestent, en tant que jeunes Bretons

et en tant que jeunes artistes. De leur point de vue, c’est ce qui va folkloriser la Bretagne et la tuer.

Quand le mouvement se crée, il se revendique comme breton et moderne à la fois. Comme si ces termes étaient antagonistes…

Aujourd’hui, ça paraît banal de dire “réinventer la Bretagne”, mais il faut savoir ce qu’était la région dans les années 1920. Sur les cartes de géographie au début du 20e siècle, c’était marqué “landes”, “blé noir” et comme seule activité industrielle “papier à cigarette” à Ergué-Gabéric.

La Bretagne était vue comme une terre du passé. Quand on l’évoquait, c’était pour ses archaïsmes, comme un témoin archéologique du vieux monde. Pour les membres des Seiz

Breur, il existe une idée qu’on peut se réinventer et intégrer pleinement la modernité sans se renier, alors que généralement on posait les choses en alternative : soit on se complaisait dans des attitudes archaïques, soit on balayait tout ça et on adhérait à une modernité qui faisait du passé table rase. Leur idée était qu’il y a une troisième voie.

Qui étaient les membres de ce mouvement ?

Parmi les fondateurs des Seiz Breur (“Sept frères” en breton, nom issu d’un conte populaire du pays gallo, ndlr), il y a Jeanne Malivel, RenéYves Creston, Suzanne CandréCreston, Georges Robin… Ils sont peintres, sculpteurs, graveurs, illustrateurs, décorateurs… La plupart d’entre eux se rencontrent à Paris, un peu par hasard dans des cours de breton du soir à la Sorbonne. Influencés par les grands mouvements artistiques qui traversent le

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Ils considèrent que la vie doit être saisie par l’art »
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Bikini
DOSSIER

SANS SE RENIER »

continent (en particulier les Renaissances nationales en Europe centrale et nordique), ils décident de se revoir en Bretagne en 1923. D’abord à Locronan où se tient la Troménie. Ils veulent voir ce spectacle qu’on leur a décrit comme fantastique. Puis au pardon du Folgoët (qui est toujours aujourd’hui un des plus grands pardons de Bretagne) où ils sont éblouis par les costumes. Ce qui était chez eux une idée vague devient alors une évidence : il y a là une civilisation qui s’exprime. Ils sont époustouflés. Cela leur permet de se convaincre que ce qu’ils avaient imaginé de façon un peu enthousiaste a toute sa raison d’être. Ce qui lance officiellement le mouvement Seiz Breur.

Avec en ligne de mire l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de Paris en 1925…

Ils s’embarquent dans cette aventure

mais c’est un pari. Ils n’ont aucune référence et tout le monde les traite de gamins. À part Jeanne Malivel qui est un peu plus âgée, ils ont tout juste la vingtaine. Mais ils ne se dégonflent pas. René-Yves Creston (qui démontre déjà sa capacité à monter des coups contre vents et marées, avec un génie des relations publiques qui le caractérise) a un ami architecte qu’il sollicite. Ils déposent alors un projet de pavillon de la Bretagne. Bien sûr, ils n’ont pas les moyens financiers mais vu qu’ils attirent déjà l’attention, les organisateurs du pavillon (avec l’artiste Jean-Julien Lemordant à leur tête) se rendent compte qu’il ne peuvent pas les rejeter. On leur accorde donc une place. Ils imaginent alors la pièce principale, nommée L’Osté (ci-dessus, ndlr), qui représente une salle d’auberge à la campagne (on y retrouve un buffet, une bonnetière, une table, des chaises, un banc, des ustensiles

Dessin

ménagers, des tentures murales… Cette pièce rappelle l’agencement d’une maison traditionnelle de Haute-Bretagne mais les meubles affichent un style très moderne : des formes schématisées et des décors de lignes brisées qui rappellent des effets de façade du courant artistique allemand du Bauhaus, ndlr). Inspirés par le mouvement anglais des Arts and Crafts, il considèrent que la vie doit être saisie par l’art. Cela passe par la production de textiles, de céramique et donc de mobilier pour réinventer l’ordinaire breton. Le meuble est un moyen de rentrer chez les gens de façon forte et d’inscrire cette recherche de modernité.

Ils revendiquent le fait de concilier inspiration bretonne et esprit moderne. Cela constitue-t-il le fil rouge de leurs créations ?

Ils sont convaincus que la Bretagne est capable de digérer tout ce que l’Histoire lui propose. Ils sont aussi portés par une idée de l’architecte Le Corbusier qui disait : “Il faut construire un folklore pour notre temps.” Cela voulait dire qu’il ne fallait pas imiter la paysannerie, mais qu’il fallait regarder dans la paysannerie la capacité à produire un folklore, c’est-à-dire des valeurs partagées, une capacité à faire unité autour d’idées pertinentes et modernes au moment où elles sont créées. Comprendre ce mécanisme et en assumer l’héritage. C’est d’abord cet esprit, plus qu’une esthétique commune, qui unit ces artistes et qui définit le mouvement Seiz Breur.

Recueilli Collection particulière. DR
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à l’aquarelle et à l’encre, René-Yves Creston, 1925. Adagp, Paris, 2023

« EMBELLIR LE QUOTIDIEN DE LEURS CONTEMPORAINS » « DES

Pluridisciplinaire, le mouvement Seiz Breur se concentre dès sa création sur le domaines des arts appliqués. Dans les années 1920, le terme “designers” n’est pas encore utilisé, mais ces jeunes créateurs s’inscrivent pleinement dans cette démarche, celle de penser et de concevoir des objets du quotidien. « Il y a cette idée théorisée par William Morris des Arts and Crafts qui dit qu’il n’y a pas que le “grand art” et que les arts doivent être partout. Que ce que nous manions dans notre vie de tous les jours doit être caractéristique de cette subtilité qui caractérise la civilisation » , contextualise l’historien Daniel Le Couédic. Des préceptes qui ne quitteront pas Jeanne Malivel et ses acolytes. Pour les Seiz Breur, dessiner des assiettes, imaginer des motifs de tissu ou sculpter un fauteuil est un choix tout sauf anodin. « Leur philosophie, c’est d’embellir le quotidien de leurs contemporains, pose Pascal Aumasson, historien de l’art, ancien conservateur dans plusieurs musées de la région et auteur de l’ouvrage Seiz Breur : pour un art moderne en Bretagne paru en 2017 aux Éditions Locus Solus. Il se détachent de toute idée d’un art du luxe ou pour la haute société : leur objectif est de fabriquer des objets populaires. Pour faire en sorte que le peuple breton ne soit pas à l’écart du “beau”. » Avec comme premier medium de prédilection : le textile. Avant de fonder le mouvement, ils avaient même d’abord songé à la création d’un journal des modes bretonnes (intitulé Ar Mod). Un projet porté par Jeanne Malivel et Suzanne Candré-Creston (dont les étoffes

imaginées il y a cent ans n’ont rien perdu de leur puissance et de leur fraîcheur), mais qui ne verra cependant pas le jour.

Pour la réalisation du mobilier, si les Seiz Breur comptent dans leur rang la présence d’ébénistes d’art (Gaston Sébilleau, Joseph Savina, Christian Le Part…), c’est vers les faïenceries de Quimper qu’ils se tournent pour confectionner leurs céramiques qu’ils ont préalablement dessinées. « Ils vont ainsi entraîner la maison Henriot vers des formes auxquelles elle ne pensait sans doute pas avant, loin de son personnage de “petit Breton” qu’elle utilise alors beaucoup », ajoute Pascal Aumasson.

Conservateur au Musée de la faïence à Quimper, Bernard Verlingue confirme : « L’apport des Seiz Breur à la faïencerie quimpéroise ne se mesure pas quantitativement. Il y a eu au final peu de pièces, c’était des petites séries. Pour autant, leurs céramiques ont été extrêmement importantes par la nouveauté et la modernité qu’elles affichaient. »

Pichet,

breton Multipliant les techniques et les supports, les artistes du mouvement s’aventurent sur différents terrains. Une diversité dans la création qui rend plus que difficile la question suivante : existe-t-il un style Seiz Breur ? « Il faut avant tout rappeler que ce courant se présente comme une fraternité. Ce n’est ni une école ni une académie, il n’y a ni enseignement ni règles. Chaque membre garde son indépendance et sa liberté de production », explique Pascal Aumasson pour qui il est plus juste de parler de conceptions artistiques que de consignes de style chez « ces jeunes artistes intrépides, promoteurs d’une certaine forme de métissage entre tradition et modernité »

C’est ainsi qu’ils vont rendre visible différents symboles bretons et celtiques, en les stylisant et en les schématisant. « Ils ont peu utilisé le triskel et l’hermine – à part pour leur logo –. En revanche, l’hevoud (une forme de croix spiralée, ndlr) revient régulièrement, ainsi que les motifs de dents de scie et de triangles qui font référence au soleil celtique », illustre l’historien de l’art. Pour Saphyr Creston, petite-fille de René-Yves et autrice d’une thèse sur son grand-père (qui fera l’objet d’une publication cette année aux Éditions Ouest-France), les différents portraits de saints représentent bien l’esthétique du mouvement. Une série à laquelle de nombreux membres (Creston, Candré, Péron, Langlais, Robin, Malivel…) ont participé et où, finalement, l’unité se fait dans la diversité. Mais au-delà des ces réinventions de figures et de signes

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Suzanne Candré-Creston, 1924. Collec. Musée departemental
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PIÈCES EN TOTALE RUPTURE »

existants, les membres des Seiz Breur s’illustrent également dans la recherche de formes abstraites. À l’image des céramiques réalisées par Jeanne Malivel chez Henriot, en particulier son fameux service de table jaune et noir (ci-dessus). « Des pièces en totale rupture », juge Daniel Le Couédic. Ou encore, selon Pascal Aumasson, le service bleu et jaune imaginé par Suzanne Candré-Creston et René-Yves Creston (ci-contre). « C’est coloré, géométrique, dynamique, presque cinétique… Pour eux, c’était ça le décor breton par excellence. Ça n’a rien de figuratif breton mais leur idée est que ça le devienne par ruissellement, par immersion progressive, par capillarité d’une production à l’autre. »

Modèles de pots à beurre, Suzanne Candré-Creston. Collection particulière Les Pardons de Bretagne , Jeanne Malivel, gravure, 1920 Broche, Pierre Péron, 1936. Collec. Musée de Bretagne Assiette, Jeanne Malivel, 1925. Collec. Musée dép. breton
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Sant Jili , Xavier de Langlais, estampe, 1930. Collec. Musée de Bretagne

