Ce manuel pratique répond à 8 questions d’étudiants sur la liberté d’expression en cours, la pose d’affiches, la distribution de flyers, la tenue de réunion dans les locaux universitaires et bien d’autres. En supplément : « 5 clés pour être libre de le dire à l’université ».
à l’université Étudiants,
ISBN 978-2-36249-300-3
9 782362 493003
Libre de le dire à l’université
L’université est un formidable forum d’échange, de découvertes et d’expression. Elle rassemble des étudiants de convictions très diverses. Comment alors vivre sa liberté de conscience et d’expression dans le cadre laïc de l’université et de l’enseignement supérieur ?
Faculté, lycée professionel et école supérieure 4,90 €
à l’université
Libre de le dire à l’université : Étudiants (Faculté, lycée professionnel et école supérieure) • Cnef © 2015 • BLF Éditions Rue de Maubeuge • 59164 Marpent • France www.blfeditions.com
Collection Libre de le dire • www.libredeledire.fr Édité sous la responsabilité du Cnef : Conseil national des évangéliques de France 123 Avenue du Maine • 75014 Paris • France www.lecnef.org • contact@lecnef.org • 01 43 21 12 78 Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés. Maquette : Jean Schott • www.studiozede.com Mise en page : BLF Éditions Impression n° XXXXX • IMEAF • 26160 La Bégude de Mazenc ISBN 978-2-36249-300-3
broché
Dépôt légal 3e trimestre 2015 Index Dewey (CDD 23) : 261.72 Mots-clés : 1. Liberté religieuse. Laïcité. 2. Liberté de conscience et de culte. Liberté d’expression.
à l’université Étudiants (Faculté, lycée professionnel et école supérieure)
Sommaire • Introduction
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• Libre de le dire au sein d’une université laïque
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• Libre d’exprimer mes convictions à l’université
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• Libre de pratiquer ma foi sur le campus ?
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• Libre de le dire : lycées, grandes écoles et stages
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Paroles d’étudiants
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5 clés pour être libre de le dire à l’université
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Libre de le dire à l’université : vrai ou faux ?
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• L’université : comment ça marche ?
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• Remerciements
77
6/
Introduction L’université est un lieu d’échange des savoirs et des opinions, non seulement pendant les cours mais aussi tout au long de la vie étudiante. Discussions entre étudiants, débats, tracts ou journaux d’associations, conférences organisées par des associations, événements culturels, fêtes et soirées, sites internet et réseaux sociaux, etc. les occasions ne manquent pas pour bousculer les préjugés, communiquer des messages et s’écarter des idées reçues. Dans ce contexte, quelle est la place des croyants ? Peuvent-ils, comme les autres, participer au libre échange des idées sur le campus ? La laïcité de l’université a-t-elle un impact sur la liberté de conscience et d’expression des étudiants ? Les professeurs de l’enseignement supérieur sont-ils plus libres d’exprimer leurs convictions religieuses que ceux des écoles, collèges et lycées ? Qu’en est-il dans les grandes écoles ? Et dans les classes préparatoires, les BTS dans les lycées et lors des stages étudiants ? Les convictions religieuses peuvent-elles circuler au même titre que les autres opinions ? Qu’en est-il des activités cultuelles sur les campus ? Voici quelques clés pour exercer sa liberté de conscience et d’expression avec équilibre au sein de l’enseignement supérieur.
Introduction
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Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (26 août 1789) Article 10
Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.
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Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales1 (4 novembre 1950) Article 9. Liberté de pensée, de conscience et de religion 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
1 La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, généralement connue sous le titre de Convention européenne des droits de l’homme (CESDH), a été signée par la France le 4 novembre 1950. Elle est entrée en vigueur en France le 3 mai 1974. Ses dispositions sont d’applicabilité directe en raison de la précision suffisante des droits qu’elle protège. La CESDH s’intègre donc dans l’ordre juridique interne français. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), sise à Strasbourg, veille sur l’application de la CESDH par les États membres. Sa jurisprudence permet de définir les droits protégés par la CESDH et de condamner les violations commises par les États membres.
Libre de le dire au sein d’une université laïque Code de l’éducation, Art. L.141-6 Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique.
