La Laïcité française
Entre l’idée, l’Histoire et le droit positif Le concept semble aujourd’hui servir des perceptions divergentes, aux sens multiples et imprécis. Chacun nourrit ainsi une idée différente de la laïcité : idéal républicain, équilibre désiré, revendications « laïcardes », etc.
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Laïcité française
Enfin, si c’est un principe bien fondé et auquel les chrétiens peuvent être attachés, il n’en demeure pas moins que son application leur pose de nombreuses questions concrètes, ainsi que pour les Églises et les associations chrétiennes. Nous vous proposons donc de nous pencher sur les différents aspects de la laïcité française.
La Laïcité française
Les discours politiques s’en inspirent, fort imprégnés d’une certaine idéologie sur la place des religions dans la société civile, place à géométrie variable. La laïcité a pour toile de fond la sécularisation, processus social de la dissociation des affaires de la cité et des convictions religieuses.
Le Conseil national des évangéliques de France (CNEF) a été créé officiellement le 15 juin 2010. Organe représentatif, il rassemble plus de 70 % des Églises protestantes évangéliques et une centaine d’organisations para-ecclésiastiques. Il est membre de l’Alliance évangélique européenne et de l’Alliance évangélique mondiale.
Les textes du cnef
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Entre l’idée, l’Histoire et le droit positif
6,90 € ISBN 978-2-36249-146-7
collection
9 782362 491467
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La Laïcité française Entre l’idée, l’Histoire et le droit positif
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Laïcité française Entre l’idée, l’Histoire et le droit positif
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I éditions blf
Travail réalisé par la commission juridique du CNEF avec la collaboration de Nancy Lefèvre, juriste de la commission juridique.
La Laïcité française – Entre l’idée, l’Histoire et le droit positif • CNEF © 2013 • BLF Europe Rue de Maubeuge • 59164 Marpent • France Édité sous la responsabilité du CNEF. Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés. Design : Mathilde Chazot • matchazot@hotmail.com Mise en page : Éditions BLF • www.blfeurope.com Impression n° 94164 • IMEAF • 26160 La Bégude de Mazenc Sauf mentions contraires, les citations bibliques sont extraites de la version Louis Segond révisée, dite « Bible à la Colombe », © 1978 Société biblique française. Avec permission. L’italique échéant est ajouté par l’auteur du présent ouvrage. 978-2-36249-146-7 978-2-36249-147-4 978-2-36249-149-8 978-2-36249-148-1
Broché ePub Mobipocket PDF
Dépôt légal 1er trimestre 2013 Index Dewey (CDD) : 322.109 44 Mots-clés : 1. Politique. Laïcité. 2. Concordat. Séparation Église et État.
Préface Les protestants évangéliques sont très attachés au cadre légal et réglementaire de l’exercice de la religion en France. La laïcité telle qu’elle est mise en œuvre dans la loi française dite « de séparation des Églises et de l’État » (loi du 9 décembre 1905) ainsi que les libertés de conscience et d’expression protégées par la Constitution française et le droit européen notamment, constituent pour ces chrétiens un cadre dont ils sont extrêmement reconnaissants, et ce, d’autant plus s’ils le comparent à la situation de plusieurs pays dans le monde. Par cet ouvrage, le CNEF souhaite fournir un état des lieux sur les questions qui concernent plus particulièrement ses membres, à un moment où la société française s’interroge sur les équilibres à rechercher en matière de liberté religieuse. Son but est de donner les moyens aux responsables d’Églises ou d’œuvres protestantes évangéliques d’avoir une idée aussi élargie que possible des droits que leur donnent les lois et règlements en vigueur. Ils pourront ainsi être plus entreprenants pour imaginer des actions de développement des Églises et plus largement de l’Évangile, « bonne nouvelle » qu’ils souhaitent partager. Ils pourront aussi réfuter plus facilement les arguments de ceux qui, pour des raisons diverses, cherchent à réduire l’expression de nos convictions et de notre pratique religieuses dans un espace le plus confiné possible. Oui, la liberté de religion existe dans notre pays, celle de croire (et de ne pas croire aussi, d’ailleurs) ; c’est une liber5
