BSC NEWS MAGAZINE - Juin 2016 - N°91

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© Lucky Comics 2016, Matthieu Bonhomme

BSC NEWS N°91 - JUIN 2016

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EDITO

Le Jazz pourrait bien faire danser votre été par Nicolas Vidal

Le Jazz qui semble n’intéresser qu’une part très minoritaire des français n’est pas en reste lorsqu’on consulte avec un temps soit peu d’attention la carte des manifestations de la période estivale à venir. Bien entendu, l’offre des festivals proposée dans l’Hexagone ne date pas d’hier et il n’y a pas eu un étrange phénomène de génération spontanée cette année. Non. Cependant, il est intéressant de se poser la question de cette impressionnante liste d’événements dédiés uniquement au jazz. Jazz in Marciac, Jazz à Vienne, le Nice Jazz Festival ou encore le Jazz des cinq continents à Marseille sont des rendez-vous incontournables pour les amateurs de Jazz qui retrouvent sur scène les plus grands noms et les artistes les plus magiques de la planète. C’est un véritable marathon auquel doivent faire les ar2

tistes allant d’une ville à l’autre à un rythme quasi quotidien pour les plus connus. Pour le public, flâner dans les rues du village de Marciac en attendant les concerts du soir relève de l’enchantement et d’un épicurisme musical et gastronomique que je vous recommande. Le Nice Jazz Festival propose aussi des réjouissances fort bienvenues en immersion dans un théâtre de Verdure à quelques mètres seulement de la mer sous les embruns iodés. Même si le jazz ne vous inspire rien, ces endroits sauront vous réconcilier avec une univers gracieux, poétique et mélodieux où vous pourrez combiner le plaisir, la détente, la bonne chère ainsi que la mélodie des grands qui font le jazz d’aujourd’hui, universel et entier. Bon jazz et belle lecture de ce nouveau numéro du BSC NEWS.


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L’interview & la couv

Matthieu Bonhomme Jazz

Sari Kessler

P.6

Jazz Edition EXPO Musique

P.32

L’édition en région 4


Blues

Fantastic Negrito Jazz

IRINA-R Roman

Eddie Mittelette 5


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Bande dessinée

Matthieu Bonhom

L’autre histoire de Lucky Lu

Matthieu Bonhomme a fait de Lucky Luke son ami d’enfance, celu Aujourd’hui, le dessinateur a réalisé son rêve avec ce One Shot sur s toire du célèbre cow-boy de la bande dessinée. À l’occasion de l’ex rencontré le pétillant Matthieu Bonhomme qui nous en dit plus sur c américain et son ami Lucky Luke Par Nicolas Vidal - / Crédit Photos : Romuald Meigneux 8


mme

uke

ui qui lui a donné le goût de la bande dessinée et du dessin. son héros favori. Il a poussé l’idée jusqu’à raconter sa propre hisxposition de son travail à la Galerie Daniel Maghen, nous avons cette indestructible passion pour le western, le dessin, le cinéma

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Matthieu Bonhomme, quelle est votre histoire avec Lucky Luke ? Lucky Luke est pour moi comme un ami d’enfance ! J’ai appris à lire et à dessiner avec lui. C’est vraiment ma toute première lecture. Celle qui m’a donné envie de faire ce métier, et qui a construit mon amour pour le genre Western. C’est aussi une série qui m’a accompagné tout au long de mon parcours. À chaque époque de ma vie, j’ai pu regarder et lire cette BD et apprendre quelque chose de nouveau. Et celle avec le célèbre Morris ? Morris est un auteur qui est mort sans que je puisse le rencontrer. C’est quelque chose que je regrette beaucoup. Je n’ai jamais pu lui dire « merci », ou « j’existe! ». En faisant cet album, c’est comme si j’avais provoqué une rencontre

qui ne pourra jamais se faire. il y a quelque chose d’un peu mystique dans tout ça ! (rires...) Pouvez-vous nous quelques mots sur le génèse de ce one-shot de Lucky Luke ? Cela faisait longtemps que je voulais faire quelque chose autour de ce personnage, et voyant les expériences éditoriales de « Spirou vu par… » je réunissais des arguments. Il y a deux ans, j’ai reparlé avec insistance de faire un « Lucky Luke vu par » à mon éditeur chez Dargaud (qui gère LUCKY Comic’s) et pour la première fois, un oui a commencé à poindre. J’ai donc couru faire les premiers dessins afin de montrer ma proposition graphique. Ma chance a été que l’éditrice Pauline Mermet réfléchissait aux 70 ans de Lucky Luke à venir, et à des propositions pour jalonner cette année

«Lucky Luke est pour moi comme un ami d’enfance» ! 10


© Lucky Comics 2016, Matthieu Bonhomme

anniversaire. Je suis tombé au bon moment… Pourquoi Peyro fait-il partie de vos auteurs phares et comment a-t-il inspiré votre dessin ? Peyo, c’est le Morris du moyenâge! Il y a chez Peyo, beaucoup de choses en commun avec Morris, (et je pense qu’il lui doit beaucoup, d’ailleurs). C’est une véritable passion pour le récit en image, une 11

vraie simplicité de narration et une abnégation totale de la mise en scène pour servir l’intensité et la truculence du récit. Vous semblez accorder une importance capitale au récit qui doit en appeler le lecteur au voyage ? La bande dessinée ne serait-elle pas finalement un alibi pour raconter une histoire ? C’est à dire que c’est comme ça


Crédit Photos : Romuald Meigneux

que je conçois la bande dessinée. Quand je raconte, que je dessine, je pars en voyage. Moi qui suis un parisien, qui passe le plus clair de mon temps derrière ma table à dessin, la case de BD est pour moi une fenêtre vers l’ailleurs, vers l’extique, vers l’émotion, la découverte… Après, ce que je pense primordial, c’est de tout mettre en oeuvre au niveau technique au niveau du dessin, du scénario, et de la justesse des personnages pour que lecteur parte là où je veux l’emmener. Je 12

veux qu’il oublie la réalité, qu’il passe avec moi de l’autre côté de la fenêtre. Revenons-en à Lucky Luke. Pouvez-vous nous parler de votre connaissance du western et des recherches nécessaires pour la réalisation de cet album ? Car ce décor de Western dans cette bande dessinée n’est-il pas un personnage à part entière ? Oui. Le western est comme un personnage. C’est le personnage principal. Le genre, le décor, c’est très important.


© Lucky Comics 2016, Matthieu Bonhomme 13


Le western, c’est comme la plus belle aire de jeu qu’on puisse trouver. Ça faisait des années que je voulais retourner au genre. Voilà donc des années que j’accumule de la documentation photo trouvée sur internet, ou des livres des photos de l’Ouest, ou simplement des lectures de romans et le visionage de films. Ma culture western est toujours en construction et elle ne sera jamais achevée. Dans cet album, il y a des références à certains des films qui m’ont le plus marqué. Les John Ford, bien sûr, mais aussi « Impitoyable » de Clint Eastwood, ou les gros plans à la Sergio Leone. Comment travaille-t-on un personnage aussi célèbre que Lucky Luke et inventé par Morris ? Plus précisément, comment vous êtes vous détaché de l’univers graphique de Morris ? On pense notamment aux aplats de couleurs, la séparation des plans ainsi que la mise en couleur.

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J’ai tout fait pour ne pas me mettre trop la pression. Je ne devais pas trop penser au fait que je touchais à un mythe, que j’allais être tellement attendu au tournant. Dès que ce genre de réflexion se mettait en place, ça devenait vertigineux, très impressionnant… Alors je retournais à mon envie, à mon plaisir. Cet album, je l’ai fait pour moi. Vraiment. C’est d’ailleurs ce qui fait sens, je crois. Je voulais retrouver le Lucky Luke que je connaissais, celui que j’aimais. L’univers du dessin de Morris, c’est quelque chose que j’ai digéré depuis longtemps, au fil des ans. Son influence est là, mais je ne suis pas un « sous » Morris. Donc, je n’ai pas eu d’effort à faire pour m’en détacher. L’intérêt de ce projet est de faire dif-

«Je voulais retrouver le Lucky Luke que je connaissais, celui que j’aimais»


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féremment de la forme Morris. Cela aurait été plus dur pour moi de faire à sa façon, d’ailleurs. Pour la mise en couleur, je n’ai pas changé beaucoup mes habitudes. Il se trouve qu’elles viennent de lui. La mise en couleurs de bande dessinées telle qu’elle est conçue par Morris me semble la meilleure voie. J’ai déjà expérimenté ce genre de parti pris dans mon premier album : l’âge de raison , et aussi dans TEXAS Cowboys. J’ai continué dans la même direction… L’incontournable bagarre de Saloon de cet opus, comment l’avez-vous imaginé avant de la dessiner car elle comporte une foule de détails ? Oui ! ( rires) La scène de bagarre! J’ai fait monter l’ambiance dans les cases d’avant pour en arriver là. Au niveau dessin, évidemment, il faut remplir, avoir de quoi voir… Il y a celui qui vient de recevoir un coup de poing qui va devoir répli16

quer, un qui se met à courir sur le bar, l’autre gus qui veut étrangler le méchant, etc… Pour tout mettre dans la même case, j’ai du prendre de la hauteur. J’ai viré le plafond ! C’est marrant à composer. Il faut qu’il se passe plein de trucs, car je sais que si ça m’amuse, ça va amuser le lecteur, et retenir un peu son oeil… Vous avez ingénieusement glissé des références au sein du récit. Dans quel but ? On pense notamment à « L’Homme qui tua Liberty Valence ? » Je voulais que mon Lucky Luke soit un vrai cowboy. Que son univers soit du vrai western. Pas un décor de théâtre désincarné. Lucky Luke est un John Wayne, un Gary Cooper. C’est un mythe. Les références servent à ça. À le remettre à sa vraie place. Dans ce panthéon. Et puis c’est aussi un clin d’oeil aux amoureux du genre. Et j’espère qu’avec mon al-


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© Lucky Comics 2016, Matthieu Bonhomme

bum, Lucky Luke aura ré-intégré les connaisseurs de western, mais le Western. aussi celui pour les enfants qui aiment les cowboys, celui pour tous Des références également à John les pauvres gars qui comme moi, Ford et au cinéma américain des ont arrêté ou essayent d’arrêter de années 1950/1960. Est ce que ce fumer... sont des fils rouge de cette bande dessinée ? Vous avez le choix d’un One Oui, bien sûr c’est un des niveaux Shot avec les Editions Dargaud. de lecture. Il y a le niveau pour Pourquoi ? 18


© Lucky Comics 2016, Matthieu Bonhomme

C’était le projet de départ. Un One shot. Une histoire. Une proposition. Parce que c’est comme ça. il y a une série principale et il ne faut pas entrer en concurrence avec elle. Est-ce que cette bande dessinée est la réalisation d’un rêve pour vous Matthieu Bonhomme même si Lucky Luke ne fume pas dans ce One Shot ? Alors, oui. C’est un rêve. Et s’il ne fume pas, finalement ce n’est pas 19

une frustration, puisque c’est mon sujet. Je me suis beaucoup amusé avec ça. J’ai mis beaucoup de moi, dans cette thématique. Vous avez déclaré chez nos confrères sur le site Bodoi que « vous ne souhaitiez pas faire une galerie de personnages mais plutôt rester dans l’hommage ». Pouvez-vous nous dire quelques mots à ce sujet ? Oui, c’est tout simple. J’ai amené


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Lucky Luke vers mon dessin et pas l’inverse. Lucky Luke devenant plus réaliste, et voulant garder une cohérence avec cette contrainte, quoi faire et ne pas faire? Telle fut la question. Les Dalton? Certainement pas. Ils sont trop typés graphiquement. Vous avez vu l’horreur que c’est quand ils changent de forme? Je pense au film avec Eric et Ramzy… Beuuuuh. Et Rantanplan? Non plus. Rantanplan, c’est une satire de Rintintin. Le faire en réalisme, ça ressemblerait à quoi? Un truc batârd?… En plus, mon scénario est vraiment autour de Lucky Luke. Je voulais parler de lui. Pas des autres…

