Quelle est la mission de l'Église ? • Kevin DeYoung & Greg Gilbert

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Kevin DeYoung & Greg Gilbert Tout le monde semble avoir sa propre définition de la mission de l’Église : d’une Église à l’autre, d’une dénomination à l’autre, voire d’une génération à l’autre. Pour les uns, la mission de l’Église est de rétablir la justice et de pallier la souffrance dans ce monde. C’est ainsi que l’amour de Dieu se manifestera concrètement au quotidien. Pour d’autres, il s’agit surtout de ne pas perdre de vue la centralité de Dieu en toute chose. Ils soulignent donc que la mission de l’Église, c’est avant tout la proclamation de l’Évangile. Pourquoi un tel grand écart dans notre compréhension de l’objectif fondamental de l’Église ? Kevin DeYoung et Greg Gilbert ont une conviction : ces deux positions ne sont pas aussi éloignées qu’elles n’y paraissent. Le fossé peut être comblé. Pour cela, ils clarifient les concepts-clés tels que le royaume de Dieu, l’Évangile et la justice sociale. Leur travail essentiel consiste à préciser de la manière la plus biblique et complète possible ce qu’est la mission de l’Église. Leur message ? Rassemblons-nous sous une cause commune afin d’accomplir pleinement la vraie mission de l’Église.

Kevin DeYoung est pasteur. Il a écrit plusieurs livres dont Vie de fou, La faille dans notre sainteté et Croire Dieu sur Parole. Il est marié avec Trisha et ils ont six enfants.

Greg Gilbert est pasteur. Il a écrit plusieurs ouvrages dont Qu’est-ce que l’Évangile ? Il est marié avec Moriah et ils ont trois enfants.

17,90€

ISBN 978-2-36249-309-6

Publié au Canada par

éditions

cruciforme

9 782362 493096

Quelle est la mission de l’Église ?

Faut-il choisir entre le mandat missionnaire et la justice sociale ?

Kevin DeYoung & Greg Gilbert

Faut-il choisir entre le mandat missionnaire et la justice sociale ?



Le thème est d’une importance capitale pour nos Eglises locales, et les auteurs l’abordent avec fidélité biblique, clarté et charité. Que Dieu s’en serve pour Sa gloire à grande échelle en francophonie. James Hely Hutchinson, directeur, Institut Biblique Belge (Bruxelles)

« Kevin DeYoung et Greg Gilbert proposent un livre exceptionnellement équilibré qui saura corriger ou clarifier une grande diversité de points de vue à propos de la mission. Les chapitres concernant la justice sociale et notre motivation à pratiquer le bien ont été particulièrement bénéfiques. Que vous cherchiez activement à inviter les gens à se tourner vers l’Évangile tout en servant les plus démunis de ce monde, ou que vous hésitiez encore à vous engager dans la cause « missionnelle », ce livre vous aidera à vous situer dans le plan de Dieu qui consiste à réconcilier toutes choses avec lui-même en Christ. » Matt CHANDLER, pasteur de l’Église The Village (Texas, États-Unis)

« Jésus-Christ est le message le plus important qui soit et la plus grande mission consiste à livrer ce message. Mais avons-nous perdu de vue notre objectif ? Nous sommes-nous laissé distraire, parfois même par de bonnes choses ? Des chrétiens engagés ont des opinions profondément divergentes sur ce qui devrait constituer la mission et le ministère de l’Église : Kevin DeYoung et Greg Gilbert nous ramènent donc à l’essentiel. Ce livre offre une sagesse équilibrée et un encouragement. Il suscite également un certain malaise, puisque nous avons tous besoin d’être dérangés au sein de notre existence un peu trop confortable. Cette lecture saine et biblique vient à point. » Michael Horton, professeur de théologie systématique et d’apologétique au Westminster seminary (Californie, États-Unis)


« Kevin DeYoung et Greg Gilbert ont rédigé un ouvrage important sur un sujet important. Juste, remarquablement honnête et plein d’observations pénétrantes, ce livre témoigne d’un travail exégétique soigné : les versets y sont non seulement cités, mais aussi examinés dans leur contexte. La portée d’une idée est considérée dans son ensemble : depuis son expression dans l’Église locale jusqu’à sa source dans les Écritures. On obtient ainsi un livre nuancé et clair, utile et agréable à lire. Ouvrez ce livre… vous voudrez également ouvrir la Bible et votre pensée pour réfléchir sur des sujets aussi variés que la justice, le capitalisme, la miséricorde et l’amour. » Mark Dever, pasteur de l’Église Capitol Hill (Washington DC)

« Kevin DeYoung et Greg Gilbert font la lumière sur certaines questions contemporaines des plus complexes auxquelles l’Église doit faire face. Ils se concentrent résolument sur la nature rédemptrice de l’Évangile et présentent la mission de l’Église, de même que des moyens pratiques pour la comprendre et la vivre. Ce livre sera très utile aux pasteurs, aux experts en missiologie, aux théologiens et à tous les croyants. » David Sills, professeur de mission chrétienne et d’anthropologie culturelle à Faye Stone, directeur du programme de doctorat en missiologie au Southern baptist theological seminary (États-Unis)


Kevin DeYoung & Greg Gilbert

Faut-il choisir entre le mandat missionnaire et la justice sociale ?


Édition originale publiée en langue anglaise sous le titre : What is the Mission of the Church ? Making sense of social justice, shalom, and the great commission Kevin DeYoung & Gregory D. Gilbert © 2011 • Kevin DeYoung & Gregory D. Gilbert Crossway • 1300 Crescent Street • Wheaton, IL 60187 • USA Traduit et publié avec permission. Tous droits réservés. Édition en langue française : Quelle est la mission de l’Église ? Faut-il choisir entre le mandat missionnaire et la justice sociale ? • Kevin DeYoung et Greg Gilbert © 2015 • BLF Éditions • www.blfeditions.com BLF Éditions • Rue de Maubeuge • 59164 Marpent • France Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés. Publié au Canada par Éditions Cruciforme • editionscruciforme. org Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés. Traduction : Mario Lessard Couverture : Visu’elle création • www.visuellecreation.fr Mise en page : Laury Grimard, BLF Éditions Impression n° XXXXX • Sepec • Rue de Prony • 01960 Péronnas • France Sauf mention contraire, les citations bibliques sont tirées de la Nouvelle Version Segond révisée (Colombe), Alliance biblique universelle, © 1978. Les autres versions sont indiquées en toutes lettres sauf la Nouvelle Édition de Genève (NEG), la Nouvelle Bible Segond (NBS), Parole de vie (PDV), et la Traduction œcuménique de la Bible (TOB). ISBN : 978-2-36249-309-6 broché ISBN : 978-2-36249-310-2 numérique

Dépôt légal 4e trimestre 2015 Index Dewey : 262.7 – cdd23 Mots-clés : 1. Mission de l’Église. 2. Justice sociale. Aspects religieux. Christianisme.


À Collin, Josh, Justin, et Tullian : merci d’avoir contribué à notre croissance, d’avoir ri et partagé votre « crazy bread » avec nous.



Table des matières Remerciements...............................................................................9

PREMIÈRE PARTIE Comprendre notre mission CHAPITRE UN

Un mot connu qui nécessite une définition soignée.............13 CHAPITRE DEUX

Mais qu'est-ce que Jésus nous envoie faire dans le monde ?... 29

DEUXIÈME PARTIE Connaître les différents aspects de notre mission CHAPITRE TROIS

La grande histoire.............................................................. 71 Considérer le récit biblique à partir du mont Golgotha........................71 CHAPITRE QUATRE

N'avons-nous rien compris à l'Évangile ?........................... 97 La Bonne Nouvelle............................................................................97 CHAPITRE CINQ

Rois et royaumes............................................................. 121 Comprendre le règne rédempteur de Dieu..........................................121 CHAPITRE SIX

Comprendre ce qu'est la justice sociale............................ 149 Présentation....................................................................................149


CHAPITRE SEPT

Comprendre ce qu'est la justice sociale........................... 185 Application....................................................................................185 CHAPITRE HUIT

La recherche de la shalom............................................... 211 Comprendre les nouveaux cieux et la nouvelle terre...........................211

TROISIÈME PARTIE Comprendre ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons CHAPITRE NEUF

Zélés pour les bonnes œuvres......................................... 243 Comment et pourquoi les chrétiens pratiquent-ils le bien, individuellement et collectivement...................................................243 CHAPITRE DIX

La mission du mandat missionnaire................................ 263 Sa définition et son importance.......................................................263 ÉPILOGUE

Alors, vous voulez démarrer un nouveau genre d'Église ?.273 Quelques conseils pour chrétiens jeunes, motivés et missionnels...........273

Index des références bibliques............................................. 295


Remerciements Qu’il est bon de rédiger ces remerciements, car dire « merci » est agréable ! Nous ne pouvons malheureusement pas citer tous ceux qui le méritent. Nous voulons remercier les éditeurs de Crossway pour leur intérêt. Ils se sont empressés de transformer un concept intéressant en une lecture engageante. Nous remercions aussi Andrew Wolgemuth pour son appui et pour ses conseils avisés. Nous aimons nos Églises : la University reformed Church et la Third avenue baptist Church. Quel privilège de vivre la mission à vos côtés ! Mille mercis à Justin Taylor. Tu es un ami, un éditeur, un penseur et un soutien de grande qualité. Ce projet n’aurait jamais existé sans vous. Nous sommes heureux de compter parmi nos amis Collin, Tullian, Josh et Justin, qui nous encouragent et nous font rire. Merci notamment à Mark Dever, Don Carson et Tim Keller qui ont lu le manuscrit et nous ont offert leurs précieux commentaires. Leur implication a enrichi cet ouvrage. Bien sûr, nous ne prétendons pas qu’ils étaient tous en parfait accord avec chaque iota de ce livre. Enfin, nous voulons remercier nos familles. Nous vous aimons profondément, bien qu’imparfaitement. 9



PREMIĂˆRE PARTIE

Comprendre notre mission



CHAPITRE UN Un mot connu qui nécessite une définition soignée Si tout est mission, rien n’est mission. – Stephen Neill

Si vous lisez ce livre, vous êtes probablement chrétien. Dans ce cas, vous vous intéressez probablement à l’Église. Si vous êtes engagé dans une Église, vous vous êtes sans doute demandé un jour : Mais finalement, quel est notre objectif ? Si vous êtes pasteur, vous avez peut-être déjà réfléchi à cette question : Chaque groupe de l’Église se concentre sur son propre programme et se passionne pour sa propre cause, mais nous dirigeons-nous ensemble vers un but commun ? Que vous soyez un homme d’affaires chrétien ou mère au foyer, vous vous êtes sans doute un jour demandé : Je sais que, d’une manière générale, nous sommes censés glorifier Dieu. Mais quelle est précisément sa volonté pour notre Église ? 13


Quelle est la mission de l'Église ?

Toutes ces questions sont reliées à une même préoccupation : quelle est la mission de l’Église ? Cette question n’est pas aussi simple qu’elle en a l’air. Elle pourrait même occasionner toutes sortes de divisions entre nous. Qu’entendons-nous par mission ? La mission de l’Église consiste-t-elle à faire des disciples, ou plutôt à accomplir de bonnes œuvres ? Ou les deux à la fois ? La mission de l’Église et la mission de Dieu sont-elles identiques ? Chaque chrétien est-il responsable d’accomplir la mission de l’Église ? Est-elle le prolongement de la mission de Jésus ? Si oui, quelle était donc cette mission ? Ces questions en soulèvent d’autres : quel rôle l’Église devrait-elle jouer dans la recherche de la justice sociale ? Que signifie en fait cette expression ? Sommes-nous en train de l’employer à juste titre ? Dieu attend-il de l’Église qu’elle change le monde ? Doit-elle s’engager activement dans la transformation des structures sociales ? Qu’en est-il du royaume ? Comment bâtir le royaume de Dieu ? Sommesnous réellement en mesure de le faire ? De quelle manière le royaume est-il associé à l’Évangile ? Quels sont les liens qui rattachent cet Évangile à l’ensemble de la trame biblique ? Et quel est le lien entre tout cela et la mission ? Malgré la complexité de ces questions, les chrétiens évangéliques parviennent tout de même à s’entendre sur plusieurs points concernant la mission : • L’Évangile est fondamentalement la bonne nouvelle de la mort et de la résurrection de Jésus ; • La proclamation de l’Évangile est essentielle au témoignage de l’Église ; • Le ciel et l’enfer existent réellement ; • Les gens sont perdus sans Jésus ; • Le corps physique de même que l’âme sont des réalités importantes ; 14


Un mot connu qui nécessite une définition soignée

• Les bonnes œuvres ne sont pas facultatives, puisqu’elles sont le fruit de vies transformées. Cependant, il nous faut obtenir un consensus solide et durable concernant les priorités de la mission et les moyens de l’accomplir. Pour ce faire, nous devrons dépasser le stade des généralités. Nous devrons édifier notre théologie de la mission en définissant nos bases et en érigeant des principes appropriés. En d’autres termes, il nous faut saisir le sens de certains concepts-clés tels que : le royaume, l’Évangile et la justice sociale. Notre interprétation de la mission de l’Église n’en sera que plus biblique. Nous serons capables d’obéir à Christ plus concrètement et plus librement : ce sera plus fructueux à long terme.

Qu’est-ce que la mission ? Avant de tenter de répondre à la question, nous devons reconnaître sa complexité. Avant même de pouvoir comprendre la mission de l’Église, nous devons définir le mot mission. À la différence de mots tels que alliance, justification et Évangile, le mot mission ne se trouve pas dans la Bible. Déterminer ce qu’il représente pour le croyant est donc particulièrement difficile. Nous pourrions étudier le mot Évangile et parvenir à une signification biblique juste (et nous le ferons plus loin dans cet ouvrage1). La définition du terme mission est plus compliquée. D’une part, le verbe latin mittere correspond au grec apostelleîn, qui apparaît 137 fois dans le Nouveau Testament. La mission n’est donc pas un concept extra-biblique. D’autre part, on ne trouve pas la forme nominale du mot mission dans la Bible, ce qui complique notre question. 1 Cf. Greg Gilbert, Qu’est-ce que l’Évangile ? Lyon : Clé, 2012, et Don Carson, « What is the Gospel ? – Revisited », in Sam Storms (éd.), Justin Taylor (éd.) For the fame of God’s name : Essays in honor of John Piper, Wheaton (USA) : Crossway, 2010, p. 147-170. 15


Quelle est la mission de l'Église ?

