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à 27 La Bretagne, reine de la fête ?
DOSSIER
Studio Le Brusq. Images collées , Alain Le Doaré et Genevière Planchette
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DOSSIER
« LA CULTURE N’A PAS BESOIN DE JUSTIFICATION »
Béatrice Macé, cela va faire un an que vous êtes élue au Conseil régional de Bretagne en tant que viceprésidente à la culture. Auparavant, vous aviez passé plus de quarante années à la tête des Trans Musicales de Rennes. Pourquoi avoir décidé de basculer dans le monde politique ?
Cela faisait pas mal de temps que dans le cadre de l’ATM (Association Trans Musicales, ndlr), qui a été mon aventure professionnelle principale pendant 44 ans, on avait pris la décision de travailler la transmission. De faire que le projet aille au-delà de son équipe fondatrice. Ce qu’on avait initié il y a quelques années avec Erwan Gouadec, premier non fondateur à entrer en direction. En 2020, après avoir postulé à l’lnseac (Institut national supérieur d’éducation artistique et culturelle) à Guingamp, qui occupe une partie de ma nouvelle vie, j’ai reçu un coup de téléphone d’une personne de la Région. Je ne m’y attendais pas mais cet appel a fait démarrer une réflexion. Et j’ai répondu oui à ce prolongement d’engagement citoyen.
Comment avez-vous vécu cette première année ?
Je n’ai jamais eu de regret d’avoir quitté l’ATM. Cela a été une bonne décision. Car je découvre la Bretagne sous un jour différent, avec une prise en compte de tous les territoires artistiques et de tous les territoires géographiques. La
Bikini région est riche d’initiatives. Il y a une diversité incroyable. Notre rôle, c’est de travailler à son maintien. Aujourd’hui, j’ai une fonction politique et uniquement politique. Mais j’ai la chance d’avoir une relation au terrain car je l’ai connu en tant qu’acteur culturel. Je sais ce que ça veut dire de gérer un projet au quotidien. Je n’ai plus de rapport direct avec le concret mais je garde cette proximité au travers de la mise en œuvre de dispositifs qui répondent aux besoins des acteurs culturels. Ces derniers s’engagent et participent à l’intérêt général, il est donc important de les soutenir. Leur donner des moyens financiers, mais pas que : cela passe aussi par le travail de formation, de conscientisation…
Quels axes de travail avez-vous mis en place et sur quels leviers souhaitez-vous agir ?
Nous avons d’abord démarré un état des lieux auprès des acteurs culturels. Mon projet de mandat sera présenté cet automne, après la tenue du forum des politiques culturelles cet été. Dans ce projet, on retrouve trois domaines qui me sont chers : la culture, les droits culturels et l’éducation artistique et culturelle. L’adjonction de ces trois domaines fait partie des solutions face à ce qu’on vit aujourd’hui en termes de crise sociale, sociétale, écologique... Avec cet objectif de faire des droits culturels la finalité. Il est important que chacun ait une accessibilité simple aux différentes formes artistiques. La proposition va être de s’intéresser à la personne dans sa période de construction, c’est-à-dire entre 2 ans et 25 ans : lui ouvrir le plus de portes, travailler sa curiosité, qu’elle ait envie de quelque chose qu’elle ne connaît pas…
« LA CULTURE N’A PAS BESOIN DE JUSTIFICATION »
Juliane Lancou
Lors d’une interview il y a deux ans, vous m’aviez indiqué que le monde politique ne connaissait pas le sens des mots fête et culture (lire Bikini n°50). Votre opinion a-t-elle changé depuis ?
Je vais faire en sorte que les politiques le connaissent mieux (rires). Aujourd’hui, fête et culture sont des mots éculés et appauvris, que chacun utilise et remplit comme il veut. Mais il n’y a pas que le monde politique qui n’est pas au clair avec cela. Par le passé, il m’est arrivé d’avoir des réunions avec certains acteurs pour qui un festival c’était se bourrer la gueule en public : ils ne comprenaient pas ce que faire la fête voulait dire. En Bretagne, le mot fête est hyper important, dans la tradition, dans l’histoire… C’est un moment de réunion symbolique. L’être humain est un être culturel. On ne se contente pas de vivre, nous avons la capacité d’existence. La personne, c’est la base des droits culturels : être soi même et sortir de soi pour être avec les autres, et donc faire société. La culture n’est pas la simple relation à l’art, mais tout ce qui fait sens pour les individus : les modes de vie, les traditions, le patrimoine, la relation à l’environnement… Cela fait partie de la manière dont les gens se ressentent et se définissent. L’objectif, c’est le bien-être de la personne. Qu’elle se sente digne et à l’aise. Ça peut sembler banal de dire cela mais, dans le monde actuel, ça ne l’est pas du tout.