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Cette volonté de renouveler l’image populaire et de faire de la Bretagne une terre pleinement dans son temps traduit un engagement politique. Cela fait des Seiz Breur plus qu’un “simple” courant esthétique. « Beaucoup de ces artistes se sont inscrits, directement ou indirectement, dans le champ politique, mais pas dans le sens politicien, précise Daniel Le Couédic. Ils avaient une réflexion sur l’état de la société et sur ce qu’elle devait être à leurs yeux. Le tout à un moment où la Bretagne pouvait “s’éteindre”. À cette époque, il n’y avait pas vraiment d’avenir pour la région : c’était soit le tourisme, soit devenir une sorte de conservatoire du passé. »

Totem de cet engagement et outil pour toucher un public plus large, la revue illustrée Kornog sera éditée de 1928 à 1931. « Ce qui est important chez les Seiz Breur, c’est le manifeste, presque plus que l’œuvre en ellemême, estime Saphyr Creston. Il y avait une volonté de passer par la revue pour se faire connaître et diffuser leurs idées. Et quand on lit les textes de Kornog, on est clairement dans une opposition à Paris et aux jacobins. »

Un positionnement qui les rapprochait des mouvements autonomistes. « Parmi les membres fondateurs, Jeanne Malivel (qui décédera en 1926, emportée par la maladie, ndlr) avait notamment illustré un livre de Jeanne Cécile Danio qui était une critique virulente de l’État

français dans l’Histoire, indique Pascal Aumasson. À différents niveaux, tous étaient plus ou moins proches de ce courant. Même s’il faut préciser que le mouvement en tant que tel ne prend pas une position qui oblige ses adhérents. »

« Un amalgame »

Un positionnement que les Seiz Breur tiendront également au moment de la Seconde Guerre mondiale. « Sous l’occupation, René-Yves Creston fait le nécessaire pour faire connaître la ligne officielle du mouvement qui est de ne pas prendre position. Il n’y aura ni accord avec les autorités allemandes ni avec le gouvernement de Vichy. Les engagements de chacun se font alors à titre individuel », ajoute l’historien de l’art.

Quelques membres (« qui s’accommodent de la situation et qui pensent qu’il faut en tirer partie à la fin de la guerre, quelle que soit son issue », précise Daniel Le Couédic) se rapprochent du Parti national breton (PNB), organe indépendantiste d’extrême droite qui bascule dans la collaboration avec les Allemands. À l’image notamment de Yann Goulet (condamné à mort par contumace à la Libération) ou de Christian Le Part (ardent soutien du PNB, assassiné par la Résistance).

L’IMPORTANCE DU MANIFESTE » « Tous

« Des comportements qui doivent être condamnés pour une poignée d’entre eux mais il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier », insiste Daniel Le Couédic qui rappelle que les Seiz Breur ont aussi compté des résistants. Comme l’ébéniste Gaston Sébilleau (qui s’est illustré dans une filière d’évasion de prisonniers de guerre) ou encore René-Yves Creston. « Il a fait partie du réseau du Musée de l’Homme à

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plus ou moins proches du courant autonomiste »
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Collection particulière

Paris. Il a pris des risques pour cela et a fait des mois de prison. Et même s’il a pu rester en contact avec des personnalités pas très claires du mouvement breton (Roparz Hemon notamment, ndlr), il se plaçait clairement à gauche, il n’y a aucune ambiguïté », affirme sa petite-fille Saphyr. Si la fin des Seiz Breur en 1947 s’explique par des divergences importantes entre ses membres (« pour faire poids, ils étaient ouverts à un trop grand nombre de personnes : des musiciens, des écrivains... et même un médecin ! Il n’y avait plus vraiment de ligne directrice », précise Pascal Aumasson), cette période clivante y a aussi contribué. Les accusations de collaboration entacheront la fraternité et contribueront à la faire tomber dans l’oubli à l’après-guerre. « Un amalgame et un discrédit » que Daniel Le Couédic estime injuste : « À cause des égarements de quelques-uns, on a jeté l’opprobre sur tous ceux qui s’inscrivaient dans ce mouvement. » J.M

Union de la Bretagne à la France , Jeanne Malivel, gravure
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Couverture revue Kornog, René-Yves Creston, 1929. Adagp, Paris, 2023

DU REFOULEMENT À LA FIERTÉ »

Si le mouvement a été rangé aux oubliettes au sortir de la guerre, ses membres ont continué à exercer chacun de leur côté. Toujours dans le domaine de l’art, citons notamment Joseph Savina qui s’associera avec l’architecte Le Corbusier, devenant son sculpteur. « Dans tous les grands musées du monde, on retrouve ainsi ses œuvres », se réjouit Daniel Le Couédic. Ainsi que dans des domaines nouveaux, comme l’ethnologie. RenéYves Creston partira ainsi en campagne au Groenland et aux Îles Féroé. « Il y a étudié la chasse aux oiseaux et aux cétacés, les costumes, les chants traditionnels... Toute cette période a été très riche dans sa carrière », éclaire Saphyr Creston. Quid des œuvres estampillées Seiz Breur ? C’est seulement à partir des années 1980 qu’elles commenceront à sortir de l’ombre. Non sans mal. Conservateur au Musée de la faïence à Quimper, Bernard Verlingue est le premier à avoir monté une exposition

consacrée à ce courant. C’était en 1993. « Je me souviens que ma mère m’avait demandé pourquoi je faisais un truc de collabo, s’en amuse-t-il avec le recul. Mais c’était un mouvement qui méritait d’être réhabilité. Jusqu’alors, les pièces n’étaient pas du tout valorisées, les faïenceries les avaient toujours mais elles étaient mises au rebus. »

Ayant piloté la grande exposition dédiée au Seiz Breur au Musée de Bretagne en 2000, Daniel Le Coué-

dic a analysé cet intérêt renaissant. « Le mouvement est revenu par le biais de l’histoire des idées. Dans les années 80, quand les chercheurs se sont interrogés sur la façon dont la Bretagne était devenue une région moderne et enviée, ils ne pouvaient que rencontrer ce mouvement-là. Le moment était venu, nous pouvions en parler. Les familles et les héritiers ont ainsi commencé à montrer les objets qu’ils possédaient. Ce qui était du refoulement devenait une fierté. »

« DES PRIX MULTIPLIÉS

Un regain d’intérêt que l’on observe également dans les salles des ventes. « À l’été 2021, un meuble de Joseph Savina a été vendu pour 6 000 €. Il y a cinq ans, il serait parti pour 250 €…, pointe Pascal Aumasson. Il y a beaucoup de recherches historiques qui mettent en avant ces artistes. Les commissaires-priseurs et les marchands d’art s’en servent. » Parmi ceux-ci, Tangui Le Lonquer, fondateur de la galerie Nozantika basée à Fougères. Il a fait des pièces Seiz Breur l’une des ses quêtes, avec une appétence assumée pour

les fauteuils (« c’est plus qu’une simple assise, c’est une sculpture ! »). Parmi ses clients, le milliardaire américain Micky Wolfson, propriétaire du Wolfsonian Museum à Miami Beach et passionné par les mouvements d’avant-garde. « Quand tu vois ce genre de profil s’intéresser aux Seiz Breur, tu te dis qu’il se passe un truc. » Ce qui s’est confirmé en salles des ventes où, en l’espace d’une quinzaine d’années, Tangui a vu les prix être « multipliés par dix ». « Beaucoup de personnes qui détiennent des pièces ne se rendent

DOSSIER
«
N-D du Folgoët , Georges Robin, 1928. Musée dép. breton
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Joseph Savina

Si les musées bretons ont depuis rattrapé un certain retard en acquérant un nombre important de pièces (le Musée départemental breton à Quimper présente ainsi le mobilier de L’Osté dans son parcours permanent), aucun n’envisage malgré tout de célébrer ce centenaire en grande pompe (à ce jour, seule la bibliothèque Forney à Paris prévoit une exposition sur Jeanne Malivel). « Ce n’est pas une volonté de ne pas faire, se défend Laurence Prod’homme, conservatrice au Musée de Bretagne à Rennes. Depuis l’exposition de 2000, il n’y a pas eu de pièces majeures dévoilées, rien donc qui justifie une exposition temporaire. Par contre, nous pourrons bien sûr organiser des conférences à l’occasion de sorties d’ouvrages. »

Un domaine où les Seiz Breur feront événement en 2023 : les Éditions OuestFrance publient cette année une monographie sur René-Yves Creston et les Éditions Locus Solus annoncent, pour le printemps, des ouvrages sur Suzanne Candré-Creston et Jeanne Malivel.

PAR DIX»

pourtant pas compte de leur valeur, poursuit Bernard Verlingue, souvent sollicité pour expertiser de la faïence. Les gens tombent dessus dans le grenier sans savoir quoi en faire. On trouve parfois des trésors. » Si la vente “L’Âme Bretonne”, organisée par Me Cosquéric, attire l’attention chaque année, Tangui Le Lonquer espère bien aussi faire date. « En juin prochain, on organise, avec Rennes Enchères, une grande vente consacrée aux Seiz Breur. Un événement qui devrait attirer les amoureux des arts décoratifs, mais aussi le grand public de plus en plus curieux. »

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Nominoë , René-Yves Creston, 1928. Adagp, Paris, 2023

« NOUS EN SOMMES TOUS LES

Cent ans après la création du mouvement, plus de 75 ans après sa fin, qui sont les héritiers des Seiz Breur ? « Nous le sommes tous ! Tous les Bretons sont héritiers de l’histoire intellectuelle et artistique de leur pays, s’enthousiasme Daniel Le Couédic qui reste cependant plus critique sur ceux qui revendiquent une filiation directe avec Malivel, Creston, Péron et consorts. Pour ces créateurs qui ont voulu s’inscrire matériellement dans cet héritage, cela n’a jamais bien marché. Ce n’était que des répliques plus ou moins inspirées. Le mouvement était fini en 1947. Ce n’était pas une faillite mais la fin d’une séquence importante qui avait pleinement rempli son rôle historique. Il n’y avait pas de raison que cela marche à nouveau en 1950, 60 ou 70. »

