JEAN CALVIN
COMMENTAIRE DE MALACHIE
TRADUIT DU LATIN par Renaud Festal
COMMENTAIRE DE MALACHIE
JEAN CALVIN
COMMENTAIRE DE MALACHIE
TRADUIT DU LATIN par Renaud Festal
Les éditeurs remercient chaleureusement tous les relecteurs et relectrices pour leur précieuse collaboration à cet ouvrage.
Édition originale publiée en langue latine sous le titre : « Malachias », in Opera exegetica et homiletica
• Jean Calvin
Édition publiée en langue française : Commentaire de Malachie
• Jean Calvin
© 2024
• BLF Éditions
Rue de Maubeuge, 59164 Marpent, France
© 2024
• Éditions Calvin
30100 Alès, France
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.
Traduction : Renaud Festal
Couverture : Éditions Calvin
Mise en page : BLF Éditions
Une coédition BLF Éditions et Éditions Calvin
Coédition BLF Éditions
ISBN 978-2-36249-838-1 broché
ISBN 978-2-36249-839-8 numérique
Coédition Éditions Calvin
ISBN 978-2-49209-910-6 broché
Imprimé en France par Évoluprint D
Table des matières
Préface des éditeurs
Origine du texte
« Nous savons la façon de l’Écriture de toucher en un mot ce qui doit être étendu au long et au large1. » Ces mots du réformateur correspondent bien à l’exercice auquel il s’est livré dans ce commentaire du livre de Malachie. À l’origine, cet ouvrage est le recueil des Praelectiones — ou leçons — qu’il donne à ses étudiants. Dès 1559, Calvin expose, devant ses élèves et en latin, le texte biblique des « petits prophètes » assorti d’un commentaire. Ces leçons d’environ une heure étaient données dans une salle proche de la Cathédrale Saint-Pierre à Genève. Elles se tenaient habituellement les trois premiers jours de la semaine.
Le caractère oral de ces cours a été conservé dans la version retranscrite par Calvin. Un verset après l’autre, l’auteur suit le texte biblique. Son ambition est celle-ci : que ses élèves — et donc ses lecteurs — ne se « contentent point de l’écorce, mais désirent entrer jusqu’au noyau 2 ». En ouvrant ce commentaire, le lecteur se fait donc l’élève du réformateur. Page après page — jour après jour, devrait-on
1 Jean Calvin, 35 e sermon sur II Samuel. Cité dans Peter Rodolphe , « Rhétorique et prédication selon Calvin », Revue d’histoire et de philosophie religieuses, 55e année n°2, 1975, p. 249-272.
2 Jean Calvin, Leçons et expositions familières de Jehan Calvin sur les douze petits Prophètes : assavoir, Hosée, Joel, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahum, Habacuc, Sophonias, Aggée, Zacharie, Malachie, traduites de latin en francois, 1565, Genève, p.2.
dire tant le cycle journalier transparaît dans l’œuvre — il apparaît clairement que l’Écriture constitue pour Calvin le fondement de toute doctrine.
Ce commentaire est remarquable par la richesse de son contenu, mais aussi par la mise en abîme qu’il permet. Le lecteur du XXIe siècle en aurait presque le vertige. Ces textes le transportent au cœur de la Réforme. Tout en étant bien ancré dans le texte de Malachie, Calvin offre un panorama des problématiques les plus prégnantes à l’ère de la Réforme. Il y fustige les « papistes » et encourage les croyants protestants à tenir ferme. Pour Calvin, les questions traitées par le prophète Malachie font pleinement sens dans son actualité propre. De la même manière, c’est grâce à la plume du réformateur — enfin traduite — que la voix du prophète se fait encore entendre avec pertinence aujourd’hui.
Explication sur la traduction biblique utilisée
La traduction proposée ici se veut fidèle à sa source latine. Elle adopte ainsi les contours syntaxiques propres à Calvin. Le lecteur attentif pourrait presque y déceler l’organisation de la pensée du Genevois. La version biblique utilisée par Calvin dans son commentaire est en latin. Mais il semble évident qu’il avait recours au texte hébreu très fréquemment. En effet, certains termes écrits en alphabet hébraïque émaillent le texte. Nous avons fait le choix de retranscrire ici une traduction de la version latine du texte de Malachie. Ce choix s’explique par la volonté de fournir au lecteur une traduction des Écritures au plus proche de celle sur laquelle le réformateur travaillait.
Si le lecteur ressortira grandi de cette lecture, c’est toute la communauté de l’Église que Calvin souhaite édifier au travers de son travail. « Je ne demande rien d’autre, dit-il, sinon que les gens de bien et de bon cœur, qui liront cette œuvre […] s’efforcent et appliquent leurs études, afin que le profit en revienne à toute l’Église3. » C’est empreints de ce désir que nous avons souhaité faire paraître cet ouvrage.
Introduction
On en vient au livre de Malachie que beaucoup, d’après ce nom, prétendent avoir été un ange, parce que nous savons que ךאלמ [mal’ak] est appelé ange pour les Hébreux. Mais il est aisé de reconnaître à quel point c’est un fruit de l’imagination. Le Seigneur, en effet, n’a pas envoyé des anges à cette époque pour faire connaître ses oracles, mais il a usé du ministère ordinaire. Et puisque la lettre i, ajoutée à la fin du nom, est pour ainsi dire d’usage courant dans les noms propres, il est aisé d’en conclure que c’est plutôt le nom d’un homme. Du reste, il est facile d’admettre que ladite lettre a pu être ajoutée pour une raison quelconque qui nous est inconnue aujourd’hui. J’admettrais plus volontiers ce que d’autres disent, que c’était Esdras, et s’il a été ainsi nommé, c’est parce que Dieu l’avait appelé à une charge illustre et magnifique. Quoi qu’il en soit, il n’y a aucune difficulté à admettre qu’il ait été un prophète. Il y a des raisons probables par lesquelles nous pouvons faire coïncider la pensée qu’il a été le dernier, parce qu’à la fin du livre il exhorte le peuple à persévérer dans la pure doctrine de la loi.
