JUIN-JUILLET-AOÛT 2022 #57
TEASING
À découvrir dans ce numéro...
CIDRE DISCOTHÈQUES
TIERS-LIEUX
«L’EXUTOIRE D’UNE COMMUNAUTÉ»
SCHTROUMPFS
FEST-NOZ FIELD RECORDING
IRLANDAIS DOUARNENEZ
«L’ÊTRE HUMAIN EST UN ÊTRE CULTUREL»
ÉDITO
ENFIN COMME AVANT ? Après un été 2020 annulé, un été 2021 en version allégée et protocolée, l’été 2022 signe (sauf catastrophe et variole du singe) le grand retour des festivals dans leur format habituel : sans jauge, sans pass, sans masque, debout (vous vous souvenez de ce délire des concerts assis ?). Si ce retour à la vie d’avant était espéré et attendu par tout le monde il y a encore quelques mois (la fin des restrictions dans les salles de concerts ne date que de février), il tarde à se faire sentir concrètement sur le terrain. Le public ne répond pas encore pleinement à l’appel. Les acteurs culturels le constatent : les taux de remplissage restent en moyenne inférieurs à l’avant-crise, les ventes de billets s’opèrent souvent dans les dernières heures (plongeant ainsi les organisateurs dans l’expectative, pour ne pas dire l’inquiétude) et le phénomène de “no show” (soit le fait de ne pas assister au spectacle malgré l’achat d’une place) s’accentue. Même les rendez-vous qui d’ordinaire affichaient complet plusieurs mois avant l’événement ont dû faire face à une billetterie un poil plus poussive, à l’image des Vieilles Charrues et du Bout du Monde par exemple qui – et c’est tant mieux – seront tout de même complets cet été. Les raisons de cette situation sont diverses : de nouvelles habitudes de consommation culturelle, une peur persistante du virus, la crainte de ne pas être remboursé en cas de nouvelle annulation… Un état des lieux préoccupant ? Pour tenter d’inverser la vapeur, le secteur culturel en appelle donc au public et a même lancé récemment une campagne de com’. Mi-mai, la Sacem a ainsi dévoilé un spot publicitaire intitulé « Retrouvons-nous », ponctué du slogan « La scène reprend, la vie avec ». Avec vous ? La rédaction
SOMMAIRE 6à9 10 à 27 28 à 33 34 à 39 38 à 47 48 50 4
WTF : Irlandais, tiers-lieux, festivals avec vue sur mer... La Bretagne, reine de la fête ? Le nouvel or vert ? « Une carte postale sonore » RDV : Yard Act, Chester Remington, Crimi, Howlin’ Grassman Vs Stompin’ Bigfoot, Kaolila... Jean Jullien : Les Pas BIKINI recommande
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Directeur de la publication et de la rédaction : Julien Marchand / Rédacteurs : Régis Delanoë, Brice Miclet, Isabelle Jaffré / Directeurs artistiques : Julien Zwahlen, Jean-Marie Le Gallou / Couverture : Mia Takahara / Consultant : Amar Nafa / Relecture : Anaïg Delanoë / Publicité et partenariats : Julien Marchand, contact@bikinimag.fr / Impression par Cloître Imprimeurs (St-Thonan, Finistère) sur du papier PEFC. Remerciements : nos annonceurs, nos partenaires, nos lieux de diffusion, nos abonnés, Émilie Le Gall, Louis Marchand. Contact : BIKINI / Bretagne Presse Médias - 1 bis rue d’Ouessant BP 96241 - 35762 Saint-Grégoire cedex / Téléphone : 02 99 25 03 18 / Email : contact@bikinimag.fr Dépôt légal : à parution. BIKINI “société et pop culture” est édité par Bretagne Presse Médias (BPM), SARL au capital social de 5 500 €. Les articles publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Le magazine décline toute responsabilité quant aux photographies et articles qui lui sont envoyés. Toute reproduction, intégrale ou partielle, est strictement interdite sans autorisation. Ne pas jeter sur la voie publique. © Bretagne Presse Médias 2022.
WTF
QUELS IRLANDAIS ALLER VOIR ?
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ÇA VA JAZZER
Le festival de Malguénac organise sa 25e édition avec comme toujours une prog’ hyper qualitative orientée jazz et musiques du monde. En super guest, le saxophoniste et chanteur Thomas de Pourquery déboule avec Supersonic, son projet collectif, qui fête ses 10 ans. Grosse classe. Du 18 au 21 août à Malguénac.
DR
OUAF OUAF !
En plus de son nom rigolo, le festival On Lâche Rien Sauf Les Chiens peut se vanter de proposer une prog’ éclectique, avec la pop-soul de Victor Solf, le hip-hop de Lowdy Williams, l’afro-psyché de Songø, l’électropop de Pandapendu (photo)… Les 8 et 9 juillet à Poligné.
PUT YOUR HANDS UP
in the air Avec les beaux jours, L’Échonova à la bonne idée de proposer une double soirée baptisée Open Air. Deux jours de suite pour faire la fête en plein air avec d’abord du rock (The Schizophonics, Dynamite Shakers, Madam) puis du trad’ revisité (Artús, Kaolila). Les 10 et 11 juin à Saint-Avé. 6
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DU RÉPERTOIRE FOLK TRADITIONNEL À LA SCÈNE POST-PUNK, L’ÎL’E VERTE NE CESSE DE CONFIRMER QU’ELLE EST UNE TERRE DE MUSIQUE. LA PREUVE AVEC CES TROIS REPRÉSENTANTS DE PASSAGE CHEZ NOUS. GARANTI SANS U2.
FONTAINES D.C.
C’est le meilleur groupe rock du moment. Les cinq Dublinois de Fontaines D.C. (photo) ont signé au printemps leur troisième album, Skinty Fia. Un disque plus sombre que les précédents opus, composé depuis Londres où ils résident désormais, sur lequel ils questionnent leur relation parfois tourmentée, toujours revendiquée avec leur terre natale. En témoigne le titre Bloomsday, référence à l’écrivain James Joyce avec qui Fontaines D.C. partage le même sujet de prédilection : Dublin. Quand ? Le 14 juillet aux Vieilles Charrues à Carhaix et le 18 août à La Route du Rock à Saint-Malo
LÚNASA
JUNK DRAWER
Originaires de Belfast, les bien nommés gaziers de Junk Drawer (tiroirs à ordure) se sont fait remarquer en 2019 en remportant le Northern Ireland Music Prize. C’était pour Year of the Sofa, efficace titre d’indie-rock. Composé de Brian Coney, Rory Dee et des deux frangins Jake and Stevie Lennox, le quatuor signe son retour avec l’EP The Dust Has Come To Say, porté par le single Tears in Costa. Une des meilleures nouvelles de l’année en Irlande du Nord, avec la victoire du Sinn Féin lors des dernières élections parlementaires. Quand ? Le 24 juin au Pies Pala Pop Festival à Rennes
Parmi les nombreux artistes irlandais invités cette année au Festival Interceltique de Lorient (Dervish, Brian Finnegan, Cairde, Dónal O’Connor, ou encore Niall Vallely), une formation iconique de la scène traditionnelle : Lúnasa. Fondé en 1997, ce groupe entièrement instrumental, qui s’est taillé une renommée internationale grâce à sa maîtrise technique, ses arrangements complexes et ses rythmes enjoués, compte parmi les meilleurs ambassadeurs de la musique celtique. Quand ? Le 13 août au Festival Interceltique de Lorient
WTF
À QUOI SERVENT (VRAIMENT) LES TIERS-LIEUX ? IL Y EN A PRÈS DE 200 DANS LA RÉGION. CES ESPACES ONT POUSSÉ UN PEU PARTOUT AVEC LA PROMESES DE RÉINVENTER LES PRATIQUES ET LES USAGES D’UN LIEU EN IMAGINANT DE NOUVELLES SOCIABILITÉS. RÉVOLUTION OU BULLSHIT ? à Gâvres (photo), L’Effet Papillon à Baud ou encore Les Ateliers Jean Moulin à Plouhinec. Des agoras 2.0 qui répondraient, aux dires d’Arnaud Bonnet, « à une tendance sociétale forte, à l’heure où beaucoup sont en quête de sens et une logique d’hybridation (différentes sont isolés dans leur travail. Recréer activités : coworking, ateliers partagés, du lien social est un enjeu majeur incubation…) et une logique d’ouver- pour redynamiser nos espaces ». Pour ture (vers des habitants, avec anima- continuer la discussion, Bretagne tions). C’est un troisième lieu, entre le Tiers-Lieux organise son premier travail et la maison, pour réinventer festival (débats, tables rondes…) de nouvelles sociabilités », plaide-t-il, cet été. R.D prenant quelques exemples : l’Hôtel Du 30 juin au 2 juillet Pasteur à Rennes, la Maison Glaz à la Maison Glaz à Gâvres Maison Glaz
Difficile, de prime abord, de prendre le tiers-lieu pour autre chose qu’un terme de novlangue réinventant l’eau chaude. Mais pour Arnaud Bonnet, coordinateur de Bretagne Tiers-Lieux, asso créée en 2021 pour fédérer les plus de 180 tiers-lieux répertoriés dans la région (sur 2 500 en France), ce n’est évidemment pas du bullshit. « Le problème, c’est la définition qui est encore mouvante. Un tiers-lieu doit être appréhendé par un faisceau de critères : une logique citoyenne (projet répondant à des besoins d’un territoire), une logique d’expérimentation (réinvestir un lieu inoccupé),
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À L’ ABORDAGE
Et de 15 pour le festival Belle-Île-On-Air ! Au Palais, sur le site du bois du Génie, au pied des remparts de la citadelle Vauban, se succéderont de jolis noms pour cette nouvelle édition : Irène Drésel (photo), Bye Bye Panke, Bafang, TechnoBrass, sans oublier les Parisiens d’Acid Arab dont le nouvel album déboule à l’automne. Les 1er et 2 juillet à Belle-Île.