Notre réponse à la question « quelle est la mission de l’Église ? » dépendra donc largement de notre définition de cette « mission ». Les uns pourraient proposer qu’elle consiste à glorifier Dieu et à jouir de sa présence à jamais, car c’est là notre destinée ultime en tant que croyants rachetés. D’autres pourraient affirmer qu’aimer Dieu et son prochain décrit mieux notre mission, car ce sont là les plus grands commandements. D’autres encore pourraient dire que l’expression croire et obéir reflète mieux l’essence de la mission, car voilà le grand appel du message de l’Évangile. Il serait absurde d’essayer de défendre exclusivement l’une ou l’autre de ces réponses. Si la mission consiste tout simplement à vivre fidèlement sa vie chrétienne, il y a donc de nombreuses réponses possibles à la question « quelle est la mission de l’Église ? ». Il serait toutefois plus sage de préciser la définition d’un mot si commun. Nous n’avons jamais rencontré de chrétien qui s’opposait à la mission. En fait, toutes les Églises que nous avons connues déclarent leur passion pour la mission. Nous devrions tenter de clarifier l’objet d’un tel consensus. Les chrétiens ont toujours saisi l’importance de définir soigneusement certains termes théologiques comme trinité, essence ou inerrance2. La théologie n’irait pas loin si elle ne portait pas une attention particulière aux distinctions et aux définitions. Pourquoi donc ne pas travailler à une définition du terme mission ? Les chrétiens parlent souvent de voyages missionnaires, de champs missionnaires et d’œuvres missionnaires. Il semblerait donc logique d’essayer de préciser ce dont ils parlent. La signification des mots peut, certes, évoluer avec le temps. Dans cinquante ans, notre définition actuelle aura peut-être évolué. Nous devons néanmoins en 2 Dans son célèbre traité The End for which God created the world, Jonathan Edwards distingue même entre une fin première, une fin ultime, une fin inférieure et une fin subordonnée. Cf. John Piper, God’s passion for his glory : Living the vision of Jonathan Edwards, Wheaton : Crossway, 2006. 16


Un mot connu qui nécessite une définition soignée

proposer une définition plus précise. Ne serait-ce que parce que, comme Stephen Neill le dit, non sans ironie : « Si tout est mission, rien n’est mission3 ». Mais par où commencer ? Dans son ouvrage de référence Transforming mission, David Bosch énonce à juste titre que : « Depuis les années 1950, on note une remarquable recrudescence de l’emploi du terme mission parmi les chrétiens. Ce phénomène a entraîné une vision beaucoup plus vaste du concept, du moins dans certains milieux4 ». À une certaine époque, on associait presque toujours le terme mission aux chrétiens envoyés dans une autre culture pour convertir des païens et implanter des Églises. De nos jours, le terme revêt une connotation plus large. Servir une cause environnementale est une mission. Le renouveau communautaire est une mission. Bénir son prochain est une mission. La mission est ici ou là-bas… La mission, c’est partout. Nous sommes tous des missionnaires. Christopher Wright remet en cause l’affirmation de Stephen Neill en ces termes : « Si tout est mission… tout est mission5 ». L’ambiguïté du terme mission se trouve encore accentuée par la récente prolifération de néologismes tels que missionnel et missio Dei. Il n’est pas étonnant de voir Bosch conclure un peu plus loin : « En fin de compte, la mission demeure indéfinissable6 ». La recherche d’une définition de base n’est peut-être pas chose impossible. Avant d’abandonner son projet de 3 Cité par Keith Ferdinando, « Mission : A problem of definition », Themelios, vol. 33, n° 1, mai 2008. URL : < http://themelios.thegospelcoalition.org/article/mission-a-problem-of-definition > (consulté le 27/10/2015). 4 David Bosch, Transforming mission : Paradigm shifts in theology of mission, New York : Orbis, 1991, p. 1. 5 Christopher Wright, The Mission of God’s people : A biblical theology of the Church’s mission, Grand Rapids : Zondervan, 2010, p. 26 (italiques ajoutés). Le désaccord ne devrait toutefois pas être exagéré. Neill inclut un large éventail d’activités chrétiennes, mais il les place à l’intérieur d’une théologie juste de l’Église et d’une théologie juste du ministère. En d’autres mots, la mission n’est pas tout, mais cela ne signifie pas que l’Église n’accomplit qu’une seule œuvre. Merci à David Reimer d’avoir attiré notre attention sur ce point. 6 Ibid., p. 9. 17


Quelle est la mission de l'Église ?

définition, Bosch reconnaît qu’à l’origine, le terme mission présupposait tout au moins « un expéditeur, une personne ou des personnes envoyée(s) par l’expéditeur, des gens qui reçoivent les envoyés, et une tâche à accomplir 7 ». Bosch semble être sur la bonne piste, même si sa théologie de la mission voit plus large que le présent ouvrage, et même s’il rejette plusieurs acceptions traditionnelles de ce terme. Au sens strict, le terme mission renferme deux implications pour la plupart des gens : (1) être envoyé (2) pour accomplir une tâche. Le premier point concorde avec la racine latine mittere qui signifie « envoyer ». Le second point découle du premier. Lorsque nous sommes envoyés, c’est pour accomplir une tâche précise… et non pas toutes les tâches. Nous sommes affectés à un travail en particulier. Pour le commun des mortels, le sens du terme mission est assez évident. Par exemple, dans la vieille série télé Mission impossible, l’acteur Peter Graves était toujours censé atteindre un objectif précis. Les grandes entreprises dépensent chaque année des millions pour affiner leur « énoncé de mission ». Certaines chaînes de restauration rapide placardent même leur « mission » sur les murs de leurs établissements pour nous assurer qu’ils sont fermement déterminés à nous servir les meilleurs hamburgers de la ville. Tout le monde comprend qu’une mission est l’objectif premier que l’on cherche à atteindre. Toute organisation définit ce quelque chose qui le différencie des autres organisations, ce qu’elle veut vraiment faire. C’est sa priorité, c’est sa mission. Nous pensons qu’il en va de même pour l’Église. Dans son étude sur la mission dans l’Évangile selon Jean, Andreas Köstenberger propose une définition très pratique qui suit la même logique : « La mission est la tâche ou l’objectif spécifique qu’une personne ou un groupe veut accomplir ». Notons à nouveau les concepts-clés : être 7 Ibid., p. 1. 18


Un mot connu qui nécessite une définition soignée

envoyé pour accomplir une tâche. De la même manière, John Stott défend que la mission, ce n’est pas tout ce que l’Église a l’habitude de faire, mais plutôt « tout ce que l’Église est appelée à réaliser dans ce monde ». Si vous demandez à la plupart des chrétiens : « Quelle est la mission de l’Église ? », ils comprendront que vous leur demandez : « Dans quel but précis et pour accomplir quelle tâche l’Église a-t-elle été envoyée dans le monde ? ». Voilà notre définition pratique du terme mission tel que nous l’utilisons dans ce livre.

Corriger la correction Nous espérons sincèrement que cet ouvrage contribuera positivement à la discussion en cours sur la mission, si nécessaire dans le monde évangélique. Nous voulons adopter un ton positif. Nous voulons rester dans une logique de construction, non de destruction. Nous devrons cependant corriger certaines erreurs. C’est inévitable. Nous voulons notamment revenir sur une définition trop large selon laquelle la mission se réduirait à toute bonne œuvre accomplie par un chrétien, en partenariat avec Dieu, dans sa mission de rédemption pour le monde entier8. Nous ne sommes pas antimissionnels9. Mais peu à peu, le terme missionnel en est venu à signifier simplement être « en mission ». Être missionnel, c’est être conscient que tout ce que nous faisons doit servir à la mission de l’Église. C’est être engageant et centré sur les autres, agir en bon Samaritain envers ceux qui ne partagent pas sa foi et établir 8 Par exemple, Reggie McNeal dit que « l’Église missionnelle est le peuple de Dieu en partenariat avec Dieu dans le cadre de sa mission rédemptrice dans le monde ». Missional renaissance : Changing the scorecard for the Church, San Francisco : Jossey-Bass, 2009, p. 24. 9 Il va sans dire que nous ne sommes pas contre nos frères des réseaux Acts 29 et Redeemer. Ce livre n’a pas été écrit pour les critiquer, et nous sommes certains qu’ils partagent notre désir d’accorder la priorité à la proclamation de l’Évangile et la formation de disciples dans la mission de l’Église. 19


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une stratégie sanctifiée, afin d’attirer de façon intentionnelle ceux qui ne connaissent pas le Christ. Autrement dit, nous devons « sortir de notre saint cocon et nous impliquer dans le tissu social pour la cause de l’Évangile ». Nous sommes tous d’accord sur ce point. Tous les chrétiens devraient l’être. Nous ne dénigrons pas, évidemment, tout chrétien qui oserait ajouter le suffixe -nel à mission. Loin de nous l’idée de calomnier nos nombreux amis qui utilisent ce mot de bon cœur et, habituellement, à propos. Derrière ce terme, se dissimulent cependant toutes sortes de concepts qui n’ont rien à voir avec la mission. Être sur ses gardes chaque fois que le mot est mentionné, ce n’est donc pas une bonne chose, mais il serait sage de manifester certaines réserves quant à son usage potentiel. Nous exprimons donc quelques soucis quant à la manière dont la pensée missionnelle a pu façonner la discussion sur la mission de l’Église : 1. Nous nous inquiétons du fait que certains comportements soient parfois encouragés dans un mauvais contexte. Par exemple, certaines bonnes œuvres sont rangées dans la catégorie « justice sociale », alors que nous pensons qu’elles seraient davantage à leur place dans la catégorie « aimer son prochain ». Ou encore, certains parlent de transformer le monde, alors que nous pensons qu’« assurer une présence fidèle » décrirait plus adéquatement ce que nous essayons de réaliser et ce que nous sommes en mesure d’accomplir dans ce monde. Parfois, des chrétiens bien intentionnés parlent de « construire le royaume » ou de « bâtir pour le royaume », alors que les verbes associés au royaume se déclinent presque toujours à la forme passive (entrer, recevoir, hériter). Il serait préférable de parler de vivre en tant que citoyen du royaume, plutôt que de dire à nos pairs que nous devons construire le royaume.

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2. Nous nous inquiétons du fait que notre nouveau zèle missionnel ait pour effet d’accabler les chrétiens de « devoirs » là où nous devrions plutôt leur présenter d’encourageants « pouvoirs » : vous devriez agir contre le trafic d’êtres humains ; vous devriez agir pour contrer la propagation du sida ; vous devriez agir en faveur d’un bon système d’éducation publique. Parler de « devoir » implique que, si nous, en tant qu’Église, n’affrontons pas ces problèmes, nous sommes désobéissants. Nous pensons qu’il vaudrait mieux inviter individuellement chaque chrétien à essayer de résoudre ces problèmes en tenant compte de ses dons et de son appel, plutôt que de culpabiliser l’Église parce qu’elle ne s’en soucie pas. 3. Nous nous inquiétons du fait que, dans notre passion pour revitaliser la communauté et nous attaquer aux problèmes sociaux, nous courions le risque de marginaliser ce qui est au cœur de la mission chrétienne : faire des disciples de Jésus-Christ. Avant de pousser plus loin notre correction de l’usage du terme missionnel, précisons dès maintenant ce que nous voulons et ne voulons pas accomplir par cet ouvrage. Nous ne voulons pas encourager les chrétiens à : • Demeurer indifférents devant la souffrance de leur entourage et du reste du monde. • Penser que l’évangélisation est la seule chose qui compte dans la vie. • Penser que leur sacrifice et les risques qu’ils prennent pour aider les pauvres et les marginalisés sont douteux ou ne sont louables que s’ils se traduisent par des conversions.

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• Se réfugier dans de « saints cocons » ou à demeurer béatement indifférents à l’idée de déployer tout leur zèle pour avoir un impact là où Dieu les appelle. • Cesser d’imaginer des manières créatives et courageuses d’aimer leur prochain et d’influencer leur environnement social. Nous voulons souligner chacun de ces points, les marquer d’un astérisque, les surligner et les graver sur notre cœur. Il serait trop facile d’en rester à une compréhension intellectuelle tout en négligeant notre cœur et nos actions. Ceci étant dit, voici ce que nous voulons accomplir : • Nous voulons nous assurer que l’Évangile – la bonne nouvelle de la mort de Christ pour le péché et de sa résurrection – ait une place de première importance dans nos Églises. • Nous voulons voir les chrétiens libérés de la fausse culpabilité : libérés de l’idée que l’Église est soit responsable de la plupart des problèmes du monde, soit chargée de résoudre ces problèmes. • Nous voulons que la tâche bien unique et explicite de l’Église, qui consiste à faire des disciples de JésusChrist à la gloire de Dieu le Père, occupe le centre et l’avant-scène. Qu’elle ne soit pas perdue dans le tumulte d’autres causes aussi louables soient-elles. • Nous voulons que les chrétiens comprennent la trame de la révélation biblique et soient plus capables de la discerner lorsqu’ils lisent certains textes bibliques. • Nous voulons que l’Église se souvienne toujours qu’il y a pire que la mort et meilleur que l’épanouissement personnel. Si notre espérance réside seulement dans 22


Un mot connu qui nécessite une définition soignée

des villes renaissantes et des corps restaurés dans la vie présente, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes. En cherchant à rectifier certains aspects de la pensée missionnelle, nous prenons conscience que cette pensée tente elle-même de corriger certains abus de la missiologie traditionnelle. Et ces deux rectifications sont parfois nécessaires. Nous espérons qu’aucun chrétien évangélique ne dira (ou même ne pensera) : « Bah, laisse tomber. Peu importe la nourriture ou l’eau pour les pauvres. Peu importe le problème du sida. Donnons-leur l’Évangile pour leur âme et ignorons les besoins de leur corps ». La pensée missionnelle s’indigne contre une telle attitude. Mais de la même manière, nous espérons qu’aucun croyant évangélique ne dira (ou même ne pensera) l’inverse : « Partager l’Évangile pourrait offenser quelqu’un et nous devons éviter à tout prix d’offenser les gens. Il suffit que les pauvres reçoivent une formation pour travailler, des soins de santé et une bonne éducation. Le monde a besoin de plus de nourriture, pas plus de prédications ». Nous espérons que la pensée missionnelle s’élève aussi contre cela.

Prions pour l’humilité et la compréhension À vrai dire, chaque parti peut apprendre de l’autre, et nous devons veiller, dans nos rectifications mutuelles, à ne pas surcompenser. Au mieux, les penseurs missionnels mettent l’Église en garde contre un manque de compassion et de prise en charge des problèmes qui l’entourent. Cette indifférence négligerait l’intégrité de la personne et trahirait une pensée dualiste. D’autres chrétiens craignent quant à eux les rêves trop optimistes et utopiques (et épuisants), ainsi que la perte d’une perspective centrée sur Dieu, et l’atténuation du message pressant de l’Église : Christ crucifié pour des pécheurs destinés à l’enfer. 23


Quelle est la mission de l'Église ?

