Blind date

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BLIND DATE





BLIND DATE

Basé sur le film BLIND DATE de Theo van Gogh Scénario original Valéry Boutade et Kim van Kooten Adaptation pour le théâtre August Zirner Traduction française Jérôme Junod


avec Sascha Ley Jules Werner Sébastien Schmit mise en scène Myriam Muller musique Bernard Valléry costumes Caroline Koener décors Christian Klein lumières Philippe Lacombe production Les Théâtres de la Ville de Luxembourg


BLIND DATE

Peut-on faire table rase du passé? Tout reprendre à zéro? Se réinventer en changeant d’identité? Un couple, anéanti par une tragédie, va essayer de se reconstruire au moyen de «blind dates», secrets et anonymes.

C’est à travers ce rituel de jeu de rôles à la fois drôle, ludique, touchant et pervers, qu’ils vont tenter de communiquer enfin et de se retrouver. Mais ces «blind dates» successifs feront jaillir peu à peu les fêlures, angoisses et zones d’ombres du couple, jusqu’à la révélation ultime. Blind date est un théâtre intimiste disséquant la complexité des relations humaines.

Theo van Gogh, provocateur et enfant terrible du cinéma d’auteur néerlandais, a été assassiné en 2004 par un fondamentaliste religieux à Amsterdam. Il laisse derrière lui une filmographie importante. Plusieurs de ses films ont été adaptés au théâtre. Blind date s’est joué en Allemagne, notamment au Thalia Theater à Hambourg. Il s’agit ici de la création mondiale en langue française.


1ère SCÈNE

introduction et magie Un bar ou un café, ou peut-être une ancienne salle de bal. POM, propriétaire de l’établissement et barman occasionnel. Il répète un de ses numéros. Son art consiste à rater des tours de magie. VOIX OFF. Mon père aimait divertir les gens. Il était magicien ou prestidigitateur. Il pouvait faire disparaître ou apparaître des choses. Il avait une drôle de façon de faire. Son art consistait à rater ses tours. Ma mère trouvait que j’étais trop petite pour voir ses numéros. Je ne sais pas si c’est vrai. Je sais seulement que je ne les ai jamais vus et qu’au bout d’un moment elle ne les a plus regardé non plus. Au fond, je ne sais même pas qui les a vus.





2e SCÈNE

annonce 1 POM et MARCEL sont au comptoir. POM répète un tour de magie avec des cartes. Marcel tire une carte. Le téléphone sonne. MARCEL tend le téléphone à POM. POM.

Oui?

POM demande à MARCEL d’allumer la musique et hurle dans le téléphone. POM.

Je ne vous comprends pas! Parlez plus fort! Henk, quoi? Henk Sluis? Je sais pas.On est blindé, là! Non, je ne le vois pas...



POM. Faut que j’aille voir. Un instant. (Il fait comme s’il cherchait quelqu’un du regard.) Henk? Henk Sluis? (Il parle à nouveau au téléphone.) Je le trouve pas. „Katia“? D’accord. „Vingt minutes de retard“? Je lui dirai.

Il raccroche et MARCEL change la musique. POM.

C’était quelle carte?

MARCEL. Euh… je sais plus.

POM se détourne de lui. Entre KATIA, belle femme de 40 ans. Elle regarde autour d’elle puis va au bar.



POM range les ustensiles de magie. KATIA. Un verre de rouge, s’il vous plaît. MARCEL. Cabernet?

Elle hoche la tête, sourit poliment. Il sert le vin et pose le verre devant elle. KATIA. C’est calme, maintenant. MARCEL. Hm? KATIA. C’est moi qui ai appelé tout à l’heure. MARCEL. Oh… KATIA. Pour dire que j’avais du retard. MARCEL. Ah oui? POM.

Vous avez du retard?

KATIA. J’ai demandé si Henk était là... Henk Sluis... POM.

Pourquoi êtes-vous en retard?

KATIA. Pardon? POM.

Vous n’étiez pas prête? Vous ne saviez pas quoi mettre?

KATIA. Je n’arrivais pas à me décider… Pardon, où sont les toilettes? MARCEL. Au fond à droite… POM.

Je trouve que vous... Comment vous appe lez-vous, déjà? Ah oui, Katia. Je trouve que vous êtes très bien habillée.

KATIA. Merci. POM.

Et vous sentez bon.

KATIA. C’est… de l’huile pour bébé. POM.

Quelle heure est-il, Katia?

KATIA. Deux heures. POM.

Le rendez-vous était fixé à quelle heure?

KATIA. Deux heures moins quart. MARCEL. Est-ce que vous aimez le karaoké?



KATIA. Non. POM.

Pourquoi pas?

KATIA. Je ne sais pas chanter. POM.

Est-ce que Henk Sluis sait chanter?

KATIA. Je ne sais pas. POM.

Comment ça? (lui fait signe de revenir au bar) Buvez votre verre… C’est bizarre. Vous ne savez pas?

KATIA. C’est-à-dire que je ne le connais pas. POM.

Ce n’est pas votre ami?

KATIA. Non, pas vraiment. C’est par une… petite an nonce. POM.

Ah… de rencontre? Vous avez besoin de faire des rencontres, Katia?

KATIA. Oui. Peut-être. MARCEL. Besoin de contact? KATIA. Quoi? POM.

Va acheter des cigarettes à la Demoiselle... Et sors les poubelles.

MARCEL sort.



Silence POM.

(Il montre sa hanche.) Vous savez comment ça s’appelle?

KATIA. Des poignées d’amour. POM.

C’est pas vraiment charmant, non? « Poignées d’amour » j’ai pensé d’abord que ta façon de le dire pourrait être charmante. Mais ce n’est pas charmant, ni émouvant, c’est juste un peu irritant.

Silence KATIA. Je ne crois pas qu’il va venir. POM.

Qui?

KATIA. Henk Sluis. POM.

Il va être là tout de suite. J’en suis sûr.

KATIA. Je peux payer? POM.

Buvez votre verre, tout simplement.

KATIA. Non merci. Je crois que ce n’est pas le bon bar. POM.

(prend un journal et lit) Alors: « Katia: facile, sociable, drôle… » bois ton verre, bordel! « cherche homme doux et honnête d’environ 45 ans, genre George Michael, pour aller boire un verre. ». temps

POM.

Pour discuter et se faire des câlins. C’est ça?

KATIA. Oui. POM.

Et où es-tu maintenant, joyeuse Katia?

KATIA. Dans un bar. POM.

Et tu trouves que c’est drôle?

KATIA. Oui. POM.