THÉÂTRE DE VERDURE Pour sa 11e édition, le festival Extension Sauvage continue à questionner notre rapport à la nature par le prisme de la danse et du théâtre. Au menu, une programmation qui mêle chorégraphes, comédiens, gardes-forestiers, naturalistes... Parmi les curiosités, l’Abecedarium Bestiarium de la performeuse Antonia Baehr. Du 23 juin au 3 juillet à Combourg et Bazouges-la-Pérouse. 8
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LES FESTOCHES VUE SUR MER
FAIRE LE PLEIN D’IODE ET DE DÉCIBELS EN MÊME TEMPS, C’EST POSSIBLE. BINIC FOLKS BLUES CATHÉDRALE Si le festival de Binic a délaissé (provisoirement) son site originel sur le port, il garde un panorama de maboul avec son nouveau spot, la pointe de la Rognouse qui offre une vue plongeante sur la baie de Saint-Brieuc. Un écrin qui, cet été, accueille Reigning Sound (photo), Crack Cloud ou encore Kelley Stoltz. Quand ? Du 21 au 24 juillet à Binic
O’RHEUN Le festival de musiques électroniques revient pour une troisième édition. En plein air et face à la mer, sur l’esplanade du Rheun à Tréboul. Aux platines et aux machines, se succéderont les Parisiens Aleqs Notal et Céline Sundae, ainsi que les régionaux de l’étape Camille Durand, Labonga et Jøhan. Quand ? Le 25 juin à Tréboul
HORIZONS La côte nord-finistérienne offre des paysages de dingo. Le pays des Abers en fait partie. C’est dans ce cadre que s’épanouit le festival Horizons en investissant le site (exceptionnel) du sémaphore de Landéda et le port de l’Aber Wrac’h. À la prog’ de cette 5e édition qui balance entre house, afrobeat, hip-hop et acid jazz : J-Zen, Mokhtar, Ignacio Maria Gomez, Hakim Norbert… Quand ? Du 10 au 12 juin à Landéda 9
DOSSIER
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Les Reines des Gras de Douarnenez
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Studio Le Brusq. Images collées, Alain Le Doaré et Genevière Planchette
DOSSIER
Béatrice Macé, cela va faire un an que vous êtes élue au Conseil régional de Bretagne en tant que viceprésidente à la culture. Auparavant, vous aviez passé plus de quarante années à la tête des Trans Musicales de Rennes. Pourquoi avoir décidé de basculer dans le monde politique ? Cela faisait pas mal de temps que dans le cadre de l’ATM (Association Trans Musicales, ndlr), qui a été mon aventure professionnelle principale pendant 44 ans, on avait pris la décision de travailler la transmission. De faire que le projet aille au-delà de son équipe fondatrice. Ce qu’on avait initié il y a quelques années avec Erwan Gouadec, premier non fondateur à entrer en direction. En 2020, après avoir postulé à l’lnseac (Institut national supérieur d’éducation artistique et culturelle) à Guingamp, qui occupe une partie de ma nouvelle vie, j’ai reçu un coup de téléphone d’une personne de la Région. Je ne m’y attendais pas mais cet appel a fait démarrer une réflexion. Et j’ai répondu oui à ce prolongement d’engagement citoyen. Comment avez-vous vécu cette première année ? Je n’ai jamais eu de regret d’avoir quitté l’ATM. Cela a été une bonne décision. Car je découvre la Bretagne sous un jour différent, avec une prise en compte de tous les territoires artistiques et de tous les territoires géographiques. La
Bikini
« LA CULTURE N’A PAS BESOIN DE
région est riche d’initiatives. Il y a une diversité incroyable. Notre rôle, c’est de travailler à son maintien. Aujourd’hui, j’ai une fonction politique et uniquement politique. Mais j’ai la chance d’avoir une relation au terrain car je l’ai connu en tant qu’acteur culturel. Je sais ce que ça veut dire de gérer un projet au quotidien. Je n’ai plus de rapport direct avec le concret mais je garde cette proximité au travers de la mise en œuvre de dispositifs qui répondent aux besoins des acteurs culturels. Ces derniers s’engagent et participent à l’intérêt général, il est donc important de les soutenir. Leur donner des moyens financiers, mais pas que : cela passe aussi par le travail de formation, de conscientisation…
« Ouvrir le plus de portes et travailler la curiosité » 12
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Quels axes de travail avez-vous mis en place et sur quels leviers souhaitez-vous agir ? Nous avons d’abord démarré un état des lieux auprès des acteurs culturels. Mon projet de mandat sera présenté cet automne, après la tenue du forum des politiques culturelles cet été. Dans ce projet, on retrouve trois domaines qui me sont chers : la culture, les droits culturels et l’éducation artistique et culturelle. L’adjonction de ces trois domaines fait partie des solutions face à ce qu’on vit aujourd’hui en termes de crise sociale, sociétale, écologique... Avec cet objectif de faire des droits culturels la finalité. Il est important que chacun ait une accessibilité simple aux différentes formes artistiques. La proposition va être de s’intéresser à la personne dans sa période de construction, c’est-à-dire entre 2 ans et 25 ans : lui ouvrir le plus de portes, travailler sa curiosité, qu’elle ait envie de quelque chose qu’elle ne connaît pas…
JUSTIFICATION »
Juliane Lancou
« La culture, c’est tout ce qui fait sens pour les individus »
Lors d’une interview il y a deux ans, vous m’aviez indiqué que le monde politique ne connaissait pas le sens des mots fête et culture (lire Bikini n°50). Votre opinion a-t-elle changé depuis ? Je vais faire en sorte que les politiques le connaissent mieux (rires). Aujourd’hui, fête et culture sont des mots éculés et appauvris, que chacun utilise et remplit comme il veut. Mais il n’y a pas que le monde politique qui n’est pas au clair avec cela. Par le passé, il m’est arrivé d’avoir des réunions avec certains acteurs pour qui un festival c’était se bourrer la gueule en public : ils ne comprenaient pas ce que faire la fête voulait dire. En Bretagne, le mot fête est hyper important, dans la tradition, dans l’histoire… C’est un moment de réunion symbolique. L’être humain est un être culturel. On ne se contente pas de vivre, nous avons la capacité d’existence. La personne, c’est la base des droits culturels : être soi
même et sortir de soi pour être avec les autres, et donc faire société. La culture n’est pas la simple relation à l’art, mais tout ce qui fait sens pour les individus : les modes de vie, les traditions, le patrimoine, la relation à l’environnement… Cela fait partie de la manière dont les gens se ressentent et se définissent. L’objectif, c’est le bien-être de la personne. Qu’elle se sente digne et à l’aise. Ça peut sembler banal de dire cela mais, dans le monde actuel, ça ne l’est pas du tout. Et pour une institution comme la Région, quel est l’intérêt de développer le dynamisme culturel ? Sur la présentation du budget 2022, les événements festifs étaient classés dans la mission “attractivité et rayonnement”. Est-ce le rôle de la culture ? L’action politique doit-elle avoir un rayonnement ? Le rayonnement est une conséquence mais ce n’est pas une finalité. La finalité de mon travail, ça va être la vitalité artistique et la diversité culturelle. C’est ce qui m’intéresse pour l’utilité sociale et sociétale. Dans le projet que je vais présenter en octobre, j’ai enlevé le mot attractivité. Si cela m’embête qu’on se serve de la culture comme un argument marketing ? Ce n’est pas ma manière de voir les choses. La culture n’a pas besoin de justification. Ce n’est pas parce qu’elle rapporte de l’argent, qu’elle emploie des gens et qu’elle développe le tourisme qu’elle doit être impor-
tante. Je n’ai pas de mépris par rapport à ça, mais ce n’est pas mon domaine. Mon rôle, c’est que les gens puissent se réaliser et faire ce qui est important pour eux : être artiste, auteur, organisateur, spectateur, lecteur… Après deux ans de pandémie, quelles problématiques connaissent les acteurs culturels et y a-t-il des urgences ? L’urgence, c’est de ne pas considérer que la reprise c’est la fin de la crise. Le monde culturel est en profonde déstabilisation. Notamment dans la relation avec les publics : il y a des baisses de fréquentation, les décisions d’achats de billets se font très tardivement, souvent dans les dernières 48 heures. Il y aura donc un temps de reconstruction de la relation avec les spectateurs. Il y aussi la problématique de la baisse du bénévolat. S’il n’y a pas de bénévoles, il n’y a pas d’événements. Il faut reconnaître le bénévolat comme une partie prenante décisive. La pandémie a aussi accéléré des problèmes qui étaient déjà identifiés : il y a une précarisation et une paupérisation de beaucoup de métiers dans le secteur culturel. Beaucoup de personnes sont parties, il y a des problèmes de recrutement, de formation, de surproduction par rapport à la capacité de diffusion… Comme dans les autres domaines d’activités, les enjeux se sont densifiés. Recueilli par Julien Marchand 13
DOSSIER
LA RÉGION, CHAMPIONNE DES FESTIVALS ? La Bretagne a cette tendance à s’autoglorifier. C’est ainsi qu’on aime bien se targuer d’être les rois des festivals, la région de France où se concentrent le plus grand nombre d’événements. Sauf que ce n’est pas tout à fait vrai. « Aux dernières nouvelles, la Bretagne est devancée numériquement par l’Îlede-France, l’Auvergne-Rhône-Alpes, la Nouvelle-Aquitaine et l’Occitanie, fait savoir Anne-Gaëlle Geffroy, directrice des études du PRODISS (syndicat national du spectacle vivant), s’appuyant sur le dernier rapport Barofest de 2016 qui dénombrait 1887 festivals de musiques actuelles dans l’Hexagone. En revanche, elle arrive en tête niveau densité, avec un festival pour 20 à 25 000 habitants. » Émilie Charbonnel, du Collectif des festivals (qui fédère une trentaine d’événements et les accompagne sur différentes problématiques) comptabilise « 450-500 festivals en Bretagne, tous styles confondus : musique, théâtre, cirque… » Là non plus, ce n’est pas la région en tête, puisque « la région parisienne et PACA font mieux ». Mais alors, pourquoi cette impression de forte concentration de festivals ? « Déjà parce que la Bretagne s’en sort effectivement très bien rapportée à la taille de la région, appuie Émilie. Ensuite parce qu’elle dispose de grosses têtes de gondole. Des festivals avec une identité bien identifiée, ce qui aide. Enfin, le réseau associatif plus élevé que la moyenne nationale permet de mobiliser un grand nombre de bénévoles, ainsi que des partenaires fiables. Ainsi, les festivals bretons sont solidement structurés. » Autant d’atouts pour pérenniser l’image de la Bretagne comme terre d’accueil des festivals, au-delà de la réalité mathématique. R.D 14
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« ÉLARGIR LE CERCLE » Montreuil-le-Gast, un samedi soir de printemps. Il est 23 h, le silence et l’obscurité règnent dans ce bled du nord de Rennes, jusqu’à enfin arriver à un oasis d’agitation festive : la salle multifonctions, où s’agitent une petite centaine de danseurs à l’invitation du comité des fêtes (photo). « C’est la première année qu’on organise un fest-noz. On a invité trois groupes à se produire. Là en ce moment sur scène c’est Spontus. Ils viennent d’Auray, ils sont bons, hein ? », interpelle Alain Amaury, membre du comité et ancien danseur du cercle celtique de la commune, habillé en costume breton pour l’occasion. « Il manque juste le chapeau ! » L’affluence est, de son propre aveu, « assez décevante », mais Alain s’amuse sur le parquet, de même qu’un acolyte qui s’éloigne de la piste en lâchant un « aaah, j’ai le jean qui commence à coller aux cuisses, c’est bon signe ! » An-dro, plinn, dérobée, jabadao, laridé… Aucune danse ne sera oubliée. « Un fest-noz, c’est ritualisé et c’est ce qui fait sa force. Il y a un côté rassurant. Il y a les acharnés, les néophytes, ceux qui restent à la buvette pour causer… », détaille Gwendal Le Coz de la Fiselerie, structure de Rostrenen qui organise le festival Fisel (50e édition du 25 au 28 août) et s’occupe de la programmation la scène Gwernig aux Vieilles Charrues. C’est dans les années 1950 que se sont constitués les premiers festoù-noz, formes modernes des rassemblements festifs de la société paysanne traditionnelle. « Depuis, ça fonctionne par vagues, avec un premier âge d’or dans les années 70, très politisé, puis un creux et
un revival dans les années 90, plus festif, porté par le succès de groupes comme Ar Re Yaouank et Carré Manchot », situe Thomas Postic, de l’asso Tamm-Kreiz qui met à disposition sur son site Internet un agenda exhaustif des festoù-noz. Depuis vingt ans en revanche, « une nouvelle vague se fait attendre », constate le sociologue Gilles Simon, auteur d’une enquête sur le public de Sonerien Du, l’une des meilleures formations de fest-noz. « La diversification des loisirs et les mutations des pratiques festives ont vidé les salles », déplore-t-il. Et le Covid n’a évidemment rien arrangé.
