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à 43 Le foot est mort, vive le foot ?
DOSSIER
LE FOOT EST MORT, VIVE LE FOOT ?
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AUDIENCE TÉLÉ EN BERNE, CHUTE DU NOMBRE DE LICENCIÉS, CLUBS QUI METTENT LA CLÉ SOUS LA PORTE... SI LE MONDE DU BALLON ROND TIRE LA LANGUE, CERTAINS TENTENT D’IMAGINER UN FOOT PLUS VERTUEUX, PLUS ÉTHIQUE, PLUS COOL.
’est sous un plombant cagnard que Jérémy regoûte aux joies du terrain. Après plusieurs années de pause, ce trentenaire a ressorti ses gants, ses crampons et son maillot de l’OM floqué “Djé” pour retrouver son poste de prédilection : gardien de but. Et pour son premier entraînement, il « en chie » pour reprendre son expression. Le soleil frappe fort, tout comme ses deux coachs, Jimmy et Gaëtan, qui lui envoient des grosses cacahuètes pour l’échauffer (photo). Une première pour Jérémy, mais aussi pour l’ensemble de l’équipe. Car en ce vendredi de la fin juillet, les joueurs inaugurent leurs nouvelles couleurs, celles des “Écureuils de Gueltas”. Un club de foot qui, après une mise en sommeil de trente ans, renaît sous l’impulsion de Mathieu Héno et de Florent Bidan, deux garçons de 22 et 21 ans, originaires de cette commune du centre-Morbihan de 500 habitants. « De mes 4 ans jusqu’à l’an passé, je suis passé par différents clubs du coin, mais cela ne me satisfaisait plus. Il n’y avait pas vraiment d’ambiance familiale. Au niveau amateur, c’est pourtant la chose la plus importante dans un club. Avec Les Écureuils, c’est ce qu’on espère trouver, justifie Mathieu dont le père et le grand-père faisaient partie de l’équipe dirigeante à l’époque. Ils sont contents que je reprenne le flambeau et que je contribue à faire vivre le foot dans le village. » Malgré un démarrage au plus bas échelon du foot français (en D4, quatrième et dernière division de district), tous les joueurs confessent une certaine excitation à se lancer dans cette nouvelle aventure en montant leur propre club. En témoigne leur application lors de cette première
séance : footing, jeux de passes, séries de pompes, confrontation 5 contre 5… Si certains finiront avec des crampes, des premiers automatismes se dessinent entre Arnaud, Thomas, Antoine, Alvin, Laurent, Yohan ou encore Bassirou (42 ans, le doyen de l’équipe). Un nouvel élan et un amour footballistique ressuscité qui tranchent avec le climat pas folichon que traverse le football depuis plusieurs mois. Aussi bien au niveau professionnel (en dix ans, la Ligue 1 a perdu la moitié de ses téléspectateurs ; la tranche d’âge 18-24 ans n’a jamais autant peu regardé le foot ; les épisodes MediaPro et SuperLeague ont fini de dégoûter bon nombre de supporters, écœurés des dérives toujours plus fortes du foot business…) qu’au niveau amateur (il suffit de feuilleter les pages locales du Télégramme et d’Ouest-France pour constater que les petites structures souffrent : déficit de joueurs, équipes qui préfèrent de ne pas s’engager en championnat, clubs qui décident carrément de tirer le rideau…).