«Faire une exposition avec la galerie Daniel Maghen est un rendez-vous important. C’est comme faire la fête. C’est inaugurer l’album.» 21

Pour finir, comment s’est passée la mise en place du projet avec Dargaud autour de ce projet ? Y-a-t-il eu des contraintes et des impératifs ? Pouvez-nous nous dire également quelques mots sur cette exposition au sein de la galerie Daniel Maghen ? Ce fut une belle surprise de me rendre compte que les contraintes n’étaient pas lourdes. La seule imposée fut que ce personnage ne fumerait pas. Pour le reste, j’étais libre. D’autant que ma démarche était vraiment dans l’hommage déférent. Il n’y avait pas de raison, il me semble de vouloir me mettre des bâtons dans les roues alors que je voulais donner du sens, et un regain d’amour envers Lucky Luke. Faire une exposition avec la galerie Daniel Maghen est un rendez-vous important. C’est comme faire la fête. C’est inaugurer l’album. Montrer mon travail, mes pages et mes dessins originaux, c’est le seul moment dans lequel le visuel se détache du récit. C’est là que le dessin redevient le dessin et plus uniquement le véhicule de l’histoire,


© Lucky Comics 2016, Matthieu Bonhomme

qui est sa très noble et vocation première. Ça fait exister l’univers différemment et les spectateurs ne sont plus vraiment des lecteurs. Ils s’emparent autrement de tout ça. C’est aussi, il faut l’avouer en toute franchise, une 22

autre source de revenus. La vente des originaux a longtemps eu mauvaise réputation dans le monde des auteurs. C’est encore aujourd’hui considéré comme un peu sale ! ( rires) Mais je ne ressens plus de gène à le dire et à le faire. Les temps ont


financier de récupérer du temps pour approfondir les projets, pour les choisir en toute liberté. Ou pour se payer le luxe de partir en vacances en famille! Quels sont vos futurs projets, Matthieu Bonhomme ? Je prépare mon tome 6 d’Esteban. Un nouveau cycle, un nouveau départ. J’ai d’autres choses en préparation, mais c’est encore trop tôt pour en parler.

L’homme qui tua Lucky Luke changé. Tout le monde est touché Matthieu Bonhomme par la crise. Les droits d’auteurs Editions Dargaud sont de plus en plus rares et petits. 14,99 euros Les avances aussi sont petites. Et avec les temps qui courent, cela ne Galerie Daniel Maghen va pas en s’améliorant pour cette 47 Quai des Grands Augustins, 75006 profession. C’est donc un moyen Paris - www.danielmaghen.com

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Le Front populaire est un épisode marquant de l’histoire de la France contemporaine. Aujourd’hui encore dans la mémoire des Français, il est associé aux 40 heures de travail hebdomadaire, aux congés payés sur fond d’usines occupées par des ouvriers le poing levé. Par Régis Sully Cependant il ne faut pas négliger sa dimension internationale. Pour Serge Wolikow : «il constitue certainement un événement majeur dans l’histoire de la démocratie occidentale comme celle du monde ouvrier.» En effet on ne peut pas faire abstraction du contexte dans lequel le Front populaire va naître et se développer : arrivée d’Hitler au pouvoir, l’invasion de l’Ethiopie par les troupes de Mussolini, remilitarisation de la Rhénanie et guerre civile en Espagne. Mieux le Front populaire n’aurait jamais vu le jour sans

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l’aval de l’internationale communiste qui après avoir été réticente loue par l’entremise de son prestigieux dirigeant Dimitrov , lors de son VII congrès en juillet 1935, la politique de rassemblement menée par les dirigeants du parti communiste français. Désormais Thorez, Cachin et Marty ont une stature internationale dans le mouvement ouvrier et leur parti est cité en exemple aux autres organisations invitées à s’inspirer de ce qui se fait en France pour barrer la route au fascisme. C’est un passage intéres-


nement étoffé, 35 ministres, qui répond à de savants dosages politiques mais qui verra pour la première fois un président du conseil sans portefeuille afin de se consacrer exclusivement à son rôle de chef du gouvernement. Au total un livre passionnant qui plonge le lecteur dans cette tranche d’histoire un peu oubliée de nos jours à côté d’autres commémorations mieux loties dans ce domaine. C’est aux historiens de restituer la place qu’il convient de « cet événement majeur où la démocratie politique en crise a été défendue par une mobilisation sociale » selon l’auteur.

1936

Le monde du Front populaire

sant de cet ouvrage. Pour le reste, le livre relate les différents étapes du Serge Wolikow Front populaire de 1934 à la fin en Cherche midi 1938 en passant par la formation dès 17,50€ juin 1936 de la formation du gouvernement de Léon Blum. Période qui permet à l’auteur de rappeler le travail de réflexion théorique de Léon Blum sur la présence des socialistes au gouvernement entre conquête du pouvoir et exercice du pouvoir. La défense de la démocratie menacée amènera le leader socialiste à concevoir la notion d’occupation du pouvoir en abandonnant toute velléité de transformation sociale. Un gouver25


Livre

Tous en rond L’Euro bat son plein. Il vous reste juste le temps de compléter votre bibliothèque. Voici quelques pistes, sans plus. Par Pascal Baronheid

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Dans la famille Bleue, je demande Loïc Perrin. Parce qu’il a l’art de botter en touche, lorsqu’on lui inflige des questions idiotes. Quels sont vos loisirs favoris ? Je suis assez casanier. Quelle est votre devise ? Je n’en ai pas spécialement. Quel est votre film préféré ? « Gladiator ». J’aime bien les comédies françaises aussi, genre « Le dîner de cons ». On imagine la suite en off : Au fait, monsieur le journaliste, je réunis quelques amis à dîner. Vous seriez 27

libre ce soir ? Le communiqué de presse annonce que la parole est donnée directement aux 30 joueurs du noyau élargi, « par le biais de trois questionnaires approfondis ». Vous comprenez pourquoi Franck Ribéry voulait absolument aller à l’Euro ? Tout de même, les grands Bleus évoquent le tournoi et leur carrière, photos à l’appui. « Les Bleus par les Bleus », Baptiste


Chaumier & Damien Degorre, Hugo Sport. 19,95 € L’introduction veut m’en persuader : dans la famille Rouge (celle des Diables belges), je n’ai que l’embarras du choix en matière d’interviews cultes, « En toute franchise. Sans tabou ». Pas étonnant, lorsque, comme Thibaut Courtois, alias Ta28

rentule (chaque joueur est affublé d’un surnom), on a été soumis à la question par un journaliste flamand appelé Kristof Terreur. Mais ce n’est pas tout. Prenez le cas de Laurent Depoitre, dit l’ingénieur. Malgré « un physique de déménageur breton » et, accessoirement, une compagne élue plus jolie femme de footballeur du championnat belge, il est


demeuré à quai. Tout le contraire de Vincent Buzzer Company. A la presse, il parle peu football. « Souvent c’est beaucoup plus profond. Riche. Engagé. Et rassembleur, ou en tout cas, destiné à rassembler ». Beaucoup de photos, d’anecdotes. La volonté de précéder la victoire, à défaut de pouvoir courir à son secours. Ce qui est vendu n’est plus à vendre. « Les Diables Rouges, le livre officiel », Pierre Danvoye/Photonews, Renaissance du Livre. 24,50 € Suivez le guide ! La radiographie des stades, les formations engagées, les forces et faiblesses des équipes, les têtes de gondole, les entraîneurs. En prime, l’avis de quelques pros forcément avisés : Amoros, Boli, Papin et consorts. On aurait aimé en savoir un peu sur les wags, ne serait-ce que pour s’assurer que la roue tourne continuera à tourner… (citation aimablement prêtée par Franck R) « Guide de l’Euro 2016 », Hugo Sport. 8,95 € Ki ka di koi est une section du ca29

hier de vacances footeuses. Il aidera à bronzer en révisant ses connaissances footbalistiques. Exemples, une qcm sur le tatouage d’ Antoine Griezmann. Mieux, la recherche en paternité de « Gagner chez soi devient de plus en plus dur à domicile » ou « ce soir, on a bien joué dans les intervaux ». En souhaitant que l’on ne doive pas murmurer dès les quarts de finale « Adieu interveau, vache, cochon, couvée ». Avec les indispensables corrigés. « Cahier de vacances foot », Hugo Sport. 7,95 € « Le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre, qui resteront mes vraies universités ». La confidence est de Camus. Elle figure dans une anthologie footballistique, à côté de réflexions de Françoise Giroud, Philippe Delerm, Soupault, Pasolini, Dubillard, Desproges et autres chantres du gazon. Faute d’index, vous serez nombreux à traquer le Pivot. « « La littérature marque des buts », une anthologie footballistique ré-


unie par Stéphane Chomienne, Folio « Rien à foot », Cabu, Jean-Loup Gallimard. 7,70 € Chiflet, éd. Chiflet & Cie, 10 € Cet Euro-là non plus n’a pas que des inconditionnels. Cabu et Chiflet, persifleurs de première, n’ont pas leurs pareils pour faire grincer les crampons. A l’occasion de la coupe du monde 1998, ils avaient étalé leurs mauvais penchants, l’un illustrant ce que l’autre dégainait. Moyennant quelques remises au goût du jour, revoici leurs tackles, panenkas et autres facéties de renards des surfaces de réparation.

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Pléiade

Un grain de sable polyphonique Par Marc Emile Baronheid

« C’est à Paris que j’ai écrit mes premiers romans, découvert l’Amérique latine et commencé à me sentir latino-américain ; j’y ai vu la publication de mes premiers livres ; j’y ai appris, grâce à Flaubert, la méthode de travail qui me convenait et su quel genre d’écrivain je souhaitais être ». La bibliothèque familiale avait déjà aiguillé le petit Péruvien Mario Vargas Llosa vers les auteurs français et contribué à façonner sa vocation littéraire. Il a découvert Paris à la faveur d’un concours littéraire gagné à Lima. Dès 1959, il s’ingéniera à apprivoiser cette maîtresse française, exclusive jusqu’à la tyrannie du don de soi. 32

C’est le prix à payer pour, chemin faisant, débrider l’imaginaire et ouvrir de nouvelles voies au récit, jusqu’à être comparé aux figures emblématiques du Nouveau Roman que sont Nathalie Sarraute et Claude Simon et se sentir solidaire d’une manière de déferlante qui, dans les années 60, allait porter sur le devant de la scène littéraire une


génération venue du Nouveau Monde. Vargas Llosa, c’est aussi une vie familiale désenchantée, une conscience politique jamais en sommeil, la fréquentation des cercles d’études marxistes à l’université, une passion pour Sartre la candidature inaboutie aux élections présidentielles chiliennes de 1990. Le choix par Mario V L des 8 titres composant les deux volumes pourra laisser sur leur faim les inconditionnels de l’écrivain ou les amateurs d’insolite, curieux par exemple de lire son roman policier Qui a tué Palomita 33

Molero ? Figure romanesque, la tante Julia, de dix ans son aînée, épousée en 1955, est la femme divorcée d’un de ses oncles. Il divorcera pour épouser une cousine. Cette dimension intime est une des faces de ce déploiement polyphonique, violent, généreux, légitimement repris dans une collection où n’accèdent que les œuvres littéraires ayant l’ambition folle de résister à l’épreuve du temps. De quoi Shakespeare est-il le nom ? Par exemple celui du désir de tout acteur, clame Denis Podalydès, auteur


du récent volume paru d’une collection que les amateurs s’arrachent pour sa pertinence d’analyse et sa richesse iconographique. « Comme j’ai procédé par bonds et raccourcis, n’ai pas composé une suite logique de textes, mais disposé ceux-ci dans un ordre elliptique et flottant, j’encours de multiples reproches… ». Peut-être. Encore que l’incitation au vagabondage, à l’étonnement, à la débauche d’admiration (l’approche d’un Yves Bonnefoy) ne constitue pas un délit, pas davantage que la promesse de savourer « A la fois la richesse, le luxe, la pléthore, et la simplicité de l’acte d’imaginer. ». Une densité entraînante.