« Une transe »
Un alarmisme que ne partage pas tout le monde, notamment JeanPhilippe Mauras, directeur artistique du FIL à Lorient. « Certes, il y a eu un flottement dans les années 2000, mais depuis la fréquentation est encourageante. Danser ensemble reste un geste très intemporel. C’est presque un acte de résistance dans
Bikini
DU FEST-NOZ
une société qui nous renvoie toujours vers l’individualisme. » Avec l’organisation de grands événements comme Yaouank à Rennes, ou la tenue de festoù-noz hors des lieux habituels (deux exemples récents : à Bonjour Minuit à Saint-Brieuc fin mai et au Run Ar Puns de Châteaulin le 11 juin), le milieu cherche à « élargir le cercle », comme l’explique Hélène Dubois, programmatrice à Bonjour Minuit : « Ouvrir le fest-noz à des salles de musiques actuelles, c’est permettre d’intégrer un plus grand public. C’est plus facile d’apprendre à danser chez nous que dans un fest-noz à Glomel où il n’y a que des habitués. » Même si pour Gwendal Le Coz de la Fiselerie, « le cœur du fest-noz reste et restera le centre-Bretagne. La période du Covid avait notamment vu réapparaître des soirées clandestines dans des granges, sans communication, seulement le bouche-à-oreille. » Un retour aux sources salutaire pour ne pas oublier que le fest-noz se vit d’abord comme « une transe et un défouloir ». Régis Delanoë 15
DOSSIER
MAIS D’OÙ VIENT L’ADN FESTIF DE Et si Douarnenez était la meilleure ville pour faire la fête ? La question peut légitimement se poser. Avec une culture du bistrot fortement ancrée, sa scène rock bouillonnante, un agenda estival dense (citons notamment les Fêtes maritimes et le Festival de cinéma, deux rendez-vous précurseurs dans leur domaine), sans oublier les Gras qui transforment les rues de cette ville de 14 000 habitants en bringue XXL, la cité portuaire finistérienne peut faire figure de capitale festive de la Bretagne. « On l’a particulièrement ressenti pour l’édition des Gras de cette année, affirme Mickaëlle Jadé, la présidente du comité d’animation qui organise ce carnaval intergénérationnel. Après le Covid et l’édition annulée l’an passé, les gens avaient envie de se retrouver et de marquer le coup. » Cela fut le cas : cinq jours de fête déguisée (quasi) continue, plus de 8 000 entrées payantes pour le défilé (presque deux fois plus qu’il y a deux ans), une douzaine de chars, la course des garçons de café, la production d’une bière infusée à la merguez (si si), l’incinération du Den Paolig (mannequin symbolisant le roi du carnaval) dans un grand feu de joie… « Ce que j’aime particulièrement dans les Gras, c’est que cela transforme l’ambiance de la ville, les gens extérieurs à Douarnenez se demandent où ils sont tombés, développe Mickaëlle pour qui les déguisements de chaque participant jouent un rôle central.
C’est plus qu’un costume, cela représente l’incarnation d’un personnage que tu dois jouer à fond. C’est sûr qu’il ne faut pas avoir peur du ridicule mais, ce que je trouve génial, c’est que cela te permet de devenir la personne que tu as envie. Pendant cinq jours, tu peux te lâcher et faire ce que tu n’oserais pas le reste de l’année. »
« Avec excès »
Une occasion de remettre en cause les institutions et l’autorité. « Les Gras se sont toujours moqués de tout, en premier lieu la religion. Les personnes se griment alors en curé, en bonne sœur… La seconde transgression, c’est celle du genre : les hommes qui se déguisent en femme, c’est la base ici », rappelle Alain Le Doaré. Pour cet historien spécialiste de Douarnenez,
« La fête est l’exutoire d’une communauté » 16
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ce goût prononcé pour la fiesta est constitutif de l’ADN de la ville. « Ce n’est pas une création ex nihilo, cela s’inscrit dans une longue tradition. Si les premières traces écrites des Gras datent de 1835, ces festivités remontent à plus de 500 ans. La fête à Douarnenez, c’est l’exutoire d’une communauté maritime et industrielle qui a subi beaucoup de malheurs : des naufrages, des disparitions en mer, des métiers rudes que ce soit sur les bateaux ou dans les usines de conserverie… À cela, s’ajoute le fait que la ville est une vieille chrétienté maritime. Lorsqu’on met tous ces éléments ensemble, cela donne une existence relativement dure entre, d’un côté, une vie dédiée à la pêche du poisson et à sa transformation et, de l’autre, les règles de la religion catholique, détaille l’historien. Quand se présentait l’occasion de faire la fête, les Douarnenistes la saisissaient donc. Avant que les hommes ne partent en mer au printemps et
Bikini
Erwan Larzul
Erwan Larzul
DOUARN’ ?
avant les quarante jours d’abstinence durant le Carême, on a mardi gras. Un jour où on peut encore faire “gras” : manger, boire, faire l’amour et la fête avec excès. » Malgré l’influence amoindrie de la religion, la chute des activités liées à la pêche (« il reste tout de même un millier d’emplois dans les conserveries de poisson, ce qui n’est pas négligeable. Cela permet à la ville de ne pas se transformer en simple station balnéaire », souligne Alain Le Doaré) et la forte diminution du nombre de bars (dans les années 1920, on comptait plus de 500 bistrots, contre une trentaine aujourd’hui), cette tradition de la fête perdure. Parmi ses acteurs de premier rang, ses musiciens. Et notamment ses groupes de rock qui, depuis trente ans, ont fait de Douarnenez une place forte des grattes électriques. Ancien membre de Tobaboots, Abomifreux ou encore Coude, Jean-Marc Raphalen fait partie de ces pionniers. « Au début des années 1990, il n’y avait pas de studio de répétition 17
DOSSIER
ici, mais les gens avaient quand même envie de faire de la musique. Alors ils jouaient où ils pouvaient : dans leur cave, dans leur garage… Nous, on allait sous la criée. On avait nos guitares, un ampli mais pas de batterie, du coup on tapait sur des fûts, rembobine le garçon aujourd’hui âgé de 54 ans. Et puis, à force de discuter avec la mairie, on a réussi à avoir les clés d’une salle municipale à l’abandon. C’était le premier local qu’on avait à notre disposition. Ce qui deviendra par la suite les “Loco’s rock”. » Un lieu primordial pour tous les zicos de Douarn’. Comme le confirme Chatter, bassiste de The Red Goes Black et président de DZ City Rockers, association qui fédère les formations rock de la ville. « Tous les groupes s’y retrouvent pour répéter. Cela fait qu’on est tous potes et qu’il y a vachement de solidarité entre nous. Les anciens font par exemple jouer les plus jeunes sur leurs premières parties, ce qui leur permet de se lancer. Cela crée une émulation entre les groupes qui se font et se défont, s’échangent des membres...
Y a un côté partouze musicale. » Point d’orgue de cette orgie, le festival Millésime qui, chaque année, réunit le temps d’un week-end le meilleur de la scène locale. « L’édition de cette année montre que le rock reste vivace à Douarnenez puisque ce sont quinze formations qui ont joué sur les deux soirs. »
« Plijadur »
Erwan Larzul
Gilbert Le Bivic
Parmi celles-ci, Komodor, actuelle figure de proue avec son hard-rock seventies. Rencontrés à la terrasse du Café des Halles (haut lieu de la jaille locale et point névralgique à l’heure de l’apéro), les garçons revendiquent pleinement leur étiquette de groupe douarneniste. « On a la chance de faire partie de cette scène, avec des “grands frères” qui veillent sur nous. Personne ne se tire dans les pattes. Forcément, ça booste », expliquent les auteurs de Nasty Habits, album bien coolos sorti fin 2021. Pour eux, la longue histoire de Douarnenez, son caractère portuaire (« beaucoup de ports sont des villes de rock ») et son atmosphère propice au « plijadur » (plaisir, en breton)
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contribuent aussi à expliquer la vitalité musicale. Et ce, malgré l’absence d’une véritable salle de concerts (le Millésime se tient par exemple à la MJC). « L’idéal serait une infrastructure adaptée à toutes sortes de création. Douarnenez a toujours été une ville qui a accueilli des artistes, de Georges Perros à Dan Ar Braz. Il faut que ça continue », estime la bande de Komodor. Un manque que regrette également Chatter de The Red Goes Black (dont le troisième album devrait sortir fin 2022/début 2023), même s’il s’en est parfaitement accommodé. « Cela nous oblige à nous bouger et à faire tout par nous-mêmes. Cela renforce un état d’esprit un peu prolo et populaire qui colle bien à la ville. » Julien Marchand Komodrag & the Mounodor (projet réunissant Komodor et Moundrag) : le 14 juillet aux Fêtes Maritimes de Douarnenez, le 28 août au Roi Arthur à Bréal-sous-Montfort. The Red Goes Black : le 25 juin à God Save The Kouign à Penmarc’h
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TEKNIVALS, LES OFF SUR OFF ?
