Nous avons essayé d’imaginer ce qui arriverait si nos Églises étaient remplies de croyants qui jeûnent régulièrement et de façon biblique. Imaginer ce que pourrait faire Dieu, selon son bon plaisir, si son Église se levait pour dire : « Voilà à quel point nous aspirons après toi, ô Dieu ! ».
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Francis Chan et David Platt Auteurs du livre Multipliez-vous
JOHN PIPER
‘‘ JOHN PIPER
Nos envies orientent tout ce que nous vivons au quotidien, que ce soit l’appétit de notre estomac pour de la bonne nourriture, notre soif de pouvoir et de possession ou encore le désir profond de notre âme d’expérimenter Dieu. Pour le chrétien, avoir faim de toute autre chose que de Dieu lui-même est ultimement néfaste à une bonne santé spirituelle et une joie profonde. John Piper nous aide à appliquer les enseignements bibliques sur le jeûne. Il veut nous faire goûter à la satisfaction incomparable qui ne vient que d’un plaisir trouvé avant tout en Dieu.
JOHN PIPER est le fondateur de Desiring God. Pendant plus de 30 ans, il a été le pasteur d’une Église baptiste à Minneapolis. Il est l’auteur de plus de 50 ouvrages.
Préface de David Platt et Francis Chan 16,90€
ISBN 978-2-36249-433-8
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Nourrir notre faim de Dieu par le jeûne et la prière
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« À une époque où les distractions et les petites espérances éphémères n’ont jamais été aussi nombreuses, John Piper nous invite à redécouvrir la faim de Dieu. Il replace le sujet parfois controversé du jeûne dans une réflexion biblique et théologique d’une grande richesse, en nous invitant à la fois à nous saisir du « tout est accompli » de l’Évangile et à soupirer après la nouvelle création que nous attendons encore. Pour Piper, le sens du jeûne se trouve précisément dans cette attente, pleine d’aspiration et de confiance, du jour où nous serons parfaitement rassasiés par la présence de Dieu. Il nous invite ainsi à redécouvrir la soif du Dieu vivant dans un contexte occidental moderne où nous sommes sans cesse invités à nous gaver, au mieux des bienfaits de la création, au pire des idoles en tout genre. Je ne peux que chaleureusement recommander la lecture de ce très bel ouvrage. »
Matthieu Sanders
Pasteur de l’Église évangélique baptiste de Paris-Centre
« Ce livre m’a permis d’intégrer le jeûne à ma vie de tous les jours. Le jeûne n’est pas une pratique mystique ou monastique : cela concerne tous les chrétiens. Le jeûne n’est pas centré sur nous, ou sur notre niveau de piété vis-à-vis de Dieu, comme l’enseignent tant de gens. Nous vivons dans une culture d’abondance, une culture de plaisir et d’abus. Le jeûne est un moyen de grâce que Dieu nous offre pour nous aider à appréhender quelqu’un de plus grand que nos appétits. Ce livre m’a radicalement changé, simplifié et il m’a rapproché de Christ. »
Keyan Soltani « Une des questions les plus fréquemment posées dans mon église est celle du jeûne. À quoi cela sert-il de jeûner et de prier ? Est-ce pour convaincre Dieu d’agir ? Est-ce pour gagner son approbation afin qu’il réponde favorablement à nos prières ? Ce livre merveilleux s’appuie sur la Parole de Dieu et renverse ces questions en nous soumettant que le jeûne et la prière n’ont rien à voir avec des réponses à nos prières, et tout à voir avec les cœurs de ceux qui prient. « Jeûner » est à lire et à relire, afin de mieux comprendre et de mieux chérir cette pratique peu comprise. »
Jason Procopio
Pasteur de l’Église Connexion, Châtelet-Les Halles, Paris
« Ce livre est entré dans ma vie à un moment où la douleur et la peine créaient en moi une soif que seul notre Sauveur pouvait étancher ! J’ai toujours plus faim et soif de lui. En lisant ce livre, j’ai ressenti l’amour extravagant de Dieu à chaque page. Quel trésor ! »
Amy Kneen
« Peu de livres ont eu un impact aussi profond sur ma vie que Jeûner : nourrir notre faim de Dieu par le jeûne et la prière. En essayant de comprendre comment Dieu pouvait utiliser le jeûne dans ma vie, j’ai été submergé par un sentiment de besoin de Christ, par une impatience de vivre le ciel et par une envie profonde de porter la lumière de Jésus au monde. Bible en main, John Piper présente clairement la raison d’être et la vision de Dieu pour le jeûne : nous jeûnons pour la joie de notre âme et pour la gloire de son nom. Ce livre m’a appris à chérir le donateur plutôt que les cadeaux qu’il nous offre. »
Octavio Sánchez « Dans nos sociétés occidentales, je crois que le principal défi du jeûne se situe dans sa contre-culturalité. Se priver de quelque chose dans notre environnement consumérisme et d’abondance est quelque chose de presque « impensable ». Face à la forte influence de notre culture terrestre, nous avons une véritable bataille à mener : celle d’avoir un jeûne authentique tel que nous le décrit John Piper dans cet ouvrage. Cet ouvrage m’a permis de placer le jeûne dans une perspective beaucoup plus large et dont les enjeux ont une portée spirituelle vertigineuse. C’est devenu en même temps plus simple et plus intentionnel : le jeûne ne manifeste pas notre foi, il contribue à notre foi. Il ne manifeste pas une capacité à se priver, mais renforce notre désir d’être davantage nourri par Dieu. Il est certes désagréable à notre corps, mais nous permet de lutter contre notre Chair. Il n’est pas offert à Dieu, c’est un don de Dieu. »
Samuel Laurent
Psychologue et conseiller biblique « Lorsque Jésus enseigne les foules sur la montagne, il aborde différentes disciplines spirituelles. Quand il s’agit du jeûne, il ne dit pas « Si tu jeûnes… » mais « Quand tu jeûnes… » ! Dans ce livre, John Piper arrive à enthousiasmer ses lecteurs pour la pratique du jeûne sans les culpabiliser mais en les motivant à pratiquer de bonnes habitudes spirituelles pour de bonnes raisons. Comme à son habitude, il met en avant l’objectif suprême non seulement du jeûne mais de toute la vie chrétienne : tout faire pour la gloire de Dieu ! En agissant ainsi, le jeûne échappe au piège d’être du « marchandage » entre deux parties pour devenir une source d’épanouissement et de contentement dans une intimité toujours renouvelée avec le Dieu souverain. »
Mike Evans
Président d’Évangile 21
« Ce livre m’a profondément interpellé. La synthèse qu’il propose de l’enseignement biblique sur le jeûne est remarquable, elle m’a ouvert les yeux sur plusieurs aspects qui m’avaient échappé. Mais ce n’est pas tout. Même si vous ne vous intéressez pas à la question du jeûne, lisez ce livre. Il vous donnera faim de Dieu. En outre, son traitement équilibré du jeûne fait apparaître plusieurs thématiques de la vie chrétienne sous un jour nouveau : les désirs profonds, les sources de motivation pour la marche chrétienne, le légalisme, les délices de la grâce divine, la prière de supplication, l’attente vigilante du retour de Christ, la souffrance, l’injustice dans le monde, et ainsi de suite. Ce livre est un festin ! L’un des meilleurs (et des plus étonnants) de Piper. »
Dominique Angers
Professeur à la Faculté de Théologie Évangélique (Université Acadia, Montréal) et blogueur sur le site toutpoursagloire.com
« Dans les moments les plus sombres de ma vie chrétienne, ce livre m’a appris à voir Dieu comme celui qui peut me combler entièrement. En me tournant vers lui, j’ai trouvé la joie au milieu de la souffrance. Je ne voyais plus cette période difficile de ma vie comme pure destruction, mais comme un temps au cours duquel j’étais guidé par la providence de Dieu afin de le voir comme le désir unique et la source de plénitude de mon âme. Jeûner : nourrir notre faim de Dieu par le jeûne et la prière m’a aidé à transformer mon désespoir en affection. »
Rudy Rackle « Je suis arrivé aux États-Unis avec en tête le rêve américain. J’avais soif de réussite et d’argent. Je ne savais pas que Dieu allait me détourner de mon idolâtrie pour ces choses afin que mon adoration se tourne vers lui seul. L’Esprit a puissamment utilisé cet ouvrage dans ma vie. J’ai commencé à comprendre ce que signifie renoncer à tout pour Jésus-Christ, faire tomber les murailles par obéissance, et se réjouir dans l’espérance de la gloire de Dieu. Le pain existe pour que je puisse adorer Dieu par la joie que je trouve en lui en mangeant ce pain, certainement pas pour que je glorifie cette nourriture, ou que je me glorifie d’avoir pu pourvoir à cet aliment. Puisse Dieu se servir de ce livre pour révéler à une nouvelle génération d’hommes et de femme combien il est plus grand que tous ses dons. »
Victor Chininin
JOHN PIPER
Nourrir notre faim de Dieu par le jeûne et la prière
Préface de David Platt et Francis Chan
Édition originale publiée en langue anglaise sous le titre : Hunger for God : Desiring God through Fasting and Prayer • John Piper © 1997, 2013 • Desiring God foundation Publié par Crossway, 1300 Crescent Street, Wheaton, Illinois 60187 Traduit et publié avec permission. Tous droits réservés. Édition en langue française : Jeûner : Nourrir notre faim de Dieu par le jeûne et la prière • John Piper © 2019 • BLF Éditions • www.blfeditions.com Rue de Maubeuge • 59164 Marpent • France Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés. Traduction : E2m Couverture : Étinciel Mise en page : BLF Éditions Impression n° XXXXX • IMEAF • 26160 La Bégude de Mazenc Sauf mention contraire, les citations bibliques sont tirées de la Bible version Segond 21 Copyright © 2007 Société biblique de Genève. Reproduit avec aimable autorisation. Tous droits réservés. Les caractères italiques sont ajoutés par l’auteur. Les autres versions sont indiquées en abrégé de la manière suivante : La Bible en français courant (BFC), la Bible du Semeur (BDS), la Colombe (COL), la Nouvelle Bible Segond (NBS), Louange vivante (LVV), Parole de vie (PDV), Parole vivante (PVV), Prophétie vivante (PPV), Darby (DAR). ISBN 978-2-36249-433-8 ISBN 978-2-36249-434-5
broché numérique
Dépôt légal 2e trimestre 2019 Index Dewey (CDD) : 248.47 Mots-clés : 1. Jeûne. 2. Prière. Aspects chrétiens. 3. Rechercher Dieu.
Aux anciens de l’Église baptiste de Bethléem. Ensemble, nous avons eu faim de Dieu et de sa plénitude. Ensemble, nous avons goûté au festin de la grâce.
TABLE DES MATIÈRES
Préf ace d e Fr anc i s Chan et Dav id Plat t ......................... 11 Avant- pro pos ..................................................................................... 17 Int rod uc tion : Nos t alg iq ue s d e Dieu .. ............................. 21
LE JEÛNE EST-IL CHRÉTIEN ? Un nouveau jeûne pour un vin nouveau..................................................................................................... 35
L’HOMME NE VIVRA PAS DE PAIN SEULEMENT Le jeûne, un festin dans le désert...................................................................... 65
JEÛNER POUR OBTENIR LA RÉCOMPENSE DU PÈRE Le jeûne de Jésus, radicalement tourné vers Dieu.......................... 83
JEÛNER POUR LE RETOUR DU ROI Sommes-nous réellement impatients qu’il revienne ?................ 101
LE JEÛNE ET LE COURS DE L’HISTOIRE Un appel au discernement et au désir...................................................... 119
TROUVER DIEU DANS LA SOUFFRANCE Pour un autre jeûne,en faveur des plus pauvres............................. 149
JEÛNER POUR LES TOUT-PETITS Avortement et souveraineté de Dieu face aux fausses visions du monde.............................................................. 185
C onc lu sion : Po urq uoi Dieu récom pen s e le jeûne ? .. ........................ 2 07 A nnexe : Ci t ation s et ex pér ience s .................................. 217 Bi bliog r a phie . . ................................................................................. 23 9 Note s ..................................................................................................... 24 3 Ind ex d e s référence s bi bliq ue s ......................................... 2 57 Ind ex d e s per s onne s ................................................................. 26 5
P R É FA C E
Nous avons tant de raisons d’être encouragés et pleins de reconnaissance si nous observons l’Église d’aujourd’hui ! Le peuple de Dieu désire répandre la gloire de Dieu sur toute la terre avec un zèle renouvelé. Plus que jamais, nous entendons des frères et des sœurs, toutes tendances confondues, parler de l’Évangile et de la mission. Ils parlent de transformer des villes et d’atteindre les peuples non-atteints. Ces discussions sont essentielles, et nous espérons qu’elles se poursuivront avec toujours plus d’intensité et d’intentionnalité. Cependant, ce que nous n’entendons pas peut parfois se révéler tout aussi révélateur que ce que nous entendons. Cela nous fait penser à un vieux Sherlock Holmes, dans lequel le détective évoque un « incident bizarre avec le chien, la nuit », au cours d’un cambriolage. Son associé, troublé par cette remarque, lui répond que « le chien n’a rien fait pendant la nuit ». Holmes réplique alors : « C’est justement cela notre incident bizarre ». Malgré le nombre impressionnant de publi11
J eû ner cations et de conférences chrétiennes, la remarque de James Packer sur notre propre « incident bizarre » sonne toujours aussi juste : Quand des chrétiens se retrouvent, ils discutent de leurs engagements de chrétiens, de leurs intérêts chrétiens, de leurs amis chrétiens, de l’état des Églises, et de problèmes théologiques, mais rarement de leur expérience quotidienne avec Dieu. Les livres et magazines du christianisme d’aujourd’hui parlent beaucoup de doctrine chrétienne, de principes chrétiens, de problèmes de comportement chez les chrétiens, de techniques pour le service chrétien, mais bien peu des réalités intérieures de leur communion avec Dieu. Nos prédications regorgent de saine doctrine, mais mentionnent très peu la conversation de l’âme avec son Sauveur. Nous passons peu de temps, seuls ou ensemble, à nous attarder sur les merveilles contenues dans ce simple fait : la communion entre Dieu et les pécheurs est possible ! Nous la considérons comme acquise, et nos pensées se tournent alors vers d’autres sujets. Nous montrons clairement par là notre profond manque d’intérêt pour la communion avec Dieu1.
