Blandine Kuntz
La gentrification, processus non linéaire. Évolutions systémiques face à un quartier atypique : le Neudorf à Strasbourg.
Mémoire de Master Sous la direction de Denis Bocquet. ENSAS, juin 2017.
Blandine Kuntz
La gentrification, processus non linéaire Évolutions systémiques face à un quartier atypique : le Neudorf à Strasbourg.
Mémoire de Master Sous la direction de Denis Bocquet. ENSAS, juin 2017.
Remerciements L’accomplissement de ce travail n’aurait été possible sans l’aide et le soutien de Denis Bocquet, mon directeur de mémoire, dont les remarques judicieuses m’ont permis d’avancer dans ma réflexion sans considérer un savoir comme acquis. Merci à Eric Chenderowsky, directeur du service Urbanisme et Territoires de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg, pour son temps, son apport d’informations et ses conseils enrichissants. Mes remerciements vont également à Benjamin Soulet, responsable Analyses et Observations du territoire à l’Eurométropole de Strasbourg, et à Marianne Weiss, responsable fichiers de la Chambre de Commerce et d’Industrie, qui m’ont fourni, à titre gracieux, de nombreuses données essentielles qu’il m’aurait été compliqué de rassembler sans leur aide. Je remercie également Gilles Huguet et Georges Hildwein, de l’ARAN, ainsi qu’Emmanuel Marx, de l’association Eco-quartier Strasbourg, d’avoir accepté de répondre à mes questions. Je remercie de manière plus large toutes les personnes qui ont bien voulu m’accorder un entretien, une discussion, du temps à la sortie du marché. Ils ne liront sans doute jamais ce mémoire mais leurs contributions ont beaucoup servi. Enfin, merci à Johanna et Stéphane pour leur relecture et leurs conseils avisés ; à ma famille, mes amis et mes colocataires de m’avoir accompagnée avec bienveillance dans cette expérience, votre soutien m’a été précieux.
SOMMAIRE
Introduction 1
PARTIE 1. THEORIES ET STRUCTURES DE LA GENTRIFICATION. 7 Chapitre 1. L’émergence du phénomène dans la recherche urbaine
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1.1 Reconnaissance du phénomène
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1.2 Topologie de la notion dans la littérature spécialisée
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1.3 Le rôle des politiques publiques
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Chapitre 2 : La gentrification en France
18
2.1 Appropriation de la notion par les chercheurs français
18
2.2 Apparition et évolution du processus dans la capitale française.
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2.3 La gentrification à l’œuvre dans les villes de provinces ; l’exemple du quartier Saint-Georges à Lyon.
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Chapitre 3 : Le processus de gentrification à Strasbourg
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3.1. La naissance de la gentrification à Strasbourg : un regain d’intérêt pour le vieux centre.
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3.2. Confirmation du phénomène et aspiration à un confort postmoderne 38 3.3 La diffusion du phénomène vers les anciens faubourgs
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PARTIE 2. LA GENTRIFICATION ATYPIQUE D’UN QUARTIER PÉRI-CENTRAL : LE NEUDORF À STRASBOURG 51 Chapitre 1. De la ferme au faubourg : histoire, développement et limites du quartier du Neudorf. 53 1.1. Un territoire complexe et multipolaire
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1.2. Histoire et développement du quartier du Neudorf
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Chapitre 2 : des mutations urbaines récentes, d’envergure significative, qui marquent le destin du quartier. 71 1.2. L’arrivée de nouvelles infrastructures de transport.
71
2.3. Un enjeu urbain pour la municipalité
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2.4. Les enjeux posés par le projet Deux-Rives
83
2.5. Impacts de la restructuration de la Presqu’île Malraux
87
Chapitre 3 : Un quartier en proie à des conflits d’identités.
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3.1. Vers un nouveau profil socio-démographique dominant
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3.2. La transformation lente mais certaine d’un environnement de vie
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3.3. Une évolution des comportements sociaux aux conséquences visibles 104 Conclusion 121 Bibliographie 125 Webographie
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Iconographie 132 Annexes
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Terrasse de bistrot dans la rue de Riquewihr, quartier du Neudorf, Strasbourg. Photographie B. Kuntz
Introduction
« Dans les cultures occidentales, la ville a de tout temps été appréhendée comme l’espace de l’intégration sociale et culturelle. Un lieu sûr, à l’abri des débordements de la nature et de la violence des hommes, au sein duquel des individus de divers horizons pouvaient entrer en contact, faire connaissance, apprendre les uns des autres et échanger éventuellement entre eux les meilleures parts de leurs connaissances et de leur culture, dans un processus d’hybridation continue qui n’a cessé d’engendrer de nouvelles identités, de nouveaux acteurs et de nouvelles idées » Bernardo Secchi, Urbanisme et inégalités, la ville des riches et la ville des pauvres, Éditions MétisPresse, 2013.
Le mode de vie urbain n’a jamais été aussi dominant qu’aujourd’hui, avec 54 % de la population mondiale qui vit dans une aire urbaine selon les chiffres de l’ONU. Ce chiffre devrait augmenter dans des proportions considérables, avec 2,5 milliards d’urbains supplémentaires d’ici 2050. La ville attire et concentre, elle est un incubateur d’innovation, de culture, d’institutions, le symbole d’une population. Mais elle est également un espace inégalitaire, séparatiste, clivant, marginalisant, où les gens sont « rangés » dans des cases selon leurs distinctions de richesse, d’ethnies, de religion, d’orientation sexuelle, d’identité. L’isolement engendre la marginalisation, qui suscite la peur, qui génère l’exclusion, et les schémas 1
ségrégationnistes sont ainsi perpétués. Les sociologues d’inspiration marxiste ont depuis longtemps identifié la ville en tant que vecteur d’oppressions, et les situationnistes ont dénoncé la société de classe, de spectacle et de consommation générée par le capitalisme comme une volonté de conformité qui ne remet pas en cause le mode vie urbain. Les différentes tentatives pour aplanir les frontières qui génèrent de l’oppression se sont révélées vaines, analyse Éric Maurin11, notamment en voulant résoudre les dysfonctionnements visibles de l’urbanisme fraçnais – les ghettos et les cités – en ignorant les causes systémiques qui ont conduit à cet état de fait, où « la défiance et la tentation séparatiste s’imposent comme les principes structurants de la cœxistence sociale »2. Les stratégies d’exclusion sont multiples et insidieuses, parfois cautionnées par le plus grand nombre, souvent appliquées par les pouvoirs publics. La gentrification en fait partie. Ce terme décrit un phénomène social et spatial qui prend sa source dans des quartiers urbains centralisés d’une ville, et par lequel ces quartiers deviennent un lieu à fort potentiel pour les classes moyennes supérieures, voire bourgeoises. L’appropriation de ces quartiers par une nouvelle classe sociale entraîne une modification profonde de l’environnement de vie qui faisait l’identité du quartier, et mène ainsi à un déplacement des populations préalablement établies dans ce lieu. Le phénomène a été théorisé dans les milieux intellectuels anglo-saxons, prenant sa source à Londres dans les années 1960, quand la sociologue Ruth Glass crée ce néologisme pour définir le phénomène de rénovation spontanée du bâti – détérioré – de certains suburbs populaires de Londres par des classes sociales supérieures afin de s’y installer, induisant ainsi le déplacement de la population initialement présente. La gentrification devient rapidement un modèle d’évolution urbaine dominant en Grande-Bretagne – notamment dans les anciennes villes industrielles, dans les métropoles américaines et latines et également dans des villes du continent européen, comme à Berlin, en Allemagne, à la suite de la Chute du Mur de Berlin en 1989, et la découverte des quartiers Est par la population de l’ancienne République Fédérale d’Allemagne. En France, le phénomène est observable depuis plus d’un siècle, mais très peu analysé dans les milieux spécialisés, la recherche se concentrant sur les phénomènes 1 E.Maurin, Le Ghetto français, enquête sur le séparatisme social. Éditions du Seuil, 2004, p.5 2 Idem p.6.
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de relégation sociale dans les banlieues pendant toute la seconde moitié du XXème siècle. Il apparaît au début des années 2000 dans les publications de géographie et de sociologie urbaine. Aujourd’hui, le phénomène est étudié, notamment dans son histoire, avec une approche critique qui permet de mettre en lumière de nouveaux critères et conséquences, dépendants notamment de la région géographique où le processus prend place. Si l’on en croit les quelques travaux de recherches déjà réalisés, la ville de Strasbourg est également le théâtre de ce processus, dans nombre de ses quartiers, et ce depuis près de 30 ans ; à l’instar d’autres métropoles françaises et européennes. Comme l’indique Philippe Gerber dans un article daté de 1999, le processus fait son apparition dans les quartiers de l’ellipse insulaire à la fin des années 70, puis se concentre sur le quartier de la Krutenau, qui devient une zone privilégiée par les étudiants et les jeunes familles. Ces deux quartiers sont désormais totalement transformés, et ce de manière durable. Depuis le début de la décennie 2010, on observe que la gentrification est à l’œuvre dans le quartier de la Gare, mais également dans les faubourgs périphériques qui ont longtemps été le point de chute des classes populaire et moyenne inférieure ; notamment le Neudorf. Alors que le cas du quartier Gare a déjà fait l’objet d’études de recherches universitaires, celui du faubourg de Neudorf est plus difficile à aborder, en raison de la superficie et du caractère foncièrement hétéroclite de ce territoire. On y observe cependant l’apparition de commerces et de loisirs explicitement destinés à une classe économiquement supérieure à celles historiquement présentes, ce qui représente un critère certain de la présence du processus de gentrification. Par ce travail de recherche, je souhaite analyser les conditions d’apparition ainsi que d’établissement du processus de gentrification dans un quartier péri-central, situé à l’extérieur de l’ancien glacis d’une ville européenne de taille moyenne, Strasbourg. Ce travail est l’occasion de mettre en évidence que le processus de gentrification est un système en constante évolution, doté d’une forte adaptabilité en fonction du contexte social, géographique et économique où il s’ancre. Cette analyse passe par la connaissance érudite des données empiriques qui ont été produites sur le phénomène de gentrification, afin de dégager les critères qui ont été établis par différents chercheurs après une analyse du phénomène selon différents contextes géographiques, historiques et socio-économiques. Ce travail permettra de poser un cadre d’analyse critique qui constituera la base de mon propre travail d’investigation. Par la suite, je chercherai à expliquer les 3
conditions d’apparition de la gentrification à Strasbourg ainsi que l’évolution et les particularités de ce processus, et m’appuierai sur ces analyses pour clore la première partie, à dominante théorique, de ce mémoire de recherche. Une présentation détaillée du quartier du Neudorf servira de prologue à l’analyse des spécificités qui font de ce quartier une entité singulière dans le kaléidoscope strasbourgeois. Je m’appuierai ensuite sur l’analyse des tendances structurelles et sociales qui guident l’évolution du quartier, au fur et à mesure que sa place au sein de la ville gagne en importance. Ceci me permettra de dresser l’état des lieux de la présence et de l’avancement du processus de gentrification sur ce territoire, et de mettre en évidence le caractère multipolaire et constant du phénomène, tout en reconnaissant une certaine bienveillance des pouvoirs publics et des habitants vis à vis des éléments systémiques et de population qui constituent le fer de lance de ce phénomène urbain. Ce mémoire ne sera pas le premier ni le dernier à s’attaquer au phénomène complexe de la gentrification, ni le premier à le dénoncer. Sans doute n’aura-til qu’une faible, voire aucune portée dans les foyers des habitants du Neudorf, ceux-là même qui sont au cœur de ce processus et qui souvent l’ignorent. Il n’apportera probablement pas de solutions à ces personnes, et ne sera lu que par une poignée d’érudits. Je veux cependant croire, sans doute naïvement, qu’audelà des connaissances qui viendront étoffer ma culture personnelle, ce travail apportera une contribution, un savoir supplémentaire, au tableau complexe et en évolution constante des recherches sur la gentrification à Strasbourg.
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S’Ratzendörfel. Rue de la chapelle, quartier du Neudorf, Strasbourg. Photographie B. Kuntz
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PARTIE 1. THEORIES ET STRUCTURES DE LA GENTRIFICATION.
Chapitre 1. L’émergence du phénomène dans la recherche urbaine
Depuis le début des années 2000, on observe l’émergence de nouvelles formes d’évolution au sein des villes de pays développés ; qui font désormais office de « pendant » à la suburbanisation. Ces nouvelles interactions semblent être le fait de la propagation du phénomène de globalisation et ses impacts sur les économies qui y prennent part. Les prémices de la mondialisation, notamment la superposition et la circulation de multiples flux, ont avant tout bénéficié aux métropoles, qui ont repris une place économique importante au sein de la nébuleuse économique mondiale. Ces interactions nouvelles sont en réalité plus novatrices par leur importance que par leur contenu. Les chercheurs ont, depuis près de 50 ans, étudié ces singularités topologiques et leur ont donné le nom de gentrification. Loin de se cantonner aux villes nu Nord, où il apparut en premier, le phénomène touche désormais toutes les métropoles d’importance nationale et internationale, sans critère de taille, de localisation géographique ou de particularité historique.
1.1 Reconnaissance du phénomène On doit l’origine du terme à une sociologue germano-britannique inscrite dans le courant marxiste, R. Glass, qui, en 19631, rapporte le processus de repeuplement de quartiers défavorisés du centre londonien par la classe moyenne dans le cadre de son emploi de chercheur au Centre Britannique des Etudes Urbaines à Londres. Elle tire ce néologisme de l’expression anglo-saxonne gentry, employée par les classes populaires pour désigner les « bourgeois » de manière moqueuse. À l’époque où 1 R. Glass, « Introduction », in Centre for urban studies (dir.), London, Aspects of change, Mcgibbon & Kee, Londres 1964.
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l’exil en banlieue est extrêmement répandu parmi les classes sociales favorisées, ce phénomène d’installation dans un tissu dégradé à la suite de rénovations est observé comme une anomalie. Toutefois, selon Glass, la choix précis de quartiers présentant un patrimoine architectural historiquement intéressant et à valeur ajoutée, peu importe son état au moment des faits, témoigne d’une sorte de réappropriation par la classe moyenne supérieure de constructions qui étaient anciennement associées à un niveau de vie élevé, mais qui furent progressivement délaissées. Le processus de gentrification tel qui est utilisé en 1963 décrit donc à la fois une transformation de la composition sociale de ces quartiers et également une transformation physique de ceux-ci par la réhabilitation opérée par les nouveaux arrivants, ce qui va à l’encontre de la thèse de H. Hoyt selon laquelle « les riches reviennent rarement sur leurs pas pour retrouver les logements obsolètes qu’ils avaient abandonnés. »2. L’auteure relève toutefois le caractère singulier de ces événements observés. Comme mentionné précédemment, ce phénomène a d’abord été considéré comme une anomalie inexpliquée, étant donné la perte d’attractivité des centres. Mais lorsqu’il fut certain que le processus allait perdurer, les chercheurs en sociologie urbaine ou en géographie ont commencé à enquêter sur les causes de celui-ci. Deux tendances se sont dégagées : la première, défendue par Neil Smith, voit dans le poids économique des promoteurs immobiliers et des loyers attractifs une cause principale de « retour en ville »3, tandis que l’autre, énoncée par David Ley, identifie ces causes plutôt dans l’attractivité qu’offrent les modes de vie et de consommation urbains4. Dans tous les cas, la propagation du phénomène de gentrification est étroitement lié aux évolutions que connait la société depuis les années 1960, à savoir l’augmentation du nombre de femmes actives, la fréquence des ménages à double salaire, l’évolution des formes familiales et l’individualisation des modes de vie, qui caractérisent également le fort développement de la « classe moyenne supérieure » (service class en anglais) depuis la post-industrialisation (postfordism) des pays développés. La gentrification prend également forme dans un 2 H. Hoyt, The structure and growth of residential neighbourhoods in American cities, Washington 1939, p.119 3 N. Smith, Uneven development : Nature, Capital and the production of space. B.Blackwell, Londres 1984. 4 C. Bidou-Zachariasen, « Introduction », in C. Bidou-Zachariasen (dir.), Retours en ville, Descartes et Cie, Paris 2003, p.11
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contexte économique en mutation, ayant une influence forte sur la consommation et le loisir, créant ainsi un terreau social, économique et culturel extrêmement favorable dans les centres urbains. Les grandes agglomérations permettent l’émergence de nouvelles stratégies de développement basées sur le tourisme, les technologies, le numérique, l’information, dans lesquelles le processus de gentrification est directement inscrit. Ces stratégies influencent profondément les modes de vie urbains, mais également le paysage bâti des villes puisque l’héritage historique porté par celui-ci est conservé et aménagé pour accueillir un nouveau profil social de résidents. Avec la mondialisation, le rôle des villes a évolué : elles sont désormais des centres de commandes, non plus à échelle régionale, mais pour des groupes transnationaux, devenant des centres de production financière, tissant des réseaux de relations entre elles et se coupant ainsi, d’une certaine manière, de leurs arrière-pays. En 1996, Saskia Sassen énonce la thèse selon laquelle les « gentrifieurs » sont directement reliés à cette nouvelle économie mondiale et mondialisée5. Ils ont des postes qualifiés au sein de celle-ci mais ne peuvent être apparentés à des « très riches », représentants des classes dominantes traditionnelles. Face à cela, la classe ouvrière urbaine, moteur de l’économie d’après-guerre, est peu à peu remplacée par des « petits employés » de services, s’inscrivant dans cette nouvelle économie. Les statistiques ne permettent cependant pas de corroborer cette hypothèse de bipolarisation de la structure sociale des villes. Cependant, la présence – encore une fois – d’une attraction entre nouvelles classes moyennes supérieures et centres-ville démontre bien que cette interaction joue un rôle important dans la définition et l’explication du phénomène de gentrification, par lequel les représentants de cette nouvelle classe sociale recherchent la proximité avec les services générés par cette nouvelle économie. Se crée ainsi un nouveau mode de vie urbain séquencé (travail, loisirs, repos), dont chaque entité doit être à proximité géographique des autres ; et qui permet également de côtoyer d’autres individus suivant ce même mode de vie.
5 S. Sassen, La Ville globale, Descartes & Cie, Paris 1996.
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1.2 Topologie de la notion dans la littérature spécialisée Selon la littérature qui traite de ce phénomène, la gentrification se matérialise sous deux formes distinctes : d’une part, selon les premières observations du phénomène, la réhabilitation d’un bâti ancien et dévalorisé ; et d’autre part, la promotion immobilière sur des terrains à la valeur foncière en hausse. Les spécialistes se sont longtemps accordés à dire que ce phénomène précis s’observe essentiellement dans les centres urbains anglo-saxons. En effet, ces villes ont une construction spatiale telle que, historiquement, les quartiers bourgeois n’étaient que rarement localisés dans les centres, permettant ainsi la forte présence du phénomène de périurbanisation6. On peut cependant nuancer cette affirmation : des villes telles que New York ou Boston ont des quartiers bourgeois intégrés à leurs centres, tandis que des lotissements haut de gamme se sont construits autour de Paris dès la seconde moitié du XIXème siècle, à Neuilly par exemple. De plus, on pourrait également qualifier de gentrification les transformations subies par les anciens faubourgs industriels parisiens dans la première moitié du XXème siècle, preuve s’il en est que le phénomène, bien que plus présent dans les villes anglo-saxonnes, s’observe dans de nombreux territoires développés ou en voie d’industrialisation. Dans le même propos, les facteurs indiquant une gentrification qui furent observés dans ces mêmes villes anglo-saxonnes (augmentation du nombre de cadres, des ménages à double revenus et évolution des modes de vie et de consommation) sont aussi présents dans d’autres contextes. Ainsi, la gentrification n’est plus une conséquence de la politique socio-urbaine d’une ville, mais le but poursuivi par ces politiques. De plus, l’acceptation « tardive » de la notion de gentrification explique le nombre peu élevé de recherches sur ce thème dans les pays non anglosaxons. En France, cette terminologie n’est pas usitée et le phénomène est observé en tant que composante de la tendance d’embourgeoisement (Tabard et Chenu 1993). La gentrification en tant que politique urbaine a également été favorisée – sans doute involontairement – par les expérimentations du centre historique de Bologne menées par la municipalité communiste dans les années 80, qui avait pour
6 C. Hamnett, « Les aveugles et l’éléphant : l’explication de la gentrification », Strates. 1 9 9 7 , publié le 19 octobre 2005, Consulté le 03 janvier 2017. http://strates.revues.org/611
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souhait de permettre, tout en réhabilitant le bâti ancien, que les classes populaires initialement présentes puissent ré-emménager. Dans un article7 traduit et publié en France au début des années 2000, Neil Smith évoque le développement et la diversification du phénomène de gentrification, depuis son identification empirique par R. Glass. Il démontre ensuite cette évolution en prenant pour exemple le cas de la ville de New York. La thèse qu’il défend est que la gentrification constitue une part importante, sinon essentielle, du nouvel urbanisme qui émerge depuis le début des années soixante. Ruth Glass est la première à mettre un mot sur ce phénomène particulier d’embourgeoisement à Londres, alors inédit et marginal par son impact. Trente ans plus tard, toujours à Londres, la urban task force créée par le Ministère du logement institutionnalise ce processus au travers d’un Manifeste et en fait un objectif de développement urbain assumé. Les acteurs qui joue un rôle dans l’évolution du processus de gentrification ont également évolué depuis les années soixante. Au lieu d’initiatives issues de quelques représentants d’une classe moyenne supérieure branchée et intrépide, on observe actuellement un encouragement de la gentrification par les acteurs publics, les entreprises et les organismes nés d’un partenariat public-privé ; avec pour cible les représentants d’une nouvelle classe aisée, hétéroclite, majoritairement blanche et jeune. Du hasard, on passe à une méthode appliquée de manière systématique, avec une relative bienveillance voire une collaboration des pouvoirs publics. Le paradigme de la gentrification des années 60, à savoir la réhabilitation sporadique de tissus anciens, apparaît aujourd’hui comme presque « pittoresque » au sein du prisme complexe qui définit le processus de gentrification contemporain. De plus, la gentrification, d’abord localisée dans les villes du capitalisme, s’est étendue à la fois aux villes de taille, de typologie et d’importance diverses, et aussi aux villes du Sud, suivant ainsi le schéma de propagation de la globalisation. Cependant, que l’on traite de la gentrification d’un quartier de Londres ou de celle d’une bourgade provinciale au passé industriel, le processus génère selon Smith un évènement constant : sa nature classiste conduit inévitablement à une modification démographique et sociologique du territoire concerné. Cette conséquence, déjà 7 N. Smith, « La gentrification généralisée : d’une anomalie locale à la régénération urbaine comme stratégie urbaine globale. », traduit par C. Bidou-Zachariasen, in C. Bidou-Zachariasen (dir.), Retours en ville, Descartes et Cie, Paris 2003, p.45.
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relevée par Glass lors de ses études dans les quartiers populaires de Londres, fut par la suite systématiquement éludée, dès lors que la gentrification devenait partie prenante d’un programme urbain initié ou approuvé par une gouvernance politique. En exposant le cas de New York, Smith distingue 3 phases d’évolution8 de la gentrification appliquée au territoire anglo-saxon. La première concerne la période d’après-guerre jusqu’à la crise pétrolière de 1973. La seconde s’étend de la fin des années 70 jusqu’au milieu des années 80 et la dernière couvre le milieu des années 1990. -- Première vague : gentrification sporadique, 1950-1973. Le phénomène se développe alors de manière identique à celui de Londres : de ma nière morcelée et anecdotique. Dans le cas de New York, il touche des quartiers comme SoHo ou l’Upper West Side, mais toujours de manière éparse, et ce en raison d’un désintéressement des institutions financières pour les investissements dans des quartiers considérés comme pauvres, foyers de minorités ethniques ou dégradés. -- Seconde vague : (décennie 1980) : ancrage du processus. La crise financière de 1973 eut pour conséquence de faire baisser drastiquement les prix du foncier dans les centres urbains, alors que le phénomène de banlieue était à son apogée. Les centre-villes deviennent d’autant plus attractifs que le prix pour acquérir et rénover un édifice s’y trouvant baisse. De plus, ce ne sont plus quelques représentants d’une certaine classe sociale qui s’identifient comme les acteurs de cette gentrification, mais la municipalité elle-même. Celle-ci, alors dominée par les banques en raison du contexte économique, se trouve en mesure de favoriser le promotariat grâce aux capitaux consécutifs à la reprise d’après 1973. De plus, une politique de déstigmatisation menée par cette même municipalité invite à l’investissement privé dans des quartiers qui étaient jusqu’alors dédaignés. Le processus de gentrification s’étend au Lower East Side, une grande partie de Brooklyn et enfin Harlem à la fin des années 80. Les couches sociales les plus basses, déjà touchées par la politique « anti-New Deal » de Reagan, sont encore davantage affectées par la montée en flèche du phénomène. Le nombre de sansabris atteint 1,5 % de la population new-yorkaise à la fin des années 1980, et de plus en plus de ménages pauvres se voient contraints d’abandonner leur quartier en raison de la hausse des prix consécutive à cette période faste de construction de logements. Les premières contestations se font entendre au début des années 8 idem, p.49.
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90, tandis que la gentrification devient de plus en plus la politique directrice en matière de logement et de modification des centres, avec des conséquences aussi variées que la montée en flèche du marché de l’art dans les quartiers concernés et l’attirance de nouveaux professionnels inscrits dans le développement des villes globales comme New York. -- Troisième vague : 1994-… : la gentrification généralisée.La récession économique connue par les Etats-Unis au début des années 90 a dans un premier temps contribué au délitement du phénomène, au point que dans les milieux spécialisés on commença à prédire une tendance de « dégentrification »9. Mais le phénomène de gentrification devait rebondir dès 1994 et se propager à tout le centre-ville de New-York, puis dans des quartiers où le tissu de logements à rénover était plus récent que celui de la première vague de gentrification (Queens, New Jersey). Une conséquence de cette généralisation du processus fut le départ forcé des premiers « gentrifieurs » (artistes dans le Lower East Side) suite à la hausse des loyers ; ils se retrouvèrent ainsi victimes d’un phénomène qu’ils avaient lancé 30 ans auparavant et leurs quartiers, considérés comme marginaux, gagnaient des qualités leur permettant d’être appréciés par un public de jeunes professionnels blancs. C’est aussi lors de cette troisième vague que la gentrification s’étendit aux commerces et restaurants d’un quartier, générant de larges opérations culturelles dans le centre-ville, explicitant le fait selon lequel le processus de gentrification est indissociable d’une modification sociale du quartier à tous ses niveaux (emploi, loisir, consommation). La colonisation de l’espace diffuse le message que la gentrification est le modèle auquel tout le monde doit aspirer ; mais seule une minorité extrêmement favorisée a le moyen d’en tirer les bénéfices. Cette période en particulier est très représentée dans la culture, littérature et cinéma, notamment. Par exemple, le personnage de Patrick Bateman dans le livre de Ellis représente cette classe sociale composée de jeunes actifs blancs et aisés travaillant dans les branches de la mondialisation.10 New York est un bon exemple pour démontrer cette rapide évolution, même si le processus s’étend selon des critères extrêmement dissemblables, selon les régions géographiques et les données historiques. Cet exemple permet de démontrer que la gentrification est devenue une stratégie urbaine globale validée et défendue par les pouvoirs politiques, en cette nouvelle ère néolibérale ; surtout dans les 9 C. Bagli, « DeGentrification can hit when boom goes bust », New York Observer, Août 1991. 10 B. Easton Ellis, American Psycho, Random House, New York 1991.
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pays ayant connu des politiques urbaines progressistes dans le contexte d’aprèsguerre (New Deal de Roosevelt, par exemple), qui furent ensuite gommées dans les années 80 (Reagan, Thatcher) au profit d’une plus grande collaboration avec le secteur privé (Clinton, Blair). Il n’en devient pas pour autant un paradigme, mais peut s’expliquer selon cinq critères : -- Le nouveau rôle de l’État : dans les années 80 aux Etats-Unis, l’État – surtout local - intensifie ses partenariats avec le secteur privé, pour devenir ensuite la norme dans le secteur de la construction de logements. L’État investit également en masse pour soutenir l’économie de marché, se positionnant ainsi en phase avec la mondialisation. -- Les flux de capitaux financiers : ces flux importants permettent l’investissement d’énormes opérations culturelles ou mixtes dans les centres, qui viennent accompagner la volonté de « régénération urbaine ». Mais ces capitaux se retrouvent aussi dans des projets de moindre envergure : immeuble de logements chapeauté par un promoteur étranger, financé par une banque. De tels montages deviennent aujourd’hui une norme. -- L’opposition au processus de gentrification : avec la seconde vague de gentrification, plutôt manifeste, les voix s’élevèrent rapidement contre le phénomène. La répression politique et policière dont furent victimes ces mouvements de contestation témoigne de l’importance de la gentrification au sein de la politique urbaine pratiquée par cette gouvernance. Les chercheurs ont parlé de « ville revanchiste »11 ou de « tolérance zéro » pour définir cette répression systématique par les forces policières des mouvements anti-gentrification, afin de garantir la sécurité urbaine et la pérennité du modèle. -- La dispersion géographique : le phénomène de gentrification s’est étendu audelà de ce que l’on considérait comme « centre » dans la seconde moitié du XXème siècle. Il a également touché des tissus anciens mais intacts. La généralisation sectorielle : avec l’arrivée des financements privés soutenus par la politique publique lors de la troisième vague de gentrification, le processus a pris une dimension classiste parfaitement cautionnée par les pouvoirs politiques en place, et même encouragée. Le processus a été parachuté à une autre échelle : il est désormais le fruit de la globalisation et son marché financier mondial, associée 11 N. Smith, The new urban frontier, Gentrification and the revanchist city, Routledge, Londres 1996, p.86.
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aux promoteurs, avec l’incitation des pouvoirs locaux qui bénéficient ensuite des retombées financières de cette association. La gentrification est donc devenue une composante de l’économie de marché et du néo-libéralisme, avec des composantes sociales et raciales favorisées par rapport à d’autres.
1.3 Le rôle des politiques publiques L’investissement de l’état dans ce que l’on appelle la « régénération » (ou renouvellement) urbaine, et qui est l’application du processus de gentrification de manière institutionnalisée afin de générer des retombées économiques diverses par l’installation de nouveaux habitants appartenant à une classe sociale favorisée, est plus facilement observable en Europe qu’aux Etats-Unis, étant donné l’importance du rôle joué par l’État. Ainsi, Tony Blair s’est fait le chantre de cette « redynamisation » de Londres, alors que le concept devenait une politique officielle en 1997 au Danemark. En 2000, l’Union Européenne organisa même une conférence à Paris afin de dégager des orientations qui permettraient de faire du renouvellement urbain une réalité. Contrairement aux Etats-Unis, on remarque que la question du logement social n’est pas évincée du débat, trouvant sa pérennité dans la multiplication des « Etats-Providence » au sein de l’U.E. Dans ce contexte, la gentrification est également défendue par des arguments tels que l’équilibre sociologique dans les centres (créé par la mixité apportée par l’installation d’habitants appartenant à des classes sociales supérieures). L’écologie est également invoquée : la concentration des capitaux dédiés aux logements dans des centres-villes permettrait d’endiguer le phénomène d’étalement urbain, vivement dénoncé en Europe. N’importe qui aurait tendance à encourager cette démarche ; mais les quartiers de centre-villes concernés par cette volonté de mixité se font rapidement « coloniser » par les classes moyennes supérieures blanches. Jamais le processus inverse n’est proposé, et les quartiers bourgeois ne verront jamais arriver des représentants de la working class ou des minorités ethniques au nom de la mixité sociale. La dénomination de « régénération » pose également la question de la terminologie utilisée pour décrire un phénomène aux conséquences difficiles. Le terme est emprunté à la biologie et à la médecine, où il définit la capacité naturelle d’un 15
organisme à recouvrer son intégrité (un foie, une étendue forestière). L’emprunt de ce terme pour définir un territoire gentrifié induit que ce territoire a suivi un processus naturel, occultant ainsi les volontés politiques et capitalistes qui y trouvent tant d’intérêt, ainsi que les conséquences sociales qui touchent les populations les plus vulnérables. L’utilisation de termes à connotation positive et l’emploi du préfixe « re » qui implique un retour à un état normal induit l’acceptation inconsciente d’actions menées sous ces termes12. Les personnes déplacées ou expulsées ne sont ainsi jamais évoquées, ni à la Conférence de Paris, ni dans les divers manifestes produits par les municipalités afin de créer un engouement autour de cette « régénération » de la ville. C’est aussi pour cette raison que les classes politiques et gouvernantes utilisent les terminologies liées aux termes de renaissance, renouvellement ; et non le terme empirique de gentrification, lequel est trop connoté. Le processus de gentrification, surtout en Europe, masqué derrière ces velléités politico-urbaines de régénération, gagne du terrain, parfois même chez les spécialistes ; l’orientation néo-libérale des politiques urbaines contemporaines est encouragée et plébiscitée par les classes – blanches – aisées, au nom de valeurs que l’on pourrait considérer démagogiques, comme le « vivreensemble » et la « mixité sociale ». Ainsi qu’Henri Lefebvre l’écrivait en 197013, l’urbanisation a remplacé l’industrialisation comme moteur économique du capitalisme. Les travaux de recherche anglo-saxons ont montré que la gentrification, en tant qu’orientation essentielle de l’urbanisation de nos sociétés post-industrielles14, participe de cette expansion capitaliste, nommée aujourd’hui néo-libéralisme. Dans ces territoires qui ont vu une émergence précoce de la gentrification, on assiste aujourd’hui à une situation ubuesque, qui est celle de l’éviction des « primo-gentrifieurs », plutôt affiliés à des milieux culturels aisés mais marginaux, par une nouvelle génération de « néo-gentrifieurs » plus conventionnes, représentants d’une classe sociale
12 M. Van Griekingen, « Comment la gentrification est devenue, du phénomène marginal, un projet politique global », Villes et Résistances sociales, AGONE n°38_39, 2008, p.71-88. 13 H. Lefebvre, La Révolution urbaine, Gallimard, Paris, 1970. 14 Le terme post-industriel, selon Alain Touraine, définit l’évolution radicale (le virage) de la société après la phase industrielle, au cours de laquelle la connaissance et l’information remplacent les machines et les matières premières dans l’organisation économique de celle-ci. Cette phase débute en 1960.
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aisée étroitement liée à l’installation durable des mécaniques néo-libérales dans les sociétés occidentales. En France, le phénomène de gentrification est arrivé tardivement dans la capitale, ce qui explique le « retard » de la littérature spécialisée. Depuis une quinzaine d’années, les publications traitant de gentrification et d’une nouvelle forme d’oppression sociale par la confiscation du droit à la ville, si cher à Henri Lefebvre, voit le jour, permettant d’éclaircir les situations rencontrées par la capitale et les villes de province. C’est ce que nous allons approfondir dans la partie suivante.
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Chapitre 2 : La gentrification en France
Terme peu usité dans la littérature spécialisée, la gentrification fait son apparition dans les textes français au début des années 2000. Les analyses produites par des chercheurs français sur ce thème depuis une quinzaine d’années tendent à briser les systématismes formulés dans les thèses anglo-saxonnes. En effet, cellesci, notamment la pensée de Neil Smith qui fait figure de référence, sont souvent perçues comme presque dogmatiques, tout en ne pouvant justifier d’une pertinence à tous les égards, puisqu’elles se basent essentiellement sur des faits observés dans des grands centres urbains anglo-saxons, en proie à des évolutions bien différentes de celles qu’ont connues les villes françaises. De plus, alors que les phénomènes de gentrification des villes anglo-saxonnes se déclarent dès l’AprèsGuerre, l’apparition du processus en France – notamment au sein de la capitale - date du début des années 1990, ce qui explique les publications « tardives » liées à ce phénomène dans le monde de la recherche urbaine francophone.
2.1 Appropriation de la notion par les chercheurs français En France, le phénomène d’exil des classes moyennes vers les banlieues, ou white flight, qui a généré un déclin des quartiers centraux des grandes villes américaines15, fut très peu présent. De nombreuses politiques furent d’ailleurs mises en œuvre depuis plus d’un siècle – l’« aération des tissus parisiens » à l’initiative d’Haussmann fait partie – afin de conserver et de renforcer l’attractivité des centres-villes, et par la même occasion le rayonnement de la ville. Ce contexte permit au processus de gentrification de passer relativement inaperçu, jusqu’à récemment. N. Smith a formulé en 197016 l’hypothèse selon laquelle la gentrification est tout simplement une conséquence du capitalisme et 15 Pour une analyse détaillée du phénomène de délitement des villes des Etats-Unis au cours du XXème siècle, lire J.Jacobs, Déclin et Survie des grandes villes américaines, Random House, New York 1961. 16 N. Smith, « Toward a theory of gentrification : a back to the city movement by capital, not people », Journal of the American Planning Association, 1979, N°45, P. 538-548.
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de la recherche du profit, dans le sens où l’appropriation par la rénovation d’un quartier dégradé et paupérisé et la location ou la vente de ces biens rénovés à une classe sociale plus aisée permet des gains de capitaux importants, qui se retrouvent ensuite en circulation au sein de flux mondialisés. On peut donc en déduire que ce processus fonctionne en cycles de valorisation – dévalorisation – revalorisation, avec pour cible la nouvelle bourgeoisie aisée17 de la nouvelle économie de l’information, la communication et la création, hautement diplômée et intellectuelle, qui succède à la petite bourgeoisie des artisans et commerçants et fait écho à l’installation d’une société post-industrielle s’accompagnant du déclin de la classe ouvrière. Les rares lieux de production encore implantés dans les pays dits du « Nord » sont aujourd’hui éloignés des centres urbains, obligeant la classe ouvrière à s’éloigner également de ceux-ci. Très récemment, une équipe de jeunes chercheurs a apporté une nouvelle contribution au corpus documentaire francophone traitant de gentrification, dans un livre18 qui se veut être une approche plurielle de la gentrification. La réunion de ces jeunes thésards qui se sont attelés à analyser ce processus permet de confronter les visions plurielles qui s’articulent autour du concept de gentrification afin d’en dégager une approche critique. Le propos de l’ouvrage ne cherche pas à généraliser ce concept en paraphrasant le savoir développé dès les années 80, mais insiste sur le caractère fondamentalement différent des cas d’études français par rapport aux cas de références anglo-saxons. Le monde de la recherche urbaine francophone distingue deux approches de théories sur la gentrification : -- socioculturelle : demande de logements et services associée à un désir de vivre en centre ville (classe sociale « urbaine »). -- économique : création de logements, action des promoteurs immobilier, influence du foncier Dans l’introduction, l’accent est mis sur la volonté de ces chercheurs de ne pas se cantonner à une définition générique de la gentrification, ni même d’en distinguer des patterns, des motifs répétés qui permettraient d’en dégager des principes. Selon les auteurs, il y a autant de gentrifications possibles que de villes concernées par cette mutation, et il faut parfois savoir se détacher des observations « macros » 17 P. Bourdieu, La Distinction, Minuit, Paris 1979. 18 M.Chabrol, A. Collet, M. Giroud, L. Launay, M. Rousseau, H. Ter Minassian, Gentrifications. Editions Amsterdam, Paris 2016.
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pour en sentir toutes les finesses. C’est ce que je vais m’attacher à faire dans la seconde partie de cette recherche. Il me semble cependant important que, par souci de compréhension, un historique français et strasbourgeois du développement de ce que l’on désigne comme la gentrification soit présenté. A. Clerval, spécialiste du phénomène de gentrification à Paris, affirme19 que réduire la gentrification du territoire parisien au phénomène de « remplacement des classes sociales » serait une vulgarisation. En effet, les couches sociales basses ne se réduisent plus à la seule classe ouvrière, ce qui rend le processus de gentrification plus complexe à analyser. En outre, les classes sociales défavorisées sont depuis plusieurs décennies alimentées par l’arrivée d’étrangers, pour qui la vie dans les centres urbains possède l’avantage de la sociabilisation par les rapports sociaux et la recherche d’emploi. Le processus parisien est donc extrêmement complexe à analyser et ne peut se réduire à une simple définition traduite de la littérature anglophone. De nombreux chercheurs se sont souvent « frottés » à ce phénomène, qualifié dès le début du XXème siècle par le terme d’ « embourgeoisement », à l’instar des travaux de Maurice Halbwachs20. Les recherches francophones portant spécifiquement sur le phénomène de gentrification ont par la suite été orientés par l’ouvrage publié par C. Bidou-Zachariasen en 2003, dont les idées ont été détaillées dans l’introduction de ce travail. Les travaux de Clerval se dissocient de cette approche « par quartier », soutenant qu’au vu des nombreux cas de gentrification observés à Paris et de leur complexité intrinsèque évoquée plus haut, une approche globale en arborescence semblait plus adaptée, par la suite étayée par une analyse statistique et des enquêtes de terrain dans des lieux où la gentrification était plus ou moins avancée.Dans son étude, elle voit la gentrification comme lien entre espace urbain et espace social ; un processus par lequel l’espace urbain s’adapte aux évolutions et aux transformations sociales à l’œuvre. Dans son étude focalisée sur la capitale française, elle distingue différents facteurs morphologiques ou historiques qui ont permis le développement relativement « silencieux » de la gentrification.
