Médiation : des productions à l'oeuvre

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Médiation : des productions à l’œuvre Monographie du festival Elektra Blandine Cordellier

Avant-propos 1.

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Construction de l’objet

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1. 1.

Contexte théorique

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1.2.

Une sociologie de la réception

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1.3.

D’autres approches

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1.4.

La médiation

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1.4.1. Des parcours 1.4.2. Des acteurs 1.4.3. Et des formes

2.

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1.5.

Les noeuds et les tensions

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1.6.

Problématiques

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Compte-rendu d’observation directe

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2.1.

Méthode et premier contact

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2.2.

Elektra ?

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2.2.1. 2.2.2. 2.2.3. 2.2.4. 2.2.5. 2.3.

La scène culturelle montréalaise Le champ de l’art numérique Le festival Les objectifs L’équipe de l’ACREQ-Elektra

Les médiations d’Elektra 2005 2.3.1. Les différents supports 2.3.1.1. 2.3.1.2. 2.3.1.3. 2.3.1.4.

Le site web et les news letters L’affiche, le programme et le catalogue Les médias et la publicité Les partenaires publics

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2.3.2. Les lieux pratiqués

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2.3.3. Les temps de paroles publiques

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2.3.3.1. 2.3.3.2. 2.3.3.3.

L’activité pédagogique Les conférences lectures La présentation et table ronde

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2.4. 3.

Enquête sur les publics

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Analyse interprétative 3.1. 3.2. 3.3.

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… Que fait le langage ? Fonctionnalité, différenciation et rationalité

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Conclusion

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4.

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Annexes CV

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Elektra

page Programme 2005 Red Snipper, S338 Ryoji Ikeda, C4 Dfuse/Scanner, Light Turn Down Front 242 Rafael Lozano-Hemmer, Frequency and Volume UVA, UVA

Les questionnaires

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5.

Bibliographie

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6.

Sites web de références

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6.1. 6.2. 6.3. 6.4.

Les producteurs Les lieux de diffusion Les artistes Quelques autres (partenaires, institutions, médias…)

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Avant-propos Après l’art numérique1 cybercommunicationnel, les usages du web par des producteurs culturels2, l’objet de cette recherche se constitue autour de la médiation, des individus, des lieux, des moments et des outils visuels et sonores qui la construisent. À côté des œuvres, entre la production et la réception, sont approchés plus particulièrement les débats, colloques, séminaires, tables rondes et conférences ou rencontres qui font les paroles des festivals mais aussi les images qui en font la promotion et les lieux qui les hébergent. Dans le souci d’éclairer les signes de fragmentation du public, la diversification à l’infini des médias culturels, cette recherche se forme autour de la notion de discipline, de son histoire mais aussi de son actualité et des moyens qu’elle se donne. Une méthode empirique, inventive, met en perspective les théories évoquées. Les systèmes opératoires sont désignés au cours de l’étude d’un cas particulier : la sixième édition du festival montréalais Elektra produit par l’ACREQ (Association de Création et de Recherche en Électroacoustique du Québec). La monographie d’Elektra qui en résulte, en suivant les traces du produit/reçu, tente d’enjamber les frontières préconçues et de rendre compte de la complexité intrinsèque de cet objet d’étude qu’est la médiation. L’analyse des agents médiateurs qui interviennent et qualifient par leurs discours les manifestations culturelles, en est une perspective comme une réflexion sur les stratégies de communication mises en œuvre dans les médias et par l’espace public. Le travail se porte sur cette marge de manœuvre, sur ce jeu, cette variation, sur ces espaces de liberté entre les faits observés et le discours. Il s’agit d’étudier tout ce qu’elle nomme et rejette hors de ses frontières information, communication, illégitime... - et de l’éprouver à travers la poursuite de celles-là. L’objectif est de cerner la médiation culturelle à travers ses revendications et ses revers par l’observation sociologique. Pour en rendre compte : « Il faut poser les problèmes de manière à laisser au seul raisonnement le soin d’en résoudre la plus grande partie possible. Par le moyen du raisonnement, nous nous efforçons a) d’isoler toutes les questions de fait qui demeurent ; b) de poser ces questions de fait de telle manière que les réponses nous ménagent d’autres solutions à l’aide d’autres raisonnements. »3

1

L’art de la communication, texte théorique et critique, rapport de stage à CYPRES, Centre international de recherche sur les relations art/technologies/cognition, Licence Professionnelle des Métiers de l’Exposition et des Technologies de l’Information, Université de Besançon, 2002. 2 Mémoire de Maîtrise de Sociologie sous la direction d’Olivier Thévenin (Quelles connexions de l’art à internet, Monographie des usages à la Friche la Belle de Mai), Université de Besançon, 2003. 3 MILLS, Charles W., Appendice in L’Imagination Sociologique, La Découverte, Paris, 1997. 3/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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La cartographie de ses circuits et ses compartiments, mouvants, politiques et normatifs, vise non seulement à révéler des logiques historiques de production mais également à démontrer le façonnement de la réception par le rôle des processus des médiations.

Quels sont les investissements des paroles/programmes ? Quels en sont les enjeux ? Nœuds et tensions 1.

Construction de l’objet 1.1.

Le contexte

Par L’Imagination Sociologique, Charles Wright Mills souhaite amèner celui qui en est doué à comprendre « le théâtre élargi de l’histoire en fonction des significations qu’elle revêt pour la vie intérieure et la carrière des individus »4. Le mode d’être de l’homme tel qu’il est constitué dans la pensée moderne permet à ce même homme de jouer deux rôles : il est à la fois au fondement de toutes les positivités et présent dans l’élément des choses empiriques. Ce fait est décisif pour le statut à donner aux sciences humaines qui prennent pour objet l’homme en ce qu’il a d’empirique. L’émergence historique de chacune des sciences humaines se fait à l’occasion, à l’apparition d’un problème, d’une exigence, d’un obstacle d’ordre théorique ou pratique. Par exemple , il faut qu’apparaissent les nouvelles normes imposées par la société industrielle pour que, lentement, la psychologie se constitue comme science ou que les menaces qui pèsent après la Révolution sur les équilibres sociaux instaurent des réflexions de type sociologique… Le fait que l’homme, isolé ou en groupe, soit devenu objet de science, ne peut être considéré, ni traité comme un phénomène d’opinion mais un événement dans l’ordre du savoir. « Il faut se représenter le domaine de l’épistémè moderne comme un espace volumineux et ouvert selon trois dimensions. Sur l’une d’entre elles, on situerait les sciences mathématiques et physiques, pour lesquelles l’ordre est toujours un enchaînement déductif et linéaire de propositions évidentes ou vérifiées ; il y aurait, dans une autre dimension, des sciences (comme celles du langage, de la vie, de la production et de la distribution des richesses) qui procèdent à la mise en rapport d’éléments discontinus mais analogues, si bien qu’elles peuvent établir entre eux des relations causales et constantes de structure. […] Quant à la troisième dimension, ce serait celle de la réflexion philosophique qui se développe comme une pensée du Même ; avec la dimension de la linguistique, de la biologie et de l’économie, elle dessine un plan commun : là peuvent 4

Ibid. Le grand espoir des sciences sociales in L’Imagination Sociologique. 4/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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apparaître et sont en effet apparues les diverses philosophies de la vie, de l’homme aliéné et des formes symboliques. »5 Dans ce nuage tridimensionnel dessiné par Michel Foucault dans Les Choses et les Mots, les sciences humaines, précaires et incertaines, semblent difficiles à situer. Elles occupent l’écart qui sépare la biologie, l’économie, la philologie, de « ce qui leur donne possibilité dans l’être même de l’homme »6. Les sciences humaines ne sont pas plus une composante de ces sciences qu’elles ne les intériorisent en les infléchissant subjectivement. Alors, ce n’est pas surprenant de se trouver en difficulté quand il s’agit de situer, de borner, tout particulièrement la sociologie de l’art. Cette sociologie est en effet en étroite proximité non seulement avec les disciplines traditionnellement en charge de son objet (histoire de l’art, critique, esthétique) mais aussi avec les sciences sociales connexes à la sociologie (histoire, anthropologie, psychologie, économie, droit…). La question du regroupement des disciplines et leur hybridation constitue d’ailleurs l’horizon actuel d’une réflexion sur les régimes disciplinaires. Le débat est intense. Surtout dans les sciences sociales qui associent rigidité institutionnelle et incertitude paradigmatique. « J’ai personnellement fait l’expérience, en plus de trente ans de métier, des difficultés que recèle la volonté explicite, justifiée épistémologiquement et empiriquement, de se situer à la frontière de l’anthropologie, de la sociologie et de l’histoire. L’indiscernabilité épistémologique de ces trois disciplines, impeccablement démontrée par Jean-Claude Passeron, est sans effet sur les représentations hyperdisciplinaires qui dominent la quotidienneté institutionnelle de nos activités. »7 Par rapport à la double tradition de l’histoire de l’art qui traite des relations entre les artistes et les œuvres, et de l’esthétique, des relations entre les spectateurs et les œuvres, la sociologie de l’art pâtit à la fois de sa jeunesse et de la multiplicité de ses acceptions, reflétant la pluralité des définitions et des pratiques de la sociologie. C’est là le « triple jeu »8 qui donne sens aux avatars des avant-gardes actuelles et qui associe trois approches très compartimentées que sont la sociologie des œuvres, la sociologie de la réception et la sociologie de la médiation.

5

FOUCAULT, Michel, Les Sciences Humaines, chap. X in Les Mots et les Choses, Gallimard, 1966. Ibid.. 7 FABIANI, Jean-Louis, A quoi sert la notion de discipline ? Conférence inaugurale du Master Recherche, Université d’Avignon, 23 octobre 2004. 8 HEINICH, Nathalie, La Sociologie de l’Art face à l’Histoire de l’Art, Colloque national L’Histoire de l’Art en Question(s), Bibliothèque Municipale à Vocation Régional L’Alcazar, Marseille, 21 mai 2005. 6

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Une des forces actuelles de la sociologie de l’art est le recours à l’enquête. L’investigation empirique ne considère plus l’art et la société, ni l’art dans la société, mais l’art comme société, en s’intéressant au fonctionnement du milieu de l’art, ses interactions, sa structuration interne. Des mesures statistiques, des entretiens sociologiques et des observations ethnographiques apportent de nouveaux résultats et renouvellent les problématiques. Le dialogue avec les autres domaines de la sociologie (sociologie des organisations, de la consommation, des sciences et des techniques…) permet alors à la sociologie de l’art de suivre les progrès d’une discipline d’évolution rapide. Cependant, rendre raison des comportements individuels paraît plus délicat que des grandes tendances associées à des groupes hétérogènes, surtout quand l’idée d’une liberté devenue plus grande à pouvoir inventer sa vie se fait tenace et quand les acteurs sociaux ne sont que des individus singuliers parmi d’autres individus singuliers. « À tous ceux qui veulent encore parler de l’homme, de son règne ou de sa libération, à tous ceux qui posent encore des questions sur ce qu’est l’homme en son essence, à tous ceux qui veulent partir de lui pour avoir accès à la vérité, à tous ceux en revanche qui reconduisent toute connaissance aux vérités de l’homme lui-même, à tous ceux qui ne veulent pas formaliser sans anthropologiser, qui ne veulent pas mythologiser sans démystifier, qui ne veulent pas penser sans penser aussitôt que c’est l’homme qui pense, à toutes ces formes de réflexion gauche et gauchies, on ne peut opposer qu’un rire philosophique – c’est-à-dire, pour une certaine part, silencieux. »9 Dans ce contexte, comment peut-on analyser sociologiquement des pratiques culturelles de plus en plus dissonantes sans tendre à une psychologisation de la société ? La sociologie peut en effet dire des individus qu’ils habitent tous à la fois le monde social et qu’ils sont simultanément habités par ce monde. L’élément significatif, dans le processus perceptif normal, a longtemps échappé aux chercheurs, à ceux qui l’appréhendent. Cette chose est en effet incorporée aux stimuli et le sujet immergé ne distingue pas les influences culturelles qui s’exercent sur son propre comportement. Ce sont les ethnologues qui contribuent à mettre à jour ces emprises, qu’il s’agisse de sensations visuelles, gustatives, olfactives, tactiles, sonores… La culture médiatise ce qui est à éprouver en désignant ce qui est agréable ou ne l’est pas, ce qui est beau, bon ou bien. La perception permet donc de saisir la réalité telle qu’elle doit être saisie ! L’étude de l’art pictural montre comment la représentation d’une même chose varie selon les époques et les pays. À la fin du XIXème siècle, Emile Durkheim traite de ces phénomènes de représentations collectives et permet leur construction en objet de recherche. La représentation individuelle est pour lui neurologique par simple synthèse chimique. Par analogie, l’association d’individus au sein du corps social constitue le 9

FOUCAULT, Michel, L’homme et ses doubles, chap. IX in Les Mots et les Choses, Gallimard, 1966. 6/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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support social d’une autre formation : les représentations collectives, la matière première de toute conscience sociale. Dans autre perspective sociologique, à la même époque, Gabriel Tarde, a qui l’on doit la notion d’opinion, utilise aussi une métaphore biologique et explique les croyances comme des microbes circulants d’organisme en organisme. Aujourd’hui, avec Edgar Morin, les idées, théories, philosophies, mythes et fantasmes, sont considérés comme des virus. Les cultures se confondent avec les écosystèmes dans lesquels ces « virus » se multiplient. La mondialisation de la culture est alors une gigantesque épidémie et les idées - théories, philosophies, mythes et fantasmes -, des germes qui nous affectent. La culture se juge à des opérations, non à la possession des produits. Parler de mondialisation de la culture, confondre les industries culturelles et la culture, c’est prendre parti pour le tout et faire preuve d’un ethnocentrisme analogue à celui de société plus ou moins close et fortement structurée10. L’érosion des cultures singulières se forge dans une humanité qui reste une machine à fabriquer de la différence, de la distinction. Ces clivages localisés, socialisés, verbalisés, identifiés, sont aussi des repères individuels et collectifs. À y regarder de plus près, la conjonction du marketing culturel et de la contemplation esthétique aboutit aux résultats d’une recherche consumériste du plaisir à l’occasion de loisirs culturels singuliers et comparables. C’est ce que défend et affirme Bernard Lahire, notamment au cours d’un entretien avec le magazine Télérama au début de l’année dernière. « La culture de masse et l’industrie culturelle n’ont pas surgi à la fin du XXème siècle. Dès la fin du XIXème en France, c’est par la presse populaire avec ces faits-divers, ces romans-feuilletons et ces chroniques judiciaires, que se constituent leurs premiers publics. Depuis, elles n’ont cessé de se développer au point qu’elles ne sont plus désormais réservées aux classes populaires et à tous ceux qui sont scolairement démunis. On a longtemps pensé qu’une culture populaire de masse, et notamment une certaine culture du divertissement, s’opposait à la culture légitime des élites. On prend aujourd’hui la mesure du fait qu’elle est présente dans tous les milieux sociaux. »11 La critique de la culture de masse fournit une occasion assez rare où conservateurs et progressistes se retrouvent main dans la main pour faire cause partiellement commune. Là où ces traditions se séparent, c’est dans le fait de souhaiter ou de craindre une démocratisation de l’accès à la culture légitime. Les pouvoirs publics ont une responsabilité manifeste de l’existence de certaines formes culturelles qui ne peuvent rencontrer immédiatement un large public et la banalisation de tous ces usages de médiation légitime interroge l’essence même de leur existence. Les politiques culturelles menées sont informées au moins autant par une conception a priori de la culture que 10 11

WARNIER, Jean-Pierre, La Mondialisation de la Culture, La Découverte, Syros, Paris, 1999. LAHIRE, Bernard, La Culture des Individus, entretien avec Télérama n°2820, janvier 2004. 7/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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par les œuvres elles-mêmes pourtant susceptibles de transcender le politique, et/ou par les populations régionales porteuses d’identité culturelle. Le pouvoir recouvre peut-être la notion d’identité et l’incertitude est à spécifier en ce qu’elle bouscule réellement leur jeu et permet une redistribution des cartes. Alors, comment l’offre culturelle se structure-t-elle ? Comment contribue-t-elle à produire le paysage des réceptions de l’art actuellement ? À considérer la culture comme on la pratique, non pas valorisée par la représentation officielle ou par la politique économique, mais dans ce qui la soutient et l’organise, trois priorités issues de la culture populaire s’imposent : l’oral, l’opératoire et l’ordinaire12. En assurant progressivement leur autonomie, l’industrie et la technologie de la culture se sont détachées de ces trois secteurs pour en faire les objets même de leur conquête. « Il est faux de croire que désormais les objets électroniques et informatiques suppriment l’activité des usagers. De la chaîne haute-fidélité au magnétoscope, la diffusion de ces appareils multiplie les ruses et provoque l’invention des usagers, des jubilations manipulatoires des enfants devant les boutons, les claviers, la télécommande, à l’extraordinaire virtuosité des techniques des « chasseurs de sons » et autres amateurs passionnés de hi-fi. On enregistre des fragments d’émissions, on réalise des montages, on devient ainsi producteur de sa petite « industrie culturelle », compositeur ou gérant d’une bibliothèque privée d’archives visuelles et sonores. »13 1.2.

La réception

La démarche de renversement des causes s’intéresse à l’installation de ces réalités. L’offre culturelle n’a pas un code en elle-même, et l’individu récepteur est co-producteur de la signification des messages qu’il intègre. Observer l’usage des biens culturels en situation de réception veut surmonter l’écart entre déclarations et pratiques pour décrire les significations réellement attribuées aux produits artistiques. L’étude de la réception mène alors à une meilleure connaissance du rapport qu’entretiennent les acteurs avec les phénomènes artistiques. Mais, la réception de ces produits est probablement décevante si on la mesure aux codes légitimes ou au modèle de la réception savante. L’une des premières conclusions de l’importante enquête par étude de statistiques menée en 1966 par Pierre Bourdieu est qu’on ne peut parler du public en général mais des publics stratifiant l’accessibilité à la culture. Cela a pour conséquences, entre autres, l’amélioration de la signalétique ou des réponses aux besoins pédagogiques et cela

12

DE CERTEAU Michel et GIARD, Luce, Une science pratique du singulier in L’invention du Quotidien, 2. Habiter, Cuisiner, Gallimard, Paris, 1994. 13 Ibid. 8/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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affirme la vocation démocratisante de la sociologie de l’art qui trouve par là une mise en perspective efficace. Comment autour de l’instable sujet de la production artistique, de la création via la médiation à la réception se pose le contenu et le devenir des évènements culturels quand le pluridisciplinaire confond les identités ? On ne peut pas se permettre d’éliminer d’avance avec l’idée de réception, l’hypothèse d’une créativité autre que celle des producteurs au pouvoir ou d’un milieu favorisé. Plus qu’à comprendre, les biens culturels sont bien à s’approprier. Ce sont des « arts de faire » que Michel de Certeau présente dans L’Invention du Quotidien. Avec des exemples de terrain où sont repérées les modalités spécifiques de pratiques énonciatives s’ouvre la possibilité d’analyser un champ immense d’exercices de la culture. « Perruquer » est une de ces décoiffantes pratiques de détournement. Elle ne se cantonne pas au passé ou à la campagne profonde. C’est au cœur de l’économie contemporaine que ce modèle opératoire d’une culture populaire existe. « Accusé de voler, de récupérer du matériel à son profit et d’utiliser les machines pour son compte, le travailleur qui « fait la perruque » soustrait à l’usine du temps (plutôt que des biens, car il n’en utilise que les restes) en vue d’un travail libre, créatif et précisément sans profit. Sur les lieux même où règne la machine qu’il doit servir, il ruse pour le plaisir d’inventer des produits gratuits destinés seulement à signifier par son œuvre un savoir-faire propre. […] Bien loin d’être une régression vers des unités artisanales ou individuelles de production, la perruque réintroduit dans l’espace industriel (c’est-à-dire dans l’ordre présent) les tactiques « populaires » de jadis ou d’ailleurs. »14 Alors qu’il est exploité par un pouvoir dominant, ou simplement dénié par un discours idéologique, ici l’ordre est joué pour un art. Dans l’institution à servir s’insinue un style d’échanges sociaux, d’inventions techniques et de résistance morale parce que le cloisonnement progressif des temps et des lieux – logique disjonctive de la spécialisation par et pour le travail - ne donne pas de contrepartie suffisante dans les rituels conjonctifs des communications de masse. En détournant ces détournements, la télévision et la radio réagissent et diffusent une sorte de vision anti-intellectualisme qui habitue à associer mentalement culture et ennui, art et prise de tête. 1.3. 14

D’autres approches

DE CERTEAU, Michel, Cultures populaires in L’Invention du Quotidien, 1. Arts de Faires, Gallimard, 1990. 9/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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De nombreux travaux s’attachent à étudier les représentations ou les comportements d’une société. Par la connaissance de ces objets sociaux, il est possible et nécessaire de repérer l’usage qui en est fait par des groupes ou des individus. L’analyse par exemple des images diffusées par la télévision, des représentations et des temps passés en stationnement devant le poste - un comportement - se doit d’être complétée par l’étude de ce que le consommateur culturel fabrique pendant ce temps avec ces images. C’est une production cachée, disséminée, occultée par le système des producteurs. L’artiste, lui, à travers des biographies surtout, et essentiellement à titre individuel, fait l’objet d’une véritable considération. Pourtant, ces mêmes artistes ont longtemps été classés sous la rubrique « divers » des catégories socioprofessionnelles répertoriées à l’INSEE ! Ici, les critères classiques en sociologie des professions (revenu, diplôme, appartenance à des associations professionnelles) sont difficilement applicables. Lorsque Pierre Bourdieu entreprend de faire une sociologie des producteurs d’art, son projet est nettement explicatif et orienté vers les œuvres. Avec Les Règles de l’Art ou Libre Échange - entretien avec l’artiste Hans Haacke - il pose les fondements d’une science des œuvres dont l’objet est non seulement la production matérielle mais aussi une production de valeur. Cette sociologie des producteurs n’est qu’un passage vers une sociologie des œuvres dans une perspective ni descriptive d’une morphologie sociale, ni compréhensive avec l’analyse des représentations mais explicative de la genèse des œuvres et peut être critique en dénonçant les croyances des acteurs. Cette posture de Pierre Bourdieu qui cherche à démystifier les croyances de sens commun dans l’autonomie de l’art et la singularité du génie artistique est une posture critique partagée avec le sociologue américain Howard S. Becker. La sociologie interactionniste de Becker met l’accent sur les interdépendances et les interactions effectives qui participent à la formation, la labellisation, l’étiquetage matériel ou mental d’un objet comme œuvre d’art. Une originalité majeure des Mondes de l’Art15 est que ce travail ne se limite pas à un seul type de création mais étudie aussi bien la peinture que la littérature, la musique, le cinéma… Dans tous ces domaines, la nécessaire coordination des actions dans un univers foncièrement multiple est mise en évidence. « Tous les arts reposent ainsi sur une large division du travail. […] La division du travail n’implique pas que toutes les personnes associées à la production de l’œuvre travaillent sous le même toit, comme les ouvriers d’une chaîne de montage, ni même qu’elles vivent à la même époque. Elle implique seulement que la réalisation de l’objet ou du spectacle repose sur l’exercice de certaines activités par certaines personnes au moment voulu. Les peintres dépendent ainsi 15

BECKER, Howard S., Les Mondes de l’Art, Flammarion, Paris, 2002. 10/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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des fabricants pour leurs toiles, châssis, couleurs et pinceaux ; ils dépendent des marchands, collectionneurs et conservateurs pour les espaces d’exposition et le soutien financier, des critiques et historiens d’art pour la justification de leur travail, de l’État pour les aides matérielles, voire les lois fiscales susceptibles d’encourager les collectionneurs à acheter des œuvres, puis à les léguer à la collectivité. Ils dépendent du public pour les réactions émotionnelles à leurs œuvres, et des autres peintres, contemporains ou plus anciens, qui ont créé la tradition par rapport à laquelle leur œuvre prend tout son sens. »16 De la coordination à la médiation, il n’y apparaît qu’un pas à franchir. Quand Erwing Goofman définit les lieux de l’action dans Les Rites d’Interaction, il en étudie le terme central : l’action. Récemment entrée dans le langage commun, cette locution se trouve accommodée à toutes les sauces, surtout par la publicité. Là où l’action est présente, il y a presque toujours des chances à courir mais aussi des conséquences. Les individus et les groupes ont évidemment des mesures différentes du risque et de l’occasion. Fatalement, de telles activités sont parfois problématiques. « À l’opposé du temps mort, on trouve le temps plein, le monde du travail sérieux et collectivement organisé, où les efforts de chacun s’engrènent à la demande des autres, qui attendent les fournitures, les équipements et les services dont ils ont besoin pour remplir leurs propres obligations. La production y est enregistrée, et des sanctions viennent frapper ceux qui négligent de s’en acquitter. Bref, la division du travail et l’organisation de la chaîne productive relient de façon très conséquentes le présent de chaque individu à l’avenir proche d’autres personnes. »17 Pourtant, les bonnes raisons ne manquent pas de vouloir, de chercher, le calme et de renoncer aux coups de dés et aux risques associés. Dans une situation tranquille, ordonnée, l’action peut atteindre aisément son but. Plus l’expérience est organisée moins elle laisse place à la fatalité. Pur principe de précaution. Il vaut pour la présentation artistique. La présentation artistique se définit par la mise en œuvre, dans l’espace public, d’une médiation esthétique à la fois porteuse pour celui qui la met en œuvre et pour celui qui y assiste de la représentation d’un idéal politique de la sociabilité et d’un idéal esthétique de soi.

