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à 23 Génération web 1.0

DOSSIER

GÉNÉRATION WEB 1.0

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INGÉNIEURS, INFORMATICIENS, MODÉRATEURS... IL Y A 30 ANS, ILS ONT PARTICIPÉ AU DÉVELOPPEMENT DE L’INTERNET GRAND PUBLIC. UNE RÉVOLUTION QUE NOUS RETRACENT LES PIONNIERS BRETONS.

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ombien de temps passez-vous chaque jour en moyenne à consulter vos sites favoris, scroller sur les réseaux sociaux, lire et écrire vos mails ? N’ayez pas honte, on est tous ou presque devenus complètement dépendants : en 2020, la consommation journalière était de 2h25 pour l’ensemble des Français et de 4h23 chez les 15-24 ans. La drogue en question qui nous rend si accro est pourtant récente : la première page web dans le monde a vu le jour il y a seulement 30 ans. C’est le 6 août 1991 très exactement qu’elle a été publiée en provenance du Cern, labo scientifique suisse, par un chercheur britannique passé depuis à la postérité et nommé Tim Berners-Lee. S’en est suivie une bonne décennie de balbutiements pour que ce nouveau mode de communication finisse par s’imposer comme une évidence pour le grand public. Ces années 1990 étaient l’époque des modems qui font « scrchhhh scrchhhhh… », des communications limitées à quelques heures par mois proposées sur CD-ROM par AOL, Club Internet ou Liberty Surf, des pages perso bariolées et des premiers forums de geeks. C’était l’Internet sans les GAFA, sans les réseaux sociaux, sans Spotify et sans les publications gênantes du tonton sur Facebook (ou plutôt « face de bouc » comme il aime encore l’appeler). C’était un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître et qui a connu ses pionniers locaux. Retour en étapes sur une révolution incontournable.

1969 : ARPANET, LA PRÉHISTOIRE

Avant le world wide web de Tim Berners-Lee lancé en 1991, il faut remonter plus de deux décennies en arrière pour revenir aux origines d’Internet. Car Internet et le web sont deux choses bien différentes, rappelle l’universitaire rennais Alexandre Serres : « Internet a largement préexisté au web. Il définit la connexion à distance de réseaux informatiques, ce qu’on peut communément appeler un “réseau de réseau”. Le web – ou world wide web dans sa version longue – n’en est qu’un support physique, une mise en application parmi d’autres comme le transfert de données ou le courrier électronique. » C’est en 1969 aux États-Unis qu’un premier réseautage informatique voit le jour entre quatre universités de l’ouest-américain : Los Angeles, Stanford, Santa Barbara et l’université d’Utah. « Ce projet initial baptisé Arpanet est né du contexte de la guerre froide qui était alors à son paroxysme. Le ministère US de la défense souhaitait mettre au point un système de sauvegarde infaillible en cas d’attaque soviétique : si les dossiers sensibles d’une faculté venaient à être ciblés, le réseautage permettait d’en transférer des copies ailleurs dans le pays », précise Gérard Le Lann, dont le nom figure parmi les pionniers cités sur la plaque “Birth of the Internet” inaugurée à San Francisco en 2005. C’est que l’ancien informaticien a été l’un de ceux que le gouvernement de Georges Pompidou a missionné pour monter un « Arpanet à la française » : le projet Cyclades.

«Le Minitel a été un frein à l’explosion d’Internet»

« En 1972, je m’installe à Rennes dans les locaux de l’IRIA (Institut de recherche en informatique et en automatique, école d’ingé devenue depuis INRIA, ndlr) pour travailler en équipe réduite sur de la simulation de réseaux à commutation de paquets. Pour faire simple, il s’agissait de fragmenter les messages en unités pour les faire passer dans un réseau. » Un an plus tard, Le Lann est envoyé aux États-Unis pour améliorer la collaboration entre chercheurs français et américains. « Nous avons mis au point le protocole de transmission TCP/IP qui va s’imposer comme la référence de ce qu’on va d’abord appeler l’internetting, puis Internet à partir du début des années 1980. »