19 A. Clerval, Paris sans le peuple. La gentrification de la Capitale. La Découverte, Paris 2013, p. 9. 20 Idem, p.10.
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2.2 Apparition et évolution du processus dans la capitale française. Le cas parisien est très certainement le plus connu et le plus largement identifiable des cas de gentrification en France, pour des raisons diverses, sans doutes liées à la renommée et au caractère centraliste de la ville, ou alors par la superficie sur lequel s’y étend le phénomène de gentrification, ou également car il a donné naissance à l’image que l’on se fait désormais, en Province, du style de vie parisien. Tout d’abord, Paris est une ville marquée à la fois par son histoire pluriséculaire et, de manière beaucoup moins évidente et affichée, par la période industrielle. Sa réputation de ville bourgeoise, faste, à grande qualité architecturale a fait tomber dans l’oubli l’importance de l’héritage industriel et ouvrier. Celui-ci a pourtant eu une conséquence majeure sur le développement de la ville au XIXème siècle : l’augmentation de la population, qui donna lieu à une extension du tissu urbain remarquable par rapport à l’histoire globale de la ville à partir de 1840, pendant environ un siècle. Cette mutation s’est ressentie tout au long de l’histoire récente de la capitale, par la forte densité de population et la présence d’usines ou ateliers au cœur du tissu urbain. Jusqu’à la fin du XXème siècle, les classes populaires dominent largement Paris, en terme de démographie. Mais forte ségrégation spatiale : les minorités bourgeoise se terrent farouchement dans les « beaux-quartiers » au centre-Ouest de la capitale, tandis que les classes populaires se positionnent au sein d’une demi-couronne enserrant le cœur de la ville par l’Est, dans des rapports de classe caractéristiquement capitalistes. Intéressant est le fait que les premiers grands travaux de modernisation entrepris par Napoléon III et Haussmann se font dans un contexte de politique autoritariste et d’économie libérale, mêlant désir d’ordre et de contrôle, d’efficacité et d’accessibilité des loisirs (alors réservés aux classes plutôt bourgeoises) et rétablissement d’une image de prestige, en somme pour servir les intérêts des classes dominantes ; à l’instar des buts poursuivis par les chantres de la gentrification aujourd’hui21. La réalisation des percées haussmanniennes grâce à l’étroite collaboration entre acteurs publics et privés et la spéculation foncière démontrent des prémices de l’économie libérale appliquée à l’urbanisme, qui se généralisera par la suite pour atteindre l’état que l’on connaît aujourd’hui, dans un souci de production et de rentabilisation capitalistes. L’haussmanisation a 21 Idem, p. 26
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donc permis de garder les classes bourgeoises au centre-ville - notamment sur la Rive Gauche de la Seine où les destructions furent les plus importantes - tout en réprimant de manière idéologique et économique les soulèvements des classes populaires, marquant par ces conséquences le développement urbain de la capitale au XXème siècle. Ces objectifs se retrouvent également dans le contexte d’érection du Forum des Halles et du Centre Pompidou dans un lieu qui fut longtemps le temple des classes populaires parisiennes, le Marché des Halles. L’embourgeoisement consécutif à l’« haussmanisation » est relativement minime face à la croissance industrielle de la capitale et les populations ouvrières attirées par celle-ci, renforçant les classes populaires parisiennes. Mais la désindustrialisation qui a lieu au cours de la seconde moitié du XXème siècle vient bousculer ce rapport de force22. Les classes populaires vont se voir progressivement évincées de la capitale, par un premier phénomène de délocalisation des industries de leur main d’œuvre en province, loin des centres urbains, que David Harvey va interpréter comme une « domination de la lutte des classes par la division géographique »23. La métropolisation des pays industrialisés entraîne la concentration des pouvoirs décisionnaires, économiques et des services dans des centres qui deviennent des global cities, ou villes mondiales, et constituent les nœuds du système de mondialisation. Paris, par sa richesse, sa population, son nombre de sièges sociaux entre autres, en fait indubitablement partie, passant du centre de production industrielle à pôle décisionnaire international. Cette mutation n’est pas sans conséquences locales, comme par exemple l’augmentation importante du nombre de cadres, notamment dans les domaines de l’information, du numérique et de la culture. À l’inverse, les emplois ouvriers sont en déclin, avec une perte d’environ 4% par an à partir des années 199024. Cependant, ce que Clerval nomme « prolétariat industriel »25 se voit remplacé par une nouvelle classe populaire constituée d’employés peu qualifiés dans le domaine des services ; tandis que la petite bourgeoisie des artisans et commerçants s’efface au profit d’une nouvelle classe intermédiaire très diplômée mais non homogène, trouvant ses emplois dans 22 En 2008, l’Île de France est la région la moins industrialisée de France, avec 9 % d’emplois dans le secteur secondaire. INSEE, RP 2008. 23 D. Harvey, Géographie et Capital, Syllepse, Paris 2010, p.245 24 INSEE, RP 2008. 25 A. Clerval, Paris sans le peuple, la gentrification de la capitale. La Découverte, Paris 2013, p. 40.
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les domaines du marketing, de la culture, de l’information, du management. Ces transformations concernent toute la France, mais la classe intermédiaire émerge principalement dans les villes. On y observe une sédentarisation des professions intermédiaires et des cadres, qui sont plus nombreux à y résider qu’à y travailler. À l’inverse, nombreux sont les employés et ouvriers qui occupent un poste à Paris sans pour autant y habiter, en raison d’une hausse globale et croissante des loyers. Contrairement au cas des villes anglo-saxonnes, les rénovations urbaines qui ont eu pour conséquence cette hausse des prix des logements n’est pas la seule cause de gentrification. Au contraire, à partir des années 1990, celles-ci permettent l’accroissement du parc social parisien, qui profite aux classes populaires et aux travailleurs migrants, générant parfois des petites diasporas, comme à Belleville (19e) par exemple. Mais la terminologie de rénovation ou réhabilitation induit la transformation d’un édifice en en conservant l’aspect historique, mais pas forcément la destination. Ainsi, les réhabilitations de quartiers populaires peuvent très bien produire des logements destinés à des habitants plus aisés, participant ainsi de l’embourgeoisement de la capitale. C’est par exemple le cas du quartier du Marais, qui, anciennement bourgeois, se voit délaissé par ses riches propriétaires, plus attirés par les quartiers du Faubourg Saint-Honoré. En proie aux dégradations du temps, dévalué, il devient un quartier d’ouvriers, artisans et immigrés juifs au XIXème siècle. Non concerné par l’haussmanisation, il est classé insalubre. En 1960, il est classé secteur sauvegardé et bénéficie de réhabilitations d’initiatives publiques et privées pour créer des nouveaux logements de luxe qui seront investis par les représentants de la classe moyenne supérieure, voire la classe dominante. Il est analysé comme un cas typique de gentrification26. Ces rénovations, renforcées par l’instauration des Opérations Programmées d’Amélioration de l’Habitat (OPAH)27 et couplées à la déréglementation des loyers parisiens, officialisée par les Lois Méhaignerie (1986) et Malandain-Mermaz (1989) ; puis à la baisse de
26 Idem, p. 45 27 Une OPAH est une convention entre différents acteurs publics (municipalité, agence nationale de l’habitat, l’État, la région et un organisme intercommunal. Cette procédure a été créée en 1977 afin d’inciter les personnes à investir dans la réhabilitation de logements existants dans un périmètre préalablement défini. Elle se déroule en trois phases : diagnostic des problèmes rencontrés (sociaux, fonciers, urbains…) ; étude préalable pour définir les solutions à apporter etles objectifs à atteindre ; lancement de l’opération (durée 3 à 5 ans) et des aides financières accordées par les différents acteurs publics. Le pilotage est confié à un opérateur externe.
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production de logements sociaux dans les années 1990, achèvent de tracer la voie au phénomène de gentrification. Le processus est donc, dans le cas de Paris, initié, à l’instar de Londres ou New York, par la désindustrialisation et la métropolisation, accompagnées de politiques publiques en faveur d’un retour de l’attractivité des centres. Il trouve également son origine lucrative dans la spéculation immobilière et le potentiel de rentabilisation des loyers conséquent à celle-ci, ainsi que l’écrivait Neil Smith. Cependant, ce potentiel ne fut qu’appréhendé tardivement par les investisseurs parisiens, du fait du contrôle des loyers et de la construction de logements sociaux, deux procédés quasi inexistants dans les villes anglo-saxonnes. Ce cadre large donné à la gentrification parisienne mérite d’être précisé, car le cas de la Capitale est semblable à de nombreuses villes françaises pour ce qui est de l’apparition et l’évolution du processus de gentrification. Paris possède un patrimoine bâti ancien important, mis en valeur par les politiques publiques de réhabilitation ; mais également grâce à son caractère populaire intrinsèque, à ses identités multiples, véhiculées par les différents quartiers, souvent le cadre de fictions populaires vues au cinéma, au théâtre, dans la littérature… Le terme de quartier dans son sens figuré, traduisant les interactions et les identités qui en découlent, trouve sa forme au sein de la structure bâtie parisienne. Des quartiers bénéficiant d’une connotation plutôt positive, où se trouve de nombreux logements à faible coût, rendus vacants par l’exode des classes populaires vers les logements sociaux construits en banlieue (contrairement au white flight américain où les classes aisées déménageaient vers les banlieues). Cependant, ces logements laissés vacants représentent une opportunité pour les travailleurs issus de l’immigration et les nouvelles populations précaires qui profitent de ces prix attractifs pour s’installer dans la capitale, malgré l’insalubrité des lieux. La gentrification se développe donc dans des quartiers qui ne sont ni totalement inoccupés, ni totalement dévalorisés, et se positionne parallèlement à d’autres flux d’installation. D’autre part, les acteurs de la gentrification (« gentrifieurs »), au niveau local, présentent également des profils variés. Les initiateurs sont généralement des personnes au capital culturel élevé, issus du milieu de l’art, et parfois d’une contre-culture, qui cherchent des ateliers ou locaux commerciaux à bas prix dans les quartiers populaires. Il finissent par s’y installer de manière durable, profitant 24
des avantages économiques du marché foncier. En raison de la nature de leurs activités artistiques, qui appellent des clients, un public, une couverture médiatique locale ; ils donnent une visibilité au quartier dans lequel ils sont installés, attirant d’autres représentants de classes sociales intellectualisées, démontrant d’un intérêt pour l’art ou le travail associatif, la communication. Cette population d’artistes, plus que de jouer un rôle d’instigateur, démontre de la présence géographique du phénomène de gentrification. Dans un même temps, un indicateur plus concret de la gentrification a également lieu : des ménages représentants de la classe moyenne supérieure, possédant un capital culturel élevé mais un capital financier modeste, se dirigent vers les quartiers dans le but très simple de devenir propriétaire au sein de la capitale. Le choix du quartier est secondaire, l’essentiel étant de s’établir intra-muros à un prix abordable. Rue Daguerre, Faubourg du Temple, Faubourg Saint Antoine : autant de lieux étroitement liés aux classes laborieuses qui deviennent le foyer d’une population plus aisée mais qui n’a plus moyen de rester dans les quartiers plus huppés, mais qui rejette profondément l’idée de s’installer en banlieue28. Cette population a une connaissance du marché immobilier et entreprend des travaux de réhabilitation dans le but de faire gagner de la valeur au bien en cas d’éventuelle revente. On retrouve l’accumulation du phénomène de gentrification : une fois partis, ces premiers gentrifieurs laissent des appartements qui ne pourront être acquis que par des ménages plus fortunés qu’eux, toujours dans le soutien des politiques publiques qui encouragent les réhabilitations, soit par les OPAH, soit par des avantages fiscaux. Ce début de gentrification s’accompagne par un renouvellement des commerces et des lieux de sorties présents dans le quartier concerné, lui donnant un caractère avant-gardiste extrêmement attractif. Une fois les lieux pérennisés par l’affluence et les hésitations des investisseurs dissipées, l’ouverture de nouveaux commerces et lieux de consommation prend des proportions plus importantes, élimant dans le même temps le caractère « branché » que le quartier avait acquis et le rendant, pour utiliser une anglicisme populaire actuellement, mainstream. La gentrification s’est donc étendue, en partant des arrondissements centraux, vers le Nord et l’Est parisiens, jusqu’à recouvrir une grande partie de ces territoires, 28 A. Clerval, Paris sans le peuple, la gentrification de la capitale, La Découverte, Paris 2013, p. 103.
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pour la plupart historiquement populaires, et livrés à une phase de vacance ayant fait baisser les prix au m². Les dernières zones investies par le processus de gentrification sont les quartiers à forte identité immigrée, comme Château Rouge, qui freinent les gentrifieurs en cela que le quartier possède déjà une forte identité culturelle et ne peut être réapproprié. Mais l’animation de ces quartiers et l’ « exotisme » apportés par les immigrés (souvent issus d’anciennes colonies françaises) créent un attrait qui génère de la gentrification. Ce processus va alors se segmenter : les artères commerçantes déjà occupées par des commerces tenus par la population immigrée restent inchangées et les rues parallèles se voient investies de bars, discothèques, cafés et établissements de petite restauration. Hormis ces récentes divergences, qui devraient se rencontrer de plus en plus souvent, le processus de gentrification a progressé de manière relativement uniforme au sein de la capitale, favorisé par un territoire de superficie moyenne – si on la compare aux autres capitales européennes, sans obstacle géographique majeur. Il se propage par la réhabilitation de logements populaires par initiatives privées, induisant des modifications des profils sociaux des quartiers plutôt semblables.
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2.3 La gentrification à l’œuvre dans les villes de provinces ; l’exemple du quartier Saint-Georges à Lyon. Le travail de Jean-Yves Authier29 sur le quartier Saint-Georges à Lyon est également pertinent dans le cadre de cette analyse, car il a permis de démontrer, par la prise en compte des mobilités individuelles des habitants de quartiers en voie de gentrification, que la gentrification n’entraîne pas uniquement un changement de population qui s’opérerait selon un motif prédéfini dans un contexte de grande ville provinciale. Pour démontrer cette hypothèse, l’auteur propos une analyse du processus de gentrification à l’œuvre dans le quartier Saint-Georges à Lyon. Ce quartier fait partie de ce que l’on appelle communément le Vieux-Lyon (Saint Georges, Saint Paul, Saint Jean), qui se situe à l’Est de la Saône, au pied de la colline de Fourvière. C’est par conséquent l’un des plus anciens de la ville, contigu par sa limite Nord avec le quartier de Saint-Jean. Cependant, il se distingue de ses voisins par son bâti de faible qualité architecturale. Ancien quartier d’artisanat de la soie, il a toujours abrité des populations laborieuses et pauvres. Au milieu du XXème siècle, le quartier, qui se trouvait alors dans un état d’insalubrité préoccupant, fut plusieurs fois menacé de démolition. Cependant, en 1964, il fut décidé par la municipalité lyonnaise d’en classer une partie, avec ses voisins du Vieux-Lyon, en secteur sauvegardé. Dans le cadre de la Loi Malraux, promulguée deux ans auparavant, il fut décider d’engager des restaurations des constructions formant le vieux centre, mais celles-ci concernent essentiellement le quartier de Saint-Jean. Le quartier Saint-Georges quant à lui, continue de voir son état se dégrader, avec la perte de près de la moitié de ses commerces et d’un tiers des habitants entre 1950 et 1975, formant un territoire vétuste, laissé pour compte, dans lequel va s’engager le processus de gentrification. Dans un premier temps, la gentrification prend la forme d’une évolution extrêmement marquante de sa population. Authier révèle les chiffres de l’INSEE pour le recensement de la population des années 1975 et 1982. En 1982, on note 29 J-Y. Authier, « Formes et processus de ségrégation dans les quartiers anciens centraux réhabilités. L’exemple du quartier Saint-Georges à Lyon », Sociétés Contemporaines, 1995, vol. 22, p.107-125.
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que près de 60 % des habitants déclarent avoir eu un autre logement en 1975 ce qui témoigne d’une arrivée massive de population. Les catégories socioprofessionnelles varient également : la proportion de cadres et professions intellectuelles supérieures passe de 5,2 % à 19,1 % tandis que le pourcentage d’ouvriers chute à 21,9 % alors qu’il avoisinait 45 % en 1975. D’après les données récoltées par Authier30, on doit toutefois souligner que les personnes arrivées dans ce laps de temps ne sont pas représentatives de la classe moyenne supérieure « traditionnelle ». En effet, ces personnes ont toute pour point commun d’exercer un travail qui ne sert pas la production de biens et services, mais fait appel à des compétences sociales (enseignement, santé, musique, profession libérale de l’aménagement). Ces « gentrifieurs » peuvent être regroupés en trois catégories : -- « accédants culturels » : jeunes couples salariés accédant à la copropriété, cultivés, disposant de choix multiples pour s’installer ; ils choisissent le quartier pour son caractère historique, convivial, donc par intérêt culturel. -- « accédants techniques » : ménages d’actifs, moins jeunes, apparentés à une classe sociale plus basse que les précédents : ils trouvent dans ce quartier des biens leur permettant d’accéder à la propriété contre travaux (donc par intérêt fonctionnel), souvent car l’accession en logement neuf leur est presque impossible. -- « nouveaux locataires » personnes seules, jeunes, issues de milieux sociaux divers, souvent étudiants avec un emploi précaire dans l’art ou du spectacle, les logements bon marché les attirent, ainsi que la concentration de personnes dans la même situation qu’eux, créant ainsi un espace de vie convivial. La plus grande partie d’entre eux quittera Saint Georges une fois que leurs revenus leur permettront d’accéder à la propriété. Il s’agit d’une appropriation transversale et non linéaire d’un quartier qui séduit ces différents profils sociaux par, d’un côté, sa singularité architecturale et la diversité de logements qui en découle ; et de l’autre, par sa position intermédiaire entre le quartier de la Croix-Rousse, devenu le foyer des jeunes intellectuels en marge,
30 160 ménages ont fait l’objet d’un entretien, dont 14 qui se sont installés dans le quartier de Saint Georges lors de cette période charnière
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et le quartier de Saint-Jean, où les yuppies31 se sont installés. Ces changements affectent essentiellement le Nord du quartier. Dans un second temps, la gentrification va se développer grâce à l’appui des pouvoirs publics, et ce pour plusieurs raisons : continuer les opérations de rénovation, cette fois dans la partie Sud du Vieux-Lyon, préparer le terrain pour l’extension du métro lyonnais et anticiper la création d’une station de métro sur la rive Ouest de la Saône, endiguer la spéculation à la rénovation des acteurs privés. En 1982, cette intervention se concrétise par la mise en place d’une Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat (OPAH) ; comme ce fut souvent le cas à cette époque dans d’autres villes françaises, dont Strasbourg. Le succès de l’OPAH ne vient que tardivement, grâce à l’intérêt des investisseurs fortunés du caractère historique du lieu, notamment son secteur sauvegardé. Ceux-ci, lyonnais ou non, achètent alors de nombreuses constructions de cette zone géographique, notamment pour tirer avantage de la Loi Malraux qui permet aux propriétaires d’immeubles anciens en secteur sauvegardé de faire défiscaliser les montants engagés dans des travaux de rénovation complète. Cet engouement des investisseurs participa du succès de l’OPAH. 173 logements furent ainsi réhabilités. Toutefois, la partie Sud du quartier Saint-Georges, pourtant très dégradée, ne bénéficia pratiquement pas de cette opération. Cette rénovation a eu pour conséquence d’amplifier le phénomène de gentrification. En 1993, Authier réalise une enquête auprès de 274 personnes résidentes du quartier, dont la moitié vit dans un logement rénové dans le cadre de l’OPAH. 75 % des personnes interrogées ont alors moins de 35 ans, 60 % ont un niveau d’étude supérieur ou égal à BAC+2, les ouvriers ne représentent plus que 12 % de l’échantillon. Malgré ces chiffres qui tendent à confirmer la propagation du phénomène, la réalité démontre d’une progression inégale de celui-ci. La partie Sud du quartier Saint-Georges, la plus éloignée de Saint-Jean, accueille encore un nombre important de ménages à faibles revenus (53,7%). C’est le cas également pour l’Ouest du quartier, au pied de la colline de Fourvière, où près de 42 % des ménages ont alors un revenu considéré comme faible32. Ainsi, la gentrification 31 Le terme yuppies est un acronyme pour « Young urban professional », désignant les jeunes représentants d’un nouvelle classe sociale urbaine, aisée, blanche, employée par la société postindustrielle de biens et de services. 32 Inférieur à 10 000 F pour un couple, inférieur à 5 000 F pour une personne seule.
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s’est étendue aux secteurs qui, à la fin des années 70 puis à l’issue de la réalisation de l’OPAH, étaient déjà les plus favorisés, négligeant les secteurs les moins valorisés, ou dédaignés par l’OPAH. L’enquête d’Authier révèle que cette disparité est étroitement liée à la mobilité des habitants. Ainsi, les personnes établies depuis la fin des années 80 (considérées comme très stables) sont essentiellement des retraités, des ouvriers ou employés et des cadres. À l’inverse, les nouveaux arrivants sont pour la plupart des étudiants ou des professions intermédiaires, et plus d’un tiers d’entre eux a pour projet de déménager (très mobiles). On remarque une concentration de personnes « stables » au Nord du quartier Saint-Georges, et l’inverse est observable au Sud de celui-ci. De plus, 35% de l’échantillon possédait déjà un logement dans ce même quartier, mais plus au Sud, ce qui témoigne d’un flux interne au quartier qui touche les personnes en situation d’ascension sociale. La position extrêmement valorisée et recherchée du Nord du quartier crée une polarité importante au sein de celui-ci. On remarque également que les étudiants, les retraités, les cadres et les professions intermédiaires ont des relations importantes avec le quartier, dans une volonté de vivre pleinement celuici, alors que les ouvriers et employés le délaissent, préférant s’exiler pour leurs loisirs. Cette différence de rapport au quartier renforce les disparités sociales au sein de Saint-Georges. Ce territoire est donc sous l’emprise d’un processus de gentrification complexe et non linéaire, qui crée des sous-secteurs plus ou moins valorisés et morcelle le quartier. En conclusion, Authier nous livre son analyse personnelle des résultats de son étude, confrontés aux théories sur la gentrification. Selon lui, son étude ne valide que partiellement les travaux théoriques ayant pour thème le processus de gentrification, dans le sens ou le renouvellement de population qui est présenté comme la grande conséquence de ce processus n’est pas observable dans tous les secteurs de ce quartier. Ce sont plusieurs types de populations qui se retrouvent au sein d’un même territoire, mais dans des sous-secteurs différenciés, car de meilleure ou de moindre qualité architecturale ou géographique. La situation singulière du quartier Saint-Georges donne sans doute à certaines de ces « disgressions de la gentrification » un caractère exceptionnel ; mais le phénomène dans son ensemble se retrouve dans d’autres quartiers lyonnais et dans d’autres villes françaises. Par exemple, dans le quartier de la Croix-Rousse, toujours à Lyon, les « gentrifieurs »
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ne sont pas très présents en nombre, mais leurs profils singuliers ont donné une orientation durable à l’évolution de ce quartier.
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Chapitre 3 : Le processus de gentrification à Strasbourg
Le processus de gentrification n’est pas un phénomène nouveau à Strasbourg. Son apparition dans la capitale alsacienne a coïncidé avec les différentes politiques d’aménagement des centres qui furent menées dans les villes de province, comme l’illustre l’exemple précédent du quartier Saint-Georges à Lyon. À l’instar de celuici, la mise en place d’une O.P.A.H dans le quartier de la Krutenau concrétisera la volonté d’améliorer le parc locatif du centre-ville de Strasbourg. 3.1. La naissance de la gentrification à Strasbourg : un regain d’intérêt pour le vieux centre.
Fig.1 Plan de la voirie, Grande-Île et quartiers limitrophes.
Après la construction de la Neustadt sous occupation allemande, entre 1871 et 1895, les différentes classes sociales qui cohabitaient jusqu’alors au sein de
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l’enceinte médiévale se trouvèrent désenclavées33 (fig.1). La grande bourgeoisie allemande s’installa entre les parcs de l’Orangerie et des Contades, la petite bourgeoisie commerçante strasbourgeoise trouva son compte dans les quartier au Nord de l’ellipse insulaire, le long de l’Avenue des Vosges, et les classes populaires restèrent dans le centre historique, dont les immeubles anciens, datant du MoyenÂge ou de la Renaissance, étaient devenus, pour la plupart, insalubres. Le Grosser Durchbruch (ou Grande Percée), réalisé en 1913 sur les plans de Fritz Beblo et à l’initiative du Sanierungsfond (commission d’assainissement) mis en place par la municipalité allemande, permet d’apporter une respiration au tissu urbain sinueux et dense, malgré une délocalisation partielle de la population modeste présente auparavant. En effet, c’est dans ce contexte que la cité-jardin du Stockfeld sera érigée afin d’accueillir les familles les plus modestes qui vivaient auparavant dans certains des 135 immeubles détruits au cours de l’opération34. La percée strasbourgeoise (fig.2), réalisée sous gouvernance prussienne, diffère cependant des aménagements urbains du même nom, qui rendirent célèbre le baron Haussmann à Paris. Ainsi, dans la capitale, le plan d’« embellissement stratégique » fit état de considérations non seulement hygiénistes, fonctionnelles et esthétiques, mais également politiques, dans un contexte social tendu qui aboutira à la Commune de Paris en 187135. En effet, l’aménagement de voies rectilignes et aérées permettait de contrôler dans la mesure du possible la survenue d’insurrections en supprimant les recoins et autres ruelles sombres ; tandis que la largeur des voies rendait difficile l’érection de barricades, souvent associées aux manifestations des luttes ouvrières dont Paris fut le théâtre au XIXème siècle36. À contrario, la ville de Strasbourg ne fut jamais le lieu de départ de telles luttes alors que, lors de la réalisation de la Grande Percée, la domination prussienne intervenue
33 P. Gerber, Gentrification et confort postmoderne. Éléments émergents de nouvelles centralités, l’exemple de Strasbourg. Thèse en Géographie, Université Louis Pasteur – Strasbourg I, 2000, p.130 34 S. Jonas, « La cité-jardin du Stockfeld, une réalisation d’économie sociale modèle du Strasbourg 1900 », in E. Chenderowsky, E. Lauthon, L’urbanisme à Strasbourg au XXème siècle ; actes des conférences organisées dans le cadre des 100 ans de la cité-jardin du Stockfeld, ville de Strasbourg, février 2011. 35 A. Clerval, La gentrification à Paris intra-muros : dynamiques spatiales, rapports sociaux et politiques publiques. Thèse en Géographie, Aménagement et Urbanisme, Université Paris I – Panthéon Sorbonne, 2008, p. 91. 36 Idem, p. 81.
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après la fin de la guerre en 1871 est acceptée37 et que la ville se trouve en période prospère. Ainsi, alors que l’haussmannisation est assimilée, et dans la littérature marxiste, et dans les travaux du géographe Neil Smith, grand théoricien de la gentrification, à un signe avant-coureur de l’apparition de ce phénomène, voire même sa première manifestation38, les travaux d’aération du tissu urbain du centre strasbourgeois menés par Beblo ne sauraient être mis en cause dans l’apparition du phénomène de gentrification à Strasbourg, car malgré la délocalisation de certains foyers modestes en raison de la destruction des immeubles insalubres, le centre ancien ne gagna pour autant en popularité ou en prestige à la suite de cette opération, du moins pas sensiblement. Ainsi, les classes populaires restèrent dans le centre historique de Strasbourg, tandis que les populations plus aisées s’installèrent dans les nouveaux immeubles de standing de la Neustadt. La population du centre passa alors de 84 320 personnes en 1895 à 52 069 en 194639.
Fig.2 Plan de percée strasbourgeoise. Archives de la CUS
À la fin de la Première Guerre Mondiale, le déclin du centre est donc entériné, accompagné d’un déplacement des populations pauvres vers les nouvelles cités construites par l’Office de l’Habitat à Bon Marché. Par la suite, les conséquences de la Seconde Guerre Mondiale, notamment les destructions faisant suite aux 37 Grâce à la création d’une constitution propre à l’Alsace-Lorraine qui en fait un Land à part entière ; et à la gouvernance politique constituée de personnes à la fois alsaciennes et « vieillesallemandes », garantissant la représentation des intérêts de chacun au parlement régional, le Landstag. B. Jordan, Histoire de Strasbourg, Éditions Jean-Paul Gisserot, 2006, p. 98. 38 A. Clerval, La gentrification à Paris intra-muros : dynamiques spatiales, rapports sociaux et politiques publiques. Thèse en Géographie, Aménagement et Urbanisme, Université Paris I – Panthéon Sorbonne, 2008, p. 91. 39 H. Nonn, « Les XIIe Journées d’études des économies régionales, Strasbourg », in Revue Géographique de l’Est, année 1963, volume 3, numéro 4, p. 397.
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bombardements alliés, sont l’occasion pour les services d’urbanisme de la ville de Strasbourg de mener des opérations de ré-urbanisation localisées40, notamment des reconstructions à l’identique. Parallèlement, À l’instar de la situation à l’échelle du territoire français, la ville fait face à une pénurie de logements importante qui la mène à adopter le modèle dominant des bureaux d’architecture de l’époque : les cités d’habitat à loyers modérés, formalisées en « barres » et autres « tours », alors très attractives car dotées d’éléments de confort modernes qui n’étaient pas répandus dans l’habitat ancien. C’est par exemple le cas de l’Esplanade, nouveau quartier de 4000 logements édifié en 1958, et qui propose des habitats variés, allant du studio étudiant au penthouse. Le centre se dépeuple, les appartements sont transformés en locaux commerciaux, et la densité de bureaux dépasse celle d’habitants41. La création du campus de l’Esplanade par la municipalité de M. Pfimlin, conjointement à l’urbanisation du territoire éponyme, crée définitivement une nouvelle centralité urbaine à l’Est du noyau ancien, bénéficiant, en terme de liaisons, aux quartiers de la Krutenau et du Neudorf42. Cependant, malgré le dépeuplement qu’elle subit au cours du XXème siècle, la Grande Île de Strasbourg est reconnue pour le patrimoine architectural exceptionnel qu’elle abrite, témoin des différentes strates historiques qui s’y sont succédées, depuis la fondation de la bourgade celte d’Argentorate qui donna son nom au camp romain qui s’y implanta en l’an 12 avant J.C.43, et dont les deux axes principaux ont donné par la suite naissance aux rues du Dôme, des Hallebardes et des Juifs. Cette richesse patrimoniale a été concrétisée par la classification de la Grande Île en secteur sauvegardé dans le cadre de la Loi Malraux, en 1973 ; et a atteint son faîte grâce à l’inscription de ce même secteur au patrimoine mondial de l’UNESCO en 198844. Cette sauvegarde du secteur freine les projets d’urbanisme 40 P. Gerber, Gentrification et confort postmoderne. Éléments émergents de nouvelles centralités, l’exemple de Strasbourg. Thèse en Géographie, Université Louis Pasteur – Strasbourg I, 2000, p.131. 41 En 1962, la densité de travail s’établit à 276,5, tandis que la densité de résidence s’établit à 190. [HONN H., 1963] 42 P. Gerber, Gentrification et confort postmoderne. Éléments émergents de nouvelles centralités, l’exemple de Strasbourg. Thèse en Géographie, Université Louis Pasteur – Strasbourg I, 2000, p.130. 43 B. Jordan, Histoire de Strasbourg, Editions Jean-Paul Gisserot, 2006. p.11 44 Le secteur sauvegardé propose une superficie de 73 Ha, répartis dans un périmètre limité par les rues Brûlée, Sainte Hélène et Grand’rue au Nord. Il englobe, en plus de cette partie de l’ellipse insulaire, la frange Nord du quartier de la Krutenau, s’étendant du quai Finkwiller au quai
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imaginés par la municipalité de l’époque, alors orientés par les problématiques de transports privés, de rénovations franches et d’endiguement de la chute des classes moyennes, dont le plus abracadabrant reste le remblaiement des bras d’eau entourant l’ellipse insulaire pour y construire une rocade45. De plus, au-delà des contraintes de construction que posent la sauvegarde de la Grande île, le patrimoine ainsi revalorisé a pour conséquence d’attirer à la fois de nouveaux habitants au capital culturel développé, intéressés par ce morceau d’histoire soudain révélé et mis en valeur, mais également des touristes supplémentaires attirés par le nouvel intérêt patrimonial de la ville. Ces deux phénomènes ont un impact non négligeable sur l’économie locale, que ce soit par le mode de vie nouveau ou par les exigences d’équipements adaptés qu’ils induisent. Non seulement cela montre l’aspect mercantile que peut avoir la sauvegarde d’un élément patrimonial et, par cette démarche, l’officialisation de celui-ci comme partie d’une histoire ou d’une culture ; mais cela crée des tensions entre différents groupes sociaux en raison de l’aspect économique qui y est intégré et qui peut induire un sentiment de dépossession chez les groupes sociaux peu favorisés qui s’identifient à cet élément patrimonial46. Ce point est mis en lumière par Maximiliano Soto, dans sa thèse soutenue en 2012. Celle-ci porte sur les dynamiques qui accompagnent les processus de patrimonialisation dans les quartiers péri-centraux, et comporte, entre autres cas, l’étude du quartier de la Krutenau et de la protection de son bâti ancien. Dans ce dernier cas, la sauvegarde des immeubles médiévaux du Nord de la Krutenau a été le point de départ d’un engagement associatif fort, paradoxalement suivi, en grande majorité, par des habitants récemment installés et possédant un pouvoir d’achat élevé ; donc précisément le profil d’habitant qui n’était pas logé dans ce type de bâti avant sa réhabilitation. Cet engagement associatif a permis de tisser des liens sociaux forts entre ces représentants d’une même classe sociale des Bateliers. À contrario, le secteur patrimonialisé de l’UNESCO reprend le contour exact de la Grande-Île. 45 P. Gerber, Gentrification et confort postmoderne. Éléments émergents de nouvelles centralités, l’exemple de Strasbourg. Thèse en Géographie, Université Louis Pasteur – Strasbourg I, 2000, p.195. 46 M. Soto, Conflits, usages et représentations des processus de patrimonialisation des quartiers anciens péricentraux : étude comparée de Bâle, Strasbourg et Valparaiso. Thèse en sociologie urbaine, Université de Strasbourg, Centre de Recherches et d’Etudes en Sciences Sociales (CRESS), 2012.
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nouvellement présente dans le quartier, renforçant leur présence et leur légitimité à faire partie du profil social actualisé du quartier. La sauvegarde du patrimoine a donc également l’effet pervers d’encourager le renouvellement de la population par l’embellissement et la valorisation d’un bâti ancien présentant un intérêt historique et culturel. Les nouvelles perspectives qu’amène la création du secteur sauvegardé envisagent notamment le curetage, ou la restauration lorsque son état l’exige, du bâti ancien et la mise en place d’équipements de confort et d’hygiène actuels. La construction du centre commercial de la Place des Halles de 1972 à 1979, offrant commerces, bureaux, hôtels, parkings et équipements socio-culturels, apport une première dynamique de relance ; complétée par la suite par la mise en place d’une O.P.A.H. en 1982 du quartier de la Petite France, et qui fait suite à celle menée à la Krutenau en 1978. Des pans entiers du centre historiques se voient réhabilités47, 338 logements aux normes actuelles sont ainsi remis sur le marché privé et 130 sur le marché de l’habitat social à la Petite France. La conséquence directe de cette opération se ressentira dans les loyers, devenus trop cher pour les primohabitants (majoritairement des personnes âgées et des travailleurs immigrés) qui se voient forcés de trouver un logement plus abordable, remplacés par des nouveaux habitants plus aisés48. Dans le quartier de la Krutenau, l’Office H.L.M reprend la gestion de 450 logements, et les initiatives locales et groupements de riverains permettent la mise en place de nombreuses réhabilitations n’entraînant pas l’inflation des loyers et contrecarrant la spéculation foncière à l’œuvre dans les quartiers centraux49. Faisant suite à cette vague de réhabilitation, la construction du réseau de tramway en 1994 après des concertations initiées près de 25 ans plus tôt renforce l’attractivité des territoires qu’il traverse. En effet, pensé en site propre et accompagné d’une valorisation des mobilités douces (notamment par la piétonnisation de certaines 47 En 1954, le quartier de la Petite France est surpeuplé à 62 % et près de la moitié des logements ne possèdent pas de sanitaires. En 1965, 5/8èmes du territoire de la Krutenau sont considérés comme abritant des constructions vétustes. H. Nonn, « Strasbourg et sa Communauté urbaine », in Revue Géographique de l’Est, Année 1984, Volume 24, n°4, p. 369. 48 P. Gerber, Gentrification et confort postmoderne. Éléments émergents de nouvelles centralités, l’exemple de Strasbourg. Thèse en Géographie, Université Louis Pasteur – Strasbourg I, 2000, p.197. 49 Idem, p. 198.
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voies) ; le projet se veut le moteur d’un nouveau mode de pratique des villes par le cheminement piéton et la flânerie50, générant des interactions urbaines inédites et proposant une ville « ouverte, accessible, [pour] partager notre patrimoine avec tout le monde »51. En réalité, le tracé en étoile des lignes de tramway construites à partir de 1994 renforce le rapport de force centripète entre le noyau urbain et sa périphérie, créant un mouvement unidirectionnel d’attraction du périurbain vers le centre. Malgré son succès dans les mobilités strasbourgeoises52, le pari du brassage entre habitants centraux et banlieusards n’est pas tenu, et le clivage se poursuit avec une fréquentation du tramway plus élevée le week end, démontrant d’usages non périodiques. Le caractère dominant du noyau historique est renforcé. Or, il est important de rappeler que l’ensemble de ces projets visant à améliorer les mobilités et la qualité de vie (par la disparition des voitures et donc, de la pollution, du danger et des nuisances sonores) du centre ville de Strasbourg ont été réalisés à l’initiative de la ville de Strasbourg qui, au-delà de l’altruisme dont elle peut faire preuve à l’égard de la situation des habitants de l’ellipse insulaire, a un intérêt financier à voir se redynamiser son centre autour de loisirs et de commerces, mais également de logements de qualités qui attireront des profils aisés. L’apparition du processus de gentrification dans les quartiers centraux de Strasbourg et sa propagation aux quartiers plus périphériques est donc à associer clairement à l’action des différentes politiques publiques sur les thèmes de l’urbanisme, du logement et de la mobilité.
3.2. Confirmation du phénomène et aspiration à un confort postmoderne Philippe Gerber démontre dans sa thèse que ce caractère centralisé n’est pas sans encourager une certaine forme de gentrification. En effet, les individus de tous types de milieux sociaux sont à la recherche d’une situation de confort résidentiel mise en place par les différentes phases de réhabilitation du bâti, ainsi que d’un confort d’appareillage, facilité par l’expansion constante de la société de consommation. 50 Idem, p. 139. 51 Propos de Catherine Trautmann, Maire de Strasbourg de 1989 à 1997 dans Le Monde du 24 février 1992. 52 Accroissement de plus de 40 % des usagers des transports en commun entre 1994 et 1995 (chiffres de la CUS de la même année).
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En revanche, la notion de « confort discret »53, additionnée aux deux précédentes, et par laquelle le confort moderne, qui repose sur des éléments matériels, est transcendé afin d’arriver à la notion de confort postmoderne - qui définit une vision qualitative de l’environnement de vie – est devenue un élément central dans l’établissement des critères de recherches d’appartement pour les classes sociales citadines54 plus élevées. Cette prédominance de la population urbaine présuppose un besoin particulier lié à l’épanouissement des individus en rapport avec leur cadre de vie qui serait semblable au phénomène de « personnalisation » par lequel des ménages aisés s’installent en maison individuelle. En revanche, compte tenu de la capacité des espaces urbains à offrir une concentration de services, on peut admettre le caractère atypique de ce besoin, tout en le reliant au désir de confort postmoderne caractéristique de la société post-industrielle. La gentrification est, selon Philippe Gerber, directement liée à ce besoin et s’inscrit pleinement dans le phénomène de sectorisation déjà initié par le développement de zones péri-urbaines pour les personnes souhaitant profiter d’un habitat individuel proche d’une ville. Le concept de qualité de vie et ses caractéristiques sous-jacentes sont variables selon les individus, et dépendent également des évolutions de la société dans lesquelles ceux-ci s’inscrivent. Les attentes du confort postmoderne sur ce sujet s’inscrivent dans une évolution sociale forte qui voit émerger une forte volonté d’indépendance des jeunes adultes. Les données statistiques sur le mariage permettent de corroborer l’hypothèse d’un changement de société important. Alors que 417 000 mariages étaient célébrés en 1972, on n’en enregistrait plus que 231 200 en 2013, soit une baisse de 55 %. En outre, l’âge moyen lors d’une première union en 2013 est de 30,5 ans pour les femmes et de 32,3 ans pour les hommes55, contre respectivement 22,4 et 24,4 en 197056. La population ainsi émergente de 53 P. Gerber distingue la notion de confort résidentiel, englobant les éléments internes d’un logement et leurs équipements standards, le confort d’appareillage les objets, appareils, aménagements issus de la société de consommation et qui permettent à l’individu d’accéder à un sentiment de bien-être. Selon lui, ces deux éléments constituent le confort moderne. Le confort discret repose sur des éléments matériels et immatériels qui garantissent un qualité de vie optimale au sein d’un environnement plaisant, dépassant le cadre bâti du logement. P. Gerber, Gentrification et confort postmoderne. Éléments émergents de nouvelles centralités, l’exemple de Strasbourg. Thèse en Géographie, Université Louis Pasteur – Strasbourg I, 2000, p.54. 54 En 2008, la France compte 78 % d’urbains (INSEE Première n° 1374) 55 V. Bellamy, « La nuptialité la plus basse depuis 1950 », INSEE Focus n°18, 12/02/2015. 56 P. Gerber, « Processus de gentrification et demande sociale citadine. L’exemple du centreville de Strasbourg », Revue géographique de l’Est [en ligne], vol. 39 / 2-3 | 1999. Mis en ligne le
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jeunes gens célibataires ou en couple sans enfants présente des attentes nouvelles, orientées vers les loisirs diurnes et nocturnes, qui se concentrent davantage dans les centres et ont une influence sur le choix du logement. Ces différenciations ont caractérisé le développement du quartier de la Krutenau à la fin du XXème siècle. Les loyers abordables et la proximité avec l’université ont attiré de nombreux étudiants, apportant un dynamisme certain. Les réhabilitations ont permis d’apporter du cachet dans l’offre immobilière de la Krutenau, permettant à des ménages au budget plus élevé de s’y installer et d’en renforcer l’attractivité, tout en maintenant la vie de quartier grâce au maintien d’un tissu associatif très présent. En effet, outre les différentes politiques menées par la municipalité strasbourgeoise pour valoriser ce secteur (classement en secteur sauvegardé, O.P.A.H), c’est la « demande sociale citadine »57 manifestée par les nouveaux arrivants qui a validé et entériné le processus de gentrification à l’œuvre. Cette demande sociale citadine exprime l’ensemble des souhaits des acteurs de la gentrification qui les ont conduit à s’installer dans un quartier en gentrification. Ces souhaits couvrent les échelles du logement, du quartier et de la ville (et surtout de son centre). Dans l’étude de Philippe Gerber, menée en 1999 sur le « grand centreville » strasbourgeois58, plusieurs paramètres sont étudiés : motivations à s’installer dans le logement, à la quitter si tel est le cas ; choix du quartier par rapport à ses limites, ses apports, son aspect/ambiance, les attentes non comblées. Il ressort des différents questionnaires que les individus interrogés expriment leur souhait de voir le centre-ville de Strasbourg témoigner d’un certain prestige, notamment les étudiants, les retraités et les cadres et professions intellectuelles supérieures, notamment par rapport aux autres villes françaises59. De plus, le traitement des résultats de l’enquête montre que la demande en équipements commerciaux et de loisirs est très tranchée selon les catégories socio-professionnelles auxquelles appartiennent les individus. Ainsi, les étudiants et les jeunes expriment une forte demande de regroupement central et multiple de ces équipements ; un souhait qui 5/09/2013, consulté le 02/04/2017. 57 Idem. 58 Le périmètre étudié comprend l’ellipse insulaire, les quartiers de la Krutenau, Esplanade, Robertsau, Orangerie, Neustadt, Halles, Gare, Hôpital. Il exclut les faubourgs tels que le Neudorf ou Cronenbourg. Cette délimitation correspond à l’emprise de Strasbourg au début du XXème siècle. 59 63 % des individus (échantillon de 108 personnes) reconnaissent ce souhait. Parmi eux, seuls les retraités expriment l’importance de la prédominance du centre-ville par rapport aux autres quartiers de la ville de Strasbourg.