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Laïcité à l’université : quelles conséquences pour les libertés ? Inscrite dans l’article premier de la Constitution de 19582, la laïcité est un principe qui s’appuie sur trois piliers : 1. la liberté de conscience, de pensée et de religion des individus (liberté pour chacun de choisir ses croyances et sa religion et liberté de culte), 2. la neutralité de l’État, de ses services et de ses agents en matière religieuse en raison de la séparation de l’État et des cultes et 3. le pluralisme qui implique le respect de toutes les croyances, même minoritaires, dans une société démocratique. Le principe de laïcité va de pair avec le principe d’égalité devant la loi. La liberté de manifester sa religion est également une liberté reconnue et garantie, entre autres, par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (art. 10), ainsi que par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (art. 9). Toutefois, ces mêmes textes admettent que puissent lui être posées des limites lorsqu’elles s’avèrent nécessaires pour protéger l’ordre public ou les droits d’autrui. L’enseignement supérieur public est, comme le précise le Code de l’éducation, un service public :
Extrait de l’article 1er de la Constitution Française du 4 septembre 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».
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Libre de le dire au sein d’une université laïque
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– laïque, – indépendant de toute emprise religieuse mais aussi politique, économique et idéologique, – respectueux de la diversité des opinions (donc, également des opinions religieuses), – garant de la liberté du développement scientifique, créateur et critique.
Code de l’éducation, Art. L.811-1 Les usagers du service public de l’enseignement supérieur sont les bénéficiaires des services d’enseignement, de recherche et de diffusion des connaissances et, notamment, les étudiants inscrits en vue de la préparation d’un diplôme ou d’un concours, les personnes bénéficiant de la formation continue et les auditeurs. Ils disposent de la liberté d’information et d’expression à l’égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels. Ils exercent cette liberté à titre individuel et collectif, dans des conditions qui ne portent
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pas atteinte aux activités d’enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l’ordre public. Des locaux sont mis à leur disposition. Les conditions d’utilisation de ces locaux sont définies, après consultation du conseil académique en formation plénière, par le président ou le directeur de l’établissement, et contrôlées par lui.
Laïcité à l’université : à qui s’impose la neutralité religieuse ? J’étudie à l’université
En tant que bénéficiaire des services d’enseignement, de recherche et de diffusion des connaissances dispensés par l’université, votre liberté d’expression à titre individuel et collectif n’est limitée que par les interdictions « d’exercer des pressions sur les autres membres de la communauté universitaire, d’avoir un comportement ostentatoire, prosélyte ou de propagande, de perturber les activités d’enseignement et de recherche et enfin de troubler le bon fonction-
Libre de le dire au sein d’une université laïque
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nement du service public3 ». La difficulté réside en particulier dans la qualification des activités en cause et dans l’adéquation de la mesure adoptée par l’université pour les prévenir ou y mettre fin.
Je travaille à l’université
En tant qu’agent de la fonction publique, vous devez incarner la neutralité du service public. Par conséquent, bien que vous ayez le droit d’avoir vos propres convictions religieuses, vous ne pouvez les manifester dans le cadre de vos fonctions.
Mais je suis enseignant-chercheur ou chercheur
Vous faites exception dans la fonction publique. En effet, la nature même de vos fonctions d’enseignement et de recherche requiert que vous jouissiez d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de vos activités, avec les réserves que vous imposent les principes de tolérance et d’objectivité4.
3 Code de l’éducation, art. L.811-1 et arrêt du Conseil d’État n° 170106 du 26 juillet 1996. 4 Code de l’éducation, art. L.952-2 et jurisprudence du Conseil constitutionnel, notamment la décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984, loi relative à l’enseignement supérieur. Pour plus de détails, voir p. 25.
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Je suis une personne extérieure
Sans autorisation dûment délivrée par l’université, vous ne pouvez de toute manière ni accéder à son campus ni à aucun de ses locaux. Pour les personnes extérieures, cette interdiction est généralement instituée dans les règlements intérieurs des universités, en vertu de l’article R.712-5 du Code de l’éducation : « Le règlement intérieur ou, à défaut, l’autorité responsable désignée à l’article R.712-1 fixe les règles relatives à l’accès dans les enceintes et locaux de l’établissement ».