Et pour une institution comme la Région, quel est l’intérêt de développer le dynamisme culturel ? Sur la présentation du budget 2022, les événements festifs étaient classés dans la mission “attractivité et rayonnement”. Est-ce le rôle de la culture ?
L’action politique doit-elle avoir un rayonnement ? Le rayonnement est une conséquence mais ce n’est pas une finalité. La finalité de mon travail, ça va être la vitalité artistique et la diversité culturelle. C’est ce qui m’intéresse pour l’utilité sociale et sociétale. Dans le projet que je vais présenter en octobre, j’ai enlevé le mot attractivité. Si cela m’embête qu’on se serve de la culture comme un argument marketing ? Ce n’est pas ma manière de voir les choses. La culture n’a pas besoin de justification. Ce n’est pas parce qu’elle rapporte de l’argent, qu’elle emploie des gens et qu’elle développe le tourisme qu’elle doit être importante. Je n’ai pas de mépris par rapport à ça, mais ce n’est pas mon domaine. Mon rôle, c’est que les gens puissent se réaliser et faire ce qui est important pour eux : être artiste, auteur, organisateur, spectateur, lecteur…
Après deux ans de pandémie, quelles problématiques connaissent les acteurs culturels et y a-t-il des urgences ?
L’urgence, c’est de ne pas considérer que la reprise c’est la fin de la crise. Le monde culturel est en profonde déstabilisation. Notamment dans la relation avec les publics : il y a des baisses de fréquentation, les décisions d’achats de billets se font très tardivement, souvent dans les dernières 48 heures. Il y aura donc un temps de reconstruction de la relation avec les spectateurs. Il y aussi la problématique de la baisse du bénévolat. S’il n’y a pas de bénévoles, il n’y a pas d’événements. Il faut reconnaître le bénévolat comme une partie prenante décisive. La pandémie a aussi accéléré des problèmes qui étaient déjà identifiés : il y a une précarisation et une paupérisation de beaucoup de métiers dans le secteur culturel. Beaucoup de personnes sont parties, il y a des problèmes de recrutement, de formation, de surproduction par rapport à la capacité de diffusion… Comme dans les autres domaines d’activités, les enjeux se sont densifiés.
Recueilli par Julien Marchand
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LA RÉGION, CHAMPIONNE DES FESTIVALS ?
La Bretagne a cette tendance à s’autoglorifier. C’est ainsi qu’on aime bien se targuer d’être les rois des festivals, la région de France où se concentrent le plus grand nombre d’événements. Sauf que ce n’est pas tout à fait vrai. « Aux dernières nouvelles, la Bretagne est devancée numériquement par l’Îlede-France, l’Auvergne-Rhône-Alpes, la Nouvelle-Aquitaine et l’Occitanie, fait savoir Anne-Gaëlle Geffroy, directrice des études du PRODISS (syndicat national du spectacle vivant), s’appuyant sur le dernier rapport Barofest de 2016 qui dénombrait 1887 festivals de musiques actuelles dans l’Hexagone. En revanche, elle arrive en tête niveau densité, avec un festival pour 20 à 25 000 habitants. » Émilie Charbonnel, du Collectif des festivals (qui fédère une trentaine d’événements et les accompagne sur différentes problématiques) comptabilise « 450-500 festivals en Bretagne, tous styles confondus : musique, théâtre, cirque… » Là non plus, ce n’est pas la région en tête, puisque « la région parisienne et PACA font mieux ». Mais alors, pourquoi cette impression de forte concentration de festivals ? « Déjà parce que la Bretagne s’en sort effectivement très bien rapportée à la taille de la région, appuie Émilie. Ensuite parce qu’elle dispose de grosses têtes de gondole. Des festivals avec une identité bien identifiée, ce qui aide. Enfin, le réseau associatif plus élevé que la moyenne nationale permet de mobiliser un grand nombre de bénévoles, ainsi que des partenaires fiables. Ainsi, les festivals bretons sont solidement structurés. » Autant d’atouts pour pérenniser l’image de la Bretagne comme terre d’accueil des festivals, au-delà de la réalité mathématique. R.D