Pensez-y. Où sont les conversations passionnées sur la communion avec Dieu par le jeûne et la prière ? Nous parlons plus facilement de stratégies pour évangéliser et implanter des Églises que nous ne parlons de la puissance de Dieu – pourtant au cœur de la réussite de ces efforts. Voulons-nous vraiment participer au mouvement qui fera de nouveaux disciples et multipliera les Églises chez nous et jusqu’aux extrémités du monde ? Alors, nous ferions preuve de sagesse en commençant par nous mettre à genoux. C’est pour cette raison que nous recommandons avec joie la lecture de cette nouvelle édition du livre de John Piper, 12
PR ÉFACE
Jeûner : nourrir notre faim de Dieu par le jeûne et la prière. Si vous avez lu Piper ou avez entendu parler de lui, vous savez qu’une passion, juste et profondément biblique, l’habite : répandre la gloire de Dieu ! Mais John Piper est aussi parfaitement conscient de notre besoin de la grâce de Dieu. Cela aussi, il le puise dans la Bible. Il sait que sans dépendance à Dieu, et sans une soif désespérée de Dieu, nous passerons à côté du plus grand but de notre mission et négligerons le besoin le plus essentiel de nos âmes. Nous avons été créés pour nous régaler au festin de la communion avec Dieu. Nous avons été créés pour crier à Dieu, comme le psalmiste : Ô Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche. Mon âme a soif de toi, mon corps soupire après toi, dans une terre aride, desséchée, sans eau. C’est pourquoi je t’ai contemplé dans le sanctuaire pour voir ta force et ta gloire, car ta bonté vaut mieux que la vie. Mes lèvres célèbrent tes louanges. Ainsi je te bénirai toute ma vie, je lèverai mes mains en faisant appel à toi. Je serai rassasié comme par une nourriture succulente et abondante, et, avec des cris de joie sur les lèvres, je te célébrerai. PSAUMES 63 : 2-6
Tristes statistiques : nombreux sont les jeunes qui se détournent de l’Église dès qu’ils quittent le foyer familial. Certains expliquent qu’ils ont « essayé Dieu » quand ils étaient jeunes, mais cela n’a pas fonctionné pour eux. Nous devons nous poser la question : l’ont-ils vraiment cherché avec ardeur et de tout leur cœur ? Ont-ils crié à lui dans le jeûne et la prière ? Il arrive que nous cherchions ardemment quelque chose de la part de Dieu, plutôt que Dieu lui-même. Difficile d’imaginer quelqu’un abandonner la présence du Dieu vivant (celui qui a 13
J eû ner créé le ciel et la terre et qui les tient dans sa main), pour essayer de trouver mieux ! Les délices spirituels que nous pouvons goûter en Dieu surpassent, et de loin, tout ce que nous pouvons goûter physiquement dans ce monde. Le jeûne est le moyen par lequel nous disons à Dieu : « Nos âmes te désirent plus que nos estomacs ne désirent la nourriture ». Une fois que nous avons goûté et vu combien l’Éternel est bon (cf. Psaumes 34 : 9), les choses de ce monde ne nous attirent plus de la même manière. Comme le dit Piper dans les premières lignes de ce livre : « Méfiez-vous des livres sur le jeûne ». Ce livre n’est pas légaliste. Il ne développe pas une technique, un programme en douze étapes. C’est en fin de compte un livre qui parle plus de nos cœurs que de nos estomacs. S’abstenir de nourriture (ou de toute autre chose) de manière temporaire n’est pas une fin en soi. C’est un moyen d’apprendre et d’accroître notre amour pour Christ. Comme Piper l’explique dans ce livre, la Bible fournit de nombreuses raisons de jeûner : • Nous jeûnons parce que nous avons faim de la Parole de Dieu, et de l’Esprit de Dieu dans nos vies. • Nous jeûnons parce que nous aspirons à voir la gloire de Dieu éclater dans l’Église, et les louanges de Dieu éclater parmi les nations. • Nous jeûnons parce que nous attendons avec impatience le retour du Fils de Dieu et la venue du règne de Dieu. • Enfin, nous jeûnons tout simplement parce que c’est Dieu que nous voulons, plus que tout ce que ce monde peut nous offrir.
Essayer de convaincre nos proches de la grandeur et de la splendeur de Dieu, voilà bien une des choses les plus frustrantes qui soient. Nous aimerions tant que nos voisins, notre famille dans la foi, et les nations, trouvent leur satisfaction en 14
PR ÉFACE
Dieu seul ! Nous avons récemment relu le livre que vous tenez dans vos mains, et nous avons essayé d’imaginer ce qui arriverait si nos Églises étaient remplies de croyants qui jeûnent régulièrement et de façon biblique. Imaginer ce que pourrait faire Dieu, selon son bon plaisir, si son Église se levait pour dire : « Voilà à quel point nous aspirons après toi, ô Dieu ! » ! Lisez ce livre et demandez de grandes choses à Dieu ! Il est celui « qui peut faire, par la puissance qui agit en nous, infiniment plus que tout ce que nous demandons ou pensons » ! (Éphésiens 3 : 20). Francis Chan et David Platt Auteurs du livre Multipliez-vous
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A V A N T- P R O P O S
Méfiez-vous des ouvrages sur le jeûne. La Bible met clairement en garde contre ceux qui « interdisent […] de consommer des aliments que Dieu a pourtant créés pour qu’ils soient pris avec reconnaissance par ceux qui sont croyants et qui ont connu la vérité » (1 Timothée 4 : 1-3). L’apôtre Paul demande avec tristesse : « Pourquoi […] vous soumettez-vous à toutes ces règles : “Ne prends pas ! Ne goûte pas ! Ne touche pas !” » (Colossiens 2 : 20-21). Il défend avec fougue notre droit à jouir pleinement de notre liberté chrétienne. Lorsque vous ouvrez un livre sur le jeûne, entendez toujours un cri de liberté vous proclamer : « Ce n’est pas un aliment qui nous fera trouver faveur aux yeux de Dieu : si nous en mangeons, nous ne gagnons rien de plus ; si nous n’en mangeons pas, nous n’avons rien de moins » (1 Corinthiens 8 : 8). Un jour, deux hommes se sont présentés devant Dieu. Le premier a dit : « Je jeûne deux fois par semaine » et le second a dit : « Dieu, aie pitié de moi, qui suis un pécheur ! ». Un seul d’entre eux est rentré chez lui justifié (cf. Luc 18 : 12-14). 17
J eû ner La discipline du renoncement à soi est pleine de dangers mais l’excès de complaisance envers soi est plus dangereuse encore. La Bible nous avertit : « Tout m’est permis, mais je ne me laisserai pas dominer par quoi que ce soit » (1 Corinthiens 6 : 12). Ce qui nous domine devient notre dieu et Paul met en garde contre ceux dont le dieu est leur propre « ventre » (Philippiens 3 : 19). L’appétit donne une orientation à leur vie. L’estomac est souverain. Cela peut s’exprimer de façon religieuse et non religieuse. D’un point de vue religieux, « ces impies transforment la grâce de Dieu en débauche » (Jude 1 : 4) et vantent les mérites du slogan : « Les aliments sont pour le ventre et le ventre pour les aliments » (1 Corinthiens 6 : 13). D’un point de vue non religieux, sans le prétexte de la grâce et du pardon, certains cèdent simplement à « l’intrusion des autres désirs [qui] étouffent la Parole » (Marc 4 : 19 – NBS). « L’intrusion des autres désirs », voilà l’ennemi. Et la seule arme qui puisse en triompher est une plus grande faim de Dieu. Si notre faim de Dieu est aussi faible, ce n’est pas parce qu’il manque de saveur, mais parce que nous ne cessons de nous remplir d’autres choses, c’est à cause de « l’intrusion des autres désirs ». C’est pourquoi, refuser de donner suite aux appétits de notre estomac pour la nourriture pourrait peut-être exprimer, ou même accroître, l’appétit de notre âme pour Dieu. Ce qui se joue ici n’est pas seulement le bien de nos âmes, mais aussi la gloire de Dieu. C’est lorsque nous trouvons le plus de satisfaction en lui que Dieu est le plus glorifié en nous. Le combat de la foi est une lutte pour nous délecter de tout ce que Dieu est pour nous en Christ. Nous adorons ce dont nous sommes le plus affamés. Sa bonté brille d’une plus grande clarté, Quand nous aimons sa volonté. Sa gloire déborde de tous côtés, Quand c’est en lui que nous sommes comblés. 18
AVA N T- PRO P OS
La terre luira de sa splendeur, Quand nous savourerons sa valeur. C’est bien dans le désir du cœur, Que sa beauté, son feu sacré, Brûlent d’une plus grande intensité1.