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té constitutionnelle. La laïcité, pour le Conseil national des évangéliques de France n’a pas besoin d’un qualificatif : ouverte, fermée, positive, négative, etc. Elle a simplement besoin d’être vécue comme les textes la présentent, mais avec détermination : la liberté de vivre sa foi sereinement mais fièrement, dans le respect des autres religions et de ceux qui n’en ont pas. Oui, les protestants évangéliques aiment partager leur foi et leur connaissance du Christ, et ils en ont le droit. Vous lirez dans cet ouvrage que la jurisprudence fait même état du « droit d’essayer de convaincre son prochain ». C’est la raison pour laquelle le CNEF, dont le mot d’ordre est « ensemble pour l’Évangile », veut rappeler cette liberté et aider ses membres à en user, toutefois toujours dans le respect de l’individu et de l’ordre public. À l’exemple du grand évangéliste qu’était l’apôtre Paul, nous adoptons la posture de rappeler aux autorités, quelles qu’elles soient, ces libertés quand elles nous semblent malmenées voire bafouées. Plusieurs situations vécues ces toutes dernières années nous montrent que la vigilance est de rigueur. Nous osons même appeler nos membres à ne pas négliger les procédures judiciaires quand tout autre recours est sans résultat. Ce sont les conclusions de ces procédures qui nous permettent de poser des limites à l’excès de certains et de réaffirmer les droits des croyants. Trop souvent, nous sommes contents d’utiliser la jurisprudence issue de procédures contentieuses d’autres religions. Il serait normal que nous participions à étoffer ce corpus de jurisprudences qui défendent la liberté de religion. Avec les Alliances évangéliques européenne et mondiale, le CNEF observe ainsi tout développement juridique en la matière afin de préserver et défendre les libertés nécessaires à l’expression de notre foi. Par cet ouvrage, le CNEF souhaite aider à une connaissance à la fois générale et pratique du sujet. Que les membres de sa commission juridique, auteur de cet ouvrage, ainsi que les personnes ayant contribué à sa relecture soient chaleureusement remerciés. clément diedrichs, directeur du cnef
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P r e m i è r e pa r t i e
Une présentation générale de la laïcité en droit français
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Introduction La laïcité française ! Le concept semble aujourd’hui servir des perceptions divergentes, aux sens multiples et imprécis. Chacun nourrit ainsi une idée différente de la laïcité, idéal républicain, équilibre désiré, revendications « laïcardes », etc. Les discours politiques s’en inspirent, fort imprégnés d’une certaine idéologie sur la place des religions dans la société civile, place à géométrie variable. La laïcité a pour toile de fond la sécularisation, processus social de dissociation des affaires de la cité et des convictions religieuses. Si l’on cherche à établir un contour concret et actuel à la laïcité française, il convient de considérer qu’elle est avant tout une notion juridique. Elle est le fruit d’une politique publique, relative à l’organisation légale ou administrative des champs religieux et politique. Elle s’inscrit donc dans le droit positif, ensemble des normes applicables en France. La laïcité, comme principe juridique, exige une approche précise qui relève d’un contenu normatif suffisamment défini pour avoir une opérabilité juridique et pour répondre à l’exigence de sécurité juridique. Une certaine connaissance du droit positif est indispensable pour une lecture avisée de l’actualité, pour mesurer les enjeux de possibles changements à venir et pour comprendre l’environnement juridique dans lequel s’inscrivent actuellement les religions et leurs activités. 9
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Si la laïcité française s’inscrit dans l’Histoire, elle fait aujourd’hui face à un renouveau des questions, celles-ci étant centrées désormais sur le pluralisme religieux plus que sur le besoin de distance envers une religion dominante. Si elle s’inscrit dans les sources juridiques françaises, elle n’en est pas moins pénétrée de normes supérieures, de sources européennes ou internationales. Si la laïcité française se veut un principe de la République, elle n’a pas pour autant une application uniforme sur le territoire français. Enfin, si c’est un principe bien fondé et auquel les chrétiens peuvent être attachés 1, il n’en demeure pas moins que son application leur pose de nombreuses questions concrètes ainsi qu’aux Églises et aux associations chrétiennes. Nous vous proposons donc de nous pencher sur ces différents aspects de la laïcité française.