Ces deux visions extrêmes nous mettent en danger. Nous admettons qu’en rédigeant ce livre, nous sommes plus vigilants devant les périls du second danger. Un des objectifs de ce livre est en effet de protéger l’Église contre ces erreurs. Mais nous comprenons bien que plusieurs chrétiens, peutêtre même nous deux, courent le risque de négliger parfois l’homme blessé sur le chemin de Jéricho. Une des difficultés de ce livre, sans doute la plus considérable, est que nous puissions être perçus comme deux types qui n’obéissent que superficiellement à l’appel aux œuvres bonnes. Pire encore, que nous soyons réellement de tels hommes ! Bien sûr, nous espérons que ce livre permettra aux chrétiens de mieux appréhender certains textes controversés et de considérer leur service dans le monde sur la base de meilleurs critères. Nous serions cependant très déçus d’apprendre que ce livre décourage toute initiative pour un amour total et la générosité envers ceux qui souffrent. Loin d’être de parfaits exemples, nous avons tous les deux souvent donné à ceux qui souffrent et nous avons soutenu des organisations et des individus qui œuvrent pour soulager la douleur. Nos deux Églises sont impliquées dans des ministères d’aide sur le plan national et international. Bref, nous voulons être, avec tous les frères et sœurs de nos Églises, et tous nos lecteurs, le genre de « personne juste » décrit par Tim Keller, comme « vivant dans l’honnêteté, l’équité et la générosité dans tous les aspects de sa vie10 ». Toutefois, ce livre ne traite pas de la « justice généreuse ». Il traite de la mission de l’Église. Nous voulons aider les chrétiens à relier harmonieusement leurs visions de la mission de l’Église afin de la vivre d’une façon plus fidèle sur le plan théologique, plus attentive sur le plan exégétique, et plus durable sur le plan personnel. 10 Timothy Keller, Generous justice : How God’s grace makes us just, New York : Dutton, 2010, p. 17. 24


Un mot connu qui nécessite une définition soignée

Une approche pastorale Dès le début d’un livre, mieux vaut savoir à quoi s’attendre. Nous ne sommes pas des érudits qui s’adressent à d’autres érudits bibliques ou théologiques. Nous verrons plusieurs textes et nous réagirons souvent à des sujets théologiques (d’une manière responsable, nous l’espérons), mais nous n’essaierons pas de produire un savant ouvrage de théologie biblique sur la mission. Nous ne cherchons pas à dire aux comités de mission ce qu’ils doivent faire ni à montrer aux missionnaires comment accomplir leur travail, même si nous espérons que cet ouvrage pourra leur être utile. Nous sommes des pasteurs qui écrivent pour le chrétien « moyen » et pour le pasteur « ordinaire » qui cherchent un peu de clarté dans ce tourbillon de questions sur le sujet de la mission. Suite aux nombreuses conversations que nous avons eues par écrit, en ligne et en personnes, il est clair pour nous que le sujet de la mission (et ses sujets dérivés comme le royaume, la justice sociale, la shalom, le mandat social et les soins pour les pauvres) est une source de beaucoup de confusion. Très débattu, brûlant et potentiellement explosif dans l’Église évangélique actuelle. Il représente assurément une ligne de fracture potentielle au sein de ce mouvement que l’on qualifie souvent de « jeune, agité et réformé ». Au cours de notre recherche, nous avons lu de nombreux blogs, des articles et toute une pile de livres. De temps à autre, nous en citerons quelques-uns afin d’interagir avec des personnes bien réelles et leurs idées. Cependant, nous ne mentionnerons pas une somme considérable de recherche pour deux raisons : (1) pour ne pas distraire le lecteur en le gavant de notes de bas de page, et (2) pour ne pas donner l’impression que nous tentons de décrire précisément l’Église missionnelle. Nous ne cherchons pas à définir le mouvement missionnel, et nous n’essayons pas de distinguer les bons des méchants dans le paysage missiologique. Nous ne voulons 25


Quelle est la mission de l'Église ?

pas que ce livre soit du type « eux contre nous ». Mais ce que nous voulons, c’est répondre aux objections potentielles et interagir avec les différentes approches missiologiques. D’où nos efforts pour lire le plus grand nombre possible de livres sur le sujet11.

De retour à notre question Alors ? Quelle est donc la mission de l’Église ? Le suspense a assez duré. En bref, nous défendrons l’idée que la mission de l’Église est résumée par les passages qui relatent le grand ordre de mission12, les instructions cruciales que Jésus a 11 Voici certains des livres que nous avons lus en partie ou (le plus souvent) au complet : Stott, Mission chrétienne dans le monde moderne ; Lesslie Newbigin, The Gospel in a pluralist society, Grand Rapids : Eerdmans, 1990 ; Newbigin, The Open secret : An introduction to the theology of mission, Grand Rapids : Eerdmans, 1994 ; Bosch, Transforming mission ; Peter Köstenberger, Gospel and mission in the writings of Paul : An exegetical and theological analysis, Grand Rapids : Baker, 1995 ; Darrell Guder (éd.), Missional Church : A vision for the sending of the Church in North America, Grand Rapids : Eerdmans, 1998 ; Köstenberger, The Missions of Jesus and the disciples according to the fourth Gospel ; James Engel and William Dyrness, Changing the mind of missions, Downers Grove : IVP, 2000 ; Andreas Köstenberger et Peter O’Brien, Salvation to the ends of the earth : A biblical theology of mission, Downers Grove : IVP, 2001 ; Mark Gornik, To live in peace : Biblical faith and the changing inner city, Grand Rapids : Eerdmans, 2002 ; Cornelius Plantinga, Engaging God’s world : A Christian vision of faith, learning, and living, Grand Rapids : Eerdmans, 2002 ; Eckhard Schnabel, Early christian mission, 2 vols., Downers Grove : IVP, 2004 ; Albert Wolters, Creation regained : Biblical basics for a reformational worldview, Grand Rapids : Eerdmans, 2005 ; David Hesselgrave, Paradigms in conflict : 10 key questions in christian missions today, Grand Rapids : Kregel, 2006 ; Ed Stetzer et David Putnam, Breaking the missional code : Your Church can become a missionary in your community, Nashville : B & H, 2006 ; Christopher Wright, La Mission de Dieu, Charols : Excelcis, 2012 ; Craig Van Gelder, The Ministry of the missional Church : Community led by the Spirit, Grand Rapids : Baker, 2007 ; Alan Hirsch, The Forgotten ways : reactivating the missional Church, Grand Rapids : Brazos, 2007 ; McNeal, Missional renaissance ; James Hunter, To Change the world : The irony, tragedy, and possibility of christianity in the late modern world, New York : Oxford University Press, 2010 ; Tim Keller, Generous justice ; John Piper, Que les nations se réjouissent !, Marpent : BLF Éditions, 2015 ; David Platt, Radical : Taking back your faith from the American dream, Colorado Springs : Multnomah, 2010 ; David Sills, Reaching and teaching : A call to great commission obedience, Chicago : Moody, 2010 ; Timothy Tennent, Invitation to world missions : A trinitarian missiology for the twentyfirst century, Grand Rapids : Kregel, 2010 ; David VanDrunen, Natural law and the two kingdoms : A study in the development of reformed social thought, Grand Rapids : Eerdmans, 2010 ; Wright, The Mission of God’s people ; Michael Horton, The Gospel commission : Recovering God’s strategy for making disciples, Grand Rapids : Baker, 2011. 12 Matthieu 28 : 16-20 ; Marc 13 : 10 ; 14 : 9 ; Luc 24 : 44-49 ; Actes 1 : 8. Nous en discuterons au chapitre deux. 26


Un mot connu qui nécessite une définition soignée

laissées à la fin des Évangiles et au début du livre des Actes. Nous croyons que l’Église est envoyée dans le monde pour témoigner de Jésus en proclamant l’Évangile et en faisant des disciples de toutes les nations. Voilà notre tâche. Voilà notre appel. Il est unique et central. C’est ce que nous tenterons de défendre au prochain chapitre. Nous aurons recours à la fois aux passages sur le grand ordre de mission et aux nombreux autres textes souvent considérés comme étant des ordres missionnaires alternatifs ou complémentaires pour l’Église. Les six chapitres suivants (la seconde partie) exploreront plusieurs concepts théologiques plus vastes qui sont toujours l’objet de litiges dans les discussions sur la mission. Le chapitre trois tentera de cerner le fil conducteur de la trame biblique et son influence sur notre compréhension de la mission de l’Église. Au chapitre quatre, nous chercherons à comprendre la structure et le contenu de l’Évangile lui-même, et nous nous demanderons si un Évangile du pardon des péchés en Jésus ne serait pas trop réducteur. Au chapitre cinq, nous considérerons l’enseignement biblique sur le royaume de Dieu. Les chapitres six et sept forment une paire. Nous y explorerons l’idée de la « justice sociale » et scruterons attentivement plusieurs textes bibliques concernant la justice. Au chapitre huit, nous réfléchirons sur l’intention divine qui consiste à recréer le monde et à ce qu’elle implique quant au rôle de l’Église face au monde. Au chapitre neuf, nous voulons réfléchir à ce que tout cela signifie en termes pratiques. Si la mission de l’Église se résume à la proclamation de l’Évangile et à la formation de disciples, quelle est la raison théologique qui nous motive à pratiquer de bonnes œuvres ? Et comment l’Église locale pourrait-elle réfléchir à ce qu’elle peut faire ? Enfin, au chapitre dix, nous présenterons quelques remarques complémentaires et nous vous encouragerons à renouveler votre engagement dans la grande œuvre que le Seigneur nous a léguée. 27


Quelle est la mission de l'Église ?

Un dernier mot avant de commencer : nous tenons à réitérer notre soutien entier aux Églises qui s’engagent dans des ministères d’aide sociale. Nos deux Églises gèrent des programmes d’assistance et soutiennent des missionnaires qui cherchent à combler les besoins physiques des gens tout en espérant leur témoigner de l’Évangile, lorsque c’est possible. Bien que nous ne croyions pas que la mission de l’Église soit de construire le royaume ou d’entrer en partenariat avec Dieu pour refaire le monde, nous ne nous opposons pas pour autant à l’engagement social. Ce que nous voulons dire, c’est que nous devons appliquer à ces initiatives la bonne catégorie théologique et les mener à bien sans sacrifier les priorités plus explicites. Nous ne devrions pas diminuer la valeur des bonnes œuvres en les considérant uniquement comme des moyens de parvenir à une autre fin (l’évangélisation). Mais nous ne désirons pas non plus exagérer notre responsabilité en pensant que nous devons construire le royaume par nos bonnes œuvres. De la même manière, nous ne devrions pas spiritualiser à l’excès l’action sociale en la rendant équivalente à la shalom de Dieu. Alors ­ que l’Église aime ce monde – un monde que Dieu aime tant –, nous travaillerons partout où nous le pourrons, pour soulager les souffrances des hommes, mais tout particulièrement les souffrances éternelles13.

13 Voir l’éditorial de Don Carson dans Themelios, vol. 33, n° 2. URL : < http://themelios. thegospelcoalition.org/article/editorial4 > (consulté le 27/10/2015). 28


CHAPITRE DEUX Mais qu'est-ce que Jésus nous envoie faire dans le monde ?

Nous avons cherché à démontrer au chapitre précédent que la mission n’inclut pas tout ce que nous faisons au nom de Jésus ni toutes les œuvres que nous accomplissons pour lui obéir. La mission, c’est la tâche que Jésus nous envoie accomplir dans le monde. Pour mieux découvrir dans quel but Jésus a envoyé ses disciples, il faut d’abord réfléchir sur le mandat missionnaire.

D’abord, quelques autres options Nous allons expliquer les raisons pour lesquelles nous nous concentrons sur le mandat missionnaire et étudions les textes qui s’y rapportent afin de vérifier notre hypothèse. Avant cela, il serait utile d’examiner certains passages qui, selon certains, présenteraient une définition différente et plus globale de la mission de l’Église. De toute évidence, 29


Quelle est la mission de l'Église ?

notre problème ne consiste ni à appliquer ces écrits à notre contexte contemporain ni même à les utiliser pour déterminer notre identité missionnelle. Toutes les Écritures sont inspirées de Dieu et nous sont utiles (2 Timothée 3 : 16). Toutefois, et c’est là notre préoccupation, ces passages sont utiles seulement s’ils sont correctement compris et appliqués.

Genèse 12 : 1-3 Commençons par l’appel de Yahvé à Abram : L’Éternel dit à Abram : Va-t’en de ton pays, de ta patrie et de la maison de ton père, vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai ; je rendrai ton nom grand. Deviens donc (une source) de bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront, je maudirai celui qui te maudira. Toutes les familles de la terre seront bénies en toi (Genèse 12 : 1-3).

Tous s’entendent pour dire qu’il s’agit d’un texte déterminant, non seulement pour la suite du récit de la Genèse, mais aussi pour la suite de l’histoire du plan grandiose et divin de la rédemption. Dieu prononce une promesse de bénédiction universelle qui est relatée en Genèse 12. Cette promesse survient à la suite d’une série de malédictions (Genèse 3 : 14, 17 ; 4 : 11 ; 5 : 29 ; 9 : 25) et de péchés successifs. Voilà enfin une bonne nouvelle ! Dieu révèle la mission qu’il veut confier à Abraham et il lui donne des directives pour l’accomplir. Or, bien que tous reconnaissent en Genèse 12 un passageclé dans la trame du plan rédempteur de Dieu, certains le considèrent également comme « l’un des endroits les plus importants du point de vue d’une lecture missionnelle de la Bible1 ». Ils affirment que le texte de Genèse 12 dévoile le cœur de la mission de Dieu et de la nôtre : c’est-à-dire être une source de bénédiction. Reggie McNeal avance que dans cette alliance « simple, mais dont la portée est considérable 1 Christopher Wright, La Mission de Dieu : fil conducteur du récit biblique, Charols : Excelsis, 2012. p. 225. 30


Mais qu'est-ce que Jésus nous envoie faire dans le monde ?