Entre les dangers du renoncement à soi et de la complaisance envers soi, il existe un autre chemin. Le chemin d’une souffrance gracieuse. Pas celui du plaisir malsain d’un masochiste, mais celui de la passion qui caractérise la quête amoureuse : « À cause de lui je me suis laissé dépouiller de tout et je considère tout cela comme des ordures afin de gagner Christ » (Philippiens 3 : 8). C’est le chemin que nous nous efforcerons d’emprunter dans ce livre. Qu’il m’ait été possible d’emprunter ce chemin est déjà en soi une grâce de Dieu. C’est de cette grâce que je vis chaque jour. Elle me vient de Jésus qui m’a aimé et s’est donné lui-même pour moi. Elle me vient de ma femme, Noël, qui me soutient dans mon travail de prédication, d’écriture, et de berger. Je t’aime, Noël, merci d’être ma partenaire dans cette grande œuvre. Dieu a été bon avec nous. Le dur labeur de Carol Steinbach fut une grâce pour moi. Ses relectures consciencieuses ont laissé une trace entre les lignes et dans l’élaboration des index. Et la grâce de Dieu m’atteint aussi au travers des anciens de l’Église baptiste de Bethléem, qui ont trouvé les mots justes pour formuler la déclaration missionnaire de notre Église. Je la reprends à mon compte, et la considère comme la mission de ma vie. Ils m’ont aussi confié la charge d’écrire ce livre, et donné le temps de le faire. Je peux ainsi prendre part à cette mission : « Nous existons dans le but de répandre la passion de la suprématie de Dieu en toutes choses, pour la joie de tous les peuples ». C’est ma prière pour ce livre. Quand Dieu deviendra la plus grande faim de nos cœurs, il sera le plus grand en toutes choses. John Piper, 1er mai 1997
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Qui d’autre ai-je au ciel ? Et sur la terre, je ne prends plaisir qu’en toi. Mon corps et mon cœur peuvent s’épuiser, Dieu sera toujours le rocher de mon cœur et ma bonne part. PSAUMES 73 : 25-26
Presque toujours, et partout, le jeûne a tenu une place de premier plan, car il est fortement lié à la dimension intime de la religion. C’est peut-être ce qui explique que le jeûne ait disparu de nos jours. Quand la perception intime de Dieu faiblit, le jeûne disparaît. Edward Farrell 1
INTRODUCTION
NOSTALGIQUES DE DIEU
Le jeûne chrétien prend sa source dans la nostalgie de Dieu. À l’été 1967, j’étais amoureux de Noël depuis un an. Si j’avais su qu’il nous faudrait attendre encore un an et demi avant de nous marier, j’aurais farouchement protesté. Nous étions pressés. J’allais entamer ma dernière année à l’université. J’étais maître-nageur dans un camp sportif chrétien, en Caroline du Sud. Elle travaillait comme serveuse à des centaines de kilomètres de là. Je n’avais jamais connu une telle douleur. Il m’était déjà arrivé d’être nostalgique, mais jamais à ce point-là. Je lui écrivais une lettre tous les jours pour lui dire combien elle me manquait. Chaque jour, le courrier arrivait en fin de matinée, juste avant le déjeuner, et lorsque j’entendais mon nom et 21
J eû ner apercevais l’enveloppe couleur lavande, mon appétit s’envolait. Plus précisément, ma faim de nourriture était étouffée par la faim de mon cœur. Il m’arrivait souvent de ne pas prendre mon repas avec les autres campeurs. Je partais alors avec la lettre, dans un endroit calme au milieu de la forêt, m’asseyais sur les feuilles et entamais un repas d’une autre nature. Ce n’était pas la même chose que de la voir en vrai, évidemment, mais la couleur, l’odeur, l’écriture, le message, la signature, m’en donnaient un avant-goût. C’est ainsi que, semaine après semaine, mon espoir grandissait et préservait la force de mon amour pour cette réalité que je voyais poindre à l’horizon. LE JEÛNE : ENTRE ATTIRANCE ET RÉSISTANCE Le jeûne chrétien est ancré dans une nostalgie tournée vers Dieu. Mais le parallèle avec la faim de mon cœur amoureux de Noël peut induire en erreur. Il ne décrit que partiellement l’expérience du jeûne chrétien. Le jeûne est une réalité à deux facettes. D’un côté, notre appétit physique s’efface devant un désir de Dieu si intense. Mais d’un autre côté, le désir de Dieu est menacé par l’intensité de nos appétits. D’un côté, nous perdons l’appétit, et de l’autre, nous résistons à l’appétit. D’un côté, nous cédons à la plus grande des faims que nous éprouvons. D’un autre, nous luttons pour le plus grand des appétits, alors que nous ne l’éprouvons pas encore. Le jeûne chrétien ne découle pas seulement d’une satisfaction supérieure trouvée en Dieu. C’est aussi une arme de choix contre toutes les forces de ce monde qui veulent nous en priver. LES PLUS GRANDS ADVERSAIRES DE DIEU SONT SES CADEAUX Ce n’est pas le poison qui menace le plus notre faim de Dieu : ce sont les bons gâteaux. Ce n’est pas le banquet des méchants qui freine notre appétit pour le ciel, mais nos gri22
Nostalgiques de Dieu
gnotages incessants à la table du monde. Ce n’est pas le film porno, mais surtout le concentré de futilités que nous ingurgitons tous les soirs aux heures de grande écoute. Parmi tous les maux que Satan peut nous causer, lorsque Dieu décrit ce qui nous tient éloigné du banquet de son amour, il évoque un bout de terre, un attelage de bœufs et une épouse (Luc 14 : 18-20). Les plus grands adversaires de l’amour de Dieu ne sont pas ses ennemis mais ses cadeaux. Nos appétits les plus mortels ne sont pas tournés vers le poison du mal, mais vers les petits plaisirs terrestres. Pourquoi ? Lorsqu’ils détrônent un appétit tourné vers Dieu lui-même, l’idolâtrie est à peine identifiable et, par conséquent, quasiment impossible à guérir. Jésus a parlé de ceux en qui l’écoute de la parole de Dieu éveille un désir, mais qui « en cours de route […] la laissent étouffer par les préoccupations, les richesses et les plaisirs de la vie » (Luc 8 : 14). Dans un autre passage, il dit que « les passions en tout genre pénètrent en eux, étouffent la parole et la rendent infructueuse » (Marc 4 : 19). « Les plaisirs de la vie » et « les passions en tout genre » ne sont pas de mauvaises choses en soi. Ce ne sont pas des vices. Ce sont des cadeaux de Dieu. Ce sont vos repas quotidiens, un bon café, le jardinage, la lecture, la décoration, les voyages, les achats, les moments passés devant la TV et sur internet, le shopping, le sport, les collections et les discussions entre amis. Chacune de ces choses, cependant, peut se transformer en un substitut de Dieu et nous être fatale. LES EFFETS MORTELS DES PLAISIRS INNOCENTS Voilà pourquoi j’affirme que le jeûne chrétien est ancré dans notre soif de Dieu : s’il existe un moyen, quel qu’il soit, de nous protéger des effets mortels de ces plaisirs innocents, alors nous ferons tout ce qui est nécessaire pour préserver en nous la douce aspiration de notre nostalgie de Dieu. Nous ferons n’importe quoi et nous nous priverons de tout, s’il le faut, pas seulement de nourriture. 23
J eû ner Il y a quelques années de cela, j’ai demandé aux membres de notre Église de jeûner chaque semaine pendant une période de vingt-quatre heures (de préférence petit-déjeuner et déjeuner du mercredi) durant tout le mois de janvier. Nous faisions face à de gros problèmes de direction sans en comprendre les causes. Nous avions besoin de la plénitude de la présence de Dieu, de toute sa sagesse et de son pouvoir de purification. Quelques jours plus tard, j’ai reçu ce message : Vous pouvez compter sur moi. Je crois que c’est la volonté de Dieu. Mais ça ne fonctionne pas pour moi le mercredi. Je déjeune toujours en compagnie d’autres personnes. Et il me semble discerner, par l’Esprit, que pour certaines personnes, un autre jeûne que la nourriture pourrait être plus approprié. Je pensais à ne pas regarder la télévision pendant une semaine, ou pendant tout un mois, ou le soir de la semaine où j’ai l’habitude de la regarder. Cela représenterait davantage un jeûne pour moi qu’un jeûne de nourriture. Au lieu de regarder mon émission préférée, je pourrais passer du temps à parler à Dieu et à l’écouter. Je me demande si d’autres personnes pourraient jeûner de cette manière, et consacrer ce temps à la prière.
Le dimanche suivant, j’ai dit à l’assemblée : « Amen. Si vous me dites : “jeûner le mercredi ne fonctionne pas pour moi”, ce n’est pas un problème. Si votre cœur est bien disposé, que vous êtes à l’écoute du Seigneur, et que vous lui demandez : “Seigneur, utilise le jeûne pour réveiller mon âme”, il vous montrera. Il vous montrera quand et comment. Si votre santé ne vous le permet pas, si votre médecin vous l’interdit, aucun problème. Le grand Médecin est au courant, et quelque chose d’autre vous conviendra sûrement mieux ». Le problème n’est pas la nourriture en tant que telle. Le problème, c’est tout ce qui pourrait se substituer ou prendre la place de Dieu. Martyn Lloyd-Jones (1899 – 1981), pasteur de l’Église de Westminster à Londres, a merveilleusement prê24
Nostalgiques de Dieu
ché sur le jeûne, en s’appuyant sur le Sermon sur la montagne. Voilà ce qu’il en dit : Lorsque nous abordons la question du jeûne comme nous le devrions, nous ne pouvons pas […] le réduire à la question du manger ou du boire. Le jeûne devrait représenter l’abstinence d’une chose légitime en elle-même, quelle qu’elle soit, dans un but spirituel particulier. Il existe de nombreuses fonctions du corps qui sont justes, naturelles, et parfaitement légitimes. Cependant, pour différentes occasions, et en certaines circonstances, elles devraient être contrôlées. Voilà ce qu’est le jeûne.2
Je pense encore aujourd’hui que de bonnes choses peuvent occasionner des dégâts considérables. Des bœufs, un lopin de terre ou un mariage peuvent vous empêcher d’entrer dans le royaume des cieux. C’est pourquoi Jésus a dit : « Ainsi donc aucun de vous, à moins de renoncer à tout ce qu’il possède, ne peut être mon disciple » (Luc 14 : 33)3. Toutes sortes de choses peuvent entraver le chemin du disciple, pas seulement le mal, pas seulement la nourriture. Toutes sortes de choses. Nous ne devrions pas être surpris d’apprendre que les cadeaux les plus précieux de Dieu deviennent les plus grands dangers pour notre attachement à Dieu et notre amour pour lui. QUAND ABRAHAM A PRÉFÉRÉ DIEU À LA VIE DE SON FILS Comment le jeûne peut-il nous éviter de transformer nos cadeaux en idoles ? Réfléchissez au sacrifice de son fils Isaac qu’Abraham était à deux doigts d’offrir. Alors qu’Abraham avait levé la main pour tuer son fils et héritier de la promesse de Dieu, l’ange de l’Éternel l’appela et lui dit : — Abraham ! Abraham ! Et il répondit : — Me voici ! 25
J eû ner L’ange dit : — Ne porte pas ta main sur l’enfant et ne lui fais rien ; car je sais maintenant que tu crains Dieu et que tu ne m’as pas refusé ton fils unique. GENÈSE 22 : 11-12
Nous avons là une sorte de jeûne radical : le sacrifice d’un fils. Dieu n’a pas demandé ce « jeûne » parce qu’Isaac était un mal en soi. Au contraire, c’était parce qu’aux yeux d’Abraham, Isaac représentait quelque chose d’extrêmement bon. Indispensable même, puisque c’est par lui que Dieu semblait vouloir accomplir sa promesse. Le jeûne ne consiste pas à renoncer à ce qui est mal, mais à ce qui est bon. Pour quelle raison Dieu a-t-il donc exprimé une telle demande ? C’était un test. Abraham trouvait-il son plaisir dans la crainte du Seigneur (Ésaïe 11 : 3) plus que dans son propre fils ? Dieu a parlé par l’intermédiaire de l’ange : « Je sais maintenant que tu crains Dieu, et que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique ». Ces mots, « je sais maintenant », que signifient-ils ? Dieu ne savait-il pas déjà qu’Abraham était un homme qui craignait Dieu, et qu’il avait plus d’estime pour Dieu que pour son fils ? La Bible enseigne que Dieu connaît les cœurs de tous les hommes (1 Rois 8 : 39 ; Actes 1 : 24). En effet, il « a façonné leur cœur à tous » (Psaumes 33 : 15). Pourquoi donc ce test ? C. S. Lewis répond à cette question : Si Dieu est omniscient, il devait savoir ce qu’Abraham choisirait de faire, sans avoir besoin d’en faire l’expérience. Pourquoi donc une telle torture inutile ? Comme le remarquait Augustin, quoi que Dieu ait pu savoir à l’avance, Abraham, lui, ne savait pas que son obéissance supporterait un tel commandement, jusqu’à ce que cet événement le lui montre. Et il était impossible de lui créditer une obéissance que lui-même ne savait pas qu’il choisirait. La réalité de l’obéissance d’Abraham fut l’acte lui-même. 26
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Ce que Dieu savait, lorsqu’on dit qu’il savait qu’Abraham « allait obéir », c’est qu’Abraham allait obéir sur cette montagne particulière et à ce moment précis. Prétendre que Dieu « n’avait pas besoin d’en faire l’expérience » revient à dire que puisque Dieu sait quelque chose, ce quelque chose connut de Dieu n’a pas besoin d’exister4.
Ce que Dieu désire connaître, c’est la réalité concrète et vécue de notre préférence pour lui par-dessus tout. Il veut que nous ayons une preuve de notre propre sincérité à travers des actes qui démontrent que nous préférons effectivement Dieu à ses dons. C. S. Lewis a raison : Dieu aurait tout aussi bien pu s’abstenir de créer le monde. Il aurait pu se contenter de l’imaginer, si sa connaissance de ce qui « allait arriver » avait la même portée que l’acte lui-même. Dieu veut une connaissance issue de l’expérience. Une connaissance tangible basée sur ce qu’il voit et constate. Lorsqu’un être humain démontre concrètement, dans sa vie, qu’il préfère Dieu à ses dons, alors la perfection de Dieu est glorifiée dans la vie réelle. C’est précisément pour cela que Dieu a créé le monde ! Jeûner n’est ni le seul moyen ni le meilleur moyen pour glorifier Dieu en le préférant à ses dons. Mais c’est une des manières de le faire qui peut y contribuer avec toutes les autres. MANGER POUR ANESTHÉSIER LA TRISTESSE Lewis fait référence à Augustin qui a dit : « L’esprit humain ne peut se connaître lui-même qu’en mettant ses capacités à l’épreuve. Il le fait principalement à travers la tentation, ou une sorte d’expérimentation, et non simplement par l’introspection verbale5 ». En d’autres termes, nous nous leurrons facilement quand nous pensons aimer Dieu, à moins que notre amour ne soit fréquemment mis à l’épreuve. Nous manifestons ainsi nos préférences, non seulement avec des mots, mais aussi par le sacrifice. Évidemment, le sacrifice d’un fils en dit plus au sujet de notre amour que le sacrifice d’un sandwich, mais le 27
J eû ner principe est le même. Et de petits actes répétés qui consistent à préférer la présence de Dieu à la nourriture peuvent créer une habitude de communion et de contentement et nous préparer au sacrifice suprême. C’est ainsi que le jeûne peut servir tout ce que nous faisons par amour pour Dieu. Le jeûne permet de savoir si nous continuons à préférer Dieu. Il nous garde vigilants. Le jeûne nous oblige à nous demander régulièrement : ai-je vraiment faim de Dieu ? Est-ce que Dieu me manque ? Ai-je envie de passer du temps avec lui ? Ou ai-je commencé à me contenter de ses dons ? Le jeûne chrétien est un test qui met en lumière les désirs qui nous contrôlent. Quelles sont, au fond, nos vraies passions ? Selon Richard Foster, « Plus que toute autre discipline, le jeûne est révélateur de ce qui nous contrôle. Et cela est inestimable pour le véritable disciple qui souhaite être transformé à l’image de Jésus-Christ. Nous étouffons ce que nous avons à l’intérieur sous une couche de nourriture et de bien d’autres choses6 ». D’un point de vue psychologique, nous entendons souvent ce type de discours, en particulier à propos de ceux qui souffrent beaucoup dans leur vie. Nous disons qu’ils « soignent » leur douleur par la nourriture. Ils anesthésient leur souffrance intérieure en mangeant. Mais cela n’a rien d’un syndrome rare ou technique. C’est ce que nous faisons tous. Tous sans exception. Nous apaisons tous nos malaises par la nourriture. Nous oublions nos malheurs en nous concentrant sur l’heure du repas. C’est la raison pour laquelle le jeûne met en lumière tout notre être : il révèle notre souffrance, notre orgueil, notre colère. Foster poursuit : Si l’orgueil nous contrôle, il sera mis en lumière presque instantanément. David a dit : « j’humiliais mon âme par le jeûne » [Psaumes 35 : 13]. La colère, l’amertume, la jalousie, les conflits, la peur : si ces choses sont en nous, elles remonteront à la surface au moment du jeûne. D’abord, nous pourrons nous justifier : je suis en colère parce que j’ai faim. 28
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Mais ensuite, nous pourrons reconnaître que nous sommes en colère parce que l’esprit de colère nous habite. Réjouissons-nous d’en prendre conscience ! Parce que nous savons que le pouvoir de Christ peut nous guérir7.