Libre d’exprimer mes convictions à l’université Convention Européenne des droits de l’homme, (Conseil de l’Europe, 4 novembre 1950) Article 10 – Liberté d’expression
Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
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L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
Puis-je parler de mes convictions religieuses sur le campus ? Tout étudiant peut parler de ses convictions religieuses sur le campus avec d’autres étudiants à condition de ne pas porter atteinte aux droits et libertés d’autrui et de ne pas causer de trouble à l’ordre public. La liberté de pensée, de conscience et de religion et la liberté d’expression permettent le partage de toutes convictions, même religieuses, sur le campus. Il n’y a pas de censure des opinions.
Libre d’exprimer mes convictions à l’université
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Le principe de laïcité, qui s’applique à l’université en tant que service public, n’interdit pas l’échange et le débat autour des convictions des étudiants, qu’elles soient politiques, religieuses ou philosophiques. La laïcité est en effet le gage de la neutralité du service public, pas de celle de ses usagers. Elle n’empêche donc pas les étudiants de parler de leur foi sur le campus, d’exprimer leurs croyances, voire de renseigner les autres sur les fondements de leurs convictions ou d’essayer de les convaincre. La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs statué en ce sens dans l’arrêt Kokkinakis contre Grèce5, le 25 mai 1993, en indiquant que la liberté d’expression religieuse comporte « le droit d’essayer de convaincre son prochain », notamment par un enseignement, sans quoi « la liberté de changer de religion ou de conviction consacrée par l’article 9 de la CEDH resterait lettre morte ». Cela étant, ce « droit d’essayer de convaincre son prochain » est encadré pour éviter l’abus de droit. La CEDH a ainsi distingué « la vraie évangélisation » du « prosélytisme abusif6 », qui revêt des formes condamnables (offres d’avantages matériels ou sociaux, pressions abusives, « lavages de cerveaux », afin d’obtenir un changement de religion) et ne s’accorde pas avec le respect dû à la liberté de pensée, de conscience et de religion d’autrui.
CEDH, 25 mai 1993, Kokkinakis c. Grèce, GACEDH n° 56.
5
CEDH, 24 février 1998, Larissis et all. c. Grèce.
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18 / De manière générale, l’expression des idées ou des convictions doit également se faire dans le respect de l’ordre public, c’est-à-dire de la paix, la sécurité publique et la sûreté. Concrètement, il s’agira de ne pas provoquer d’attroupement, d’émeute, de manifestation ou nuisance sur le campus et d’éviter tout délit d’expression (injure, diffamation, propos discriminatoire, etc.). En dehors de ces cas assez rares, le partage des convictions n’a aucune raison d’être interdit.
Jean-Loup Salzmann, président de la Conférence des présidents d’universités (CPU) Les étudiants étant majeurs, le rôle de l’université n’est pas de les empêcher d’exprimer et d’afficher leurs opinions, également religieuses, mais de leur apprendre à respecter celles de leurs camarades et à en discuter, et cela tant que ces opinions sont dans le respect de la légalité7.
Cité dans Commission nationale consultative des droits de l’homme Avis sur la laïcité, NOR : CDHX1324398V (Assemblée plénière du 26 septembre 2013).
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Libre d’exprimer mes convictions à l’université
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Libre de tout dire ? Non. Comment respecter les droits d’autrui ? Comme dit l’adage, « ma liberté s’arrête là où commence celle des autres ». Si l’autre dispose d’un droit égal au mien au respect de sa liberté de conscience et d’expression, de sa vie privée, de sa réputation, du secret des correspondances, de sa dignité humaine, de son droit d’auteur, du droit à la présomption d’innocence, etc., je devrai répondre des abus de l’usage de ma propre liberté à son égard. L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen l’exprime en ces termes : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». La loi française établit ainsi des cas dans lesquels la liberté d’expression peut être limitée et sanctionnée. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit plusieurs infractions qui ne concernent pas uniquement les organes de presse et leurs agents, mais toute personne qui s’exprime publiquement, de façon orale ou écrite. Il s’agit notamment des délits8 de : Plusieurs articles traitent de cas divers : respect de la présomption d’innocence (art. 35 ter et quarter), du secret de l’instruction (art. 38), du secret de la filiation des personnes adoptées (art. 39 quarter), du secret de l’identité des personnes victimes d’agressions sexuelles (art. 39 quinquies), ou des agents travaillant dans certains services de sécurité de l’État (art. 39 sexies). L’article 41 prévoit en outre une immunité qui couvre les débats parlementaires et leurs retranscriptions, ainsi que les débats judiciaires s’agissant de l’outrage, l’injure et la diffamation dans certaines circonstances.
