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à 33 Le nouvel or vert ?

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LE NOUVEL OR VERT ?

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LES BRASSERIES BRETONNES ONT LONGTEMPS COMPOSÉ AVEC DE LA MATIÈRE PREMIÈRE VENUE DE L’EXTÉRIEUR. MAIS APRÈS LE DÉPLOIEMENT D’UNE FILIÈRE MALT LOCALE, VOILÀ QUE DES HOUBLONNIÈRES FLEURISSENT DANS LA RÉGION. HOP HOP HOP, HOURRA !

aisir le plant, l’enrouler autour de la corde pour faciliter sa montée, biner autour pour enlever les mauvaises herbes, se déplacer sur le plant d’à-côté et recommencer. Tout compris, l’opération prend moins d’une minute, mais il faut la répéter des milliers de fois, les genoux accroupis dans la terre. 12 000 fois pour être précis, soit le nombre de plants de houblon poussant sur les parcelles d’Antoine Floury, au lieu-dit Lézerzot à Brélidy, dans les Côtes d’Armor. « La période d’avril-mai, c’est le gros rush de boulot. Les plants sont sortis de terre mais pas encore autonomes. Après, l’ensoleillement joue son œuvre. Les lianes peuvent pousser jusqu’à plusieurs centimètres par jour ! » Les houblonnières étant encore très rares en Bretagne, il est fort probable que vous n’ayez encore jamais eu l’occasion d’en voir. C’est spectaculaire. Et très différents de nos cultures habituelles d’ici. Le houblon est une plante herbacée vivace grimpante, constituée à la base de ce qu’on appelle un rhizome : une tige souterraine dotée de racines et qui se termine par un bourgeon. Une fois en terre, le rhizome de houblon peut rester en vie 20 à 40 ans et repousser de lui-même à la sortie de l’hiver. Avec les premières lumières du printemps, les tiges grimpent naturellement vers le ciel, mais leur souplesse nécessitent l’assistance de tuteurs : des ficelles ou des câbles reliés par des poteaux permettant de faire grimper les plantes jusqu’à six mètres de haut. « C’est très chelou comme culture, résume Antoine. En hiver, une houblonnière ressemble à un champ de poteaux téléphoniques et en été ça

se transforme en une forêt dense et verte. » Le bourgeonnement génère des fleurs appelées cônes, récoltés pendant la période de moisson en septembre. Ces cônes sont ensuite séchés et le plus souvent transformés en petites granules – des pellets –, avant d’être conditionnés et vendus aux brasseurs. Car oui, le houblon est l’un des quatre ingrédients principaux de la bière, avec l’eau, le malt et la levure. Chaque litre de bière comporte entre 2 et 5 grammes de houblon. « C’est un peu comme une épice, précise Antoine. Le houblon est riche en résine, responsable de l’amertume, et en huile essentielle, qui apporte l’arôme. »

« La plante se plaît ici »

Sur les 60 000 hectares de houblon cultivés dans le monde, 23 000 se situent aux États-Unis. Les USA et l’Allemagne, deuxième pays producteur, concentrent à eux deux les trois quarts du marché mondial. Viennent ensuite la République Tchèque, l’Angleterre et la Belgique. Avec ses 500 hectares, dont environ 450 situés en Alsace, la France arrive loin derrière. « La production alsacienne de houblon a connu une grosse crise lors de la constitution du géant brassicole AB InBev en 2008. Les contrats avec les coopératives houblonnières alsaciennes ont été cassés et ça a été une catastrophe. La surface est passée de 1 000 à moins de 500 hectares en quelques années et le prix du kilo s’est alors effondré à 2 € (contre environ 40 € de moyenne actuellement, ndlr), éclaire Antoine, notre houblonnier de Brélidy. Autant dire que là-bas, le houblon n’a pas vraiment la cote. C’est même plutôt considéré comme une filière merdique… » Mais parallèlement, durant ces mêmes années, une multitude de brasseries se sont montées, notamment en Bretagne où on en compte environ 150 aujourd’hui. Dans ce pays de cidre, on s’est mis à produire (et à consommer)