1981 : UN CONCURRENT, LE MINITEL Durant la décennie précédente cependant, la France va orienter sa stratégie sur le développement d’un terminal concurrent : le Minitel. « Il y a eu guerre de clochers entre d’un côté les informaticiens, convaincus de l’avenir d’Internet, et de l’autre les ingénieurs des télécommunications,

Inria plus nombreux et plus influents dans les années 1970 et qui vont imposer leur vue pour une technologie de commutation téléphonique », contextualise Guy Pichon, ancien informaticien affecté au Centre commun d’études de télévision et télécommunications (CCETT), basé à Rennes à partir de 1972. La capitale bretonne voit ainsi à l’époque cohabiter les deux écoles : le projet Cyclades cher à Gérard Le Lann et le CCETT où travaille Guy Pichon. Pour le premier nommé, « le Minitel s’est vite avéré très archaïque, bien qu’il ait longtemps fait la fierté de la France. Ses concepteurs pensaient avoir inventé un nouveau mode de communication mais l’utilisation du Minitel ne sera jamais pensé au-delà des frontières hexagonales, ce qui a considérablement limité son développement ». Tout le contraire d’Internet, dont Guy Pichon reconnaît les mérites. « La commercialisation du Minitel à partir de 1981 n’a été qu’un frein à l’explosion inéluctable d’Internet. »

1991 : LES DÉBUTS HÉSITANTS DU WEB D’autant plus qu’à partir de 1989 au Cern en Suisse, Tim Berners-Lee com-

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mence à travailler à un usage grand public d’Internet, ce qui aboutira deux ans plus tard à la publication d’une première page web. « Tout cela a été rendu possible car le protocole TCP/IP est passé dans le domaine public dès 1983, fait savoir Gérard Le Lann. Dès lors, la technologie était “mûre” pour une diffusion à grande échelle de son utilisation. » Il faudra néanmoins attendre les années 1993-1994 pour qu’Internet sorte de l’usage des seuls initiés et chercheurs. « C’est à cette époque que sont lancés les premiers moteurs de recherche qui se sont vite avérés d’indispensables outils pour se repérer dans ce qu’on appelait alors naïvement “la toile d’Internet” : AltaVista, Lycos, Yahoo… Avant l’apparition de Google en 1998 qui va finir par s’imposer aux autres », indique Alexandre Serres. Dans la salle informatique de Villejean à Rennes, l’enseignant découvre alors, émerveillé, un monde à portée de clic (ou de « mulot », comme l’appelait Jacques Chirac dans un fameux sketch des Guignols de l’Info, témoin de cette difficile phase d’apprentissage aux nouveaux outils numériques). « Je me souviens de débats très vifs, presque philosophiques, entre d’un côté les partisans d’Internet, dont les plus fervents défenseurs pensaient qu’il allait presque révolutionner nos modes de gouvernance grâce à un accès immédiat à l’information pour tous, et de l’autre des opposants parfois farouches – y compris chez de jeunes étudiants – qui craignaient un monde virtualisé et la perte de contacts physiques. Internet a-t-il amélioré ou abîmé nos démocraties ? La question reste d’actualité aujourd’hui », ajoute Alexandre Serres.

«J’AI FAIT PARTIE DES PREMIERS MODOS SUR LE NET »

À la fin des années 1990, un début de démocratisation des tarifs Internet permet au web de décoller. Club Internet propose par exemple une formule à 22 centimes de franc par minute (oui par minute !). Mais c’est AOL qui, en 2000, frappe fort avec un forfait illimité pour 99 francs (environ 15 euros) par mois. Et qui dit davantage d’abonnés, dit davantage de partage du savoir... mais surtout beaucoup plus de conneries en ligne. Notamment sur les chats et forums, ancêtres de nos réseaux sociaux. Pour contrôler tant bien que mal ce qui s’y dit, ces espaces de discussions trouvent alors un solution peu coûteuse : des modérateurs bénévoles. « Pour avoir ma ligne gratuite, j’étais modérateur sur les forums AOL », raconte ainsi Olivier. Ce Breton, aujourd’hui installé à Brest où il travaille comme informaticien, habitait alors dans l’Est de la France et était donc chargé du forum de sa région. Avec lui, une quarantaine de “modos” qui se répartissaient les différents salons de discussion (thématiques ou géographiques). « Notre rôle était de guider les nouveaux et de vérifier que les conversations ne partent pas en vrille. » Alors, le web, c’était mieux avant ? « C’était les mêmes problèmes qu’aujourd’hui : injures, harcèlement, racisme, homophobie, arnaques... Globalement, c’était souvent la foire au slip quand même », se souvient-il. Face aux propos problématiques, les modérateurs pouvaient lancer des avertissements et aller jusqu’à « bâillonner » le contrevenant, qui ne pouvait alors plus intervenir. « Pour certains salons, comme ceux pour la communauté gay, il n’y avait pas d’avertissement. Au moindre truc homophobe, c’était “au revoir” direct. Après, on signalait à Dublin (le siège d’AOL en Europe, ndlr) qui gérait les sanctions. On n’était pas mis au courant de ce qui se passait après. » Pour choisir ses bénévoles, qui devaient suivre un planning et donner quatre heures de leur temps par semaine, AOL réalisait des entretiens