16

BECKER, Howard S., Mondes de l’Art et Activité Collective, in Les Mondes de l’Art, Flammarion, Paris, 2002 GOFFMAN, Erwin, Les lieux de l’interaction in Les Rites d’Interaction, Editions de Minuit, Collection Le Sens Commun créée par Pierre BOURDIEU, Paris, 1974.

17

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1.4.

La médiation

Par la culture, les pratiques sociales singulières deviennent des pratiques collectives : elles s’inscrivent dans des manifestations et des représentations collectives de la sociabilité. La médiation représente l’impératif social majeur de la dialectique entre le singulier et le collectif dans une société qui ne peut exister que si chacun de ses membres a conscience d’une relation dialectique nécessaire entre sa propre existence et l’existence de la communauté. Dans l’objectif de sublimer une logique de l’engagement, de participer à son interprétation et élargir ses publics, la médiation soulève cependant des problèmes d’intérêt pour la lecture des écritures parallèles, des problèmes financiers ou des problèmes éthiques autour par exemple du respect de l’autonomie des oeuvres. Une fois mise en œuvre dans la réalité de l’espace public, la médiation donne à la culture une consistance perceptible et la matérialité sensible d’une prestation réelle, avec ses costumes, ses sonorités, ses mises en scène et ses décors. L’utilisation de différents supports permet cette information du spectateur, à travers des textes, des images fixes ou animées, des sons issus de la production de l’artiste ou de ses partenaires, relayés par les médias, avant et après la réception à proprement dite de l’objet d’art. La continuité du domaine de la création artistique avec des disciplines voisines doit être rétablie. L’ethnologie, la communication et la sociologie des médias, la sociologie des sciences et des techniques sont confrontées à des problèmes analogues. Le contraste entre les solutions proposées suggère l’intérêt du rapprochement. La communication par exemple, autre sociologie de la médiation, est dans la position inverse de celle de la critique sur l’art : au lieu de se heurter aux œuvres que l’art produit, elle en utilise les canaux. Non considérée comme histoire de l’art, cette sociologie puisse entre la circularité de la communication et la positivité de ses médias. Voir plus d’info/sur bouquins médias Le terme de médiation questionne l’articulation entre deux dualités observées. « Il apparaît quand il faut passer du modèle circulaire, implicatif de quoi l’art est médiateur, au modèle linéaire, explicatif qui interroge les médiateurs de l’art. En appelant médiation toute opération qui déplace, vers le modèle linéaire ou circulaire, la cause que se forgent les acteurs d’une réalité, on fait de la confusion qui entoure le mot moins une imprécision du vocabulaire qu’un moyen de dire la dualité présente au cœur du travail mis en cause. »18 Même ambigu, ce terme reste avantageux, agit en promoteur théorique de la notion d’intermédiaire par le suffixe « -tion » d’action et insiste sur le caractère innovateur, 18

HENNION, Antoine, La Passion Musicale, Une Sociologie de la Médiation, Métailié, Paris, 2003. 12/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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d’initiative, voir d’exploit. Il désigne une opération, non des opérateurs et permet de circuler sans solution de continuité des hommes aux choses, en passant par des sujets ou des objets, des outils, des systèmes, des langages, des institutions… De nombreux terrains sont propices, se multiplient et participent à l’évolution du monde par des expressions interactives. Interstice hétérogène, festival pluridisciplinaire ou cyberespace d’exploration, on assiste à l’explosion de super marchés alternatifs de la culture assurant publicité et service varié. L’effet éventuel de ce genre de manifestation est d’habituer le public dans un monde où les conditions de vie modernes rendent difficile l’envie de loisirs studieux, sérieux ou savants à voir associé des pratiques jusque-là distinctes. La complexité de ces rapports sensibles libère le spécialisé et sert plutôt les globalités. L'idée qu'il y a, comme on le pense encore trop souvent dans une approche traditionnelle de l'art et de la culture, d'un côté l'oeuvre d'art, de l'autre le public, est encore prégnante. La médiation représente la nécessité sociale majeure de la dialectique entre le singulier et le collectif. Mais tout se passe dans une sorte de tourbillon permanent et jamais achevé où chacun prend ses marques d'une manière absolument unique dans chaque situation donnée. C’est ce que développe en particulier Antoine Hennion dans La Passion Musicale, Un Essai de Sociologie de la Médiation. Un extrait de cet ouvrage contribue à servir d’exemple. « La musique est un objet d'étude particulièrement intéressant... en tant qu'art de la médiation... On y parle bien peu de sujet ou d'objet, guère d'artiste (est musicien aussi bien le compositeur que l'interprète ou le mélomane) ; on y parle moins d'essence que de performances, d'oeuvres que de versions, d’ « être » que de jeu, d'interprétation, de présence. Non pas la musique d'un côté, le public de l'autre, et entre eux des moyens asservis : tout se joue au milieu, chaque fois, dans un face-à-face précis avec des interprètes, à travers des médiateurs matériels particuliers, instrument, partition, rampe de la scène ou lecteur de disque, séparant des vedettes et un public, des "morceaux" et des amateurs, des oeuvres et des interprètes, un catalogue et un marché... »19 On distingue donc plusieurs catégories de « médiateurs ». Dans le même champ sémantique, on trouve médian, médiat, médium, média, remède ou immédiat. Des renvois conduisent à arbitrage, entremise, entremettre, interposer, intervenir et milieu. Successivement, il importe de différencier les personnes, les moments, les objets et les paroles tous étroitement interconnectés dans la réalité. En effet, une typologie sé dégage et différencie - passifs ou actifs - les médiateurs techniques (espaces de communication) des médiateurs sociaux naturels comme les normes, les valeurs, les représentations et des médiateurs humains (négociateurs, leaders ou modèles). Cette 19

HENNION, Antoine, La Passion Musicale, Une Sociologie de la Médiation, Métailié, Paris, 2003, Chap. Passage(s) public(s). 13/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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typologie est opératoire dans des dispositifs composites d’agencements matériels et géographiques, politiques, organisationnels et techniques. 1.4.1. Parcours Parce qu’il répond à trois définitions complémentaires, l’espace public est par essence le lieu idéal de la médiation culturelle. Circulatoire et non habitable, l’espace public est fonctionnalisé avec de lieux de jeux, de spectacles, de culte, de savoir, de justice, etc. Ces lieux, plus qu’être définis par ceux qui les possèdent, le sont pas les usages dont ils font l’objet. L’espace public n’est pas non plus le lieu de l’appropriation singulière mais celui dans lequel s’expriment et se manifestent les formes collectives de la sociabilité, celui dans lequel s’expriment les logiques politiques et institutionnelles qui constituent la collectivité en État. « Le moment de l’émergence de la cité est le moment où, dans l’histoire, émergent à notre conscience les logiques selon lesquelles nous inscrivons notre sociabilité et notre appartenance dans des formes de pouvoir, de représentation et de territoire. Espaces publics fondateurs, l’agora et le théâtre constituent dans l’Antiquité grecque, les deux espaces publics dans lesquels s’inscrit le contrat social fondateur de la cité – dans le langage politique des institutions et dans le langage culturel des spectacles, l’un et l’autre constituant les pieux de la représentation. Le caractère fondateur de l’espace public par rapport à la cité tient à ce qu’il y ait un espace public, lieu de l’indistinction, pour que puissent s’exprimer et se représenter les formes collectives de notre sociabilité : il faut un espace public de la citoyenneté pour que, pouvant s’exprimer dans les formes d’un langage et d’une communication, elle fasse enfin l’objet d’une représentation qui lui confère une existence à la fois réelle, dans l’espace, et symbolique, dans les codes et dans les lois de la sociabilité. »20 Si l’agora et dans le théâtre antique grec constituent les lieux majeurs de sociabilité de l’époque, c’est que dans ces lieux s’expriment la dimension institutionnelle et esthétique de l’appartenance sociale. Ce « entre » de la médiation sert de lien, de passant et de filtre parfois. L’événement s’interpose avec ses règles, son fonctionnement pratique et symbolique. C’est un rouage qui met en correspondance mais qui peut empêcher les pièces de se toucher. L’installation de ces limites contient la volonté intrinsèque d’être dépassées. Au-delà de l’action des personnes et des institutions, des mots, des chiffres, les images, les objets, les espaces contribuent à s’immiscer entre les œuvres et les regards portés sur elles et/ou les oreilles attentives. D’ailleurs, l’associé de Xavier 20

LAMIZET, Bernard, L’Espace Public : Le Lieu des Médiations in La Médiation Culturelle, L’Harmattan, Communication et Civilisation, Paris, 1999. 14/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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Duroux au Consortium de Dijon, Franck Gautherot21, voit l’offre de médiation essentiellement devenue une offre de lieu, susceptible de s’adapter aux nouvelles formes et donnes, artistiques et culturelles, de la friche industrielle au paysage de Land Art, du monument historique détourné de ses fonctions aux sites web. Le propre de la médiation effectuée par un espace, un lieu, est d’être à la fois invisible et inévitablement présente. Chaque rencontre est nourrie des volumes, des odeurs, des bruits, des couleurs, des matières qui construisent l’atmosphère de l’expérience. Les murs cadrent la relation aux œuvres, après avoir été eux-mêmes cadrés par une multitude de contraintes d’ordre technique, administratif, économique ou de volontés artistiques qui président à leur existence. L’épreuve d’un territoire s’envisage comme déterminante. L’article de Marie-Hélène Poggi édité par la revue Protée témoigne d’une « re-définition de la ville s’effectue selon l’acception spatiale, parfois insolite, qui prend d’abord ses contours dans les parcours de chaque festivalier, parcours pour lesquels la salle de projection n’est qu’un point d’accomplissement. »22 La gigantesque métamorphose de l’espace public de la ville de Cannes s’amorce à l’approche, au cours et à l’issue d’un des plus grands festivals internationaux dédiés au 7ème art. Les pratiques des festivaliers peuvent être considérées comme autant d’applications, d’interventions sur l’espace urbain qui créent la métamorphose physique d’un territoire provisoire. « Ce territoire s’offre dans ses fréquentations répétées, d’où naît peu à peu la familiarisation avec le dispositif festivalier dans son ensemble, un dispositif où le sentiment d’appartenir au monde du cinéma présent à Cannes – « l’en-être » – est intimement dépendant de la sensation de maîtrise de « l’y-être ». »23 Revoir dans txt revue. La ville contemporaine n’est plus celle du capitalisme traditionnel. La mutation de notre société qui fait désormais circuler les biens ou les services selon des modalités radicalement neuves, notamment par le biais des réseaux, des technologies de l’information et de la communication, appelle à de nouvelles spatialités. La mutation qui s’est déclenchée dans le dernier quart du XXème siècle n’est pas celle d’un perfectionnement du capitalisme industriel ni celle d’un écroulement du capitalisme : c’est celle d’un nouveau capitalisme, à l’intérieur même du capitalisme. Quelles clôtures bâtir et quelles brèches ménager sur la nouvelle frontière de valeur économique sont les questions de l’espace urbain contemporain, de la ville des réseaux et de la production de connaissance ?

21

Art Médiation Société, Médiateurs Culturels : Témoignages et Investigation en France, Fondation de France, Les Presses du Réel, 1996. POGGI, Marie-Hélène, La Ville Mise en Mouvement par le Cinéma, Genèse des Formes Spatiales et Urbaines d’un Festival, in Revue Protée vol.31 n°2. 23 Ibid. 22

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« La mobilité à laquelle doit faire l’urbaniste comme l’architecte est un mouvement du troisième type. Qu’est-ce qu’une forme qui, à elle seule, se rompt en son intérieur, qui ne se contente pas de se tordre ou de se proliférer par l’excès, comme le baroque ? »24 Cette prise en compte de la notion d’espace ne rend pas moins importantes la relation au facteur temps et la simultanéité de l’apparition de l’œuvre avec celle de la conscience du regardeur au sein d’une sphère de perception. L’intérêt de la médiation est la condition de cette immanence qui pointe une concordance naturelle désacralisant et démocratisant réellement l’appréhension de l’œuvre. Même si la médiation avec ses notions d’espace, de temps, d’action - plus discrète - compte un avant et un après, le média se veut de plus en plus immédiat. Pour Xavier Duroux, fondateur en 1977 du Consortium de Dijon, il y a besoin de projet artistique où apparition de l’œuvre et médiation agissent de manière synchrone25. À l’apparition de l’œuvre doit correspondre simultanément, dans le même temps de perception, l’apparition du regardeur, citoyen et public, et alors seulement, le caractère opératoire de cette distinction fondamentale. Réclamer d’être en prise directe a plusieurs conséquences. Les possibilités d’analyse et de réflexion s’évaporent au profit d’une hyperémotivité non contrôlée. La submersion d’information ne peut être exclue, ni le zapping qui n’apporte que peu de sens. L’abus d’immédiateté déplace la nécessité de situer d’autres médiateurs et de permettre repérage et choix. 1.4.2. Acteurs « Tout travail artistique, de même que toute activité humaine, fait intervenir les activités conjuguées d’un certain nombre, et souvent d’un grand nombre, de personnes. L’œuvre d’art que nous voyons ou que nous entendons au bout du compte commence et continue à exister grâce à leur coopération. Celle-ci peut revêtir une forme éphémère, mais devient souvent plus ou moins systématique, engendrant des structures d’activité collective que l’on peut appeler mondes de l’art. L’existence de mondes de l’art comme façon dont elle influe sur la production et la consommation des œuvres invitent à une approche sociologique des arts. »26

24

BOUTANG MOULIER, Yann, Habiter la Mutation, 18 pages, Dossier Pragmatiques, Théorie des Effets et Pratique de la Construction, Revue Les Cahiers de la Recherche Architecturale et Urbaine, N° 13/14, Édition du Patrimoine, Paris, Juillet 2003, 201 pages, ISSN 1296-4077. 25 Art Médiation Société, Médiateurs Culturels : Témoignages et Investigation en France, Fondation de France, Les Presses du Réel, 1996. 26 BECKER, Howard S., Mondes de l’Art et Activité Collective, 36 pages in Les Mondes de l’Art, Flammarion, Paris, 2002. 16/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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Les œuvres trouvent leur place en tant que telle grâce à la coopération d’un réseau complexe d’acteurs. Elles ne trouvent que rarement des spectateurs, auditeurs ou lecteurs pour les apprécier sans l’aide de producteurs et de programmateurs. Dans un contexte musical, elles nécessitent l’appui de techniciens et selon celui d’interprètes. Pour un livre, on ne peut compter sans les imprimeurs et l’opération des éditeurs. Tout cela sans oublier l’intervention des collectionneurs ou des critiques experts qui les identifient, les commentent et les interprètent, des conservateurs et des restaurateurs qui œuvrent pour leur postérité. L’activité des critiques peut faire l’objet d’une sociologie de la médiation culturelle au-delà d’une « histoire de la fortune critique » Référence ? telle qu’elle se pratique au cours d’études littéraires. Il s’agit de mettre en évidence dans la continuité des travaux de Pierre Bourdieu, le lien entre la position sociale ou politique des critiques et leurs prises de position esthétiques mais aussi de dégager les types de régimes évaluatifs mis en œuvre par les commentateurs dans la perspective d’une anthropologie des valeurs. Les personnes exercent souvent leur activité dans le cadre d’institutions qui ont leur propre histoire et leur propre logique. L’histoire sociale de l’art l’a d’ailleurs démontré. Dans ce système se distinguent plusieurs secteurs d’études en sciences sociales. Outre l’influence importante de l’économie, de nombreuses enquêtes de sociologies des organisations ont été menées à la demande d’établissements publics de diffusion culturelle pour une expertise interne. La sociologie des organisations s’appuie depuis deux décennies sur un corpus théorique en partie tourné vers la compréhension des jeux de pouvoirs. L’histoire culturelle française a elle aussi alimenté plusieurs études consacrées aux administrations d’État27. L’entreprise est appréhendée comme un espace de relations, un champ d’affrontements et de coopération où chacun tente de maximiser ses gains ou de ne pas dilapider ses ressources. Les systèmes apparaissent soit fragiles, minés et construits à la fois qu’ils sont par les conflits, soit ankylosés par des stratégies d’acteurs cherchant à défendre leurs positions… Une attention particulière doit être faite aux conditions à partir desquelles l’organisation trouve ses régulations, sur le prix de l’équilibre, par son caractère temporaire. En d’autres termes, le corpus classique de la sociologie des organisations et de l’entreprise invite le plus souvent à considérer les régulations comme fragiles et humainement coûteuses ou bien comme synonymes de lourdeur bureaucratique. Les Nouvelles Approches Sociologiques des Organisations28 actualise l’analyse de différentes combinaisons. Son intérêt se justifie par des démonstrations associées à l’essentiel des approches qui les 27

URFALINO, Philippe, L’Invention de la Politique Culturelle, La Documentation Française, Paris, 1996, Réédition Hachette Pluriel Référence, Paris, 2004. 28 AMBLARD, Henri, BERNOUX, Philippe, HERREROS, Gilles & LIVIAN, Frédéric, Les Nouvelles Approches Sociologiques des Organisations, Seuil, Paris, 1996.

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ont précédées. L’ensemble des théories utilisées s’inscrivent dans un paradigme global que l’on peut qualifier de sociologie de l’action fondée en grande partie sur l’individualisme méthodologique. Ces ensembles réfutent autant l’explication par la théorie économique standard (l’individualisme des économistes traditionnels) que par celle des structures, et/ou par les places dans le systèmes productifs (fonctionnalisme) pour ne citer que les principaux courants. 1.4.3

Formes

L’influence de certains foyers au rayonnement intense est à l’origine de la diffusion culturelle. Depuis leur source, un certain nombre de caractères saillants, particulièrement forts ou originaux, ils s’insèrent dans un circuit de transmission. Sur le terrain de l’animation culturelle et du social, des actions sont sollicitées, de préférence avant que de réels problèmes n’apparaissent. Ces médiations ne doivent pas être des remédiations. Il s’agit dans ce cadre précis de prévention. La médiation préventive est aussi la mise en place de bibliothèques avant la disparition des lecteurs ou l’apparition du minitel pour passer à internet. La tendance actuelle est certainement l’installation d’une permanence des médiations et une compensation d’un individualisme croissant. Pour un autre public et avec les journalistes, écrivains, critiques, historiens, économistes, sociologues, linguistes, chercheurs, politiques, enseignants, philosophes, artistes, traducteurs, des temps discussions publiques s’envisagent en valeur ajoutée, en gage de qualité, justifient et valorisent les investissements économiques et politiques. Définissant dans le même temps les termes de cette relation et ses modalités, ces présentations discursives et stratégiques attirent, par la rencontre vivante, la réflexion in situ, la pensée de ceux qui favorisent le savoir et le pouvoir malgré des difficultés philosophiques quand il s’agit de « s’expliquer ». Plusieurs formes de rencontres publiques coexistent et il convient de prendre la mesure de l’importance des politiques culturelles. Il ne s’agit pas de politiques destinées à donner un supplément d’âme ou à organiser des activités collectives de loisirs ou d’acquisition de savoir mais de fonder, dans toute sa complexité et dans toute la pluralité de ses significations, la citoyenneté qui construit le lien social. L’impératif de la médiation est à la fois culturel, en ce qu’il assure la pérennité des formes - des langages de la représentation -, et politique, en nous assurant l’existence d’un système approprié. L’activité pédagogique rejoint elle deux univers distincts : celui de la culture et celui de l’éduction. En France, le ministère de la Culture est créé explicitement pour pallier aux insuffisances du ministère de l’Éducation nationale. Une division s’installe et une mission interministérielle ne peut remplacer la cohésion qui aurait pu apparaître (entre 1992 et 1993 la réunion de ces deux ministères tente de changer la donne). Pourtant, c’est tout 18/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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le système éducatif qui est médiateur culturel. L’école est le plus grand pourvoyeur de culture et donne à la fois des connaissances, des techniques, des pratiques et du goût. La rencontre avec les œuvres mais aussi avec les artistes, sur le lieu même de la formation ou à l’extérieur, dans des espaces appropriés, est une jonction idéale. Composante essentielle de la formation des enfants scolarisables et des jeunes, la politique en faveur de l'éducation artistique et culturelle qui est commune aux ministères chargés de l'éducation et de la culture comporte quatre orientations (circulaire interministérielle d'orientation du 3 janvier 2005) : - recentrer l'action de l'État et développer les stratégies partenariales : l'État veut jouer un rôle de pilotage et d'impulsion, notamment dans le cadre de la future loi d'orientation sur l'école. - mieux former les responsables de l'éducation artistique et culturelle : des accords de coopération entre les directions régionales des affaires culturelles et les instituts universitaires de formation des maîtres sur les dominantes « arts et culture » et les certifications complémentaires doivent être mis en place dans le cadre des expériences pilotes. - mobiliser les établissements culturels : l'attribution de subventions de fonctionnement aux établissements culturels est subordonnée à la production d'une action éducative. - et mieux prendre en compte les nouveaux enjeux de la société : les jeunes doivent recevoir une éducation aux oeuvres produites par les industries culturelles, notamment par une meilleure information sur les accès publics à internet et par une plus grande diffusion des oeuvres acquises par le Centre national de documentation pédagogique. Magistrales ou ordinaires, une recherche et un approfondissement des productions artistiques, d’un domaine qui sait rester hermétique aux plus volontaires jusqu’à ses médiateurs, des débats à internet - qui en pleine de démocratisation perd sa majuscule, promettent d’autres possibles. Pour le public qui n’est plus scolarisé ou qui en est déjà à une formation supérieure, l’offre est autre. Les partenaires culturels mettent en œuvre des rencontres avec les artistes, des lectures et des conférences, des jeux de pistes1. Le spectateur se voit proposer en quelques sortes des annexes au produit qu’il consomme. Le médiateur journaliste, écrivain, critique, historien, économiste, sociologue, linguiste, politique, chercheur, enseignant, philosophe, artiste ou traducteur, essaie d’éclairer l’œuvre et son contexte. L’évidence de la question est face à une réalité foisonnante à court terme celle de son contenu et de son devenir. Des tentatives d’appréhension, des paroles publiques sur notre actualité s’élaborent à l’occasion de monstrations d’œuvres. Du temps est offert aux réflexions sur les conditions de l’homme moderne et de ses représentations 19/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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au cours de débats publics avec les acteurs et les penseurs de notre temps. La tableronde s’adresse encore à un public déjà initié. Un médiateur, spécialiste du terrain permet l’introduction du sujet mais aussi la modération des interventions des panelistes. Ces formules peuvent fonctionner seules ou faire partie d’un colloque d’une demijournée à plusieurs jours selon l’intention et les moyens des producteurs. Elles s’inscrivent dans un programme politique et économique - aujourd’hui on n’y déroge pas au pouvoir de l’argent -29, des producteurs culturels 1.5.