Une des raisons pour jeûner est de découvrir ce qui est en nous, tout comme Abraham a montré ce qui l’habitait. Le jeûne fait tout remonter à la surface. Vous le verrez. Et vous devrez y faire face… ou rapidement l’étouffer à nouveau. Arrive le milieu de la matinée et vous avez envie de manger. Vous avez tellement faim que la seule pensée d’un repas devient aussi douce que des vacances d’été. Puis vous réalisez soudainement : Oh, j’oubliais que j’ai pris un engagement. Je ne peux pas m’autoriser ce plaisir. Je jeûne aussi à midi. Qu’allezvous faire alors de tout ce mécontentement intérieur ? Avant, vous aviez l’option de le refouler avec l’espoir d’un déjeuner savoureux. Cet espoir générait en vous des émotions positives qui équilibraient les émotions négatives. Désormais, l’équilibre est rompu. Vous devez trouver une autre façon de gérer ces émotions négatives. LA FAIM VIENT EN AIDE À LA FOI À ce stade, nous commençons vraiment à découvrir nos ressources spirituelles. Ce que je découvre sur mon âme est tellement précieux pour le combat de la foi ! J’étais bien tenté de choisir en sous-titre de ce livre : Le jeûne, ou quand la faim vient en aide à la foi. La faim est une aide vraiment précieuse ! Humblement et silencieusement, de manière à peine perceptible, elle fait sortir de l’obscurité de mon âme les déceptions relationnelles, les frustrations liées au ministère, les peurs de l’échec, la vanité du temps perdu. Et à l’instant où mon cœur commence à se retrancher derrière l’espoir savoureux d’un dîner avec des amis à Pizza Hut, elle me rappelle dans un léger murmure : « Pas ce soir ». Au début, cela peut être une 29
J eû ner expérience dévastatrice. La communion spirituelle avec Dieu sera-t-elle assez agréable, l’espérance dans ses promesses assez profonde, non seulement pour m’en sortir, mais plus encore, pour m’épanouir et me réjouir en lui ? Ou bien vais-je trouver des excuses pour minimiser mon besoin de jeûner, revenir sur ma décision et me tourner vers la nourriture pour soigner mon mal ? L’apôtre Paul a dit : « je ne me laisserai pas dominer par quoi que ce soit » (1 Corinthiens 6 : 12). Le jeûne révèle dans quelle mesure la nourriture nous domine. Ou à quel point nous utilisons la télévision et l’ordinateur – ou toute autre chose à laquelle nous nous soumettons encore et encore – pour dissimuler notre si petite faim de Dieu. POURQUOI DIEU A-T-IL CRÉÉ LE PAIN ET LA FAIM ? La nourriture est un élément indispensable à notre survie, et c’est pour cela qu’elle possède un tel pouvoir sur nous. Mais pourquoi ? Pourquoi Dieu a-t-il créé le pain ? Et pourquoi a-t-il conçu l’être humain avec le besoin de manger pour survivre ? Il aurait pu créer une vie exempte d’un tel besoin. Il est Dieu. Il peut agir comme bon lui semble. Pourquoi le pain ? Et pourquoi la faim et la soif ? Je répondrai très simplement : Il a créé le pain pour que nous comprenions un peu mieux qui est le Fils de Dieu quand il dit : « Je suis le pain de la vie » (Jean 6 : 35). Et il a créé l’alternance entre la soif et son étanchement pour que nous puissions comprendre ce qu’est la foi en Christ quand Jésus dit : « Celui qui croit en moi n’aura jamais soif » (Jean 6 : 35). Dieu n’était pas obligé de créer des êtres vivants qui ressentent le besoin de nourriture et d’eau, et ont la capacité d’apprécier les saveurs délicates. Mais l’homme n’est pas le centre de l’univers, Dieu l’est. Comme le remarque Paul, tout est « de lui, par lui, et pour lui » (Romains 11 : 36). « Pour lui » signifie que tout existe dans le 30
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but d’attirer l’attention sur lui et de diriger l’admiration vers lui. En Colossiens 1 : 16, Paul précise son propos en parlant de Christ quand il dit : « tout a été créé par lui et pour lui ». Le pain a donc été créé pour la gloire de Christ. La faim et la soif ont été créées pour la gloire de Christ. Et le jeûne a été créé pour la gloire de Christ. Le pain peut donc rendre gloire à Christ de deux manières : nous pouvons le manger avec gratitude pour la bonté de Dieu, et nous pouvons y renoncer à cause de notre faim de Dieu. Quand nous mangeons, nous goûtons au symbole de la nourriture céleste : le Pain de vie. Et quand nous jeûnons, nous affirmons : « J’aime la réalité plus que le symbole ». Dans le cœur des saints, manger et jeûner sont deux formes d’adoration. Toutes deux glorifient Christ. Toutes deux orientent le cœur, qu’il soit reconnaissant ou assoiffé, vers celui qui donne. Chacun de ces choix a une fonction définie, et chacun comporte un risque. Le danger de la nourriture est de tomber amoureux du cadeau. Le danger du jeûne est de minimiser le cadeau et de glorifier la force de notre détermination. LA STRUCTURE DU LIVRE Il n’existe pas de chemin facile pour atteindre notre demeure céleste. Le chemin, difficile et étroit, est semé d’embûches. Les plaisirs innocents peuvent aussi se révéler être des sentiers mortels. Une guerre fait rage, et nous devons combattre en nous et en dehors de nous. Des armes sont à notre disposition sur ce chemin, et l’une d’entre elles est le jeûne. Ce livre comporte donc deux lignes directrices : intérieure et extérieure. Il parle de lutte intérieure, contre les appétits qui font concurrence à notre faim de Dieu. Il parle aussi de lutte extérieure, pour le renouveau et le changement, pour l’évangélisation du monde, pour la justice sociale et l’engagement culturel. Malgré le rapport étroit entre ces deux orientations, les trois premiers chapitres de cet ouvrage seront davantage 31
J eû ner tournés vers l’intérieur, et les trois derniers vers l’extérieur. Le chapitre central est un chapitre de transition : en effet, aspirer au retour de Christ, et jeûner dans cette optique, c’est quelque chose de très personnel. Mais cela demande aussi un engagement face au monde entier, dans l’attente de son retour. POURQUOI J’AI ÉCRIT CE LIVRE Mon but et ma prière sont que ce livre réveille notre faim. Notre faim pour replacer Dieu au cœur de toutes choses, et ce pour la joie de tous les peuples. Le jeûne démontre la réalité de cette faim et en ravive la flamme. Il intensifie le désir spirituel. Il est notre allié indéfectible contre ce qui nous rend dépendants des plaisirs innocents. Il est à notre vie physique ce que le point d’exclamation est à la fin de cette phrase : « Vois à quel point j’ai soif de toi, ô Dieu, et combien j’ai hâte que ta gloire se répande dans le monde entier ! » Nous pourrions imaginer que ceux qui se délectent le plus souvent au festin de la communion avec Dieu seraient les moins affamés de Dieu. Ils se détournent régulièrement des plaisirs innocents du monde pour s’attarder longuement dans la présence de Dieu en se plongeant dans la révélation de sa Parole. Là, par la méditation et la foi, ils se nourrissent du Pain du ciel et s’abreuvent d’Eau vive. Eh bien, paradoxalement, ces gens-là ne sont pas les moins affamés parmi les saints… C’est même plutôt l’inverse qui se produit. Les chrétiens les plus forts et les plus matures que j’ai pu rencontrer sont aussi les plus affamés de Dieu. La logique voudrait que ceux qui mangent le plus soient les moins affamés. Mais ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent quand la fontaine est intarissable, le festin sans fin et le Seigneur si glorieux ! Lorsque vous tenez ferme dans l’œuvre accomplie par Dieu en Christ, et commencez à vous abreuver au fleuve d’eau de la vie, à vous nourrir du Pain du ciel, lorsque vous savez que 32
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toutes vos aspirations sont enfin satisfaites… vous n’en devenez que plus affamé de Dieu. Et plus vous expérimentez la satisfaction qui vient de Dieu dans ce monde, plus vous aspirez au monde à venir. Comme l’a dit C. S. Lewis, « nos désirs sont ce que nous possédons de plus précieux8 ». Plus vous cheminez étroitement avec Christ, plus vous avez faim de Christ… plus vous désirez aller au ciel… plus vous aspirez à connaître « toute la plénitude de Dieu »… plus vous voulez en avoir fini avec le péché… plus vous désirez que l’Époux revienne… plus vous désirez que l’Église soit renouvelée et purifiée par la beauté de Jésus… plus vous souhaitez un grand réveil dans les grandes villes… plus vous désirez voir la lumière de l’Évangile de la gloire de Christ pénétrer l’obscurité de tous les peuples non atteints du monde… plus vous désirez que les fausses représentations du monde capitulent devant la force de la Vérité… plus vous désirez que la souffrance soit soulagée, les larmes séchées et la mort détruite… plus vous aspirez à ce que tout le mal soit transformé en bien, et à ce que la justice et la grâce de Dieu remplissent la terre, comme l’eau remplit la mer. Si vous ne ressentez pas en vous un désir intense de voir la gloire de Dieu se répandre, ce n’est pas parce que vous vous êtes longuement abreuvé et que votre soif est étanchée. Non. C’est parce que vous avez trop longuement grignoté à la table du monde. Votre âme est remplie de petites choses, et il n’y reste plus de place pour tout ce qui est grand9. Dieu ne vous a pas créé dans ce but. Avoir faim de Dieu, c’est possible. Et vous pouvez en faire l’expérience. Je vous invite à vous détourner des effets anesthésiants de la nourriture et des dangers de l’idolâtrie. Dites, par le biais d’un simple jeûne : « Vois à quel point j’aspire après toi, ô Dieu ! »
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Les jours viendront où le marié leur sera enlevé, et alors ils jeûneront. MATTHIEU 9 : 15
Si vous êtes morts avec Christ aux principes élémentaires qui régissent le monde, pourquoi, comme si vous viviez dans le monde, vous soumettez-vous à toutes ces règles : « Ne prends pas ! Ne goûte pas ! Ne touche pas ! » ? Elles ne concernent que des choses destinées à disparaître dès qu’on en fait usage. Il s’ agit bien là de commandements et d’ enseignements humains ! Ils ont, en vérité, une apparence de sagesse, car ils indiquent un culte volontaire, de l ’humilité et le mépris du corps, mais ils sont sans aucune valeur et ne servent qu ’à la satisfaction personnelle. COLOSSIENS 2 : 20-23
CHAPITRE UN
LE JEÛNE EST-IL CHRÉTIEN ? Un nouveau jeûne pour un vin nouveau
La Didachê est un texte assez court, écrit vers la fin du premier siècle. Il contient un chapitre sur le jeûne, dont voici un extrait : « Que votre jeûne ne soit pas comme celui des hypocrites, qui jeûnent le lundi et le jeudi. Quant à vous, jeûnez le mercredi et le vendredi1 ». Voilà qui est étrange ! Pourquoi est-ce si important de changer les jours consacrés au jeûne ? Où voulait en venir l’Église primitive ? C’était la coutume juive de célébrer le sabbat le samedi. C’est ce que l’ancienne alliance prescrivait. À présent, pour montrer à la fois la continuité et la rupture avec le judaïsme, les chrétiens continuent à célébrer le sabbat, mais un jour différent. C’est le dimanche : le jour où le Seigneur est ressuscité des 35
J eû ner morts et a créé un peuple nouveau. Et puisque les Juifs jeûnent les lundi et jeudi, nous jeûnerons d’autres jours. Pourquoi ? Pour la même raison : pour montrer à la fois une continuité et une rupture. Oui, nous pratiquerons nous aussi le jeûne ; mais non, nous ne nous contentons pas de reproduire un rituel. Le jeûne chrétien a quelque chose de neuf. Nous l’adoptons, certes, mais nous y apportons un changement. Modifier les jours, ce n’est pas ce qui le rend chrétien. Ce n’est qu’un indice. Mais ce qui est certain, c’est que le jeûne chrétien est nouveau. À quel niveau ? C’est ce que nous allons aborder dans ce chapitre. Sur ce point, le passage biblique le plus important est Matthieu 9 : 14-172. Mon affirmation est peut-être radicale, mais je pense que ces mots de Jésus touchent directement et profondément au problème central du jeûne. Il pose la question : notre jeûne est-il spécifiquement chrétien ? Si oui, en quoi ? UNE PRATIQUE SPÉCIFIQUEMENT CHRÉTIENNE ? PAS SÛR. Ce point est crucial pour au moins quatre raisons. 1. Le jeûne, en tant qu’abstinence volontaire de nourriture pour des raisons religieuses, culturelles, politiques, ou de santé, est « une pratique que nous retrouvons dans toutes les sociétés, toutes les cultures et à travers tous les siècles3 ». Presque toutes les religions dans le monde pratiquent le jeûne. Même les personnes non religieuses jeûnent, pour des raisons politiques ou de santé. Dans ce cas, pourquoi les chrétiens devraient-ils se joindre à ce grand défilé païen d’ascétisme ? 2. Le jeûne était certes largement pratiqué par le peuple de Dieu dans l’Ancien Testament, mais l’avènement du royaume à travers le ministère de Jésus ne rend-il pas cette pratique 36
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obsolète ? Peut-on verser le vin nouveau du royaume dans les vieilles outres du rituel et formalisme religieux ? 3. Christ a triomphé sur la croix une fois pour toutes, et l’Esprit saint demeure en permanence dans l’Église. La puissance du Christ est donc à l’œuvre parmi nous ! Cela ne devrait-il pas générer dans nos vies principalement un élan de célébration et non de mortification ? 4. Au-delà de ces trois objections, le triomphe du jeûne sur les appétits du corps ne conduit-il pas à l’orgueil et à l’autosuffisance, ce qui est pire encore que la gourmandise ? Le jeûne est-il une pratique spécifiquement chrétienne ? C’est loin d’être une évidence. Mais si c’est le cas, nous avons besoin de comprendre en quoi il est relié au cœur du message : le triomphe de Christ, sa mort, sa résurrection et son règne sur l’histoire, pour le salut de son peuple et la gloire de son Père. LE JEÛNE, PRATIQUE RELIGIEUSE UNIVERSELLE Personne ne sait où et quand le jeûne est né4. Des coutumes et des traditions associées au jeûne, vous en trouverez partout. La plupart des gens ont d’ailleurs entendu parler des jeûnes du judaïsme, et en particulier de la célébration du jour du grand pardon, ou Yom Kippour5 (Lévitique 16 : 29-31). Ou encore du jeûne musulman du Ramadan, ou du jeûne hindou de la caste supérieure des Brahmanes6. La pratique du jeûne est répandue dans le monde entier. Par exemple : Les insulaires de l’île Andaman […] s’abstiennent de manger certains fruits, certaines racines comestibles, etc., en fonction des saisons, car le dieu Puluga […] le leur demande et enverrait un déluge si l’interdit n’était pas respecté. […] Parmi les Koita de Nouvelle-Guinée, une femme enceinte ne doit pas manger de bandicoot, d’échidné, de certains 37
J eû ner poissons, pas d’iguanes non plus. Et son mari doit respecter les mêmes interdits alimentaires. […] Parmi les Yoruba, [si un homme meurt], les veuves et ses filles sont enfermées et doivent refuser toute nourriture pendant au moins 24 heures. […] En Colombie-Britannique, les Stlatlumh (Lillooet) passent les quatre jours qui suivent des funérailles dans le jeûne, les lamentations, et les rituels d’ablution. […] Avant de mettre à mort l’aigle, un oiseau sacré, les tueurs d’aigles professionnels Cherokees doivent entamer une longue veille de prière et de jeûne. […] [D’autres] jeunes indiens américains [traversent souvent une longue période de privations] dans le but de découvrir à travers une vision l’esprit protecteur qui sera le leur pour le reste de [leur] vie. […] Parmi les tribus de Nouvelle-Galles-du-Sud, les garçons s’abstiennent de nourriture pendant les deux jours de cérémonies bora, et se contentent de boire un peu d’eau7.