Plus que le style, reste cependant la philosophie. Une démarche que l’on retrouve dans le travail du graphiste Fañch Le Henaff. « Je me suis toujours intéressé à la relation entre typographie et identité. En tant que brittophone, je veux que la langue bretonne ait sa place dans mes productions graphiques, et pas uniquement pour des créations autour de la culture bretonne ou de la “bretonnité”. J’ai toujours eu cette volonté de démontrer que cette langue doit s’afficher dans la modernité de son époque. »

Le graphiste cornouaillais pousse cette réflexion qui aboutit, en 1997, à la création du Brito. « Un caractère typographique qui reflète notre

identité culturelle. Pour construire ce projet, je me suis inspiré de caractères que j’ai pu observer dans des inscriptions anciennes, des manuscrits, des monuments de la région… J’y ai inventorié tous les attributs récurrents qui marque un caractère ”breton” et “celtique”... Pour le “A” par exemple, je me suis basé sur une lettre vue sur une stèle du 8e siècle à Lanrivoaré dans le nord-Finistère, développe Fañch Le Henaff qui, par cette occasion, a réussi à concrétiser une idée des Seiz Breur. Dans la revue Kornog, René-Yves Creston explique avoir voulu créer un caractère typographique breton. Il a essayé de convaincre des fondeurs en France, mais ces derniers ne voulaient pas, ils n’y croyaient pas. »

À ce jour, Brito est utilisé par plus de 300 professionnels et particuliers. Une typographie qui, en 2023, proposera des innovations. « Cela représentera

un jeu complet de 500 glyphes », précise le graphiste qui, s’il se montre perplexe sur les héritiers autoproclamés des Seiz Breur, cite volontiers les frères Bouroullec (« ces designers ont révisité le lit-clos traditionnel en proposant une vision radicale ») ou encore la styliste Val Piriou (« sa grand-mère était couturière à Pont-l’Abbé. Elle s’en est inspirée pour réinventer le costume bigouden »).

Également dans le domaine de la mode, Nolwenn Faligot, 31 ans, fait elle aussi partie des créateurs actuels que l’aventure des Seiz Breur ne laisse pas insensible. Basée à Dirinon, dans le Finistère, la jeune styliste, inspirée par Jeanne Malivel (« une femme d’avant-garde qui avait une volonté de faire vivre la mode et le textile dans la région »), retravaille les codes esthétiques traditionnels bretons dans ses pièces de prêt-àporter féminin haut-de-gamme. Comme sur ses marinières aux rayures destructurées, ses robes aux motifs hypnotiques où se devinent des triskels ou encore ses blouses dont les fronces rappellent ceux

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« En
faire le vêtement breton d’aujourd’hui »
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HÉRITIERS »

du “bragoù braz”. « Je présente mes créations comme du “work wear chic”. Des pièces à la fois confortables pour bouger et travailler, mais qui restent soignées et élégantes, comme sur le costume traditionnel mais sans le côté corseté. Avec l’envie d’en faire le vêtement breton d’aujourd’hui », explique Nolwenn, soucieuse d’affirmer (« et non revendiquer ») une identité « ouverte à toutes les influences culturelles et sociétales de notre temps ». Un clin d’oeil aux Seiz Breur que l’on retrouve, de façon plus surprenante, chez les membres du groupe de rock Bops. Pour la pochette de leur album sorti il y a quelques mois, le très bon Sounds of Parade , les Rennais ont repris une des créations de Suzanne Candré-Creston. Un motif qu’ils affichent également sur scène. « On cherchait un visuel en lien avec la Bretagne, mais on ne voulait pas tomber dans l’iconographique habituelle et dans le cliché, rembobine Louis, un des musiciens. C’est là qu’on a flashé sur cette œuvre (datant de 1931, ndlr). Un motif qui claque toujours autant aujourd’hui. » J.M

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François Le Gouic

L’ABORDAGE !

l faut le voir pour le croire. Deux mercredis par mois, c’est une file ininterrompue d’étudiants qui ont faim – oui, faim – qui se forme au cœur du campus Villejean de Rennes 2. Sagement, ils patientent, un sac vide en main, attendant de le remplir des victuailles qu’on leur propose. Paquets de pâtes et de riz, conserves, boîtes de thon, briques de lait, biscuits, légumes frais (les denrées les plus prisées) et produits d’hygiène, le tout récupéré auprès de la Banque alimentaire, parmi les invendus des supermarchés et grâce à une aide financière substantielle de la fac. Gratuitement et sans condition de ressources, les bénéficiaires ont droit à huit produits chacun, pas plus pour essayer de contenter tout le monde. « Ils sont entre 500 et 600 à chaque fois, c’est impressionnant. La précarité étudiante est énorme, même si le gouvernement refuse de la voir ou la minimise », s’insurge Juliette Malbois, l’une de la vingtaine de bénévoles qui coordonnent cette spectaculaire distrib’. Et ce n’est pas les 10 millions d’euros débloqués par le ministère des Solidarités en novembre pour financer l’aide alimentaire des étudiants qui va calmer la colère froide de l’étudiante en L3 Information-communication. « On est obligés de se substituer à un État en-dessous de tout. Ça ne nous fait

pas plaisir d’avoir à gérer cette situation, c’est chaque fois une logistique complexe à mener, mais c’est le moyen le plus concret de rendre service aux étudiants, ce qui est la mission première d’un syndicat, non ? »

Car oui, Juliette est membre de l’Union Pirate, le syndicat (ultra) majoritaire de Rennes 2. Elle comme tous les autres bénévoles, dont Yeltas Panhaleux, étudiant en histoire, qui justifie son adhésion derrière ses

cageots de carottes et de poireaux. « L’Union Pirate, c’est le seul syndicat qui se bouge pour aider les jeunes. C’est pour ça qu’ils sont si populaires. »

L’Union Pirate, nous y voilà. Le jeune syndicat, qui n’existe sous ce nom que depuis 2020, revendique « 1 500 adhérents à jour de cotisation et une cinquantaine de militants actifs », calcule Nathan Servignat, l’un de ses responsables, étudiant en

APPARUE EN 2015 À RENNES SOUS LE NOM FANTAISISTE D’ARMÉE DE DUMBLEDORE, L’UNION PIRATE A, DEPUIS SON CHANGEMENT DE NOM, GAGNÉ EN POPULARITÉ, GRÂCE NOTAMMENT À SES ACTIONS CONCRÈTES
22 janvier-février-mars 2023 #60
CONTRE LA PRÉCARITÉ ÉTUDIANTE. À
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master de communication publique.

Le nombre d’élus dans les différentes instances représentatives est plus impressionnant encore : 4 sur 6 élus étudiants au conseil d’administration de Rennes 2, 11 sur 16 représentants étudiants à la Commission de la formation et de la vie universitaire (la CFVU a notamment un droit de regard sur le contenu des maquettes d’enseignement) et 15 sur les 20 élus étudiants des Unités de formation et de recherche (les UFR, qui s’occupent au cas par cas des matières enseignées à la fac). L’Union Pirate est également majoritaire au Crous (en charge du logement étudiant et de la restauration universitaire) à hauteur de 4 élus sur 7 en Bretagne. Pour bien mesurer sa domination, concentronsnous sur le résultat des dernières élections étudiantes au conseil d’administration, organisées il y a moins d’un an. Pour gagner 4 des 6 sièges vacants, l’Union Pirate a obtenu 70,8 % des voix, loin devant ses concurrents que sont

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Solidaires-FSE (17,3 %), la Fage (9,4 %) et un groupe indépendant (2,4 %). « On est aussi parvenu à cette occasion à faire monter le taux de participation à 17 %, contre 10 % précédemment (autour de 4 % au niveau national, ndlr) », se félicite Nathan Servignat. Autant de chiffres qui confirment le fulgurant succès des flibustiers de l’Union Pirate qui ont réussi à complètement redessiner la carte syndicale étudiante. “Rennes la rouge” est devenue ces dernières années “Rennes la violette”, aux couleurs de ce nouveau syndicat très présent sur le campus avec ses affiches pétantes et son logo qui claque. Pour prendre la mesure de la révolution en cours, revenons une quinzaine d’années en arrière, lorsque Villejean devenait la première fac de France à s’élever contre le contrat première embauche (CPE). Les grandes forces syndicales d’alors à Rennes 2 étaient l’UNEF et SUD Étudiant. « C’était un âge d’or pour nous, se souvient Catherine Milin, l’une des responsables de l’UNEF à Villejean à l’époque. Les étudiants savaient qu’ils pouvaient compter sur nous. La preuve, on a réussi à faire reculer le gouvernement. » Avec les méthodes traditionnelles de l’époque : AG massives, votes à main levées, blocage dur de la fac, grèves et manifs XXL. Étienne Charenton, ancien étudiant de la même période et membre de SUD Étudiant, se rappelle d’une « grande lutte sociale intersyndicale et interprofessionnelle ». Mais les années qui suivent sont celles de la désillusion. L’UNEF surtout, grand syndicat fondé en 1947, longtemps puissant et respecté, s’empêtre dans

des crises à répétition. « Sarkozy a mis à mal les corps intermédiaires que sont les syndicats et on en subit les conséquences encore aujourd’hui, déplore Catherine Milin. À partir de son mandat présidentiel, on n’a plus rien gagné, c’était décourageant. Il y a eu rupture de confiance et on en a pâti. »

« Un coup magistral » Avec François Hollande comme successeur à l’Élysée, la situation ne s’arrange pas pour l’UNEF, considérée depuis les années 80 comme la pouponnière du PS, entraînée vers le fond par le parti honni. « L’impopularité du président a rejailli sur le syndicat qui a subi de nombreux procès en duplicité et en trahison », confirme Hugo Melchior, historien rennais des mouvements de jeunesse. Paralysé en plus par des tensions internes, le bureau rennais de l’UNEF voit débouler aux élections étudiantes de 2015 une liste a priori pas sérieuse nommée Armée de Dumbledore, avec

mode d’organisation horizontale qui séduit

comme slogan “Le seul vote contre les forces du mal”. « C’était une manière de tourner en dérision les syndicats traditionnels qui avaient perdu en crédibilité. Résultat : on fait 30 %, devant Solidaires étudiant-e-s (ex-SUD Étudiant) et l’UNEF. Face à ce résultat, le président de Rennes 2, Olivier David, nous accepte comme interlocuteurs et demande nos revendications. Rapidement, on va mettre en place le premier budget participatif étudiant de France. C’est comme ça qu’on a gagné nos galons », pose Nathan Servignat. « L’Armée de Dumbledore, c’est un coup électoral magistral », applaudit Hugo Melchior. « Derrière l’humour, on sentait une détermination et un corpus politique solide, témoigne Gilles Richard, président de la Société française d’histoire politique et ancien enseignant à Rennes 2, qui a bien connu les leaders de cette Armée nouvelle, dont le fondateur Fabien Caillé, ancien étudiant en histoire (devenu depuis assistant parlementaire du député NUPES Louis Boyard). Ils ont su habilement capter le malaise social et mener des actions fortes, avec un mode d’organisation très horizontale qui séduit la jeune génération. »