1996 : LE GRAND DÉCOLLAGE

Malgré les réticences, Internet va connaître un important développement dès la deuxième moitié des 90’s. En 1995, François Fillon est nommé jeune ministre des “technologies de l’information”, ancêtre de l’actuel secrétariat d’État au numérique. Lors des élections municipales de la même année, le maire de Brest Pierre Maille, réélu, est l’un des premiers en France à créer une nouvelle délégation en charge du développement du numérique dans sa ville. La tâche revient à Michel Briand, qui va se passionner pour cette nouvelle mission où « tout était à inventer, avec peu de moyens et de budget. C’était un changement de civilisation considérable et difficile à imaginer aujourd’hui, à l’heure de la 4G et du wifi partout ». Grâce à lui et son équipe, la cité du Ponant équipe plus vite que la moyenne du pays ses écoles, universités, hôpitaux et bâtiments publics. « En Bretagne, le défi était d’autant plus difficile que les

auprès des nombreux volontaires. Les heureux élus étaient en suite formés en ligne – déjà –, mais sans Zoom ou Skype, les connexions de l’époque ne supportant pas vraiment la vidéo. « En plus de nous payer la ligne Internet, AOL nous réunissait une fois par an pour un week-end à Paris ou Marseille, séjour tout compris et open bar ! C’était cool », se remémore Olivier. Mais l’expérience des modérateurs bénévoles a tourné court quand le fournisseur d’accès s’est fait rattraper par la patrouille pour travail dissimulé entre 2003 et 2005. La grogne gagnait de toute façon dans les rangs de ces modos corvéables à merci. « Si c’était à refaire, je le referais, tempère l’ancien guide AOL. C’est grâce à cette expérience que j’ai décidé de faire ma carrière dans l’informatique. » Isabelle Jaffré

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télécommunications sont un fleuron de l’économie de la région : Alcatel à Lannion, le Minitel à Rennes… Il a fallu lutter contre une forme de patriotisme économique », se souvient l’ancien élu. Étudiant en BTS informatique à Châteaulin en 1997, Sébastien Le Corfec (un des cofondateurs du fameux site Copains d’Avant, pionnier des réseaux sociaux) se rappelle également le peu d’engouement de ses camarades pour Internet. « Quasi toute la promo s’était orientée vers des voies professionnelles plus sûres comme le secteur bancaire quand j’avais opté pour le développement de sites web. Ma soutenance de diplôme avait d’ailleurs consisté à présenter le site Internet de la commune de Saint-Renan que j’avais conçu à l’époque en HTML sur FrontPage, avec animations en flash, détaillet-il. C’était il y a moins de 25 ans et pourtant je vous assure que c’était très exotique et audacieux : il y avait encore très peu de sites français à l’époque, encore moins locaux. » Parmi ceux-ci on comptait celui du quotidien Le Télégramme, l’un des premiers médias français à se numériser dès 1996 (la même année que Libé et Le Monde, un an avant le New York Times – classe ! – et quatre ans avant le concurrent Ouest- France). « Pour la petite histoire, on a commencé par publier des images de phoques prises à Océanopolis, raconte son premier administrateur João-Luis Pereira. Les dirigeants du journal, Édouard Coudurier en tête, avaient ce côté découvreur de terres inconnues et Internet en était une ! On a d’abord été lu par la diaspora bretonne même si les audiences étaient au départ insignifiantes : très peu de gens étaient connectés. C’est devenu plus important au début des années 2000 quand nous nous servions du site pour couvrir l’actualité des festivals : l’Interceltique, les Vieilles Charrues… »