«ÉLARGIR LE CERCLE» DU FEST-NOZ
Montreuil-le-Gast, un samedi soir de printemps. Il est 23h, le silence et l’obscurité règnent dans ce bled du nord de Rennes, jusqu’à enfin arriver à un oasis d’agitation festive : la salle multifonctions, où s’agitent une petite centaine de danseurs à l’invitation du comité des fêtes (photo). « C’est la première année qu’on organise un fest-noz. On a invité trois groupes à se produire. Là en ce moment sur scène c’est Spontus. Ils viennent d’Auray, ils sont bons, hein ? », interpelle Alain Amaury, membre du comité et ancien danseur du cercle celtique de la commune, habillé en costume breton pour l’occasion. « Il manque juste le chapeau ! » L’affluence est, de son propre aveu, « assez décevante », mais Alain s’amuse sur le parquet, de même qu’un acolyte qui s’éloigne de la piste en lâchant un « aaah, j’ai le jean qui commence à coller aux cuisses, c’est bon signe ! » An-dro, plinn, dérobée, jabadao, laridé… Aucune danse ne sera oubliée. « Un fest-noz, c’est ritualisé et c’est ce qui fait sa force. Il y a un côté rassurant. Il y a les acharnés, les néophytes, ceux qui restent à la buvette pour causer… », détaille Gwendal Le Coz de la Fiselerie, structure de Rostrenen qui organise le festival Fisel (50e édition du 25 au 28 août) et s’occupe de la programmation la scène Gwernig aux Vieilles Charrues. C’est dans les années 1950 que se sont constitués les premiers festoù-noz, formes modernes des rassemblements festifs de la société paysanne traditionnelle. « Depuis, ça fonctionne par vagues, avec un premier âge d’or dans les années 70, très politisé, puis un creux et un revival dans les années 90, plus festif, porté par le succès de groupes comme Ar Re Yaouank et Carré Manchot », situe Thomas Postic, de l’asso Tamm-Kreiz qui met à disposition sur son site Internet un agenda exhaustif des festoù-noz. Depuis vingt ans en revanche, « une nouvelle vague se fait attendre », constate le sociologue Gilles Simon, auteur d’une enquête sur le public de Sonerien Du, l’une des meilleures formations de fest-noz. « La diversification des loisirs et les mutations des pratiques festives ont vidé les salles », déplore-t-il. Et le Covid n’a évidemment rien arrangé.
« Une transe »
Un alarmisme que ne partage pas tout le monde, notamment JeanPhilippe Mauras, directeur artistique du FIL à Lorient. « Certes, il y a eu un flottement dans les années 2000, mais depuis la fréquentation est encourageante. Danser ensemble reste un geste très intemporel. C’est presque un acte de résistance dans
DU FEST-NOZ
Bikini une société qui nous renvoie toujours vers l’individualisme. » Avec l’organisation de grands événements comme Yaouank à Rennes, ou la tenue de festoù-noz hors des lieux habituels (deux exemples récents : à Bonjour Minuit à Saint-Brieuc fin mai et au Run Ar Puns de Châteaulin le 11 juin), le milieu cherche à « élargir le cercle », comme l’explique Hélène Dubois, programmatrice à Bonjour Minuit : « Ouvrir le fest-noz à des salles de musiques actuelles, c’est permettre d’intégrer un plus grand public. C’est plus facile d’apprendre à danser chez nous que dans un fest-noz à Glomel où il n’y a que des habitués. » Même si pour Gwendal Le Coz de la Fiselerie, « le cœur du fest-noz reste et restera le centre-Bretagne. La période du Covid avait notamment vu réapparaître des soirées clandestines dans des granges, sans communication, seulement le bouche-à-oreille. » Un retour aux sources salutaire pour ne pas oublier que le fest-noz se vit d’abord comme « une transe et un défouloir ». Régis Delanoë
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MAIS D’OÙ VIENT L’ADN FESTIF DE DOUARN’ ?
