Hommage
Al Ayadi Souvenirs d’une amitié Avec sa disparition, l’historien et sociologue Mohamed El ayadi a laissé des souvenirs qui ont marqué ceux qui l’ont côtoyé de près. Témoignage. par Hassan Rachik*
18 - novembre 2013 - Zamane
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En compagnie de feu Abdelhadi Boutaleb, conseiller du roi Hassan II.
Moahamed Al Ayadi (à d.) avec feu Driss Benzekri (à g.)
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a peine d’écrire sur un ami que nous venons de perdre est atténuée par l’envie de lui témoigner notre amitié, de perpétuer sa mémoire. Si Mohamed ne supportait pas le style hagiographique déplacé. Il n’aurait pas aimé cette rhétorique qui se substitue aux sentiments ressentis et aux idées réfléchies. Sur les difficultés à échapper au poids de ce style et à être le plus proche de la personne et de la mémoire d’un ami, il y a beaucoup à dire. Mais aussi faut-il être simple à cet égard. Mon premier souvenir de Si Mohamed remonte à 1973. Il avait 25 ans. Il enseignait la philosophe au lycée Moulay Abdellah à Casablanca. J’avais 19 ans. J’étais élève au même lycée. Mais le lieu du souvenir était autre : la salle de conférence de la Maison de jeunesse de Derb Bouchentouf. Si Mohamed, qui était parmi le public, se leva, prit la parole, comme tout militant le faisait à l’époque, avec passion. Je l’ai rencontré plus tard, en 1991, à la Faculté des lettres de Aïn Chock où il m’invita pour présenter mon premier livre. Ce geste là, venu d’un collègue qui me connaissait à peine, m’a longtemps marqué. De cette générosité, de cette disponibilité à offrir son temps, je peux donner maints exemples. Et depuis, nous avons partagé quelques tranches de nos vies : des colloques, des voyages au Maroc et à l’étranger, des livres, la création du CM2S (Centre Marocain des Sciences Sociales, avec Mohamed Tozy, Mostafa Bouaziz et Jamal Khalil), des séminaires, ... Et la liste est longue. J’ai retrouvé chez Si Mohamed, le chercheur, la même passion des années 70. Cette disposition à vouloir améliorer les choses s’est exprimée chez lui de différentes manières : par son militantisme politique au sein de l’université, sa contribution au projet de refonte de l’enseignement de philosophie, son dévouement dans la formation des chercheurs, son activité et sa complicité discrètes avec des acteurs de la société civile, son abnégation dans l’animation de « Mounadarate ». Dans cette émission, il proposait un thème et deux invités pour en débattre. Il aurait pu se contenter de cela. Or, pour enrichir le débat, il recherchait ce qu’on appelle dans le jargon de la télévision des « sonores ». Il passait des heures pour trouver
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l’image d’une montagnarde portant un fagot de bois ou une chanson de Houcine Slaoui. En préparant une émission sur les identités collectives où il m’invita (2001), je lui parlai d’un conflit au sujet de l’identité tribale que j’avais étudié chez des tribus Zemmours. Il fit tout son possible pour déplacer la réalisatrice de l’émission et son équipe afin de filmer quelques interviews. Une journée de travail pour une sonore de 4 ou 5 minutes. Je l’ai accompagné et j’ai vu de près ce que la générosité dans le travail veut dire. Il aurait pu se limiter à préparer une liste de questions pour animer le débat. Cette volonté d’améliorer les choses, conjuguée à la générosité résument une bonne part de mes souvenirs de Si Mohamed. Même durant sa convalescence, et affaiblie par la maladie, il me rendit visite suite à une opération banale que j’ai subie. Même durant sa convalescence, il ne cessa d’écrire, de participer aux colloques, d’assurer ses cours, de raconter... Durant ces trois dernières années, nos relations sont devenues plus proches et plus régulières. Chez lui, il avait toujours sur la table un manuscrit, des livres ou son ordinateur qu’il tenait à avoir même en clinique. Lui demandant comment va le moral, sa réponse fut « Le moral, c’est mon starter ! ».
Mohamed El Ayadi lors d’une réception. à gauche, on reconnaît Mohamed Arkoun.
Ce fut notre ultime échange. Notre amitié débordait le cercle académique, même si je peux toujours trouver quelques continuités. J’aimais bien quand il me racontait ses aventures syndicales et notamment avec Mahjoub Ben Seddiq. J’aimais bien quand il me parlait des anciens joueurs de football et de leur passage dans l’émission sportive « Samar ». Si Mohammed était un bon narrateur, un riche magasin de personnages et d’événements d’histoire récente. Il pouvait longuement parler des anciens, qu’il s’agisse des organisations politiques clandestines des années 1970, de la Résistance, de l’Armée de libération, ou des joueurs de football... Sa compagnie me manque. Tel que je le connais, il ne souhaiterait pas qu’on soit trop triste pour lui. Un pincement au cœur, des larmes aux yeux, et un sourire après tout. w * Hassan Rachik est anthropologue à l’Université Hassan II de Casablanca.
temoignages Nourredine Saïl
« Pour moi, Mohamed n’est pas mort. Mohamed El Ayadi est d’abord un très grand ami. J’ai toujours apprécié chez lui sa fidélité et sa loyauté, dans l’amitié comme dans le travail. Nous nous sommes connus à la fin des années 1970 lorsque j’ai été nommé à l’Inspection générale de la philosophie dans l’enseignement secondaire. J’avais alors formé une commission nationale composée de quatre membres afin de renouveler les programmes dans ce domaine. Mohamed El Ayadi en faisait partie. Nous avions comme objectif de baser la philosophie sur l’étude des textes. Comme peu d’entre eux étaient traduits, nous nous sommes attelés à cette tâche. C’est à ce moment que
j’ai pris conscience de son implication et son efficacité dans le travail. Depuis, nous nous ne sommes plus jamais quittés. Il était un savant mélange entre rationalité, rigueur et humour. Lorsque j’étais basé à Paris pendant les années 90 pour mon travail à Canal +, Mohamed ne manquait pas de loger chez moi lors de ses séjours dans la capitale. En 2000, j’ai été nommé à la tête de la chaîne de télévision privée, 2M et Mohamed El Ayadi est l’une des premières personnes que j’ai contactées pour venir me prêter main forte. Il l’a fait remarquablement à travers l’émission de débat « Mounadarate ». Pour moi, Mohamed n’est pas mort. La seule chose qui a changé est que je ne le verrais plus une fois de temps à autre. Son esprit ne nous a pas quittés. C’est le genre d’amis qui vous clarifie le sens de la vie ». w
Bensaïd Aït Idder
« Mohamed El Ayadi est l’une des figures de l’élite marocaine ayant pu outrepasser le blocus mis en place contre la culture, la science, les libertés, la citoyenneté et la modernité. Il a entrepris une véritable relecture de l’Histoire et de la culture marocaines et incarné une nouvelle génération de citoyens qui ont cru aux valeurs suprêmes de la liberté, de la citoyenneté, etc. Mohamed El Ayadi a conduit d’innombrables études, notamment celles en rapport avec la Résistance et en particulier la guerre de libération que peu de jeunes marocains connaissent aujourd’hui. Il a su contourner la censure qui sévissait à l’encontre de la recherche scientifique ». w Zamane - novembre 2013 - 19