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ne se retrouve pas parmi les autre catégories socio-professionnelles. Ceci tend à montrer que la gentrification est animée avant tout par les jeunes générations, qui attirent par la suite de nouvelles populations de classe moyenne ou aisée60. Dans la conclusion de sa thèse, Philippe Gerber montre que, dans le contexte de fin du XXème siècle où le marché du logement français présente non plus une crise de pénurie mais une crise identitaire, notamment dans les banlieues, l’habitat est devenu une source d’identification socio-culturelle pour ses habitants.61. Les nouvelles classes sociales jeunes et aisées se sont ainsi installées à partir de la décennie 1980 dans les quartiers autrefois populaires et à majorité d’immigrés qu’étaient l’hypercentre et la Krutenau en profitant de la nouvelle offre de logements réhabilités et de la proximité d’un nombre important de services. Leur installation ont généré un départ des populations auparavant majoritairement représentées (ouvriers, employés, populations immigrées) vers les faubourgs attenants au périmètre étudié. La présence d’un parc social permet à certains individus des classes populaires de se maintenir dans le centre-ville62. La dichotomie entre les quartiers historiques et la Neustadt, en termes d’occupation socio-professionnelle et de revenus, tend à disparaître. En revanche, les structures d’âges entre ces deux territoires se détachent de manière importante ; avec une population majoritairement âgée de 50 et plus, les « beaux-quartiers » de la Neustadt, l’Orangerie et la Robertsau s’opposent aux quartiers gentrifiés de l’hypercentre et de son Sud-Est, dont la population est jeune, récente et dynamique. Les données statistiques récentes (INSEE 2013) corroborent ce constat formulé par P. Gerber en 2004 : les IRIS correspondant au découpage du premier processus de gentrification, l’Hypercentre et la Krutenau, présentent des typologie d’habitants majoritairement jeunes (18-39 ans sur-représentés) ; composées en ménages d’une personne, célibataire. Au plus haut, ce sont 25 % des populations qui y sont installées depuis 10 ans ou plus ; ce qui montre que le renouvellement initié dans les années 80 s’est poursuivi, faisant de ces quartiers des lieux très dynamiques et en évolution permanente. Les ménages sans voiture représentent 42 à 69 % de la population de ces quartiers, 60 P. Gerber, « Processus de gentrification et demande sociale citadine. L’exemple du centreville de Strasbourg », Revue géographique de l’Est [en ligne], vol. 39 / 2-3 | 1999. Mis en ligne le 5/09/2013, consulté le 02/04/2017 61 P. Gerber, Gentrification et confort postmoderne. Éléments émergents de nouvelles centralités, l’exemple de Strasbourg, Thèse en Géographie, Université Louis Pasteur – Strasbourg I, 2000, p.501. 62 Idem, p. 253.
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montrant une tendance au développement des relations intra-urbaines, un style de vie citadin et une prédilection pour les transports doux. Cette population se répartit majoritairement entre les cadres et professions intellectuelles supérieures et les professions intermédiaires. Avec l’ouverture de nombreux commerces depuis le début de l’année 2016 ; dont une boutique d’alimentation biologique, un boutique en vrac labellisée « zéro déchets » et deux établissement de restauration qui ne servent plus de boissons chaudes après 17 heures dans l’objectif à peine caché de « changer de clientèle »63, les conséquences commerciales de la gentrification sont concrètement observables, recoupant les modèles qui ont servi à définir le phénomène en France et aux Etats-Unis et qui ont été exposés dans la première partie de ce travail.
3.3 La diffusion du phénomène vers les anciens faubourgs Malgré l’état de gentrification définitif des quartiers correspondant à l’hypercentre et à la Krutenau, le phénomène n’a pour autant pas disparu de la capitale alsacienne (fig. 3). Depuis le début de la décennie 2000, il est fortement perceptible au sein du quartier de la gare, qui présente un paysage fortement hétéroclite où classes populaires et immigrées cohabitent avec jeunes actifs « bobos »64. Ancien faubourg très dense, le quartier de la gare va bénéficier du plan Conrath de 1880, dans le cadre duquel son tissu sera aéré et son urbanisme repensé autour de la nouvelle centralité créée par la gare, édifiée en 1883 ; avec des rues en pattes d’oies qui en rayonnent et un système de boulevards assurant la liaison avec le reste de la 63 Comprendre par là l’éviction de ces établissements des personnes à revenus modestes et des sans domiciles fixes qui avaient pour habitude de fréquenter les établissements, plus populaires, qui occupaient les locaux commerciaux auparavant, par accord tacite avec les anciens tenanciers. P. France, « Place d’Austerlitz, quand les cafés ne servent plus de cafés... », Rue89 Strasbourg, publié le 23/08/2016, consulté le 03/04/2017. http://www.rue89strasbourg.com/cafes-placeausterlitz-111218 64 « contraction de l’oxymore ‘bourgeois-bohème’[…]. Elle désigne une catégorie assez floue de personnes, qui se distingueraient essentiellement par leurs choix de consommation, que ce soit pour la décoration de leur logement, leur alimentation ou leurs loisirs. […] les gentrifieurs correspondent principalement à ceux que l’on désigne comme ‘bobos’. Résider dans [des] quartiers centraux réhabilités est presque devenu un critère d’appartenance à cette catégorie de personnes. » A. Clerval, « Les bobos, critique d’un faux concept, à propos du livre de D. Brooks, Bobos in paradise (2000) », Cybergeo : European Journal of Geography, Revue de livres, mis en ligne le 17/03/2015, consulté le 04/04/2017.
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1980
1995
2000
Fig.3 Dynamiques de propagation de la gentrification.
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2010
ville, à l’emplacement des anciens remparts. La liaison avec le vieux centre est parachevée en 1915 avec la réalisation de la Grande Percée de Strasbourg par la rue du 22 novembre. Au cours du XXème siècle, en raison du développement de l’automobile, le quartier devient le théâtre du trafic routier incessant entre la ville de Strasbourg et ses couronnes. À partir de la fin des années 1980, le quartier de la gare sera donc un terrain de mise en œuvre de la politique de Catherine Trautmann, du Parti Socialiste, élue en 1989, qui s’oriente autour de la piétonnisation et de la construction d’un réseau de tramway. La place de la gare, devenue gigantesque parking avec les évolutions consécutive au développement de la voiture, redevient arborée et verte, et la gare intègre une dimension multimodale avec la création de la station de tramway éponyme en 1993, à 17 mètres de profondeur sous le bâtiment de la SNCF. De plus, un dispositif de parkings relais et de pistes cyclables vient compléter cette offre dont le but est de décongestionner Strasbourg. C’est avec l’ajout d’une nouvelle ligne en 2000 que le quartier profite véritablement de cette nouvelle infrastructure, qui le traverse désormais de part en part65. Un autre élément générateur de gentrification, qui joua un rôle important dans le développement de ce processus au sein du quartier de la gare à Strasbourg, fut les différentes actions de réhabilitation ou d’étoffement du tissu urbain entreprises par des acteurs moraux publics ou privés. L’impulsion fut donnée par la réalisation de l’O.P.A.H réalisée sur le territoire entourant la gare entre 1988 et 1991. Cette opération urbaine permis la réfection de nombreuses façades ainsi que la réhabilitation de logements insalubres et leur équipement en dispositifs de confort moderne, tout en conservant leur aspect originel. À la suite de cette intervention importante, de nombreuses opérations sont construites, à la fois sous l’égide de bailleurs sociaux que d’organes de promotion immobilière privés, et sous des formes diverses. En effet, ces opérations prendront la forme de réhabilitations comme de constructions neuves, ou alors allieront les deux. Les différentes mobilités sont repensées afin de faciliter les modes de déplacement doux : tramway C en site propre et ligne de bus à « haut niveau de service », c’est-à-dire à fréquence élevée et site propre également, le long du Boulevard 65 Avec la création des lignes B et C, le tramway dessert le quartier gare par trois fois : aux stations Faubourg National, Musée d’Art Moderne et Laiterie. Auparavant, la station située en dessous de la gare servait principalement aux voyageurs en transit, sans bénéficier véritablement aux riverains. E.Weiner, Le quartier de la gare à Strasbourg : un quartier populaire face à sa gentrification, Mémoire de recherche en architecture, École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, 2013, p. 13.
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Wilson ; traçage de pistes cyclables. Le quartier acquiert également une visibilité institutionnelle grâce à l’installation du siège du conseil général du Bas-Rhin, et commerciale avec la construction du centre commercial de la Place des Halles. Enfin, des édifices publics d’envergure ponctuent ce paysage et apportent une offre culturelle, notamment grâce au Musée d’Art Moderne et Contemporain ou au complexe autour de la Laiterie, du Hall des Chars et du Molodoï66. Cet îlot est devenu un pôle important de la culture, signe que celle-ci n’est plus tant cantonnée au centre que diffusée au cœur des différents quartiers, vecteur de lien social. Là encore, l’hégémonie de la ville dans la plupart des projets évoqués, et dans d’autres, comme la Magistrale Piétonne, dont le tracé a transfiguré la rue du Maire Kuss, est indubitable. Les grands chantiers urbains, notamment de requalification du parc immobilier du quartier de la gare, sont une priorité du mandat de M. Ries67. Tout en conservant une politique sociale en suivant, voire outrepassant les quotas de logements aidés dans les projets urbains, la municipalité s’inscrit dans le processus d’amélioration de l’habitat, favorisant ainsi le processus de gentrification. Les évolutions infrastructurelles et urbaines qui ont marqué le développement du quartier de la gare dans la décennie 1990 ont eu pour résultante des mutations profondes de l’appareil social et économique du territoire, modifiant son image auprès des habitants et de l’extérieur. Le quartier, à domination historiquement populaire68, voit ses catégories de populations à revenu élevé augmenter significativement au cours de la période intercensitaire de 1999-2009 (+4,5 % pour les cadres et professions intermédiaires supérieures). L’offre de services est également impactée par ces mutations, avec l’implantation en 1987 et l’agrandissement en 2013 de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg, à deux pas de la gare, suivie par l’ENA, l’Institut de formation en soins infirmiers et des écoles d’arts appliqués et de commerce privées (MJM Graphic Design, LISAA, Estudia). Ces écoles favorisent l’apparition d’entreprises issues ou inspirées soit par les nouvelles technologies, soit par les arts, qui apportent 66 Comprenant une salle des musiques actuelles et contemporaines, une salle de spectacle autogérée, un théâtre et d’autres lieux de représentation et de création artistiques, au sein d’une friche industrielle qui abritait autrefois une laiterie, une semencerie et des entrepôts désaffectés. 67 E.Weiner, Le quartier de la gare à Strasbourg : un quartier populaire face à sa gentrification, Mémoire de recherche en architecture, École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, 2013, p. 37. 68 idem, p. 15.
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avec elles des personnes souvent très formées, au capital intellectuel élevé et appartenant à cette nouvelle économie des services, dont j’ai précédemment mentionné qu’elle favorisait, selon Sassen, l’apparition du phénomène de gentrification. Cette tendance est corroborée par les statistiques faisant état de la composition des ménages sur cette même période intercensitaire, avec une augmentation démographique de plus de 10 %, dont la moitié de personnes âgées de 20 à 39 ans69. Il est intéressant de noter que, bien qu’étant la résultante des changements urbains évoqués précédemment, ces évolutions de la structure sociale du quartier font également montre d’un phénomène également typique du quartier, mais moins évident à identifier, qui prend la forme d’initiatives individuelles. En effet, dès la fin des années 90, les artistes trouvent différents points de chute au sein de ce quartier populaire alors bon marché, profitant des arrières-cours et des édifices désaffectés qui offrent un volume spatial important à investir. Leur installation va générer une aura70 culturelle qui va achever d’attirer71 de nouveaux ménages à revenus en progression et à fort capital culturel72. La nouvelle vocation artistique du quartier est toujours perceptible aujourd’hui, autour de l’îlot Laiterie, et dans les îlots du plan Conrath formant les limites de la place de la Gare. On y observe des lieux dédiés aux arts urbains, comme l’hôtel Graffalgar, des galeries d’art indépendantes, et des œuvres d’art « sauvages », graffitis et autres manifestations de street art. Le processus de gentrification est particulièrement identifiable dans ce sous-secteur très dynamique – on y retrouve une ambiance de « village urbain » grâce aux rues aérées mais suffisamment peu fréquentées pour y circuler à pied ou à vélo, au tissu hétéroclite mais plein de charme, à la présence de végétation et à la faible hauteur des immeubles, mais est toujours à l’œuvre, de manière moins
69 Données statistiques de la CUS, 2011. 70 E.Weiner, Le quartier de la gare à Strasbourg : un quartier populaire face à sa gentrification, Mémoire de recherche en architecture, École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, 2013, p. 19. 71 « [Les artistes] n’y sont pas seulement une population nouvelle, mais lancent des évènements qui attirent à leur tour d’autres populations, contribuent à faire connaître un quartier et à en changer l’image (notamment dans les médias). » A. Clerval, Paris sans le peuple, la gentrification de la capitale, La Découverte, Paris, 2013, p. 124. 72 Idem, p. 126.
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visible, dans d’autres territoires qui gardent un esprit faubourien plus présent et où la voiture a toujours une place importante. En effet, la partie Sud-Est du quartier, structurée autour des boulevards de Lyon et de Nancy, et qui fut planifiée dans le cadre du plan Conrath, tranche avec le sous-secteur des abords de la gare par sa rigueur architecturale, ses façades monochromes et ses voies de circulation larges (trois voies de part et d’autre d’un terre-plein central dédié au stationnement automobile). Toute cette partie n’est malheureusement pas ou peu équipée en pistes cyclables et les voies piétonnes sont ponctuées de franchissement d’axes routiers ou de tramway. Les commerces y sont peu nombreux et regroupent essentiellement des alimentations générales et des restaurants de cuisine variées, reflets des différentes communautés qui furent ou sont présentes au sein du secteur. Celui-ci est également caractérisé par une proportion importante de logements en locatif HLM, en augmentation sur la dernière période intercensitaire73, qui affirme le caractère plus populaire et en recherche de mixité de ce territoire. Le passage automobile généré par les boulevards, la localisation en périphérie de l’ancienne emprise de Strasbourg (le long du tracé Ouest du glacis, où passent actuellement l’autoroute A35 et les lignes de chemin de fer) et la proximité de la gare encouragent le développement d’une vie parallèle rassemblant différentes catégories de personnes que certains sociologues identifient comme « marginalisées »74, c’est-à-dire des prostituée-s, des personnes sans domicile fixe, ou en état de dépendance. Malgré des apparences quelque peu sordides, la gentrification poursuit son œuvre au sein de ce sous-secteur également, avec des indices moins visibles mais néanmoins sans appel. Tout d’abord, les données statistiques fournissent des indicateurs de l’apparition de phénomène avec l’augmentation de la tranche d’âge 20-39 ans, qui devient majoritaire (+6,6%), et une hausse importante de la part des cadres et professions intellectuelles supérieures (+10 % sur le secteur Laiterie, contre 4,5 %
73 40% en 1999 et 49% en 2009 pour ce secteur, contre 3% et 7 % pour les même périodes pour le secteur des abords de la gare. E.Weiner, Le quartier de la gare à Strasbourg : un quartier populaire face à sa gentrification, Mémoire de recherche en architecture, École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, 2013, p. 31. 74 M. Wieviorka, conférence inaugurale du colloque international La reconnaissance des marges, au cœur des dynamiques sociales en France et au Japon, 1/07/2106, Maison franco-japonaise de Tokyo. Texte retranscrit sur https://wieviorka.hypotheses.org/706, consulté le 24/04/2017.
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pour l’ensemble du quartier)75. La part non négligeable de logements en accession (18,5 % en 2009) et le dynamisme apporté par le pôle culturel qui s’est développé autour de la Laiterie explique ces mutations de typologies des ménages. Une autre conséquence largement visible est l’octroi de baux commerciaux à des commerces ou entreprises qui n’étaient pas présentes auparavant dans ce quartier : agences d’architecture, entreprises de sérigraphie, restauration rapide inspirée des dinners américains, cave à vin ; autant de commerces destinés à une clientèle avec un pouvoir d’achat élevé. Ainsi, la gentrification strasbourgeoise poursuit son œuvre au sein du quartier gare, dans une seconde vague débutée à la fin de la première décennie de 2000. Pour autant, le quartier ne s’est pas homogénéisé, contredisant par ce fait la théorie que Smith énonçait en 2003, selon laquelle la gentrification se déroule en trois phases distinctes dans le temps, la dernière étant la phase de stabilisation et de généralisation du phénomène76. Suivant la dynamique énoncée par A. Clerval dans son ouvrage Paris sans le peuple, la gentrification de la capitale, qui décrit le comportement « type » du processus de gentrification sur le territoire français, le phénomène strasbourgeois se diffuse, comme analysé précédemment, depuis l’hypercentre vers sa périphérie, accompagnant l’augmentation des prix du foncier et des loyers. On peut même établir une analogie spatiale entre le développement des phénomènes dans la capitale et à Strasbourg. Le processus parisien débute dans les contreforts des « Beaux-quartiers » de l’Ouest, en 1970, et se déplace vers les anciennes enclaves populaires de la Rive Droite de la Seine, au Nord-est, dans un mouvement incessant77. Dans le même temps, le phénomène strasbourgeois débute dans l’hypercentre, aux portes des quartiers « chics » de la Neustadt, pour se déplacer vers les faubourgs populaires au Sud et à l’Ouest. Dans les deux cas, la gentrification prend son départ aux orées des quartiers bourgeois et s’en éloigne, grignotant les foyers des classes populaires et formant une sorte de dégradé de niveau de vie à mesure que l’on s’écarte de son point de départ. Bien que la progression du phénomène dans le tissu strasbourgeois soit constante, elle n’en est pas moins hétérogène. Deux éléments viennent perturber le front de 75 Données statistiques de la CUS, 2011. 76 Ce point a été développé pour le cas de New York dans l’introduction de ce travail. 77 A. Clerval, Paris sans le peuple, la gentrification de la capitale, La Découverte, Paris, 2013, p.139.
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gentrification et lui font suivre un tracé non linéaire. Tout d’abord, l’implantation massive de logements sociaux en périphérie (îlot Laiterie, le plus éloigné du centre-ville et de la gare), conséquence78 de la première vague de gentrification des abords de la gare, constitue un premier ensemble urbain très fort qui, par sa compacité, résiste à la progression du front de gentrification. La présence d’un parc locatif social ne contredit pas la présence du phénomène ; mais lorsque ces logements sont regroupés au sein d’îlots compacts, sa diffusion en est plus difficile, les critères environnementaux de la gentrification n’y étant pas majoritaires79. Un second frein à l’étalement uniforme du processus réside dans le fait que les populations étrangères ou immigrées ont la capacité de s’organiser en entités communautaires suffisamment fortes pour contrer celui-ci, notamment sur les plan foncier et commercial et associatif. Or, ce type de communautés structure fortement la typologie de population du quartier de la gare80, formant des poches communautaires regroupées autour de coutumes sociales ou commerciales fortement identitaires qui résistent jusqu’à présent au phénomène de gentrification, même dans les zones du quartier où celui-ci est indéniablement présent, comme la rue du Maire Kuss par exemple (commerces possédés par une même famille turque). Dans un certain sens, la communauté des étudiants, qui représente près de 17 % de la population du quartier en 200981, bien que pionnière de la gentrification, adopte un comportement similaire en créant une poche de résistance face à l’embourgeoisement de son environnement, dont elle ne profite pas en raison du niveau faible de pouvoir d’achat de ses membres. Le paradoxe réside dans le fait que, par l’installation d’une communauté étudiante, le profil commercial du quartier aura tendance à se flexibiliser et se renouveler pour accueillir des commerces et
78 A. Bourdin, « Gentrification, un concept à déconstruire », in Espaces et sociétés, 2008/1, n°132-133, p.264. Consulté le 24/04/2017. https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2008-1-page-23.htm 79 Accès aux espaces verts, espaces vacants laissant libres court à l’appropriation, possibilité d’évolution des offres culturelles et commerciales, esprit villageois. 80 E. Weiner, Le quartier de la gare à Strasbourg : un quartier populaire face à sa gentrification, Mémoire de recherche en architecture, École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, 2013, p. 41. 81 Données statistiques par IRIS, comparatif 2009 – 2013. Chiffres de l’INSEE.
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des loisirs plus diversifiés, tout en restant bon marché ou en proposant des tarifs préférentiels (comme par exemple des bars pratiquant l’happy hour). Ces freins à la gentrification contribuent à diffuser une image très populaire du quartier, laissant croire à une situation d’abandon social qui poussa les pouvoirs publics à investir dans du logement social financé grâce à des prêts locatifs sociaux (PLS) permettant un plafond de ressources par personne plus élevé, et donc destiné aux classes moyennes et classes moyennes supérieures82. Ces actions destinées à promouvoir la mixité sociale en attirant ce type de populations dans un quartier considéré comme populaire et trop homogène socialement nient la présence du phénomène de gentrification et l’encouragent indirectement ; permettant sa propagation vers de nouveaux territoires. Les modifications entreprises à la fois par la municipalité, quoi que soient ses intentions, et par les individus « gentrifieurs », modifient durablement l’environnement de vie pré-éminent, de sorte que celui-ci ne correspond plus à l’usage qu’en faisaient les habitants issus des classes populaires qui y résidaient initialement. Le phénomène poursuit donc son avancée, ne s’arrêtant désormais plus devant la zone non aedificandi et ses limites physiques longtemps non questionnées. En effet, le phénomène poursuit son expansion en direction de l’Est et du Sud, se manifestant désormais dans les faubourgs anciennement extérieurs aux fortification de la ville germanique ; qui ont préservé leur caractère populaire, typique des zones limitrophes des grandes villes.
82 E. Weiner, Le quartier de la gare à Strasbourg : un quartier populaire face à sa gentrification, Mémoire de recherche en architecture, École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, 2013, p. 43.
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Strates du temps. Route du Polygone, quartier du Neudorf, Strasbourg. Photographie B. Kuntz
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PARTIE 2. LA GENTRIFICATION ATYPIQUE D’UN QUARTIER PÉRI-CENTRAL : LE NEUDORF À STRASBOURG
Ainsi qu’il a été démontré dans les paragraphes précédents, le phénomène de gentrification est désormais ancré dans la capitale alsacienne ; son apparition coïncidant avec celles de phénomènes semblables dans d’autres villes importantes en France. Depuis, son développement est identifiable selon les différentes étapes qu’il a jusqu’à présent suivies, démontrant ainsi d’une progression en Y. Selon toute vraisemblance, ce mouvement morphologique annonce que le phénomène de gentrification devrait à présent se lire au sein du quartier du Neudorf. Cependant, en raison du caractère atypique de celui-ci, tant au niveau de son développement que de sa superficie et sa composition ; nous verrons que le phénomène y est plus difficilement identifiable que dans d’autres quartiers strasbourgeois où il ne fait aucun doute que celui-ci y a eu une action profonde et durable, quelles qu’en soient les conséquences.
Chapitre 1. De la ferme au faubourg : histoire, développement et limites du quartier du Neudorf.
Pour comprendre les mutations urbaines récentes du quartier, et les contextes qui ont permis leur apparition, il convient de s’attarder sur les particularités que ce quartier présente. Celles-ci se comprennent aisément quand on s’intéresse à l’histoire du quartier, notamment les éléments systémiques qui ont guidé son développement, et contribué à forger son identité, qui se distingue par sa singularité et son fonctionnement atypique.
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Fig.4 Localisation du Neudorf au sein de l’EuromÊtropole de Strasbourg.
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1.1. Un territoire complexe et multipolaire Le quartier s’étend sur une superficie de 350 hectares, au Sud du centre ancien de Strasbourg (fig. 4). Il est bordé par les quartiers de la Krutenau et de l’Esplanade au Nord, du Port du Rhin et de la Musau83 à l’Est, du Neuhof et de la Meinau au Sud, et par l’Elsau et la Montagne Verte à l’Ouest. En dehors de ces limites administratives, on trouves des frontières infrastructurelles qui encerclent, en quelque sorte, ce territoire. Au Nord, le vide laissé par l’ancien glacis, occupé en partie par le bassin d’Austerlitz où se trouvaient les infrastructures portuaires avant leur déplacement le long du Rhin, fait apparaître une pause urbaine qui signifie le passage entre l’ancien centre et ses faubourg. À l’instar de cette situation, le passage de la voie ferrée sur talus (fig. 6) qui relie la gare de Strasbourg à celle d’Offenburg, en Allemagne, via la Meinau et Kehl, crée également une rupture du paysage construit ; hormis le long des grands axes routiers et de tramway que sont l’avenue de Colmar et l’avenue du Neuhof. Cette voie ferrée sépare également la partie Ouest du Neudorf de la zone industrielle de la plaine des bouchers et le nœud autoroutier reliant l’A35 à la nationale menant à Kehl. À l’Est, le quartier s’efface au profit des bassins portuaires accueillant divers équipements et infrastructures qui y sont liés. La mise en œuvre du projet « Deux-Rives » fera cependant émerger, à terme, une continuité urbaine vers le quartier du Port du Rhin et l’Allemagne. Ces éléments morphologiques créent l’impression que le territoire est très tourné sur lui-même, et offre peu d’interactions avec les quartiers qui lui sont limitrophes. À cela se rajoutent les quelques 40 mille habitants que ce territoire péri-central abrite, et qui font du Neudorf le quartier le plus peuplé de Strasbourg, et paradoxalement, celui qui semble le plus indépendant géographiquement et socialement. La représentation mentale qu’ont les habitants de leur quartier est conforme à ce relevé, du moins en terme de limites. « [Le quartier] a été créé par des limites naturelles et infrastructurelles, le canal au Nord et la voie ferrée au Sud. Qui passait d’ailleurs au milieu auparavant et qui,
83 Bien que la Musau soit et le Neudorf soient administrativement regroupés en une seule entité, j’ai considéré que, la Musau étant une enclave à laquelle on n’accède que via une voie routière, sa situation géographique la rendait, du moins pour les Strasbourgeois, indépendante du quartier du Neudorf.
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dans les années 1900-1905, a été décalée vers le Sud pour agrandir Strasbourg à l’époque allemande. »84 Le quartier est unanimement considéré non pas comme un ensemble homogène, mais comme un « agglomérat de quartiers »85, une « mosaïque »86. Difficile de s’y retrouver ? Il semble que non, car les résidents s’identifient plus à leur secteur (parfois composé de quelques rues, regroupées autour d’un arrêt de tramway par exemple) plutôt qu’au quartier dans son ensemble – ou plutôt son absence d’ensemble. Les sous-quartiers marquants (fig. 5) sont par exemple l’îlot SaintUrbain, qui se développe entre le contournement Sud et l’ancien site portuaire, et l’avenue Jean Jaurès ; l’îlot Lombardie, traversé par le tramway A entre les stations Etoile Bourse et Schluthfeld ; le petit centre formé autour de la place du Marché ; les rues autour de la place du Schluthfeld ; l’ancien Ratzendörfel, et le pôle formé autour des stations Jean Jaurès et Aristide Briand, à l’Est. Le Neudorf fonctionne comme un petit microcosme de près de 40 mille âmes. Certains s’osent même à dire que, si le quartier devait un jour s’émanciper du vaisseau-mère strasbourgeois pour devenir une commune à part entière, elle en deviendrait la seconde plus peuplée du Bas-Rhin. Cette contextualisation fut bien sûr évoquée sur le ton de la plaisanterie lors de mes entretiens avec les habitants. En effet, Le Neudorf reste avant tout le plus grand des « satellites » de l’hypercentre ; et malgré son peuplement et son fonctionnement autonome, son attractivité dépend complètement de sa position géographique avantageuse, renforcée par une liaison en transports en commun efficace et un coût moindre. Mais avant d’expliciter ce point, il me semble important de s’attarder sur les faits historiques qui ont conduit à la constitution de ce conglomérat d’ambiances urbaines qui constitue le Neudorf.
84 Propos tenus par Gilles Huguet lors d’un entretien avec lui et le vice président de l’ARAN, Georges Hildwein, le 13/03/2017. 85 Expression d’Emmanuel Marx, président de l’association Eco-Quartier Strasbourg, lors d’un entretien le 03/05/2017. 86 Propos d’Eric Chenderowsky, directeur du service Urbanisme et Territoire de la Ville de Strasbourg / Eurométropole, lors d’un entretien le 29/03/2017.
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Fig. 5 Plan du quartier et de ses sous-ensembles avec le tracĂŠ des IRIS.
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7 8 1. Heyritz
8. Ratzendörfel
2. Étoile
9. Jean Monnet - Ribeauvillé
3. Presqu’île Malraux
10. Jean Jaurès
4. Saint-Urbain
11. Aristide Briand
5. Place du Marché
12. Danube
6. Schluthfeld
13. Citadelle
7. Ziegelau - Orphelinat
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Fig. 6 : la voie ferrée sur talus qui ceint le quartier sur ses côtés Est et Sud.
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1.2. Histoire et développement du quartier du Neudorf À l’origine, le territoire sur lequel s’étend le quartier du Neudorf était une grande plaine marécageuse en dehors des fortifications médiévales de la ville, qui ceignaient l’ellipse insulaire et l’actuel quartier de la Krutenau. Cette vaste plaine en cuvette87 s’étendaient le long du bras canalisé de l’Ill qui reliaient les fortifications Sud de la Porte des Bouchers, érigées au XIIIème siècle, et le fort de Kehl. Ce territoire alors inhospitalier et précaire en raison de sa situation dans la zone de crue du Rhin ne permettait pas l’installation d’activités agricoles, en dehors de quelques fermes et moulins le long des axes reliant Strasbourg à Vienne et à Lyon, et resta longtemps inoccupé. Le creusement du fossé Riepberg en 1524, sur le tracé de l’actuelle avenue Jean Jaurès, permet de protéger la fine bande de terre s’étendant d’Est en Ouest entre ce canal et la zone non aedificandi qui borde les limites Sud de la cité médiévale strasbourgeoise. Cette zone s’urbanise alors par la construction d’un petit hameau dans le secteur de l’actuel quartier Saint-Urbain/Kurvau88, au pied des remparts. Ce petit hameau ne prend guère de l’ampleur à mesure que la ville modernise son arsenal de défense ; ainsi, le barrage Vauban, édifié à la fin du XVIIème siècle, permet l’inondation des plaines Sud de la ville en cas d’attaque militaire ; rendant la situation de ce groupement de constructions assez précaire89. Les grands travaux d’endiguement du Rhin, ainsi que le creusement du canal de décharge de l’Ill, en amont de Strasbourg, rendent les conditions d’installation sur la plaine du Neudorf bien plus favorables. Entre 1830 et 1855, c’est un petit village d’une quarantaine d’habitations regroupées autour d’une église et d’une école, le Ratzendörfel, qui se développe à mi-chemin entre la limite Sud de Strasbourg et le terrain militaire du Polygone, deux kilomètres plus loin. Les constructions sont de petites maisons individuelles modestes, destinées aux paysans et aux domestiques venant de la campagne. On y trouve également quelques industries naissantes, comme des fabriques de tuiles, de textile et de colle90. La rue de de la Ziegelau, axe important de la partie Sud du quartier, non loin de l’ancien Ratzendörfel et dont le nom peut être traduit par « plaine aux 87 L’altitude de cette plaine est plus faible de 3 mètres que celle de l’ellipse insulaire, au Nord, et de celle du Neuhof, au Sud. 88 Voir plan actuel du quartier. 89 Cette ruse fut d’ailleurs mise en œuvre lors du siège de 1870 par l’armée prussienne. 90 Rapport de présentation du Plan d’Occupation des Sols (POS) du Neudorf-Musau. Ville de Strasbourg, dossier approuvé le 01/03/2002 ; modifié le 29/11/2013, p. 7.
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tuiles », témoigne de ce passé industriel91. On retrouve également les traces d’une fabrique de toiles à voile au sein de l’ancien lazaret destiné aux militaires. C’est au cours du XIXème siècle, grâce au développement de l’industrie et de l’effacement progressif des anciennes limites strasbourgeoises, encouragé notamment au cours de la période allemande, que le quartier du Neudorf connaît un véritable essor urbain. Les industries alimentaires, mécaniques et portuaires présentes sur ce territoire sont renforcées dès 1861 grâce à la mise en place d’une ligne de chemin de fer reliant Strasbourg à Kehl, le Bahndamm, sur la digue du fossé Riepberg. C’est notamment le secteur portuaire qui se développe au cours de la seconde moitié du XIXème siècle, en lien notamment avec le creusement du canal de jonction entre les canaux du Rhône-au-Rhin et de la Marne-au-Rhin qui permet de rendre plus efficace le transit par voie fluviale. Ainsi, les bassins d’Austerlitz (autrefois Metzgertorhafen) et du Heyritz (Spitaltorhafen) sont creusés dans le bras canalisé du Sud de la Krutenau, intégrant ainsi la dimension portuaire dans le paysage des contreforts du Neudorf. L’évolution de l’infrastructure portuaire en ce lieu a également pour conséquence de faire revivre la frontière physique qui existait auparavant par les fortifications, et qui avait tendu à disparaître avec le remplacement des fortifications de Vauban par une enceinte plus poreuse en 1875, alors que Strasbourg craignait de moins en moins les attaques. Cependant, malgré des difficultés de franchissement liées à la présence des infrastructures portuaires, le Neudorf profita de ce regain d’activité pour s’urbaniser, à la fois le long des axes routiers évoqués précédemment (aujourd’hui route du Polygone et avenue de Colmar, dans l’Ouest du territoire), et également de manière concentrique autour des hameaux qui s’étaient construits quelques centaines d’années auparavant. Il est donc intéressant de remarquer que, contrairement aux schémas d’urbanisation classiques autour d’une centralité, le Neudorf est le résultat de la rencontre de trois événements urbains distincts : l’étoffement des deux épicentres historiques et l’urbanisation le long des voies. La voie ferrée fut d’ailleurs un frein à l’expansion du secteur Saint-Urbain vers le Sud ; lui conférant un statut de sous-quartier très présent. Ce mode d’urbanisation explique pourquoi les plus anciennes constructions que l’on peut observer aujourd’hui se situent à l’emplacement de 91 « J’habite rue de la Ziegelau, qui est l’une des plus anciennes rues de Neudorf ; puisqu’elle évoque de par son nom les tuileries et briqueteries qui étaient dans la plaine du Ratzendörfel jusqu’au XIXème siècle. » Entretien avec Gilles Huguet, résident du Neudorf depuis 1986 et président actuel de l’Association des Résidents et Amis de Neudorf (ARAN), le 13/03/2017.
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l’ancien Ratzendörfel ; avec des constructions basses (pas plus de cinq mètres à la faîtière), en ossature bois, avec des toitures à deux pans. De la même manière, les servitudes militaires applicables à la zone non aedificandi, qui imposent sur la zone Nord, dans une bande 250 mètres de large, des constructions basses et en structure bois, pouvant être rasées rapidement en cas de menace ennemie, ont produit une architecture caractéristique que l’on peut retrouver aujourd’hui encore dans le sous-quartier Saint-Urbain. Cette urbanisation rapide, qui prend appui sur des éléments urbains existants, se fait de manière hasardeuse et en l’absence de plan directeur, mais s’accompagne néanmoins de la construction d’un grand nombre d’équipements publics sous l’égide de Fritz Beblo, architecte de la ville et protagoniste majeur de la Grande Percée de 1913. Parmi ces équipements, on peut citer un orphelinat dans le SudOuest du quartier, une clinique, un institut pour sourds et muets (à l’Est) ; et quatre écoles réparties selon les pôles d’urbanisation successifs du quartier. Trois lignes de tramway électrifiées en 1898 permettent de rattacher les secteurs urbanisés à la ville médiévale. En raison de contraintes militaires et urbaines, la voie ferrée du Bahndamm fut supprimée en 1906, donnant naissance à la large avenue Jean Jaurès et ses ramifications entre Neudorf et Strasbourg ; aujourd’hui encore un axe structurant Ouest-Est. Le nouveau tracé ferroviaire destiné à relier Kehl, qui persiste toujours aujourd’hui, décrit une boucle entre le Krimmeri, cours d’eau affluent de l’Ill, et l’extrémité Est du quartier, au Nord de la Musau. Ce tracé fut réalisé sur talus comme élément intégré des défenses de la ville et contribua à la séparation nette entre le Neudorf et les quartiers de la Meinau et du Neuhof, au Sud. L’urbanisation du quartier est telle qu’il en devient le plus peuplé de Strasbourg en 1875, passant de 5 000 habitants en 1866 à 6700. C’est néanmoins entre la toute fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle que la progression démographique est la plus impressionnante ; elle atteindra plus de 26 000 habitants en 1910. Cette hausse conséquente s’explique par le phénomène d’exode rural qui est à l’œuvre sur tout le territoire germanique ; et qui draine vers Strasbourg de nombreux ruraux et immigrants allemands venus chercher du travail dans la construction, l’industrie ou le commerce au sein de la nouvelle capitale du Reichsland d’Alsace-Lorraine. Le Neudorf et son immense réserve foncière constituent le point de chute idéale 61
Fig.7 Plan de l’urbanisation du quartier en 1914.
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de ces nouveaux arrivants. Le quartier se constitue donc rapidement en faubourg populaire de Strasbourg, avec une population rassemblant journaliers, ouvriers et aubergistes92. L’urbanisation se poursuit (fig. 7) malgré le maintien des servitudes militaires jusqu’en 1922, rendant difficiles les constructions en matériaux durs sur le secteur Saint-Urbain, qui garde aujourd’hui des caractéristiques des contraintes urbaines imposées par ces servitudes. Le tracé de la nouvelle voie ferrée permet la construction de nouveaux lotissements privés au Sud et à l’Est du quartier naissant. La ville de Strasbourg sort relativement indemne de la Première Guerre Mondiale, grâce à la gestion stricte et efficace de son maire, Rudolf Schwander, qui œuvra pour préserver la population de la disette et du rationnement tout en réprimant les manifestations de sympathie à l’égard des Alliés. Cependant, 3 000 soldats strasbourgeois meurent au combat dans la défense de l’empire allemand. La restitution de L’Alsace-Moselle à la France, selon les termes du Traité de Versailles signé en 1919, entérine la fuite des « vieux-allemands » qui avait déjà commencé à l’issue de la Grande Guerre. La ville de Strasbourg entre alors dans un état de légère décroissance démographique ; son rendement industriel décline mais le secteur portuaire continue à offrir de nombreux emplois, notamment grâce à la création du Port Autonome en 1924. La période d’entre-deux-guerre va voir la construction de nombreux ensembles d’habitations à bon marché (HBM) grâce à plusieurs facteurs politiques et légaux, dans le but de pallier le manque évident de logements destinés aux classes laborieuse et moyenne et de compenser le ratio défavorable de destructions et de reconstructions qui fut la conséquence du projet de Grande Percée. Dans un premier temps, le cadre légal de construction de logements évolue lorsque l’Alsace-Moselle redevient française et que la construction de logements se voit encadrée par le droit français. Les lois Siegfried93 et Bonnevay94 posent un cadre légal au développement du logement social à Strasbourg, et la loi Loucheur de 1928 permet l’interventionnisme de l’État dans la promotion des habitations à bon 92 C. Strub, Neudorf, nouveau village, nouvelle ville, catalogue de l’exposition éponyme, archives de la ville de Strasbourg, 2007, p.12. 93 Promulguée en 1894, cette loi nommée d’après le nom de son initiateur, l’entrepreneur mulhousien Jules Siegfried, promeut la création d’organismes d’habitations à bon marché, notamment par la mise en place d’exonérations fiscales et le recours à la Caisse des Dépôts pour le financement de ce type d’opérations. 94 Loi de 1912 officialisant la création d’offices d’habitat à bon marché financés par les communes.
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marché sur l’ensemble du territoire. Le contexte légal favorise donc l’émergence de ce type d’habitat. De plus, l’élection de Jacques Peirotes à la tête de la municipalité strasbourgeoise en 1919 va concrétiser ce contexte légal favorable et le nouveau Maire va se charger de porter de nombreux projets d’habitat social au sein du ban strasbourgeois, grâce également à son poste de président de l’office HBM de Strasbourg, de sa création en 1927 jusqu’à sa mort en 1935. La force – ou le discernement - du socialiste Peirotes dans les dossiers d’urbanisme strasbourgeois fut de ne pas rompre avec les bases de planification établies par son prédécesseur Rudolf Schwander, selon les principes allemands, alors que le contexte politique le poussait à s’en émanciper, afin de préserver une continuité urbaine dans le développement de la ville95. Ses actions en matière de logements pour classes moyenne et populaire se concrétisèrent essentiellement par la constructions de cités-jardin et de cités d’habitat social plus denses, avec au total la création de plus de 3 000 logements à loyers bon marché au terme de son mandat, en 1929. Les faubourgs strasbourgeois offrent des terrains privilégiés pour ce type d’opérations de logement ; et le Neudorf n’y fait pas exception. Durant cette période extrêmement prolifique pour le secteur de la construction, ce ne sont pas moins de 1 181 logements à loyers modérés qui sont construits au sein du Neudorf, sous la forme de trois opérations : la cité Jules Siegfried (fig. 8), construite par l’architecte Paul Dorff entre 1927 et 1928 aux abords de l’orphelinat, se compose de 332 logements bon marché. La cité Risler, la plus dense des réalisations de cette époque, construite par le même architecte entre 1931 et 1933, s’étend à l’Est du territoire, autour de l’avenue Aristide Briand, et comporte 609 logements, dont certains à loyers moyens ; offrant ainsi deux types d’offres locatives. Enfin, la cité Ribeauvillé, également œuvre de Dorff, livrée en 1934, se situe autour de la rue éponyme, non loin du noyau historique de l’ancien Ratzendörfel et propose 240 logements à loyer modéré96. On peut également noter la construction d’une forme alternative de logement ouvrier avec la cité-jardin de Neudorf, construite sur des terrains contigus au talus de la voie ferrée, au Sud-Ouest du quartier. La construction de logements sociaux n’a évidemment pas l’apanage ; et des immeubles de rapport viennent compléter 95 S. Jonas, « La politique urbaine et du logement de Jacques Peirotes, député-maire socialiste de Strasbourg », in S. Jonas, J-C. Richez, L. Strauss, F. Igersheim, 1869-1935, Jacques Peirotes et le socialisme en Alsace, BF Editions, Strasbourg, 1989, p.143. 96 Idem, p.149.