Les nœuds et les tensions

Lorsque Howard S. Becker analyse la production de toute œuvre comme une action collective, qu'il s'agisse des arts plastiques, de la musique, de la photographie, du cinéma ou de la littérature, il place l’artiste au centre d'une chaîne de coopération liant tous ceux qui, à des titres divers, concourent à l'existence de l'œuvre. Il se réfère à des créateurs du passé ou de son temps et mobilise les fabricants de matériel, des collaborateurs, les intermédiaires diffusant l'œuvre, des critiques et des théoriciens, des fonctionnaires pour soutenir ou censurer l'activité créatrice, des publics contemporains ou à venir. Tous agissent sur la base de conventions qui leur sont communes et qui s'incarnent dans des savoirs, des techniques, des habitudes de travail, des catégories de perception. Les faits et les valeurs constitutifs de la réalité de l'art sont le produit de cette action collective : ils changent graduellement ou radicalement, comme se modifient les réseaux et les conventions dont ils émanent. L'œuvre apparaît ainsi dans le mouvement de sa genèse matérielle et cognitive : elle est empreinte des multiples décisions et interprétations qui font du « monde de l'art » tout entier son « auteur ». La définition de l'art et de ses limites est historiquement arbitraire. Les réputations des artistes se forment à partir de consensus provisoires et révisables. Les révolutions artistiques qui s'imposent sont des mobilisations réussies. Une des tensions est dans la négociation ou la non négociation de ces conventions. Et c’est d’ailleurs l’objet de nombreux travaux de Bruno Latour30, pourfendeur d’un mode d’explication moderne qui se fonde sur le grand partage nature/culture, fait/valeur, qui propose d’en finir avec les cloisonnements de toutes sortes et met en place la notion de réseau, d’un ensemble d’entités humaines ou non, individuelles ou collectives, définies par leur rôle, leur identités, leur programme. Ce réseau, c’est le chaînage, la traduction, la recomposition d’un message, d’un fait, d’une innovation, d’une reconstitution. Le processus qui est au fondement de l’émergence du changement lui donne ou non la 29

Ça me fait penser à un publicité pour la Française des Jeux « On veut plus de plus »… Ici, plus d’art, plus d’œuvres, plus d’intervenants, plus de publics, plus de recettes, plus de communication, plus de visibilité, plus de subventions, plus de fric… 30 LATOUR, Bruno, Le Rappel de la Modernité, Approches Anthropologiques, ethnographiques.org n°6, http://www.ethnographiques/documents/article/ArLatour, décembre 2004. 20/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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stabilité nécessaire. C’est parce que le projet recueille des soutiens qu’on lui reconnaît alors des qualités. Le statut même de la sociologie de l’art, de la sociologie de la production, de la médiation ou de la réception de l’art se définit dans l’ensemble complexe des problématiques abordées par la discipline. Chaque énoncé scientifique est effectivement tributaire du domaine tout entier dans lequel il apparaît et à l’extrémité d’une médiation n’apparaît pas un monde autonome mais une autre médiation. La culture elle-même ne se constitue pas en une juxtaposition de traits, de manières de penser ou d’agir incohérentes ou désordonnées, mais elle tend au contraire à l’ordre et la cohérence dans des unités de temps et d’espace partagées. Le grand risque de ce genre d’étude est de se perdre au-delà de la démarche initiale, de s’engorger en voulant schématiser excessivement l’implication de tous les relais, de tous les médiateurs, de tous les traducteurs. Il faut aussi dénouer les objectifs de ces systèmes de médiation qui peuvent être la production d’un maintien, d’une amélioration ou d’un retour à des normes préférables. Toutes les institutions, les pratiques ou les règles prennent leur sens par rapport aux thèmes, variables selon le niveau de complexité de la culture. 1.6.

Problématiques

Si les phénomènes liés aux interrelations entre l’individu, la culture et la société, sont tacitement reconnus depuis toujours, face aux questions suivantes, les efforts scientifiques déployés pour les éclairer ne peuvent appliquer quantité de techniques. Comment se définit, se légitime une forme artistique nouvelle ou d’avant-garde ? Comment les producteurs envisagent une médiation de leur programmation ? Comment est-ce que ces mondes de l’art se constituent ? Qu’est-ce qu’étudier des pratiques émergentes ? Comme tous les éléments du réel, l’espace et le temps sont appréhendés avec les outils conceptuels dont disposent les sujets et c’est avec l’étude de la langue qu’est souvent révélé comment se réalise le traitement des stimuli. À travers la langue, c’est toute la fonction sémiotique qui est en jeu et au-delà se profile l’univers des représentations sociales. La notoriété de Gilles Deleuze est certainement équivoque et pleine de malentendus. Sa démarche déroute : les uns voudraient pouvoir démêler le sérieux du fantasque, les autres, décider s'il est auteur ou seulement commentateur. L’essai de François Zourabichvili, Deleuze, Une Philosophie de l’Événement, aborde son œuvre comme telle, et s'efforce de dégager à travers les échos, les reprises et les variations, la logique d'une des expériences philosophiques les plus marquantes de ce siècle : une logique 21/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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non dialectique du devenir, fondée sur l'articulation du dehors et du pli, et l'émergence des concepts de « multiplicité » et de « singularité ». Deleuze et Guattari commencent leurs Postulats de la Linguistique31 avec le langage comme informatif, et communicatif. Pour eux, l’unité élémentaire du langage – l’énoncé -, c’est le mot d’ordre. L’ordre porte toujours et déjà sur des ordres, ce pourquoi l’ordre est redondance… Le langage n’est même pas fait pour être cru, mais pour obéir et faire obéir… L’indifférence des communiqués à toute crédibilité touche souvent à la provocation. C’est la preuve qu’il s’agit d’autre chose. Qu’on se la dise… : le langage n’en demande pas plus… L’ordre ne se rapporte pas à ses significations préalables, ni à une organisation préalable d’unités distinctives. C’est l’inverse. L’information n’est que le strict minimum nécessaire à l’émission, transmission et observation des ordres en tant que commandements… Le langage n’est pas la vie, il donne des ordres à la vie. La vie ne parle pas, elle écoute et attend. « Ce qui est difficile, c’est de préciser le statut et l’extension du mot d’ordre. Il ne s’agit pas d’une origine du langage, puisque le mot d’ordre est seulement une fonction-langage, une fonction coextensive au langage. Si le langage semble toujours supposer le langage, si l’on ne peut pas fixer un point de départ non linguistique, c’est parce que le langage ne s’établit pas entre quelque chose de vu (ou de senti) et quelque chose de dit, mais va toujours d’un dire à un dire…Le langage ne se contente pas d’aller d’un premier à un second, de quelqu’un qui à vu à quelqu’un qui n’a pas vu, mais va nécessairement d’un second à un troisième, ni l’un ni l’autre n’ayant vu. C’est en ce sens que le langage est transmission du mot fonctionnant comme mot d’ordre, et non communication d’un signe comme information… »32 La communication n’est pas meilleur concept que l’information, l’intersubjectivité ne vaut pas mieux que la signifiance, pour rendre compte de ces agencements énoncés/actes. D’ailleurs aucune technique ne semble parfaite pour saisir les configurations globales incluant la personnalité, la culture et la société. Les processus en jeu dans les cultures et les sociétés sont tels qu’il est impossible de les reproduire, de les commander ou de les étudier dans des conditions rigoureusement contrôlées. Or, il s’agit bien de considérer des ensembles. Inspirés par l’humanisme en vigueur au Siècle des Lumières, les anthropologues préconisent le développement des sciences de l’homme alignées sur celles de la nature en s’en tenant à l’étude de ce qui est observable. Ainsi la méthode comparative triomphe de toutes les spéculations théoriques. La connaissance du réel, l’action des facteurs impliqués s’éclairent avec des observations et des analyses

31

DELEUZE, Gilles et GUATTARI, Felix, Postulats de la Linguistique, Chap. 4 in Capitalisme et Schizophrénie 2, Mille Plateaux, Editions de Minuit, Paris, 1980. 32 Ibid. 22/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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répétées. Dès l’apparition de la technologie d’enregistrement des évènements de la vie sous forme de documents visuels et audiovisuels, révolutionnaire pour la science, les chercheurs novateurs s’en emparent. Le cinéaste soviétique Dziga Vertov est un des premiers à s’insinuer véritablement avec sa caméra parmi les hommes et faire surgir les questions, toujours d’actualité, du feed back ou du ciné-vérité. Pour Jean Rouch, le film ethnographique est souvent un produit hybride qui ne satisfait ni la rigueur scientifique, ni l’art cinématographique. Il préconise le contact réel entre celui qui filme et ceux qui sont filmés par une relation la plus dynamique possible avec sa caméra. Cette forme d’observation participante lui permet des relations d’un type nouveau, une anthropologie partagée et la stimulation de connaissance mutuelle. Dans cette perspective, la participation totale est la seule attitude moralement et scientifiquement possible sur ces terrains. 2.

Compte rendu d’observation directe 2.1.

Méthode et terrain.

« Rendre compte de la méthode employée s’impose pour tout travail scientifique. D’autant plus dans le cas de travaux fondés sur l’observation directe parce que c’est là qu’ils se distinguent le plus nettement des écrits fondés sur un usage profane de l’observation. »33 Comme une exploratrice, une journaliste d’investigation ou une cinéaste documentariste, je peux aller voir sur place, être physiquement présente dans la situation, la regarder se dérouler en temps réel pour en rendre compte. Ce privilège m’est accordé par l’ACREQ Association pour la Création et la Recherche Électroacoustique du Québec que je contacte en décembre 2004 par courriers électroniques signifiant mon souhait d’intégrer leur équipe bénévolement les deux mois précédents Elektra, cadre d’observation propice à mon objet. Je leur envoie mon curriculum vitae pour que des missions puissent m’être attribuées. La mise en œuvre de manifestation publique de grande ampleur tel ce festival international en art numérique nécessite souvent l’investissement gratuit ou peu rémunérateur de « petites mains » pour faire face à l’intensité de la charge de travail qui s’accroît à l’approche des festivités. Il est convenu au cours de conversations téléphoniques avec Alain Thibault, directeur du festival et Emilie Boudrias, agente de développement pour l’ACREQ, de la prise en charge de la logistique des transports et de l’accueil des artistes et des intervenants invités, la préparation avec Solange Baril, 33

ARBORIO, Anne-Marie & FOURNIER, Pierre, L’Enquête et ses Méthodes : l’Observation Directe, Ouvrage publié sous la direction de François de SINGLY, 128, Nathan Université, Paris, 1999. 23/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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bénévole, du projet pédagogique Alpha_Elektra et le recueil des textes des partenaires publics et privés de l’événement – textes édités dans les premières pages du catalogue sous la direction de Carlos Corréal, responsable de la communication et du marketing. Dans ce même temps, une convention de stage avec l’Université d’Avignon est signée. Malheureusement aucune bourse institutionnelle ne peut être envisagé pour différents motifs. Le Service des Relations Internationales ne dépose un dossier de demande d’aide à la région uniquement pour les étudiants de moins de 28 ans. Ma requête ne rentre pas plus dans les critères d’attribution de bourses de l’AFAA et de son service ÉduFrance ni dans ceux de l’ÉGIDE, commission sur les échanges du Ministère des Affaires Étrangères. J’assume mes frais de transports. Je passe la douane canadienne avec un permis de séjour touristique. Une lointaine cousine émigrée depuis 17 ans à Saint-Lambert, banlieue sud de Montréal, peut m’héberger pendant la durée de mon séjour. Départ de Marseille. Arrivée à Montréal le vendredi 11 mars 2005 vers 13h30 avec un peu de retard sur l’horaire prévu : des Irakiens ont détourné un vol interne au départ de Frankfurt, ma correspondance. J’appelle de chez ma cousine au bureau d’Elektra. Il faut que je passe les voir avant 17h mais, dans l’immédiat, je dois attendre qu’Émilie Boudrias me rappelle pour confirmer cette première rencontre. Le téléphone sonne à 16h45. Elle doit quitter son bureau et me convie à la retrouver le lendemain à 14h pour Comix : la bande dessinée dans tous ses états (projections de Fred, Derrière le Miroir réalisé par Jérôme de Missolz et de Art Spiegelman, Le Miroir de l'Espace réalisé par Benoît Peeters suivies d'une table ronde autour de la série française Comix réunissant le concepteur de la série et des passionnés de bande dessinée, le tout dans le cadre du FIFA34) à la 5ème Salle de la Place des Arts35. C’est à côté du Musée d’Art Contemporain36. J’y fais un tour même si je ne sais pas comment reconnaître Émilie Boudrias et si je n’ai, par méconnaissance probablement, que peu d’attrait pour ce style de BD. Une trentaine de personnes se pressent par groupe d’interconnaissance de 2/3 personnes vers la porte de la salle de conférence quelques minutes avant l’heure affichée. Le prix d’entrée est de 8$50 soit, suivant les variations boursières, à peu près 5€60. Je n’entre pas.

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À l'origine sous l'égide du Conseil International du Cinéma et de la Télévision de l'UNESCO et parrainé par le Musée er d'Art Contemporain de Montréal, le 1 Festival International du Film sur l’Art (FIFA) a eu lieu en 1981. Depuis ses débuts, le FIFA se donne le mandat de diffuser le film sur l'art par des projections en séances publiques, de promouvoir l'art et les artistes et de stimuler l'industrie cinématographique. Reconnu à l'échelle internationale pour être le plus prestigieux événement du genre, le FIFA demeure, à ce jour, l'unique festival compétitif spécialisé dans le domaine du film sur l'art de tout le continent américain. 35 Une partie du festival Elektra 2005 se déroule à cet endroit. 36 Idem. 24/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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Le soir même, Alain Thibault, appelle à Saint-Lambert. Malheureusement, je dors : je me remets du « jetlag » (décalage horaire). Il me propose de les retrouver le mardi suivant à 18h30 à l’Usine C, le quartier général de l’ACREQ, pour qu’on se rende ensemble à la Fonderie Darling37 à l’occasion du vernissage de l’installation robotique Infrasense conçue par KIT et Robert Saucier. On doit se rappeler le jour même en fin d’après-midi pour une confirmation. C’est mon premier passage à l’Usine C. Ce lieu est un exemple de réhabilitation. Le Café de l’Usine est ouvert tous les midis et tous les soirs de spectacle. L’accueil est chaleureux. J’y bois mon premier « vrai café »38 pendant que Benoît Bouthillette, s’active à mettre en place une petite réception pour la sortie de son premier ouvrage La Trace de l’Escargot39. Marc Langlois, responsable de la programmation à l’Usine C et MarieEve Vigor, gérante du Café de l’Usine C l’encadrent. Des extraits du livre sont accrochés, agrandis, aux mûrs du hall. Il est 18h, j’appelle. Finalement, l’équipe d’Elektra n’est plus disponible pour cette sortie. J’apprends aussi à ce moment là qu’Emilie Boudrias n’a pu venir à la conférence du FIFA. Des obligations de la plus haute importance – la finalisation de dossiers de demande de subvention – ne leur permettent effectivement pas de faire autre chose. Le véritable rendez-vous avec l’équipe permanente de l’ACREQ qui prépare le festival Elektra est finalement fixé cinq jours après mon arrivée, le mercredi 16 mars à 14h au bureau. On se croise par hasard au Café de l’Usine C quelques minutes plus tôt. C’est le serveur qui, curieux, me demande ce que je fais là. La petite équipe d’Elektra (Alain, Emilie et Carlos accompagné de Funky40, le bichon qu’il a acheté à son amie) déjeunent en compagnie de Danièle de Fontenay, la directrice de l’Usine C. Les présentations sont faites. On échange quelques formules de politesse et des nouvelles de la Friche la Belle de Mai. Et comment va Philippe (Foulquié) ? Ça doit être difficile, le site qu’il veut réhabiliter est si grand. Elle fume. Je sors un briquet de ma poche et le donne à Madame de Fontenay. C’est un petit briquet bleu sur lequel il est écrit « Friche la Belle de Mai Marseille ». Merci, c’est très gentil. Je pars avec Emilie. Le bureau est au troisième étage. Steve Henri, le collaborateur avec Carlos de Produkt, leur entreprise de production et d’agencement d’évènements, est là. Ils travaillent dans le même bureau. Carlos arrive quelques minutes après et détend l’atmosphère… J’apprends qu’ils vivent avec appréhension l’arrivée d’une entière

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La Fonderie Darling est un lieu où le festival Elektra a présenté une partie des éditions précédentes. C’est aussi un lieu représentatif de la scène montréalaise. 38 Le café se boit souvent outre atlantique extrêmement léger, comme notre « allongé ». Il est préparé à l’aide de cafetières électriques de type familial. 39 Un polar dans Montréal où les meurtres sont mis en scène d’après des toiles de Francis Bacon. 40 (s)lap dog. 25/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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inconnue dans leur univers. Je ne bénéficie effectivement d’aucune recommandation41 mais une présence quotidienne, des capacités d’adaptation et un enthousiasme serein doivent me permettent une intégration quasi totale au cœur de l’organisation des évènements à observer. 2.2.

Elektra, c’est quoi cet événement ? 2.2.1. La scène montréalaise

On entend souvent vanter le dynamisme culturel de Montréal. Depuis l’exposition universelle de 1967, la métropole québécoise s’est ouverte sur le monde et est passée maître dans l’art d’organiser des festivals d’envergure. Elle est réputée pour sa capacité à gérer des foules. Les visiteurs sont éblouis par la passion des Montréalais pour la vie, par leur façon de la célébrer intensément et de tirer plaisir de chaque instant. Ils sont aussi émerveillés par la gamme d’évènements et de sites culturels – des concerts présentés à la splendide Place des Arts aux nombreuses performances données dans les plus petites salles de spectacles, des grands rassemblements populaires lors des festivals aux formes plus intimes au public attentif. De l’art contemporain, expérimental, aux projets plus traditionnels, la scène culturelle montréalaise est diversifiée. C’est à juste titre que cette ville soit surnommée « capitale mondiale des festivals » de jazz – premier festival à avoir envahi la rue il y a vingt cinq ans -, de danse, d’art pyrotechnique, de littérature ou de gastronomie. Et si on ne s’y intéresse pas, il est difficile de se soustraire de février à novembre au battage médiatique : panneaux publicitaires, articles de presse et émissions télévisuelles quotidiennes, artistes porteparole. On parle de relève, de continuité, d’art qui ne meurt pas, de passion émergente. Les festivals sont les courroies d’entraînement d’une culture en marche. Une présentation de la scène locale ne peut se passer d’un bref panorama des lieux majeurs et des structures représentatives d’une culture trépidante. La Ville de Montréal a en effet participé en 2002 à l’inauguration de la Fonderie Darling en constatant que la collaboration étroite et de longue date entre l’association Quartier Éphémère42, la Société de développement de Montréal (SDM) et le Service du développement culturel de la Ville de Montréal a permis l’éclosion et le développement d’un lieu culturel au concept novateur. Ce nouvel espace, centre d’art contemporain d’avant-garde 41

Quoique… J’avais demandé à Julie Demuer, l’actuelle directrice de Radio Grenouille (Friche la Belle de Mai) qui connaît Alain Thibault pour l’avoir programmé en 2000 au Batofar (Paris), de lui envoyer un courriel de recommandation. 42 La directrice de Quartier Éphémère, Caroline Andrieux, n’est pas à son premier projet de sauvegarde de vieux bâtiments désaffectés. Depuis son DEA en Histoire de l’art à l’Université de la Sorbonne, elle donne une vocation artistique à de nombreux édifices abandonnés. L’Hôpital Éphémère à Paris en est le plus fameux exemple. Son association, Quartier Éphémère, a pour mandat de soutenir la création, la production et la diffusion de jeunes artistes en arts visuels. Ses réflexions portent sur la présence de l’art et le rôle de l’artiste dans la ville, par l’intermédiaire de nouveaux outils et de nouveaux concepts de lieux. 26/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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s’adressant à un public curieux de découvrir diverses formes d’arts visuels, ancienne fonderie de métal43, a été rénovée en par la touche conceptuelle des architectes de l’Atelier In Situ. La Fonderie Darling se compose de deux salles d’exposition, de bureaux, du Cluny Art Bar et d’ateliers sur un espace 3500m2. Ce projet de réhabilitation s’inscrit dans la vision de développement de l’ancien quartier industriel de Griffintown en nouvelle Cité Multimédia et démontre ce qu’un lieu d’activité culturelle peut apporter de stimulant à l’activité économique. Ma virtuelle porte d’entrée est un roman touffu, atypique, La Trace de l’Escargot44, écrit dans un style parlé qu’on aurait du mal à classer dans les rayons d’une bibliothèque dite conventionnelle. Il vient d’être édité. Une petite fête est organisée à l’Usine C pour sa sortie le jour où j’y mets les pieds pour la première fois. Son auteur, Benoît Bouthillette, n’est pas moins que le responsable de la billetterie de cette salle de spectacle et espace de création. L’histoire de son polar, celle d’un inspecteur amérindien d’origine, anticonformiste et daltonien, consommateur occasionnel de cocaïne qui enquête sur une série de meurtres loufoques, se passe au cœur d’un Montréal nocturne et marginal. À la forme parfois savante, parfois anarchique, il peut être comparé à ceux situés à Marseille de Jean-Claude Izzo avec, par exemple, son Total Khéops45. Et comme l’écrit Izzo en première note : « L’histoire est complètement imaginaire. À l’exception des évènements publics, rapportés par la presse, ni les faits racontés, ni les personnages ont existé. Pas même le narrateur, c’est dire. Seule la ville est bien réelle. Marseille. Et tous ceux qui y vivent. » La Trace de l’Escargot fonctionne avec la même formule. On découvre au fil de la lecture des lieux insolites, un bar clandestin de la rue Saint-Denis, une rave à la SAT Société des Arts Technologiques et même Elektra, un festival en art numérique programmé à l’Usine C ! Benoît Bouthillette d’écrit un soir d’enquête à la SAT : « À l’intérieur, c’est encore mieux que ce à quoi on s’attendait. Une explosion, qui se répercute sur toutes les parois de l’espace. Des traces de lumières. Un vrombissement enveloppant. Des signes. On est estomaqués. À chaque coup de feu sur l’écran, une spirale se déclenche autour. Ça fuse de partout. La trajectoire des tirs se poursuit sur l’étendue de l’horizon, de place en place. Les 43