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« La pensée chrétienne en constitue un des fondements intellectuels. À travers les affirmations bien connues de Jésus : “Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu” (Matthieu 22 : 21), et “Mon royaume n’est pas de ce monde” (Jean 18 : 36), le christianisme pose en effet le principe de la dualité du politique et du religieux. Ce principe de différentiation entre l’ordre temporel et l’ordre spirituel est complètement étranger au monde antique, tant juif que gréco-romain. La société juive est organisée sur un modèle théocratique, la tradition grécoromaine associe fortement la religion à l’État. » Catherine Audéoud (maître de conférences), « Les relations Église/État jusqu’en 1905 », InfoFEF, décembre 2005, n° 106, p. 9.
Chapitre 1
Brefs rappels historiques et renouveau actuel des questions Lorsqu’on évoque les relations entre l’État et l’Église en France, avant de se pencher sur le tournant décisif engagé à la Révolution française, il convient de revenir synthétiquement sur l’évolution historique qui y a mené.
1. De Constantin à la Révolution française L’on rattache à la conversion au christianisme de Constantin, au ive siècle, la remise en cause de la distinction entre l’Église chrétienne et l’État via la consécration de privilèges en faveur de l’Église et l’intervention de l’empereur dans les affaires ecclésiastiques. À l’époque, les autres religions sont tolérées. Ce qui ne sera plus le cas sous l’empereur Théodose qui crée la religion d’État avec, dans son sillon, la persécution 11
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des autres religions. Après la chute de l’Empire romain d’Occident, seule la papauté reste un pouvoir en place face à une multiplicité de royaumes barbares. Lorsqu’en 498, Clovis, chef d’une tribu franque, victorieux lors de la bataille de Tolbiac et converti au christianisme, reçoit le baptême par l’évêque de Reims, ce sera le début de la « France chrétienne ». Un « nouveau Constantin » est en place, faisant de la France « la fille aînée de l’Église ». Cette période voit naître les racines de la « chrétienté », une sorte de fusion entre sphère politique et sphère religieuse, due à l’omniprésence de l’Église dans la société. La collaboration entre le politique et le religieux va suivre schématiquement deux régimes : – la théocratie, gouvernement de Dieu, puis – le gallicanisme, affirmant l’autonomie de l’Église de France face à Rome. La théocratie va s’organiser sur deux modes. Le règne des Carolingiens et surtout de Charlemagne, inaugure d’abord une théocratie royale. La monarchie de droit divin est instaurée par le sacre du monarque par l’Église ; le roi soutient l’Église à travers l’établissement des États pontificaux avec sa participation financière et militaire. Lorsque le pouvoir de l’État éclate après la mort de Charlemagne en 814, les habitants se regroupent autour des notables locaux. C’est la période féodale pendant laquelle l’Église représente la seule force organisée en place. S’installe alors une théocratie pontificale, dans laquelle le pouvoir spirituel est premier face au pouvoir temporel. Le gallicanisme apparaît alors en réaction. Il vise à encourager l’autonomie de l’Église de France face au pape. Un pape français est installé en Avignon en 1309 par Philippe Le Bel. Le gallicanisme alternera entre gallicanisme ecclésiastique (affirmation de l’autorité du clergé français face à Rome et au roi) et gallicanisme politique (mise en avant de l’autorité du roi de France sur l’organisation temporelle de l’Église de France – par exemple, plus tard, avec le Concordat signé par Napoléon). 12
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Dans cette période, le pluralisme religieux n’existe pas, comme en témoigne l’adage un roi, une foi, une loi. L’édit de Nantes, accordé aux protestants en 1592, est révoqué par Louis xiv en 1685. L’idée de tolérance religieuse est alors impensable en terre catholique. Les sujets doivent adhérer à la religion du prince ou s’exiler. Les dissidents sont persécutés. En France, un édit de Tolérance est promulgué en 1787 en faveur des protestants. Il ne leur reconnaît que certains droits civils, et non la liberté d’exercice public du culte. C’est dans ce contexte que la Révolution française vient bouleverser une « France catholique romaine ».