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Fig.8 CitĂŠ Jules Siegfried, P. Dorff
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l’offre locative du Neudorf. Les différents ensembles de densification frappent par leurs qualités architecturales et urbaines, et la facilité avec laquelle elles s’insèrent dans l’existant tout en ne limitant pas l’urbanisation future. La recherche de mixité par l’intégration d’équipements publics comme des écoles, des crèches ou des magasins ; ainsi que la diversité dans les logements proposés à la location, allant du 1 pièce-cuisine au 4 pièce-cuisine assurent le succès de ceux-ci. La construction des différentes opérations contribue à perpétuer le caractère populaire du quartier tout en encourageant une augmentation significative de la population de celui-ci97. La présence d’habitations bon marché fait du Neudorf un point de chute pour les populations immigrantes et s’ancre durablement dans le paysage urbain. À l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, l’état-major français fait évacuer les régions frontalières de l’Allemagne, notamment l’agglomération strasbourgeoise. 120 mille personnes sont envoyées dans le Sud-Ouest de la France en prévision du conflit. Après la déroute française et l’armistice conclue en 1940, l’Alsace-Moselle est annexée par les troupes nazies et seuls les réfugiés d’ascendance allemande peuvent revenir dans leur ancien foyer strasbourgeois. La ville subit d’importants bombardements alliés entre 1943 et 1944, qui touchent particulièrement les zones Sud. Près de 300 immeubles sont détruits et 200 habitants décèdent sous les bombes. En 1945, la population du quartier a chuté de 35 % par rapport au début de la guerre. La reconstruction commence dès la fin de la guerre et se prolonge pendant environ une décennie. Les résultats de la reconstruction, particulièrement visibles le long des axes structurants comme la route du Polygone, sont hétéroclites et la continuité urbaine à parfois du mal à se lire, comme dans le tronçon Sud ou les façades offrent un effet patchwork. De plus, la ville, amputée de 20 % de son bâti, fait face à une nouvelle pénurie de logements. Cependant, le quartier du Neudorf ne connaîtra pas le même destin que celui d’autres quartiers strasbourgeois. Ainsi, bien que « [la ville] a dû édifier des quartiers neufs dans le cadre d’un plan d’ensemble »98, dont l’un des exemples les plus fameux est la cité Rotterdam, grand ensemble de 806 logements construit en 1953 par Eugène Beaudouin, de telles opérations ne verront pas le jour dans le quartier du Neudorf, fort de ses trois 97 En 1939, le Neudorf compte plus de 41 000 habitants. C. Strub, Neudorf, nouveau village, nouvelle ville, catalogue de l’exposition éponyme, archives de la ville de Strasbourg, 2007, p.19. 98 Strasbourg, la cité Rotterdam, réal. A. Zwobada, prod. Les Actualités françaises, 1954. Archive INA, consultée le 09/03/2017. http://www.ina.fr/video/I06348855
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cités d’habitat à loyers modérés, mais se répartiront sur des territoires alentours comme la Musau, la Meinau et le Neuhof. Néanmoins, de petites opérations seront construites sur les terrains agricoles du Sud et de l’Est du quartier, ainsi que dans les dents creuses, avec un succès tout relatif, afin de densifier le quartier et d’enrichir l’offre locative. Les décennie 1960 et 1970 sont également marquées par la réalisation d’un certain nombre d’équipements et d’ouvrages dont l’échelle outrepasse celle du quartier, comme le lycée Jean-Monnet et le centre culturel Marcel Marceau en 1965, le viaduc Churchill enjambant le glacis et le bassin portuaire d’Austerlitz pour relier les quartiers du Neudorf et de l’Esplanade, en 1967, et le centre administratif de la Communauté Urbaine de Strasbourg (CUS) en 1976, également dans la zone de glacis au Sud du bassin portuaire du Heyritz, démontrant de la volonté politique d’urbaniser davantage le secteur Sud de Strasbourg tout en profitant, à l’époque du tout-voiture, de la proximité du nœud autoroutier faisant la jonction entre l’ancienne A 34 (aujourd’hui A 35) et la route du Rhin menant vers Kehl99. L’ensemble de ces projets ponctuels ne semble pas avoir de conséquence durable sur l’image encore très faubourienne du quartier, bien que l’intégration de projets de logements en accession ou de locatif privé ouvre timidement la voie vers plus de mixité sociale. Les années 1990 marquent un tournant important dans le destin urbain du Neudorf, avec deux éléments importants qui interviennent : tout d’abord, l’élection de Catherine Trautmann à la tête de la Mairie de Strasbourg, grâce à son projet phare de réintroduction du tramway comme moyen de transport public. Dans un second, l’abrogation de la loi n’autorisant, en bordure de bassins portuaires, que la construction de bâtiments dédiés liés à cette activité permet à la municipalité d’entrevoir les possibilités urbaines qu’offrent les différents terrains situés autour des anciens bassins du bras canalisé.
99 M.Marty, « Quand la route de l’hôpital regardait passer les trains », Rue89 Strasbourg, publié le 14/11/2014, consulté le 09/03/2017. http://www.rue89strasbourg.com/quand-la-route-delhopital-regardait-passer-les-trains-de-neudorf-75436
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Chapitre 2 : des mutations urbaines récentes, d’envergure significative, qui marquent le destin du quartier.
L’encouragement et la propagation du phénomène de gentrification est souvent conditionné par l’ingérence des politiques publiques dans le développement urbain d’un quartier, notamment par le biais d’opérations visant l’« embellissement » ou la « redynamisation » d’un territoire. À Strasbourg, différentes actions publiques ont favorisé l’émergence du phénomène, que ce soit par l’amélioration des connexions avec le centre, la mise en valeur des modes de déplacement doux, l’embellissement des espaces publics ou la densification et l’étoffement du bâti.
1.2. L’arrivée de nouvelles infrastructures de transport. Outrepasser les contraintes paysagères et topographiques et briser l’image d’enclave du Neudorf, tels ont été les objectifs qui ont guidé la décision de faire passer le nouveau mode de transport en commun à travers le quartier. Pour comprendre le contexte – tendu – dans lequel les premiers tracés ont germé, il faut rappeler qu’avant la victoire très serrée de Catherine Trautmann, qui brigua le poste de Maire de la ville de Strasbourg en 1989, ce sont deux projets sur les thèmes de la mobilité qui s’affrontèrent pendant les cinq ans qui précédèrent cette élection. L’omniprésence de l’automobile et les nuisances qui l’accompagnent forcent la municipalité de l’époque à se pencher sur un nouveau mode de transport en commun, alors que, sur le territoire français, les villes de Lille, Nantes et Grenoble sont les premières, respectivement en 1982, 1983 et 1984, à renouer avec les transports en commun électrifiés. À Strasbourg, il s’agit avant tout de proposer un modèle qui viendra compléter et améliorer le réseau d’autobus métropolitains, tout en incitant, par l’efficacité et le caractère inclusif de son tracé, aux habitants
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Fig. 9 Plan du tracĂŠ du VAL
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de la couronne de Strasbourg de préférer ce mode de transport plutôt que leur voiture privée. Pendant la décennie 1980, deux projets sont mis en balance par la municipalité UDF100 de M. Pfimlin, le tramway et le métro aérien léger ou VAL. En 1985, le conseil de la communauté urbaine de Strasbourg prend la décision d’acter en faveur du VAL101, qui permettrait de relier plus efficacement des lieux éloignés les uns des autres, tout en n’offrant aucune nuisance dans les centre-villes denses, puisqu’enterré. Dans la foulée commencent le montage de l’opération, les études techniques ainsi que les premiers forages102, et l’idée du tramway est complètement abandonnée. Les premiers tracés (fig.9) font état d’une première ligne à trois branches, orientée Nord/Sud et reliant les communes de Hœnheim et d’Illkirch-Graffenstaden en passant à travers la ville de Strasbourg (et le quartier du Neudorf) ; alors que la troisième branche relie l’hypercentre à Hautepierre. Une ligne Est-Ouest viendrait compléter le dispositif plus tard. Ce tracé devait desservir le quartier du Neudorf par deux fois, avec des stations prévues sur la place de l’Etoile et la place du Marché. Le projet est alors loin de faire l’unanimité auprès des habitants, comme le témoigne l’extrait suivant, tiré d’un ouvrage collectif sur les orientations d’aménagement du Neudorf rédigé par certains de ses habitants en 1987 : « Dans notre précédente étude de 1981, nous avions souligné des données connues de tous de l’inadaptation du système actuel de transports collectifs à Strasbourg. […] À l’époque, le projet de remplacement du système existant consistait en une réintroduction du tramway à Strasbourg. Tous les partenaires à la discussion (…) s’accordaient sur la nécessité de réaliser ce projet. Les divergences portaient exclusivement sur le tracé qui serait finalement adopté (l’A.R.A.N, Association des Résidents et Amis de Neudorf, avait alors préconisé que la ligne vers le Neuhof passe par l’avenue Jean-Jaurès et la rue d’Orbey). Ce débat est malheureusement clos depuis le revirement brutal de la municipalité en faveur du fameux projet VAL. 100 Union pour la Démocratie Française, parti de centre-droit. 101 VAL, le premier métro entièrement automatique : la solution pour l’agglomération strasbourgeoise, prospectus de la S.A. MATRA Transports, 1985. 102 « Metro VAL ou tram ? Comparaison », du site MetroVALStrasbourg, article très orienté écrit en 1991, publié en 2014, consulté le 10.03.2017. https://sites.google.com/site/metrovalstrasbourg/comparaison-metro-val-tram
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Notre association s’est jointe au mouvement de protestation contre l’adoption de ce mode de transport pour des raisons générales (…) et des raisons propres à notre quartier : la richesse de Neudorf réside dans l’existence de sous-quartiers. Le tramway se caractérise notamment par un nombre important de sous-stations respectant parfaitement ce découpage sociologique du quartier. Avec le VAL, nous aurons au maximum deux stations distantes, dans le meilleur des cas, de 800 mètres. Deux stations pour un quartier de 33 mille habitants qui s’étend sur une surface supérieure à celle du centre ville. »103 L’histoire ne dit pas clairement dans quel contexte ce fut finalement Catherine Trautmann, du Parti Socialiste, qui arriva en tête des élections municipales de 1989, ni pourquoi c’est précisément sur un projet alternatif, le tramway, qui fut la clé de voûte de toute sa campagne, qu’elle fut élue. Il va sans dire que le débat autour du nouveau mode de transports publics fut rude, âpre, vif104 , et tranché par la force de la voie électorale. Toujours est-il que le changement de couleur politique de la Mairie de Strasbourg enterra le projet porté par l’élu précédent105. Le tramway, qui présente l’avantage de mobiliser moins de fonds publics et de se réaliser plus rapidement, est donc au cœur du débat public strasbourgeois au début des années 1990. La première ligne de presque 10 kilomètres de long, construite en 1994, relie Hautepierre au Sud de la Meinau, en passant par les quartiers centraux et, dans une moindre manière, le Neudorf. Le tracé prévoit en effet une diagonale à travers l’îlot de Lombardie pour joindre la place de l’Etoile et le croisement entre route de l’Hôpital et avenue de Colmar. Un tracé qui n’est à l’époque pas vu d’un très bon œil par les locaux. L’espace nécessaire pour une telle entreprise amputerait le petit îlot d’environ 12,5 % de surface, dont 30 % de sa surface verte. Un outrage pour les habitants, qui voient en l’îlot un « petit quartier au caractère particulièrement harmonieux entre le tissu bâti, l’espace vert et la voirie. (…) Un écran de verdure, un véritable poumon entre le centre-ville et le Neudorf. »106. 103 Neudorf 2001, ouvrage collectif réalisé et édité par l’ARAN, 1987, p.42. 104 « Strasbourg, un désir nommé tramway », issu de la série d’émissions télévisuelles Attention grands travaux, LCP – Public Sénat du 21/06/2012. https://www.youtube.com/watch?v=msSsZ1OIC24 105 Strasbourg : vote de la Communauté Urbaine en faveur du tramway, Alsace Soir, vidéo d’archives INA, 30/06/1989, consultée le 10/03/2017. http://www.ina.fr/video/STC8907045686/ index-video.html 106 « Îlot de Lombardie », Réflexions sur l’urbanisme de Neudorf, Ouvrage collectif de l’ARAN, Offset OFF, 1990, p.8-9.
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Toujours est-il qu’un compromis est trouvé, par le passage du tramway en site propre, uniquement longé par une piste cyclable, et que la ligne est mise en service en 1994. Le succès est tel que le réseau devient presque immédiatement saturé. Les habitants du Neudorf n’en sont donc qu’aux débuts de leurs tribulations sur le sujet des mobilités urbaines, puisqu’une deuxième ligne devant traverser le quartier est déjà évoquée avant même la finalisation de la première. Les habitants du quartier font à nouveau entendre leurs voix quand le passage par la route du Polygone est envisagé107, et prennent position en faveur d’un contournement par l’Est afin de préserver le cœur du quartier, dans l’attente d’un dossier étayé par un plan de circulation, une action en faveur du maintien de l’équilibre du quartier et une prévision de l’évolution démographique108. Les protestations sont entendues puisqu’en 1998, la création de la ligne D suit le tracé de la première ligne afin d’en atténuer la congestion par une hausse de la fréquence de passage. La traversée du quartier par la route du Polygone n’est pas concrétisée, et le tram D vient s’échouer sur le terminus Etoile-Polygone, à la lisière du tissu urbain neudorfois. Après une période de neuf ans sans changements notoires sur le réseau, la ville présente plusieurs extensions en 2007, dont deux concernent directement le Neudorf. Tout d’abord, la ligne D est prolongée jusqu’à un nouveau terminus situé avenue Aristide Briand. Son tracé longe le quartier par le Nord, suivant essentiellement l’avenue Jean Jaurès. Dans un second temps, la ligne C passant par l’université et le quartier de l’Esplanade est étendue jusqu’au quartier du Neuhof, ce qui sous-entend un nouveau passage à travers le Neudorf. Celui se fait par l’avenue Jean Jaurès puis par la rue de Ribeauvillé, contournant ainsi le cœur du quartier par l’Ouest et le Sud et concrétisant la position des habitants sur le sujet. Une position qui est tout à fait révisée par ces mêmes habitants, représentés par l’ARAN, puisque dans un journal local militant publié en 2008, on apprend que les habitants de la partie Ouest notamment, fort embêtés, se demandent « comment conserver le pouvoir d’attraction du centre de quartier, alors que le tracé du tram évite soigneusement de desservir ses fonctions vitales »109, bien que la ville ait proposé plusieurs variantes de tracé (voir Annexes), dont deux 107 C’était pourtant le cas jusqu’en 1960, avant le démantèlement du premier service de tramway. 108 « Tramway », idem, p.19. 109 G. Hildwein, « Extinction ou revitalisation, quel avenir pour Neudorf ? », Newsdorf, e Zittung fer d’Neiderfler (un journal pour les Neudorfois, nda), imprimé par l’ARAN, Strasbourg, printemps 2008, p.3.
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proposaient de faire passer au moins un ligne par la rue de Ratsamhausen et donc par le côté Est de la place du marché. De plus, une ligne de bus passant par la route du Polygone permet aux habitants de ce secteur de rejoindre rapidement l’Ancienne Douane, dans l’hypercentre. À l’instar de leurs congénères strasbourgeois, les Neudorfois ont adopté ce moyen de transport, à l’origine tant craint et honni, à tel point que chacun voudrait le voir passer sous ses fenêtres. Oubliées, les querelles de tracé et les menaces sur le beau patrimoine bucolique du Neudorf. Désormais, le quartier présente l’avantage d’être desservi par quatre lignes de tramway différentes, et bénéficie de neuf stations110 diversement réparties le long de celles-ci qui desservent le territoire. Le passage du tramway contribue surtout à faire gagner en importance, par sa proximité, un quartier péri-central qui jouissait auparavant d’une relative autonomie. Le cadre de vie avantageux et meilleur marché qu’au centre-ville est rendu public et attire alors les gentrifieurs séduits par l’esprit « village » que proposent certains de ses sous-quartiers. Et ce n’est pas encore la fin du tramway à Neudorf puisque tout récemment, le 29 avril 2017 pour être exacte, le réseau s’est enrichi d’une nouvelle extension de la ligne D (fig. 10). Celle-ci est désormais transfrontalière puisque son nouveau terminus se situe à Kehl ; et son tracé reconstitue celui de l’ancienne voie ferrée qui fut démolie en 1906. Malgré une histoire conjointe marquée par les oppositions et la défiance, le destin récent du Neudorf est indubitablement lié – voire dépendant – de l’arrivée du tramway. C’est par ces aménagements que le quartier a réussi à se délaisser de son statut de faubourg périphérique déconnecté pour devenir un quartier péri-central extrêmement accessible, aux portes du centre-ville. « Des loyers moins chers, et des transports en commun, [Neudorf] est très bien relié, d’ailleurs il y a plein d’étudiants »111. L’apparition de ce mode de transport dans les années 1990, et son étoffement au cours des deux dernières
110 Lignes : A (Parc des sports, Hautepierre <> Illkirch-Graffenstaden) ; C (Gare Centrale <> Rodolphe Reuss, Neuhof) ; D (Poteries, Koenigshoffen <> Kehl Bahnhof) ; E (Campus, Illkirch-Graffenstaden <> Robertsau). Stations : Krimmeri (A, E) ; Schluthfeld (A, E) ; Etoile Polygone (D, E) ; Winston-Churchill (C, E) ; Landsberg (C, D, E) ; Jean-Jaurès (C, D) ; Aristide-Briand (D) ; Lycée Jean Monnet (C), Gravière (C). 111 Propos de G. Hildwein lors de l’entretien du 13/03/2017.
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Lignes A-B-C-D-E-F-G
Général De Gaulle Le Ried
B
Hoenheim Gare
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Le Marais Futura Glacière
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Saint-Christophe
Baggersee Colonne
Illkirch Lixenbuhl
Jean Jaurès
Gravière
E. Mathis
Leclerc
Etoile Polygone
C
Neuhof Rodolphe Reuss
Toutes ces lignes fonctionnent tous les jours dès 4h30 et jusqu’à 0h30.
Fig.10 plan actuel du réseau de tramway de Strasbourg
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L2.com.01 2017
Martin Schongauer
décennies, ont joué un rôle important dans l’évolution récente du quartier, et le regain d’intérêt qui en a découlé. 2.3. Un enjeu urbain pour la municipalité L’attrait qu’a généré le quartier et la naturelle expansion démographique de la ville, confrontée à un centre-ville saturé en terme de foncier, ont rapidement éveillé l’intérêt des promoteurs. En effet, sur la décennie 1990, le parc de logement strasbourgeois s’agrandit de près de 10%112, le Neudorf gagne environ 150 logements par an, et la construction des lignes de tramway entraîne également des changements dans le paysage urbain – c’était d’ailleurs un motif de choix de ce mode de transports plutôt qu’un autre, car les retombées urbaines implicites qu’il allait entraîner devaient bénéficier à l’agglomération strasbourgeoise113. Face à la frénésie constructive, les citoyens résidents du Neudorf expriment leurs craintes à la municipalité Trautmann et formulent la demande, au travers d’organes associatifs représentatifs, de la révision partielle du Plan d’Occupation des Sols (POS) du Neudorf, aujourd’hui intégré au Plan Local d’Urbanisme (PLU) de Strasbourg, afin de veiller à la préservation de son patrimoine historique et de son harmonie urbaine. En effet, le patrimoine du Neudorf ne réside pas tant dans son bâti historique, mais plutôt dans la qualité de vie qu’offrent les différentes ambiances urbaines du quartier. De plus, la CUS avait un intérêt à garder les différents documents d’urbanisme à jour afin de maîtriser l’urbanisation de la ville. Ainsi, les objectifs décrits dans le POS révisé et approuvé en 2002 visent à améliorer le POS existant tout en prenant en compte de nouveaux enjeux : « La préservation et la mise en valeur du paysage urbain et du patrimoine architectural ; la valorisation et le développement des espaces verts ; le
112 Chiffres du recensement de l’INSEE en 1999. 113 J-C. Richez, « Identification d’un quartier », Réflexions sur l’urbanisme de Neudorf, Ouvrage collectif de l’ARAN, Offset OFF, 1990, p.24.
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développement urbain et la recomposition des Fronts du Neudorf et l’équilibre économique et social du quartier. »114. Cette action fut entreprise conjointement par les services d’urbanisme de la ville, l’ADEUS et les habitants bénévoles. Comme le relate Eric Chenderowsky, actuel directeur du service Urbanisme et Territoires de la ville de Strasbourg / Eurométropole, et membre, à l’époque, de l’ADEUS : « Pendant trois ans, de 1995 à 1997, nous avons arpenté le quartier et fait un relevé fin du bâti. […] Un inventaire très fin de tous les bâtiments à préserver, tout ce qui était intéressant, remarquable (…). Donc on a vraiment fait de la dentelle. »115 L’équipe a soigneusement répertorié les éléments urbains qui possèdent des qualités intrinsèques, que ce soit une richesse architecturale ou historique, un ensemble urbain cohérent, des alignements de façade, des aménagements urbains, des espaces verts ou de la végétation remarquables. La rédaction du nouveau POS a fait suite à ce relevé. Les nouveaux règlements s’articulent autour de plusieurs objectifs majeurs, notamment la préservation du patrimoine sans en figer son évolution. Les zones à préserver bénéficient par exemple de règles de prospect contraignantes visant à prévenir les constructions en cœur d’îlot. Les plus de quarante zones délimitées sont classifiées selon différents degrés d’attention à porter à l’existant, notamment en terme de hauteur de construction. Dans les zones les plus préservées, la volumétrie générale de l’espace urbain doit être conservée et les pignons aveugles sont interdits. Le nouveau document d’urbanisme a ainsi permis à la ville et aux habitants de contrôler l’urbanisation du quartier sans la freiner, mais en garantissant des constructions de relative qualité. À la suite de l’adoption de la loi SRU116, ces volontés ont été cristallisées au sein du PLU de la Communauté Urbaine de Strasbourg puis de l’Eurométropole ; avec quelques modifications en lien avec le projet urbain des Deux-Rives. Ainsi, depuis l’approbation du POS en 2002, de nombreux terrains ont été lotis ; la plupart 114 Préambule du rapport de présentation du Plan d’Occupation des Sols Neudorf-Musau, approuvé le 01/03/2002. Communauté Urbaine de Strasbourg, Ville de Strasbourg, 2002, p.1. 115 Propos d’Eric Chenderowsky, directeur du service Urbanisme et Territoire de la Ville de Strasbourg / Eurométropole, lors d’un entretien le 29/03/2017. 116 Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, promulguée le 13/12/2000.
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en front de rue, comme c’était le souhait de la municipalité et des habitants. La plupart des opérations immobilières proposent des logements en accession, permettant à des primo-accédants de se tourner vers le Neudorf plutôt que vers un autre quartier, étant donné les prix attractifs et la qualité de vie en sus qu’on y trouve. Par exemple, les grands terrains alors vacants au Schluthfeld ou au Sud de la place du Marché sont lotis et trouvent très rapidement preneur. Les dents creuses ayant toutes été bâties, les promoteurs se tournent progressivement vers les appels d’offre permettant des opérations de taille plus importante, car plus rentables, souvent au-delà de quinze logements. De ce fait, le renouvellement de l’habitat se fait aujourd’hui davantage au travers de rénovations, voire réhabilitations de logements, sans pour autant disparaître. La densification de Neudorf, ainsi que l’étoffement de son offre culturelle et commerciale à une échelle plus large que celle du quartier, sont donc aujourd’hui les conditions sine qua non de l’évolution de ce territoire, désormais étroitement relié au centre et donc terre d’accueil d’un certain nombre de services. À la suite de l’arrivée du tramway dans le quartier, et de la densification de son offre de logements, c’est le secteur Nord de la Route du Polygone – l’un des épicentres importants du quartier – qui devient, à la décennie 2000, l’objet de concertations entre la ville et les habitants. En effet, impactée par le tracé périphérique du tram et par un flux de voitures constant qui l’empêchent de produire de l’espace public qualitatif, la voirie et la très centrale place du Marché ne remplissent plus leurs rôles d’éléments urbains structurants et rassembleurs. Les commerces, pour la plupart installés depuis plusieurs années, sont datés et ne parviennent pas à maintenir une offre commerciale adaptée et adaptable au regard des mutations qui marquent le destin du quartier. À l’instar de la politique menée par Bertrand Delanoë à partir de 2001 à Paris, dont les objectifs sont l’amélioration du cadre de vie parisien et le retour à la ville vécue et non traversée par des véhicules polluants117, la municipalité strasbourgeoise, anticipant sa croissance au sein du prisme néo-libéral ainsi que la venue de nouveaux arrivants drainés par l’emploi et le statut européen de la cité, prend soin de ses différents quartiers. La route du Polygone étant la principale entrée dans le quartier, et la place du Marché une centralité importante, on doit y retrouver l’esprit séduisant 117 A. Clerval, Paris sans le peuple, la gentrification de la capitale. La Découverte, Paris, 2013, 2016, p.227.
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du quartier : commerces de proximité qui fonctionnent, espace public distribué entre cyclistes, piétons et automobiles, végétation. En 2002, la voirie et ses abords sont entièrement refaits (fig. 11). Une fois les travaux achevés, une nouvelle hiérarchie des voies structure la route du Polygone sur un tronçon allant de la rue de Mulhouse à la place du Marché. Le tronçon Nord n’est pas réalisé, planifié en même temps que l’urbanisation future des franges des rues de la Kaltau, de la Thumenau et de l’avenue Jean Jaurès118, entre 2013 et 2018. Sur la nouvelle voie, de part et d’autre de la ligne médiane, se trouvent une voie de circulation, une voie pavée servant au stationnement et jalonnée d’arbres, une piste cyclable et un large trottoir. Le resserrement des voies de circulation entraîne une baisse de la vitesse des automobiles. Les usagers de modes de transports doux, qu’ils soient issus du quartier ou attirés depuis le centre-ville, sont protégés par la bande de stationnement arborée. Ces types de transports sont ainsi favorisés par rapport à l’usage de la voiture, notamment pour des déplacements de courtes durée. Une fois les travaux de voirie réalisés, et la question épineuse du tramway réglée, la municipalité Ries met la place du Marché sur la liste des places à rénover119. La place, dont 75 % de la surface est alors occupée par un parking, ne remplit pas les fonctions qu’on est en droit d’attendre de la part d’un tel espace urbain, à savoir proposer une respiration et un temps de pause aux habitants et autres badauds sortant du marché. De plus, avec la concentration d’équipements à ses abords, dont beaucoup ont un rayonnement qui va au-delà du quartier, la place doit proposer une lecture claire de l’espace pour orienter et accueillir les usagers de ces différents pôles120. En effet, en plus du marché couvert, qui est un témoin remarquable de l’architecture en béton armé des années années 50, et la médiathèque qui y a été ajoutée en demie-hauteur en 1994, on recense un théâtre et une clinique médicale à proximité de la place du Marché. Or, l’idée de la ville est justement d’attirer les strasbourgeois dans
118 Secteurs d’aménagements actuellement réalisés dans le cadre du projet de la Zone d’Aménagement Concerté (ZAC) Etoile, dont le complètement devrait se faire avec la construction d’une opération mixte sur l’îlot Saint-Urbain en 2018. 119 Entre 2011 et 2013, neuf places strasbourgeoises ont été rénovées, pour un total de 15 millions d’euros de travaux. A.Bross, « Ratés et succès d’une dizaine de rénovations de places à Strasbourg », Rue89 Strasbourg, article publié le 21/10/2013, consulté le 18/02/2017. 120 J.R., « Stationner ou ne pas stationner », DNA Dernières Nouvelles d’Alsace, Edition de Strasbourg, n°270 du 13.11.2010.
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différents quartiers péri-centraux. L’accessibilité et la qualité de ces espaces sont donc des critères importants que la municipalité s’efforce de garantir. C’est ainsi que, grâce au travail du conseil de quartier, émerge une solution autour de l’année 2010. Le plan masse, produit par l’architecte-paysagiste Catherine Linder, met en évidence un long espace minéral sur l’axe marché – théâtre Scala, pour permettre la mise en place d’étals à l’extérieur lors des beaux jours. Parallèlement est construite une pergola, qui accueille l’œuvre d’art tant critiquée de Philippe Lepeut121, qui propose à la fois des ambiances sonores saisonnières et des chants d’oiseaux qui marquent le passage des heures. De l’autre côté de la pergola se déploie un espace largement planté, agrémenté d’un point d’eau et d’une station vél’hop. L’ensemble offre de nombreux endroits pour se « poser », bancs, murets, tables. En revanche, les 150 places de stationnement qui occupaient la place auparavant ont bel et bien disparu, faisant place à quelques emplacements en zone bleue (stationnement gratuit pendant une heure), alors qu’elles devaient initialement être déplacées dans un parking souterrain. Comme me l’a exprimé Eric Chenderowsky, « Le vrai sujet c’est le stationnement. Parce qu’on a des rues qui n’ont pas été dessinées pour accueillir des places, et qu’on a beaucoup de petits immeubles qui n’ont pas de places de stationnement, construits au début du siècle, (...). » ; même s’il est vrai que les modes de déplacement citadins tendent à se modifier depuis la fin des années 1990122, ce qui laisse à croire que l’usage de l’automobile dans le quartier du Neudorf devient minoritaire, et donc les installations qui l’accompagnent, moins indispensables. La finalité est que, depuis sa réalisation en 2013, la place du marché remplit son rôle d’espace public au service de ses habitants (fig. 12). Elle sert autant de terrasse de café, d’extension du marché, d’aire de jeu, de lieu de détente et de repère dans l’espace urbain. Se concentrent autour de cette aire urbaine un grand nombre de services (poste, agences bancaires) et de commerces (deux petits supermarchés, deux boulangeries, trois salons de thé, deux coiffeurs, un bar à vin et une brasserie). 121 Au total 93 000 € des 2,6 millions du budget total pour la rénovation on été alloués à cette œuvre. De quoi en faire roucouler plus d’un. M. Marty, « Voitures délogées et zosios en bande-son : on râle au Neudorf », Rue89 Strasbourg, publié le 04/03/2013, consulté le 12/05/2017 122 En 2009, la part modale de la voiture dans les déplacements des strasbourgeois de la zone Sud (Neudorf – Meinau – Neuhof – Port du Rhin) s’élevait à 38 %, soit une baisse de 11 points par rapport à 1997. Données de l’Enquête Ménages Déplacements (EMD) de 2009.
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Fig. 11 et 12 : AmĂŠnagement de la route du Polygone et de la place du MarchĂŠ
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Un aménagement qui n’est donc pas sans impact sur la qualité de l’environnement de vie proposé au Neudorf, et qui rayonne même au-delà ; puisque le marché du Neudorf est fréquenté par des habitants d’autres quartiers, attirés par la diversité des marchandises et l’esprit traditionnel et sympathique. 2.4. Les enjeux posés par le projet Deux-Rives Ces différents aménagements ont permis d’amplifier, mais aussi de contrôler le développement urbain du quartier, de surcroît avec l’aval des résidents dans la plupart des cas – grâce notamment à la capacité à créer des consensus que possède la Ville, au travers de la valorisation des outils de démocratie locale, comme les conseils de quartier. Ainsi, hormis, quelques détails qui concernent la problématique du stationnement, Le Neudorf est un quartier « fini »123 ; protégé par ses nouvelles règles d’urbanisme. En revanche, il joue un rôle « de l’ombre » dans le grand destin métropolitain de Strasbourg, qui est en train de se jouer par le biais du projet Deux-Rives. Cette opération, qui couvre 250 hectares et prévoit la construction de 9 000 logements, est le plus grand projet urbain à Strasbourg depuis le projet de la Neustadt sous gouvernance prussienne (fig. 13). Il prend sa genèse dans la volonté de relier Strasbourg au Rhin ; au-delà de ses infrastructures portuaires, tout en lui permettant de gravir un nouvel échelon dans son statut de métropole. « C’est la reconquête et l’ouverture de Strasbourg sur le Rhin, qui est une manière d’incarner une nouvelle dimension de la métropole. […] L’idée de Catherine Trautmann en 1990, c’est de dire que si on veut être européens, il faut qu’on soit ouverts sur le Rhin et pas resserrés autour de notre Grand-Île patrimoine mondial de l’UNESCO. Donc ça c’est la première idée. La seconde idée c’est que le centre-ville est à l’étroit. Mais ça c’est pas nouveau, un centre-ville, pour vivre, a besoin de se moderniser en permanence, (...) donc c’est aussi la vie normale d’une cité que d’adapter ses grands équipements aux besoins. Et puis il y avait aussi la volonté d’une reconquête urbaine, de ne pas laisser au cœur de la ville des friches, vraies coupures entre quartiers, entre l’Esplanade et Neudorf, entre 123 Propos d’Eric Chenderowsky, directeur du service Urbanisme et Territoire de la Ville de Strasbourg / Eurométropole, lors d’un entretien le 29/03/2017.
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le Centre-ville et Neudorf. Il y a eu également ce travail de couture entre le Nord et le Sud. »124
Fig.13 plan du projet Deux-Rives aves les différentes étapes de développement
Un important travail de couture avec le Neudorf, puisque le projet prend forme sur sept secteurs du territoire neudorfois, que sont le Heyritz, la Zone d’Aménagement Concerté (ZAC) Etoile, la presqu’île Malraux, l’éco-quartier Danube, le Bruckhof, et le quartier Briand, qui forment l’ensemble dit des « Front de Neudorf », et qui représentent environ 40 % de l’emprise totale du projet. Le travail engagé sur ces secteurs vise, par « un travail de coutures fines »125, à relier les différentes entrées du Neudorf au centre-ville et à l’Esplanade, que ce soit par des quartiers d’habitat, des équipements, des infrastructures comme le tramway, ou des espaces verts. Le projet prend son envol avec la première phase d’urbanisation de la Presqu’île Malraux, par la construction du multiplexe UGC Ciné-Cité en 2000, puis de la cité de la Musique et de la Danse, en 2006, sous la municipalité Keller. Suivent la réhabilitation et l’extension de l’entrepôt Ouest du môle Seegmuller, ensemble industriel de 1932, qui accueille désormais la Médiathèque André Malraux depuis 2008 – après un nouveau changement de couleur politique. Cette même année est construit le centre commercial Rivétoile, de l’autre côté du bassin d’Austerlitz, face à la nouvelle médiathèque, ainsi que différentes passerelles piétonnes et cyclistes permettant de relier les bassins entre eux et au quartier de l’Esplanade. La 124 Idem. 125 Strasboug Deux-Rives, épisode 1. Vidéo-reportage réalisé par la Ville et et Communauté Urbaine de Strasbourg en 2011. http://dai.ly/xmovwn
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seconde phase a vu débuter conjointement l’aménagement des secteurs du Heyritz et du Bruckhof. Le secteur du Heyritz a une importance qu’il faut soulever, car le projet construit y propose à la fois des équipements publics, comme le siège de bailleurs sociaux, l’hôtel de police ou le siège de la caisse d’allocations familiales du Bas-Rhin, diverses formes de logements et un parc de neuf hectares, qui est le résultat de l’aménagement des espaces verts sauvages éponymes qui s’y trouvaient auparavant. Ce parc vient s’ajouter au parc de l’Étoile, au parc de la Citadelle, au jardin des Deux-Rives et au parc Schulmeister, qui sont les grands espaces verts qui entourent le quartier du Neudorf. Les quartiers du Heyritz et du Bruckhof sont livrés en 2014. La seconde phase du projet de la Presqu’île Malraux, qui comprend la réhabilitation des deux autres bâtiments du môle Seegmuller et la construction de trois tours de 55 mètres de haut, les Black Swans, débute en 2012, et doit s’achever en 2018. Il en va de même pour l’éco-quartier Danube et pour le quartier Briand, dont le complètement parachèvera la construction des Fronts de Neudorf. Les impacts qu’entraîneront l’urbanisation complète de ce grand axe, formé par l’avenue du Rhin et le tracé de la ligne de tramway D, ne peuvent pas être mesurés de manière empirique pour le moment. Il est cependant certain que l’arrivée de 20 000 nouveaux résidents, à fortiori la moitié sur le territoire des fronts de Neudorf, ne sera pas sans conséquence pour l’identité du quartier et son fonctionnement. C’est d’ailleurs les craintes qu’expriment de nombreux habitants. « Ça bétonne, ça bétonne. Et ces trois tours… Il devait y avoir une tour de 150 mètres, finalement remplacée par trois tours de 100 mètres, ça fait beaucoup de monde. Et ça va amener des gens qui ont les moyens car ça va être relativement cher, et les hôtels ce ne sont que des 4 étoiles. […] On risque d’avoir des soucis si le climat se dégrade et qu’on a beaucoup de précipitations. On a vu apparaître des remontées d’égouts dans les caves (…). Et avec tout ce qui pousse là, et le nombre d’habitants que ça implique, il y aura peut-être un jour des problèmes. […] Ça manque d’espaces verts aussi ! [La première raison] c’est qu’il faut que Strasbourg devienne une véritable capitale européenne et dépasse le statut de ville de province. L’autre raison, ils le diront jamais, comme il n’ont jamais dit qu’implanter Ciné-Cité à Strasbourg, c’était plus que culturel. La ville, ça l’intéresse que le nombre d’habitants augmente, ça fait des taxes d’habitations, 83
les commerces ça fait des taxes professionnelles, mais bon il faut que Strasbourg reste à taille humaine. »126 Il est intéressant de remarquer que ces arguments, quoique l’expression d’une détresse compréhensible face à de profondes mutations d’un environnement de vie, sont le reflet du discours de l’opposition politique à Strasbourg, que l’on qualifiera sans trop de partialité de conservatrice. En effet, dans une tribune publiée le 24 mai 2012 dans les DNA, la sénatrice du Bas-Rhin Fabienne Keller (UMP) exprime ses doutes sur la stratégie du « tout béton » de la nouvelle municipalité de Roland Ries. Selon elle, son successeur n’a réfléchi qu’en matière d’optimisation, autant en termes de mètres carrés, de hauteurs du bâti, de prospects, d’ouvertures en façades, que d’espaces verts, « donnant à ce quartier des allures de cité-dortoir des années 60-70 (…). »127. Ce à quoi la ville, par la voix de son directeur de service urbanisme et territoires, répond que la densité de Deux-Rives sera bien moindre que celle de la Neustadt, avec une mixité de logements et des prix au mètre carré ne dépassant pas les 6 000 euros pour les plus luxueux. « Je pense que les strasbourgeois avaient perdu l’habitude de voir des constructions. Il y a des grues, non pas partout, mais en permanence, ça change. Alors de 1. les strasbourgeois ils ont peur du changement, et de 2. on change également d’échelle de construction ; on accepte de fabriquer des immeubles qui font sept étages. Le problème c’est que les immeubles de sept étages qu’on a construit dans les années 1960 ils étaient moches, du coup dès que les gens voient que l’on construit haut, c’est forcément moche, alors on réfléchit même plus à ce qu’est l’architecture. Il y a un espèce de dogme qui dit que pour que ce soit beau, il faut que ce soit bas. Pourtant, pour vous dire, il n’y a eu aucun recours sur les permis de construire
126 Propos de G. Hildwein et G. Huguet lors de l’entretien du 13/03/2017. 127 F. Keller, « Construire de la ville mais aussi de la vie. », Tribune publiée dans les DNA Dernières Nouvelles d’Alsace, 24/05/2012. http://www.a-strasbourg.fr/wp-content/ uploads/12.05.15.Construire-de-la-ville-mais-aussi-de-la-vie-Tribune-de-Fabienne-KELLER.pdf
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de Deux-Rives, depuis maintenant six ou 7 ans. Aucun recours ! Donc ça veut dire que tout ce qui a été fait, d’une certaine manière, n’a pas suscité d’opposition. »128 Ou que les habitants ont accepté qu’ils ne peuvent réellement lutter contre le mastodonte des Deux-Rives, et ils se sont résignés à en attendre les retombées positives. D’autant que la défiance vis-à-vis du projet émane principalement du « noyau dur » de la population neudorfoise, c’est-à-dire des personnes qui y sont établies depuis, pour la plupart, plus de 10 ans. Les représentants de tranches d’âge plus jeunes sont plutôt enthousiasmés par cette nouvelle urbanisation et les services qu’elle apporte, émettant toutefois des réserves sur la « durabilité » des nouvelles constructions en béton129, ou par la taille des unités de gestion planifiées, ainsi que la pluralité de moyens de gestion et de financement des opérations (comme l’autopromotion par exemple)130.
2.5. Impacts de la restructuration de la Presqu’île Malraux L’aménagement de la Presqu’île Malraux, qui s’est fait en trois phases distinctes et qui permet donc une analyse avec un peu de recul, amène des éléments de réponse plus précis sur les conséquences qu’il faut attendre de l’urbanisation des fronts de Neudorf. L’ambition de la ville pour ce secteur de projet était clairement d’arriver à créer un nouveau cœur de vie urbain qui serait le « pendant » contemporain du centre historique. La Presqu’île Malraux présente en effet de nombreuses potentialités qui peuvent servir cette démarche : une friche industrielle portuaire qui n’attend que d’être réinventée, dans un contexte ou ce patrimoine architectural à l’abandon n’est plus considérée comme un « cancer urbain, mais comme une réserve foncière » à forte potentialité131. Sa position géographique qui perpétue alors une frontière centenaire entre le centre historique et ses quartiers péricentraux du Sud, mais qui indique, par son caractère longiligne, le futur grand 128 Propos d’Eric Chenderowsky, directeur du service Urbanisme et Territoire de la Ville de Strasbourg / Eurométropole, lors d’un entretien le 29/03/2017. 129 Propos d’un père de famille de 37 ans, lors d’un court entretien informel le 13/05/2017 à la sortie du marché. 130 Propos d’Emmanuel Marx lors d’un entretien le 03/05/2017. 131 L. Andres, « Temps de veille de la friche urbaine et diversité des processus d’appropriation : la Belle de Mai (Marseille) et le Flon (Lausanne) », Géocarrefour, Vol. 81/2, 2006, 159-166.