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20 / • Provocation aux crimes et délits, notamment à la haine ou à la violence ou à la discrimination à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap, en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (art. 24). • Contestation de l’existence d’un crime contre l’humanité (art. 24 bis). • Diffamation (toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé) (art. 32). • Injure publique (art. 33). Le respect de la vie privée9 des personnes interdit la communication d’images ou d’informations privées sans l’accord des personnes. Le droit d’auteur10 interdit également la reproduction d’œuvres de l’esprit sans l’accord de leur auteur, sauf exception (citation, parodie, etc.).
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Art. 9 du Code civil.
10
Code de la propriété intellectuelle, art. L.122-1 et suivants.
Libre d’exprimer mes convictions à l’université
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Conseil d’État, 28 septembre 2005, Memoli11 À propos d’un journal critique édité par un étudiant
Le Conseil d’État […] considérant […] que si M. MEMOLI a, dans le journal qu’il éditait, contesté les conditions de recrutement d’un maître de conférences en mettant en cause, parfois sur le mode satirique, cet enseignant et le doyen de la faculté, ces critiques n’ont pas été de nature à troubler l’ordre public ou à porter atteinte aux activités d’enseignement et de recherche ; que la teneur de ces journaux n’a, dès lors, pas dépassé les limites de la liberté d’expression des usagers du service public de l’enseignement supérieur à l’égard du fonctionnement de ce service public ; qu’il suit de là qu’en estimant que les faits énoncés ci-dessus avaient le caractère d’une faute de nature à justifier une sanction à l’encontre de M. MEMOLI, le conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche a donné à ces derniers une qualification juridique erronée.
11
Conseil d’État, 28/09/2005, n° 266026, Memoli.
22 /
Suis-je libre d’évoquer mes convictions religieuses ou un texte « religieux » lors d’un cours ? Il est possible d’évoquer des convictions religieuses ou un texte « religieux » lors d’un cours, sous réserve de ne pas porter atteinte au bon déroulement du cours. Selon l’article L.811-1 du Code de l’éducation « Ils [les étudiants] disposent de la liberté d’information et d’expression à l’égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels […]. Ils exercent cette liberté à titre individuel et collectif, dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d’enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l’ordre public. » En tant qu’usagers du service public, les étudiants ne sont pas soumis au principe de neutralité et peuvent donc parler de leurs convictions religieuses. Évoquer la foi ou un texte religieux en cours est ainsi un acte autorisé si le cours ne s’en trouve pas perturbé, dans son contenu et dans son déroulement. Les enseignants font d’ailleurs fréquemment appel à la culture religieuse ou à une connaissance étendue des textes religieux, dès lors que cela ouvre à une compréhension approfondie du sujet étudié. Dans le domaine des sciences sociales tels que l’histoire, la philosophie, ou encore le droit, le fait religieux, les textes religieux ou la théologie sont des sujets d’intérêt et d’études. Un étudiant peut donc prendre la parole pour citer un texte ou apporter un éclairage sur un sujet en rapport avec un texte religieux ou sa foi. Toutefois,
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dans cette situation, il s’agira d’apporter une information précise et étayée, qui enrichit le cours. L’étudiant ne pourra pas monopoliser la parole, refuser d’entendre les opinions contradictoires ou des textes religieux d’une autre confession par exemple. L’étudiant ne pourrait saisir l’occasion pour troubler le cours ou tenir des propos hors sujet ! Ordre public et enseignement seraient alors perturbés, ce qui pourrait justifier des sanctions contre l’étudiant. S’agissant de la question du prosélytisme, la simple évocation de la foi ou d’un texte religieux en cours ne constitue pas en soi un acte de prosélytisme. Tant que cette évocation reste en lien avec l’enseignement et respecte, dans sa forme, ordre public et liberté d’autrui, l’étudiant n’encourt aucune sanction pour s’être exprimé. L’enseignant qui aurait sanctionné un étudiant sur le seul fondement de ses opinions religieuses, vraies ou supposées, serait, quant à lui, auteur d’une discrimination.