Maison verte, appendice : Les Secrets d’un roman , Conversation à La Catedral, La Tante Julia et le Scribouillard ; notice et notes. Prix de lancement : 65 euros Le tome II contient : chronologie, avertissement ; La Guerre de la fin du monde, La Fête au Bouc, Le Paradis – un peu plus loin, Tours et détours de la vilaine fille ; notice et notes, bibliographie. Prix de lancement : 65 euros « Album Shakespeare », Denis Podalydès, album de la Pléiade n° 55. Offert sous condition par les libraires.

« Œuvres romanesque », Mario Vargas Llosa, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade. Edition publiée sous la direction de Stéphane Michaud. Le tome I contient : avant-propos de l’auteur ; introduction, chronologie, note sur la présente édition; La Ville et les Chiens, La PUBLICITÉ

La course à la Maison Blanche

Les élections de la colère Comment l’Amérique en est-elle arrivée là ? Jean-Jacques Vitrac - les élections de la colère Kindle Amazon - 4,99 EUROS > Commandez le livre en ligne 34


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Polars

Ça défouraille à tout va

Un été sans frissons ferait injure à l’actualité socio-politique. Le roman policier n’ose se le permettre. Par Marc Emile Baronheid

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Congo Requiem serait insupportablement obscur pour qui n’a pas lu Lontano (Albin Michel, 2015). Il pénétrerait sans machette et en intrus dans les 726 pages d’une brousse âpre, piégeuse, prompte à l’éliminer. Le clan Morvan est de retour. A sa tête, Grégoire, patriarche inflexible et manipulateur, cocktail explosif (1/3 barbouze, 1/3 vampire, 1/3 sadique), Machiavel de la place Beauvau. Démoniaque avec les siens, il affronte un tueur à la cruau37

té inouïe. Aucun temps mort, dans cette course-poursuite de Lubumbashi à Brest, de Florence à Paris en passant par Lausanne. Les plaies de la société ne sont pas belles à regarder : corruption à l’africaine, drogue, prostitution, sorcellerie, médecins monstrueux, flics « salopards ». Encore plus belle la vie. A la fin de Lontano, on imaginait la boucle bouclée. Congo Requiem apporte un démenti cinglant, brutal, jalonné de cadavres. L’odyssée violente est-elle à présent terminée ? On ne peut plus jurer de rien. Méfiez-vous de Grangé ! Dommage cette cascade de négligences d’écriture, de coquilles. Mais que fait la police éditoriale ? Milo Milodragovitch est le petit-neveu de Philip Marlowe : amateur de bibine, collectionneur de plaies et de bosses, sensible au beau sexe, et même compatible avec ce que Chandler pensait de son héros « il peut séduire une duchesse et je suis quasiment sûr qu’il ne toucherait pas à une vierge ». Milo croupit dans un bled du Montana, lorsque paraît la séduisante Helen, qui le charge de


de bras cassés en rupture de ban et l’on se prend à douter sérieusement de ses aptitudes, de sa clairvoyance. Il se ressaisit à sa manière : « Après une longue douche chaude, deux cachets de speed et deux des analgésiques que m’avait donnés Amos, puis une bière fraîche, je parvins à avaler un toast laissé du petit déjeuner de la veille. J’allai ensuite à ma voiture récupérer mon pistolet et mon holster d’épaule ». Le voilà requinqué, prêt à mettre sa solidarité à l’épreuve touchante des bons, des brutes et des méchants… L’ours polar de l’été. retrouver son jeune frère. La part idéaliste de Milo voudrait refuser l’argent de la jeune femme ; sa situation matérielle lui souffle l’inverse. Une sorte de désinvolture à la Robert Mitchum finit par prendre le dessus. Milo s’appuie sur une bande

« Congo requiem », Jean-Christophe Grangé, Albin Michel. 24,90 euros « Fausse piste », James Crumley, Gallmeister. 23,50 euros

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Edition

Edith Hadri - Chèvre-Feuille Etoilée Editions

Les éditeurs du Languedoc-roussillon : perspectives et problématiques éditoriales Montpellier, mai 2016, Comédie du Livre, 31 édition. La foule est bien au rendez-vous. Elle arpente les chapiteaux à la recherche d’ombre et d’auteurs fétiches pour dégotter un autographe sur un coin de table. Les écrivains sont souvent débordés ou seul, voilà l’incertaine variable de la notoriété. À quelques encablures de là, se tient le stand des éditeurs régionaux du Languedoc-Roussillon. Sous une chaleur estivale, nous sommes allés à la rencontre de ces éditeurs locaux, afin de dresser un état des lieux de l’édition en région à l’heure où le livre est frappé par une crise qui s’aggrave au fil des mois. Les avis sont précieux autant qu’ils divergent notamment sur la place d’Amazon dans l’éco-système du livre. La Comédie du livre est pour la plupart de ces maison d’éditions régionales une opportunité de rencontrer les professionnels, de gagner une visibilité pour leur structure et d’échanger avec les lecteurs. - Par Jonathan Rodriguez 40


Henri Dhellemmes avec Djemila Benhabib - H&O Editions

Le modèle économique en question, la fidélisation des lecteurs en problématique, le numérique comme nouvel enjeu, la toute puissance d’Amazon : nous les avons questionnés sur tous ces sujets brûlants qui agitent la réflexion d’une maison d’édition régionale à l’heure du kindle, du ebook et de l’appétit gargantuesque d’Amazon dans un secteur du livre fragilisé.

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UN MODÈLE ECONOMIQUE EN QUESTION

Pour la plupart des éditeurs régionaux, la question économique n’est pas une préoccupation majeure. L’amour du livre et l’envie de promouvoir des auteurs priment avant tout. « On survie au jour le jour, sur un titre qui marche, d’autres pas » explique Henri Dhellemmes de la maison d’édition H&O. Un modèle économique basé sur les recettes des ventes, souvent faibles, et les subventions institutionnelles que sont


le Conseil Régional, le Département et la DRAC principalement. « L’édition n’est pas rentable les premières années. Nos subventions ne représentent que 10% de notre budget, ça permet de démarrer un projet mais ça ne peut pas suffire » confesse la maison d’Editions Sansouire. Le problème étant également que les accords avec les librairies sont difficiles à obtenir du fait de la petite taille de ces éditions régionales, faute de distributeurs officiels. « Ça correspond à du marchandage » pour Alexe Zamora, responsable de la Communication au sein de Chèvre Feuille Étoilée, éditions féministe. Parmi toutes celles rencontrées, E-Fractions est l’une des seules à développer une stratégie précise. Celle-ci vise à « réimplanter le numérique dans le monde réel en permettant au libraire de proposer dans sa boutique le livre numérique et de prendre à nouveau le risque de collaborer avec des petites et moyennes maisons d’édition » selon son directeur, Franck-Olivier Lafferrère. LA FIDÉLISATION DES LECTEURS

Centre des attentions, la fidélisation des lecteurs est une problématique constante mais pas nouvelle. Elle correspond souvent à l’orientation éditoriale des différentes éditions. Pour exemple, H&O fait la promotion de la culture Gay, le 42

Caroline Fabre-Rousseau & Marie-Noël Arras - Chèvre-Feuille Etoilée Editions

Chèvre-feuille, quant à lui, défend la littérature féminine. Les stratégies pourtant ne diffèrent pas tant que çà d’une maison à l’autre, faute de solutions limitées. Les réseaux sociaux et les articles de presse restent les principales sources de publicité et de promotion auprès du grand public. L’avènement d’internet et la taille des maisons d’éditions y sont pour beaucoup dans ses politiques de fidélisations. « On essaie d’orienter nos publications. Nous faisons la promotion


des polars sur les réseaux sociaux, parce que l’on considère que le public est plus adapté à ce genre de littérature » rajoute Alexe Zamora « on met en place des concours pour gagner des livres, on essaie de créer des partenariats avec les blogueurs et on promeut les nouveautés via les newsletters » poursuit-elle. LE NUMÉRIQUE ET L’AVENIR E-fractions en a fait son cheval de bataille, les autres attendent de prendre le bon wagon. Sa politque s’appuie sur des prix en dessous du livre de poche. Reste à savoir si elle sera pérenne dans le temps. Mais des problèmes persistent toujours : la rentabilité et la démocratisation. En effet, le baromètre SOFIA/SNE/SGDL1 tend à confirmer que le livre numérique ne décolle pas et qu’il concerne principalement les grands lecteurs, c’est à dire ceux qui sont déjà habitués à lire. Même si le nombre de lecteurs croit, notamment grâce à l’augmentation en équipement numériques des français, il reste un phénomène mineur puisque 74% des personnes de 15 ans et plus n’envisagent pas de lire un livre numérique. Il ne serait alors qu’un complément au papier. Le format, lui, se démocratise sans que les lecteurs suivent la tendance. L’argument avancé par les édi43

teurs que nous avons rencontrés, qui met en avant le fait de toucher un nouveau public en accédant au format numérique, semble difficile à réaliser si l’on en croit les chiffres. «Nous ne mettons pas de verrous sur nos textes parce que nous souhaitons qu’ils circulent. La littérature ne circule pas dans le public. C’est une réalité. Il faut trouver des moyens de diffusion » selon un éditeur. AMAZON, L’ACTEUR INCONTOURNABLE Cauchemar des libraires, il est un acteur indispensable pour ces petits éditeurs, un collaborateur qui permet de donner un minimum de visibilité et qui peut générezr un nombre non-négligeable de ventes en ligne. Henri Dhellemmes, l’éditeur de H&O en at-


teste « Amazon est un client, je vends mes livres grâce à lui. Car mes livres numériques sont achetés sur Kindle ». D’autant que la plupart rencontrent des difficultés à créer des partenariats avec les librairies. En revanche pour Franck-Olivier Lafferrère « un algorithme ne remplacera jamais un libraire ou un médiateur. Faire de la médiation et du conseil pour d’autres ouvrages est dans l’absolu une solution pour les libraires. Mais ils travaillent 65h par semaine, ce n’est donc pas possible ».

l’égide de la Région Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénnées organise et travaille au développement du livre et la lecture sur ce territoire avec les acteurs principaux de la chaîne du livre. H&O Editions www.ho-editions.com

Un état des lieux à l’image de la situation du livre en France qui semble découler d’un certain pessimisme. Ces libraires et ces maisons d’éditions tentent trouver des stratégies pour perdurer dans le temps et redonner le goût de la lecture à une jeune génération qui la délaisse de plus en plus. Notons que l’association Languedoc Livre et Lecture sous

Editions Sansouire www.editionsansouire.fr

Le Chèvre-Feuille étoilée www.chevre-feuille.fr E-Fractions Editions e-fractions.com

Languedoc Livre et Lecture www.lr2l.fr h t t p : / / w w w. s n e . f r / w p - c o n t e n t / u p l o a d s / 2 0 1 6 / 0 3 / S y n t h e s e - b a ro m e tre-mars-2016.pdf) 1

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BILLET

Mes romans de l’été et les prix de la saison

Par Emmanuelle de Boysson « La vengeance des papillons », de Laurence Zordan (Editions des femmes), un titre bizarre. Comme si les lépidoptères, insectes en voie de disparition, pouvaient lutter contre les moulins à vent. Ici, c’est une jeune analphabète, comme Léo, dans « Illettré » de Cécile Ladjali (Actes Sud) qui s’envole, pour se brûler les ailes au soleil. Une révolte face à l’injustice dans la ligne de la maison d’Antoinette Foulque qui défendit si bien la cause des femmes. L’été est la saison des thrillers : après les inondations, « Aus-