LE JEÛNE, ARME POLITIQUE Au jeûne religieux, répandu dans le monde entier, il faut ajouter le jeûne politique ou de protestation. Un des exemples les plus connus est celui du Mahatma Gandhi (1869–1948). Il a mené, pendant plus de trente ans, une croisade pacifique en faveur de l’indépendance de l’Inde. Sa famille et sa culture hindoues ont nourri sa passion pour le jeûne en tant qu’arme politique. Sa mère était une hindoue fervente, qui ne se contentait pas des jeûnes imposés chaque année. Elle y ajoutait plusieurs jeûnes rigoureux au cours de la saison des pluies. Gandhi en avait gardé le souvenir : Elle choisissait de faire les vœux les plus exigeants, et elle s’y tenait sans faillir. Durant les Chaturmas, elle avait pris l’habitude de ne prendre qu’un repas par jour. Mais lors d’un Chaturmas en particulier, elle ne s’en est pas contentée ; elle a aussi jeûné un jour sur deux. À l’occasion d’un autre, elle a fait le vœu de ne pas toucher à la nourriture tant qu’elle ne voyait pas le soleil. Ces jours-là, nous, les enfants, guettions le ciel afin de pouvoir annoncer à notre mère l’apparition du 38
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soleil. Tout le monde sait qu’à l’approche de la saison des pluies, le soleil ne daigne pas souvent se montrer. Et je me souviens que certains jours, alors qu’il faisait soudainement son apparition, nous courrions l’annoncer à ma mère. Elle accourait pour le voir de ses propres yeux, mais entre-temps le soleil avait déjà disparu, la privant ainsi de son repas. « Aucune importance, disait-elle joyeusement, Dieu ne voulait pas que je mange aujourd’hui ». Et elle retournait à ses diverses tâches quotidiennes8.
Pas surprenant que Gandhi ait alors fait du jeûne un élément essentiel de sa carrière politique. D’après les lois anciennes de Manu, un créditeur ne pouvait percevoir son dû qu’en humiliant le débiteur. Par exemple, il devait s’asseoir devant la maison de celui-ci sans manger, jour après jour, jusqu’à ce que le débiteur ait honte et paie sa dette. Eric Rogers a observé : « cette technique indienne a fonctionné pour Gandhi. […] Sans aucun doute, son jeûne a touché plus de cœurs que toutes ses autres initiatives. Non seulement en Inde, mais à peu près partout, les hommes étaient hantés par l’image d’un petit homme frêle qui endurait la privation le cœur léger, au nom d’un principe9 ». LE JEÛNE, RÉGIME DE SANTÉ En-dehors des jeûnes religieux et politiques, il existe un jeûne pour raisons de santé (et qui peut être en rapport, ou non, avec la religion). Une recherche rapide du mot « jeûne » sur internet dévoile des centaines d’organisations et de publications dédiées à l’influence positive du jeûne sur la santé. Le Centre international du jeûne en est un exemple bien connu, comme l’annonce leur site internet : Mal dans votre peau ? Pas en forme ? Vous manquez d’énergie ? Vous êtes tout simplement en mauvaise santé ? Vous souhaitez améliorer votre santé physique, tout en ravivant votre conscience et votre spiritualité ? Le jeûne scientifique à 39
J eû ner base de jus de fruits vous permettra d’atteindre tous ces objectifs très rapidement. Pas besoin d’interrompre vos habitudes de travail, votre vie, le sport que vous pratiquez ou vos études. Au contraire, vous serez plein d’énergie, pendant et après votre jeûne !
Nous venons de survoler plusieurs manières de jeûner dans le monde (comme pratique religieuse, arme politique ou pour raison de santé). Clairement, le jeûne n’est pas spécifiquement chrétien. En fait, il pourrait même être radicalement antichrétien, comme ce fut le cas dans le Nouveau Testament, lorsque quarante hommes « se sont engagés, sous peine de malédiction contre eux-mêmes, à ne rien manger ni boire » avant d’avoir tué l’apôtre Paul (Actes 23 : 21). Le jeûne peut être détourné, même parmi les chrétiens, et devenir une technique légaliste (comme nous le verrons), ou encore créer un asservissement destructeur (comme dans l’anorexie mentale10). Tout cela soulève une question : pourquoi un chrétien devrait-il consacrer tant d’efforts à un rituel si largement utilisé pour des motifs non chrétiens, qu’ils soient religieux, politiques, ou de remise en forme ? LE JEÛNE A-T-IL SA PLACE AU SEIN DU ROYAUME DE DIEU ? La prédominance du jeûne dans l’Ancien Testament pose encore une autre question : cette pratique est-elle toujours d’actualité pour ceux qui vivent après la venue du Messie et l’avènement du royaume de Dieu ? Jésus a dit : « Mais si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, alors le royaume de Dieu est venu jusqu’à vous » (Luc 11 : 20). Et quand les pharisiens lui ont posé des questions sur l’avènement du royaume, il a dit : « le royaume de Dieu est au milieu de vous » (Luc 17 : 21). En un certain sens, nous avons cette conviction profonde que le royaume de Dieu tant attendu est déjà là, grâce à la vie et au ministère de Jésus. 40
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C’est ce « mystère du royaume » auquel pensait Jésus quand il a dit à ses disciples : « C’est à vous qu’il a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu, mais pour ceux qui sont à l’extérieur tout est présenté en paraboles » (Marc 4 : 11). Cette nouvelle réalité était stupéfiante pour le monde. « La nouvelle vérité, désormais confiée aux hommes par révélation à travers la personne et la mission de Jésus, est que le royaume qui doit finir par venir dans une puissance apocalyptique, comme l’avait vu par avance Daniel, est en fait déjà entré dans le monde, sous une forme cachée afin d’œuvrer secrètement en l’homme et parmi les hommes11 ». La question se pose alors d’autant plus : le jeûne a-t-il sa place dans l’Église, ce nouveau peuple du royaume que Dieu rassemble du milieu de tous les peuples du monde ? Certains pensent que non. Selon Keith Main, l’émergence du royaume de Dieu dans le ministère de Jésus modifie radicalement l’importance du jeûne : « La joie et la reconnaissance qui marquent la vie de prière du Nouveau Testament sont un signe de l’arrivée fracassante du royaume de Dieu. Le jeûne n’est désormais plus en harmonie avec l’attitude de joie et de reconnaissance qui caractérise la communion12 ». PAUL ANNULE-T-IL LE JEÛNE ? Keith Main semble avoir raison si on parcourt le reste du Nouveau Testament (à l’exception des Évangiles). Le jeûne y est à peine mentionné13. Main insiste : [Le jeûne] n’est plus une question primordiale pour l’Église. […] Paul, suivant le modèle de Jésus, détourne délibérément l’attention des disciples du jeûne et de toute autre forme d’ascétisme, en faveur de la prière, du service et du travail pour le royaume. L’œuvre missionnaire sert de correctif et de contrepoint non seulement aux rêveries apocalyptiques, mais aussi à la coutume ancienne et dépassée du jeûne. […] Un sentiment de vie éternelle nous étreint ! Le croyant avance désormais au 41
J eû ner son d’une nouvelle mélodie. Et il est extrêmement difficile de réconcilier le Christ ressuscité avec le formalisme du jeûne14.
Le jeûne est rarement mentionné dans les épîtres du Nouveau Testament ; par contre, le royaume y est présent dans la joie, et l’Esprit de Christ y est glorieusement à l’œuvre. Le jeûne est-il donc toujours pertinent pour l’Église ? La nécessité de se poser cette question rend la déclaration de Jésus sur le jeûne, en Matthieu 9 : 14-17, essentielle. D’après moi, c’est le passage biblique le plus important à propos du jeûne. La question se pose d’autant plus si on considère que dans les lettres de Paul la nourriture y est célébrée comme une bonne chose et l’ascétisme considéré comme une arme sans beaucoup d’efficacité contre la complaisance charnelle. Les pratiques du manger et du boire n’y sont pas essentielles, à moins qu’elles n’expriment l’amour et le contentement en Christ. LA NOURRITURE EST UNE BONNE CHOSE En 1 Timothée 4 : 1-5, Paul nous prévient : à la fin des temps, « certains abandonneront la foi […]. Ces gens-là interdisent de se marier et de consommer des aliments ». Et voici la réaction qu’il préconise : « Tout ce que Dieu a créé est bon et rien ne doit être rejeté, pourvu qu’on le prenne dans une attitude de reconnaissance, car cela est rendu saint par la parole de Dieu et la prière ». Paul met en garde contre une forme d’ascétisme religieux qui exalte le jeûne au point de minimiser ou déformer la bonté de Dieu qui se manifeste dans le don de la nourriture. Même lorsqu’il parle du repas du Seigneur, Paul n’encourage pas les chrétiens à se détourner de la nourriture. Il demande simplement aux Corinthiens que chacun « mange chez lui, afin que vous ne vous réunissiez pas pour attirer un jugement sur vous » (1 Corinthiens 11 : 34).