C’était un rituel bien rodé : chaque été, en marge des Vieilles Charrues, était organisé un “off”. Une rave party électro officieuse mais longtemps tolérée au tournant des années 90-00’s. « On leur filait un peu de matos : régie, sanitaires, point d’eau… Pour pas que ça parte en vrille total », se souvient Jean-Jacques Toux, programmateur du festival carhaisien. « S’adosser à un événement comme les Charrues, c’était pratique pour se retrouver facilement et rameuter du monde. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux notamment, il y a moins ce besoin », éclaire Vincent Tanguy, ancien porte-parole de l’asso Arts et culture 29, qui fédérait plusieurs soundsystems dans le Finistère. 2003 fut la dernière année du teknival off des Charrues, organisé cette année-là au Faouët et qui dégénère en affrontements. Pour Vincent, « c’était la fin de l’âge d’or. Sarkozy avait voulu encadrer les teknivals (en organisant ce qui sera surnommé les “sarkovals”, ndlr), mais ça n’a pas duré longtemps. Par essence, le milieu de la teuf ne doit pas être canalisé ». Le off perdure en revanche aux Trans Musicales de Rennes. « Depuis 1992 exactement, dans un parking sous la tour des Horizons, précise Mickey du soundsystem MuscanoiZ. On a connu de grands moments depuis, dont en 2006 à La Prévalaye où c’était gadoueland. Le tékos des Trans reste une date incontournable dans le milieu, même s’il fait un peu moins parler qu’avant (dernière édition dans un hangar désaffecté dans l’ouest rennais, ndlr). C’est peut-être pas plus mal. » R.D 19
DOSSIER
Quand on évoque la nuit avec les élus municipaux en charge de cette question, c’est tout de suite aux nuisances qu’ils pensent. À Brest, la charte de la vie nocturne date de 2011, de 2016 pour Rennes. « Notre politique est née des conflits d’usage », reconnaît Cyrille Morel, adjoint délégué à la vie nocturne de la Ville de Rennes depuis 2020. La première mission est donc de jouer les modérateurs entre les propriétaires de bars, les noctambules et les riverains. « On fait régulièrement des réunions de conciliation pour éviter que cela finisse en contentieux », explique Yohann Nédélec, adjoint à la tranquillité urbaine à Brest. Pour inciter les fêtards à respecter les dormeurs, mais aussi à faire attention à leurs déchets et limiter l’insécurité, la Ville de Brest organise des tournées avec des agents de médiation. Au moment du déconfinement, l’installation d’un bar Delirium au port de commerce a par exemple posé des soucis au niveau du bruit mais aussi du stationnement. « Nous avons travaillé avec les gérants pour aménager au mieux les lieux. L’idée est de se parler pour trouver des solutions », poursuit l’élu brestois. Car plutôt de se contenter de régler les problèmes au fur et à mesure qu’ils apparaissent, les mairies cherchent aussi à être proactives. Rennes souhaite par exemple développer des guinguettes et aménager les espaces en bord de Vilaine en conséquence. À Quimper, c’est un “conseil de la nuit” qui va voir le jour à la rentrée 2022. Souvent qualifiée de “belle 20
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LES MUNICIPALITÉS S’EMPARENT (ENFIN) DE LA NUIT
endormie”, la préfecture du Finistère n’est pas vraiment connue pour ses nuits de fous et c’est bien le souci. La nouvelle municipalité, élue en 2020, aimerait davantage animer les rues du centre, pour attirer les étudiants notamment. L’idée étant désormais de penser la ville 24 heures sur 24 et d’en faire un outil d’attractivité. Mais pas n’importe comment. « C’est un sujet transversal, cela demande du temps pour coordonner les différents services de la ville », souligne le chargé de mission Jean-Emmanuel Bouley. La nuit touche aux domaines les plus complexes comme aux plus triviaux. D’un côté, Quimper a de gros aménagement en cours comme le déménagement des halles qui pourrait libérer la place SaintFrançois et ainsi offrir un bel espace aux fêtes et autres rassemblements nocturnes. De l’autre, il faut aussi penser à des toilettes publiques ouvertes à n’importe quelle heure. « Pour faire vivre une ville la nuit, il ne suffit pas de dire aux bars d’ouvrir plus tard. Il y a une multitude de détails à anticiper. » Isabelle Jaffré
Ce sont des rendez-vous qu’on imagine avoir toujours existé. Toute l’année, et particulièrement l’été, les fêtes celtiques et folkloriques remplissent les agendas, proposant défilés en costumes, danse, musique, chant… Si ces moments se veulent la vitrine de la culture traditionnelle bretonne, cet héritage est en réalité relativement récent. « Les premières fêtes folkloriques remontent au tout début du 20e siècle avec des événements comme Les Filets Bleus à Concarneau en 1905 », éclaire Erwan Chartier, journaliste, auteur et contributeur scientifique de l’exposition Celtiques ? qui interroge la celtitude avérée, supposée ou fantasmée de la région. Si ces fêtes se développent avec le début du tourisme de masse, ces manifestations ne répondent pas qu’à cet objectif. « Dans les mouvements culturels bretons, il y avait une volonté de conserver certains aspects de la civilisation rurale traditionnelle. Ces fêtes participent à ça. Il y a aussi un objectif politique : ce sont des vitrines du régionalisme breton qui traduisent un fort sentiment identitaire dans la population et la mise en valeur d’une différence, sans que cela soit excluant par ailleurs. Alors qu’il pouvait y avoir un complexe breton au début du 20e siècle, cela a été un vecteur de fierté. » Des fêtes qui, après la Seconde Guerre mondiale, vont connaître un second souffle grâce à l’interceltisme. « Cela apporte une ouverture à l’international avec des relations qui se nouent avec d’autres pays européens. Cela va également créer de nouvelles réalités », fait savoir
Gaby Le Cam - Guénin 1975 - Musée de Bretagne
UNE TRADITION RECENTE ?
Erwan Chartier. Il cite notamment l’influence écossaise dans les pratiques culturelles bretonnes qui, à l’image de son territoire, ne sont pas immuables. « Ces échanges vont par exemple permettre l’implantation très forte de la grande cornemuse, alors qu’en Bretagne c’était plutôt le binioù kozh. Il y a aussi une acclimatation des formations sur le modèle des pipe bands écossais qui vont donner les bagadoù. Les premiers datent de la fin des années 1940. On a l’impression que le bagad est l’image d’une Bretagne immémoriale, alors que ça n’a même pas 100 ans. » J.M Exposition Celtiques ? : jusqu’au 4 décembre au Musée de Bretagne à Rennes 21
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Cracher de bigorneaux, cri de cochon, montée de phare, lancer de menhirs… Chaque été, la Bretagne peut se vanter d’organiser les compétitions les plus folles, s’appuyant à la fois sur un patrimoine traditionnel et sur une grosse envie de déconne. Un folklore qui, certes, existe ailleurs (exemple fameux : les mangeurs de hot-dogs aux États-Unis), mais qui a bien pris dans la région, les Bretons cherchant à tout prix à devenir les recordmen de tout et n’importe quoi. Parmi les dernières compet’ WTF à la mode : les marathons de danse. Après le festival Visions qui s’y était essayé, c’est le festival Shaker de PlonéourLanvern qui en organise un les 4 et 5 juin (24 heures de danse non-stop), ainsi que le collectif rennais 35 Volts lors de sa kermesse à la Ferme de Quincé, ce même 4 juin. Autre délire, celui de Landerneau qui, début mars 2020, faisait aussi la une pour avoir battu le record du monde du plus grand rassemblement
Alexis Janicot
LE DÉLIRE DES RECORDS DÉBILOS
de Schtroumpfs : 3 746 personnes peinturlurées en bleu avec un bonnet blanc sur le crâne. Une médiatisation qui était autant due au timing de l’événement (en pleine montée du Covid et juste avant le premier confinement) qu’à la bizarrerie du truc. « Pourquoi ce record ? Pour attirer l’attention des journaux. La preuve que c’est réussi, c’est que vous m’en parlez encore », répond imparablement Alain Péron, viceprésident du carnaval de Landerneau
et organisateur de ce concours. La fête fut belle, assure-t-il, « même si elle aurait été complètement réussie si on avait officiellement validé le record auprès du Guinness Book, mais on s’y est pris un peu tard ». « Le problème du Guinness Book, c’est que ça coûte un bras de les faire venir. On a vite laissé tomber, enchaîne Alexis Janicot, à l’initiative du concours de chenille qui a lieu chaque été pendant La Route du Rock. L’initiative est née il y a cinq
LES DISCOTHÈQUES, LES GRANDES
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Si les bars, restos et lieux culturels ont morflé pendant la crise du Covid, que dire des discothèques, empêchées d’ouvrir de mars 2020 à juillet 2021 ? « Et encore, moins de la moitié ont ouvert l’été dernier parce que les règles sanitaires étaient trop contraignantes. En plus, on s’est repris deux mois de fermeture en hiver. Ce n’est finalement que depuis février qu’on est sur un retour à la normale », rectifie Éric Denis-Bosio, patron de La Chamade à Brest et responsable de l’Umih (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie) dans le 29. 22
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Ce n’est donc rien de dire que la période a été difficile, même si le monde de la nuit a fini par avoir des aides conséquentes : loyers et factures pris en charge à hauteur de 15 000 € par mois, exonération des charges sociales, prise en charge des indemnités versées aux salariés… « La casse a été limitée, concède Éric. J’ai pu garder mes onze salariés qui ont été en chômage partiel pendant la période. L’établissement est resté dans ses frais, tout juste. Perso, je ne me suis pas versé de salaire depuis 2020. »
Alain Péron
ou six ans je crois, on buvait des bières au camping avant d’aller aux concerts et on cherchait à amener du fun. Et ça a plus aux organisateurs. » Au point que la chenille a rapidement été intégrée à la prog’ officielle. « Le groupe La Femme l’avait même lancée à la fin de son set. On n’a jamais compté mais ça a dû rameuter 1 500 festivaliers. C’est d’autant plus rigolo que La Route du Rock a une image guindée. Y coller une chenille, ça crée un décalage réussi. » Un record qui pourrait être battu à l’occasion du festival Art Rock à SaintBrieuc, avec la tentative de l’équipe du bar Le Fût Chantant. « On a déjà des centaines de personnes inscrites à l’event Facebook. J’ai calé un itinéraire d’un kilomètre mais peut-être ne sera-t-il pas suffisant ? En tout cas, on a prévu de filmer pour envoyer ça au Guinness Book, détaille Sylvain, à l’initiative de ce concours. Mais c’est surtout un prétexte. L’idée, c’est de faire une grosse chouille. » À ce petit jeu, les Bretons sont champions. R.D
SACRIFIÉES ? Pour un secteur déjà dans le dur depuis longtemps (il reste à peine 1 500 boîtes en France – dont 120 en Bretagne – sur plus de 4 000 dans les années 1980), le Covid a été une péripétie de plus qui a fait quelques victimes, parmi lesquelles Le Stanley à Saint-Grégoire, Le Bounty à Concarneau, Le Gentleman à Plœmel et Le Point de Vue à Laz. « À peine est-on sorti de la fin du pass sanitaire qu’on se prend maintenant l’affaire des piqûres. On doit se montrer super vigilant avec le GHB et les autres substances, souffle le patron bretois. Faire la fête la nuit, ça devient compliqué… » R.D 23
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« EN FREE PARTY, LA NUIT DURE La photographe brestoise Julie Hascoët s’est plongée pendant plusieurs années dans le monde des free parties, avec un goût affirmé pour les à-cotés et les appartés de ces rassemblements.
Photos : Julie Hascoët
« Mon travail photo sur la fête a commencé en 2013. Cette démarche au long court, qui a duré plus de sept ans en Bretagne et en Loire-Atlantique, est devenu un questionnement sur la façon dont on occupe les espaces et la marge comme territoire. La free party est hyper intéressante politiquement sur le mode opératoire. Ma série Murs de l’Atlantique, présentée lors de l’exposition Pas Sommeil à Rennes, se penche sur cette façon d’investir et de s’approprier un espace à l’abri des regards et des contrôles de l’État. »
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JUSQUE 18 H »
« J’aime observer l’esthétique de la construction. Dans le cadre des free parties, ce sont des installations éphémères et rudimentaires. Il y a des voitures, des camions, des bâches qui se gonflent au vent... Je photographie également tous les à-côtés de la fête, comme les temps de relâche au petit matin. C’est un moment où tout redevient visible : le lieu, le cadre, les visages, la fatigue… Alors qu’on a tendance à voir la fête comme un événement nocturne, j’aime l’idée de l’étirer. En free, la nuit dure jusque 18 h. En capturant ces instants, je ne voulais pas être dans une esthétique trash qu’on peut parfois associer à l’image des free parties. Je souhaitais plutôt photographier de manière douce, je trouvais ça plus juste. » 25
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« Le monde des free parties, je l’avais côtoyé quand j’avais 15-16 ans, mais je n’y étais pas beaucoup retournée avant ce projet photo. Je navigue plus dans la scène squat, cave et club techno. Des événements à prix libre qui sont dans l’économie de la débrouille et dans l’autogestion. Du coup, les free parties représentent un bon mix de tout ça. Pour moi, la fête, ça doit être le bazar. C’est un truc qui ne se définit pas. C’est quelque chose qui se fait et se défait. C’est son côté improductif qui m’intéresse. Dans une société où on met de la valeur partout, la fête doit être un endroit où on l’abolit. Cela peut paraître contradictoire mais, en même temps, la fête est vachement nécessaire à la société capitaliste pour créer une espèce de soupape pour mieux retourner au travail. Le fait de s’abrutir quand on te donne un espace de liberté, je pense que ça dit beaucoup de l’état de la société. » 26
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« De mon point de vue, ce mouvement ne doit pas chercher une reconnaissance de l’État. Il n’y a rien à attendre, surtout dans un contexte où la répression s’accentue. Alors c’est sûr que tenir ce discours et avoir ses photos exposées au FRAC (Fonds régional d’art contemporain, ndlr), cela peut paraître paradoxal. Pour être franche, je ne suis pas super à l’aise avec l’idée de ramener la free party dans le champ institutionnel. Mais l’important est d’être honnête dans sa démarche. C’est un travail entrepris depuis longtemps : les free, ce n’est pas quelque chose d’exotique pour moi. » Recueilli par J.M
Photos : Julie Hascoët
Du 11 juin au 18 septembre au FRAC et aux Champs Libres à Rennes Sortie de l’ouvrage Murs de l’Atlantique le 10 juin aux Éditions Autonomes
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LE NOUVEL OR VERT ?
