De l'art à internet : monographie des usages à la Friche la Belle de Mai

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Blandine Cordellier Maîtrise de Sociologie Sous le direction de Olivier THEVENIN Université de Besançon, Franche-Comté

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Introduction

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Définitions

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- Les différentes approches - L’appropriation par la réception - Les stratégies des artistes - Les relations des avant-gardes à la science - Les utilisations des technologies dans l’art - Les moyens du multimédia - Les réseaux de communication - Le développement alternatif

Terrain : la Friche la Belle de Mai

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- Une pépinière d’artistes - Des niveaux de typologie - Espaces communs - made in la Friche - residents@lafriche.org - Les effets d’exploration - Un placement particulier - Les échantillons type - Un contexte global

Analyse interprétative

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- Un espace collectif - L’échelle de communication - L’incidence du progrès - Les dérivations médiatiques - Une idéologie de l’humaine - Le partage du sensible - Le flou quantique

Conclusion

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Annexes

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- Un glossaire - Les résidents - Le questionnaire - Une bibliographie - Des sites de références

Couverture De gauche à droite : l’îlot 3, l’îlot 2 (juin 2002) et la destruction de la petite maison verte à l’entrée 41, rue Jobin (mars 2003).

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Introduction Professionnellement et personnellement, mon parcours est synonyme de diversité. D’un sport-études Hand Ball à Angoulème, d’un bac D et d’une première année préparatoire aux études de masso-kinésithérapie, je suis passée à des études d’Arts Plastiques à l’Université de Bordeaux II. En fin de Licence, après avoir exploité deux mois mon diplôme dans une entreprise de réalisation de décors, je suis partie travailler en saison pendant trois ans, alternativement à Tignes et sur l’île d’Oléron, comme vendeuse de combinaisons de ski et de maillots de bain. Au cours de toutes ces années, je n’avais cessé d’agir, bénévolement mais intensément, à l’élaboration d’évènements culturels. Envisageant une intégration professionnelle dans la proximité de l’art, j’ai pris la direction de Besançon pour un retour en formation.

A l’automne 2003, j’ai dû faire face à un dilemme de taille : poursuivre les études que je venais de reprendre l’année précédente ou accepter l’offre d’emploi qui m’était faite à 600 kilomètres de l’Université de Franche-Comté.

Dans l’impossibilité de faire un choix, j’ai envisagé une troisième solution qui concilierait les deux. Cette dernière hypothèse me rapprochait d’un terrain idéal d’enquête – la Friche la Belle de Mai – et me permettait de gagner ma vie en même temps. La difficulté était d’arriver à concilier deux activités toutes aussi monopolisante l’une que l’autre.

A l’issue d’un premier passage à Marseille, j’avais évalué les enjeux liés au numérique et réalisé un texte théorique intitulé L’Art de la Communication. Au cours d’une dizaine de pages, j’avais tenté de définir les différentes typologies d’œuvres par ordinateur dans l’actualité de l’art contemporain. Au cœur de problèmatiques esthétiques, philosophies et sociologiques, cette esquisse contribuait à l’élaboration d’une base d’étude sur l’implication des technologies de l’information et de la communication dans la culture. Après avoir considéré les points de vue des webdesigners, l’objectif était alors d’examiner de plus près quelles peuvent être les utilisations des cybersurfers, précisement des internautes voisins des innovations et des réalisations demeurant sur internet.

Une approche sociologique, à la jonction des multiples notions propres à l’art, permet de cerner les usages et les inégales appropriations possibles du net de manière pragmatique. Le terrain est choisi. Reste à analyser, interpréter et examiner un quotidien mêlé à une réalité pratique, technique, imaginaire et l’ambiguïté du positionnement de ce média.

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Définitions

Les différentes approches Il n’existe probablement aucun autre domaine de la sociologie1, où collaborent des générations intellectuelles, et donc des critères d’exigence, aussi hétérogènes. Par rapport à la double tradition de l’histoire de l’art, qui traite des relations entre les artistes et les œuvres, et de l’esthétique, des relations entre les spectateurs et les œuvres, la sociologie de l’art pâtit à la fois de sa jeunesse et de la multiplicité de ses acceptions, reflétant la pluralité des définitions et des pratiques de la sociologie. C’est là le « triple jeu

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» qui donne sens aux avatars des avant-gardes actuelles et qui

associe trois approches très compartimentées que sont la sociologie des œuvres, la sociologie de la réception et la sociologie de la médiation.

L’autre difficulté à définir la sociologie de l’art tient au fait que sa principale origine ne se situe pas dans l’histoire de la sociologie.

Après l’esthétique sociologique de la première génération et l’histoire sociale de la sociologie d’enquête de la troisième génération fait preuve que la sociologie de l’art peut répondre aux critères de rigueur, aux méthodes contrôlées et aux résultats positifs. Le problème de la sociologie de l’art aujourd’hui n’est plus d’être confronté au passé et de s’éviter le poids d’une tradition esthète. Il s’agit d’inscrire la sociologie de l’art dans les questions propres à la discipline.

L’investigation empirique ne considère plus l’art et la société, ni l’art dans la société, mais l’art comme société, en s’intéressant au fonctionnement du milieu de l’art, ses acteurs, ses interactions, sa structuration interne. Plus encore que les différences de générations, de disciplines ou d’objets, la force de la sociologie de l’art actuelle est ce recours à l’enquête. Le dialogue avec d’autres domaines de la sociologie – des organisations, de la décision, de la consommation, des professions, des sciences et techniques, des valeurs – va permettre à la sociologie de l’art de profiter des progrès d’une discipline en évolution. La sociologie dite de consommations culturelles notamment 1

La sociologie de l’art est née chez des spécialistes d’esthétique et d’histoire de l’art, préoccupés d’opérer une rupture manifeste avec la focalisation traditionnelle sur le binôme « œuvres/artistes » : en introduisant dans les études sur l’art un troisième terme « société ».

2 HEINICH, Nathalie, Le Triple Jeu de l’Art Contemporain, Editions de Minuit, Paris, 1999.

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théorisée par Pierre Bourdieu décrit les inégalités sociales entre les pratiques culturelles. L’Amour de l’Art 3, en 1966 innovait considérablement par rapport à des conceptions plus abstraites de la sociologie universitaire, amenant un certain nombre de conclusions qui devaient transformer l’approche de la question. Cette publication démontre une correspondance entre les pratiques culturelles et les catégories sociales : l’inégalité sociale des français face à la culture est identifiée depuis la fin des années 50 sous forme statistique. Le taux annuel de fréquentation des musées présentait « un écart allant de 0,5% pour les agriculteurs à 43,3% pour les cadres supérieurs, et de 151% pour les enseignants et spécialistes de l’art 4 ». Ce type d’étude, riche en indicateurs, donne de précieuses formules de la répartition sociale des pratiques, du taux de fréquentation des institutions culturelles et du niveau de consommation des produits culturels. Il permet de mesurer la distance entre les pratiques culturelles et une culture légitime (ce qui est reconnu comme culturel, souvent avec une connotation élitiste).

Les études quantitatives d’Olivier Donnat5 sur la culture sont riches en détail distributionnel. Ces états des lieux indispensables soulèvent d’autres questions et pointent des zones d’ombre sur le sens des pratiques (ou absence de pratique), des écarts, des inégalités, des déviances culturelles.

On ne peut plus parler « du » public mais « des » publics. Il faut abandonner le point de vue globalisant et raisonner en termes de publics socialement différenciés, stratifiés par milieux.

Bien que soit démontré le rapport entre le degré de légitimité d’une pratique culturelle et le niveau social de ses récepteurs, ainsi que les entraves faites aux classes sociales défavorisées dans l’accès à la culture, ces approches contribuent à attester une culture élitiste comme seule culture. Considérant cet idéal culturel comme l’objectif à atteindre par tous, ces approches sociologiques passent sous silence l’existence possible d’autres formes de pratiques et d’expressions culturelles propres aux classes sociales non représentées

dans

le

public

idéal

typique

des

genres

culturels

institutionnels. Dénonçant les inégalités, ces études contribuent à renforcer le constat d’absence de pratiques labellisées « culturelles » en décrivant un 3

BOURDIEU, Pierre, L’Amour de l’Art, Les Musées d’Art Européens et leur Public, Editions de Minuit, Paris, 1969.

Ibid.

5 DONNAT, Olivier, Les Pratiques Culturelles des Français, Editions de La Documentation Française, Paris, 1998.

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vide à combler, là où existent des pratiques non reconnues car échappant aux grilles d’analyses, et en pointant un mode uniforme des goûts et des pratiques.

L’appropriation par la réception La question n’est donc plus « qui consomme quelle culture », mais « qui fait quoi des biens culturels » ? Avec Hans Robert Jauss 6 dans les années 60, un des résultats essentiels de la sociologie de la réception est de considérer le lecteur comme partie prenante dans la production du sens.

L’offre culturelle n’a pas un code en elle-même, mais l’individu récepteur est co-producteur de la signification des messages qu’il s’approprie. Mais une sociologie de la réception proprement dite pourrait impliquer une certaine passivité de la part de celui qui se voit assigné à sa place de récepteur. Il faudrait s’en démarquer et s’intéresser aux processus d’appropriation. Les biens culturels ne sont plus donnés à comprendre mais à adopter. D’ailleurs, la réception de ces produits est souvent très décevante si on la mesure aux codes légitimes ou au modèle de réception savante. Pour Jean-Claude Passeron 7, la pratique lettrée et savante avec maîtrise des codes est relativement rare, même chez les publics qualifiés de dominants et présumés compétents si l’on s’en tient à leurs déclarations. Observer l’usage des biens culturels en situation de réception permet de surmonter l’écart entre déclarations et pratiques pour décrire les significations réellement attribuées aux produits artistiques. L’étude de la réception ne mène pas à une meilleure compréhension, « en dernière instance » (selon l’expression utilisée par les penseurs marxistes à propos des déterminations économiques), des « œuvres mêmes » : elle ne mène qu’à une connaissance du rapport que les acteurs entretiennent avec les phénomènes artistiques – et c’est déjà beaucoup. » 8

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Critique littéraire allemand, il a élaboré une Esthétique de la Réception, faisant s’inscrire dans l’œuvre un « horizon d’attente » constitué par l’environnement culturel, historique et idéologique du public.

7 PASSERON, Jean-Claude, Le Raisonnement Sociologique, Editions Nathan, Paris, 1991.

8 HEINICH, Nathalie, La Sociologie de l’Art, Editions La Découverte, Paris, 2001.

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D’autres approches comme celle de Michel de Certeau 9 dans ses Arts de Faire, ont contribué à réhabiliter une culture populaire observée en tant que pratique significative. Ces approches qualitatives ont mis en évidence la dynamique de création et d’interprétation du public dans l’activité de réception des messages et des biens culturels. Ces cheminements se sont attachés à observer les manières inégales d’utilisation de la culture. En s’intéressant à l’activité d’appropriation des médias et des productions artistiques, on ne se contente pas seulement de mesurer des capitaux culturels ou de vérifier des compétences comme maîtriser les codes de déchiffrement et d’interprétation des œuvres : on décrit les différentes manières de s’approprier la culture et les médias.

Les stratégies des artistes Depuis le début du siècle, les avant-gardistes réitèrent sous différents angles l’opération qui consiste à transgresser les limites et, en les dépassant, à donner à voir les frontières de l’art, les frontières matérielles du musée, celles de l’authenticité, de la morale et du droit. Ainsi s’est constitué un nouveau « genre » de l’art. À cette déconstruction définissant l’œuvre d’art, les différentes catégories de public tendent bien sûr à réagir négativement, en réaffirmant – parfois violemment – les valeurs ainsi transgressées.

Peu à peu, les critiques d’art, galeristes, collectionneurs, responsables institutionnels, intègrent ces opérations, provoquant de nouvelles réactions qui obligent les institutions à toujours plus de permissivité, et instaurant un décalage toujours plus prononcé entre initiés et profanes.

9 Michel de CERTEAU, comme Richard SHUSTERMAN, approche la sociologie dans le cadre de pragmatique et n’est pas estampillé « sociologie de la réception ».

Professeur de philosophie à la Temple University de Philadelphie et à New York de recherches sociales, Richard Shusterman concentre ses recherches sur l’esthétique et la cultures populaires. Auteur en 1992 de L’Art à l’État Vif aux Editions de Minuit, il travaille pour la légitimation de ladite sousculture et du rap en particulier. Adepte de la pensée de John DEWEY, Richard SHUSTERMAN retourne les critiques formulées à l’encontre de la « ghetto musique » en mettant en rapport un poème de T.S. ELIOT et un rap du groupe Stetsasonic, unissant ainsi l’avant-garde et la culture populaire.

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« Ce sont les regardeurs qui font le tableau », déclarait l’artiste Marcel Duchamp, à l’époque où l’anthropologue Marcel Mauss10 expliquait que ce sont les clients du magicien qui, en croyant à ses pouvoirs magiques, les rendent efficaces. Ce pourrait être le mot d’ordre d’un manifeste « constructiviste », visant à démontrer que, comme tout phénomène social, l’art n’est pas donné de nature mais un phénomène construit à travers l’histoire et les pratiques.

Célèbre pour ses happenings, Allan Kaprow11 construit son œuvre à travers un collage d’actions perçues ou accomplies dans plusieurs temps et lieux et donne l’impulsion à la performance et l’art corporel. Ses pensées l’ont amené à confondre l’art et la vie. Tout est matière première à l’art comme par fusion du zen et de la science pour une contemplation passive et une expérimentation active.

Les mouvements artistiques de la seconde moitié du XXe siècle, plus particulièrement ceux des années 60/70 et l’art technologique des années 80 ont vraiment contribué à développer cette proximité entre l’artiste et le spectateur dans un même espace. En menant peu à peu vers l’idée d’interaction, ils ont contribué à la constitution d’un cyberart qui n’a d’existence et de sens que dans la mesure où il entre en dialogue avec ses destinataires. C’était aussi l’un des objectifs du mouvement le plus social de l’art réuni autour de Hervé Fischer, Fred Forest et Jean-Paul Thenot.

Dans l’avant-propos de L’art Sociologique 12, Fred Forest a le sentiment très profond que le type d’activité dans lequel il s’est engagé échappe aux catégories antérieurement définies. Ce terrain non balisé, intermédiaire se situe à mi-chemin entre l’art et la sociologie, peut-être ailleurs, aussi… Les travaux de cet artiste français dans les années 80 sont particulièrement révélateurs de cette disparition de l’objet et de la mise en exergue des processus et des systèmes. Pour cet artiste, « l’art ne peut se contenter de fabriquer des produits à exposer dans les musées et les galeries, mais doit rendre compte de la dimension planétaire et interconnectée de notre vie »13. Il est un expérimentateur qui constate qu’il est nécessaire de 10

Mauss, Marcel, Sociologie et Anthropologie, P.U.F., 1989.

March22 Pose, Rate of Exchange et Satisfaction sont les rares textes théoriques de Allan KAPROW publiés entre 1970 et 1976 aux Editions Florence LOEWY, New York.

12 FOREST, Fred, Art Sociologique, Vidéo, Union Générale d’Editions, Paris, 1977.

13 FOREST, Fred, Pour un Art Actuel, l’Art à l’Heure d’Internet, L’Harmattan, Paris, 1998.

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retourner les instruments de la communication, de s’emparer des sources de l’image et qui tente d’innover au milieu d’un amas de conventions ou d’illusions. Il inquiète aussi parce qu’il pénètre la trame de la vie commune.

Dans l’univers des publics non-initiés où s’exerce un décalage. La démarche des idéologies artistiques avant-gardistes se veut ni polémique, ni agressive mais pédagogique, visant à questionner les croyances et à activer les doutes.

Il n’y a que les artistes, dans la marginalité, grâce au statut encore permissif que leur concède la société, pour prendre en charge la tâche urgente de pratiques questionnantes. La position de l’art sociologique implique de dénoncer la commercialisation de l’art, son marché et de rechercher une alternative institutionnelle tout en faisant les questions mais pas les réponses. Le but est d’échapper au système manipulateurs et de penser par soi-même. Cela semble utopiste, évidemment impossible, philosophique par excellence, idéaliste. Cette nouvelle forme d’art, compte tenu de la généralisation de l’image et de sa vulgarisation par l’audiovisuel recourt à d’autres modes de représentation et d’appréhension du monde en explorant d’autres canaux de la sensibilité qui étaient jusque-là négligés par les artistes. Au moment où est observable une saturation des faits visuels, l’art sociologique se dégage et se libère de la représentation formelle.

C’est la société elle-même qui constitue au niveau de la vie quotidienne son propre laboratoire de recherche. Tant et si bien que les œuvres créées ne sont plus des objets artistiques concrets mais les processus relationnels générés. La conception que la société se fait de l’art aujourd’hui est le résultat direct et arbitraire d’un processus de différenciation de l’activité humaine. L’art sociologique tente d’opérer un rapprochement dans la perspective d’une saisie plus globale de notre situation dans le monde.

Sous le règne tout puissant des médias, les populations restent soumises aux modes de pensée imposés par leurs pouvoirs. Ces appareils jouent comme des instruments régulateurs des tensions sociales. À ce titre, les technologies numériques peuvent constituer une des pièces maîtresses du système d’aliénation dont pâtissent nos sociétés.

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Même si la pratique de Fred Forest engagée en 1969 emprunte tant à l’art qu’à la sociologie, sa spécificité et sa préoccupation est d’établir de nouvelles interrelations dans le champ social. Son propos n’est pas de le contester par la sociologie. La contestation systématique du système artistique et de son milieu permet une nouvelle façon de créer. Ce combat est positif face à la manipulation. Vilèm Flusser14 dans un essai intitulé L’Art sociologique et la Vidéo à travers la démarche de Fred Forest conclue que pour pouvoir participer vraiment à des évènements, à œuvrer, il faudrait pouvoir devenir à la fois politicien, artiste, et pourquoi pas, chercheur scientifique. Cela semble difficile mais pas tout à fait impossible et ce serait l’objectif de l’art sociologique.

Les relations des avant-gardes à la science Il n’y a pas eu de conflit entre l’art et la science semblable à celui qui oppose la science à la croyance religieuse. Les critiques mutuelles sont toujours restées courtoises, même lorsqu’elles furent violentes. En effet, au XIXe siècle, la science en pleine progression rejetait dans les turbulences de l’irrationnel tout ce qu’elle jugeait indigne de la raison. Les romantiques ont réagi alors, aussi violemment à l’exclusion contrainte par cette fermeture des savoirs sur eux-mêmes. Ainsi, l’opposition entre une science qui serait froide, inhumaine et un monde sensible auquel elle ne se rendrait pas accessible a pu être dépassée. Cependant les arts ne jouent pas un rôle de critique de la science mais plutôt celui d’éclaireur en incitant à la vigilance.

Le domaine d’application de l’ordinateur qu’on appelle virtuel, bien qu’étant une appellation problématique d’un point de vue philosophique, est en fait une synthèse

de diverses recherches issues des technologies de

l’information et de la méthodologie scientifique de la simulation : synthèse de l’image, synthèse des sons, transducteurs visuels, sonores, gestuels, calculateurs en temps réel… Ce virtuel auquel les artistes et les scientifiques accèdent par le biais de manipulations de dispositifs technologiques représente aujourd’hui un champ de recherche commun 14

FLUSSER, Vilèm, L’Art sociologique et la vidéo à travers la démarche de Fred Forest dans L’Art sociologique de Fred FOREST, Union générale d’éditions, Paris, 1977.

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pour l’art et pour la science dont les résultats sont attendus avec une attention égale. Piotr Kowalsky 15, ancien scientifique devenu artiste, approuve la complémentarité de l’art et de la science tout en distinguant science et technique.