[…], le peuple de Dieu se voit investi de la responsabilité et il jouit du privilège de bénir l’humanité2 ». Parallèlement, Christropher Wright maintient qu’« il serait tout à fait opportun et à-propos de considérer ce texte comme “le grand ordre de mission”. On pourrait en effet trouver pire façon de résumer le sens de la mission qu’en disant : “Allez… et soyez une source de bénédiction3” ». Il conclut plus loin : « L’alliance abrahamique constitue à la fois un fondement pour les obligations morales du peuple de Dieu, et un descriptif de la mission de Dieu lui-même4 ». Dans la pensée missionnelle, le passage de Genèse 12 est plus qu’une promesse ou qu’une simple révélation de l’ultime mission de Dieu dans l’histoire de la rédemption. Ce texte ordonne aux enfants d’Abraham d’aider les nations à jouir des largesses dont Dieu désire tant les combler5. À première vue, la grammaire de Genèse 12 : 1-2 semblerait appuyer une interprétation « missionnelle » du passage. On y trouve deux impératifs : « Va » au verset 1, et « deviens une source de bénédiction » à la fin du verset 2. Wright accorde une attention particulière à la grammaire et affirme que « dans les deux cas, il s’agit donc d’une charge ou d’une mission confiée à Abraham. […] « Sois une bénédiction » entraîne donc un dessein et un but qui projettent dans l’avenir. Il y a là, en un mot, quelque chose de missionnel6 ». Il est cependant curieux de voir Wright accorder tant de poids à cet argument, puisqu’il admet au préalable « lorsque deux impératifs se succèdent en hébreu (comme d’ailleurs en français), le second impératif a parfois pour fonction de 2 Reggie McNeal, Missional renaissance, op. cit., p. 27. 3 Christopher Wright, La Mission de Dieu, op. cit., p. 242. On trouve la deuxième série de points de suspension dans l’original. 4 Ibid., p. 251. 5 C’est ainsi que Wright expose la bénédiction et il semble comprendre l’ordre de bénir comme entraînant ces conséquences. 6 Ibid., p. 239. 31


Quelle est la mission de l'Église ?

décrire le résultat attendu, ou le but recherché, découlant normalement de l’accomplissement du premier impératif 7 ». Autrement dit, le second impératif grammatical n’a pas toujours l’effet d’un impératif, mais plutôt celui d’un but ou d’une conséquence qui découle de sa conformité au premier impératif. La plupart de nos traductions8 rendent la fin du verset au futur : « tu seras une (source de) bénédiction » ou « tu deviendras une source de bénédiction », ou emploient une tournure similaire. Dans plusieurs autres passages de l’Ancien Testament, l’impératif exprimerait davantage la conséquence que le commandement. Par exemple, en Genèse 42 : 18, Joseph déclare : « Faites ceci, et vous vivrez ». Les deux verbes « faites » et « vivrez » se présentent sous forme impérative, mais « vivrez » doit bien sûr être interprété comme une conséquence de « faites ceci ». Ce n’est pas un commandement distinct. Nous pensons que le second impératif de Genèse 12 : 1-2 devrait lui aussi être interprété comme une conséquence plutôt qu’un commandement9. Eckhard Schnabel l’exprime admirablement en ces termes : « La tâche qui incombe à Abraham ne consiste pas à transmettre lui-même la bénédiction de YHWH (Yahvé) aux nations. Dieu promet sa bénédiction aux nations à la condition qu’elles remarquent la foi d’Abraham et qu’elles établissent une relation avec ses descendants10 ». Ibid., p. 227. La Segond, la Segond 21, la Nouvelle Bible Segond, la Semeur, la Français Courant, etc. 9 Victor Hamilton, spécialiste de l’Ancien Testament, explique les fonctions des impératifs dans Genèse 12 : 1-2 : « Le premier impératif énonce ici une exhortation, et le second impératif touche aux conséquences résultant de la mise en œuvre du premier impératif (cf. Genèse 17 : 1 ; 1  Rois 22 : 6 ; 2  Rois 5 : 13 ; Ésaïe 36 : 16). Appliquée à Genèse 12 : 1-2, cette construction signifie que le premier impératif, allez, entretient une relation de cause à effet par rapport au second impératif deviens. Abraham ne peut pas devenir une bénédiction s’il demeure à Charan, mais s’il quitte, il en deviendra une ». The Book of Genesis, The New international commentary on the Old Testament, Grand Rapids : Eerdmans, 1999, p. 373. 10 Eckhard Schnabel, Early Christian mission, vol. 1, Jesus and the Twelve, Downers Grove : IVP, 2004, p. 63. 7 8

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Mais qu'est-ce que Jésus nous envoie faire dans le monde ?

Nous sommes conscients, à ce stade de notre discussion sur la grammaire hébraïque, que : (1) la plupart de nos lecteurs souhaitent voir cette discussion s’achever, et que (2) nous ne sommes pas des experts en la matière. Certains érudits contesteraient le paragraphe précédent, mais pas tous. Quant à nous, nous croyons qu’il est exagéré d’accorder un sens missionnel à ce texte, même si le verbe dénote un commandement et qu’il en a bel et bien la portée. Bien qu’Abraham ait reçu l’ordre d’aller et de devenir une bénédiction, le récit entier de la vie des patriarches démontre que c’est Dieu et non pas Abraham qui bénit les nations. Néanmoins, la bénédiction de Dieu peut être directement liée aux actions d’Abraham, et l’obéissance d’Abraham sera assurément une bénédiction pour les nations. À vrai dire, Abraham et sa descendance interagissent avec les païens tout au long du récit de la Genèse alors même qu’ils sont une source de bénédiction pour les uns et de malédiction pour les autres. Abraham ne quitte cependant pas Ur avec l’intention de bénir les Cananéens. Le récit de la Genèse relate les faits et gestes de nations et d’individus qui, par leur conduite bonne ou mauvaise, confirment la promesse de Dieu faite à Abraham : quiconque bénit Abraham sera béni et quiconque le maudit sera maudit. L’Éternel bénit la famille d’Abraham en dépit de ses fautes, et il bénit ceux qui traitent Abraham avec égard en dépit de ses faiblesses. Nous ne disons pas que l’obéissance d’Abraham n’a aucun lien avec la bénédiction promise par Dieu. Abraham doit partir afin de devenir une bénédiction. Cependant, son obéissance n’assure pas aux Amalécites un meilleur rendement de leurs récoltes et ne favorise pas leur apprentissage de la lecture. Abraham a été témoin de nombreuses bénédictions, mais rien ne prouve qu’il ait pensé que l’appel de Genèse 12 lui enjoignait de bénir les nations par tous les moyens possibles. Est-ce mal pour le chrétien de bénir d’autres personnes ? Loin de là ! Cependant, nous ne devrions pas considérer 33


Quelle est la mission de l'Église ?

le texte de Genèse 12 : 1-3 comme un projet moral ou un autre « grand ordre de mission ». Abraham n’est pas appelé à mettre sur pied un projet de bénédictions communautaires. Dieu fait plutôt la promesse unilatérale de bénir le maladroit Abraham de même que les nations qui croiront à la Semence promise qui naîtra de sa descendance. Même si la bénédiction découle de l’obéissance, Abraham ne s’engage pas pour autant dans une tâche missionnelle. Il s’engage à quitter sa patrie, à circoncire les fils de sa postérité (Genèse 17 : 10-14). Il est même prêt à sacrifier son propre fils (Genèse 22 : 16-18). Le livre de la Genèse insiste sur le fait que la famille élue ne donne pas la bénédiction, mais qu’elle la reçoit elle-même de la main de Dieu. De plus, le Nouveau Testament ne présente pas l’appel d’Abraham comme une responsabilité missionnelle. À vrai dire, bien qu’il s’agisse d’un glorieux passage missionnaire qui annonce le dessein de Dieu de bénir la terre entière, son but premier n’est pas l’épanouissement personnel. La bénédiction sera accordée à ceux qui se confieront dans la postérité d’Abraham. Paul cite ce passage de Genèse 12 : 3, « toutes les familles de la terre seront bénies en toi », en Galates 3 : 9. Il enchaîne ensuite et donne l’explication suivante : « de sorte que ceux qui ont la foi sont bénis avec Abraham le croyant ». Les implications missiologiques de la Genèse ne résident pas dans le commandement « va et sois une bénédiction pour nous », mais plutôt dans « va et appelle les nations à se confier en Jésus-Christ ».

Exode 19 : 5-6 Tournons-nous maintenant vers ce passage familier, où Dieu prépare Israël à le rencontrer au mont Sinaï : Maintenant, si vous écoutez ma voix, et si vous gardez mon alliance, vous m’appartiendrez en propre entre tous les peuples, car toute la terre est à moi. Quant à vous, vous serez pour moi un 34


Mais qu'est-ce que Jésus nous envoie faire dans le monde ? royaume de sacrificateurs et une nation sainte. Voilà les paroles que tu diras aux Israélites (Exode 19 : 5-6).

Pour certains, l’expression « royaume de sacrificateurs » désignerait notre rôle d’intermédiaires entre la présence de Dieu et le monde. Cette affirmation découle de la logique suivante : « La Bible affirme que nous sommes des sacrificateurs. Et quel est le rôle de ces derniers ? Ils agissent en tant que médiateurs de la présence de Dieu. Quelle est donc notre mission ? Nous sommes censés être un royaume de sacrificateurs qui transmettent la bénédiction de Dieu au monde ». Dans son commentaire sur Exode 19, Reggie McNeal déclare que Dieu « a créé un peuple qui incarne en permanence sa présence sur terre11 ». Christopher Wright, quant à lui, affirme : « Le fait que Dieu confère au peuple d’Israël dans son ensemble la charge d’être un sacerdoce au milieu des nations a donc une signification très riche et importante. […] De même que le rôle des prêtres était de bénir les Israélites, le rôle d’Israël aussi serait, en fin de compte, d’être une bénédiction pour les nations12 ». Certains soutiennent qu’Israël servait d’intermédiaire pour bénir les nations au nom de Dieu, puisqu’il était en quelque sorte l’incarnation de la présence divine. Mais ce n’est pas la meilleure interprétation d’Exode 19 ou de l’expression « royaume de sacrificateurs ». Voici pourquoi : 1. Le sacerdoce lévitique ne sert pas d’intermédiaire en ce qu’il incarne la présence de Dieu (présence manifestée par la nuée au-dessus de l’arche de l’alliance), mais en ce qu’il McNeal, Missional Renaissance, op. cit., p. 30. Christopher Wright, La Mission de Dieu, op. cit., p. 385. De la même manière, N. Wright, en commentant Exode 19 : 4-6, avance ceci : « Il semble que la vocation royale et sacerdotale de tout être humain consiste à faire office d’intermédiaire entre Dieu et sa création, en apportant l’ordre sage et généreux de Dieu au monde et en articulant envers son Créateur la louange heureuse et reconnaissante de la création » (After you believe, New York : Harper One, 2010, p. 80-81). Plus loin, N. Wright avance que « le sacerdoce royal » accomplit la mission de Dieu « en témoignant de son puissant secours, et commence l’œuvre d’établissement du règne messianique de Jésus dans le monde entier » (p. 86). 11 12

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Quelle est la mission de l'Église ?

calme sa colère. Les sacrificateurs de l’Ancien Testament servaient d’abord de médiateurs entre Dieu et l’homme en offrant des sacrifices. C’est ainsi que l’Épître aux Hébreux décrit le rôle sacerdotal du Christ (Hébreux 4 : 14 à 5 : 10 ; 7 : 1-28 ; 10 : 1-18). 2. Il est préférable d’interpréter l’expression « royaume de sacrificateurs » comme l’appel du peuple d’Israël à se retirer du monde pour appartenir à Dieu. Bien qu’elles ne soient pas identiques, les expressions « royaume de sacrificateurs » et « nation sainte » sont très rapprochées. C’est pourquoi, au mont Sinaï, Dieu ordonne au peuple de se sanctifier (Exode 19 : 10). Il doit être saint comme Dieu est saint. De plus, lorsque l’apôtre Pierre cite le livre de l’Exode dans sa première Épître (1 Pierre 2 : 9), il souligne l’importance de la sainteté, qui consiste à s’abstenir des convoitises charnelles (1 Pierre 2 : 11-12). L’image d’un sacerdoce royal, dans le Nouveau comme dans l’Ancien Testament, évoque la sainteté et le privilège, et non pas une présence incarnée. 3. Si Dieu avait confié aux Israélites le mandat missionnaire de bénir les non-juifs, nous aurions pu nous attendre à voir cette tâche décrite et expliquée dans la loi mosaïque. Pourtant, les règles et les commandements du Sinaï ne mentionnent nulle part une mission envers les païens. Bien sûr, la loi, enjoint aux Israélites de prendre soin des voyageurs et des étrangers qui leur rendent visite. Cependant, elle ne donne aucune instruction qui précise d’aller dans le monde pour subvenir aux besoins des nations. 4. Les Israélites ont conquis les nations environnantes par la force militaire et non par l’incarnation terrestre de la personne de Dieu. Les nations représentent plus souvent une menace pour la religion d’Israël qu’une occasion de service, et ce, même si Dieu avait planifié depuis le début de sauver des individus qui n’appartenaient pas à la nation d’Israël (cf. Ésaïe 42 : 6 ; 49 : 6 ; 60 : 3). Si Israël doit transmettre les 36


Mais qu'est-ce que Jésus nous envoie faire dans le monde ?

bénédictions de Dieu aux nations, voilà une bien étrange façon de s’y prendre. 5. Les prophètes n’accusent jamais le peuple d’Israël de négliger son mandat de bénédiction missionnaire ou planétaire. À l’évidence, Dieu se soucie de la conduite de son peuple élu, qui deviendra soit un pôle d’attraction, soit un sujet d’abomination pour les nations. Cependant, la directive est « viens et vois » et non « va et parle ». Si l’engagement missionnel était inscrit comme une obligation dans le cadre de l’alliance, les prophètes auraient certainement reproché aux Israélites leur désobéissance à cet égard13.

Luc 4 : 16-21 Un dernier texte populaire considéré comme missionnel populaire est cité au début du ministère public de Jésus : Il se rendit à Nazareth, où il avait été élevé, et entra, selon sa coutume, dans la synagogue le jour du sabbat. Il se leva pour faire la lecture, et on lui remit le livre du prophète Ésaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il était écrit : L’Esprit du Seigneur est sur moi, Parce qu’il m’a oint […] Pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres ; Il m’a envoyé pour proclamer aux captifs la délivrance, Et aux aveugles le recouvrement de la vue, Pour renvoyer libres les opprimés, Pour publier une année de grâce du Seigneur. [Ésaïe 61 : 1-2] Puis il roula le livre, le rendit au serviteur et s’assit. Les yeux de tous dans la synagogue étaient fixés sur lui. Alors il commença à leur dire : Aujourd’hui cette (parole de l’) Écriture, que vous venez d’entendre, est accomplie (Luc 4 : 16-21).

À l’évidence, ce texte présente un énoncé clair de la mission de Jésus et des objectifs de son ministère. Cependant, 13 Ces trois dernières raisons, et quelques autres non-incluses ici, peuvent être trouvées dans Schnabel, Early christian mission, p. 71-72.

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on interprète souvent mal ces derniers. Plusieurs théories populaires soutiennent que la mission de Jésus se concentrait sur les marginalisés et les opprimés. Jésus était à la fois un Messie et un libérateur social. Il était venu apporter l’année du jubilé aux opprimés, transformer les structures sociales et restaurer la shalom pour la création de Dieu. Tout comme celle du Christ, notre mission serait donc au moins en partie, sinon dans son expression centrale, « d’étendre le royaume en s’engageant dans tous les segments de la société, avec une préférence accordée aux pauvres, et en n’admettant aucune polarité entre l’évangélisation et la transformation sociale (voir Luc 4 : 18-19)14 ». Selon les tenants de cette interprétation, le chapitre 4 de l’Évangile selon Luc démontre avant tout que la mission de Jésus était de servir les pauvres. Par conséquent, ne devrait-elle pas être aussi la nôtre ? Cette approche courante de Luc 4 n’est pas entièrement mauvaise, mais elle néglige au moins deux points cruciaux. Contempler la forêt sans y remarquer les arbres

Premièrement, cette lecture ne tient pas compte des verbes contenus dans le passage du prophète Ésaïe que Jésus lit. L’Esprit du Seigneur qui repose sur Jésus, le Messie tant attendu, l’a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres, pour proclamer aux captifs la délivrance et aux aveugles le recouvrement de la vue, pour renvoyer libres les opprimés, pour publier une année de grâce du Seigneur. À l’exception de « renvoyer libres les opprimés » (nous y reviendrons plus loin), tous ces termes se rapportent à la communication verbale. Bien que Jésus ait réellement guéri des malades et rendu la vue à des aveugles (autant d’indices de sa divinité, de l’imminence du royaume et de sa compassion), l’énoncé de mission messianique cité en Luc 4 met en valeur l’annonce d’une bonne nouvelle. Si ce passage donne James Engel, William Dyrness, Changing the mind of missions, op. cit., p. 80.

