Pascale Marthine Tayou - Guide du visiteur

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Centre FOR Fine Arts BRUSSELS

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BOOMERANG: Pascale Marthine Tayou 24 juin — 20 SEPT. ’15

GENRE Au milieu des années 1990, Jean Apollinaire Tayou changea son nom en reprenant les prénoms de ses parents, Pascale et Marthine. En féminisant son prénom, l’artiste désirait jouer avec les frontières du genre. Par « genre », nous entendons l’ensemble des caractéristiques socio-culturelles et des propriétés non-biologiques qui définissent les identités masculines et féminines au sein d’une société. Par ce geste, Tayou invite à la réflexion sur les préjugés pouvant influencer un visiteur lorsque celui-ci visite une exposition signée par une femme. La plupart du temps, ces idées préconçues ne correspondent pas à la réalité. L’inégalité entre hommes et femmes, loin d’être naturelle, est donc une construction sociale. Et puisque les stéréotypes dépendent des cultures et des époques, ils sont en constante évolution. Au travers de cet acte, l’artiste pointe du doigt la variabilité des stéréotypes.

1 Scene of Life, 2010

Des figurines miniatures issues de l’univers magique de Tayou sont présentées dans une vitrine, tels des papillons. Elles représentent des personnes se livrant à des ébats sexuels, entre hommes et femmes, ou exclusivement

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entre hommes. Les rôles se succèdent, les figurines se touchent, explorent les frontières de leur sexualité. L’artiste expose ces couples de bronze derrière des vitres. Plus qu’une provocation, il souhaite représenter la poésie de l’amour, et tout ce qui s’y l’accompagne.

2 Graffiti Neon, 2015

Ces tableaux érotiques en néons sont semblables à des graffitis. Cependant, contrairement aux graffeurs, Tayou ne tente pas de transmettre un message critique. En représentant un sujet brûlant grâce à la lumière froide du néon, il confère une note de tendresse et d’humour à un lieu oublié.

3 Africonda, 2014

Quatre masques aux yeux de cristal vous fixent du regard depuis leur nid tortueux. Le serpent tressé de Tayou s’appelle Africonda et symbolise l’Afrique. Ce corps doux, couleur bonbon, est rempli de foin et dégage une délicate odeur champêtre. Il rappelle l’Afrique exotique des films romantiques et des documentaires. Entretemps, une réalité sombre se glisse dans le décor sous la forme de solides piques de bois qui soutiennent le serpent. « Cette œuvre n’est pas si joyeuse, car le serpent mange sa propre queue », raconte l’artiste. Il fait ainsi référence au cycle infini de la vie. Tout n’est qu’éternel retour, y compris les soucis.

4 Poupées Pascale, 2011

Dans la série Poupées Pascale, Tayou part à la recherche de ses racines africaines. En effet, lors des rituels de guérison, ses ancêtres s’appliquaient à décorer des petites poupées. Ici, l’artiste s’éloigne de la tradition en substituant aux décorations traditionnelles des perles de couleur, des pailles en plastique et des accessoires de cuisine. Ces poupées sont la parfaite illustration du terme « créolisation ». Celui-ci s’applique à l’œuvre de l’écrivain francoantillais Édouard Glissant, qui évoque la puissance créative inattendue libérée lorsque l’on combine des langages visuels propres à différentes cultures.

5 Colourful Line, 2014

Colourful Line est un assemblage de pailles colorées flottant au-dessus de votre tête. Ce nuage de plastique rappelle une fête d’anniversaire qui aurait mal tourné. La réalité est tout autre. L’objectif de Tayou consiste à créer une ligne sinueuse dans l’espace d’exposition. À travers cette œuvre, l’artiste cherche à comprendre ce qui se produit lorsqu’une ligne formée d’éléments disparates liés les uns aux autres entre en collision avec elle-même. La ligne est ici utilisée comme symbole des frontières entre les régions, les pays et les humains. Tayou présente toute la malléabilité et la relativité de la notion de « ligne ».