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axe Est-Ouest d’urbanisation ; en fait un secteur capable de rayonner dans toutes les directions. Enfin, le site se distingue par son rapport à l’eau exceptionnel, un critère important dans l’objectif de Catherine Trautmann dans les années 1990, qui est de remettre sur le devant de la scène la ville portuaire et fluviale qu’est Strasbourg. La construction de différents équipements publics à rayonnement métropolitain a permis de donner une nouvelle visibilité à ce secteur. La médiathèque André Malraux et le multiplexe UGC se distinguent sans aucun doute par leurs caractères inédits ; notamment par leur surface, le multiplexe étant le plus grand d’Europe à sa construction, en 2000. Avant l’urbanisation de la presqu’île, la ville de Strasbourg ne comptait pas de multiplexe, et son offre en salles de cinéma était sous-dimensionnée132. Le cinéma gagne rapidement ses galons auprès de la population locale. C’est également le cas du centre commercial Rivétoile, dont la construction se fait au moment où le centre commercial de la Place des Halles, dans le centre-ville, souffre de son architecture vieillissante et de sa baisse de fréquentation. À la fin de la décennie 2000, l’enthousiasme des débuts retombe progressivement. Le projet de Vittorio Gregotti pour la place de l’Etoile (prévoyant une tour de 100 mètres de haut) n’aboutit pas en raison de la frilosité des investisseurs, le centre commercial Place des Halles se refait une beauté et relance son attractivité en 2013, délestant le Rivétoile d’une partie de ses clients. La crise des subprimes de 2008 affecte beaucoup le pouvoir d’achat des strasbourgeois qui se détourne des centres commerciaux133. La Presqu’île Malraux est un « embryon de pôle urbain [à] l’intertie encore limitée »134, trop peu reliée au centre-ville, et la suite du projet se fait attendre. Les appels d’offre pour les lots encore vacants de la Presqu’île sont lancés en 2011, et les deux édifices encore d’origine du môle Seegmuller sont réhabilités et livrés en 2014 (fig.14). L’arrivée de nouveaux commerces en rez-de-chaussée du bâtiment « Les Docks », et d’une population étudiante logée dans la Maison Universitaire Internationale au sein de l’ancien silo à grain, relance le pouvoir d’attraction du site ; et de nombreuses activités, notamment en été avec les Docks d’été, sorte de Paris-plage à la sauce strasbourgeoise avec transats et pédalos, attirent à nouveau les badauds. 132 18,2 salles pour 1 000 habitants à Strasbourg, contre 27,1 sur l’ensemble de la France. G. Nicole, « Strasbourg perplexe face au multiplexe », Libération, 31/01/2001. 133 J-Y. Guérin, « Les nouveaux centres commerciaux à la peine. », Le Figaro, 22/10/2010 . 134 Propos de Lionel Heiwy, de l’association « Mobilités et urbanismes – TC Alsace », dans une tribune publiée sur Rue89 Strasbourg le 17/12/2012.
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On y trouve également le lieu d’expérimentation numérique, le Shadok, dont les activités et évènements sont également rassembleurs. Le nouveau rôle joué par l’ensemble de la Presqu’île Malraux a diverses conséquences pour le Neudorf et ses habitants. Dans un premier temps, par son pouvoir d’attractivité actuel permet de recentrer l’attention sur la partie Sud de la ville, renforcé par le rayonnement international de la Cité de la Musique et de la Danse. Le marché locatif neudorfois profite de cela, car de plus en plus d’élèves en voie de professionnalisation au conservatoire cherchent désormais à se loger au Neudorf : « on est une concentration de jazzeux et de classiques autour de Landsberg et Polygone »135. Les neudorfois profitent également des espaces publics, commerces et activités proposés sur la Presqu’île Malraux : « bon j’y étais samedi et il faisait beau ; le monde qu’il y avait devant la médiathèque Malraux, sur cette presqu’île avec de l’eau tout autour, c’est très agréable ! C’est le nouveau centre ville de Strasbourg. »136. De plus, ils profitent des nombreux espaces extérieurs et des terrasses ensoleillées, car, dans le Neudorf, ces types de lieux ne sont pas légion137. C’est d’ailleurs également l’une des conséquences néfastes, si l’on peut dire, du projet de la Presqu’île Malraux sur le quartier du Neudorf. Les commerces du quartiers, que l’on peut qualifier de commerces de proximité, ne parviennent pas à rivaliser à armes égales avec le centre commercial, ce qui a pour conséquence une forte instabilité du paysage commercial de Neudorf. Les commerçants du quartier organisent donc leur survie en surfant sur la vague du retour aux circuits courts et commerces de quartier, et du concept de « Neudof, l’autre centre-ville »138. Cependant, pour la large majorité des habitants, la Presqu’île, par son architecture, ses frontières géographiques, ses usages et sa fréquentation, ne peut être considérée comme faisant partie intégrante du quartier, alors que c’est précisément le souhait 135 Propos d’Alexia Walter lors d’une discussion informelle sur les logements des étudiants du conservatoire de Strasbourg, le 03/04/2017. 136 Propos de G. Huguet lors de l’entretien du 13/03/2017. 137 « Y a pas grand-chose, pas de jolie terrasse à Neudorf ! Alors pareil, je pense que c’est complètement capté par la presqu’île Malraux, et ça va pas s’arranger avec les Black Swans, et le Starbucks qui va ouvrir… Mais, probablement, l’îlot SaintUrbain a la possibilité d’attirer progressivement vers l’entrée de la route du polygone. » Propos d’Eric Chenderowsky dans l’entretien du 29/03/2017. 138 Slogan de l’Amicale des Commerçants, Détaillants et Artisans de Neudorf (ACDAN).
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de la municipalité. En effet, pour les anciens habitants du quartier, encore attachés à l’ancienne vision qu’ils avaient du Neudorf, à l’image de Gilles Huguet, le travail de couture n’était pas absolument nécessaire : « [La Presqu’île Malraux] fait partie de Neudorf sans en faire partie. c’est l’ancienne zone portuaire, autrefois on n’y allait pas et c’est devenu une friche. On y trouvait la déchetterie, là où il y a actuellement le ciné-cité. »139. Et pour les nouveaux arrivants, ce territoire marque justement le passage entre le centre-ville effervescent et l’atmosphère plus douce et intime du Neudorf : « Il [Le Neudorf] est séparé du centre par Rivétoile et la rivière, avec une impression de «deuxième ville ». On est loin du centre de Strasbourg, des touristes… mais en en restant très proche. L’ambivalence entre la proximité et la séparation du quartier forge cette impression d’identité unique. »140 En somme, alors qu’un des objectifs du projet de réhabilitation de la Presqu’île Malraux était de servir de couture entre le centre-ville et le Neudorf, les habitants de ce dernier, très attachés à l’ambiance autarcique qui y règne, voient l’opération plus comme une marque de passage plutôt que comme un élément intégré au quartier. Il est vrai également que les équipements qui s’y trouvent ont vocation à attirer des habitants à l’échelle de la ville de Strasbourg ; et les neudorfois auront tendance à se tourner vers les équipements de moindre envergure déjà présents dans Neudorf141. Face aux différentes évolutions qui transforment le quartier de manière directe ou indirecte, celui-ci s’efforce d’adopter une attitude à mi-chemin entre la résilience et l’obstination : s’adapter et se moderniser tout en essayant de préserver les qualités qui ont forgé sa qualité de vie. Bien entendu, tout le processus de densification, d’étoffement et de requalification agit sur le destin du quartier, si bien qu’il est aujourd’hui difficile d’en cerner la future identité. En revanche, ce processus a des effets directs sur l’apparence et le développement du phénomène de gentrification, 139 Propos de G. Huguet lors de l’entretien du 13/03/2017. 140 Propos de M. Perruisseau-Carrier, interne en médecine de 27 ans, lors d’un entretien le 11/05/2017. 141 « On préfère aller à la médiathèque de place du marché, c’est plus petit mais tout aussi bien pour notre enfant ». Propos d’un père de famille de 37 ans, lors d’un court entretien informel le 13/05/2017 à la sortie du marché.
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notamment la proximité immédiate d’équipements, de parcs et d’infrastructures de transports, qui vont modifier l’environnement de vie que propose le quartier142. En revanche, ces transformations entreprises par les pouvoirs publics, bien qu’accueillies au départ avec défiance, sont tout de même le fruit de concertations avec les instances représentatives des habitants. Ce ne sont pas des changements imposés de manière unilatérale, mais des améliorations souhaitées et appréciées des habitants. Il va sans dire qu’une modification de l’environnement de vie entraîne inévitablement des changements dans le profil socio-démographique du quartier et dans les structures d’usages qui l’animent, mais il est également indéniable que les résidents plébiscitent les changements urbains qui contribuent à renforcer la gentrification en attirant des « gentrifieurs ».
142 M.Chabrol, M. Giroud, « Le bâti existant : morphologie urbaine et potentiel de gentrification », in M.Chabrol, A. Collet M. Giroud, L. Launay, M. Rousseau, H. Ter Minassian (dir.), Gentrifications, Editions Amsterdam, 2017, p.117-121.
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Fig.14 Le môle Seegmuller avant et après sa réhabilitation.
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Chapitre 3 : Un quartier en proie à des conflits d’identités.
3.1. Vers un nouveau profil socio-démographique dominant Comme l’a démontré Anne Clerval dans son ouvrage sur la gentrification à Paris143, les politiques publiques d’embellissement et (re-)dynamisation de la ville passe par des actions au sein de quartiers caractérisés par un profil social moyen, regroupant des individus de la classe moyenne et de la classe populaire, en voie de transformation – voire de gentrification. Au-delà des conséquences visibles des transformations urbaines évoquées dans le chapitre précédent, on observe également des changements dans les différents profils sociaux représentés, ainsi que dans les trajectoires et habitudes de résidents. Les statistiques élaborées par l’INSEE à partir de données recueillies lors des deux derniers recensements, en 2008 et en 2013, permettent de mettre en évidence des évolutions notables des structures de population du Neudorf. De plus, les données collectées à l’échelle de l’IRIS144 font apparaître d’importantes disparités sur ces mêmes structures de populations et de ménages selon leur positionnement géographique, que l’on peut corréler à d’autres indicateurs remarquables, comme les revenus disponibles des ménages, la représentation des différentes catégories socio-professionnelles Entre 2008 et 2013, le Neudorf a connu une hausse démographique de 5,7 %, atteignant les 38 725 habitants (voir tableau 1 en annexe). Or, dans un quartier soumis au phénomène de gentrification, cette évolution démographique est particulièrement observable parmi les populations jeunes, en attirant à la fois des couples avec enfants, ou alors des gentrifieurs solitaires, étudiants ou jeunes actifs, ainsi que l’a démontré J.Y. Authier dans son étude du quartier Saint-Georges à
143 A.Clerval, Paris sans le peuple. La gentrification de la capitale, La Découverte, Paris 20132016, p.227. 144 « IRIS » est l’acronyme du terme îlot regroupé pour l’information statistique. Il s’agit d’un découpage infra-communal utilisé par l’INSEE pour récupérer des données précises qui serait invisibles à l’échelle d’un quartier. Les IRIS sont déterminés selon les critères suivants : population entre 1800 et 5000 habitants, homogènes quant à leur type d’habitat, limites générées par les coupures du tissu urbain (voiries…).
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Lyon145. Les statistiques146 démographiques de la dernière période inter-censitaire corroborent cette observation dans le cas du quartier de Neudorf. On y observe une augmentation des populations âgées de 0 à 14 ans et de 15 à 29 ans, alors que les deux tranches décrivant les populations âgées de 30 à 59 ans et de plus de 60 ans décroissent significativement (respectivement -16,4 % et -9,5%). Les 30-59 ans restent néanmoins majoritaires (37,4%) si l’on considère le quartier dans son ensemble. En revanche, on observant les évolutions démographiques des différents IRIS qui composent le quartier (fig. 15); deux zones géographiques précises se distinguent quant à leurs proportions en populations « jeunes », et leur tendance à voir ces tranches d’âge évoluer entre les deux recensements. Il s’agit des IRIS situés de part et d’autre de l’arrêt de tramway Schluthfeld, à l’Ouest du quartier (n°1204 et 1206) ; et des Iris décrivant l’Est du quartier, autour et au Sud de l’avenue Aristide Briand (n° 2301, 2302 et 2303). La plus grande hausse de population, toutes catégories d’âge confondues, est enregistrée dans l’IRIS SaintUrbain (n°1207), dans le Nord du quartier, au sein duquel se trouvent les opérations immobilières de la Presqu’île Malraux ainsi que certaines constructions anciennes de l’architecture de glacis dont certaines ont été transformées en logements collectifs. On y note une hausse particulière parmi les 0-14 ans (+7,9%), ce qui indique que les nouveaux arrivants des opérations immobilières du Nord du quartier correspondent au profil du couple avec enfant(s). L’analyse de l’évolution démographique démontre d’un renouvellement de la population : des populations jeunes s’installent dans le quartier, parfois avec des enfants ; tandis que les populations âgées de 40 ans et plus sont de moins en moins représentées, bien que restant dominantes dans la plupart des IRIS, pour ce qui concerne la tranche 30-59 ans. En 2013, 20 % des IRIS neudorfois présentent un profil démographique où les 15-29 ans sont majoritaires, contre 15 % en 2008, ce qui indique la présence de caractéristiques démographiques faisant écho à la gentrification. En revanche, cette tendance est loin d’être homogène et laisse penser à une répartition irrégulière du phénomène. Celle-ci est dans un premier temps à corréler avec la construction d’opération de logements sur des terrains 145 Se référer au paragraphe 2.3 du chapitre 2 de la partie 1 de ce travail. 146 L’ensemble des statistiques utilisées comme support d’interprétation de cette partie sont issues des données collectées par l’INSEE et compilées sous formes de bases de données accessibles. Certaines d’entre elles m’ont été gracieusement fournies par le service d’analyses et d’observations du territoire de l’Eurométropole de Strasbourg.
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laissés vacants. Ainsi, en 2013, entre 8 et 12 % du parc de logements occupés des IRIS de l’Ouest a été construit entre 2005 et 2011. La part grimpe à 24 % sur l’IRIS Saint-Urbain pour les raisons évoquées précédemment. Le taux dépasse également les 10 % pour l’IRIS Metzeral situé entre les avenues Jean Jaurès et Aristide Briand. La présence de la gentrification comme processus de transformation sociale est également remarquable lorsque l’on examine les catégories socio-professionnelles des résidents neudorfois (voir tableau 2 en annexe). C’est au sein de ces mêmes IRIS - n° 1204 et 1206 à l’Ouest, n°1207 au Nord et n°2303 à l’Est que l’on enregistre les plus fortes progressions de part des Cadres et professions intellectuelles supérieures sur la période 2008-2013 (entre 6 et 15 points). Les IRIS centraux, ayant profité de la rénovation de la place du marché mais n’ayant pas bénéficié de nouvelles opérations de logements, enregistrent également des hausses, mais bien moins fortes. Ce sont plutôt les professions intermédiaires qui se démarquent (+10 points sur l’IRIS Neudorf Marché). Quant aux employés et ouvriers, leur proportion est stable, voire en baisse, dans la plupart des sousquartiers du Neudorf. On note cependant deux hausses notables de la part de ces catégories dans deux IRIS situés à l’Est, de part et d’autre de l’avenue Aristide Briand. Enfin, la part des artisans, commerçants et chefs d’entreprise, que l’ont peut lier aux dynamiques commerciales du quartier, reste très stable sur l’ensemble du quartier, ainsi que dans la plupart des sous-quartiers. Les IRIS Lombardie (Ouest, n° 1206), Kurvau (Nord, n°2304) et Soultz (Est, n°2302) se distinguent par une légère hausse. Ainsi, on peut confirmer que le profil social majoritaire des sous-quartiers du Neudorf est en mutation dans les territoires qui se démarquaient déjà par leur démographie en forte évolution, alors que sur l’ensemble du quartier, les évolutions sont relativement faibles, hormis pour la catégorie des ouvriers, qui diminue tout de même de 3,4 points. Le phénomène observé est donc extrêmement localisé et correspond à la grille d’analyse de la gentrification en terme d’évolution sociale d’une aire urbaine. Cependant, on remarque que, dans le cas des zones situées à l’Est du quartier, cette gentrification est bien moins évidente que dans l’Ouest. En effet, alors que le sous-quartier du Schluthfeld répond au schéma classique et identifiable de la gentrification, le phénomène à l’œuvre dans les quartiers Est est plus ambigu ; 93
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Fig.15 Carte des IRIS Strasbourgeois avec, en surbrillance, les IRIS du Neudorf
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dans le sens où les catégories socio-professionnelles les plus extrêmes en terme de position sociale cohabitent et, alors que la proportion de cadres et professions intellectuelles supérieures augmente significativement, on relève dans le même temps un taux de chômage qui atteint les 40 % pour l’IRIS n°2301. De plus, selon les données de la Caisse d’Allocations Familiales du Bas-Rhin, les allocataires présentant les profils les plus précaires147 obtiennent pour la plupart des taux élevés dans ces mêmes teritoires. Cette polarisation du quartier se retrouve dans l’évolution des revenus bruts disponibles. Entre 2002 et 2013, le revenu disponible médian strasbourgeois a subi une baisse importante (tableau 3) de l’ordre de 13,8 %. Une évolution qui ne se retrouve pas dans les statistiques de Neudorf, puisque le revenu disponible médian n’y a baissé que de 1,9 %, s’élevant en 2013 à 20 394 euros, de 10,5 % supérieur au revenu médian de Strasbourg. Les IRIS de l’Ouest et du Nord s’embourgeoisent, avec une augmentation de 5,3 % en moyenne. Le quartier Saint-Urbain est indubitablement le plus aisé avec plus de 22 000 euros de revenu médian disponible. En revanche, les IRIS de l’Est se distinguent par des diminutions importantes du revenu disponible médian, de l’ordre de 11 % en moyenne. Les IRIS circonscrivant la place du marché subissent quant à eux des évolutions hétéroclites, avec une baisse de 13 % du revenu sur l’IRIS Grossau (n°2406) et une augmentation de 2,5 % sur l’IRIS limitrophe (n°1201). Les données exposées précédemment ne permettent pas d’expliquer de manière satisfaisante ces fluctuations de revenus au regard des évolutions de profils sociaux. Par ailleurs, la cohabitation de populations aisées et précaires sur des territoires proches, voire limitrophes pour certains IRIS, suggère l’existence d’une structure du parc de logement à la fois variée et hétéroclite. La répartition des logements attribués sur critères sociaux (tableau 6) apporte une explication de la diversité spatiale et structurelle du phénomène de gentrification qui marque le Neudorf. Sur la période 2008-2013, le nombre de logements s’est légèrement étoffé sur l’ensemble du quartier (+5,5%) ; à l’instar du nombre de logements HLM (+9,9%), même si la part de ceux-ci au sein de l’ensemble du parc de logement reste peu importante (environ 10%). Strasbourg fait pourtant figure d’exemple en terme de valorisation du parc social en France ; avec 24,3 % de logements HLM, ce qui est pratiquement conforme aux exigences de la Loi 147 J’ai relevé ici, parmi l’ensemble des allocataires, les familles monoparentales, les couples avec 3 enfants ou plus, les allocataires RSA et les allocataires dont les revenus sont constitués à 100 % de prestations sociales.
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Duflot148, mais ces logements sont inégalement répartis du fait de la tendance aujourd’hui caduque de construire de grands ensembles proposant exclusivement des logements HLM, comme ce fut le cas jusqu’à la fin XXème siècle. Le quartier de Neudorf illustre en partie ce phénomène, puisque les sous-quartiers à l’Est, qui abritent le plus de profils sociaux précaires, ont une part importante de logements sociaux. Par exemple, près de la moitié des logements de l’IRIS n°2302 sont attribuables sur critères sociaux du fait de l’implantation de la cité Risler. En revanche, cette part de locatif social, bien que majoritaire, tend à s’effacer au profit des logements en accession ou en locatif privé (-6,4 points pour l’IRIS n° 2302 et -12,6 points pour l’IRIS n°2303), alors justement qu’on y constatait une hausse des catégories socio-professionnelles hautement rémunérées. Par ailleurs, les IRIS les plus riches, situés à l’Ouest et au Nord du quartier, dont la part de logement sociaux se situe entre 1 % et 6 % du parc de logements, voient cette part augmenter – timidement, entre 2 et 7 points – de par la construction de nouvelles opérations immobilières intégrant des logements aidés149. Ainsi, dans les quartiers caractérisés par une forte proportion d’habitat social, la gentrification progresse en entraînant une baisse du nombre de logements aidés, au motif de favoriser la mixité sociale. Dans les quartiers qui s’embourgeoisent, la part d’habitat social bénéficie certes d’une augmentation, mais la construction de logements de tous types occulte cette hausse. Contribuant à renforcer la domination des logements occupés, soit par des ménages pouvant acheter un logement, soit par des ménages en capacité de louer un logement issu du parc privé. Si le processus socio-urbain identifié comme étant la gentrification par les chercheurs français passe par la réappropriation d’un quartier autrefois bourgeois puis progressivement paupérisé par une classe sociale cultivée et « capée », le phénomène observable au Neudorf en diffère sur plusieurs points. D’une part, le caractère socialement hétéroclite du quartier ne permet pas au processus de s’ancrer dans l’ensemble de son territoire. De plus, celui-ci s’observe dans des 148 Loi promulguée en janvier 2013 par la Ministre du logement (PS-Verts) de l’époque Cécile Duflot, dont l’article 10 porte à 25 % le taux de logement social pour les villes de plus de 1500 habitants, faisant partie d’une agglomération de plus de 50 mille habitants, dans laquelle se trouve au moins une commune de plus de 15 000 habitants. Ce taux était précédemment de 20 % (Loi SRU 2000). 149 Le Plan Local d’Urbanisme de l’Eurométropole vise la construction de 3000 logements par an, dont la moitié de logements sociaux. Concrètement, cela se traduit par l’obligation d’intégrer du logement aidé dans une opération de plus de 12 logements.
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territoires à la fois précaires car marqués par la forte proportion d’habitat social, et la précarité de ses ménages ; mais également dans des territoires auparavant dominés par la classe populaire et la classe moyenne inférieure sans pour autant concentrer des ménages marqués par une grande précarité. Le renouvellement de population n’est pas encore complet : ainsi, les ménages ayant emménagé depuis 10 ans ou plus sont encore majoritaires au Neudorf, et occupent localement un taux moyen de 30 %. Cette proportion tend à s’affaiblir dans les IRIS de l’Ouest et de l’Est, qui sont, comme vu précédemment, les points de chute des nouveaux arrivants du quartier. Autre élément intéressant : lors des élections municipales à Strasbourg en 2014, une partie non négligeable de l’électorat neudorfois de l’Ouest et du centre a voté en faveur du candidat d’Europe Écologie Les Verts, Alain Jund – avec plus de 10 % des suffrages exprimés en faveur du parti écologiste dans 10 des 23 bureaux de votes à Neudorf. Ce dernier a même obtenu un score de 18,2 % au bureau 703, qui regroupe l’Ouest du Schluthfeld et l’îlot Lombardie. En revanche, l’Est Neudorfois n’a pas fait les mêmes faveurs à M. Jund, puisqu’il y obtient des scores qui n’excèdent pas les 8 %, c’est-à-dire moins que le score du parti sur l’ensemble de Strasbourg (8,5% des suffrages exprimés). Or, le vote « écolo », ou le vote à gauche en général, est identifié comme caractéristique de la progression du processus de gentrification150. Les caractéristiques des gentrifieurs neudorfois correspondent à un profil d’actif, en couple, voire avec enfants, diplômé et cultivé, ayant accès à des postes à haute rémunération, en capacité financière d’accéder à la propriété. Il privilégie les modes de déplacements doux et est sensibilisé au développement durable. On peut rapprocher ce profil dominant de la notion sociologique de « créatif-culturel ». Ce terme désigne un sociotype composé de personnes qui se retrouvent autour de valeurs partagées telles que l’écologie, l’implication sociale, l’égalité hommefemme, la place de ce qu’on nomme les minorités dans la société, la recherche de culture, de débat, et dont les comportements sociaux s’émancipent des courants sociaux dominants de la fin du siècle dernier151, en promouvant notamment le 150 Carte interactive des résultats du premier tour des élections municipales de 2014, réalisée par Rue89 Strasbourg. http://www.rue89strasbourg.com/resultats-elections-municipales-1er-tourstrasbourg-62495 151 Ce sociotype a émergé aux Etats-Unis lors d’une vaste enquête psycho-sociologique menée en 1999 par la psychologue Sherry Anderson et le sociologue Paul Ray. L’enquête avait pour but de déterminer les rapports de force entre les individus dits modernistes, et ceux dits traditionnalistes (en vulgarisant, les démocrates et les républicains à l’époque Bush-Clinton). Or, plus d’un quart des
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changement social. Il reste à déterminer l’impact de ce nouveau profil social sur l’environnement de vie et les comportements sociaux établis dans le quartier du Neudorf.
3.2. La transformation lente mais certaine d’un environnement de vie Le renouvellement de population inhérent au phénomène de gentrification implique une évolution des usages et aspirations en terme d’offre commerciale et de loisirs. En effet, en modifiant le profil social majoritaire d’un espace urbain, les nouveaux arrivants viennent également bouleverser les habitudes commerciales et de loisirs pré-existantes, qui forgent en partie l’identité d’un quartier. En délaissant ou favorisant des commerces, les gentrifieurs imposent une nouvelle organisation de la vie commerciale du quartier, non sans impact sur l’image de celui-ci à l’échelle de la ville. Au Neudorf, la transformation est particulièrement visible le long des axes majeurs du quartier, comme la Route du Polygone, la Route de l’hôpital ou l’avenue de Colmar, dans l’Ouest du quartier ; et la rue de Ribeauvillé, les avenues Jean Jaurès et Aristide Briand dans l’Ouest. L’évolution des enseignes de restauration constitue le fil rouge du renouvellement des vitrines du quartier, comme c’est souvent le cas à Strasbourg152. L’un des premiers concepts à avoir été lancé dans le Neudorf est le restaurant de sandwiches d’inspiration américaine Franky’s Diner, à l’entrée de la route du Polygone, lancé par l’entrepreneur Franck Meunier, notoirement connu pour posséder un grand nombre d’établissements de restauration et de nuit. C’était en 2006. Depuis, avec le développement du tramway, des fronts de Neudorf, et du Rivétoile, qui regroupe à lui seul une concentration de nouveaux établissements, les restaurants ont pullulé à Neudorf. Les restaurants (116 enseignes recensées à la Chambre des Commerces et des Industries, soit un peu plus de 10 % des commerces neudorfois) ont profité à la fois de l’attrait généré par le quartier transformé, et par la nouvelle clientèle qui s’y est installée depuis le milieu des années 2000. participants ont revendiqué appartenir à un système tiers. L’enquête a été suivie d’un livre : P.H.Ray, S.R.Anderson, L’émergence des Créatifs Culturels, Editions Yves Michel, 2001.Explications de P. Viveret dans Ce soir ou jamais, émission du 26.01.2011. 152 Notamment avec la multiplication des franchises. Flam’s, Nooï, Mezzo Di Pasta, Francesca, Bagelstein, Pur etc. ont toutes été créées à Strasbourg
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Lorsque l’on examine les baux commerciaux octroyés depuis le début des années 2000, on retrouve plusieurs franchises, notamment de gastronomie japonaise ou italienne, quelques restaurants traditionnels et un grand nombre de snacks. Leur répartition géographique n’est pas anodine, témoignant de la volonté des investisseurs de toucher les nouveaux habitants. En effet, ces nouveaux restaurants se situent sur les axes desservis par les tramways notamment le long du tracé menant à Illkirch, ainsi que le long de la très passante route du Polygone. Les snacks plus modestes, ainsi que les restaurants de cuisine nord-africaine ou turque, se répartissent vers le Sud et l’Est du quartier. Ce boom commercial n’est pas achevé, puisque depuis 2010, ce sont 505 commerces qui ont ouvert à Neudorf, soit près de la moitié des 1075 enseignes qu’il compte au total. De même, sur 116 restaurants, 74 ont été ouverts depuis 2010153. Toutes les enseignes ouvertes ne sont pas uniquement destinées à la clientèle jeune et « branchée », et quelques restaurants reprenant l’esprit de « bistrot » des établissements qu’ils ont remplacé ont continué à mobiliser une clientèle « de comptoir », constituée d’habitués du quartier. C’est le cas par exemple du bistrot Le Salto, situé rue de l’ancienne école, dans l’ancien hameau du Ratzendörfel, où les plus de 40 ans sont majoritaires, et où plus de la moitié des habitants y réside depuis plus de 10 ans. Cette frénésie ne se retrouve pas dans l’évolution du nombre de débits de boissons, au nombre de 6, et tous ouverts après 2010. Là encore, la position géographique renseigne beaucoup sur la stratégie commerciale du lieu. Le café Aux Trois Cigognes, situé place de la Ziegelau, dans la partie Sud de la route du Polygone, plus populaire et proche de la cité Jules Siegfried, se reconnaît comme un café-brasserie traditionnel, attirant une clientèle d’habitués plutôt âgés. Le Ziegelfeld et le Marnia, situés respectivement rue d’Orbey et avenue Aristide Briand, correspondent au profil commercial du bar-PMU, attirant des ouvriers et des habitués, plutôt âgés également. Les vitrines de ces établissements ne sont guère originales, ni même avenantes, ne servant qu’à renseigner sur la fonction du lieu. Elles sont toutes deux situées en rez-de-chaussée d’immeubles de logements des années 70. Le Saint Aloise, située dans la rue éponyme, proche de la place du Marché, remplissait la même fonction jusqu’en 2016, date de son 153 Données gracieusement fournies par la CCI, consultables en ligne : https://issuu.com/ blandinekuntz/docs/liste_ensas_04_2017
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rachat. L’établissement est actuellement en travaux. Non loin de là à l’Ouest, sur la place du marché, se trouve un bar à vins. On peut y déguster les grands crus sélectionnés par un caviste qui tient sa boutique non loin de là, dans la rue Rathsamhausen. L’établissement, signalé sur internet et les réseaux sociaux (contrairement aux précédents), est très fréquenté aux heures de l’apéritif, ainsi qu’à la sortie du marché, le samedi. La clientèle est majoritairement constituée de trentenaires, parfois en famille. Enfin, avenue Léon Dacheux, axe perpendiculaire à la route du Polygone, on trouve le seul bar de Neudorf connu de la population extérieure au quartier – notamment les étudiants. Il s’agit du Café Grognon, bar ouvert par le patron du Grincheux, situé dans l’hypercentre, en 2013. L’endroit est très fréquenté, à la fois par les étudiants du quartier et par les populations actives. L’équipe du bar organise régulièrement des activités et concerts pour mobiliser la clientèle. L’établissement est également présent sur les réseaux sociaux, où il y est très actif. Ainsi, on retrouve, dans la répartition et la stratégie des débits de boissons, le morcellement déjà démontré dans la partie précédente, avec des établissement destinés aux classes populaires à l’Est (PMU, cafés, bistrots), et des lieux plus contemporains et « branchés » à l’Ouest. De fait, la conjoncture créée par l’aménagement du quartier, la construction de logements et le renouvellement de la population ont accéléré la débâcle de certains commerces et favorisé l’émergence de nouveaux établissements de restauration et de débits de boissons, qui ont donné le ton pour les stratégies commerciales des commerces encore à ouvrir. Ainsi, la route du Polygone s’est étoffée, depuis 3 ans, d’une épicerie sans emballages (fig. 16), de deux épiceries de produits fins, d’une brasserie artisanale (Bendorf) d’une boutique bio, d’une librairie, d’un restaurant sans gluten, d’une brasserie-théâtre et d’un magasin de vente et d’entretien de cycles. Autant de commerces qui remplissent les attentes des gentrifieurs. Cette tendance va probablement se poursuivre sur l’axe Deux-Rives, puisque l’écoquartier Danube devrait prochainement voir ouvrir le premier magasin entièrement végane de Strasbourg. Au-delà de la transformation du paysage commercial, c’est également l’offre culturelle du quartier qui s’est grandement étoffée, notamment depuis l’ouverture de la médiathèque sur l’entresol du marché couvert, en 1994. Cette médiathèque est notamment additionnée d’une « artothèque », qui fonctionne sur le même 100
Fig. 16 Nouvelles vitrines Ă Neudorf
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principe que tous les établissements dont le nom port le suffixe « thèque ». C’està-dire que des œuvres y sont stockées, que l’on peut emprunter pour une durée de deux mois. Cette action vise à promouvoir l’art auprès du grand public tout en encourageant, par la médiation et la diffusion, la création artistique. Le fait que l’artothèque soit intégrée au quartier du Neudorf démontre de l’ambition de la ville de « réformer » le quartier. D’autres équipements culturels d’envergure sont également implantés au sein du quartier. C’est par exemple le cas de la Maison Bleue, une salle associative destinée à la création et la diffusion de musique actuelle. Les artistes peuvent y résider pour enregistrement, y louer des studios de répétition ou se produire dans la salle de concert. Non loin de la Maison Bleue, à côté du lycée Jean Monnet, on trouve le centre culturel Marcel Marceau, qui propose des activités et concerts destinés aux habitants du quartier, et accueille ponctuellement des évènements qui attire un public venu de toute la ville, comme la convention de tatouage de Strasbourg154. Dans le centre du quartier, à coté de la place du marché, l’ancien cinéma Scala a été reconverti en théâtre-brasserie. Enfin, l’ensemble des équipements de la Presqu’île Malraux, quoiqu’un peu détachés du reste du quartier, apporte une offre culturelle importante pour les habitants et les résidents éloignés. La gentrification a ainsi contribué à façonner une nouvelle image du quartier du Neudorf, du moins dans certains territoires particulièrement favorables au renouvellement des vitrines du fait de l’évolution du profil social majoritaire et des usages commerciaux induits par l’arrivée de nouveaux habitants. Cette évolution touche particulièrement les territoires embourgeoisés du centre et de l’Ouest ; alors que le Nord profite de l’aménagement récent de la presqu’île Malraux. Les commerces du Sud et de l’Est du quartier construisent une image plus populaire et intime, qui accompagne les habitants dans leurs habitudes. L’offre culturelle a également évolué, de manière moins dynamique. Les nouveaux équipements se regroupent principalement à l’Ouest et au Nord du quartier, autour des centralités créées par la place du Marché et la presqu’île Malraux. L’Est et le Sud en sont plus dépouillés, car même si le centre culturel Marcel Marceau se veut avant tout au
154 Tattoo World 2013 : convention de tatouage à Strasbourg. Publié par StrasTV.com le 11/05/2013. http://dai.ly/xzsech
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service des habitants, la Maison Bleue quant à elle, par sa programmation et son orientation de genre, s’adresse à un public spécifique.
3.3. Une évolution des comportements sociaux aux conséquences visibles Par son caractère autonome et sa position au cœur des évolutions urbaines de la métropole à laquelle il appartient, le quartier du Neudorf a favorisé l’émergence d’un esprit revendicateur et défenseur de la qualité de vie qu’il offre à ses habitants. Ainsi, avant même l’apparition du phénomène de gentrification, l’engagement associatif était un marqueur fort de la vie sociale du quartier. l’association ARAN, déjà évoquée précédemment, représente la genèse de cet engagement associatif. Elle a été fondée par une poignée d’habitants du quartier en 1977, face aux décisions d’urbanisme alors peu concertées et imposées par la municipalité Pfimlin. L’association a notamment bataillé pour la conservation d’une maison de style régionaliste à l’entrée de la route du Polygone, qui devint son siège social et local de réunion, avant d’être démolie lors des travaux de la ZAC Etoile en 2012, et reconstruite par le bailleur social CUS Habitat, dans une architecture librement inspirée de la maison ancienne, dans le cadre de la même opération immobilière. L’Association des Commerçants, Artisans et Détaillants de Neudorf, créée en 1969, intervient quant à elle auprès des commerçants du quartier, œuvrant pour une bonne cohésion par l’organisation d’évènements ponctuels, et également pour la défense du commerce local. Pendant longtemps, l’ARAN constitue le seul organe associatif à représenter les habitants locaux auprès de la municipalité, tout en organisant des activités de loisirs et culturelles. Elle est également très active sur les problématiques d’urbanisme qui touchent le quartier, notamment les conséquences de l’urbanisation sur son patrimoine local. L’association a ainsi édité deux guides en 1987 et 1990, dans laquelle les habitants expriment leurs souhaits quant aux orientations urbaines et d’aménagement du
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quartier. L’association joue également un rôle important lors de la révision du POS, depuis les premières consultations en 1985 jusqu’à son approbation en 2002. « (Georges Hildwein) Oui, enfin pour dire qu’on était la seule association jusqu’à l’épisode du tram. (Gilles Huguet) Oui, et s’il n’y avait pas eu de problèmes de tracé de tram, on serait sans doute toujours la seule association, alors que maintenant, on a des concurrents, entre guillemets. (Georges Hildwein) Enfin des concurrents, on a d’autres associations qui sont à peu près sur les mêmes créneaux. Actuellement il y a deux autres associations de résidents. »155 Ces associations sont l’Association Pour Servir l’Avenir de Neudorf (APSANe) et Pour Neudorf, respectivement créées en 2000 et 2002, dans un contexte où les tracés des extensions du tramway concernant le quartier faisaient polémique. Aujourd’hui, les problématiques liées à la fondation de ces différents organes ayant été résolues, les associations sont en perte de vitesse et survivent grâce à l’organisation d’évènements venant ponctuer le quotidien du quartier : balades à vélo pour découvrir le patrimoine du quartier, marché des créateurs, collecte de sapins de noël. L’ARAN prépare également un dossier pour améliorer les mobilités douces dans le quartier, notamment par rapport aux grands axes routiers dont l’aménagement date un peu. Le paysage associatif constitué de ces trois organes représente les « habitants anciens » du quartier, parfois considérés comme passéistes par la municipalité156, puisque leurs revendications vont souvent à l’encontre des évolutions – vues comme nécessaires – fonctionnelles, structurelles
155 Propos recueillis lors de l’entretien du 13/03/2017. 156 « Quand j’ai travaillé avec l’ARAN, y a 20 ans, ben c’étaient des trentenaires – quadra, qui étaient très engagés [...]. Ils étaient plus intéressants quand ils étaient en train de revendiquer et se mettre en position d’acteurs forts, parce qu’il y avait quelque chose à construire, que maintenant que les choses sont faites. […] Ils auraient dû se dire, ben on va devenir les vigies, peut-être être ceux qui regardent comment ça se passe, mettre en place un observatoire du suivi des transformations, ils auraient pu être des observateurs des transformations ». Propos d’E. Chenderowsky lors de notre entretien du 29/03/2017.
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et urbaines du quartier. Ces associations ont d’ailleurs un noyau de membres historiques mais peinent à rassembler de nouvelles recrues. « Alors bon, assez rapidement, [les associations] se sont un peu sectionnées. Bon nous on a été jusqu’à une centaine de membres, on s’occupait de problèmes précis quand il y avait un problème dans un coin, un espace vert qui risquait de disparaître ou un bâtiment ancien qui pouvait être démoli etc, on faisait l’équivalent des réunions de pied d’immeuble de Mme Richardot, l’adjointe de quartier, qu’on appelait Stammtisch, et on se retrouvait. L’association faisait des discussions, on se retrouvait à un endroit précis, on demandait aux habitants de venir et on faisait des discussions, ils pouvaient s’exprimer, les élus se déplaçaient et on terminait ça par un pot dans un bistrot du quartier. Si vous voulez, on a fait le travail que fait actuellement le conseil de quartier. »157 En effet, depuis l’élection de Roland Ries, les organes de démocratie de proximité ont été renforcés, conformément au programme qui l’avait fait élire en 2008, plébiscité par les strasbourgeois après le mandat à « gouvernance autoritaire » du tandem UMP Keller-Grossmann158. Lors de son premier mandant, M. Ries alloue donc un budget de 30 000 euros à chaque conseil de quartier (CoQ), et les avis de ces derniers sont joints aux délibérations du conseil municipal quand il s’agit d’une modification de l’espace public. Le conseil de quartier se veut un outil multipolaire rassemblant des habitants, des associations et des socio-professionnels qui se réunissent autour de différents projets qui touchent le quartier directement ou indirectement – projets d’aménagement, d’urbanisme, de vivre-ensemble. Il est constitué de membres permanents, dont trois quarts d’habitants et le reste de membres associatifs ou de professionnels. Les membres mènent leurs réflexions au sein de groupes thématiques publics qui constituent les sous-entités du CoQ. Le résultat des réflexions est ensuite porté à l’attention du conseil municipal. Les membres permanents s’engagent pour une durée de trois ans, ils sont sont tirés au sort parmi les candidats159. À Neudorf, le CoQ est particulièrement actif avec des réunions mensuelles en plus de rencontres organisées avec l’adjointe de quartier, 157 Propos de G. Hildwein lors de l’entretien du 13/03/2017. 158 M.Marty, « Municipales, les promesses du candidat Ries ont été tenues… à moitié », Rue89 Strasbourg, publié le 22/03/13. 159 Charte des conseils de quartier, Ville de Strasbourg, 11/04/2011. http://alturl.com/usbxh
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Mme. Richardot, et il compte une soixantaine de membres. Les thèmes abordés spécifiquement par le CoQ du Neudorf-Musau-Port du Rhin sont : -----
la mobilité, la nature et le lien social sur l’axe Deux-Rives les aménagements, l’emploi et l’éducation au port du rhin l’appropriation de l’espace public au « Vieux-Neudorf » la mobilité et la vie de quartier à la Musau.