2004 : CHANGEMENT D’ÈRE

L’histoire était en marche et le passage au nouveau millénaire a tout changé. En France, le nombre d’utilisateurs d’Internet passe de seulement 300 000 en 1996 à plus de 6 millions cinq ans plus tard en 2001 (et 53 millions aujourd’hui…). « On est passé d’un web 1.0 de simple consultation à un web 2.0 d’interaction, avec la création coup sur coup entre 2004 et 2006 de Facebook, YouTube et Twitter », signale Alexandre Serres.

«Les audiences étaient insignifiantes au départ»

Si le web actuel n’a donc plus rien à voir avec celui d’hier, tous ses pionniers aiment se remémorer ces premières années de découverte. Aujourd’hui administrateur web chevronné, Antoine Vergos (à qui on doit notamment le premier site Internet du club de foot de l’En Avant de Guingamp) se rappelle avec nostalgie de ses premières années de bidouillage DIY depuis sa chambre de lycéen à Morlaix en 1996. « J’ai hébergé mon premier site consacré à l’actualité du foot sur un Mygale.org, qui était une création étudiante fonctionnant sur le mode associatif. J’ai aussi connu l’époque des débuts d’OVH où on pouvait directement échanger avec son concepteur Octave Klaba. Nous étions une toute petite communauté d’autodidactes. » Les explorateurs d’un monde libertaire qui ressemblait au far west. « Tout nous semblait possible, abonde Sébastien Le Corfec. C’était, pour les découvreurs que nous étions, une excitation difficilement imaginable aux internautes d’aujourd’hui. »

Amélie Ruaud Morgane Tual, journaliste rennaise, autrice du livre Le Web d’avant.

Que reste-t-il du web des années 1990 ?

Peu de choses. C’est comme de la géologie, avec une superposition de couches qui écrasent les précédentes. Les plus jeunes internautes peuvent difficilement imaginer ce qu’ont vécu leurs prédécesseurs d’il y a 20 ou 25 ans : les sites perso par exemple, avec page d’accueil, livre d’or, compteur qui enregistrait le nombre de consultations, fond étoilé…

L’Internet d’avant était-il vraiment si différent ?

Oui, car ce sont les GAFA qui ont standardisé le fond comme la forme. Les concepteurs des premières pages web étaient tous des amateurs un peu geek qui utilisaient les polices de caractère de leur choix, avec couleurs criardes et cliparts qui peuvent paraître de mauvais goût aujourd’hui. C’était foutraque, baroque, mais Internet avait une poésie qui a disparu.

Est-il bien archivé ?

Non, la mémoire d’Internet est en péril car trop peu de chercheurs s’y intéressent, hormis certains organismes comme “Internet Archive”. Selon l’adage, « Internet n’oublie jamais », mais c’est faux. C’est une histoire trop récente et sans doute pas considérée comme assez précieuse. Ces pages oubliées que les premiers utilisateurs d’Internet consultaient sont pourtant les manuscrits de la fin du 20e , dont les historiens du futur auront besoin pour documenter notre époque. Reste qu’archiver Internet est un défi car la matière est gigantesque. Mais chaque tweet ou chaque commentaire d’article mérite-t-il d’entrer à la postérité ?

