A P E R Ç U D E Q U E L Q U E S - U N S D E S 328 AU TO P O RT R A I T S Q U E C A R E L M A N R É A L I S A TO U T AU L O N G D E L’ A N N É E 2000
JACQUES CARELMAN O B J E T S
I N T R O U V A B L E S
O B J E T S I N T R O U V A B L E S O R I G I N A U X D E C A R E L M A N PA S S É S D E S O N I M A G I N A I R E À L A R É A L I T É E N 1 9 7 2
90 x146 cm Bicyclette à neige Les raquettes qui remplacent les roues de cette bicyclette en font le véhicule idéal pour les longues randonnées hivernales.
W.C. pour berger landais 155 x 55 x 55 cm Cette cuvette permet aux bergers landais et, d’une façon générale, à tous ceux qui sont montés sur des échasses, de satisfaire leurs besoins naturels sans en descendre !
25 x 19 cm Cafetière pour masochiste Nous pensons que l’image de cet ustensile est suffisamment éloquente pour ne pas s’appesantir sur des détails qui pourraient s’avérer pénibles
B O UL E TA NGO
BIOGRAPHIE 1929 Jacques Carelman nait à Marseille le 1er novembre, le jour même de la mort
d’Alfred Jarry. Il fut dentiste, peintre, illustrateur, musicien, et grand collectionneur. 1956 Arrive à Paris pour se consacrer à la création de décors, à l’illustration de livres, tout en installant son activité de dentiste rue de Buci. Boris Vian lui confie son premier travail graphique : des pochettes de disque de Jazz pour Philips. 1963 Conçoit la grande édition des Exercices de styles de Raymond Queneau 1964 Création de l’Ouvroir de Peinture Potentielle (Oupeinpo) qu’il intègre en 66 et refonde en 80. 1965 Illustre sous forme de collages le conte Saroka la géante 1969 Quatre cent dessins d’objets constituent son catalogue des objets
introuvables, aux éditions Balland, parodie du Catalogue des Armes et Cycles de Manufrance. Le succès est immédiat et immense et donne lieu à 19 traductions internationales. Jean Ferry l’introduit officiellement au Collège de ‘Pataphysique. 1972 Le Musée des Arts décoratifs lui propose d’exposer ses dessins, mais Carelman décide alors de produire réellement ses objets imaginaires. 1975 Contribue à l’exposition d’Harald Szeeman sur Les Machines célibataires. Carelman parcourt le monde avec les expositions à succès de ses objets poétiques. 2012 Il devient lui même introuvable en décédant à son domicile d’Argenteuil, sans famille, ni soutien.
Artiste en tous genres, Carelman (qui perd très tôt son prénom), a beaucoup illustré (des Mille et une nuits à Pierre Benoit), collé (pour son roman Saroka la géante, 1965), découpé en bande (dessinée : Zazie dans le métro, 1966). Il a conçu des rébus (pour les Fables de la Fontaine) et un Petit Supplément à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1971), mais c’est avec son Catalogue d’objets introuvables que sa notoriété connut une envolée. Il y propose une impressionnante quantité d’objets inédits, dans un ouvrage capable de remplacer le Catalogue de la Manufacture d’Armes et Cycles de Saint-Étienne, dont la disparition fut, après avoir procuré à Carelman et à quelques autres leurs «premières et inoubliables émotions poétiques», celle d’un pan entier de la culture nationale. Ce n’est pas parce que des objets sont réputés «introuvables» que l’on doit s’abstenir de les concevoir ou de les dessiner, bien au contraire. Un tel interdit nierait toute invention, même la plus banale ou la plus apparemment «simple» : de même qu’avant d’être peinte, la licorne restait invisible, la pierre, avant d’être taillée, demeurait un outil introuvable. L’adjectif «introuvable» qualifie donc une potentialité qui n’attend qu’une pointe de crayon pour basculer dans l’actuel. Carelman est responsable d’un tel basculement, et avec une jubilation qui en dit long sur ses propres capacités d’invention. Que la composition de son Catalogue d’objets introuvables fût nécessaire, on en a la preuve par le succès que rencontra l’ouvrage, qui, outre ses différentes éditions française (1969, 1972, 1976, 1980, 1984, 1989 en collection de poche pour enfin le démocratiser, etc.), en connut de nombreuses en langues étrangères (au moins dix-neuf, dont le finnois, le japonais ou l’hébreu). Un tel succès se comprend aisément : chaque dessin inspire d’autant plus confiance dans la faisabilité de son objet qu’il est d’une impeccable précision, et accompagné d’une légende, soigneusement rédigée, qui énumère qualités et avantages de l’objet; le catalogue lui-même est présenté en chapitres subdivisés en sections (le travail : outillage, culture, articles de bureau et fournitures scolaires; la maison :
E
X
P
O
S
I
T
I
O
N
D
GALERIE LES YEUX FERTILES
1
3
M
A
I
84 x 44 x 36 cm
115,5 x 132,5 x 60 cm Piano par éléments Si vous n’avez pas les moyens d’acheter un piano « entier »vous pouvez vous le procurer octave par octave, et le monter vous-même au fur et à mesure de vos possibilités financières