LES BRASSERIES BRETONNES ONT LONGTEMPS COMPOSÉ AVEC DE LA MATIÈRE PREMIÈRE VENUE DE L’EXTÉRIEUR. MAIS APRÈS LE DÉPLOIEMENT D’UNE FILIÈRE MALT LOCALE, VOILÀ QUE DES HOUBLONNIÈRES FLEURISSENT DANS LA RÉGION. HOP HOP HOP, HOURRA ! aisir le plant, l’enrouler autour de la corde pour faciliter sa montée, biner autour pour enlever les mauvaises herbes, se déplacer sur le plant d’à-côté et recommencer. Tout compris, l’opération prend moins d’une minute, mais il faut la répéter des milliers de fois, les genoux accroupis dans la terre. 12 000 fois pour être précis, soit le nombre de plants de houblon poussant sur les parcelles d’Antoine Floury, au lieu-dit Lézerzot à Brélidy, dans les Côtes d’Armor. « La période d’avril-mai, c’est le gros rush 28
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de boulot. Les plants sont sortis de terre mais pas encore autonomes. Après, l’ensoleillement joue son œuvre. Les lianes peuvent pousser jusqu’à plusieurs centimètres par jour ! » Les houblonnières étant encore très rares en Bretagne, il est fort probable que vous n’ayez encore jamais eu l’occasion d’en voir. C’est spectaculaire. Et très différents de nos cultures habituelles d’ici. Le houblon est une plante herbacée vivace grimpante, constituée à la base de ce qu’on appelle un rhizome : une tige souterraine dotée de racines et qui
se termine par un bourgeon. Une fois en terre, le rhizome de houblon peut rester en vie 20 à 40 ans et repousser de lui-même à la sortie de l’hiver. Avec les premières lumières du printemps, les tiges grimpent naturellement vers le ciel, mais leur souplesse nécessitent l’assistance de tuteurs : des ficelles ou des câbles reliés par des poteaux permettant de faire grimper les plantes jusqu’à six mètres de haut. « C’est très chelou comme culture, résume Antoine. En hiver, une houblonnière ressemble à un champ de poteaux téléphoniques et en été ça
se transforme en une forêt dense et verte. » Le bourgeonnement génère des fleurs appelées cônes, récoltés pendant la période de moisson en septembre. Ces cônes sont ensuite séchés et le plus souvent transformés en petites granules – des pellets –, avant d’être conditionnés et vendus aux brasseurs. Car oui, le houblon est l’un des quatre ingrédients principaux de la bière, avec l’eau, le malt et la levure. Chaque litre de bière comporte entre 2 et 5 grammes de houblon. « C’est un peu comme une épice, précise Antoine. Le houblon est riche en résine, responsable de l’amertume, et en huile essentielle, qui apporte l’arôme. »
« La plante se plaît ici »
Sur les 60 000 hectares de houblon cultivés dans le monde, 23 000 se situent aux États-Unis. Les USA et l’Allemagne, deuxième pays producteur, concentrent à eux deux les trois quarts du marché mondial. Viennent ensuite la République Tchèque, l’Angleterre et la Belgique. Avec ses 500 hectares, dont environ 450 situés en Alsace, la France arrive loin derrière. « La production alsacienne de houblon a connu une grosse crise lors de la constitution du géant brassicole AB InBev en 2008. Les contrats avec les coopératives houblonnières alsaciennes ont été cassés et ça a été une catastrophe. La surface est passée de 1 000 à moins de 500 hectares en quelques années et le prix du kilo s’est alors effondré à 2 € (contre environ 40 € de moyenne actuellement, ndlr), éclaire Antoine, notre houblonnier de Brélidy. Autant dire que là-bas, le houblon n’a pas vraiment la cote. C’est même plutôt considéré comme une filière merdique… » Mais parallèlement, durant ces mêmes années, une multitude de brasseries se sont montées, notamment en Bretagne où on en compte environ 150 aujourd’hui. Dans ce pays de cidre, on s’est mis à produire (et à consommer) 29
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de la binouze, et de la bonne. Des brasseurs qui, rapidement, ont souhaité pouvoir s’approvisionner en matière première locale. Logique. Si une filière malt bretonne a su se déployer, via notamment la société Yec’Hed Malt de Saint-Avé, les choses ont été plus difficiles à se mettre en place pour le houblon. « Le malt, c’est de l’orge torréfié, dans l’ouest de la France on connaît. Le houblon, c’est plus nouveau, même si des livres d’Histoire laissent entendre qu’on en cultivait en Bretagne dès le 19e siècle, indique Guillaume Calvignac, conseiller agronomie à la Chambre d’agriculture des Pays de la Loire et à l’origine de la création en 2018 du GIEE (Groupement d’intérêt économique et environnemental) Houblon de l’Ouest. L’idée, c’est de se regrouper pour développer une filière de houblon bio, d’être un interlocuteur à la fois pour les brasseurs et pour les futurs houblonniers. » Sur les dix membres d’Houblon de l’Ouest, trois houblonniers sont situés en Bretagne administrative : Antoine Floury à Brélidy, Romain Chemin à Allaire et Mathieu Juhel à Fréhel. Nous retrouvons Antoine dans sa ferme costarmoricaine, à préparer son houblon pour la saison estivale. « J’ai trois hectares de surface, pour neuf variétés différentes : Cascade, Chinook, Brewer’s Gold, Willamette… On découvre à mesure les plants qui s’adaptent le mieux au climat et au sol breton. Mais une chose est sûre : la plante se plaît ici. Aucune raison que la filière ne s’y développe pas. » Pour ce diplômé
en physiologie du végétal de 33 ans, installé depuis 2018, la saison 2022 s’avère importante : « En septembre, ce sera notre quatrième récolte. Le houblon gagne progressivement en rendement les premières années. Là, logiquement, le mien est mature, il devrait bientôt produire 1 tonne de houblon à l’hectare, c’est l’objectif. »
« Patience et rigueur »
Un score que vise aussi à terme Romain Chemin, dont les débuts dans le Morbihan, sur les terres familiales, remontent à 2017. « Je cherchais une culture à forte valeur ajoutée. Le malt nécessite pas mal d’hectares, c’est un autre modèle économique. Là, je suis sur 2,7 hectares. Le houblon demande patience et rigueur, ça me plaît, commente celui qui est par ailleurs enseignant en agronomie au lycée agricole de Redon. C’est une culture qui se rapproche de la vigne, avec un terroir à respecter, une temporalité assez similaire… La démarche agricole est très qualitative. »
« C’est une culture qui
se rapproche de la vigne » 30
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Troisième houblonnier membre du GIEE, Mathieu Juhel est installé avec sa compagne sur une ferme non loin de la mer et du fameux cap Fréhel prisé des touristes. « Ici, ce sont les parcs à poules. Sous le hangar, les étables à brebis. Là-bas, des pommiers qui poussent… » Le jeune homme de 28 ans fait la visite. « Mes parents étaient exploitants en conventionnel. On est sur une autre démarche : vente directe et petite surface pour respecter la terre et les bêtes. » Alors qu’en Alsace, le houblon s’est historiquement développé sur un modèle extensif, la filière bretonne prend des allures de retour à la terre, à rebours du productivisme. Mathieu cultive son houblon « sur 0,5 hectare. De onze variétés testées au départ, je suis passé à cinq : les plus résistantes à la météo locale, au mildiou, à l’oïdium, aux pucerons… » Comme ses confrères de Brélidy et d’Allaire, il vend sa production intégralement aux brasseurs locaux : La Fréheloise, la Brasserie d’Émeraude, la Louarn et la Quévertoise. Erwan Jouan, lui, n’est pas membre du GIEE. « Disons que j’aime mon indépendance », justifie l’ancien guitariste de Guadal Tejaz, reconverti à
Photos : Bikini
Bignan sur une ferme de 40 hectares, dont 5 sont consacrés au houblon (colza, orge, maïs et prairie pour le reste). Formé chez Antoine à Brélidy, il a réussi l’an dernier une récolte exceptionnelle en atteignant dès sa première année d’exploitation l’objectif du 1 tonne à l’hectare, pour un total de 5 tonnes récoltées, là aussi en bio ! Il s’en étonne lui-même. « Faut croire que j’ai bien choisi mon champ : sur un plateau, bien exposé, avec un sol bien drainé, argileux en profondeur pour garder l’humidité… » Mais pas de quoi non plus pavaner, tempère-t-il, car pour se lancer dans la culture du houblon, il faut investir. Beaucoup. « Au-delà de 1 hectare, la mécanisation est indispensable : tracteur, récolteuse, trieuse, séchoir, sans compter les poteaux et les câbles. Que du matos importé d’Allemagne ou de Belgique. Perso, j’ai pris un risque avec une dépense initiale de 450 000 €. » Alors non, le houblon n’est pas forcément cet or vert, tel qu’il est parfois présenté, confirme Guillaume Salaün, dont la houblonnière de 3 hectares est située à Sibiril dans le Finistère. « Faut compter pas loin de 100 000 € d’investissement en moyenne à l’hectare, pour une plante qui doit logiquement commencer 31
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Bikini
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à rendre au bout de 3-4 ans seulement, fait observer cet autre indépendant. C’est pour ça que la monoculture est impossible, sinon tu coules direct. Moi par exemple, je suis maraîcher à côté. » De même qu’Antoine élève des moutons, Mathieu des brebis et des poules, Erwan cultive des céréales... Ce qui est en tout cas rassurant, c’est que les débouchés ne manquent pas, laissant entrevoir l’expansion de la filière au-delà des cinq houblonniers qui en vivent actuellement sur le ter-
ritoire. L’an dernier, Agrocampus Ouest a mené une enquête sur les besoins en houblon dans le grand Ouest : 57 % des brasseries interrogées se disaient en recherche active de houblon local (quand elles ne le cultivent pas elles-mêmes, comme c’est le cas de D’istribilh à Plouider et de La Bambelle à Saint-Gravé). Parmi elles, la brasserie Saint-Georges à Guern. « C’était dans les tuyaux dès le début de me passer des gros industriels, confie son fondateur Jérôme
Kuntz. J’ai besoin de 160 kilos de houblon par an. Pendant longtemps, je me suis fourni en Alsace, à défaut. Maintenant je commence à me fournir chez Antoine, chez Erwan… » « Je suis pas inquiet sur les débouchés pour la filière, abonde Quentin Chillou, de la brasserie Kerpiton à Loyat, dont le principal fournisseur en houblon est désormais Romain Chemin. Est-ce du militantisme ? Je dirais surtout que pour prétendre faire de la bière bretonne, faut de la matière première d’ici, normal. On ne fait pas du vin de Loire avec des grappes de Bordeaux. À nous, brasseurs, de nous adapter à ce terroir : le houblon d’ici va peut-être faire évoluer un peu les bières d’ici. Les IPA bretonnes avec du houblon breton ne seront pas typées comme les Américaines, et c’est très bien. » Régis Delanoë
CIDRE ET HOUBLON, VIVE LES MARIÉS !