Les frères Darling s’établissent à Montréal en 1888 alors que l’industrie métallurgique est en plein essor. La fin de la vocation industrielle du quartier où s’est implantée la fonderie est liée à la fermeture, en 1970, du canal Lachine. L’entreprise est abandonnée vingt ans plus tard. 44 BOUTHILLETTE, Benoît, La Trace de l’Escargot, JCL, Collection Couche-tard, Montréal, 2005. 45 IZZO, Jean-Claude, Total Khéops, Gallimard, Série Noire, Paris, 1995. 27/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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foyers ardents concentrent notre attention, mais leurs répercussions nous nimbent, nous entourent. Pas moyen d’y échapper, ça nous rive. Des mots apparaissent, des repères, des situations de lieux, des transcriptions, mais tout va trop vite. C’est à la fois violent et calme, étrangement beau. Ça te plaît ? »46 La SAT a investi au 1195 boulevard Saint-Laurent un vieux marché abandonné, à l’époque difficile à visiter parce qu’occupé par des pigeons morts. Ce lieu-là, vacant depuis presque dix ans, a pratiquement disparu de l’imaginaire des Montréalais. C'est un bâtiment en béton armé qui ne paie pas de mine. Construit pour six étages, il ne fait pas son volume, la SAT ne s’en satisfaisant que de trois. Dans la réalité, Montréal offre son premier Printemps Numérique. Pour la première fois, treize organismes et associations oeuvrant dans le domaine des arts numériques unissent leurs efforts pour un projet de promotion communne, un Printemps Numérique à Montréal. Par ordre alphabétique, on trouve Acces Asie (festival présentant des œuvres inspirées de l’Asie contemporaine), l’agence TOPO (centre d’artiste dédié aux œuvres multimédias indépendantes), Champ Libre (diffuseur d’art électronique nomade), Chants Libres (compagnie lyrique), Elektra (festival d’art numérique), Empreintes Digitales (éditeur de CD et DVD d’électroacoustique), IGDA (représentant en jeux vidéo), Oboro (collectif d’artistes), les Piknik Électronik (rendez-vous dominical au parc Jean Drapeau), RMNC Réseau Mobile Numérique Communautaire (projet de recherche avec l’Université Concordia et le Banff New Media Institute), la SAT Société des Arts Technologiques (centre transdisciplinaire), The Upgrade (rendez-vous mensuel pour les amoureux des nouveaux médias) et Vidéographe-Parc (lieu d’échanges autour de la vidéo). Leur projet vise à mettre de l'avant la diversité et la qualité indéniables des activités et programmations en arts numériques qui font de Montréal une des capitales mondiales en la matière. Sous une même enseigne, celle de l’art et des technologies, une quarantaine d’évènements s’étalent sur le calendrier du mois d’avril au mois de juin. L'opération a pour but d'élargir le public de non-initiés en rendant les arts numériques plus visibles, et donc plus accessibles, tout en renforçant le positionnement enviable déjà acquis en tant que haut lieu d'échange, de partage et de création en arts numériques à l'échelle mondiale. En vue de favoriser la concertation de ses moyens, un site internet bilingue est mis en place et des affiches/programmes et dépliants sont massivement distribués. Dans la section « musique numérique», on ne peut pas éviter le festival Mutek qui revient en grande forme pour une sixième édition du 5 au 10 juin 2005 plus dense et diversifiée que jamais. Ce festival convie plus d’une centaine d’artistes, originaires de 46

Extrait de La Trace de l’Escargot de Benoît BOUTHILLETTE, page 104, JCL, Collection Couche-tard, Montréal, 2005. 28/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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quinze pays, à partager leurs plus récentes créations. Fusion des genres, horizons cosmopolites, paysages harmoniques, expérimentations débridées, le cru 2005 est une véritable invitation au voyage… sonore et visuel ! Grâce à une dizaine de programmes de performances, des conférences, des ateliers et de nombreuses surprises, Mutek fait profiter de ses multiples explorations, partage certains coups de cœur, récemment rapportés dans ses valises, et particulièrement du Mexique. En référence, un de ses homologues européens est le festival Sonar à Barcelone… Véritable événement musical, rituel ponctuant la saison culturelle, on ne peut pas non plus contourner l’incontournable Festival MEG (Montréal Électronique Groove) qui célèbre son premier septennat du 20 au 22 octobre 2005. Ce rendez-vous tient à s’affirmer comme une radiographie subjective et exhaustive des courants contemporains. Refusant le cloisonnement des styles (des musiques électroniques au hip hop en passant par le rock indépendant et la pop à usage du dancefloor), sa programmation ose le pari audacieux d’une quintessence éclectique et accessible. Si la musique demeure son objectif premier, le festival compte inviter également les expressions artistiques connexes. Pionniers ou vétérans, précurseurs ou maîtres, hommes-machines ou poètes, ils partagent tous cette exigence de créer et proposer, souvent à la marge, une œuvre dénuée de facilité. Plus que jamais, l’édition 2005 du MEG invite au nomadisme, incitant le public à devenir acteur à part entière, s’emparant de la ville pour mieux s’y perdre et la redécouvrir. Et puis, la métropole québécoise est gorgée de bars, de petites salles de concert. Dans le désordre, je pense au Laïka sur Saint-Laurent, au Billy Kun sur Mont-Royal, aux clubs Soda et Sona… et il y en a tant d’autres (que je ne connais pas) ! Reconnue pour l’effervescente qualité et diversité de sa communauté artistique, Montréal, fourmillante47, s’impose sur la carte des culturelles émergentes, modernes et fières de l’être. 2.2.2. L’art numérique « Que font les œuvres d’art ? D’abord, elles font bouger : au sens propre (les gens se déplacent pour les voir), et au sens figuré (elles émeuvent). Elles font agir : on les encadre, on les transporte, on est les assure, on les restaure, on les accroche. Et puis, elles font parler, elles font écrire, elles font discourir. Elles déplacent les gens, elles déplacent les foules, elles déplacent les regards. Mais aussi, elles déplacent ces objets moins palpables que sont les catégories mentales, les cadres de perceptions, les critères d’évaluation : c’est, en particulier, le propre de l’art moderne et, surtout, contemporain, qui ne cesse de

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Une petite blague d’étho-ménager : les éléphants barrissent et les fourmis… cro-ondent 29/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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déplacer les frontières entre art et non art, en les faisant reculer toujours plus loin, ouvrant toujours plus largement l’espace imparti à l’art. »48 Le mode de pensée occidental et scientifique actuel est issu d’une tradition dont on retrouve les racines dans la Grèce antique. La notion d’œuvre d’art a longtemps désigné les produits d’un savoir-faire comme techné qui remonte à l’Antiquité et une fonction esthétique recensée dans la catégorie Beaux-Arts. Il est évident que, depuis le début du siècle, les artistes se sont mis à pratiquer l’expérience des limites et l’élargissement à l’infini des territoires et des problématiques de l’art. L’art collabore avec des disciplines variées, allant des sciences humaines et de la philosophie aux sciences exactes. Désormais, la narration, le spectaculaire, le visible, l’intangible mais aussi le quotidien, l’autre, le monde… sont constitutifs des terrains de la création artistique. Pour compléter cette évolution, nous pouvons également évoquer la faculté de cognition qui est propre à l’art contemporain. Le développement des sciences cognitives aujourd’hui et plus généralement l’informatisation de la société ne serait donc pas un phénomène périphérique mais au contraire, au cœur de notre mode de fonctionnement. De ce constat, il découle que les enjeux du numérique, dans ses théories les plus innovantes comme dans ses applications « grand public » sont socialement et culturellement considérables. Face à cette évolution, nous assistons à l’émergence d’une nouvelle forme d’art qui se positionne par rapport à ces technologies, non pas simplement pas les outils qu’elle utilise mais également au travers des interrogations qu’elle suscite. Actuellement, la science et l’art semblent chercher ensemble à élaborer un paradigme nouveau qui serait à même de mieux expliquer l’univers qui nous entoure. L’art ne reflète pas la vie, il la préfigure. Depuis le milieu du XXème siècle, l’art et la science présentent un certain nombre de points communs importants : le premier, essentiel, tient au fait qu’artistes et scientifiques utilisent une technologie mise au point par d’autres, qui modifie en profondeur leur travail et leurs recherches. L’art a changé ses fonctions spécifiques qui lui étaient traditionnellement attribuées : intuition, révélation, catharsis, expression, représentation…Il ne se contente plus d’interroger nos conceptions de l’univers, mais interroge l’univers lui-même. Désormais, la signification sociale et le rôle de l’art doivent être cherchés dans les processus de communication qui consistent à mettre en mémoire, à traiter et à transmettre des informations dans un monde technologique dominé par l’informatique. Laquelle associée à la cybernétique permet aux artistes de créer de nouveaux environnements spatiaux temporels à partir de simulations interactive à trois dimensions qui font appel à la perception et à l’ambulation. L’exploration mentale et sensorielle des mondes virtuels en temps réel peut alors devenir une œuvre d’art. 48

HEINICH, Nathalie, Sociologie de l’Art Contemporain : Question de Méthode, in Espace Temps n°78-79, 2002. 30/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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C’est Aristote le premier qui, prolongeant l’héritage de la culture grecque, a analysé toutes les techniques de persuasion ainsi que la dialectique de ses prédécesseurs. Il a alors détaché l’organisation du discours de son contenu et de sa signification pour ne s’intéresser qu’à la validité formelle des raisonnements. Ainsi, à travers un ensemble de textes, Aristote a défini les bases de la logique moderne. L’influence de ces écrits a été capitale dans la construction de la pensée occidentale. Jusqu’à la fin du Moyen Age, la tradition philosophique s’est appuyée sur cette conception aristotélicienne pour isoler et développer un cadre spécifique de la raison indépendant du pouvoir divin et de la domination théologique. Bien que gagnant en abstraction, les propositions logiques étaient toujours exprimées en langue naturelle et se trouvaient par là toujours contraintes au langage même qui les véhiculait. La nécessité de donner à la logique son écriture s’est donc fait sentir, et c’est Leibniz qui s’attaqua le premier à cette mission. Il a initié ainsi un bouleversement radical dans l’ordre de la compréhension : le passage de la déduction au « tout calculé ». Philosophe rationaliste de la seconde moitié du XVIIème siècle Gottfried Wilhelm von Leibniz49 était également mathématicien. Il a tenté d’établir avec la Characteristica generalis une sorte d’alphabet logique de la pensée et de mettre alors ses idées en pratique en imaginant une machine à raisonner dont la réalisation s’est avérée trop ambitieuse. Le projet leibnizien de « caractéristique universelle » visait à débarrasser le raisonnement des contraintes de la discussion. De même qu’il existe une écriture pour les nombres - l’algèbre -, Leibniz pensait qu’il pouvait créer un système susceptible d’exprimer les idées. Derrière ce projet d’éliminer tout problème dû aux règles syntaxiques apparaît très clairement la notion de calcul. Il est évident qu’une telle écriture préfigure les langages de programmation actuels. Son travail inachevé a été poursuivi par de nombreux chercheurs logiciens, notamment Frege qui a publié en 1879 Begriffsschrift (Idéographie), écriture monosémique utilisant la logique mathématique. Russel et Whitehead ont également continué ce travail au début du XXème siècle en tentant de l’améliorer ou de le corriger à travers les Principa mathematica. Le pas du raisonnement vers le calcul était franchi même si cela fait l’objet de nombreuses études encore aujourd’hui. Dès la fin des années trente, la cybernétique naissante tente alors d’interpréter le monde et le vivant grâce aux bases proposées par ce formalisme logicomathématique. Sans perdre de vue l’étymologie du mot qui vient du grec Kubernêsis (diriger, gouverner), la cybernétique peut être vue en somme comme une théorie de la communication qui abolit les différences entre monde vivant et machines. Elle est en effet difficilement réductible aux concepts qui l’ont créée et fait alors la liaison entre 49

BOUVERESSE, Renée, Leibniz, Presse Universitaire de France, Paris, 1994. 31/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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plusieurs domaines de la connaissance humaine. Le domaine d’application de l’ordinateur qu’on appelle virtuel bien qu’étant une appellation problématique d’un point de vue philosophique est en fait une synthèse de diverses recherches issues des technologies de l’information et de la méthodologie scientifique de la simulation : synthèse de l’image, synthèse des sons, transducteurs visuels, sonores, gestuels, calculateurs en temps réel… L’expression « nouvelles technologies » que l’on préférera au terme « multimédia » est très en vogue et couramment utilisée sans qu’il soit précisé de quoi il s’agit. Elle ne désigne en effet aucun outil ni aucune technique en particuliers. Elle englobe toute la technologie de pointe qui est issue de l’électronique, de l’informatique et de la télécommunication en passant par la cybernétique. La technologie n’est pas une technique comme la mécanique dans la mesure où elle n’est plus empirique mais solidaire de la science, de ses théories et de ses formalisations mathématiques. L’appellation « nouvelles » se réfère essentiellement aux découvertes et procédés technologiques élaborés ces trente dernières années. C’est la cybernétique qui a doté la machine de rétroaction capable de réguler la communication interne du système et la définition « automate » vient du fait qu’elle pouvait exécuter des commandes normalement accomplies par l’homme. Le rôle de ce dernier était alors réduit à celui de donner des ordres. Ce système d’autorégulation a permis à la machine de devenir « intelligente ». Pendant que la cybernétique continuait à étudier la communication, la pensée analogique, la robotisation et les êtres artificiels, l’informatique est née et s’est focalisée sur le traitement automatique de l’information opérée par l’ordinateur. Celui-ci est considéré par l’informatique comme le principal support des connaissances humaines et des communications technologiques et sociales. Par ailleurs, l’informatique s’enrichit de tout ce que la science peut lui fournir comme modèles dans l’élaboration d’algorithmes et de programmes. Le tournant de l’évolution de l’ordinateur remonte au milieu des années soixante quand l’industrie a mis au point les circuits intégrés et les microprocesseurs. Les nouveaux moyens d’expression et les formats imposés par ces nouveaux outils de communication que sont la télévision ou l’ordinateur forment des langages spécifiques auxquels les gens se sont familiarisés. L’art numérique actuel compte plusieurs ancêtres. Parmis eux, l’Art industriel ou le Maschinenstil avec son esthétisation de tous les objets relatifs à la machine. Cependant, ce sont l’Art nouveau de la fin du XIXème siècle et sa variante allemande, le Jugenstil qui ont été les premiers exploré les problématiques art/technologie. Ce mélange de Beauxarts et d’Arts appliqués repose sur une esthétique également applicable à des objets 32/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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non artistiques. Ils ont ainsi abouti à une simplification radicale et une réinvention des éléments plastiques apportant l’abstraction. D’autres mouvements artistiques, au début du XXème siècle, sont aussi précurseurs de l’art numérique : le Futurisme, le Dadaïsme et le Constructivisme. Dans ces différents mouvements, la nouvelle utilisation de la lumière et du mouvement donne lieu à l’Art cinétique qui constitue aussi l’un nombreux apports à l’art numérique. Ses origines remontent vers 1915 quand Duchamp, Gabo ou Malevitch réalisent leurs premières œuvres constituées de mouvements mécaniques accompagnées de déclarations théoriques. À cette époque apparurent également les premiers mobiles de Rodtchenko et Man Ray tandis que les artistes du Bauhaus développent un art tout aussi constitué de lumière et de mouvement. Quant à l’utilisation des médias, elle a débuté avec notamment Moholy Nagy50, qui en 1922 avait commandé par téléphone des peintures à une industrie de panneaux métalliques. Avec le croquis du dessin sur une page quadrillée, il a dicté par téléphone les positions des dessins et des couleurs au responsable de l’industrie, qui prenait note des informations sur une page semblable pour faire ensuite exécuter ces travaux… On peut déjà parler d’interaction à distance en temps réel, puisque ses commandes, comme les réponses de l’ouvrier, étaient modifiées par l’outil de communication employé. Le tableau n’aurait sans doute pas été le même s’il avait été conçu en direct. Pourtant, ce n’est qu’à partir des années soixante-dix, et parallèlement au développement des grands calculateurs que la micro-informatique a permis aux non spécialistes de faire l’expérience de l’image interactive sous des formes variées, à commencer par le traitement de texte dont la page blanche ouverte constitue en soi un véritable petit univers virtuel. Comme le rappelle Edmond Couchot51 : « Il ne faut pas oublier qu’entre un simple traitement de texte et le simulateur de vol le plus perfectionné, il n’y a aucune différence de principe : tous deux donnent accès à des réalités virtuelles avec lesquelles l’utilisateur interagit ou dialogue, et seul le degré de complexité diffère. En fait, dans la mesure où elle met en œuvres des modèles de simulations visant à reconstruire des fragments de la réalité et à agir sur eux, l’informatique est en train de donner naissance à un univers virtuel qui intègre progressivement la conservation, la duplication, la transmission et la production de connaissances et d’informations diverses –

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KISSELEVA, Olga, Cyberart, un Essai sur l’Art du Dialogue, L’Harmattan, Paris, 1998. COUCHOT, Edmond, La Technologie dans l’Art, Editions J. Chambon, Paris 1998. 33/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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images, textes, sons, etc. Et cela aussi bien dans la recherche scientifique ou l’industrie que dans le secteur de la communication et de ses réseaux ». L’usage de l’ordinateur est donc aussi ancien que celui de la vidéo et son développement contemporain de l’Art sériel, de l’Art minimal, de l’Art conceptuel et de la Performance. L’ordinateur se trouve depuis ces temps impliqué dans toutes sortes de projets artistiques, qu’il s’agisse de simples traitements d’images ou de complexes programmations d’algorithmes. La création de grandes manifestations internationales illustre la révélation et la reconnaissance de l’art dans le cyberespace. Ainsi, le premier festival Ars Electronica se tient à Linz en Autriche en 1979 tandis que naît deux ans plus tard l’Art Show aux USA, tout comme les rencontres, conférences et séminaires regroupés sous le nom d’Imagina en France. Avec le même soucis de décloisonner les différentes esthétiques présentées dans la culture numérique en émergence, le festival Elektra sera créé à Montréal en 1999, vingt ans après son homologue autrichien. 2.2.3. Le festival Elektra est une manifestation montréalaise de haut calibre présentant des oeuvres et des artistes qui allient musique électronique de pointe et création visuelle issue des nouvelles technologies (l’animation, l’installation et la robotique) et est devenu l'un des plus importants rendez-vous nord-américains consacrés aux arts numériques. Cet événement est né d’un désir de faire disparaître les clivages existants entre les différentes formes d’art utilisant l’outil technologique. La sixième édition propose un circuit qui va de la musique électronique pure en exploration de la composition de l’espace, à des déferlements d’audiovisuel conçus par des artistes du monde entier. Cette édition est marquée par l’introduction de deux nouveau volets très spécifiques : les installations interactives et les effets spéciaux. « Une exposition conjointe, [...] depuis que le festival Elektra a pris le parti d’inclure des manifestations de facture gothique-industrielle à sa programmation, la renommée de l’événement n’a cessé de croître, on a assisté à l’émergence d’une véritable contre-culture sous-jacente et structurée, des gens qui se réclament du néo-romantisme. On s’est aperçu à l’usage que la culture électronique existait pour les gens que la culture intéresse en général, les clubbers devraient passer moins de temps au gym et un peu plus de temps à lire. J’aime bien le slogan informel d’Elektra, le techno pour l’esprit. [...] L’art qui prédomine aujourd’hui, c’est le montage. Grâce aux logiciels, à l’accessibilité de

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la technologie, à débuter par la musique, l’art se conçoit par l’ajout et le déplacement d’éléments dans une structure. »52 Après cinq éditions tenues traditionnellement en novembre, l’ACREQ déplace Elektra, sa plus grosse activité, au printemps. La sixième édition du festival a eu lieu du 10 au 15 mai 2005, marquant ainsi le début d'une longue liste de grands événements et festivals se déroulant dans la belle saison. Ce nouveau positionnement dans le calendrier permet entre autres de profiter des températures clémentes pour présenter des installations interactives extérieures. Dans une vague de changement, l’évènement est aussi concentré sur six jours consécutifs au lieu d'étaler comme précédemment ses activités sur deux fins de semaine. « La principale motivation de notre changement de dates est le désir de mieux faire connaître les nouvelles recherches et expérimentations spécifiques à la mission de diffusion d’Elektra. Après cinq années passées en novembre nous avons constaté que ce couloir ne permettait plus d’envisager de développement de façon convenable : nous arrivions à la fin d’une longue suite d’évènements culturels, l’essoufflement du public était palpable et les températures froides n’encourageaient pas les sorties en plus d’empêcher les présentations extérieures, un créneau qu’Elektra souhaite explorer. »53 Elektra s’associe au Groupe Spectacles Gillett pour deux soirées. Le GEG (Gillett Entertainment Group) a vu le jour en septembre 2002 après la consolidation des activités de diffusion, de production et de coproduction de la division spectacles du Centre Bell54 (Molson)55. Le groupe est également le gestionnaire exclusif des spectacles du Centre Bell qui se retrouve en tête de liste des spectacles présentés dans des arénas majeurs au Canada et en 7e place sur l'échiquier mondial (selon le magazine Pollstar, parution du 12 janvier 2004). En 2003, il a produit et présenté plus de 300 spectacles au Québec, dans les Maritimes et plus récemment au Vermont. Le