Non, ce n’est absolument pas drôle. Pas du tout. Et tu sais pourquoi, Katia? Parce que tu n’es pas drôle, ni facile, ni sociable. Tu arrives avec dix mi nutes de retard... J’ai raison? C’est pas sociable, ça! Et tu n’as ri qu’une seule fois depuis que tu es ici. Et même ça, ça t’a demandé pas mal d’ef forts.



(elle va pour sortir, il la retient) Tu m’aimes? KATIA. Lâche-moi! POM.

N’aie pas peur. Un petit numéro et après, tu pars. Tu me promets de partir? Une chanson et tu te barres.

KATIA le repousse. POM prend un micro avec un long câble et commence à chanter

(Isabelle des Poppys). Il lui fait signe de venir, lui tend le micro et l’invite à s’approcher. Elle résiste. Il veut la forcer avec violence à chanter, enroule le câble du micro autour d’elle. Ils entament la chanson en duo.

Un long silence après la chanson.



3e SCENE

mon père était magicien

POM. Katia sociable, drôle cherche homme sympa thique et honnête ? KATIA. Oui. POM. Je m’appelle Pom. KATIA. Bonjour Pom. J’avais rendez-vous avec Henk Sluis, mais je pense qu’il ne viendra pas. Pom? C’est un joli nom. Comment ça va, Pom? POM. Je vais bien. Voici pour vous. Il fait un tour de magie et lui remet une rose. KATIA. Ça alors, d’où est-ce qu’elle sort? POM. Magic, my dear. KATIA. Il ne fallait pas... POM. Je sais.

KATIA. Je veux dire, tu n’aurais pas dû... Elle s’assied sur un tabouret de bar.



POM. Que puis-je vous apporter à boire? KATIA. Un verre de rouge, s’il vous plaît.

Il lui donne le verre qu’il lui a déjà servi une fois. KATIA. Oh, c’est allé vite. POM. Eh oui.... POM. Eh bien... je ne savais pas à quoi m’attendre et je suis agréablement surpris. KATIA. Vraiment? Pourquoi? POM. On ne sait jamais avec les petites annonces. KATIA. Oui, je sais. POM. C’est la première fois? KATIA. Euh, à vrai dire... oui.

MARCEL revient avec les cigarettes. POM. Venez, asseyons-nous à une table, Katia. Marcel.

Ils prennent place à une table. MARCEL s’approche. MARCEL. (il s’adresse à POM comme parle un „em ployé“) Désirez-vous quelque chose…? Monsieur? POM. Un martini. Dry. Vous avez des oignons? MARCEL. Non. Désolé. Nous n’en avons pas. POM. Pas d’oignons, hein? Alors dans ce cas, juste quelques olives. MARCEL. Très bien. Un pseudo-Gimlet. POM.

Pardon?

MARCEL. Un martini avec oignons, ce serait un Gimlet. POM.

Non, pour un Gimlet il faut du citron vert.

MARCEL. Oh. Hm. Bien. Et comment va Madame ce soir? KATIA. Madame va magnifiquement bien. Vous êtes...? MARCEL. Nouveau. Je suis nouveau. KATIA. C’est bien ce que je pensais. MARCEL. Oui, c’est mon… POM. Pourquoi est-ce que vous n’apportez pas simple ment une bouteille de... ce que Madame boit. MARCEL. Bien, Monsieur.

Il s’en va. POM. Et sors les poubelles ! POM. Aucune culture.

Silence



POM. Je suis content que vous ayez eu le courage de venir. KATIA. J’avais promis. POM. Oui mais... vous ne me connaissez pas. KATIA. Au téléphone vous étiez très sympathique. Un vrai gentleman. POM. Je respecte beaucoup les femmes.

Silence KATIA. On recommence. POM.

Depuis le début ?

KATIA. On recommence depuis le début. POM. (se lève) Hey! Katia. KATIA. Oui. POM. Je m’appelle Pom KATIA. Pom? C’est un joli nom. POM. Je suis agréablement surpris. KATIA. Ah? Pourquoi? POM. Vous savez on ne sait jamais avec ces petites annonces. KATIA. Oui, je sais. POM. C’est la première fois que vous…

MARCEL revient avec un martini, une bouteille de vin. POM. Apporte autre chose. On a recommencé.

Le SERVEUR est surpris. MARCEL hésite. Il ne sait pas si POM est sérieux. POM le fixe avec intensité. Il est sérieux. MARCEL. Cabernet, alors? POM. Ça c’est du Cabernet. Apporte autre chose. MARCEL. Chianti? St Emilion? Gigondas? Valpolicella? Barolo? Rioja? Syrah? Côte-du-Rhône?

POM le dévisage. KATIA. Juste un verre de rouge.

MARCEL reprend la bouteille et s’en va. POM. Et un Gimlet.

MARCEL s’arrête. Reviens à la table pour reprendre le Martini que POM lui tend et reprend son chemin vers le bar. POM. Petit con. Je ne l’aime pas.

Temps



KATIA. Qu’est-ce que vous faites dans la vie? POM. Je suis magicien. KATIA. Oh, non... POM. Qu’est-ce qu’il y a? Quelque chose qui ne va pas? KATIA. Mon père était magicien. POM.

Non.

KATIA. Si! POM. Non, ça alors... Mais mon numéro, ce n’est pas le numéro habituel... euh... KATIA. Ah? POM. Non, c’est un numéro comique, d’une certaine manière comique ou... KATIA. D’une certaine manière comique?... Est-ce que quelque chose n’est pas ou bien comique ou bien... POM. Ou bien quoi? KATIA. Ou bien, pas comique. POM. Euh… oui. Mais là, c’est un numéro presque comique. Disons, tristement comique. Tout y va de travers. KATIA. Je peux m’imaginer que ça pourrait être co mique. POM. Vous comprenez? KATIA. Oui. POM. Quoi? Qu’est-ce que vous comprenez? KATIA. Eh bien, que quand quelque chose rate, ça peut parfois être comique. POM. Quand quelque chose rate? KATIA. Oui. Quand quelque chose va de travers POM. Aha, par exemple...

KATIA. Eh bien, par exemple... ah je ne sais pas, par exemple, quand quelqu’un tombe, glisse et tombe. POM. Hm. Hm. KATIA. Sans vraiment… POM. Je ne sais pas si.... KATIA. …se blesser. POM. Ça c’est comique…??? KATIA. Non, pas quand quelqu’un se blesse pour de bon! POM. Bien sûr. Evidemment, parce que– KATIA. Oui, non, non. Ce serait affreux. POM. Oui, oui. C’est ce que je voulais dire. KATIA. Ah oui, non. C’est pas mon genre. POM. Comment, quel genre? KATIA. Le genre de quelqu’un qui s’amuse à voir quelqu’un se blesser. Quelqu’un qui rit aux dépens des autres. C’est pas mon genre.



