BSC NEWS N°92 - JUILLET-AOÛT 2016
ROBIN RENUCCI 1
ÉDITO par Nicolas Vidal
Rendons tout d’abord hommage aux victimes innocentes qui ont péries sous la barbarie implacable d’un attentat à Nice ce 14 juillet 2016. Ayons une pensée forte pour celles et ceux qui sont blessés ou tout simplement dévastés par ce qu’ils ont vécu en cette soirée de fête nationale alors qu’ils profitaient d’une belle nuit d’été sur la Promenade des Anglais. Juste parce qu’ils étaient là. Inqualifiable et incompréhensible. Ignoble. L’ensemble de la rédaction du BSC NEWS adresse ses plus sincères condoléances aux familles des victimes. Ici, au BSC NEWS, la seule réponse que nous pouvons apporter à notre niveau est de continuer à diffuser au plus grand nombre notre passion de la culture. Cela peut paraitre dérisoire face à l’atrocité et à la barbarie mais c’est notre réponse. Ainsi, je vous invite à découvrir l’interview passionnante de l’homme de théâtre qu’est Robin Renucci. Son propos est incisif
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lorsqu’on l’interroge sur la question du libre-arbitre, de l’utilisation des mots, de la maitrise du langage et du verbe. Voilà un grand défi que Robin Renucci s’est lancé : donner envie aux gens d’aimer le théâtre et d’imaginer, de rêver et de vivre à son contact.
«La langue est un outil formidable de l’expression de soi mais également pour cette capacité à s’affirmer dans une société et dans une cité pour prendre la parole comme l’un des piliers de la démocratie.» nous dit le comédien.
Découvrir les textes classiques et la puissance des mots pour mieux comprendre le présent et peut-être le transcender. Aujourd’hui plus que jamais, la voix de personnalités comme celle de Robin Renucci devrait nous amener à militer chacun à notre niveau pour aiguiser l’amour du beau verbe au plus grand nombre et faire reculer peutêtre l’obscurantisme.
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L’interview & la couv
Robin Renucci Livres
P.6
Notre sélection estivale Jazz Classique EXPO Musique
P.32
Balzac pour le plaisir 4
Histoire
LE FRONT POPULAIRE Révision
LES BEATLES Musique
La play-list de l’été
Photo
Cuba-Castro, portraits croisés 5
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Théâtre
Robin Renucci
La passion des mots
Robin Renucci nous semblait la personne idéale pour nous parler de culture et de théâtre cet été. Acteur, comédien, metteur en scène et directeur des Tréteaux de France, Robin Renucci est très engagé dans l’initation du verbe et des mots qu’il considère comme l’un des fondements de l’humain. Une rencontre passionnante qui pousse la réflexion au delà des mots pour laisser la place à un engagement personnel total. Par Nicolas Vidal - / Crédit Photos : Olivier Pasquiers 8
Robin Renucci, vous semblez nourrir une confiance inébranlable dans le théâtre et dans la langue. Pouvez-vous nous dire en ce sens comment le théâtre doit toucher le spectateur ? Plus précisément, entre le spectateur déjà familiarisé au théâtre et celui qui ne l’est pas du tout... Il faut élargir le cercle des initiés et des connaisseurs du théâtre sinon il y aura de l’injustice et de l’inégalité. Il y a plusieurs moyens pour cela. D’abord depuis l’enfance grâce à l’éducation artistique et culturelle afin que chacun puisse rencontrer cette dimension-là de lui et atteindre la capacité d’exprimer ce qu’il est. La langue intervient à cet endroit-là. C’est comme cela que l’on élargit les frontières du monde au moyen du champ langagier. Car il y a encore une grande injustice aujourd’hui entre ceux qui ont les mots et ceux qui ne les ont pas. Vous évoquez souvent la langue, le texte ainsi que l’émancipation culturelle. Est-ce le but des 9
ateliers de pratiques théâtrales que vous organisez ? Est-ce que cela contribue au prolongement de « cette éducation citoyenne par l’art » ? La langue est un outil formidable de l’expression de soi mais également pour cette capacité à s’affirmer dans une société et dans une cité pour prendre la parole comme l’un des piliers de la démocratie. C’est également la faculté de dire ce que l’on pense autant que cette faculté d’abolir les conflits. Nous sommes donc dans une démarche citoyenne
« La langue est un outil formidable pour l’expression de soi mais également pour cette capacité à s’affirmer dans une société et dans une cité pour prendre la parole comme l’un des piliers de la démocratie»
qui fait que nous ne sommes pas dans un esprit guerrier. C’est donc un état d’émancipation qui permet de s’élever au-delà de la condition d’aliénation. Dans les faits, certains sont maintenus dans l’ignorance. Si on maintient les gens dans l’ignorance, on peut davantage les téléguider et laisser la place aux dogmatismes. Cela peut se faire d’une manière violente mais également d’une façon plus pernicieuse comme peut le faire le marketing ou la publicité sans que l’on s’en aperçoive et parfois même avec le consentement des intéressés. Créer l’émancipation est la question récurrente de toute les époques. Pour votre second mandat à la tête des Tréteaux de France, quel regard portez-vous depuis votre intronisation sur le travail accompli ? Je n’ai pas voulu que l’on considère que nous étions une compagnie parisienne qui irait irriguer le territoire national vers 10
la province. C’est une image très ancienne depuis les années 60 de politique culturelle. En province, comme on l’appelle, ce sont des gens qui ont beaucoup choses à faire et à dire. Ils démontrent par leur démarche associative un engagement fort dans l’éducation populaire et générale. Mon travail est de m’associer à ses réseaux en n’apportant pas seulement des spectacles mais de faire avec eux des chantiers sur le théâtre. Au lieu d’apporter la culture aux gens, c’est de faire culture avec celles et ceux qui sont sur le territoire. C’était le thème de ce premier mandat et je pense que nous avons réussi en ce sens. Nous étions pendant un mois au Théâtre de l’Epée de Bois avec les franciliens pour leur montrer notre travail engagé sur le territoire
«Créer l’émancipation est la question récurrente de toute les époques »
national (La Grande Escale s’est déroulée du 26 mai au 2 juillet 2016). De plus, j’ai travaillé sur deux thèmes. D’une part, l’emprise des cerveaux et d’autre part la production de la richesse, l’argent et le travail. Car nous souhaitions réfléchir ensemble sur l’avenir du travail. Selon vous, quel est le rôle crucial que jouent les Tréteaux de France dans la création théâtrale en France ? Est-ce cette mission de porter le théâtre là où il n’est pas encore ? C’est effectivement cette mission initiale d’aller à la rencontre de tous ceux qui sont éloignés d’une part géographiquement mais aussi de façon psychologique. Il y a des écrans entre les gens, des difficultés pour se rencontrer ou encore la présence de murs. Il n’y a peu ou plus se désir de se rencontrer. C’est cela qui empêche l’élargissement du cercle des initiés. C’est le travail des Tréteaux de France que d’élargir les publics 11
dans une mission citoyenne grâce à un théâtre qui donne de la joie, qui élève, qui permet de réfléchir et d’accéder à un esprit critique ainsi que la mise à distance autant que la capacité de discernement sur les choses. C’est aussi une façon de parler politique afin que les gens enrichissent leur désir de découvertes, de rencontres et d’aventures.
Est-ce que le métier d’acteur pour vous relève t-il d’une mission de service public ? Quelle est en somme la place de l’acteur par rapport au public ? Cela est vrai dans tout militantisme dans une forme beaucoup plus douce en donnant de la joie, du plaisir aux gens et leur permettre de développer leur imaginaire. C’est déjà très important. C’est un rôle social qui n’est pas forcément dans un militantisme accompli. Ce qui est social, c’est d’être réuni et uni. Un théâtre qui unit et qui rassemble représente quelque chose de social. Ce qui ne l’est pas, c’est la guerre, la destruction de l’autre, la considération de l’autre comme un ennemi. En ce sens, le théâtre autant que les acteurs unissent et réunissent. Le théâtre des Tréteaux a une esthétique particulière. Quel est le rapport que ce théâtre entretient avec le public dans sa forme ? © Lucky Comics 2016, Matthieu Bonhomme 12
C’est une forme de simplicité sur le plan des équipements. Nous pouvons arriver sur un territoire le matin et jouer le soir en associant le montage du plateau. Cela nécessite bien entendu une certaine légèreté. Les Tréteaux continuent à être un objet scénique très intéressant en tant que scène. Elle élève la personne qui monte dessus et donne à voir un champ langagier, des mots et des images. La place du public permet de recevoir et construire de l’imaginaire. Aux Tréteaux de France, le spectacle se fait autant avec les spectateurs qu’avec les acteurs et le metteur en scène qui montrent quelque chose. Le public reçoit et il est très participant à la pièce. Comment s’orientent vos choix de pièces au sein des Tréteaux de France ? Mes choix de pièces sont thématiques comme évoqués plus haut. Le premier thème abordé est l’emprisedescerveauxavecl’Ecole
( Robin Renucci - Photo de Michel Cavalca )
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des Femmes de Molière, La Leçon d’Eugène Ionesco, Mademoiselle Julie d’August Strindberg ou des pièces contemporaines écrites par Alexandra Badea ou Jean-Claude Grumberg. L’autre thème tourne autour de l’argent, la richesse, la dette et la valeur travail avec Le Faiseur de Balzac ou la prochaine pièce à venir intitulée l’Avaleur qui raconte la compulsionnalité d’un homme qui veut digérer une entreprise comme ces nombreuses sociétés qui, aujourd’hui, se font manger par des ogres venant de Wall Street ou de la City de Londres. Ce sont des thèmes très contemporains qui font sens dans notre monde actuel ? Oui, tout à fait. Ce sont des pièces qui font tout à fait écho à des débats que nous pouvons faire après les spectacles. Car il y a trois temps au sein des Tréteaux. Tout d’abord, nous éprouvons l’oeuvre. Ensuite, nous pratiquons le théâtre puis vient le temps de la réflexion et du débat autour de sujets contemporains.