Cet organisme tend donc à supplanter les anciennes associations de résidents dans la représentation du quartier auprès des élus lors de débats liés à l’espace public. Ainsi, Georges Hildwein, président de l’ARAN, n’hésite pas à avouer que « La forme actuelle [du conseil de quartier] fonctionne moyennement assez bien, même s’il nous mange l’herbe sous le pied dans le sens où ça fait beaucoup de problèmes qui se retrouvaient chez nous qui désormais se retrouvent au conseil de quartier. Nous on a vieilli, et bon, on est moins nombreux aussi, on participe au conseil de quartier, aux évolutions etc. On fait moins appel à nous sur des problèmes précis mais on fait appel à nous pour nos connaissances si vous voulez. »160. En difficulté face à la nécessité de leur propre renouvellement, les associations historiques sont donc vouées à disparaître des débats à enjeux ; remplacées par les outils de démocratie locale et d’initiatives citoyennes mises en place par la municipalité et donc bénéficiant de subventions. Si le paysage associatif traditionnel ne témoigne guère du renouvellement de population et des mutations sociales pourtant évidentes que j’ai analysées précédemment, on assiste à la formation de quelques associations et collectifs qui s’alignent sur l’idée de la présence du phénomène de gentrification à Neudorf. Une partie de ceux-ci sont destinés à renforcer les liens entre habitants, non pas du quartier dans son ensemble, mais d’entités plus petites et identifiables au sein du quartier. C’est par exemple le cas de « concertation saint-urbain », dédié au sous-quartier éponyme ; ou une association de réparation de vélo. Dans la même veine, on trouve le collectif du ruisseau bleu, qui organise chaque année une fête des voisins dans la rue du même nom, au Nord de la place du marché161. Des associations essentiellement constituées de trentenaires, installés depuis le début de la décennie 2000 pour les plus anciens. Le collectif du ruisseau bleu a d’ailleurs 160 Propos recueillis lors de l’entretien du 13/03/2017. 161 « Rue du Ruisseau bleu, comment des voisins sont devenus solidaires », vidéo de Rue89 Strasbourg, publiée le 06/05/2016. https://youtu.be/F8qGmQ2P108
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créé, en plus de la « baignade du ruisseau bleu », qui est la fête des voisins, une fête dédiée aux enfants – nombreux dans cette rue peuplée de jeunes couples. ; suivie de la création d’un jardin partagé. L’îlot Lombardie est probablement le plus connu en terme d’initiatives citoyennes, puisque c’est dans la rue de Lunéville qu’a été construite la première opération de logements d’habitat participatif en autopromotion de Strasbourg, à l’initiative de l’association Eco-quartier Strasbourg (EQS), créée avec les ambitions d’initier des projets semblables à celui du quartier Vauban à Fribourg-en-Brisgau. On y trouve également la Maison Citoyenne, qui est une initiave locale récente d’offrir un espace entièrement dédié aux habitants, en leur offrant différentes possibilités de s’engager afin de cultiver des relations entre habitants et d’améliorer le cadre de vie dans lequel ils s’inscrivent. Mais c’est véritablement la création de l’association puis la concrétisation du projet d’autopromotion qui ont donné à l’îlot Lombardie son caractère engagé dans le développement durable. « [L’association Eco-quartier Strasbourg] a été créée en 2001. Un petit collectif s’était formé déjà avant 2001 avec le projet de soutenir la création d’un écoquartier « bottom up » (initiative habitante) après avoir visité Fribourg et d’autres villes présentant ce type d’initiatives. La collectivité de l’époque n’avait pas la même couleur politique qu’aujourd’hui (municipalité de Fabienne Keller, UMP, nda), donc le groupement n’a pas bénéficié de soutien de la part de la ville de Strasbourg. Le groupement s’est alors tourné vers un premier projet d’habitat groupé, qui ne se faisait pas trop à Strasbourg à l’époque. Ils ont bien cheminé et au final ça a abouti à la création de l’immeuble écologique qui se situe en face de la Maison citoyenne (rue de Lunéville, nda) et, en cours de route, la collectivité a changé de couleur et a trouvé un intérêt dans le fait de promouvoir cette « troisième voie » de la construction. Elle a donc réservé des terrains pour des projets d’habitat participatif, l’association a ensuite pris un autre chemin en aidant les autres projets d’habitat participatif à se concrétiser, en faisant des retours d’expérience, de la consultation, en éditant un guide pratique de l’autopromotion. »162 La réalisation de l’opération de logements collectifs écologiques s’est accompagnée du développement d’un mode de vie durable, basé sur la promotion 162 Propos d’Emmanuel Marx, président de l’association Eco-quartier Strasbourg, le 03/05/2017.
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de l’écologie au quotidien, le partage et l’entraide. Comme souvent dans les projets qui se revendiquent durables, le volet économique, pourtant constituant l’un des trois piliers de la notion, est un peu laissé de côté ; puisque les personnes qui se sont lancées dans l’aventure de l’autopromotion de la rue de Lunéville sont des personnes qui peuvent accéder à la propriété sur du neuf, selon les dires de M. Marx, bien que celui-ci insiste plus sur une homogénéité des profils culturels plutôt qu’économiques. Or, l’îlot Lombardie, qui correspond en grande partie à l’IRIS n°1206, peut pratiquement servir à lui seul de preuve de la gentrification. M. Marx décrit lui-même les habitants de l’îlot comme des « créatifs culturels », qui ont su saisir les opportunités offertes par une conjoncture favorable aux actions qu’ils souhaitaient y mener : intérêt grandissant pour les projets d’habitat participatif, la création de l’antenne associative Colibris 67163, et les attentes nouvelles des habitants installés récemment dans les appartements qui se sont construits aux alentours du Schluthfeld. Une fois le premier projet d’habitat participatif, l’association a porté, en tant qu’organe de conseil, plusieurs autres projets, dont dix sont actuellement en cours de planification ou de réalisation dans le quartier du Neudorf – quatre dans le sous-quartier Saint-Urbain et cinq dans l’îlot Lombardie (fig.17). Cette répartition spatiale, qui en dit long sur le positionnement des poches de gentrification, serait le fruit d’une coïncidence entre le développement de l’habitat participatif, le soutien de la collectivité, l’état de la réserve foncière et le développement du quartier. En réalité, elle n’est que le fruit d’une politique basée sur la sectorisation géographique selon l’environnement de vie, puisque des terrains vacants étaient également libres de projets dans l’Est du quartier à l’époque – en témoigne aujourd’hui la construction du quartier du Bruckhof. Avec le succès du premier chantier participatif en autopromotion, et les retombées extrêmement positives en terme d’image qu’il a généré (écologie, durabilité, vivre-ensemble), la collectivité s’est emparée à bras le corps du concept ; à l’instar de l’effet de mode généré par les éco-quartiers ces dernières années. À titre d’exemple, l’association EQS a été consultée dans la planification de l’écoquartier Danube, notamment dans la promotion de l’habitat participatif et dans la recherche d’opérations immobilières d’ampleur raisonnable. La gentrification 163 Les colibris sont une association d’envergure nationale qui vise à promouvoir l’écologie et la dimension humaine au sein des projets politiques.
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Fig. 17 Carte de l’habitat participatif à Strasbourg et sa première couronne.
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imposée par les créatifs-culturels étend donc son spectre avec l’assentiment intéressé de la municipalité, qui soutient financièrement les projets chaque année, afin de promouvoir la démarche ; et qui réserve également des terrains à ce type d’initiatives. Suite au développement de l’association, les membres investis dans les initiatives citoyennes ont tout d’abord œuvré à la diffusion du concept de monnaie locale « Le Stück », afin de s’écarter de la spéculation induite par les transaction réalisées avec les monnaies officielles tout en promouvant l’économie locale et de créer des liens par ce nouveau système. Suite au succès de cette entreprise, l’association, toujours en quête d’une bonne action, s’oriente alors vers la création d’un lieu citoyen (fig. 18) qui permettrait de porter tous types d’initiatives, de manière continue et pérenne. Aidés par une volontaire en service civique164, les membres engagés ont recensé les attentes d’une centaine d’habitants du secteur Lombardie, et trouvé l’opportunité de sauver la petite maison alsacienne délabrée en bordure du tracé du tramway, menacée de démolition, pour accueillir ce think-tank165. Une fois que le processus sera lancé, l’association EQS se retirera, comme elle l’a déjà fait pour les projets d’autopromotion et le Stück, en laissant une association entièrement dédiée au projet le gérer. « C’est pas le but de l’association EQS de gérer et d’animer un espace », ponctue Emmanuel Marx. Par leur champ d’action et leur contenu, ces initiatives ne bénéficient pas d’une grande portée d’action. En effet, l’enquête s’est faite auprès des habitants du secteur, l’association fonctionnant avec un ancrage très local. Cependant, les participants à ces projets espèrent créer un effet boule de neige et inciter d’autres sous-quartiers à mettre en place des initiatives similaires, tout en reconnaissant qu’entre les différents sousquartiers du Neudorf, l’environnement de vie diffère grandement. L’initiative de la maison citoyenne est actuellement en cours, avec la réhabilitation de la maison
164 Il s’agit de Maïté Gayet, ancienne étudiante à l’ENSA Strasbourg, auteure d’un mémoire sur le métier d’architecte-facilitateur, inspiré notamment par son expérience au sein de l’association EQS. 165 Les attentes des habitants portaient sur des sujets variés mais équivoques : distraction, éducation populaire, restauration, mutualisation d’objets et de services, entraide, partage, ouverture et culture. M.Gayet, L’architecte facilitateur : un nouveau métier ? Evolution du métier d’architecte au contact des mouvements citoyens bottom up. Mémoire de recherche en architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg, 2015, p.64.
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alsacienne qui servira de local aux différents projets qui émergeront des volontés des habitants. Ce type de regroupements associatifs se retrouve principalement dans la partie centre-Nord-Ouest du quartier ; alors que les autres sous-ensembles ne bénéficient pas de ce type d’initiatives, car le contexte urbain y est moins accueillant – les habitants de la rue du ruisseau bleu qualifient leur voie d’étroite, mais c’est précisément ce qualificatif qui rend possible la création d’un microcosme, et les populations pas suffisamment stables dans le temps, en raison du nombre élevé de personnes âgées et de locataires en logements aidés. De plus, l’attrait pour ces initiatives généré dans les sous-quartiers où elles s’ancrent permet de développer d’autres projets répondant à des enjeux similaires, créant une sorte de prolifération associative géographiquement définie. C’est le cas sur l’îlot Lombardie, où les actions de l’association EQS ont entraîné la création de l’association du Lombric Hardi, une structure qui gère le jardin partagé situé à côté de la future Maison Citoyenne, puis l’organisation des 48 heures de l’agriculture urbaine, qui ont pris place en partie sur l’îlot Lombardie. Cet évènement a quant à lui entraîné la création d’une « grainothèque » dans les locaux de la médiathèque de Neudorf, et ainsi de suite. La nature de ces initiatives et le dynamisme qui en découle contribuent à renforcer davantage l’attrait que génère le quartier auprès des gentrifieurs, pérennisant ainsi le phénomène. Récemment, ce sont par exemple une association dédiée à la publication d’un webzine traitant du lifestyle strasbourgeois et neudorfois qui a vu le jour, GetEatOut ; ainsi qu’un magazine dédié à l’actualité du quartier, mis en place et réalisé par une start-up en édition strasbourgeoise, Strat’Edito ; même si ce dernier tend à se généraliser à l’ensemble des quartiers strasbourgeois. Ces projets, tous plus louables les uns que les autres dans leurs intentions de fond, ne peuvent malheureusement se détacher d’une certaine image de classe. « Alors au niveau écolo ça évolue pas mal, avec le lombric hardi, la maison citoyenne et l’association éco-quartier. (…) Ça commence à se boboïser, oui… »166. Localement, au sein des microcosmes de tissu urbain gentrifié, les initiatives font l’unanimité. En revanche, Emmanuel Marx reconnaît une inimitié de la part de certains habitants anciens, qui associent son collectif et ses actions aux mutations 166 Propos de G. Hildwein lors de l’entretien du 13/03/2017.
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Fig. 18 Les façades Nord et Sud de la Maison Citoyenne, allÊe du Schluthfeld
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urbaines du quartier, aux chantiers, aux nouveaux arrivants et à l’encombrement des rues. Mais comme la gentrification est regroupée en poches très denses, la plupart des habitants qui ne sont pas directement touchés ne prêtent pas réellement attention à ce type d’évolutions, étant donnée la superficie du quartier. Pour les représentants de l’association EQS, les projets d’habitat participatif subissent quant à eux une double peine, dans le sens où ils sont associés aux mutations urbaines du Neudorf au même titre que les projets de promotion immobilière classiques ; et en sus, ils sont affublés d’une casquette « écolo-gaucho » dont on sait qu’elle compte nombre de détracteurs. Même si ce qualificatif est en vérité fondé, puisque le développement durable est au cœur de ces projets. D’ailleurs, si l’on met en balance la promotion et l’autopromotion, c’est souvent l’initiative portée par les individus qui génère des projets aux qualités architecturales intrinsèques, pour un coût à peu près équivalent. Cependant, la nécessité de posséder un capital afin d’accéder à la propriété, même en recourant à la démarche d’autopromotion, exclut les foyers les plus modestes de toute démarche d’habitat participatif ; contribuant ainsi à renforcer l’idée selon laquelle les initiatives de développement durable sont réservées à une classe sociale aisée, et accentuant le sentiment de ghetto gentrifié. L’évolution des pratiques sociales des habitants, notamment des nouveaux résidents de l’Ouest et du centre du quartier, a permis au phénomène de gentrification de renforcer son ancrage dans ces quartiers, mais également de se diffuser aux autres territoires. Les conséquences de ces mutations sont multiples : tout d’abord, l’attrait immobilier du quartier a contribué à l’augmentation des prix à l’achat et à la location. Ainsi, en 2013, le prix moyen du mètre carré était de plus de 2600 euros dans les zones Ouest et centre, alors que les territoires de l’Est et du Sud proposaient un prix moyen de 2400 euros du mètre carré. En 2017, les prix de l’Ouest, du centre et du Sud se sont maintenus, tandis que les sous-quartiers de l’Est enregistraient une hausse importante, culminant à plus de 2700 euros du mètre carré167. La moyenne du prix au mètre carré sur l’ensemble de la ville de Strasbourg étant de 2300 euros en 2013 et 2430 euros en 2017. Le Neudorf devient donc un quartier coté, sans être bourgeois, mais dont les prix , bien que fluctuants, s’alignent sur ceux de l’hypercentre. Ainsi, le père de famille de 37 ans rencontré au sortir du marché me confie que sa femme et lui ont choisi le quartier en 2010 sur les conseils d’amis qui ont dépeint le Neudorf comme un endroit 167 Données SeLoger, mars 2017 ; http://tinyurl.com/ldlxc2q
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parfait pour les couples. Ils avaient d’ailleurs hésité avec le Vieux-Cronenbourg, qui est touché par un phénomène de gentrification similaire, avant d’acheter un appartement dans le quartier Saint-Urbain. D’autre part, la propagation du phénomène est surtout liée à la recrudescence d’étudiants, attirés par les loyers bas et la proximité des universités, mais également du centre-ville, accessible facilement en tramway ou en vélo. Ainsi, un étudiant de 27 ans et interne en médecine, installé à Neudorf depuis 2014, raconte qu’il a été conseillé par des amis qui avaient passé toutes leurs années étudiantes dans le quartier. Il a été séduit par leur discours qui décrivait un quartier « calme, résidentiel, mais très proche du centre-ville, avec beaucoup de commerces, un grand marché, bien desservi, vivant et moins cher que l’hypercentre »168. La vague étudiante a permis dans un premier temps aux commerces d’adapter leurs offres, rendant les vitrines du quartiers attrayantes pour les populations plus jeunes. Par la suite, les différents aménagements menés par la collectivité, ainsi que la popularisation de l’esprit villageois du Neudorf, ont conjointement généré un attrait pour les primoaccédants, lançant ainsi l’inertie du processus de gentrification dans le quartier. Cette inertie est par la suite perpétuée par le bouche-à-oreilles entre représentant d’un même statut social, contribuant à homogénéiser le profil social moyen de Neudorf. Le quartier est devenu une extension du centre où il fait bon vivre, « cool », qui attire des jeunes, qu’ils soient actifs ou étudiants branchés. Ainsi, la place du Marché est devenu le temps d’un week-end de janvier 2017 l’épicentre de la culture streetfood, tendance actuelle en terme de nourriture à emporter ; avec l’organisation de l’un des deux festivals strasbourgeois dédiés à la vente de nourriture sur rue, le Street Bouche Festival. Son concurrent étant organisé en septembre dans le quartier de la Gare. La gentrification est perceptible à la fois par les habitants - qu’ils soient gentrifieurs ou gentrifiés, mais également en dehors du périmètre de Neudorf. Du côté de l’Eurométropole, la présence du phénomène est clairement reconnue. «[la gentrification], c’est une question qui pose. D’ailleurs il y a d’autres quartiers – bon le Neudorf bien évidemment, c’est assez massif – mais par exemple des parties de Cronenbourg, le Vieux-Cronenbourg, qui se gentrifient aussi.»169. Cependant, 168 Interview de M. Perruisseau-Carrier le 13/05/2017. 169 Propos de M. Chenderowsky le 29/03/2017.
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l’existence et les conditions d’apparition du phénomène ne sont pas questionnées, ou alors imputée à une granulométrie incomplète de l’INSEE qui ne permettrait pas d’intervenir assez tôt dans le développement du processus pour le contrôler l’échelle de l’IRIS n’étant pas assez resserrée. Du côté des gentrifieurs, on botte en touche, gêné : « Je peux dire effectivement que vu les prix du foncier, c’est sûr que c’est pas n’importe qui qui peut accéder à la propriété dans le quartier. C’est sûr que les flux de nouveaux arrivants, ce sont plutôt des gens qui ont les moyens. Maintenant, je sais pas quel était l’état initial, je le connais pas assez bien. Est-ce que c’était vraiment un quartier très populaire, quelle était la fonction sociale du quartier avant que ne surviennent les mutations, j’en sais rien (...). La gentrification c’est une dynamique, ça part d’un point A à un point B. Ne connaissant pas le point A… Sa qualité, je peux pas dire. La dynamique entre le point A et le point B, c’est sûr qu’en terme de flux, y a des gens qui ont les moyens qui viennent s’installer, comme c’est le cas à Cronenbourg. N’importe qui qui accède à la propriété sur l’Eurométropole aujourd’hui, c’est quand même des gens qui ont les moyens. Voilà, donc après, la part de locatif social sur le Neudorf je la connais pas, je connais pas non plus la part de locatif social sur le point A précisément, donc j’aurais du mal à le dire, objectivement. Mais y a pas mal d’accession à la propriété car les gens qui viennent en ont largement les moyens. Mais est-ce que c’est différent de Cronenbourg, de la Robertsau, d’autres quartiers, je sais pas. Après, peut-être que ça attire un certain profil d’accédants, comme les créatifs culturels, qui ont une forte envie et des références en terme d’écologie, mais estce que c’est vraiment différent d’autres quartiers, je sais pas, je connais pas. »170 Les habitants anciens du quartier, quant à eux, se sentent dépossédés de leur environnement familier, car de nombreux établissements de services et commerces ferment face à l’évolution de la clientèle et des usagers. C’est ce qu’il ressort des mes discussions informelles avec des clients du marché. Une dame de 64 ans, m’apprend par exemple qu’elle a dû déménager à la mort de son mari de leur appartement de quatre pièces dans le Neudorf vers un appartement plus modeste à la Meinau, ne pouvant louer le même bien dans son ancien quartier. Elle revient néanmoins régulièrement pour faire ses achats dans les commerces et au marché. 170 Propos d’Emmanuel Marx lors de l’entretien du 03/05/2017
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Son constat est sans appel : les commerces qu’elle et les personnes de sa tranche d’âge fréquentaient, ferment les uns après les autres, ou profitent de nouveaux emplacements pour s’adapter, à l’image de la librairie Ehrengast, qui a déménagé du sud au Nord de la route du Polygone, au plus proche des nouveaux résidents. Elle attribue ce renouvellement des vitrines à l’absence de passage du tramway par le centre du quartier, et aussi à l’arrivée de populations plus jeunes, notamment étudiantes. En effet, l’ancienne clinique, toute proche de la place du marché, dont elle déplore la fermeture, sera transformée en logements étudiants. Le marché du samedi matin est à l’image du clash générationnel qui transforme le quartier. Alors que celui du mardi rassemble majoritairement des seniors, selon les dires d’une commerçante tenant un stand de boucherie charcuterie, celui du samedi voit se côtoyer les anciennes et nouvelles générations : beaucoup de seniors et jeunes adultes arpentent les allées surchargées de la halle. À l’extérieur, des personnes tractent pour les élections législatives. Seuls deux mouvements sont représentés ce samedi 13 mai : la France Insoumise et les Républicains171. L’un des militants de la France Insoumise confie que « le marché du Neudorf, c’est toujours difficile. On a peu de succès car la population est assez âgée, en moyenne. La France Insoumise, ça parle surtout aux jeunes. Enfin, il y en a quand même ». Du côté des Républicains, c’est la sénatrice et ancienne maire Fabienne Keller en personne qui s’est déplacée pour essayer de rassembler son électorat. Une bonne stratégie puisqu’elle était constamment entourée d’admirateurs – seniors – qui m’ont empêchée de l’interpeller. Le clivage est fort entre les personnes âgées habituées qui traînent leurs chariots à commissions tout en discutant en alsacien, et les jeunes actifs attablés sur la terrasse du bar à vin tout proche, qui discutent de séries proposées sur la plateforme Netflix en gardant un œil sur leurs enfants qui jouent dans la fontaine. Une femme de 80 ans, résidente à Neudorf depuis plus de 30 ans et cliente hebdomadaire, me confie son appréhension face aux constructions qui se multiplient, et au nombre d’habitants qui grimpe. Elle regrette l’augmentation du coût de la vie, et le remplacement des commerces de proximité par des commerces de services le long de la route du Polygone. Une autre, née dans le quartier, est contente de me faire partager ses opinions : le tramway, c’est bien. Les nouvelles constructions et la fermeture de la clinique ? Ce n’est pas bien 171 Respectivement : un parti de gauche radicale bénéficiant d’une cote de popularité très favorable parmi les jeunes électeurs, et un parti de droite traditionnelle.
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du tout, la vie du quartier échappe à ses habitants les plus anciens. Et puis, c’est calme, mais il y a trop de « racaille », d’étrangers. Elle ne se sent plus chez elle, alors même que le Neudorf a connu des vagues d’immigration tout au long de son histoire. Enfin, une dernière, née dans le quartier également, confie qu’elle n’ose plus sortir de chez elle, effrayée par la bande de jeunes qui « traîne » en bas de son immeuble, rue Sainte Aloise, immeuble par ailleurs régulièrement dégradé. Les habitants historiques ressentent des émotions plurielles face aux mutations que leur quartier subit, mais celles-ci sont principalement cristallisées par la peur du changement de leurs habitudes. Ils sentent qu’un changement profond est à l’œuvre, et qu’ils seront progressivement écartés de l’identité du Neudorf, sans pour autant s’insurger ou même remettre en question ce changement. Les évolutions sociales, démographiques et culturelles qui touchent le quartier du Neudorf démontrent de la présence concrète d’un processus de gentrification, bien que celui-ci ne soit pas uniformément réparti sur le territoire. En effet, le phénomène s’y observe par regroupements, à l’échelle de l’îlot, voire de la rue, comme en témoigne l’exceptionnelle situation du collectif de la rue du Ruisseau bleu. Ces regroupements sont extrêmement identifiables et fonctionnent presque de manière autonome dans les quartiers où le revenu médian est élevé, à l’image de l’îlot Lombardie ou de l’îlot Saint-Urbain. On y retrouve une présence prédominante de structures associatives et citoyennes qui promeuvent un mode de vie plus durable, correspondant à la notion de confort dans notre mode de vie contemporain. Ces associations sont portées par des personnes principalement issues de la classe sociale des créatifs culturels nouvellement représentée, absolument conformes au profil-type des gentrifieurs qui arrivent après l’émergence du phénomène à l’initiative d’acteurs isolés, et qui l’amplifient. Les zones plus précaires du quartier, notamment caractérisées par un taux de chômage élevé et un revenu faible, ne subissent pas encore la gentrification. En revanche, des indices structurels et environnementaux – comme l’augmentation de la proportion des catégories socioprofessionnelles à revenus élevés et la construction d’opération de logements – laissent croire à une poursuite du phénomène en direction de l’Est. Les populations anciennes sont touchées par les conséquences sociales et commerciales du phénomène, mais craignent plus le changement d’environnement global que les conséquences directement liées à la gentrification.
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Densification de lâ&#x20AC;&#x2122;avenue du Rhin, quartier du Neudorf, Strasbourg. Photographie B. Kuntz
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Conclusion
Le phénomène de gentrification est en cela intéressant que c’est un système en perpétuelle évolution, car il s’adapte à la fois aux évolutions structurelles de la ville, et aux changements qui modifient les individus oppressés et oppresseurs – gentrifiés ou gentrifieurs. Autrefois cantonné au domaine de la recherche scientifique, le terme est désormais popularisé par les journalistes, au rythme des évolutions de la population des gentrifieurs qui, par leur revendication d’appartenance à une contre-culture avant-gardiste, occupent le devant de la scène médiatique – yuppies, bobos et maintenant hipsters ou normcores, autant d’anglicismes ou d’acronymes pour définir les évolutions systémique de la population des gentrifieurs, qui gagnent en visibilité en même temps que la société reconnaît de plus en plus leur rôle dans le séparatisme urbain et social. Cependant, si l’on identifie aisément plusieurs étapes dans le processus de gentrification, on doit également lui reconnaître plusieurs aspects, ou variantes. Les visions théoriques qui apportent des définitions aux différentes manifestations de la gentrification sont loin de couvrir l’entièreté de l’étendue du phénomène, aussi les études sur des cas isolés ne peuvent correspondre de manière complète aux schémas exposés dans la première partie de ce travail, bien que ceux-ci offrent un cadre de travail assez complet en terme d’analyse des différents éléments qui sont constitutifs du phénomène. Le processus de gentrification strasbourgeois prend sa source dans la réappropriation du centre-historique par des étudiants puis des jeunes actifs, à la suite d’opérations de rénovations urbaines des anciens taudis centraux, puis de valorisation du patrimoine architectural et historique si cher aux strasbourgeois. Après s’être appliqué à l’hypercentre et au quartier médiéval de la Krutenau, le 119
phénomène s’est diffusé dans les quartiers péri-centraux et populaires de l’Ouest, toujours encouragé par l’ingérence de la ville en terme de valorisation de son parc locatif et des espaces publics des différents quartiers. Le processus s’étend désormais aux anciens faubourgs occidentaux – Koenigshoffen, Montagne Verte et Cronenbourg, en franchissant la barrière symbolique des infrastructures de transport que constituent la voie ferrée et l’autoroute A35. Néanmoins, il est désormais également identifiable dans le Sud de Strasbourg, au-delà de la Krutenau. Son développement dans cette zone géographique est plus difficile à identifier – bien qu’on y trouve des manifestations pourtant évidentes – en raison du caractère profondément atypique du quartier du Neudorf par rapport aux typologies urbaines traditionnellement favorables à l’émergence de ce type de phénomènes. En effet, il convient de relever plusieurs digressions intéressante du phénomène étudié par rapport aux cas décrits dans la littérature de référence ainsi qu’aux quartiers déjà caractérisés par une déviance par rapport à la définition du phénomène, comme c’est le cas à Lyon. Disgressions qui sont également mises en évidence au sein du processus strasbourgeois. Tout d’abord, à l’inverse des quartiers correspondant au profil-type, le Neudorf ne présente pas de structure homogène ; au contraire, il apparaît comme le conglomérat d’un certain nombre d’entités urbaines à caractère propre. Dans un second temps, le processus, loin d’être guidé par une poignée d’artistes avant-gardistes et isolés, est initié principalement par le caractère étudiant qu’acquiert le quartier au fil des années, alors que les prix des logements dans l’hypercentre devient inaccessible et que le parc locatif de Neudorf s’étoffe en appartement de petites et moyennes surfaces, idéals pour les étudiants. Il y a bien quelques artistes qui s’installent de manière sporadique dans le quartier172, mais ils ne représentent pas de contre-culture susceptible de leur apporter une visibilité au sein des milieux underground dans lesquels le phénomène de gentrification prend habituellement son départ. Enfin, la diffusion géographique du phénomène montre une répartition en poches facilement identifiables à l’Ouest, mais le phénomène s’oriente également de manière assez inédite vers les quartiers de l’Est, très paupérisés et concentrant une grande part de 172 « Les ateliers d’artistes, y en avait rue du Maquis, avec un regroupement à cet endroit ; mais il y en a à différents endroits. Comment il s’appelle, Fretch Cohen et son groupe, ils ont un atelier rue Ste Aloise, y a un certain nombre, on le voit pendant les journées des artistes. ». G. Hildwein, 13/03/2017.
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l’habitat social du quartier. Le phénomène ne prend traditionnellement pas appui dans ce type de tissu urbain, la présence de logements sociaux ayant un caractère assez définitif, contrairement à l’habitat délabré privé qui peut être facilement remis en état et donc s’adresser à une classe sociale plus aisée. Il en est d’ailleurs d’autant plus facilité que les pouvoirs publics prennent position assez largement en faveur des réhabilitations, et apportent leurs pierres à l’édifice en encourageant, voir menant des projets de transformation de l’espace public, pour le rendre conforme à une certaine notion d’attractivité qui bénéficie à l’image du quartier et à ses populations les plus riches. Loin de définir une réalité manichéenne, la gentrification du quartier de Neudorf, se distingue par son caractère atypique. En revanche, on ne peut nier l’émergence de conséquences sociales entraînées par le phénomène, comme la dépossession des primo-habitants de leur environnement de vie, ou l’éviction progressive des ménages les plus fragiles économiquement, au prix de la si précieuse mixité sociale, qui est pourtant une cause défendue par les créatifs culturels. Les effets pernicieux du phénomène sont d’autant plus méconnus qu’ils sont occultés par la présence d’habitat social, qui nuance les statistiques faisant état de l’embourgeoisement du quartier. De plus, la présence de populations immigrées, dans le contexte de méfiance inter-ethnique qui marque la France depuis quelques années, empêche les populations anciennes du quartier de reconnaître la gentrification en tant que processus oppressant. Ceux-ci se concentrant sur le sentiment de multiplication des populations immigrées, qu’elles assimilent de manière négative. La gentrification, loin de trouver dans le quartier des éléments qui pourraient freiner sa progression, ne peut que se diffuser davantage par le biais des différentes initiatives citoyennes qui tendent à s’écarter de leur berceau d’origine, en suivant notamment l’axe des Deux-Rives. Avant de craindre une potentielle hégémonie de cette forme d’oppression dans la ville, il convient de s’interroger du caractère immobile des territoires enclins à favoriser la prolifération du phénomène, notamment en terme de conscience sociale et d’action publique dans l’espace urbain.
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J-Y. Guérin, « Les nouveaux centres commerciaux à la peine. », Le Figaro, 22/10/2010 . http://www.lefigaro.fr/conso/2010/10/22/05007-20101022ARTFIG00719-lesnouveaux-centres-commerciaux-a-la-peine.php L. Heiwy, « Mobilités et urbanismes – TC Alsace », tribune publiée sur Rue89 Strasbourg le 17/12/2012. http://www.rue89strasbourg.com/tribune-malraux-un-pole-davenir-mais-une-architecture-sans-ambition-25766 «Strasbourg : Fabienne Keller devant Rolant Ries, le FN se maintient», Rue89 Strasbourg, publié le 20/03/2014, consulté le 10/05/2017. http://www.rue89strasbourg.com/resultats-elections-municipales-1er-tour-strasbourg-62495
Vidéos Strasbourg, la cité Rotterdam, réal. A. Zwobada, prod. Les Actualités françaises, 1954. Archive INA, consultée le 09/03/2017. http://www.ina.fr/video/I06348855 « Strasbourg, un désir nommé tramway », issu de la série d’émissions télévisuelles Attention grands travaux, LCP – Public Sénat du 21/06/2012. https://www.youtube.com/watch?v=msSsZ1OIC24 Strasbourg : vote de la Communauté Urbaine en faveur du tramway, Alsace Soir, vidéo d’archives INA, 30/06/1989, consultée le 10/03/2017. http://www.ina.fr/video/STC8907045686/index-video.html Strasboug Deux-Rives, épisode 1. Vidéo-reportage réalisé par la Ville et et Communauté Urbaine de Strasbourg en 2011. http://dai.ly/xmovwn Tattoo World 2013 : convention de tatouage à Strasbourg. Publié par StrasTV.com le 11/05/2013. http://dai.ly/xzsech Rue du Ruisseau bleu, comment des voisins sont devenus solidaires, vidéo de Rue89 Strasbourg, publiée le 06/05/2016. https://youtu.be/F8qGmQ2P108
129
Entretiens -- Gilles Huguet et Georges Hildwein, président et vice-président de l’ARAN, le 13/03/2017 -- Eric Chenderowsky, directeur du service Urbanisme et Territoires à la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg, le 29/03/2017 -- Benjamin Soulet, responsable analyses et observations du territoire à la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg, le 30/03/2017 -- Emmanuel Marx, président de l’association Eco-Quartier Strasbourg, le 03/05/2017 -- Habitants du Neudorf pendant les mois de mars, avril et mai 2017.
130
Iconographie
Fig. 1 : Plan du centre de Strasbourg, cartographie du CNAU, 1990. Fig. 2 : Grande Percée de Strasbourg, plan synthétique. Archives de Strasbourg, 1910. Fig. 3 : Dynamiques de propagation de la gentrification. Cartographie Blandine Kuntz, fond de plan remis, Eurométropole. 2017. Fig. 4 : Localisation du Neudorf. Cartographie Blandine Kuntz, fond de plan remis, Eurométropole. 2017. Fig. 5 : Plan du Neudorf et de ses sous-ensembles. Cartographie Blandine Kuntz, données Openstreetmap (libres de droits). 2017. Fig. 6 : La voie ferrée sur talus, rue des Mouettes. Photographie Blandine Kuntz, 2017. Fig. 7 : Carte du Neudorf, Archives de Strasbourg, 1914. Fig. 8 : Cité Jules Siefried, allée de l’Orphelinat (P. Dorff architecte). Photographie Blandine Kuntz, 2017 Fig. 9 : Plan du tracé du VAL, Revue La Vie du rail, décembre 1985. Document remis. Fig. 10 : Plan actuel du réseau de tramway. Compagnie des Transports Strasbourgeois, 2017. Fig. 11 : Aménagement de la route du Polygone. Photographie Blandine Kuntz, 2017. Fig. 12 : Aménagement de la place du Marché. Photographie Blandine Kuntz, 2017. Fig. 13 : Plan du projet Deux-Rives, Société publique locale (SPL) DeuxRives, 2014. 131
Fig. 14 : Le môle Seegmuller en 2004 (G. Umbdenstock architecte), F. Romary pour archi-wiki. http://www.archi-wiki.org/photos--2012-07-26-57104-moyen.jpg Le môle Seegmuller en 2014. J. Dorkel pour la ville et l’Eurométropole de Strasbourg. Fig. 15 : Carte des IRIS Strasbourgeois avec, en surbrillance, les IRIS du Neudorf. Cartographie Blandine sur la base de données fournies par le service d’analyses et d’observations du territoire de la ville et de l’Eurométropole de Strasbourg. Fig. 16 : Épicerie sans emballage route du Polygone, magasin bio rue du Birkenfels. Photographies Blandine Kuntz, 2017. Fig. 17 : L’habitat participatif à Strasbourg, projets en cours ou réalisés. Cartographie Blandine Kuntz, fond de plan remis, Eurométropole. 2017. Fig. 18 : Les façades Nord et Sud de la future Maison Citoyenne, allée du Schluthfeld. Photographies Blandine Kuntz, 2017.
132
Annexes
- Plan du quartier de Neudorf, 2017. Données openstreetmap. - Plan schématique du quartier en 1875. Eurométropole, 2008. - Scénario initial et variantes de tracé de l’extension du tramway, document remis, CUS, 2000 - Tableau 1 : Evolution des populations légales dans le quartier du Neudorf sur la période inter-censitaire 2008-2013 - Tableau 2 : Evolution de la part des différentes catégories socio-professionnelles parmis les actifs occupés 15- 64 ans à Neudorf 2008-2013 (points) - Tableau 3 : Revenus disponibles bruts annuels des ménages du quartier du Neudorf entre 2002 et 2013. - Tableau 4 : Données de la Caisse d’Allocations Familiales pour l’année 2013. - Tableau 5 : Ancienneté des ménages dans le quartier du Neudorf en 2008 et en 2013. - Tableau 6 : volution du nombre de logements sociaux agréés dans le parc de logements à Neudorf - Entretien 1 : Gilles Huguet et Georges Hildwein, président et viceprésident de l’ARAN, Association des Résidents et Amis du Neudorf. 13.03.2017 - Entretien 2 : Eric Chenderowsky, directeur du service Urbanisme et Territoires de la ville de Strasbourg et de l’Eurométropole, ancien enseignant de projet urbain à l’INSA, le 29/03/2017. - Entretien 3 : Emmauel Marx, président de l’association Eco-quartier Strasbourg, le 03/05/2017.
133
134 135 136 138
139 140 141 142 143
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134
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IRIS 1204 1206 1207 2304 2301 2302 2303 1201 1202 2406
Schluthfeld Lombardie Saint-Urbain Kurvau Albert-le-Grand Soultz Metzeral Neudorf Marché Schurmfeld Grossau
Dénomination
Neudorf Secteur Ouest Ouest Nord Nord Est Est Est Centre Centre Centre
pop âge
Evolution des populations légales dans le quartier du Neudorf sur la période inter-censitaire 2008-2013
1,5
Evolution 20082013 (pts)
40,8 37,1 35,2 32,5 36,3 39 34,8 30,5 27,3 22
30,9
2013
7,9 -1 -13,4 0,4 14,4 -1 1,3 3 -2,8 -0,5
1,7
Evolution 20082013 (pts)
35,4 39,1 36 35,9 32,9 31,3 38,1 40,6 39,1 36,2
37,4
2013
-3 -2,4 3,6 -1 -2,2 0,2 1,6 3,8 -0,8 -0,6
-16,4
Evolution 20082013 (pts)
12,3 10,4 14,4 21,1 19,7 17,7 11,3 16,9 19,1 23,4
18,5
2013
-3 -0,2 1,8 0,1 -8,8 1,8 -3,7 -5,1 1 -2,8
-9,5
Evolution 20082013 (pts)
Population 30-59 ans (%) Population 60 ans et + (%)
13,2
-1,9 3,6 7,9 0,4 -3,3 -1 0,9 -1,8 2,7 4,2
Population 15-29 ans (%)
2013 5,7
11,4 13,4 14,3 10,5 11,1 12 15,9 11,9 14,6 18,3
Population 0-14 ans (%)
2008 38725
4,1 17,5 51,9 -0,4 -4,7 -5,0 15,4 -2,8 1,4 10,6
Population
36644
2022 2910 1694 2843 2491 2309 2744 1906 2113 2186
Evolution 2013 (%)
1942 2477 1115 2855 2615 2431 2378 1960 2084 1976
Page 1
138
Neudorf
Ouest Ouest Nord Nord Est Est Est Centre Centre Centre
Secteur Schluthfeld Lombardie Saint-Urbain Kurvau Albert-le-Grand Soultz Metzeral Neudorf Marché Schurmfeld Grossau
Dénomination -0,4 1 -0,8 1,8 0 2,9 -0,4 -0,7 0,6 -0,4
9,3 6,4 15,3 4,5 3,7 0,8 10,5 2,9 7,1 -0,1
2,9 2,9 5,5 3,9 3 -1,1 6,3 10,4 4,3 6,7
csp
-2 2,6 -1,2 -3,6 10,7 5,4 -2,6 -0,8 1,7 7,5
0,8 0,3 -4,8 0,5 -5,6 7,5 -0,2 -1 -1,5 0,5
5,9 2,4 -13 -1,1 14 -5 1,6 3 -0,3 0,8
-23,3 -14,4 -5,7 -8,6 -10,5 -5,7 -14 -20,4 -10,9 -19,4
Evolution de la part des différentes catégories socio-professionnelles parmis les actifs occupés 15- 64 ans à Neudorf 2008-2013 (points) Artisans, Cadres et prof. Professions Eleves, commerçants, Intellectuelles intermédiaire Employés Ouvriers étudiants, stag. Autres inactifs chefs d’entreprises sup. s Non rémunérés 0,3 4,3 -0,1 -0,9 -3,4 3,1 16,7 IRIS 1204 1206 1207 2304 2301 2302 2303 1201 1202 2406
139
Schluthfeld Lombardie Saint-Urbain Kurvau Albert-le-Grand Soultz Metzeral Neudorf Marché Schurmfeld Grossau
revenus
14874
1er quartile
21458 21013 22349 22052 18650 16097 18218 22266 20563 18705
18254 20394
Médian
32926 28267 32579 29957 24255 20436 24969 29391 28225 25017
27606
5,6 5,1 3,7 6,7 -13,5 -9,5 -9,6 2,5 -4,1 -13,0
-13,8 -1,9
Evolution du revenu médian (%)
Taux pauvreté 2013 (%) 22,8 10,8
15590 15509 15475 15912 13680 11970 13774 16384 15059 13495
Revenus disponibles 2013 (€)
Médian (€) 21165 20786
12,6 12,5 nc 12 18,5 25,8 17,4 11,7 13,8 19,3
2002
20323 19998 21550 20666 21572 17779 20154 21723 21443 21507
3ème quartile
Revenus disponibles bruts annuels des ménages du quartier du Neudorf entre 2002 et 2013.