52

Extrait de La Trace de l’Escargot de Benoît BOUTHILLETTE, page 151, JCL, Collection Couche-tard, Montréal, 2005. 53 THIBAULT, Alain, Lettre publique en réaction à la réaction d’Emmanuel Galland et d’Alain Mongeau, président et directeur du festival Mutek sur le changement de dates d’Elektra, Montréal, octobre 2004. 54 Le Centre Bell, qui a été inauguré en 1996 sous l'appellation de « Centre Molson », est le centre sportif, culturel et d'affaires le plus important au Québec. À chaque année, le domicile du Club de hockey Canadien attire près de 850 000 spectateurs pour ses matchs de hockey alors que 650 000 spectateurs assistent aux quelques 120 spectacles pour un total de 1,5 million de spectateurs. Le Centre Bell est également le domicile du Rocket de Montréal de la Ligue de hockey junior majeur du Québec. En 2002, Bell Canada a acquis les droits d'identification du Centre Molson qui est devenu le Centre Bell. Cette entente d'affaires globale entre Bell, Molson et le Club de hockey Canadien permet ainsi actuellement à Bell d'accroître son engagement dans la communauté et de développer des synergies d'affaires avec le Club et Molson. 55 Chef de file du secteur brassicole au Canada, la maison Molson a été fondée en 1786 par John Molson, qui établit sa toute première brasserie sur les rives du fleuve Saint-Laurent, à Montréal. Grâce à ses 3 800 employés travaillant dans cinq brasseries réparties d'un bout à l'autre du pays, Molson est l'une des plus anciennes marques canadiennes de produits de consommation et la plus ancienne marque de bière d'Amérique du Nord. 35/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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Groupe Spectacles Gillett a aussi lancé les activités d'un nouveau label et d'une nouvelle maison de gérance. Une initiative qui permettra à des artistes et des formations d'ici de profiter d'un vaste réseau de contacts et d'une structure complète en frais de services. Avec Elektra, ils présentent ensemble le duo britannique Autechre lors la soirée d’ouverture du festival à l’Usine C ainsi que le groupe belge Front 242 pour la soirée dite de bénéfice au Métropolis. Cette coproduction permet l’achat de spectacles qu’Elektra ne peut s’offrir seul. Les soirées Vidéomusiques sont en quelque sorte la spécificité du festival avec, cette année, onze œuvres internationales même si historiquement elle se fonde avec la musique électroacoustique en multicanal. 2.2.4. Les objectifs Elektra a pour objectif depuis sa création d’effacer les frontières dressées entre les écoles ou les styles. Il œuvre à la diffusion d’un travail de pointe sans autre contrainte que la qualité, l’ouverture des arts numériques et technologiques à un public de plus en plus vaste et la présentation d’œuvres majeures d’un répertoire québécois, canadien et international. Des artistes issus de toutes les traditions, - composition, performance, danse, arts visuels, etc. - se côtoient par son entremise, démontrant sous toutes ses formes l’union du sonore et du visuel. Si l’événement accueille des artistes d’avantgarde du monde entier, il met également l’accent sur le talent d’ici, contribuant à faire de Montréal la plaque tournante nord-américaine des arts électroniques. En plus des performances, Elektra élargit cette année ses horizons en intégrant à sa programmation des oeuvres interactives, des installations visuelles et sonores, des conférences, un projet pédagogique et une table-ronde sur le design d’animation dans le but de voir son public s’accroître. « La mission d’Elektra est axée principalement sur la diffusion de la musique électronique expérimentale (souvent issue de l’électroacoustique) et ses liens avec les autres médias (visuel, robotique, performance, l’installation, etc.) ou, sur les pratiques artistiques latérales avec les récentes technologies. Plus que des présentations traditionnelles devant public, Elektra veut faire vivre à ses spectateurs des expériences nouvelles en créant des rapports inusités avec les œuvres. Notre événement possède une programmation risquée, par le contenu de ses présentations et aussi par leur forme souvent complexe qui relève du défi technique. Rappelons qu’avec son créneau spécifique, Elektra touche un public assez ciblé (au nombre de 5000 l’an dernier). Les arts de la scène vivent une promiscuité et une proximité tout au long de la saison. Enfin, l’été montréalais 36/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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nous a prouvé que la concentration d’évènements culturels peut-être tout à fait bénéfique : un printemps électronique à Montréal pourra, selon nous, contribuer davantage à la réputation de la métropole comme plaque tournante des arts numériques en Amérique du Nord. »56 L’enrichissant partenariat avec le Musée d’art contemporain de Montréal permet la monstration de Frequency and Volume, l’œuvre exceptionnelle conçue par Rafael Lozano-Hemmer : une projection d’ombres de 50 à 800 m2 donne aux participants l’occasion de balayer le spectre radio de la ville au moyen de leur corps. Le contrôle du canal audio circonscrit est établi selon la taille de l’ombre. Seize fréquences peuvent être syntonisées simultanément et l’environnement sonore devient alors une composition assujetties au mouvement des spectateurs intervenants. Le système capte des signaux de toutes sortes, du contrôle de la circulation aérienne aux ondes courtes en passant par les cellulaires, les ondes policières, les centres de répartition de taxis ou les téléavertisseurs ! Dans le Couloir des Pas Perdus - un passage souterrain comme il en existe beaucoup à Montréal qui relie le Musée d’art contemporain, le complexe commercial Desjardins, la Place des Arts, son parking et la station de métro -, les Platinistes Numériques ont installé leur Vétroy à côté du kiosque d’information du festival. Vétroy est constituée d’une multitude de vieux téléviseurs monochromes où des images se déploient et forment des illusions optiques. Le mouvement des passants influence le visible sur ces vieux postes de télévision et génère une ambiance sonore électrique. Tout en incitant le public à remettre en question son désir d’apparaître à l’écran, cette installation interactive s’avère être aussi un clin d’œil à l’utopie technologique d’après-guerre. Avec une dynamique similaire, deux installations interactives sont accessibles gratuitement le temps du festival à l’Usine C. La dernière étape, Cantique III, de la collaboration entre la chorégraphe Marie Chouinard et le musicien Louis Dufort, est implantée dans le hall. Son fonctionnement facile permet à deux joueurs de produire un événement avec une efficacité dramatique et musicale inouïe. L’outil de montage en temps réel procède par synthèse granulaire et par boucles. Une banque d’images et de sons est reliée à un écran tactile qui sert de console et offre une infinité de variation, du hurlement au souffle, de la langue tirée à de folles onomatopées. Devant eux, la projection des visages d’un homme et d’une femme, de profil, qui se font face. Chaque joueur choisit son personnage. L’installation Four Wheel Drift de Julie Andreyev avec Jordan Benwick fonctionne sous un autre mode d’interactivité, une interactivité anticipée. Une voiture équipée de 56

Ibid. 37/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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dispositifs d’enregistrement et de logiciels interactifs parcourt la ville. Les captations sonores et visuelles recueillies reflètent les choix du conducteur et sont interprétées et restituées pour créer un nouveau panorama au cours de la performance. La voiture, une Jaguar, est installée dans le Studio de l’Usine C et cache le projecteur vidéo. Ses hauts parleurs diffusent les sons modifiés. Les images apparaissent au mur pendant que les deux artistes s’affairent sur leur base de données. Les conférences, le projet pédagogique et la table-ronde sur les effets spéciaux représentent un accroissement des activités mais surtout des actes de médiation utiles à la compréhension des objectifs du festival et par là, le développement des publics. Tous ces projets ne peuvent exister sans la volonté, de dynamisme et la persévérance de nombreux acteurs. Aussi étrange que cela puisse paraître, l’ACREQ n’emploie en temps normal que trois permanents. 2.2.5. L’équipe Alain Thibault est le directeur artistique d’Elektra depuis sa création. Musicien, né en 1956 à Québec, il est lauréat en 1982 de la catégorie électroacoustique du Concours national des jeunes compositeurs de Radio Canada avec Sonergie. Ses œuvres ont été présentées au Canada et à l’étranger, notamment par la Société de Musique Contemporaine du Québec (SMCQ), par les New Music Concerts à Toronto dès 1985 (Digicon’85, second congrès d’art et de créativité par ordinateur), à Vancouver (British Columbia), à Synthèse (festival international de musique expérimentale de Bourges en France) mais aussi à Tokyo. En 1986, il remporte le prix du Sound Page Competition, un concours organisé par le magazine américain Keyboard pour sa pièce God’s Greatest Gift réalisée au synthétiseur Fairlight57. Il a étudié la composition à la Faculté de musique de l’Université de Montréal et y a enseigné les techniques électroacoustiques de 1984 à 1988. Alain Thibault est aussi membre fondateur de la Communauté Électroacoustique Canadienne (CÉC). Il a collaboré avec différents artistes, du metteur en scène Gilles Maheu de la compagnie Carbone 14 au chorégraphe Paul-André Fortier en passant par François Girard. En 1998, Alain Thibault forme avec l’artiste visuel Yan Breuleux le duo PurForm et présente la performance A-live au FCMM, festival du nouveau cinéma et des nouveaux médias de Montréal. Il obtient avec lui la même année un Prix avec mention pour la vidéo-musique A-light à Ars Electronica (Linz). Plus récemment, on a pu voir

57

Développé par une société australienne en 1979, le Fairlight est le premier synthétiseur, simultanément sampler et séquenceur (une sorte de workstation). Il posséde 28 méga octets de mémoire, peut échantillonner à 100 kHz en 16 bits et possède 16 voix de polyphonie. Son utilisation est complexe et son prix excessif. 38/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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FausTechnology au Batofar (Paris) à l’occasion de l’International Symposium for Electronic Arts (ISEA) en 2000 et à la troisième édition du festival Elektra ainsi que le HiTek mix au Club Sona (Montréal). Son opéra-techno Lulu Le chant souterrain est créé à l'Usine C en février 2000. Il sera invité quatre mois plus tard par Granular Synthesis58 à présenter à New York The Underground Song lors des événements Noise Gate Remix produits par Creative Time59. Aujourd’hui, toujours avec Purform, il vient de présenter dans le cadre de la Manif d’Art (Québec) leur Black Box. « La musique de Purform est magnifiquement composée, j’veux dire, c’est l’œuvre d’un véritable compositeur, c’est quand même assez rare sur la scène techno. Ça n’enlève rien aux autres, le techno a pris la place du jazz, c’est la liberté de l’aléatoire, ça vise la transe ou l’état d’esprit, ça n’a de conséquences qu’immédiates, ça se ressent, c’est ici et maintenant. Le gars, Alain Thibault qu’il s’appelle, y’est brillant, c’est deep, c’est vrai… C’est pas comme tous les nerds qui font de la petite house branchée et qui n’ont aucun sens de la fête, des pousseurs de boutons sans âme, ou des boutonneux poussifs dans l’âme, appelle ça comme tu veux, qui font rien que maîtriser les manuels d’instructions de leurs logiciels, de la masturbation intellectuelle version « grosse puissance, engin miniature », des rejects qui ont soudain droit à une reconnaissance mondaine, j’ai l’air d’les haïr comme ça, mais c’est parce qu’ils ont presque tué le scène électronique à force d’avoir rien à dire, une chance qu’ils ont peu à peu clairé la place quand ils se sont rendu compte qu’ils poignaient pas plus auprès des filles parce qu’ils étaient derrière une console, ça console… »60

Même en déplacement, à Linz par exemple pour être membre du jury du festival Ars Electronica en avril 2005, Alain Thibault reste un directeur facilement joignable sur son cellulaire, sur son téléphone de maison où il travaille ou sur iChat61. Alain Thibault n’a effectivement aucun bureau (le meuble) dans le bureau (l’espace) de l’ACREQ-Elektra. Quand il vient à l’Usine C, il s’installe sur celui qui est disponible ou sur la table centrale qui sert aux réunions et, accessoirement, à déjeuner. Carlos Correal à 31 ans. Né au Québec, il passe sa jeunesse en Espagne et revient au pays pour étudier à l'Université de Montréal où il y obtient un Baccalauréat62 en chimie, 58

Granular Synthesis, duo autrichien, a composé l’habillage sonore du récent spectacle du chorégraphe Angelin Preljocaj, N. 59 Peu de temps après sa fondation en 1973, Creative Time s'impose sur la scène internationale comme un chef de file de la présentation d'oeuvres inédites ou de performances d'artistes visuels, de musiciens, de poètes et de chorégraphes dans des lieux publics inusités, sous-exploités et même abandonnés. 60 Extrait de La Trace de l’Escargot de Benoît BOUTHILLETTE, page 157, JCL, Collection Couche-tard, Montréal, 2005. 61 J’ai dû updater le système d’exploitation (MacOS X.3.9) pour pouvoir installer cette application. 62 Ce qui équivaut en France à une Licence. 39/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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ainsi qu'une mineure en commerce. Carlos découvre son immense intérêt pour le domaine de la communication et réoriente ses objectifs professionnels en vue de la production et de la promotion d'événements multidisciplinaires axés sur la musique et l'art. Toujours à l'avant-garde des tendances émergentes, il présente de nombreuses soirées thématiques dans les boîtes de nuit les plus populaires de la région de Montréal. Il œuvre ensuite pendant trois saisons à la production du festival Juste pour rire, où il crée des événements extérieurs tel le célèbre Circo de Bakuza. Carlos exprime sa passion pour la musique électronique en fondant deux labels musicaux à Montréal, Ascend et Default, qu'il gère aux côtés du DJ et producteur Jean-Michel Cauvin (Nivoc). Grâce à son talent inné pour les relations publiques et à son engagement infatigable, Carlos occupe depuis quatre ans le poste de directeur du marketing et des communications pour Elektra. Il continue d'être un collaborateur exceptionnel à titre de coordonnateur du marketing pour GI Energy Corporation (Guru Energy Drinks), créant des campagnes publicitaires et des promotions, et coordonnant les commandites. Misant sur son expérience immensément variée et son instinct aiguisé pour l'avantgarde, Carlos consacre maintenant son dynamisme au succès continu et croissant de Produkt, son entreprise de promotion de performances, de direction artistique, de décoration, de relations presse et de sponsoring qu’il codirige avec Steve Henri. Leur objectif est de créer des spectacles sophistiqués dans le chant acéré des technologies pour une immersion sensorielle totale dans la fantaisie multimédia. Emilie Boudrias est âgée de 24 ans. Depuis le mois d’août 2003, elle coordonne coordination et développe Elektra. En plus de la recherche de financement, son rôle est de participer au rayonnement du festival, par des nouveaux partenariats sur le plan local, national et international. De plus, Emilie est mandatée à mettre en place des projets de développement de public. Elle a complété un baccalauréat en communications à l’Université du Québec à Montréal avec une spécialité en multimédia. Dans le cadre de cette formation, Emilie a travaillé à titre d’adjointe à la production pour l’exposition étudiante de fin d’année présentée à la Société des Arts Technologiques (SAT). Ensuite, elle a été engagée comme adjointe à la direction pour le Groupe Molior, organisme sans but lucratif voué à la production et à la diffusion d’œuvres numériques interactives et a participé à la production et la diffusion de projets en art interactif, essentiellement avec des artistes de la relève. Emilie a fait une incursion dans le monde journalistique en écrivant pour un journal virtuel hebdomadaire et une revue, tous deux dédiés aux arts numériques. Elle écrit également, depuis deux ans, des critiques, nouvelles et autres textes pour un site internet traitant de graphisme, de musique électronique et d’arts interactifs. Adrian Gonzalez, assisté de Mélanie Mingotaud, est chargé des relations avec les médias. Âgés d’une bonne trentaine d’année, ils travaillent comme indépendants et 40/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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couvrent dans l’année plusieurs évènements, d’Elektra au festival Vues d’Afrique en passant par le festival de cinéma des Trois Amériques, par des projets d’artiste comme Fuller?s Flow de Irit Batsry à La Biosphère63, le festival HTMlles (une biennale internationale de cyberart où les technologies rapprochent les continents, libèrent des voix créatrices et provoquent des actions collectives…) ou par un forum sur les mutilations génitales féminines. Ils réalisent depuis chez eux les communiqués de presse, contactent et relancent les médias, organisent les conférences de presse, fixent les rendez-vous pour les entretiens avec les artistes, gèrent l’attribution des accréditations les soirs de spectacles et constituent les ultimes revues de presse. Ils me rappellent ma dernière expérience professionnelle à Marseille. En plus, Adrian me fait rire : il chante What a Feeling64 et danse dès qu’il me voit. Il trouve que je ressemble « vraiment » à Jennifer Beals dans Flashdance. Solange Baril est bénévole depuis l’automne 2004 sur le projet pédagogique Alpha_Elektra. Elle a 22 ans et est étudiante libre en Maîtrise de philosophie à l’UQAM. Elle vient trois après-midi par semaine au bureau d’Elektra et travaille dans un petit restaurant gastronomique les soirs de la fin de semaine. À l’approche du festival, l’équipe de production se renforce. Peter Dimakos, le photographe attitré de l’événement, débarque de Vancouver. Le régisseur technique fait appel temporairement à plus de techniciens. Un stagiaire français conseillé par Caroline Andrieux vient renforcer l’équipe et valider la fin de sa formation de technicien du spectacle qu’il prépare à Nice. Le porte-parole de cette édition 2005 est l’animateur et réalisateur Patrick Masbourian. La quarantaine flamboyante, il anime avec fougue et humour depuis six ans La Revanche des NerdZ, un magazine hebdomadaire sur l'actualité des nouvelles technologies. Cette émission vient de s’enrichir d'une chronique régulière qui décrit l'impact de la technologie dans les domaines du travail, du social et de la culture. Patrick ne manque pas de formule pour faire passer son message : « Nous avons besoin d’une quarantaine de substances pour faire fonctionner notre cerveau. Des vitamines, des minéraux, des oligo-éléments, des acides aminés, gras, etc. Bref, le cerveau humain a besoin d’être bien nourri. Voilà pourquoi je donne au mien sa dose annuelle d’Elektra, un festival d’art numérique riche en images et en sons. »65

63

Musée pour l'observation et à la sauvegarde de l'eau dans l'ancien Pavillon USA de l’Exposition universelle de 1967. What a Feeling d'Irène Cara, bande originale du film Flashdance réalisé par Adrian Lyne en 1983. 65 Extrait de son texte écrit pour l’introduction du catalogue du festival. 64

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Il vient de se voir consacrer une page dans un magazine people avec photo et interview sur sa vie – intime – et ses projets cinématographiques (Mourir c’est partir un peu un film dont il vient de finir d’écrire le scénario et pour lequel il souhaite l’interprétation du rôle principal par Charles Aznavour, Arménien comme lui). 2.3.

Les médiations d’Elektra 2005 2.3.1. Les différents supports 2.3.1.1.

Le site web et les lettres électroniques

Ma première approche d’Elektra se fait depuis la France par le site web. Après une page d’accueil qui propse l’alternative (française ou anglaise) de la langue, la seconde page du site web offre les choix suivants : -

-

la présentation de la mission que se donne Elektra ; la programmation du festival avec un accent mis sur les installations interactives et l’accès à la programmation des deux précédentes éditions ; la page multimédia qui archive la mémoire du festival par des photographies, des vidéos depuis 1999 et des sites construits en 2000 et 2001 ; les lieux de diffusion et d’hébergement ; la page médias où l’on peut télécharger les communiqués et le dossier de demande d‘accréditation ; la page consacrée à l’information sur la billetterie ; la liste des partenaires gouvernementaux, des collaborateurs, des grands commanditaires et des commanditaires associés, des médias et des partenaires technologiques ; la liste de contacts d’Elektra avec l’adresse postale, le numéro de téléphone et les emails des permanent et d’Adrian Gonzalez, le responsable des relations avec les médias.

Les objectifs du site sont d’ordre purement informationnel. Le public ciblé est un public adulte mais rien n’empêche une navigation par un enfant. La charte graphique du site, assez sombre, ressemble plutôt à celle d’un site pour initiés. Le sommaire reste toujours affiché sur la gauche de l’écran. Cette interface permet d’accéder rapidement à l’information requise. Celle-ci est synthétique. Par exemple, le texte qui définit la mission d’Elektra fait 140 mots. Cela fait partie du contenu créé. La concision de l’information convient aux gens pressés. Les documents réinvestis sont les photographies et les vidéos. Leurs auteurs ne sont pas cités. Il s’agit de personnes sollicitées par Elektra et rémunérées pour le faire. 42/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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Le retour sur le site peut se fait pour suivre l’affichage, la mise en ligne, des nouvelles. Ces informations apparaissent dans un menu déroulant en deuxième page simultanément avec le sommaire. On y trouve l’archivage des eflyers sur les évènements auxquels Elektra est lié, la pub TV créée par Amen.Epoxy et des informations sur l’activité de l’association depuis octobre 2002. Cela représente une vingtaine de liens vers des détails complets. En bas à gauche, l’utilisateur peut revenir vers la page d’accueil, choisir l’autre langue ou bien s’inscrire sur la liste d’envoi. Vers cette liste constituée de plus de 5000 adresses électroniques sont envoyées les lettres électroniques d’informations. Entre le 1er février et le 6 mai sont envoyées sept eflyers66. Ces tracts électroniques annoncent la Black_Box de Purform au festival berlinois Transmediale, la projection de la dernière vidéomusique de Jean Piché67, l’association d’Elektra à la deuxième Nuit Blanche68 avec les Platinistes Numériques, l’ouverture de la billetterie pour les spectacles en coproduction avec le Groupe Spectacles Gillett le 23 mars, la programmation du festival le 14 avril, l’accès libre aux installations interactives à l’Usine C et au vernissage de l’œuvre de Rafael Lozano-Hemmer le 3 mai et trois jours plus tard 1024 Design en mouvement. Elles sont toutes construites en respectant la charte graphique propre aux eflyers d’Elektra. Seule celle concernant 1024 Design en mouvement reprend l’identité visuelle créée spécialement pour le site elektra1024.ca par Yako. La responsabilité du contenu du site elektrafestival.ca revient à Carlos Correal. La structure est conçue selon une arborescence de type hiérarchique. Un technicien indépendant a la charge du fonctionnement. Il s’arrange pour que les normes d’utilisation soient respectées (poids des pages, logiciels nécessaires pour l’affichage…). Les graphistes d’Amen.Epoxy réalisent les animations à l’aide de Flash MX qui, en toile de fond, permettent une identification visuelle du site. Pour cette sixième édition, la mise à jour des informations se fait le 11 avril, la veille de la conférence de presse, soit un mois avant le festival. Une petite mouche anime le téléchargement... 2.3.1.2.

L’affiche, le programme et le catalogue

Ça ne fait pas une heure que je viens de mettre les pieds pour la première fois dans le bureau d’Elektra qu’ils m’embarquent pour un rendez-vous avec Amen.Epoxy, les 66

On peut dire qu’une entorse est faite quand un mois avant le festival Alain autorise une autre structure (la Place des Arts) à utiliser de cette liste pour annoncer un spectacle dont il a composé la musique (Lumière de Paul-André Fortier). 67 Petite mission d’observation participative : retouche de documents et mise en page de la revue de presse de la rétrospective des vidéomusiques de l'artiste montréalais Jean Piché produite par l’ACREQ. 68 La Mairie de Paris a initié, en 2002, sa première Nuit Blanche. Ce fut un tel succès que l’idée a essaimé à Bruxelles, Rome… et Montréal. L’an dernier, grâce à l’appui d’Hydro-Québec et d’une trentaine de partenaires un brin téméraires, a été lancée – en plein hiver ! – la première Nuit Blanche à Montréal. 43/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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graphistes en charge de la campagne de communication. Leurs bureaux sont dans un hôtel de belle facture dans le vieux Montréal. Le cerbère réceptionniste n’arrive pas à interrompre Carlos suspendu à la laisse de Funky qui passe en coup de vent devant son comptoir. Le responsable de la communication et du marketing rentre en trombe, avec sa chienne qu’il réussit à se caler sous le bras, dans les bureaux lumineux et spacieux de la firme. Nous sommes reçu dans l’espace dédié aux présentations des travaux de création. Cela ressemble à un caisson complètement hermétique aux sons. Les parois sont largement vitrées. De larges portes pleines occupent trois d’entre elles. Dans la quatrième est intégré un écran plasma au-dessus d’une console qui cache un lecteur DVD. Une hôtesse nous propose des rafraîchissements (jus d’orange, jus de pomme, eau plate et bière). Daniel Fortin ne peut s’asseoir, harcelé par son cellulaire qu’il finit par éteindre. Daniel Fortin, c’est le fondateur dans les années quatre vingt dix et directeur de création d’Epoxy, un studio qui possède des bureaux à Montréal et à Paris. Il vient de s’unir avec Amen pour devenir Amen.Epoxy. C’est Jean-Christophe Yacono, directeur artistique de la section Nouveaux médias, qui conduit l’entrevue et commence la présentation des dernières étapes de recherche. Il fait ses premières armes chez Havas Conseil Marsteller. Précurseur de la vague internet, il participe à l’élaboration des premières communautés virtuelles ainsi qu’aux premières conférences de presse en ligne. Deux projets restent en lice. Il doit n’en rester qu’un. Ils sont complètement différents. La première proposition emploie des termes forts écrits au Posca69 en blanc sur fond noir au format paysage. En petit « c’est un festival vraiment » et en dessous, en gros « MENTAL ». Une variable : « ce n’est pas un festival BANAL ». Il n’y a pas d’excès d’enthousiasme. Le second est annoncé comme exceptionnellement novateur à l’image d’Elektra. Je sens un discours des publicitaires affinés. La stratégie est mise en place : ils gardent le meilleur pour la fin. Elektra change. Elektra change ses dates de programmation et change son image. Il faut de la fraîcheur. Le public doit être plus féminin. Du blanc alors, et une icône… Une mouche ! Une mouche comme celles qui apparaissent au printemps. L’insecte rappelle un film de Cronenberg70 mais aussi l’abeille des Piknik Électronik. Les concepts sont déclinés sous quatre formats promotionnels : une affiche, un tract, un catalogue et un spot publicitaire. Seul le second projet n’a pas sa vidéo format TV parce qu’il faut créer complètement la mouche en 3D.