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le ton à la mission de l’Église, cette mission devrait alors être centrée sur la prédication de l’Évangile. Les pauvres remplis d’humilité

Deuxièmement, affirmer que Luc 4 définit « la mission comme une transformation sociale », c’est accorder beaucoup trop d’importance aux ressources pécuniaires limitées des « pauvres » (du grec ptochos). Le terme ptochos, au verset 18, évoque bien sûr la pauvreté matérielle, mais ce mot a des connotations et une signification plus large. Quatre raisons justifient cet avis : 1. La citation vient d’Ésaïe 61 : 1-2, où les pauvres sont associés à « ceux qui ont le cœur brisé » et aux « affligés ». Ce passage d’Ésaïe ne fait pas allusion à ceux qui sont démunis sur le plan matériel, mais plutôt aux pauvres remplis d’humilité, qui se confient en l’Éternel dans leurs afflictions et espèrent recevoir de lui « une huile de joie » et « un vêtement de louange » (Ésaïe 61 : 3). Le terme hébreu anaoim au verset 1 peut être traduit par « pauvres » (Bible Segond 21, Parole de vie, Français courant,  etc.), « humiliés » (Bible du Semeur, Bible à la Colombe, TOB), « malheureux » (Louis Segond) ou « débonnaires » (Darby). Pour permettre toutes ces interprétations, le sens du mot original doit nettement déborder du cadre matériel. 2. Le terme grec ptochos peut également être employé au sens propre et au figuré. L’Évangile selon Luc compte dix occurrences du terme ptochos. À sept reprises, il est employé au sens littéral (Luc 14 : 13, 21 ; 16 : 20, 22 ; 18 : 22 ; 19 : 8 ; 21 : 3), alors qu’on peut l’interpréter au sens figuré dans les trois autres cas (Luc 4 : 18 ; 6 : 20 ; 7 : 22). Le même terme est également utilisé en Apocalypse 3 : 17 où il est évident qu’il devrait être compris au sens figuré. L’Église de Laodicée se croyait riche (et elle l’était, matériellement), mais à un niveau plus profond et spirituel, elle était malheureuse, misérable, pauvre, aveugle 39


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et nue. Au même titre que son équivalent français, le terme grec pour « pauvre » renferme différentes nuances et peut être employé au sens propre comme au figuré. 3. Dans le contexte immédiat du passage, une lecture strictement littérale du mot « pauvre » n’aurait aucun sens. Si nous évoquons par là une pauvreté matérielle, les termes « captifs », « aveugles » et « opprimés » devraient aussi être pris dans le même sens. Or, les Évangiles ne rapportent aucune occasion où Jésus a littéralement rendu la liberté à un prisonnier (ce qui semble étonner Jean-Baptiste en Luc 7 : 18-23). Nous interprétons spontanément cette captivité et cette oppression au sens spirituel. Il serait donc juste de discerner l’aspect foncièrement spirituel du mot « pauvres », dans Luc 4. 4. La même conclusion s’impose si on considère le passage dans un contexte plus vaste. Dans Luc 4 : 25-27, Jésus cite l’exemple de deux personnes qui ont joui de la faveur du Seigneur dans l’Ancien Testament. L’une est la veuve de Sarepta, qui était matériellement pauvre, mais l’autre Naaman, le célèbre général syrien qui s’est humilié en se plongeant sept fois dans les eaux du Jourdain. Si ces deux récits font état de la Bonne Nouvelle annoncée « aux pauvres », la pauvreté dont il est question est bien plus spirituelle que matérielle. En résumé

Pour toutes ces raisons, nous adhérons aux conclusions d’Andreas Köstenberger et de Peter O’Brien qui affirment : « les pauvres » auxquels la Bonne Nouvelle est annoncée ne sont pas seulement défavorisés sur le plan matériel, comme le suggèrent la plupart des érudits contemporains ; ce terme renvoie plus globalement à ceux qui vivent le rejet et le dépouillement et qui doivent dépendre de Dieu15. Nous acceptons également la conclusion de David Bosch : Andreas Köstenberger, Peter O’Brien, Salvation to the ends of the Earth, op. cit., p. 117.

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Mais qu'est-ce que Jésus nous envoie faire dans le monde ? L’Évangile selon Luc déclare que certains hommes sont éprouvés du point de vue matériel, alors que d’autres le sont sur le plan de leur loyauté envers leur famille, leur peuple, leur culture et leur travail (Luc 9 : 59-61). Cela signifie que les pauvres sont tout aussi pécheurs que les autres, car ultimement, le péché est enraciné dans le cœur humain. Ceux qui sont riches sur le plan matériel peuvent être pauvres spirituellement, et ceux qui sont pauvres sur le plan matériel peuvent aussi être pauvres spirituellement16 .

Une connotation matérielle du terme ptochos de Luc 4 n’est toutefois pas exclue. Les pauvres sont souvent pauvres sur le plan pécuniaire parce que la misère matérielle, plus que l’abondance, tend à susciter la sensibilité, l’humilité et le désespoir spirituel dont nous avons besoin pour entendre la voix de Dieu. Pour quelle raison Dieu affirme-t-il : « Bienheureux les pauvres » plutôt que « bienheureux les riches » ? C’est parce que les pauvres sont plus disposés à reconnaître leur besoin d’aide que les riches. Pour citer Darrell Bock, le terme grec ptochos serait une « généralisation sotériologique17 ». Il décrit ceux qui sont ouverts à Dieu, à son écoute, et conscients de leur dépendance envers lui. C’est à eux que Dieu proclame une année de grâce du Seigneur. La mission de Jésus, énoncée dans Luc 4, n’est donc pas une mission de changement structurel et de transformation sociale. Elle annonce plutôt la bonne nouvelle de sa puissance salvatrice et de son règne de miséricorde à ceux qui ont le cœur suffisamment brisé pour être en mesure de croire : c’est-à-dire les pauvres. 16 David Bosch, Transforming mission, op. cit., p. 104. Pour faciliter la lecture, nous n’avons pas inclus dans cet extrait les citations entre parenthèses qui apparaissaient dans l’original. Plusieurs autres savants, passés et présents, comme Eckhard Schnabel, David Hesselgrave, Robert Stein, Christopher Little, Howard Marshall et Darrell Bock, en sont venus aux mêmes conclusions. Voir Schnabel, Early christian mission, op. cit., p. 225. Des références à plusieurs autres auteurs peuvent être trouvées dans le livre de David Hesselgrave, Paradigms in conflict, op. cit., p. 125-138. 17 Darrell Bock, Luke 1 : 1 – 9 : 50, Baker exegetical commentary on the New Testament, Grand Rapids : Baker, 1994, p. 408.

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Qu’est-ce qui rend le mandat missionnaire aussi grand ? Après avoir examiné ces textes « missionnels » et avoir conclu qu’ils sont souvent pris hors contexte et mal interprétés, nous tournons maintenant notre attention vers le grand ordre de mission ou, plus exactement, les grands ordres de mission (Matthieu 28 : 16-20 ; Marc 13 : 10 ; 14 : 9 ; Luc 24 : 44-49 ; Actes 1 : 8). Toutefois, avant de nous intéresser au discours d’adieu de Jésus, nous devons répondre à une question honnête : pourquoi notre théologie de la mission s’accroche-t-elle ainsi à ces quelques commandements donnés dans la période comprise entre la résurrection de Jésus et son ascension ? Après tout, la Bible ne mentionne nulle part l’expression « grand ordre de mission » qui fait référence au passage de Matthieu 28 : 16-20. D’ailleurs, ce passage n’a pas toujours été connu sous cet illustre titre18. De nombreux chrétiens à travers l’histoire ont toujours cru que les apôtres avaient déjà accompli toutes les directives données par Jésus avant son départ, et qu’elles ne constituaient donc plus un ordre direct à l’intention de l’Église de leur génération. Plus récemment, des penseurs ont hésité à associer la tâche missionnelle à des commandements précis (comme nous en trouvons à la fin de chaque Évangile). Ils affirment que la mission de Dieu est le sujet de la Bible tout entière, et non pas seulement celui de quelques passages ici ou là. Après tout, le grand ordre de mission n’est peut-être pas si grand que cela. John Stott avait sans doute raison d’affirmer que « nous accordons au grand ordre de mission une place trop centrale dans notre pensée chrétienne19 ». Pour connaître l’historique de cette appellation, voir la nouvelle de David Wright, « The Great commission and the ministry of the word : Reflections historical and contemporary on relations and priorities » (Finlayson Memorial Lecture, 2007), Scottish Bulletin of Evangelical Theology, 25 (2007) : 132-157. 19 John Stott, Christian mission in the modern world, op. cit., p. 29. 18

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Pourquoi donc devrions-nous accorder autant d’importance à ces textes qui semblent définir la mission de l’Église ? Cette question mérite qu’on s’y arrête : il y a plusieurs réponses possibles. 1. Personne ne peut nier que la Bible dans son ensemble est un ouvrage essentiellement missionnel. Mais il serait sage de fonder notre programme de mission sur des commandements clairs de la Bible. La littérature contemporaine qui traite de la mission commet souvent l’erreur de comparer notre tâche dans le monde à celle que Dieu accomplit et de l’estimer en tout point semblable. Selon ce point de vue, si la missio Dei (mission de Dieu) consiste à restaurer la shalom et à renouveler le cosmos, nous devrions donc, en tant que partenaires, travailler dans le même sens. Par exemple, Christopher Wright déclare que « tout ce que sont le chrétien et l’Église chrétienne, tout ce qu’ils disent et tout ce qu’ils font devrait être missionnel. Ils doivent être conscients qu’ils participent à la mission de Dieu dans le monde de Dieu20 ». Dieu nous appelle-t-il réellement à être partenaires avec lui dans tout ce qu’il entreprend ? Ne sommes-nous pas plutôt appelés à simplement témoigner de la grâce divine manifestée dans l’œuvre du salut, de la restauration et de la nouvelle création, et non pas d’y collaborer ? Et si notre mission n’était pas identique à celle de Dieu ? Sommes-nous appelés à poursuivre la même mission que Jésus, mais de manière différente ? N’est-il pas plus sage de restreindre notre responsabilité à la tâche qui nous est confiée, plutôt que l’étendre à l’œuvre de Dieu telle que nous la percevons ? À vrai dire, Dieu entend accomplir, dans les siècles à venir, des œuvres dans lesquelles nous n’aurons aucun rôle à jouer : la destruction des méchants, par exemple ! Qui plus est, la mission que Jésus a acceptée en venant dans ce monde était unique : mourir pour les péchés du monde est l’œuvre qu’il Christopher Wright, op. cit., p. 26..

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est le seul à pouvoir accomplir. Tout cela n’est pas pour dire qu’une histoire, un poème ou une proposition ne peut jamais avoir force d’impératif. Cependant, il est préférable de s’appuyer sur des commandements précis pour définir la mission de l’Église plutôt que se fier à une interprétation herméneutique qui présuppose que nous collaborons avec Dieu dans chaque aspect de son dessein rédempteur pour le monde. 2. Il paraît logique d’accorder plus d’importance au Nouveau Testament qu’à l’Ancien pour développer une théologie de la mission. Évidemment, l’Ancien Testament révèle aussi le cœur de Dieu pour les nations. L’Éternel a toujours eu l’intention de bénir le monde entier par l’intermédiaire de son peuple, et l’Ancien Testament anticipe un rassemblement futur des nations. Nous voyons ce plan se dévoiler dans plusieurs textes de l’Ancien Testament. Toutefois, il est aussi évident que l’Ancien Testament concerne avant tout le peuple d’Israël. Même au cours du ministère terrestre de Jésus, il n’était pas encore question d’une mission qui engloberait l’ensemble des païens (Matthieu 15 : 24). Sous l’Ancienne Alliance, Dieu n’a jamais exhorté son peuple à s’engager intentionnellement dans une mission interculturelle. C’est par attraction, et non par une invitation ouverte que les Israélites témoignaient de leur foi en Dieu aux nations environnantes. Pour ces raisons, c’est dans le Nouveau Testament qu’il faut chercher une motivation énergique à la mission. En effet, Eckhard Schnabel conclut, dans son œuvre magistrale, Early Christian Mission : « L’œuvre missionnaire des premiers chrétiens ne saurait être expliquée par des prototypes de l’Ancien Testament ou les modèles d’une mission juive antécédente21 ». Le concept de la mission, c’est-à-dire l’envoi du peuple de Dieu vers les autres Schnabel, op. cit., p. 173.