Et si Douarnenez était la meilleure ville pour faire la fête ? La question peut légitimement se poser. Avec une culture du bistrot fortement ancrée, sa scène rock bouillonnante, un agenda estival dense (citons notamment les Fêtes maritimes et le Festival de cinéma, deux rendez-vous précurseurs dans leur domaine), sans oublier les Gras qui transforment les rues de cette ville de 14 000 habitants en bringue XXL, la cité portuaire finistérienne peut faire figure de capitale festive de la Bretagne. « On l’a particulièrement ressenti pour l’édition des Gras de cette année, affirme Mickaëlle Jadé, la présidente du comité d’animation qui organise ce carnaval intergénérationnel. Après le Covid et l’édition annulée l’an passé, les gens avaient envie de se retrouver et de marquer le coup. » Cela fut le cas : cinq jours de fête déguisée (quasi) continue, plus de 8 000 entrées payantes pour le défilé (presque deux fois plus qu’il y a deux ans), une douzaine de chars, la course des garçons de café, la production d’une bière infusée à la merguez (si si), l’incinération du Den Paolig (mannequin symbolisant le roi du carnaval) dans un grand feu de joie… « Ce que j’aime particulièrement dans les Gras, c’est que cela transforme l’ambiance de la ville, les gens extérieurs à Douarnenez se demandent où ils sont tombés, développe Mickaëlle pour qui les déguisements de chaque participant jouent un rôle central. C’est plus qu’un costume, cela représente l’incarnation d’un personnage que tu dois jouer à fond. C’est sûr qu’il ne faut pas avoir peur du ridicule mais, ce que je trouve génial, c’est que cela te permet de devenir la personne que tu as envie. Pendant cinq jours, tu peux te lâcher et faire ce que tu n’oserais pas le reste de l’année. »
« Avec excès »
Une occasion de remettre en cause les institutions et l’autorité. « Les Gras se sont toujours moqués de tout, en premier lieu la religion. Les personnes se griment alors en curé, en bonne sœur… La seconde transgression, c’est celle du genre : les hommes qui se déguisent en femme, c’est la base ici », rappelle Alain Le Doaré. Pour cet historien spécialiste de Douarnenez,
«La fête est l’exutoire d’une communauté»
ce goût prononcé pour la fiesta est constitutif de l’ADN de la ville. « Ce n’est pas une création ex nihilo, cela s’inscrit dans une longue tradition. Si les premières traces écrites des Gras datent de 1835, ces festivités remontent à plus de 500 ans. La fête à Douarnenez, c’est l’exutoire d’une communauté maritime et industrielle qui a subi beaucoup de malheurs : des naufrages, des disparitions en mer, des métiers rudes que ce soit sur les bateaux ou dans les usines de conserverie… À cela, s’ajoute le fait que la ville est une vieille chrétienté maritime. Lorsqu’on met tous ces éléments ensemble, cela donne une existence relativement dure entre, d’un côté, une vie dédiée à la pêche du poisson et à sa transformation et, de l’autre, les règles de la religion catholique, détaille l’historien. Quand se présentait l’occasion de faire la fête, les Douarnenistes la saisissaient donc. Avant que les hommes ne partent en mer au printemps et
MAIS D’OÙ VIENT L’ADN FESTIF DE DOUARN’ ?
Erwan Larzul
Bikini avant les quarante jours d’abstinence durant le Carême, on a mardi gras. Un jour où on peut encore faire “gras” : manger, boire, faire l’amour et la fête avec excès. » Malgré l’influence amoindrie de la religion, la chute des activités liées à la pêche (« il reste tout de même un millier d’emplois dans les conserveries de poisson, ce qui n’est pas négligeable. Cela permet à la ville de ne pas se transformer en simple station balnéaire », souligne Alain Le Doaré) et la forte diminution du nombre de bars (dans les années 1920, on comptait plus de 500 bistrots, contre une trentaine aujourd’hui), cette tradition de la fête perdure. Parmi ses acteurs de premier rang, ses musiciens. Et notamment ses groupes de rock qui, depuis trente ans, ont fait de Douarnenez une place forte des grattes électriques. Ancien membre de Tobaboots, Abomifreux ou encore Coude, Jean-Marc Raphalen fait partie de ces pionniers. « Au début des années 1990, il n’y avait pas de studio de répétition