POM. Je n’ai jamais dit ça.

Silence. MARCEL veut apporter les nouvelles boissons, mais POM lui fait signe de rester près du bar. POM. Encore que, j’ai vu une fois mon père se cogner la tête, assez gravement... Je dois dire que... c’était assez comique. Je veux dire... j’ai vraiment ri. KATIA. Il a saigné? POM. Non. Mais au fond, j’avais envie de voir du sang. Je voulais le voir saigner. KATIA. Pour le rendre plus humain? POM. Pardon? KATIA. Pour qu’il devienne... plus humain. POM. Non. Je ne l’aimais pas, c’est tout... Mais je ne bois rien.

POM fait signe à MARCEL. Il vient avec une nouvelle bouteille et une bière. Il présente le vin à Katia. MARCEL ouvre la bouteille solennellement, puis se tourne vers KATIA avec un large sourire. MARCEL. Souhaitez-vous goûter, Madame? POM. Ça va sûrement aller. KATIA. Oui, quand même...

Il lui sert un verre, elle goûte. POM la dévisage. POM. Et vous faites quoi? KATIA. Je vous l’ai écris. POM. Pas lu. KATIA. Pourquoi pas? POM. Je choisis d’après la photo. Pas le temps. KATIA. Trop de boulot avec la magie? POM. Ne soyez pas condescendante. J’ai passé une annonce, non? Alors ne faites pas comme si vous aviez un problème avec la magie. MARCEL. Hé, faites voir. KATIA. Quoi? MARCEL. C’est joli... Ça vous va bien. (il lui dit quelque chose à l’oreille et ils rient).

MARCEL repart vers le bar. POM. Qu’est-ce qu’il voulait? KATIA. Un rendez-vous. Ça devrait vous inquiéter. POM. Vous faites quoi alors? KATIA. Je suis danseuse et …parfois un peu chanteuse. POM. Pourquoi? KATIA. Parce que j’aime ça. POM. Mariée? Des enfants? KATIA. Danseuse. POM. Oh…

Silence



POM. Est-ce que je peux me permettre une observation? KATIA. Mais bien sûr. POM. Vous semblez avoir une très belle poitrine. KATIA. Merci. POM. Quand vous est-elle venue? KATIA. Pardon? POM. Votre poitrine. KATIA. Quand j’ai eu mes règles pour la première fois. POM. Quel âge aviez-vous? KATIA. Treize ans. Crème glacée et nichons! POM. Crème glacée?… de qui? KATIA. De mon père. POM. Pourquoi? KATIA. Parce que j’étais très triste. POM. Ça a l’air d’avoir été un type sympathique. KATIA. Ça l’était… il était …aimable. POM. Vous avez de la chance. Vous avez pleuré? KATIA. Oui. Ma mère m’a dit que c’était l’un des deux événements importants dans la vie d’une femme. POM. Et l’autre? KATIA. Il ne s’est pas encore produit. POM. Et ce serait? KATIA. Qu’un homme me baise les pieds. POM. En quoi est-ce que c’est si important? KATIA. Selon elle, ça veut dire qu’il t’aime vraiment. POM. Hm. POM. C’est pour ça que t’es devenue pédicure? KATIA. Danseuse! POM. Un homme t’aime quand il te baise les pieds? KATIA. C’est ce que dit ma mère en tout cas. POM. Et vous? Quand est-ce que vous dites qu’un homme vous aime? KATIA. Quand ça ne lui pose pas de problème que je ne veuille pas faire l’amour.

Silence POM. Comment? KATIA. Quand ça ne lui pose pas de problème que je ne veuille pas faire l’amour. POM. Hahahahahaha… KATIA. Vous trouvez ça drôle?

POM continue à rire. KATIA. Pourquoi trouvez-vous ça si drôle? POM. Ça me rappelle. J’avais une petite amie... Elle ne voulait plus faire l’amour... Un accident de voiture et depuis elle avait la nausée à chaque fois qu’elle pensait au sexe. J’ai attendu. Et à un moment donné j’ai décidé... d’accélérer un peu les choses et je l’ai un peu… forcée à faire l’amour. J’ai fait ça pour elle et pour moi. Ça ne lui a pas plu du tout, elle a même porté plainte.



Il tire un paquet de cartes de sa poche. POM. Tirez une carte.

Elle rejette les cartes. KATIA. Va te faire foutre avec tes cartes.

Elle se lève et s’en va. MARCEL vient ramasser les cartes. POM le frappe. MARCEL tombe à terre.



4e SCÈNE annonce 2

KATIA CHERCHE UN HOMME POUR ALLER DANSER

MARCEL est au bar. KATIA paraît, s’assoit à une table. KATIA. Un verre de rouge svp. MARCEL. Cabernet ? KATIA. Mon Dieu. Vous êtes blessé? Ça fait mal ? MARCEL. Moui, non, je… POM.

Tombé de vélo?

MARCEL. Euh… bon, qu’est-ce que je vous sers? POM.

Une bière. Katia cherche un homme pour aller danser.

POM et KATIA se regardent. Ils se serrent la main, puis se dirigent vers la piste de danse.



Ils dansent. POM.

Je suis ici incognito. Je crois vous avoir dit que je suis marié.

KATIA. Au téléphone, vous l’avez mentionné. POM.

Et je ne ferais jamais rien qui puisse blesser ma femme.

KATIA. Mais je ne cherche pas à blesser votre femme. POM.

Je sais.

KATIA. J’ai seulement besoin de quelqu’un pour danser. Rien d’autre. POM.

Je comprends.

KATIA. Très bien. POM.

...

Ils dansent. POM.

Alors voyez-vous, ma femme, simplement, elle... elle ne me laisse plus...

KATIA. Elle ne vous laisse plus...? POM.

Faire l’amour.

POM.

J’ai été très, très patient. Mais je suis un homme enfin, non?... Alors j’ai réagi à l’annonce, dans l’espoir...

KATIA. … que l’un entraînerait l’autre…

Silence. Ils dansent. KATIA. Pourquoi croyez-vous qu’elle ne vous laisse pas? POM.

Quelque chose s’est passé. Et depuis, elle a changé.

KATIA. Je suis désolée. POM.

Mais la vie continue.

KATIA. Pas toujours. Pas pour tout le monde. Pas pour votre femme. POM.