2. La période de la Révolution française (1789 – 1799) La Révolution française, avec ses textes fondateurs (la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la Constitution de 1791 2), entame le processus de sécularisation de la France. Elle proclame la liberté religieuse, notamment celle du culte, et se traduit par un transfert d’activités entre l’Église et l’État (état civil, mariage). L’État prend ses distances quant à l’Église en introduisant le divorce légal, en supprimant certains délits religieux (blasphèmes, sorcellerie, hérésie, etc.) et en adoptant le calendrier révolutionnaire. Cette période s’accompagne néanmoins de persécutions et de troubles. La Constitution civile du clergé en 1790, qui na Dès 1789, la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen fait figure d’acte fondateur. Son article 10 reconnaît la liberté d’opinion, même religieuse : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Cette disposition est complétée, dans la Constitution du 3 septembre 1791, par la proclamation de la liberté de culte. Les discriminations d’origine religieuse doivent disparaître : les protestants peuvent être électeurs et éligibles, ils sont admis à tous les emplois. En septembre 1791, la Constituante donne le statut de citoyen aux Juifs.
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tionalise le catholicisme français, est condamnée par le Pape et crée un schisme entre partisans du clergé assermenté et du clergé réfractaire fidèle à Rome. La France est divisée. En 1795, sous le régime du Directoire, la séparation de l’Église et de l’État est introduite pour la première fois en France, selon des modalités très proches de la loi de 1905. Elle sera à nouveau mise à mal par l’arrivée de Bonaparte, qui s’emparera des religions comme d’un instrument à son service.
3. La période du concordat (1801 – 1905) Le concordat est signé en 1801 avec le Pape. Il s’étend à la religion protestante, puis juive. Si le concordat offre un certain niveau de pluralisme religieux, l’objectif visé par Bonaparte est de contrôler la religion pour en faire un instrument de soumission sociale. Les religions reconnues sont organisées comme un service public : elles ont une place égale, indépendante des influences étrangères, notamment celle de Rome, et peuvent servir à relayer le « catéchisme impérial » auprès des fidèles. Le pluralisme religieux reste relatif puisque les mouvements anabaptiste, quaker, méthodiste et morave ne sont pas inclus. Le concordat traverse les différents régimes politiques du xixe siècle et survit d’ailleurs de nos jours avec des aménagements en Alsace-Moselle 3. Si le catholicisme redevient religion d’État sous la Restauration (1814 – 1830), il n’est plus que la religion « professée par la majorité des Français » sous la Monarchie de juillet (1830 – 1848).
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Puisque ces départements ont été annexés à l’Allemagne de 1871 à 1918 et que le maintien du concordat a été une des conditions de leur réintégration à la France.
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La Révolution de 1848 n’a pas la coloration anticléricale de celle de 1789. Les catholiques rejoignent le parti de l’Ordre moral, et c’est autour des questions d’enseignement que les enjeux de la séparation de l’Église et de l’État vont se cristalliser. En effet, en 1850, la loi Falloux donne aux ministres des cultes un droit d’inspection, de surveillance et de direction sur les écoles primaires, assurant à l’Église le contrôle sur la jeunesse française et une participation officielle à l’enseignement public. En réaction, les républicains de gauche vont durcir les positions anticléricales. Le Second Empire voit s’ouvrir une période d’entente cordiale entre le gouvernement et le clergé catholique, accompagnée d’un recul sensible de la liberté religieuse. Les Églises évangéliques non concordataires connaissent alors une répression accrue. Le « conflit des deux France » oppose alors deux conceptions : les conservateurs monarchistes et catholiques souhaitent que la France redevienne la « fille aînée de l’Église catholique » comme sous l’Ancien Régime, et les républicains veulent faire de la France la fille de la Révolution de 1789. Mais le système du concordat crée une situation structurellement stable, puisqu’il faudra attendre les lois laïques et la séparation de 1905 pour basculer dans une autre logique. Les républicains devenus majoritaires après 1879 entendent dégager la République de l’influence de la religion et de l’Église par de nouvelles mesures de laïcisation, commençant par l’enseignement public laïque et l’abrogation de la loi Falloux. Mais c’est avec l’arrivée au pouvoir d’Émile Combes en 1902 que l’anticléricalisme et la stigmatisation des congrégations atteindront leur sommet : fermeture de plus de 10 000 écoles catholiques, interdiction d’enseigner faite aux congrégations, par la loi du 7 juillet 1904, confiscation de biens et propriétés des communautés, religieux contraints à l’exil. L’œuvre de séparation des Églises et de l’État sera couronnée par le Parlement par la loi du 9 décembre 1905.