On vous sait très engagé en matière d’éducation artistique et culturelle. Quels sont pour vous aujourd’hui Robin Renucci les grands enjeux de cette éducation ? Vous semble-t-elle aujourd’hui pertinente dans le cadre scolaire ? C’est là que tout commence. Si nous ne pouvons pas réparer certaines inégalités dans le champ de la famille, dans le champ hors du temps de la famille et celui de l’école qui sont les trois lieux de transmission, l’école peut être un endroit où tout le monde est à égalité car chaque enfant doit être dans un égalité de droit à l’école. L’éducation culturelle et artistique à l’école est le premier moment politique pour le citoyen. C’est là que nous allons donner les moyens d’aiguiser ses outils et sa singularité. Cela doit être un relais qui se fait avec les enseignants, les chefs d’établissements, ainsi que les artistes dans les écoles qui permettent de tisser ce lien avec l’éducation artistique et culturelle. Ce sont les premiers maillons d’une
© Lucky Comics 2016, Matthieu Bonhomme 14
chaîne de la culture de quelqu’un. Cela s’appuie aussi sur la formation des enseignants afin qu’ils soient les premiers lecteurs de leur classe et les premiers relais. Quel regard portez-vous aujourd’hui Robin Renucci pour l’appétance des Français pour le Théâtre ? Comment faire venir les gens au Théâtre ? Il faut parler des gens et leur raconter des histoires qui les concernent. Les acteurs doivent aussi venir de la population. Je suis professeur au Conservatoire National et nous avons souhaité avec Claire Lasne Darcueil, la directrice du Conservatoire National qu’il y ait plus de gens issus de la diversité dans la formation. Bien souvent, les acteurs sont des filles et des fils d’acteurs. Cela devient sectaire et sclérosant pour l’activité artistique. Il faut donc que les élèves du Conservatoire représente la population. Il faut que la diversité soit territoriale et ethnique pour élargir le public. 15
Après, il y a la qualité des oeuvres qui doivent être poétiques et qui doivent faire rêver. Car on vient aussi au théâtre pour imaginer, rêver et pas seulement dans une situation de divertissement qui confine parfois à l’abrutissement. Nous avons besoin aujourd’hui de se divertir du divertissement. Car ce théâtre doit donner de la joie et s’extraire de cette idée de donner des leçons. N-y-a-t-il pas une appréhension tout de même des gens pour le texte ? Bien sûr ! Les gens peuvent être intimidés car si depuis l’école le texte fait peur, s’ils n’ont pas les mots, s’ils ne peuvent pas lire et qu’ils n’ont jamais été dans une situation où l’on requiert leur participation et qu’on les laisse dans une situation passive, tout cela contribue à l’intimidation. Il faut donc combattre cette intimidation par tous les moyens, notamment via l’école et la pratique amateur également. Mais je mise sur
l’intelligence du public car je crois que les gens ont beaucoup de ressources mais ils ne sont pas en situation de pouvoir les partager. Nous avons reçu Christian Schiaretti il y a deux ans dans le BSC NEWS Magazine pour « L’école des femmes ». Il nous disait en parlant de votre collaboration artistique « Nous faisons partie d’une génération où les grands textes du répertoire classique étaient des repères et, dans la diffusion d’un théâtre populaire que nous soutenons, il est important d’entretenir un dialogue régulier avec les oeuvres du répertoire» Quel est votre avis à ce sujet, Robin Renucci ? Les oeuvres qui ont passées les siècles ont laissé des choses très importantes. La question est de savoir si l’on doit s’adresser aux gens comme ils parlent dans la vie ou bien s’adresser aux gens d’aujourd’hui avec des outils qui ont fait leur preuve dans le passé ? Les textes de Molière ont fait leurs © Lucky Comics 2016, Matthieu Bonhomme
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preuves. Parler aujourd’hui d’un homme qui détient une enfant de 4 ans enfermée pendant 13 ans pour la maintenir dans l’ignorance afin de la manipuler et de l’endoctriner, c’est actuel. Je partage donc avec Christian Schiaretti cette analyse du langage, de la langue et surtout de la poésie. Car la langue est très riche pour celui qui l’entend. Elle donne à voir beaucoup. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le Faiseur que vous avez mis en scène et qui se joue en ce moment ? Le Faiseur est une pièce qui a été écrite en 1840 qui, selon la vie de Balzac très endetté, réunit des personnages de la Comédie Humaine. Ils racontent comment on passe à nouvelle époque avec la valeur de l’or qui réglait la vie des gens. Et voilà l’apparition de la volatilité du billet de banque qui intervient avec la bourse. C’est la notion d’argent sans le travail. Les bourgeois ne savent plus travailler donc ils décident de faire
de l’argent avec de l’argent, d’où la spéculation. C’est donc un homme qui repousse ses dettes face à des créanciers qui viennent le voir. Puis il refuse de marier sa fille autrement que comme il l’entend. Il a une fille laide qu’il tente de marier à un bon parti pour tenter de rembourser ses dettes. Enfin, il tente de provoquer un krach boursier comme le font certains traders aujourd’hui pour 17
faire baisser les titres à la bourse afin de les racheter et les vendre par la suite beaucoup plus chers. C’est une pièce totalement contemporaine qui s’articule autour de ces trois histoires. L’écriture est moderne sans qu’on ait eu besoin d’y rajouter des choses. C’est donc une matière pour le théâtre contemporain écrite dans le passé par des grands auteurs.
Une question sur la série Un Village français qui éclaire merveilleusement l’avenir en revenant sur une période sombre pour la France. Sans dévoiler des secrets, quels seront les axes de la septième saison ? Quel va être notamment le sort réservé à Daniel Larcher dont la fin de la 6ème saison nous laisse craindre le pire ? La 7ème saison portera sur les procès. Daniel Larcher va être jugé et devra se défendre. Il a traversé toute la période de l’occupation en tenant de faire le bien. Il a été maire malgré lui simultanément à son rôle de médecin où il a également fait en sorte de soigner les uns et les autres. Daniel Larcher n’est absolument pas collaborateur de nature. Mais il se retrouve jugé pour des faits qu’il n’a pas commis ou très peu commis par les résistants de la dernière heure. Il incarne donc une cible affriolante pour qui veut démonter l’histoire de la guerre. Le thème repose sur la mémoire que l’on laisse aux gens. Voilà comment on s’appuie sur la 18
mémoire pour raconter l’histoire. La série « Un village français » dénote par cette singularité à refuser le manichéisme ? Oui. Car c’est la France grise. La France des lâchetés pour les uns et du courage pour les autres. Dans votre profession de foi à la direction des Tréteaux de France, vous écrivez « Je mets les technologies contemporaines au service de la production des symboles et des imaginaires ». Pouvez-vous nous en dire plus ? Nous vivons une révolution industrielle qui, après l’imprimerie, nous amène au numérique, c’est à dire la capacité de reproduire et d’inventer tout un sytème qui nous permet de vivre une nouvelle ère et une métamorphose. Nous verrons qui utilisera ces outils à des fins d’émancipation ou à des fins d’aliénation. On peut considérer que rabaisser le cerveau des gens est une aliénation. Utiliser ces outils dans le jeu addictif et non pas pour
le champs de la connaissance de la recherche. Nous allons donc vivre une aventure collective dans les 100 ans qui viennent où il va falloir se situer chez les collaborateurs de l’aliénation ou dans celui des héros de l’émancipation. Le numérique émancipateur existe lorsqu’il s’agit de connaissances et de savoirs. Le numérique est une bibliothèque. Enfin, l’utilisation de la réflexion autour du numérique sur le plateau n’est pas la seule volonté d’utilisation des écrans mais il est
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une réflexion plus large sur notre époque et de notre émancipation par rapport au numérique sinon nous serions dans l’aliénation.
Robin Renucci
Tréteaux de France www.treteauxdefrance.com Toute la programmation sur :
www.treteauxdefrance.com/les-spectacles
Histoire
L’ « Histoire du Front populaire » de Jean Vigreux retrace un épisode majeur de l’histoire de la France contemporaine. Mais la victoire des partis de gauche aux élections de mai 1936 n’est que l’aboutissement d’un processus commencé au lendemain des émeutes du 6 février 1934 perçues comme une menace à caractère fasciste contre le régime républicain. Par Régis Sully Il est vrai que l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, la présence de Mussolini à la tête de l’Italie contribuaient à légitimer de telles craintes. Au-delà de la réponse à une situation politique bien particulière, l’arrivée de la gauche au pouvoir est le fruit également de la crise économique qui frappe la France plus tardivement que les autres pays. Et l’auteur de retracer les effets sur le 20
terrain des conséquences de cette crise comme les marches des chômeurs et notamment celle qui s’est déroulée du 18 novembre au 2 décembre 1933, comme également la lutte des paysans contre les saisies effectuées à l’encontre de leurs exploitations croulant sous les dettes. Lutte qui met en concurrence le parti communiste très actif dans ce domaine avec les agrariens et surtout les comités de
défense paysanne de Dorgères. L’enchaînement des événements politiques qui vont conduire à la victoire électorale du Front populaire est restitué avec clarté, ainsi que la pause puis l’ effacement progressif en 1938. Du pacte d’unité d’action signé officiellement le 27 juillet 1934 entre le parti communiste et le parti socialiste, première pierre de l’édifice, jusqu’à la prise de fonction du gouvernement de Léon Blum en juin 1936, le Front populaire avait le vent en poupe. Mais ce succès est non seulement l’affaire 21
des appareils politiques et en particulier du parti communiste avec l’aval de l’internationale mais également d’une mobilisation sans précédent d’une partie de la population. Car cette période là fut « un moment de forte mobilisation » pour reprendre le titre d’un chapitre du livre. Les associations enregistrent un afflux de nouveaux adhérents mais ce sont les organisations syndicales et surtout la CGT qui comptait en 1937 jusqu’à 4 950000 adhérents. Les partis politiques en profitent également ceux de gauche mais aussi ceux de droite ainsi le Parti social français devient un parti de masse. Car le Front populaire n’a pas que des partisans mais il faut nuancer même à l’intérieur des groupes sociaux et des corps constitués et on lira avec intérêt le dernier chapitre du livre sur l’attitude des élites, de l’église, du patronat et de l’appareil d’Etat. Au total un livre passionnant sur une période qui a marqué durablement le pays.