La science est la démarche « logique » alors que la technologie est un « inconscient collectif » à travers lequel sont lisibles des informations cachées. C’est peut-être pourquoi l’artiste aime se servir de la technique dans son art car elle lui permet d’exprimer le non visible. L’art est donc apparu comme un contrepoids, un complément pour la science afin d’optimiser les processus de découvertes humaines, l’artiste travaillant du concept à l’analyse et le scientifique de l’analyse au concept. De cette façon, la science révèle notre connaissance du monde en l’explorant tandis que l’art s’oriente vers l’expérience du monde en nous proposant des concepts qui permettent une vision de l’univers immédiatement plus intuitive. L’art fait plus que se nourrir du progrès technique : il peut se confondre avec lui, et l’on doit toujours se souvenir que le premier sens du mot art, c’est teckné 16.

Toutes les relations entre l’art et la science au cours du XIXe et du XXe siècle s’établissent sur un mode métaphorique. La science fournit à l’art des représentations ou des modèles abstraits du monde que celui-ci transfigure en images sensibles. L’art opère par substitution analogique, transfert et déplacement de sens. La science donne des idées, propose des conceptions du monde de la réalité, inspire, suggère, travaille l’art « pardessous ». Les artistes y trouvent souvent la confirmation de certaines intuitions ou une stimulation pour l’imagination. Elle se différencie en cela de la technique qui est, outre le processus pour transformer et produire le monde, une manière de le percevoir. La technique n’agit pas en proposant des idées, des visions abstraites, elle agit sur la perception. Directement quand elle procure aux artistes des moyens de figuration en modifiant l’ « habitus » perceptif des sociétés dans lequel s’enracine une bonne

15

Pour KOWALSKY, ses Time Machines présentées en 1980 au Centre Georges Pompidou sont des outils d’art qui traitent le temps non comme une trace ou une mémoire, mais comme un mode directement accessible au sens en temps réel.

16 La tekhne, c’est l’art politique ou l’opinion règne plutôt que l’épistémé, la science du politique. Les grecs n’avaient qu’un seul mot et un seul concept pour l’art et pour l’habileté : tekhné.

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partie des pratiques artistiques et culturelles17. Cependant, jamais comme aujourd’hui, les relations de l’art et de la technique n’auront posé autant de questions et provoqué autant de malentendus. En effet, en même temps que les frontières de la technique ne cessent de reculer, celles de l’art semblent de plus en plus difficiles à saisir.

Actuellement, la science et l’art semblent chercher ensemble à élaborer un paradigme nouveau qui serait à même de mieux expliquer l’univers qui nous entoure. L’art ne reflète pas la vie, il la préfigure. Depuis le milieu du XXe siècle, l’art et la science présentent un certain nombre de points communs importants : le premier, essentiel, tient au fait qu’artistes et scientifiques utilisent une technologie mise au point par d’autres, qui modifie en profondeur leur travail et leurs recherches. Manfred Mohr systématise, de son côté, l’idée de série qui apparaît souvent dans les œuvres par ordinateur et qui résulte de variations paramétriques exercées sur le répertoire graphique de base. Mohr a le mérite d’être parmi les premiers à théoriser, en plasticien, les rapports entre la création artistique et l’ordinateur.

Pour lui, la nouvelle esthétique ne travaille plus prioritairement à la beauté des formes, mais à leur relation statistique et à leur ordonnancement. On remarque que les rares expositions où l’on peut voir des œuvres réalisées à l’aide d’ordinateurs n’attirent que peu la critique, les milieux nationaux et internationaux de l’art officiel. Cette mise à l’index n’a pas découragé les chercheurs, mais elle a été l’origine d’un certain repliement de l’art numérique sur lui-même 18. L’art a changé ses fonctions spécifiques qui lui 17 COUCHOT, Edmond et HILAIRE, Norbert, L’Art Numérique, Editions Flammarion, Paris, 2003. Cet ouvrage propose une analyse des effets du numérique, dans la culture et les pratiques artistiques, envisagés du point de vue de la création, de la diffusion mais aussi de la conservation des œuvres d’art.

Edmond COUCHOT continue à participer aux recherches du centre universitaire « Images Numériques » consacrées aux relations entre acteurs réels et acteurs virtuels dotés de comportements « intelligents ».

18 Situer Manfred MOHR ou Vera MOLNAR, c’est les faire rejoindre la lignée des artistes qui, depuis le début du siècle, ont dégagé la peinture de l’anecdote et de l’introspection, car celle-ci avait souvent jusqu’à présent un rôle thérapeutique alternant entre provocation et soumission à l’obsession.

MALEVITCH, LISSITZKY, MONDRIAN, MOHOLY NAGY HERBIN, VASSARELY, entre autres, ont œuvré à élargir le champ de la vision créant des émotions plastiques au lieu de les subir. La maîtrise de l’expérience était destinée à en ouvrir une autre, et ils pouvaient moins prétendre au statut de chercheur.

Leur créativité n’est plus subie mais le fruit d’une interrogation sur le devenir. Elle a comme fonction et valeur de stimuler un profond désir, de trouver des paradigmes se renouvelant indéfiniment. « My art developed into an alogithmic art, in wich inventing rules, or algorithms, is the foundation of my research » Manfred MOHR, Artificiata I, Editions Agentzia, Paris, 1969.

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étaient

traditionnellement

attribuées :

intuition,

révélation,

catharsis,

expression, représentation…Il ne se contente plus d’interroger nos conceptions de l’univers, mais interroge l’univers lui-même. Désormais, la signification sociale et le rôle de l’art doivent êtres cherchés dans les processus de communication qui consistent à mettre en mémoire, à traiter et à transmettre des informations dans un monde technologique dominé par l’informatique. Laquelle associée à la cybernétique permet aux artistes de créer de nouveaux environnements spatiaux temporels à partir de simulations interactives à trois dimensions qui font appel à la perception et à l’ambulation. L’exploration mentale et sensorielle des mondes virtuels en temps réel peut alors devenir une œuvre d’art.

Les utilisations des technologies dans l’art Dans le prolongement de l’héritage de la culture grecque, Aristote avait analysé toutes les techniques de persuasion ainsi que la dialectique de ses prédécesseurs. Il a pu alors détacher l’organisation du discours de son contenu et de sa signification pour ne s’intéresser qu’à la validité formelle des raisonnements. Ainsi, à travers un ensemble de textes, Aristote a défini les bases de la logique moderne. L’influence de ces écrits est capitale dans la construction de la pensée occidentale. Jusqu’à la fin du Moyen Age, la tradition philosophique s’est appuyée sur cette conception aristotélicienne pour isoler et développer un cadre spécifique de la raison indépendant du pouvoir divin et de la domination théologique. Bien que gagnant en abstraction, les propositions logiques étaient toujours exprimées en langue naturelle et se trouvaient par là toujours contraintes au langage même qui les véhiculait. La nécessité de donner à la logique son écriture s’est donc fait sentir, et c’est Leibniz19 qui s’attaqua le premier à cette mission. Il a initié ainsi un bouleversement radical dans l’ordre de la compréhension : le passage de la déduction au « tout calculé ». Après avoir tenté d’établir avec la Characteristica generalis une sorte d’alphabet logique de la pensée, il a mis alors ses idées en pratique en imaginant une machine à raisonner dont la réalisation s’est avérée trop 19 Philosophe rationaliste de la seconde moitié du XVIIème siècle Leibniz était également mathématicien. Il fonda l’académie des sciences de Berlin. A cette époque, tous ces domaines – mathématique, théologie… - sont encore intimement liés.

Etre savant signifiait posséder une érudition littéraire et philosophique.

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ambitieuse. Son projet de « caractéristique universelle » visait à débarrasser le raisonnement des contraintes de la discussion. De même qu’il existe une écriture pour les nombres (l’algèbre), il pensait qu’il pouvait créer un système susceptible d’exprimer les idées.

Derrière ce projet d’éliminer tout problème dû aux règles syntaxiques apparaît très clairement la notion de calcul. Il est évident qu’une telle écriture préfigure les langages de programmation actuels. Son travail inachevé a été poursuivi par de nombreux chercheurs logiciens, notamment Frege qui a publié en 1879 Begriffsschrift

(Idéographie),

écriture

monosémique

utilisant

la

logique

mathématique. Russel et Whitehead ont également continué ce travail au début du XXe siècle en tentant de l’améliorer ou de le corriger à travers les Principa mathematica. Le pas du raisonnement vers le calcul semble franchi même si cela fait encore aujourd’hui l’objet de nombreuses études. Dès la fin des années trente, la cybernétique naissante tente alors d’interpréter le monde et le vivant grâce aux bases proposées par ce formalisme logicomathématique.

L’art en réseau n’est pas né avec l’ordinateur. À la fin des années 70, des artistes commencent à s’intéresser aux techniques de communication et à la participation du spectateur. Ils utilisent tout naturellement les réseaux numériques pour prolonger des propositions déjà largement expérimentées et les renouveler. Si les premières œuvres numériques, nées il y a quarante ans, n’étaient pas interactives, il n’en existe plus qui ne mettent en jeu des processus interactifs à un moment ou à un autre de leur création ou de leur mise en circulation. La volonté de faire participer, à travers un dialogue le plus souvent plurisensoriel, le spectateur à l’élaboration de l’œuvre change en profondeur les rapports traditionnels entre l’auteur, l’œuvre et le spectateur. Mais cette particularité – qui confère une grande partie de sa spécificité à l’art numérique – n’est pas née d’une tabula rasa. Elle est le fruit d’une préoccupation qui se manifeste dans l’art au cours du XXe siècle avec la participation du spectateur, sous les formes du happening à l’art cinétique, en passant par l’art conceptuel lui-même, le body art, le land art, l’art technologique et bien sûr l’art sociologique. Pour être plus précis, on peut encore évoquer Marcel Duchamp 20 qui compte sur l’autre pour finir l’œuvre. Cette faculté, qui n’était que mentale chez Duchamp, devient 20

MINK, Janis, Marcel Duchamp, l’Art contre l’Art, Editions Taschen, 2000.

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physique et objective avec l’interactivité. Après un retour à des pratiques plus traditionnelles, l’esthétique de la participation trouve dans la large gamme des technologies numériques devenues plus accessibles l’occasion de rebondir et de se renouveler.

La création sur internet n’est pas un tout homogène. On peut distinguer plusieurs

formes,

certaines

apparaîtront. Sa typologie

21

sont

stables,

d’autres

évolueront

ou

porte sur la forme des œuvres et non sur leur

contenu ou leur esthétique (d’autres peuvent être aussi construites). Elle a pour but de mettre en évidence les grandes catégories d’œuvre en ligne et d’établir d’éventuelles connections avec d’autres types d’œuvre off line.

Cette typologie ne peut être définitive. Fondée sur une analyse d’œuvres existantes, elle est amenée à évoluer avec l’apparition d’œuvres nouvelles.

L’art sur le net englobe non seulement des créations originales pour ce média mais aussi ce que l’on peut appeler « catalogues » ou « galeries » en ligne visibles sur le réseau comme les collections des grands musées.

Dans ce cas, internet a la même fonction qu’un centre de documentation.

Par ailleurs, la création sur internet ne relève pas toujours d’individus se proclamant « artistes » ou de « produits » proclamés au départ comme des œuvres. Actuellement, sur internet peut être déclaré « œuvre » ce que la communauté (celle des internautes et parmi eux les critiques de l’art technologique) décide de reconnaître comme tel, au-delà parfois des intentions initiales des auteurs. Il peut s’agir là d’une évolution durable quant à la pratique artistique et au statut de l’artiste.

Les moyens du multimédia L’intérêt du multimédia repose sur un ensemble de conditions. L’ « objet » sémiotique (visuel, sonore, textuel, tactile ou proprioceptif) généré par l’ordinateur est le résultat de l’intervention des destinataires sur un autre objet, non matériel et potentiel : le programme informatique résidant dans la machine. Le regardeur – qui n’est alors plus qu’un simple spectateur – se voit ainsi confier une certaine fonction auctoriale. Le spectateur a en 21 BUREAUD, Annick, Pour une Typologie de la Création sur Internet, texte du colloque RAT Réseau Art Technologique organisé par CYPRES, 1997.

Blandine Cordellier Maîtrise de Sociologie Sous le direction de Olivier THEVENIN Université de Besançon, Franche-Comté

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général tout son temps. Sans ce coauteur, l’œuvre demeure pure potentialité, ni morte, ni vivante, juste dans l’attente de son actualisation.

Or ces conditions ne sont pas toujours réunies. Trop d’œuvres se contentent de proposer au spectateur un rôle des plus réduits où il n’a le choix qu’entre quelques bifurcations, liens hypertextes indigents et mécaniques. Si la sensibilité et l’efficacité multimodale des interfaces, la complexité

des

programmes

favorisent

et

enrichissent

le

dialogue

homme/machine, l’art interactif ne se réduit pas à une simple manipulation techniciste. Certains environnements interactifs, dont la programmation fait appel à l’exploitation d’algorithmes génétiques ou à des réseaux neuronaux inspirés des sciences de la vie et de l’intelligence artificielle, offrent des conditions de dialogue et d’écriture commune qui sont tout à fait novateurs 22.

Le multimédia en ligne nécessite le même équipement que le multimédia hors-ligne, mais il faut lui ajouter les interfaces donnant accès aux réseaux numériques. Cependant, dès lors que l’utilisateur se connecte sur le réseau (en général le web) d’importants changements interviennent. Internet, en effet, est un espace virtuel sans frontière, qui s’étend hors de toute institution et de tous les lieux conventionnels de l’art, ouvert à tous, du moins en principe : une sorte de terrain de jeu à la dimension du monde, une utopie. La formule, qui en elle-même est révolutionnaire, est adoptée par beaucoup d’artistes. Les institutions l’utilisent aussi de plus en plus, car elle leur permet de se doter à moindres frais d’une vitrine moderne. Le web introduit un mode de communication différent, caractérisé par un type de liaison capable de mettre en contact, en temps réel, un certain nombre d’internautes entre eux. L’espace du réseau met en jeu un type de liaison multimodale entre les utilisateurs sans précédent : la liaison de tous vers tous. Chaque internaute est à la fois récepteur et émetteur. Cette liaison « tous vers tous », et il faut ajouter « tout de suite », car elle tend vers le temps réel, incline fortement vers des formes d’art participatives, collectives ou collaboratives.

22

Art/Cognition, Pratiques Artistiques et Sciences Cognitives, Ouvrage collectif, Co-édition CYPRES/Ecole d’Art d’Aix-en-Provence, Aix-en-Provence, 1994.

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L’art interactif est conçu – et doit l’être – pour que la subjectivité du spectateur s’exprime le plus librement possible à travers ses choix, ses gestes, son regard, même si cette expression exige d’être encadrée par certaines contraintes. Il est évident que cette relation ne s’établit pas du jour au lendemain, et qu’une éducation progressive du public est nécessaire. Malheureusement, cette éducation est trop souvent laissée à l’initiative du seul spectateur qui doit découvrir seul, sans aucune aide, les règles de navigation ou d’interaction. Il se transforme alors en machine à cliquer, cliquer, cliquer, qui clique sur n’importe quoi sans raison ni conscience du geste et qui abandonne très vite.

Les réseaux de communication Il semble donc que l’art contemporain dans sa quête d’une structure de dialogue s’oriente vers l’intensification des échanges avec le spectateur et s’inscrive dans la continuité de l’art sociologique. En plus, la transmission devient une source de production d’œuvres (une sorte de ready-made invisible). L’utilisation des réseaux de communication multimédias permet un

développement

élargi

de

l’art

sociologique.

Ces

« artistes

sociologiques » émettent sur ces réseaux des signaux très provocateurs et riches d’un grand nombre d’informations. Mario Costa23 qualifie Fred Forest comme « l’un des premiers à avoir compris que l’univers des informations est désormais entièrement dominé par les médias de communication de masse ». Il a écrit d’ailleurs que la plus grande partie de la production artistique, inspirée par le marché, et légitimée par les institutions muséales, n’est plus en adéquation avec les matériaux, les supports, les pratiques les formes, les préoccupations de notre vie présente, celles que nous vivons au jour le jour. « Production de type artisanale, repliée sur des modèles et des

systèmes

de

référence,

appartenant

à

une

histoire

de

l’art

figée. Nullement constitutive d’une pensée et d’un langage propres à notre condition, ici et maintenant. Coupure significative qui, dans le champ de l’art clos, démontre que le pouvoir économique du marché est capable, contre toute attente, de faire perdurer des modèles obsolètes… Modèles esthétiques, et idéologies anachroniques, qui n’ont plus aucun rapport avec 23

COSTA, Mario, De l’Art Sociologique à l’Esthétique de la Communication, Z’Editions, Nice, 1995.

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l’imaginaire et le symbolique de notre vécu. Les premières lézardes sont apparues. Elles ne cesseront de s’élargir, la crise du marché se doublant d’une crise du sens et des valeurs » 24. Il est temps que d’autres arguments et d’autres considérations viennent nourrir un débat dans lequel les artistes de la communication et des nouvelles technologies, marginalisés jusqu’à ce jour, vont désormais jouer un rôle déterminant. Ils doivent en effet quitter la position discrète de chercheurs qu’ils occupent depuis une dizaine d’années dans les laboratoires pour s’exposer et investir le champ social, revendiquer la place légitime qui leur est due.

Les nouvelles technologies ont modifié le processus de communication de telle sorte qu’il est aujourd’hui difficile de ressentir la spécificité de chaque médium. L’expansion de cet outil provoque même des réactions de rejet, par la sensation d’exclusion qu’elle entraîne. Internet sert-il à quelque chose ? Le réseau ne va-t-il pas totalement déshumanisé la communication entre les hommes ? Ne représente-t-il pas un véritable danger par son caractère incontrôlable et par la présence d’internautes mal intentionnés ?

Dans l'état actuel de notre relative méconnaissance des enjeux sociaux liés à son développement, n'est-il pas plus urgent d'enquêter sur la « réalité des pratiques » de l'internet plutôt que sur les rêves, fantasmes, utopies, idéologies et autres mythes qui accompagnent son développement ? Via les nouvelles technologies d’information et de la communication se développe un imaginaire populaire, différent des travaux artistiques et scientifiques.

Les technologies servent de support émotionnel et de connaissance dans une société d’intelligence par le technologique. En 1950, Gaston Bachelard nomme Eidétique ce type d’approche. L’épistémologie ou la réflexion sur la science et la poétique sont les deux thèmes principaux autour desquels s’articule son oeuvre. Le monde construit par la science n’est ni notre représentation ni notre convention, mais notre « vérification »25. Tout en insistant sur l’évolution et la plasticité des principes, cette philosophie demeure d’un rationalisme rigoureux. Il est vrai que la science modifie sans 24

FOREST Fred dans Art/Cognition, Ouvrage collectif, CYPRES, Ecole d’Art d’Aix-en-Provence, 1994.

25 BACHELARD, Gaston, Le Nouvel Esprit Scientifique, P.U.F., Paris, 1934.

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cesse nos principes. Psychanalyser l’esprit scientifique à la recherche et à la détection de valeur et projections inconscientes entravant le savoir fut l’un des concepts fondamentaux de cet homme à la carrière hors du commun. Son rationalisme appliqué est conçu comme un centre actif où s’échangent les vérités de la raison et les vérités d’expériences. La raison se construit en dialoguant avec l’expérience et en s’appliquant à elle.

Cette évolution des pratiques des corporations en ligne ne s'est pas traduite

par

une

modification

de

l'imaginaire

de

la

communauté

électronique. L'idée d'un groupe virtuel où tout le monde s'exprime de façon égalitaire continue à dominer. L'utopie devient dans ce cas une idéologie qui masque en partie la réalité, mais simultanément mobilise les acteurs.

Au moment où internet commence à occuper le devant de la scène médiatique en 1994, le dispositif technique s’est façonné progressivement depuis plus d’un demi-siècle. Tout d'abord, il est important de préciser que l'une de ses principales particularités tient au fait qu'il se soit développé dans le cadre d'une économie non-marchande et que ses concepteurs étaient eux-mêmes les utilisateurs. Cette situation permettait ainsi d'éviter les tensions habituelles entre l'imaginaire des premiers et celui des seconds.