6 Our Traditions, 2015 TRADITION VS GLOBALISATION Cette exposition présente de nombreux objets traditionnels, notamment des figurines fétiches ou des masques africains. En regardant de plus près, vous pouvez en reconnaître les formes traditionnelles, tout en observant que ces objets ne sont pas réalisés avec des matériaux conventionnels. Le bois est remplacé par le verre, tandis que les ongles et le sang de chèvre laissent la place aux perles et au plastique. Ce faisant,

Des objets apparaissant fréquemment dans les créations de Tayou se dégagent d’un ensemble de branchettes : des diamants, des masques de cristal, des calebasses, des objets jetables, mais aussi des balais bon marché que l’on trouve dans la plupart des ménages africains. Pour un public non coutumier de ces matériaux traditionnels, cette installation est particulièrement intéressante. Dans les yeux du spectateur occidental, les branchettes acquièrent une dimension nouvelle. Le balai change de statut et de valeur : l’objet bon marché devient une œuvre d’art.

éCOLOGIE En mêlant humour et images fortes, Tayou exprime les grands problèmes du XXIe siècle. Le thème de l’écologie est largement présent dans son œuvre, et en particulier l’empreinte néfaste de l’homme sur la nature. Pour Tayou, l’art constitue une forme d’engagement. Il expose par exemple des chiffres éloquents concernant la pollution environnementale et le danger du pétrole. Ses choix de matériaux révèlent la conscience écologique qui l’anime. En observant plus attentivement ses installations, vous pourrez distinguer des sacs en plastique, des emballages usagés, des articles jetables et des objets recyclés. Les matériaux parlent d’eux-mêmes : ce sont en réalité des objets sans valeur, presque absurdes, qui traînent au bord de la route ou sont pendus aux branches d’un arbre. En les sauvant de la poubelle et en les transformant en œuvres d’art, Tayou leur confère ainsi une valeur économique et idéologique, remettant en question tant notre société de consommation que notre culture du « jetable ».

7 Citarum River, 2015

Des bouteilles en plastique, transparentes mais visibles, sont placées contre un mur et dessinent un labyrinthe. Ce dernier est sans issue. Le titre de l’œuvre fait référence au fleuve Citarum à Java, l’un des plus pollués au monde. 2.000 usines y déversent leur lot quotidien de plomb, mercure, arsenic et autres poisons. L’artiste soulève ici une question difficile. Les habitants ont besoin tant de l’usine que de la rivière pour survivre. Cette situation les rend à la fois complices de la pollution et victimes de l’industrie. Dans les deux cas, ils se retrouvent face aux conséquences de leurs actes... et au retour du boomerang.