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nations avec une tâche précise à accomplir, est un concept qui a vu le jour en même temps que le Nouveau Testament. 3. Il semble tout indiqué de se tourner vers Jésus pour obtenir notre directive missiologique. Et comme nous le verrons plus loin, la mission de la Bible, c’est la mission du Fils envoyé par le Père. En tant que roi messianique et Seigneur de l’Église, Jésus a le droit d’envoyer l’Église, tout comme le Père avait ce droit (Jean 20 : 21). Nous devrions donc accorder une attention particulière aux consignes explicites adressées par Jésus à ses disciples sur ce qu’ils doivent faire en son absence. 4. L’emplacement du grand ordre de mission témoigne de son importance stratégique. Il constitue les dernières paroles de Jésus sur la terre, après sa mort et sa résurrection et juste avant son ascension. Le sens commun et l’usage biblique nous indiquent que les dernières paroles d’une personne revêtent une importance particulière22, tout spécialement dans le cas présent, où différentes formulations de ces paroles sont préservées dans trois des quatre Évangiles (avec une légère variante dans l’Évangile selon Marc) ainsi qu’au début des Actes. Les auteurs bibliques et l’Église primitive considéraient que les dernières paroles de Jésus comptaient parmi ses plus importantes, et qu’elles étaient par conséquent les instructions les plus significatives pour déterminer leur identité missionnelle. 5. Le grand ordre de mission semble résumer plusieurs thèmes majeurs des Évangiles. Prenons l’Évangile selon Matthieu par exemple. Plus que tout autre Évangile, celui de Matthieu est centré sur la formation de disciples. Que pensent les disciples de Jésus ? Comment se comportent-ils ? À quoi doivent-ils être prêts à renoncer ? On ne doit donc pas On pense aux dernières paroles notoires de plusieurs personnages bibliques, dont Jacob, Moïse, Josué, David, Élie, Paul (à Éphèse en Actes 20 et à Timothée en 2 Timothée) et Pierre (cf. 2 Pierre 1 : 12-15). 22

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s’étonner de la priorité accordée par Matthieu à la formation de disciples. De sa généalogie du début jusqu’à son baptême dans le Jourdain, de sa tentation dans le désert à ses fréquentes références à l’accomplissement des prophéties de l’Ancien Testament, Matthieu présente Jésus comme le nouvel Israël, comme le Messie vers lequel la loi et les prophètes pointaient. Il n’est donc pas étonnant que les dernières paroles de Jésus dans ce livre soulignent son autorité. Notons également le long Sermon sur la montagne, qui forme l’épine dorsale de l’enseignement de Jésus et la présence des mages au deuxième chapitre, qui évoque sa royauté universelle. Tous ces événements atteignent leur apogée dans le grand ordre de mission qui fait ressortir l’importance d’aller vers les nations et de leur enseigner à observer tous les commandements de Jésus. Le mandat missionnaire est donc un résumé des thèmes cruciaux abordés dans Matthieu. Bosch l’énonce ainsi : « Aujourd’hui, les exégètes sont unanimes : l’Évangile en entier pointe vers ces derniers versets : tous les fils tissés dans la trame de Matthieu à partir du premier chapitre s’y rassemblent23 ». Or, si tout l’Évangile selon Matthieu atteint son apogée dans le grand ordre de mission, tout dans le livre des Actes découle de ce point. Jésus dit à ses disciples réunis à Jérusalem qu’ils seront ses témoins d’abord à Jérusalem, puis dans la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre (Actes 1 : 8). Et c’est exactement ce que le livre des Actes décrit. Christ est d’abord prêché à Jérusalem (Actes 2 à 7), puis en Judée et en Samarie (Actes 8). Enfin, la conversion de Paul et la vision de Pierre sur le toit ouvrent la voie à la propagation de l’Évangile chez les païens. La fin du livre relate même l’arrestation de Paul alors qu’il prêchait le royaume de Dieu « enseignant ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ, en toute liberté et sans obstacle » (Actes 28 : 31, NEG). Du début à la fin, le livre des Actes raconte la proclamation de l’Évangile à partir de la Bosch, op. cit., p. 57.

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Judée jusqu’à la Samarie, puis jusqu’aux extrémités de la terre, comme Jésus l’avait ordonné. En résumé, qu’ils soient situés au début ou à la fin du livre, ces mandats missionnaires sont plus que des paroles d’adieux prononcés par Jésus un peu au hasard. À vrai dire, ils façonnent l’ensemble du récit et en constituent soit le point vers lequel tout culmine, ou la source de laquelle tout jaillit.

De quoi s’agit-il donc ? Après cette introduction essentielle, examinons brièvement certains textes qui concernent le mandat missionnaire.

Matthieu 28 : 16-20 Débutons avec le mandat le plus connu : Les onze disciples allèrent en Galilée, sur la montagne que Jésus avait désignée. Quand ils le virent, ils l’adorèrent. Mais quelquesuns eurent des doutes ; Jésus s’approcha et leur parla ainsi : Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez, faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde (Matthieu 28 : 16-20).

Pour dissiper tout doute concernant l’importance de cette annonce, Matthieu révèle que Jésus conduit ses disciples « sur la montagne » (v. 16). Du Sinaï au mont de la transfiguration, en passant par le Sermon sur la montagne, c’est souvent sur des endroits élevés que les instructions ou les révélations essentielles ont été transmises. C’est également sur une montagne que Jésus rassemble une dernière fois ses disciples pour cette rencontre cruciale. Avant d’envoyer ses disciples, Jésus les rassure par une bonne nouvelle : « Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre » (v. 18). La mission que Jésus leur confie est exclusivement et entièrement fondée sur son autorité. C’est 47


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seulement en raison de cette glorieuse affirmation que la mission peut être accomplie. Dieu n’envoie pas son Église conquérir le monde. Il l’envoie au nom de celui qui l’a déjà conquis. C’est seulement parce qu’il règne que nous pouvons nous engager dans cette mission. Les versets 19 et 20 mentionnent quatre verbes à l’impératif dont le principal est : « Faites des disciples ». Les disciples de Jésus doivent faire de toutes les nations (ta ethnê) des disciples. Cette expression désigne des groupes ethniques et non des entités politiques24. Jésus communique sa vision d’un peuple d’adorateurs fidèles disséminés parmi toutes les ethnies de la planète. Les trois autres verbes soutiennent le premier en décrivant les particularités du processus de formation de disciples. Allez, baptisez et enseignez. « Allez » implique le fait d’être envoyé (cf. Romains 10 : 15). « Baptisez » présuppose la repentance et le pardon, de même que la nécessité d’être membre de la famille de Dieu (Actes 2 : 38, 41). « Enseignez », indique clairement que les intentions de Jésus vont plus loin que l’évangélisation et la réponse de la foi. Il cherche avant tout des disciples obéissants et mûrs plutôt que des individus qui s’engagent à la légère25. Enfin, cette tâche de formation de disciples est rendue possible, comme Jésus l’affirme à son auditoire pour le rassurer, parce que « je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Matthieu 28 : 20). Si Jésus avait prévu Cf., p. ex. John Piper, Que les nations se réjouissent !, Marpent : BLF Éditions, 2015, p. 197-254, et Timothy Tennent, Invitation to world missions, op. cit., p. 138. 25 Sur ce thème général de la formation de disciples versus les décisions, cf. Reaching and teaching : A call to great commission obedience, Chicago : Moody, 2010. Il discute opportunément de Matthieu 24 : 14 (« Cette bonne nouvelle du royaume sera prêchée dans le monde entier, pour servir de témoignage à toutes les nations. Alors viendra la fin. »). Il explique que, dans ce contexte, le « monde » peut se référer au monde connu de l’Empire romain et que la « fin » pourrait être la chute de Jérusalem en 70 apr. J.-C. Même si vous n’acceptez pas ce point de vue, il est quand même important de remarquer que Jésus prédit ce qui arrivera avant son retour, sans prescrire une formule pour accélérer son avènement. L’accent est placé sur le courage face à la persécution jusqu’à la fin et non sur l’introduction du royaume. Matthieu 24 : 14 met en valeur le caractère central de la proclamation, mais il n’implique pas un « besoin d’accélérer » l’accomplissement du mandat missionnaire (p. 121-126). 24

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que seuls les apôtres devaient parachever le grand ordre de mission, il n’aurait pas eu besoin de faire une promesse dont la portée s’étend jusqu’à la fin du monde. Par contre, une telle promesse est nécessaire si l’œuvre de la mission se poursuit également jusqu’à la fin du temps présent. La promesse de Jésus dure donc aussi longtemps que son grand ordre de mission.

Marc 13 : 10 ; 14 : 9 L’Évangile selon Marc ne décrit pas de mandat missionnaire donné après la résurrection de Jésus. Toutefois, Jésus y ordonne : « Allez dans le monde entier et prêchez la bonne nouvelle à toute la création » (Marc 16 : 15). Or, la grande majorité des commentateurs contemporains estime que son récit se termine en Marc 16 : 8. Ce mandat missionnaire explicite ne ferait donc pas partie de l’Évangile original écrit par Marc, même s’il évoque l’élan missionnaire de l’Église primitive : cette fin prolongée aurait été ajoutée entre 100 et 150 apr. J.-C. Même sans ce mandat missionnaire traditionnel, l’Évangile selon Marc contient toutefois deux références explicites à cette tâche missionnaire. • Marc 13 : 10 : « Il faut premièrement que la bonne nouvelle soit prêchée à toutes les nations ». • Marc 14 : 9 : « En vérité je vous le dis, partout où la bonne nouvelle sera prêchée dans le monde entier, on racontera aussi en mémoire de cette femme ce qu’elle a fait ». Ces textes prédisent non seulement que l’Évangile sera proclamé dans le monde entier, mais ils le commandent également : il faut que la Bonne Nouvelle soit prêchée. Alors même qu’il s’approche de la croix, Jésus établit déjà les balises de la proclamation universelle de son Évangile. 49


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Luc 24 : 44-49 Tournons-nous maintenant vers le compte-rendu complémentaire du grand ordre de mission dans l’Évangile selon Luc : Puis il leur dit : C’est là ce que je vous disais lorsque j’étais encore avec vous ; il fallait que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes. Alors il leur ouvrit l’intelligence pour comprendre les Écritures. Et il leur dit : Ainsi il est écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour et que la repentance en vue du pardon des péchés serait prêchée en son nom à toutes les nations à commencer par Jérusalem. Vous en êtes témoins. Et [voici] : j’enverrai sur vous ce que mon Père a promis, mais vous, restez dans la ville, jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la puissance d’en haut (Luc 24 : 44-49).

Luc, comme Matthieu, fonde le commandement sur l’autorité divine. Mais alors que l’autorité selon Matthieu 28 repose sur celle que Jésus a reçue, l’autorité selon ce deuxième passage est enracinée dans les Écritures. Les disciples vont dans le monde parce que le Christ détient toute autorité et parce que les événements qu’ils proclament sont l’accomplissement des prophéties et prédictions des Écritures. Par conséquent, ces deux Évangiles affirment l’un comme l’autre que l’autorité des disciples leur vient de Dieu. L’ordre d’aller et de faire des disciples dont parle Matthieu est associé dans Luc au rôle propre aux disciples dans l’exécution de cette tâche : « Vous en êtes témoins » (Luc 24 : 48). Le Seigneur leur a confié la tâche de témoigner de lui, c’est-à-dire de proclamer la bonne nouvelle qui le concerne. Insistons sur le fait que les disciples ne témoigneront pas par leur propre force. L’Esprit les revêtira de la puissance d’en haut. Enfin, Jésus précise que cette proclamation comprend les bonnes nouvelles de la repentance et du pardon des péchés. 50


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C’est ce qu’impliquait le commandement « baptisez-les » de Matthieu 28 : 19. Dans Luc, ces deux aspects sont clairement énoncés et mis en avant. En bref, le mandat missionnaire de l’Évangile selon Luc consiste à rendre témoignage de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ en étant rempli de l’Esprit Saint et à convier toutes les nations à la repentance pour le pardon des péchés.

Actes 1 : 8 Le même Luc qui a rédigé l’Évangile qui porte son nom a également écrit le livre des Actes (voir Actes 1 : 1). C’est pourquoi nous lirons les dernières paroles de Jésus dans les Actes avant de revenir aux Évangiles pour examiner le récit de l’apôtre Jean. Mais vous recevrez une puissance, celle du Saint-Esprit survenant sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre (Actes 1 : 8).

Puisque l’Évangile selon Luc et le livre des Actes sont du même auteur, on ne s’étonne pas de la place centrale accordée au thème du témoignage rendu puissant par l’Esprit, à la fois dans le mandat missionnaire du livre des Actes et dans celui de l’Évangile selon Luc. Il n’est pas non plus surprenant que la mission décrite dans les Actes se concentre majoritairement sur la proclamation de la parole de Dieu et du témoignage rendu à la personne du Christ. Le récit du livre des Actes est particulièrement important, car il nous présente la nature et la portée de la première mission chrétienne. Toutefois, ce livre ne renferme aucune description d’une Église primitive qui prendrait soin de la création, qui élaborerait des plans pour un renouveau social et des stratégies de service à la communauté au nom de Jésus. Par contre, il attire l’attention sur la prédication, l’enseignement et la centralité de la Parole. Le récit des Actes 51


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décrit les efforts des premiers chrétiens pour obéir au grand ordre de mission qui leur a été confié dans Actes 1 : 8. Cela ne signifie pas cependant que la mission de l’Église des Actes se limite à une vaste campagne d’évangélisation ou à une longue étude biblique inductive. C’est une Église animée d’un grand zèle pour la communion fraternelle, la fraction du pain et la prière, et fidèle à l’enseignement des apôtres (Actes 2 : 42). Ce livre recèle une foule d’exemples de partage entre chrétiens (Actes 2 : 44-46 ; 4 : 32-37), de miracles et de prodiges (Actes 2 : 43 ; 5 : 12-16). Alors même que Jésus continuait à accomplir des miracles par l’intermédiaire des apôtres et parfois d’autres personnes (Actes 1 : 1 ; Hébreux 2 : 3-4), le royaume s’est véritablement mis en place. Mais de toute évidence, le livre des Actes relate d’abord et avant tout le témoignage apostolique qui se répand de Jérusalem jusqu’en Judée et en Samarie, puis jusqu’aux extrémités de la terre. Comme le rapporte Darrell Bock : Ce mandat (Actes 1 : 8) décrit la mission principale assignée à l’Église, ce qu’elle doit accomplir avant le retour du Seigneur. La priorité de l’Église jusqu’au retour de Jésus, une mission qu’elle ne doit jamais perdre de vue, c’est de témoigner de Jésus jusqu’aux extrémités de la terre. L’une des principales raisons d’être de l’Église consiste à propager partout le témoignage apostolique de Jésus26 .

Un simple survol des Actes le confirme. Selon Actes 1, Matthias est choisi pour remplacer Judas et pour être un témoin de la résurrection du Christ (v. 22). Actes 2 rapporte que Pierre, alors qu’il prêchait le jour de la Pentecôte, a exposé les Écritures, témoigné du Christ et appelé le peuple à la foi et à la repentance. Plusieurs ont reçu la Parole à cette occasion, et environ trois mille âmes ont été ajoutées à l’Église ce jour-là (v. 41). Selon Actes 3, Pierre guérit un Darrell Bock, Acts : Baker exegetical commentary on the New Testament, Grand Rapids : Baker, 2007, p. 66.