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cidre brut. « Il suffit de laisser macérer quelques fleurs durant la dernière semaine. Les goûts viennent assez vite », explique le cidrier pour qui cette cuvée permet « d’aller chercher les buveurs de bières qui se sont détachés du cidre ». Un positionnement également adopté par Gaëtan Le Marec, de la Cidrerie Le Marec à Paimpol, qui l’an passé s’est lancé dans cette niche. « C’est l’équipe de la brasserie Philomenn qui nous a soumis l’idée. Après quelques essais infructueux, nous avons réussi à trouver le bon
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dosage. Cela permet au cidre de développer des notes d’agrumes », expose le gérant qui reconnaît que le cidre a pu être « ringardisé » par le développement et la créativité des microbrasseries. Le secteur des “craft beers” constitue d’ailleurs un modèle pour Simon Lorand, de la marque Ti-Lõ basée à Saint-Suliac qui, depuis 2020, développe une gamme de cidres IPA. « Au nez, on est dans la bière mais, en bouche, c’est la pomme et le litchi qui explosent, présente le garçon de 29 ans qui
souhaite continuer les expérimentations. On travaille sur des cuvées avec de la purée de mangue et de fruit de la passion. Ou encore une avec de la betterave. L’idée c’est de tester des choses pour séduire les “crafteux”. » J.M
La Malvoisine
L’été est traditionnellement la saison des mariages. Et si le plus beau d’entre eux était celui du cidre et du houblon ? Cet assemblage qui se glougloute très bien s’appelle “cidre houblonné” ou encore ”cidre IPA”, du nom de ces bières à fort houblonnage, développant ainsi un goût résineux, amer et fruité plus marqué. Une palette aromatique qu’est venue chercher Alain Réty, de la cidrerie La Malvoisine, à Ploërdut dans le Morbihan. Il y a trois ans, il s’est amusé à laisser infuser du houblon dans une de ses bases de
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« UNE CARTE POSTALE SONORE »
S’IMPRÉGNER D’UN TERRITOIRE POUR EN FAIRE SA BANDE-SON. CES DERNIERS TEMPS, DE NOMBREUX ARTISTES SE SONT LANCÉS DANS CETTE DÉMARCHE À LA FOIS MUSICALE, DOCUMENTAIRE, SENSORIELLE... ET SI ON VOYAGEAIT PAR LES OREILLES ?
Goledzinowski
TÉVENNEC
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MOLÉCULE, AUTEUR DE L’ALBUM TÉVENNEC EN JANVIER 2022 : « Lors d’une navigation en mer d’Iroise, au large du Finistère, il y a vingt ans, j’avais repéré cette maison blanche sur ce gros caillou. Je trouvais ce lieu intrigant. Au fil du temps, je me suis renseigné sur ce phare et je me suis aperçu qu’il avait une histoire singulière : les gardiens qui y séjournaient entendaient des voix et devenaient fous. Je me suis alors dit que c’était un endroit où il y avait matière à imaginer un projet musical. Cela faisait des années que je cherchais à y mettre les pieds. J’ai réussi par l’intermédiaire de Marc Pointud qui dispose d’une AOT (autorisation d’occupation du territoire) au phare de Tévennec. Les cinq jours passés là-bas ont été très spartiates. C’est un lieu inhabité depuis 1910. C’est très humide, il y a des milliers de cloportes au sol. Je n’étais pas là pour être installé confortablement mais pour essayer de saisir l’âme de cet endroit. Je suis parti avec tous mes instruments, des machines assez spécifiques qui réagissent au champs magnétique, à l’électricité, à la température, à la pression atmosphérique… J’ai laissé ouvert pendant de longues heures mes
synthétiseurs modulaires, mon thérémine et mes micros. Cela enregistrait continuellement avec l’idée que les énergies du lieu s’emparent du dispositif et créent leur propre musique. Il y ainsi beaucoup de plages d’ambiant assez expérimentales. En résulte un album qui a été entièrement composé sur place, en immersion totale. C’est une carte postale sonore. Le fait de travailler in situ, cela change tout. Je fonctionne toujours ainsi : je suis parti 34 jours en mer sur un chalutier pour une campagne de pêche pour mon album 60° 43’ Nord sorti en 2015. Idem pour l’album -22.7°C où je suis resté cinq semaines au Groenland pour composer. Cette méthode me permet de rentrer dans une autre dimension où je ne respire que pour le projet que je suis en train de mener. Il y a presque une notion de transe. L’idée c’est d’être au plus près des émotions vécues et du ressenti. Cela me semblerait incohérent artistiquement de revenir dans le confort de mon studio et d’avoir tout le luxe de retravailler les morceaux après coup. Je ne serais plus du tout dans le même état d’esprit. Pour cet album, il fallait que tout se fasse sur le phare avec cette énergie instinctive. C’est un témoignage de l’instant qui, je pense, se ressent. À l’écoute, on peut ressentir l’atmosphère crépusculaire de l’endroit. Car Tévennec est mystique. Je ne crois pas aux esprits et aux fantômes, mais c’est un lieu habité. Avec cette particularité qui est liée à sa position sur ce rocher, entouré par l’océan. Cela créé des phénomènes acoustiques de phase. J’ai été surpris de les entendre et, plus les jours passaient, plus cela s’amplifiait. Je pense d’ailleurs que les voix qu’entendaient les gardiens du phare venaient de là : cela dérègle l’oreille interne et on perd tout repère. On entend alors ce qu’on a envie entendre, comme des hallucinations. » 35
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« DES PAYSAGES EN TÊTE »
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Si j’avais grandi ailleurs, j’aurais fait une musique différente, je pense. Le fait d’avoir vécu dans cet environnement, ça m’a forcément influencé à fond. Quand je compose, je me projette dans des paysages que j’ai en tête, dans des couleurs… et c’est en Bretagne que je puise cela. Tout cela aide à travailler l’imaginaire : tu te sens libres, tu as l’infini devant toi, tu es dans la contemplation… C’est quelque chose que j’ai voulu retranscrire sur l’album. Le live qu’on a imaginé est d’ailleurs très visuel. Sur scène, on projette notamment des images filmées en baie de Morlaix qu’on a déformées numériquement. On n’est pas loin d’un ciné-concert, mais en un peu plus agité ! » Le 7 août au Bout du Monde à Crozon
SAINT-JOSEPH
ROSCOFF
TAULÉ
Evan Lunven
BLUTCH, AUTEUR DE L’ALBUM TERRE PROMISE EN JANVIER 2022 : « Imaginer un album avec le Finistère comme fil rouge est venu petit à petit. Ce n’était pas quelque chose que je voulais faire à la base. Mais en composant les premiers morceaux, l’idée a grandi naturellement. J’avais des images et des souvenirs en tête. J’ai essayé de mettre en musique des moments de ma vie qui m’ont marqué étant plus jeune. Du coup, forcément dans le Finistère dont je suis originaire (Blutch est aujourd’hui installé à Rennes, ndlr). J’ai grandi à Taulé, à dix minutes de Morlaix, en pleine campagne, pas loin des bois. J’ai eu une enfance avec beaucoup de liberté, à traîner dans la nature. J’ai adoré ça. Quasiment tous les titres de mon album Terre Promise sont un clin d’œil à un endroit du Finistère. Cobalan, c’était le nom de la rue chez mes parents. Ce morceau est teinté d’insouciance. Rosko, c’est pour Roscoff, la ville d’où vient la famille de ma mère. Avec mon grand-père, j’y ai découvert les plaisirs simples de la vie : se promener le matin, faire le tour des plages, ramasser du verre poli… Remparts fait référence à Brest. C’est le morceau le plus énervé de l’album : il colle bien avec cette ville qui est tout sauf édulcorée. Les Sables Blancs, c’est une plage de Locquirec : un pote y avait un terrain pas loin. J’y ai fait pas mal la fête tous les étés étant ado. C’était le début de la liberté, on finissait souvent en after à regarder le lever de soleil. Une ambiance qu’on retrouve dans ce titre. Au-delà de la bande-son d’un territoire, Terre Promise est donc aussi la bande-son de ma jeunesse. C’est un disque où il y a de la nostalgie et de la mélancolie.