Par ailleurs, si l'origine militaire d’internet est souvent évoquée, il paraît surtout important de rappeler que ses principales caractéristiques sont directement inspirées des valeurs de la « république des informaticiens », celle-ci pouvant être définie comme une communauté d'intérêt relativement fermée et homogène travaillant dans un esprit de coopération, où le statut de chacun repose essentiellement sur le mérite évalué par ses pairs.

Durant les premières années de son élaboration, il s'est développé au sein de la communauté très circonscrite des chercheurs informaticiens avant d'essaimer dans toute la communauté académique, puis dans certains milieux communautaires. Plutôt que de décrire les différentes étapes de l'innovation technique au sein du « collège invisible » des scientifiques d'une part, et des communautés virtuelles des hackers d'autre part, il peut être évoqué à très gros traits les conditions du développement de l'internet.

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Dans le prolongement direct de cette république, certains milieux contreculturels vont également élaborer leur propre imaginaire qui va s'incarner dans les différents projets de communautés en ligne. « Cette culture des hackers partage le même refus de l'informatique centralisée. La grande différence entre les deux cultures vient de ce que les hackers ont une vision beaucoup plus large de l'usage et de l'avenir de l'informatique. Ce n'est pas seulement un outil intellectuel pour universitaires, mais un dispositif à mettre entre les mains de tous, capable de bâtir non seulement de nouveaux collèges invisibles, mais aussi une nouvelle société. » 26 Une vision libertaire des TIC27, qui évoque une « technodémocratie », contribue à introduire des formes politiques nouvelles basées sur des systèmes autorégulés et libérés de tout contrôle extérieur, d’où peut émerger une citoyenneté planétaire, bien qu’ayant tendance à appuyer les logiques « technico-économiques » dominantes dans leur promotion de la société de l’information.

Définir les concepts de « critique » et d’ « esprit » afin d’en comprendre la dialectique établie est l’une des idées clés développées par Luc Boltansky et Eve Chiapello

28

dans Le Nouvel Esprit du Capitalisme pour comprendre

l’affaiblissement de la critique de l’esprit capitaliste au cours de ces quinze dernières années dans l’espoir de relancer l’action politique à partir de l’analyse et la compréhension des phénomènes historiques. Publié il y a plus d’un an, cet ouvrage a renouvelé considérablement le débat sur le capitalisme et les modèles qu’on pouvait lui opposer. Les auteurs prennent en effet comme point de départ leur interrogation sur le contraste saisissant qui a marqué ces trente dernières années. Ils viennent à en distinguer deux types de critique : une sociale du capitalisme dénonçant la misère et l’exploitation, très affaiblie à partir des années 70 - ponctuellement avec le succès de la gauche radicale, la critique sociale renaît -, et une dite « artiste » qui s’est développée dans la foulée de mais 1968, dénonçant plutôt l’aliénation psychologique que font subir les conditions de travail aux salariés.

26

FLICHY, Patrice, L'imaginaire de l'Internet, Editions La Découverte, Paris, 2001.

Les Technologies de l’Information et de la Communication ne sont désormais plus très nouvelles…

28 Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris, il est un des membres fondateurs de l’ « École des Conventions ». Avec Eve CHIAPELLO, il a écrit Le Nouvel Esprit du Capitalismes aux Éditions Gallimard, Paris, 1999.

27

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Dans le même temps, les ravages écologiques et culturels de la société de consommation sont dénoncés. L’objectif principal est de démontrer que la critique artiste qui revenait à dénoncer le matérialisme consumériste est récupérée et intégrée par les entreprises, sous la forme de mise en œuvre de

nouvelles

méthodes

managériales

(fonctionnement

par

projet,

responsabilisation des salariés, écrasement des hiérarchies internes, intéressement aux résultats de l’entreprise) et d’une réorientation des stratégies par le développement des dimensions identitaires et culturels des produits, un marketing éthique, écologique vers l’imaginaire et l’immatériel. C’est une plaidoirie pour une critique tenace, menaçante et inventive face à un capitalisme apte à se transformer, qui doit être à la fois créative et sociale.

Patrice Flichy29 distingue trois types à partir des principaux usages. : ceux qui recherchent avant tout la performance technique, qui s'inscrivent dans le courant de la contre-culture et du mouvement hippie ou qui se sont mis au service des projets communautaires nés de la société civile. En dépit de leur diversité, écrit-il, ces différentes communautés électroniques se distinguent avant tout des équipes discrètes des chercheurs par le fait qu'il existe une distance plus grande entre l'utopie initiale et sa réalisation. D'une part, l'aspect local s'efface petit à petit derrière l'aspect universel, d'autre part, le caractère de communication,

d'échange

égalitaire

qui

se

trouvait

à

l'origine

des

communautés semble ne pas vraiment correspondre aux pratiques réelles. Du spectre sociologique des technologies de l’information et de la communication découle des questionnements philosophiques légitimes : l'information est-elle source de valeur ? L'intelligence est-elle réductible à la logique ? L'intelligence collective est-elle un véritable phénomène émergent ou une modélisation de laboratoire ? Peut-on ramener la vie à des processus de transmission de l'information génétique ? La technique est-elle l'infrastructure du développement historique ? Comment l'humanité est-elle amenée à transformer la conscience qu'elle a d'elle-même ? La marchandisation du monde est-elle un processus irréversible ? La modernisation d'une société se confond-elle nécessairement avec son occidentalisation ? Les idées ont-elles des frontières ? Les lois de l'évolution s'appliquent-elles aux représentations collectives ? La notion de 29

FLICHY, Patrice, L'imaginaire de l'Internet, Editions La Découverte, Paris, 2001.

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vérité d'une information a-t-elle un sens ? L'universel est-il autre chose que la projection de valeurs particulières ?

Ces questions - et il y en a bien d'autres – avec lesquelles internet s'interprète comme une matérialisation historique forment aujourd'hui la vague montante de l'interrogation scientifique et philosophique. Serge Proulx et Philippe Breton tentent au sein d’un même ouvrage30, exhaustif et riche de contenu, d’expliquer le développement des communications dans divers domaines. Ils interrogent des notions actuellement très utilisées comme société d’information, réseaux, communauté virtuelle, mondialisation ou impérialisme. La question de savoir « où en sommes-nous aujourd’hui ? » amorce la réflexion sur le devenir des technologies de l’information et de la communication et des paradigmes informationnels étendus. Les éléments de réponse proposés penchent vers l’essor de l’interdisciplinarité. Reste à savoir quelles nouvelles pratiques sociales vont se mettre en place, suite aux nouvelles possibilités induites par les technologies.

Le développement alternatif Père de l’autogestion, de l’anarchie et du fédéralisme intégral, théoricien socialiste français, Pierre-Joseph Proudhon n’apparaît pas loin de la notion de mutualisation des informations que véhicule internet. La dénonciation des injustices et des abus inhérents à la propriété privée était, depuis l’Antiquité, un thème constant de la pensée sociale. Néanmoins, la critique de la propriété en tant qu’une institution31, à laquelle Proudhon se livre fait scandale. Il se place dans la lignée du socialisme utopique de Fourier. Le « phalanstère » est fondamentalement conçu dans l’œuvre de Charles Fourier comme le dispositif expérimental central destiné à démontrer par la pratique, la validité de ses théories du monde social32. Proudhon envisage, lui, une société fondée sur des 30

BRETON, Philippe & PROULX, Serge, L’Explosion de la Communication à l’Aube de XXème siècle, Editions La Découverte, Paris, 2002.

31 Qu’est-ce que la propriété ? en 1840.

32 FOURIER attire tout d’abord l’attention sur les conditions géographiques de cette expérimentation : l’essai, en particulier, doit être localisé près d’un cours d’eau, sur un terrain propice à la plus grande variété possible de culture, mais néanmoins à proximité d’une grande ville. Le protocole expérimental intègre ensuite un certain nombre de prescriptions sociologiques, portant sur la structure même de la « Phalange » qui doit venir l’habiter et l’animer : celle-ci doit en effet regrouper, selon des règles de composition minutieusement élaborées, des personnes présentant la plus grande variétés possible de fortune, en âges et en caractères. Dans Théorie de l’Unité Universelle en 1822 les tableaux résumant la distribution de la Phalange portent un témoignage particulièrement spectaculaire de la précision des Blandine Cordellier Maîtrise de Sociologie Sous le direction de Olivier THEVENIN Université de Besançon, Franche-Comté

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relations éthiques et dénonce les perversions engendrées par la propriété collective. Sa pensée évolue vers le mutualisme social et s’engage dans une voie de plus en plus réformiste. En 1849, après le premier échec de sa « banque d’échange » qui propose un système fondé sur des échanges de produits, il fonde une « banque du peuple » qui offre un crédit gratuit mais échoua également. Pensant l’anarchie comme la condition d’existence des sociétés actuelles, P.J.Proudhon expose les principes qui inspirèrent plus tard le syndicalisme révolutionnaire. Les grandes unités de production industrielle devaient être transformées en associations de travailleurs qui échangeraient librement leurs produits. Mutualiste du point de vue social, ses recettes n’ont pas vraiment fait affaire. Mais, les utopies qui animaient Proudhon, ou Fourier, ont été dépoussiérées. Elles peuvent de nouveau nous re-proposer un peu de rêve. Ce mot « utopie » depuis longtemps est à la fois utilisé comme un ailleurs inaccessible, mais aussi comme une sorte d’idéal nous permettant de nous engager dans la transformation du monde. Il est certes difficile de trancher à ce propos, mais ce sont des questions qui sont toujours présentes dans les discussions que nous avons dans les milieux alternatifs. Alain Pessin en a décortiqué l’appareillage théorique qui peut permettre d’aller plus loin.33 L’utopie de la communication universelle est le pilier du mythe qui entoure internet dans les discussions électroniques comme dans beaucoup d’articles de presse.

Cependant, cette démythification n’est qu’une étape dans l’analyse et la compréhension d’internet. Il faut encore aller au-delà de son étiquette commode pour voir la diversité des phénomènes, différencier les formes de services, les publics et les usages. Il reste à s’interroger sur le rôle des portails, des moteurs de recherche (avant de soutenir que l’on circule librement sur le web), à comprendre le rôle des échanges numérisés dans la formation des collectifs (des chercheurs, des patients, des militants, des groupes professionnels…), à voir les effets du commerce électronique sur le marketing, sur les acheteurs, sur la fabrication des biens et des services, bref sur les marchés…

La réalité de l'utilisation de l'internet se laisse donc difficilement réduire à une représentation fantasmatique de l'ouverture de l'information contre règles de compositions « sociologique » du groupe d’essai. Un examen complet serait de faire état d’une ultime expérience fouriériste : celle du « Familistère » créé par Jean-Baptiste GODIN à Guise. Il fut conçu et mis en œuvre bien après la désintégration de l’École Sociétaire mais mérite l’attention dans le cadre d’une analyse des relations mouvementées entre la théorie de l’expérimentation sociale et sa mise en œuvre pratique, par la volonté de GODIN et les principes de cette doctrine.

33 PESSIN, Alain, L’Imaginaire Utopique Aujourd’hui, Editions PUF, 2001.

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l'obscurité de l'entropie. Internet est plutôt l'expression du monde dans sa diversité, c'est-à-dire un entrelacement complexe d'opinions individuelles ou collectives, de stratégies idéologiques ou commerciales, d'affinités électives et sélectives, de croyances rationnelles ou irrationnelles... Internet peut être l'invention de nouveaux rapports à soi et aux autres, qui s'ajoutent aux anciens plus qu'ils ne les supplantent, et non un culte unifié. Les nouveaux réseaux globaux de communication alternative ont-ils un rôle particulièrement important à jouer pour l’émergence d’une « société civile globale » ?

Ceux qui s'expriment sont rares. La grande majorité observe. En fait, la plupart des usagers semblent utiliser l'informatique en ligne de la même façon que les médias de masse traditionnels.

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Terrain : la Friche la Belle de Mai

Une pépinière d’artistes Depuis presque vingt ans déjà, des aventures artistiques et culturelles, tout à fait singulières, sont menées un peu partout. Des collectifs d’artistes investissent des friches industrielles ou agricoles, des squats artistiques, des fabriques34. D’autres font le choix de placer leur expérience sous le sceau de l’itinérance ou de l’éphémère. Toutes ces initiatives ont en commun l’objectif d’être un laboratoire ou l’émergence concrète d’un nouveau rapport entre l’art et la société, d’une présence inédite des artistes dans la cité. « La Friche35 n’est ni un modèle, ni une alternative, ce n’est peut-être finalement qu’un des multiples aspects de cette formidable capacité des hommes à déjouer les systèmes qui les empêchent de parler. » Sans cesse reprise lors des communications faites autour de la Friche la Belle de Mai, ces précédents propos sont de Philippe Foulquié, fondateur et actuel directeur. La Friche la Belle de Mai, cet immense projet culturel, englobe l’ensemble des résidents accueillis à la Belle de Mai par Système Friche Théâtre (SFT, association loi 1901) et ayant une activité liée à l’artistique : producteurs, compagnies, artistes, médiateurs… SFT est le fondateur, l’animateur et le développeur du projet. Il en est aussi le gestionnaire du lieu. La Friche est donc un ensemble poly-nucléaire organisé dans une communauté de sens et d’action.

L’histoire commence dans un autre quartier de Marseille en 1990 au n° 31 du boulevard Magallon dans le 15 e arrondissement. Dans cette ancienne 34

En février 2002, se sont réunis à la Friche la Belle de Mai de Marseille des responsables de structures culturelles du monde entier pour trois jours de rencontres et de réunions autour des NTA, Nouveaux Territoires de l’Art. Les dernières heures des Rencontres Internationales ont été intenses et placées sous le signe du temps, de l’échange et de l’avenir. En somme apparaît l’exigence d’une humanité à inventer toujours par le poème, et à ne jamais séparer de ce qui fait communauté. Tout reste à faire, ici, ailleurs, dans le présent d’abord.

35 Il s’agit là de celle de la Belle de Mai. D’autres existent à Marseille : Les Abattoirs… En France : Mains d’œuvre à Saint-Ouen, Le Transpalette à Bourges, Le Lieu Unique à Nantes… En Europe : Tacheles à Berlin, Le CESTA à Tabor (République Tchèque), ChristianHavn à Copenhague… Et dans le monde entier.

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graineterie, l’équipe de Système Friche Théâtre a installé son campement et accueille les premières productions de théâtre et de danse qui vont permettre de forger les principes fondamentaux de son travail. C’est à la demande de Christian Poitevin36 que Philippe Foulquié et Alain Fourneau, respectivement directeur du Massalia Théâtre de Marionnettes et directeur du Théâtre des Bernardines, ont créé cette nouvelle structure pour développer dans les friches de Marseille de nouvelles formes culturelles, sur un principe de nomadisme, de transversalité artistique et de mélange des publics.

Après 18 mois à la Friche Magallon, l’ancienne manufacture des tabacs de la Belle de Mai, déjà approchée en 1990, va pouvoir être investie par l’association avec un convention d’occupation précaire. Des 4500 m2 de la graineterie du boulevard Magallon, l’association passe, d’un salarié permanent et d’un responsable technique intermittent, à 45000 m2 soit le tiers du site qui a été abandonné par la Seita quelques mois plus tôt.

Le site se trouve derrière la gare Saint-Charles. Dans ce quartier populaire – 3 e arrondissement –, à la charnière de l’hypercentre et des quartiers Nord, ces 120000 m2 de planchers sont le résultat des phases d’industrialisation successives du XIXe et du XXe siècle qui ont vu s’installer la manufacture des tabacs de la Seita et la raffinerie de sucre Saint-Charles. Au cours du XXe siècle, la Belle de Mai est devenue le grand site industriel du tabac pour l’ensemble du Sud-Est. Plusieurs milliers de salariés ont travaillé dans cette usine qui représentait une mémoire collective du développement économique et de la lutte sociale. L’abandon par la Seita, à la fin des années 80, de l’usine au profit d’autres restructurations, entraînera une perte de près d’un millier d’emplois. L’usine était constituée de trois îlots de facture architecturale différente.

L’association est nomade depuis son arrivée, à l’intérieur des trois îlots, en fonction des aménagements urbains, des acquisitions foncières et des différents usages du site. Les bâtiments proposent des espaces inouïs offrant des espaces scénographiques exceptionnels. La diversité des 36

Élu, adjoint délégué à la Culture de la Ville de Marseille Christian POITEVIN est aujourd’hui reconnu sous son pseudonyme d’artiste poète Julien BLAINE. Blandine Cordellier Maîtrise de Sociologie Sous le direction de Olivier THEVENIN Université de Besançon, Franche-Comté

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volumes, des éclairages, la répartition des lieux autour d’espaces libres vont permettre une appropriation progressive du site. La qualification des espaces évoque la poésie de ce paysage urbain avec « la forêt », « la salle des colonnes », « la terrasse », « la cathédrale »…

L’association, soutenue par les équipes des deux théâtres, ouvre le lieu en accueillant d’autres initiatives, d’autres artistes qui vont, de façon très empirique, structurer le projet, le définir, le développer. Aux côtés des producteurs de théâtre, une structure de production musicale, un collectif de plasticiens, un journal, une radio vont venir proposer leur projet et inventer un dispositif qui va se fonder sur le découplement de la fonction de production et la fonction d’accueil. Confrontée au gigantisme du lieu, l’association – qui, sur le premier site, avait coréalisé des opérations artistiques – va se focaliser sur l’aménagement et la mise en sécurité des bâtiments.

De

résidence

en

résidence,

de

programmation

en

programmation, la Friche la Belle de Mai devient en quelques années l’un des principal pôle de création et de pratique culturelle de la ville, forgeant ses propres missions en fondant son projet sur les paroles d’artistes qu’elle accompagne. En 1993/94, le Théâtre Massalia s’affirmera progressivement comme le principal producteur du site transférant la totalité de son activité dans le lieu. Philippe Foulquié, qui assumait déjà une part important de la direction du projet, en assumera, désormais seul, la responsabilité.

L’équipe de l’association qui s’est étoffée de personnalités venant de divers horizons se trouve ainsi renforcée par celle de Massalia qui s’impliquera, outre sa programmation directe, dans la vie du lieu. Cette structuration de la production se fera également par la suite avec la musique et l’Aide aux Musiques Innovatrices (AMI) de Ferdinand Richard37 qui assumera à partir de 1994 une responsabilité artistique et politique au sein du projet.

Des ateliers, des lieux conviviaux sont aménagés et plusieurs salles capables d’accueillir du public. Le développement du nombre des structures

culturelles

gravitant

autour

de

Système

Friche

Théâtre,

l’accroissement de leurs activités, donnent une nouvelle dimension au projet. La Friche la Belle de Mai est devenue le centre d’une dynamique 37

L’AMI, par son positionnement atypique dans le champ de la musique, tente une nouvelle approche, non pas concurrente mais plutôt complémentaire, y compris du marché privé.

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culturelle

unique,

basée

sur

un

processus

d’exploration

et

de

développement artistique. Quelques chiffres sont révélateurs d’une activité sans cesse croissante. Chaque année, plus de 500 évènements sont présentés, 900 artistes français et étrangers viennent y travailler, y créer et y montrer leurs œuvres. Pas loin de 30000 heures de formation professionnelle et d’initiation y sont dispensées. Plus de 70 structures soit 450

individus

–

producteurs

artistiques,

compagnies,

pépinières

d’entreprises, services, groupement d’employeurs, équipes artistiques, médias – travaillent en permanence. Et plus de 100 000 personnes viennent annuellement, soit à travers des démarches accompagnées, soit à leur initiative propre.

Dès les premiers jours de l’utilisation du lieu, Philippe Foulquié a envisagé un devenir en interrogeant la capacité de la culture à être un facteur de développement local. Et si la culture était l’alternative économique dont cette ville et ce quartier avaient besoin ? La localisation d’un programme patrimonial

(Archives

l’établissement

public

Municipales

et

CICRP 38), 39

Euroméditerranée ,

l’arrivée

la

création des

de

nouvelles

technologies et la reconnaissance internationale, le travail de création artistique mené par

les producteurs sont autant d’atouts successifs.