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terlitz 10.5 » d’Anne-Laure Béatrix et de François-Xavier Dillard (Belfond) fait froid dans le dos : Paris est inondé, le Louvre, pillé, des bandits sortent des eaux boueuses, trafics en tous genres, meurtres, chienlit… Pour avoir des frissons sur la plage, lire « Les racines du sang » de Natacha Calestréné (Albin Michel). L’auteur du « Testament des abeilles » revient avec un flic sous l’emprise des fantômes de son passé : meurtres en série sur fond de scandale sanitaire mondial. C’est fou comme les thrillers anticipent ce qui risque de nous arriver. Quand les femmes s’en mêlent, ça donne des personnages terrifiants, comme Kick pro des armes à feu qui maîtrise les arts martiaux dans « Pourquoi moi » de Chelsa Cain (Lattès). Chelsa prendra-t-elle la relève de Patricia Cornwell dont l’enquête « Inhumaine » mêle sciences légales, surveillance électronique et vengeance calculée (Ed des 2 Terres) ? Chez nous, l’as du thriller reste Maxime Chattam avec son


« Coma des mortels » (Albin Michel). Parmi les romans historiques de l’été, je vous conseille « Mariage républicain » de François Cérésa (L’Archipel) : en Vendée sous la Terreur, Marie a été abusée par le comte de La Rose-Pitray. La Jacobine va se battre, aimer et se venger pour retrouver son fils. Cérésa serait-il notre nouvel Alexandre Dumas ? Le hussard est à la tête de « Service Littéraire », feuille de chou satirique, où la liberté de ton est de mise. En ces temps de pensée mollassonne, on est loin de « La Parisienne », de Jacques Laurent. Philippe Jaenada aurait dû avoir le prix Livre Inter pour « La petite femelle » que j’ai adoré. Il publie aussi « Spiridon superstar » chez Incipit. Saluons cette nouvelle maison. Portée par les Éditions Prisma et Steinkis Groupe, des auteurs y racontent une première fois, qu’elle soit historique ou universelle, dans des récits mêlant fiction et réalité : « Il s’agit moins d’écrire l’Histoire que de la réécrire, sans offense pour l’Histoire, et pour le plus grand plaisir du lecteur. » Des thèmes variés, et trois premiers ouvrages qui parlent du bikini, de

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Marguerite Yourcenar à l’Académie et de la première édition du Festival de Cannes... « La variété des sujets dessinent une fresque passionnante, où le tragique flirte avec la comédie», expliquent les éditeurs. Incipit, terme qui désigne les premiers mots d’un texte, a vocation « à aspirer le lecteur d’un bout à l’autre, de format court, on les lit d’une traite, puis on les relit avec gourmandise ». Plusieurs auteurs se sont lancés dans l’aventure, de Nicolas Rey à Philippe Besson, François Bégaudeau, Eliette Abécassis ou Joy Sorman. Une vingtaine de titres est prévue pour les deux premières années. Les illustrations de couverture sont réalisées par des dessinateurs tels que Loustal, Mattoti, Catel, De Metter, Blain... Premiers titres. Eliette Abécassis « Deux-pièces » : « Elle était là, presque nue, devant la piscine, à Molitor. Exposée aux yeux de tous, dans ce grand “paquebot” aux façades couleur terre de Sienne, à l’architecture des années trente... » Lors d’un défilé, la France de 1946 découvre la bombe atomique du couturier Louis Réard : le bikini. Dans le public, Gaby, une jeune fille


« toute frêle, à la peau diaphane » prend des notes. Un jeune homme l’interpelle. C’est Antoine, son grand amour qu’elle n’a plus revu depuis l’Exode. Il a participé à la conception du premier maillot deux pièces... À travers cette fiction aux couleurs pâles, Eliette Abécassis explore les non-dits qui ont plané sur la Libération de la France – et de la femme. Le premier bikini... nommé ainsi après que l’atoll de Bikini, situé dans le Pacifique, ait été choisi pour être le site d’un essai de bombe atomique, essai qui a eu lieu le 1er juillet 1946. Bien que le bikini ait eu un succès modéré en France, il n’a pas été immédiatement bien accepté dans d’autres parties du monde : nombre de pays catholiques ont interdit le costume. Autre texte : La première femme à l’Académie française... Sous l’Ancien régime, les femmes ne peuvent entrer dans des assemblées élues que si le règlement l’y autorise. « Les femmes ne sont pas éligibles, puisqu’on n’est citoyen français que lorsqu’on a satisfait à la conscription » (Duc d’Aumale, 1893). En 1980, Marguerite Yourcenar fut la première femme élue

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à l‘Académie grâce au soutien actif de Jean D’Ormesson. Nouvelle maison d’édition, les éditions Rabelais publient des petits bijoux, beaux livres où un auteur raconte les amours d’un grand homme et l’influence des femmes sur sa vie, comme « Picasso amoureux », de Frédéric Ferney, « Victor Hugo amoureux », de Christine Clerc et « Balzac amoureux » de votre chroniqueuse. A chacun des livres, une exposition. A partir du 17 juin, la Maison de Balzac organise une exposition « Balzac et les artistes, mythe et réalité ». De la petite table en bois sur laquelle aura été écrite La Comédie humaine jusqu’aux récents portraits de l’écrivain par Eduardo Arroyo ou Enrico Baj, en passant par les caricatures d’Henry Monnier, la Maison de Balzac évoque ainsi un écrivain façonné par son époque et ses contemporains. On sait que Balzac écrivait seul, souvent la nuit. Le cabinet de travail qui a fait l’objet d’une rénovation récente permet de l’imaginer face à luimême, couchant sur le papier la description si précise d’un monde entièrement inventé. Avec plus de cinquante œuvres (peintures,


sculptures, mobiliers, dessins…) issues des collections du musée, dont certaines jamais montrées au public, l’exposition confronte cette vision mythique du travailleur de la nuit, avec la réalité de l’œuvre d’un grand artiste marqué par la pensée contemporaine. Le foyer de l’opéra, les rédactions des journaux, les soirées littéraires offrent autant d’occasions aux artistes de se croiser. Dans le brillant salon de Delphine de Girardin, Balzac côtoie ainsi Alphonse de Lamartine, Victor Hugo, Alexandre Dumas, George Sand, Alfred de Musset ou Franz Liszt. Ces liens plus ou moins amicaux stimulent Balzac, l’amènent à se lancer dans des entreprises parfois audacieuses, que ce soit en art ou en politique. Il n’hésite pas à solliciter tantôt des spécialistes pour mieux comprendre la musique ou la peinture, tantôt ses amis pour l’écriture d’une pièce de théâtre ou de poèmes qu’il insère dans ses romans. Leurs réalisations, des sculptures, des gravures, des pièces de théâtre ont suscité des personnages, voire une nouvelle, un roman. Cette réalité complexe a été occultée par

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la représentation d’abord caricaturale et progressivement héroïque de Balzac qu’ont très tôt donné les plus grands peintres, dessinateurs et sculpteurs. Leurs œuvres, depuis 1830 et jusqu’à aujourd’hui, suggèrent diverses facettes de l’écrivain dont elles enrichissent le mythe, et ces portraits de Balzac, seul ou en groupe, forment autant d’interrogations sur ce que peut être aujourd’hui comme la création artistique. L’exposition « Balzac et les artistes » confronte la vision mythique du génie œuvrant dans la solitude, et les nombreux échanges qu’il eut avec ses contemporains. Mes romans de l’été sont déjà ceux de la rentrée littéraire. Le « Premier Prix » de la rentrée littéraire lancé le 9 juin au restaurant La Petite Cour avec le jury du Prix L’Ile aux Livres inaugure une nouvelle distinction et sacre le roman « Règne animal ». « Au fond, pourquoi attendre ? C’est en tous les cas le parti-pris du jury du Prix Île aux Livres / La Petite Cour, qui a décidé de proposer, en plus de ses lauriers habituels, une nouvelle distinction. Son intitulé ? Le Premier Prix. Son principe : saluer, plusieurs


semaines avant parution et hors de tout accueil effectif de la part des médias ou des libraires, l’un des romans de la prochaine rentrée littéraire. Après tout, la plupart des films récompensés dans les festivals de cinéma ne sortentils pas sur les écrans parfois longtemps après ? » a écrit Baptiste Liger dans L’Express.fr. « Règne animal » l’a donc emporté face au très beau « Au Commencement du septième jour » de Luc Lang (Stock) - étaient également en lice les nouveaux ouvrages de Jean-Paul Dubois, Véronique Ovaldé et Karine Tuil. Remarqué en 2008 avec « Une Education libertine » (Prix Goncourt du prix roman), Del Amo signe ici une grande épopée à travers le XXème siècle, « au style volontiers lyrique, autour de la souffrance animale - en l’espèce, celle infligée aux porcs - comme un miroir de la sauvagerie humaine. Nul doute que cette ambitieuse fresque de cinq cents pages sera abondamment commentée, lors de sa sortie en librairies, le 18 août prochain ». Par ailleurs, le jury a également

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attribué sa récompense «traditionnelle» et, pour succéder au Voyage d’Octavio de Miguel Bonnefoy, a choisi le dixième roman de Jérôme Attal, Les Jonquilles de Green Park (Robert Laffont). Cet écrivain-parolier raconte ici les tribulations d’une poignée de gamins, amateurs des comics à super-héros, dans le Londres des années 40. Ces deux trophées seront remis officiellement sur l’Île de Ré, lors du salon L’ïle aux Livres, qui se déroulera du 5 au 7 août. Samedi 4 juin 2016, les amoureux de la littérature étaient sur les marches de la terrasse du Belles Rives pour connaître comme chaque année depuis maintenant six ans l’identité du lauréat du Prix Fitzgerald. Marianne Estène-Chauvin, Présidente de l’Académie Francis Scott Fitzgerald et propriétaire de l’emblématique Hôtel Belles Rives, a souhaité ainsi récompenser un écrivain dont le thème de l’ouvrage évoque l’esprit du grand auteur américain par ses situations, l’atmosphère qui s’en


dégage et traduit au mieux son écriture incomparable, son élégance et son art de vivre. L’Hôtel Belles Rives à Juan-les-Pins est l’ancienne maison de Scott Fitzgerald quand il résidait sur la Côte d’Azur. L’hôtel, à fleur d’eau, dans un style Art Déco, ne manque pas de faire rejaillir la douce frénésie des années folles. C’est tout le glamour azuréen qui se donne rendez-vous dans une maison où charme, sérénité et exclusivité se sont donnés rendez-vous. L’hôtel Belles Rives se veut vraiment un lieu de vie et de partage offrant une parenthèse hors du temps, comme en attestent les cours d’initiation à la méditation qui s’y tiendront cet été, ou encore le dîner Bacchus en partenariat avec Dom Pérignon lors d’une soirée prestige qui aura lieu le 11 Juin prochain au restaurant étoilé La Passagère. Le jury était composé pour cette sixième édition de huit membres de choix. Eta Bertrand de Saint Vincent, Directeur Adjoint du Figaro et chroniqueur littéraire, Marie Dominique Lelièvre, jour-