Bikini
« CAPTER UNE ÉNERGIE » OJÛN, AUTEUR DE L’ALBUM BAT KARÉ EN FÉVRIER 2021 : « En 2019, j’ai pris un billet d’avion aller simple pour La Réunion. Cette île constitue une de mes racines. J’ai grandi là-bas jusqu’à mes 7 ans, avant de venir vivre en Bretagne. J’avais envie d’y retourner sur un temps plus long que celui des vacances. Y rester plusieurs mois pour réexpérimenter ce territoire. Sur place, j’avais mon ordinateur, ma guitare, ma clarinette et mon enregistreur Zoom. Pour ce projet, je voulais m’essayer au field recording (technique qui consiste à capter des sons, le plus souvent à l’extérieur, pour ensuite les intégrer à un morceau, ndlr). J’ai commencé à enregistrer dans la rue, en pleine nature, lors de kabar (des sortes de jam session où ça joue du maloya) et bien sûr dans les lieux de mon enfance. J’ai ensuite été piocher dans tous ces enregistrements pour composer mes morceaux. Cela permet d’imaginer et de créer une histoire plus facilement. C’est une capsule sonore où tu captures l’énergie d’un lieu et d’un moment. Une démarche documentaire où je viens rattacher du réel à ma subjectivité d’artiste. Les sons qui m’ont le plus marqué sont ceux que je n’avais pas prévus. Je pense notamment à ce jour où j’étais attablé la terrasse d’un café à Saint-Joseph. Ça parlait créole, il y avait pleins d’accents, c’était vivant… Alors que cela peut être considéré comme une scène de vie banale, j’ai trouvé ça super chouette. Cela m’a requestionné sur la notion de voyage. Je pense qu’on peut s’émerveiller de son quotidien si on arrive à poser son regard différemment. Avoir une oreille neuve sur des environnements familiers est une façon de voyager en passant simplement le pas de sa porte. » 37
DOSSIER
ROBIN FOSTER, AUTEUR DE L’ALBUM PENINSULAR III EN AVRIL 2022 : « C’est un moment que j’ai du mal à décrire. C’était en 2012, le jour de l’équinoxe de septembre, à l’occasion d’un concert qui était organisé devant les ruines du château de Saint-PolRoux, à Camaret. Je me suis mis à faire les balances et à jouer tout seul et là il y a eu un événement cosmique, “a Lynch moment”. Je ressentais une osmose entre tous les éléments : le lieu, le coucher de soleil, la musique… Tout s’accordait, c’était très étrange. Ça a été comme un flash qui me disait qu’il fallait que je fasse un truc ici. C’est à ce moment que j’ai trouvé trois accords que j’aimais bien, ceux du morceaux Pen Had. Ça a été le début de l’aventure PenInsular. Une trilogie d’albums qui constitue une bande originale de la presqu’île de Crozon, un territoire que je trouve très cinématographique. Ici, tout est en panoramique. Pour chaque morceau, je me baladais sur les routes et les chemins pour voir si la musique se greffait au paysage. Quand tu n’es pas parolier, tu essaies de retranscrire à ta façon ce que tu as envie de dire. Pour moi, cela passe par des morceaux très progressifs, avec des montées sans fin. Le premier disque était surtout centré sur Camaret, où j’habite. Le deu38
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CAMARET
Bikini
« UNE OSMOSE ENTRE LE LIEU ET LA MUSIQUE »
xième couvrait les dix communes de la presqu’île. Et le troisième, qui vient de sortir, se concentre à nouveau sur Camaret. Covid oblige, je me promenais forcément à proximité. Plus de 90 % de l’album se situe sur la pointe de Pen Hir, entre les Tas de Pois et le phare du Toulinguet. Une toute petite zone mais c’est là où selon moi se situe la magie camaretoise. C’est aussi un album plus personnel. Car il est en lien avec des lieux mais aussi avec les gens d’ici. Les morceaux font référence aux personnes que je croise, que je rencontre, que je connais. J’aime à dire que si on voulait faire la version française de la série Twin Peaks, ça serait ici. Les habitants de Camaret sont des personnages, avec beaucoup de caractère et une mentalité îlienne. Aujourd’hui, j’ai le sentiment de faire partie de cette communauté. Cela fait un peu plus de dix ans que j’habite ici. Au début, c’était juste
pour six mois, mais avec ma femme on a finalement décidé d’acheter la maison qu’on louait. Une fois que t’as goûté à l’endroit et aux gens, c’est pas évident de repartir. Tout cela fait qu’il y a une part d’autobiographie. En tant que musicien, j’ai fait pas mal de bandes originales pour des films où je devais mettre en musique les émotions des réalisateurs. PenInsular, c’est la B.O de ma propre histoire. Si faire la bande-son de mon Angleterre natale peut m’intéresser ? Je suis originaire de la ville de Kendal, une région où il y a une cinquantaine de lacs. Il y aurait de quoi faire quatre ou cinq albums, mais bizarrement cela ne me tente pas trop. Avec le Brexit notamment, ce n’est plus pareil làbas. Si les paysages n’ont pas bougé, ce sont les gens et les mentalités qui ont pas mal changé ces dernières années. » Recueillis par Julien Marchand
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RED STARS DANSANT ET POÉTIQUE, LE POST-PUNK DE YARD ACT PREND SA SOURCE DANS LE NORD DE L’ANGLETERRE. UNE PETITE BOMBE. ’est une certitude : la ville anglaise de Leeds est une ville de rock. Dans ces contrées nordistes, un groupe de musiciens a décidé de s’unir pour marier ses besoins de punk dansant à la voix habitée, presque parlée, du chanteur James Smith, qui lance des blagues comme des invectives. Yard Act est une belle invention musicale, un mélange de spoken word cynique et de postpunk tourmenté, bien énergique. En ligne de mire, la vieille Angleterre, son conservatisme et son hypocrisie.
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Le single The Overload, tiré de leur premier album du même nom, en est un parfait exemple. « L’Angleterre doit faire face à son passé, assure James Smith. Il faut expliquer aux gamins comment ce pays s’est construit et ce qu’était vraiment cet empire. » Fustigeant la bourgeoisie, se classant franchement dans la case du rock prolo, Yard Act semblerait presque anachronique dans une époque où le rock paraît avoir perdu sa capacité d’indignation. Alors, pour réveiller ce petit monde, le chanteur use de
formules assassines, d’ironie et de mots qui ne doivent jamais arriver aux oreilles de la reine. « Je suis du genre à jurer, continue Smith. Les jurons sont souvent faits d’une ou deux syllabes, ce qui permet de bien les ajuster aux structures rythmiques. Mais je n’essaie pas de choquer. » Formé en 2019, le quatuor s’est pris, comme tout le monde, la crise sanitaire de plein fouet, voyant son projet d’album subitement mis à mal. « On a dû arrêter une tournée après les toutes premières dates, rembobine le guitariste Sam Shjipstone. Mais le groupe a connu une belle couverture médiatique au début de la pandémie. Ça a donné à notre album un côté plus réfléchi alors qu’on partait sur quelque chose de plus live rock. » En effet, l’album The Overload est fait d’énergie déployée, mais aussi de programmations électroniques discrètes, d’arrangements subtils qui font entrer Yard Act dans son époque. Comme d’autres artistes, ils sont finalement parvenus à extraire de cette drôle de période une forme de révolte, renforçant leur discours prolo au son des journaux télévisés.
Phoebe Fox
Une source d’inspiration intarissable, certes, mais lourde à porter. « L’actualité était tout de même plus déprimante qu’inspirante », tempère James Smith. Peut-être, mais la déprime inspire elle aussi. Leur discours ouvertement anticapitaliste, leurs textes contant les fins de mois difficiles, les affres du Brexit ou les élections pathétiques peuvent entrer en contradiction avec un potentiel succès musical. Beaucoup ont découvert Yard Act sur la bande originale du jeu vidéo FIFA 22 édité par EA Sports, qui n’est pas l’entreprise la plus marxiste du secteur. « C’est notre label qui a placé la chanson. Nous aussi ça nous a surpris. » Leur label, c’est Universal, pas non plus du genre à briller par son éthique. Mais s’affirmer dans de tels milieux avec des textes frontaux et franchement sans concession, n’est-ce pas une façon d’emmerder le système ? James Smith a la réponse : « Cet album parle de s’épanouir dans les contradictions et d’accepter le fait que nous vivons dans une société capitaliste que ça nous plaise ou non. » Brice Miclet Le 18 août à La Route du Rock à St-Malo 41
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BONS SAUVAGES Il faut croire qu’Étienne Grass et Lionel Mauguen aiment les paradoxes. Les deux copains quadras brestois, qui se connaissent depuis vingt ans, n’ont rien trouvé de plus compliqué que “Howlin’ Grassman vs Stompin Bigfoot” pour nommer leur projet musical pourtant si simple, rien que tous les deux. « Un hommage aux bluesmen des origines », justifie Étienne, plutôt calé dans ce style musical qu’il pratique dans son autre groupe, Electric Bazar Cie. Son compère Lionel a, lui, surtout traîné
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RETOUR AUX ORIGINES DU ROCK AVEC CE GROUPE BRESTOIS. BRUT ET PRIMITIF. sa gratte dans des formations jazz et musique des Balkans. « On avait envie de revenir à un rock brut, primitif. » Problème : les deux sont guitaristes, et Étienne le concède en se marrant, « un groupe de rock avec seulement deux guitares, c’est un peu pauvre ! » Alors, ils se partagent une batterie : « Lionel a la grosse caisse et le shirley, moi le reste. C’est physique. » Depuis 2015 qu’ils jouent ensemble, ils n’avaient enregistré qu’un EP « carte de visite ». C’était avant la sortie d’un premier vrai album épo-
nyme en mars dernier, coproduit par Beast Records, qui les a invités par la même occasion à leur grosse fiesta annuelle à Binic. « Globalement c’est du proto-rock garage qui reste un peu crade, mais pas seulement. On varie les plaisirs. Ce n’est pas que du “poum tcha” tout le temps. » Avec un morceau tubesque en ouverture, au titre tellement brestois : I know that you don’t love me. R.D Le 22/07 au Binic Folks Blues Le 29/07 au Fest. de la mer à Landunvez Le 14/08 à Fête du Bruit à Landerneau
Christèle Billault
WILD WILD WEST
Sauvage : c’est le thème retenu pour la 8e édition du Lyncéus Festival. Au programme, seize représentations théâtrales imaginées par vingt-cinq artistes accueillis sur place en résidence. Parmi ces créations in situ : la pièce Au Monde et sa promesse de dystopie survivaliste (pièce écrite par Clio Van de Walle, photo) ou encore Vieille Petite Fille (de l’autrice Juliette Riedler), une réécriture libre du Petit Chaperon rouge pour mieux souligner les mécanismes d’aliénation qui contraignent les femmes. Côté musique, le chanteur et musicien Rouge Gorge viendra présenter sa pop new wave délicate et classieuse. Du 18 au 26 juin à Binic-Étables-sur-Mer 42
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Marion Bornaz
LE CRIMI PARFAIT
LANGUE SICILIENNE ET SONORITÉS RAÏ : LE PROJET DE JULIEN LESUISSE DÉPAYSE. Certaines régions du monde sont à la croisée des chemins. La Sicile, carrefour méditerranéen où se mélangent les cultures maghrébines et italiennes, est une de ces terres propices au métissage. Avec son groupe Crimi, Julien Lesuisse s’y est pleinement plongé, décidant d’embrasser la langue sicilienne et de la marier au raï, à une énergie rock et à des influences américaines 70’s. Après avoir passé plusieurs années à officier dans des formations lyonnaises telles que Mazalda et avoir accompagné des chanteurs raï comme Sofiane Saidi, le garçon s’élance donc dans ce nouveau projet, complètement hors des cadres et des carcans. « Ma mère est née en Sicile, c’est une langue que j’ai toujours entendue à la maison, confie-t-il. Mais je ne l’ai jamais parlée couramment. J’adore les chansons de là-bas. Ne pas écrire dans sa langue première, c’est un peu comme travailler un métal difficile. Il y a des petits plis, des petites ombres ou des défauts qui naissent malgré toi. Mais ça donne quelque chose de singulier, ça permet d’aller à l’essentiel. » Julien Lesuisse pourrait parler de musique italienne pendant des heures, de la définition du folklore ou de ce qu’est une musique traditionnelle. Mais le mieux, c’est d’écouter ce chant pénétrant, chargé d’histoire tout en restant terriblement contemporain. B.M Le 15 juillet aux Vieilles Charrues à Carhaix 43
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CHAMPAGNE ! « Les buts, c’est comme le ketchup : quand ils arrivent, ils viennent tous en même temps », avait imagé Cristiano Ronaldo lorsqu’il s’était remis à enfiler les perles après une période de disette. Il en va un peu de même avec Odilon Horman et le groupe qu’il a fondé en 2019, Chester Remington : ses inspirations, influences et envies musicales lui sont toutes venues en même temps au moment de monter son nouveau projet. Il y a du Osees, du Ty Segall, du Yak, du Idles, du Parquet Courts, mais aussi du Beatles, avec qui Chester Remington partage les variations d’humeur et d’émotion
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LE RÉMOIS ODILON HORMAN ASSOUVIT SES ENVIES MUSICALES QUI VONT DANS TOUS LES SENS.
au sein d’un même morceau. « J’aime également la folie douce du garage 60’s des Trashmen », complète-t-il. Après dix ans dans l’ombre à accompagner d’autres formation, Odilon avait accumulé assez de confiance en soi pour se lancer : composer ses morceaux, monter un band avec quatre copains et chanter, ce qu’il n’avait jamais fait jusqu’alors. « Le chant, c’est 50 % de confiance en soi, je mise tout là-dessus, rigole-t-il. On
a sorti un premier EP à l’arrache, puis un deuxième en février, plus sérieux. Et là ça a l’air de prendre, avec un tourneur et des dates. » Dont les derniers Bars en Trans (« gros plaisir de jouer très fort devant des gens très saouls ») et les iNOUïS du Printemps de Bourges, en attendant la tournée de cet été. La trêve estivale attendra pour le Rémois. R.D Le 30 juillet au festival Chausse tes Tongs à Trévou-Tréguignec
Paul Märki
HELVÈTE UNDERGROUND
Emmenée par la chanteuse folk Janine Cathrein (photo), la formation suisse Black Sea Dahu a sorti il y a quelques semaines son second album, le très doux I Am My Mother. Un disque qui fait du bien et qui est à découvrir en live à Bonjour Minuit à Saint-Brieuc le 18 juin.
