manifeste POUR UNE FéDéRATION.
philippe delaigue
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JOURNAL À PARUTION ALÉATOIRE
N°1 décembre 2008
le journal
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J’ai eu la chance incroyable de diriger pendant presque 25 ans une compagnie de théâtre qui, après avoir fait ses premières armes durant 10 ans à Lyon, est devenue, après un travail d’implantation jugé alors exemplaire à Valence, un des plus beaux centres dramatiques nationaux du pays. Cette histoire m’a permis de connaître de très près les problèmes que connaît toute compagnie indépendante, puis d’apprendre les joies et les pièges de l’institutionnalisation et enfin, de mesurer l’importance d’un ancrage territorial et d’un contrat clair avec les tutelles publiques. Durant ces années et grâce aux longues tournées de mes spectacles, j’ai appris à bien connaître ce réseau français de fabrication et de diffusion du spectacle vivant.
Après avoir fondé puis dirigé la Comédie de Valence durant 9 ans, j’ai choisi d’initier une nouvelle aventure sur des bases résolument nouvelles inspirées de ces expériences. Mon chemin est celui d’un homme de théâtre plus que celui d’un metteur en scène. Ma formation d’acteur, ma passion pour les littératures et l’écriture (auteur et adaptateur de nombreux spectacles), mon fort intérêt pour la pédagogie (responsable du Départe‑ ment Acteur de l’Ensatt où j’enseigne), mes collaborations fécondes avec des artistes d’autres disciplines (ma forma‑ tion musicale n’y est sans doute pas étrangère) m’ont permis d’entrer dans le théâtre par des portes différentes, découvrant à chaque fois de nouvelles façons de «pratiquer» et contribuant à faire de ce cheminement dans le théâtre une aventure intellectuelle souvent renouvelée.
J’ai l’impression que ma vie théâtrale me dépose aujourd’hui le plus natu‑ rellement du monde à un carrefour, m’invite plus que jamais à la curiosité, au rassemblement et au partage, en un mot à la Fédération (des talents et des désirs). C’est à cette place que j’entends désormais œuvrer pour le théâtre et le spectacle vivant. La Fédération se propose de réunir en un même ensemble choisi, artistes et directeurs de théâtres. Ceux qui fabriquent le spectacle vivant et ceux qui définissent les conditions de son économie. Pourquoi cette assemblée ? Il y a maintenant 60 ans, s’écrivaient les premières pages de la Décentrali‑ sation théâtrale. Cette décentralisation visait à créer sur le territoire français un nombre suffisant d’outils artistiques et culturels permettant un accès élargi aux grandes œuvres de l’esprit pour tous les publics. Soixante ans plus tard, et d’un strict point de vue structurel, le bilan est réjouissant voire tout à fait réussi.
D’un point de vue politique, le résultat est bien plus décevant : — Le fossé s’est creusé entre ceux pour qui l’art et la culture relèvent d’une fréquentation familière et ceux pour lesquels ils sont, au mieux, un luxe, au pire une terre étrangère, voire un objet de mépris. Et ce fossé – qui se confon‑ dait jadis avec celui séparant les riches des pauvres – fracture désormais l’es‑ prit public par‑delà les misères et les prospérités. L’inculture frappe à toutes les portes et s’invite chez chacun sous différents masques. Et lorsqu’elle se pavane dans les ors et les marbres ou à grande échelle sur un petit écran, nous frissonnons d’effroi. Cet échec n’est naturellement pas celui des seuls artistes ou directeurs d’institutions : il est celui d’une société qui ne croit plus vraiment aux vertus conjuguées de l’as‑ semblée et de la parabole. — Le monde du spectacle vivant se résume aujourd’hui trop souvent à un marché qui n’est pas sans évoquer le marché de la grande distribution. Les producteurs y produisent dans la plus
L A F é D é R A T I O N [ T H é â T R E ] — 5 m ont é e S aint B arthele m y — F 6 9 0 0 5 L y on — t é l + 3 3 ( 0 ) 4 7 2 0 7 6 4 0 8