Il fait cela du fait que Dieu, par la suite, n’allait plus continuer à envoyer des lignées de prophètes comme auparavant. Il a voulu, en effet, user de ce moyen afin que les Juifs soient davantage saisis du désir de Christ, dans la mesure où ils seraient privés pour un temps de leurs prophètes. En effet, ce dut être un signe, soit de la colère de Dieu, soit de la venue du Christ, tant qu’ils ont été privés de cette bénédiction dont il est fait mention chez Moïse (Deutéronome 18).
Là, en effet, Dieu avait promis qu’il enverrait des prophètes, afin que
les Juifs reconnaissent le soin qu’il prenait de leur salut. Ainsi, en privant ce peuple de prophètes, Dieu, soit montra de cette manière son profond courroux, comme pendant son exil à Babylone, soit voulut tenir leur esprit en suspens, afin qu’ils aient les regards dans l’attente de Christ en un plus grand besoin. Quoi qu’il en soit, je ne doute pas que ce prophète ait été le dernier de la lignée, puisqu’il ordonne au peuple de rester attaché à l’enseignement de la loi, jusqu’à ce que Christ soit manifesté.
L’essentiel du livre, c’est que, quand les Juifs eurent été de nouveau dans leur patrie, ils étaient aussitôt revenus à leurs dispositions naturelles. Ayant mis en oubli la grâce de Dieu, ils s’étaient ainsi livrés à beaucoup de corruptions, de sorte que leur état n’était en rien meilleur que celui de leurs pères avant eux, comme si Dieu avait perdu son temps à punir leurs péchés. Comme les Juifs étaient donc aussitôt retombés dans beaucoup de vices, notre prophète les reprend durement. Il leur reproche leur ingratitude du fait de répondre à leur Dieu libérateur par un si indigne retour. Ensuite, il rappelle certains crimes, afin de maintenir le peuple convaincu, alors qu’il le voyait relativiser à l’excès.
Or, il s’adresse aux sacrificateurs qui, par leurs mauvais exemples, avaient corrompu les mœurs du peuple, ce qui était pourtant totalement étranger à leur devoir. Le Seigneur, en effet, les avait mis à la tête de son peuple comme maîtres et docteurs pour lui enseigner la piété et l’intégrité. Et pourtant, la plus grande partie des péchés provenaient précisément d’eux ; et c’est pour cette raison que notre prophète les blâme de façon d’autant plus rude. En même temps, néanmoins, il montre que Dieu gardera en mémoire son alliance gratuite qu’il avait établie avec leurs pères, de sorte que finalement, le Rédempteur viendra. Voilà l’essentiel.
Maintenant j’en viens au texte.
MALACHIE
Chapitre 1
VERSET 1
Fardeau des paroles du Seigneur, adressées à Israël par la main de Malachie.
Ceux qui présentent ce mot אשמ [massa’], fardeau , simplement comme prophétie, sans autre précision, se trompent, comme je l’ai déjà mentionné ailleurs. En effet, la prophétie n’est pas partout appelée fardeau. Ensuite, chaque fois que ce nom est évoqué, il s’y trouve sous-entendu un jugement de Dieu. Et, d’après Jérémie 23.38, il est assez reconnu que ce mot était de toute façon menaçant, de sorte que les impies, lorsqu’ils voulaient propager quelque marque de reproche sur les prophètes, disaient, comme par moquerie, c’est un fardeau. Ils laissaient entendre qu’assurément rien d’autre ne leur avait été apporté par les prophètes, que menaces et terreurs, de sorte qu’il valait mieux pour eux fermer leurs oreilles et fuir toutes les prophéties comme un présage ennemi et funeste.
Et, en allant plus loin, il s’avèrera que la doctrine de Malachie n’est pas sans raison appelée fardeau. Car, comme je l’ai déjà dit en partie et comme on le verra ensuite en son temps plus largement, il était
nécessaire que le peuple soit convoqué au tribunal de Dieu. Car de nombreuses transgressions avaient recommencé à se répandre au milieu de lui et ne pouvaient être tolérées. Et c’est pour cette raison qu’il leur dit que le jugement de Dieu était proche.
Néanmoins, sous le nom d’Israël , il désigne seulement ceux qui étaient revenus de l’exil, soit qu’ils étaient de la tribu de Juda et de Benjamin, soit de la tribu de Lévi. Par ailleurs, il est probable que quelques-uns, issus d’autres familles, aient encore été mêlés à eux. Mais, quasiment seuls ceux de Juda, avec leurs voisins, la demi-tribu de Benjamin, sont retournés au pays. Je dis cela sans compter les Lévites qui furent quasiment leurs guides de voyage et encouragèrent le reste du peuple. Mais ils ont été appelés sans distinction du nom d’Israël, dans la mesure où c’était seulement chez eux que demeurait la pure religion. Quant à ceux qui habitaient dispersés parmi les nations étrangères et païennes, même s’ils n’avaient pas totalement abandonné le pur culte de Dieu et la piété, c’était cependant comme s’ils avaient perdu leur nom. Ainsi ont été appelés Israélites par excellence ceux qui furent de nouveau rassemblés en terre sainte, afin qu’ils y jouissent de l’héritage qui leur avait été promis par Dieu.