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Les professeurs d’université sont-ils libres d’exprimer leurs convictions personnelles et religieuses ?
Code de l’éducation, art L. 952-2 Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité.
Alors que les agents du service public sont soumis au principe de neutralité du service public et que les enseignants du primaire et secondaire public sont soumis à une obligation de neutralité stricte, les professeurs d’université disposent d’une liberté d’expression presque entière.
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Dans le cadre de l’enseignement supérieur, les universitaires bénéficient d’une grande liberté d’expression, dans leurs cours et leurs écrits12 et en dehors du service. Comment justifier cette quasi totale liberté des professeurs à l’université ? L’article L.141-6 du code de l’éducation dispose que le service public de l’enseignement supérieur doit « garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique », ce qui implique une liberté étendue des enseignants du supérieur quant à l’expression de leurs idées. Cette liberté relève donc de l’intérêt même du service. Par ailleurs, la garantie de l’indépendance des professeurs d’université est considérée comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République, c’est-à-dire un principe à valeur constitutionnel, supérieur à la loi. La nature de l’auditoire justifie également la grande liberté d’expression des enseignants. En effet, contrairement aux précédents niveaux d’enseignement, les étudiants sont présumés être des adultes dotés d’un sens critique, susceptibles de faire la part des choses face aux opinions exprimées par le professeur. La liberté du professeur des universités n’est pourtant pas absolue. Elle est tout d’abord limitée par les principes de tolérance et d’objectivité13. Ainsi, lorsque le professeur entend donner un cours idéologiquement partial, il doit prévenir les étudiants qu’il expose des idées personnelles. Il ne doit pas exiger l’adhésion de 12
Conseil constitutionnel, 20 janvier 1984, déc. n° 83-165 DC. Pour aller plus loin, cf. O. Beaud, Les libertés universitaires à l’abandon ? coll. Les sens du droit. Paris : Dalloz, 2010.
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Code de l’éducation, L.952-2.
26 / l’ensemble des étudiants ou des autres enseignants à ses opinions et devra tolérer d’autres convictions, notamment lors des examens. En outre, le professeur devra éviter de soulever des questions excessivement polémiques, pendant le cours ou dans le choix d’un sujet d’un examen. Bien entendu, les limites générales à la libre expression s’appliquent aussi aux professeurs, s’agissant notamment des propos racistes, antisémites, des incitations à la haine, ou du prosélytisme abusif. Un certain devoir de réserve des universitaires a été reconnu dans le cadre des débats publics ou des discussions polémiques, en raison des devoirs et responsabilités propres aux enseignants14. S’agissant de l’expression de ses convictions religieuses, l’universitaire dispose d’une ample liberté. Il ne peut être sanctionné s’il exprime des opinions fondées sur sa foi, en cours, dans ses articles ou en dehors du service à partir du moment où il continue de présenter le savoir dans l’objectivité, c’est-à-dire à partir d’un raisonnement scientifique et critique, et dans la tolérance de l’expression d’autres convictions. Dans ses discussions avec les étudiants, il pourra aborder des sujets touchant à la foi mais s’interdira d’abuser de sa position d’enseignant pour provoquer l’adhésion ou convaincre. Le professeur d’université peut s’exprimer en toute conscience et indépendance, dans la mesure où il respecte la liberté et la critique des étudiants et de ses pairs et n’impose pas ses convictions.
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CEDH, Gollnisch c. France, 7 juin 2011 n° 48135/08.
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à l’université Étudiants,
ISBN 978-2-36249-300-3
9 782362 493003
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L’université est un formidable forum d’échange, de découvertes et d’expression. Elle rassemble des étudiants de convictions très diverses. Comment alors vivre sa liberté de conscience et d’expression dans le cadre laïc de l’université et de l’enseignement supérieur ?
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