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4. De la loi de 1905 à nos jours La loi du 9 décembre 1905 met un terme au concordat. Elle fonde la séparation des Églises et de l’État. Elle tranche le conflit des « deux France », en écartant à la fois la tradition de « l’établissement » de l’Église catholique dans la société politique et la tradition régalienne selon laquelle l’État tentait de régenter les choses religieuses. Issue du Parlement, elle n’est nullement négociée avec l’Église catholique qui la perçoit comme une agression et s’opposera à la constitution d’associations cultuelles jusqu’à ce que les associations diocésaines soient créées dans son intérêt. Les protestants (y compris les évangéliques) acceptent globalement cette séparation qui les place sur un relatif pied d’égalité avec l’Église catholique. La loi du 9 décembre 1905 définit le régime juridique de séparation entre l’État et les cultes, régime dominant mais non exclusif dans la République française 4. Sans référence explicite à la laïcité et bénéficiant des principes posés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la Constitution de 1791, elle en a fixé le cadre précis, fondé sur deux grands principes énoncés en son titre I : la liberté de conscience et le principe de séparation. Elle traite de la question des édifices du culte, des associations cultuelles et de la police des cultes. La séparation entre l’Église et l’État implique désormais que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (art. 2). Le budget des cultes est donc supprimé, à l’exception de celui relatif aux aumôneries, et la délicate question de l’attribution des biens dont l’Église catholique disposait donne lieu, avec cette dernière, à de grandes difficultés. Chaque culte a la responsabilité d’organiser et de financer ses activités et ses édifices. La portée de la loi de 1905 doit cependant être modérée dans la mesure où elle ne s’applique pas sur l’ensemble du territoire français. Les départements d’Alsace-Moselle, la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Guyane et Mayotte connaissent d’autres régimes.
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Un nouvel équilibre s’instaure entre les groupes religieux et l’État. Dans la lignée de la loi de 1905, la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public du culte a consacré la possibilité que le culte public soit aussi organisé par les associations de la loi 1901 ou les réunions sur initiative individuelle. Intégré au pacte républicain, le principe de laïcité a été inscrit dans la Constitution de la Ve République du 4 octobre 1958 (art. 1) qui proclame la « République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». La liberté religieuse et la notion de séparation de l’État et des religions ont depuis fait leur place dans les textes internationaux (la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950, Pacte relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies 1966, Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne de 1957, Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000, etc.). À cet égard, la France est souvent présentée comme l’un des champions de la laïcité, ce terme lui étant d’ailleurs propre. Avec les évolutions sociétales des années 1960, la sécularisation et, dans une certaine mesure, l’anticléricalisme ont gagné du terrain dans une France qui tend à se déchristianiser. Dans les années 1990, la peur des phénomènes sectaires émergents a installé une certaine méfiance de l’opinion et des autorités envers les groupes religieux non issus des religions anciennement reconnues. Cela étant, au cours du dernier siècle, on note le passage d’une laïcité radicale et de combat à une laïcité plus apaisée et ouverte, davantage tournée vers la neutralité que l’opposition. De 1905 à nos jours, la loi de séparation n’a pourtant pas connu de modification substantielle et reste le socle d’un équilibre certain en France. Malgré les évolutions indéniables de la société française depuis un siècle, cette loi n’a pas été adaptée tant les questions de laïcité sont sensibles et révèlent des passions politiques et partisanes. C’est à la jurisprudence, notamment du Conseil d’État, qu’est revenu le rôle de garant de cet équilibre. 17