Quant à la main , comme nous l’avons vu ailleurs, cela signifie ministère. La signification, par conséquent, c’est que cette instruction vient de Dieu, mais qu’un ministre, c’est-à-dire Malachie, l’a transmise. Ainsi il n’apporte rien de lui-même, mais il ne rapporte que fidèlement ce qui lui a été confié par Dieu, qui en est lui-même l’auteur. Il s’ensuit, par conséquent :
Je vous ai aimés, dit l’Éternel ; et vous dites : En quoi nous as-tu aimés ? Ésaü n’était-il pas frère de Jacob lui-même ? dit l’Éternel. Et j’ai aimé Jacob. Et j’ai eu Ésaü en haine, et j’ai érigé ses montagnes en désolation, j’ai livré son héritage aux chacals du désert. Si Édom dit : Nous sommes détruits, nous relèverons les ruines ! Ainsi parle l’Éternel des armées : Qu’ils rebâtissent, je renverserai, et on les appellera pays de la méchanceté, peuple contre lequel l’Éternel est indigné pour toujours. Vos yeux le verront, et vous direz : Grand est l’Éternel par-delà les frontières d’Israël. Un fils honore son
père, et un serviteur son maître. Si je suis père, où est l’honneur qui m’est dû ? Si je suis maître, où est la crainte qu’on a de moi ? dit l’Éternel des armées.
Malachie 1.2-6
VERSET 2
Je vous ai aimés, dit l’Éternel ; et vous dites : En quoi nous as-tu aimés ? Ésaü n’était-il pas frère de Jacob lui-même ? dit l’Éternel. Et j’ai aimé Jacob.
J’ai été contraint de lire tous ces versets en un seul ensemble, parce que le sens ne pouvait être complet autrement. En effet, Dieu débat ici avec un peuple pervers et ingrat, parce qu’ils l’ont doublement dépouillé de son droit, dans la mesure où il n’est ni aimé ni craint, tandis qu’il est en droit d’attendre pour lui à juste titre le nom et l’honneur d’un père aussi bien que d’un maître. Comme au contraire les Juifs ne lui portaient aucune vénération, il leur reproche d’avoir été privé de son droit de Père. Ensuite, comme il ne lui était voué aucune crainte, il les condamne de nouveau pour ne pas le reconnaître comme leur Seigneur, puisqu’ils ne pouvaient se soumettre à son autorité. Mais avant d’en venir là, il montre qu’il est leur Seigneur et leur Père. Il leur démontre qu’il est véritablement leur Père, puisqu’il les aime gratuitement.
Nous comprenons donc maintenant l’intention du prophète. Dieu veut en effet montrer ici que les Juifs sont d’une nature perverse, dans la mesure où ils ne le reconnaissent lui-même ni comme leur Père ni comme leur Seigneur. De fait, ils ne le vénèrent pas comme un seigneur ni ne l’honorent comme un père. Mais, comme je l’ai déjà évoqué, il met sous leurs yeux les bienfaits dont l’accumulation prouve qu’il mérite l’honneur dû et à un père et à un seigneur. C’est pourquoi il dit : Je vous ai aimés.
Certes, Dieu pouvait interpeller les Juifs d’une autre manière ; en effet, quelqu’absent qu’eût été son amour, ils étaient quand même tenus de demeurer sous son autorité. Et il ne s’agit pas ici en effet de
l’amour universel de Dieu, dont il entoure toute la race humaine. Mais il condamne les Juifs en ce qu’ils ont été gratuitement adoptés par luimême en tant que son peuple saint et unique, et que pourtant, ayant en quelque sorte mis en oubli cet honneur, ils l’ont effrontément dédaigné et ont tenu pour rien tout son enseignement. Quand, par conséquent, Dieu dit ici qu’il aime les Juifs, nous voyons qu’il veut par ce moyen les convaincre eux-mêmes d’ingratitude. En effet, ils ont méprisé cette grâce unique qui avait été accordée à eux seuls, plutôt que de faire peser sur eux son autorité universelle à laquelle tous les hommes sont soumis. Dieu aurait donc pu se manifester ainsi à leur égard : « C’est moi qui vous ai créés et je suis pour vous votre Père nourricier. Par ma faveur le soleil brille chaque jour sur vous, la terre produit ses fruits. En somme, c’est moi qui vous tiens attachés à moi par des bienfaits sans nombre. » Dieu aurait bien pu agir avec eux de cette façon. Mais, comme je l’ai déjà évoqué, il a plutôt voulu mettre en avant son adoption gratuite par laquelle il avait entouré la semence d’Abraham. Car ce fut une impiété d’autant moins supportable qu’ils aient méprisé cette grâce incomparable. Dieu, en effet, les avait préférés à toutes les autres nations, non pas pour un quelconque mérite ou une quelconque dignité, mais parce que c’était son bon plaisir. C’est donc la raison pour laquelle le prophète commence par dire que les Juifs avaient été aimés par Dieu, parce qu’ils avaient assurément répondu de la façon la pire à l’amour gratuit de Dieu, en méprisant ainsi son enseignement. C’est le premier point.