L’association les mettra en œuvre pour la fondation d’un pôle culturel et urbain qu’elle formalisa en 1995 avec son président de l’époque, Jean Nouvel 40 dans un document nommé La Friche la Belle de Mai, un Projet Culturel pour un Projet Urbain. L’acquisition progressive par la ville de la totalité du site, et l’engagement d’Euroméditerranée dans le développement de la filière économique de la culture, ancrera définitivement le pôle autour de cette projection.

La stratégie qui, hier, visait un aménagement d’espaces urbains nouveaux s’est peu à peu transformée en réhabilitation de patrimoine. Après avoir pensé la ville du futur se met-on à la penser comme un espace de voyages 38

Centre Interrégional de Conservation et de Restauration du Patrimoine installé dans l’îlot 1.

39 L’établissement public Euroméditerranée que la dimension culturelle irrigue l’ensemble du site. Parce que la culture fait partie des déterminants importants de la localisation des firmes, parce que la culture est un des moyens les plus puissants d’insertion dans la société, parce que Marseille est une terre historique de brassage d’idées, de connaissance et de création.

40 Personnalité phare de l’architecture contemporaine, Jean NOUVEL développe à l’occasion de chacun de ses projets architecturaux un travail unique, original et dynamique, que ce soit avec l’architecture légère de la Fondation Cartier (Paris, 1994) ou avec celle de l’Institut du Monde Arabe (Paris, 1987).

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23/09/03

en elle-même, une profondeur de ses histoires ? Naturellement, cette révélation fantastique n’est pas revenue toute seule. Elle a été ramenée par l’économie protectionniste qui se renforce toujours en période de récession.

Elle fait aussi l’objet d’opérations fructueuses par les promoteurs de lofts ou de quartiers rénovés. C’est en 1998 que les autorités locales comprennent l’enjeu majeur que constitue ce « quartier culturel » atypique et acquièrent les 27000 m2 de l’îlot 2 pour y développer un hôtel d’entreprises dédié aux métiers du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia.

La Friche a toujours affirmé l’importance économique de la culture. Qu’il s’agisse de création d’emploi, de valorisation à travers le multimédia, l’audiovisuel, la musique, l’édition, les médias ou du développement des relations internationales, du

rayonnement

de

sa

ville, elle

démontre

constamment que les artistes, les auteurs, sont dans l’économie et que l’économie est dans la culture. Elle construit des outils et des structures interfaces entre la production artistique et le développement : formation initiale et professionnelle, missions d’études et de développement économique pour le compte

d’institutions,

Espace

Culture

Multimédia

(ECM),

Groupement

d’Employeurs pour l’Insertion et la Qualification (GEIQ), coopération avec la pépinière d’entreprises de Marseille Innovation, l’Incubateur Multimédia…

En l’espace de 10 ans, de nombreuses collaborations avec le privé ont été instaurées sur des projets de l’équipement ou des services montrant qu’il faut formaliser des relations de partenariat durables pour tirer parti des synergies possibles entre développement économique et dynamisme culturel. L’enjeu immédiat est de favoriser le transfert des contenus vers l’économie et de faire en sorte que la créativité nourrisse les productions commerciales. Le souhait est qu’il y ait en 2004/05 sur le site autant d’artistes que d’entrepreneurs. Il s’ouvre, dans la continuité du développement rapide, un vrai chantier de construction d’interfaces, de fertilisation croisée et de mixité entre auteurs et entrepreneurs. Un groupe de travail « économie et culture », dirigé par Philippe Saumande41 de Bleu Sud, agit dans ce sens. La nomination de Robert Guédiguian42 au titre de président l’année dernière permet de passer des 41

Conseiller en communication et développement.

Réalisateur de L’argent fait le bonheur, À la vie, à la mort, Marius et Jeannette, À la place du cœur, À l’attaque, La ville est tranquille, Marie-Jo et ses deux amours, Mon père est ingénieur. Il parle de choses dont personne 42

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23/09/03

aménagements architecturaux du site à l’essor économique que peut impulser le cinéma43 à l’échelle internationale.

Au risque de perdre son essence, ce lieu se plie à l’hégémonie du pouvoir – politique et économique – et profite encore heureusement de sa notoriété mondiale fondée sur le développement des cultures urbaines – rap, hip hop, graffiti –, la présence de cultures émergentes – nouvelles technologies et musiques électroniques ou la diffusion de poésie, de théâtre, de traditions en marge. L’intégration d’une nouvelle économie de la culture « à l’américaine » se fait lentement. Les nouvelles générations savent quel avenir les attend. La réalité de ce lieu et les possibles projets semblent coincés par des logiques d’institutionnalisation et de légitimation.

Dès 1994, le multimédia s’est révélé un outil d’écritures artistiques, de transferts de savoir, un formidable moyen de développement et de diffusion de la culture, un enjeu citoyen pour l’accès de tous à ce nouvel univers de communication. Cette analyse a conduit à la création de l’ECM, à l’accueil et la coopération avec l’Incubateur Multimédia de produits et services éducatifs et culturels de l’éducation nationale et la pépinière d’entreprises de Marseille Innovation, à l’accueil et la coopération avec des producteurs artistiques proches de ce champ (CYPRES Centre international de pratiques, recherches et échanges transdisciplinaires, Vidéochroniques, Groupe Dunes, Euphonia…). Ces acteurs de terrain ont constitué une plate-forme avec l’objectif de soutenir le développement de la production de contenus artistiques, éducatifs et culturels multimédias…

L’intérêt des artistes, des publics et des structures culturelles pour ce nouvel outil, sa dimension transversale et interdisciplinaire, les enjeux à terme,

ont

conduit

à

développer

un

espace

multimédia

renforcé.

Aujourd’hui, l’ECM est en passe de devenir un centre de ressources culturelles. En effet, il expérimente les usages et les pratiques du multimédia en offrant un accès libre, gratuit et accompagné des publics ne parle, filme des décors que personne ne filme et travail avec des acteurs que personne ne connaît ou presque (Ariane ASCARIDE, Jean-Pierre DARROUSIN…).

43 Tous les longs métrages de fiction tournés à Marseille qui ont été sélectionnés au Festival de Cannes ont été accueillis en résidence à la Friche : Bye-Bye de Karim DRIDI (1995), Marius et Jeannette de Robert GUÉDIGUIAN (1997), A vendre de Laetitia MASSON (1998), Comme un aimant de Kamel SALEH et AKHÉNATON (2000), Roberto Succo de Cédric KAHN (2001) et MarieJo et ses deux amours de Robert GUÉDIGUIAN (2002).

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23/09/03

pour un outil de fond. L’ECM explore et produit de nouvelles écritures avec les artistes et les publics qu’il accueille, en permettant aussi à nombre d’organisations culturelles de la Friche d’accéder au web par le transfert de ses savoir-faire (accompagnement des publics, production…) vers d’autres porteurs de projets régionaux, nationaux et internationaux.

Des niveaux de typologie L’état des lieux du numérique à la Friche a pu être défini au cours d’entretiens semi-directifs avec deux éminents personnages fortement liés au multimédia. Il s’agit d’Emmanuel Vergès, directeur de l’ECM de SFT et de Louis Bec, directeur de CYPRES. Trois classifications liées à la production sont repérables. Un premier niveau peut être celui de l’ « Édition », par laquelle s’opère une communication sur le web des différentes démarches. Les sites de références sur le serveur de la Friche pourraient être ceux de Système Friche Théâtre, du Théâtre Massalia, de l’A.M.I. ou celui de Paquito Bolino et Caroline Sury du Dernier Cri. À un second niveau, il s’agirait plutôt de « Médiation » en prolongement des créations artistiques. L’abécédaire numérique44 de la compagnie La Liseuse, réalisé par Renaud Vercey en serait l’exemple récent, comme l’exploitation du cybercafé au Cabaret Aléatoire. Cela correspond aux différentes entrées dans l’univers des artistes et représente un véritable travail de production. En dernier lieu, seraient considérés les sites dits de « Création » à l’image des projets développés par CYPRES (Alterne et eGalab), des galeries virtuelles de Vidéochroniques ou du projet Tchoutchouka45. Il est intéressant d’envisager une typologie schématique 46 de la production de contenu en fonction des 44

Installation multimédia interactive présentée du 20 au 24 mai 2003 au Cabaret Aléatoire pendant Non Seulement…, dernière création de Georges Appaix et sa compagnie coprogrammée par MOD et SFT à la même période.

45 11ème biennale des jeunes créateurs d’Europe et de la Méditerranée au Cabaret Aléatoire de la Friche la Belle de Mai, le 26 mai 2003, à Athènes du 6 au 15 juin 2003. Le projet du workshop multimédia est de proposer un travail sur l’image, l’imaginaire des villes de Marseille et d’Alger autour d’un générateur graphique et sonore. Ce générateur est un outil de création multimédia qui permet à chacun d’exprimer et de s’exprimer dan cadre de création collective. Le public sera amené à construire et déconstruire cet univers par s’intermédiaire du clavier de la machine.

46 Entretien avec Louis BEC, directeur de CYPPRES en mai 2003. Une pensée schématique est une pensée de l’étendue. Ce type de pensée permet les relations organisatrices du chaos - dont les schèmes sont à trouver -, les Blandine Cordellier Maîtrise de Sociologie Sous le direction de Olivier THEVENIN Université de Besançon, Franche-Comté

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technologies et du public. Dans ce contexte, Emmanuel Vergès

évalue

l’autonomie des structures « résidentes » de la Friche la Belle de Mai à 75%, les autres 25% travaillent en collaboration avec l’ECM. 47 Une autre monographie se dessine, orientée vers les concepteurs et les oeuvres multimédia en ligne. Les questions sont à adresser directement aux artistes. Quelles sont les spécificités d’internet pour la création artistique ?

Comment appréhendez-vous les évolutions techniques ? Comment vous représentez-vous les internautes consultant votre site ? Quelles places prennent les internautes dans vos créations sur internet ?… Pourtant, une question d’ordre général semble avoir besoin d’être posée autour des nouveaux médias et des technologies qu’utilisent les internautes de la Friche. Quels en sont leurs usages ?

Espaces communs Il existe un lieu de sociabilité à la Friche la Belle de Mai – l’espace bar et restaurant – où il est possible de se rencontrer, d’échanger, d’apprendre à se connaître et d’y soumettre ses projets autour d’un verre ou d’un sandwich. Ce lieu est « le » lieu convivial du site. C’est donc à l’heure du déjeuner que j’ai discuté les premières fois de mon travail de recherche avec mes « collègues » et collaborateurs. La spécificité du travail de tous au quotidien ne nous amène pas forcément à travailler sur les mêmes projets, ce qui nécessite des temps de réflexion commune. Seuls les programmateurs, dans le cas où leurs choix sont montrés sur le site, peuvent plus souvent et facilement être en relation avec les différents services de Système Friche Théâtre.

L’utilisation des e-mails rend la diffusion de contenus, de comptes-rendus de réunion, des planings de réservation de salle, etc. plus rapide et plus simple mais ne remplace en aucun cas les temps de rencontre qui servent relations des éléments entre eux, par réflexion prospective. À partir de ces pratiques de repérage de données rigoureuse découle parfois des travaux « fabulatoires » proche de l’utopie. Une pensée de l’étendue permet de repérer quelques éléments qui entraînent une réponse circonstanciée, certes mais toujours interdépendante.

47 Entretien avec Emmanuel VERGÈS, directeur de l’Espace Culture Multimédia de la Friche la Belle de Mai en juin 2003.

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de moteurs à l’élaboration des évènements culturels des saisons. Le téléphone est la première ressource utilisée pour les échanges. La Friche la Belle de Mai est équipée de lignes internes et d’un standard général. Le réseau informatique est géré par des techniciens en poste à l’ECM. En fonction de leur volonté d’autonomie, de leurs besoins et de leur degré d’implication dans le projet global, les structures résidentes sont affiliées au serveur

www.lafriche.org. Avec le temps et l’expérience, certaines

associations se dotent de leur propre serveur et bénéficient ainsi de plus d’indépendance pour une visibilité planétaire de leurs activités. Certaines n’investissent à la Friche que leurs bureaux qui leur ont été attribués.

Le fonctionnement global de la Friche entraîne au sein des résidents de nombreuses polémiques, à tort ou à raison. La complexité des rapports est souvent remise en cause. Malheureusement ce reflet est celui de la difficulté que peuvent avoir les hommes à s’exprimer, à s’écouter, à communiquer. L’utopie véhiculée à travers le projet de la Friche exporte toutes les tensions émotionnelles, stimulées par des rêves d’idéal et de perfection. Ces maux laissent penser qu’une synergie existe, celle d’un rêve

ensemble ? L’implication citoyenne doit parfois faire face à un

« fonctionnariat » lentement construit sur le phénomène de financement de la culture, exception française, et sur un individualisme forcené, caché derrière l’objet d’associations prises en proie par l’exploitation économique et mondiale des activités.

Made in la Friche Sans pouvoir connaître tous les intervenants qui oeuvrent sur le site de la Friche la Belle de Mai, j’ai essayé de rencontrer un maximum de gens. Par ma mission de « chargée de communication et de développement des publics »48 au sein de Marseille Objectif Danse (MOD), il m’est important de tisser avec eux des liens forts. « Pour de bonnes conditions d’enquête ethnographique, il faut que trois facteurs soient réunis : un degré élevé 48

En décembre 2002, j’ai signé un CEJ de cinq ans avec Marseille Objectif Danse suite à trois mois de stage de fin de formation professionnelle aux métiers de l’exposition et aux technologies de l’information au sein de CYPRES sur le même type de poste.

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d’interconnaissance dans le milieu étudié, les moyens d’observation et d’une analyse réflexive, un temps d’enquête suffisamment long pour que se maintiennent des relations personnelles. » 49 Lors d’une précédente période de trois mois, j’avais pu commencer à faire connaissance avec une partie de la population résidente, artistes, diffuseurs ou producteurs.

Le « frichiste »50 s’avère tellement sollicité au quotidien par le public ou le curieux sur ses pratiques, ses activités ou ses relations médiatiques, qu’il en est devenu discret, réservé voir méfiant. Le développement de la Friche ces douze dernières années contribue à l’élaboration d’un idéal collectif à l’extérieur du site en prise directe avec sa renommée fondée sur ses chiffres, sa taille et ses propositions artistiques. En effet, la taille du site et la quantité de projets qui y sont menés créent une atmosphère proche du sublime, grande et inaccessible qui n’est pas faite pour calmer les ardeurs du moindre croyant. Le mythe existe. La Friche porte en elle l’utopie, mais la réalité se confronte au quotidien. Les problèmes rencontrés sont à peu près les mêmes que dans tout autre structure d’activité culturelle. Le rythme, parfois, n’est pas loin d’être celui de l’industrie.

Les enquêtés ne doivent pas se sentir observés, évalués, ni jugés. La réalisation de cette étude n’a donc pas été pour moi une simple affaire en souhaitant, évidemment, les meilleurs résultats possibles si tant est qu’il puisse y en avoir. Pour cette principale raison, ne figure aucune question trop personnelle sur leur formation, leur age ou leur vie privée dans le formulaire qui leur a été communiqué. Ces données étaient connues ou ont été récupérées par la suite. Pour devenir enquêteur, il faut s’armer d’une curiosité

rebelle

et

frondeuse,

à

la

fois

scientifique

et

politique.

Effectivement, regarder les choses dans le détail dérange, aller voir de plus près la réalité sociale tend à s’opposer aux forces qui imposent le respect, le silence et monopolise le regard du monde. « L’ethnographe est personnellement et fortement impliqué. L’expérience antérieure d’un dépaysement social de la part de l’enquêteur lui permet de mieux comprendre les gens de l’intérieur, de mieux restituer des points de vue 49

BEAUD, Stéphane & WEBER, Florence, Guide de l’Enquête de Terrain, Editions La Découverte, Paris, 1998.

50 Le « frichiste » ou « frichien » - rares sont ceux qui apprécient ce second terme pour sa connotation animale -, est celui qui travaille à la Friche la Belle de Mai, au sein d’une structure « résidente » ou de Système Friche Théâtre.

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différents. Pour dépasser ces résistances, il faut adopter une posture d’enquête réflexive, ne pas soucier uniquement des résultats d’enquête mais revenir sur la manière dont ils ont été obtenus. Les obstacles rencontrés sur le terrain sont en effet plutôt d’ordre sociopsychologique.

Mais il n’est pas question pour autant de s’enfermer dans l’enquête interpersonnelle et de négliger les apports des documents et des statistiques. »51 Dans le cadre de cette étude monographique sur les utilisations d’internet à partir des postes de la Friche la Belle de Mai par des travailleurs du secteur culturel, il m’a semblée propice de leur faire parvenir ce questionnaire par le biais de leur messagerie électronique. « Les projets empiriques doivent être signifiants, efficaces, bien tournés et, si possible, ingénieux. » 52 Les questions exploratoires n’ont pas pour objectif de vérifier les hypothèses.

En revanche, elles doivent permettre d’ouvrir les portes de la réflexion, de prendre conscience des différents aspects du problème.

L’enquête est réalisée dans l’objectif d’évaluer l’usage d’internet par ces internautes. La quantité de réponses obtenues est alors le premier reflet d’une pratique, de leur implication, de la viabilité du multimédia sur le site, de leur sensibilité au sujet traité, de leur disponibilité et de leur capacité à réaliser l’importance de la recherche sociologique. Ce public cible est également choisi pour son implication au sein d’un secteur de création de production et de diffusion culturelles. De ses activités, il est déduit que, premier public de l’art, il est aussi plus à même de se rendre, sur le net, sur les sites d’art en ligne. Le frichiste travaille comme administrateur, balayeur, chargé de projet, chargé de mission, chargé de communication, journaliste, graphiste, webmaster, plasticien, danseur, vidéaste, directeur, directeur adjoint, secrétaire, secrétaire général, délégué, délégué général, DRH,

gestionnaire,

comptable,

programmateur,

président,

serveur,

trésorier, technicien et public.

51

BEAUD, Stéphane & WEBER, Florence, Guide de l’Enquête de Terrain, Editions La Découverte, Paris, 1998.

52 MILLS, Charles W., L’Imagination Sociologique, Editions La Découverte, Collection Poche, Paris, 1997.

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Effectivement, cette population relève, comme Pierre Bourdieu et Alain Darbel 53 ont su le démontrer dans leur minutieuse étude L’Amour de l’Art, d’une catégorie socioprofessionnelle prédisposée à se rendre sur les lieux d’expositions. L’Amour de l’Art est l’exemple parfait de méthodes scientifiques appliquées à la sociologie, de modélisations mathématiques et de recueils de données organisés et contrôlés. Pierre Bourdieu et Alain Darbel se sont répartis les tâches, la direction de l’ensemble des recherches et la rédaction, la construction du plan de sondage et l’élaboration du modèle mathématique. Une armada de chercheurs, sondeurs et autres « dépouilleurs » les ont assistés pour recueillir des données qui couvrent six pays d’Europe. Un travail de chimiste tant il est complexe, et fait le double intérêt de l’ouvrage. La thèse elle-même est la suivante : on a longtemps attribué la différence d’aptitudes des hommes face aux œuvres d’art à des questions de facultés et de prédispositions innées. Certes il y a des hommes qui ont une bonne oreille et d’autres qui n’en ont pas, de même que certains ont la vue juste et d’autres pas. Mais ceux qui n’ont pas d’oreille ne se disent pas mélomanes, ceux qui ont la vue juste l’ignorent. Et, on ne manquera pas d’en retrouver dans les musées d’Europe, pour peu qu’ils soient prédisposés, ou plutôt si leurs caractéristiques sociales et culturelles les y prédestinent.

residents@lafriche.org Une série d’une vingtaine de questions54 a été envoyée le 30 juin 2003 à une centaine de personnes qui travaillent à la Friche la Belle de Mai à partir de mon adresse électronique blandine.mod@lafriche.org. Un groupe d’email avait été constitué, à l’origine, pour la diffusion d’informations relatives à la programmation de Marseille Objectif Danse. Défini pour la communication au plus près de tous les résidents, il ne contient pas seulement les adresses électroniques des responsables de structures, mais aussi celles de leurs collaborateurs au sein de leur structure. Obtenir une liste complète et juste relève du défi. Certains n’en ont pas ou bien 53

BOURDIEU, Pierre & DARBEL, Alain, L’Amour de l’Art, Editions de Minuit, Paris, 1966.