69

Le Posca est une sorte de marqueur avec une pointe en ogive de taille variable. Il contient une gouache liquide qui ne pue pas contrairement à certains marqueurs et dépose sur le support choisi un trait bien net. Le film La Mouche, de David Cronenberg. sorti en 1986, est un remake de La Mouche Noire (une série B de 1958), qui arrive habilement à marier l’émotion et l’horreur. Le héros après une expérience ratée de téléportation avec une mouche, se métamorphose petit à petit en insecte gigantesque.

70

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Carlos et Émilie restent emballés. Je suis sceptique quant à la valeur attractive de leur bestiole. Le fond des supports doit être minimaliste. Un choix « tendance ». Alain n’affiche aucun parti pris et se laisse le temps de la réflexion. Il repart avec les épreuves papiers sous le bras et les soumet le soir même à sa femme, Lynn Hughes, artiste et enseignante en Art visuel à l’Université Concordia. Le lendemain, jeudi 17 mars, réunion au sommet. Elektra doit donner son avis à Amen.Epoxy pour que les graphistes continuent à avancer. Solange Baril est là et découvre les propositions. La réunion manque de déraper. Alain menace doucement mais fermement de quitter le bureau si la discussion ne retrouve pas son calme. On me demande mon avis. Je le donne au risque de choquer Carlos. Je le choque. Il menace de quitter le bureau si ça se passe comme « ça ». Ça, c’est l’opposition et la critique du second projet, la campagne qui doit faire mouche. Alain n’a maintenant plus d’avis à donner. Carlos doit faire le choix. Après tout, c’est lui le responsable de la communication. Émilie est du même avis et elle soutient le projet. Les différents supports en papier envisagés pour Elektra 2005 sont, dans un premier temps de distribution un petit programme dépliant et les affiches de deux formats, puis le catalogue. Tirés respectivement à 10500 et 2850 exemplaires, le programme et les affiches doivent être prêts pour la conférence de presse trois semaines plus tard. L’édition des 4000 catalogues est prévue pour le cocktail d’ouverture du festival. Elektra fait appel à la firme Publicité sauvage pour l’affichage urbain. « Alors que je passe en autobus rue Sherbrooke, près de Saint-Urbain, une affiche, parmi toutes celles qui ornent la palissade cernant le chantier du prochain complexe des sciences de l’UQAM, retient mon attention. Sur un fond bleu-gris uni, une grande lettre P, sur un tilde, occupe le centre de l’affiche et surmonte les mots suivants : Publicité sauvage. Partout à Montréal. L’affiche m’intrigue : s’agit-il d’une véritable publicité (auquel cas il s’agirait d’une entreprise publicitaire faisant sa propre promotion, en une circularité qui me fascine) ou d’une manœuvre artistique clandestine ? C’est l’absence de tout nom d’entreprise ou de toutes coordonnées qui me porte d’abord à lier cette affiche à une intervention urbaine : le syntagme nominal « publicité sauvage » s’y donne comme un énoncé privé de contexte, c’est-à-dire sans autre clé d’interprétation que la force perlocutoire de sa propre énonciation autodescriptive - une particule littéraire orpheline décontextualisée, offerte pour elle-même dans sa frontalité

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obtuse et sa clôture énigmatique - à moins bien sûr que « Publicité sauvage » ne soit précisément le nom de la firme. »71 Émilie prépare les textes sur les artistes et les œuvres. Carlos récupère les publicités des partenaires et reçoit par courriel ou par coursier les maquettes d’Amen.Epoxy. Je recueille les textes (de 150 mots, bilingues) avec photo, des partenaires gouvernementaux à intégrer avec ceux du directeur, du porte-parole et des commissaires de 1024 Design en Mouvement72 dans les premières pages du catalogue. C’est ma première mission pour Elektra. Je contacte par courriel ou par téléphone les responsables de la communication du Directeur du Conseil des Arts du Canada (John Hobday), de la Ministre du Patrimoine Canadien (Liza Frulla), de la Ministre de la Culture et des Communications du Québec (Line Beauchamp), du Maire de Montréal (Gérald Tremblay), du Président du Conseil des Arts de Montréal (Maurice Forget) et de la Ministre des Affaires Municipales et des Régions (Nathalie Normandeau). L’obtention de toutes ces informations me prend une bonne dizaine de jours. Ça reste dans les temps. Je les transmets à Carlos qui les transmet aux graphistes. Il devra retourner à la majorité des partenaires gouvernementaux la maquette pour obtenir leur approbation. Ça peut prendre plusieurs jours. Certains sont plus pointilleux que d’autres. Le programme est une légère déception. Dans un soucis d’économie, la couleur manque. Le catalogue, le premier du genre pour Elektra, est un vrai succès multicolore. Les graphistes probablement voulu se rattraper. C’est un sujet difficile à aborder.

2.3.1.3.

Les médias et la publicité

Le 5 avril, je vais pour la première fois à la SAT73 à l’occasion de la conférence de presse du Printemps Numérique74 donnée dans une formule 5 à 7. Peu de journalistes sont présents. Michel Lemieux75, artiste metteur en scène se fait porte-parole de l’événement. Il accepte avec enthousiasme d'endosser cet uniforme pour la toute première édition d'un Printemps Numérique à Montréal. Bien connu du public et du 71

Extrait du journal d’observation de l’artiste chercheur Patrice Loubier. Il note des interventions furtives (ou phénomènes présumés tels), qui servent de plate-forme à l’étude de leurs modes de médiation en consignant aussi bien des interventions aperçues au fil du quotidien (surtout à Montréal), que des récits ou mentions de projets transmis par d’autres. Ainsi il lui est possible d’étudier ce type de pratique artistique à partir des deux positions de perception antithétiques mais complémentaires qu’elle implique : d’une part, l’observation naïve et impromptue d’un phénomène survenant dans l’expérience vécue, et dont on ignore les tenants et aboutissants ; d’autre part, la connaissance avertie d’un tel phénomène en tant que projet dont sait la règle du jeu. http://www.agglo.info/Journal-d-observations. Agglo est un projet coordonné par Jérôme Joy et Paul Devautour. 72 ème 1024 Design en Mouvement est la présentation et la table-ronde organisée le samedi 14 mai 2005 à la 5 Salle, Place des Arts, dans le cadre d’Elektra autour des effets spéciaux et du design animé. 73 Société des Arts Technologiques. 74 Printemps Numérique est une association d’évènements liés à l’art et aux technologiques. 75 Michel Lemieux est d'abord connu pour ses performances multidisciplinaires dans les années 80. 46/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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milieu artistique contemporain, ce concepteur, performeur, musicien, compositeur, scénographe, réalisateur et metteur en scène est en effet le représentant idéal pour porter bien haut le flambeau de la création numérique. Alain Thibault en profite pour me présenter Monique Savoie, présidente et fondatrice de la SAT. « Ce qu’il y a de bien à la SAT, c’est qu’il n’y a pas de guest list. Si les amis sont pas capables de se payer la soirée, ils vont ailleurs, on vit à l’époque de la profusion, l’art est un luxe, un luxe essentiel, mais on a suffisamment accès à des formes diverses et gratuites de combler son vendredi soir, que viens pas me faire chier avec tes pleurs de fauché. Bon, qu’est-ce qu’elle vient faire ici, la pimbêche ? Montures de lunettes dernier cri, un cou d’oie blanche, robe signée sur ses bourrelets, l’accent condescendent de Westmount, non elle ne peut rien faire pour le type devant nous, elle est attachée de presse, le nom du type n’est pas sur la liste, lui insiste poliment, écoutez je ne suis pas journaliste, je suis diffuseur et j’ai personnellement invité cet après-midi même, elle s’indigne, il n’y a pas de guest list à la SAT, permettez-moi d’insister, je vous affirme que j’ai reçu une invitation, you know la guest list de la SAT est vraiment très petite, d’accord mais peut-on vérifier si mon nom y figure, on ne l’a pas encore reçue, il est vraiment trop tôt, moi je m’occupe des journalistes seulement. »76 Issue d'une formation en milieu universitaire dans des domaines aussi variés que la biologie, l'art, la pédagogie et l'administration, Monique Savoie participe et représente l'effervescence de la culture d'avant-garde depuis plus de vingt ans. Vidéaste professionnelle dans les années 80, elle participe à la tenue d'événements internationaux à Montréal dont le New Music America en 1990, le Festival de théâtre des Amériques en 1991 et en 1992 (Théâtre du Soleil), ainsi qu'en 1993 et en 1997. Elle a aussi assumé la direction générale du Symposium international des arts technologiques ISEA 95 à Montréal, et elle fonde en 1996 la Société des Arts Technologiques. On échange quelques formules de politesse. Il y a longtemps, elle a habité Marseille, au-dessus du Ô Stop, un restaurant de nuit, place de l’opéra. La semaine suivante, le 12 avril, c’est le jour de la conférence de presse d’Elektra. Les préparatifs du Café de l’Usine C se font dans la matinée, quelques heures avant ça commence. L’écran plasma loué est installé par les techniciens permanents de l’Usine C. Alain Thibault veille à la logistique technique. Carlos s’est réveillé tard ce matin. Il passe au bureau, consulte ses mails et est peut-être déjà sur autre chose. Il descend au Café où flotte une légère effervescence. Je dispose des affiches un peu partout ainsi que des programmes sous son œil vigilant. Il est un peu stressé, ça se sent. Adrian et 76

Extrait de La Trace de l’Escargot de Benoît BOUTHILLETTE, page 103, JCL, Collection Couche-tard, Montréal, 2005. 47/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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Mélanie, les responsables de relations publiques mettent en place leur table de presse avec leur liste de journalistes attendus et un dossier à leur remettre. Ils contiennent, dans une pochette blanche habillée de deux stickers d’Elektra 2005, un communiqué du Groupe Spectacles Gillett, un communiqué du gouvernement du Québec, un communiqué rédigé par Adrian Gonzalez, le détail de la programmation et un formulaire de demande d’accréditation. Il est ajouté le petit programme tout juste arrivé de chez l’imprimeur, le programme du Printemps Numérique, le programme de l’Usine C et une carte de visite77. Ces dossiers ont été préparés par Adrian et Carlos la veille au soir. Emilie file s’acheter de l’anti-perspirant. Tout le monde est sur son 31. Je suis en jean, celui qui se déchire de plus en plus, avec une veste genre sport wear. Les journalistes sont soit en avance, soit à l’heure. Ça commence à 11h05. Alain Thibault présente Patrick Masbourian qui présente la sixième édition d’Elektra. Alain Thibault remercie tous les partenaires privés et publics (la liste est longue) en commençant par les coproducteurs, l’Usine C et Amen.Epoxy représenté par Yako. Danièle de Fontenay, la directrice de l’Usine, n’est pas là. Les relations avec les résidents sont parfois difficiles. Il faut faire preuve de diplomatie. Le dernier accrochage est au sujet de l’ordre d’apparition et de la dénomination (collaborateur ? coproducteur ?) attribués à l’Usine C sur les documents produits par Elektra. Il y a eu aussi un contre temps fâcheux au cours de l’envoi par courriels des invitations à la conférence de presse : les contacts des lieux partenaires ont été oubliés. Adrian Gonzales les contacte par téléphone le matin même. « Mieux vaut tard que jamais. » La responsable de la communication, Céline Gaudron, et Christiane Dinelle, directrice générale adjointe de Danièle de Fontenay montrent leur nez au moment où la conférence de presse se termine. Vin rouge offert, pizzas et pics fraise/basilic/mozzarella. On dit que le traiteur a fait face à une subite coupure d’électricité. Les journalistes radio en profitent pour sortir leur micro et interviewent entre deux bouchées le porte-parole. La publicité (l’achat d’espaces publicitaires) dans la presse fait souvent partie d’un deal pour l’obtention d’un papier, même succinct. Une autre contrepartie est l’échange de bons précédés. Par exemple, le magazine Urbania publie une pub pour Elektra dans son numéro du mois de mai et Elektra publie une pub pour Urbania dans le catalogue de sa sixième édition. Le tour est joué. Un jour en attendant le métro, j’entrevois une annonce du festival composée d’images d’archives et de l’incrustation des dates de la manifestation dans le spot des news culturelles montréalaises sur les écrans qui bordent les quais78 mais je n’ai pas l’opportunité de voir le spot créé pour la télévision ailleurs que sur mon ordinateur. La semaine précédant Elektra, au supermarché, je suis surprise 77

L’équipe d’Elektra s’est dotée de cartes de visite nominatives. Il existe un modèle simple, sans nom. C’est de celle-là qu’il s’agit. 78 Ces installations télévisuelles meublent l’attente et mobilisent l’attention des voyageurs. 48/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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de trouver le couvercle des pots de yaourt Liberté - mes préférés - modifié. Il supporte l’impression d’une publicité pour le festival ! Mais ce n’est pas une première puisque, déjà en 1998, l’artiste Laura Martin expose Meilleur avant à Quartier Éphémère et sur les pots de yaourt Liberté, à Vidéographe. Ce domaine des partenariats privés est celui de Carlos. Sans qu’il soit confidentiel, il est resté relativement hermétique. 2.3.1.4.

Les relations avec les partenaires publics

Les partenaires publics font l’objet d’une attention toute particulière pour de nombreuses associations culturelles. La création et leur entretien sont du ressort d’Emilie Boudrias. J’ai toutefois l’occasion de relire deux dossiers de demande subvention. L’un a pour objet la création d’une plate-forme multimédia internationale. Le second, un rapport d’activité d’Elektra est adressé aux institutions canadiennes. Je ne peux pas rentrer dans les détails par manque d’information. Les interlocuteurs institutionnels, des élus aux directeurs en passant par les chargés de la communication et des relations publiques sont conviés, mais viennent peu, à la conférence de presse, au cocktail d’ouverture et à tous les évènements qui constituent le festival. Après avoir pris en charge les billets d’avion des artistes français en mission au Québec, le Consulat Français propose d’organiser par l’intermédiaire de l’équipe d’Elektra un dîner cocktail. Un budget de 185 $ est destiné à cette occasion par le Consulat Français. Etienne Auger (Incandescence), Frédéric Bourque (Ambidextre), Gregori Pignot et Alia Daval (Servovalve), et les journalistes de la revue Coda, Paulo Fernandez et Marjorie Coste, sont conviés le vendredi soir à 18 heures à se retrouver avec l’équipe du Consulat Français et d’Elektra autour d’un verre et d’un repas au Café de l’Usine C. Christiane Dinelle de l’Usine C et Emmanuelle de Montgazon, amie de Ryiji Ikeda mais aussi, surtout à ce moment-là, employée de l’ambassade de France à New York, se joignent à nous. 2.3.2. Les lieux pratiqués En plus de l'Usine C, d’autres lieux accueillent les œuvres programmées, notamment la Place des Arts et sa Cinquième Salle, le Musée d’Art Contemporain de Montréal et l’historique Station C.

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Un kiosque d’information, designé par Steve de Produkt, est installé dans le Couloir des Pas Perdus79. Une hôtesse s’y tient de midi à 20h pendant toute la durée du festival. Elle a à sa disposition les petits programmes et des catalogues à distribuer aux curieux. Deux écrans plasma diffusent une animation du logo d’Elektra, de ceux de ses partenaires et de la mouche qui tourne en boucle. Ça crée l’attraction. De toutes les façons, l’installation des Platinistes Numériques est à moins de cinq mètres. Et l’endroit est connu : deux mois plus tôt, le kiosque du FIFA était installé à la même place. Il faut dire que ce couloir est une sorte de passage obligé de la zone dite des Spectacles formée par le quadrilatère des axes Sherbrooke, René-Lévesque, Berri et City Councillors qui inclue aussi l’UQAM et le Complexe commercial Desjardins. Si l'idée de doter Montréal d'une vaste salle de concert est émise dès 1878, les premières démarches sérieuses ne sont entreprises que soixante-dix-sept ans plus tard, en 1955. L'inauguration de la Place des Art dans un bâtiment aujourd’hui adjacent au Musée d’Art Contemporain se fait en 1963. En plus d'offrir une programmation de spectacles des plus variées, la Place des Arts représente le cadre idéal pour organiser des événements. Que ce soit une conférence de presse, un lancement de produit, ou qu'il s'agisse plutôt d'une soirée de gala, d'un bal, d'un cocktail ou d'un dîner, d'un séminaire, d'un congrès ou d'un colloque, la Place des Arts dispose de plusieurs lieux de réception marqués d'un sceau d'excellence inégalable. Le personnel qualifié de la Place des Arts travaille en étroite collaboration avec les organisateurs et leur permettre d'atteindre leurs objectifs. À configuration variable, la Cinquième Salle peut accueillir 300 personnes sur à 417 personnes avec les six rangées additionnelles d'une vingtaine de fauteuils chacune. Les dispositifs scéniques peuvent être à l'italienne avec un plateau de douze mètres sur huit, en éperon avec vomitoire, à l'élisabéthaine et en face à face. Le Musée d'art contemporain de Montréal, fondé par le gouvernement du Québec comme un service du ministère des Affaires culturelles, voit le jour un an après la mise en service de la Place des Arts, en 1964. C'est en 1983 que le gouvernement en modifie le statut : le Musée devient une corporation autonome, avec un conseil d'administration. Après avoir logé en différents lieux depuis sa création, le Musée emménage au cœur de la ville en 1992. Véritable institution du XXIème siècle, le Musée d'art contemporain de Montréal s'élève sur le site de la Place des Arts où se côtoient désormais les arts de la scène et les arts visuels, ce qui fait tout l’attrait de cet assemblage de facture postmoderne. Pour ces installations d’utilité publique, les bâtiments doivent s’avancer jusqu’à la ligne de construction pour conserver les parois ininterrompues donnant sur les avenues mais 79

Artère en sous-sol qui relie le Musée d’art contemporain, le Complexe Desjardins, la Place des Arts, son parking et la station de métro. 50/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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il faut aussi inclure les entrées de métro. En ce qui concerne les terrains à bâtir, un bonus est accordé aux places couvertes, aux cours fermées et aux passages. Des calculs compliqués doivent également assurer un éclairage suffisant… Au départ, on a tenté de réunir en un concept commun l’aura des œuvres d’art et celle de l’architecture du musée en passant par la consécration classique. L’époque exige davantage en raison d’un art problématisant même le caractère artistique. On recherche alors pour une représentation interchangeable et épisodique, une tabula rasa pour un effet de mise en scène calculable. La notion d’exposition renferme aussi celle de la consommation et rendre au musée sa valeur de lieu d’unité culturelle supérieure signifie adopter des exigences qui dépassent le cadre de l’art moderne et qui répondent par des salles spécifiquement adaptées. Dans un tel dialogue, l’architecture ne se soumet pas mais, connaissant ses contenus, discute de l’art. C’est comme cela que chaque période historique fixe son interprétation de l’art et ses rapports avec celui-ci. C’est peut-être dans cette relation à l’art, au monde que se trouve une partie des réponses à l’investissement massif de lieux désaffectés par des producteurs en partie fauchés mais pas seulement. On peut en effet y voir le parti de la transformation, de la récupération, de la restauration face à la surconsommation qui rajoute sans cesse des choses au monde et qui stigmate nos sociétés. La Station C sur la rue Sainte Catherine au cœur du Village, en est un exemple comme la SAT, la Fonderie Darling ou l’Usine C. Ancienne station postale, c’est devenu le Théâtre Félix Leclerc, le Complexe C et aujourd’hui une salle de spectacle qui accueille dans le cadre d’Elektra, L’Archange, un opéra’installation signé par Pauline Vaillancourt produit par Chants Libres. Le projet de l'Usine C est conçu en 1995 dans l'ancienne usine de confitures Raymond, revampée80 ou sobrement et élégamment restaurée – points de vues variables selon les goûts et les idées -, et devient un centre adapté aux besoins particuliers de la création. Son implantation dans le sud-est de Montréal (à la frontière de l’épicentre), partie prenante dans la relance du développement urbain de ce quartier, n'est pas qu'un geste immobilier. Ce choix s'inscrit dans la continuité de l'œuvre commencée en 1979, avec la cofondation du théâtre Espace Libre situé rue Fullum près d'Ontario. L'ancienne usine de confitures Raymond, sise en retrait des grandes artères commerciales, offre tous les préalables nécessaires à la conception du projet que caressait Carbone 14. Le corps principal de l'usine, vaste et solide, permet de relocaliser sous un même toit un regroupement d'organismes culturels, œuvrant dans des secteurs différents mais 80

Terme québécois venant de l'anglais revamping (retaper) qui s’utilise en informatique quand la façade d'un logiciel a été ravalée, histoire de faire croire aux clients à un laborieux travail qui mérite ses financements... 51/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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complémentaires de la création (danse, théâtre, musique ou arts visuels), offrant des possibilités de synergie concrètes et extrêmement stimulantes et renforce du coup l'axe de la rue Ontario. L'ancienne cheminée de l'usine constitue un signal intéressant, elle est visible au-delà de la rue Sherbrooke. Cette nature industrielle du lieu sera d'ailleurs l'âme du projet. Elle sera le point de repère de l'activité théâtrale et le support de la sculpture de l'artiste Richard Purdy. « La cheminée de l’Usine C agit comme un phare, la tour de briques est surmontée d’une sculpture illuminée, une rare réussite du un pour cent du budget obligatoire consacré à l’intégration de l’art dans l’inauguration de tout nouveau bâtiment, habituellement ça vire à la débauche conceptuelle, l’art public devrait sortir le citoyen de son quotidien, le mettre en prise directe avec lui-même, pas le renvoyer se confronter au monde, anyway là pour une fois ça marche, un être de fumée saisi dans le métal, mi-centaure mi-aigle, encore le X sur la carte, vous êtes ici, le deux ex machina nous guide rue de la Visitation. »81 Habitée en permanence par la compagnie fondatrice et célébrée par la critique, récipiendaire de plusieurs prix d’architecture, l'Usine C se prête autant à la danse, au théâtre, à la musique qu'aux arts visuels. Elle abrite sous le même toit d’autres organismes culturels : le PRIM (Centre de production en arts médiatiques), l'ACREQ (Association pour la création et la recherche électroacoustiques du Québec), l'ECM (Ensemble contemporain de Montréal), le CQM (Conseil québécois de la musique), Les Coups de Théâtre et Les Voies Culturelles des Faubourgs. L'Usine C reçoit aussi des créateurs parmi les plus novateurs d'ici et d'ailleurs, en résidence ou en location, dont la recherche bénéficie des qualités de cet équipement à la fine pointe de la technologie. Les cofondateurs Gilles Maheu et Danièle de Fontenay ont développé avec les architectes Saucier-Perrotte et les scénographes de ScénoPlus, un concept d'équipement culturel qui intègre à la fois la simplicité et la convivialité à l'efficacité des équipements techniques de pointe aujourd'hui disponibles. Conçue afin de favoriser un accueil chaleureux, ce lieu est doté d'un hall d'entrée aux dimensions considérables pouvant servir de lieu d'exposition. Un café-restaurant ainsi qu'un jardin adjacent complètent la liste de ses atouts. Pour répondre aux exigences d'une salle à géométrie variable, la salle de diffusion est équipée de gradins mobiles qui peuvent être déplacés rapidement sur coussins d'air; le plafond technique, conçu pour répondre à tous les dispositifs scénographiques, est aussi entièrement mobile et l'acoustique est prévue pour répondre aux besoins tant du théâtre que de la musique live.