« En sursis »
Une ambiance un peu tristoune que l’on retrouve à Caulnes dans les Côtes d’Armor. Impossible de manquer les panneaux et pancartes qui fleurissent à la sortie du bourg : “Recrute joueurs de foot”, “C’est toi que l’on recherche !”… Derrière ces messages, on trouve Sébastien Maillard, le président du Rance Football Club, qui les a posés en dernier espoir. « On essaie tous les moyens de communication pour attirer de nouveaux joueurs, mais c’est compliqué. Et ça l’est de plus en plus !, reconnaît celui qui est à la tête du club depuis quatorze ans. À l’heure actuelle, nous n’avons aucune certitude sur nos trois équipes engagées en championnat. Celle en D4 est clairement menacée, faute d’effectif suffisant. »
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Dans la région, un paquet de clubs vivent cette situation. C’est le cas de l’AS Trébédan, à une quinzaine de bornes au nord de Caulnes, qui a décidé de se mettre en sommeil pour la saison à venir. Une nouvelle qui attriste Céline Pauthonnier, la secrétaire de mairie de ce village de 430 âmes : « Le club de foot, c’était notre carte de visite, c’est lui qui faisait voyager le nom de la commune dans le département. Trébédan gagne pourtant des habitants, mais les nouveaux venus s’impliquent moins dans la vie locale. Et cela touche aussi les associations sportives. » Victime collatérale de cet épisode : le stade de foot. « Les filets dans les buts vont être enlevés. S’il était principalement dédié aux matchs du week-end, le terrain va être dorénavant utilisés pour diverses manifestations. On continuera donc d’assurer la tonte. » Un moindre mal pour cet équipement qui, avec l’église et la boulangerie, constitue l’un des derniers repères encore debout dans de nombreux bleds. Un tableau plutôt sombre que craint Erwan Briand, président de l’AS Laz dans le centre-Finistère. Alors qu’il pouvait s’appuyer sur 25 licenciés l’an passé, il ne peut compter pour l’instant que sur… trois joueurs. Un peu djust’ pour espérer enchaîner les victoires. « Mais on pense monter jusqu’à huit d’ici le début du championnat. C’est sûr que c’est trop peu pour monter une équipe mais, heureusement, on s’est mis en entente avec le club de Saint-Thois (la commune voisine, ndlr) qui va venir compléter notre effectif. S’il n’avait pas été là, ça aurait été clair net et précis : on aurait dû arrêter, explique Erwan pour qui l’échéance n’est peut-être que retardée. Cela nous offre une année supplémentaire, mais ce n’est que du sursis. Pour la saison 2022-2023, c’est
«Le match, une des seules animations le dimanche»
impossible de se projeter. L’avenir est, je le crains, plus que compromis. L’AS Laz est pourtant l’association la plus ancienne de la commune. Ça serait triste qu’elle disparaisse, elle fait partie du patrimoine. »
« De la casse »
Ce manque de combattants, Erwan à Laz et Sébastien à Caulnes l’expliquent par de nombreuses raisons. « Les plus jeunes ont d’autres loisirs et d’autres distractions. Il y a une multitude de sports aujourd’hui proposés aux ados. Cela n’est pas une mauvaise chose, mais forcément ça a un impact sur le foot qui, il y a trente ans, était souvent la seule activité dans de nombreuses communes », avance le président du Rance Football Club qui regrette par ailleurs que « l’amour du maillot existe de moins en moins : cela ne pose plus de soucis aux joueurs de changer de club ou d’arrêter du jour au lendemain ». Sans oublier la crise du Covid qui est aussi passée par là. « Avec les championnats qui se sont arrêtés, certains ont pris le pli de rester à la maison
Photos : Bikini le week-end pour profiter davantage de leur temps libre ou de leur famille. Ce que je peux comprendre, même si cela est dommage : le match de foot est souvent une des seules animations le dimanche dans de nombreux bourgs à la campagne », poursuit le boss de l’AS Laz. Directeur de la Ligue de Bretagne de football, Philippe Georges est lui aussi conscient de ces problématiques, chiffres à l’appui. « Entre 2020 et 2021, on est passé de 148500 à 137000 licenciés : cela représente une baisse de 7%. Une chute amorcée depuis 2016 où l’on comptait 151000 licenciés, pointe-t-il avec la même précision que Guillaume Rozier. Mais la Bretagne reste la région de France où ça diminue le moins. On s’accroche aussi à d’autres signaux positifs : on bat le record d’inscriptions d’équipes bretonnes en Coupe de France pour cette saison et toutes les équipes de niveau ligue (N3, R1, R2 et R3) se sont réengagées. Après, au niveau district, on s’attend en revanche à avoir un peu de casse. Sur les dernières années, ce sont une quarantaine de clubs qui disparaissent chaque saison en Bretagne. »
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«Le capitalisme a façonné le foot comme il le souhaitait»