Par ailleurs, il n’y a pas de doute qu’il dénonce indirectement leur ingratitude quand il rapporte : En quoi nous as-tu aimés ? En fait, on pourrait bien compléter ainsi cette parole : Si vous dites, c’est-à-dire si vous demandez en quoi je vous ai aimés, c’est que j’ai choisi votre père Jacob de préférence à Ésaü, alors qu’ils étaient frères jumeaux. Mais nous verrons en plusieurs autres passages que les Juifs, en usant de faux fuyants, ont malignement occulté la grâce de Dieu, et qu’ils justifient ce péché par des paroles semblables. C’est pour cette raison que le prophète, voyant qu’il a affaire à des gens corrompus qui ne cèderaient pas facilement devant Dieu et n’honoreraient pas librement sa bienveillance par une confession sincère, les présente ici comme clamant : « Ho ! où nous as-tu aimés ? En quoi ? ho ! Les marques de cet amour
n’apparaissent pas. » Il répond au nom de Dieu : Ésaü était le frère de Jacob lui-même, et cependant, j’ai aimé Jacob et j’ai eu Ésaü en haine.
Nous voyons ce que j’ai abordé plus haut, c’est-à-dire que les Juifs sont ramenés au souvenir de l’alliance de grâce, afin qu’ils cessent d’excuser leur méchanceté pour avoir si mal pris chez eux cette extraordinaire grâce de Dieu. Il ne leur fait donc pas de reproche de ce qu’ils ont été créés comme le reste des hommes, de ce que Dieu a fait briller son soleil sur eux, de ce qu’il leur a fourni en abondance les aliments de la terre. Mais il dit qu’ils avaient été privilégiés sur les autres peuples non en raison de leur propre mérite, mais parce qu’il avait plu à Dieu de choisir leur père Jacob. Il aurait pu ici présenter Abraham comme exemple, mais parce que Jacob et Ésaü étaient nés de leur père Abraham, avec qui Dieu avait conclu son alliance, sa grâce fut d’autant plus manifeste qu’Abraham avait été seul choisi par Dieu, le reste des nations ayant été laissé de côté. Cependant, de cette unique famille que Dieu avait précédemment adoptée, un seul aura été choisi, l’autre ayant été laissé en arrière. S’il est fait une comparaison entre Ésaü et Jacob, ils étaient frères. Mais il y a d’autres circonstances à noter, que le prophète n’a pas exprimées ici, parce qu’elles étaient suffisamment connues. En effet, tous les Juifs savaient qu’Ésaü était le premier-né. C’est pourquoi, contrairement à l’ordre de la nature, Jacob a été doté du droit de primogéniture. Comme c’était alors assez connu de tous, le prophète s’est contenté de dire cette seule phrase, Ésaü était frère de Jacob.
Il dit cependant que Jacob a été choisi par une grâce de Dieu, son frère ayant été rejeté comme premier-né. Si on en demande la raison, elle ne se trouve pas dans l’origine de leur ascendance. Ils étaient frères jumeaux, et ils n’étaient pas encore sortis du ventre de leur mère au moment où le Seigneur a déclaré par son ordonnance que Jacob serait le plus grand. Nous voyons donc ici que l’origine première de toute l’excellence qui était dans la postérité d’Abraham se trouvait dans l’amour gratuit de Dieu, de sorte que Moïse parle même assez souvent ainsi :
Ce n’est pas que vous valiez mieux que les autres nations ou que vous soyez en plus grand nombre, que Dieu vous a pourvus de tant de bienfaits, mais parce qu’il a aimé vos pères.
Deutéronome 7.7-8
Ainsi les Juifs ont toujours été avertis de ne pas chercher la cause de leur adoption ailleurs que dans la faveur gratuite de Dieu ; parce qu’il avait daigné les choisir, c’était la source de leur salut. Nous retenons maintenant la pensée du prophète, quand il dit qu’Ésaü était le frère de Jacob et que cependant il n’était pas aimé de Dieu.
Mais il faut aussi retenir ce que j’ai dit précédemment : cette grâce unique de Dieu envers les enfants de Jacob est rapportée ici pour qu’ils aient davantage honte de leur ingratitude, dans la pensée que Dieu avait si mal placé son amour sur eux. Car, s’ils avaient mérité quelque chose, ils se seraient vantés qu’une récompense leur eût été rendue. Mais puisque le Seigneur leur avait accordé ce bienfait gratuitement et pour son seul bon plaisir, leur impiété en était d’autant moins excusable. C’est donc cette honte que notre prophète met maintenant en avant.
VERSET 3
Et j’ai eu Ésaü en haine, et j’ai érigé ses montagnes en désolation, j’ai livré son héritage aux chacals1 du désert.
Vient ensuite une preuve de haine envers Ésaü, en ce sens que le Seigneur a dédié sa montagne à la solitude et son héritage au désert où habitaient des serpents. Nous savons qu’Ésaü, chassé soit par sa propre honte, soit par l’aversion de son père, s’est retiré sur la montagne de Séir. Toute la région, en effet, où habitèrent ses descendants fut rude et enserrée de beaucoup de montagnes. Cependant, si quelqu’un objecte que ce n’est pas le signe d’une haine évidente, parce que l’on pourrait aussi dire, à l’inverse, que l’amour de Dieu à l’égard de Jacob n’avait
1 Ou serpents.
pas été particulièrement ostensible, dans la mesure où il avait habité au pays de Canaan, tandis que les Chaldéens habitaient une région plus agréable et plus fertile, et que les Égyptiens furent aussi abondamment prospères, la réponse à cela, c’est que la terre de Canaan était un symbole de l’amour de Dieu ; et cela non seulement en raison de sa fécondité, mais du fait que le Seigneur l’avait consacrée pour luimême et pour le peuple élu. De même Jérusalem n’a pas été supérieure à toutes les autres villes du pays, ni même à Samarie ou à Bethléem, ni à d’autres semblables, quant à sa situation.