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ici, mais les gens avaient quand même envie de faire de la musique. Alors ils jouaient où ils pouvaient : dans leur cave, dans leur garage… Nous, on allait sous la criée. On avait nos guitares, un ampli mais pas de batterie, du coup on tapait sur des fûts, rembobine le garçon aujourd’hui âgé de 54 ans. Et puis, à force de discuter avec la mairie, on a réussi à avoir les clés d’une salle municipale à l’abandon. C’était le premier local qu’on avait à notre disposition. Ce qui deviendra par la suite les “Loco’s rock”. » Un lieu primordial pour tous les zicos de Douarn’. Comme le confirme Chatter, bassiste de The Red Goes Black et président de DZ City Rockers, association qui fédère les formations rock de la ville. « Tous les groupes s’y retrouvent pour répéter. Cela fait qu’on est tous potes et qu’il y a vachement de solidarité entre nous. Les anciens font par exemple jouer les plus jeunes sur leurs premières parties, ce qui leur permet de se lancer. Cela crée une émulation entre les groupes qui se font et se défont, s’échangent des membres... Y a un côté partouze musicale. » Point d’orgue de cette orgie, le festival Millésime qui, chaque année, réunit le temps d’un week-end le meilleur de la scène locale. « L’édition de cette année montre que le rock reste vivace à Douarnenez puisque ce sont quinze formations qui ont joué sur les deux soirs. »
« Plijadur »
Parmi celles-ci, Komodor, actuelle figure de proue avec son hard-rock seventies. Rencontrés à la terrasse du Café des Halles (haut lieu de la jaille locale et point névralgique à l’heure de l’apéro), les garçons revendiquent pleinement leur étiquette de groupe douarneniste. « On a la chance de faire partie de cette scène, avec des “grands frères” qui veillent sur nous. Personne ne se tire dans les pattes. Forcément, ça booste », expliquent les auteurs de Nasty Habits, album bien coolos sorti fin 2021. Pour eux, la longue histoire de Douarnenez, son caractère portuaire (« beaucoup de ports sont des villes de rock ») et son atmosphère propice au « plijadur » (plaisir, en breton) contribuent aussi à expliquer la vitalité musicale. Et ce, malgré l’absence d’une véritable salle de concerts (le Millésime se tient par exemple à la MJC). « L’idéal serait une infrastructure adaptée à toutes sortes de création. Douarnenez a toujours été une ville qui a accueilli des artistes, de Georges Perros à Dan Ar Braz. Il faut que ça continue », estime la bande de Komodor. Un manque que regrette également Chatter de The Red Goes Black (dont le troisième album devrait sortir fin 2022/début 2023), même s’il s’en est parfaitement accommodé. « Cela nous oblige à nous bouger et à faire tout par nous-mêmes. Cela renforce un état d’esprit un peu prolo et populaire qui colle bien à la ville. »
Julien Marchand
Komodrag & the Mounodor (projet réunissant Komodor et Moundrag) : le 14 juillet aux Fêtes Maritimes de Douarnenez, le 28 août au Roi Arthur à Bréal-sous-Montfort. The Red Goes Black : le 25 juin à God Save The Kouign à Penmarc’h
Erwan Larzul Gilbert Le Bivic
TEKNIVALS, LES OFF SUR OFF ?
DR C’était un rituel bien rodé : chaque été, en marge des Vieilles Charrues, était organisé un “off”. Une rave party électro officieuse mais longtemps tolérée au tournant des années 90-00’s. « On leur filait un peu de matos : régie, sanitaires, point d’eau… Pour pas que ça parte en vrille total », se souvient Jean-Jacques Toux, programmateur du festival carhaisien. « S’adosser à un événement comme les Charrues, c’était pratique pour se retrouver facilement et rameuter du monde. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux notamment, il y a moins ce besoin », éclaire Vincent Tanguy, ancien porte-parole de l’asso Arts et culture 29, qui fédérait plusieurs soundsystems dans le Finistère. 2003 fut la dernière année du teknival off des Charrues, organisé cette année-là au Faouët et qui dégénère en affrontements. Pour Vincent, « c’était la fin de l’âge d’or. Sarkozy avait voulu encadrer les teknivals (en organisant ce qui sera surnommé les “sarkovals”, ndlr), mais ça n’a pas duré longtemps. Par essence, le milieu de la teuf ne doit pas être canalisé ». Le off perdure en revanche aux Trans Musicales de Rennes. « Depuis 1992 exactement, dans un parking sous la tour des Horizons, précise Mickey du soundsystem MuscanoiZ. On a connu de grands moments depuis, dont en 2006 à La Prévalaye où c’était gadoueland. Le tékos des Trans reste une date incontournable dans le milieu, même s’il fait un peu moins parler qu’avant (dernière édition dans un hangar désaffecté dans l’ouest rennais, ndlr). C’est peut-être pas plus mal. » R.D