Histoire du Front populaire l’échappée belle Jean Vigreux Tallandier Prix 22,90€
Chanson
Sillons de micros A ceux pour qui l’été en musique signifie autre chose que farandoles niaises et karaokés éthyliques Par Marc Emile Baronheid
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de notices argumentées avec une pertinence et un souci de dévoilement qui désamorcent l’accusation de partipris, voire d’improbité intellectuelle. Tressaillir aux « oublis » ou se réjouir de l’hommage aux inévitables relève de la sphère de la subjectivité. Vous dire que le palmarès honore aussi bien Bob Azzam et la chanson de Craonne que Zaz et les goguettes devrait suffire à convaincre que cet arbitrage au spectre large (de Ferré à Frédéric François) relève d’un hédonisme palpable. Puis vous saurez au moins qui est Gustave Nadaud ; ce n’est pas rien. Si la chanson française est un Everest, ceci constitue un excellent camp de base. Vous chantez ? j’en suis fort aise. Et bien ! lisez maintenant.
Arc-bouté à la chanson française avec audace et absence de conformisme, « Dictionnaire amoureux de la chanDicale lui voue une passion son française », Bertrand Dicale, Plon, opiniâtre. Qu’il lui consacre un 25 euros dictionnaire amoureux relève moins de l’opportunisme que de la logique affective. Le principe de la collection appelle, outre l’engagement, une dimension polémique attisée par la présence des uns autant que par l’oubli des autres. Il importe donc d’accueillir en sa bibliothèque cette profusion 23
Livre
Le monde, un endroit où aller Le livre d’un poète, porté par les souvenirs qui sifflent dans les haubans du crépuscule Par Marc Emile Baronheid
Frédéric Jacques Temple a rempli plusieurs galions de l’or des souvenirs. Pas nécessairement baudelairiens. Son spleen à lui s’éploie sur les multitudes qui bercent la mémoire ou tatouent le cœur. Les paysages se déroulent, les noms défilent, des Atlantides émergent comme d’une lanterne magique . A force d’avoir tutoyé tant d’ailleurs, l’envie vous prend de relâcher dans la crique du bilan, sous réserve d’autres largages d’amarres. Les 24
références sont éclectiques, tel ce matador à qui l’on doit « Ce qui ne se peut pas ne se peut pas, et en plus c’est impossible ». Toréer la vie est une insurrection permanente. Tout au plus peuton se demander ce qu’il advient de l’insouciance, au moment de l‘encornada. Il est trop tôt pour que ce jeune homme de 95 ans y pense sérieusement. L’heure est au retour serein sur investissements. Des éblouissements aux regrets, il n’y a qu’une manipulation
« Une longue vague porteuse – Carnet de bord », Frédéric Jacques Temple, Actes Sud. 17,50 euros.
approximative du sextant. Beaucoup de noms, de rêveurs ou de rebelles, à découvrir passé le cap de chaque page. Temple aurait-il donné son congé définitif au San Cristobal ? « Mes voiles sont bien étarquées. Je cingle vers l’ouest ». La nostalgie n’a jamais empêché personne de caresser sans fin des rêves de cap hornier. 25
Livre
Comme un air de violon-selle Par Marc Emile Baronheid
L’histoire se passe à Ablon-sur-Seine, avatar possible de Jaligny-sur-Besbre, principauté du Grand Braquet, dont Fallet fut l’altesse sérénissime. D’ailleurs, le Beau Rivage - pension de famille qui est l’épicentre du roman - compte en ses rangs un sieur Pédalo, chancelier de la jactance « Il commence à nous peler le jonc, 6.4.2, avec sa putain de pêche. Il a que ça à la gueule. Avec lui, pas mèche de parler d’autre chose. C’est comme moi, 26
tiens, si je parlais que de vélo. C’est un obsédé du bambou, 6.4.2. Il ferait mieux de se payer un clou. Pas un spécial course, il aurait l’air là-dessus d’un crapaud sur une boîte d’allumettes, mais une bonne machine d’entraînement. Il se taperait quelques bornes tous les jours, ça lui ferait passer la brioche qu’il se ramasse, le cul toute l’année sur son panier-siège ». Les autres pensionnaires sont à l’avenant : pittoresques, maniaques, affu-
blés de sobriquets goguenards, prototypes de la France qui n’en pense pas moins. On y trouve même un flic qui a sous le képi de quoi faire pâlir d’envie un douze cors. Il y a aussi l’Antoine, maître de lieux désolés par la désertion de sa guinguette et qu’un malencontreux coup de sang envoie en prison. Et là tout change. Un loup en profite pour se glisser dans la bergerie … Ce roman paru en 1970 a valu au facétieux Fallet le prix de l’Humour venu 27
étoffer un palmarès riche déjà de l’Interallié 1964 pour Paris au mois d’août. Des hommages incontestables à une écriture conjuguant cabrioles goguenardes et fluidité des arabesques. Pas de juillet sans Blondin. L’Antoine revient même en force, avec la réédition de quatre romans (il en a signé cinq), dont celui de ses débuts, L’Europe buissonnière, qui lui valut le prix des Deux Magots 1950. On y rencontre Muguet, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. Il vient de découvrir les plaisirs de la chair et de
Tour de France a occulté chez certains l’enchantement durable. A l’occasion du 25e anniversaire de sa disparition, un 7 juin, le petit-fils de Blondin et un journaliste compagnon d’échappées mémorables lui rendent hommage, à renforts de confidences et de souvenirs sans grand relief de Jean Bobet à Michel Déon, en passant par les filles et « la première femme ». Les témoignages les plus convaincants émanent de Jean Farges, le pilote, et de Pierre Chany. Au risque d’épuiser le filon Blondin.
quitter le cocon familial. Ses tribulations, de cachots en salons princiers, de rencontres fortuites en conquêtes insolentes, campent le décor d’une œuvre toute d’ironie mélancolique, de vagabondages doux-amers, d’équipées éthyliques, dont la fabuleuse Geste du
« Au Beau Rivage », René Fallet, Denoël, 13 euros Blondin aux éditions La Table Ronde, dans la collection La Petite Vermillon : « Les enfants du bon Dieu ». 8,70 euros - « L’humeur vagabonde ». 7,10 euros - Certificats d’études. 8,70 euros – L’Europe buissonnière ». 8,70 euros. « Blondin », Jean Cormier, Symbad de Lassus, Le Rocher, 16,90 euros
Une planète à deux soleils
Deux peuples qui se font la guerre Une histoire d’amour au coeur du chaos Barret Connors - Les cornemuses suaves Editions Librinova.com > Commandez le livre en ligne 28 Ebook 0,99 € / Papier 12,99 €
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À voir pour le plaisir
Par Marc Emile Baronheid
Les collections du musée des Beaux-Arts de Nantes sont riches de quantité d’œuvres représentant la femme, selon les époques et les courants artistiques. Des travaux neutralisant ledit musée, l’idée est venue de
montrer ailleurs un ensemble couvrant les années 19801930. Les courants artistiques varient, la beauté féminine demeure souveraine. Entre autres points de comparaison, on note une approche 30
différente selon le genre des peintres, la sensibilité des femmes les portant vers le naturel et le vrai, alors que les pinceaux masculins sont plus volontiers taxés de vision traditionnelle frileuse. Quelques noms connus ne doivent pas occulter le talent, l’heureuse sensibilité et le pouvoir de fascination des nombreuses découvertes. A lire : « Belles de jour », éditions Snoeck, 35 euros A voir au Musée Sainte-Croix à Poitiers, du 18 juin au 9 octobre. Lieu de séjours de Balzac de 1825 à 1848, le château de Saché et son
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environnement n’ont guère varié depuis que l’écrivain y résidait. Sur la foi des minutieuses descriptions contenues dans son œuvre, l’ambition est venue à certains de reconstituer ce que montrait le miroir de l’œuvre littéraire. Avec l’aide du Mobilier national, une exposition s’attache à restituer des pans significatifs de La Comédie humaine, en un lieu où « Le ciel y est si pur, les chênes si beaux, le calme si vaste », de quoi confier à Ewelina Hanska son bonheur d’être là comme un moine dans un monastère propice à méditer quelques ouvrages sérieux. Un catalogue épouse au plus près le parti-pris pédagogique d’une initiative que l’on souhaite contagieuse. « Balzac architecte d’intérieurs », Jean-Jacques Gautier, Nathalie Preiss, Somogy éditions d’art, 35 euros, en partenariat avec le Mobilier national et le Musée Balzac Exposition ouverte du 2 juillet 2016 au 8 janvier 2017, Musée Balzac – Château de Saché. (www.musee-balzac.fr)
Balzac aimait à manier le paradoxe. Familier de la Touraine, il se mit au vert à Paris. Plus exactement, il y
prit le maquis, se cachant à Montparnasse sous le nom de son beaufrère, au 2e étage d’une maison sise dans un quartier considéré comme « le bout du monde ». La raison ? Il était assailli par ses créanciers. Passé le moment où il écrit pour payer ses dettes, il a rêvé des beaux quartiers et trouvé une certaine ivresse à être reçu dans les salons prestigieux. Des plaisirs mesurés, parce qu’il continuait jour et nuit à houspiller son encrier. Un petit livre doté d’un index des lieux raconte les années avides de gloire de ce Rastignac avant la lettre. « Le Paris de Balzac », Anne-Marie Baron, éditions Alexandrines.7,90 euros
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Pour l’été, 4 nouvelles policières qui dépoussièrent le genre avec l’inspecteur Catmandou