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YVES-FRANÇOIS DEHERY, LE PAPA RENNAIS DU MP3

Que vous téléchargiez un album, connectiez votre enceinte Bluetooth ou écoutiez de la musique en streaming, sachez que c’est en grande partie grâce au travail de Yves-François Dehery, un ingénieur passionné par le son et la musique, aujourd’hui à la retraite. Sa carrière démarre chez France Télécom à la fin des années 1970, mais prend un tout autre essor lorsqu’il intègre le Centre commun d’études de télévision et télécommunications (CCETT), basé à Cesson-Sévigné, en 1982 afin de travailler sur la partie audio de la future télévision par satellite. Il y gravit vite les échelons. Cinq ans plus tard, un collègue lui propose de plancher sur un projet nommé DAB, pour “Digital Audio Broadcasting”, consistant à numériser la bande FM. « On était très en avance, assure-t-il. J’avais une super équipe de chercheurs et de techniciens, on avait envie de tout révolutionner et de casser la baraque. » Par un jeu d’alliance, ils font équipe avec l’institut de recherche allemand de l’IRT et le mastodonte Philips. Ils nomment leur nouvelle technologie “Musicam”. Une seconde, intitulée “Aspec” (développé par l’institut allemand Fraunhofer et l’industriel Thompson notamment), fait aussi son apparition et les deux formats musicaux cohabitent donc. En 1988, un nouveau projet international voit le jour. Il s’appelle MPEG, pour “Moving Picture Expert Group”, et cherche à développer la vidéo numérique qui donnera les CDRom et les éphémères CD vidéo. En charge de travailler sur cette future nouvelle technologie, Yves-François Dehery se rend à une de ces réunions aux États-Unis où des groupes d’ingénieurs s’affrontent sur ce nouveau format. « C’était un gratin d’experts. Mais on a convaincu le président de MPEG, Leonardo Chiariglione, de lancer une autre compétition visant à définir la norme de compression audio. » En clair, il s’agit de diminuer la taille d’un flux audio afin de pouvoir le lire sur des supports plus petits. Musicam se retrouve donc dans une nouvelle bagarre contre l’Aspec. L’enjeu : « Savoir qui allait déposer les brevets et faire du business avec. On a défini les modalités de compétition, des critères de simplicité technologique, de taille du produit fini, et surtout de qualité sonore. » Grâce à leurs précédentes recherches sur le DAB, Musicam a une belle avance. À l’été 1990, MPEG décide de tester les trouvailles de chacun. Tout le monde se rend en Suède où la radio publique locale a réuni des « oreilles d’or » pour départager les concurrents. « Il y avait des professionnels du son et des anonymes. Entre eux et les enceintes, on avait placé un rideau noir. Ils écoutaient à l’aveugle. On avait enregistré tous les instruments d’un orchestre, j’avais même proposé de mettre de l’accordéon et une cornemuse. Et puis il y avait des voix de femmes, ce qui est très difficile à manier. » L’algorithme de Musicam l’emporte haut la main, porté par une qualité de son bien supérieure. « Durant nos recherches, nous avions en fait développé deux systèmes. Le Layer 1, que Philips destinait à sa future cassette numérique et qui servira bien plus tard pour la technologie Bluetooth, et le Layer 2 que nous avons présenté en Suède, rembobine Yves-François Dehery qui, sur les conseils de Leonardo Chiariglione, collaborera avec ses concurrents du MPEG pour développer le Layer 3. C’était l’auberge espagnole, un fatras d’inventions. » Cependant, Yves-François Dehery exige du Layer 3 qu’il soit un fichier informatique. On doit pouvoir le copier-coller, le lire en aléatoire, avancer ou reculer dans l’extrait

YVES-FRANÇOIS DEHERY, LE PAPA RENNAIS DU MP3

Photos : Bikini et DR sonore… Au sein du produit fini, on retrouve plusieurs particularités des Layer 1 et 2 brevetés par Musicam. Son nom complet : MPEG-1/2 Audio Layer 3. MP3 pour les intimes. Son importance explosera avec la démocratisation d’Internet et les grandes années du peer-to-peer (Ahhh Napster et Kazaa <3 !). Parallèlement, les sociétés Mpman en Asie et Eiger Labs aux États-Unis développent les premiers baladeurs numériques dès 1998, permettant au quidam d’embarquer une multitude de fichiers MP3 dans sa poche. L’industrie musicale s’apprête à être bouleversée pour toujours. Mais plus Yves-François Dehery voit ce format être utilisé par les grands industriels du secteur, plus il s’aperçoit que les brevets déposés par Musicam ne sont pas honorés. L’ingénieur va donc passer les quinze dernières années de sa carrière à traquer les entreprises leur devant des droits. Parmi cellesci : Samsung ou encore Apple, qui cet automne, fête les 20 ans de son iconique iPod.