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LE POINT FAIBLE DE L’ASCÉTISME Que valent les mesures sévères que nous infligeons à notre corps ? Selon Paul, elles sont limitées. Elles peuvent soumettre les appétits de la chair, mais aussi en attiser l’orgueil. Paul redoute que les Colossiens ne s’éloignent de la foi simple et profonde en Christ pour utiliser des rituels extérieurs comme moyens de sanctification : « Pourquoi […] vous soumettez-vous à toutes ces règles : “Ne prends pas ! Ne goûte pas ! Ne touche pas !” ? Elles ne concernent que des choses destinées à disparaître dès qu’on en fait usage. Il s’agit bien là de commandements et d’enseignements humains ! » (Colossiens 2 : 20-22). En quoi ces « commandements et enseignements humains » à ne pas « goûter » sont-ils un problème ? Paul répond : « Ils ont, en vérité, une apparence de sagesse, car ils indiquent un culte volontaire, de l’humilité et le mépris du corps, mais ils sont sans aucune valeur et ne servent qu’à la satisfaction personnelle » (Colossiens 2 : 23). C’est une mise en garde sérieuse contre toute vision simpliste du jeûne. Nous ne devons pas penser qu’il nous fera automatiquement du bien au niveau spirituel. Ce n’est pas si simple. « Le mépris du corps » peut se contenter de nourrir l’autosuffisance de la chair. C. S. Lewis a clairement perçu cette réalité, et tiré la sonnette d’alarme : Le jeûne renforce la volonté contre les appétits de toutes sortes. La récompense en est la maîtrise de soi, et le danger, l’orgueil. La faim, si elle est involontaire, soumet nos appétits et notre volonté à la volonté de Dieu. Soit elle donne une occasion de se soumettre, soit elle nous expose au danger de la rébellion. Mais cette souffrance est bénéfique, rédemptrice, surtout parce qu’elle peut diminuer la volonté de se rebeller. Les pratiques ascètes qui rendent notre volonté plus forte ne sont utiles que dans la mesure où elles nous permettent de faire régner l’ordre dans nos passions en guise de préparation à nous offrir entièrement à Dieu. Elles sont nécessaires seulement en tant que moyen. Elles ne sont pas un but en soi… si elles l’étaient, elles en deviendraient abominables. 43
J eû ner Pourquoi ? En substituant purement et simplement la volonté aux appétits, elles ne feraient que remplacer le moi animal par le moi diabolique. Il est donc bien vrai que « Dieu seul peut mortifier15 ».
La vraie mortification de notre nature charnelle n’est pas purement et simplement une question de renoncement à soi et de discipline. Il s’agit d’une affaire spirituelle, intérieure. Il s’agit de trouver plus de satisfaction en Christ que dans la nourriture. MANGER OU NE PAS MANGER, LÀ N’EST PAS LA QUESTION Manger ou ne pas manger n’est pas la question essentielle pour Paul. Ce choix ne prend de l’importance que s’il exprime l’amour, et une satisfaction incomparable en Dieu. C’est pourquoi il dit à l’Église de Rome : « Que celui qui mange de tout ne méprise pas celui qui ne le fait pas, et que celui qui ne mange pas de tout ne juge pas celui qui le fait, car Dieu l’a accueilli. Qui es-tu pour juger le serviteur d’un autre ? Qu’il tienne bon ou qu’il tombe, cela regarde son seigneur. Mais il tiendra bon, car Dieu a le pouvoir de l’affermir… Que chacun ait dans son esprit une pleine conviction… Celui qui mange de tout, c’est pour le Seigneur qu’il le fait, puisqu’il exprime sa reconnaissance à Dieu. Celui qui ne mange pas de tout le fait aussi pour le Seigneur, et il est reconnaissant envers Dieu » (Romains 14 : 3-6). Ces mots de Romains 14 ne font pas référence au jeûne. La situation était la suivante : peut-on manger une nourriture que certains frères considèrent comme interdite en raison de ce à quoi elle est associée ? Le principe est le même avec le jeûne. Manger ou ne pas manger, jeûner ou ne pas jeûner, tout cela, nous pouvons le faire « pour le Seigneur » avec « reconnaissance à Dieu ». C’est pourquoi, « que chacun ait dans 44
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son esprit une pleine conviction ». Et, comme Paul le dit en Colossiens 2 : 16 : « Que personne donc ne vous juge au sujet du manger ou du boire ». Car « ce n’est pas un aliment qui nous rapproche de Dieu : si nous en mangeons, nous n’avons rien de plus ; si nous n’en mangeons pas, nous n’avons rien de moins » (1 Corinthiens 8 : 8). « Tout m’est permis, mais tout n’est pas utile ; tout m’est permis, mais je ne me laisserai pas dominer par quoi que ce soit » (1 Corinthiens 6 : 12). LE TEXTE BIBLIQUE LE PLUS IMPORTANT À PROPOS DU JEÛNE La question exige donc toute notre attention : le jeûne est-il une pratique chrétienne ? Si oui, de quelle façon ? C’est ce dont parle Jésus en Matthieu 9 : 14-17. C’est pour cette raison qu’il s’agit du passage biblique le plus important au sujet du jeûne. Observons-le de plus près. Alors, les disciples de Jean vinrent vers Jésus et dirent : — Pourquoi nous et les pharisiens jeûnons-nous souvent, tandis que tes disciples ne jeûnent pas ? Jésus leur répondit : — Les invités à la noce peuvent-ils être tristes tant que le marié est avec eux ? Les jours viendront où le marié leur sera enlevé, et alors ils jeûneront. Personne ne coud un morceau de tissu neuf sur un vieil habit, car la pièce ajoutée arrache une partie de l’habit et la déchirure devient pire. On ne met pas non plus du vin nouveau dans de vieilles outres, sinon les outres éclatent, le vin coule et les outres sont perdues ; mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et le vin et les outres se conservent.
Les disciples de Jean-Baptiste demandent à Jésus pourquoi ses disciples ne jeûnent pas. Il est donc clair que ceux-ci ne jeûnaient pas quand il était avec eux. En fait, l’exemple que donnait Jésus lui avait valu la réputation d’être tout sauf un ascète. Quand il a loué le ministère de Jean-Baptiste, 45
J eû ner il a dit aux foules : « En effet, Jean-Baptiste est venu, il ne mange pas de pain et ne boit pas de vin, et vous dites : “Il a un démon”. Le Fils de l’homme est venu, il mange et il boit, et vous dites : “C’est un glouton et un buveur, un ami des collecteurs d’impôts et des pécheurs” » (Luc 7 : 33-35). En d’autres termes, Jean pratiquait beaucoup le jeûne, et Jésus le pratiquait peu, ou pas du tout (à l’exception de son jeûne initial de quarante jours). POURQUOI LES DISCIPLES DE JÉSUS NE JEÛNAIENT-ILS PAS ? Les disciples de Jean viennent donc demander à Jésus pourquoi ses disciples ne jeûnent pas : « Pourquoi les pharisiens et nous jeûnons-nous [souvent], tandis que tes disciples ne jeûnent pas ? ». Jésus leur répond par une image : « Les invités à la noce peuvent-ils être tristes tant que le marié est avec eux ? » Par ces mots, Jésus enseigne deux choses. 1. De manière générale, à cette époque, le jeûne était associé à l’affliction et aux lamentations. C’était l’expression de détresse d’un cœur brisé, le plus souvent par rapport au péché, ou face à un danger particulier, ou une bénédiction vivement désirée qui se faisait attendre. C’est ce que l’on faisait lorsque les choses n’allaient pas dans le sens désiré. 2. La situation n’est pas la même pour les disciples. C’est la seconde chose que Jésus nous enseigne : le Messie est là, et sa venue est comme l’arrivée de l’époux au repas de noces. Jésus nous dit qu’il s’agit d’une chose trop belle pour se mêler au jeûne. Jésus est en train de revendiquer quelque chose d’énorme. Dans l’Ancien Testament, c’est Dieu qui s’était présenté comme l’époux de son peuple Israël :
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Tout comme un jeune homme épouse une jeune fille vierge, tes descendants deviendront pour toi pareils à des époux, et tout comme la fiancée fait la joie de son fiancé, tu feras la joie de ton Dieu. ÉSAÏE 62 : 5
Je suis passé près de toi et je t’ai regardée : tu étais en âge d’aimer. J’ai étendu sur toi le pan de mon habit, j’ai couvert ta nudité et je me suis engagé envers toi. Je suis entré dans une relation d’alliance avec toi, déclare le Seigneur, l’Éternel, et tu as été à moi. ÉZÉCHIEL 16 : 8
Je te fiancerai à moi pour toujours. Je te fiancerai à moi par la justice, la droiture, la bonté et la compassion, je te fiancerai à moi par la fidélité, et tu connaîtras l’Éternel. OSÉE 2 : 21-22
À présent le Fils de Dieu, le Messie, le Prince et Souverain longtemps espéré, est là, et il revendique le statut d’Époux (de son peuple). Un peuple qui sera le véritable Israël. JeanBaptiste avait déjà compris cela. Quand ses disciples lui ont demandé qui était Jésus, il a répondu : Vous-mêmes m’êtes témoins que j’ai dit : « Moi, je ne suis pas le Messie, mais j’ai été envoyé devant lui ». Celui qui a la mariée, c’est le marié, mais l’ami du marié, qui se tient là et qui l’entend, éprouve une grande joie à cause de la voix du marié. Ainsi donc, cette joie qui est la mienne est parfaite. JEAN 3 : 28-29
Ce que Jean laisse entendre de façon partiellement voilée est du même ordre que ce que dit Jésus sur son identité. Si vous aviez des oreilles pour entendre, vous pouviez l’entendre. Dieu, celui qui s’était fiancé à Israël dans un pacte d’amour, était venu ! 47
J eû ner C’était tellement stupéfiant, glorieux et inattendu sous cette forme, que Jésus a dit : « Vous ne pouvez tout simplement pas jeûner dans cette situation. C’est une trop grande joie, c’est trop spectaculaire et merveilleux. Le jeûne est réservé aux temps où nous languissons, souffrons, et aspirons à autre chose. Mais l’Époux d’Israël est ici. Après des milliers d’années passées à en rêver, à attendre et à espérer, il est là ! » L’absence de jeûne chez les disciples témoigne de la présence de Dieu au milieu d’eux. QUAND LES DISCIPLES JEÛNERONT-ILS ? Jésus a ajouté : « Les jours viendront où le marié leur sera enlevé, et alors ils jeûneront ». La partie qui nous intéresse est : « et alors ils jeûneront » Mais à quelle période Jésus fait-il référence ? Selon certains, il s’agirait des quelques jours entre sa mort et sa résurrection. En d’autres termes : l’Époux sera enlevé du vendredi saint au dimanche matin de Pâques. Au cours de ces trois jours, les disciples jeûneront. Mais il reviendra vers eux ensuite, et ils ne jeûneront plus. Nous trouvons de quoi appuyer ce point de vue dans Jean 16 : 22-23, où Jésus prédit sa mort et sa résurrection par ces mots : « Vous donc aussi, vous êtes maintenant dans la tristesse, mais je vous reverrai et votre cœur se réjouira, et votre joie, personne ne vous l’enlèvera. Ce jour-là, vous ne m’interrogerez plus sur rien. En vérité, en vérité, je vous le dis, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera ». En d’autres termes, après la résurrection, pendant tout le temps de l’Église, les disciples de Christ connaîtront une joie inaltérable. Le jeûne est-il donc exclu ? Jésus prophétise-t-il que ses disciples ne jeûneront qu’entre le Vendredi saint et Pâques ? C’est peu probable, et cela, pour plusieurs raisons. L’une d’entre elles est que, quelle qu’ait été sa joie, l’Église primi48
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tive a jeûné en certaines occasions (Actes 13 : 1-3 ; 14 : 23 ; 2 Corinthiens 6 : 5 ; 11 : 27). Selon elle, Jésus n’avait donc pas exclu de jeûner après la résurrection. Mais que veut alors dire Jésus par ces mots : « Les jours viendront où le marié leur sera enlevé, et alors ils jeûneront » ? Jésus explique à ses disciples qu’après sa mort et sa résurrection, il retournera auprès de son Père au ciel, et qu’à ce moment-là ils jeûneront. Robert Gundry a raison de dire : « Le temps que durera l’Église correspond aux “jours” qui “viendront quand le marié sera enlevé”16 ». À mon avis, l’argument le plus solide en faveur de ce point de vue est le suivant : dans l’unique autre passage où Jésus utilise le terme « marié », il fait référence à la fin du temps de l’église. En Matthieu 25 : 1-13, Jésus décrit sa seconde venue comme l’arrivée du marié : « Au milieu de la nuit, on cria : “Voici le marié, allez à sa rencontre !” Alors, toutes ces jeunes filles se réveillèrent et préparèrent leurs lampes » (v. 6). Jésus se considère donc réellement comme le marié qui ne s’est pas seulement absenté trois jours entre le Vendredi saint et Pâques, mais tout le temps qui précède sa seconde venue. C’est donc à ce laps de temps qu’il pense lorsqu’il dit : « et alors, ils jeûneront ». Jusqu’à la seconde venue. Arthur Wallis intitule, à juste titre, un chapitre de son livre : « C’est aujourd’hui le temps17 ». Aujourd’hui est le temps auquel Jésus fait référence quand il dit que ses disciples jeûneront : « Tant que je suis là au milieu de vous, en qualité de marié, vous ne pouvez pas jeûner, mais je ne serai pas toujours avec vous. Viendra le temps où je retournerai auprès de mon Père au ciel. Et pendant ce temps, vous jeûnerez » (paraphrase). Et c’est aujourd’hui ! Jésus a, certes, donné l’Esprit saint en son absence, et l’Esprit saint est « l’Esprit de Jésus » (Actes 16 : 7 ; 2 Corinthiens 3 : 17). Dans un sens, Jésus est donc toujours avec nous : c’est 49