DOSSIER LES MUNICIPALITÉS S’EMPARENT (ENFIN) DE LA NUIT
Quand on évoque la nuit avec les élus municipaux en charge de cette question, c’est tout de suite aux nuisances qu’ils pensent. À Brest, la charte de la vie nocturne date de 2011, de 2016 pour Rennes. « Notre politique est née des conflits d’usage », reconnaît Cyrille Morel, adjoint délégué à la vie nocturne de la Ville de Rennes depuis 2020. La première mission est donc de jouer les modérateurs entre les propriétaires de bars, les noctambules et les riverains. « On fait régulièrement des réunions de conciliation pour éviter que cela finisse en contentieux », explique Yohann Nédélec, adjoint à la tranquillité urbaine à Brest. Pour inciter les fêtards à respecter les dormeurs, mais aussi à faire attention à leurs déchets et limiter l’insécurité, la Ville de Brest organise des tournées avec des agents de médiation. Au moment du déconfinement, l’installation d’un bar Delirium au port de commerce a par exemple posé des soucis au niveau du bruit mais aussi du stationnement. « Nous avons travaillé avec les gérants pour aménager au mieux les lieux. L’idée est de se parler pour trouver des solutions », poursuit l’élu brestois. Car plutôt de se contenter de régler les problèmes au fur et à mesure qu’ils apparaissent, les mairies cherchent aussi à être proactives. Rennes souhaite par exemple développer des guinguettes et aménager les espaces en bord de Vilaine en conséquence. À Quimper, c’est un “conseil de la nuit” qui va voir le jour à la rentrée 2022. Souvent qualifiée de “belle
DR endormie”, la préfecture du Finistère n’est pas vraiment connue pour ses nuits de fous et c’est bien le souci. La nouvelle municipalité, élue en 2020, aimerait davantage animer les rues du centre, pour attirer les étudiants notamment. L’idée étant désormais de penser la ville 24 heures sur 24 et d’en faire un outil d’attractivité. Mais pas n’importe comment. « C’est un sujet transversal, cela demande du temps pour coordonner les différents services de la ville », souligne le chargé de mission Jean-Emmanuel Bouley. La nuit touche aux domaines les plus complexes comme aux plus triviaux. D’un côté, Quimper a de gros aménagement en cours comme le déménagement des halles qui pourrait libérer la place SaintFrançois et ainsi offrir un bel espace aux fêtes et autres rassemblements nocturnes. De l’autre, il faut aussi penser à des toilettes publiques ouvertes à n’importe quelle heure. « Pour faire vivre une ville la nuit, il ne suffit pas de dire aux bars d’ouvrir plus tard. Il y a une multitude de détails à anticiper. » Isabelle Jaffré Ce sont des rendez-vous qu’on imagine avoir toujours existé. Toute l’année, et particulièrement l’été, les fêtes celtiques et folkloriques remplissent les agendas, proposant défilés en costumes, danse, musique, chant… Si ces moments se veulent la vitrine de la culture traditionnelle bretonne, cet héritage est en réalité relativement récent. « Les premières fêtes folkloriques remontent au tout début du 20e siècle avec des événements comme Les Filets Bleus à Concarneau en 1905 », éclaire Erwan Chartier, journaliste, auteur et contributeur scientifique de l’exposition Celtiques ? qui interroge la celtitude avérée, supposée ou fantasmée de la région. Si ces fêtes se développent avec le début du tourisme de masse, ces manifestations ne répondent pas qu’à cet objectif. « Dans les mouvements culturels bretons, il y avait une volonté de conserver certains aspects de la civilisation rurale traditionnelle. Ces fêtes participent à ça. Il y a aussi un objectif politique : ce sont des vitrines du régionalisme breton qui traduisent un fort sentiment identitaire dans la population et la mise en valeur d’une différence, sans que cela soit excluant par ailleurs. Alors qu’il pouvait y avoir un complexe breton au début du 20e siècle, cela a été un vecteur de fierté. » Des fêtes qui, après la Seconde Guerre mondiale, vont connaître un second souffle grâce à l’interceltisme. « Cela apporte une ouverture à l’international avec des relations qui se nouent avec d’autres pays européens. Cela va également créer de nouvelles réalités », fait savoir
UNE TRADITION RECENTE ?