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« Un
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Aux élections de 2017, l’Armée de Dumbledore tente un rapprochement avec Solidaires étudiant-e-s, sous le nouveau nom d’Alliance Rebelle. Mais malgré des résultats toujours meilleurs face à l’UNEF, cet accord syndical ne tient pas longtemps et l’Armée de Dumbledore reprend son indépendance en 2020 sous un nouveau nom : l’Union Pirate. Sans aucun lien, si ce n’est un cousinage patronymique, avec l’organisation politique Parti Pirate. Né à Rennes 2, le syndicat possède désormais d’autres entités ailleurs en Bretagne : à Rennes 1, où l’Union Pirate s’est implantée dans la foulée en pleine période de pandémie, à Brest depuis janvier 2022, mais aussi plus récemment encore à Saint-Brieuc et à Nantes. Et comme à Villejean, l’activité la plus visible de l’Union Pirate est l’organisation de distributions alimentaires. Chez les voisins de Rennes 1, elle est organisée là aussi deux mercredis par mois, alternativement sur les différents campus de l’université. « Majoritairement, c’est sur les sites de droit et d’éco que nous les faisons, là où les besoins sont les plus importants », précise Léa Jules-Clément, étudiante en L3 de droit et responsable locale de l’Union Pirate.

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Organiser des actions à la hauteur des enjeux »

Avec 80 à 100 bénéficiaires, l’échelle n’est pas la même qu’à Rennes 2, mais le fonctionnement est identique et la source d’approvisionnement reste la Banque alimentaire. « On offre aussi des protections périodiques lavables pour lutter contre la précarité menstruelle et des couvercles anti-GHB pour lutter contre les violences en soirée », poursuit la militante, qui définit la ligne politique du syndicat comme de « gauche radicale réformiste ». Un courant forcément moins porteur qu’à Rennes 2 mais qui compte tout de même 3 élus sur les 6 du conseil d’administration de Rennes 1, et 5 des 14 représentants étudiants à la commission vie universitaire. « Tout ça alors que la direction nous met des bâtons dans les roues en refusant de nous accorder un local, fulmine Léa. Même notre distribution alimentaire est désormais reléguée loin du hall principal de la fac. On cherche à nous rendre invisible. »

Pour sa première campagne électorale, l’Union Pirate de Brest a également réalisé une belle percée, avec 2 élus sur 6 au conseil d’administration de l’UBO et 4 sur 15 à la commission vie universitaire. « À terme, on vise la majorité », ambitionne Jonas RousseauMorvan, étudiant en informatique et secrétaire du bureau d’un syndicat aux 600 sympathisants et 70 adhérents revendiqués. Comme ses acolytes rennaises, l’Union Pirate Brest s’est lancée sur une distribution alimentaire qui marche (malheureusement) bien, avec 200 à 300 bénéficiaires chaque mois.

« C’est du palliatif, se désole Jonas. On fait ce qu’on peut pour aider les étudiants à court terme, mais on essaie de bien faire comprendre que ce qu’on fait est politique. Le syndicat doit être compris comme un outil de conscience de classe. »

Un discours qui, à Brest particulièrement, ne tombe pas sous le sens.

La représentation étudiante à l’UBO est en effet historiquement dominée

par la Fédé B, organisme qui va fêter cette année ses 30 ans d’existence et qui, comme le présente son responsable Baptiste Le Masson, étudiant en master d’océanographie, « n’est pas un syndicat mais une fédération d’associations étudiantes avec des responsabilités syndicales. » 37 associations au total, pour 4 élus sur 6 au conseil d’administration et 12 sur les 16 de la commission vie universitaire. Une fédération, donc, membre de la Fage, organisme revendiqué apolitique né en 1989 et qui est actuellement majoritaire nationalement. « Les associations connaissent bien les problématiques des étudiants, c’est pour ça que la Fédé B est légitime et séduit, défend Baptiste. Nous aussi on s’oppose au sous-financement de l’État, à l’offre de restauration dégradée du Crous et à la précarité étudiante. On a mis par exemple en place une épicerie sociale et solidaire, pas gratuite certes, mais à 10 % du prix du marché. » Et de conclure : « L’Union Pirate n’a pas le monopole des actions. »

« Une radicalité concrète » À Rennes 2 aussi, la Fage représente actuellement la concurrence la plus coriace de l’Union Pirate. « Ils sont forts en LEA, en STAPS et globalement là où il y a des BDE car ils font surtout de l’événementiel, attaque Nathan Servignat, chef de file des pirates rennais. Organiser des soirées étudiantes, c’est très bien mais ce n’est pas à la hauteur des enjeux. Nous, on défend la mise en place d’un revenu minimum étudiant pour lutter contre le salariat étudiant. C’est une mesure concrète. On est aussi engagé dans un combat contre la nouvelle carte de restauration du Crous et sa grille tarifaire. Les sandwichs à 5 €, c’est dans une boulangerie parisienne, pas dans une cafétéria étudiante. »

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26 janvier-février-mars 2023 #60

« L’Union Pirate propose un syndicalisme hybride, à la fois dans la lutte politique et dans le service rendu, servi par une stratégie de communication efficace, avec des messages clairs, percutants et intelligibles. Ses membres n’ont pas peur de mettre les mains dans le cambouis. Ils revendiquent une radicalité qui se veut concrète et doit permettre d’obtenir des résultats rapides visibles, tangibles et ressentis par les étudiants. Mais ils souhaitent aussi gagner le plus d’élus pour contribuer également par l’intérieur à faire avancer leurs revendications. Autrement dit, ils sont à la fois mouvementistes et électoralistes », analyse Hugo Melchior. « Ils sont dans le vrai mais le plus dur commence maintenant pour eux, prévient, en vieux sage, Étienne Charenton, l’ancien syndicaliste de SUD. Pour durer, il faut transmettre et c’est toute la difficulté d’un syndicat étudiant qui assiste à un important turnover chaque année. Il faut une structure solide. » Ce qui n’est pas encore tout à fait le cas, puisque pour l’instant chaque Union Pirate évolue indépendamment. « Seule la charte graphique relie les différentes Union Pirate entre elles et c’est vrai que c’est un peu mince », concède Nathan Servignat, de la maison-mère de Rennes 2, qui envisage d’ailleurs d’organiser une première rencontre entre les différentes entités pour « se coordonner et adopter une charte commune de valeurs et de principes »

De quoi continuer à grandir et à s’élargir, à terme, hors de Bretagne ? « Ce n’est pas le projet, assure Nathan. Nous tenons à rester à une échelle locale qui est selon nous la plus à même de défendre l’intérêt des étudiants et de prendre en compte les spécificités et les revendications qui peuvent changer d’une université à l’autre. » Un vrai discours politique.

Delanoë

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28 janvier-février-mars 2023 #60
Erwan Balança

FEU DE TOUT BOIS

PHOTOGRAPHE NATURALISTE ET DINGUE DE NOURRITURE,

ERWAN BALANÇA A PUBLIÉ

ttention, tu marches sur ton repas ! » Alors qu’il est en train de fendre des petits bouts de bois pour notre feu du midi, Erwan m’a confié une tâche de la plus haute importance : cueillir de l’oseille sauvage. Et c’est ainsi que je me retrouve, au milieu de la verdure, à tenter de débusquer cette petite plante de la famille des polygonacées. Ça a une forme plutôt ovale, parfois allongée, et ça ressemble globalement à des jeunes pousses d’épinard. Les mêmes que dans les sachets Florette, mais en vrai. Après cinq-dix minutes de recherche intensive, je reviens avec à peine une dizaine de feuilles, alors que mon hôte du jour a déjà lancé la braise entre des tas de pierres. L’occasion de constater que je suis moins dégourdi que je le pensais pour la survie en pleine nature (j’en ai pourtant maté des épisodes de Bear Grylls) et que ma connaissance du monde végétal est somme toute très limitée. Face à une étendue d’herbe, je ne vois que du vert, alors qu’Erwan, lui, y détecte des feuilles de pissenlit,

du plantain, du nombril de Vénus et, donc, de l’oseille qu’il m’aidera à trouver.

Un œil aguerri dont ce Morbihannais d’origine (aujourd’hui installé à Bouaye, au sud-ouest de Nantes) s’est servi pour son dernier ouvrage Cuisiner dans les bois, paru fin 2022. Un recueil de plats à réaliser en extérieur à partir d’aliments cueillis dans la forêt ou ramassés sur le littoral.

Un livre qui, au-delà des recettes qu’il décrit, aborde tout un tas de questions devenues majeures : les problématiques environnementales, notre rapport à la nature, l’alimentation, nos modes de consommation… Des réflexions et des préoccupations qui animent Erwan Balança depuis toujours. « Quand j’étais gamin, je passais tout mon temps dehors. J’avais des parents assez permissifs qui me faisaient confiance. J’ai donc pu jouir d’une grande liberté pour explorer la nature autour de chez moi, rembobine le garçon qui a grandi dans le hameau de Kerham, sur la commune de Plœmeur. À cet endroit aujourd’hui, on trouve malheureusement un golf mais, à l’époque, c’était

une zone de landes, de marais, de bocage, de bord de mer… Un terrain de jeu incroyable. »

Et alors que ses copains de classe sont plutôt branchés par le basket, le foot et les jeux vidéo, Erwan cultive, lui, son goût pour la pêche et la cueillette. « J’adorais aussi attraper des animaux : des merles, des grives, des lapins… Et plutôt que de les ramener à la maison, j’allumais un petit feu pour les griller et les manger au goûter en rentrant de l’école. Pour un gamin de 12 ans, c’était un peu spécial…, se marre-t-il. Et aujourd’hui, à 50 ans, je me rends compte que je continue à faire les mêmes choses. »

Une relation de proximité avec le sauvage qui caractérise son métier de photographe animalier. « Pour mon travail, je peux être amené à voyager à travers le monde (Alaska, Colombie-Britannique, Géorgie du Sud…) mais le gros de mon activité se situe surtout autour de chez moi, à photographier des espèces “simples”.