J eû ner une réalité profonde et merveilleuse ! Il a dit à propos du « Consolateur », l’Esprit : « Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous » (Jean 14 : 18). Nous jouirons, cependant, d’un plus grand degré d’intimité un jour au ciel avec Christ, quand ce temps présent sera révolu. Mais d’un autre côté, Christ n’est pas avec nous, il est absent. D’où ces paroles de Paul : « Oui, nous sommes pleins de confiance et nous aimerions mieux quitter ce corps pour aller vivre auprès du Seigneur » (2 Corinthiens 5 : 8), et : « Je suis tiraillé des deux côtés : j’ai le désir de m’en aller et d’être avec Christ, ce qui est de beaucoup le meilleur » (Philippiens 1 : 23). En d’autres termes, pendant cet âge de l’histoire, chaque chrétien souffre du fait que Jésus n’est pas présent d’une manière aussi complète, aussi intime, aussi puissante et glorieuse qu’il le souhaiterait. Nous avons faim de plus. Et c’est pourquoi nous jeûnons. LA VIEILLE OUTRE QUI DOIT DISPARAÎTRE REPRÉSENTE-T-ELLE LE JEÛNE ? Jésus ajoute ensuite une information de la plus haute importance, en utilisant la double image des pièces de vêtement et des vieilles outres : Personne ne coud un morceau de tissu neuf sur un vieil habit, car la pièce ajoutée arrache une partie de l’habit et la déchirure devient pire. On ne met pas non plus du vin nouveau dans de vieilles outres, sinon les outres éclatent, le vin coule et les outres sont perdues ; mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et le vin et les outres se conservent. MATTHIEU 9 : 16-17
Le morceau de tissu neuf et le vin nouveau représentent la nouvelle réalité inaugurée par l’arrivée de Jésus : le royaume de Dieu est là. Le marié est venu. Le Messie est parmi nous. Et cela n’a rien de temporaire. Il n’apparaît pas pour repar50
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tir aussitôt. Le royaume de Dieu n’est pas venu en Jésus pour disparaître ensuite de la terre. Jésus est mort pour nos péchés une fois pour toutes. Il est ressuscité des morts une fois pour toutes. L’Esprit a été envoyé dans le monde pour signifier la présence réelle de Jésus parmi nous. Le royaume de Dieu est la puissance de Christ qui règne dans le monde : il soumet les cœurs au Roi et crée un peuple qui croit en lui et le sert avec foi et sainteté. L’Esprit du marié rassemble et purifie une épouse pour Christ. Tel est l’Évangile de Christ et « le mystère du royaume18 ». C’est le vin nouveau. Et Jésus précise bien que les vieilles outres ne peuvent pas le contenir. Quelque chose doit changer. Que représentent les vieilles outres ? Le contexte fait un lien direct avec le jeûne. Jésus ne passe pas à un autre sujet. Suivez son raisonnement des versets 15 à 16 : « Les jours viendront où le marié leur sera enlevé, et alors ils jeûneront. Personne ne coud un morceau de tissu neuf sur un vieil habit ». Pas de rupture entre les deux phrases. Et c’est le cas dans les trois Évangiles qui rapportent cette parole. Le vieil habit rétréci et les vieilles outres déchirées font directement référence au jeûne en tant qu’ancienne coutume juive. Le jeûne est un héritage de l’Ancien Testament et il fait partie du rituel juif pour entretenir la relation avec Dieu. Jésus offre un aperçu de cette ancienne pratique quand il mentionne la prière du pharisien : « Ô Dieu, je te remercie de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, qui sont voleurs, injustes, adultères, ou même comme ce collecteur d’impôts. Je jeûne deux fois par semaine et je donne la dîme de tous mes revenus » (Luc 18 : 11-12). Les vieilles outres font référence à cette pratique traditionnelle du jeûne. Et Jésus précise bien qu’elles ne peuvent contenir le vin nouveau du royaume qu’il vient apporter. Cela nous pose un problème. Jésus annonce que nous jeûnerons quand le marié sera parti (Matthieu 9 : 15). Puis, deux 51
J eû ner versets plus tard, il apporte cette précision : l’ancien jeûne ne peut contenir le vin nouveau du royaume. Autrement dit, les disciples de Jésus jeûneront bel et bien, mais le jeûne, tel qu’ils l’ont connu, ne convient pas à la nouvelle réalité de sa présence et à l’irruption du royaume de Dieu. UN NOUVEAU JEÛNE POUR UN VIN NOUVEAU Que penser de tout cela ? Devons-nous jeûner en tant que chrétiens ? Le jeûne est-il une pratique chrétienne ? Je crois que le vin nouveau de Christ n’exclut pas du tout le jeûne, mais il réclame un jeûne nouveau. Il y a plusieurs années de cela, j’ai écrit en marge de Matthieu 9 : 17, dans mon nouveau testament grec : « le nouveau jeûne est basé sur ce mystère : non seulement le marié viendra un jour, mais il est déjà venu. Le vin nouveau de sa présence réclame un jeûne nouveau ». Avant, lorsque les Juifs jeûnaient pour exprimer un désir, une aspiration ou une souffrance, ils ne s’appuyaient pas sur la réalité glorieuse d’un Messie qui était déjà venu. Sur quoi donc s’appuyaient-ils lorsqu’à travers le jeûne, ils pleuraient sur leur péché, recherchaient ardemment la délivrance du Seigneur ou exprimaient leur soif de Dieu ? Ils ne s’appuyaient pas sur l’œuvre immense et achevée du Rédempteur, ni sur la grande révélation de sa vérité et de sa grâce dans l’histoire ! Ces choses étaient encore à venir. Mais le marié est venu. Et sa venue a porté le coup décisif au péché, à Satan et à la mort. Ce qui distingue le christianisme du judaïsme est que le royaume de Dieu tant espéré est à la fois présent et à venir. Le Roi est venu : « Le royaume de Dieu est venu jusqu’à vous » (Luc 11 : 20) ; « Le royaume de Dieu est au milieu de vous » (Luc 17 : 21). Il est vrai que le royaume de Dieu ne connaît pas encore son plein accomplissement. Il doit encore venir lors d’une manifestation glorieuse de plénitude et de puissance. Lors du dernier repas, Jésus a annoncé : « Désormais, je ne boi52
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rai plus du fruit de la vigne jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu » (Luc 22 : 18). Le royaume de Dieu est encore à venir. C’est une réalité future, même si Jésus a dit : « le royaume de Dieu est venu jusqu’à vous » et « le royaume de Dieu est au milieu de vous »19. Voilà le « cœur du message » que je mentionnais au chapitre un. Pour qu’un jeûne soit chrétien, il doit être relié à ce cœur : le triomphe définitif du Fils de Dieu, le Messie qui est entré dans l’histoire, a donné sa vie, est ressuscité des morts, et règne sur l’histoire, pour le salut de son peuple et la gloire de son Père. Les chrétiens forment un peuple habité d’un immense espoir : un jour, ils verront et seront captivés par la plénitude de la gloire de Dieu en Christ. Mais voici ce qui caractérise les chrétiens dans tout cela : notre espoir s’appuie entièrement sur le triomphe passé de ce même Dieu. Un triomphe qui est intervenu dans l’histoire. Dieu a triomphé sur le péché, la mort et l’enfer, par la mort et la résurrection de Jésus20. Le christianisme est une espérance vivante. L’espérance que l’histoire parviendra un jour à son plein accomplissement, lorsque la gloire de Dieu se manifestera universellement en Christ. C’est un espoir inébranlable, enraciné dans l’incarnation passée de Christ qui s’est offert lui-même une fois pour toutes comme sacrifice pour le péché, et s’est assis à la droite de Dieu (Hébreux 10 : 12). C’est cela, le vin nouveau. Cet acte de salut, extraordinaire, définitif et central pour nous aujourd’hui, appartient au passé, non pas à l’avenir. Et à cause de cette œuvre passée du marié, rien ne sera jamais plus pareil. L’Agneau est immolé. Le sang est répandu. Le châtiment pour nos péchés est tombé. La mort est vaincue. L’Esprit est envoyé. Le vin est nouveau. Et l’état d’esprit qui caractérisait l’ancien jeûne est tout simplement caduc.
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J eû ner LE NOUVEAU JEÛNE Qu’y a-t-il donc de nouveau dans le jeûne chrétien ? Ce qui est nouveau, c’est qu’il repose sur toute l’œuvre accomplie par le marié. Il est fondé sur cette réalité, il y croit, et il s’en réjouit. Nous jeûnons parce que nous nous languissons et ressentons en nous un désir et une aspiration vers Christ et sa puissance. Mais ces choses ne sont pas l’expression d’un vide. L’expression d’un besoin, certes. D’une douleur, oui. D’une faim de Dieu, tout à fait. Mais pas celle d’un vide. Les prémices de ce à quoi nous aspirons sont déjà venues. L’acompte de ce que nous désirons obtenir a déjà été versé. La plénitude de ce à quoi nous aspirons et pour laquelle nous jeûnons, est apparue dans l’histoire, et nous avons contemplé sa gloire. Il ne s’agit pas uniquement d’une chose future. Nous ne jeûnons pas en réponse à un vide. Christ est déjà en nous l’espérance de la gloire (Colossiens 1 : 27). Nous avons été « marqués de l’empreinte du Saint-Esprit qui avait été promis. Il est [aujourd’hui !] le gage de notre héritage » (Éphésiens 1 : 13-14 ; cf. 2 Corinthiens 1 : 22 ; 5 : 5). Nous avons goûté à la puissance de l’âge à venir. Notre jeûne ne signifie pas que nous avons faim de quelque chose que nous ne connaissons pas encore. Il signifie que le vin nouveau de la présence de Christ est tellement réel et satisfaisant ! Nous désirons obtenir tout ce qui nous est possible de recevoir. Notre jeûne a ceci de nouveau : il n’est pas intense parce que nous n’avons jamais goûté le vin de la présence de Christ, mais plutôt parce que nous y avons si merveilleusement goûté, par son Esprit, et que nous ne pouvons désormais plus être satisfaits tant que notre joie n’est pas complète. Le nouveau jeûne, le jeûne chrétien, est une faim de toute la plénitude de Dieu (Éphésiens 3 : 19), éveillée par l’arôme de l’amour de Jésus, et l’aperçu de la bonté de Dieu dans l’Évangile de Christ (1 Pierre 2 : 2-3).
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LE FESTIN DU JEÛNE Le nouveau jeûne est, pour ainsi dire, le jeûne de la foi. La foi s’appuie sur l’œuvre achevée de Christ, et sur cette fondation elle devient « l’assurance des choses qu’on espère » (Hébreux 11 : 1). Avoir la foi, c’est se délecter de Christ comme on se régale lors d’un festin. C’est trouver une telle satisfaction spirituelle en lui que le pouvoir de tout autre désir est brisé21. Ce festin débute quand nous recevons la mort et la résurrection de Christ (c’est la grâce passée) et continue lorsque nous nous approprions pleinement tout ce que Dieu, en Christ, promet d’être pour nous. Tant que nous sommes limités et déchus, la foi chrétienne signifiera à la fois une joie intense dans l’incarnation (passée) et un désir profond pour la plénitude (à venir). Elle signifiera à la fois contentement et insatisfaction. Et l’insatisfaction grandira au fur et à mesure que grandira le contentement que nous connaissons déjà en Christ. LE JEÛNE A BIEN SA PLACE DANS LE ROYAUME DE DIEU Cette façon de comprendre le jeûne chrétien répond à toutes les questions soulevées plus tôt par les propos de Keith Main : « La joie et la reconnaissance, qui marquent la vie de prière du Nouveau Testament, sont un signe de l’arrivée fracassante du royaume de Dieu. Le jeûne n’est désormais plus en harmonie avec l’attitude de joie et de reconnaissance qui caractérise la communion22 ». Nous voyons, maintenant, que sa thèse est exagérée. Oui, le royaume de Dieu est venu. Oui, nous pouvons déjà goûter à la gloire qui est celle de la fin des temps, cette gloire manifestée en Christ. Et oui, nous pouvons en faire l’expérience par son Esprit. Mais non, ce n’est pas une expérience complète et ininterrompue. Nous continuons à souffrir, à désirer et à aspirer à plus. Main lui-même fait marche arrière et admet cette réalité : 55
J eû ner Il est vrai que crises et tragédies assombrissent encore notre réalité. Le royaume n’a pas atteint sa pleine réalisation. Certes, le marié est présent et ce n’est pas le bon moment pour être en deuil. Tout ne se résume cependant pas à cela, car nous continuons à vivre dans la chair et sommes encore faibles dans la foi […]. Dans cette « lutte amère », le croyant, dans sa vie personnelle avec Dieu, peut tout à fait trouver des occasions de jeûner. Ce pourrait être un des nombreux éléments susceptibles de fortifier la vie des disciples de Christ23.