81

BOUTHILLETTE, Benoît, La Trace de l’Escargot, JCL, Collection Couche-tard, Montréal, 2005, page 149. 52/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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L'Usine C réussit, malgré sa décentration de la zone des Spectacles, à devenir en peu de temps indispensable à l'élaboration, la diffusion d'oeuvres innovatrices et alors propice à l’avancement des arts. 2.3.3. Les temps de rencontre publics 2.3.3.1.

L’activité pédagogique

Alpha_Elektra est une initiation tout autant culturelle que technologique aux arts numériques. Cette activité s’adresse aux élèves de différentes écoles secondaires venus assister à des présentations d’œuvres numériques d’artistes canadiens de renommée internationale. Offerte gratuitement et animée par Patrick Masbourian, elle promet d’être pour les élèves une initiation aux arts numériques tout autant culturelle que technologique. Une cinquante d’établissements, publics et privés, de Montréal sont sollicités. Un courriel qui comprend en attachement un dossier de présentation de l’activité, le programme détaillé et un descriptif des œuvres et des artistes présents leur est envoyé dès le mois de janvier 2005 aux responsables pédagogiques concernés. Seuls trois enseignants (un technicien des loisirs, une professeur d’arts plastiques et un chef de département) inscriront leurs élèves. Ces jeunes gens ont entre 15 et 17 ans et suivent les cours de secondaires 4 ou 5. Alpha_Elektra se voit accueillir au total quatre vingt dix d’élèves des écoles Villa Maria82, Marie-Anne et du collège Jean-de-Brébeuf ainsi que leurs accompagnateurs. A leur arrivée, un petit questionnaire d’évaluation est remis à tous. Ils doivent nous le remettre rempli à l’issue de l’activité. La formule est simple.

Alpha_Elektra - 2005

Vous avez trouvé lʼexpérience (encerclez s.v.p.) : A- Fascinante

B- Intéressante

C- Correcte

D- Plus jamais!

Commentaires :

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Nancy Long, enseignante en arts plastiques à l’écola Villa Maria, a été rencontrée à l’occasion de la conférence donnée par l’artiste Lynn Hugues au Musée des Beaux-Arts. 53/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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MERCI ! La classe de Chantal Rivest (école Marie-Anne) est en retard. L’activité pédagogique commence sans eux. Le personnel de la Cinquième Salle se charge de faire rentrer les étudiants discrètement dès que l’occasion le permet, c’est-à-dire à la fin de la première intervention. Les artistes sont présentés par Patrick Masbourian. Les trois oeuvres sont présentées par leurs créateurs. La période de questions est prévue à la fin. Dans Perversely Interactive System, la relation qui se construit entre le visiteur et un personnage virtuel est relative à l’état physiologique du premier. Devant l’écran vidéo, le visiteur a dans les mains un moniteur biofeedback qui mesure sa résistance galvanique cutanée, variable selon le niveau de stress. Plus ce dernier est bas, plus la relation entre visiteur et personnage virtuel est facile. En contrôlant son niveau de stress, le visiteur peut manipuler le personnage virtuel. Cette œuvre est conçue pour offrir l’expérience intime et engageante d’une relation avec un Autre virtuel. L’ensemble est aussi simple et dénudé que possible afin de garder l’accent sur l’effort effectué pour faire réagir la femme virtuelle. Malheureusement son installation complexe ne peut être mise à la disposition des élèves ce jour-là. Lynn Hugues et Simon Laroche se proposent alors d’exploiter le temps qui leur est accordé. Lynn Hugues83 produit, expose son travail depuis plus de vingt ans. Elle a étudié en littérature anglaise, en art et est diplômée en histoire et philosophie des sciences et des technologies avec une spécialisation en histoire de la philosophie des mathématiques. Elle tient couramment une chaire de recherche et enseigne au Département Studio Arts de l‘université Concordia à Montréal. Son acolyte, Simon Laroche, s'intéresse aux arts électroniques et interactifs depuis plus de 5 ans. Il collabore avec de nombreux artistes dans la réalisation d'installations interactives et développe sa propre pratique depuis deux ans. Ses intérêts se centrent autour de la robotique, de l'art de performance, de l'installation et de l'interactivité. Son approche vise tantôt à automatiser et mécaniser des processus analogiques ou naturels, tantôt à imposer des modèles comportementaux de type biologique à des structures robotiques ou digitales. Il a complété une maîtrise en communications, multimédia interactifs et poursuit des études en sciences cognitives à l'Université du Québec à Montréal. Il enseigne présentement les arts électroniques à l'université Concordia.

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Prem ière rencontre avec Lynn Hugues à l’occasion de sa conférence Quand l’art devient « recherche » : ossification ou libération ? au Musée des Beaux-Arts de Montréal le 31 mars 2005. 54/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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La seconde œuvre Cantique II est présentée par Marie Chouinard et Louis Dufort. Les élèves peuvent voir dans son intégralité le film chorégraphique interprété par Carol Prieur et Benoît Lachambre. Leurs têtes de profil ont été filmées individuellement. À partir des bruits de leur bouche et de leur langue naît une cantate dans laquelle ils se répondent dans un dialogue premier. Le son et l’image sont intrinsèquement liés, l’œuvre étant construite autour des micro-mouvements de leurs visages, traités comme autant d’éléments rythmiques. Derrière les profils de l’homme et de la femme, apparaît leur propre image démultipliée comme autant de niveaux de conscience accumulés et simultanés. La cantate fluctue ainsi de 2 à 8 voix. C’est en 1978 que Marie Chouinard présente sa première création, Cristallisation, qui la consacre aussitôt comme une artiste singulière animée d’une quête d’authenticité communicative. Après douze années sur les scènes du monde où elle interprète ses propres chorégraphies solos, elle fonde sa compagnie. Honorée par de nombreux prix, dont tout récemment un Prix du Gouverneur Général du Canada pour les arts de la scène et le Prix Chorégraphie de la Société des auteurs et des compositeurs dramatiques (SACD) à Paris, Marie Chouinard réalise en 2003 son premier film, Cantique I, qui remporte le Prix de la meilleure interprétation au Moving Pictures Festival, à Toronto. À partir de cette banque d’images, elle crée deux œuvres également remarquées par la critique : le film multiécran Cantique II et l’installation interactive Cantique III. Le jour d’Alpha_Elektra, c’est son anniversaire (50 ans). Pour être à l’aise ou parce qu’il ne peut pas en être autrement sur un plateau, Marie Chouinard a enlevé ses chaussures. Compositeur montréalais, Louis Dufort est rapidement devenu un incontournable de la scène électroacoustique québécoise. S’intéressant de plus en plus à la création multimédia, il développe depuis quelques années une interface vidéo/musique destinée à traiter en temps réel le son et l’image simultanément. Ses œuvres ont pu se faire entendre à Montréal et en Europe. Depuis cinq ans, il collabore régulièrement avec des chorégraphes du milieu de la danse contemporaine. Ses œuvres Vulvatron 2000 et Concept 2018957 ont obtenu respectivement les premiers prix des concours « Électro – Vidéo clip » de l’ACREQ (1996) et de la SOCAN (1997). En 2001, sa pièce Décap a obtenu une mention au concours Ars Electronica de Linz (Autriche) et son disque Connexion, était en nomination à l’ADISQ et aux prix Opus. « Calvaire. Une explosion. Le son réparti sur huit speakers, j’aime pas particulièrement la musique de Louis Dufort, ça va pas plus loin que du Mahler mais avec de la distorsion, sauf que c’est puissant. »84 84

Extrait de La Trace de l’Escargot de Benoît BOUTHILLETTE, page 166, JCL, Collection Couche-tard, Montréal, 2005. 55/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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Express de Jean Piché est la dernière œuvre de cette séance. Trajectoire, vélocité et outrage cinétique, Express s’inspire d’un parcours ferroviaire entre Paris et Bourges. Les images sont obtenues en forçant une obturation-caméra très rapide et une lentille en ouverture maximale. L’œuvre est une commande de l’Institut international de musique électroacoustique de Bourges et a été créée en France en juin 2002. Tout en faisant des études en communication à l'Université Laval, Jean Piché entreprend des études en électroacoustique, et les poursuit à Vancouver à l'Université Simon Fraser. Il travaille ensuite à l'Université Stanford en Californie et à l'Institut de sonologie d'Utrecht. En 1978, il remporte le Concours national des jeunes compositeurs de la SRC avec son oeuvre La Mer à l'aube (1976), et en 1981, le jury de la Tribune internationale des compositeurs de l'Unesco recommande sa pièce pour voix et bande Ange (1979). Jean Piché rejoint la faculté de musique de l'Université de Montréal en 1988. Il est directeur général du festival Montréal Musiques actuelles. Ses oeuvres, composées souvent à la suite de commandes, notamment des NMC, de la Vancouver New Music Society et du pavillon canadien de l'Expo 86, lui valent d'élogieuses critiques. Il utilise aussi la combinaison de bandes avec des instruments acoustiques : Trois versions de l'affaire (1975) pour violoncelle et bande, Steal the Thunder (1984) pour timbale, gongs et bande, In Vertical Fire (1984) pour six violoncelles et bande et Sleight of Hand(1985) pour hautbois et bande. À partir de 1989, il se consacre à la création d'un ensemble d'oeuvres interactives pour ordinateur et instrumentistes sous le vocable musiques virtuelles. Ces présentations scolaires sont une démonstration originale et novatrice des applications artistiques de la science et des nouvelles technologies. Elles rejoignent les intérêts des élèves, qu’ils soient passionnés par la création par ordinateur, la musique électronique, par la programmation ou internet. De plus, un volet interactif est déployé afin de permettre aux jeunes d’être initiés aux processus de création, d’être interpellés comme participants à l’œuvre et de prendre part à une période de questions. Les interrogations vont bon train85, qu’il s’agisse de savoir le temps nécessaire à la réalisation des œuvres, que de connaître les logiciels employés ou les filières à suivre pour maîtriser le multimédia. Marie Chouinard se met en scène et crée un léger malaise : elle va le lover dans les bras d’un adolescent pour une démonstration du toucher… Sur l’un des questionnaires récupérés à l’issue d’Alpha_Elektra, on peut lire « la femme aux cheveux rouge me fait peur ». Les commentaires sont brefs et les choix se partagent entre le A : fascinant et le B : intéressant.86 Les travaux de Simon Laroche et de Jean Piché rencontrent le plus de curiosité. 85

Les sept garçons du collège Jean-de-Brébeuf accompagnés par Laurence Beebe montrent un intérêt aigu. Ils suivent dans leur enseignement un option en informatique et robotique. 86 J’ai quitté Montréal et Elektra avant que ces données soient analysées et ça n’a toujours pas été fait à ce jour. 56/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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Si l’horaire des enseignants le permet, les élèves sont conviés, toujours gratuitement, à voir, entendre et interagir avec deux œuvres interactives situées à deux pas de la Place des Arts, celle de l’artiste Rafael Lozano-Hemmer au Musée d’art contemporain et celle du collectif les Platinistes numériques se tient tout au long du festival dans le Couloir des Pas Perdus. La responsable des activités pédagogiques du musée vient chercher les élèves devant la porte de la Cinquième Salle et les accompagne jusqu’à la salle où est installée Frequency and Volume. Tous expérimentent l’installation interactive de Rafael Lozano-Hemmer et s’amusent de pouvoir s’immiscer sur les fréquences-radio de la police locale ou de l’aéroport. On peut dire que les objectifs fixés pour ce projet pédagogique sont atteints mais on ne pourra savoir si c’est un public réellement conquis pour le festival que dans quelques années. 2.3.3.2.

Les conférences

L’organisation des conférences ne nécessite pas un lourd investissement logistique. Elles sont accueillies au Café de l’Usine C. Selon les besoins de chaque conférencier, un vidéo projecteur ou un écran plasma est installé avec un petit système de sonorisation pour un micro. Le back up technique se fait quelques minutes avant l’heure annoncée dans les programmes. Une trentaine de personnes vient de s’asseoir. Elles ont entre trente et quarante ans. Il y a à peu près autant d’hommes que de femmes. La serveuse du Café de l’Usine C prend commande des consommations. Le photographe d’Elektra, Peter Dimakos, s’installe. Alain Thibault présente les intervenants puis leur laisse la parole. La venue d’Andreas Broeckmann est prise en charge par le Goethe institut. Directeur artistique depuis cinq ans de Transmediale, un festival international des arts médiatiques qui se passe à Berlin, Andreas Broeckmann est aussi membre de l’association Mikro et de l’European Cultural Backbone, un réseau de centre médias. En plus d’avoir œuvré à titre de gestionnaire de projet pour V2, l’Institute for the unstable media à Rotterdam de 1995 à 1999, Andreas a étudié l’histoire de l’art, la sociologie et les médias. Il aborde régulièrement la question des pratiques postmédiatiques et des possibilités issues de l’esthétique machinique des arts médiatiques. Au cours de son intervention en anglais, il va succinctement brosser un historique du festival Transmediale mais surtout décrire la précédente édition à l’aide d’un dvd sur lequel sont enregistrés des extraits des œuvres les plus marquantes. Dans un second temps est traitée la sélection des vidéos de Transmediale 2005 où figurent de nouvelles œuvres d’artistes internationaux. Les gens sont, à l’exception d’un ou deux, particulièrement silencieux et attentifs. Certaines vidéos sont longues. À la fin de cette période, Alain Thibault reprend le micro et demande s’il y a des questions dans la salle. Aucune 57/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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question, une fois… deux fois… Alors merci. Applaudissements. Andreas décide d’en profite pour montrer une dernière œuvre : d’un Autrichien cette fois, avec une bande son en français. Les spectateurs semblent saturés par le flux d’information..., les coups de cœur d’un directeur artistique sans justification. L’équipe technique s’impatiente. Elle doit enchaîner et lancer l’installation, celle de Louis Dufort et Marie Chouinard qui est à côté. Le public se sauve rapidement, sans que la soif ne l’attarde, qu’une faim ne le retienne, ni qu’une curiosité inassouvie ne l’arrête. Seuls Andreas, Alain, Emilie et moi-même restons dans l’espace du Café quelques minutes après la fin de l’intervention. On discute des programmations de Transmediale. Andreas s’en va. Il doit se rendre à l’hôtel et prendre un train très tôt pour Toronto le lendemain. Une œuvre, The Catalogue, marque cependant les esprits. C’est une vidéo de 5 mn créée en 2004 par l’artiste Britannique Chris Oakley. Elle place le spectateur dans une position d’agent de surveillance, distant et serein, observant l’humanité comme autant d’unités dont la valeur se définit par leurs capacités et leurs besoins. La seconde conférence organisée le lendemain avec Chris Salter rencontre un autre intérêt. Elle se structure différemment et Chris Salter ramène son public. Il est professeur adjoint en design et arts informatiques dans une université locale, l’université Concordia avec un doctorat obtenu à la Stanford University en théâtre et sons générés par ordinateur, mais il est aussi artiste basé entre Montréal et Berlin. Son œuvre porte sur l’exploration du son, de l’image technologiques et de l’interaction en temps réel dans des environnements et des performances réactifs. Ses travaux ont été présentés aux quatre coins du monde (Ars Electronica, Transmediale, V2_Rottedram, ZKM87, Villette Numérique ou Siggraph88). Après avoir collaboré avec Peter Sellars et William Forsythe du Ballet de Frankfurt, il cofonde Sponge, un organisme de recherche en art. Ce jour-là, Chris Salter souhaite aborder les questions de l’immersion sonore et visuelle en traitant de notre perception du temps dans des environnements régis par des capteurs. Les différents rôles joués, celui de l’auditeur passif ou de participant actif, sont interrogés en explorant ces notions par le biais d’une analyse des plus récents projets de Sponge et de ses projets en solo. En langue anglaise, Chris Salter introduit son sujet par une remise en contexte de nos approches esthétiques en citant l’œuvre de trois personnages majeurs des ruptures et de l’évolution de la création artistique : - Richard Wagner et le renouvellement du langage harmonique en explorant les limites du système tonal, en exploitant d'une façon nouvelle la puissance expressive du chromatisme, et en montrant le chemin de l'atonalité ;

87

Centre d’art numérique de Karlsruhe. Conférences internationales sur le graphisme par ordinateur et les techniques interactives organsiées par l’ACM Association for Computing Machinery à Los Angeles.

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Antonin Artaud et son Théâtre de la Cruauté qui correspond à une recherche de l'immédiateté qui rend le signe efficace ; - et Bertolt Brecht pour sa théorie du théâtre épique entièrement tourné vers l'éveil de la conscience critique du spectateur, qui fait de la représentation théâtrale autant un objet de jouissance que de connaissance et qui pose la question de comment traverser les temps d'aujourd'hui. La richesse de ces références, la justesse des accompagnements visuels et une aisance orale font de l’intervention de Chris Salter un avancement concret vers la compréhension des problématiques propres aux installations interactives aujourd’hui. Les auditeurs, un peu plus nombreux et un peu plus jeunes qu’à la présentation faite par Andreas Broeckmann sont tout aussi attentifs. L’information donnée est dense. Lors de la période de questions, les interrogations fusent. Remerciements. Applaudissements. La conférence se finit dans les temps. -

2.3.3.3.

La présentation et table ronde

J’ai l’opportunité au moment de la conférence de presse d’Elektra de discuter avec Carole Bouchard, directrice de FX Cartel, une entreprise en effets spéciaux et animatrice avec Daniel Fortin de la table-ronde 1024 Design in Motion, innovation et fierté de la programmation d’Elektra 2005. On aborde très vite le sujet « 1024 » et les raisons de ma présence au Québec. Pour elle, les différents modes d’expression qui font nos cultures sont aussi ceux qui font que les Nord Américains sont peu versés dans l’auto critique à l’instar des Français. Elle dit pour schématiser que les Français évaluent facilement et sans honte leurs défauts ou les problèmes auxquels ils font face puis valorisent en rougissant leur projet alors que les Américains se congratulent avant d’émettre difficilement quelques bémols à voix base. L’objectif de cette table ronde est de mieux faire connaître les talents du design animé par la présentation de pièces inédites et par une période de questions axées sur la créativité. Carole Bouchard précise ce que 1024 Design en Mouvement à d’exceptionnel : les spécialistes en effets spéciaux sont très souvent sur les tournages et peu disponibles pour intervenir dans les salles de conférences et pour présenter publiquement leurs travaux. D’autant plus que le panel prévu est particulièrement brillant. Les commissaires font effectivement venir pour cette première au sein d’Elektra le grand Richard « Dr. » Baily dont les travaux sur la lumière apparaissant dans le film Solaris mais aussi Kevin Tod Haug qui est, en vingt ans, passé des effets par optique aux numériques. Il a supervisé, entre autres, les effets spéciaux de trois des films de David Fincher, The Game, Fight Club et Panic Room.

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À leur table, on retrouve Christopher Bird de UVA (United Visual Artists) qui présente les possibilités de leur nouveau logiciel de captation vidéo 3D (Dragonfly 3) conçu pour la nouvelle tournée de U2. UVA a, originellement, été fondé en 2002 pour créer les éléments visuels de Window, la tournée mondiale de Massive Attack. Depuis cette collaboration très réussie, ce collectif intervient dans des domaines aussi divers que la mode pour Hamish Morrow, l’art installationnel (Trevor Jackson ou Kabaret’s Prophecy), la promotion de musique pop (conseillers en éclairage sur I believe in you de Kylie Minogue), des évènements télévisuels (MTV Europe Music Awards) et des vidéos de scène (Output Recording, Basement Jaxx…). D-Fuse est représenté par Mike Faulkner. Il montre Guero, leur projet pour le chanteur Beck, traite du processus créatif et des obstacles sous-jacents à la production d’un DVD artistique situé hors des paramètres conventionnels de présentation de graphiques en mouvement. L’art visuel de D-Fuse est exposé et présenté dans plusieurs festivals de Barcelone (Sonar) à Séoul et a été récompensé du Prix Netimage/Diesel à l’occasion des World Vjing Championship à Bologne. Deux membres de MK12, Ben Radatz et Jed Carter, arrivent de leur patelin d’origine, Kansas City, où ils passent leur temps libre à produire des films expérimentaux indépendants. Ils nous offre à voir en exclusivité la bande-annonce de leur propre film The History of America dont la parution est imminente ainsi que des récentes commandes commerciales (pour Diesel, Cartoon Network, TNT et Fox Movie Channel). Au-delà d’une distinction par un développement du mouvement, de la profondeur et de la juxtaposition, lMK12 a un style bien singulier.. Frédérique Bourque présente Draft, un vidéoclip inédit et commandé par le compositeur Philippe Gully, et d’autres projets, notamment ses travaux pour les champagnes Veuves Cliquot. Après avoir créé son propre studio, Ambidextre, son caractère touche-à-tout l’amène à travailler autant sur des interfaces DVD que sur des habillages de chaînes, des animations évènementielles ou des sites web. Le québécois George Fok dévoile son dernier projet de vidéoclip. Au sein de la firme Amen.Epoxy, il repousse chaque jour les limites de la communication visuelle et développe des solutions de création novatrice pour des clients tels que Disney, Aeroplan, Avid technolgy, Softimage et Labatt. Directeur artistique d’Incandescence, le français Etienne Auger nous montre leur travaux pour le site web d’Issey Miyake et pour l’habillage vidéographique de Front 242, mythique groupe belge programmé par Elektra le soir même au Metropolis.