La beauté dans la nature est partout. Alors oui, il y a des animaux sacrés chez les photographes, comme l’ours blanc ou le lion, mais si tu n’es

« CUISINER DANS LES BOIS ». UN ÉTONNANT OUVRAGE QUI, AU-DELÀ DES RECETTES, NOUS INVITE SURTOUT À REPENSER NOTRE RAPPORT À L’ENVIRONNEMENT.
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pas capable de t’extasier devant un rouge-gorge ou un campagnol, tu passes à côté de l’essentiel », insiste le garçon, auteur en 2021 de l’ouvrage La nature à 200 mètres de chez moi, recensant ses plus beaux clichés réalisés à deux pas de sa maison. Cet éloge de la simplicité et de l’ultra local constitue le fil rouge de Cuisiner dans les bois. « L’idée du bouquin, c’est finalement de dire qu’avec peu de matériels et seulement quelques ingrédients, tu peux préparer quelque chose de très bon. Pour bien cuisinier, beaucoup de gens pensent qu’ils ont besoin de 15 000 produits et d’un robot avec une clé USB. J’estime qu’ils se trompent. La preuve : dans n’importe quelle forêt, tu as moyen de trouver de quoi te régaler : des plantes, des champignons, des fruits... Suffit d’avoir avec toi quelques produits en complément (un peu d’huile, quelques épices, un oignon, des œufs…), un briquet pour allumer le feu, une poêle robuste et c’est parti », détaille Erwan en enfilant ses bottes.

Direction une zone de sous-bois toute proche. Besace en bandoulière, il ne lui suffit que de quelques minutes pour trouver des girolles (« pas mal de personnes ont peur de cueillir des champignons, mais avec la girolle c’est impossible de se tromper : un entonnoir jaune avec des lamelles qui descendent jusqu’au pied. Tu peux pas confondre »), un cèpe (« une partie du chapeau est un peu abîmée mais ça ira »), de l’ortie et des nèfles accrochées à une branche (« on dirait des petites poires mais en plus astringent »). Sans oublier quelques feuilles, histoire de pimper notre ome-

lette prévue ce midi. « L’oseille va venir apporter des notes d’acidité intéressantes. Le nombril de Vénus a moins d’intérêt gustatif mais ça a une texture croquante que j’aime bien », m’appâte Erwan. Menu végé donc ? « On n’a pas le temps d’aller près de la route pour voir s’il y a un ragondin écrasé. » Plusieurs semaines après ce reportage, je ne sais toujours pas si c’était une blague.

« Capacité d’émerveillement » De saison, biologique (« à condition de s’assurer que les champs traités soient à une distance suffisante »), en circuit court : la cuisine prônée par notre photographe culinaire ne constituerait-elle pas les bases d’une alimentation plus éthique et vertueuse ? « Mes recettes ne vont pas changer la face du monde mais, d’une manière générale, je pense que la nourriture constitue la meilleure piste pour faire bouger les choses. Tout le monde mange, cela concerne

chacun d’entre nous. En se réappropriant son alimentation, on est amené à choisir des produits de qualité. Et ce n’est pas forcément une question de moyens financiers. Certains produits transformés en supermarché coûte une fortune pour un truc qui ne les vaut pas. Alors oui, ça prend un peu de temps de râper soi-même ses carottes qui viennent d’un producteur local, mais c’est quelque chose de déterminant car cela favorise tout un écosystème », argue Erwan qui, en 2020, a travaillé avec le chef étoilé Éric Guérin, du restaurant La Mare aux Oiseaux à Saint-Joachim, pour un ouvrage sur les petits producteurs. D’un bivouac en pleine forêt au luxe d’une table gastronomique, l’écart est bien plus mince qu’il n’y paraît, assure-t-il. « D’un côté, les grands chefs proposent des plats très poussés techniquement, avec beaucoup de réflexion et de sophistication. Mais, de l’autre côté, ils peuvent également partir sur des produits travaillés de façon extrêmement brute. C’est là qu’on se rejoint. » Il évoque alors le souvenir d’un repas en bord de mer où, sur un galet fortement chauffé

DOSSIER
30 janvier-février-mars 2023 #60
« Vivre
une aventure à proximité de chez soi »

dans un feu de bois, il avait cuit un filet de maquereau à l’unilatéral, snacké sur la peau pour qu’elle croustille, sur lequel il avait déposé un peu de salicorne fraîchement cueillie et une pincée de fleur de sel. « C’est tellement dépouillé que ça va à l’essentiel. C’est une façon de magnifier des produits simples. » À l’image de notre omelette aux champignons et aux feuilles sauvages (effectivement, hyper croquantes les pousses de nombril de Vénus) mangée à même la poêle en fonte aussitôt sortie des braises. Un repas bercé par le crépitement du feu et l’odeur de fumée qui, pour Erwan, constitue toujours un dépaysement. « Trouver ses aliments, les faire cuire et les manger en pleine nature, cela permet de réenchanter une simple balade en forêt. Il y a, je pense, quelque chose de primitif qui doit jouer. C’est important d’avoir cette capacité d’émerveillement à proximité de chez soi. Cela montre qu’il n’y a pas forcément besoin d’aller à l’autre bout du monde pour vivre une aventure. »

Julien Marchand

Cuisiner dans les bois, paru aux Éditions Ulmer

Photos : Erwan Balança
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PISCINE TOURNESOL : LA

AFFAIRE

ans la catégorie « bâtiments-qui-font-tournerla-tête-quand-on-passedevant », ces grosses bulles à hublots sont plutôt balaises. Des dômes, aux formes arrondies et aux allures de soucoupe volante, tout droit sortis des seventies et de leur esthétique à la Austin Powers (« groovy baby, yeah ! »).

Ces reliques d’un autre temps, ce sont les piscines Tournesol. En Bretagne, la première a avoir vu le jour il y a cinquante ans tout pile se trouvait à

Landivisiau, dans le nord-Finistère. Une grosse bulle rouge, comme un oursin géant posé dans le quartier de Tiez Névez. Six autres de ces bâtiments chlorés seront installés dans la région. Des piscines décapotables qui avaient un but précis et un objectif tout con : apprendre à nager.

« À l’époque où se construisent ces piscines en France, au début des années 70, une grande part de la population ne sait pas réellement nager : les accidents par noyade sont fréquents. Qui plus est, la France

accumule les déconvenues en natation aux Jeux olympiques. En 1968 à Mexico, elle ne remporte qu’une médaille, rembobine Hugo Massire, docteur en histoire de l’architecture contemporaine à l’Ensab (école nationale supérieure d’architecture de Bretagne). Dans la foulée, le secrétariat d’État chargé de la jeunesse, du sport et des loisirs affirme qu’il faut remédier au problème et décide alors du lancement d’un concours national d’architecture, dédié à la conception de piscines. Il faut qu’elles

DOSSIER
ATTERRIES IL Y A 50 ANS EN BRETAGNE, LES PISCINES TOURNESOL DÉTONNENT TOUJOURS DANS LE PAYSAGE AVEC LEUR LOOK DE SOUCOUPE VOLANTE. SI LA PLUPART ONT ÉTÉ DÉTRUITES, QUELQUES-UNES REFUSENT DE COULER.
BELLE
32 janvier-février-mars 2023 #60

soient préfabriquées et qu’elles puissent être assemblées rapidement, un peu comme un jeu de Meccano. »

Parmi les candidats au concours, un jeune architecte du nom de Bernard Schoeller va proposer son idée, inspiré par les fleurs de tournesol et leur capacité à se tourner vers le soleil. Il imagine un bassin recouvert d’une coupole de 35 mètres de diamètre et de 6 mètres de haut, composée de tuiles rétractables en plastique, posées sur une trentaine d’arcs métalliques, actionnés par une liaison mécanique centrale, qui permet d’ouvrir le toit de cette piscine sur 120°. Le tout dans un style bien futuriste.

« Coupole en plastique »

Avec sa piscine Tournesol, Schoeller remporte ce concours qui aboutit, en 1971, au lancement de l’opération “1000 piscines”. L’objectif visé est alors d’installer environ une par canton sur le territoire. « Face aux autres projets en lice, la Tournesol était véritablement tape-à-l’œil, elle sortait du lot, décrit Emmanuel Auvray, chercheur en histoire du sport à l’université de Caen et auteur d’un essai sur les piscines publiques françaises au 20e siècle. Mais derrière cette originalité, cette coupole de plastique, si atypique grâce à sa possibilité d’ouverture, abritait en réalité un bassin prescrit, respectant impérativement les normes de l’époque : 25 mètres sur 10, avec 4 ou 5 couloirs de nage, grand max 6. Parce qu’il ne faut pas perdre de vue que la Tournesol avait un but : on devait y apprendre à nager et c’était tout. Le jeu ou l’aspect ludique n’y avait pas sa place. » Moins funky tout d’un coup. Malgré la promesse d’un millier de piscines, seules 183 seront construites en France entre 1972 et 1984, l’État ayant dû revoir ses ambitions à la baisse à cause de la crise économique de 1973. Parmi celles sorties de terre,

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« On l’ouvrait pour l’aquagym l’hiver, ça fumait de partout »

sept se trouvent en Bretagne, toutes mises en place entre 1973 et 1977. La première a été installée à Landivisiau en 1973. Nivillac a acquis la sienne un an plus tard, avant CessonSevigné, Rennes, Baud et Locminé en 1975. Les deux dernières communes, Quimperlé et Lorient, ont elles reçu leur Tournesol respectivement en 1976 et 1977. Aujourd’hui, seules les piscines du Bois du Château à Lorient et des Métairies à Nivillac sont toujours debout (« toujours vivant, rassurez-vous… »), leurs dômes à hublots abritant toujours les scolaires et les habitués.