Jean-Serge Lalanne - L’Enfer pour Parady Editions Librinova.com > Commandez le livre en ligne Kindle 2,99 € / Papier 12,99 € 32
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BILLET
Des romans de la rentrée et de quelques livres d’été
Par Emmanuelle de Boysson Difficile de trouver des fils rouges entre les romans de la rentrée littéraire, pourtant, j’ai tenté de créer des liens entre quelques-uns d’entre eux, reflets des thèmes éternels de la littérature : la nostalgie, la révolte, la résistance, l’histoire, la dénonciation des dérives de notre monde et l’amour du beau. La peinture a toujours flirté avec l’écriture, comme le prouvent les « Lettres croisées 1858-1887 » entre Paul Cézanne et Emile Zola qui paraîtront chez Gallimard le 15 septembre. Après le roman de Marianne Jaeglé, Van Gogh sera
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à l’honneur, d’autant qu’un film mettant en scène ses toiles sort à l’automne. A-t-il été tué ? S’est-il suicidé ? Le mystère demeure mais dans « La valse des arbres et du ciel » (Albin Michel), Jean-Michel Guenassia prétend que le médecin du peintre, le docteur Gachet, aurait été un opportuniste cupide et vaniteux, sa fille, Marguerite, une jeune femme en mal d’émancipation, amoureuse de Van Gogh. L’homme aux tournesols aurait reçu une balle dans la tête. Thèse soutenue par des universitaires. Cette tendance à réinventer les derniers jours de Charles Baudelaire, d’Agatha Christie, de Freud peut agacer, sauf quand elle est traitée avec talent. Peu importe le sujet, seuls comptent le clair obscur du petit matin où Emma Bovary part se promener à cheval dans les forêts, la musique de Proust, le petit pan de mur jaune. De Pagnol à Nathalie Sarraute, en passant par Duras, les souvenirs d’enfance sont une source
inépuisable. Stéphane Hoffmann subliment les siens dans : « Un enfant plein d’angoisse et très sage ». Un gamin qui tente de réunir ses riches parents, monstres d’égoïsme. Un regard sur l’adolescence plein de tendresse, d’humour et d’empathie dans la veine des « Autos tamponneuses ». Dans la même maison, Joann Sfar part sur les traces de son père dans « Comment tu parles de ton père » et François Cérésa brosse un magnifique portrait du sien dans «Poupe» (Le Rocher). Florence Seyvos nous ouvre le monde de l’enfance dans « La sainte famille », (L’Olivier), celui des enfants de Henry James et de Flannery O’Connor. Suzanne revisite les lieux où des petits drames se sont joués dans le chemin du labyrinthe. Quant à Christophe Donner, il revit le temps béni de ses 13 ans, les flirts, les grèves du lycée, les fugues… et c’est délicieux (« L’innocent », Grasset). Santiago H. Amigorena a eu la bonne idée d’appeler son roman « Les Premières fois ». Celles de tous les émerveillements, des commencements, de l’amour, de l’amitié, des études, de
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l’indépendance. Tant il est vrai que notre vie est jalonnée de premières fois que Santiago magnifient : « Survivre à mon passé en recherchant mon temps perdu me suffit », écritil. « Mais qu’il est difficile, avoue-t-il, lorsque surgissent des preuves aussi simples, aussi flagrantes de ce que fut il a à peine quelques décennies notre vie, de ne pas se vautrer dans le regret. ». Tout est dit, si bien dit. Avec « Lithium », d’Aurélien Gougaud (Albin), premier roman, c’est toute la jeunesse actuelle qui est visée : réseaux sociaux, alcool, fêtes, solitude, quête de repères… Un tableau sombre d’une génération désenchantée. Un auteur de 25 ans qui ira loin. Alors qu’on rend hommage à Elie Wiesel, Prix Nobel de la paix, plusieurs auteurs traitent de la guerre et de la Shoah sous différents angles. Dans « Le dernier des nôtres », (Grasset), Adélaïde de Clermont-Tonnerre nous entraîne dans une histoire fascinante et terrible, celle de Werner et de Rebecca, deux amoureux qui vont découvrir des secrets atroces liant leur deux famille. Ca commence par une rencontre des plus romantiques
jusqu’au jour où Werner est présenté à la mère de Rebecca. Un scénario haletant construit en deux récits qui se croisent, l’un dans l’Amérique insouciante, l’autre dans l’Allemagne nazie. Un grand roman écrit d’une plume enlevée qui vous hantera longtemps. Ghislaine Dunant publie une grosse biographie de Charlotte Delbo (Grasset), une résistante remarquable, écrivain, qui partit pour Auschwitz dans un train de résistantes, en 1943. Dans la lignée de Houellebecq, beaucoup dénoncent les failles, les peurs et les dangers qui menacent notre planète. « Règne animal » de Jean-Baptiste Del Amo (Gallimard) a reçu le « Premier prix » de la rentrée par le jury L’Ile aux Livres/ La Petite Cour. Pour cette histoire pleine de souffle, d’une exploitation familiale vouée à devenir un élevage porcin racontée avec le talent d’un styliste qui travaille « à l’oreille » et vous emporte dans son fleuve de sang. Cinq générations y traversent la guerre, les crises, jusqu’à l’arrivée des abattoirs industriels à la chaîne. Del Amo dénonce la domination de l’homme sur l’animal, sa sauvagerie et ça fait froid dans le
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dos. Egalement chez Gallimard, « L’Insouciance » de Karine Tuil, révèle la violence du monde à travers une affaire d’accusation de racisme qui fait basculer la vie de Romain et de celle qu’il aime. Dans la même veine, Natacha Appanah nous plonge dans une jeunesse aux illusions perdues à Mayotte, un réquisitoire contre la misère et la montée de la violence (Gallimard). La religion ou plutôt la passion mystique fascine. L’éditrice, Maëlle Guillaud publie « Lucie ou la vocation » (HO). Dans un couvent aux règles impénétrables où Lucie va se donner à celui qu’elle aime, le Christ. Porté par la grâce, ce roman est celui de l’amour. Un amour troublé par les mesures disciplinaires des religieuses, l’ascèse, les humiliations et un secret… A sa manière, « Lucie ou la vocation » porte aussi sur les dérives du fanatisme. D’une certaine façon, Céline Minard est aussi une mystique. Dans « Le grand jeu », elle raconte une expérience « border line » : dans un refuge montagneux, une femme s’isole pour tenter de répondre à cette question existentielle : « comment vivre ? » Alors qu’elle s’oblige à des
marches éreintantes, des activités de survie, surgit un ermite qui bousculera ses projets. Un texte superbe. L’histoire reste au cœur de la rentrée avec « Possédés » de Frédéric Gros (Albin) qui sort de l’ombre l’affaire des possédés de Loudun, en 1932, lorsque Jeanne des Anges, supérieure du couvent des Ursulines, est saisie de convulsions ainsi que d’autres religieuses. Un roman qui dénonce aussi les fanatismes d’hier et d’aujourd’hui. Après « André Malraux et la tentation de l’Inde » et « Les mystères de SaintExupéry », Jean-Claude Perrier publie au Cerf « André Malraux et la reine de Saba », un récit fabuleux, entre chronique et biographie, sur cet aventurier, lauréat du Goncourt, qui part à la recherche d’une souveraine qui régna trois mille ans plus tôt. Grand voyageur, Jean-Claude Perrier ressuscite l’expédition que mena Malraux, à 33 ans, en 1934, au Yémen, pour retrouver la reine de Saba. JeanClaude Perrier a relu Flaubert et Lawrence d’Arabie, traversé le désert, volé comme Mermoz ou Saint-Ex afin de comprendre les raisons de l’adieu à sa jeunesse
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de Malraux lorsqu’il publia son reportage dans « L’Intransigeant ». Le livre d’un érudit, passionné par l’Inde et ses mystères. On y croise Gide, Saint-Ex et sa femme, Consuelo, Henri Munier, on voyage en Orient, de Djibouti à AddisAbédba, le passé mythique et biblique du temps de Salomon resurgit. Se dessine le projet d’un journaliste hors pair, celui de l’auteur des « Antimémoires », de l’amoureux de la reine de Saba. Remarquable ! Peu connaissent Mandelstam. Romancière et poète, Vénus Khoury-Ghata ressuscite cet immense poète russe dans « Les derniers jours de Mandelstam » ( Mercure). En 1938, il a 47 ans et se meurt dans un camp de transit près de Vladivostok. Le coupable ? Staline. Du fond de la cellule, le russe voit défiler sa vie : des années de création, de combat, des amis comme Pasternak, Tsvetaïeva. De son écriture sensible, Vénus prouve que le poète a toujours raison. Magnifique. Avant de partir en vacances, ne pas oublier d’emporter quelques livres déjà parus pour la plage ou la chaise longue histoire de ne pas bronzer idiot, par exemple :
« Le Destin de Laura U » de la délicieuse Susana Fortes, aux éditions Héloïse d’Ormesson. Juana a été au service de la famille Ulloa pendant des années. Elle se souvient du vieux père, le comte de Gondomar, de ses deux fils, Rafael et Jacobo. Le patriarche dictatorial a laissé un testament : il a tout conçu pour séparer les deux frères. L’un hérite du domaine en Galice, en Espagne, l’autre, Jacobo, des terres de Cuba. A la mort de Jacobo, Rafael part à Cuba aider sa belle-sœur et sa nièce, Laura. Rien ne se passera comme prévu. Un conte sur les secrets de famille, plein d’odeurs, de couleurs, de non-dits, de peurs et de fièvre. L’esprit du « Guépard », de Lampedusa, version espagnole. Autre livre qui excitera vos méninges : « J’ai une bonne solution de repli sur Mimizan » d’Olivier Disle (Cent Mille Milliards). Vingt-cinq chroniques nostalgiques sur les objets inutiles, les films en cassette audio, les chanteurs populaires comme Michel Delpech, le rituel de la communion, les parties de tennis, nos bonnes vieilles