Non, pas pour ma femme.

KATIA. Vous avez perdu la mesure. POM.

Pardon.

Ils dansent. KATIA. Vous savez, ça m’est arrivé à moi aussi. POM.

Quoi donc?

KATIA. Une sensation de nausée, à la simple idée de sexe. Je ne supportais plus qu’on me touche. POM.

Pourquoi?

KATIA. Stress émotionnel. POM.

Vraiment?

KATIA. Un jour, j’étais en voiture avec mon mari et ma fille et....on a eu un accident. Après ça, je ne supportais plus qu’on me touche ... je ne pouvais plus



faire l’amour. Rien que l’idée me rendait malade. C’était terrible... Je suis allée voir un médecin, qui m’a dit qu’il fallait que je me laisse du temps. Mais c’est devenu de plus en plus difficile entre moi et mon mari. POM.

Ah...

KATIA. Vous avez de nouveau perdu la mesure. POM.

Pardon.

KATIA. Il n’a pas compris que je n’y arrivais tout simplement pas. Il pensait que je faisais semblant. Que c’était un prétexte, que je ne l’aimais plus. POM.

Hm.

KATIA. Un soir, il s’est approché de moi... il m’a saisie... il m’a flanqué à terre. Il est beaucoup plus fort que moi, vous savez. Ça a fait mal... très mal. Il a complètement pété les plombs. POM.

Je suis désolé.

KATIA. Après ça j’ai pensé que j’aurais peur de tous les hommes. Mais... non. Bien au contraire. J’ai moins peur. POM. Tant mieux. KATIA. Et puis, il y en a qui sont très mignons. Oui, certains hommes sont vraiment très gentils. Est-ce que vous êtes gentil? Vous avez l’air très gentil.

Il veut l’embrasser. Elle se dégage et le gifle, puis va s’asseoir. KATIA. Pourquoi est-ce que vous ne vous asseyez pas?

POM s’assoit. KATIA. Vous avez du feu? Pom.

Non!

Silence POM.

Ça m’excite toujours quand une femme fume.

KATIA. Vraiment? POM.

Ça vous dérange que je vous le dise?

KATIA. Non, je vous en prie. POM.

Vous savez ce qui m’excite encore plus?

KATIA. Non. POM.

Quand une femme grille un feu rouge...

Silence POM.

Quand j’étais encore instructeur d’auto-école...

KATIA. J’aimerais encore danser. POM. Attendez, je n’ai pas encore fini. En général, c’est un métier assez ennuyeux. Mais un jour j’avais une élève vraiment mignonne qui à chaque fois lorsqu’elle faisait une erreur de conduite poussait des petits cris. Vous voyez, comme ça (il



pousse un petit cri). Vraiment, c’était une fille très mignonne, avec ses petits cris... mais très mauvaise conductrice. Un jour elle a failli renverser un cycliste. Incroyable, non? Si je n’avais pas été là, elle l’aurait écrasé. KATIA. C’est sensé m’impressionner? POM.

Qui sait ?

Silence. POM.

J’ai couché avec ma mère.

KATIA. Ah, vraiment? POM.

J’avais 17 ans.

KATIA. C’était bien? POM.

Non. Mais, c’était bon.

KATIA. Peut-être que je vais changer pour une bière. Oh hé, s’il vous plaît? POM.

Je l’ai prise par derrière. Comme ça!

KATIA. Il fait vraiment chaud. Je vais prendre une bière. (A moins que je continue au rouge ? Je pense que...) POM.

J’ai baisé ma mère.

KATIA. C’est bon, j’ai compris. Arrête avec ces conne ries. Ok? MARCEL. Qu’est-ce que je vous sers?

Silence MARCEL. Et bien, prenez votre temps.





KATIA. Vous aimez les enfants?

POM hausse les épaules. POM.

Pas vraiment, non. Ils puent l’huile pour bébé.

KATIA. Vous voulez voir une photo? POM.

Non.

Elle sort une photo de son sac. POM.

J’ai dit non. Allez, eh... C’est d’un mauvais goût, ça, c’est à chier.

Elle jette un paquet de photo et s’en va.

POM prend une photo et la brûle.



5e SCÈNE

CACHE-CACHE Musique. MARCEL assis à une table, boit un verre de rouge. KATIA paraît. KATIA. Salut.... est-ce que Pom est là? MARCEL. Sûr, il est...Pom?! Hé, Pom?! En tout cas il était…

Pas de réponse. MARCEL. Je ne sais pas où il est. Il était là il y a un instant. KATIA. Dis-lui que je suis passée en vitesse. MARCEL. Clair. Tu veux boire quelque chose?



6e SCENE : Annonce 3

JOURNALISTE SÉRIEUX CHERCHE FEMME AGRESSIVE POM assis au bar, un bloc-notes à la main. Arrive KATIA, l’air déterminé. KATIA. Journaliste sérieux cherche femme agressive? POM.

(souriant) Oui.

Elle le frappe au visage. Il tombe. KATIA. Je m’appelle Katia. POM.

Chouette…

KATIA. Je suis un peu sous pression. Si pour toi c’est trop, tu ferais mieux de te casser tout de suite. POM.

Hm hm.

KATIA. Pardon? POM.

Je disais: hm hm.

KATIA. Où en étais-je? POM.

Vous disiez être sous pression.

KATIA. Exactement. POM.

Pourquoi?

KATIA. À cause d’un homme. POM.

Je comprends.

KATIA. ...un homme très charmant, mais difficile. Je le connais depuis des lustres. POM.

Depuis quand?

KATIA. Dix ans. POM.

C’est long.

KATIA. Oui. POM.

Et depuis quand ressentez-vous cette pression…

KATIA. Depuis deux ans. Depuis que ça ne marche plus entre nous. POM.

Mais ça a marché?

KATIA. Quoi??? POM.

Et bien, pour que ça ne marche plus, il faut que ça ait marché avant, non?

KATIA. T’es vraiment crétin ou tu fais un numéro? POM.

Pardon?

KATIA. Pourquoi tu poses ces questions stupides, idiotes, crétines. MARCEL. Vous m’avez appelé, Mademoiselle?



KATIA. J’aimerais un rouge. MARCEL. Chianti? St-Emilion? Gigondas? Valpolicella? Barolo? Rioja? Syrah? Côte-du-Rhône? KATIA. Une bière. Est-ce que tu sais faire des cla quettes? MARCEL. Hélas non. (à POM) Et vous? POM.

Moi non plus.

MARCEL. Je veux dire, qu’est-ce que je vous sers? POM.

...

KATIA. Rien. POM.