54

Questionnaire introduit en annexe.

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conviennent à m’en fournir une, personnelle, qu’ils leur arrivent d’utiliser.

Plus largement, les problèmes rencontrés sont les mêmes pour la récupération et le tri des e-mails des compagnies, des programmateurs, des médias et des publics, locaux, nationaux et internationaux.

Cette méthode de diffusion s’avére pratique (et efficace ?) Elle nécessite juste un « clic » pour envoyer de l’information, du texte, des images, du son, de la vidéo communiquer, aux personnes concernées. Toute proportion gardée, enregistré en format html, compressé, en Courrier ou en Helvetica, un bon envoi est un message d’ouverture rapide, lisible (caractère universel), imprimable et, de préférence, sans virus caché en attachement.

Assez incroyablement, un réseau interne de diffusion électronique n’existe pas à la Friche. On aurait pu penser à une sorte d’adresse « mère », égale à un groupe de boîtes à e-mail et relais idéal d’information à l’échelle de la communauté des résidents. Si une association veut communiquer un message à l’attention de tous les résidents de la friche, elle se doit de les avoir préalablement inscrits dans son carnet d’adresse. Cette absence affirme peut-être une volonté de minimiser une éventuelle submersion par trop d’information.

Pour lentement avoir préparé le terrain aux heures creuses de la programmation de MOD, je m’attendais à leur très relative adhésion. Internet arrange, dérange, n’est pas une préoccupation majeure ou renvoie à un usage spécialisé. Consulter internet prend aussi du temps sur des journées de travail parfois chargées. La difficulté reste de savoir poser les bonnes questions et d’obtenir la quantité d’informations nécessaires sur l’exploitation qu’ils font de leur ordinateur et du potentiel que contiennent les connexions sur le réseau. On sait qu’une question dite « ouverte » entraînera une réponse plus longue, plus détaillée, parfois s’éloignant du sujet ou bien sans réponse car trop large.

Posée quantitativement, avec des choix multiples, l’enquête peut sembler normative et essuyer un refus radical, particulièrement sur un terrain comme celui de la Friche, qui dissimule des expériences personnelles derrière une somme de chiffres aliénants.

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En premier lieu, à la recherche de méthode, je me suis heurtée à des réponses pragmatiques me renvoyant « C’est en questionnairant que l’on devient questionnairon ». Mes meilleurs appuis ont été du côté des comptables et gestionnaires, habitués à évaluer des pratiques dans le cadre de développement d’intérêts économiques.

Les effets d’exploration La première partie des questions peut être analysée quantitativement. De cette analyse, peut être tracé un tableau croisé à partir des dix réponses obtenues. Dix réponses, c’est en effet le nombre d’individus qui ont pris soin, en quelques minutes, de me répondre. Cela représente, à peu près, seulement 10% de la population interrogée. Alors, une première question s’impose : pourquoi les autres n’ont-ils pas répondu ? Seulement des suppositions peuvent être faites… Quelques-uns se sont excusés, en les croisant par hasard dans les couloirs, en se justifiant par un emploi du temps

over

booked,

une

utilisation

infime

d’internet

ou

une

incompréhension totale de mes interrogations.

Le tableau qui suit reprend systématiquement les résultats obtenus et fait état du jour de la réception, du statut des personnes interrogées, de leur sexe et de leur age. Pour plus de précisions, il est indiqué en dessous le type de structure pour laquelle ils travaillent, s’agissant essentiellement de producteurs 55. En n°1 le temps d’activité en secteur culturel, en n°2 à la Friche. En n°3 le temps d’utilisation d’internet, en n°4 pour quel usage, en n°5 à quel moment et en n°6 le nombre de connexion journalière. réception

age statut

n°1

n°2

n°3

R.

30/06/03

32

webmaster

5

5

D.

30/06/03

46

administratrice

10

D2.

30/06/03

26

chargée de comm.

M.

30/06/03

28

J.

01/07/03

34

n°4

n°5

n°6

4/5 ans Prof.

tout le tps

20/+

10

4/5 ans Prof.

n’importe quand

5/10

2

2

1995

am & pm

5/10

secrétaire générale

5

2

4/5 ans privé/prof.

n’importe quand

10/20

chargé de com.

10

10

2/3 ans Prof.

tout le tps

10/20

privé/prof.

55

À la Friche, pour ordonner le recensement des structures résidentes, il a été convenu d’un classement selon la priorité des activités, qu’elles soient axées sur la production, de la création et la médiation.

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38

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M2.

01/07/03

30

secrétaire général

5

5

1995

L.

02/07/03

25

secrétaire

2

2

S.

04/07/03

31

directrice

5

B.

08/07/03

26

chargé de comm.

J2.

08/07/03

27

chargé de projet

privé/prof.

n’importe quand

5/10

2/3 ans privé/prof.

tout le tps

5/10

5

4/5 ans Prof.

am

5/10

2

2

4/5 ans privé/prof.

n’importe quand

5/10

5

2

2/3 ans privé/prof.

tout le tps

5/10

R. participe conjointement à plusieurs projets multimédias. D. travaille pour une compagnie de danse, D2. pour l’art culinaire local, M. pour la diffusion de théâtre, J. pour les musiques innovatrices, M2. et B. à SFT, L. pour de la danse contemporaine, S. autour des arts plastiques, et J2. a intégré l’équipe d’une des radios.

Leurs réponses ont été reçues dans les huit jours qui ont suivi, dont 50% le jour même. Aucune autre réponse ne m’est parvenue par la suite. Le temps est un facteur important dans la communication électronique. Si un courriel n’est pas traité immédiatement à l’ouverture, la réponse qu’il nécessite – s’il en nécessite une – voit ses chances d’arriver diminuées. Toutefois, certains échanges se font avec des mois d’intervalles. Il s’agirait de relations éphémères, de faible interconnaissance, décalées par la distance ou régies par une convention exceptionnelle liée à l’activité de l’un des internautes.

Contre toute attente et malgré les présupposés liés au sexe quant à l’utilisation d’internet : 50% des réponses ont été faites par des femmes, et les 50 autres pour cent sont donc (évidemment ?) des hommes. Reste à savoir si, à la Friche et dans le secteur culturel en général, la majorité des acteurs ne sont pas des femmes… Après renseignement auprès de Christophe Charbonnel 56, il semblerait que, de manière générale dans l’ensemble du secteur culturel, il y ait parité relative en fonction des postes occupés. On trouvera cependant plus fréquemment des hommes aux postes de direction ou de technicien (d’éclairagiste au webmaster) et des femmes pour les entourer à l’administration, la communication. Dans le secteur de la création, aucune distinction ne peut être faite quant à la représentativité des sexes.

56

Directeur du Qualification.

GEIQ

Groupement

d’Employeurs

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pour

l’Insertion

et

la

39

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À l’exception d’une personne âgée de plus de 35 ans, la population étudiée est majoritairement jeune. Cela ne signifie en aucun cas que les plus vieux frichistes ne savent pas se servir d’un ordinateur, ni d’une messagerie électronique. J., 53 ans et directrice de structure programmatrice, ou P., 59 ans et également directeur de structure, se servent quotidiennement de leur messagerie électronique. D’autres estiment ne pas en avoir l’utilité et ne la consulter qu’occasionnellement.

Une moitié de cette population – celle qui a répondu ici – œuvre dans ce secteur depuis à peu près cinq ans. Pour la seconde moitié, 30% y sont actifs depuis deux ans et le début de leur activité correspond à leur arrivée à la Friche la Belle de Mai. Pour les 20% restant qui y travaillent depuis au moins dix ans, le rapport est le même. La Friche semble donc tenir majoritairement lieu de première expérience dans le milieu culturel pour 80% de cette population. Les 20% rentrent sans conteste dans la catégorie « première à accéder à l’art contemporain », les 80% autres, jeunes arrivés, en ont le potentiel et sont en voie d’assimilation de leur nouveau statut.

D’après

ces

réponses,

40%

n’userait

d’internet

qu’à

des

fins

professionnelles. Il est vrai que cette enquête a été réalisée sur leur lieu et dans leur temps de travail. Il serait dommage de remettre en cause leur professionnalisme. D’ailleurs, on peut facilement imaginer que ces personnes se soient dotées à leur domicile personnel d’une connexion à internet, par modem et de faible débit ou par ADSL et de débit plus élevé.

La question du débit se lie d’ailleurs directement au traitement des réponses apportées aux questions n°5 et n°6 sur le moment et le nombre de connexions. Il n’est donc pas étonnant de repérer 40% se connectant tout le temps et 40% pouvant se connecter n’importe quand, sachant la Friche équipée en haut débit ADSL.

Un placement particulier

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La seconde partie, par la formulation « ouverte » des questions n°7 au n°18, fait l’objet d’une restitution qualitative soumise à mon interprétation personnelle. C’est d’ailleurs de ce « personnel » qu’il faut expliquer. Partie prenante de l’utilisation d’internet à la Friche, la majorité de l’état des lieux des connexions au web ont été faites selon mes observations, qualifiables sans nul doute de « subjectives ». Au cours d’un entretien avec Télérama 57, à la question « L’anthropologie, est-ce un métier, comme Pierre Bourdieu disait que la sociologie était un métier, c’est-à-dire le lieu où s’exercent un savoir et une compétence ? », Georges Balandier58 répondait : « C’est un art, au sens médiéval du terme, c’est-à-dire une connaissance et une pratique personnalisées. Je ne crois pas qu’on puisse être anthropologue sans le feeling, le contact, la curiosité passionnelle de ce qui est autre.

D’ailleurs je m’inquiète que notre univers manque de plus en plus de chair.

Nombre de moyens technologiques nous conduisent à la virtualité généralisée, ce qui fait naître la déshumanisation. Notre technologie, tellement

avancée,

monstruosité…

Il

peut est

faire

temps

surgir de

des

formes

s’interroger

modernes

vraiment

sur

de les

dématérialisations, les désincarnations et notamment les actions sur le vivant dont on ignore ce qu’elles peuvent générer. Il s’agit pas d’être réactionnaire, on n’arrête pas l’horloge de l’Histoire ! Mais une des tâches de l’anthropologie actuelle est d’explorer ces « nouveaux mondes » dissociés de la géographie que nous fabriquons par les avancées biologiques, les mises en réseaux, les virtualisations. Avec des effets escomptés comparables à ceux de l’exploration géographique des siècles passés. » Georges Balandier met l’accent, dans la première partie de sa réponse, sur le caractère quasi non

scientifique et intuitif des procédés

qu’il emprunte. Avant ce type d’approche, une étude rigoureuse des résultats obtenus doit être réalisée et sert de base nécessaire à une meilleure interprétation. La restitution des réponses apportées à cette deuxième partie de questions s’est faite en fonction de chaque individu et peut être mise en parallèle avec leurs activités au sein de la Friche.

Chaque vécu est autant une expérience de vie unique qu’exemplaire d’une réalité sociale qui, du fait de la relation que tout à chacun entretien avec la

57

Entretien avec Georges BALANDIER, Télérama n° 2791 – 9 juillet 2003.

L’Afrique fut son principal terrain de recherche. Cet éminent anthropologue et universitaire influent s’interroge aujourd’hui sur la « virtualité généralisé » à travers Civilisés, dit-on, Editions PUF, Paris, 2003.

58

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société, se trouve présente en chacun de nous sous formes de croyances, de représentations, de dispositions…

S’interroger sur le choix ou le non-choix de leur page d’accueil, première fenêtre sur le web, a pour objectif de mettre en évidence leur aptitude à s’approprier l’outil en le personnalisant et en l’adaptant à leur besoin. Les questions qui suivent cherchent à obtenir un maximum d’information sur le choix de leurs connexions. Il est important de connaître leur propension à s’intéresser à l’art et à faire la démarche de le voir, voire d’y participer.

L’intérêt d’en savoir plus, sur les discours que ces utilisateurs peuvent tenir sur les technologies numériques, la Toile et l’avenir des communications ainsi que sur les enjeux suscités, n’en n’a pas été un pour eux. Mais ils sont tous très intéressés a priori pour être informé des résultats de cette enquête…

Le web n’a peut-être pas été le meilleur des moyens et un ensemble mis en œuvre aurait permis l’évaluation d’un plus grand nombre de publics. Un autre mode de circulation de l’information en interne passe encore pas le courrier classique. Une version « papier » leur aurait peut-être permis de prendre plus de temps et le recul nécessaire. La gratuité est le point fort et récurant dans la valorisation des usages que l’on peut avoir d’internet.

Les échantillons type R., en informaticien et infographiste indépendant, a supprimé sa page d’accueil : elle est vierge. Ce choix correspond à un mouvement de rejet commun à nombre de spécialiste de cet outil face au monopole des serveurs Netscape et Internet Explorer ou des constructeurs de systèmes d’exploitation Apple et Microsoft. Il révèle également sa fibre artistique et son goût pour le minimalisme. Rares sont les éléments issus du net qu’il mémorise sur le disque dur de son ordinateur. Il est le seul à avoir fait un « copier/coller » de l’historique de son utilisation d’internet. L’obtention de cette liste de site consultée permet de visualiser clairement le type des sites auxquels il s’est connectés (cre8mania.com, groups.yahoo.com, interactif.creditlyonnais.fr,

dc.weex.org,

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kdanse.ht.st,

yhchang.com,

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alternativenomade.org, ladjy.com,

webcity.fr,

amistup.biz…).

lafriche.org,

D’ailleurs,

le

premier

scene-actuelle.com, site

nommé

–

cre8mania.com – est un site d’arts plastiques avec, notamment une galerie virtuelle. Celle de Vidéochroniques sur le site de la Friche en est une autre, « pas mal aussi » dit-il. Pour R., il n’y a pas vraiment d’interactivité au sens propre du terme. La réalité de ce nouveau média est tellement différente du fantasme que l’on en a, que Renaud ne tente pas de s’approprier les œuvres réalisées pour internet et garde la distance de sa position de spectateur. Son discours est particulièrement pragmatique.

D., elle, n’arrive pas à changer sa page et ouvre sa fenêtre sur le web en passant par Apple. On connaît alors le système d’exploitation qu’elle utilise et son niveau de curiosité face à l’outil. Elle se sert, en tant qu’administratrice, principalement des logiciels de traitement de texte, de gestion de base de données, de sa messagerie électronique et d’internet pour des recherches d’informations. Toutefois, fortement impliquée depuis des années dans le secteur culturel, D. est une fervente adepte d’art contemporain pour s’être rendue dernièrement, par exemple, au Centre Georges Pompidou pour une exposition de Daniel Buren. Cette passion l’a conduite sur des sites de galeries virtuelles sans y avoir trouvé de l’interactivité ou participé à des œuvres collectives en lignes.

D2. n’a pas changé sa page d’accueil et ouvre l’application d’internet explorer sur la fenêtre du site apple.com. Dans le secteur culturel et dans le monde de l’image, les postes sont majoritairement des ordinateurs Apple, surtout à la Friche. L’utilisation d’internet par D2. n’a rien d’originale. Elle consulte les pages jaunes, les sites des structures en lien avec son association, celui de la Friche, sa boîte à lettre personnelle, mappy ou des sites de traduction… en supprimant régulièrement l’historique de son utilisation ! Jeune arrivée sur son poste de chargée de communication, elle a besoin de s’informer des productions passées et à venir, comme de s’immiscer dans la vie de frichiste. L’exposition de Pierre Malphette 59 par Triangle était à cette période installée à la galerie de la Friche. Le vernissage était un événement propice aux rencontres, réunissant à cette occasion une majorité de résidents. Cet événement a été pour 80% des 59

Exposition de Pierre MALPHETTE du 28 mai au 5 juillet 2003 à la Galerie de la Friche.

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personnes ayant répondu la dernière exposition à laquelle ils venaient d’assister.

Netscape accueille M. quand elle veut surfer sur le web. En favoris, elle a mémorisé les sites de google, de hotmail et des pages jaunes. Sur le net, M. ne tient pas un discours spécifique, et affirme qu’il est bien de pouvoir y découvrir certains aspects d’un travail artistique. Mais, cela ne pourrait en aucun cas remplacer ni tenir lieu d’exposition « réelle ». Pratique et rapide seraient les premiers adjectifs liés à l’utilité du réseau. C’est comme un super téléphone branché sur la télévision ou un minitel amélioré et doté de sons, textes, images fixes ou animées.

J., comme M2., a mis en page d’accueil le site de la structure pour laquelle il travaille. Internet est pour lui un formidable outil qui lui permet d’éviter le « traquage » téléphonique, pain quotidien des chargés de communication, par une mise en circulation des informations plus soft à travers l’utilisation de sa messagerie électronique. L’élaboration de mailing lists lui permet de contacter un plus grand nombre de personne sans pour autant augmenter sa charge de travail. Sans avoir vu de nombreuses expositions virtuelles, ni réelles d’ailleurs, dernièrement, il trouve au web un potentiel interactif, à titre d’observateur. Face aux productions artistiques en ligne, il dit pouvoir faire un transfert, par curiosité. Les technologies numériques sont un gain de temps considérable. Pour lui, l’enjeu fort est celui de la circulation de l’information, avec la possibilité d’y trouver un sens complémentaire ou réinventé au relationnel. Il faudrait alors pouvoir penser l’outil comme une interface seulement, en l’apprivoisant sans le subir et en le percevant éventuellement comme un stimulant qui déplacerait notre regard et nos habitudes.

M2.

a

répertorié

en

favoris

différents

sites

artistiques,

culturels,

économiques, d’information et de services. Il n’utilisait que Netscape et passe progressivement à Explorer car de plus en plus de sites ne fonctionnent pas sur le premier logiciel. Pour lui l’interactivité de ce média ne se ressent pas comme il faudrait. Internet offre un vaste bazar, une vitrine commerciale, un outil de promotion devenu indispensable. Face à cette masse de proposition, M2. s’y soumet avec plaisir et y apprécie

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l’apport intellectuel. Toutefois, les œuvres en ligne auxquelles il s’est connecté sont rares, peu médiatisées et souvent décevantes. Il lui semble que les œuvres les plus intéressantes ne sont pas à aller chercher du côté des arts plastiques, mais plutôt du côté de la création numérique issue du cinéma, de l’animation et surtout des binômes recherche/innovation. Il fait référence aux couples artistes/entreprises et aux trop rares festivals de création numériques tels Ars Electronica en Autriche, Art Futura en Espagne ou le Monaco Dance Forum…

L. est accueillie par MSN Messanger. Elle enregistre rarement des documents issus d’internet sur son ordinateur et a répertorié comme éléments favoris des sites de recherches professionnelles (pages jaunes, abc voyage, opodo, google) et des sites pour des recherches personnelles comme celui de sa banque. L’interactivité n’est pas ce qu’elle pense être prédominant dans ce média et l’a perçue que trop peu de fois.

Les réponses obtenues sont parfois trop succinctes et pas seulement sur les réponses aux questions n°14 au n°18 qui demandent la restitution d’un point de vue mais également sur des questions d’ordre descriptif.

S. n’a, par exemple, pas su me communiquer le nom du site d’ouverture de sa page d’accueil. En bonne théoricienne et spécialiste d’art contemporain, elle note à propos de l’interactivité que « s’il n’y en a pas entre le spectateur et l’œuvre, il n’y a pas d’œuvre, qu’elle soit numérique ou non ».