Gaby Le Cam - Guénin 1975 - Musée de Bretagne Erwan Chartier. Il cite notamment l’influence écossaise dans les pratiques culturelles bretonnes qui, à l’image de son territoire, ne sont pas immuables. « Ces échanges vont par exemple permettre l’implantation très forte de la grande cornemuse, alors qu’en Bretagne c’était plutôt le binioù kozh. Il y a aussi une acclimatation des formations sur le modèle des pipe bands écossais qui vont donner les bagadoù. Les premiers datent de la fin des années 1940. On a l’impression que le bagad est l’image d’une Bretagne immémoriale, alors que ça n’a même pas 100 ans. » J.M
Exposition Celtiques ? : jusqu’au 4 décembre au Musée de Bretagne à Rennes
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LE DÉLIRE DES RECORDS DÉBILOS
Cracher de bigorneaux, cri de cochon, montée de phare, lancer de menhirs… Chaque été, la Bretagne peut se vanter d’organiser les compétitions les plus folles, s’appuyant à la fois sur un patrimoine traditionnel et sur une grosse envie de déconne. Un folklore qui, certes, existe ailleurs (exemple fameux : les mangeurs de hot-dogs aux États-Unis), mais qui a bien pris dans la région, les Bretons cherchant à tout prix à devenir les recordmen de tout et n’importe quoi. Parmi les dernières compet’ WTF à la mode : les marathons de danse. Après le festival Visions qui s’y était essayé, c’est le festival Shaker de PlonéourLanvern qui en organise un les 4 et 5 juin (24 heures de danse non-stop), ainsi que le collectif rennais 35 Volts lors de sa kermesse à la Ferme de Quincé, ce même 4 juin. Autre délire, celui de Landerneau qui, début mars 2020, faisait aussi la une pour avoir battu le record du monde du plus grand rassemblement
Alexis Janicot de Schtroumpfs : 3 746 personnes peinturlurées en bleu avec un bonnet blanc sur le crâne. Une médiatisation qui était autant due au timing de l’événement (en pleine montée du Covid et juste avant le premier confinement) qu’à la bizarrerie du truc. « Pourquoi ce record ? Pour attirer l’attention des journaux. La preuve que c’est réussi, c’est que vous m’en parlez encore », répond imparablement Alain Péron, viceprésident du carnaval de Landerneau et organisateur de ce concours. La fête fut belle, assure-t-il, « même si elle aurait été complètement réussie si on avait officiellement validé le record auprès du Guinness Book, mais on s’y est pris un peu tard ». « Le problème du Guinness Book, c’est que ça coûte un bras de les faire venir. On a vite laissé tomber, enchaîne Alexis Janicot, à l’initiative du concours de chenille qui a lieu chaque été pendant La Route du Rock. L’initiative est née il y a cinq
LES DISCOTHÈQUES, LES GRANDES SACRIFIÉES ?
Si les bars, restos et lieux culturels ont morflé pendant la crise du Covid, que dire des discothèques, empêchées d’ouvrir de mars 2020 à juillet 2021 ? « Et encore, moins de la moitié ont ouvert l’été dernier parce que les règles sanitaires étaient trop contraignantes. En plus, on s’est repris deux mois de fermeture en hiver. Ce n’est finalement que depuis février qu’on est sur un retour à la normale », rectifie Éric Denis-Bosio, patron de La Chamade à Brest et responsable de l’Umih (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie) dans le 29. Ce n’est donc rien de dire que la période a été difficile, même si le monde de la nuit a fini par avoir des aides conséquentes : loyers et factures pris en charge à hauteur de 15 000 € par mois, exonération des charges sociales, prise en charge des indemnités versées aux salariés… « La casse a été limitée, concède Éric. J’ai pu garder mes onze salariés qui ont été en chômage partiel pendant la période. L’établissement est resté dans ses frais, tout juste. Perso, je ne me suis pas versé de salaire depuis 2020. »
ou six ans je crois, on buvait des bières au camping avant d’aller aux concerts et on cherchait à amener du fun. Et ça a plus aux organisateurs. » Au point que la chenille a rapidement été intégrée à la prog’ officielle. « Le groupe La Femme l’avait même lancée à la fin de son set. On n’a jamais compté mais ça a dû rameuter 1 500 festivaliers. C’est d’autant plus rigolo que La Route du Rock a une image guindée. Y coller une chenille, ça crée un décalage réussi. » Un record qui pourrait être battu à l’occasion du festival Art Rock à SaintBrieuc, avec la tentative de l’équipe du bar Le Fût Chantant. « On a déjà des centaines de personnes inscrites à l’event Facebook. J’ai calé un itinéraire d’un kilomètre mais peut-être ne sera-t-il pas suffisant ? En tout cas, on a prévu de filmer pour envoyer ça au Guinness Book, détaille Sylvain, à l’initiative de ce concours. Mais c’est surtout un prétexte. L’idée, c’est de faire une grosse chouille. » À ce petit jeu, les Bretons sont champions. R.D
LES DISCOTHÈQUES, LES GRANDES SACRIFIÉES ?