D’accord.

MARCEL. D’accord. KATIA. Si j’avais beaucoup d’argent et un chauffeur, des gardes du corps et un maquilleur, je me bagarre rais toute la journée. POM.

Pourquoi?

KATIA. Parce que j’aime ça. POM. Dites-moi, pour mon article, il faudrait que vous soyez plus précise. Donc: cette agressivité vient du fait que vous aimez quelqu’un qui semble être difficile, néanmoins charmant et avec qui vous n’arrivez plus à vivre? C’est bien ça? KATIA. Plus ou moins. POM.

Et cette agressivité vous la sentez monter?

KATIA. Souvent… POM.

Qu’est-ce qui la fait monter?

KATIA. Des pensées. POM.

Hm.

KATIA. … des pensées douloureuses. POM.

Quel genre de pensées?

MARCEL vient avec les boissons. KATIA. Quand je pense à mon père. POM.

Et qu’est-ce qui se passe?

KATIA. Je pique une colère.

Elle jette le vin à la figure de POM. POM.

Pourquoi?

KATIA. Parce qu’il est mort. POM.

Vous devenez agressive quand vous pensez à feu votre père?

KATIA. Oui. POM.

Est-ce que vous aimiez votre père?

MARCEL vient avec les boissons. KATIA. Beaucoup… POM.

Que faisait-il?

KATIA. Prestidigitateur. POM.

Ah magicien

Elle jette le vin à la figure de POM.



POM.

Est-ce que vous recherchez des hommes qui ressemblent à votre père?

KATIA. Peut-être. POM.

Des hommes d’un certain âge, dans votre cas des magiciens d’un certain âge?

KATIA. Ta gueule.

MARCEL vient avec les boissons. POM.

Qu’est-ce qu’il y a d’autre qui vous rende agres sive?

KATIA. Quand je pense à ma fille. POM.

Pourquoi?

KATIA. Parce qu’elle est morte. POM.

Autre chose qui vous rende agressive?

KATIA. Quand je pense à son père à elle. POM.

Pourquoi?

KATIA. Parce qu’il m’a blessée.

Elle renverse le vin sur la tête de POM. MARCEL. Qu’est-ce qu’il a fait? KATIA. Il m’a blessée. MARCEL. Ça, tu l’as déjà dit. KATIA. Il m’a violée. POM.

Peut-être avait-il une bonne raison.

Katia le frappe. POM tombe de la banquette. KATIA lui donne des coups de pied. MARCEL reste interloqué. KATIA. Vous m’enverrez une copie de l’interview? C’est mignon comme endroit. MARCEL. Oui, c’est pas mal…

Elle sort.



7e SCÈNE scène muette

DÎNER AUX CHANDELLES MARCEL chante les mots d’amour de Piaf. POM enlève sa chemise et la laisse sur la banquette, puis il va au bar et s’assied. KATIA rentre, POM sort. KATIA s’installe sur la banquette.



8e SCÈNE les auto-tamponneuses

HOMME GENTIL, 50 ANS, CHERCHE AIDE PSYCHOLOGIQUE Pom arrive en auto-tamponneuse. POM.

On avait rendez-vous? Vous êtes…?

KATIA. Katia… POM.

Bonjour Katia.

Katia.

HOMME GENTIL CHERCHE AIDE PSYCHOLO GIQUE?

Ils se serrent la main. Elle monte dans l’auto-tamponneuse. POM.

Je m’appelle Maria, d’accord?

KATIA. Pas de problème pour moi, si on vous appelle Maria, va pour Maria. C’est votre problème pas le mien. D’ailleurs c’est pour cela que nous sommes ici. Vous vouliez de l’aide. Je suis là pour vous aider. POM.

On nous regarde.

KATIA. Non, vous vous trompez. Personne ne nous re garde. Vous semblez agité. POM.

Je suis agité. C’est difficile pour moi.

KATIA. Vous êtes hypersensible? POM.

Oui.

KATIA. A la merci de tout? POM.

Oui.

KATIA. Vulnérable? POM.

Oui. Vulnérable. Très vulnérable.

KATIA. Regardez cette photo. POM.

Non, ça ira, merci.

KATIA. Regardez.

POM regarde la photo. POM.

Vous faites ça très bien, docteur.

Ils sortent de l’auto-tamponneuse.





KATIA. Vous trouvez? Merci Maria.

KATIA met la chemise de POM KATIA. Est-ce que vous avez déjà eu recours à une aide psychologique? POM.

Non.

Elle lui frappe la tête avec son calepin. KATIA. Ça fait mal? POM. Non.

Elle lui retape sur la tête. KATIA. Et ça? POM.

Non.

KATIA. Bien.

Elle écrit dans son calepin. KATIA. Vous êtes marié? POM.

Plus.

KATIA. Elle était au courant? POM.

De quoi?

KATIA. De votre problème? POM.

Oui.

KATIA. Et est-ce que votre ex-femme a bien réagi à votre problème de nom? POM.

Je lui ai dit tout de suite, au premier rendez-vous. Elle a bien réagi. Avec gentillesse, avec compré hension.

KATIA. Mais? POM.

Pas de mais…

KATIA. Tenez, regardez la photo.

KATIA lui tend à nouveau la photo. POM retourne dans l’auto tamponneuse. Katia le suit. KATIA. Regardez. POM.

Merci, sans façon.

KATIA. Vous souffrez? POM.

Non, ça va.

KATIA lui tape à nouveau sur la tête. KATIA. Vous savez quoi? Vous devriez écrire. Ça aide.

Elle lui donne le calepin.



POM.

Qu’est-ce que j’écris?

KATIA. Ce que vous ressentez. Vous devriez respirer par le nez.

POM écrit. KATIA prend le carnet et lit. KATIA. « Mon nom est Maria ». Pourquoi avez-vous des siné une voiture? POM.

C’est pas une voiture. C’est un poisson.

KATIA. On dirait plutôt une voiture, une petite voiture. POM.

C’est un poisson. Une carpe. Je sais ce que j’ai dessiné.

KATIA. C’est une voiture. POM.

Une carpe.

KATIA. Une voiture. POM.

Je pense que nous devrions nous arrêter.

KATIA. Vous êtes certain que vous ne voulez pas voir la photo de ma fille? POM.

Mais arrêtez avec cette photo! C’est vous qui avez besoin d’aide. Vous! Toujours la photo de cet enfant morte!

KATIA. Qui vous dit qu’elle est morte? POM.

Je n’ai jamais dit qu’elle était morte. Elle est morte?

KATIA. C’est vous qui l’avez dit, pas moi! POM.