On reconnaît là le discours des avant-gardes duchampiennes. « Ce média est un outil, ni plus ni moins. Les peintres de la renaissance s’extasiaientils sur leurs pinceaux ? » De cette position, S. ne procède à aucune appropriation des œuvres qu’elle consulte et pense, comme R., qu’il y a une grande fascination liée à la technologie au détriment du contenu et de sa poésie. La dernière exposition à laquelle Sandra s’était rendue était Collure à partir de la collection d’Yvon Lambert à Avignon d’après un commissariat d’Eric Troncy.

B. après la page d’accueil de google, venait de se rendre sur le site de caramail.com, son serveur de boîte à lettres électroniques, sur celui de Djazaïr créé pour l’année de l’Algérie en France et sur celui de sa banque.

En éléments favoris, il a répertorié des sites de presse quotidienne (Le

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Monde

et

Libération)

ainsi

que

telecharger.com.

Si

des

lettres

d’informations lui parviennent, ce n’est pas parce qu’il a souhaité son inscription sur leur mailing list et précise « aucune de mon plein grès » !

Probablement coincé par un défaut de réflexion autour de l’outil multimédia, il a répondu à cette enquête sans réelle conviction seulement par soutien à mes recherches, étant lui-même dans l’indélicate position de travailleur à temps plein et postulant à un DESS sur Paris. Il précise qu’il n’est pas sensible aux enquêtes par questionnaire et y répond selon la légitimité de la personne ou de la structure qui lui fait parvenir.

La page d’accueil de J2. est celle de Wanadoo. Il a fait part de ses éléments favoris dans un document attaché au questionnaire nommé bookmark.htm 60. Il ne contient aucun site d’artistes, seulement ceux de producteurs musicaux et ceux qui mettent en ligne des services de renseignement. Pour de l’information, il s’est inscrit sur plusieurs listes : Télérama, Marseille Innovation, Wanadoo, Association mode d’emploi, Electropole et la FNAC. Il n’a jamais participé à des forums, ni eu l’impression de collaborer à des œuvres interactives en ligne. J. n’avait fait que consulter ses e-mails le jour où il répondait au questionnaire.

Internet est pour les résidents suite à l’étude de leurs usages, principalement utilisé pour sa base de données incroyable, sa fonction documentaire, d’archivage, de renseignement. Informations obtenues, les éléments récupérés servent aussi au divertissement (textes inédits, images fixes ou animées, son) ou à l’amélioration du fonctionnement de leur machine informatisée, leur ordinateur (mise à jour des logiciels). Il est aussi principalement utile pour son mode de communication textuelle des courriers électroniques. La consultation des boîtes à lettres personnelles se fait quasi quotidiennement. Les sujets des messages sur leur outlook de travail ainsi que le nombre d’utilisation varient en fonction du poste occupé.

Le mail dit parfois ce que l’on ne peut pas se dire en face. Il permet d’entretenir ou de créer des relations de l’ordre de l’oralité écrite dans une absence physique. Il éveille et stimule l’imagination.

60

Ce document est inséré en annexe.

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Les concepteurs-usagers de pages web sont hautement plus impliqué dans l’utilisation des réseaux, de ses modalités d’existence et autres formatages.

Ils parlent le langage et les acrobaties algoryhtmiques leur parlent. Internet est leur outil de travail, comme le serait, en moins sophistiquée, une caméra numérique.

Un contexte global Cette analyse des connexions internet à partir du serveur www.lafriche.org peut être mise en parallèle avec des études internationales sur les usages et les pratiques sur le web. Mené à la fois en Europe et en Amérique au cours de l’automne 2002, ce sondage61 a rejoint, à l’aide d’entrevues téléphoniques, 500 internautes adultes dans chaque pays étudié, sauf aux États-Unis où 1000 personnes ont été interviewées.

L’objectif principal de l’enquête était d’examiner l’impact des TIC dans la vie quotidienne des internautes. Les résultats de l’enquête démontrent que près de 9 internautes adultes sur 10 des pays sondés s’ennuieraient de leur connexion internet si elle leur était enlevée. Une majorité d’entre eux ont par ailleurs indiqué que le net améliorait leur qualité de vie, tandis que plus de la moitié considèrent qu’il est devenu pour eux une véritable nécessité. Les adultes canadiens passent en moyenne 14 heures en ligne par semaine à la maison ou au travail, contre 13,5 heures/semaine pour les internautes des États-Unis,

12,7

heures/semaine

pour

les

internautes

français,

10,8

heures/semaine pour ceux du Brésil, 10,6 heures/semaine pour ceux du Royaume-Uni et enfin, 9 heures/semaine pour les Allemands.

La communication avec des amis et des membres de la famille demeure un usage privilégié d’internet pour tous : 87 % des internautes ont ainsi indiqué utiliser Internet de façon régulière ou occasionnelle pour communiquer avec leurs proches. Avec les adultes du Royaume-Uni (91 %) les Canadiens (91 %) en sont les plus fervents adeptes, tout juste devant les Américains (90 %).

Internet s’avère aussi une voie privilégiée pour les communications relatives

61

Source : AOL et RoperASW.

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aux affaires : les Allemands sont les champions de cette pratique (67 %), devant les Brésiliens (56 %) et les internautes du Canada (55 %).

La fonction « documentaire » du web est très populaire chez l’ensemble des internautes sondés : 88 % d’entre eux ont indiqué conduire des recherches d’information en ligne régulièrement ou occasionnellement. Ce sont les Français qui en sont les plus grands utilisateurs (95 %), devant les Brésiliens (91 %) et les Canadiens (90 %). En ce qui a trait au commerce en ligne, plus de la moitié des répondants ont indiqué acquérir des biens ou des services sur internet de façon régulière ou occasionnelle. Les internautes du RoyaumeUni arrivent ici en tête de peloton (63 %), devant les Américains (60 %) et les Allemands (50 %). À noter que le Canada (34 %) se classe pour sa part au quatrième rang des pays étudiés, ex aequo avec la France.

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Analyse interprétative

Un espace collectif Virtuel lieu de communication, internet se développe à l'échelle de la planète dont les dimensions semblent chaque jour se réduire sous nos yeux. Sur ce point, la différence est à faire entre un processus bien réel d'intégration et de standardisation, et celui, tout aussi réel, d'affirmation ou réaffirmation identitaire véhiculée par les notions d’art et de culture dans des espaces communautaires beaucoup plus circonscrits.

Si internet est souvent présenté aujourd'hui comme une véritable révolution qui donne naissance à une nouvelle société, c'est parce qu'on suppose que la technique peut changer une tribu. Pour bien comprendre ces enjeux, il faut vérifier s'il existe un lien entre l'évolution de ce système technique et un changement de modèle politique ou culturel. Si ce n'est pas le cas, internet

ne

peut

pas

à

lui

seul

déboucher

sur

une

révolution

communicationnelle et encore moins sur une nouvelle forme sociétale, même à travers l’art.

Dans la diversité des endroits où « ça communique », personne ne peut douter de la pluralité des usages du terme de communication. À tel point qu’il offre une parfaite illustration de l'aphorisme du philosophe autrichien Wittgenstein62 pour qui « un mot n'a pas de sens mais seulement des significations ». En effet, son sens n'est pas fixé dans la mesure où il dépend directement du contexte dans lequel il est utilisé. Autrement dit, le terme « communication » a seulement des utilisations qui varient en fonction des situations. Selon Dominique Wolton63, l'analyse de la place et du rôle de la communication dans une société repose sur la prise en compte de l'articulation entre les trois dimensions suivantes : la dimension anthropologique ou culturelle, la dimension politique ou normative et la dimension technique ou fonctionnelle.

62

Logicien rigoureux, il n’a publié de son vivant qu’un seul ouvrage, très court, le Tractatus logico-philosophicus. Son influence a été néanmoins décisive au point qu’on le considère comme un des philosophes majeurs de XXe siècle.

63 WOLTON, Dominique, Internet et après ? Une Théorie Critique des Nouveaux Médias, Editions Flammarion, Paris, 1999.

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Aussi pertinentes soient-elles, ces tentatives de délimitation des contours de

la

communication

ne

permettent

pas

de

dépasser

l'ambiguïté

fondamentale de cette notion. En fait, il n'existe pas de vraie définition de cette dernière. Malgré ce constat, cela n'a pas empêché de nombreux penseurs de réfléchir sur la communication, ou tout du moins sur l'un ou l'autre de ses aspects. Si on a parfois eu recours à la raison pour penser la communication, celle-ci est surtout porteuse d'une idéologie que le développement actuel des TIC tend aujourd'hui à renforcer encore un peu plus. Si on parle tant aujourd'hui de communication, c'est bien sûr parce que les techniques d'information sont partout présentes. Notre univers quotidien est désormais peuplé de satellites et d'ordinateurs, de nouvelles chaînes de télévision, de téléphones cellulaires, de l'internet et autres « autoroutes de l'information ». L'abondance d'ouvrages, de rapports, de discours, d'articles de presse contraste d'ailleurs avec une focalisation à la fois très nette et très dommageable sur les aspects techniques. Or, comme le remarque à juste titre Dominique Wolton, la communication, c'est aussi, et même avant tout, du lien social.

L’échelle de communication L’histoire de la communication est aussi ancienne que l’histoire de l’humanité. Pour combler ses besoins insatiables, l’homme a mis au point des codes, des alphabets et des langages. Parole, gestes, feux, tam-tam, document.html… Tout est bon pour véhiculer le message. Au XVe siècle, ce fut la création de la Poste Royale sous le règne de Louis XI et en 1794 Chappe propose un télégraphe optique. Mais ces différents mécanismes de transmissions avaient leurs inconvénients. Les signaux sonores et visuels ne pouvaient pas être utilisés sur des longues distances et dans n’importe quelle condition. Le support écrit et transmis mettait trop de temps à arriver. Ce n’est qu’avec l’arrivée de la « fée éléctricité » que la première télégraphie64 vu le jour. En 1854 fut énoncé un premier projet de téléphone par Bourseul mais il fallut attendre une vingtaine d’années pour qu’un brevet soit déposé par Bell. La population n’y trouvait pas grand intérêt. Les 64

Mise au point par SHILLING en 1832, elle fut développée grâce au nouveau code établi par MORSE cinq ans plus tard.

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études menées sur la propagation des ondes 65 permirent de faire d’importants progrès. En 1896 est établie la première liaison de TSF et le téléphone automatique fait son apparition vingt ans plus tard. La première partie

du

XXe

siècle

va

voir

apparaître

et

s’institutionnaliser

la

radiodiffusion, la télévision, le radar, le télex. De multiples réseaux sont en développement. Le premier calculateur électronique est construit en 1943.

C’est le début de l’ère du traitement électronique de l’information, l’informatique.

La notion de communication est aujourd'hui l'une des plus en vogues. Forte de sens divers et définie différemment selon les secteurs dans laquelle elle est employée, la communication est l’exposé d’un sujet dans un domaine particulier. Elle désigne l’envoi66, à une ou plusieurs personnes d’une ou plusieurs informations quelconque et la réception. L'imprécision de ce concept explique en grande partie son succès. d’entreprises

à

celle des

hommes

politiques

De la sphère des chefs en

passant

par

les

administrations et les organisations non gouvernementales, tout le monde communique, ou plus exactement tout le monde se doit de communiquer pour répondre à l'impératif catégorique de modernité.

Afin de distinguer les activités humaines qui relèvent de la communication, son concept peut être associé à toutes les formes d'action de l'homme sur l'homme,

par

opposition

à

la

relation

sujet/objet.

L'action

communicationnelle ne met pas en relation le sujet et l'objet mais le sujet avec le sujet. S'il fallait définir ce terme par une simple formule, on pourrait ainsi affirmer que la communication, c'est l'homme agissant sur les représentations de l'homme par le détour des signes. En permettant d'agréger des représentations, des valeurs et des croyances différentes autour d'un référent commun, l'ambiguïté de cette notion fait le succès phénoménal de l'idéologie du même nom. Ce succès tient sans doute à la symbolique même du mot. Il se matérialise par la place de plus en plus centrale qui lui est accordée même dans la manière d'appréhender l'étude des phénomènes sociaux. Au premier niveau, se trouvent les expressions de comportement qui ne relèvent pas d'une forme ou d'une autre de 65

Lois sur l’électromagnétisme établies par J. MAXWELL – 1860, les ondes radioélectriques de H.HERTZ en 1887 et la radiodiffusion en 1892 par W.CROOKER. 66 La communication n’est jamais dépossession.

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langage dit « construit ». Ce socle primaire des « signaux indiciels » ne doit pas être négligé. Il constitue la base permanente de nos relations. Au commencement, n'était pas le verbe mais la chair. Les corps se touchent avant les esprits. Toute communauté est tissée d'un maillage de relations non-verbales, d'autant plus efficace qu’il demeure largement inconscient ou primaire, enfoui sous les messages.

L’incidence du progrès Les technologies nouvelles multiplient les pratiques d’expression et de réception, bouleversent le rapport à l’information ainsi que le rôle des professionnels de l’information. Internet et les TIC apparaissent comme des outils de « désintermédiation » pour les professionnels. Dès lors, leur rôle se déplace dans la chaîne éditoriale. Ils doivent penser le niveau de l’usager plus en amont dans le processus de conception de dispositifs d’information et de communication.

Désormais, ces travailleurs du net dont besoin de prendre en considération la valeur d’usage de leur offre de services. C’est ce qu’ont montré les études réalisées sur les usages. Les technologies produites dans une logique de performance « technosociale » prônent l’impact révolutionnaire de la technique sur le social et s’exposent au risque de rejet par l’usager. Inversement, produites dans une logique de cohérence « sociotechnique » – elles opèrent une démarche d’interaction négociée entre le social et la technique – et augmentent leurs chances d’appropriation par l’usager. La performance technosociale est une logique de coup de force qui recherche une conversion aux

codes

techniques,

pratiques,

identitaires

et

sociaux

du

projet

révolutionnaire et mobilisateur des TIC. C’est là une démarche techniciste inscrite dans les stratégies marketing qui entretiennent avec l’usager un rapport de persuasion.

Au-delà d’une période de mobilisation initiale, une innovation présentée comme révolutionnaire est confrontée à l’usage et assume difficilement les attentes idéales qu’elle a suscitées auprès de ses utilisateurs effectifs. Une logique de cohérence souhaite l’interaction entre le nouveau dispositif et le contexte existant : les technologies déjà utilisées, les pratiques, les sociabilités

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personnelles ou professionnelles, et les organisations humaines, politiques. Ce processus de conception intègre ce que font les usagers des technologies nouvelles auxquelles ils sont confrontés. Cette démarche considère que l’intégration des nouvelles technologies dépend davantage de leur valeur d’usage que des seules sophistications fonctionnelles proposées. Cette logique s’inspire directement des travaux sociologiques sur la réception qui considèrent que les publics remplissent un rôle actif dans l’attribution du sens aux objets techniques ou symboliques. D’ailleurs, les nouveaux dispositifs d’information et de communication s’intègrent d’autant mieux qu’ils s’appuient sur des usages et des représentations existants.

Les dispositifs qui génèrent des significations d’usage dans une logique d’appropriation négociée ont une valeur qui permet une intégration plus durable que les dispositifs dégageant des significations dans une logique d’imposition.

Pour concevoir un dispositif qui s’intègre durablement dans les usages de son public, il s’agit de savoir comment générer des valeurs d’usage dans une logique négociée. Cette

sociologie de l’usage réfute une idéologie de

l’information qui prétend « informer », donner forme à des pratiques sociales, à des manières de faire et de penser. Cela ouvre la voie aux études sur les processus d’appropriation en tant que pratiques actives de production de sens par les usagers.

Les dérivations médiatiques Les recherches sur la réception s’intéressent aux processus de socialisation des nouvelles techniques d’information et de communication. Michel de Certeau apparaît comme précurseur dans son analyse de l’acte de lecture en termes de « braconnage »67. Il montre que, face aux stratégies des auteurs et des 67

De CERTEAU, Michel, L’Invention du Quotidien, 1. Arts de Faire, Editions Gallimard, Paris, 1990. « Cette érosion et dérision du singulier ou de l’extraordinaire, L’Homme sans Qualités de Robert MUSIL l’annonçait : Peutêtre est-ce précisément le petit-bourgeois qui pressent l’aurore d’un nouvel héroïsme, énorme et collectif, à l’exemple des fourmis. Au vrai, l’advenue de cette société fourmilière a commencé avec les masses, premières soumises au quadrillage des rationalités nivelatrices. Le flux est monté. Il a ensuite atteint les cadres possesseurs de l ‘appareil, cadres et techniciens absorbés dans le système qu’il géraient ; envahi enfin les professionnels libérales qui s’en croyaient protégées, et les belles âmes littéraires ou artistiques. Dans ses eaux, il roule et disperse les œuvres, jadis insulaires, muées aujourd’hui en goutte d’eau dans la mer, ou en métaphores d’une dissémination langagière qui n’a plus d’auteur mais le discours ou la citation indéfinie de l’autre. »

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producteurs, les lecteurs ou les usagers mettent en œuvre des tactiques d’appropriation singulière. Les consommateurs ne sont pas de passifs récepteurs et réceptacles, mais ils reconstruisent un sens dans une activité créatrice dont l’auteur n’a pas l’exclusivité et qui détourne parfois le dispositif technique médiatique. « Avec ces pratiques de terrain où sont repérées les modalités spécifiques de pratiques énonciatrices, les manipulations d’espaces imposés, les tactiques relatives à des situations particulières, s’ouvre la possibilité d’analyser le champ immense d’un art de faire différent des modèles qui règnent (en principe) du haut en bas de la culture habilitée par l’enseignement (du supérieur au primaire) et qui postulent tous la constitution d’un lieu propre (un espace scientifique ou d’une page blanche à écrire), indépendant des locutions et des circonstances, ou à construire un système assurant sa production, sa répétition et sa vérification. »68 Au niveau de la sphère domestique, se trouve un espace à la fois fermé et ouvert essentiellement en raison de la présence de plus en plus prépondérante des médias . Certains appareils servent à augmenter le rayon des relations interpersonnelles. C'est le cas par exemple du téléphone, du fax, du courrier postal, et aujourd'hui du courriel. Les messages sont ici acheminés d'individu à individu. Dans le cas d’internet, de la télévision, du minitel, de la presse écrite et de la radio, nous sommes en présence de médias qui diffusent un flot de messages produit à une échelle massive qui ne nous sont pas spécifiquement destinés, même s'ils sont de mieux en mieux ciblés. Ces messages circulent d'un centre vers une périphérie largement anonyme et ils autorisent peu de fonction de retour ou de feed-back. Ces médias, désormais tous traditionnels diffusent des messages impersonnels fortement standardisés. Derniers médias au sein du foyer, les livres, les disques ou les tableaux sont généralement classés dans la catégorie des oeuvres et éventuellement des oeuvres d'art. La différence principale de ces œuvres, comparativement aux médias de masse, tient au fait que leur temps n'est pas celui du flot. Alors que la diffusion en temps réel d’informations contribue à leur authenticité, les oeuvres sont dotées d'une aura qui s'accroît proportionnellement à leur capacité à résister au temps.

Après avoir franchi le seuil du foyer et de l'école, nous sommes automatiquement projeté dans un inextricable réseau de communication, rues et routes, voies ferrées, couloirs aériens, etc. L'un des lieux où l’interactivité 68

De CERTEAU, Michel, L’Invention du Quotidien, 1. Arts de Faire, Editions Gallimard, Paris, 1990.

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s'est développée de manière spectaculaire est sans doute celui du travail, désormais

soumis

à

l'impératif

communicationnel.

Les

conseillers

en

communication pullulent autour des hommes politiques, des chefs d'entreprise ou de tous ceux qui détiennent aujourd'hui une parcelle d'autorité : ils rêvent de programmer techniquement une interaction pragmatique, c'est-à-dire de contrôler, maîtriser, orienter, le déroulement des relations d'homme à homme en fonction de leurs intérêts.