En effet, elle était dans un endroit rude, comme c’est suffisamment notoire. Elle n’avait que la source de Siloé d’où coulait un petit cours d’eau. Elle n’avait ni une vue particulièrement belle ni une grande fertilité. Mais elle excellait par d’autres avantages, parce que Dieu l’avait choisie pour son sanctuaire. De même doit-on aussi le dire de tout le pays. Ainsi, dans la mesure où le pays de Canaan était, pour ainsi dire, le gage d’un héritage éternel pour les fils d’Abraham, c’est pour cela que l’Écriture l’exalte tellement et le pare de titres magnifiques. Si la montagne de Séir avait été très riche et remplie de tous les délices, cela aurait dû être encore un triste exil pour les Iduméens, dans la mesure où elle était une marque de réprobation, puisqu’Ésaü s’y rendit après avoir abandonné la maison de son père. Il devint en effet comme d’origine étrangère et se démit de son héritage céleste de même qu’il avait vendu son droit d’aînesse à son frère Jacob. C’est la raison pour laquelle Dieu rappelle ici qu’Ésaü a été pour ainsi dire relégué au milieu des montagnes et privé de la terre sainte que Dieu lui-même avait destinée à son peuple élu.
Du reste, le prophète ajoute encore autre chose, que la haine de Dieu s’est assurément manifestée lorsque la postérité d’Ésaü s’est éteinte. En effet, bien que les Assyriens et les Chaldéens n’aient pas moins cruellement usé de violence contre les Juifs que contre les Édomites, le résultat fut cependant de loin différent. En effet, au bout de soixante-dix ans, les Juifs sont retournés dans leur patrie et le temple fut réédifié, comme Jérémie l’avait promis. Pendant ce temps-là, l’Idumée ne put être rétablie, mais les signes de la terrible colère de Dieu y sont toujours apparus dans sa triste dévastation. Ainsi donc, tandis qu’il n’y a eu
aucune restauration de l’Idumée, à partir de là le prophète montre que l’amour de Dieu pour Jacob a été mis en évidence par ce signe, ainsi que sa haine à l’égard d’Ésaü. Car, évidemment, ce n’avait pas été du fait de l’être humain que la liberté était donnée aux Juifs, et qu’ensuite il leur a été permis de construire le temple, mais c’est parce que Dieu les avait choisis en la personne de Jacob, et avait voulu que ce peuple lui appartienne en propre et lui soit consacré.
Or, pour les Édomites, manifestement il est apparu plus clairement qu’ils avaient été réprouvés en la personne d’Ésaü, puisqu’après avoir été dévastés, ils virent qu’ils étaient condamnés à la destruction perpétuelle. Voilà donc où tendent les propos du prophète, lorsqu’il ajoute que la possession d’Ésaü avait été donnée aux serpents. En effet, comme je l’ai déjà dit, bien que, pour un temps, la condition des Juifs et des Édomites n’ait pas été différente, quand cependant Jérusalem commença de nouveau à s’élever et à être restaurée, alors Dieu montra clairement que ce pays n’avait pas été donné en vain à ses élus.
Mais quand le pays voisin ne put être restauré, alors que, pourtant, les descendants d’Ésaü pouvaient réparer avec moins d’hésitation leurs maisons, il devint donc assez évident que la malédiction de Dieu reposait sur eux.
VERSET 4
Si Édom dit : Nous sommes détruits, nous relèverons les ruines ! Ainsi parle l’Éternel des armées : Qu’ils rebâtissent, je renverserai, et on les appellera pays de la méchanceté, peuple contre lequel l’Éternel est indigné pour toujours.
Et dans la même pensée, il ajoute encore : Si Édom a dit : Nous sommes exténués, mais nous reviendrons et reconstruirons nos maisons, et s’ils rebâtissent, moi je démolirai, dit Dieu. Il confirme en effet ce que j’ai déjà dit, qu’il n’y a de toute évidence aucun espoir de restauration pour les descendants d’Ésaü. Car ils auraient beau reprendre courage et même travailler avec ardeur à la reconstruction de leurs villes, il ne s’ensuivrait quand même pas de réussite. Dieu anéantirait
toutes les constructions. Cette différence pouvait être comme une représentation vivante dans laquelle les Juifs pouvaient reconnaître l’amour de Dieu pour Jacob et sa propre haine envers Ésaü. Car, dans la mesure où chacun des deux peuples avait été renversé par le même ennemi, d’où viendrait le fait que la liberté ait été rendue aux Juifs et qu’il n’ait pas été permis aux Édomites de retourner dans leur patrie ? En effet, comme il a été dit, il y avait plus d’aversion envers les Juifs ; et néanmoins, les Chaldéens les traitèrent avec plus de bienveillance. Il en résulte donc que tout a été agencé selon le plan admirable de Dieu. À partir de là, il est apparu en outre que cette adoption, qui avait pourtant pu passer pour abolie lorsque les Juifs avaient été traînés en captivité, n’avait pas été invalidée.