ALBION Malgré sa carrière tourmentée, Pete Doherty est toujours au taquet. L’increvable trublion anglais, qui réside désormais en Normandie, assure toujours en live, que ce soit en duo avec son nouveau complice Frédéric Lo (le 5 juin à Art Rock à Saint-Brieuc) ou avec son groupe de toujours, les Libertines (le 18 août au Motocultor à Saint-Nolff). 44
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Stéphane Lavoué
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AVEC SON BLUES ROCK CHANTÉ EN BRETON, KAOLILA DÉPOUSSIÈRE LE RÉPERTOIRE TRAD’. « On chante des histoires de femmes. Aussi bien celles qu’on peut croiser tous les jours que celles qui ont marqué l’Histoire : Marie Stuart, Bouddicca (une guerrière bretonne), Anne de Bretagne… », présente Marion Gwenn qui avec Arzela Abiven, Faustine Audebert, Nicola Hayes et Hélène Brunet composent Kaolila. Une formation féminine, pour ne pas dire féministe. « Je pense qu’on l’est, forcément. On se sent toutes un peu sorcières. À l’époque, on qualifiait de la sorte les femmes libres…
Peut-être qu’on nous aurait brulées nous aussi ? » C’est ainsi qu’elles ont récemment repris Ar Sorserez, interprété – entre autres – par les sœurs Goadec, pour une version tortueuse et lancinante. « On a quelques autres trad’ dans notre set, même si on bosse surtout sur de nouveaux morceaux et de nouveaux textes, tous en langue bretonne, écrits par mon père, l’écrivain Gégé Gwenn », poursuit Marion qui définit Kaolila comme un groupe de « blues rock rugueux ».
Le quintet, par son travail d’arrangement, s’inscrit également dans la veine néo-trad qui, depuis quelques années, voit éclore un paquet de bons groupes (Super Parquet, San Salvador, Cocanha…) revisitant la musique de leurs aïeux. « Il y a cette envie d’être sur un truc assez ouvert, confirme Marion. Kaolila est un projet qui peut aussi bien se retrouver dans une salle de concerts que pour l’ouverture d’un fest-noz. » J.M Le 11 juin à L’Échonova à Saint-Avé Le 18 juin à Bonjour Minuit à St-Brieuc
Louise Quignon
« GLOIRE À L’ART DE RUE »
Les Tombées de la Nuit, festival rennais des arts de la rue, met les petits plats dans les grands pour son édition 2022 et propose un copieux menu avec une trentaine de propositions : théâtre, cirque contemporain, déambulation, musique, chorégraphie, expo photo... Dans cette pléthorique prog’, citons notamment L’île sans nom, un conte immersif de la Compagnie L’Instant Dissonant ; Le Dédale Palace de la Compagnie OCUS et sa plongée dans les illusions foraines ; Grandeur nature, une randonnée urbaine en réalité augmentée ; ou encore le prometteur Marching Band Roazhon Project (photo). Du 7 au 10 juillet à Rennes 46
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FOCUS
ILLUSTRATEUR À LA RENOMMÉE INTERNATIONALE, JEAN JULLIEN REVIENT SUR SES TERRES SUD-FINISTÉRIENNES. À CLOHARS-CARNOET, SES PERSONNAGES « PAPER PEOPLE » PARTENT SUR LES TRACES DES PEINTRES DE L’ÉCOLE DE PONT-AVEN. UNE FAÇON DE CONFIRMER SA NOUVELLE APPÉTENCE POUR LA GOUACHE ET LES PINCEAUX.
Jean Jullien
LES PALETTES DE PONT-AVEN
« EFFERVESCENCE CRÉATIVE » Après avoir exposé dans le monde entier, Jean Jullien revient sur ses terres, celles du sud-Finistère. « J’y ai de nombreuses attaches. Toute la famille de mon père est originaire de Lesconil et j’ai été aux beaux arts de Quimper. Aujourd’hui, je navigue entre Paris et Lesconil, ayant un atelier dans chacune de ces villes, expose l’illustrateur de 39 ans qui, pour sa nouvelle exposition Les Pas, investit donc la ville de Clohars-Carnoët à une heure de voiture de là. Bizarrement, c’était un coin que je ne connaissais pas du tout, mais que j’ai pris plaisir à découvrir par son histoire. »
Une histoire liée à celle de l’école de Pont-Aven qui, à la fin du 19e siècle, regroupait les peintres Émile Bernard, Charles Filiger, Paul Sérusier, Meyer de Haan... Sans oublier évidemment Paul Gauguin, figure de proue du postimpressionnisme français. Des artistes qui, à l’automne 1889, s’installent à CloharsCarnoët dans l’auberge de Marie Henry. « Un lieu où il y a eu beaucoup d’effervescence créative. J’avais donc envie de revisiter cet endroit avec un de mes “Paper people”. »
« UN PAS DE CÔTÉ » Un personnage qui quitte sa feuille de papier pour partir à la recherche de son créateur, « ce qui l’amène sur les traces de la peinture en Bretagne ». Trois “Paper people”, à taille humaine et en volume, prendront ainsi place à l’auberge (où se situe aujourd’hui la Maison-Musée Gauguin), à la chapelle Saint-Jacques et sur le front de mer. Une façon de revenir sur l’héritage
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artistique de cette école « de façon ludique et avec un pas de côté ». Le garçon développe : « Les peintres de Pont-Aven ne m’ont pas directement influencé mais j’y suis sensible. Ce sont des pratiques artistiques et des façons de voir le décor qui me parlent énormément. Cela m’intéressait donc de jouer avec cela en développant une trame narrative. »
« DE L’INTIME ET DU DÉCOR » Passer de l’illustration à la peinture, un cheminement également emprunté par Jean Jullien qui, depuis quelques années, s’est mis plus sérieusement aux pinceaux et aux toiles. « Cela a commencé par mes carnets de croquis. Petit à petit, je me suis mis à les peindre avec de la couleur : aquarelle, gouache.... » Une pratique initiée dans son Finistère-sud. « C’est l’endroit où je puise mes inspirations principales quand je fais de la peinture : les paysages de bord de mer, La Torche, mon père qui pêche, des scènes de vie dans la maison de mes parents… C’est la matrice de ce que je veux faire en peinture : de l’intime et du décor. Si mes dessins sont à la loupe sur les visages et les situations, il y a ici un dézoom qui s’opère. »
Julien Marchand Exposition Les Pas : du 2 juillet au 18 septembre à Clohars-Carnoët
@bikinimagazine @bikinimag @bikini_mag
AGENDA
Hollie Fernando
DR
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RECOMMANDE
IBEYI
ASTROPOLIS
MEZERG
LA ROUTE DU ROCK
Le 4 juin à Art Rock à Saint-Brieuc Le 17 juillet aux Charrues à Carhaix
Du 29 juin au 3 juillet Dans le pays de Brest
Le 7 août au festival Au Pont du Rock à Malestroit
Du 17 au 20 août À Saint-Malo
Après deux années chaotiques, La Route du Rock fait son retour dans son fief habituel, le fort de Saint-Père, et remet l’église au milieu du village avec la meilleure prog de rock indé et garage de l’été : Wet Leg (photo), Ty Segall, Baxter Dury, Kevin Morby, King Gizzard & The Lizard Wizard, DIIV... Que du bon.
TheSuperMat
Drôle de coco que ce Marc Mezerg. Avec son “piano boom boom”, des claviers qu’il a pimpés avec des pédales de batterie et un thérémine, l’artiste parisianobordelais se présente comme un one-man-band, ambassadeur d’une musique électronique singulière aux accents balkaniques. Assez foufou.
DR
La grande messe électro is fucking back ! Et pour fêter ça, le rendez-vous brestois ne fait pas les choses à moitié : 9 lieux, 13 rendez-vous, 80 artistes. Parmi les invités : Laurent Garnier, Héctor Oaks (photo), Ellen Allien, Rebekah, I Hate Models et l’incontournable Manu Le Malin… Du lourd, du très très lourd.
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Les sœurs franco-cubaines ont signé leur retour au printemps avec leur 3e album, Spell 31. Un disque où Lisa-Kaindé et Naomi font plus que jamais la liaison entre Europe, Afrique et Amérique, navigant entre soul, R’n’B, gospel et hip-hop. Un opus qu’elles défendent en festivals cet été, avant de revenir à l’automne (Hydrophone, Antipode).
CURTIS HARDING
MOTOCULTOR
AFRIQUE
PHILIPPE PASCAL
Le 05/08 à Au Pt du Rock à Malestroit Le 07/08 au Bout du Monde à Crozon
Du 18 au 21 août À Saint-Nolff
Jusqu’au 4 décembre À l’Abbaye de Daoulas
Le 24 juin À la salle de la Cité à Rennes
Considéré outre-Atlantique comme rien de moins que le successeur de Stevie Wonder, Curtis Harding est sans doute ce qui se fait de mieux actuellement sur la scène soul. Le prodige d’Atlanta, auteur de l’album If Words Were Flowers, fait escale cet été en BZH. Immanquable.
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Difficile d’exister face au Hellfest tout puissant. Le Motocultor relève le défi avec une 13e édition XXL : quatre jours (dont un ouvert à du rock plus classique, avec The Libertines et The Hives en têtes d’affiche) et plus de cent groupes, dont Powerwolf, Kreator (photo) et Behemoth.
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Une plongée dans les cultures religieuses du continent africain. C’est la promesse de l’exposition Afrique à l’Abbaye de Daoulas. Divinités multiples, esprits des ancêtres et de la nature : une découverte de ces rituels mystiques reliant les vivants face à l’invisible.
Pour rendre hommage à Philippe Pascal, disparu en septembre 2019, rien de tel qu’un concert réunissant ses anciens partenaires (Marquis de Sade, Marc Seberg…) et ceux que le chanteur new wave a inspiré (Dominique A, Pascal Obispo…) dans la mythique salle de la Cité. Iconique.