Une idéologie de l’humanité L'extension planétaire de la culture de masse n'a pas totalement vérifié les craintes

des

dangers

d'une

standardisation

engendrée

par

la

mondialisation. Pour comprendre le succès de ces discours, il semble nécessaire de partir de la symbolique du terme « communication » qui s'oppose à celui de violence. Cette alternative entre discussion et sauvagerie, remonterait au temps de la Grèce ancienne. Les grecs qualifiaient en effet de barbares, c'est-à-dire, étymologiquement, ceux qui parlent par borborygmes, toutes les populations qui ne parlaient pas leur langage, donc qui ne pouvaient pas communiquer avec eux et accéder, du même coup, à la raison. Cette opposition indique clairement que la communication n'admet pas d'adversaire et qu'on ne peut être contre, à moins d'accepter de passer pour une brute inculte. C'est pourquoi, comme l'explique Philippe Breton69, la communication constitue aussi la dernière et la meilleure des idéologies ou des religions de rechange : une idéologie du consensus ou, dit autrement, de la conciliation universelle qui ne connaît pas d'ennemi. Se réclamer de cette philosophie revient finalement à en appeler à la communion de l'humanité toute entière à l'intérieur d'une communauté partagée. Cet optimisme a son revers : celui de camoufler en simples malentendus des violences trop réelles. La lutte de l'occupé contre l'occupant par exemple, mais aussi et surtout, pour reprendre un vocabulaire aujourd'hui bien daté, la lutte des opprimés contre les oppresseurs, des exploités contre les exploiteurs, ou en version actualisée par Pierre Bourdieu, des dominés contre les dominants. Cette lutte ne sera

69

BRETON, Philippe, L’Utopie de la Communication, La Découverte, Paris, 1992.

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pas réglée par une meilleure propagation qui constitue « l'opium de notre temps ».

Si les propriétés symboliques du terme « communication » explique en partie l'idéologie du même nom, la plupart des chercheurs en sciences sociales sont aujourd'hui d'accord pour reconnaître que le discours qui en fait une valeur centrale est historiquement daté, c'est-à-dire qu'il est le résultat d'une construction sociale dont on peut essayer de restituer la genèse et le développement. C'est sans doute la pensée libérale de la fin du XVIIIe siècle qui a développé la première formulation théorique de ses enjeux politiques. La place stratégique des processus de communication sociale ne se démentira pas ultérieurement. Cette affinité entre la pensée libérale et les discours sur la communication explique sans doute en partie son succès. Toutefois, si l'on en croit Philippe Breton, le discours qui fait de la communication une valeur centrale à laquelle il est nécessaire de recourir systématiquement pour résoudre toutes sortes de problèmes sociaux et économiques est d'apparition historique plus récente. Ce qu'on appelle l' « idéologie de la communication » est né en occident au milieu du XXe siècle.

L'origine de ce nouveau dogme serait à chercher dans la création d'une nouvelle

science,

la

cybernétique,

dont

le

père

fondateur

est

le

mathématicien Norbert Wiener70. Celui-ci a commencé par une critique des méthodes traditionnelles appliquées aux sciences. Il affirme qu’elles ne sont pas satisfaisantes car elles interrogent exclusivement ce que contiennent les phénomènes qu'elles étudient, sur l'intérieur des objets. Or, pense-t-il, ce qui compte le plus, ce sont les relations qu'entretiennent les phénomènes entre eux. Selon Wiener, les connexions qui existent entre différents phénomènes doivent être considérées non pas comme un aspect parmi d'autres, mais comme étant intégralement constitutives de leur mode d'existence.

70

Rares sont ceux qui évoquent Norbert WIENER. Philippe BRETON le reconnaît comme l’inspirateur de la société de communication. Son travail était guidé par des considérations esthétiques. Il regardait l’expérience de la recherche mathématique identique à la création d’œuvre d’art. En s’intéressant à l’application sociale des découvertes scientifiques et des technologies qui en découlent, WIENER se montre imaginatif même visionnaire.

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Le partage du sensible Le système d’évidences sensibles qui donne à voir en même temps l’existence d’un commun et les découpages qui y définissent les places et les parts respectives est ce que Jacques Rancières appelle « partage du sensible ». « Cette répartition des parts et des places se fonde sur un partage des espaces, des temps et des formes d’activité qui détermine la manière même dont un commun se prête à participation et dont les uns et les autres y ont part.

71

» Cela signifie d’être audible, visible ou non dans

cet espace. Le réel peut tout entier s'interpréter en termes d'information et de communication… La portée de cette rupture paradigmatique constitutive de la cybernétique est double. La nouveauté n'est pas tant que soient mis en scène l'information et le mouvement de son échange comme nouvel objet de science mais bien que ce mouvement soit présenté comme constitutif intégralement des phénomènes aussi bien naturels qu'artificiels.

Là est l'origine de la notion moderne de communication qui constitue la base ultérieure du discours utopique sur la communication. Au regard d’une évocation sommaire de la cybernétique, il ne fait aucun doute que la frontière entre la pensée communicationnelle et son utopie est difficilement cernable.

Face au succès actuel de l'idéologie de la communication, vers qui se tourner pour en démonter la mécanique et en dénoncer les éventuels effets néfastes ou pervers ? Toute la difficulté réside aujourd'hui dans le fait qu'on s'imagine pouvoir régler les conflits par une meilleure information. Or cette croyance est non seulement illusoire mais également dangereuse, dans la mesure où cela revient à nier que toutes les sociétés sont traversées par une multitude d'antagonismes bien réels qui renvoient à des conflits d'intérêts,

donc

à

des

rapports

de

force

au

sein

desquels

les

renseignements ne peuvent occuper qu'une place trompeuse ou dérisoire.

Aussi omniprésentes soient-elles, les TIC ne suffisent cependant pas à elles seules à expliquer l'abondante littérature qui accompagne leur développement.

71 RANCIÈRE, Jacques, Le Partage du Sensible, Éditions La Fabrique, Paris, 2000.

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De tout temps, les techniques de transmission ont en effet existé, et surtout bien avant que l'on évoque l'existence d'une hypothétique société de l'information. C'est pourquoi il faut peut-être chercher une autre explication à l'omniprésence de la notion de communication.

L’histoire de l’évolution de l’homme est celle de l’innovation. Les machines nécessitant de grands efforts collectifs pour exister et fonctionner deviennent souvent des outils de répression sociales. Les outils qui peuvent êtres possédés et utilisés à un niveau individuel entraînent des révolutions

démocratiques.

C’est

le

concept

de

l’émancipation

par

l’autonomie qui signifie le pouvoir du peuple.

Le XXe siècle a préparé, entraîné et initié les hommes à penser, agir et communiquer en langage quantique, numérique. La tradition veut que cette tâche soit confiée aux professionnelles de la conversation tribale : les artistes. On constate aussi la naissance de plusieurs mouvements artistiques, littéraires et musicaux ayant tous le même objectif : dissoudre notre fois dans les structures statiques, détruire l’inflexibilité de la culture industrielle

et

nous

préparer

aux

états

modifiés,

aux

définitions

multidimensionnelles de la nature.

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Conclusion

Déjà, les théoriciens de la cybernétique se sont évertués à prouver l'idéale communication par la qualité technique. Plus tard, dans les années 70, l'avènement annoncé de la société post-industrielle se centre autour du savoir et de sa diffusion. Cette annonce de la société d'information par les avancées

technologiques

constitue

un

riche

terreau

pour

d'autres

révélations. Ainsi, internet - comme le langage et l'imprimerie - conduit à de profonds changements dans la société et illustre la confiance aveugle donnée aux avancées technologiques.

Si le web ressemble plus à un outil qu'à un espace de création c'est certainement dû d'une part à son origine, sa conception et d'autre à la façon de l’utiliser. Il offre un domaine d'étude sociologique inespéré car il exacerbe les passions humaines, transcende les comportements laissant libre cours à nos déviances naturelles. (Quelles sont les deux pulsions dominantes de l'être humain ? La violence ? Le sexe ? Quelle est donc l' « information » qu'on trouve le plus abondamment sur le net ?) Le web est ce que l'on en fait. Just do it and do it yourself.

Or, internet n'est pas une simple technologie mais une pratique structurée autour d'un contexte social. De ce fait, il ne peut pas être seulement auréolé ou complétement dénigré, selon l'humeur du moment, par une certaine élite. Le web est passé du « monde des magiciens » à celui des gens ordinaires qui l’utilisent de manière routinière en tant que partie intégrante de leurs vies. Internet n'est plus ce moyen révolutionnaire pour bouleverser l'ordre du monde mais un simple moyen de communication. On envoie un email à un ami en voyage en Thaïlande tel qu'on allumerait la télé pour regarder le journal de 20 h. On numérise des photos pour sa famille. On « chatte » pour discuter de la sortie du dernier film en salle…

Quoi de plus normal : internet participe à la vie sociale et à sa banalité.

D'un autre côté, la vie sociale participe aux développements d'internet et à son ordinaire.

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Un Occidental moyen passe plus de temps à regarder la télévision qu’à pratiquer une quelconque activité sociale. Les pixel qui dansent sur l’écran représentent sa réalité centrale. Il passe plus de temps à regarder passivement des électrons qu’à contempler les gens qu’il aime ou à examiner tout autre aspect d’un présent matériel. Le médium constitue le message.

Internet a perdu sa majuscule et est devenu internet. Le réseau est désormais pris pour acquis, tel qu'il est, et non médiatisé comme un objet magique. Les mails ? Une communication courante, de tous les jours. Les pages personnelles ? Internet n'est plus un mais plusieurs selon l'humeur du moment. Trois cent trente six millions de personnes ont utilisé internet en 2001 en Amérique du Nord et en Europe, soit 32.5% de la population totale. Malgré qu'elles soient quelque peu révélatrices, ces statistiques n'ont qu'une valeur relative, car internet est d'abord humain. Les milliards de signes qui défilent dans les tubes proviennent d'abord d'individus vivant dans un certain cadre social.

Cette simplicité, par son rapport interactionnel, se révèle complexe. Le besoin de communiquer, presque de manière frénétique, reflète la perte de repère pour l'individu à la fin de la modernité. L'incertitude et l'instabilité, qui caractérisent tant cette fin de modernité, donnent à internet la force de la certitude et de la stabilité. Ce n’est pas si simple que cela. En tant que phénomène social, internet, s'incruste dans une société qui se structure peu à peu autour de multiples réseaux, délaissant les formes traditionnelles de communauté. On ne choisit plus ses amis sur la porte de son pallier ou dans ses relations de travail mais selon ses propres intérêts. Le réseau est par nature imprévisible, dynamique et ouvert. Dans cette nouvelle morphologie sociétale, de nouvelles interactions sociales amènent à redéfinir le sens de la communauté.

Certaines théories, analysant « internet et vie sociale », ont été bâties au sein des fragiles murs du déterminisme technologique. Internet se révèle en tant que fort levier de transformation sociale, vers une totale libération de l'individu sous-entendue par la commune expression « ni Dieu, ni Maître ».

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Cette communauté virtuelle est encensée. Son abstraction, synonyme de réalisation d’un idéal communicationnel, échappe aux contraintes et aux disparités sociales. Si internet a permis la création de certaines formes nouvelles de sociétés, il n'existe pas pour autant d'échappatoire à la réalité quotidienne de la vie. La communauté, du mot latin communicare - établir une communauté -, est étroitement lié au projet sociétal de communication, et est essentiellement fondé sur l'imaginaire au niveau de ces frontières, de sa souveraineté et de l'identité de ses membres. Ainsi, les cybercitoyens sont virtuellement égaux dans une démocratie.

Néanmoins, internet est bien ancré concrètement dans notre vie de tous les jours. Le degré d'abstraction, observable au niveau communautaire, n'enlève pas moins la pertinence de la quotidienneté de ce phénomène caractérisé par sa flexibilité et son interactivité. Cette vie que chacun vit consciemment ou non est devenue fragmentée, non-sens. Cette rationalité qui tenait tant à la modernité72, semble s'effacer face à la puissance de l'irrationnel. Par exemple, l'autorité des experts, de ces agences externes ne brille plus autant et est même mise en doute. C'est bien la fin de la modernité que nous vivons, période durant laquelle la société est en train d'éclater en mille morceaux. Dans ce contexte, internet n'arrive pas en sauveur des temps postmodernes mais, par sa pratique sociale, constitue une opportunité.

Ceux qui aiment à penser par eux-mêmes – les « hommes libres » – considèrent

les

ordinateurs

comme

des

machines

à

penser.

Ces

possesseurs d’instruments intelligents, découvrent que leur cerveau est l’organe suprême du plaisir et de la conscience, qu’il représente cent milliards de circuits intégrés dont le seul rêve est d’être initialisé, stimulé et programmé, qu’il attend peut-être l’apparition de logiciels adaptés à son potentiel

lui

permettant

des

liaisons

inter-réseaux

avec

d’autres

encéphales. Cette opportunité permet à l'individu de se frayer un chemin au sein d’une société fragmentée. On identifie quelques stratégies. Il s'agit 72

La rationalisation de la société occidentale, et notamment de son droit, son intellectualisation, sa spécialisation et sa professionnalisation croissante annonce la société de l’ordinateur. Le droit et la société, dit WEBER dans Société du Droit, seront gérés par des techniciens derrières leurs machines.

Cette évolution lucide, du fait de la complexité des textes, produits des effets très bénéfiques dans le domaine matériel : une immense amélioration des conditions économiques. Elle a un effet négatif le « désenchantement ».

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d'utiliser internet pour une participation active. Le cybersurfer peut donner un sens à sa vie , se la réapproprier par une ouverture à la connaissance sur les réseaux. Aussi, il se construit des marques, la création des liens favoris sur la page d'accueil, une certaine routine pour faire face à l'incertitude de la vie. Chacun peut aussi se réfugier dans une bulle confinée, solution facile et tant courante.

Prendre le contrôle, piloter, n'est pas une tâche aisée, mais c'est à ce prix que la liberté tant adulée lors de l'avènement d'internet peut être pleinement

vécue.

Ainsi, internet nous donnerait la possibilité de

transformer fondamentalement nos vies ? Il est ancré dans notre vie quotidienne

devenue

irrationnelle

dans

laquelle

nous

puisons

les

ressources nécessaires pour avancer vers un but qui tient à chacun. Que ce soit à la maison, au travail, dans un cybercafé, le net n'est plus devenu un sujet de discussion à la mode, cet objet magique idôlé, mais une pratique sociale commune à tous. Ne parlons alors plus de fossé numérique mais de fossé social. Ne parlons plus de l'internaute, tel un être numérique, mais d’un individu communiquant au sein d'un groupe social.

Car internet est la société et la société est internet. Et peut-être que la virtualité d'internet est plus réelle - socialement du moins - que cette réalité de tous les jours qui nous apparaît si virtuelle ?

Le cyberhomme 73, le « pilote » dont la pensée est claire, créative et qui sait utiliser les capacités de son cerveau aussi bien que les outils numériques, est le nouveau héros du troisième millénaire : l’Homo sapiens sapiens cyberneticus. 74

Ces dispositions sont envisageable uniquement dans la

mesure où on l’est doté d’un ordinateur et d’une connexion, par satellite ou par réseau téléphonique, ce qui n’est pas le cas pour l’ensemble de la population mondiale…

73 74

Le terme cybernétique vient du mot grec kubernetès, qui signifie « pilote ».

Lorsqu’on change de langage, on change de société.

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Les résidents SFT Système Friche Théâtre/Philippe FOULQUIÉ Gestion, animation et développement du projet ARTS PLASTIQUES Thierry AGONE Plasticien Alfons ALT Photographe Art Studio/Hatem AKROUT, Olivier REBUFFAT, Alain PUECH Atelier d’expression et de sensibilisation Art’M/Pascale MIJARES Astérides/Gilles BARBIER Arts plastiques Documents d’Artistes/Christine FINIZIO, Marcelline MATHERON Documentation et diffusion d’artistes visuels de la région PACA Le Dernier Cri/Pakito BOLINO, Caroline SURY Sérigraphique Métamorphoses/Yves JEANMOUGIN Photographie et édition Ornic’Art/Christine BOUVIER, Rochdy LARIBI Triangle France/Alun WILLIAMS Arts plastiques Vidéochroniques/Édouard MONNET Art vidéo et multimédia

ART URBAIN Groupe Dunes/Madeleine CHICHE, Bernard MISRACHI Installations visuelles et sonores Mundial Sisters/Véronique GUILAUD Audiovisuel en milieu urbain

AUDIOVISUEL – CINÉMA Agence Ka/Bernard CAUVIN, Anne VUAGNOUX Réalisation de reportages et de documentaires sur des questions de sociétés Aye-Aye Production/Laurent CHAPUIS Cinémas du Sud/Alain BOMBON Cinéma Lemon/Pierre ARMAND, Hervé VINCENTI, Pierre-Sylvain VAÏSSE Création images et sons Blandine Cordellier Maîtrise de Sociologie Sous le direction de Olivier THEVENIN Université de Besançon, Franche-Comté

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Les Films de la Belle de Mai/Florent GINESTET, Vincent ARNAUD Cinéma et laboratoire expérimental Les 7 Portes/Nchan MANOYAN, Christine COULANGE Réalisation de performances, installations et films documentaires Libres d’images/Bania MEDJBAR Initiatives sociales de proximité autour de la création de films Lieux Fictifs/Caroline CACCAVALE Atelier de réalisation audiovisuelle Voix Off/David CLOT Atelier de création et réalisation audiovisuelle

DANSE La Liseuse/Georges APPAIX Danse contemporaine MOD Marseille Objectif Danse/Josette PISANI Danse contemporaine

MÉDIAS Radio Galère 88,4 FM/Jean-Jacques JACQUIER Radio Grenouille 88,8 FM/Nelly FLESCHER

MUSIQUE AFQH Art Plus Fort que le Handicap/David HERNANDEZ AMI Aide aux Musiques Innovatrices/Ferdinand RICHARD Voix Polyphoniques/Brigitte CIRLA Théâtre musical Wa (Bamboo Orchestra)/Makoto YABUKI Ensemble de percussions

MULTIMÉDIA CYPRES/Louis BEC Centre International de Pratiques, Recherches et Echanges Transdisciplinaires ECM Espace Culture Multimédia de SFT/Emmanuel VERGÈS Lieu d’accès public, production Incubateur Multimédia Belle de Mai/Jean-Pierre BROCARD Accompagnement de projets Rouge/Caroline BRUSSET Création graphique

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Marseille Innovation/Christian REY Pépinière d’entreprise hébergeant : AC-Info/Isabelle ARMAND Edition de logiciel d’entraînement musical Cap Multimédia/Didier BORRELI, Damien DA SILVA Communication évènementielle Caravansérail/Sylvain GROLLEAU Prestations audiovisuelles et sonorisation Cirius eConcept/Gaëtan LAZZARA, Roger GIMENEZ Multimédia De Facto Production/Gilles BOUQUET Production de films Dakiling/Stéphane COMBALUZIER Création et diffusion Films du Tourbillon/Laurent BILLARD Production audiovisuelle Polygonal Design/Josiane LEMOINE Création de cd-rom Quassiopé/Sylvie REBILLARD Expertise, recherches en sémiologie et sociologie Sparrow/Paul GILLONE Collectif de graphistes Vox Inze Box/Yann LE FICHANT, Dominique SOLER Multimédia

RECHERCHE TransverCité/Claire DUPORT, Gilles SUZANNE Anthropologie urbaine et sociologie

THÉÂTRE 200 Itinéraires/Laurence GINER, Hadi BOUDECHICHE Théâtre d’objets Artonik/Alain BEAUCHET, Caroline SELIG Arts de la rue Corps à Sons/ Richard DUBELSKI Théâtre musical ERAC Ecole Régionale d’Acteurs de Cannes/Didier ABADIE Formation - antenne locale Intermezzo/Simona ACERBI, Simon CIBASTI Théâtre de marionnettes

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Skappa !/Isabelle HERVOUET, Paolo CARDONA Arts de la rue Théâtre Massalia/Philippe FOULQUIÉ Théâtre de marionnettes Théâtre Tempestant/ Camille RICHARD, Jacques BOYER Théâtre de curiosités Théâtre de Cuisines/Katy DEVILLE, Christian CARRIGNON Théâtre d’objets

ET AUSSI ADCEI/Frédéric JAMBU Association pour le Développement Culturel Européen et International Bleu Sud/Philippe SAUMANDE Conseil en communication et développement Club de la Friche/Michel ROCCHI Bar restaurant CMBM/Jean-Pierre BIGUE Culture Médiation Belle de Mai Conservatoires des Cuisines en Méditerranée/Bruno GIRAUD-HERAUD GEIQ/Ghania BELKHAMSA Groupement d’Employeurs pour l’Insertion et la Qualification Man’s Land Security/Victor MENDY Sécurité évènementielle MPPM/Michèle PHILIBERT Moving Project Projets en Mouvement

D’autres producteurs réalisent des opérations en coproduction avec la Friche comme le GMEM (musique contemporaine), l’Officina pour son festival DanseM…

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23/09/03 Chers www.surfeurs et www.surfeuses, Vous avez affaire à un petit questionnaire. Vos réponses serviront de points d’appui à l’évaluation sociologique des utilisations et des enjeux liés aux TIC à la Friche la Belle de Mai. En parallèle de mon travail à Marseille Objectif Danse, je prépare en effet une maîtrise de sociologie à l’Université de Besançon.