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cantines, des personnalités avec lesquelles il a grandi : Raymond Barre, Beigbeder, Attali, Chirac, Drucker, les artistes avec lesquels il a passé des milliers d’heures, les jeux : le Risk, les vieilles émissions d’Apostrophes avec Patrick Rambaud. Bref tout ce qu’on aime et qu’il tente de sauver par liste, par pense-bête, par brides, les épinglant dans un album comme des photos sépia qui pourrait être le nôtre. Ici point de clichés, de l’inattendu, des coups de gueule contre la manie des mises en bouche au restaurant, l’introduction des livres sur ebay… Un ton moqueur, des folies, de l’auto dérision. Un régal. A lire entre mère et fille : « Faut qu’on parle », de Clara Gaymard et de Bérénice Bringsted (Plon). Présidente du Women’s forum, ancienne directrice de la filiale de Général Electric, Clara Gaymard a eu la bonne idée dialoguer avec sa fille, Bérénice, et de publier ces échanges. Deux générations y débattent de leur conception du travail, de l’écologie, de la famille, tout en explorant la question du genre,
du numérique, de la démocratie. Deux manières de consommer, deux idéaux, deux façons de communiquer, d’apprendre. Deux mondes face à des enjeux différents. Celui de la mère, lié à la croissance, celui de la fille, plus proche d’une société en mouvement, toute en mobilité, où les jeunes misent sur leurs passions, comme Bérénice, qui se consacre à l’écriture. Un livre édifiant, objet de conversation mère fille, sujet de réflexion sur le monde et son évolution. Deux femmes lumineuses, féministes, décidées et engagées. « La Beauté n’est que la promesse du Bonheur », disait Stendhal. Sandro Veronesi est le lauréat du Prix littéraire Marco Polo pour son roman «Terres Rares» (Grasset). Le prix a été remis par sa Présidente MurielMayette-Holtz, directrice de la Villa Médicis et par Philippe Donnet, Président Generali dans le Palais Morosini le samedi 11 juin. Veronesi nous entraîne dans le chaos mental de Pietro Paladini, un loser pour lequel on se prend d’affection, qui essaie désespérément d’être
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honnête, s’efforçant de faire les bons choix sans y parvenir, aspirant à la paix sans jamais la trouver, toujours dans l’ombre d’un autre. Il ne contrôle plus rien, tout lui échappe, même sa vie... Un texte enchanteur, dense et puissant... Au cours d’une soirée exceptionnelle, les invités ont célébré l’esprit de Venise. Un esprit de dialogue et de voyage à travers les arts. Ce Prix Institutionnel FrancoItalien soutenu par l’Ambassade d’Italie à Paris, l’Ambassade de France à Rome et l’Académie de France à Rome-Villa Medici participe à la qualité des liens culturels entre la France et l’Italie...Venise restera toujours un port ouvert au monde. Et les livres, nos plus fidèles amis !
PHILOSOPHIE
La disparition de la réminiscence PAR SOPHIE SENDRA
Lorsqu’on parle de souvenir, on parle d’un moment vécu, passé qui se présente à nouveau dans notre esprit, qui survient sous forme d’images mentales, de sensations ou de parfums. Les sens se mettent en éveil afin de nous faire revivre un événement particulier.
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Bien entendu il y a la fameuse « madeleine de Proust », cette réminiscence ultime d’un instant, d’un contexte, d’un rituel qui est à la fois incertaine et si précise. Le souvenir survient, la réminiscence se diffuse petit à petit jusqu’à la clarté. Les impressions sensibles dégagées par l’expérience permettent à notre esprit de faire une synthèse des sensations. Dans quelle mesure serait-il possible de vivre une expérience, d’en être le témoin et pour autant de ne pas avoir de souvenirs, ni même la possibilité d’une réminiscence de ce qui s’est passé sous nos yeux ? Faudrait-il une amnésie ? Une maladie dégénérative qui en serait la cause ? La possibilité d’une illusion L’illusion a plusieurs définitions. Au sens philosophique elle est « une croyance ou une opinion fausse abusant l’esprit par son caractère séduisant et fondée sur la réalisation d’un désir » ; au sens psychologique elle est « une perception fausse naissant 41
d’une interprétation défectueuse des données sensorielles et liée à une apparence trompeuse ». Selon ces deux définitions, l’illusion se joue de nous, elle se moque de notre esprit et de notre capacité à raisonner. Cette personnification de l’illusion laisserait croire que nous en sommes victimes, que nous ne faisons rien pour nous mettre nous même dans cette situation fausse. Et si nous étions les faiseurs d’illusions, les créateurs de ces « souvenirs » qui n’en sont pas ? Les concerts, les vacances, les événements créent les possibilités d’une illusion collective, celle qui consiste à croire que ce que nous vivons ici et maintenant restera gravé à jamais dans nos mémoires comme étant le résultat d’une expérience vécue. Vouloir figer un événement sur son smartphone, sur sa tablette permet à son utilisateur de retrouver, de revivre cet événement partout, en tout lieu, à tout moment. Mais peutil affirmer que cet événement est vécu au moment où il se passe, figé dans le disque dur de l’appareil ?
Le désir le plus profond d’un fan est de rencontrer la star qui le fait rêver. Ressentir les vibrations lors d’un concert, que celles-ci soient uniques, que l’expérience soit pleine et entière. L’illusion est parfaite lorsqu’une personne filme le moment au lieu de le vivre. De l’abyssale mise en abime Lors d’un concert, la chanteuse Adele fut obligée de rappeler « gentiment » à une spectatrice, en train de la regarder via son smartphone, qu’elle était « juste là, devant elle », que cette situation était incongrue. En effet, regarder un écran filmant la personne qui est juste devant vous pendant un moment unique est le summum abyssal du non-souvenir, de la non-expérience. Il est tout à fait « séduisant » de penser que cette « capture » d’un moment est « fondée sur la réalisation d’un désir », celui de garder en mémoire cet instant, mais il s’agit « d’une perception fausse naissant d’une interprétation défectueuse des données sensorielles » car ce qui est 42
vécu n’est pas une expérience, pas même un sentiment ; ce qui est ressenti n’est pas une sensation, mais une illusion de tout cela puisqu’elle se fait par écran interposé. L’unicité d’un souvenir engage la frustration de savoir qu’il s’agit d’un moment consubstantiel, non reproductible, parfois même inexplicable, inracontable, qui se passera à jamais de mots reflétant exactement l’expérience. Cette frustration de l’unicité du souvenir fait sa beauté. Même vécu à plusieurs – comme lors d’un concert – le moment unique se divise en autant de spectateurs, l’unicité dans le Tout fait ce souvenir qui revêtira les habits de la réminiscence lorsqu’il sera raconté des années plus tard avec émotion. Il existe donc deux catégories de personnes : ceux qui vivent l’événement et ceux qui croient le vivre. Ceux qui auront un réel souvenir et ceux qui penseront que ce qu’ils ont vu est la réalité. Il est même possible d’observer, lors d’un concert, des personnes qui filment l’écran qui filme l’artiste et qui sont eux-mêmes filmés par la production aux fins de sortir un film.
Du sable plein les yeux Il n’est pas rare d’observer les mêmes faits dans des endroits qui ne sont ni des salles de concerts, ni des sorties d’hôtels, et qui ne concernent pas non plus des artistes. Les vacances sont là et les plages sont bondées. Les parents adeptes de nouvelles technologies et de « souvenirs » à foisons auront pour tâche de garder en « mémoires » ce que leurs enfants font, leurs jeux, les premiers pas etc. Pour la plupart, les adultes ne jouent pas lors de ces moments, ils filment. Non pas de manière discontinue comme pouvaient le faire nos parents, mais extrêmement sérieusement, faisant parfois « rejouer » la scène plusieurs fois. Ils ne se baignent pas avec leurs enfants, ils se mettent à l’eau pour « figer » ces instants exceptionnels. Lorsqu’ils se remémoreront ces moments, ils seront absents de ces souvenirs, ils ne seront jamais gravés dans leur mémoire, ils ne se souviendront que d’une chose celle d’avoir filmé et non vécu ces instants, non d’avoir joué mais d’avoir filmé le jeu, non 43
de s’être baigné mais de s’être mis à l’eau. Le souvenir est un partage inextricablement fixé dans une réalité qui n’est plus, mais qui, paradoxalement, reste à jamais. S’il fallait conclure Vaut-il mieux vivre une expérience et s’en souvenir à jamais ou garder un souvenir dont on n’aura jamais eu l’expérience ? Ce qui est certain c’est que le souvenir a une particularité : il est égoïste car il est propre à chaque individu et, dans le même temps, il se partage à l’infini grâce à l’émotion. Qu’aurait pu écrire Proust s’il avait filmé sa « madeleine » ? Sans doute : « J’ai perdu un temps fou à retrouver ce film ! ».