Vous m’énervez!

KATIA. C’est bien, lâchez prise! POM.

Maintenant ça suffit. Tu m’emmerde.

KATIA. Vous devenez très émotionnel. Mais c’est bien, très bien, lâchez tout. Laissez-vous aller. POM.

Je veux partir.

KATIA. C’est moi qui conduis. POM.

Espèce de salope.

KATIA. (chantant) Maria… Maria… I just met a girl …

Ils roulent à travers la pièce et se disputent.

VOIX OFF. Je m’appelle Isabelle. Je suis morte à l’âge de trois ans. C’était un accident de voiture. Ma mère conduisait et mon père était assis à côté d’elle et chantait. Il l’a fait rire. C’était la faute à qui? Je sais pas. Ils ont survécu et moi je suis morte. Maintenant, ils trouvent que tout est tellement difficile. Ils disent que pour des parents la perte d’un enfant, c’est la pire perte qui soit.



9e SCÈNE

KATIA ET MARCEL Le bar. Un autre jour. KATIA et MARCEL sont assis sur le bar. Ils sont tous deux fortement éméchés. Les mains de MARCEL parcourent le corps de KATIA. POM, assis à une table, fait la comptabilité sur sa calculette.

KATIA. Un jour, je suis allée avec ma fille au restaurant chinois. MARCEL. Ma mère était chinoise. KATIA. Ah oui? MARCEL. Non.

Tous deux rient exagérément. KATIA. Tu n’as pas l’air chinois du tout. MARCEL. Je sais. KATIA. Quoi qu’il en soit... Alors ma fille... tu sens bon... attends voir... c’est toi? MARCEL. C’est moi? KATIA. On dirait.

Nouveaux rires. KATIA. Quoi qu’il en soit… Alors... On était au restaurant chinois, et ma fille voulait boire quelque chose, et je lui ai dit qu’elle devait, tu sais... commander quelque chose. Tu devrais respirer par le nez. MARCEL. Oh, pardon. KATIA. Et je lui ai dit: « si tu veux quelque chose, demande au monsieur chinois ». Et là, elle s’est retournée et elle a dit au serveur: « Chinois, je veux un coca. » MARCEL. Elle l’a appelé Chinois? KATIA. Oui, « Chinois, eh, Chinois! »

Rires hystériques. KATIA. Elle avait trois ans. KATIA. C’est quoi ton nom, déjà? MARCEL. Marcel. KATIA. Hm. Et tu es étudiant en communication. MARCEL. Eh oui. KATIA. Ça me plaît. MARCEL. J’aime bien communiquer. KATIA. Moi aussi, pas vrai, Pom?

Pas de réponse.



KATIA. On communique toujours bien, non?

Pas de réponse. KATIA. Comment est-ce que tu communiques, toi? MARCEL. Il y a différentes manières. Il y a la communication verbale, orale… KATIA. Ah oui? La communication orale, c’est pas mon truc MARCEL. Il y a aussi la communication physique. KATIA. Ah? MARCEL. Et Pom? KATIA. Quoi Pom? MARCEL. Je sais pas. Comment est-ce qu’il fonctionne, Pom? Je sais pas, question communication…

Ils rient aux éclats, il l’embrasse dans le cou. KATIA. Ça, c’est très intime… Pom m’a laissé tomber. MARCEL. Ah ! Pourquoi ? KATIA. Pom se cache depuis 2 semaines. A POM: Pourquoi tu me plante comme ça ? Hé, Pom... regarde-toi... Dis, il est pas mignon là? Tu vois, comme il est assis là, en train de tripoter sa petite calculette. Il est mignon. Et toi aussi, tu es mignon. Et appétissant aussi. MARCEL. Eh ben là, je dis merci bien!

Il l’embrasse à nouveau. KATIA le repousse. KATIA. Qu’est-ce que tu sais de… sur les… MARCEL. Quoi? KATIA. …les femmes. MARCEL. Les femmes? KATIA. Oui. Les femmes. MARCEL. Oh… beaucoup... beaucoup de choses. KATIA. Vraiment? MARCEL. Oh oui.

Il la mordille dans le cou. KATIA. Vraiment? Arrête. Pom. Il s’y connaît en femmes…. par exemple, il connaît trrrrrrès bien sa mère.... comment dire… MARCEL. Qu’est-ce que ça veut dire? KATIA. Qu’est-ce que tu penses? MARCEL. T’es jamais sérieuse. KATIA. Je t’assure. Demande-lui. MARCEL. Pom… C’est quoi ce truc avec ta mère? Espèce de cochon.

POM ne répond pas. MARCEL ouvre la bouche et imite le cochon. Rires.



KATIA. Tu vois, Pom? Tu vois l’effet que tu produis sur les gens? Tu vois? – Debout, Marcel, vilain garçon. MARCEL. Oui Madame. KATIA. Des fois... des fois... il ne vient même pas, tu sais. Moi je viens, parce qu’on avait rendez-vous, tu vois et il n’y a personne! MARCEL. Moi je suis là. Je suis toujours là... KATIA. Ah oui, euh… Merde. Comment tu t’appelles, déjà? MARCEL. Marcel. KATIA. Vraiment? Tu es français? MARCEL. Je crois pas.

Ils rient. KATIA. Quel effet ça fait, d’être Marcel? MARCEL. Je sais pas. KATIA. Tu ne sais pas. MARCEL. Non, au fond... je sais pas. KATIA. Comment est-ce que tu peux ne pas le savoir? MARCEL. Je sais pas. J’y ai jamais vraiment réfléchi. KATIA. Tu n’y a jamais réfléchi? Tu n’as jamais réfléchi à toi? Essayé de savoir ce que c’est d’être toi? Mon dieu, mon dieu! MARCEL. Non, j’ai pensé à moi. KATIA. Espèce de bite égoïste.

Elle rit de sa propre trouvaille. MARCEL ne sait trop ce qui se passe, mais il commence à rire lui aussi. KATIA. C’est pour rire, c’est pour rire, chéri. Mais écoute, tu n’as jamais cherché à savoir comment ce serait d’être toi. MARCEL. Non. Pourquoi? Je suis moi. KATIA. Hahaha. C’est ce que tu penses. MARCEL. Et qu’est-ce que tu en penses? KATIA. Quoi? A propos de quoi? MARCEL. A propos de moi. Comment ce serait d’être moi. KATIA. Euh… je pense pas que j’en ai envie.

Temps





KATIA. Mais qu’est-ce que tu fous ici, Marcel, étudiant en communication? MARCEL. Je chante. J’aime chanter!