Parmi les solutions adoptées pour éviter d’en arriver là, les fusions entre clubs pour constituer un effectif suffisant. Une douzaine s’opèrent, en moyenne, chaque année dans la région. « Un phénomène qu’on constate, qu’on trouve embêtant, mais on ne peut rien y faire », reconnaît Philippe Georges. Récemment, cela a été le cas de l’AS Scrignac, dans le Finistère, qui a fusionné avec l’US Poullaouen (« On le fait surtout pour éviter de mettre en péril l’équipe B, justifie Gaëtan Le Goff, le président scrignacais. Mais ce n’est pas un mariage forcé : on se connaît tous un peu, beaucoup de joueurs de chaque équipe sont collègues. On est dans le même état d’esprit »). Ou encore de Saint-Pierre de Plesguen, en Ille-et-Vilaine, qui a rejoint le club de Meillac pour fonder le “Football club de Haute-Bretagne romantique”. « Nous n’avions plus d’équipe senior depuis 2018. Avec cette fusion, cela va permettre aux joueurs de la commune de porter leurs couleurs en championnat, plutôt que de partir à Combourg ou Dinan comme ils devaient le faire jusqu’à présent, se félicite Rémi Mahé, 33 ans, président de cette nouvelle entité. Dans les années 1990, il y avait pourtant deux clubs à SaintPierre. Une autre époque. Le foot district est aujourd’hui en souffrance. Les gens sont, je pense, dans une vision consommatrice du sport : un engagement à la carte selon l’envie et l’humeur du moment. » Face ce constat, les instances tentent d’apporter des réponses et se disent prêtes à expérimenter. Dans le viseur de Philippe Le Yondre, président du district d’Ille-et-Vilaine : le match du dimanche. Faire sauter cette tradition de la rencontre dominicale pourrait, selon lui, dissuader certains joueurs de ranger leurs crampons. « Il faut s’adapter aux vies professionnelles et personnelles. De nos jours, jouer le dimanche peut être vu comme une contrainte. C’est pour cette raison que, depuis deux ans, nous proposons aux clubs qui le souhaitent d’opter pour le vendredi ou le samedi. Les demandes sont en hausse pour la saison qui arrive, fait savoir l’élu qui estime que le ballon rond est trop axé sur les championnats. Le foot doit rester plus ludique que compétitif. Chacun doit pouvoir trouver une façon de jouer qui lui convient, en développant notamment les pratiques loisir. » « Futsal, beach soccer, fit foot (fitness avec un ballon, ndlr), golf foot, futnet (sur un cours de tennis, ndlr), foot en marchant… », énumère Philippe Georges pour qui ces nouvelles activités, encouragées par la Fédération française, ont pour objectif de gagner de nouveaux profils de licenciés.
« Rectifier le tir »
OK tout ça c’est super, mais n’y aurait-il pas moyen d’aller plus loin ? De réfléchir différemment afin d’inventer un foot plus populaire, plus sympa, plus éthique ? Des pistes que promet d’explorer le festival “L’Autre Football” en septembre à Rennes. Un rendez-vous qui a l’ambition de traiter différents sujets (« Le foot est le miroir de la société. Il permet d’aborder une multitude de problématiques : droits du travail, discriminations, migrations, économie, politique… », détaille Nicolas Fily, à l’origine de l’événement) mais aussi de présenter des initiatives prônant un football plus vertueux. « Le capitalisme
s’est emparé du foot et l’a façonné comme il le souhaitait. Pour autant, cela n’empêche pas certains acteurs de vouloir agir autrement et de développer des projets qui permettent de rectifier le tir », poursuit Nicolas qui croit au pouvoir de « l’outil foot » : « Avec la famille et l’école, les clubs font partie des lieux de socialisation les plus importants. C’est un bon levier pour faire passer des messages. » Parmi ceux-ci, les gestes en matière d’environnement. Une préoccupation dont n’est pas exempté le monde du foot, estime l’association Football Écologie France, invitée du festival rennais. « On souhaite pousser les clubs à s’interroger sur leur impact écologique et à trouver de nouvelles solutions : inciter au covoiturage pour les déplacements, éviter les bouteilles en plastique, repenser l’alimentation d’après-match, acheter des ballons en matériaux biosourcés, réduire les intrants chimiques pour le traitement du terrain… Notre mission est d’apporter aux clubs un ensemble de bonnes pratiques sur lesquelles ils pourront s’appuyer », illustrent Guil-
Photos : Bikini