Ainsi parle le Seigneur des armées, ils bâtiront eux-mêmes, c’est-àdire : « De quelque façon qu’ils bâtissent eux-mêmes, moi je renverserai ; et on dira d’eux, territoire de l’impiété et peuple contre lequel l’Éternel est irrité pour toujours. » Par territoire de l’impiété, il entend un territoire maudit. C’est comme s’il disait qu’ils seraient de toute évidence reconnus pour réprouvés, au point que le monde entier puisse en juger à partir de l’issue même qui en résultera. Cependant, en ajoutant il leur sera dit, peuple contre lequel l’Éternel est irrité, il confirme de nouveau ce qu’il a dit de l’amour et de la haine. Dieu pouvait en effet punir aussi bien les Juifs que les Édomites. Mais quand il fut apaisé à l’égard des Juifs tout en restant inexorable envers les descendants d’Ésaü, à partir de là il est facile de discerner la différence entre les deux peuples.
Il faut aussi noter ce qu’il dit par םלוע-דע [‘ad ‘owlam], à jamais. Il semblait bien, en effet, que Dieu avait pour un temps rejeté les Juifs. Les prophètes usent de ce même terme םעז [za’am], en colère, lorsqu’ils déplorent la condition du peuple qui, pour ainsi dire et sans aucun doute, percevait Dieu comme ennemi de toutes sortes de manières. Mais la colère de Dieu envers les Juifs ne fut que pour un temps, parce que sa mémoire de l’alliance n’a pas pu être complètement oubliée. Par contre, il a été pour toujours courroucé contre les Édomites, parce que leur père avait été réprouvé. Et nous savons qu’il y a toujours une différence manifestée entre les élus et
les réprouvés : même si Dieu punit communément les péchés sans exception, il modère cependant son courroux envers ses élus et impose une mesure à sa sévérité, ainsi qu’il le dit : Si ses descendants ne gardent pas mon alliance, mais s’ils profanent ma loi, je les châtierai de la verge de l’homme, mais je ne leur retirerai pas ma miséricorde (Psaumes 89.31-34 ; 2 Samuel 7.14-15). Concernant les réprouvés, la vengeance de Dieu les poursuit toujours, fixée dans leurs os et leur moelle. C’est pour cette raison que notre prophète dit que Dieu sera irrité à jamais contre les descendants d’Ésaü.
VERSET 5
Vos yeux le verront, et vous direz : Grand est l’Éternel par-delà les frontières d’Israël.
Il dit ensuite : Vos yeux verront. Les Juifs avaient déjà commencé à percevoir en partie ce qui était annoncé, mais le prophète parle ici de ce qui va pour ainsi dire continuellement durer. Vos yeux donc verront, en quelque sorte, « comme vous avez déjà observé quel avantage vous a apporté l’élection gratuite en vertu de laquelle je vous ai englobés comme mon peuple, et comme à l’opposé, vous avez également constaté que vos parents les Édomites avaient le pire, parce qu’ils avaient été rejetés en la personne de leur père Ésaü. Ainsi cette différence vous sera toujours évidente dans votre postérité ». Vos yeux donc verront, et vous direz : Que l’Éternel soit glorifié au-delà des frontières d’Israël, c’est-à-dire, « la situation elle-même manifestera pour vous ce témoignage, que j’exalte magnifiquement ma bonté envers vous ». Même si des signes de la grâce de Dieu resplendissent partout et que la terre (comme il est dit dans le verset 24 du psaume 104) est pleine de sa bonté, il y a eu cependant quelque chose de particulier en Judée. Ainsi ce n’est pas en vain que notre prophète dit qu’il y aura toujours matière à ce que les Juifs proclament les louanges de Dieu, du fait qu’il agit avec eux de façon incontestablement plus favorable qu’avec le reste du monde. Et il n’y a pas le moindre doute que le prophète, ici, dénonce indirectement la malice de ce peuple. C’est comme s’il disait : « Vous, en vérité, autant que cela dépend de vous, soit vous
ensevelissez les bienfaits de Dieu, soit du moins vous les amoindrissez. Pourtant, la réalité elle-même vous extorquera cette confession, à savoir que Dieu agit magnifiquement au-dessus des frontières d’Israël, c’est-à-dire qu’il y exerce sa grâce de façon plus merveilleuse que sur toutes les nations. »
Après avoir brièvement recensé les bienfaits qui eussent pu susciter de la honte aux Juifs, il en vient enfin à l’essentiel même. En effet, c’est ici le point capital, comme je l’ai dit dernièrement, à savoir que Dieu se plaint de ce qu’il est spolié de son droit et ceci à double titre, du fait que les Juifs ne l’honorent pas comme leur Père ni ne le craignent comme leur Seigneur. Il a pu, certes, par le droit de la création, s’appeler à la fois et Seigneur et Père. Mais j’ai déjà exposé pourquoi il fait plutôt mention de son adoption : parce que c’est une grâce remarquable, dans la mesure où le Seigneur choisit pour lui quelques-uns de tout le genre humain. Et ne disons pas que c’est dans les hommes qu’il trouve la raison pour faire cela. Ceux qu’il juge bon de choisir, il les lie à lui d’un lien d’autant plus sacré. S’ils lui font défaut en quelque chose, leur déloyauté est totalement inexcusable.