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Il est 14h15. Le public nombreux, formé surtout de créateurs en art numérique, de graphistes et de musiciens vient d’acheter sa place et s’accumule dans le hall en attendant l’ouverture des portes de l’amphithéâtre de la Cinquième Salle. Les dernières mises au point techniques sont en cours. Emilie en assure la coordination depuis les premières heures de la matinée et semble particulièrement stressée. Il faut dire que le tout Montréal de l’image numérique est là. Daniel Fortin informe le public qu’il n’y aura pas de traduction. Le britannique Christopher Bird présente dans sa langue natale, l’anglais, son logiciel, puis interviennent, en anglais toujours, Mike Faulner, Kevin Tod Haug, el Doctor Baily et les gars de MK12. George Fok, Etienne Auger, Frédéric Bourque s’adresse au public en français. Tout s’enchaîne à merveille. Daniel Fortin prend le relais les présentations des intervenants quand Carole Bouchard ne parle pas assez fort. Richard « Dr. » Baily, de réputation sulfureuse, se conduit comme un gentleman extraverti et égocentrique... The History of America de MK12 est un régal plein d’humour, idéal pour ponctuer en beauté cette série de présentations improbables parce qu’inédites. L’heure passe à la période de questions… Personne n’a en fait vraiment envie de discuter. On veut encore plus d’images. Quelques personnes saisissent quand même l’occasion inespérée de questionner des maîtres des « special effects » et prennent le micro. L’étonnant docteur de la spécialité reprend la parole : « J’ai toujours été préoccupé, à la fois dans mes œuvres personnelles et dans mon travail de conception d’effets, par le désir de trouver les moyens possibles pour sculpter la lumière afin qu’elle devienne un moyen d’expression artistique ; J’en suis arrivé à la conclusion qu’un système de génération de particules pourrait d’une manière quelconque extraire une image au moyen de millions de minuscules points de lumières et enfin me permettre de créer ce genre d’images. » Il se lève et, du haut de ses escarpins orange vernis, bavarde avec une jeune femme qui vient de l’interroger sur la complexité du logiciel qu’il a conçu et qui produit des particules lumineuses ultrarapides. Il n’y a pas eu beaucoup de mouvement au cours de l’après-midi. Il est 17 heures. Nous devons rendre la salle. L’expérience est riche de découvertes, de ce qu’il se fait de mieux dans le domaine. Cela va être difficile de faire aussi bien l’année prochaine. 2.4.

Enquête sur les publics

Au cours de la réunion fin mars sur la campagne graphique d’Elektra se pose la question du public. Aucune étude n’a, à ce jour, été faite. Les tarifs des entreprises 61/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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spécialisées dans ce genre d’enquête sont inaccessibles pour une manifestation culturelle, même de cette envergure. La quantité de spectateurs accueillis les éditions précédentes est croissante. Cependant une meilleure connaissance de la population se déplaçant sur le festival permet de faciliter de nombreuses orientations et de cibler les lacunes. Je suggère l’intérêt d’un rapprochement avec un laboratoire universitaire qui peut répondre à cette demande à moindre frais. Alain et Emilie connaissent la personne idéale à contacter : Dimitri della Faille, membre du comité de direction artistique de l’ACREQ et jeune sociologue à l’Institut National de Recherche Scientifique. Il fallait y penser. Un rendez-vous déjeuner avec Carlos, Emilie, Dimitri et moi-même est fixé la semaine suivante. Les objectifs et besoins sont évalués. Le responsable de la communication et du marketing du festival veut tout savoir des ses spectateurs : ce qu’ils lisent comme presse, ce qu’ils regardent à la télé, leur salaire, où ils sortent et s’ils sont gays, lesbiennes ou hétéro… Ça lui permet surtout de mieux cibler l’achat des espaces publicitaires. L’idée de compléter l’analyse du questionnaire en rencontrant un échantillon (non représentatif) du public des éditions précédentes au cours de focus groupe est abandonnée faute de volontaires. Entre temps, je retrouve Jean-Louis Fabiani, professeur invité à l’Université de Montréal, désoeuvré pour cause de grève. Il me met en contact avec deux de ses étudiants. À l’aide d’Avignon, Le Public Réinventé89, j’élabore un premier questionnaire que je soumets à Dimitri. Les formulations sont à revoir. Elles ne sont pas assez québécoises. Ce n’est pas un problème. Ce qui devient difficile, c’est la méthode à appliquer. J’envisage que les enquêteurs posent directement les questions au moment des manifestations pour limiter aux enquêtés la possibilité de remplir le questionnaire euxmêmes. Dimitri ne voit pas les choses sous le même angle… Il faut dire que ma proposition sous-tend une certaine logistique. S’en suivent de nombreuses tergiversations. Notre rapport s’enlise dans de soi-disant problèmes de différences culturelles. Ça fait sept ans que Dimitri, belge d’origine, vit au Québec et moi, je viens d’arriver. Pourtant, certaines ficelles, notamment celles appropriées aux enquêtes par questionnaire me viennent de chercheurs nord américains comme Howard S.Becker90… L’entente est difficile. Je communique à Dimitri les coordonnées de Mathieu Noury, étudiant de Jean-Louis Fabiani intéressé par le projet d’enquête, le questionnaire en xls et il me rachète mon exemplaire d’Avignon, Le Public Réinventé. L’étude est reprise par le groupe d’enquêteurs qu’il a constitué et les questions se reformulent dans son laboratoire. En échange d’entrées gratuites, les étudiants en sociologie interrogent le

89

ETHIS, Emmanuel (sous la direction de), Avignon, Le Public Réinventé, Le Festival sous le Regard des Sciences Sociales, La Documentation Française, Paris, 2002, 341 pages, ISBN 2-11-005203-1. 90 BECKER, Howard S., Les Ficelles du Métier, La Découverte, Paris, 2002, ISBN 2-7071-3370-1. 62/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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public les soirs de spectacles. Mais pas sur tous les spectacles. Ils ne se rendent pas à la Station C au moment de l’Archange, « celui des génocides et des massacres, des abus les plus odieux »91…, considéré comme non représentatif de la programmation d’Elektra. Je finis par faire une plaidoirie pour que cette enquête soit quand même menée sur les soirées coproduites92 avec le Groupe Spectacles Gillett. Il faut savoir ce qu’ils veulent : des résultats tangibles contre deux entrées gratuites ou une enquête faussée sous prétexte d’être limité dans le nombre d’accréditations ! De : Envoyé : À : Objet :

Dimitri della Faille <dimitridf@yahoo.com> Jeudi 7 juillet 2005 19:44:52 Blandine Cordellier <blandine_base@hotmail.com> Re: Je viens aux nouvelles...

Salut Blandine, > J'espère que tu vas bien et que l'analyse des résultats de l'enquête sur les publics d'Elektra peut se faire comme tu le souhaites. Pas vraiment. Les étudiants du groupe sont très difficiles à discipliner... Mais de mon côté, j'ai commencé l'analyse poussée des questionnaires. Je t'enverrai les résultats dès que je les ai. Promis, je ne t'oublie pas. […] Bon été à toi aussi. Dimitri

3.

Analyse interprétative

La question du public, « des publics » - comme il est convenable de dire en sciences sociales depuis des études historiques de Pierre Bourdieu à ce sujet, est centrale dans une relation à l’art. Les producteurs, leurs équipes à l’œuvre, tentent d’y répondre au mieux. Les propositions s’élaborent suivant une programmation éloquente, une campagne visuelle attractive, des partenariats valorisants, des lieux appropriés, des activités informationnelles annexes et les résultats d’une éventuelle enquête. Ce tour de ces médiateurs et de leurs actions interroge autant la production que la réception tant il est souvent difficile de dissocier la médiation des deux pôles qui la bordent. Du côté de la production, les cadres mentaux sont communs aux membres d’un même milieu, artistes ou pas. Cependant, la médiation contribue à la production des œuvres lorsque les procédures d’accréditation – par exemple, la publication des actes des conférences ou l’édition d’un enregistrement public – intègrent la proposition artistique, faisant de l’art une articulation autour de ces trois axes en « -tion ». À l’autre bord, du coté de la réception, selon l’accessibilité de l’œuvre ou sa vitesse de diffusion, l’action des journalistes oscille de celle de simples récepteurs à celle d’indispensables médiateurs. Dans ce contexte, la notion de médiation culturelle risque de se dissoudre dans son

91

Extrait du catalogue Elektra 2005. Soirée d’ouverture à l’Usine C avec le plateau Warp Records (Autechre, SND et Rob Hall) et soirée de bénéfice au Metropolis avec Front 242.

92

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propre usage alors que se construit malgré tout une autre approche du monde artistique. Revenir sur les problématiques soulevées par l’émergence de nouveaux espaces publics, de nouveaux lieux culturels, sur les récits mais aussi sur les discussions, débats et conférences, les paroles qui y sont associées, replace les festivals dans l’environnement politique et économique actuel qui les font. La réhabilitation L’offre du lieu est une médiation publique immédiate. La ville propose par ces espaces restaurés un voyage dans les profondeurs de son histoire. La stratégie qui hier visait un aménagement d’espaces urbains nouveaux s’est peu à peu transformée en réhabilitation de patrimoine. Ce fantastique revient avec l’économie protectionniste qui se renforce en période de récession. Il fait aussi l’objet d’opérations fructueuses menées par des promoteurs de loft ou de quartiers rénovés et valorise les terrains. Mais quelque chose autre qu’une idéologie conservatrice s’insinue. Ce passé fait figure d’imaginaire. Cet imaginaire urbain est imposé par les forces muettes des choses. On se souvient de la réflexion de Monique Savoie pour qui l’ancien marché qui fait aujourd’hui la SAT était sorti de l’imaginaire des Montréalais. L’Usine C, au-delà du nom qu’elle a conservé en partie, joue de son ancienne activité pour en faire son slogan : « Après le boulot, l’Usine ». Ces objets sauvages, issus de passés indéchiffrables, sont déifiés. Ils sont les esprits des lieux et ont un rôle d’acteurs dans la cité par leur muette étrangeté et leur existence soustraite à l’actualité. Leur retrait fait parler, permet d’agir et autorise par son ambiguïté des espaces d’opérations. Mais où s’arrêter ? comment délimiter la population de ces choses, de ces « esprits » ? Les arbres aussi en font partie… Les promoteurs de la réhabilitation se méfient à juste titre et procèdent avec prudence. D’après quels critères ? La taille, l’âge, la valeur économique, l’importance sociale ? Ce n’est pas clair. Ces espaces sont anoblis et modernisés. Ce sont des compromis et c’est déjà beaucoup. Ils assurent, comme des « shifters », une circulation d’expériences collectives ou individuelles et jouent une place importante dans la polyphonie urbaine. Ce n’est pas si simple. « La réhabilitation actuelle tend cependant à muer ces hétérodoxies en nouvelle orthodoxie culturelle. Il y a une logique de la conservation. Même répartis hors des temples patrimoniaux du souvenir et mis à la disposition d’habitants, les objets restaurés se muent en pièces de collection. Leur dissémination travaille encore à étendre le musée hors de ses murs, à muséifier la ville. »93 93

DE CERTEAU, Michel & GIARD, Luce, Les Revenants de la Ville, chap. VIII in L’invention du Quotidien 2. Habiter, Cuisiner, Gallimard, paris, 1994. 64/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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On peut donc se poser la question des bénéficiaires plus que celle des objets réhabilités. Cette muséification de la ville relève d’une opération théâtrale, pédagogique, scientifique et se destine à une nouvelle clientèle, pour d’autres usages. Une politique de réhabilitation - comme son nom ne l’indique pas : une politique ségrégative – instaure des ghettos aisés, bourgeois au milieu des terrains, des ghettos, dégradés. La réparation de ces espaces légitime la présence des premiers et accentuent les difficultés des seconds avec, par exemple, une hausse des loyers. L’étude de Michel de Certeau et de Luce Giard va plus loin et défend une politique d’auteurs, celles des habitants, qui dépasse l’économie séparatiste de la restauration et ses pouvoirs intermédiaires. Dans la perspective d’une démocratisation, les récits et les gestes se caractérisent comme chaîne d’opérations, de bricolages. La publicité, un exemple de récit, multiplie les légendes de nos désirs et de nos mémoires en les racontant avec le vocabulaire des objets de consommation. La mouche d’Elektra, sur les murs des rues et des couloirs de métro, parle de tout cela, de rêve et de mythologie, de faire le tour du monde comme celle de Cronenberg et d’être l’icône de jeunes branchés. Il semble que le succès de l’édition Elektra 2005 s’élabore autant autour de détails de la programmation que l’adhésion à la proposition globale. L’idée d’entendre des artistes de réputation internationales tel qu’Autechre ou que Front 242 séduit autant de manière indépendante qu’au sein d’un festival d’art numérique. Cette association les valorise pourtant en les confondant à un univers créatif de pointe, à une citadelle idéologique construite par les technologies. Le débat change la nature de l’art par une énonciation en acte de langage. L’intelligence, la radicalité, la force des œuvres et de ceux qui les font s’éclipsent et laissent place au discours. Dans Le Signe94, Umberto Eco examine le problème du signe, mais non celui du discours dans lequel le signe s’insère. Cependant, certaines des distinctions entre types de discours aident à comprendre les divers usages et les diverses fonctions communicatives du signe. On distingue plusieurs modalités discursives : celle de l’information, de l’action, l’assertive ou constative, l’interrogative, la performative qui fusionne les deux précédentes. D’un point de vue linguistique, Roman Jakobson95 décline le langage en fonctions référentielles, émotives, phasiques ou de contact, impératives ou cognatives, métalinguistiques et poétiques. En écho aux œuvres existantes ou en train de se faire, des pensées et des discussions alimentent la curiosité et construisent un univers critique. Le développement de l’écoute et du questionnement manifeste l’envie d’exprimer ensemble d’autres réponses. Les interrogations mises en 94 95

ECO, Umberto, Le Signe, Labor, Bruxelles, 1988. JAKOBSON, Roman, Essais de Linguistique Générale, Editions de Minuit, Paris, 1963. 65/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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public autour de ce que soulèvent les propositions artistiques affirment des capacités réflexives, une ouverture d’esprit en réponse au public différencié et à la gestion de tous les aspects de la relation culturelle, de l’art – interrogation, qualification, expression, représentation en actes sensoriels diviseurs et multiples dans un temps expérimental. Gilles Deleuze, dans son introduction de Dialogues, avec Claire Parnet admet ne pas avoir grand chose à répondre aux questions qu’on lui pose si on ne le laisse pas fabriquer ses problèmes, avec des éléments venus de partout, de n’importe où. Inventer un questionnement ne se ferait pas au cours de conversations. « Même à la réflexion, à un, à deux ou à plusieurs, ne suffit pas. Surtout la réflexion. Les objections, c’est encore pire. Chaque qu’on me fait une objection, j’ai envie de dire : « D’accord, d’accord, passons à autre chose. » Les objections n’ont jamais rien apporté. C’est pareil quand on me pose une question générale. Le but, ce n’est pas de répondre à des questions, c’est d’en sortir.96 » Intégré dans des évènements organisés, le comportement des acteurs-penseurs dépend moins des objectifs clairs et conscients qu’ils se donnent, des contraintes de l’environnement, que des atouts qui sont à leur disposition et des relations dans lesquelles ils sont insérés. « L’image bonhomme de « l’écrivain en vacances » n’est donc rien d’autre que l’une des mystifications retorses que la bonne société opère pour mieux asservir ses écrivains : rien n’expose mieux la singularité d’une « vocation » que d’être contredite – mais non niée bien loin de là – par le prosaïsme de son incarnation : c’est une vieille ficelle de toutes les hagiographies. Aussi voit-on ce mythe des « vacances littéraires » s’étendre fort loin, bien au-delà de l’été : les techniques du journalisme contemporain s’emploient de plus en plus à donner de l’écrivain un spectacle prosaïque. Mais on aurait bien tort de prendre cela pour un effort de démystification. C’est tout le contraire. »97 Les renversements actuels de notre monde, de notre société sont reconnaissables. Zygmunt Bauman, dans un entretien avec Télérama98 annonce le passage d’une société « solide » à une société « liquide », d’une société où le capitalisme est contraint par les législations et les tutelles de l’État à un système extraterritorial hors d’atteinte. Ce sociologue britannique d’origine polonaise voit là l’inévitable impuissance des lieux à pouvoir protéger, l’impuissance de la politique dont les liens avec le pouvoir se sont desserrés. Les forces dominantes qui détiennent l’argent et le pouvoir d’organiser le

96 97 98

DELEUZE, Gilles & PARNET, Claire, Dialogues, Flammarion, Paris, 1996. BARTHES, Roland, Mythologies, Seuil, Paris, 1957. BAUMAN, Zygmunt, Mutations, entretien avec Télérama, n°2894, juin 2005. 66/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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monde dans leur intérêt, ont trouvé de nouvelles stratégies. Il n’est pas surprenant de l’analyse par Michel Foucault du panoptisme99 revenir dans de nombreuses réflexions sur l’évolution de la société et stigmatiser la toute-puissance moderne. Big Brother est censé savoir ce qui est bon pour ceux qu’il surveille. Il se mêle de leur vie, contrôle étroitement leur comportement et incarne ce pouvoir intrusif, coercitif, omniprésent, du panoptisme. Le néo-Big Brother fournit à ses hôtes gîte, couvert et divertissement. Il peut s’adresser parfois à eux mais l’inverse ne se peut pas. Le néo-Big Brother se fiche bien de savoir ce qu’ils font de leur temps, de leurs échecs ou de leurs espoirs. Opaque et indifférent, ce n’est pas un interlocuteur mais un joueur parmi les joueurs dont on se sait ni quand ni pour qui il joue. Il est la représentation parfaite d’une société indéchiffrable, où les liens sont fragiles, pas fiables. « Des périodes comme celle que nous vivons, des périodes de transition, offrent à notre réflexion une double chance : les normes anciennes sont en partie remises en question, des nouvelles normes, plus solides, n’existent pas encore. Les hommes perdent de leur assurance quand il s’agit de contrôler leur comportement. En outre notre époque nous apprend, en raison de la plus grande mobilité des humains, à cause aussi de nos rencontres plus fréquentes avec des personnes ayant subi un autre conditionnement, à prendre une plus grande distance par rapport à nous même. La rationalisation – à laquelle se rattachent aussi la motivation et la structuration plus rationnelles des tabous sociaux – n’est qu’un des aspects d’une transformation englobant toute l’économie du psychique de l’homme, le contrôle des pulsions non moins que le contrôle du Moi et du Surmoi. Le moteur de cette transformation de l’autocontrôle psychique n’est autre que l’ensemble des contraintes d’interdépendance, de regroupements des interrelations humaines, du tissu social, les changements s’opérant toujours dans un sens déterminé. »100 Le deuxième opus101 de Daniel Foucard, Container, Traité de Remplissage, édité il y a quatre ans par Jeanne-Marie Sens & Hubert Tonka, travaille dans le même sens. Le néo-Big Brother de Bauman n’est pas loin. Daniel Foucard simule une société où les règles et les emplois sont devenus de surprenantes stratégies. Cette fiction se situe à Darwin City dans le nord de l’Australie. On y pratique le surf, le skate et autres sports de glisse. Rien de moins normal mais, entre deux « rides » sur eau ou sur béton, on y occupe des emplois improbables : remplisseurs de salles de conférences.

99

Système de surveillance dans les prisons inventé par le philosophe Jeremy Bentham au XVIII ELIAS, Norbert, La Dynamique de l’Occident, Calmann Lévy, Paris, 1975. 101 FOUCARD, Daniel, Container, Traité de Remplissage, Sens & Tonka, Paris, 2001.

ème

siècle.

100

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« À chacun ses méthodes, parmi les méthodes connues. L’axiome vaut pour ceux qui cherchant le moyen de gagner rapidement un revenu clean, s’emploient à décrocher un job rare et lucratif. Rare se comprend ici dans le sens d’original voire incongru, pas dans celui de difficile à trouver. Ces jobs sont légion. […] Tim sait poser des questions de qualité. La règle veut que ce soit le prestataire de service, l’employeur de Tim, qui rédige les questions. Les intervenants de tribune communiquent le contenu du colloque, les prises de paroles, le cahier des charges. Le prestataire convient avec les intervenants ou avec le modérateur directement de la nature des questions, spammées sur le site de Tim, prêt à s’en servir. »102 Dans cet univers, tout devient possible. Si le modérateur souhaite un débat à polémique, il engage des contradicteurs, après avoir convenu de la nature de leur intervention avec le prestataire. Un débat peut être aussi saboté si une tierce personne fait appel à un plastiqueur, un remplisseur de salle de conférence, proche de la retraite, prêt à abandonner ses fonctions ou ayant besoin d’une importante somme d’argent rapidement (car, comme l’écrit Daniel Foucard, « on est plastiqueur qu’une fois »). Cet univers métaphorique fait de nos nobles conférences de fins stratagèmes où la curiosité et la spontanéité disparaissent complètement… Le comportement des spectateurs d’Elektra au cours des conférences illustre peut-être les prémices de ce genre d’organisation mais laisse surtout apparaître une forme spécifiquement nord-américaine (on entend par là l’inverse d’une forme spécifiquement latine) de la prise de parole publique comme l’évoque Carole Bouchard. Ils manifestent ce que l’on peut quasiment nommer par amusement une non-manifestation. Les interventions sont consensuelles et qualifient un mode de réaction pesé et ordonné bien loin des interventions, parfois trop vindicatives, que l’ont peut voir en France. La scène décrite par Jean-Louis Fabiani, Le public prend la parole103, est inimaginable dans le contexte d’Elektra.

102

FOUCARD, Daniel, Remplisseur, chap. VI in Container, Traité de Remplissage, Sens & Tonka, Paris, 2001. FABIANI, Jean-Louis, Le public prend la parole, chap IV in Avignon, Le Public Réinventé, La Documentation Française, Paris, 2002.

103

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5.

Bibliographie

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6.

Sites web de références 6.1.

Les producteurs

elektrafestival.ca acreq.ca elektra1024.ca printempsnumerique.ca montrealenlumiere.com geg.ca produkt.ca te05.org biomix.org megmontreal.com mutek.ca zkm.de siggraph.org thailand.culturebase.org festival-1ercontact.com transmediale.de clubtransmediale.de manifdart.org

6.2.

Les lieux de diffusion

usine-c.com pda.qc.ca lafriche.org sat.qc.ca stationc.ca macm.org leconsortium.com 72/73 Master 2 Recherche Culture et Communication Réception des œuvres : cinématographies, institutions festivalières, médias


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6.3.

Les artistes

technart.net electronicshadow.com uva.co.uk mk12.com lesplatinistes.org epoxy.ca mariechouinard.com louisdufort.com eciad.ca/~jandreye warprecors.com lozano-hemmer.com kendell-geers.net front242.com jeanpiche.com chantslibres.com ekumen.com khrystellburlin.com brainwashed.com/ryoji istvankantor.com clsalter.com magnetmus.net servolvalve.org dfuse.com scannerdot.com epsilonlab.com ambidextre.com imagesavant.com kevinhaug.com incandescence.com users.york.ac.uk/~aef3 interstices.ca nedfx.com electrocd.com purform.com alainthibault.com

6.4.

Quelques autres (partenaires, institutions, médias…)

canadainternational.gc.ca arcade-paca.com urbania.ca ticketpro.ca cgchannel.com restomisto.com christiedigital.com klublife.com zoommedia.com voir.qc.ca culture.gouv.fr educart.culture.gouv.fr univ-avignon.fr univ-fcomte.fr mouvement.net olats.org

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