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de la binouze, et de la bonne. Des brasseurs qui, rapidement, ont souhaité pouvoir s’approvisionner en matière première locale. Logique. Si une filière malt bretonne a su se déployer, via notamment la société Yec’Hed Malt de Saint-Avé, les choses ont été plus difficiles à se mettre en place pour le houblon. « Le malt, c’est de l’orge torréfié, dans l’ouest de la France on connaît. Le houblon, c’est plus nouveau, même si des livres d’Histoire laissent entendre qu’on en cultivait en Bretagne dès le 19e siècle, indique Guillaume Calvignac, conseiller agronomie à la Chambre d’agriculture des Pays de la Loire et à l’origine de la création en 2018 du GIEE (Groupement d’intérêt économique et environnemental) Houblon de l’Ouest. L’idée, c’est de se regrouper pour développer une filière de houblon bio, d’être un interlocuteur à la fois pour les brasseurs et pour les futurs houblonniers. » Sur les dix membres d’Houblon de l’Ouest, trois houblonniers sont situés en Bretagne administrative : Antoine Floury à Brélidy, Romain Chemin à Allaire et Mathieu Juhel à Fréhel. Nous retrouvons Antoine dans sa ferme costarmoricaine, à préparer son houblon pour la saison estivale. « J’ai trois hectares de surface, pour neuf variétés différentes : Cascade, Chinook, Brewer’s Gold, Willamette… On découvre à mesure les plants qui s’adaptent le mieux au climat et au sol breton. Mais une chose est sûre : la plante se plaît ici. Aucune raison que la filière ne s’y développe pas. » Pour ce diplômé en physiologie du végétal de 33 ans, installé depuis 2018, la saison 2022 s’avère importante : « En septembre, ce sera notre quatrième récolte. Le houblon gagne progressivement en rendement les premières années. Là, logiquement, le mien est mature, il devrait bientôt produire 1 tonne de houblon à l’hectare, c’est l’objectif. »

« Patience et rigueur »

Un score que vise aussi à terme Romain Chemin, dont les débuts dans le Morbihan, sur les terres familiales, remontent à 2017. « Je cherchais une culture à forte valeur ajoutée. Le malt nécessite pas mal d’hectares, c’est un autre modèle économique. Là, je suis sur 2,7 hectares. Le houblon demande patience et rigueur, ça me plaît, commente celui qui est par ailleurs enseignant en agronomie au lycée agricole de Redon. C’est une culture qui se rapproche de la vigne, avec un terroir à respecter, une temporalité assez similaire… La démarche agricole est très qualitative. »

«C’est une culture qui se rapproche de la vigne»

Troisième houblonnier membre du GIEE, Mathieu Juhel est installé avec sa compagne sur une ferme non loin de la mer et du fameux cap Fréhel prisé des touristes. « Ici, ce sont les parcs à poules. Sous le hangar, les étables à brebis. Là-bas, des pommiers qui poussent… » Le jeune homme de 28 ans fait la visite. « Mes parents étaient exploitants en conventionnel. On est sur une autre démarche : vente directe et petite surface pour respecter la terre et les bêtes. » Alors qu’en Alsace, le houblon s’est historiquement développé sur un modèle extensif, la filière bretonne prend des allures de retour à la terre, à rebours du productivisme. Mathieu cultive son houblon « sur 0,5 hectare. De onze variétés testées au départ, je suis passé à cinq : les plus résistantes à la météo locale, au mildiou, à l’oïdium, aux pucerons… » Comme ses confrères de Brélidy et d’Allaire, il vend sa production intégralement aux brasseurs locaux : La Fréheloise, la Brasserie d’Émeraude, la Louarn et la Quévertoise. Erwan Jouan, lui, n’est pas membre du GIEE. « Disons que j’aime mon indépendance », justifie l’ancien guitariste de Guadal Tejaz, reconverti à

Photos : Bikini Bignan sur une ferme de 40 hectares, dont 5 sont consacrés au houblon (colza, orge, maïs et prairie pour le reste). Formé chez Antoine à Brélidy, il a réussi l’an dernier une récolte exceptionnelle en atteignant dès sa première année d’exploitation l’objectif du 1 tonne à l’hectare, pour un total de 5 tonnes récoltées, là aussi en bio ! Il s’en étonne lui-même. « Faut croire que j’ai bien choisi mon champ : sur un plateau, bien exposé, avec un sol bien drainé, argileux en profondeur pour garder l’humidité… » Mais pas de quoi non plus pavaner, tempère-t-il, car pour se lancer dans la culture du houblon, il faut investir. Beaucoup. « Au-delà de 1 hectare, la mécanisation est indispensable : tracteur, récolteuse, trieuse, séchoir, sans compter les poteaux et les câbles. Que du matos importé d’Allemagne ou de Belgique. Perso, j’ai pris un risque avec une dépense initiale de 450 000 €. » Alors non, le houblon n’est pas forcément cet or vert, tel qu’il est parfois présenté, confirme Guillaume Salaün, dont la houblonnière de 3 hectares est située à Sibiril dans le Finistère. « Faut compter pas loin de 100 000 € d’investissement en moyenne à l’hectare, pour une plante qui doit logiquement commencer