ameublement, aménagement intérieur, sanitaire-hygiène, articles de ménage, etc.) qui permettent de découvrir rapidement de quoi améliorer son existence quotidienne. Comment ne pas être tenté par une paille à boire télescopique qui se transporte aisément, une tente de camping prémontée, un hamac canapé ou un protège-parapluie ? Une certaine logique peut être à l’origine de ces objets. Ainsi, les différents types d’échelle proposés sont relatifs, soit à leur utilisateur, soit à l’endroit où on en usera. De même, les divers modèles de chaise sont définis par les habitudes des postérieurs qu’elles recevront, ou par leur emplacement. Une expression langagière peut définir l’allure d’un objet (voir l’escalier d’entraînement). L’absurde résulte aussi bien de quelques mots pris au sérieux, d’une dérive formelle, d’un souci de confort ou d’économie (le demi-parapluie pour factionnaire, le jouet pour chien et chat), de l’emploi d’un matériau inhabituel, qui ouvre des possibilités d’usage particulières. Bien décidé à persuader les foules de l’utilité de ses objets, Carelman ne s’est pas privé d’en faire reproduire en sérigraphie, à cent exemplaires sur papier argenté, quelques-uns (le fauteuil radiateur, le vélo escalier, ou le pistolet lance-pierre, parmi d’autres), afin d’en diffuser plus largement les croquis. À quoi s’ajoutera le souci d’initier les esprits juvéniles aux charmes de la trouvaille et de l’utilisation d’introuvables : Carelman a aussi publié, aidé par des écrivains proches, quatre ouvrages dans une collection intitulée Les objets introuvables (pour les enfants). De telles entreprises sont-elles à verser au compte d’une banale mégalomanie ? Ou témoignent-elles d’une bonne volonté (de type assurément kantien) ne visant qu’à diffuser le progrès sous les aspects les plus rares ? On n’a pas fini d’en débattre... Lorsque l‘objet passe du dessin à sa réalisation matérielle, il acquiert un degré d’existence évidemment supplémentaire. Ainsi les objets introuvables accèdentils au niveau maximal de leur gloire lorsque Carelman les réalise «en dur» et «en vrai» pour les exposer. Ce qui eut bien lieu, au musée parisien des Arts décoratifs d’avril à juin 1972, puis dans la périphérie plus ou moins lointaine de la capitale (Lille, Marseille,
U
Paire de chaises french cancan Très amusante dans un ensemble Napoléon III
A
U
Bordeaux, Bruxelles, Berne, Dallas, New York, Montréal, Osaka, etc.). Le public peut alors constater que certains de ces objets sont bien déterminés par une fonction qui oriente leur composition esthétiquement satisfaisante. C’est, non pas de l’anti-design comme on pourrait le croire hâtivement, mais du design d’exception, c’est-à-dire pour situations ou utilisateurs exceptionnels. Il y a là une vision assez pataphysique de la fonctionnalité : concevoir un objet qui soit utile pour une seule personne, c’est trouver la solution d’un problème assez improbable. Par exemple : comment un masochiste peut-il être assuré de se brûler la main avec laquelle il saisit la cafetière en versant son café ? Ou : comment un berger landais peut-il satisfaire un besoin naturel sans quitter ses échasses ? Ce n’est pas parce que ce genre de problème se rencontre rarement qu’on ne doit pas le résoudre. Carelman était bien entendu membre du Collège de ‘Pataphysique, chargé de la chaire d’Hélicologie (soit l’étude de la spirale, ou Gidouille). En novembre 1980, il est l’un des réanimateurs de l’Oupeinpo - ouvroir de peinture potentielle qui, sur le «modèle» de l’Oulipo, entend introduire des contraintes dans l’art pictural, et il met au point une bonne dizaine de formules définissant des règles dont l’application permet de produire et de multiplier des œuvres, comme le Collage chronologique ou la Peinture au quart de tour. Oupeinpien sans le savoir dès 1963 lorsqu’il enrichit les textes de Queneau de 33 Exercices de style parallèles, dessinés, peints et sculptés (il y en aura ensuite 45), il entreprend en 2000 de réaliser un autoportrait par jour. L’examen de quelques dizaines de résultats montre qu’il s’agit d’y varier tant les papiers que les styles, en tirant simultanément profit d’une redoutable habileté technique et des suggestions du support (qui peut être un échantillon de papier peint). Cette série d’autoportraits visait-elle à confirmer la multiplicité des facettes de son modèle ? Toujours est-il que tout se passe comme si chaque feuille suggérait qu’on est loin d’en avoir fait le tour. On n’oubliera pas la leçon : la (re)découverte de cet artiste ne fait que commencer. Gérard Durozoi
2
5
J
U
I
N
2
0
1
6
2 7 , R U E D E S E I N E 7 5 0 0 6 PA R I S - + 3 3 ( 0 ) 1 4 3 2 6 2 7 9 1 - C O N TA C T @ G A L E R I E - L E S Y E U X F E R T I L E S . C O M Ouver t du mardi au vendredi de 14h à 19h l e s amedi de 11h à 13h et de 14h à 19h