Et puisque nous comprenons ce que veut dire le prophète et dans quel but il développe tout ce reproche, il nous reste dès lors à apprendre à nous appliquer cet enseignement dans notre vie pratique. Nous, certes, nous ne sommes pas descendants d’Abraham ou de Jacob selon la chair. Mais puisque Dieu a inscrit certaines marques de son adoption, par lesquelles il nous distinguait du reste des nations, quoique cependant nous n’ayons été en rien meilleurs que les autres, à partir de là, nous voyons que nous pouvons nous-mêmes être non moins repris que les Juifs, si nous ne répondons pas à l’appel de Dieu. J’ai donc voulu aborder brièvement ce sujet, afin que nous sachions que cette réalité n’est pas moins vérifiée parmi nous aujourd’hui que jadis parmi les Juifs. Car, même si la raison de l’adoption n’est pas la même, dans la mesure où elle dépend d’une seule semence et d’une seule famille, nous ne sommes cependant pas supérieurs aux autres par notre propre dignité, mais en ce que Dieu nous a choisis gratuitement pour son peuple. Puisqu’il en est ainsi, nous sommes donc à lui-même. Car il nous a rachetés par le sang de son Fils, nous rendant, par le moyen de l’Évangile, participants
d’une grâce incomparable, tout en nous acquérant comme ses fils et ses serviteurs. Alors, si nous ne l’aimons et ne le révérons pas lui-même en tant que Père, si nous ne le craignons pas comme maître, c’est la même ingratitude qui se révèle en nous aujourd’hui, non moins infâme que chez ce peuple ancien. Mais puisque j’ai voulu pour l’instant exposer l’essentiel, demain, je traiterai de l’élection, comme l’exige le passage. Cependant, il a fallu d’abord suivre brièvement la pensée du prophète, comme je l’ai fait. Ensuite, je traiterai chaque sujet plus largement, selon ce qui sera nécessaire.
Nous avons vu hier quelle intention poursuit le prophète Malachie à travers les reproches qu’il adresse aux Juifs pour avoir été aimés et choisis par Dieu. Il dénonce d’autant plus l’ampleur de leur ingratitude, qu’ils se sont acquittés de façon indigne de la si grande grâce de Dieu, qui les avait préférés à toutes les nations. Par cet engagement, il les avait liés à lui en vue d’une soumission éternelle. Mais eux avaient renversé son joug et, en retour, s’étaient donnés au mépris envers lui à travers de multiples corruptions, comme nous l’avons dit hier. Du reste, en même temps, j’ai aussi rappelé que le prophète ne fait pas référence à des bienfaits dont Dieu juge digne tout le genre humain sans distinction, mais qu’il met en avant aux yeux de tous l’adoption par laquelle il avait mis de côté la semence d’Abraham comme un trésor à part. Cependant, pour qu’il apparaisse mieux combien cette plainte était juste, il faut d’abord noter que le fait que Dieu nous a créés hommes à son image et à sa ressemblance constitue une sorte d’obligation qu’il a sur nous. Il eût pu en effet nous créer aussi bien chiens ou ânes que hommes. Nous savons qu’Adam fut tiré de la terre, comme cela est rapporté des autres animaux. Ainsi, on observe quant au corps, qu’il n’y a aucune différence entre l’homme et les bêtes. Comme il est dit que Dieu a insufflé en l’homme un Esprit de vie, nous ne devons pas le prendre comme les Manichéens qui ont imaginé que l’âme de l’homme avait été tirée d’un sarment. Ils ont eu en effet recours à ce mot, selon lequel disaient-ils, l’âme de l’homme était issue de la substance de Dieu.
Mais Moïse comprend plutôt que l’âme de l’homme a été créée à partir de rien. Nous naissons de génération en génération, néanmoins,
notre origine vient de l’argile. Mais ce qui est le principal en nous, à savoir l’âme, a été créée à partir de rien. Nous voyons donc qu’en cela nous différons des bêtes, parce que le Seigneur a voulu nous créer hommes par une faveur gratuite. C’est donc avec raison qu’il nous reprochera l’ingratitude, si nous ne l’honorons pas, car c’est à cette fin que nous avons été créés à son image. Mais une grâce spéciale est mentionnée ici : Dieu s’est approprié pour lui-même la semence d’Abraham, ainsi qu’il est dit dans le Cantique de Moïse (Deutéronome 32.9). Ainsi, tous les peuples sont à Dieu, toutefois il a jeté son cordeau afin de mettre Israël à part pour lui. En fait, comme la terre entière était sous l’autorité de Dieu, il a voulu néanmoins choisir pour lui-même une famille à part. Si on en cherche la cause, on ne la trouvera pas chez les hommes. Car tous ont été créés à partir de la terre. Mais les âmes ont été infusées dans les corps et créées à partir de rien. Comme il en est ainsi, nous voyons que la différence vient de la source de la faveur gratuite, selon laquelle Dieu a préféré une nation aux autres. Et, comme je l’ai brièvement effleuré hier, Moïse répète assez souvent que les Juifs ont été élus non pas parce qu’ils auraient été plus excellents que le reste des nations, mais parce que Dieu a aimé leurs pères de son plein gré.
En effet, sous le nom d’amour il désigne la faveur gratuite. Ce que considère maintenant Malachie, c’est que si les Juifs ont assurément été choisis de préférence aux autres nations, ce n’est pas par leur propre mérite. Car, sinon, ils pourraient aussitôt répliquer : « Pourquoi nous reproches-tu de penser que Dieu nous a estimés plus que le reste des nations, alors qu’il nous en a jugé dignes et a voulu nous en rendre la récompense ? » Mais le prophète voit là un aveu, comme je l’ai déjà observé, que les Juifs étaient par nature égaux au reste des nations. Ainsi, leur condition différente ne réside pas en eux ou dans leur dignité, mais dépend de l’amour gratuit de Dieu. Il y a, cependant, une troisième étape à noter ici, à savoir que Dieu a de nouveau séparé une partie de la race d’Abraham de lui-même. Car Ésaü et Jacob étaient frères, et Ésaü était le premier dans l’ordre, puisqu’il était le premier-né ; cependant Dieu, après que ce dernier eut été rejeté, voulut que la grâce de l’élection réside parmi les descendants de Jacob. C’est donc le troisième degré de l’élection. Ces réalités doivent
être retenues avec discernement, étant donné que les hommes étaient particulièrement dépendants de Dieu, puisqu’il a pu créer des ânes et des chiens autant que les hommes, mais eux, il a voulu les former à son image. La deuxième étape, c’est qu’il a choisi pour lui la race d’Abraham, de façon cependant à ce que son pouvoir soit ouvert à tous les peuples entiers sans exception. Car qu’est-ce qui a fait que Dieu ait voulu être considéré à la fois comme le Père et le Sauveur d’un seul peuple et pas plus, alors que son empire s’étend au monde entier ?