C’est vrai. La présence du Marié, par son Esprit, dans le triomphe du pardon et de la communion, n’ôte pas tout intérêt au jeûne : elle le renouvelle. LE JEÛNE, EXPRESSION D’UN « CONTENTEMENT INSATISFAIT » Le jeûne chrétien est un acte de foi. En tant que tel, il exprime un contentement insatisfait dans la pleine suffisance de Christ. Il est l’expression d’une aspiration, joyeuse et assurée, à la plénitude pleinement satisfaisante de Christ. Le jeûne chrétien n’espère pas mériter quoi que ce soit de la part de Christ. Il ne se considère pas comme une source des bénédictions, mais il détourne son regard de lui-même pour le porter sur le Calvaire. C’est là que le prix a été définitivement payé. C’est de là que le chrétien reçoit toute bénédiction présente et à venir. Le jeûne chrétien n’est pas une discipline personnelle cherchant à mériter plus de la part de Dieu. C’est une faim de Dieu, éveillée par l’avant-goût accordé gratuitement dans l’Évangile. LE JEÛNE CHRÉTIEN AFFIRME QUE LA NOURRITURE EST UNE BONNE CHOSE Les avertissements de Paul ne concernent donc pas les chrétiens qui jeûnent, mais plutôt ceux qui détournent le but 56
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du jeûne : Dieu a créé les aliments « pour qu’ils soient pris avec reconnaissance par ceux qui sont croyants et qui ont connu la vérité. Tout ce que Dieu a créé est bon et rien ne doit être rejeté, pourvu qu’on le prenne dans une attitude de reconnaissance, car cela est rendu saint par la parole de Dieu et la prière » (1 Timothée 4 : 3-5). Paul souligne que la nourriture est une bonne chose, et il se réjouit que les chrétiens soient libres d’en jouir ; il ne dit rien contre le jeûne chrétien. Les chrétiens disent oui à tout bienfait et tout don parfait qui viennent d’en haut, du Père des lumières (Jacques 1 : 17). Lorsque vous jeûnez, vous n’êtes pas en train de dire non aux bonnes choses, à la nourriture, ou à la générosité de Dieu qui pourvoit. C’est plutôt une façon de dire, de temps en temps, que regarder celui qui donne est plus important qu’obtenir ses dons. Imaginez qu’un mari et son épouse décident de renoncer pour un temps aux relations sexuelles afin de s’attaquer sérieusement à un problème qui les oppose. En « jeûnant » ainsi, sont-ils en train de condamner la sexualité ? Pas du tout. Ils proclament au contraire la supériorité de l’amour. La nourriture est une bonne chose, mais Dieu est bien meilleur. En temps normal, nous rencontrons Dieu dans ses dons et chaque fois que nous nous en réjouissons, nous l’adorons et le louons avec reconnaissance. Mais de temps à autre, nous avons besoin de nous mettre à l’épreuve pour vérifier que nous n’avons pas commencé à aimer les cadeaux de Dieu plus que Dieu lui-même. LE JEÛNE CHRÉTIEN N’EST PAS UNE « RELIGION DE LA VOLONTÉ » Le jeûne peut devenir une pratique centrée sur soi-même lorsqu’il met en avant ses efforts personnels et sa force de volonté. C’est un danger dont Paul était conscient mais qui ne remet pas pour autant en cause la valeur du jeûne. Paul pré57
J eû ner vient qu’il existe un jeûne qui se manifeste par « une dévotion rigoureuse, des gestes d’humiliation et l’assujettissement du corps à une sévère discipline », mais un tel jeûne n’a « aucune valeur, sinon pour satisfaire des aspirations tout humaines » (Colossiens 2 : 23 – BDS). Autrement dit, ce jeûne est une « religion de la volonté24 » : il nourrit l’orgueil spirituel de la chair tout en soumettant ses appétits physiques. Le jeûne chrétien se situe à l’exact opposé de cela. Le jeûne chrétien passe de la pauvreté d’un esprit brisé et contrit à un doux contentement dans la grâce abondante de Christ pour se diriger vers le désir et un plaisir toujours plus grand de la grâce inépuisable de Dieu. Le jeûne chrétien ne conforte pas l’orgueil, car son attitude ressemble plutôt à celle d’un enfant. Il se repose, satisfait et content, sur la justification accomplie une fois pour toutes par Dieu en Christ, tout en aspirant à connaître toute la plénitude de Dieu qu’il est possible de vivre ici-bas. Le jeûne chrétien est le résultat de ce que Christ a déjà fait pour nous et en nous. Ce n’est pas notre exploit, mais le fruit de l’Esprit. Rappelez-vous que le dernier fruit de l’Esprit de la liste est « la maîtrise de soi25 » (Galates 5 : 23). TOUTE NOURRITURE EST PERMISE, MAIS PAS TOUJOURS UTILE Qu’est-ce que tout cela signifie en pratique ? Paul était libre de jeûner ou de ne pas jeûner. « Tout m’est permis, mais tout n’est pas utile ; tout m’est permis, mais je ne me laisserai pas dominer par quoi que ce soit » (1 Corinthiens 6 : 12). L’acte de jeûner en lui-même n’est pas la chose essentielle. Jeûner – ou ne pas jeûner – pour la gloire de Dieu, c’est cela l’essentiel : « Celui qui mange de tout, c’est pour le Seigneur qu’il le fait, puisqu’il exprime sa reconnaissance à Dieu. Celui qui ne mange pas de tout le fait aussi pour le Seigneur, et il est reconnaissant envers Dieu » (Romains 14 : 6). Le jeûne glorifie Dieu quand il est vécu 58
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comme un cadeau divin dont le but est de mieux connaître Dieu, et de davantage trouver notre plaisir en lui. Dieu est d’autant plus glorifié en nous lorsque nous cherchons, dans notre manière d’agir, à rechercher en lui notre plus grande satisfaction. Nous pouvons accomplir cela en mangeant avec reconnaissance, ou en jeûnant avec reconnaissance. Ses nombreux dons créent en nous une faim de Dieu, et le jeûne de ses dons met cette faim à l’épreuve. LE CHRÉTIEN DOIT-IL TRAITER DUREMENT SON CORPS ? Il est erroné d’affirmer sans aucune réserve (comme le fait Keith Main) que « Paul détourne délibérément l’attention des disciples du jeûne et de toute autre forme d’ascétisme, en faveur de la prière, du service, et du travail pour le royaume26 ». Je suis d’accord avec la dimension positive de la seconde partie de la phrase, mais pas avec celle, négative, de la première partie. Je dirais que Paul dirige justement notre attention vers le jeûne et bon nombre d’autres pratiques d’abnégation, non pas pour obtenir des mérites via ces rituels religieux, non comme des buts en soi, mais comme des armes dans le combat de la foi. Lorsque Paul fait la liste de ses épreuves, il mentionne le jeûne à deux reprises : « J’ai connu le travail et la peine, j’ai été exposé à de nombreuses privations de sommeil, à la faim et à la soif, à de nombreux jeûnes, au froid et au dénuement » (2 Corinthiens 11 : 27 ; cf. 2 Corinthiens 6 : 5). Paul est cohérent avec sa façon de maîtriser les appétits de son corps. « Moi donc, je cours, mais pas comme à l’aventure ; je boxe, mais non pour battre l’air. Au contraire, je traite durement mon corps et je le discipline, de peur d’être moi-même disqualifié après avoir prêché aux autres » (1 Corinthiens 9 : 26-27). Ce qui signifie, je suppose, que Paul considérait certaines disciplines ascétiques comme des armes utiles dans le 59
J eû ner combat de la foi. Rester fermement attaché à Christ par la foi est la clé pour éviter d’être « disqualifié ». C’est ce qui ressort clairement, par exemple, de Colossiens 1 : 22-23 : Christ va un jour nous faire paraître devant Dieu saints, sans défaut et sans reproche, « mais il faut que vous restiez fondés et inébranlables dans la foi, sans vous détourner de l’espérance de l’Évangile ». La foi persévérante est la clé qui nous permettra d’être acceptables devant Dieu au dernier jour. Selon Paul, « traiter durement son corps » est une des armes dans le combat de la foi. Il n’était pas sans savoir que les désirs du corps sont aussi délicieux que trompeurs : « le vieil homme […] se détruit sous l’effet de ses désirs trompeurs » (Éphésiens 4 : 22). La nature de cette tromperie est de nous entraîner subtilement à vivre pour la « jouissance éphémère » du corps et de l’esprit. Dans quel but ? Pour nous détourner des délices spirituels que sont connaître et servir Dieu. Ces jouissances sont innocentes au départ : quel plaisir de manger, de lire un bon livre, de se détendre ou de jouer ! Mais quand nous recherchons ces jouissances comme une fin en soi, elles étouffent notre faim spirituelle de Dieu. Paul traite durement son corps afin de se mettre à l’épreuve : ai-je faim de Dieu ? Ma foi est-elle réelle ? Ou serais-je plutôt en train de devenir esclave du confort et des plaisirs du corps ? La passion de son cœur est perceptible : « je ne me laisserai pas dominer par quoi que ce soit » (1 Corinthiens 6 : 12). Cela ne ressemble pas à l’orgueil d’une stoïque exaltation du moi. C’est la résolution passionnée de résister à tout ce qui peut séduire le cœur et l’éloigner d’une satisfaction en Dieu qui domine tous les domaines de la vie. Il y a quelques années, je venais de terminer de prêcher sur le jeûne et la prière, quand un jeune homme est venu me voir. Il m’a raconté une histoire qui illustre bien comment un traitement dur infligé au corps, associé à la prière, peut préparer une personne au ciel. J’avais mentionné l’Église de Corée du 60
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Sud comme modèle dans ce domaine. C’est ce qui a conduit le jeune homme à venir me parler à la fin du culte : J’ai grandi sur le champ missionnaire coréen. C’est là qu’une expérience est restée gravée à tout jamais dans mon esprit. Elle témoigne du dévouement et des sacrifices qui caractérisent la vie de prière et de jeûne en Corée. Mon père travaillait dans une colonie de lépreux. Ses collègues et lui se réunissaient pour prier à 4 heures du matin. Je n’étais qu’un petit garçon, mais mon père m’emmenait avec lui. Il me réveillait à 3 h 30 pour arriver à l’heure. Il m’asseyait au fond de la pièce, d’où je pouvais apercevoir l’entrée. Je n’oublierai jamais un homme en particulier : il n’avait ni jambes ni béquilles et utilisait ses mains pour ramper sur le sol. Il se traînait ainsi tous les matins afin d’être présent pour la prière. À 4 heures du matin. Je ne l’oublierai jamais.
Se lever tôt est une forme de jeûne. Et venir prier quand c’est compliqué de venir en est une autre. Quand nous faisons de tels choix, nous entrons en guerre contre la duplicité de nos désirs. Nous proclamons que la prière est plus précieuse que tout. Nous proclamons que Dieu vaut mieux que tout le reste. LE JEÛNE EST-IL UNE PRATIQUE CHRÉTIENNE ? Le jeûne est-il une pratique chrétienne ? Il l’est s’il découle de la confiance en Christ, s’il est nourri par la puissance de Christ et si son but est la gloire de Christ. Au-dessus de tout jeûne chrétien, devraient planer ces mots : « Je considère même tout comme une perte à cause du bien suprême qu’est la connaissance de Jésus-Christ mon Seigneur » (Philippiens 3 : 8). Dans le jeûne, comme dans toutes autres privations, chaque perte a pour but de « gagner Christ ». Mais cela ne signifie pas que nous cherchons à gagner un Christ que nous n’avons pas. Cela ne signifie pas non plus que nos progrès dépendent de nous. Quatre versets plus tard, Paul expose 61
J eû ner clairement la dynamique de la vie chrétienne tout entière, y compris celle du jeûne : « mais je cours pour tâcher de m’en emparer, puisque de moi aussi, Jésus-Christ s’est emparé » (Philippiens 3 : 12). Telle est l’essence du jeûne chrétien : nous souffrons, et soupirons – et jeûnons – car nous aspirons à connaître toujours mieux ce que Dieu a en réserve pour nous en Jésus. Mais ce n’est possible que parce qu’il s’est déjà emparé de nous et qu’il nous conduit toujours plus loin et plus haut vers « toute la plénitude de Dieu ». Ma prière pour l’Église est que Dieu puisse éveiller en nous une faim renouvelée pour lui : un jeûne nouveau. Non parce que nous n’avons jamais goûté au vin nouveau de la présence de Christ, mais précisément parce que nous y avons goûté, et que nous aspirons, avec une profonde et joyeuse souffrance dans l’âme, à connaître davantage sa présence et sa puissance au milieu de nous.
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Nous avons essayé d’imaginer ce qui arriverait si nos Églises étaient remplies de croyants qui jeûnent régulièrement et de façon biblique. Imaginer ce que pourrait faire Dieu, selon son bon plaisir, si son Église se levait pour dire : « Voilà à quel point nous aspirons après toi, ô Dieu ! ».
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Francis Chan et David Platt Auteurs du livre Multipliez-vous
JOHN PIPER
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Nos envies orientent tout ce que nous vivons au quotidien, que ce soit l’appétit de notre estomac pour de la bonne nourriture, notre soif de pouvoir et de possession ou encore le désir profond de notre âme d’expérimenter Dieu. Pour le chrétien, avoir faim de toute autre chose que de Dieu lui-même est ultimement néfaste à une bonne santé spirituelle et une joie profonde. John Piper nous aide à appliquer les enseignements bibliques sur le jeûne. Il veut nous faire goûter à la satisfaction incomparable qui ne vient que d’un plaisir trouvé avant tout en Dieu.
JOHN PIPER est le fondateur de Desiring God. Pendant plus de 30 ans, il a été le pasteur d’une Église baptiste à Minneapolis. Il est l’auteur de plus de 50 ouvrages.
Préface de David Platt et Francis Chan 16,90€
ISBN 978-2-36249-433-8
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Nourrir notre faim de Dieu par le jeûne et la prière
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