Guide & Jazz
PLANET JAZZ, le routard du jazz
Un guide complet qui vient à point pour ceux qui souhaitent se détendre en musique aux quatre coins du monde Par Nicolas Vidal
Nos confrères de Jazz Magazine ont eu la brillante idée de publier un hors série, qui manquait cruellement aux amateurs de jazz. L’objet du pêché de gourmandise ? Un guide des clubs et des festivals de jazz parmi les plus réputés de la planète. Evidemment destiné dans 44
un premier temps aux fervents amateurs de cette musique parfois considérée à tort comme élitiste, Planet Jazz est l’indispensable compagnon de voyage pour les voyageurs qui chérissent ce genre noble de la musique.
Jazz a pris ainsi des allures de routard mélomane, complet et séduisant que nous vous recommandons de vous procurer très rapidement. On apprécie notamment les petites notes historiques et le flot d’anecdotes qui constituent une belle mise en perspective ! Vous voyagez du côté de l’Autriche, de l’Allemagne, de la Pologne cet été ou vous avez décidé de vous évader en Finlande ou en Lettonie ? Aucun problème, le Planet Jazz aura forcément une adresse à vous recommander avec un artiste à découvrir à la clé ! Le rubricage délicatement élaboré offre aux lecteurs un joyeux itinéraire parmi les lieux incontournables et les événements indispensables tout au long de l’année. Divisé en quatre grandes zones géographiques ( France, Europe, Amérique et Caraïbes, Afrique Asie et Océanie) accompagné d’un calendrier saisonnier, le guide Planet 45
Jazz Magazine Hors Série Planet Jazz Le guide des voyageurs qui aiment le jazz 132 pages - 7,90 euros Disponible en kiosque.
Légende & Musique
LES BEATLES, Hey Ringo !
Une bonne occasion pour réviser les Beatles cet été avec ce livre d’énigmes aux couleurs psychédéliques Par Nicolas Vidal
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Les Beatles en 20 tableaux retrace l’hsitoire du célébre groupe à travers un ouvrage ludique et passionnant sous le prisme de Ringo Star. Dans la lignée des Où est Charlie, vous suivrez les grands moments du groupe ainsi que les événéments fondateurs qui ont fertilisés la légende des Beatles. Rubber Soul, Revolver, Help s’offriront à vous et relanceront votre Beatlemania. Fan des Sixties et/ ou des Beatles, ne boudez pas votre plaisir et courrez vous procurer cette jolie rétrospective graphique qui de47
vrait rallier vos suffrages. Hey Ringo ! Auteur : Andrew Grant Jackson & David Ryan Robinson Genre : Beau livre Nombre de pages : 100 Prix : 19,95€
LA SÉLECTION MUSIQUE Par Nicolas Vidal
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NIGHTBIRD EVA CASSIDY
Un immense coup de coeur pour ce formidable album qui rend hommage à la chanteuse américaine Eva Cassidy disparue brutalement en 1996, terrassée par la maladie. Alors qu’elle avait très peu enregistrée, hormis un album de reprises avec le chanteur Chuck Brown, un concours de circonstances a permis l’enregistrement d’un concert le 3 janvier 1996 où Eva Cassidy resplendit de toute sa classe et de sa voix superbe qui fait frissonner. Eva Cassidy est à découvrir de toute urgence ! www.evanightbird.com (Blix Street Records)
VOIR LA VIDEO
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Break Loose Marie Mokati L’étonnant projet de Marie Mokati est censé nous proposer un archétype Jazz en quartet. Pas du tout. Ce premier album Break Loose décolle et file à toute vitesse où l’élégance énergique de ce groupe veut bien nous amener. Entre la folk et le rock, le groupe se contorsionne avec aisance et ne s’interdit aucune limite. Le chant de Marie Daniels ( à la composition également ) se pose sur les rugissements des trois musiciens pour donner ce bel album « Break Loose». On recommande !
(NeuKlang Records)
Tres Luceros
Kevin Seddiki & Sandra Rumolino Le duo formé par la chanteuse argentine Sandra Rumolino et le musicien français Kevin Seddiki (dont nous avions déjà parlé) ont mis un point final à ce très délicat album Tres Luceros qui emprunte la voie parfois instable de la musique du monde. Ici, le projet est réussi car c’est avant tout l’harmonie qui prend le pas sur le reste alors que certains projets misent seulement sur un fond d’exotisme. On recommande donc Tres Luceros pour ses influences multiples qui forment un disque intéressant.
( Wilner Records) (Blix Street Records) 50
Emily’s D + Evolution
Esperanza Spalding « Ce spectacle se déroule comme une suite de tableaux musicaux vivants» tel que le définissait Esperanza Spalding pour la sortie de ce nouvel album « Emily’s D+ Evolution» et pour les concerts prévus à cette occasion. Emily étant le deuxième prénom de l’artiste qu’elle suit comme « un guide intérieur ». En somme, Esperanza Spalding s’est mise à la recherche de son enfance dans un spectacle qui «créera un monde autour de chaque chanson». Un nouvel album à découvrir d’une jeune et déjà célèbre artiste hors norme !
(Concord/Universal)
VOIR LE CLIP
Photo Anais Armelle Guiraud
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Dançando Com Ale
Greg Diamond
Une petite curiosité reçue dans une enveloppe postée depuis Brooklyn. Greg Diamond a pensé à nous envoyer ces deux derniers albums. Le guitariste aux influences latines continue de tracer son chemin dans l’impitoyable monde du jazz new-yorkais. Avec Dançando Com Ale, le guitariste met à profit ses racines dans un album de 10 pistes qui confirme la chaleur des influences latines. A découvrir.
www.gregdiamondmusic.com (Chasm Records)
Chansons d’amour
Benjamin de Roubaix C’était en quelque sorte la réalisation du rêve musical de Benjamin de Roubaix après la sortie de son premier opus en 2012 «L’homme des sables». La sortie de cet album de chansons marque une nouvelle étape du musicien français. C’est un florilège de ballades et d’airs romantiques qui ne manqueront pas d’égayer vos soirées d’été. Benjamin de Roubaix saute d’un style à l’autre avec aisance enraciné dans la mémoire de son père Francois de Roubaix.
www.benjaminderoubaix.fr (Pucci Records) 52
Maya Belsitzman &Matan Ephrat L’alchimie musicale de ce duo a retenu notre attention. La violoncelliste Maya Belsitzman et le batteur Matan Ephrat ont mis dans un pot commun leurs influences et les singularités musicales à la naissance de cet album. Un point de convergence entre des genres différents qui s’étendent de la pop, au folk passant par le Jazz et des reflets orientaux. Il est incontestable que cet album fait preuve de modernité tout en sachant se parer d’une harmonie plus recherchée. On aime beaucoup !
mayabelzitzman.bandcamp.com (IcMusic - Differt-Ant)
Imagenes Dino Saluzzi
Le BSC NEWS a une certaine inclinaison à aimer le travail de l’argentin Dino Saluzzi. Cette fois-ci, le maître du bandonéon a choisi le pianiste Horacion Lavandera pour travailler sur cet album «Imagenes» sorti chez ECM et enregistré au Rainbow Studio d’Oslo. 10 belles pièces de musique qui incite à voyager dans le pays natal de Dino Saluzzi : l’Argentine.
( ECM Records )
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Les primitives
Padam
Nader Mekdachi remet les couverts avec ce nouvel album de Padam où il continue avec force et vigueur tout le travail entrepris ces dernières annnées. Pour ce sixième album « Les Primitives», les chansons continuent d’imprimer des histoires rocambolesques de destins qui vacillent, qui s’élèvent et qui se cherchent. Nader Mekdachi a cette faculté avec sa voix erraillée de nous faire fredonner les histoires imaginaires de Padam.
www.padam.fr (Helico)
Sponge State Slotface
Obligés de changer de nom pour obtenir les bonnes grâces des labels ( on passera les détails sur le nom d’origine) les jeunes norvégiens détonne avec ce Sponge State, un EP énergique plein de rock, de guitares et des chants dynamiques. C’est une mise en bouche avant de se jeter sur leur premier album à paraître au début de l’année prochaine. D’ici là, faites connaissance avec les norvégiens de SlotFace !
www.ping-machine.com ( Propeller Recordings )
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Chimichurri
Baptiste Trotignon & Minino Garay On a envie de vous reparler de Baptiste Trotignon, le bassiste français qui convie le percussioniste argentin sur un nouvel album à la convergence de deux univers singuliers pour nous proposer ce Chimichurri exaltant. Vous y retrouverez du Brassens, du Brel, des morceaux de West Side Story et toute une foule d’airs argentins. Tout cela sans voix mais porté par le talent respectif de ces deux musiciens qui comptent sur la scène jazz & world. Armez-vous de patience, l’album ne sort que le 16 septembre 2016.