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naliste et biographe, Eric Neuhoff, Chroniqueur pour l’émission « le Masque et la Plume » sur France Inter et Chef de la Rubrique Littéraire au Figaro, romancier, François Armanet, Chef du Service Opinion à L’Obs, Christophe Ono di Biot, Directeur Adjoint de la Rédaction du Point et animateur sur la chaîne TF1. Il est l’auteur de cinq romans et a reçu le Grand Prix de l’Académie Française en 2013. Les membres du jury ont décerné pour la première fois le prix à une femme, la belle Julia Pierpont pour «Les dix mille choses» (Stock). La lauréate a séjourné dans la chambre de Fitzgerald et reçu une dotation de 5000 euros ainsi qu’un trophée original du céramiste Claude Aïello. Pendant ce week-end à Juan Les Pins dans l’hôtel - à l’époque, villa Saint-Louis - où Scott et Zelda sont venus de 1926 à 1929, le programme était à la fête : séance d’initiation à la méditation avec Aurélia Lanson-Villat (Meditation & the City), balade dans le Vieil Antibes : marché Provençal, brocante, Voiles


d’Antibes… déjeuner à la plage Belles Rives, coquillages et crustacés… un régal ! La cérémonie de remise du Prix Fitzgerald fut ensoleillée par le discours de la propriétaire de l’hôtel Belles Rives, Marianne Estène-Chauvin. En prime, un bain de minuit au bout de la jetée. Scott et Zelda auraient aimé ! A l’occasion du 50e anniversaire de la Fondation Prince Pierre de Monaco, en présence de S.A.R. la Princesse de Hanovre, Présidente de la Fondation Prince Pierre de Monaco, des membres du Conseil Littéraire se sont réunis au Grand Véfour, à Paris, pour établir la liste des auteurs en lice pour : le prix littéraire qui honore un écrivain francophone de renom pour l’ensemble de son œuvre. Sont sélectionnés : Adonis, Charles Dantzig, Michel Del Castillo, Denis Tillinac et Michel Tremblay. Lancé en 2011 par Alexandre Durand-Viel, directeur Général du Château de la Messardière, le Prix Messardière - Roman de l’Eté réunit les ouvrages de plus de trente maisons d’édition. L’ori-

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ginalité de ce prix réside dans l’échange entre les trois finalistes, les membres du jury et un public de plus de 150 personnes avant l’annonce du lauréat. Cette année, les auteurs se sont présentés face à l’assemblée avant un débat orchestré par le président du jury 2016, Jean-Marie Rouart de l’Académie française, sur le thème de « Biographie et biopic : la biographie va-t-elle supplanter le roman ? ». Le samedi 21 mai 2015, les 3 finalistes : François-Guillaume Lorrain pour « Vends maison de famille », Editions Flammarion, Nathalie Rheims pour « Place Colette », Editions Léo Scheer et Romaric Gergorin pour « Erik Satie, » Editions Actes Sud / Classica se sont livrés à un échange de grande qualité devant un large public d’amateurs de littérature et les membres du jury. Ce fut un moment riche en émotion en présence d’un parterre de passionnés présents à l’occasion du 6e Prix Messardière Roman de l’Eté. En effet, cette année encore, le Château de la Messardière a été le théâtre d’un véritable engoue-


ment populaire qui a permis à plus de 150 personnes d’avoir la chance d’échanger avec les écrivains et les membres du jury. Vers 18h, Jean-Marie Rouart pouvait annoncer que la lauréate 2016 était Nathalie Rheims pour son roman autobiographique « Place Colette » aux Editions Léo Scheer. Un roman édité l’été dernier, presque un an plus tôt en août 2015, soulignant ainsi l’intemporalité de la littérature. La lauréate pouvait alors remercier chaleureusement le président du jury 2016 pour ce premier prix littéraire reçu après 17 romans publiés en évoquant avec émotion et pudeur sa famille, son histoire. La veille au soir, le jury avait longuement délibéré lors d’un dîner au restaurant gastronomique L’Acacia du

Château de la Messardière pour départager les trois finalistes dont la diversité du propos ne permettait pas l’unanimité. Nos trois finalistes et l’ensemble du jury ont participé avec succès à la 1ère édition de « Livre en Salon » organisée par le duo de libraires de Saint-Tropez Marie Coll Pasquini et Elodie Mazuir dans le Salon des Canebiers. Une heure trente de rencontre entre les écrivains (finalistes et jury) et leur public lors de longues dédicaces, permettant ainsi aux libraires d’écouler près de 200 ouvrages. Vive les libraires, les nouveaux princes de l’édition si convoités par les éditeurs !

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PHILOSOPHIE

Erythrée La Rouge PAR SOPHIE SENDRA

Il est un pays dont on entend parler peu et qui est pourtant présent dans les médias. « Les Erythréens » sont de ceux que l’on nomme, mais dont on connait peu de choses. Quel est ce pays ? Pourquoi fuient-ils ce territoire oublié de tous ? Cette ancienne partie de l’Ethiopie devenue indépendante, est vouée au silence malgré une présence historique et millénaire.

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Cette partie de l’Afrique qui borde la mer rouge est pourtant un des lieux qui fut une route commerciale importante reliant les peuples, de la Rome Antique à la Chine. L’Erythrée la Rouge ne fait parler d’elle qu’au travers de ces réfugiés, anciens citoyens des colonies italiennes, alors parlons de ces anonymes qui n’ont que des visages. La valse des peuples A la fin du XIXème siècle l’Italie conquière commercialement l’Erythrée, remplaçant ainsi un territoire géré par les anglo-égyptiens. Ce bassin africain devient alors le théâtre de conquêtes successives italiennes. Les Britanniques « prennent le relais » au milieu de la seconde guerre mondiale. Guerres de territoires, mise en exergue des intérêts stratégiques, voilà l’histoire de ce petit bout de terre coincé entre deux mondes, le Yémen et le Soudan. A cette période, les populations se retrouvent entre deux feux, les Anglais d’un côté et les Italiens de l’autre. Les raisons de ces conflits 55

étaient extracontinentales. En 1948, l’ONU s’en mêle afin de trouver une solution à cet imbroglio, mais chacun veut garder un point d’ancrage dans cette partie du monde. Cette valse des peuples a des raisons que le porte-monnaie ne peut ignorer. Cette terre en mer rouge est une ressource naturelle en or, potasse, métaux précieux pour l’industrie lourde et les technologies, le sel y est présent en grande quantité et le gaz naturel suggère que le pétrole


n’est pas loin, mais les infrastructures manquent à leur exploitation, les investissements sont faibles et la nourriture manque. Pays ignoré de tous, mais pas d’un petit nombre de gens « bien intentionnés » dirait l’autre. Le Peuple d’Asmara Fédérée avec l’Ethiopie dans les années 50, l’Erythrée fait sa révolution quelques années plus tard afin de devenir indépendante. Ces guerres intestines et internes à des peuples qui se déchirent dureront pendant plus de quarante ans jusqu’à l’indépendance de l’Erythrée en 1993, qui se détache ainsi de l’Ethiopie. Après l’interdiction de la presse indépendante, de tout exercice politique de partis contestataires, l’interdiction du drapeau par Haïlé Selassié, les guerres contre le Yémen, celles en territoire Somalien, puis à nouveau contre l’Ethiopie, les populations souffrent toujours. Le parti unique qui règne en Erythrée porte un joli nom que nous connaissons également : Le Front Populaire. Résurgence du mouvement indépendantiste à l’origine de son indépen56

dance, le FPLE - Front Populaire de Libération de l’Erythrée - se transforme avec le temps en FPDJ, Front Populaire pour la Démocratie et la Justice. Cynisme absolu de ce pouvoir « populaire » en place : certaines élections ont « parfois » lieux et d’autres sont « annulées ». Depuis 1993, aucune élection présidentielle n’a eu lieu. Ce parti qui n’a de « populaire » que le nom est dirigé depuis 1993 par Issayas Afeworki qui est à l’origine de l’interdiction de la presse indépendante. Politique la plus répressive au monde avec celle de la Corée du Nord. Les religions, autres que le christianisme orthodoxe et l’Islam, sont également interdites. La population d’Asmara est tenue par la dictature la plus fermée et la plus dure du monde et nous regardons ailleurs. Arrestations arbitraires, tortures, travaux forcés, disparitions, service militaire à durée indéterminée, famine, interdiction de quitter le territoire, voilà le quotidien de ces populations, de ces Erythréens que nous connaissons si peu et qui


la Corée du Nord de l’Afrique », et d’un texte relatant cet épisode inédit et rare dans l’histoire du journalisme international, ils nous permettent enfin de voir l’invisible, de comprendre ce que le monde ignore.

tentent, malgré ce que nous pouvons penser, de se réfugier dans les pays limitrophes, avec plus ou moins de succès. Heureusement, certains journalistes se préoccupent de connaitre, de savoir ce qu’il se passe dans cette région du monde, si loin, si proche. C’est le cas de Nicolas Germain et Romeo Langlois qui, après l’obtention exceptionnelle d’un visa de six jours, ont pu parcourir ce territoire perdu. Au travers d’un reportage diffusé par France 24 intitulé « L’Erythrée, 57

S’il fallait conclure En dehors des reportages, il existe des ouvrages qui aident à mieux cerner ce qui pousse ces populations à fuir cette partie du monde. Erythrée, un naufrage totalitaire (PUF), et Erythrée : Entre splendeur et isolement (Non-Lieu Editions) de JB Jeangène Vilmer et Franck Gouéry, font partie de ces livres qui permettent de comprendre ce territoire perdu des Droits de L’Homme.


Interview Eddie Mittelette a parcouru plus de 11 000 kilomètres en vélo dans le grand désert de l’Ouest Australien. Fasciné par les Aborigènes et par sa culture vieille de plusieurs millénaires, il est allé à leur rencontre lors de deux longs voyages entre 2010 et 2013. Un voyage initiatique, physique et spirituel qu’il nous livre dans son premier récit « Aborigènes, avec les derniers nomades d’Australie ». L’occasion de parler de cette culture riche et meurtrie, de faire l’état des lieux de l’Australie, de ses paysages grandioses à sa politique menée sur les Autochtones. Rencontre. Par Jonathan Rodriguez - Photos d’Eddie Mittelette extraites du récit de voyage contemporain Aborigènes, Avec les derniers nomades d’Australie

Vous avez parcouru plus de 11 000 kilomètres en solitaire à vélo dans l’Ouest Australien. Racontez-nous le cheminement vers cette idée incroyable… Ce n’était pas prévu initialement. Au départ, je pensais rentrer dans l’outback Australien par les routes bitumées pour ma première expérience sur les pistes. Je ne pensais pas que le poids de mon vélo pouvait tenir sur une piste molle. C’est en allant à Punmu, avec cette communauté au cœur du désert de sable, que j’ai vu que je pouvais emprunter des sentiers battus. L’expérience m’a amené 58

à refaire ce deuxième voyage en 2013 et elle m’a permis de traverser les pistes de l’intérieur. J’ai vu que je pouvais aller de plus en plus loin. Ce fut une surprise. Comment vous est venue cette passion pour la culture aborigène ? C’était assez enfoui, assez lointain à la base et cela s’est matérialisé par la pratique du boomerang. J’ai eu un déclic à l’occasion de ma première coupe du monde en 2000 à Melbourne. Je me suis découvert une fascination pour les Aborigènes. La cérémonie d’ouverture était effectuée par un Aborigène du coin qui


nous avait fait une danse magnifique. Et je voulais revenir en Australie pour un an, comme beaucoup de voyageurs anglo-saxons. Ensuite, en 2003, la lecture du livre Les derniers nomades d’Australie de W.J Peasley a été déterminante. Il raconte l’expédition menée pour retrouver les derniers nomades du désert de l’Ouest. C’est fascinant et cela a contribué à ce que je décide de faire du vélo dans le désert pour aller à leur rencontre. D’ailleurs, je voulais que la première étape de ma rencontre avec les Aborigènes se fasse à Wiluna. J’ai tout un chapitre là-dessus. Pourquoi avoir choisi le vélo comme moyen de transport ? 59