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mendiant boiteux au nom de Jésus et profite ensuite de cette occasion pour présenter un témoignage sur le Christ et pour appeler les gens à la repentance (cf. surtout les Actes 3 : 15-19). Pendant qu’ils proclament la résurrection, plusieurs autres entendent la Parole, et cinq mille hommes se tournent vers le Christ par la foi (Actes 4 : 2, 4). Selon Actes 4, Pierre et Jean témoignent de la crucifixion devant le conseil et après leur libération, les croyants prient de pouvoir continuer « d’annoncer la Parole en toute assurance » (Actes 4 : 29, 31). Les apôtres sont de nouveau en prison (Actes 5), mais un ange du Seigneur vient les délivrer et leur donne cet ordre : « Allez, tenez-vous dans le temple, et annoncez au peuple toutes les paroles de cette Vie » (Actes 5 : 20). Luc rapporte qu’« ayant entendu cela, ils entrèrent dès le matin dans le temple, et se mirent à enseigner » (Actes 5 : 21). Tous les chapitres des Actes suivent le même modèle. Au chapitre 6, les apôtres ordonnent les premiers diacres afin de pouvoir se consacrer à la parole de Dieu et à la prière (v. 4). Le résultat est décrit au verset 7 : « La parole de Dieu se répandait, le nombre des disciples se multipliait beaucoup à Jérusalem, et une grande foule de sacrificateurs obéissait à la foi ». En Actes 7, Étienne témoigne du Christ à partir de l’Ancien Testament et réfute les accusations portées contre lui d’avoir blasphémé contre Moïse. En Actes 8, Philippe proclame le Christ en Samarie, et cette région reçoit la parole de Dieu (Actes 8 : 14). Les disciples prêchent l’Évangile dans plusieurs villages samaritains (Actes 8 : 25). Plus tard, Philippe explique les Écritures à l’eunuque éthiopien et par la suite, il évangélise toutes les villes par lesquelles il passe jusqu’à Césarée. À maintes reprises, Luc signale que l’objectif du livre des Actes vise à montrer l’accomplissement de la mission que Jésus a confiée aux disciples, alors même que la parole de Dieu « se répand de plus en plus » (Actes 12 : 24). Partout où 53


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la Parole est annoncée, elle rencontre de l’opposition ; mais partout où la Parole est annoncée, des gens vont croire. Paul et Barnabas partent alors proclamer la Parole à Chypre et à Antioche de Pisidie, à Icone et à Lystre. Chemin faisant, Paul prêche l’Évangile là où il n’a jamais encore été annoncé, mais il fortifie également les disciples, les encourage dans leur foi, et nomme des anciens (Actes 14 : 21-23). Sa mission ne se limite pas à l’évangélisation, puisqu’il se charge aussi de la formation des disciples. Il gagne des âmes, implante de nouvelles Églises, édifie des assemblées de croyants déjà établies. Témoigner du Christ et enseigner la parole de Dieu : c’est cela la mission apostolique, qui certes revêt diverses formes27. Nous n’avons présenté que la première moitié du livre des Actes. Le même thème se poursuit dans le reste du livre : des témoins remplis de l’Esprit annoncent également l’Évangile à Derbe, à Philippes, à Thessalonique, à Bérée, à Athènes, à Corinthe, à Éphèse et enfin, à Jérusalem. Paul témoigne ensuite devant le conseil, devant Félix, Festus, Agrippa et Bérénice, puis en Crête et à Malte et finalement à Rome. Le livre se termine comme il a commencé : les apôtres (en l’occurrence, Paul) prêchaient le royaume de Dieu et enseignaient « ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ, en toute assurance et sans empêchement » (Actes 28 : 31). Un témoin se rend même jusqu’aux extrémités de la terre, c’està-dire Rome à l’époque, et de là, la Parole retentira avec un incontestable succès. La mission que le Christ a confiée aux disciples selon Actes 1 : 8 suit librement son cours.

Jean 20 : 21 L’Évangile selon Jean renferme la forme la plus courte des mandats donnés après la résurrection de Jésus, mais comme Comme le disent Köstenberger et O’Brien, une conversion au Christ équivaut à une incorporation dans la communauté chrétienne (op. cit., p. 268). 27

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le note Schnabel : « C’est sans doute la directive la plus frappante d’un point de vue théologique ». C’est également la plus controversée. Jésus leur dit de nouveau : Que la paix soit avec vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. (Jean 20 : 21)

Soulignons trois points théologiques importants. Une paix qui surpasse toute intelligence

Premièrement, Jésus donne sa paix à ses disciples. La paix de Jésus est le fondement de leur ministère et, bien sûr, elle constitue l’essentiel de leur message. Quelle est donc cette paix ? Certains répondent d’emblée que le terme hébreu pour « paix » est shalom et que la shalom biblique implique la réorganisation de toute chose selon le projet original de Dieu pour ce monde. C’est sans doute vrai, mais rappelons-nous que (1) la shalom biblique, c’est bien plus que l’harmonie sociale, et que (2) la véritable shalom est uniquement vécue par ceux qui sont en communion avec celui qui la donne. John Stott écrit avec raison : Les questions bibliques concernant la shalom, la nouvelle humanité et le royaume de Dieu ne doivent pas être confondues avec un renouveau social. […] Selon les apôtres, la paix que Jésus prêche et qu’il offre est par conséquent plus profonde et plus riche : c’est la réconciliation et la communion avec Dieu et avec les autres (Éphésiens 2 : 13-22). D’ailleurs, il n’accorde pas sa paix à tous les hommes, mais à ceux qui lui appartiennent, à sa communauté de rachetés. Shalom est donc la bénédiction que le Messie procure à son peuple28.

À l’évidence, le mot « paix » tel qu’il est employé dans l’Évangile selon Jean indique que la paix de Jésus est supérieure à tout ce que le monde peut offrir. Sa paix, c’est l’assurance qu’il John Stott, Christian mission in the modern world, p. 18-19.

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demeurera toujours avec nous par son Esprit (Jean 14 : 26-27). C’est en Jésus seul que nous trouvons cette paix (Jean 16 : 33). C’est par la puissance de sa résurrection d’entre les morts qu’elle est rendue possible (Jean 20 : 19, 21, 26). Jésus ne fait nullement allusion au renouveau des structures sociales quand il déclare : « Que la paix soit avec vous ». Il insiste plutôt sur l’assurance et le pardon accessibles à tous ceux qui croient en son nom (Actes 10 : 36 ; Romains 5 : 1 ; Philippiens 4 : 729). L’envoi le plus important

Deuxièmement, Jésus a été lui-même envoyé avant d’envoyer à son tour. Autrement dit, Jésus a été envoyé le premier et sa mission est primordiale : la mission chrétienne, c’est avant tout la mission du Christ dans le monde. Nous verrons plus loin que notre mission n’est pas identique à l’œuvre terrestre de Jésus. De toute évidence, nous ne sommes pas appelés à achever ce que le Fils n’aurait pas réussi à accomplir. En réalité, le Fils continue à accomplir par nous ce qu’il a commencé à dire et à faire au cours de son ministère terrestre (Actes 1 : 1). La mission de Jésus est le point de mire de l’histoire de l’humanité. Sa mission est fondamentale et essentielle, à la différence de celle de ses disciples. Néanmoins, selon Jean 20 : 21, les disciples ont reçu le merveilleux privilège de poursuivre la mission du Christ30. La mission de Jésus en tant que modèle

Le troisième point découle du second : la mission de Jésus est en quelque sorte un modèle pour la nôtre. Mais de quelle manière ? Comment le Christ exalté continue-t-il sa Schnabel écrit : « Le message des disciples concerne la paix : cette paix avec Dieu est restaurée par la mort de Jésus sur la croix, par l’expiation et le pardon des péchés, par la réconciliation de l’humanité rebelle avec Dieu » (Early christian mission, p. 379). 30 Cf. Andreas Köstenberger, The Missions of Jesus and the disciples according to the fourth Gospel, op. cit., p. 207 et 210 ; Köstenberger et O’Brien, Salvation to the ends of the Earth, op. cit., p. 264-266. 29

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mission par nous ? Nous transmet-il la puissance de faire ce qu’il a fait afin de perpétuer sa présence incarnée sur terre ? Ou nous accorde-t-il plutôt sa puissance pour que nous témoignions de ses enseignements et de son œuvre ? Le fait de supposer que la mission est toujours accompagnée d’une forme d’incarnation a quelque chose d’attirant. Bien sûr, c’est vrai jusqu’à un certain point : nous allons vers les gens et nous vivons parmi eux. Nous nous efforçons de suivre l’exemple d’humilité et l’attitude sacrificielle du Christ (Philippiens 2 : 5-11)31. Cependant, la pensée incarnationaliste dans la mission va souvent beaucoup trop loin32, puisqu’elle prétend modeler son ministère sur celui de Jésus. Selon John Stott et plusieurs autres, la mission de l’Église, c’est donc le service. Il écrit : « Notre mission, comme celle du Christ, doit donc être une mission de service33 ». Par conséquent, l’évangélisation et l’action sociale seraient complémentaires dans la mission chrétienne34. Puisque la forme la plus fondamentale du mandat missionnaire se trouve dans l’Évangile selon Jean (de l’avis de Stott), la manière la plus simple de résumer l’entreprise missionnaire serait la suivante : « Nous sommes envoyés dans le monde pour servir, tout comme Jésus a servi35 ». L’interprétation que Stott propose de Jean 20 : 31 fortement marqué le monde évangélique. Elle se heurte toutefois à deux problèmes. 31 On peut trouver un exposé touchant à ce sujet à la fin du sermon de B. Warfield, « Imitating the Incarnation », in The Savior of the world, Édimbourg : Banner of Truth, 1991, p. 247-270. 32 Cf. Hesselgrave, Paradigms in conflict, op. cit., p. 141-165, pour un résumé utile du débat entre l’aspect « incarnation » et l’aspect « représentation ». Hesselgrave appuie ce dernier. 33 John Stott, op. cit., p. 23-24. 34 Ibid., p. 27. 35 Ibid., p. 30.

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D’abord, considérer la mission de Jésus comme une mission de service peut être trompeur. L’énoncé ne présente aucun problème si nous utilisons « servir » dans le même sens que Marc 10 : 45. Jésus y annonce qu’il « est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme la rançon de plusieurs ». Toutefois, Stott va plus loin. Il entend par là que la mission de Jésus consiste à répondre aux besoins humains, qu’ils soient spirituels ou physiques36. Personne ne peut nier que Jésus a fait preuve d’une extraordinaire compassion envers une foule de gens. Nous ne disons pas qu’il n’y a pas de place dans l’œuvre de l’Église pour la prise en compte des besoins physiques. Au contraire, soyons zélés pour faire le bien (Tite 2 : 14) et accomplissons les bonnes œuvres préparées d’avance pour nous (Éphésiens 2 : 10). Cependant, il est erroné de croire que le ministère de Jésus se concentrait principalement sur le service, et encore plus de prétendre, comme un ouvrage récent le fait, que « chaque moment de son ministère était consacré aux gens pauvres, malades, démunis ou blessés37 ». Parfois, Jésus recherchait la solitude et s’éloignait alors des foules (Marc 1 : 35, 45). Parfois, il passait du temps en compagnie des riches, tel que Zachée (Luc 19 : 5). Souvent, il passait son temps avec les disciples qui eux, n’étaient pas sans ressources puisqu’ils bénéficiaient du soutien de femmes riches (Luc 8 : 1-3). À vrai dire, et au risque de paraître sans cœur, l’ambition première de Jésus n’était pas de guérir les malades et de satisfaire les besoins des pauvres. Bien qu’il se soit soucié de leurs besoins, il est venu dans le monde pour sauver les hommes de la condamnation (Jean 3 : 17), pour être « élevé, afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle » (3 : 14-15). Ibid., p. 24. Gabe Lyons, The Next christians : How a new generation is restoring the faith, New York : Doubleday, 2010, p. 55. 36 37

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Il a été envoyé par le Père afin que quiconque se nourrit de ses paroles vive à jamais (6 : 57-58). Dans son important ouvrage sur les missions de Jésus et des disciples, Andreas Köstenberger conclut que, dans son Évangile, l’apôtre Jean décrit la mission de Jésus comme celle du Fils, envoyé par le Père, venu dans ce monde et retourné vers le Père. Jésus est l’enseignant-berger qui en appelle d’autres à le suivre afin de l’aider à moissonner la récolte ultime38. Dans ce cas, nous sommes loin d’un Jésus dont la mission fondamentale aurait été de subvenir aux besoins temporels. Certains disent qu’il s’agit uniquement du point de vue de Jean. Son Évangile se distingue toujours un peu des trois autres. Examinons celui de Marc, par exemple. À l’évidence, cet Évangile rapporte un grand nombre d’occasions où Jésus a guéri les malades et chassé les démons. L’enseignement, la guérison et l’exorcisme constituaient, semble-t-il, les trois volets essentiels de son ministère : les événements qui ont marqué le premier jour de son ministère à Capernaüm sont particulièrement représentatifs (Marc 1 : 21-34). Dans les faits, cependant, son ministère était axé sur la proclamation de l’Évangile, l’annonce du royaume et l’appel à se repentir et à croire (1 : 15). Jésus guérissait et chassait les démons par compassion envers ceux qui souffraient (1 : 41 ; 9 : 22). Or, ses miracles avaient d’abord et avant tout pour objectif de confirmer son autorité et de mettre en lumière son identité unique (cf. 2 : 1-12). De toute évidence, Jésus n’est jamais entré dans une ville dans le seul but de guérir les malades ou de chasser des démons. Il n’est jamais parti en tournée de guérison et d’exorcisme, bien qu’il ait souvent accompli de tels miracles en cours de route. Il était ému de compassion face aux besoins des êtres humains (Marc 8 : 2), mais ces besoins physiques pouvaient à l’occasion être un obstacle au ministère Köstenberger, The Missions of Jesus and the disciples, op. cit., p. 199.

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de Jésus, puisqu’il voulait avant tout prêcher (Marc 1 : 38). C’est pour cette raison qu’il ordonnait souvent à ceux qu’il aidait de se taire (Marc 1 : 44 ; 7 : 36) et qu’il ne faisait pas beaucoup de miracles dans les villes remplies d’incrédulité (Marc 6 : 5-6). L’Évangile selon Marc, comme les autres Évangiles, rapporte beaucoup de miracles et d’actes de bienveillance. Or, ce n’est pas là l’essentiel. La première partie de cet Évangile prépare le terrain pour la confession de Pierre au chapitre 8, moment où Jésus choisit de révéler qui il est. La seconde partie pointe vers la croix, où l’œuvre de Jésus est parfaitement accomplie : les chapitres 9 et 10 mentionnent trois prédictions concernant sa mort et sa résurrection, et les chapitres 12 à 16 relatent en détail ces événements. L’Évangile selon Marc ne présente pas un Jésus principalement affairé à répondre aux besoins physiques. L’Évangile de Marc présente qui est Jésus et ce qu’il a fait afin de sauver les pécheurs. Par conséquent, il est tout à fait logique que, dans Marc, le premier geste de Jésus après avoir prêché soit d’appeler des hommes à le suivre, en leur promettant de faire d’eux des pêcheurs d’hommes (Marc 1 : 17). Les intentions de Jésus, énoncées en Marc, sont claires. Il est venu prêcher (Marc 1 : 38). Il est venu appeler les pécheurs (Marc 2 : 17). Il est venu donner sa vie en rançon pour beaucoup (Marc 10 : 45). Ailleurs, on rapporte que Jésus est venu pour chercher et sauver ce qui était perdu (Luc 19 : 10). Son ministère est axé sur l’enseignement. Le cœur de cet enseignement est centré sur son identité. Et la bonne nouvelle de son identité culmine à la croix. La mission de Jésus n’est pas de servir les êtres humains au sens large, mais de proclamer l’Évangile par son enseignement, de confirmer cet Évangile par des prodiges et des miracles, et d’accomplir cet Évangile par sa mort et sa résurrection. 60


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Deuxièmement, il est imprudent de déduire que puisque nous sommes envoyés, comme Jésus a été envoyé, nous sommes investis en tout point de la même mission que lui. Nous devons préserver l’unicité absolue de l’œuvre de Jésus sur la terre. Dans son commentaire sur Jean 17 : 18, Don Carson conclut, en ce qui a trait à la mission des disciples qu’« il n’y a pas nécessairement la connotation d’une incarnation ou de l’invasion d’un autre monde ». Nous devons plutôt faire face au « fossé ontologique qui sépare à jamais les origines de la mission de Jésus de celles de la mission des disciples39 ». Il est impossible de reproduire le ministère d’incarnation de Jésus au même titre qu’il est impossible de répéter son ministère d’expiation. Notre rôle se limite à témoigner de son œuvre achevée. Nous ne sommes pas de nouvelles incarnations du Christ, mais ses représentants : nous offrons la vie en son nom, proclamons son Évangile, implorons les hommes de se réconcilier avec Dieu (2 Corinthiens 5 : 20). Voilà comment le Christ exalté poursuit sa mission en nous. Comment alors l’envoi du Fils constitue-t-il un modèle de notre propre envoi par le Fils ? Köstenberger l’explique ainsi : Le quatrième Évangile ne paraît donc pas enseigner le « modèle d’incarnation » proposé par Stott et par d’autres. Ce n’est pas la façon dont Jésus est venu dans le monde (à savoir, l’incarnation), mais la nature de sa relation avec celui qui l’a envoyé (à savoir, une relation d’obéissance et de complète dépendance), qui est présentée par Jean comme le modèle de la mission des disciples. Les disciples de Jésus sont appelés à imiter son zèle dépourvu d’égoïsme à chercher la gloire de celui qui l’a envoyé, à se soumettre à sa volonté, à le représenter avec fidélité et à le connaître intimement40.