( OKeh Records)
The Happiest Man In the World
Eric Bibb / Danny Thompson
Le guitariste américain Eric Bibb continue de produire et de regrouper ses amis pour jouer cette fois-ci en compagnie de Danny Thompson, l’un des fondateurs du British blues & folk boom. L’homme le plus heureux du monde n’est rien d’autre que le nouvel album d’Eric Bibb avec les North Country Far et Danny Thompson. On sait ce que vaut Eric Bibb, on sait ce que joue Eric Bibb et on ne s’en lasse pas. N’est ce pas là une merveilleuse conception de la routine ?
www.ericbibb.com ( DixieFrog) 55
BANDE DESSINÉE
La part d’ombre de D’Artagnan
Nouvelle série en quatre tomes, Mousquetaire dépeint les tribulations de d’Artagnan & co. dans le contexte historique du début de règne de Louis XIV. Par Romain Rougé
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L’histoire débute précisément en septembre 1661 après l’arrestation de Fouquet, surintendant des Finances. Un événement qui va pousser le duc de Cambre, menacé de mort, à confier un secret d’Etat à ses trois meilleurs amis. A la mort de ce dernier, D’Artagnan est chargé d’étouffer l’affaire et traque les amis de Fouquet. Parmi les mousquetaires, on retrouve le candide Alexandre de Bastan, fraîchement entré dans leurs rangs. Mousquetaire : une BD pour lecteurs exigeants et érudits Ce premier tome - et gageons qu’il en sera de même pour ceux qui suivront - est plutôt destiné aux lecteurs exigeants voire érudits. Les personnages sont nombreux, les faits historiques ou imaginaires s’entremêlent, les dessins sont plutôt sombres. Une noirceur que l’on retrouve aussi chez
les personnages, écrits pour représenter la violence abrupte de l’époque. Ainsi, le jeune Alexandre de Bastan va devoir accepter, comme le lecteur, la part d’ombre du plus célèbre des mousquetaires : « Tout de même Portau : le baron n’était pas armé, quelle drôle de méthode que de l’occire de la sorte sans sommation. Avec tout le respect que je dois au capitaine, c’était de l’assassinat, non ? » Dans Mousquetaire, il n’y a pas de place pour les états d’âme, les personnages féminins ne sont pas moins complexes et revanchards. A cela s’ajoute un contexte de tensions politiques tranchant. Ici, l’exigence de l’histoire n’a d’égal que l’implication totale du lecteur au risque que ce dernier ne se perde.
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Mousquetaire
Tome 1 : Alexandre De Bastan Scénariste : Fred Duval Dessinateur : Florent Calvez Coloriste : DELF Série : Mousquetaire Collection : Histoire & Histoires Editions Delcourt
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BANDE DESSINÉE
À la recherche du père
Barbara Pellerin, Kris et Vincent Bailly proposent une belle chronique sombre et sensible sur les relations entre une fille et son père. Par Boris Henry
Comme l’annonce le titre, le père de Barbara Pellerin était boxeur. Enfin, il l’était jusqu’aux trois ans de sa fille, puis il est devenu représentant pour une marque d’alcool. Quelle que soit son activité, il avait manifestement le sang chaud et pouvait partir au quart de tour, face à son épouse comme devant un chauffeur lui ayant coupé la route. Devenue adulte, Barbara est photographe. Elle voudrait filmer la boxe et en parle à son père. Mais comme le lui suggère son compagnon, ce projet n’at-il pas avant tout pour objet de filmer son géniteur et, ainsi, d’essayer de se rapprocher de lui, de le saisir alors que, jusqu’à présent, il lui est plutôt étranger ? Le titre de cet album annonce un programme qui, si on s’en tient à la carrière
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du père de Barbara Pellerin, n’est pas tout à fait exact puisque Hubert Pellerin a changé de métier, mais ce titre paraît tout à fait judicieux tant le fait que ce père ait été boxeur fut au centre de son existence et de sa relation avec sa fille. Surtout, ce père avait manifestement du mal à canaliser son énergie hors du ring et fut plus d’une fois mis K.-O. par l’existence. Mon père était boxeur est ainsi un sombre mais beau récit sur la volonté plus ou moins consciente d’une fille de comprendre qui fut et qui est son père, de percer sa cuirasse et de dépasser l’image que lui et son entourage renvoient. Kris s’est emparé du texte de Barbara Pellerin écrit pour le documentaire qu’elle a réalisé - produit par Quilombo Films et dont le DVD est joint à l’album - et, avec elle, l’a transformé en scénario. Ce dernier est mis en images avec dynamisme et grande sensibilité par Vincent Bailly qui privilégie l’énergie du trait et d’une mise en couleur vive et organique qui place les couleurs de manière non uniforme, parfois par taches, jouant ainsi sur des effets de lumière esthétiquement et symboliquement forts.
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Mon père était boxeur
Éditions Futuropolis Scénario de Barbara Pellerin et Kris, dessins et couleurs de Vincent Bailly 80 pages en couleurs 20,00 euros Parution : Le 26 mai 2016
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BANDE DESSINÉE
Lorsqu’une souris découvre l’impressionnisme ! Une petite souris mâle, qui prendra plus tard le nom de Musnet, arrive dans un jardin. Elle rencontre immédiatement Mya, une jeune souris femelle apprentie artiste qui lui présente les lieux. Musnet fait la connaissance de Rémi, un vieil écureuil mal léché, peintre de son état, au service duquel il se met en échange de cours de peinture. Musnet ne le sait pas encore, mais le jardin dans lequel il est arrivé est celui de la propriété de Claude Monet à Giverny. Lorsque Mya lui présente l’atelier du peintre impressionniste, sa vie s’en trouve bouleversée.
Ce premier tome de Musnet propose un univers poétique et ludique, frais et original qui, s’il ne surprend pas toujours, place le lecteur dans une bulle particulièrement plaisante. Du début à la fin, cet album met en place Par Boris Henry
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une narration fluide. Si les personnages tiennent souvent de l’archétype (le jeune débutant enthousiaste et prêt à relever ses manches, la belle qui n’a pas froid
aux yeux, le peintre grincheux…), ils sont utilisés judicieusement. Le dessin, au trait vif et souple, dont le maître-mot semble être le dynamisme, peut évoquer celui des Kerascoët. Quant aux couleurs - principalement des verts, gris, marrons, roses et violets -, quelque peu éteintes, elles renforcent l’aspect feutré du récit et sa dimension épopée miniature - tout se déroulant dans un espace relativement restreint. Enfin, détaillant les étapes de réalisation d’un tableau avec pédagogie et légèreté, ce premier tome de Musnet constitue une intéressante introduction à la pratique de la peinture. Une bonne nouvelle pour ceux qui mordront à l’hameçon de cet univers : les prochains tomes sont d’ores et déjà annoncés pour août et octobre 2016, puis janvier 2017.
Musnet, tome 1 : La souris de Monet
Éditions Dargaud Scénario, dessins et couleurs de Kickliy 56 pages en couleurs 12,99 euros Parution : Le 6 mai 2016
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BANDE DESSINÉE
L’apprivoisement
Zidrou s’intéresse une nouvelle fois à la filiation, traitant ici de la question de l’adoption. Il en résulte un album dense qui se conclut d’une manière inattendue. Par Boris Henry
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Tout accaparé par sa boucherie dont il s’occupait, Gabriel ne s’est jamais vraiment occupé de ses enfants. Désormais, rien ne le prédispose à devenir un grand-père investi. Mais les choses changent du tout au tout lorsque son fils et sa belle-fille adoptent Qinaya, une orpheline péruvienne âgée de quatre ans. Par manque de disponibilité des parents, Gabriel et Lynette s’occupent fréquemment de leur petite-fille et le grand-père y prend manifestement goût. Mais la vie n’est rarement que rose… Avec L’adoption, Zidrou effectue une nouvelle variation autour de ses thèmes de prédilection que sont la famille et la filiation. Son histoire repose sur un duo mal assorti assez classique, celui d’un vieil homme bougon et d’un enfant, mais force est de reconnaître que ce duo fonctionne bien. Comme à l’accoutumée, le scénario est
extrêmement bien construit, riche et dense et les personnages, par leurs caractéristiques comme par leurs comportements, sont bien ancrés dans un certain réel. Le dessin d’Arno Monin retranscrit avec justesse l’ambiance mise en place par Zidrou, tout en rendant peu compte que les apparences sont souvent trompeuses. Ce décalage progressif entre le scénario et le dessin, particulièrement intéressant, constitue une des forces de cet album. Seul petit bémol : la mise en couleur ; si elle convoque des couleurs belles et variées, son rendu révèle un peu trop à mon goût son origine informatique. La fin, inattendue, laisse pantois et suggère un deuxième tome surprenant.
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L’adoption, tome 1 : Qinaya
Éditions Bamboo, collection « Grand Angle » Scénario de Zidrou, dessins et couleurs d’Arno Monin 72 pages en couleurs 14,90 euros Parution : 2016-05-04 ISBN : 9782818936030
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BANDE DESSINÉE
La tragique odyssée de Samia Yusuf Omar
Mogadiscio, Somalie. Une famille assiste à la retransmission des JO de Pékin : c’est le jour où Samia Yusuf Omar foule la piste du 200 mètres femmes. Une dernière place et un record personnel plus tard, la jeune athlète rentre au pays, déchiré par les soubresauts islamistes.
Samia Yusuf Omar était Somalienne. En 2008, elle participe aux Jeux olympiques de Pékin. Son retour au pays sonnera le glas de ses ambitions. Par Romain Rougé
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L’exploit sportif arc-bouté au tohu-bohu de la guerre civile forgent le caractère de Samia : « Je cours pour mon pays et ma famille, pour pouvoir les aider un jour. » Philanthrope, la jeune femme n’en oublie pas moins son bonheur à elle : « Je cours aussi pour moi. Je ne pourrai pas vivre éternellement dans ce chaos. » Pourtant, elle mourra en pleine mer dans un autre « chaos » : celui des embarcations de migrants. Elle tentait de rejoindre l’Europe. Elle voulait juste avoir le droit de s’entraîner pour les Jeux olympiques de 2012.