Le vélo était le moyen de m’en sortir dans cette zone très étendue. Je voulais me dépasser physiquement et mentalement surtout. C’était un outil, j’aurais très bien pu le faire en marchant. Toutefois c’était le seul moyen sans moteur à une vitesse humaine qui permette la rencontre et d’emporter avec soi énormément d’affaires. J’avais 70 kilos en plus sur le vélo. L’Australie est un pays particulier, il ne permet pas comme la Patagonie ou la steppe Mongole par exemple, de mettre des cours d’eau permanents sur votre chemin, ils sont souvent à sec. J’avais besoin de 39 litres d’eau à chaque étape. Cela n’a pas plus d’importance pour moi. Si je de-


vais le refaire, ce serait peut-être à pied, histoire d’aller plus loin. Justement, qu’apprend-t-on sur soi dans un voyage en solitaire comme celui-ci ? Le désert créé une bulle et nous fait rentrer à l’intérieur de nous-mêmes. On apprend des choses que l’on ne veut pas forcément affronter dans notre quotidien. C’est un véritable voyage intérieur hormis lorsqu’on va à la rencontre des gens. Être pendant 4 jours tout seul, sans voir personne et rouler 9 heures par jour comme je le faisais avec un rythme monotone, ça laisse le temps de réflé60

chir sur soi. Cela permet une meilleure connaissance physique de notre corps. Je faisais de l’aviron en compétition, je savais où je pouvais aller. Le désert m’a amené encore plus loin. Cette fois-ci, il y a la notion de dépassement face à l’environnement qui nous entoure, prendre le risque d’aller au danger. J’ai ressenti la crainte d’y rester et ça permet de se sentir vivant. Dans votre livre, vous parlez des nuits où les dingos venaient renifler votre tente et vos affaires. On ressent avec vous cette crainte… C’était une crainte et en même temps


tout ceci était entouré de beauté. C’est unique et on profite de chaque instant, vraiment. On est aux prises avec la vie. La crainte finit par s’en aller parce qu’on acquiert une meilleure connaissance de la nature. On se rend compte que la vie dans la nature n’est pas si violente que ça finalement. On est tous vulnérables, nous comme les animaux, ça relève de l’exaltation. Beaucoup d’éléments interpellent dans votre livre et nous alarment, notamment sur la mutation de cette culture aborigène vers l’économie matérialiste et la société de consom61

mation… Merci d’aborder ce sujet. On a tendance souvent à ramener l’Australie à une carte postale et, à tort, de ramener les Aborigènes à des personnes alcooliques qui errent dans la ville. Dans l’Australie il y a deux mondes actuellement qui ont du mal à cohabiter, qui s’entrechoquent mais qui n’arrivent pas à faire quelque chose d’unique. La société australienne est extrêmement violente. Elle produit un apartheid avéré sur ces populations. Ils peuvent monter dans un bus et s’asseoir à coté d’un blanc, mais c’est plus pernicieux que ça. Les droits sont bafoués depuis trop longtemps. Le 27 mai


dernier marquait le 49ème anniversaire de la citoyenneté aborigène. Avant cela, ils étaient rangés dans la catégorie de la faune et de la flore. Les Aborigènes sont absents des livres d’histoire entre 1900 et 1960. L’histoire est glorieuse, c’est une installation et non pas une invasion. Cela contribue à conforter les gens dans l’idée que les Aborigènes sont un détail de l’histoire... Il y a eu aussi un génocide qui a duré de 1869 jusqu’en 1970 qu’on appelle « les générations volées ». La génération la plus récente concernait les enfants enlevés dans les années 70. Mais cela a continué de manière officieuse. On les mettait dans des institutions religieuses, on acculturait les filles et on leur interdisait de parler leur dialecte. On essayait de « sauver leur âme ». Cette génération 70’s a une perte totale de repères. Ils sont sans racines. Leur souffrance est immense, c’est désastreux. Il y a une cassure entre la société et les Aborigènes, avec une immense culpabilité qui pèse sur les épaules des Australiens blancs. Il y en a une partie qui ont de la compassion et qui se sentent coupables et une autre, la majorité, qui ne veulent pas admettre, qui sont dans le déni. Ils ont été esclaves modernes, ils ont travaillé gratuitement ou été payé avec du sucre, de 62

la farine, du tabac ou des couvertures. C’est ce qui les a tués aussi et endommageait leur métabolisme. Ils n’étaient pas habitués à ça. C’est la citoyenneté qui les a amenés à une plus grande pauvreté, parce qu’il fallait les payer. Et récemment le Premier ministre, un conservateur qui ne connaît pas réellement l’histoire de son pays veut fermer les communautés aborigènes du désert de l’Ouest parce qu’il pense que c’est un choix de vie et que la société n’a pas à prendre en charge. Il y a réellement comme un sentiment de révolte dans votre livre face à ces traitements réservés aux populations aborigènes concernant l’assimilation et leurs revendications d’autodéterminations. Ce livre n’est pas un moyen de rendre une certaine justice aux yeux des lecteurs ? À ma petite échelle oui. J’aimerais vendre plus de livres pour que les gens soient au courant de ce qu’il se passe làbas. Je ne suis pas l’énième voyageur qui a fait son tour à vélo pour faire un bouquin derrière et le mettre dans son CV. Je voulais surtout parler de l’Australie actuelle, le rendre accessible et notamment aux 30 000 jeunes français qui se rendent en Australie et qui prennent


un visa vacances-travail. C’est énorme mais tout ce qui se passe là-bas reste du domaine de l’inconnu pour les touristes qui ne voient pas tous ces aspects négatifs. Sans être dans la critique constante, j’ai essayé de montrer de la joie et la beauté de ce pays sans pour autant occulter le reste et mettre ça en perspective avec les connaissances assimilées. Vous semblez prendre du recul par rapport à la culture occidentale et ce qui en est inhérent. Est-ce ce sont ces voyages en Australie qui ont façonné cette prise de recul ou est-ce que c’était déjà présent dans votre 63

tête ? Ils les ont révélés. J’ai toujours été révolté contre les injustices depuis ma tendre enfance. Cela va de pair avec l’empathie que l’on peut avoir envers les hommes et la nature. Et aller au plus près du désert a été un accélérateur. Dans mes premiers voyages, j’avais une véritable phobie pour les araignées et finalement en les observant je les ai trouvées belles. C’est ça aussi les voyages, développer de l’empathie pour la nature. C’est lié avec mes colères contre la société de consommation, qui casse cette nature, et qui n’aide pas à la préserver. Les Aborigènes ont pris de plein fouet cette so-


ciété-là. Ils commencent à accéder aux smartphones et à écouter des musiques occidentales alors qu’ils ont une musique formidable… ils développent des travers même s’ils restent encadrés par les anciens. Mais ils ne sont pas éternels… Y-a-t-il des motifs d’espoir en ce qui concerne la préservation de cette culture ? On parle de société du désert de l’Ouest, du désert central et du territoire du nord. Les autres sociétés australiennes sont beaucoup plus métissées. La culture est déjà partie dans ces sociétés-là. C’est en train de mourir mais les anciens sont précieux parce qu’ils contribuent à faire des dictionnaires écrits, à écrire les légendes pour les enfants. C’est une culture orale mais qui transpose avec l’alphabet latin. Est-ce que vous saviez dès le début que ce voyage déboucherait sur un livre ? L’idée du livre m’est venue après le premier voyage en 2010 où je me suis dit 64

qu’il y avait moyen d’écrire quelque chose de fourni et fouillé, avec tout ce que j’avais acquis sur le sujet. J’ai mis plusieurs années à faire ce livre et je ne voulais pas juste sortir un livre banal, juste pour flatter l’égo mais qu’il apporte une vraie valeur ajoutée. Je voulais plonger le lecteur dans l’immédiat. Le livre est un mélange d’apports historiques, ethnographiques et politiques mais alimenté avec votre vision très personnelle des choses… Je ne voulais pas me mettre en valeur et je ne voulais pas faire un livre historique peu accessible. Il fallait qu’on puisse s’identifier à travers le « je » et qu’on voyage avec moi. C’est indissociable. C’est pour ça que je me suis dirigé vers Transboréal (N.D.L.R : la maison d’édition). Ils ont une vraie exigence par rapport à ça. Je voulais tendre vers un voyage intérieur. On est aux prises avec l’histoire, avec l’ethnologie, la botanique… Quand on lit Nicolas Bouvier, Théodore Monod, c’est


vers ça que je voulais tendre. Je veux qu’à la fin de mon livre, on est l’impression d’en connaitre plus sur l’Australie et son peuple, sans être dissociable du plaisir. S’il ne devait rester qu’un souvenir d’un voyage comme celui-ci… En lien avec la nature, c’est de m’être penché sur les cartes du désert en les fantasmant comme si elles étaient inaccessibles, ce qui était dans mon esprit avant que je les traverse. Ces couleurs, ce désert et cette sensation de l’infini m’ont rapporté à ma vulnérabilité d’homme. C’est la conscience d’être au milieu de nulle part. Pour ce qui est des Aborigènes, c’est une somme de moments simples, du quotidien… C’est quand on est revenu de la chasse, c’est quand j’ai découvert cette petite grotte avec les anciens qui faisait partie du lieu de leur enfance, c’est cette bienveillance des martus envers moi et ce rapport d’égal que l’on a eu. Est-ce que vous comptez revenir en Australie ? Avez-vous d’autres projets de voyage ? Quand on commence à mettre le nez dans l’histoire et la culture en profondeur, dans les voyages, on ne peut pas s’en défaire. Quand j’ai terminé la ré65

daction de ce livre, je me suis dit que j’avais toute la vie pour y retourner. J’ai été très marqué par le Cambodge, c’est un pays magnifique avec des gens très beaux et une culture très belle. Je pense que c’est ma prochaine destination et je compte beaucoup lire à ce sujet. Mais je suis en train de me replonger aussi dans des livres sur l’Australie que je n’avais pas eu l’occasion de lire encore. C’est comme un fil que l’on tire à l’infini. Je vais retourner aussi en Australie… mais cette fois-ci à pied à travers le Bush, qui irait au-delà de l’engagement physique et mental. J’avais aussi l’idée de traverser l’Asie centrale à pied, hors des pistes. C’est mon grand rêve.

Aborigènes d’Eddie Mittelette Editions Transboréal 20,90 euros


BLUES

Fantastic Negrito

Fantastic Negrito est assurément le très gros coup de coeur mus qui joue un blues hallucinant. Il nous vient d’Oakland. Son vrai no veilleuse à la musique noire traditionnelle. The Last Days in Oakl norme qui continue à se produire dans la rue pour le plaisir ! Par Nicolas Vidal - photos ©DR - traduction Leila Haghshenas 66


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sical de ce début d’été pour cet artiste totalement atypique om est Xavier Dphrepaulzz. Il rend hommage de façon merland est totalement addictif ! Rencontre avec un artiste hors 67


Fantastic Negrito, vous avez une histoire hors du commun et un parcours incroyable. Quel est le chemin depuis votre signature chez le Label Interscope jusqu’à aujourd’hui ? De plus, pouvez-vous nous expliquer votre nom de scène ? Mon objectif est de créer une musique capable de communiquer avec le public. Il s’agit d’une thérapie personnelle. En ce qui me concerne, il est très important de contribuer aux rapports humains. En premier lieu, il faut avoir des chansons fantastiques. J’aime particulièrement le côté cru et le sentiment d’urgence propre à la music black roots. En effet, je marche toujours vers la lumière dans le but d’élargir mes horizons de production et de collaboration. J’espère que nous pouvons en arriver à ce point dans dix ans d’ici. Mon chemin est un voyage que beaucoup de gens empruntent. Quand j’ai commencé, je me suis fixé un objectif précis : devenir une star. J’étais certes très inspiré par les grandes musiques mais j’étais aussi très envoûté par la gloire et la renommée que la musique pouvait m’offrir. Décrocher un gros contrat avec le label Interscope me paraissait alors comme une véritable victoire. Mais un problème s’est posé : dès lors qu’un 68

musicien pense ainsi, il succombe aux tentations de la corruption de l’art et il met de côté irrémédiablement la qualité de celui-ci Un gros contrat signifie que vous avez permis à cette entreprise de vous acheter en quelque sorte. Si vous vous focalisez sur les chiffres des ventes, vous influencez votre capacité créatrice de manière négative. C’est difficile à expliquer mais le processus est très important. Plus je me concentre sur la création musicale dans un studio


sans m’inquiéter de ce que les gens vont en penser, plus je m’approche de l’honnêteté. Et si je travaille correctement, je serai à même d’interpeller mon public. Je voulais à tout prix devenir une star et cette ambition a entravé mon chemin vers la création artistique. Lorsque vous signez avec un gros label, il y a un 69

risque qu’on vous impose une manière de faire. Je m’explique : mon premier album ne s’est pas bien vendu et le label a pris peur. Je me suis donc trouvé dans un cercle vicieux où ma valeur d’artiste était mesurée uniquement sur la base des revenus générés par la vente de mes albums. Je me sentais donc obligé envers les


gens qui avaient investis sur moi. J’ai pensé que j’avais échoué même si je ne l’ai jamais avoué. J’ai aussi paniqué mais sans le savoir. Je n’avais pas la moindre idée de ce que je devais faire. Il est extrêmement difficile d’écrire des albums à succès. C’est l’une des choses que je n’aime pas faire. Écrire des best sellers est l’une des choses les plus paralysantes pour les artistes. Cependant, j’étais redevable du label qui m’avait fait confiance. Je me suis donc mis à la recherche de morceaux à succès. Ce fut un échec retentissant. Cette quête inutile m’a coûté ma créativité. Cela m’a pris toute une vie pour apprendre cette leçon. Mon nom de scène est tiré d’une expression que j’utilisais auparavant « Nigga Fantastic », une expression représentative de la disparité de la population afro-américaine, tiraillée entre le génie et le nihilisme. J’étais à la recherche d’un nom qui se voulait intriguant. J’avais ainsi un prétexte à répéter les noms tels que Skip James, Robert Johnson, Lead Belly and Charlie Patton. Il me semble que le monde ne doit jamais oublier ces pionniers. Le nom de Fantastic negrito met ainsi à l’honneur leur travail surtout maintenant que je dispose d’un écho suffisant pour citer ces noms. 70