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Bikini DR

à rendre au bout de 3-4 ans seulement, fait observer cet autre indépendant. C’est pour ça que la monoculture est impossible, sinon tu coules direct. Moi par exemple, je suis maraîcher à côté. » De même qu’Antoine élève des moutons, Mathieu des brebis et des poules, Erwan cultive des céréales... Ce qui est en tout cas rassurant, c’est que les débouchés ne manquent pas, laissant entrevoir l’expansion de la filière au-delà des cinq houblonniers qui en vivent actuellement sur le territoire. L’an dernier, Agrocampus Ouest a mené une enquête sur les besoins en houblon dans le grand Ouest : 57 % des brasseries interrogées se disaient en recherche active de houblon local (quand elles ne le cultivent pas elles-mêmes, comme c’est le cas de D’istribilh à Plouider et de La Bambelle à Saint-Gravé). Parmi elles, la brasserie Saint-Georges à Guern. « C’était dans les tuyaux dès le début de me passer des gros industriels, confie son fondateur Jérôme Kuntz. J’ai besoin de 160 kilos de houblon par an. Pendant longtemps, je me suis fourni en Alsace, à défaut. Maintenant je commence à me fournir chez Antoine, chez Erwan… » « Je suis pas inquiet sur les débouchés pour la filière, abonde Quentin Chillou, de la brasserie Kerpiton à Loyat, dont le principal fournisseur en houblon est désormais Romain Chemin. Est-ce du militantisme ? Je dirais surtout que pour prétendre faire de la bière bretonne, faut de la matière première d’ici, normal. On ne fait pas du vin de Loire avec des grappes de Bordeaux. À nous, brasseurs, de nous adapter à ce terroir : le houblon d’ici va peut-être faire évoluer un peu les bières d’ici. Les IPA bretonnes avec du houblon breton ne seront pas typées comme les Américaines, et c’est très bien. »

Régis Delanoë

CIDRE ET HOUBLON, VIVE LES MARIÉS !

L’été est traditionnellement la saison des mariages. Et si le plus beau d’entre eux était celui du cidre et du houblon ? Cet assemblage qui se glougloute très bien s’appelle “cidre houblonné” ou encore ”cidre IPA”, du nom de ces bières à fort houblonnage, développant ainsi un goût résineux, amer et fruité plus marqué. Une palette aromatique qu’est venue chercher Alain Réty, de la cidrerie La Malvoisine, à Ploërdut dans le Morbihan. Il y a trois ans, il s’est amusé à laisser infuser du houblon dans une de ses bases de cidre brut. « Il suffit de laisser macérer quelques fleurs durant la dernière semaine. Les goûts viennent assez vite », explique le cidrier pour qui cette cuvée permet « d’aller chercher les buveurs de bières qui se sont détachés du cidre ». Un positionnement également adopté par Gaëtan Le Marec, de la Cidrerie Le Marec à Paimpol, qui l’an passé s’est lancé dans cette niche. « C’est l’équipe de la brasserie Philomenn qui nous a soumis l’idée. Après quelques essais infructueux, nous avons réussi à trouver le bon dosage. Cela permet au cidre de développer des notes d’agrumes », expose le gérant qui reconnaît que le cidre a pu être « ringardisé » par le développement et la créativité des microbrasseries. Le secteur des “craft beers” constitue d’ailleurs un modèle pour Simon Lorand, de la marque Ti-Lõ basée à Saint-Suliac qui, depuis 2020, développe une gamme de cidres IPA. « Au nez, on est dans la bière mais, en bouche, c’est la pomme et le litchi qui explosent, présente le garçon de 29 ans qui souhaite continuer les expérimentations. On travaille sur des cuvées avec de la purée de mangue et de fruit de la passion. Ou encore une avec de la betterave. L’idée c’est de tester des choses pour séduire les “crafteux”. » J.M

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