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laume L’Oeillet et Aymeric Etienne, deux des responsables de l’antenne bretonne de Football Écologie France. Pour l’instant, une poignée de clubs amateur bretons se sont montrées intéressés : le Lamballe FC, les Cheminots rennais, le SC Morlaix… En attendant de convaincre le monde pro qui, selon les deux garçons, a un rôle d’exemplarité. « Le club modèle en la matière est le Forest Green Rovers en 4e division anglaise. Il a un stade en bois équipé de panneaux solaires, propose une nourriture vegan, affiche un bilan carbone neutre… Une démarche qui est plébiscitée par les supporters. Ces derniers sont aussi des citoyens avec des exigences écolo et des revendications sociétales. » En parallèle de ces nobles préoccupations, reste néanmoins un moteur central sur lequel le foot pourra toujours compter : la déconne. C’est sur ce créneau porteur que s’est créée l’une des plus belles aventures footballistiques du centre-Bretagne : le Plouyé Magic United (PMU). Un club fondé en 2017 par une bande de copains qui ne voulaient surtout pas se prendre au sérieux. « On ne s’est jamais entraîné. Une fois peutêtre, et encore…, se marre Raphaël Trebaol, membre du club. Cela ne nous a pas empêché de monter trois années de suite, même si nous avons refusé l’accession en D1 : on voulait prendre le contre-pied de cette logique de montée qui régit le foot amateur. C’est plus par plaisir de se retrouver entre potes que par goût de la compétition qu’est né le PMU. »
« Tournoi interbars »
Un souffle nouveau que revendique également le RC Dinan, monté l’an dernier par trois amis de longue date, Jérémy, Romain et Nicolas. « On ne se retrouvait plus dans l’état d’esprit de nos précédents clubs. Des structures devenues des grosses machines qui ne correspondaient pas à l’idée qu’on se faisait du foot amateur. La camaraderie et l’ambiance familiale doivent au cœur du projet. C’est sur cette promesse qu’on a réussi à attirer des joueurs qui ont tous un lien avec Dinan ou l’envie de s’y investir », déroule Jérémy qui est déjà en contact avec des jeunes du coin pour renouveler les futurs effectifs. Ce que n’a malheureusement pas réussi à faire le PMU qui, après cinq belles années, se résout à raccrocher. « On commençait à être en flux tendu, tout juste à onze sur certains matchs. On espérait pouvoir attirer de nouveaux joueurs, en vain… À l’issue de la saison qui vient, en juin 2022, on arrêtera donc, regrette Raphaël pour qui cette décision ne sonne pour autant pas la fin complète du club. L’association restera toujours active. On continuera les actions caritatives et, surtout, l’organisation de notre fameux tournoi interbars. »
Julien Marchand
Festival L’Autre Football : du 10 au 12 septembre à Rennes
LE MFP, HISTOIRE D’UNE RÉVOLUTION MANQUÉE
Auteur de l’ouvrage Le Mouvement Football Progrès, le Morbihannais Loïc Bervas a vécu de l’intérieur la tentative de dissidence qui, il y a près de cinquante ans, a voulu révolutionner le ballon rond. Il raconte.
« En France, dans les années 1960, la conception du foot que souhaitaient imposer les instances n’était pas franchement portée sur le beau jeu : on jouait d’abord pour ne pas perdre, en essayant simplement de marquer un but de plus que l’adversaire. On appelait cela le “jeu réaliste”. Pour ma génération, des jeunes alors âgés de la vingtaine, cela nous rebutait, nous qui avions eu nos premiers émois avec Pelé, Kopa et Fontaine durant la Coupe de monde de 1958… De plus, cela s’inscrivait dans un contexte où la Fédération française de foot (FFF) était paternaliste quand elle le voulait, autoritariste quand elle le décidait. Avec un fonctionnement très bureaucratique. Le détonateur de notre mouvement a été un décret, en 1973, obligeant tous les clubs amateurs à avoir un entraîneur diplômé par la FFF. Une pétition pour s’y opposer est alors lancée par le Stade Lamballais et son entraîneur Jean-Claude Trotel qui, lui, prônait un jeu créatif. Cette contestation va connaître un certain succès en Bretagne et essaimer dans toute la France. Cela va aboutir à une réunion en décembre 1973, à Rennes, rassemblant joueurs, entraîneurs et l’équipe du journal Le Miroir du Football. Tous souhaitaient agir différemment. Va naître le “Mouvement Football Progrès” (MFP) qui va sortir un manifeste portant sur trois points : la lutte contre la conception conformiste du football caractérisée par la commercialisation ; une opposition à l’emprise et l’autoritarisme des dirigeants (le Stade Lamballais revendiquait l’autogestion, par exemple) ; une envie du beau jeu. Pour mettre en place nos idées,
DR
nous avons organisé des stages, des rencontres, des conférences… Nous étions alors en conflit avec La Ligue de l’Ouest qui contre-attaquait en demandant à des mairies – principalement de droite – de ne pas nous prêter de terrains. Si le MFP a plutôt bien pris à ses débuts, notamment dans l’Ouest, il n’a pas réussi à perdurer. Marx disait que les idées dominantes sont celles de la classe dominante. Je suis assez d’accord avec ça et nous l’avons subi. Il y a eu un délitement du MFP, jusqu’à sa fin en 1978. Aujourd’hui, le foot a changé de modèle. Il est au stade ultime de la financiarisation. Mais l’idée du MFP reste vivante selon moi. Elle réapparaîtra, mais dans un autre environnement économique, social et idéologique. Un cadre qu’il reste à inventer. »