EXPO

Où qu’il se trouve – au Cameroun, son pays natal, dans son atelier gantois ou invité de l’une ou l’autre exposition internationale –, Pascale Marthine Tayou observe avec attention son environnement immédiat et crée des liens avec celui-ci. Il rassemble des matériaux, les intègre dans son œuvre et leur confère une nouvelle signification au travers de combinaisons poétiques et audacieuses. À travers le titre de cette exposition, BOOMERANG, Tayou entend évoquer les conséquences des actions humaines, qui risquent, tôt ou tard, de se retourner droit contre nous. Son œuvre met en relation l’individu et la communauté, le local et le global. Par le biais de l’art, Tayou noue un lien personnel avec le monde : des continents aux pays, villes, quartiers, rues, maisons, et enfin à l’atelier où il évolue. Son art extraverti relie de multiples façons l’univers de l’intérieur et celui de l’extérieur. Tayou l’exprime ainsi : « Je crée de l’art parce que je réfléchis sur le monde. Je me demande qui nous sommes, ce que nous faisons, et quelles sont les conséquences de nos actes sur l’humanité. Voilà ce que désigne BOOMERANG. » Des considérations qui concernent chacun d’entre nous. « Nous sommes tous des boomerangs. » Pour désigner son approche, Tayou a inventé un nouveau terme : le taudisme. Un taudis est un endroit sale, un espace mal entretenu. Il peut s’agir d’une maison, d’une institution ou même d’une personne. Les relations entre humains sont loin d’être irréprochables. Pour Tayou, le taudisme est une tentative d’ordonner le monde ainsi que nos propres maisons. Visiter BOOMERANG, c’est en quelque sorte expérimenter un rituel de purification. Exposer c’est recréer, selon Tayou. Celui-ci considère le Palais des Beaux-Arts comme une immense casserole dans laquelle il élabore une recette inédite : un savant mélange d’épices, de nouveaux ingrédients et de combinaisons constamment renouvelées. Son œuvre déborde et se répand dans tous les recoins du Palais : depuis l’espace d’exposition et le hall central jusqu’à l’entrée principale rue Ravenstein. Dans la rotonde, l’artiste expose une œuvre réalisée spécialement pour l’occasion : Bring Back Our Boys and Girls  bq , peut-on lire en lettres lumineuses. Une fois le pas de la porte franchi, tout un monde d’associations s’offre à vous. La diversité des matériaux est frappante : de la récupération, des sculptures africaines, des masques, du textile, du chocolat, du cristal... Appréciez la façon dont ceux-ci sont travaillés et combinés. Tayou s’approprie objets et matières premières afin de dépasser les significations auxquelles ceux-ci sont souvent réduits. Le boomerang de Tayou est lancé à six reprises à travers ce guide du visiteur. Nous avons structuré l’œuvre de cet artiste selon différentes thématiques : « genre », « tradition vs globalisation », « écologie », « colonialisme » et « conflit ». Pour chacune d’elles, nous proposons une note explicative et illustrons ces notions grâce aux œuvres exposées. Nous clôturons avec le thème de la « mode », qui, tout comme l’art contemporain, se retrouve au centre de la programmation estivale de BOZAR. Cette division thématique reste malgré tout quelque peu artificielle, car nombre de ces œuvres révèlent une multiplicité d’aspects. L’organisation des œuvres à travers ce guide ne suit pas celle reprise dans l’exposition. Promenez-vous donc à votre guise, établissez vos propres correspondances entre les œuvres et, surtout, n’oubliez pas d’attraper le boomerang. Nous vous souhaitons une excellente visite !

l’artiste dissocie les masques et figurines de leur contexte traditionnel pour leur donner une tournure contemporaine. Tayou confronte le thème de la tradition à celui de la globalisation. Les barrières entre communautés, cultures et économies s’écroulent. Grâce aux médias actuels, nous communiquons sans entrave avec le reste du monde. Dans sa vie professionnelle, l’artiste a lui-même été amené à franchir de nombreuses frontières : du Cameroun à Stockholm en passant par Paris et la Belgique. De chaque endroit visité, il en emporte une part et y laisse une trace de lui-même. Dans son art également, Tayou dépasse les frontières, notamment en confectionnant des figurines miniatures de flâneurs ou de randonneurs africains, dont il réalise ensuite des versions cent fois plus grandes et qu’il dresse d’habits occidentaux.

8 Octopus, 2010

Octopus est une œuvre qui ne passe pas inaperçue. Les tuyaux de pompe à essence rappellent les tentacules d’une pieuvre. Ils sont enchevêtrés, tel le cœur palpitant d’une créature noire comme de l’encre. Le développement d’une civilisation va de pair avec son déclin.

9 Oléoduc, 2015

La conduite d’évacuation d’eaux usées, qui constitue l’œuvre Oléoduc, serpente à travers l’exposition. Ce morceau de tuyauterie prend une tournure dramatique lorsque l’artiste y adjoint les statistiques des lieux les plus pollués du monde. Tayou nous confronte ainsi à une réalité : les pays pauvres souffrent beaucoup plus de la pollution que les pays riches.

bk Plastic Tree, 2014

Lorsque vous parcourez l’exposition, vous êtes amené à vous frayer un chemin entre des branches d’arbres poussant depuis le plafond vers le sol. Leurs feuilles sont remplacées par des sacs en plastique aux couleurs vives. Cette œuvre montre le poids qu’exerce la société de consommation occidentale sur l’équilibre écologique. En effet, un sac en plastique, par exemple, nécessite pas moins d’une vingtaine d’années pour se décomposer. Une durée trop longue pour empêcher que de minuscules particules de plastique ne se retrouvent dans notre chaîne alimentaire. Ces micro-plastiques sont dangereux pour l’homme, l’animal et l’environnement. Le propos menaçant qu’exprime Plastic Tree contraste avec l’apparence pétillante et gaie de l’œuvre.

7/2/15 4:41 PM


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