Strasbourg Neudorf Ouest Ouest Nord Nord Est Est Est Centre Centre Centre
IRIS Secteur Dénomination 1204 1206 1207 2304 2301 2302 2303 1201 1202 2406
140
Strasbourg Neudorf Ouest Ouest Nord Nord Est Est Est Centre Centre Centre
Schluthfeld Lombardie Saint-Urbain Kurvau Albert-le-Grand Soultz Metzeral Neudorf Marché Schurmfeld Grossau
IRIS Secteur Dénomination 1204 1206 1207 2304 2301 2302 2303 1201 1202 2406
CAF
Isolés (%)
14,8 9,4
7,0 1,5
27,7 16,9
allocataires RSA (%)
20,6 12,9
allocataires revenus 100 % prest.soc.
couples avec 3 familles monoenfants ou plus parentales (%) (%) allocataires (%)
52,8 64,1
Données de la Caisse d’Allocations Familiales pour l’année 2013. Population allocataires
6,1 29,0
16851 11243
13,3 12,5 8,4 8,5 16,6 12,4 9,8 14,8 12,7 12,9
275718 38725
16,6 17,5 10,3 12,8 17,4 18,0 16,7 19,4 16,5 18,5 «
3,8 3,1 2,2 2,0 3,7 4,5 7,7 2,9 2,1 8,2
29,8 27,5 34,5 28,6 45,1 35,4 29,3 23,8 24,9 24,5
8,0 10,4 4,8 6,5 3,7 13,7 10,7 11,9 10,3 12,5
602 800 585 812 1123 817 803 453 526 535
58,3 60,9 76,4 71,8 81,6 60,1 52,6 58,7 60,3 51,0
2022 2910 1694 2843 2491 2309 2744 1906 2113 2186
141
Schluthfeld Lombardie Saint-Urbain Kurvau Albert-le-Grand Soultz Metzeral Neudorf Marché Schurmfeld Grossau
Dénomination
Neudorf Ouest Ouest Nord Nord Est Est Est Centre Centre Centre
IRIS Secteur 1204 1206 1207 2304 2301 2302 2303 1201 1202 2406
28 33 37 30 23 34 35 34 29 29
15 19 15 16 13 15 18 16 14 15
old menages
28 26 23 32 30 42 21 31 35 41
12 8 24 1 1 2 11 3 1 4
8,9 11,4 12,3 11,8 25,3 16,2 17,6 8,9 18,6 17,3
4,1 17,5 51,9 -0,4 -4,7 -5,0 15,4 -2,8 1,4 10,6
Ménages emm. Ménages emm. Ménages emm. Logements Pop. Immigrée Evolution pop Entre 2 et 4 ans Entre 5 et 9 10 ans ou plus construits entre (%) (%) (%) ans (%) 2005 et 2011 (%) 2008-2013 2013 2013 2013 2013 2013 29 16 34 4 11 5,7
Ancienneté des ménages dans le quartier du Neudorf en 2008 et en 2013. Ménages emménagés <2ans (%) 2013 21 30 21 25 22 35 9 26 18 22 16
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Strasbourg Neudorf
Ouest Ouest Nord Nord Est Est Est Centre Centre Centre
Schluthfeld Lombardie Saint-Urbain Kurvau Albert-le-Grand Soultz Metzeral Neudorf Marché Schurmfeld Grossau
IRIS Secteur Dénomination 1204 1206 1207 2304 2301 2302 2303 1201 1202 2406
HLM
Total logements 2085
Total HLM
4,8 2,2 1,0 1,3 0,0 50,6 29,1 2,0 6,0 18,7
9,6
Part %
1320 1839 1019 1893 1547 1011 1596 1210 1263 1161
141216 23018
Total lgts
12 108 30 114 7 447 264 51 94 402
34259 2281
Total HLM
0,9 5,9 2,9 6,0 0,5 44,2 16,5 4,2 7,4 34,6
24,3 9,9
Part %
11,1 7,2 21,9 0,1 29,8 -2,0 20,4 2,3 -0,9 3,0
5,5
Logements
-78,9 191,9 275,0 356,0
9,4
Evolution Logements HLM
7,2 3,7 1,9 4,7 0,5 -6,4 -12,6 2,2 1,4 15,9
0,3
Part logement HLM (pts)
Evolution du nombre de logements sociaux agréés dans le parc de logements à Neudorf 2008 2013
21824
57 37 8 25 0 522 386 24 77 211
-14,4 -31,6 112,5 22,1 90,5
1188 1716 836 1892 1192 1032 1326 1183 1274 1127
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Entretiens Gilles Huguet et Georges Hildwein, président et vice président de l’ARAN, Association des Résidents et Amis du Neudorf. 13.03.2017 - L’association a été créée quand ? G.Hg. : En 1977, oui, 1977. G.Hw : Oui, enfin pour dire qu’on était la seule association jusqu’à l’épisode du tram. G.Hg : oui et s’il n’yavait pas eu de problèmes de tracé de tram, on serait sans doute toujours la seule association, alors que maintenant, on a des concurrents, entre guillemets. G.Hw : enfin des concurrents, on a d’autres associations qui sont à peu près sur les mêmes créneaux. Actuellement il y a deux autres associations de résidents. - Et depuis quand êtes vous membre du bureau de l’ARAN ? G.Hw:moi, j’ai adhéré en 1998. G. Hg : ah bon, pas avant ? Moi je suis arrivé au Neudorf en 86 et j’ai adhéré quelques années après. -Et vous êtes donc tous deux résidents du Neudorf ? G.Hw : on habite tous les deux à Neudorf. G.Hg : moi je suis parisien, je suis arrivé à Strasbourg en 1980, j’ai habité la Meinau 6 ans, et depuis 86, j’habite rue de la Ziegelau à Neudorf. C’est mon plus long domicile de toute ma vie. G.Hw. : et moi, je suis haut-rhinois d’origine, et installé à Neudorf depuis la fin de mes études, donc années 70, disons. Je n’ai pas adhéré tout de suite à l’ARAN, je savais que ça existait, l’ARAN était présente et a présenté un candidat à une élection cantonale, donc je connaissais. Et c’est plus tard, quand il y a commencé à y avoir des problèmes d’urbanisme dans mon entourage, des démolitions de maisons remarquables etc. que j’ai été contacté et que j’ai été amené à rejoindre l’ARAN. G.Hg : tu as habité Neudorf dès ton arrivée à Strasbourg ? G.Hw : euh, dès que je n’étais plus étudiant, oui. Mais bon, dès qu’on a découvert l’intérêt d’habiter Neudorf, qui est presque au centre-ville, très bien relié à tout, on ne cherche pas ailleurs. - L’intérêt de ce quartier comme lieu de résidence pour vous est donc sa proximité tout en gardant une espèce de vie de quartier ? G.Hw : oui effectivement. Bon, il y a quand même, d’un point de vue commerce, Neudorf est bien fourni. Les étrangers, j’allais dire, sont de mieux en mieux accueillis dans les commerces. - Oui, car ça a été toujours un lieu d’accueil des différentes vagues migratoires à Strasbourg ? G.Hw: Euh oui, et la dernière vague, ce sont les gens de l’Esplanade qui, avec le pont Churchill, ont découvert qu’il y avait un marché à Neudorf, et des habitations agréable, moins cher qu’au centreville. Et les gens qui venaient d’immeubles modernes préféraient retourner dans de l’ancien… G.Hg : et l’histoire ne dit pas si, avec le pont Churchill actuel, ils viennent plus qu’avec l’ancien. G.Hw : mais nous connaissons des gens de l’Esplanade qui sont venus s’installer à Neudorf. Je dirais que c’est le dernier mouvement migratoire, à part bien sûr tous les immigrés qui se retrouvent à Neudorf. Ils commencent par Hautepierre, puis… Bon, vous regardez dans l’annuaire par exemple, les vietnamiens, il y en a beaucoup qui s’appellent Nguyen, eh ben il y en a plein à Hautepierre, ensuite vous en trouvez encore pas mal à la Meinau, et ensuite en trouve à Neudorf et Centre-ville. - Où habitez-vous précisément dans le quartier ? G.Hw : moi j’habite Rue St. Urbain, c’est la rue qui est parallèle à la route du Rhin, entre Jean Jaurès et Route du Rhin, dans une parti ancienne du quartier qui correspond à la deuxième phase de développement de Neudorf, après l’annexion en 1870. Il y a pas mal de maisons anciennes, ça peut vous intéresser ; mais on va pas en parler trop longtemps. Ce sont des rues qui sont représentatives
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de l’architecture de glacis. Et donc j’habite là depuis une trentaine d’années. Avant j’habitais ailleurs à Neudorf. G.Hg : Et moi j’habite rue de la Ziegelau, qui est une des plus anciennes rues de Neudorf, puisqu’elle évoque de par son nom les tuileries et les briqueteries qui étaient dans la plaine du Ratzendörfel jusqu’au XIXe siècle. C’est une rue où l’habitat est très diversifié puisqu’il y a à la fois des maisons parmi les plus anciennes de Neudorf, dont le « rdv des chasseurs », et puis des pavillons qui datent du XXe siècle, et puis des immeubles modernes dont le mien. J’habite dans un immeuble collectif, mais au RDC avec jardin privatif. - Le quartier de Neudorf a une grande emprise territoriale… G.Hg : oui, c’est vrai qu’il a été créé par des limites naturelles et infrastructurelles , le canal au Nord et la voie ferrée au Sud. Qui passait au milieu auparavant et qui, dans les années 1900-1905, a été décalée vers le Sud pour agrandir Strasbourg à l’époque allemande. G.Hw:et la séparation Neudorf-meinau date de la création du remblai du chemin de fer, donc quand il a cessé de passer sur l’avenue jean jaurès actuelle, pour passer en surplomb par le Krimmeri, près de l’usine Suchard. - Mentalement, identifiez-vous des sous-secteurs « typiques » au sein du quartier, ou forme-t-il un ensemble plutôt homogène ? G.Hg : Non, c’est pas homogène. G.Hw : C’est assez disparate, tous les gens se sentent de Neudorf mais il y a un petit peu une vie de « sous-quartier » que l’on retrouve dans le tissu associatif secondaire si vous voulez. G.Hg : C’est vraiment un quartier de mixité sociale. G.Hw:Oui, le quartier St Urbain a sa petite association, dont je fais partie, qui s’est fondée après l’annonce d’un projet immobilier qui collait pas du tout avec la vie du quartier, enfin ça aurait été une gêne etc. Vous avez aussi, bon je ne vais pas dire sous-quartier, les gens de la rue du ruisseau bleu par exemple, qui sont un petit groupe et qui font une fête des voisins tous les ans. Vous avez les gens du vieux « vieux » Neudorf, rue de la chapelle et rue de l’ancienne école, qui forment aussi un sous-groupe, le Schluthfeld aussi, qui a son association de résidents. C’est sans méchanceté, mais ce sont surtout des gens du troisième âge, qui se retrouvent pour faire des balades ensemble ou faire des cafés-gâteaux. G.Hg: ce que je citerais aussi, c’est que le quartier rue des mouettes et rue de l’ancienne école et autres, enfin le Ratzendörfel, c’est vraiment en général une moyenne d’âge relativement élevée, ce sont des personnes plutôt âgées qui habitent là… G.Hw : enfin ça se renouvelle ! Moi je connais plusieurs jeunes qui y sont maintenant, qui ont repris une maison d’une grand-mère, qui ont racheté une maison voisine… Ce quartier-là à mon avis ne changera pas beaucoup car ce sont de toutes petites parcelles. Donc, si vous voulez, de toutes petites parcelles, des rues étroites, donc en raison du prospect, même si un promoteur arrive à acheter deux parcelles, il ne pourra pas construire. - Oui mais par contre il peut se passer que ces maisons soient vendues et leurs intérieurs réhabilités G.Hg : Oui c’est ça. G.Hw : si vous voulez, le quartier St Urbain était davantage visé car ce sont d’assez grands terrains. Donc là, quand un promoteur s’y intéressait, un particulier ne faisait pas le poids. -Vous parliez d’habitat social… G.Hg : oui car il faut les citer aussi. Il y a les deux quartiers qui ont été construits entre les deux guerres, qui sont d’une part les immeubles qui sont autour de l’avenue Aristide Briand, qui s’appellent quartier Risler ; et d’autre part l’ensemble qui est allée de l’orphelinat et devant le foyer Charles Frey, qui est la cité Jules iegfried, où il y a un gros morceau d’habitat social dans chacun de ces deux là ; et puis un quartier d’habitat social plus récent qui est entre la rue de Ribeauvillé et la rue de la Ziegelau, il y a un ensemble d’immeubles qui datent des années 50
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G.Hw : oui, plus ou moins, la Musau, vers la rue de Soultz G.Hg : ah non non ça c’est plus récent, là je parlais de l’ensemble du secteur de la rue Ribeauvillé, c’est d’après guerre, des immeubles d’un côté et des immeubles de l’autres, et puis le lycée Jean Monnet. Tout ça c’est d’après guerre. Et puis rue de Soultz c’est plus récent. Ensuite, i y a deux sous-quartiers qui se veulent rattachés à Neudorf sans l’être, mais géographique ils ne sont pas dans la « lentille », c’est la Musau et le Port du Rhin. - Est-ce que l’adjointe de quartier est présente et disponible ? G.Hg : non, elle est très occupée, et très prise. G.Hw : mais elle vous recevra si elle le peut. Il y a une réunion si vous voulez ne pas la louper, elle fait des « réunions de pieds d’immeuble », il y en a une place du Neufeld jeudi ou vendredi… Mais bon elle est très prise, adjointe de quartier, vice présidente du conseil régional, mais bon… - Pour ce qui est du tissu associatif, vous êtes dans la plus ancienne association de quartier … G.Hg : oui, les deux autres ayant été créées pour les problèmes de tracé du tram dans les années 2000. - Donc c’est à partir de ce moment-là que l’on a vu s’étoffer le tissu associatif du quartier ? G.Hg : oui tout à fait G.Hw : Alors bon, assez rapidement, ils se sont un peu sectionnés… l’association des commerçants.. Bon nous on a été jusqu’à une centaine de membres, on s’occupait de problèmes précis quand il y avait un pb dans un coin, un espace vert qui risquait de disparaître ou un bâtiment ancien qui pouvait être démoli etc, on faisait l’équivalent des réunions de pied d’immeuble de mme Richardot, qu’on appelait Stammtisch, et on se retrouvait. L’association faisait des discussions, on se retrouvait à un endroit précis, on demandait aux habitants de venir et on faisait des discussions, ils pouvaient s’exprimer, les élus se déplaçaient et on terminait ça par un pot dans un bistrot du quartier. Si vous voulez, on a fait le travail que fait actuellement le conseil de quartier. - Donc vous étiez et êtes toujours des interlocuteurs privilégiés des habitants du quartier ? G.Hw : alors bon, on est agréés audit de l’urbanisme, on est informés des changements de POS et de toutes ces choses-là, des constructions etc. Depuis pas mal d’années, depuis les année 80. Bon nous nous sommes battus pour que le Neudorf ait son conseil de quartier, avec différentes formes. La forme actuelle fonctionne moyennement assez bien, même s’il nous mange l’herbe sous le pied dans le sens où ça fait beaucoup de problèmes qui se retrouvaient chez nous qui désormais se retrouvent au conseil de quartier. - Et est-ce que vous remarquez depuis une dizaine d’années l’apparition de nouveaux tissus associatifs qui n’étaient pas présents auparavant G.Hg : alors c’est plutôt quinze ans. « Pour Neudorf » et « APSANe ». Et plus localement, St Urbain et Deux-Rives. Ces derniers ont une association plutôt jeune et active. G.Hw : il existe, je dirais, l’équivalent de « collectifs ». On peut considérer que « concertations st urbain » c’est plutôt un collectif, aussi les gens du ruisseau bleu, avec Jürgen Dessort, qui font la fête de quartier. Sont aussi pas mal présents dans le quartier les gens qui ont le jardin collectif. G.Hg : oui alors au niveau écolo ça évolue pas mal, avec le lombric hardi, la maison citoyenne et l’association eco-logis, qui a construit sa maison rue de lunéville. La maison couverte de bois. G.Hw : oui, ce qu’il y a de nouveau aussi, mais ça n’est pas spécifique à Neudorf, c’est l’habitat participatif. Il y a eu cet exemple-là, et un autre rue St Urbain, à l’emplacement où la municipalité Keller voulait mettre l’actuel centre socio-culturel. C’était vraiment pas une bonne idée d’ailleurs. Concertation St urbain s’est créé à ce moment-là, l’ARAN est intervenue aussi et finalement, ce terrain a été dévolu à cette association qui a construit son immeuble en habitat participatif. C’est le numéro 12 ou 15, un bâtiment neuf, dans la rue st urbain. G.HG : oui, à côté de chez moi, dans la rue de Bâle, il y en a eu un aussi, c’est quelqu’un qui a construit son local pro sur place. Donc c’est un cinéaste je crois, qui a construit son studio ; et donc
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au RDC il n’y a pas de fenêtres. Et il habite juste au-dessus. - Et est-ce que vous assistez, en parallèle à cet intérêt pour le développement durable et l’écologie, à une « jeunification » de la population ? G.Hw : la « jeunification » se fait un petit peu par renouvellement. Exemple, moi, quand j’étais jeune, on s’est installé dans la rue St Urbain, les enfants jouaient dans la rue car il y avait beaucoup de personnes âgées qui n’avaient pas de voiture. Maintenant, vous pouvez toujours essayer ; d’ailleurs y stationner une voiture, c’est du sport. Mais bon effectivement, ces personnes âgées sont parties en maison de retraite ou sont décédées et ont été remplacées par des gens plus jeunes. Et maintenant on voit arriver la génération de mes enfants, des gens qui s’installent dans cette rue. C’est par renouvellement mais ça peut changer, avec tout ce qui se construit là. - C’est donc lié à une urbanisation dynamique ? G.Hg : c’est le grand sujet dont il faut parler maintenant. G.Hw : est-ce que ça se sent dans la fréquentation des magasins ou du marché, je peux pas dire. - Car d’après les statistiques il y a quand même une majorité d’étudiants qui vient s’installer dans le Neudorf, en raison de la proximité des facultés et du centre ville, avec des loyers abordables G.Hw : et des transports en communs. Les loyers, oui, mais le prix de l’immobilier a grimpé depuis les années 90. À l’époque, on connaissait des maison avec des petits jardins qui se vendaient à des prix intéressants pour des gens avec des revenus moyens. Maintenant c’est fini, ça a grimpé, maison avec petit jardin c’est très recherché, d’autant plus que, et ça c’est le résultat de notre action, il y a eu un POS spécial pour le Neudorf, c’était une première que la municipalité acceptait de travailler avec une association, la nôtre en l’occurence, pour l’élaboration d’un document d’urbanisme, et ils ont travaillé aussi à partir de ce que vous retrouvez dans le petit guide. Ce sont les militants de l’ARAN qui ont recensé tout ce qui avait un intérêt patrimonial à Neudorf ? On a fait du porte-à-porte dans tous les quartiers qui a abouti à la protection de certaines rues qu’on considérait comme ensembles remarquables ; à la protection d’un certain nombre d’immeubles qui ne sont pas classés mais protégés, et ne peuvent être démolis que s’ils sont remplacés par des immeubles à volumétrie constante, donc ça a stabilisé la promotion immobilière et ça a amené une protection du patrimoine. - Par rapport au projet deux-rives, les habitants du Neudorf sont directement touchés, si l’on peut dire, par cette urbanisation importante en direction de l’Est… G.Hg : la majorité considère que l’on construit trop. G.HW : les personnes âgées disent : heureusement que je suis là depuis longtemps, sinon je ne m’y reconnaitrait plus du tout. Les promoteurs ont fait la chasse au dents creuses. G.Hg : pour les deux-rives, on peut parler de ce qu’on voit ici (la place de l’étoile, nda). Donc ça va être construit, l’ARAN s’est battue pour que ce terrain reste vide et que ce soit un agrandissement de la place de l’Etoile jusqu’au cimetière St Urbain, que ça fasse vraiment un espace entre le centre ville, la Krutenau et le Neudorf. Mais la ville ne l’a jamais compris comme ça et donc, au contraire, ils disent que l’îlot st urbain sera la jonction entre la ville et le Neudorf. Dans les DNA du 20 janvier, vous avez une petite photo de l’espace actuel, et une grande photo de l’immeuble qui va être ici, au ras (il montre le carrefour de l’entrée de la route du polygone), et avec une tour qui se veut faire la liaison, et puis des bâtiments moins hauts, c’est le grand projet géré par la SERS. - Mais les habitants bénéficient de la rénovation de la Presqu’île Malraux. G.Hw : oui mais bon, ça faisait partie de Neudorf sans en faire partie. G.Hg : c’est l’ancienne zone portuaire, autrefois on n’y allait pas et c’est devenu une friche. G.Hw : on y trouvait la déchetterie, là où il y a actuellement le cinécité. G.Hg : bon j’y étais samedi et il faisait beau ; le monde qu’il y avait devant la médiathèque Malraux, sur cette presqu’île avec de l’eau tout autour, c’est très agréable ! C’est le nouveau centre ville de Strasbourg..
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G.Hw : les copains de mes enfants jouaient dans cette friche, le long des rails de chemin de fer qui dataient du port. Bon, pour reparler de l’ARAN proprement dite, nous on a vieilli, et bon, on est moins nombreux aussi, on participe au conseil de quartier, aux évolutions etc. On fait moins appels à nous sur des problèmes précis mais on fait appel à nous pour nos connaissances si vous voulez. Ces dernières années, on s’occupe beaucoup de faire connaitre le patrimoine du Neudorf, par des visites guidées du quartier, des conférences, des projections, c’est actuellement par ça, et par notre participation au conseil de quartier, qu’on est le plus connu . G.Hg : on se rattache aux journées du patrimoine, chaque année en septembre, où on fait le circuit du patrimoine de Neudorf, le samedi à vélo et le dimanche à pieds. Et on se rattache aussi aux journées de l’architecture, en octobre, où on organise des balades thématiques à vélo, sur le Neudorf récent, une fois au printemps et une fois à l’automne. G .Hw : oui alors on fait aussi notre travail d’information, on a fait découvrir à beaucoup de gens la promenade le long du canal ; la ville avait fait cette réalisation, mais pas spécialement de pub, donc on en a largement parlé dans le stand qu’on tenait au forum des associations. - Pour revenir sur le sujet de l’urbanisme et de l’architecture dans le Neudorf, est-ce que les habitations ont été sujettes ces dernières années à des rénovations, qu’elles soient d’initiation publique ou privée ; est-ce que des opérations ont été menées pour réhabiliter du tissu ancien ? G.Hw : Non, il n’y a pas eu d’OPAH par exemple. - Et localement, il y a eu des initiatives, où des propriétaires ont rénové des logements et donc participé à la hausse des loyers ? G.Hw : il y en a, oui, mais toujours individuellement. On voit des échafaudages, des rénovations. Il y a eu la rénovation du quartier Risler, par exemple… G.Hg : Oui, CUS Habitat entretient ses logements sociaux. G.Hw : mais ce n’est jamais en bloc, tout un pâté par exemple. - Mais globalement, on peut dire que le tissu urbain du Neudorf est bien conservé, en bon état ? G.Hw : oui, en assez bon état. - Ce n’est pas un quartier typiquement populaire avec de l’habitat qui se dégrade ? G.Hg : Mixité sociale dans toutes les zones ! G.Hw : et dès que quelqu’un a la chance de racheter une petite maison, il la retape. Rue Baldner, par exemple, il y a des maisons pas très grandes avec peu de jardin autour, mais qui ont été retapées et qui sont devenues très belles. G.Hg : Promenez-vous rue de la chapelle, rue de l’ancienne école, vous vous trouvez au 19e siècle dans la campagne, c’est très agréable ! G.HW : et là, il y a eu pas mal de rénovations, bon ce sont des gens qui ont un petit peu les moyens. Par exemple, un ami de mon fils a fini par acheter une de ces maisons, la propriétaire, assez vieille, avait gardé un appartement dans ce mini ensemble, mais c’est lui, depuis qu’il est là, qui rénove progressivement. - J’en viens à la notion de gentrification, est-ce que vous connaissez ce terme ? G.Hw:oui, bien sûr que l’on connaît. C’est un peu la plaie, quoi. Dès qu’un terrain peut être utilisé, transformé ; soit une dent creuse ou une petite maison, ça bâtit. G.Hg : quelle est la définition larousse du terme ? - Il n’y a pas une définition immuable, on admet généralement que c’est le phénomène de renouvellement de population qui intervient dans un quartier populaire ancien et délabré, où une nouvelle population s’installe, soit par intérêt… G.Hw : mais donc avec augmentation de la densité…
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- Avec augmentation de la densité, des loyers, et pour conséquence l’expropriation des primo-habitants qui ne peuvent plus payer les loyers. G.Hw : bon, ça s’est moins fait qu’à Paris, quand même. Donc c’est aussi complet que ça ? Pour moi densification c’était remplacement d’une maison par immeuble. - Ah non, je parle de gentrification, donc de l’embourgeoisement d’un quartier, lié à ses changements urbains et sociaux. C’est un phénomène qui a été identifié clairement à la Krutenau et dans le centre-ville de Strasbourg, notamment dans la petite France. Et là, c’est le quartier de la gare qui commence à… G.Hw : à se boboiser, oui… - Oui, c’est ça. Et ce qui m’intéresse à Neudorf, c’est qu’on observe une tendance similaire, mais très localisée, notamment aux abords de la place du marché ou du Schluthfeld… Et un peu le long du tracé du tram D. Mais comme le quartier est assez vaste , on ne peut pas parler de phénomène d’ensemble, et donc c’est vraiment d’une rue à l’autre G.Hw : c’est un peu au coup par coup oui. C’est l’impression qu’on a aussi. - Et en plus, à Neudorf, il y a des concentrations d’habitat social, qui interviennent, alors que dans les schémas typiques, le phénomène intervient dans des quartiers vétustes mais sans logements sociaux. Du tissu délabré qui va intéresser une population au capital culturel élevé, à vocation artistique. Ici, c’est moins le cas, on observe surtout l’installation de jeunes couples, professions intellectuelles sup, ou cadres. Et ça sort un peu des schémas classiques. G.Hw : les ateliers d’artistes, y en avait rue du Maquis, avec un regroupement à cet endroit ; mais il y en a à différents endroits. Comment il s’appelle, Fretch Cohen et son groupe, ils ont un atelier rue Ste Aloise, y a un certain nombre, on le voit pendant les journées des artistes. - Et il y a aussi des éléments culturels dans le quartier avec le centre culturel marcel marceau, la maison bleue, la médiathèque etc.. Mais la tendance n’est pas aussi flagrante que dans le quartier de la gare par exemple. G.Hw : oui, elle se fait de manière ponctuelle plutôt. Enfin comme dit, c’est aussi une impression qu’on a nous. - J’ai aussi l’impression qu’au Neudorf il y a une population ancienne assez présente, installée depuis longtemps, soit propriétaire, soit location longue durée G.Hw : oui et qui finalement essaie de garder son patrimoine, enfin bon, je sais que les enfants de Neudorfois, s’ils peuvent rester à Neudorf ou récupérer la maison des parents, ils le font. - Il y a donc quand même des marqueurs sociaux qui font que l’on s’identifie au quartier, que l’on se sent fortement lié au quartier au point d’y rester plus tard. Ce n’est pas le cas d’autres territoires G.Hw : oui et comme Neudorf est très bien relié, avec deux trams … - D’ailleurs l’extension du tram va probablement bénéficier aux habitants, vers Kehl… G.Hw : bah, il y aura encore plus de monde qui ira faire ses courses à Kehl. Mais ça se passera dans l’autre sens aussi. G.Hg. : ce sera du transit, à Neudorf, entre le centre de Strasbourg et le centre de Kehl. - Dans ma partie plus pratique, je pensais me concentrer sur les secteurs du Schluthfeld et de la place du marché, ainsi que le quartier autour de l’arrêt Aristide Briand. G.Hg : vous interviewez les passants donc. G.Hw : bon là, vous avez les deux… Aristide Briand vous êtes en plein dans l’habitat social. - Oui, et je pense que c’est quand même l’un des marqueurs du quartier.
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G.Hg : y a l’habitat social, et toutes les nouvelles constructions de la rue de Bucarest. C’est plus de l’habitat social là. G.Hw : et ce qu’il se passe aussi, c’est qu’avec le quartier du Danube, il y aura, avec les nouveaux immeubles, la pression devient moindre… Et l’habitat ancien devient un peu plus difficile à être loué, en comparaison des nouvelles constructions, qui comportent toutes de l’habitat social. Bon y a des gens qui auraient peut-être voulu avoir un appartement dans de l’habitat ancien mais là, ils ont la possibilité d’avoir du neuf. Donc pas mal de gens préfèrent, quand ils sont jeunes, avoir du neuf… Des gens qui étaient étudiants à neudorf et qui logeaient soit dans les cités u, soit dans des petits immeubles de studios, ils disent qu’ils aimeraient bien rester à Neudorf si leurs moyens le permettent. - Et vous avez déjà eu des doléances de la part des habitants sur des changements urbains et sociaux ? G.Hg : bon on nous demande surtout d’intervenir quand une nouvelle construction va arriver, par exemple rue du chanoine Strau, y a des voisins qui voulaient sauver l’espace vert. G.Hw : oui, c’est la rue en prolongation de la rue st urbain qui débouche sur l’église. Et là il y a encore un jardin, c’est une rue très bétonnée. Et le monsieur a fini par mettre en vente son jardin, pas seulement sa maison. Finalement c’est un promoteur qui a acheté, et la ville a préempté. Et y aura un petit immeuble d’habitat social qui sera construit là. C’était la dernière dent creuse. - Donc ça concerne surtout les interventions sur l’urbanisme et les constructions. G.Hw : c’est ça, donc là y a eu un petit collectif qui s’était formé et qui s’est adressé à nous, donc on est allé voir la ville et on a proposé que ce soit classé jardin remarquable, que ce soit préservé en tant que tel. Alors ils ont fait des petits efforts en disant qu’ils allaient essayer de sauvegarder les arbres qui existent etc. Bon j’y crois pas trop. Y aura un immeuble mais ce sera pas entièrement construit, il restera de l’espace vert. - Donc c’est une sorte de compromis. Par contre vous n’avez pas de doléances sur l’augmentation des loyers ? G.Hw : les gens râlent, qu’on construit trop, et qu’on défigure le quartier. Mais bon, ça va pas plus loin. Y a pas de gens, comme nous quand on avait fait une pétition pour appuyer la révision du POS. Si vous voulez, y a pas eu de mouvements, de pétitions, pour qu’on arrête de bâtir à tour de bras. De toute façon, on ne peut qu’agir ponctuellement sur un immeuble remarquable. On peut pas empêcher les gens de vendre leurs terrains et on peut pas empêcher la ville ou la SERS de faire un plan d’urbanisme avec les terrains dont elle dispose. G.Hg : là, on a parlé patrimoine, urbanisme, on intervient également dans le domaine de la circulation pour défendre les piétons et les cyclistes par rapport à la circulation. Bon, je vois dans votre liste de questions : « quelle est votre opinion sur le projet deux-rives » ? Donc là, c’est peut-être le gros morceau dont on peut parler. On sait que la ville veut mettre 20 000 habitants de plus, d’un bout à l’autre bien sûr, entre le Heyritz, à côté de l’hôtel de police, qui est déjà construit, jusqu’au port du rhin. Bon ben ça bétonne, ça bétonne et ces trois tours… Il devait y avoir une tour de 150m, finalement remplacée par trois tours de 100m, ça fait beaucoup de monde. G.Hw : et ça va amener des gens qui ont les moyens car ça va être relativement cher. G.Hg: oui, les hôtels ce ne sont que des 4 étoiles. G.Hw : à propos de rivétoile, y a eu une histoire d’équilibre. Il faut construire autour de la place de l’étoile, en particulier le long du cimetière, pour une histoire d’équilibre, comment dire, si à un endroit on construit moins haut, faut construire plus haut ailleurs. Et Rivétoile, ben la SERS se rend compte qu’ils auraient pu construire plus haut, ça aurait pas été une catastrophe et personne ne s’y serait opposé. Et ça aurait permis de construire moins haut ailleurs. Parce que là, si vous rajoutiez un niveau à chaque immeuble, ce serait pas une catastrophe et ça permettrait de moins construire sur l’îlot st urbain. G.Hg : certains peuvent d’ailleurs être rehaussés. Ils sont construits pour accueillir un étage supplémentaire, non ?
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G.Hw : non non, y aura que ça. J’en ai parlé avec Hardweg, il a dit que ça bougerait pas, ils regrettent un peu du coup. Ça aurait pas été gênant. Alors il y a aussi un problème pratique dans la densification, c’est très bien mais on risque d’avoir des soucis si le climat se dégrade et qu’on a beaucoup de précipitations. On a vu apparaître des remontées d’égouts dans les caves qui étaient reliées au toutà-l’égout car la pente est relativement faible, reliées aux stations d’épurations qui sont vers le Rhin, et bon, on voit pas de projet d’augmenter le gabarit des canalisations. Et avec tout ce qui pousse là, et le nombre d’habitants que ça implique, il y aura peut-être un jour des problèmes. Exemple précis ; ma maison 1900, rue St Urbain, ça a été construit avec la cave qui avait une évacuation à l’égout et il n’y a jamais eu de problème, les voisins non plus. Et un beau jour, chaque gros orage, il y avait une remontée dans la cave. Bon, il y a des dispositifs qui permettent de l’éviter mais, ça, c’est dû à l’augmentation du nombre d’habitant, avec ces grand bâtiments qui sont construits. - Et le projet deux-rives sera intégré à Neudorf ou ce sera un nouveau quartier ? G.Hg : ça fait partie de Neudorf ! G.Hw : oui, la route du Rhin, c’est neudorf. G.Hg : donc on va gagner un peu moins de 20 000 habitants. 20 000 c’est avec Coop et Port du Rhin, mais ça va beaucoup bâtir. G.Hw : bon on dit souvent que si Neudorf était une commune, ce serait la deuxième commune du Bas-Rhin en terme de nombre d’habitants. Il y a plus d’habitants à Neudorf qu’à Schiltigheim ou Haguenau. On a 40 et quelques milles à Neudorf - Donc vous voyez de bon coeur l’éclosion du projet ? G.Hg : Ben pas trop, on s’est quand même battu contre les grandes tours, les immeubles ici ; ça manque d’espaces verts aussi ! Actuellement c’est le Heyritz, avec la promenade, … G.Hw : l’ilôt st urbain, c’est la conséquence à long terme de l’abandon du projet Gregotti qui prévoyait une tour. Pas parce que les habitants protestaient, mais faut de promoteurs, enfin d’investisseurs intéressés. Mais effectivement, la SERS doit remplir les conditions du COS, donc ils ont construit moins haut le versant Sud, et il faut rattraper ça avec l’îlot St. Urbain. - Et quelle est la justification de la ville pour le maintien de tous ces projets contre lesquels vous avez protesté ? - G.Hw : le maintien, c’est la perspective qu’il faut que Strasbourg devienne une véritable capitale européenne et dépasse le statut de ville de province, l’autre raison, ils le diront jamais, comme il n’ont jamais dit qu’implanter Ciné-Cité à Strasbourg, on a dit que c’était culturel. La ville ça l’intéresse que le nombre d’habitants augmente, ça fait des taxes d’habitations, les commerces ça fait des taxes professionnelles, mais bon il faut que Strasbourg reste à taille humaine. - Et votre souhait, vision pour Neudorf dans le futur ? G.Hw : c’est qu’il reste à taille humaine, pas tout à fait les irréductibles gaulois, mais que ça reste convivial. Mais ça peut pas être convivial à partir du moment où on met un tissu de grand immeubles avec des turnovers etc. Le meilleur exemple étant le Neuhof, où on a construit en blocs, avec des populations du même âge, de même condition sociale, ben on voit le résultat. - Justement, pour ma dernière question, j’aimerais rebondir sur le terme de mixité sociale que vous avez beaucoup employé. Donc vous définissez le quartier de Neudorf comme un quartier mixte ? G.Hw : oui je pense ! Bon, on a pas le chiffre à donner, mais… - Disons que des personnes de milieux culturels, sociaux, ethniques différents arrivent à cohabiter ? G.Hw : Oui, on le ressent quand même quand on a des enfants et qu’on voit les familles à l’école.
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Eric Chenderowsky, directeur du service Urbanisme et Territoires de la ville de Strasbourg et de l’Eurométropole, ancien enseignant de projet urbain à l’INSA, le 29/03/2017. (la gentrification), c’est une question qui pose. D’ailleurs il y a d’autres quartiers – bon le Neudorf bien évidemment, c’est assez massif – mais par exemple des parties de Cronenbourg, le Vieux-Cronenbourg, qui se gentrifient aussi. Sûrement Koenigshoffen aussi, avec le tramway. Mais si on avait un maillage plus fin, je pense, par îlot et non par IRIS, peut être qu’on constaterait les choses par secteur, vraiment. - Oui parce que là, c’est ce qu’il (Benjamin Soulet) m’a fait parvenir, c’est le maillage le plus petit, par IRIS. - On perd peut être une granulométrie - Oui, c’est pour ça que j’essaie de rencontrer les habitants et les acteurs locaux. Dans cette idée, j’ai rencontré des responsables de l’ARAN, qui m’ont renseignée sur leur action. Bon, il n’a pas su trop réagir sur ce phénomène-là, je pense qu’il est plus tellement impliqué - Mais la gentrification elle peut se lire à travers des éléments socio-démo, mais pas que ça ; je pense notamment à l’évolution des commerces. Et moi, j’habite un quartier qui est en train de changer, juste à côté, en lisière, là.. Et on voit des petites boutiques, des boutiques bio.. ça aussi c’est un sacré truc à observer. -Oui, c’est déjà un peu en train de se mettre en place ; il y a une boutique sans emballage, d’alimentation/mode de vie bio ; mais c’est moins présent que dans le quartier gare, où c’est vraiment affirmé. Donc c’est ça qui est intéressant, c’est que c’est un processus qui en train de se mettre en place. -Et en fait, on oublie d’observer, de faire un inventaire des commerces pour voir… - Il n’y a pas d’organisme qui se charge de ce recensement ? - Si, peut-être que la CCI (chambre de commerce et d’industrie) peut avoir en mémoire des choses, mais après je sais pas comment elle fait une classification. Bon allez, je vous laisse commencer.. - De toute façon, ça sera une sorte de discussion, j’ai juste noté quelques axes que j’aborderai. Donc déjà, pour vous présenter, vous êtes directeur du service d’urbanisme… - Direction de l’urbanisme, qui regroupe 6 services et 6 directions territoriales sur les quartiers. Donc en fait, notre thématique est l’entrée par territoire. - Et votre champs d’actions se situe sur l’ensemble de l’Eurométropole ? - Oui, sur l’ensemble de l’Eurométropole pour tout ce qui relève de ses compétences : la planification, l’habitat, le foncier ; mais uniquement sur la ville de Strasbourg pour ce qui relève de l’administration territoriale, notamment sur les quartiers. Donc les directions de territoires ne sont opérantes que sur Strasbourg. - Et depuis quand occupez-vous ce poste ? - Euh, le poste de directeur depuis 2009, mais la réunion qui a intégré les directions de territoire est faite depuis un an. Donc on a rassemblé la direction de la démocratie locale et de la proximité avec la direction de l’urbanisme. -Avec les conseils de quartier, notamment - C’est ça, et également tout ce qui est contrat de ville. On a changé un peu de périmètre, il y a un an. - Et quelle est votre vision contemporaine de Neudorf ? - Alors, le Neudorf, il se trouve que j’ai un rapport un peu particulier à ce quartier ; puisqu’avant
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d’être à la Communauté urbaine à partir de 1999, j’étais à l’ADEUS (agence de développement et d’urbanisme de l’agglomération strasbourgeoise) et j’ai eu la chance de travailler sur la révision partielle du POS de Neudorf, le fameux, et remarquable POS révisé de Neudorf. Ce qui fait que pendant 3 ans (95-97), on a arpenté le quartier, on a fait un relevé fin du bâti. Donc c’est un quartier que je connais bien, depuis longtemps. Donc j’ai pu voir les mutations. - Et également échanger avec les divers organes associatifs. - Alors pour le POS oui, on a beaucoup travaillé avec l’ARAN, après… - C’était vraiment leur action phare, leur gros chantier - Le POS ? Ils en gardent un bon souvenir ? On en garde un très bon souvenir. Pour moi c’est l’une des plus belles expériences professionnelles que j’ai conduit. - Et donc vous décririez le quartier comme un faubourg de Strasbourg, ou intégré au centre-ville ‘mental’ ? - Ah ben, oui, depuis 5 ans oui. - Donc c’est récent ! - Je pense que ce qui a vraiment marqué ce rassemblement, c’est la Presqu’île Malraux, qui a fait la couture. Tant qu’il y avait la coupure du port et de la place de l’Etoile, qui est en train aussi de se terminer, pour moi Neudorf était toujours … Alors je sais pas, faubourg c’est quelque chose qui dépend d’un centre. Neudorf a toujours eu une certaine forme d’autonomie, un centre assez marqué autour de la place du marché. Donc à la fois il était faubourg, mais quartier. C’est pour ça qu’il a un statut un peu à part parmi les quartiers strasbourgeois. D’abord par rapport à sa taille, le fait qu’il soit bien délimité, bien circonscrit, mais également le fait qu’il ait un centre. Il n’yen a pas qu’un, mais en tout cas il en a un bien marqué. Donc oui il est un quartier de Strasbourg, mais sociologiquement, historiquement, géographiquement. Mais c’est pas parce qu’il a été relié au centre qu’il est passé de faubourg à quartier. Il avait toujours ce statut de quartier. En fait, ce qui est rigolo, c’est que la coupure … il y avait une coupure forte à un moment donné. Donc St Urbain, et le Neudorf étaient presque des quartiers différents. Et peut-être que maintenant la partie St Urbain va vivre un nouveau destin, c’est la partie qui se gentrifie, c’est celle qui est la plus proche des Deux-Rives, et d’une certaine manière va faire avec deux-rives un nouveau quartier, un nouveau territoire. Et probablement que St-Urbain a plus à voir avec Deux-Rives que le fond du quartier. Donc probablement, le quartier n’est pas aussi homogène que la géographie donne à le voir, et certaines parties sont relativement autonomes. Donc c’est plutôt une mosaïque de quartiers. - On le remarque aussi quand on étudie les statistiques, les différentes typologies, et même historiquement, le quartier s’est construit dans un morcellement, qui a fini par s’étendre et a constitué le tissu urbain tel qu’il est aujorud’hui. - Si on regarde bien, ce qui a réuni les éléments, ce sont les grands axes, la route du polygone, l’avenue Jean Jaurès, et donc ça, c’est ce qui réunit ce quartier. Il a la chance d’avoir, à l’inverse d’autres quartiers comme Koenigshoffen qui n’a qu’un axe, une certaine épaisseur. Il est plus qu’un quartier car il est déjà complexe dans sa forme. - Une espèce d’autonomie, presque d’autarcie dans certains secteurs en tout cas. - alors ce serait intéressants de voir dans/sous quels domaines il est autosuffisant, et là où il est dépendant. Mais c’est vrai que si on considère que Rivétoile fait partie de Neudorf, alors il a un certain aspect commercial. - Les limites sont rendues un peu floues maintenant, avec le projet des Deux-Rives. Quelles ont été les actions menées par la ville depuis le nouveau POS, d’autres chantiers marquants ? Dans le quartiers même ou à ses abords ?