Ils rient et s’approchent de la scène. MARCEL prend un micro. KATIA. Pom, du vin! MARCEL. Deux verres de rouge. Viens, je vais te montrer qui je suis. KATIA. Marcel, bas les pattes!

POM pose deux verres de vin sur le comptoir. KATIA. Enfin, Pom, vraiment. Tu vas quand même pas nous servir comme ça. Amène-les, bon Dieu. KATIA. Je ne veux pas d’enfants. MARCEL. Moi non plus. Juste du sexe. Beaucoup de sexe. KATIA. Noooon… MARCEL. Si, c’est ce que je veux.

KATIA rit. MARCEL lui caresse les seins. KATIA. Marcel, surveille tes manières. Dégage, Pom! Ouste, allez allez, casse-toi, maintenant ouste, du balais. Marcel, arrête!

Elle embrasse soudain MARCEL sur la bouche. Longuement et avec force. MARCEL. Wow.

Noir



10e SCÈNE aveugle Annonce:

HOMME AVEUGLE CHERCHE PARTENAIRE VOYANTE POM paraît. Il porte des lunettes de soleil foncées et une canne d’aveugle. KATIA est au bar. POM.

Katia? Homme aveugle cherche partenaire voyante.

KATIA. Enlève tes lunettes. POM.

Alors je ne verrai plus rien. Une bière, s’il vous plaît, monsieur le serveur. Et toi?

KATIA. Vin rouge. POM.

Qu’est-ce que tu portes?

Il tâtonne en sa direction, ça la fait rire. KATIA. Ma veste en velours. POM.

Ah, du velours. J’ai d’abord pensé que tu étais un lapin.

KATIA. Non, je ne suis pas un lapin. POM.

Au toucher, c’est pareil.

KATIA. Ma foi... POM.

J’aime bien les lapins.

Il la caresse comme si elle était un lapin.



KATIA. Pom… POM.

Oui?

KATIA. On nous observe. POM.

Je ne vois personne.

POM.

Est-ce que tu t’occuperais de moi, si j’étais aveugle?

KATIA. Non. POM.

Est-ce que tu me servirais de chien d’aveugle?

KATIA. Non. POM.

Est-ce que tu me laisserais trébucher?

KATIA. Oui, au moins trois fois par jour. POM.

Est-ce que je ne te ferais pas de la peine? Est-ce que tu aurais pitié de moi?

KATIA. Bien sûr que non. POM.

Pourquoi?

KATIA. Parce que ce n’est pas moi qui t’ai rendu aveugle. POM.

Je n’ai pas dit que tu devais te sentir coupable. J’ai parlé de pitié. Avoir pitié.

KATIA. La pitié, ça ne sert à rien. POM.

Non, à rien. Epouse-moi.

Silence. POM.

Tu es là?

KATIA. Je ne crois pas. POM.

Tu ne m’aimes pas? Moi je t’aime bien. Je te trouve renversante.

KATIA. A quoi est-ce que tu vois ça ?

Il effleure son visage. POM.

Ah. Oui, j’ai raison, tu es renversante.

KATIA. Pom, arrête. POM.

Jolie voix. Tu es mignonne. Tiens, regarde ce que je t’ai apporté.

Il sort des fleurs en papier. Elle ne peut s’empêcher de rire. POM.

Tu m’épouses, maintenant?

KATIA. Arrête. POM.

J’ai encore beaucoup de fleurs. Je t’en apporterai tous les jours.

KATIA. Mais elles sont fausses. POM.

Ben oui... elles ne faneront jamais.

Elle le regarde. Il effleure plusieurs fois son visage avec douceur. Elle pleure. KATIA se lève et part. POM.

Attends ! Attends !



11e SCÈNE

POM dresse la table

12e SCÈNE

LA COMÉDIE MUSICALE – HOMME ROMANTIQUE CHERCHE JEUNE FEMME AIMABLE POM lui fait un signe de la main. KATIA s’approche. KATIA. Hello Katia! POM.

Hello.

POM.

Je me suis permis de commander du champagne.

KATIA. Oh, du champagne, parfait.

Silence



KATIA. Et vous faites quoi? POM.

J’ai 42 ans et je suis magicien.

KATIA. Mon père était magicien. POM.

Professionnel?

KATIA. Oui. POM.

Woaw.

Silence POM.

Qu’est-ce que vous portez comme parfum?

KATIA. Je n’en porte pas. POM.

Oh, mais vous sentez si bon.

KATIA. De l’huile pour bébé.

Silence. Ils trinquent. POM.

Vous avez un compagnon?

KATIA. Non. POM.

Pourquoi pas?

KATIA. Parce que je suis difficile... J’adore les claquettes et je voudrais un enfant.

Silence. KATIA. Tu m’as entendue. POM.

Oui oui, vous êtes danseuse de claquettes?

KATIA. J’aime les claquettes. POM.

Une occupation bruyante.

KATIA. Je ne le ferai pas à la maison. POM.

Il ne s’agirait pas de déranger les voisins.

KATIA. Surtout pas.

Silence POM. Je ne savais pas à quoi m’attendre, je suis agréablement surpris, on ne sait jamais avec ces petites annonces. KATIA. Et vous, pourquoi n’avez-vous pas de petite amie? Excusez-moi, ou peut-être en avez-vous quand même une? POM. Non, je n’en ai pas… KATIA. Ah… POM. J’en ai eu une, un temps, après que ma femme m’a quitté… ou après que ma femme et moi… KATIA. Ah vous êtes divorcés ? POM. Non. KATIA. Vous êtes de nouveau ensemble ? POM. Non. KATIA. Alors quoi ? POM. Je ne sais pas. Dur à dire.

Silence



POM. Aimerais-tu danser? KATIA. Tu sais bien, je ne suis pas une bonne danseuse. POM. Je croyais que tu faisais des claquettes. KATIA. Les claquettes, c’est quelque chose qu’on fait plus ou moins seul. POM.

Alors, c’est qui qui mène?

Ils montent sur la piste de danse et commencent à danser. Tango. Ils sont tout d’abord un peu crispés et mal à l’aise. Mais tandis qu’ils dansent, ils se détendent et leurs corps se rapprochent. Bientôt ils dansent très, très proches l’un de l’autre et posent la tête sur l’épaule de l’autre. Ils s’embrassent.



13e SCÈNE KATIA est à nouveau assise à la table. POM l’observe de loin. KATIA. On commande quelque chose à manger? Marcel? Marcel?

MARCEL lui amène un menu. Elle le prend. KATIA. Oh… de l’agneau. Il y a de l’agneau.