Les cinq autres bassins ont tenu bon jusque dans les années 2000, à l’exception de celui de CessonSévigné qui a été démonté en 1992. Pourtant, quand en 1975 CessonSévigné devient la première ville de la métropole rennaise à avoir sa piscine Tournesol, « c’était une petite révolution, se souvient Jean-Pierre Bréau, président de l’association Cesson Mémoire et Patrimoine. Auparavant, les gens du coin se déplaçaient à la piscine Saint-Georges ou à celle de Bréquigny à Rennes, s’ils n’allaient pas directement dans les étangs de Dézerseul ou dans la Vilaine. Lors de son inauguration, il y avait beaucoup de monde, l’accès était gratuit toute la journée, le soir on ne voyait plus le fond du bassin ». Aujourd’hui, le centre aquatique de Cesson a remplacé la Tournesol, partie non sans laisser des petits souvenirs. « Si vous regardez la forme du balcon des visiteurs, vous verrez qu’il est circulaire, explique Philippe Simonet actuellement technicien de

la piscine de Cesson-Sévigné, ancien maître-nageur à la Tournesol dans les années 1980. Cette structure ronde se retrouve aussi dans la forme du mur, elle continue jusque derrière la salle de muscu. Ce sont les vestiges de notre Tournesol dont on a gardé les fondations pour construire la piscine d’aujourd’hui. Elle nous a servi de base. »

« Un tracteur pour la refermer » Pour Christian Parisot, adjoint au sport à la mairie de Cesson-Sevigné, la piscine Tournesol faisait indéniablement partie du patrimoine de la ville : « Évidemment, les gens y étaient attachés. C’était un élément marquant de l’histoire de la commune. Néanmoins, sa déconstruction en 1992 a été acceptée par les habitants, parce qu’ils savaient qu’elle allait être remplacée par un équipement plus confortable. »

À Quimperlé, la piscine Tournesol a quant à elle fermé ses portes 17 ans plus tard, en 2009, avant d’être démolie. Ce qui n’empêche pas Yvan Derrien, son ancien directeur et actuel gérant du centre aquatique de la ville, d’y rester attaché encore aujourd’hui : « Je suis vraiment nostalgique de cette période. C’était une piscine conviviale et familiale. Même à l’échelle de l’équipe, nous n’étions que quatre : deux maîtres-nageurs, une caissière et un technicien. On connaissait tout le monde. Quand sa fermeture était discutée, j’avais même envisagé de la reprendre ! Je me suis dit ’’je quitte la fonction publique, je rachète la piscine, je la remets au goût du jour et je me mets à mon compte’’. Je serais bien resté dans cette piscine, c’était sympa l’été, mais aussi l’hiver : quand on ouvrait pour faire le cours d’aquagym en extérieur, ça fumait de partout ! C’était génial, mais on ne pouvait plus continuer comme ça. »

Connues pour être de véritables passoires énergétiques, les Tournesols doivent aussi composer avec le mauvais vieillissement de leur plastique

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Archives de LorientYann LukasFonds Ouest-FrancePhoto colorisée DOSSIER

qui, sous les intempéries, se salit et se casse. « C’était un beau projet, mais évidemment elles ne tenaient plus la route, décrit l’ancien chef de bassin de Quimperlé. La piscine était chauffée au fioul, ça coûtait extrêmement cher. Et puis, elle laissait passer le vent, la chaleur... Et pour ça, la fermeture n’a pas été si dure. Il y avait cette belle promesse de centre aquatique en perspective. D’autant plus que la piscine Tournesol devenait en réalité bien trop petite pour répondre à la demande des nombreux usagers. »

Jean-Pierre Gabriele, directeur de la piscine Tournesol de Locminé de 2007 à sa fermeture en 2012, poursuit : « On était arrivé au bout de son espérance de vie. Déjà d’un point de vue machinerie. Par exemple, la dernière fois qu’on avait voulu ouvrir le toit, il nous a fallu l’aide d’un tracteur pour le refermer… Mais aussi du point de vue du confort, le bruit devenait insupportable. Comme aucune cloison ne montait jusqu’au plafond, le son se répercutait dans la coupole, ça créait une ambiance assourdissante. C’est pour ces raisons qu’il a fallu fermer. Les élus avaient décidé qu’il fallait passer à autre chose.  »

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Dans le Morbihan, à Nivillac, Laurent Porcher et Stéphane Boullard, respectivement directeur et technicien de la piscine Tournesol des Métairies, sont fiers de maintenir en vie leur bassin de 1974. Ils pensent que si leur piscine est toujours là, c’est parce qu’elle trouve toujours son public. « Il s’agit d’habitués. Des usagers d’une moyenne d’âge entre 56 et 66 ans, précise Stéphane Boullard, qui avant d’en être le technicien, a enseigné la natation à la piscine des Métairies. Il y a des personnes qui ont appris à nager ici et qui continuent de venir à la piscine pour l’aspect familial qu’elle représente ».

Si elle a bien conservé la coupole et le bassin de cette période, la Tournesol de Nivillac a néanmoins connu quelques rénovations, histoire de résister aux années. Elle a notamment fait disparaître les vestiaires en plastique d’origine pour les remplacer par un équipement plus moderne. « Cette piscine est sur le territoire depuis presque cinquante ans, elle fait partie du paysage, explique Laurent Porcher.

Malheureusement, elle n’est plus de première jeunesse. Vous avez sans doute vu à l’extérieur le grand bras métallique au-dessus de la coque. Il est là parce qu’on n’a plus le droit d’ouvrir la coupole. Techniquement, elle pourrait s’ouvrir, mais on ne peut pas, ce serait apparemment trop dangereux. » Malgré cela, le futur de la piscine n’est pas menacé et sa possible fermeture « pas discutée ».

« Du patrimoine vivant »

La piscine de Nivillac a pour jumelle la Tournesol de Lorient, toujours dans son jus, avec ses cabines en plastique jaune flashy. Elle prend place dans le quartier du Bois du Château, avec le sentiment d’avoir été figée dans le temps : « On est ici dans une capsule temporelle, sourit Christophe Deutsch-Dumolin, animateur de l’architecture et du patrimoine à la ville de Lorient. C’est une sorte de retour vers le futur, mais dans les années 1970. À l’arrière, il y a même des portes papillon qui s’ouvrent sur l’extérieur, on doit bien avouer qu’on a l’impression de se retrouver dans une soucoupe volante. »

Pour l’animateur, si la piscine est toujours en vie, c’est parce qu’elle accueille encore son lot de scolaires et de clubs de natation : « La piscine s’inscrit dans un quartier, elle est utile là où elle est. » Son avenir n’est cependant pas fixé : « Une étude sur les consommations énergétiques de la piscine du Bois du Château sera menée par les services de la ville sur l’année 2023/2024 », indique France

« L’ARCHITECTURE MISAIT SUR LA DÉMARCATION »

Hugo Massire, historien de l’architecture, maître de conf’ à l’Ensab

Comment expliquer la mode de l’esthétique futuriste dans les années 1970 ?

C’était un moyen de marquer la modernité dans le paysage urbain. À cette époque, il y avait un attrait général pour la courbe. Elle était à la mode parce qu’elle tra-

duisait une espèce d’idéal, une fascination autour de la forme lisse, qui rappelle le divin, la facilité, opposée aux formes angulaires qui, elles, sont rattachées au travail humain, perçu comme moins noble.

Cela passe notamment par des formes arrondies… Derrière cette symbolique, il faut aussi se rappeler que les années 1970 correspondent à l’avènement du plastique

et du métal qui vont permettre la fabrication de formes impossibles avec d’autres matériaux, comme la brique par exemple. On va alors voir apparaître des lignes beaucoup plus légères et aériennes. De plus, ce sont des matières qui se colorent plus facilement, d’où la récurrence de couleurs pop.

Pourquoi l’architecture actuelle est-elle moins colorée ? Hier, cette possibilité de

peindre les matériaux permettait de voir de loin ces structures. Aujourd’hui, notre approche est totalement différente. De nos jours, on a peur de la couleur. On essaye de dissimuler nos immeubles, on veut éviter de dénaturer le paysage et l’environnement. On va alors peindre en blanc, en gris, en beige... On veut s’intégrer dans un milieu global, alors que dans les années 1970 on misait sur la démarcation.

DOSSIER
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Brochet, chargée de communication à la mairie de Lorient. De quoi craindre pour sa survie ? « Ces piscines sont les témoins d’une époque dont l’image est en train de s’effacer petit à petit, regrette Hugo Massire de l’école d’architecture de Bretagne, qui se veut néanmoins optimiste. Heureusement, on commence de plus en plus à considérer ce patrimoine du 20e siècle. Ce qu’a construit la génération de nos grands-parents est en train de disparaître progressivement, mais on se rend compte de la valeur sentimentale, scientifique et historique de ces bâtiments. » Christophe Deutsch-Dumolin, à Lorient, poursuit : « Aujourd’hui, même si on constate que le plastique ne vieillit pas bien, il est important de conserver cet équipement. Le problème, c’est qu’on prend conscience du patrimoine que lorsqu’il est menacé ! Si vous regardez autour de vous ici, il y a des enfants partout, ils crient, ils jouent. Garder la Tournesol c’est montrer que le patrimoine, ce n’est pas que de l’inerte ou de la vieille pierre. C’est aussi quelque chose de vivant. »

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TRENTAINE RUGISSANTE

DIX ANS APRÈS SES DÉBUTS, LA FOLKEUSE LADYLIKE LILY A ENTREPRIS UN JOLI VIRAGE ARTISTIQUE VERS LA CRÉATION JEUNE PUBLIC.

a crise de la quarantaine est connue, celle de la trentaine un peu moins, moment charnière de fin de l’insouciante jeunesse. Orianne Marsilli, 35 ans, reconnaît avoir passé difficilement ce cap. Professionnellement d’abord, elle qui est connue comme chanteuse depuis ses débuts en 2010 sous le nom de Ladylike Lily a eu un peu de mal

à digérer la sortie de son deuxième album en 2016 (Dans la matière). « J’avais cette frustration de laisser plein d’envies de côté car je les trouvais incompatibles avec la scène dans lequel je me sentais cloisonnée, se remémore celle qui, avec son folk délicat, avait réussi à solidement s’installer dans le paysage musical. J’ai ressenti le besoin de laisser décanter ce mélange d’émo-

tions. » Personnellement aussi, elle ne s’en cache pas, elle traversait une passe complexe. « Je n’arrivais pas à avoir d’enfant, c’était douloureux. En plus, on m’avait fait comprendre qu’une maternité pouvait mettre à mal ma carrière… »

Alors en 2017, Orianne décide de faire une pause. Pas longtemps néanmoins. « Depuis petite, je suis hyperactive. Il fallait que j’envisager une œuvre globale compilant tout ce que je voulais faire. » Sans le calculer, cette exploration artistique l’a dirigée vers le spectacle jeune public. Aidée de la compagnie rennaise L’Armada, du coach artistique David Lippe et de Julien Ravary au son et aux lumières, la Finistérienne devient plasticienne, conteuse et marionnettiste, en plus d’être musicienne et chanteuse, pour concevoir Echoes en 2018, sa première création pour enfants.