Suite à votre accident, comment avez-vous repris le chemin de la musique ? Après quelques années de travail avec le label Interscope, j’étais vidé de ma créativité. Pour couronner le tout, j’ai eu cet accident de voiture qui m’a abîmé le corps. Je suis resté dans le coma pendant plus de trois semaines et la rééducation a duré des années. J’avais l’intention de quitter le métier mais je ne me sentais pas encore prêt. J’ai donc entamé de différents projets: mettre la musique sur MySpace, utiliser le web pour promouvoir mes spectacles. Mais finalement, j’ai tout laissé tomber. J’ai vendu tous mes instruments et je suis retournée en Oakland pour cultiver des plantes. J’ai donc mis la musique de côté. Pourtant, avec la naissance de mon fils, tout a basculé. J’ai à nouveau trouvé l’inspiration de faire de la musique. Mais il ne me restait plus rien pour produire : aucune d’équipe, pas d’argent et aucun label pour soutenir mon projet. J’ai dû donc me focaliser sur la musique sans aucune distraction. C’est ainsi que j’ai décidé de me tourner vers mes origines. J’ai mis du temps à trouver mon propre style de son mais je savais exactement dans quelle direction je m’orientais . Si vous écoutez mes anciens morceaux, vous vous


rendrez compte de l’évolution parcourue ces dernières années. «Night has turned to day », était ma première récompense musicale entant que Fantastic Negrito. Avec « An Honest Man », j’ai fait mon entrée dans un univers à la fois réel et véridique. Faire de la musique pour le plaisir et sans être obligé de se faire produire par un lable, c’est merveilleux. Il y a trois ans encore, je ne gagnais que quelques centaines de dollars en jouant dans des bars. Ayant perdu tous mes contacts avec le monde de la musique et ne sachant pas comment me promouvoir, j’ai décidé de jouer 71

dans la rue. L’une des particularités de la musique de rue est qu’on sait d’emblée si le public apprécie la musique ou pas. Je suis conscient du fait qu’il existe de milliers de moyens de devenir une star mais pour moi la rue était la meilleure des solutions. Jouer dans la rue m’a permis de savoir si je pouvais accorcher les gens dans leur mouvement pour leur faire découvrir ma musique. J’ai finalement gagné le Tiny Desk Contest, un événement qui a changé le cours de ma carrière. Après cette réussite j’ai décidé de poursuivre ma propre méthode qui consiste à créer


de la musique pour le plaisir qu’il me procure et de continuer à jouer dans la rue. Aujourd’hui, je joue toujours dans la rue et je continuerai à le faire tant que cela est possible. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce collectif, Black Ball Universe ? Il s’agit d’une assemblée de cinq personnes travaillant de manière indépendante et dans le but de produire une musique unique et originale. Nous ne gagnons pas beaucoup d’argent mais nous nous engageons à créer une musique excellente et riche en sens. En effet, ma carrière toute entière ressemble à une petite entreprise. Au sein de notre groupe, tout le monde a une voix donc un vote afin de participer à notre démarche musicale. Mon studio de musique dispose également d’une galerie où nous exposons les oeuvres d’artistes locaux pas encore connus. Ainsi, BBU s’engage dans une démarche collaborative et créatrice au sein de la communauté ( www.blackballuniverse.com ) On a l’impression que vous définissez de nouvelles frontières dans le Blues avec ce nouvel album. Est-ce exact de dire cela ? Quel rapport avez-vous avec le Blues ? 72

Oui, et je suis particulièrement fier d’avoir trouvé ma place dans la composition d’une musique qui met à l’honneur le blues. J’essaie de saisir l’esprit des chansons originales. C’est l’esprit même des chansons qui m’amène à créer des sons orignaux s’inscrivant dans la tradition blues et du gospel. Cependant, je ne cherche pas à imiter ce que nos ancêtres ont déjà fait. Je laisse juste les choses suivre leur cours naturel. Il y a une sorte de simplicité dans certaines chansons bleu que je ne peux pas encore saisir mais je compte encore y travailler. J’ai grandi avec hip-hop. Je m’inspire aussi de cette musique. Si mon but est d’atteindre le coeur de la musique roots, le concept de « hip-hop loops », les samples et lesdrums pourront m’aider à atteindre cet objectif. Lorsque j’écris une chanson, je ne garde que l’élément le plus important et je le boucle. J’utilise souvent ces boucles comme fondation de mes chansons. Je fais la même chose avec la batterie. Je me souviens encore de la manière dont le TR-808 a changé le hip-hop. La grosse caisse compte parmi les sons les plus dominants de la Pop. Je me suis inspiré du son de la batterie et je l’ai inversé. Au lieu d’utiliser des effets pour recréer le son de 808, je l’utilise afin de donner un aspect primal et instinctif au son.


Vous avez remporté le Tiny Desk Concert Contest. Suite à cela, vous avez beaucoup joué et aujourd’hui, vous sortez ce bel album « The last Days of Oakland ». Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce parcours ? Ce fut une expérience incroyable. Je ne sais pas si cel vous paraît logique, mais ce voyage me semble comme un prolongement de mes tournées dans la rue. Le soutien de NPR entant que partenaire a été sans doute non négligeable. Mais l’esprit de cette compétition s’est formé autour de l’interaction directe avec le public et par le biais des réseaux sociaux. Quel est votre rapport au fait de jouer de la musique dans la rue ? Quel rapport cela cree t-il avec les gens ? Les concerts live et les tournées consti-

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tuent l’essentiel de mon travail. C’est durant les tournées ou les spectacles que je vis l’instant présent et que je parviens à me connecter avec le public. L’enregistrement se trouve à l’opposé du live. Lorsque je joue dans la rue, l’énergie des spectateurs joue sur tous les aspects de ma performance. Ils exercent une influence directe sur la musique et la musique en contrepartie les incite à interagir. C’est donc un cercle sans fin. Cet album ainsi que votre univers rend hommage de belle façon à la musique noire traditionnelle. Pouvez-vous nous dire quelques mots à ce sujet ? Je crois que toute la musique Pop tire son origine de la musique noire. Ce que l’on appelle « pop » que ce soit hip hop,


rock, R&B, Jazz découlent de la musique Black roots. Comme je l’ai mentionné plus haut, j’essaie toujours d’aller vers la lumière autant que possible. Pouvez-vous nous expliquer le titre de ce nouvel album ? L’idée de ce titre, The Last Day of Oakland, m’est venu lorsque j’étais en tournée. J’avais l’impression que toutes les grandes villes subissaient un changement de taille.La population black traditionnelle était en train de disparaître ainsi que les communautés d’artistes. De nos jours, il paraît que les grandes villes sont exclusivement réservées aux riches et aux classes aisées. On est vraiment entré dans une nouvelle ère. Les villes telles que The Old Oakland, New Orleans, New York et même Paris et Londres ont disparu à jamais. La fin d’une époque marque le début d’une nouvelle période. Nous avons tous l’opportunité de créer de nouvelles choses à condition qu’on pense et qu’on travaille ensemble. En effet ce qui fait de nos villes des endroits agréables à vivre, c’est les gens qui les habitent. Aujourd’hui, les prix exorbitants sont en train de chasser les gens qui font le charme de ces grandes villes. Je crois que c’est une tendance dangereuse et intenable. Je pense plus spécifiquement à Oakland et San Fran74

cisco Bay qui ont contribué de manière importante par le passé à l’art d’avantgarde. Nous devons préserver ce que nous aime à mesure que nous irons de l’avant. Cet album représente t-il un nouveau départ dans votre carrière et plus généralement dans votre vie ? Oui, tout à fait. Je suis en train de chercher un son qui est à la fois réel et spécifique. D’où vous vient cette incroyable énergie que vous parvenez à transmettre dans votre album ? Je tire mon énergie de ma capacité de survie, du fait qu’il n’est jamais trop tard pour recommencer avec les gens merveilleux qui m’entourent. Il n’y a rien de plus puissant que d’explorer le champ du possible. Si vous deviez définir votre album en deux mots, que diriez-vous ? Honesty. Roots Fantastic Negrito The Last Days of Oakland Tunecore Sorti le 3 juin 2016 www.fantasticnegrito.com


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JAZZ

Sari Kessler

Le parcours de Sari Kessler force le respect pour cette psycholog faire carrière. Aujourd’hui, la chanteuse new-yorkaise sort son a Nous avons eu terriblement envie de la rencontrer. Par Nicolas Vidal - traduction Leila Haghshenas 76

photos ©John Abbott


gue clinicienne qui s’est lancée dans le Jazz sur le tard pour album Do Right qui représente l’aboutissement d’un rêve. 77


Vous avez eu une vie avant le jazz. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ? Bien sûr. Je suis psychologue clinicienne de formation. J’ai exercé à mon compte avec les adolescents et les adultes. C’était un travail que j’aimais beaucoup exercer. Malgré le fait que je ne pratique plus, je continue à utiliser ma formation dans la vie de tous les jours, y compris dans ma carrière de chanteuse. Qu’est ce que cela vous a apporté dans votre carrière actuelle ? En tant que psychologue, l’arme la plus importante dont je dispose est ma conscience de soi. Lorsque vous vous connaissez bien, vous pouvez apporter de l’aide à vos patients. Je crois que le même principe s’applique à l’interprétation lyrique. Si vous avez une connaissance approfondie de vousmême, vous êtes plus à même d’appliquer votre propre histoire aux paroles. Je connais mes paroles, mes motivations et mes émotions. Ceci me permet de m’investir dans chaque mot et y apporter une touche très personnelle. Cette connaissance approfondie de moi-même, m’a aidée aussi bien dans la gestion de mes relations per78

sonnelles que dans la composition de mes chansons. Pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec la musique ? Ce fut très soudain. Il s’agit d’un long processus. J’ai toujours aimé chanter et cela depuis tout petite. J’ai donc assouvi cette passion comme un passe temps. Elevée dans une famille juive de la classe moyenne, mes choix de carrière étaient assez limités. Mes op-


tions se limitaient à la médecine et au droit, puisque poursuivre une carrière dans les arts ne faisait pas partie de la culture de ma famille. Adolescente, j’ai chanté dans un groupe de reprise ainsi que dans plusieurs choeurs. Je n’ai commencé à prendre des cours de musique que lorsque je travaillais sur ma thèse doctorale traitant de la psychologie clinicienne. Un coach vocal m’a suggéré que je pouvais envisager une carrière de chanteuse, option que je n’avais jamais considéré auparavant. À partir de là, j’ai commencé à chanter sans aucune visée de carrière professionnelle. C’est seulement lorsque j’ai rencontré Mc Garry, mon mentor, co-producteur et professeur de Do Right que j’ai commencé à imaginer une carrière dans le Jazz. En retraçant ma carrière de chanteuse, j’ai pu voir les opportunités qui s’offraient à moi. La course à pied m’a également aidée dans cette prise de décision. Je me suis rendue compte que si j’étais capable de courir le semi-marathon, je pouvais tout faire. Cela m’a fortement encouragé à laisser de côté la psychologie et à poursuive le jazz à plein temps. J’ai finalement enregistré Do Right. 79