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5. Des questions renouvelées Un siècle après la loi de 1905, le paysage religieux français a fortement évolué, incluant une pluralité de religions, notamment la présence de la religion musulmane ou du bouddhisme presque inconnus au début du xxe siècle. À l’heure actuelle, la société française assiste à une tension certaine entre d’une part la sécularisation retranchant les religions dans la sphère privée et d’autre part la revendication accrue des religions pour une prise en compte équitable dans une société démocratique. L’équilibre ne se situe plus entre une religion dominante et un État indépendant, mais en termes d’égalité entre les différentes religions au sein d’un État laïque, héritier d’une empreinte catholique forte. Les questions de liberté religieuse dépassent désormais le cadre institutionnel de la loi de 1905 pour venir se poser dans les services publics, sur les lieux de travail, dans les écoles, dans les lieux publics, en termes de fiscalité. Ainsi, lois, règlements, jurisprudence ou circulaires administratives sont venus compléter, dans des domaines précis, l’équilibre institutionnel posé par la loi de 1905, sur fond d’une actualité parfois tendue (affaire du foulard islamique, lutte contre les dérives sectaires, prières de rue, etc.). Les religions 5 appellent désormais au maintien d’une lecture libérale de la loi de 1905 et à l’émergence d’une laïcité de bonne intelligence, dans laquelle les religions peuvent aussi contribuer au projet de société démocratique, sans en être mises à l’écart. Ces dernières décennies ont ainsi été animées par la volonté des gouvernements successifs de faire le point sur ces questions et de faire émerger un consensus politique sur le sujet, consensus encore en devenir. Pour ce faire, le dialogue avec les responsables religieux a été sollicité.
Colloque de la Conférence des responsables des cultes en France, 17 octobre 2011 : « Vécu et promesses de la laïcité dans le cadre de la loi de 1905 ».
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On notera les initiatives suivantes : – La Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République et son rapport remis au Président de la République le 23 décembre 2003, dit « Rapport Stasi 6 » ; – Le Rapport du Conseil d’État : Rapport public 2004 : jurisprudence et avis de 2003. Un siècle de laïcité 7� ; – La Commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics, dite « Commission Machelon », et son rapport remis au Président de la République le 20 octobre 2005 ; – Les circulaires ministérielles concernant les édifices du culte (2009), le support institutionnel des cultes (2009), le régime applicable dans les DOM TOM (2011) ; – Cinq arrêts du Conseil d’État du 19 juillet 2011, précisant l’interprétation à donner à la loi de 1905 ; – La publication du recueil de textes et de jurisprudence Laïcité et liberté religieuse en octobre 2011, – La mise en place de conférences départementales « Laïcité et liberté religieuse » depuis 2011. L’année 2012, année d’élection présidentielle, n’a pas fait l’impasse d’un débat de société sur ces questions sur lesquelles les partis politiques 8 émettent des recommandations et des intentions dans leurs programmes. Ainsi, l’histoire de la laïcité française continuera de s’écrire.
Voir sur le site de la Documentation française [en ligne]. URL : <http:// www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/034000725commission-de-reflexion-sur-l-application-du-principe-de-laicite-dans-larepublique> (page consultée le 18 septembre 2012). 7 Ibid. URL : <http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapportspublics/044000121-rapport-public-2004-jurisprudence-et-avis-de-2003.un-siecle-de-laicite> (page consultée le 18 septembre 2012). 8 On se souvient des polémiques autour du débat UMP sur la laïcité en mars 2011. 6
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Les discours politiques s’en inspirent, fort imprégnés d’une certaine idéologie sur la place des religions dans la société civile, place à géométrie variable. La laïcité a pour toile de fond la sécularisation, processus social de la dissociation des affaires de la cité et des convictions religieuses.
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