Malgré ce changement de cap artistique, Orianne décide de garder son nom de scène : Ladylike Lily. « Je l’assume d’autant plus que je n’ai pas l’impression de partir sur une nouvelle carrière. J’ai gardé ma plume. Le jeune public n’est pas une sous-catégorie qui nécessiterait d’alléger le propos. »

RDV
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Les Graines oubliées , sa deuxième création jeune public, arrive en ce début d’année. « C’est une suite à Echoes sans en être une vraiment. Les deux peuvent s’entendre et se voir séparément, avec le même personnage, la petite Lily, une enfant en quête des couleurs disparues. C’est un conte onirique, traitant de féminité et d’écologie, avec un gros travail d’expérimentations plastiques sur scène : un jeu d’ombres musicales et d’encres végétales. Musicalement, les sonorités sont plus synthétiques, avec des teintes électro. » L’album sera publié par Minouch, un label qu’elle a créé et qui se veut « 100 % féminin, 100 % maman ». Une niche ? « Pas tant que ça, assure Orianne, qui est devenue mère en 2021. Beaucoup d’artistes femmes se posent des questions sur la manière de gérer leur carrière et leur désir d’enfant. C’est une logistique particulière à appréhender. J’ai pensé ce label comme une coopérative musicale pour aider d’autres femmes dans mon cas. »

Régis Delanoë

Le 22 janvier à L’Échonova à St-Avé, les 10 et 11 fév. à Bonjour Minuit à St-Brieuc, le 24 février à l’Antipode à Rennes, les 23 et 24 mars au SEW à Morlaix

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DR

DANSE AVEC LES STARS

e constat de Maud Le Pladec est limpide : « J’ai travaillé avec énormément de musiciens, de chefs d’orchestre ou autres. Et dans 95 % des cas, c’étaient des hommes. C’est systémique. L’invisibilisation des femmes dans le milieu de la musique et de la danse est très forte. »

Directrice du Centre chorégraphique national d’Orléans depuis 2017, la danseuse et chorégraphe mène l’établissement en y incorporant une vision inclusive et écoféministe. Cette nouvelle direction devient artistiquement concrète avec la création de Counting Stars With You (musiques femmes), projet mêlant la danse, le chant, la musique (composée par la productrice DJ Chloé) et un discours salutaire. Pour ce spectacle, Maud Le Pladec a choisi de mettre en avant six figures féminines. Six compositrices trop peu considérées, bien qu’elles aient pourtant marqué leur domaine à des époques très différentes. Il y a Kassia de Constantinople, poétesse et musicienne sainte de l’empire byzantin née en l’an 805 ; Giovanna Marini, figure des musiques folkloriques et protestataires italiennes du 20e siècle ; Elysia Crampton, artiste transgenre adeptes de musiques électroniques hybrides ; ou encore la (géniale) percussionniste électro Lucie Antunes.

Sur scène, six interprètes font vivre ces univers radicalement différents, mais liés par cette démarche éminemment politique. « J’ai surtout pensé la pièce comme une sorte de manifeste poétique, précise Maud Le Pladec, Briochine d’origine. Il fallait que ces interrogations, cette prise de conscience, cette colère, s’expriment de manière visuelle, chorégraphique, sensible et vocale. Et avec beaucoup de douceur, à travers un geste avant tout artistique. Avec Chloé et les autres artistes impliquées, nous avons choisi de partir sur cette idée de constellation de femmes, de voix, de danseurs qui font corps ensemble. »

En filigrane, apparaît une critique du milieu de la danse et de ses barrières. « Le public a parfois du mal à l’imaginer parce qu’il y a plus de petites filles qui font de la danse que de garçons, mais ce phénomène s’inverse à partir du moment où on arrive à des postes à haute responsabilité : chorégraphe, directeur artistique, directeur de lieu… Ce sont les hommes qui les occupent très majoritairement. »

Les 9 et 10 février au Mac Orlan à Brest dans le cadre du festival Astropolis Le 12 avril à La Passerelle à Saint-Brieuc

40 janvier-février-mars 2023 #60 RDV
AVEC SON SPECTACLE « COUNTING STARS WITH YOU (MUSIQUES FEMMES) », LA CHORÉGRAPHE MAUD LE PLADEC MET EN LUMIÈRE LES PARCOURS INVISIBILISÉS DE MUSICIENNES POURTANT MAJEURES. Alexandre Haefeli

VOL SUSPENDU

En 2011, Sylvain Texier lançait The Last Morning Soundtrack, projet dans lequel le musicien rennais explorait son goût pour la pop délicate. « Et puis un jour, par hasard, j’ai découvert Nils Frahm et ça a été une révélation. Cette musique néo-classique, instrumentale et hyper cinématographique, c’était ce que je voulais faire. »

Pour cela, il a été à l’origine du groupe Fragments, spécialiste des ciné-concerts, avant de le quitter en 2016 pour lancer dans la foulée un nouveau projet solo baptisé Ô Lake, référence au fameux poème Le Lac d’Alphonse de Lamartine (« Ô temps, suspends ton vol ! Et vous, heures propices, suspendez votre cours ! »). Manière « d’assumer complètement » l’aspect poétique et romantique de sa démarche artistique. Le troisième album, Still, sort en février et succède à Refuge et à Gerry. Avec, différence notable, l’apport d’un orchestre à cordes de quarante musiciens basé… en Macédoine. « C’est un orchestre habitué à travailler pour Netflix. Je leur ai envoyé mes morceaux qu’ils ont enregistrés depuis leur studio à Skopje. » Ce qui donne plus d’ampleur aux compositions intimistes de Sylvain, avec quelques moments épiques, comme le superbe Avalanche, qui aurait sa place dans la B.O d’Interstellar R.D

Les 4 et 5 février au festival Jardins d’Hiver aux Champs Libres à Rennes

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LE RENNAIS SYLVAIN TEXIER DONNE DE L’ÉPAISSEUR ORCHESTRALE À SON PROJET « Ô LAKE ». Thomas Dilis

ROUGES SANGUINES

es Vulves Assassines ont d’abord été deux. Surnoms : DJ Conant et MC Vieillard. « Deux rappeuses hurleuses, se présententelles. On s’est rencontrées au boulot et on s’est formées à la musique toutes seules, chez nous à Aubervilliers. Samy, qui elle connaît bien son solfège, a rejoint le groupe il y a quatre ans quand le projet commençait à ressembler à quelque chose. » Preuve de cette évolution, leur discographie, avec un premier album, Godzilla 3000, sorti en duo (« avec trois bouts de ficelles, des samples trouvés sur GarageBand et beaucoup de camaraderie ») et un second, Das Kapital, où le désormais trio s’est « vachement plus appliqué, même s’il sent toujours la tambouille maison ».

Un projet le plus souvent qualifié d’électro-punk-rap (« de l’espace », tiennent-elles à rajouter), avec quelques influences à piocher dans la scène alternative eighties (Bérurier Noir, Ludwig von 88…), le mouvement rock-punk féministe Riot grrrl (Bikini Kill, L7…) et le foutraque pour retourner une salle de concert façon Sexy Sushi ou Stupeflip. De quoi convaincre le tourneur morlaisien Wart, toujours dans les bons coups, de les intégrer à leur roster depuis 2021. « Avant ça,

on a eu une longue expérience de concerts underground dans tout le milieu indé et militant parisien. Surtout en banlieue rouge, notre fief et notre fierté. »

Militantes assumées posant des beats et des riffs sur des slogans de manifs, les Vulves parlent chômage, état d’urgence, ultra-libéralisme et arrachage de chemise du patron d’Air France, entre autres choses. Das Kapital, n’est pas seulement le nom du deuxième album mais tient aussi du manifeste. « Notre son est avant tout un matériel de propa-

gande communiste et féministe », assument-elles très sérieusement (éditorialistes TV en PLS). Avec tout de même, pour ne pas faire trop émission de La Chaîne Parlementaire, un côté grivois lui aussi revendiqué, « même s’il ne prend pas toute la place. Mais peut-être qu’on le remarque plus parce qu’on est des gonzesses et que ça écorche plus rapidement les oreilles ? »

RDV
AVEC LEUR PUNK-RAP BIEN VÉNÈRE ET MILITANT, AU CROISEMENT DE SEXY SUSHI ET DES BÉRUS, LES VULVES ASSASSINES ENTENDENT BIEN SECOUER 2023. MAIS POURQUOI SONT-ELLES SI MÉCHANTES ? PARCE QUE !!! Régis Delanoë Le 26 janvier à L’Échonova à Saint-Avé
Garance Ameline 42 janvier-février-mars 2023 #60

SPACE ODDITY

Saviez-vous que l’un des ambassadeurs de l’humanité est mort dans la rue, durant l’hiver 1945, refusé à l’hôpital parce qu’il était noir ? Cette histoire, c’est celle de Blind Willie Johnson. Un bluesman américain que le metteur en scène Emmanuel Meirieu sort de l’ombre dans sa pièce Dark was the night. « C’était un gosse du Texas qui a vécu dans la misère et la violence. Il a été aveuglé par sa belle-mère quand il avait 7 ans, retrace-t-il. Plus tard, c’est en jouant sur une guitare faite en boîte à cigares qu’il a appris la musique, avant de devenir musicien itinérant. » Un destin pour le moins chaotique qui n’a pas empêché un de ses morceaux, Dark Was the Night, Cold Was the Ground, enregistré en 1927, de faire partie des 27 titres de musique gravés sur le disque d’or de la sonde Voyager, propulsée dans l’espace en 1977. « La musique de Willie va survivre à l’espèce humaine, se réjouit Emmanuel Meirieu qui, par cette ironie tragique, rend hommage aux oubliés. Je suis un déboulonneur de statues. Et ma façon de déboulonner, c’est d’essayer d’ériger d’autres personnages. Les héros qu’on glorifie aujourd’hui ne sont pas les miens. Mon travail vise à honorer d’autres humains. Et Willie en fait partie. » M.A

Les 17 et 18 janv. au Palais des Arts à Vannes Les 20 et 21 janv. à L’Aire Libre à St-Jacques