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- On enlève Deux-Rives ? Ben je dirais l’aménagement de la route du Polygone et de la place du marché, c’est l’axe de centralité. L’arrivée du tramway dans le quartier, aussi, avenue Jean Jaurès et rue de Ribeauvillé, euuuh et plutôt des actions en matière d’espace public. - Et le tram a été bien accepté au final, car j’ai l’impression que c’était un sujet de discorde. -Le tracé était sujet de conflits, mais c’est le conflit éternel entre les commerçants qui voient d’un mauvais œil que le tram passe à un endroit, faisant disparaître des places de stationnement, et puis c’est paradoxal, c’est qu’on accepte que le tram dans le centre-ville là où il y a les comerces, mais dès qu’on est dans la périphérie, ça devient un vrai sujet de débat. Donc en fait on a toujours du mal à faire passer le tramway là où sont les commerces quand on est en périphérie (rires). D’où ce tracé qui est pas non plus complètement idiot puisque d’une certaine manière, il va desservir, chercher des quartiers fortement peuplés du côté de l’avenue Jean Jaurès, et également desservir le lycée Jean Monnet, donc effectivement, on a perdu l’occasion de desservir la place du marché, pour autant, le tracé se déploie sur des parties de Neudorf qui n’auraient peut être jamais été desservies… - Et il y a tout de même une ligne de bus qui relie l’ancienne douane.. - Alors voilà. Et au bout du compte, la place du marché a quand même été réaménagée. Et gagne en dynamisme aussi. - Et dans le futur, toujours en laissant Deux-Rives de côté, des actions sont-elles prévues pour Neudorf ? - Eh bien non, en fait neudorf c’est un quartier « fini » (rires). Alors y a des secteurs de vigilance, notamment le sud de la route du polygone, qui a pas une santé commerciale et logement très marquée. Et puis les points de vigilance c’est aussi du côté de la cité ampère, à la Musau. C’est veiller à ce que les quartiers ne se précarisent pas trop. Mais l’avantage de ce qui se passe au Neuhof consolide ce qu’il pourrait se passer au Sud du quartier ; c’est-à-dire en fait, le sur du quartier de neudorf a probablement pâti de la dégradation urbaine très forte du Neuhof pendant très longtemps. Et d’une certaine manière, en rendant très attractif le secteur de la Kibitzenau, on rend attractif progressivement le Sud de la route du polygone. Et aujourd’hui ce qui est intéressant c’est que la Kibitzenau est presque plus valorisée d’un point de vue immobilier, que le sud de la route du polygone/neudorf. C’est marrant, donc il y a des inversions qui se passent maintenant. Bon il faut regarder dans un temps plus long, et je pense que le fait que le tramway, du côté de Gravière, passe, ça rend cette partie du Neudorf quand même assez attractive. - Oui, et il y a quand même quelques petits commerces, bon un peu datés, mais bon - Et des petites maisons très charmantes ! Tout le quartier du Neudorf, rue de la chapelle, ce sont des choses qui peuvent être assez attractives. - C’est vrai qu’on est immergé quand on s’y balade. - Vous êtes à 5 stations de rivétoile et vous êtes dans un village ! C’est ça qui séduit les habitants, à Neudorf, c’est ce côté villages avec un « S », c’est-à-dire qu’il y a plein d’ambiances, c’est ça qu’on avait repéré dans le POS, et c’est ça qu’il faut préserver, en évitant une sorte de homogénéisation, de standardisation, avec de nouvelles constructions. - Et le POS a quand même réussi à préserver cette image - Ah ben d’abord on a fait un inventaire très fin de tous les bâtiments à préserver, tout ce qui était intéressant, remarquable, et également on a réajusté toutes les règles de hauteur, vraiment pour passer de 6 ou 10 zones à 40 zones. Donc on a vraiment fait de la dentelle. - Avec des effets aujourd’hui bénéfiques ? - Ben en tout cas on n’a plus entendu l’ARAN se plaindre de la dégradation des coeurs d’îlots, voilà. Probablement ! Bon il y a eu quelques petites dégradations mais je pense qu’aujourd’hui, on a des
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règles beaucoup plus proches de l’esprit de Neudorf du début du siècle. - D’après ce que j’ai compris, ce qui leur fait grande peur, toujours hormis le projet des Deux-Rives, c’est que toutes les parcelles encore libres sont loties petit à petit - On ne peut rien contre la peur. - Leur craintes est de voir l’aspect ‘villageois’ s’effacer au profit de nouvelles constructions pourtant nécessaire pour la densification ? - Pourtant la densification n’est pas une fin en soi. On a fait des règles justement, qui trouvent cet équilibre entre l’évolution nécessaire d’un quartier, et puis la préservation des qualités de celui-ci. De toute façon pour rassembler deux parcelles c’est assez compliqué, car il faut saisir l’opportunité d’une maison qui se vend, et trouver, à ôté, dans un délai assez rapproché, la maison qui va se vendre à côté pour rassembler deux parcelles. Ça à Neudorf, moi, je n’ai pas vu depuis maintenant 20 ans, un rassemblement de parcelles. Soit les parcelles sont suffisamment grandes, et tout le travail qu’on a fait à l’époque c’est de vérifier justement leur tailles. On a essayé de rendre les choses pas possibles avec des règles de construction qui mettaient les maisons à distance, mais je n’ai jamais vu, moi, de réunion de parcelles. Car ça effectivement, ça peut être dévastateur, un promoteur qui aurait le temps de réunir les deux maisons pour en faire un petit immeuble. Pour autant, les maisons, regardez la hauteur, elles sont à 7m. Et 7m, vous pouvez faire un petit immeuble. .. Ah si, pardon je vous ai dit une bêtise, il y a un endroit où ça s’est fait, rue de l’ancien Bac, dans un quartier assez vilain (dans la partie Ouest du Neudorf), des petites maisons années 70, des maisons EDF comme on appelait ça, et un promoteur a été démarcher tous les propriétaires de ces maisons, il les a toutes détruites et il a fait un petit immeuble. Et quand on a vu le projet du promoteur, on a dit « attendez, vous plaisantez là? », en fait on était pas très prévoyants, on s’est dit que ça bougerait jamais. Et quand on a vu le projet, on a dit, ah non c’est beaucoup trop dense, il faut au moins retrouver une fragmentation de l’immeuble pour garder ce qu’était l’esprit de la rue. Et où est-ce qu’on s’est fait ramasser ? Par les propriétaires, qui ont trouvé scandaleux qu’on fasse ingérence et que finalement ils vendent leur terrain moins cher, puisque le promoteur ne pouvait pas faire autant que ce qu’il voulait. Depuis ce jour, je les attends les propriétaires. On voit bien que entre l’intérêt du propriétaire et l’intérêt patrimonial, c’est pas le même. Et souvent, ceux qui sont – mais ça c’est pareil pour les paysans dans les communes, ce sont eux qui vendent leurs terrains pour faire des lotissements ! (rires), donc le mal est endémique. Bon au bout du compte, vous ferez peut être et un tour et vous verrez… - Du coup il n’y a pas tellement de constructions neuves dans le quartier, sauf fronts de neudorf.. - ça faudrait comparer : ça serait intéressant de voir ce qui s’est construit avant que les « Fronts de Neudorf » démarrent, où les fronts de neudorf ont permis d’orienter l’activité des promoteurs dans le quartier. Je ne pense pas car de toute façon, on a doublé le nombre de logements construits à Strasbourg depuis 10 ans, donc je pense que certains promoteurs se sont intéressés au petites parcelles. Du coup ce sont vraiment de petites interventions, et celles-là sont cadrées par le POS/PLU. Par contre il y a des coeurs d’îlot qui sont inconstructibles, parce qu’on a mis des trames vertes, des règles de construction rendant les choses inconstructibles. Alors ça n’empêchera pas les propriétaires de couper leurs arbres et de mettre du parking à la place de leurs jardins, ça on n’a pas les outils pour l’empêcher, pour autant on ne pourra pas construire. - Oui, ça concerne surtout les dents creuses en front de rue - Voilà, toutes les règles qu’on a instauré dans le POS de Neudorf étaient pour rendre les coeurs d’îlots très difficiles à construire, avec des règles de prospect extrêmement compliquées, et favoriser la construction à l’avant,, également avec une règle toute simple : au lieu de permettre de soit se reculer de la limite séparative d’une longueur L=H/2, soit de se coller en limite avec une façade aveugle dégueulasse, qui était la solution choisie systématiquement par les promoteurs, on a remis une ancienne règle du code civil, qui oblige à laisser 1m90 pour voir mettre des fenêtres et ne pas
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avoir ces horribles pignons aveugles. Ça c’était un vrai progrès pour retrouver de l’attractivité à l’avant de la parcelle. On a également réduit la profondeur possible des bâtiments à 13m, alors qu’avant on pouvait construire sur 18m par exemple. Ça faisait de gros pignons hideux. Bon quand je me balade maintenant, je me dis, il y a quelques trucs qu’on a un peu raté, mais en tout cas on a les outils pour ne plus avoir ces paysages infâmes. (rires) - Mais pour autant, les promoteurs continuent de s’intéresser, autant qu’ils le peuvent, avec la surface qui leur est donnée, au quartier ? - Oui, par contre les règles leur sont moins favorables. - Et ça construit surtout du logement en locatif privé ? - En accession. - Pas de logement social ? - Très peu, il y en a quelques unes, mais très peu, une dans le quartier St Urbain, rue du chanoine Straub, mais les promoteurs ne sont pas très intéressés par les petites opérations ; pour eux c’est pas intéressant en terme de gestion d’avoir des opérations trop petites. - Donc les logements sociaux sont quand même concentrés dans les grandes opérations ? - Oui, un bailleur essaie en général de faire des opérations de minimum 15 logements. Souvent dans les petites parcelles, si on peut en faire que 10-12, ça intéresse pas trop. Pour autant, aujourd’hui le PLU impose à toute opération de plus de 12 logements d’intégrer une proportion de logement social ; c’est assez diffus. - Parce que beaucoup disent du quartier qu’il est très mixte, mais je suis assez réservée sur cette affirmation… - C’est sûr que si on prend l’ensemble du quartier, il est mixte, mais tout est concentré, à l’intérieur. Y a des endroits plus mixtes que d’autres. Mixtes, mais pas trop. Si vous prenez effectivement la partie Sud, de la cité de l’orphelinat jusqu’à la cité Risler, c’est pas très mixte. - Donc plutôt que des constructions, ce sont plutôt des rénovations ou réhabilitations qui sont à l’œuvre dans le quartier ? - Ben de toute façon, la première des transformations c’est le changement de famille. Quand un couple de personnes âgées décère, ou va en maison de retraite, ou vend ; là où il y avait deux personnes, vous allez vous retrouver peut être avec une famille, avec 3-4 personnes. Et un couple de personnes âgées qui n’avaient pas de voiture va venir arriver un couple avec deux voitures. Donc également ça, et parfois dans des maisons qu’on peut transformer pour mettre un garage, et sinon ça veut dire dans la rue. Donc il y a une énorme transformation liée à l’évolution des familles. C’est ce qu’on constate dans beaucoup de quartiers où les maisons sont rachetées par des jeunes foyers. - Oui parce que la population du Neudorf est quand même, en certains endroits plus que d’autres, une population plutôt âgée, qui se mélange avec des populations étudiantes, notamment St urbain d’ailleurs... - Oui, et c’est là où on a une autre forme de renouvellement, qui parfois produit des effets sur les écoles, sur les stationnements, aussi marquants qu’un programme neuf. Aujourd’hui par exemple dans le vieux Cronenbourg, c’est la catastrophe au niveau du stationnement, on comprend pas pourquoi ; c’est parce qu’il y a plus de familles. - Et vous avez des données quantifiables à ce propos ? - Non, on ne travaille qu’à l’échelle de l’IRIS ; faudrait voir rue par rue, on peut savoir où y a eu des mutations, à travers certains fichiers, donc on peut repérer là où il y a eu des ventes sur une période donnée.
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- Est-ce qu’il y a encore du dialogue et des revendications de la part des habitants pour les services d’urbanisme de la ville ? - Par la direction des territoires, oui ; - J’ai cru que comprendre que le conseil de quartier est assez actif … - Oui, il y a surtout la problématique du stationnement. C’est un vrai sujet qu’il faut que l’on prenne d’arrache-pied, et puis les sujets sont plutôt organisés autour des Deux-Rives. - Alors les Deux-rives, c’est le plus grand projet urbain de Strasbourg depuis la Neustadt, quelles sont les motivations qui ont poussé la ville à entreprendre cet énorme projet ? - Bon il faut relativiser, c’est un projet sur lequel on travaille depuis 20 ans ; en 20 ans on aura construits ces 4000 logements, c’est pas non plus le grand boom immobilier, donc faut aussi le ramener à l’échelle du temps sur lequel on travaille. Donc au départ, c’est bien la reconquête et l’ouverture de Strasbourg sur le Rhin, qui est une manière d’incarner une nouvelle dimension de la métropole. Si on s’attache que au quartier européen pour être européen, ça suffira pas. Donc l’autre idée de Catherine Trautmann en 1990, c’est de dire que si on veut être européens, faut qu’on soit ouverts sur le Rhin et pas resserrés autour de notre Grande Ile patrimoine mondial de l’UNESCO. Donc ça c’est la première idée, seconde idée c’est que le centre-ville est à l’étroit ! Mais ça c’est pas nouveau, un centre-ville, pour vivre, a besoin de se moderniser en permanence, et on voit bien que y a beaucoup d’équipements qui sont venus on va dire « desserrer » le centre-ville ; a cité de la musique, le cinéma, les archives, donc c’est aussi la vie normale d’une cité que d’adapter ses grands équipements aux besoins. Et puis il y avait aussi la volonté d’une reconquête urbaine, de pas laisser au coeur de la ville des friches, vraies coupures entre quartiers, entre l’Esplanade et Neudorf, entre Centre-ville et Neudorf, y a eu également ce travail de couture entre le Nord et le Sud. Et bien évidemment, si en plus en construisant là on évite d’aller construire à 15km de Strasbourg, ben c’est mieux, construire là où il y a les transports en commun, les équipements, etc, faire de l’urbanisme (rires). - Ce qui est pas mal. C’est vrai que quand on ajoute la dimension temporelle ça redonne une échelle ; mais c’est vrai que les chiffres présentés peuvent effrayer - Ben on a 1 million de mètres carrés, 250 hectares de SP, ça fait un COS de 0,6. Un COS comme ça, c’est certains îlots de maisons individuelles à la Roberstau, c’est pas très dense, non plus, ramené à l’ampleur territoriale. La Neustadt par exemple est beaucoup plus dense. - Oui, enfin je pense que c’est effrayant quelque part, parce que tout se construit d’un coup, malgré le phasage - Je pense que les strasbourgeois avaient perdu l’habitude de voir des constructions. Il y a des grues, non pas partout, mais en permanence, ça change. Alors de 1. les strasbourgeois ils ont peur du changement, et 2. on change également d’échelle de construction ; on accepte de fabriquer des immeubles qui font 7 étages. Le problème c’est que les immeubles de 7 étages qu’on a construit dans les années 60 ils étaient moches, du coup dès que les gens voient que l’on construit haut, c’est forcément moche, alors on réfléchit même plus à ce que c’est l’architecture. Y a un espèce de dogme qui dit que pour que ce soit beau, il faut que ce soit bas. Je pense, pour vous dire, il n’y a eu aucun recours sur les permis de construire de Deux-Rives, depuis maintenant 6 ans, 7 ans ? Aucun recours ! Donc ça veut dire que tout ce qui a été fait, d’une certaine manière, n’a pas suscité d’opposition. Les 4 tours, rien ! - J’y suis passée il y a peu, c’est vrai que c’est impressionnant. - Impressionnant ! On a le droit à Strasbourg, d’être impressionné, plutôt que d’être désolé de la vacuité de ce qu’on a pu construire dans les années 90. - Bon après, il faudra juger avec le recul nécessaire
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- Bien sûr, mais je pense qu’aujourd’hui, quand on voit l’appropriation de la Presqu’île Malraux et des abords de Rivétoile, c’est vivant ! Donc laissons ; il n’y a pas de problème de bulle immobilière, les gens viennent acheter. Les gens viennent fréquenter. Les gens votent avec leurs pieds. - J’avais l’impression aussi que la crainte résidait dans le fait que les nouvelles constructions vont proposer beaucoup de logements plutôt luxueux et que ça va contribuer à amener une couche sociale élevée qui n’y était pas avant. Non. Ben en fait c’est un peu contradictoire. Et pas vrai, car pour Danube par exemple (éco-quartier de Deux-Rives), c’est 50 % de logements sociaux. Et les prix sur Deux-Rives vont de 3200€ / m² habitables jusqu’à 5-6-7000€/m² habitables. Or faut savoir que quand y a une résidence de luxe qui vient se construire à côté de vous, l’immeuble ou l’appartement que vous habitez, ben il a plus de chance de se valoriser que quand on construit des logements sociaux. Donc c’est souvent ce qu’on nous reproche aussi quand on fait du logement social, c’est qu’on va « dégrader la valeur » du bien. Donc faut trouver un équilibre, faire en sorte que le logement social soit remarquablement bien construit, et qu’on trouve pour toutes les typologies d’habitants, de quoi habiter dans le quartier, et de toutes les tailles d’opérations, opération de 6 logements ou de 40 logements. - La place de l’étoile, c’est une vraie question, car c’est l’entrée du Neudorf, et elle est mal définie. Maintenant il y a les immeubles qui rajoutent ce front bâti, avant c’était plutôt bas, progressif, et y avait une coupure marquée, on se rendait compte qu’on passait d’un territoire à un autre, ce qui accentuait cet effet de village autocentré. Et là, avec la construction prochaine de l’îlot St urbain, ça risque pas de faire une continuité trop visible ? - Ah ben c’est revendiqué. La place de l’Etoile est là pour faire la couture entre le Neudorf et le centre-ville. Donc la couture sans continuité je sais pas faire, et je rappelle que la place de l’Etoile est à Neudorf. C’est le canal la limite. Cette place est pour Neudorf, faut pas que Neudorf oublie que il a une responsabilité et offre des espaces publics à l’ensemble de la ville. Voilà, ça lui appartient mais c’est aussi pour l’ensemble des strasbourgeois. - Ils ont peut-être peur de s’ouvrir au reste de la ville… - Ce serait intéressant d’interroger les « vieux » neudorfois là dessus, et les nouveaux neudorfois. Je pense que les nouveaux, le problème c’est pas de savoir où s’arrête le Neudorf, mais plutôt de savoir, c’est pratique, si je suis prêt de ça. - La question va aussi être, est-ce que les commerces sont adaptés, - Oui, si c’est un quartier confortable, qu’est)-ce que c’est un quartier agréable, et le reste ma foi… - Est-ce que ça va proposer des commerces mais aussi des loisirs pour les gens qui habitent maintenant dans les nouveaux appartements, même pour les gens qui habitent éloignés des centralités. - De toute façon, y aura le fait que très prochainement, on pourra aller au Jardin des Deux Rives en tramway, tous les gens qui habitent du côté de l’avenue Jean Jaurès ça va être super pratique. On est à proximité de trois parcs, Heyritz, Citadelle et Deux-rives ; donc pour tous les gens qui habitent au Nord du quartier, ont vraiment à disposition des espaces de nature. Au sud du quartier, dès lors qu’ils franchissent un peu la voie ferrée, ils peuvent aussi retrouver des continuités vertes qu’il faudrait qu’on aménage un peu mieux, entre la Musau et la Kibitzenau, jusqu’à la Meinau, c’est la partie centrale qui est plus minérale, mais c’est là où il faut soigner les espaces publics. C’est ce qui s’est passé avec la place du marché, la place devant le lycée Jean Monnet, qui a aussi été réaménagée, la place devant l’orphelinat… Voilà, donc c’est un quartier central qui devrait bénéficier du projet deux-rives. Et puis faut aussi relativiser, à pieds, de la place du marché à la place de l’étoile ça prend même pas 10 minutes, c’est rapide. Le vrai sujet c’est le stationnement. Parce qu’on a des rues qui n’ont pas été dessinées pour supporter la pression (?), on a beaucoup de petits immeubles qui n’ont pas de stationnement, construits au début du siècle, donc ça ça va être un des freins. Je connais des gens qui disent, « moi j’ai habité
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ce quartier, et depuis 5 ans je ne peux plus y garer ma voiture, donc je suis obligé de déménager ». - Est-ce qu’on va pas assister, avec ce renouvellement de la population, à des nouvelles typologies de ménages qui n’ont plus de voiture ? - Ben c’est ce que Benjamin (Soulet, nda) doit vous montrer, probablement la part, le nombre de ménages avec voiture à Neudorf, doit baisser. Parce que maintenant, y a peut être des gens qui se sont retrouvés piégés à voir les évolutions, qui ne correspondent plus à leur mode de vie. Des gens qui ont besoin de leur voiture pour travailler, Neudorf n’est pas un quartier pour eux. Et probablement que les gens vont choisir Neudorf parce que les commerces sont proches, bien situés… ça renvoie à votre question sur la gentrification. Si le profil du bobo c’est je roule à vélo, je suis pas loin de mon travail, alors ce sont des garages à vélo qu’on devra construire, qui sont maintenant inclus dans les programmes immobiliers. - C’est vrai qu’il y a l’émergence de tout un groupe de personnes qu’on peut qualifier de ‘bobo’, avec la maison citoyenne, l’association eco-quartier qui commence à prendre du poids… - C’est intéressant, l’ARAN ils constatent, dans la fréquentation de l’association, des gens qui viennent moins ? - Ben l’ARAN est un peu en perdition, en fait. Ils sont vieillissants et incarnent une ancienne vision du Neudorf - Oui c’est ça le problème à mon avis, y tout un tas d’associations, notamment autour de l’îlot lombardie, le lombric hardi, des gens qui se mobilisent avec des jardins partagés, y a un composteur… Des gens qui se mobilisent sur des projets ad-hoc, spécifiques. Et pas la préservation de l’intérêt du quartier, qui renvoie à des fantasmes, des craintes, des trucs irrationnels qui au bout du compte sont plutôt qu’à partir d’un cas de figure, on fabrique une théorie comme quoi tout va mal. - Je pense que c’est un peu ça le problème, c’était assez flagrant lorsqu’on a discuté, ils revenaient sans cesse à leurs actions passées. - Ben oui, mais maintenant que le truc est réglé… - Ben ils sont un peu désœuvrés. Et ils admettaient un peu durement que désormais, on venait surtout les voir pour leurs contacts qu’ils ont avec les services de la ville,… - C’est sûr qu’ils étaient plus intéressants quand ils étaient en train de revendiquer et se mettre en position d’acteurs forts, parce qu’il y avait qqch à construire, que maintenant que les choses sont faites. - En fait, maintenant je pense que les nouvelles – ou non – populations elles se tournent plus vers ces combats-là, mais plutôt vers l’amélioration de leur environnement de vie. - Ben eux (l’ARAN, nda) ils étaient un peu là-dessus, sauf que maintenant que c’est fait, ils auraient dû se dire, ben on va devenir les vigies, peut-être être ceux qui regardent comment ça se passe, mettre en place un observatoire du suivi des transformations, ils auraient pu être des observateurs des transformations. - bon là leur combat apparemment, c’est plutôt les mobilités, comment concilier l’augmentation des piétons et vélos avec les voitures assez présentes, ils peinent à harmoniser tout ça. - Et probablement il y a aussi que l’ARAN a plus de mal à trouver sa place aujourd’hui, avec le conseil de quartier. - Oui, ils m’ont dit que finalement, les gens aujourd’hui se tournaient davantage vers le conseil de quartier. D’ailleurs que j’avais essayé d’attraper mais j’ai pas réussi. C’est assez fermé - Oh non, pas tellement, et si vous voulez avoir accès, vous passez par Anouk Brocquard, si vous voulez rencontrer des gens, à la direction de la démocratie locale. Elle peut vous ouvrir des portes. Et c’est qui aujourd’hui l’ARAN ?
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- Gilles Huguet, le président, et Georges Hildwein, le vice-président. D’après ce que j’ai compris, ils y sont depuis longtemps, c’était assez évident de voir que l’association ne se renouvelle pas. Ils rassemblent surtout des seniors. - Quand j’ai travaillé avec l’ARAN, y a 20 ans, ben c’étaient des trentenaires – quadra, qui étaient très engagés,… - Je pense qu’ils incarnent vraiment une ancienne génération, qui n’est plus majoritaire, dans la représentation du quartier. C’est pourquoi j’ai contacté d’autres organes associatifs. - Ce serait intéressant également de contacter l’association des commerçants de Neudorf, l’ACDAN, pour découvrir ce qu’ils constatent par rapport aux pratiques de consommation, est-ce que leurs membres évoluent, est-ce que la grande braderie existe toujours, le marché… Emmanuel Marx, membre de l’association Eco-quartier Strasbourg et porteur du projet de Maison Citoyenne (îlot Lombardie). 03.05.2017
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Interview d’Emmauel Marx, président de l’association Eco-quartier Strasbourg, le 03/05/2017. - Est-ce que vous habitez vous-même dans le quartier du Neudorf ? Depuis combien de temps ? Oui, depuis 2013 -Vous appartenez à l’association éco-quartier Strasbourg, qui promeut les projets d’autopromotion et d’habitat participatif au sein de l’Eurométropole. Pouvez vous m’en dire un peu plus sur la création de l’association ? Oui elle a été créée en 2001. Un petit s’était formé déjà avant 2001 avec le projet de soutenir la création d’un écoquartier « bottom up » (initiative habitante) après avoir visité Fribourg et d’autres villes présentant ce type d’initiatives. La collectivité de l’époque n’avait pas la même couleur politique qu’aujourd’hui (municipalité de Fabienne Keller, UMP, nda), donc le groupement n’a pas bénéficié de soutien de la part de la ville de Strasbourg. Le groupement s’est alors tourné vers un premier projet d’habitat groupé, qui ne se faisait pas trop à Strasbourg à l’époque. Ils ont bien cheminé et au final ça a abouti à la création de l’immeuble écologique qui se situe en face de la Maison citoyenne (rue de Lunéville, nda) et, en cours de route, la collectivité a changé de couleur et a trouvé un intérêt dans le fait de promouvoir cette « troisième voie » de la construction. Elle a donc réservé des terrains pour des projets d’habitat participatif, l’association a ensuite pris un autre chemin en aidant les autres projets d’habitat participatif à se concrétiser, en faisant des retours d’expérience, de la consultation, en éditant un guide pratique de l’autopromotion… Devenant un peu la tête de réseau de ce genre de projets. Elle a continué à jouer ce rôle et, en 2012, elle s’est recréée sous la forme de trois collèges différents : un collège « habitat participatif », un collège « transition » qui est plus porté sur les initiatives de transition en ville, notamment dans le domaine de l’habitat et de copropriété en terme de démarches durables et participatives, et un troisième collège qui a appuyé le projet de monnaie locale qui a donné naissance au Stück (monnaie locale strasbourgeoise, nda). - Donc vous êtes aussi à l’origine de la monnaie du Stück qui est utilisé pas seulement dans le Neudorf, mais dans toute la ville ? On en est en partie à l’origine, mais surtout, on a porté, administrativement parlant, la création de l’association « Le Stück ». C’est ce qu’on a reproduit avec la Maison Citoyenne, une fois que le Stück est sorti, on s’est dit : « que faire ? », on a redonné à ce collège une initiative citoyenne et on s’est dit qu’il y avait cette occasion, ce projet de sauver la maison, cette maison alsacienne, de la démolition, et qu’on pourrait en faire un espace partagé pour les habitants du quartier. - Donc ce souhait de faire un espace partagé qui tourne autour des initiatives citoyennes, c’était un souhait également visible parmi les habitants, ou c’était surtout porté par votre association ? La question était portée par notre association, mais aussi par des membres d’autres associations, comme Les Colibris (association nationale qui promeut l’écologie et la dimension humaine au sein des projets politiques) , comme un certain nombres d’associations qui gravitent autour des initiatives de transition. Donc on a fait un premier groupe au sein d’Ecoquartier Strasbourg (EQS), et après l’idée c’était, on va pas, c’est pas trop nous, c’est un projet collectif. C’est pas la finalité qui nous intéresse, mais la démarche. Impulser un truc et voir s’il y a de la demande, si un collectif se forme, qu’il soit prêt à prendre en charge ce projet. On a donc demandé un agrément pour accueillir un volontaire en service civique, et ce volontaire a fait des micro trottoirs et rencontré les habitants pour voir tout ce qu’ils voyaient dans cette maison, quels pouvaient être leurs attentes, leurs rêves, etc. Et donc on a fait une première ébauche des attentes des habitants, avec environ une centaine de personnes qu’on a rencontrées. On a fait une réunion publique avec une petite vingtaine d’association pour savoir en quoi cette maison citoyenne pourrait apporter une réponse à certaines attentes et certains besoins des associations du quartier et de Strabsourg, plus largement. Ça nous a fait un premier programme, on s’est dit, à priori ça correspond à certaines attentes alors allons-y, on impulse la constitution d’un collectif, qui s’est formé. Ce collectif est « intégré » au sein de l’association EQS jusqu’à ce qu’il y ait la création d’une association propre qui va gérer la maison. Une fois qu’on aura
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réalisé tous les travaux de rénovation, cette association gérera le lieu au quotidien. C’est pas le but de l’association EQS de gérer et d’animer un espace. Un peu de la même manière qu’avec le Stück. -Par rapport à cette maison citoyenne, quelle est son emprise au sein du quartier ? L’ensemble de ses actions sont concentrées vers l’îlot Lombardie et le Schluthfeld, est-ce que vous arrivez à toucher l’ensemble des habitants du Neudorf du coup, ou c’est difficile ? En terme de besoins, on est parti des habitants du coin quoi, de la partie Ouest, ou des passants qui s’y trouvaient quoi. - Donc ce n’est pas non plus quelque chose qui a vocation à servir l’ensemble du quartier, c’est plutôt localisé.. ? Ce qu’on aimerait bien en fait, c’est l’intérêt d’avoir ce type d’espace à l’échelle du quartier, d’avoir un espace de proximité et de rencontres qui soit « géré » de manière collective par les habitants, les associations, les gens qui font « moteur » quoi, et que ce soit un espace convivial qui donne envie à la rencontre et qui permette potentiellement de faire éclore de nouvelles initiatives ou d’en conforter d’autres. Donc oui, il y a un enjeu de proximité quand même. Après, il y a des associations qui effectivement rayonnent autour de Strasbourg, qui sont dans le même champs (transition, recyclage, revalorisation des déchets, sensibilisation à l’environnement etc.), mais nous on a besoin d’avoir cet ancrage dans le terrain. - Donc vous pensez qu’étant donné la superficie extrêmement grande du quartier du Neudorf et son caractère un peu disparate, ce genre d’initiative doit être plutôt multiplié à l’échelle locale, plutôt que de vouloir servir l’ensemble des habitants ? Oui totalement. - Donc c’est presque à l’échelle du sous-secteur, ou d’un ensemble de rues en fait ? Oui, ou d’un quartier un peu étendu ; mais c’est vrai que pour le Neudorf c’est particulier, il est tellement énorme, entre le quartier du Schluthfeld, de la place du marché, de la Musau, et encore plus le Port du Rhin… Il ne s’agit pas du même espace de vie. Pour moi c’est pas un quartier, Neudorf, c’est un agglomérat de quartiers. - D’accord. Ensuite, je voulais revenir sur les projets d’autopromotion et d’habitat participatif que vous portez, au sein de l’association EQS. Il y en a quand même un certain nombre qui s’implantent au sein du territoire administratif du Neudorf. Pourquoi ? Pourquoi…. Bonne question. Je pense qu’à une certaine période, il y a eu une réserve foncière plus importante ; c’est à ce moment que les projets se sont développés. Il y a eu une sorte de coïncidence, de convergence : au moment où il y a eu le développement de projets d’habitat participatif soutenus par la collectivité, le quartier est en pleine mutation. D’ailleurs c’est certainement le quartier limitrophe du centre-ville qui était le plus en mutation à ce moment là. - Et du coup, quel rôle joue l’Eurométropole et ses acteurs urbanistiques pour vous soutenir ; vous bénéficiez de subventions, ou ils vous soutiennent plutôt idéologiquement, ou alors ils vous aident à obtenir des terrains ? Y a deux aspects en fait. Alors la ville de Strasbourg (et non l’Eurométropole) nous soutient, on a une convention depuis 2010 et les premières rencontres de l’habitat participatif ; il y a donc eu un petit financement sur des projets spécifiques. C’est pas un financement de fonctionnement, mais un financement de projets ciblés, qui est reconduit d’une année à l’autre quand même, car il y a pas mal de sujets sur l’habitat participatif. Ça nous aide à entreprendre différentes actions, comme les journées portes ouvertes, le fait d’animer des formations pour les autopromoteurs. Donc EQS bénéficie d’aides publiques directement de la collectivité. Et après il y a les autopromoteurs qui bénéficient de terrains qui leur sont « réservés » : il y a un appel à projet de la collectivité sur certains terrains, où ils vont prendre le temps de lancer une consultation, en disant, est-ce que des groupes veulent se
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former pour construire à cet endroit-là ? Et donc, ça laisse un peu plus de temps aux groupes pour se former, se composer, proposer leur programme et faire tout le travail de promotion immobilière. - Globalement, la municipalité de Roland Ries (maire socialiste) vous soutient pleinement dans ce genre d’actions ? Oui, disons qu’elle apporte des conditions favorables à l’émergence des projets. - Contrairement à la municipalité précédente ? Oui, sans conteste. - Pour la Maison Citoyenne, quels types d’actions vous menez, notamment avec les habitants ? Ça fait maintenant deux ans qu’on a initié le truc, les premières rencontres c’était plutôt faire s’exprimer les besoins, les attentes et les rêves des habitants, des associations, ensuite on a retranscris ces demandes-là, et on a impulsé la création d’un collectif, et aidé à s’organiser un petit peu avec un groupe communication, un groupe chantier, un groupe financement, et un groupe programmation, conception etc. C’est une démarche ouverte, donc n’importe quel habitant qui s’intéresse au projet peut le rejoindre à n’importe quel moment en s’impliquant dans telle ou telle action. - Vous avez déjà mené des actions concrètes ou vous êtes encore pris par le chantier ? Ben en fait le chantier est ouvert à toute personne et est une action en soi. Donc là on est en plein chantier de démolition, donc des habitants viennent se joindre au groupe chantier. Au sein du groupe financement, on a plusieurs habitants qui nous aident à chercher des financement et qui s’impliquent, au sein du groupe gouvernance, on est en train de réfléchir à la future structure qui va gérer et animer le lieu, c’est tout un travail aussi avec les habitants, et on fait avec les habitants. On fait en sorte que ça avance, on a deux volontaires en service civique maintenant, qui aident les habitants à être encore plus efficaces et à aller plus vite. - Dans l’avenir, vous envisagez d’autres types d’actions ciblées ? Oui on fera un certain nombre d’actions, si tu veux je peux t’envoyer un petit document, un petit état des lieux des différentes phases. - Oui, avec plaisir. Du coup par rapport à ces deux projets, avez-vous déjà fait face à des oppositions ou à de la méfiance de la part des habitants, ou vous êtes globalement accompagnés et soutenus par la population ? Globalement c’est un projet qui remporte une certaine adhésion, si ce n’est pas une implication. En tout cas, les gens adhèrent bien. Ils sont dans l’attente de ce que ça va pouvoir donner. Après il y a toujours des personnes qui voient ça d’un mauvais œil, mais c’est juste qu’on est associé aux mutations urbaines. Donc ceux qui habitent là depuis très longtemps et qui subissent les chantiers, les transformations, les nouveaux arrivants, l’encombrement des rues, bon on est associés à ce mouvement général. - Dans un certain sens, vous êtes associé à ce réinvestissement du quartier depuis une quinzaine d’années, qui accompagne les mutations que vit le quartier actuellement ? C’est ça. -Et donc les résistances par rapport à ça sont assez peu présentes ? Vous avez jamais eu de problèmes ? Assez peu présentes, on a jamais eu de problèmes directement. Même les gens qui sont directement attaqués, les nouveaux arrivants qui ont emménagé dans les nouvelles constructions, il y en a déjà 2 qui font partie du collectif, qui participent à nos actions.
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- Et vous avez connaissance d’une opposition à la construction de projets d’habitat participatif sur le territoire du Neudorf ? Ben sur le quartier oui, effectivement, mais ça rejoint les mêmes problématiques, du fait que les autopromoteurs des projets d’habitat participatif sont associés aux mutations urbaines subies par les gens qui sont là depuis longtemps, et donc ils ne sont pas vus d’un bon œil, mais c’est également le cas des promoteurs. Sauf que les gens qui achètent chez les promoteurs, on peut pas forcément leur coller une étiquette, alors que là sur l’autopromotion, on peut facilement y coller l’étiquette « écolo-gaucho ». - C’est justement ce que j’allais aborder. Est-ce que finalement, vous avez pas l’impression que les actions que vous menez au sein de ces différentes structures peuvent être perçues comme des revendications bobo ? Ben, bobo j’ai du mal à identifier ce que c’est, mais c’est vrai qu’aujourd’hui, l’essentiel des porteurs de projets d’habitat participatif c’est des créatifs culturels, et plutôt des gens qui ont des convictions écologiques, sinon ils vont pas passer 4 ans à travailler sur des projets comme ça quoi. - Et qui appartiennent à une classe sociale qui a les moyens de porter ce type de projets… Euh, oui, après bon sur ces projets là, il y a plus une homogénéité de profils culturels plutôt que de profils économiques. Il y a quand même une variété de profils économiques, selon le type de projet, combien ça va coûter, etc. Dans tous les cas, ce sont des profils de personnes qui peuvent accéder à la propriété sur du neuf. - Donc c’est quand même posséder un certain capital. Oui, aujourd’hui, les projets d’habitat participatif c’est essentiellement de l’accession. Bon y a quelques, non une opération en locatif social et en accession sociale, mais ce sont des gens qui arrivent à accéder à la propriété au coût du neuf, donc y a pas tellement de différence avec les autres acquéreurs. - Vous pensez que ce type de projet participe de l’augmentation des prix du logement au sein du quartier du Neudorf ? Non, car les gens vont essayer de maîtriser le plus possible leur budget, c’est eux qui montent leur budget, sauf qu’ils sortent un peu en dessous des prix du marché, ou au prix du marché, la marge des promoteurs et les coûts de commercialisation sont dans ce cas mis dans la qualité architecturale et écologique de l’immeuble. -Vous pensez pas qu’il y a un effet de diffusion sur les parcelles limitrophes qui seront louées ? Comme dit, ça sort jamais au dessus du prix de marché pour l’accession. Soit en dessous, soit à niveau ; avec des qualités supérieures à un immeuble de promotion, donc ça joue pas dans l’inflation des prix. Pour les taux par exemple, ça se joue à rien. - Donc c’est plutôt une bonne chose pour le foncier et la qualité architecturale ? Oui. Plutôt que d’avoir des opérations de taille complètement absurde, comme celles qui sortent, là, par les promoteurs. Avec minimum 35 voire 50 logements, va voir les dynamiques collectives au sein d’une copropriété de 50 logements avec en plus 30 à 50 % de part d’investissement locatif. - C’est ce qui constitue la majorité du projet des Deux-Rives. Par rapport à ce projet, vous avez une position ? Aux deux rives, y a différents quartiers. Au Danube par exemple, il y a eu une recherche pour faire des unités de gestion pas trop grosses. Sur le reste des deux rives, Citadelle je connais pas assez, je peux pas dire, mais Starlette, c’est sûr que c’est complètement démesuré.
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- Et la partie Ouest du projet, Etoile-Heyritz, qui vous touche directement, vous avez été consultés au moment de l’élaboration du projet ou pas du tout ? Pas du tout. On a été consulté pour Danube, on a essayé d’y proposer une démarche participative, et on travaille encore avec certains groupes d’habitat participatif sur Danube pour constituer un noyau d’habitants. Sur le Heyritz, non, ça a été complètement de la promotion immobilière absurde, lâcher un quartier énorme à un promoteur. - Et vous avez un avis sur le projet qui sera construit sur la place de l’Etoile sur le terrain vacant ? Beaucoup d’habitants du Neudorf m’ont dit qu’ils trouvaient ça horrible de construire sur une telle hauteur, sur la place qui était vaste et plane. Effectivement, il y a un intérêt à construire là bas, il y a quand même des gros besoins en logements, on est en plein centre ville, y a pas de prospect, une circulation importante … Ça me dérange pas de construire pas mal à cet endroit-là. Par contre, le faire d’un seul bloc, un peu comme au Heyritz, c’est pas génial comme logique d’urbanisme, mais bon, voilà, ils ont fait une consultation de promoteurs, un groupement s’est formé, et puis ce sont les promoteurs qui ont fait la programmation. Mais je trouve pas ça absurde de construire à cet endroit-là, je trouve ça normal. Enfin il y a les transports en commun, des activités, on va pas faire un terrain vague ou construire très peu, ça fait sens. - Vous connaissez, j’imagine, le concept de gentrification. Est-ce que vous pensez personnellement qu’il est à l’oeuvre au sein du quartier du Neudorf ? Ça dépend de quelle partie du quartier on parle. Je peux dire effectivement que vu les prix du foncier, c’est sûr que c’est pas n’importe qui qui peut accéder à la propriété dans le quartier. C’est sûr que les flux de nouveaux arrivants, ce sont plutôt des gens qui ont les moyens. Maintenant, je sais pas quel était l’état initial, je le connais pas assez bien. Est-ce que c’était vraiment un quartier très populaire, quelle était la fonction sociale du quartier avant que ne surviennent les mutations, j’en sais rien, je connais pas assez bien. La gentrification c’est une dynamique, ça part d’un point A à un point B. Ne connaissant pas le point A… Sa qualité, je peux pas dire. La dynamique entre le point A et le point B, c’est sur qu’en terme de flux, y a des gens qui ont les moyens qui viennent s’installer, comme c’est le cas à Cronenbourg. N’importe qui qui accède à la propriété sur l’Eurométropole aujourd’hui, c’est quand même des gens qui ont les moyens. Voilà, donc après, la part de locatif social sur le Neudorf je la connais pas, je connais pas non plus la part de locatif social sur le point A précisément, donc j’aurais du mal à le dire, objectivement. Mais y a pas mal d’accession à la propriété car les gens qui viennent en ont largement les moyens. Mais est-ce que c’est différent de Cronenbourg, de la Robertsau, d’autres quartiers, je sais pas. Après, peut-être que ça attire un certain profil d’accédants, comme les créatifs culturels, qui ont une forte envie et des références en terme d’écologie, mais estce que c’est vraiment différents d’autres quartiers, je sais pas, je connais pas.
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La gentrification est un phénomène complexe par lequel un quartier populaire s’embourgeoise, avec pour conséquences des transformations de l’habitat, de l’environnement commercial et de l’espace public. Ce travail explore les mécanismes qui encadrent ce processus, ainsi que les variations dont il témoigne en vertu de sa capacité à évoluer à mesure que les sociétés urbaines subissent des mutations. L’attention de ce travail se porte particulièrement sur l’évolution du processus à Strasbourg et son ancrage atypique dans le quartier du Neudorf. Les facteurs permettant sa propagation rapide à Strasbourg, et dans les quartiers péri-centraux notamment, étayeront le postulat d’un phénomène évolutif, dont il est difficile de saisir les enjeux et les limites. MOTS-CLÉS Gentrification Embourgeoisement Urbanisme néo-libéral Presqu’île Malraux Revitalisation Gentrifieurs Gentrifiés Créatifs-culturels Réhabilitation Deux-Rives Strasbourg Neudorf École Nationale Supérieure d’Architecture Strasbourg, juin 2017