Vous êtes partie prenante de la production et de la visibilité de l’art. C’est de cette implication que naît l’intérêt de repérer vos usages sur le net, particulièrement ceux qui vous connectent à l’art contemporain et aux arts visuels plus largement.

1.

2.

3.

4.

5.

6.

Depuis combien de temps oeuvrez-vous dans le secteur culturel ?

Moins de 2 ans Pas moins de 5 ans Autour de 10 ans Depuis toujours Depuis combien de temps êtes-vous à la Friche la Belle de Mai ?

Moins de 2 ans Pas loin de 5 ans Presque 10 ans Depuis toujours Depuis quand avez-vous commencé à « naviguer » sur le Net ?

Récemment Depuis 2/3 ans Depuis 4/5 ans Depuis sa démocratisation (1994) Depuis sa création (les années 50) À quel titre ?

Privé Professionnel À quel moment ?

Le matin L’après-midi Le soir La nuit N’importe quand Combien de fois par jour ?

5 à 10 fois 10 à 20 fois Plus

7.

8.

9.

10.

11.

12.

13.

14.

15.

16.

Quelle est votre page d’accueil ?

Quels éléments avez-vous mémorisés dans votre disque dur ?

Quels éléments avez-vous mémorisé comme favoris ?

Quel est l’historique de votre utilisation d’internet à ce jour ?

Vous êtes vous rendu sur des sites d’expositions virtuelles, si oui, lesquels ? Êtes-vous inscrits sur des mailing lists de diffusion et d’information ?

Participer-vous à des forums, des « chats » ou à des œuvres collectives ?

Quelle interactivité y trouvez-vous ?

Quelle perception avez-vous des technologies numériques et du web ?

Quelle appropriation vous faites-vous des propositions artistiques que vous y trouvez ?

17. Quels discours tenez-vous autour des enjeux qui sont liés au développement d’internet ? Les technologies sont-elles en passent de modeler nos systèmes de représentation et d’influer sur nos comportements et nos actions ?

18. Et, pour finir, quelles expositions réelles avez-vous vues dernièrement ?

Pour tout renseignement, vous pouvez me contacter par mail, en blandine.mod@lafriche.org. En fonction de l’évolution de cette étude disponibilités, nous pourrons être amenés à d’autres entretiens.

Merci beaucoup de Blandine

votre précieuse

écrivant à et de vos

participation.

Blandine Cordellier Maîtrise de Sociologie Sous le direction de Olivier THEVENIN Université de Besançon, Franche-Comté

67

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Glossaire Art multimédia : Art qui fait appel à une pluralité de « médiums » ou de supports techniques (peinture, photographie, sculpture, vidéo, image numérique…). L’artiste lisse et efface les points de jonction et de rencontre des différents médiums ou bien il joue du choc et de l’hétérogénéité des techniques utilisées. Les installations et environnements font fréquemment appel à cette pluralité de supports et apparaissent comme les lieux privilégiés du multimédia. Les années 1990-2000 se caractérisent par une prolifération des travaux de ce type. On aboutit à une nouvelle forme de « mélange des arts », les nouvelles technologies conférant actualité et nouveauté à la notion d’ « art total » des avant-gardes du début du XXème siècle (constructivisme, futurisme, Bauhaus, etc.).

Art sociologique : Mouvement artistique apparu au début des années 1970 (sous l’influence, en particulier, de Fred FOREST) et qui tend, tout à la fois, à prendre en charge, refléter et critiquer les modes de comportement sociaux. En une attitude souvent paradoxale puisqu’il se sert de ces mêmes moyens de communication de masse (journaux, télévision, réseaux) qu’il entend par ailleurs dénoncer.

Base de données (database) : Ensemble d’informations spécifiques, stockées et gérées par informatique, accessible en ligne et à distance.

Bit : Unité élémentaire du langage binaire ne pouvant adopter que deux valeurs distinctes (1 et 0).

Capteur (senseur) : Dispositif technique permettant la captation et la transmission de données physiques (gestuelles, corporelles, oculaires, vocales, etc.) utilisables par un programme informatique.

Cathodique (tube) : Tube dans lequel un flux d’électrons est dirigé vers une surface fluorescente où son impact produit une image. Elément de base de l’appareil de télévision et de la console de visualisation de l’ordinateur.

Cd-Rom : Disque compact permettant le stockage de données sous forme numérique. « La possibilité d’amasser, de comprendre, de saisir, d’assembler de grandes quantités d’information dans un temps très réduit devient de plus en plus sophistiquée » (Peter GREENAWAY).

Cybernétique : Science du « gouvernement » des machines. Etude portant sur les processus de commande et de communication des organismes vivants et des machines. Théorie fondée dans les années 1940 par Norbert WIENER. Cyborg : Organisme de nature cybernétique, conçu selon un modèle mécanique, le cyborg fonctionne comme une sorte d’extension du corps humain. Il vise à amplifier nos capacités sensorielles, kinesthésiques ou cognitives.

Dispositif plastique : Agencement spatio-temporel particulier, ensemble des éléments constituant une œuvre d’art ou permettant son déroulement.

Dispositif vidéo : La forme (rectangulaire) du module télévisuel et la technique vidéo (feedback, retransmission en temps quasi-réel, etc.) favorisent la construction de dispositifs vidéo particuliers. Murs, tours, pyramides, écrans multiples (travaux de Nam June PAIK, de MarieJo LAFONTAINE, etc.). Feed-back et retransmission en « temps réel » permettent par ailleurs un emboîtement et une mise en abîme de l’image. Jouant sur un léger décalage entre le temps de l’enregistrement et le temps de la restitution, les dispositifs vidéo appellent la constitution de « boîtes » ou de « chambres » optiques dotées de curieux effets de « miroirs » (cf. les dispositifs de Dan GRAHAM ou de Peter CAMPUS).

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Electronique : Technique utilisant les variations de grandeur électrique pour capter et transmettre l’information.

Ergonomique : Qui vise une bonne adaptation entre un matériel et son utilisateur.

Feed-back : Action en retour qu’un système d’information exerce sur lui-même. En 1913, le terme « feed-back » sert à désigner la régénération du signal sonore qui se produit lorsque l’on oriente un microphone dans la direction du haut-parleur auquel il est connecté : s’ensuit un son, strident et modulable. Le même phénomène se produit lorsque l’on dirige une caméra dans la direction de l’écran du moniteur auquel elle se trouve reliée : l’image du moniteur apparaît ainsi à l’infini. Les artistes vidéo ont eu abondamment recours à ce procédé. Le degré d’inclinaison de la caméra, sa position, la manipulation de l’objectif permettent de générer toutes sortes d’images, par emboîtement et enroulement, morcellement et démultiplication. Jochen GERZ s’en servira, en 1978, comme élément emblématique d’un de ses installations, le cadre du téléviseur, emboîtées à l’infini, les images successives du simple cadre du télévisuer… « Le temps et le feed-back qui le concrétise sont des notions fondamentales. Le feed-back, c’est le lien entre le passé et le présent. C’est en quelque sorte le temps en circuit fermé » (Nam June PAIK).

Fractale : Certaines formes naturelles (le contour des côtes maritimes, celui des nuages, la structure des flocons de neige, les ramifications des arbres ou des bronches, les réseaux hydrographiques, etc.) présentent des irrégularités et un caractère fragmentaires qui ne peuvent être maîtrisés qu’à l’aide d’un processus mathématique particulier. Théorisées par Benoît MANDELBROT, les fractales (images ou objets) reposent sur la mise en abîme d’une forme de base qui se trouve emboîtée et répétée (ou reproductible) à l’intérieur d’elle-même. « Les fractales formulent une géométrie, qui perpétue, d’anamorphoses en métamorphoses, une nouvelle tension entre forme et informe, figuration et dé-figuration » (Michel CHEVALIER).

Hacker : Personne qui contourne, par défi ou par jeu, les lois de protection des logiciels informatiques, notamment sur Internet.

Hardware : désigne le matériel informatique par opposition au software.

Hétérotopie : Modèle théorique de représentation du fonctionnement de la connexion d’éléments de nature différente.

Holographie : Enregistrement et reproduction d’images en trois dimensions fondées sur l’interférence de deux rayons laser, et que l’on perçoit en relief.

Hypermédia : Technique permettant une organisation de l’information qui procède par voie d’association ou de réseau entre différents domaines (texte, image, son).

Hypertexte : Base de données permettant de naviguer d’un texte à l’autre en suivant des voies préétablies.

Image analogique : Qui représente, traite ou transmet des données sous la forme de variations d’intensités continues.

Image numérique (digitale) : Qualifie les systèmes ou dispositifs n’employant que des signaux binaires.

Image de synthèse : Calculée de part en part à partir de modèles mathématiques ou abstraits, l’image de synthèse est donc numérique.

Image 3D : Image tridimensionnelle. Contrairement à l’image 2D qui circonscrit l’objet dans l’espace ou moyen du plan, l’image 3D envisage et calcule l’objet sous tous ses angles, permettant ainsi la variations des points de vue.

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Immatériel : Qui tend à la disparition de la matière, pesante, charnelle. Caractérise les mondes virtuels, lesquels paraissent transparents, flottants, dénués de substance.

Imprimerie optique : Procédé inventé par McLAREN et qui permet de répéter et multiplier une image. Dans Pas de deux (1968), McLAREN s’est ainsi basé sur l’enregistrement des mouvements de deux grands danseurs canadiens.

Incrustation : Processus électronique permettant le remplacement d’une partie de l’image télévisuelle par une autre. Ce processus, qui correspond à une autre forme de « collage électronique », a largement contribué à donner l’image vidéo ce caractère hybride qui en fait la saveur. L’incrustation permet de suturer et « mixer » entre elles des images hétérogènes.

De nombreux artistes y ont eu recours. Michel JAFFRENNOU en a fait un usage abondant dans ses œuvres (Vidéopérettes, Vidéoflashs, Jim Tracking) qui évoquent souvent les gags visuels et la poésie d’un MELIES. Infographie : Informatique appliquée à la représentation graphique et au traitement de l’image.

Informatique : Science du traitement automatique de l’information, basée sur l’utilisation d’ordinateurs et de logiciels.

Installation (espace de l’) : Le dispositif spatial propre à l’installation se présente comme un espace particulier recréé au sein d’une galerie ou d’un musée. Les installations virtuelles renforcent le sentiment de délocalisation ou d’ubiquité que procure tout le spectacle. L’espace virtuel, la possibilité de réagir et d’agir (en temps réel), le fait de pouvoir intervenir sur un espace fort éloigné modifient la relation du spectateur à l’œuvre d’art. Celle-ci s’inscrit de plus en plus dans l’espace réel. Mais cet espace se dilate et devient représentatif, permettant de sentir des objets ou des êtres virtuels, absents ou inventés. Et de jouer avec eux.

Installation (temps de l’) : Du ralenti le plus extrême (Douglas GORDON dilatant, étirant, diluant sur 24 heures les images du films de HITCHOCK Psychose, dans 24 hours Psycho, 1993) à l’accélération la plus débridée, modelée fréquemment sur le rythme propre au clip ou au film publicitaire, l’installation (vidéo ou multimédia) contraint le spectateur à s’inscrire au cœur d’une certaine durée, d’un tempo particulier. « Avec la vidéo, il devient possible de jouer un temps différé, il y a disjonction entre le temps et le lieu » (Dan GRAHAM).

Interactivité : Action réciproque, s’exerçant en temps réel, entre l’homme et le dispositif technique. L’interactivité favorise le contact du public avec l’œuvre. Le spectateur s’implique dans l’œuvre et participe à son fonctionnement.

Logiciel : Ensemble des règles et des programmes informatiques permettant un traitement spécifique de l’information. Synonyme : application Lumière de synthèse : Au contraire de l’image vidéo, qui résulte d’un enregistrement physique de la lumière, le monde de l’image de synthèse est un univers où les lumières, les ombres, les reflets et les objets sont mathématiquement déterminés. L’infographiste modélise les formes, les textures et la couleur des objets, puis positionne (en s’appuyant sur des lois optiques quelques peu simplifiées) les lumières dans la scène (localisation, intensité, couleur). Le logiciel n’a plus ensuite qu’à calculer l’image.

Mémoire morte : Stockage d’informations non volatiles, accessibles en seule lecture et ne pouvant être modifiées par l’utilisateur.

Mémoire vive : Stockage de données volatiles pouvant ^ter mues et modifiées en cours de traitement par l’utilisateur.

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Morphing : Processus qui consiste à transformer progressivement une image numérique en une autre en agissant sur leurs différents paramètres. Les artistes ont beaucoup utilisé ce procédé qui permet de faire évoluer, muer ou « vieillir » un visage ou un objet.

Ordinateur : Machine traitant l’information de manière automatique, au moyen de programmes arithmétiques et logiques.

Oscilloscope : Instrument de mesure permettant de visualiser les variations d’une tension sur écran cathodique.

Palette graphique : Dispositif graphique constitué d’une station de travail reliée à un ordinateur. La palette graphique fut très utilisée dans les années 1980. « Ma méthode actuelle consiste en un va-et-vient entre ma table de travail manuel et ma table traçante automatique. Je rectifie pas à pas le programme en fonction des esquisses main et, de retour, je rectifie les versions main en fonction de certaines retombées fortuites heureusement. C’est la confrontation entre un programme qui produit souvent du sauvage et une main qui a tendance à civiliser à l’excès » (Vera MOLNAR).

Performance : Expression artistique mettant en scène des actes ou des évènements, impliquant généralement la participation du corps de l’artiste et, parfois, celle du spectateur.

Essentielle à la compréhension de l’art contemporain, la performance se situe au confluent des arts plastiques et des arts du spectacle. Beaucoup d’artistes vidéo y ont eu recours. La performance se distingue de l’installation et de l’environnement en ce qu’elle intègre dans sa structure la participation de l’être humain et le développement d’une action dans un temps et un lieu (déterminés et limités). L’action « cesse », alors que l’installation « dure ». ce type de manifestation fut très lié au développement de l’art corporel au début des années 1970.

Pixel : L’image enregistrée est composée de pixel ou de « points ». de teinte homogène, le pixel est le plus petit élément de l’image numérique. L’ensemble des points. L’ensemble des points constitue des lignes. Le nombre des points qui constituent ces lignes sur l’écran détermine la définition ou la résolution de l’image.

Pixellisation : Technique utilisée dans le cinéma d’animation, mise au point par Norman McLAREN (Voisins, 1952) et qui consiste à enregistrer image par image les mouvements d’un personnage ou les déplacements d’un objet.

Programme : Séquence d’instructions et de données enregistrées sur un support et susceptible d’être traitée par un ordinateur.

Réalité virtuelle : Simulation d’un environnement réel au moyen d’images de synthèse tridimensionnelles. Environnement artificiel généré par l’ordinateur et auquel le spectateur est confronté ou à l’intérieur duquel il se trouve immergé. Le port de différentes prothèses (lunettes, gants de données, capteurs, etc.) renforce encore l’illusion de la réalité de cet univers. Il s’agit là d’un profond bouleversement de données spatiales traditionnelles, l’espace « virtuel » fonctionnant comme une sorte de « pli » extra-dimensionnel, comme lieu fantomatique et cependant « habitable ». Perceptible et modifiable. « L’espace virtuel, écrit Paul VIRILIO, est une dimension fractionnaire supplémentaire de la réalité. Ce n’est pas un simple effet de relief. C’est un lieu où l’on peut agir… » Des individus peuvent se rencontrer au sein de cet espace virtuel, des chirurgiens opérer un patient situé de l’autre côté de l’Atlantique et le docteur DU ZHENJUN enseigner l’anatomie sur sa propre dépouille. L’image acquiert comme un surcroît de réalité.

Réseau : Web (en anglais, Network, synonyme : toile), ensemble d’ordinateurs géographiquement éloignés les uns des autres et interconnectés entre eux par des canaux de transmissions. Sons, images, textes peuvent en permanence être véhiculés et échangés.

L’instauration du système des réseaux a profondément modifié les processus de communication. Celle-ci est désormais globale, mondiale, espace et temps semblant s’être « rétrécis », puisqu’il est aujourd’hui techniquement possible de transmettre quasi Blandine Cordellier Maîtrise de Sociologie Sous le direction de Olivier THEVENIN Université de Besançon, Franche-Comté

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immédiatement, en temps réel, une information à des interlocuteurs situés de part et d’autre de la planète. Le maillage des réseaux étant, par ailleurs, de plus en plus fin, on a pu assister au développement de réseaux parallèles de plus en plus nombreux. Les réseaux jouent donc à un double niveau : macroscopique et microscopique.

Rhizome : Tige souterraine aux ramifications particulièrement développées. Le terme est utilisé par Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI pour désigner la structure en « réseaux » de notre société : « Le rhizome procède par variation, expansion, conquête, capture, piqûre. […]

Le rhizome se rapporte à la carte qui doit être produite, construite, toujours démontable, connectable, renversable, modifiable, à entrées et sorties multiples… » (Mille Plateaux, 1980).

Site : Lieu virtuel. Ensemble d’informations (ou de pages Web) disponibles sur Internet et accessibles par l’intermédiaire d’un serveur (organisme gérant et diffusant des banques de données).

Software : Désigne le logiciel par opposition au hardware.

Téléprésence : Projection virtuelle d’un individu, sous la forme d’une image, d’un espace dans un autre. L’action s’effectuant en direct, l’individu peut agir à distance sur l’environnement où il ne se tient que « virtuellement ». La téléprésence a souvent été utilisée par les artistes, ceux-ci jouant de l’ubiquité et du fort potentiel d’étrangeté du dispositif, dispositif particulièrement fructueux puisqu’il permet la rencontre en un même temps (réel) de deux (ou plusieurs) personnages situés en des lieux éloignés. C’est la conception même de l’espace qui bascule ; les notions de proximité ou d’éloignement deviennent relatives ; la perception se transforme, incluant plus que jamais dans ses mécanismes une part d’imaginaire.

Télévision : Transmission par câble ou par ondes radioélectriques d’images pouvant être reproduites sur un écran au fur et à mesure de leur réception.

Temps réel : Temps de travail d’un ordinateur ou d’un dispositif réagissant de manière très rapide à une instruction quelconque. Le temps de réaction entre l’injonction et la réponse est réduit au minimum. Cette notion joue un rôle très important dans toutes les actions et interventions de l’artiste qui nécessitent une réponse ou un engagement de la part du public.

Le temps de réaction de l’ordinateur ou du dispositif est si faible qu’il passe inaperçu et donne le sentiment d’un parfait « direct ». ‘S’oppose à « temps différé ».)

Typologie : Etude des traits caractéristiques dans un ensemble de données, en vue d’y déterminer des types, des systèmes.

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