DANS UNE AVENTURE SPATIALE ET MUSICALE, EMMANUEL MEIRIEU REDÉFINIT LA NOTION DE HÉROS. Pascal Gely
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HYPERCUT

Le batteur rennais Bertrand James (La Battue, Totorro…) et le producteur électro nantais Maelstrom (Maël Péneau) se sont rencontrés ces dernières années en accompagnant en tournée Louisahhh, figure bien connue de la scène techno française. Les deux larrons partagent un goût commun pour l’exploration musicale qui, paradoxalement, s’est développée pendant la pandémie de Covid. « Comme on avait du temps à tuer, j’ai découvert à ce moment-là des triggers nouvelle génération (capteurs de batterie placés contre une peau de frappe)

qui récupèrent de l’information. Ça permet de jouer de la musique électro à partir du corps, transformant la batterie en une interface numérique. Avec elle, je peux jouer des mélodies sur un synthé par exemple. Pour le dire simplement : c’est assez génial », s’enthousiasme Bertrand. « On a commencé à pas mal geeker avec ces nouveaux jouets, enchaîne son acolyte. Je récupère le signal audio généré avec ma mixette DJM-900, ce qui nous a permis de

créer à deux un set bien cool dans un univers rave de musique à danser. » Restait à trouver un nom à ce duo naissant : ce sera Rixes. « C’est un projet à 2+1 en fait, corrige Bertrand. On travaille en collaboration avec Eliza Struthers-Jobin, une creative codeuse franco-canadienne. Pour le show, de l’art numérique est généré par la musique. » R.D

Le 10 février à La Carène à Brest dans le cadre du festival Astropolis

ORANJE PRESSÉES

Après avoir embrasé les Indisciplinées à Lorient en novembre et les Bars en Trans à Rennes en décembre avec son post-punk tout en nerfs, le groupe de Rotterdam Tramhaus fait déjà son retour dans le coin : le 16 mars à La Carène à Brest et le 17 au Novomax à Quimper. Yeah !

RIOT GRRRL

Big Joanie vient de sortir Back Home, son deuxième album (paru chez The Daydream Library Series, le label de Thurston Moore). Un opus qui confirme que le punk-garage des trois Londoniennes fonctionne toujours aussi bien, porté par des revendications féministes, antiracistes et politiques. Le 18 février à Hydrophone à Lorient.

Michèle Margot
DR 44 janvier-février-mars 2023 #60 RDV
MUSIQUE RAVE, MATOS DE GEEK ET ART NUMÉRIQUE : LE DUO RIXES TABASSE BIEN.

«

L’OCÉAN N’EST PAS UN AQUARIUM

GARDER UNE MÉMOIRE »

« J’ai toujours observé les paysages sous-marins, je plonge depuis que je suis tout gamin ( il a aujourd’hui 52 ans, ndlr). Mais je ne m’étais jamais posé la question de les représenter dans mon travail de photographe. En 2015, avec les débuts de mon projet Initium Maris, je me suis formé à la plongée professionnelle et j’ai commencé à m’interroger sur les représentations qu’on pouvait avoir de cet environnement. Les paysages de nos côtes, on les connaît en réalité assez peu. J’ai alors entrepris ce travail d’inventaire, parce que je voulais garder une mémoire de ces points de vue. »

FOCUS
DEPUIS PRÈS DE DIX ANS, LE PHOTOGRAPHE NICOLAS FLOC’H EXPLORE LES FONDS MARINS BRETONS. IL EN REVIENT AVEC DES CLICHÉS ÉTONNANTS, LOIN DES REPRÉSENTATIONS HABITUELLES, QUE L’ARTISTE CONÇOIT COMME UN INVENTAIRE DE NOTRE ENVIRONNEMENT. UN MOYEN DE SAUVEGARDER UN MONDE EN CONSTANTE MUTATION.
46 janvier-février-mars 2023 #60
Nicolas Floc’h

«

UNE JUNGLE »

« Quand j’ai commencé ce travail, je savais que j’allais avoir besoin d’un bateau qui me servirait de base mobile pour me déplacer le long des côtes, principalement en Bretagne. Une région où les paysages sous-marins ressemblent, je trouve, à la jungle. Ils sont exubérants, presque tropicaux. Pour les parcourir, j’ai donc acheté un fisher, que j’ai appelé OAO pour “Observation Artistique de l’Océan”. En navigant à proximité des îles, j’ai pu vérifier une certaine différence liée à l’éloignement du littoral. On va trouver des milieux davantage préservés, plus sauvages, qui

semblent moins directement touchés. Mais ça ne veut pas dire qu’ils sont exempts des conséquences du réchauffement climatique. Il faut garder en tête que ce que je montre concerne la planète entière. Si la zone de couverture de mes expéditions se situe en Bretagne, de SaintNazaire à Saint-Malo, ce travail local ne doit pas être déconnecté d’une vision globale du phénomène. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai pensé mon projet : ce qui se passe ici se passe partout. »

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Nicolas Floc’h

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PAS UN AQUARIUM GÉANT »

« Une précédente résidence à bord d’un bateau scientifique m’avait également permis de lire les choses différemment. Ces chercheurs et universitaires m’avaient expliqué des phénomènes que j’observais et, d’une manière plus générale, le fonctionnement de l’océan. C’est grâce à cette compréhension que j’ai par la suite construit mes images et les représentations que je veux transmettre de cet

environnement. Je suis artiste, pas scientifique : je travaille avec mon regard. J’essaie de donner à voir ces paysages, leur complexité, leur dynamique, leur poésie, avec une approche sensible. Avec cette volonté de montrer au mieux ce que je vois sous l’eau. Je travaille donc à la lumière naturelle et en grand angle. Pourquoi ce choix du noir et blanc ? Cela permet d’évacuer une dimension “exotique” qui est souvent rattachée à la photo sousmarine en couleur. Car si je vous dis “paysages sous-marins”, ce qui vous vient à l’esprit c’est sans doute un environnement tropical, avec des coraux colorés ou des bancs de poissons, mais la réalité est différente. La vie est partout, l’eau en est saturée, mais l’océan n’est pas un aquarium géant. »

FOCUS
Nicolas Floc’h
48 janvier-février-mars 2023 #60
Nicolas Floc’h

UN MONDE EN MUTATION »

« Il est important de rappeler que, sous l’eau, les transformations environnementales sont beaucoup plus rapides que sur terre. C’est un monde en mutation constante qui subit fortement l’impact du dérèglement climatique et des pressions locales causées par l’activité humaine. Ce milieu est en train de changer à très grande vitesse et à des échelles qu’on n’imagine même pas. Je souhaite que mes images aient une certaine influence sur la lecture du monde, que cela dépasse le champ immédiat de l’art. Car pour agir face à l’urgence climatique, il faut qu’on puisse constater son impact. Je travaille en ce sens. Pour réussir à mobiliser, il faut des représentations concrètes car on ne conçoit pas ce qu’on ne voit pas. »

Recueilli par Melrine Atzeni

Initium Maris – paysages immergés : jusqu’au 12 mars au centre d’art Gwinzegal à Guingamp

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RECOMMANDE

FAKEAR

L’électro voyageuse et onirique de Fakear est de retour. En février, sort Talisman le quatrième album du producteur caennais. Un disque plus dansant que les précédents, qui se veut une ode à la nature, un manifeste pour l’environnement, à l’image des titres Moonlight Moves et Altar. Dépaysant.

Le 28/03 à L’Étage à Rennes Le 31/03 à Hydrophone à Lorient

DR THE BLACK ANGELS

WATERPROOF

Le meilleur de la création chorégraphique contemporaine. C’est la promesse du festival Waterproof. Au programme : 48ème parallèle de Sylvain Prunenec, La Rêveuse de Jennifer Dubreuil Houthemann ou encore l’alléchant Distro de Pauline Sonnic et Nolwenn Ferry, fruit de leur immersion dans les bistrots bretons (photo). Du 28 janvier au 05 février À Rennes (Triangle, Cité, CRR...)

Voix sépulcrale et riffs infiniment ciselés : les Texans de The Black Angels sont une valeur sûre du rock psychédélique US, entretenant depuis près de 20 ans et 6 albums (le dernier, Wilderness of Mirrors, sorti fin 2022) la flamme d’un style musical qui se contrefout des modes. Et c’est tant mieux.

Le 23 février À l’Antipode à Rennes

DR

HEUREUSE LA NATION… … qui n’a pas d’histoire Ce spectacle proposé par le festival Travelling plonge dans l’Amérique en mutation du début des années 60, croisant les musiques de Nina Simone, Dylan et Hendrix avec les voix d’Angela Davis, de Martin Luther King et de JFK. Un hymne à la mixité moins badant qu’un débat sur la TNT.

Le 14 février Au TNB à Rennes

ROSA BURSZTEIN

Parler d’amour de façon crue et de sexe avec sensibilité. À moins que ce soit l’inverse. C’est un des nouveaux visages du stand-up. Autrice du podcast romantico-féministe Les mecs que je veux ken, l’humoriste Rosa Bursztein se livre sans filtre. Fans de Christine Boutin s’abstenir. Le 19 janvier À L’Étage à Rennes

CINÉMA BRITANNIQUE

Quels sont les films anglais les plus attendus ? Réponse à la quinzième édition de la Semaine du cinéma britannique. Parmi la dizaine de longs métrages présentés, sept avant-premières dont : The almond and the seahorse, The colour room, My old school (photo)…

Du 14 au 21 janvier Au Grand Logis à Bruz

THE INSPECTOR CLUZO

Les fêtes de fin d’année étant passées, The Inspector Cluzo peut repartir sur les routes. Les deux zigotos gascons, qui partagent depuis quinze ans leur temps entre leur élevage de canards et la musique rock (non pasteurisée), viennent défendre Horizon, leur neuvième album.

Le 4/03 à La Nouvelle Vague à St-Malo Le 22/03 à Hydrophone à Lorient

LA TENDRESSE

Après Désobéir, qui explorait l’émancipation féminine, Julie Berès et ses auteurs Alice Zeniter et Kevin Keiss questionnent la jeunesse masculine à l’époque de #MeToo. Un spectacle rythmé comme une battle pour rappeler qu’on ne naît pas homme mais qu’on le devient. Les 7 et 8 mars Au Théâtre de Cornouaille à Quimper

AGENDA Marion Mochet Pauline Perret DR DR
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50 janvier-février-mars 2023 #60
Axelle de Russe
DR

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