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LE CYBERCAFÉ, UN HISTORIQUE EFFACÉ

Pour ceux qui ont grandi dans les années 1990, se connecter à Internet ressemblait à ça : on s’installait au bureau familial, on veillait à ce que le téléphone soit raccroché, on ouvrait Lycos (« Va chercher ! ») et ça y est, on était paré pour parcourir “les autoroutes de l’information”. Celles qui permettaient de faire des recherches sur AltaVista ou de demander « ASV ? » (âge, sexe, ville) sur les chats de CaraMail. Et pour ceux qui n’avaient pas encore la chance d’avoir un PC à la maison, il y avait les cybercafés. Le principe de ces lieux, ayant aujourd’hui (quasi) tous disparu, était simple : un accès à un ordinateur et une connexion à Internet payable à la minute. En Bretagne, parmi ces établissements pionniers, on comptait le Seven à Vannes, l’Ar Ménez à Douarnenez, le Baratin à Quéven… Tous avaient choisi d’installer dans leur bistro un ou plusieurs ordinateurs. « C’était un outil fantastique. Pour 60 francs de l’heure (environ 10 euros), les gens venaient au bar pour voir concrètement ce qu’était le web. Beaucoup de premières adresses mail se sont créées chez nous, témoigne Yann Pothier, l’ancien patron de La Cordée, un café devenu cyber en 1997, à Quimperlé. Nous avions trois ordinateurs avec écran couleurs et une capacité de 1,6 Go. On a eu une assez grosse clientèle et surtout très variée : des étudiants et beaucoup de retraités curieux. Certains venaient matin et soir pour consulter leurs mails, le cybercafé avait cette fonction de boîte à lettres. » Delphine Grégoire, ancienne associée du cybercafé Les Années Bleues à Brest se souvient particulièrement de la qualité de la connexion de son bar en 1994. « C’était terrible… Qu’est-ce que c’était lent ! Nous avions aménagé une salle à l’étage du bar avec trois PC aux écrans si gros, qu’on aurait dit des postes de télévision. » Pour Samuel Austin, ancien propriétaire d’un “cybergarage” à BelleÎle-en-Mer, c’est surtout le monde, attiré par le phénomène, qui reste mémorable. « En 1999, j’ai eu l’idée d’installer une dizaine d’ordinateurs dans un local que je possédais. Au début, j’utilisais SUSE, une distribution de Linux. Mais les clients étaient totalement perdus, j’ai donc préféré installer Windows 98 par la suite. Très vite, les gens sont venus en masse, rembobine-t-il. C’était une époque où on avait plein d’idées. En 2000, on a par exemple fait la retransmission en ligne d’une compétition de surf qui avait lieu à Belle-Île. On avait installé une caméra, et on s’était branché sur la prise téléphonique du local des sauveteurs en mer. L’image était toute petite, mais ça marchait ! » Pour Valérie Schafer, historienne et coautrice de l’ouvrage Dans les coulisses de l’Internet, les cybercafés ont eu un rôle crucial pour les Français : « Ils ont permis une éducation et une familiarisation au web, en évitant aux utilisateurs d’avoir à débourser des sommes trop importantes. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, à la fois l’équipement mais aussi la souscription à un FAI (fournisseur d’accès à Internet) étaient très onéreux. » Des lieux qui, selon l’experte, ont par la suite connu plusieurs phases d’évolution, jusqu’au déclin. « Après les cybercafés un peu artisanaux, on a vu naître des grosses infrastructures, portées par des chaînes. On parle là de surfaces de plus de 1000 m2 avec, parfois, plus de 300 PC installés…, expose-t-elle. Puis, petit à petit, le prix des machines grand public a commencé à baisser, de même que les forfaits Internet, et les Français ont commencé à s’équiper. Ce qui a provoqué la fin des cybercafés. » Mais pour Yann Pothier, l’expérience était nécessaire : « En voyant arriver Internet, on savait que notre quotidien allait changer, mais on ne pouvait pas mesurer à quel point. J’aime l’idée que les cybercafés ont aidé les gens à se familiariser avec ce nouveau monde. »

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