Ici resplendit, comme je l’ai déjà dit, sa faveur gratuite. Et, outre ces témoignages de Moïse, il est même souvent dit dans les Psaumes : Il a aimé vos pères ; il n’a pas agi ainsi envers les autres nations, ni ne leur a révélé ses jugements. Il y a mille lieux où Dieu fait valoir sa faveur gratuite envers les Juifs, parce qu’il a voulu les distinguer des nations profanes, bien que, cependant, la condition de tous ait été entièrement égale. À présent encore, le troisième degré que Malachie a évoqué doit être soigneusement noté, à savoir que Dieu, non seulement avait promis qu’il serait Dieu d’Abraham et de sa semence, mais qu’il avait distingué entre les fils d’Abraham eux-mêmes, de telle sorte qu’il en rejetât certains et en prît d’autres pour lui-même. Et c’est sur ce point que Paul insiste au neuvième chapitre des Romains.
Car il dit en effet que tous ceux qui sont d’Israël, ou qui en tirent leur origine, ne sont pas de vrais et légitimes Israélites, mais seulement ceux qui ont été appelés. En effet, Paul a voulu réfuter les Juifs, parce qu’ils se vantaient d’être un peuple sacré, afin de pouvoir de leur propre initiative rejeter à la fois Christ et son Évangile. Car lorsque les apôtres montraient que le Rédempteur qui avait été promis avait été envoyé, il y avait dans la bouche des Juifs la fière réponse : « Ne sommes-nous pas l’Église de Dieu ? mais nous ne reconnaissons pas ce Christ que vous voulez nous imposer. » Dans la mesure donc où les Juifs méprisaient la grâce de Dieu sous ce prétexte trompeur, et voulaient même pour ainsi dire fouler aux pieds Christ, Paul réprime cette arrogance et montre qu’ils ne surpassent pas les autres nations, sauf en ce qui concerne l’adoption gratuite. Mais cette adoption est tellement étendue à toute la race d’Abraham, qu’elle doit être en même temps restreinte à un certain nombre. À l’image des papistes d’aujourd’hui, comme ils jugent de la foi selon des signes extérieurs, ils nous exposent
fièrement qu’ils sont l’Église. Comme si la promesse générale suffisait vraiment, sans que Dieu ne la scelle dans nos cœurs par l’Esprit, qui, à juste titre, est appelé l’Esprit d’adoption. Maintenant, Paul ajoute des preuves de cela en présentant Jacob et Ésaü comme exemple. Il dit que des deux frères jumeaux, l’un avait été choisi à l’exclusion de l’autre ; et pourtant tous deux étaient fils d’Abraham. Il s’ensuit donc qu’il existe un troisième degré d’élection, comme je l’ai dit dernièrement. Or, de ce troisième degré il s’en dégage encore un quatrième, à savoir que Dieu prend pour lui l’un des fils de Jacob, qu’il a choisi avant la fondation du monde, et rejette les autres. Et Paul expose une preuve certaine de cela, ou tout au moins en évoque une raison certaine, en ce que Dieu n’a préféré Jacob à son frère premier-né à cause d’aucun mérite. Si donc la seule miséricorde gratuite de Dieu n’a prévalu que dans l’élection de Jacob, il s’ensuit qu’elle règne encore dans ses descendants. Encore une fois, si l’on demande comment il se fait que les uns soient tenus pour fidèles, et les autres réprouvés, c’est qu’il en est ainsi selon la volonté du Seigneur.
C’est pourquoi Paul va plus loin et dit :
Dans la mesure où ils n’étaient pas encore nés et où ils n’avaient fait ni bien ni mal, […] il est dit : Le plus grand servira le plus petit, selon qu’il est écrit.
Romains 9.11-13
Et il en vient à cette prédiction du prophète : J’ai aimé Jacob, et j’ai haï Ésaü. Par conséquent, si nous examinons prudemment tout le contexte, nous découvrirons ce que j’ai dit, que du troisième degré, nous sommes ramenés au quatrième : Dieu a choisi pour lui-même ceux des fils de Jacob qu’il a voulus, tout en rejetant les autres. En effet, tandis qu’il a pris pour lui Jacob, il n’a pas été lié par un autre serment qu’auparavant, puisque la même promesse que celle qui avait été donnée à son père Abraham avait été répétée à Jacob lui-même. Mais Ismaël, dont nous savons qu’il a été renié par l’Église de Dieu, est né d’Abraham. La même chose est aussi arrivée aux autres fils d’Abraham : un seul, Isaac, a été choisi. D’ailleurs, alors qu’Isaac était le père d’Ésaü et de Jacob, il ne pouvait à sa guise retenir l’un et l’autre.