POM prend le menu et le flanque par terre. Elle se lève et le ramasse. Elle s’assoit pour lire. Même jeu, POM le flanque à terre. Sur quoi il renverse la table avec les verres et la bouteille. MARCEL est interloqué. KATIA. Arrête. S’il te plaît, arrête… arrête.

Il se met à détruire tout le mobilier du bar. KATIA lui crie plusieurs fois d’arrêter, mais il continue.







14e SCÈNE

DERRIÈRE LA PORTE Le bar en miettes. KATIA frappe à la porte. POM l’ignore. Les coups se font plus forts, POM ne réagit pas.

KATIA. Pom! Pom!

Il ne répond pas. KATIA. Pom!! Ouvre la porte!

Il continue à jongler. KATIA. Pom! Tu es là?

Pas de réponse. KATIA. Pom!? Ouvre la porte. POM.

Je peux pas!

KATIA. Ouvre la porte! POM.

Je peux pas!

KATIA. Pourquoi? POM.

Je suis occupé! Je m’exerce!

KATIA. Tu es occupé? Tu t’exerces? A quoi? POM.

Mon numéro! Une partie de mon numéro!

KATIA. Pom, s’il te plaît, ouvre la porte. POM.

Tu veux que je m’améliore, non?

KATIA. Pom – POM. Tu veux quand même pas que je sois médiocre. Tu veux que je sois extraordinaire, non?! Que je sois capable de tout faire?! KATIA. Ouvre seulement cette porte – POM. Tu ne veux pas que j’échoue. Non? Tu ne veux pas que je sois un raté! Hm? Non?!! KATIA. Putain! Ouvre cette putain de porte!

VOIX OFF: Parfois je me dis qu’il va la tuer. Ça ne me dérangerait pas. Comme ça elle serait avec moi. Parfois j’aimerais qu’ils meurent tous les deux.



15e SCÈNE

Musique en sourdine. Un rai de lumière venu des persiennes traverse la pièce. KATIA est aux toilettes. Ils communiquent à travers la porte fermée.

POM. Tu es là? KATIA. Vous êtes venu pour l’annonce: „tendance suicidaire“? POM. Oui. KATIA. Vous ne pouviez plus attendre? POM. Non, comme vous voyez, je ne pouvais plus attendre. POM. Voilà une éternité qu’elle était enfermée aux toilettes. Il pensait déjà qu’elle était tombée dedans. KATIA. Ça aurait été bien. POM. Une pensée atroce. KATIA. Manifestement, elle n’avait plus que des pensées atroces. POM. Aura-t-elle bientôt fini? KATIA. Comment ça? Elle avait presque cru qu’il ne pouvait pas vivre sans elle. POM. Ce qui est le cas. KATIA. Mais il ne pouvait pas vivre avec elle non plus. Ni avec, ni sans elle? POM. Une comédie romantique. KATIA. Romantique? POM. Tout est romantique, quand deux personnes s’aiment. KATIA. ... POM. A-t-elle lu des romans d’amour? KATIA. Oui, en cachette, quand il n’était pas à la maison. POM. Il l’ignorait. KATIA. Il le sait maintenant. POM. Pourquoi est-ce qu’elle ne sortait pas des toilettes? KATIA. Ils pouvaient parler plus librement quand ils ne se voyaient pas. POM. Lui ou elle? KATIA. Les deux. POM. Elle était intelligente. KATIA. Oui… elle était très intelligente POM. Plus que lui. KATIA. Elle savait que quelque chose devait se passer. KATIA. Quelque chose... de particulier. Parce tout s’était délité et tout était juste... POM. Quoi? KATIA. Merdique.



KATIA s’avance vers le bar. Elle porte une robe, style nuisette. KATIA dispose des comprimés sur toute la longueur du bar. Au bout du bar, elle dépose un petit pistolet. KATIA. Est-ce qu’il avait déjà eu cette idée? POM.

Il avait… fantasmé à cette idée…mais il avait…

KATIA. Peur? POM.

Oui.

KATIA. De? POM.

Je sais pas.

Il garde le silence. KATIA. L’alternative? Continuer? Juste continuer? POM.

Peut-être.

KATIA. Pourquoi? POM.

Parce que... c’est comme ça qu’on fait.

Il se tait. POM. Ça n’a jamais été mon intention... que ça se déroule ainsi. Je suis désolé. Je n’ai jamais voulu que ça se passe comme ça. KATIA. Je sais. C’était nous deux. Pas seulement toi, pas seulement moi. C’était nous deux.

Il lui donne la main, ils commencent à danser. KATIA pose la tête sur l’épaule de POM. Elle se détend. Il la tient. Elle lève la tête, épuisée, et lui sourit. Il la regarde dans les yeux.



Katia tombe à terre.

Lentement, POM s’éloigne.

Coup de feu.



16e scène: film amateur:

LA FAMILLE Les corps inanimés de POM et KATIA sont allongés par terre. Un film amateur de la famille est projeté sur toute l’étendue de la salle.



Bohumil KOSTOHRYZ www.boshua.com © 2014



BLIND DATE Basé sur le film BLIND DATE de Theo van Gogh Scénario original Valéry Boutade et Kim van Kooten Adaptation pour le théâtre August Zirner Traduction française Jérôme Junod

Peut-on faire table rase du passé? Tout reprendre à zéro? Se réinventer en changeant d’identité? Un couple, anéanti par une tragédie, va essayer de se reconstruire au moyen de «blind dates», secrets et anonymes. C’est à travers ce rituel de jeu de rôles à la fois drôle, ludique, touchant et pervers, qu’ils vont tenter de communiquer enfin et de se retrouver. Mais ces «blind dates» successifs feront jaillir peu à peu les fêlures, angoisses et zones d’ombres du couple, jusqu’à la révélation ultime. Blind date est un théâtre intimiste disséquant la complexité des relations humaines. Theo van Gogh, provocateur et enfant terrible du cinéma d’auteur néerlandais, a été assassiné en 2004 par un fondamentaliste religieux à Amsterdam. Il laisse derrière lui une filmographie importante. Plusieurs de ses films ont été adaptés au théâtre. Blind date s’est joué en Allemagne, notamment au Thalia Theater à Hambourg. Il s’agit ici de la création mondiale en langue française.

avec Sascha Ley Jules Werner Sébastien Schmit mise en scène Myriam Muller musique Bernard Valléry costumes Caroline Koener décors Christian Klein lumières Philippe Lacombe production Les Théâtres de la Ville de Luxembourg

Bohumil KOSTOHRYZ

www.boshua.com


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