Samia Yusuf Omar ou une incarnation de la crise des migrants en Europe Derrière l’hommage rendu à cette athlète acharnée, l’auteur allemand Reinhard Kleist, dessine une critique acerbe de la politique européenne de lutte contre l’immigration. Le périple de Samia pour rejoindre le vieux continent est griffonné sans concessions : les passeurs sont sans états d’âmes et les conditions de voyage déplorables, voire inhumaines. Un calque de la crise des migrants de 2016. L’odyssée de Samia est d’autant plus tragique qu’au-delà de la compétition sportive, la Somalienne de 21 ans rêvait de choses simples : « Et je pourrai faire tout ce qu’on voit à la télé et sur Internet : voyager, aller au cinéma ou au concert. » Des traits communs que l’on retrouve aujourd’hui chez beaucoup de Syriens.
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Rêve d’Olympe Le destin de Samia Yusuf Omar Collection : Contre-coeur Dessin : Reinhard Kleist Scénario : Reinhard Kleist Préface : Henry Pierre Editions La Boîte à Bulles 17 € / 144 pages
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PHOTOGRAPHIE
Cuba-Castro, portraits croisés 17 décembre 2014 : Barack Obama et Raúl Castro, présidents respectifs de deux pays séparés par 160 kilomètres de mer et un océan de divergences politiques, annoncent que leurs États vont « normaliser leurs relations ». C’est un moment historique, et le début d’un processus toujours en cours, après plus de 50 ans d’un embargo dont le renforcement, au début des années 1990, a mené Cuba et son peuple au bord de l’asphyxie. Paru en juin de cette année aux éditions Taschen, Le Cuba de Castro offre une occasion unique de revenir aux sources de l’histoire. Une histoire dont la réalité est plus belle que le mythe. Par Virginie Lérot Photos : © 2016 Lee Lockwood / Avec l’aimable autorisation de The Lee Lockwood Estate / S.P.
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Lanqing Zhu, Série Les Montagnes mélancoliques, Les Diablerets, 2016
Un Américain à Cuba Lee Lockwood est un jeune photojournaliste américain quand il découvre Cuba le 31 décembre 1958, à la veille de la prise de pouvoir de Fidel Castro. Témoin de ce moment clé, il retournera régulièrement dans l’île jusqu’en 1969, afin de réaliser des reportages pour divers magazines. Fin connaisseur de la révolution cubaine, il saisit l’exaltation et l’euphorie qui 82
accompagnent la fuite de Batista et l’instauration d’un nouveau régime, enregistre la transformation du pays sous l’impulsion de son leader, assiste au (très relatif) désenchantement qui saisit peu à peu le pays en proie aux difficultés économiques et sociales générées, entre autres, par la politique des États-Unis, déterminés à ruiner le régime castriste par tous les moyens possibles.
Lanqing Zhu, Série Les Montagnes mélancoliques, Villars-Gryon, 2016
La force de Lockwood est d’être parvenu à gagner la confiance du Líder Máximo, qui lui a permis d’explorer et de photographier Cuba sous tous les angles, et lui a accordé, en août 1965, après mille atermoiements et délais qui en auraient découragé plus d’un, un entretien unique en son genre. C’est une transcription allégée (mais pas censurée) de cet entretien épique de 25 heures, accompagnée d’une centaine 83
de clichés en noir et blanc, que publie Lockwood en 1967 sous le titre Castro’s Cuba, Cuba’s Fidel. On en retrouve une grande partie dans le présent ouvrage de Taschen. Au fil des pages se fait jour la fascination qu’exerce le chef politique sur le journaliste (« Plus encore que son esprit, ce qui fascine chez Castro est sa façon d’être, la manière dont il joue de sa voix et de son corps – en particulier de ses yeux – pour contraindre l’interlocuteur à
se rendre »), mais aussi l’extrême finesse et intelligence du second, qui ne se laisse jamais charmer naïvement, comme le prouve notamment la conclusion de l’ouvrage, souvent critique quoique jamais fondamentalement hostile à Cuba ni à son dirigeant. Lockwoodposedesquestionspertinentes, insistant à l’envi sur les points sensibles, poussant Castro à affiner sa pensée, à avouer ses incertitudes aussi. Animé d’un intérêt sincère pour Cuba (il fondera d’ailleurs aux États-Unis le Center for Cuban Studies, afin de faire connaître et comprendre ce pays à ses compatriotes), le jeune reporter s’attelle à donner une image aussi objective que possible de Cuba et de son chef politique. Il souhaite surtout faire entendre la parole de Castro, dans l’idée que « que l’on soit d’accord ou non avec ses idées, la meilleure façon de tenter de comprendre un homme est d’écouter ce qu’il a à dire ». En résulte un livre frappant, sorte de plaidoyer éclairé invitant les États-Unis à adopter, pour des raisons éthiques autant que politiques, une autre attitude vis-à-vis de ce pays voisin victime de préjugés et finalement profondément méconnu. Une île, son peuple, sa révolution Le Cuba de Castro est un véritable trésor d’images, dont beaucoup sont inédites, qui rend l’aventure révolutionnaire 84
cubaine vivante comme jamais. De très nombreuses photographies en couleurs et en noir et blanc nous font entrer dans la réalité d’une décennie à nulle autre semblable. Loin de démythifier la révolution et ses effets, elles enchantent le lecteur qui a le sentiment de mieux saisir son essence, et l’âme de tout un peuple. Car Lockwood ne se contente pas de photographier Fidel Castro lors des cérémonies politiques officielles, telle la commémoration de la bataille d’Uvero (1957), première grande victoire révolutionnaire, dont il effectue un savoureux récit à la première personne ; il va également à la rencontre de la population, celle de la Havane comme celle des campesinos. Les portraits de Cubains croisés au fil de ses pérégrinations sont toujours d’une grande beauté, qu’il s’agisse de femmes, d’ouvriers, de paysans, d’enfants aussi. Lockwood a même accès aux prisonniers politiques (il est le premier journaliste à pouvoir les rencontrer librement, signe de l’estime et de la confiance que lui manifestait Fidel Castro). Sur ses pas, nous découvrons les prisons et les centres de réhabilitation, et le système mis en place par le pouvoir pour traiter intelligemment le problème contrerévolutionnaire. Pensons par exemple au « Programme numéro 2 » prenant en charge les femmes et les enfants des
Lanqing Zhu, Série Les Montagnes mélancoliques, Saas-Fee, 2016
campesinos prisonniers. Il y a loin de la réalité observée aux pratiques totalitaires et à la terreur qu’évoquent alors les États-Unis à propos du régime castriste, pour justifier leur politique internationale. Castro l’affirmait : « Ce que personne ne peut nier, c’est que la grande majorité de la population soutient la révolution. Ils sont prêts à faire de grands sacrifices, à donner leur vie pour la révolution. » Et de continuer, avec une lucidité taquine mâtinée de marxisme : « Je voudrais savoir combien d’Américains seraient prêts à donner leur vie pour le capitalisme ou pour 85
la démocratie représentative. » Lockwood le confirme à sa manière, en 1966, quand il écrit : « Il règne aujourd’hui à Cuba un esprit d’excitation, une détermination, un élan moral, la perception d’un peuple en train de construire son destin, qui rappellent de très près le climat de l’arrivée au pouvoir de Castro, il y a sept ans. Le fait que cet esprit, cet élan vital ait été préservé à travers toutes ces années de difficultés est l’un des signes les plus sûrs de la bonne santé de la révolution. »
La voix de Fidel Illustrations mises à part, l’intérêt de ce livre réside dans le portrait de Castro qui se dessine à travers les récits des visites successives de Lockwood, qui le mettent en scène au milieu de ses proches et collaborateurs, et surtout à travers l’interview, infiniment riche, dense, complète, où se donne à voir une pensée en perpétuel mouvement d’une précision et d’une cohérence remarquables. Tous les sujets sont abordés, de la politique agricole et industrielle mise en œuvre dès le début de la révolution (Fidel est intarissable en la matière !) à la question de la contrerévolution, des problèmes sociaux à la 86
place de la culture ou de l’art dans la société. Les questions portant sur l’éducation sont particulièrement intéressantes, qui manifestent combien, au-delà de l’endoctrinement politique (« éducation sociale », dit Fidel, toujours attentif au choix des mots), l’effort en faveur de l’instruction et de l’apprentissage est une authentique réussite de la révolution cubaine – dixit Lockwood, qui a pu observer les premiers effets de cette politique volontariste au cours des années 1960. Passionnant aussi, le regard que Castro porte sur son propre parcours et sur sa place au sein du régime. Face aux affirmations de Lockwood, qui montre à cette occasion sa connaissance
faire (son emploi du temps absolument infernal ne semble guère le lui permettre), c’est un superbe portrait en mosaïque qui nous est livré. Qu’il joue aux dominos ou s’adresse à la foule, qu’il parle de sa vision de l’homme et de l’avenir Cuba ou s’exerce au base-ball, Fidel Castro surprend, intrigue, et force l’admiration. Il est et demeure, devant l’objectif et sous la plume du photojournaliste, une personnalité hors norme digne de la légende qu’elle a suscitée – et du formidable livre que nous offre Taschen.
précise du contexte, Castro se défend d’être un chef unique, un quasi-sauveur, et insiste sur l’aspect collaboratif de la révolution, ainsi que sur l’enchaînement des événements (selon une lecture typiquement marxiste de l’histoire). La question cruciale des rapports entre Cuba et les États-Unis revient bien entendu à plusieurs reprises. On y sent tout à la fois la rigidité dogmatique de Castro et sa capacité à révoquer en doute certains avis, certaines opinions, avec une franchise surprenante. Des campements militaires de la Sierra Maestra, berceau de la révolution, à la maison de Castro sur l’île des Pins, où le leader se détend, du moins est censé le 87
Le Cuba de Castro, Lee Lockwood, édition de Nina Wiener, essais de Saul Landau, Taschen, 2016.
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