Pour un secteur déjà dans le dur depuis longtemps (il reste à peine 1 500 boîtes en France – dont 120 en Bretagne – sur plus de 4 000 dans les années 1980), le Covid a été une péripétie de plus qui a fait quelques victimes, parmi lesquelles Le Stanley à Saint-Grégoire, Le Bounty à Concarneau, Le Gentleman à Plœmel et Le Point de Vue à Laz. « À peine est-on sorti de la fin du pass sanitaire qu’on se prend maintenant l’affaire des piqûres. On doit se montrer super vigilant avec le GHB et les autres substances, souffle le patron bretois. Faire la fête la nuit, ça devient compliqué… » R.D
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« EN FREE PARTY, LA NUIT DURE JUSQUE 18
La photographe brestoise Julie Hascoët s’est plongée pendant plusieurs années dans le monde des free parties, avec un goût affirmé pour les à-cotés et les appartés de ces rassemblements.
« Mon travail photo sur la fête a commencé en 2013. Cette démarche au long court, qui a duré plus de sept ans en Bretagne et en Loire-Atlantique, est devenu un questionnement sur la façon dont on occupe les espaces et la marge comme territoire. La free party est hyper intéressante politiquement sur le mode opératoire. Ma série Murs de l’Atlantique, présentée lors de l’exposition Pas Sommeil à Rennes, se penche sur cette façon d’investir et de s’approprier un espace à l’abri des regards et des contrôles de l’État. »
EN FREE PARTY, LA NUIT DURE JUSQUE 18H »
« J’aime observer l’esthétique de la construction. Dans le cadre des free parties, ce sont des installations éphémères et rudimentaires. Il y a des voitures, des camions, des bâches qui se gonflent au vent... Je photographie également tous les à-côtés de la fête, comme les temps de relâche au petit matin. C’est un moment où tout redevient visible : le lieu, le cadre, les visages, la fatigue… Alors qu’on a tendance à voir la fête comme un événement nocturne, j’aime l’idée de l’étirer. En free, la nuit dure jusque 18 h. En capturant ces instants, je ne voulais pas être dans une esthétique trash qu’on peut parfois associer à l’image des free parties. Je souhaitais plutôt photographier de manière douce, je trouvais ça plus juste. »
DOSSIER
« Le monde des free parties, je l’avais côtoyé quand j’avais 15-16 ans, mais je n’y étais pas beaucoup retournée avant ce projet photo. Je navigue plus dans la scène squat, cave et club techno. Des événements à prix libre qui sont dans l’économie de la débrouille et dans l’autogestion. Du coup, les free parties représentent un bon mix de tout ça. Pour moi, la fête, ça doit être le bazar. C’est un truc qui ne se définit pas. C’est quelque chose qui se fait et se défait. C’est son côté improductif qui m’intéresse. Dans une société où on met de la valeur partout, la fête doit être un endroit où on l’abolit. Cela peut paraître contradictoire mais, en même temps, la fête est vachement nécessaire à la société capitaliste pour créer une espèce de soupape pour mieux retourner au travail. Le fait de s’abrutir quand on te donne un espace de liberté, je pense que ça dit beaucoup de l’état de la société. »
« De mon point de vue, ce mouvement ne doit pas chercher une reconnaissance de l’État. Il n’y a rien à attendre, surtout dans un contexte où la répression s’accentue. Alors c’est sûr que tenir ce discours et avoir ses photos exposées au FRAC (Fonds régional d’art contemporain, ndlr), cela peut paraître paradoxal. Pour être franche, je ne suis pas super à l’aise avec l’idée de ramener la free party dans le champ institutionnel. Mais l’important est d’être honnête dans sa démarche. C’est un travail entrepris depuis longtemps : les free, ce n’est pas quelque chose d’exotique pour moi. »
Recueilli par J.M
Du 11 juin au 18 septembre au FRAC et aux Champs Libres à Rennes Sortie de l’ouvrage Murs de l’Atlantique le 10 juin aux Éditions Autonomes
Photos : Julie Hascoët