En conséquence, servir l’être humain et combler ses besoins physiques n’était pas considéré, du moins par 39 Don Carson, Évangile selon Jean : Commentaire, trad. A. Doriath et Ch. Paya, Charols/ Trois-Rivières : Excelsis/Publications chrétiennes, 2011, p. 748. 40 Köstenberger, The Missions of Jesus and the disciples, op. cit., p. 217.

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l’apôtre Jean, comme la priorité de la mission de Jésus, ni celle des disciples41. Selon le contexte de Jean 20 : 21, la mission des disciples consiste à employer les clés du royaume pour ouvrir ou fermer la porte du pardon (Jean 20 : 23, cf. Matthieu 16 : 19). Jean a rédigé son Évangile pour que ses lecteurs croient « que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant [ils aient] la vie en son nom » (Jean 20 : 31). C’est ainsi que l’évangéliste comprenait sa mission. Et tout porte à croire qu’il y voyait l’accomplissement de la mission confiée par Jésus, telle qu’il l’avait lui-même décrite dans son livre. Le Père a envoyé le Fils pour qu’en croyant en son nom, les enfants de Dieu aient la vie (Jean 1 : 12). Le Fils a envoyé les disciples afin que, dans un même esprit de soumission et d’obéissance, ils annoncent par tout le monde celui qui est le chemin, la vérité et la vie (Jean 14 : 6).

La synthèse des éléments Comment rassembler tous ces éléments ? D’une part, les mandats missionnaires sont présentés sous plusieurs angles. Matthieu se concentre sur la formation de disciples, Luc, dans son Évangile et dans les Actes, attire l’attention sur l’importance du témoignage et Jean fait ressortir la nature théologique de la mission. Bien sûr, cette diversité ne met nullement en doute la véracité des comptes rendus, mais elle présente différents objectifs de la part des évangélistes. Néanmoins, ces passages partagent davantage de similitudes que de disparités. Ils brossent ensemble un tableau complet, aux couleurs complémentaires, de la mission des premiers disciples. Nous pouvons résumer cette mission en sept questions : Ibid., p. 215.

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• Qui ? Jésus a confié verbalement cette mission aux premiers disciples, mais ils ne l’ont pas achevée au cours de leur vie. Par conséquent, le Seigneur de l’Église attend de ses fidèles qu’ils poursuivent cette mission « jusqu’à la fin des temps ». La mission des premiers disciples est devenue notre mission. • Pourquoi ? L’autorité de notre mission vient du Christ. Elle est enracinée dans la parole de Dieu et fondée sur l’envoi du Fils par le Père. Nous sommes envoyés parce que Jésus a été envoyé. C’est en son nom et sous son autorité que nous allons. • Quoi ? La mission consiste à prêcher, enseigner, annoncer, témoigner et faire des disciples. La mission est fondée sur les déclarations de l’Évangile : l’annonce de la mort et de la résurrection du Christ et de la vie qui se trouve en lui au moyen de la repentance et de la foi. • Où ? Nous sommes envoyés dans le monde. Notre stratégie n’est plus « viens et vois », mais « va et dis ». Le message du salut est destiné à tous les groupes d’individus, où qu’ils se trouvent. • Comment ? Nous allons par la puissance du SaintEsprit et dans la soumission au Fils, comme ce dernier a lui-même obéi au Père en dépendant de lui. • Quand ? La mission a commencé à la Pentecôte alors même que les disciples ont été revêtus de la puissance d’en haut par la présence du Saint-Esprit. La mission durera aussi longtemps que la promesse de la présence du Christ : jusqu’à la fin du monde. • À qui ? L’Église doit faire de toutes les nations des disciples. Par conséquent, nous devons aller partout où il y a des gens, en proclamant la Bonne Nouvelle jusqu’aux extrémités de la terre.

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Un autre mandat Nous avons considéré les mandats que Jésus a confiés à ses disciples après sa résurrection et avant son ascension. Cependant, une étude de la mission paraît incomplète sans un coup d’œil sur le missionnaire par excellence du Nouveau Testament, Paul, l’apôtre des païens. Après sa conversion sur le chemin de Damas, Jésus confia à Saul (devenu Paul) une nouvelle mission. Paul, l’instrument choisi par Jésus (Actes 9 : 15), devait « aller », afin de porter le nom et les souffrances du Christ (Actes 9 : 15-16). Dans un autre récit du même appel, Paul approfondit avec plus de détail et de précision la tâche que Jésus lui a confiée : […] Je te suis apparu : je te destine à être serviteur et témoin des choses que tu as vues de moi et de celles pour lesquelles je t’apparaîtrai. Je t’ai pris du milieu de ce peuple et des païens, vers qui je t’envoie, pour leur ouvrir les yeux, afin qu’ils se tournent des ténèbres vers la lumière et du pouvoir de Satan vers Dieu, et qu’ils reçoivent le pardon des péchés et un héritage avec ceux qui sont sanctifiés par la foi en moi. (Actes 26 : 16-18b)

Comment cette réalité était-elle reflétée dans la vie de Paul ? À l’évidence, il savait que l’évangélisation et la formation de disciples n’étaient pas les seules activités valables ou l’unique manière de plaire à Dieu. Il fabriquait également des tentes (Actes 18 : 3) et savait se « souvenir des pauvres » (Galates 2 : 10). Il enseignait aussi que l’amour accomplissait toutes les exigences horizontales de la loi (Romains 13 : 9 ; Galates 5 : 14). Mais Paul n’a pas dit « je n’ai plus de champ d’action dans ces contrées », parce qu’il avait suffisamment aimé les gens de ces contrées. Non. Mais bien plutôt parce qu’il avait commencé à fonder et à édifier de jeunes Églises dans ces contrées par la proclamation de l’Évangile (Romains 15 : 23). De toute évidence, le ministère de Paul était centré sur l’évangélisation et fondé sur la Parole. Or, on prétend 64


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parfois qu’il est impossible de démontrer que Paul exigeait des Églises qu’il avait fondées qu’elles poursuivent la même mission que lui. Dans son livre Paul’s understanding of the Church’s mission42 , Robert Plummer s’élève contre cette assertion et défend son argument d’une manière convaincante. Selon lui, les Églises fondées par Paul constituaient des communautés qui évangélisaient. Considérons ces quelques exemples : • Paul emploie un vocabulaire emprunté au monde de l’évangélisation pour décrire l’Église de Thessalonique. La Parole travaille dans le cœur des croyants (1 Timothée 2 : 13-16), elle se répand (2 Timothée 3 : 1) et elle retentit au loin (1 Timothée 1 : 8). • Selon Philippiens 1 : 12-18, Paul prévoyait que le Christ serait annoncé « de toute manière » par l’Église de Philippes. • En Éphésiens 6 : 15, les chaussures de l’armure de l’Évangile fournissent aux croyants le zèle nécessaire pour proclamer « l’Évangile de paix ». • Dans sa première épître aux Corinthiens (4 : 16), Paul invite l’Église primitive à l’imiter en acceptant de souffrir pour avoir annoncé la folie de la croix. • Parallèlement (1 Corinthiens 11 : 1), l’apôtre appelle les chrétiens à l’imiter dans son souci d’annoncer l’Évangile aux païens. Les passages suivants prouvent que les Corinthiens devaient se préoccuper du salut des incroyants : 1  Corinthiens 7 : 12-16 ; 14 : 23-25. • En plus de ces exemples de partage « actif » de l’Évangile, plusieurs textes démontrent comment l’Église primitive devait témoigner « passivement » du Christ. Les passages suivants, 2 Corinthiens 6 : 3-7 ; 42 Robert Plummer, Paul’s understanding of the Church’s Mission : Did the apostle Paul expect the early christian communities to evangelize ? Eugene (USA) : Paternoster/Wipf and Stock, 2006.

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1 Timothée 2 : 5-12 et Tite 2 : 1-10, démontrent que « les divers segments de la communauté chrétienne doivent tous vivre de manière à susciter la louange, non pas simplement pour obéir à Dieu, mais aussi parce que leur comportement rapprochera ou éloignera les hommes de l’Évangile43 ». Nous suivons donc l’exemple de Paul, qui obéissait au Christ en observant le grand ordre de mission. Le livre des Actes démontre que la tâche de faire des disciples n’a pas uniquement été confiée aux douze apôtres. Les épîtres de Paul et son propre ministère prouvent la même chose. Le mandat missionnaire concerne l’Église tout entière, et l’exemple de Paul est sans doute le plus éloquent. Une étude soignée de sa vie et de ses enseignements indique que la mission de Paul était triple : (1) amorcer l’évangélisation (2) édifier les Églises en les protégeant de l’erreur et en les enracinant dans la foi et (3) les établir et les affermir en tant que communautés saines par une exposition au message complet de l’Évangile et par la désignation de responsables locaux44.

Une conclusion préliminaire Il reste de nombreuses briques théologiques à poser au fondement de notre argumentation (ne fermez pas ce livre tout de suite !). Mais, suite à la réflexion de ce chapitre, nous sommes en mesure de vous proposer un énoncé en une phrase pour répondre à la question qui est le sujet ce livre. La mission de l’Église, c’est d’aller dans le monde pour faire des disciples en proclamant l’Évangile de Jésus-Christ par la puissance du Saint-Esprit, et de réunir ces disciples en Églises, pour qu’ ils puissent adorer le Seigneur et obéir à ses commande Ibid., p. 104-105. Cette énumération est prise du compte rendu du livre de Plummer faite par Kevin dans le 9Marks eJournal. Utilisé avec permission. 44 Pour la formulation de base de ce résumé, nous sommes redevables envers Peter O’Brien, Gospel and mission in the writings of Paul, op. cit., p. 43, 64. 43

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ments, maintenant et à jamais, pour la gloire de Dieu le Père. Telle est la mission que Jésus a donnée à ses disciples avant son ascension, la mission que décrit le Nouveau Testament, la mission de l’Église aujourd’hui. Cette mission se réalise par le biais de certaines tâches particulières que Jésus a confiées à son Église. Cependant, « tout ce que Dieu nous a prescrit » de faire dans le monde est beaucoup plus vaste que l’ensemble de ces tâches liées à cette mission. Nous n’insinuons pas que nos obligations, dans leur sens plus large, ne sont pas importantes, car elles le sont ! L’enseignement de Jésus et des apôtres nous commande d’être de bons parents, des couples unis, de faire le bien autour de nous et bien d’autres choses encore. Jésus nous dit même que le grand ordre de mission (tel que le décrit l’Évangile selon Matthieu) consiste à enseigner « à observer tout ce que je vous ai prescrit ». Cela ne signifie cependant pas que tout ce que nous faisons par obéissance au Christ fasse partie de la grande mission de l’Église. La mission que Jésus a confiée à l’Église est plus précise que cela. Certes, les autres commandements de Jésus sont également tous importants. Cependant, l’Église s’est vu confier une mission distincte par son Seigneur, et enseigner aux gens à observer les commandements du Christ constitue une partie incontournable de cette mission. Nous allons, proclamons, baptisons et enseignons : tout cela dans le but de faire des disciples de Jésus-Christ qui deviendront fervents, déterminés et obéissants à tout ce qu’il a prescrit. En bref, la mission de l’Église telle que l’ont exprimé les mandats missionnaires des Évangiles, l’Église primitive du livre des Actes et la vie de l’apôtre Paul consiste à gagner des âmes pour Christ et à les édifier en lui. Faire des disciples : voilà notre tâche.

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Kevin DeYoung & Greg Gilbert Tout le monde semble avoir sa propre définition de la mission de l’Église : d’une Église à l’autre, d’une dénomination à l’autre, voire d’une génération à l’autre. Pour les uns, la mission de l’Église est de rétablir la justice et de pallier la souffrance dans ce monde. C’est ainsi que l’amour de Dieu se manifestera concrètement au quotidien. Pour d’autres, il s’agit surtout de ne pas perdre de vue la centralité de Dieu en toute chose. Ils soulignent donc que la mission de l’Église, c’est avant tout la proclamation de l’Évangile. Pourquoi un tel grand écart dans notre compréhension de l’objectif fondamental de l’Église ? Kevin DeYoung et Greg Gilbert ont une conviction : ces deux positions ne sont pas aussi éloignées qu’elles n’y paraissent. Le fossé peut être comblé. Pour cela, ils clarifient les concepts-clés tels que le royaume de Dieu, l’Évangile et la justice sociale. Leur travail essentiel consiste à préciser de la manière la plus biblique et complète possible ce qu’est la mission de l’Église. Leur message ? Rassemblons-nous sous une cause commune afin d’accomplir pleinement la vraie mission de l’Église.

Kevin DeYoung est pasteur. Il a écrit plusieurs livres dont Vie de fou, La faille dans notre sainteté et Croire Dieu sur Parole. Il est marié avec Trisha et ils ont six enfants.

Greg Gilbert est pasteur. Il a écrit plusieurs ouvrages dont Qu’est-ce que l’Évangile ? Il est marié avec Moriah et ils ont trois enfants.

17,90€

ISBN 978-2-36249-309-6

Publié au Canada par

éditions

cruciforme

9 782362 493096

Quelle est la mission de l’Église ?

Faut-il choisir entre le mandat missionnaire et la justice sociale ?

Kevin DeYoung & Greg Gilbert

Faut-il choisir entre le mandat missionnaire et la justice sociale ?


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