Aujourd’hui, vous présentez ce premier album Do Right. Comment s’est passée sa réalisation ? La préparation du CD était une merveilleuse expérience autant qu’un apprentissage passionnant. Cette expérience m’a beaucoup aidée à devenir la chanteuse de Jazz dont je rêvais. L’aide et le soutien de mes deux producteurs, James Shipp et Kate McGarry ainsi que ceux de mes coachs ( Jp Lawry et Jamie Leon-


hard) ont été également très précieux. Pour l’enregistrement, j’ai choisi les mélodies contenant une résonnance émotionnelle forte. Par la suite, James et moi, nous nous sommes arrangés pour trouver des moyens afin d’intégrer l’essence de mes paroles dans les chansons. Par exemple, dans The Gal From Joe’s, Je voulais transmettre l’expérience de la tragédie et de la perte profonde. Afin de créer l’effet de perte, j’ai dû ralentir le tempo sensiblement par apport à la version proposée par Nina Simone. James a fait un pas de plus et a demandé au groupe de jouer lentement. Il m’a également conseillé d’espacer mes phrases et d’éviter tout embellissent inutile. En effet, le génie de James consiste à employer des rythmes particuliers de la musique tels que le groove ou le mood, afin de raconter l’histoire. Il a utilisé un processus semblable pour Walk On Bay. Malgré le résultat satisfaisant de l’enregistrement, j’ai décidé d’amener ma capacité à interpréter et à chanter le Jazz à un autre niveau. C’est ainsi que j’ai décidé de chanter les paroles à nouveau. Pendant deux ans et grâce aux conseils précieux de Kate McGarry, je me suis plongée dans le 80

langage du Jazz, écoutant des grands vocalistes tout en examinant mes rythmes et en peaufinant mes interprétations (jusque dans les détails du mot et des syllabes) afin de conter mon histoire. James et Kate adhèrent tous les deux à la philosophie de « moins, c’est plus ». Cette philosophie a également contribué au succès de l’album. Qu’est ce qui vous paraissait important que cet album contienne ? Raconter mon histoire est important


et j’espère qu’à travers de l’écoute de Do Right, mon auditeur aura le sentiment de me connaître sur une base personnelle. Où puisez-vous vos influences musicales, Sari ? Je sors beaucoup pour écouter de la musique surtout celle d’autres chanteurs. Par exemple, j’ai récemment assisté à une performance de Toshi Reagon. J’ai été profondément touchée par sa vulnérabilité, son accessibilité et son rapport au public. J’ai également rencontré Cyril Aimée le mois dernier et j’ai été impressionnée par sa maîtrise musicale ( Lire l’interview de Cyrille Aimée ici). Je continue aussi à m’inspirer des géants du Jazz, à la fois des chants et des instruments. En tant que compositrice, je puise mon inspiration dans le travail des compositeurs traditionnels et contemporains à savoir Cole Porter, Amy Winehouse et Jo Lawry. Mais je suis inspirée avant tout par le défi de chanter le Jazz.. Lorsque je me heurte à un obstacle et je constate que je peux le surmonter, je 81

vais toujours de l’avant. De la même manière, quand j’ai une histoire qui me hante, je suis déterminée à trouver un moyen pour la transmettre souvent par le biais d’une reprise ou d’une composition originale. Je m’inspire aussi des gens capables d’éprouver la joie même dans des conditions très difficiles. Je suis convaincue que ses deux qualités peuvent et feront de moi une meilleure chanteuse. Quelle différence faites vous entre l’expérience de la scène et celle de l’enregistrement de votre album ? Dans les deux cas, j’essaie d’être spon-


tanée, mais dans un concert, on doit se laisser aller et faire confiance au processus. Selon mes expériences, on pourrait avoir beaucoup de surprises. Si vous deviez résumer cet album en deux mots, que diriez-vous ? Le titre, Do Right résume tout l’album. J’étais tellement passionnée de connaître la tradition, de pouvoir choisir les mélodies qui résonnent avec mes expériences tout en leur apportant une nouvelle perspective, ma perspective. Autrement dit, je voulais

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le faire convenablement (Do it right) surtout parce que j’ai emprunté la voie du Jazz tard dans ma vie. Sari Kessler Do Right Ruby Street Music www.sarikessler.com


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JAZZ

IRINA-R

Le premier album de la jeune Irina-R Sailing Home conjugue m qui a baigné dans une enfance empreinte de musique, réalise son amour pour la musique. Une séduisante invitation au voyag Par Nicolas Vidal - photos ©Mr Angelo De Grande 84


magnifiquement la jeunesse, la fraîcheur et la mélodie. Celle aujourd’hui un album à la confluence de ses racines et de age pour ce premier album «Sailing Home». 85


Vous avez débuté dans les bars en chantant des reprises. Qu’est-ce que cette expérience vous a apportée ? C’est formateur ! Se confronter à un public qui est venu boire un verre avant de venir écouter de la musique, ça apprend l’humilité. Cela m’a également appris à persévérer et à capter l’attention de mon public malgré le bruit des verres qui tintent et des conversations. Rien de tel que de recevoir les mots et les compliments de personnes en fin de soirée, contents de m’avoir « découverte ». Cela m’a aussi permis de me « faire les dents » sur scène, de m’habituer à jouer devant des gens, de dépasser ma timidité et essayer différentes choses sans avoir l’appréhension du jugement du public. 86

Quel est l’héritage musical de votre enfance, Irina ? Mes parents sont de grands amateurs de musique folk (Rickie Lee Jones, Joni Mitchell), de jazz (Tuck and Patti, Louis Armstrong, Billie Holiday,...), mais aussi de rock. Il y avait toujours du bon son à la maison. J’ai grandi avec eux, ainsi qu’avec la musique malgache que mon père et mes oncles faisaient lorsque la famille se réunissait. Il y avait toujours de la musique à la maison, j’ai très tôt baigné dans une ambiance musicale variée. Quelle est l’histoire de cet album Sailing Home ? ‘Sailing Home’, qui signifie ‘naviguer vers chez soi’, est un peu mon histoire, ma vie à des moments donnés. Les thèmes les plus souvent abordés dans les titres de cet album sont les voyages que j’ai faits, les émotions qui en ont découlées, mais également mes moments de mal-être dont l’écriture m’a permis de me délivrer. Je parle aussi de mes racines, de mon attachement au pays de mes parents (Madagascar), et des gens qui font partie de ma vie. Sailing Home, c’est un voyage autour du monde, et à l’intérieur de mon monde.


Quelle est la part de vos racines dans votre univers artistique ? Mes racines sont assez présentes. J’ai par exemple dédié ma chanson I Wish à mes ancêtres malgaches, aux membres de ma famille qui sont partis trop tôt, et que je n’ai pas eu le temps de connaître.

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J’ai écrit Easy to Want lors d’un voyage à Madagascar, il y a quelques années. Ce titre parle d’un retour aux sources, de l’appréhension et l’excitation que j’avais à aller à la rencontre du pays de mes parents. Au niveau purement musical, il n’y a pas beaucoup d’influence


malgache, mais je réserve cela à de prochains titres. Vous signez les paroles et les musiques. Comment se fait ce processus de création ? Qu’est ce qui vient en premier ? Comment choisissez-vous les thèmes abordés ? J’ai tendance à trouver la musique avant les paroles. Les textes et donc les thèmes viennent souvent à partir de ce que m’inspirent, la mélodie et le rythme de mes musiques. Vous avez bénéficié d’une solide formation au Conservatoire de Reims. Quels souvenirs gardez-vous de cette formation ? J’étais toute jeune (j’ai commencé à l’âge de 9 ans), j’y ai passé 5 années. La formation est très bonne évidemment. Par contre, il m’arrivait de ressentir une certaine pression de la part des professeurs. Le plaisir laissait parfois la place au stress… Mais je ne regrette pas, cette formation m’a permis d’acquérir de bonnes bases musicales et de comprendre la musique. Comment passe-t-on du classique à un univers plus jazz & soul ? Très facilement ! ( rires) Ma formation 88

classique au conservatoire était une base, mais les musiques que j’entends depuis toujours, et celles qui m’attirent en général sont plus diverses. Les voix de Nina Simone, Ella Fitzgerald, ou encore Krystle Warren, Lauryn Hill me fascinent, leur musique m’a donné envie de créer ma propre musique.


D’où vous vient ce nom de scène ? « Irina » pour mon (véritable) prénom, et le R pour le côté aérien et musical (comme un ‘R’ de musique), mais également parce que c’est l’initiale de mon nom de famille. Si vous deviez définir le genre musical de Sailing Home, que diriez-vous ? Un mélange de Soul, de Folk et de Jazz… Pouvez-vous nous présenter les musiciens qui vous suivent ce projet ? Oui, alors sur scène, je joue principalement avec Julien Allafort qui

VOIR LE CLIP 89

m’accompagne à la guitare, Pascal Blanchier à la contrebasse, Lewis René à la batterie. Il y a également Gerald Portocallis, batteur jazz, qui a arrangé mes morceaux pour l’album. Kristele et Candice Dupré m’ont également accompagnée sur scène pour les choeurs dernièrement. Irina-R Sailing Home www.irina-r.com


LA SÉLECTION MUSIQUE Par Nicolas Vidal

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Rruga

Colin Valon, Patrice Moret & Samuel Rohrer Délicieux est l’adjectif parfait pour définir au plus près ce que l’on ressent lorsqu’on écoute (religieusement) ce jeune trio suisse composé de Colin Vallon (piano), Patrice Moret (contrebasse) et Samuel Rohrer ( batterie). Colin Valon donne du bout de ces doigts la belle harmonie qui fait de Rruga un très bel premier album de ces trois jeunes trentenaires. Laissons de côté les comparaisons. Profitez de toute urgence de Rruga !

VOIR LE CLIP

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Sun Blowing Danielsson Neset Lund La crème du jazz scandinave concentrée dans cet album avec le bassiste Lars Danielsson et le batteur Morten Lund accompagnés tous deux de Marius Neset. Sun Blowing paraît chez Act Music, l’incontournable chapelle où se décline le jazz majestueux, prolifique et métissé. Chacun des trois musiciens a proposé des pistes musicales pour bâtir ce Sun Blowing, mise en valeur par cette belle pochette du peintre Wilhem Morgner ( 1891-1917). Un bel album. Une valeur sûre.

Eros

Paolo Fresu & Omar Sosa Le trompettiste sarde est infatigable. Paolo Fresu s’associe à nouveau à Omar Sosa pour cet énième projet au titre gorgé de promesses, Eros. Dans cet album de compositions, une oeuvre dédiée à l’amour avec la liberté de deux artistes qui ont mis en commun leur talent pour réfléchir en musique sur l’un des thèmes qui obsèdent le plus l’humain : l’amour. La chanteuse Natacha Atlas et Jaques Morelenbaum participent également au projet.

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Onwards to mars

Fanfare Ciocärlia De la fanfare tzigane comme on l’aime au BSC NEWS ! Des trompettes, des cors, des clarinettes et une grosse caisse propulsés par une énergie débordante et des rythmes endiablées ! Les enfants jouent à présent pour les pères. Ils envahissent les scènes, font des clips et sortent des albums. Onwards to mars est une belle démonstration de l’incroyable inventivité des fanfares tziganes qui, sans cesse, parviennent à se renouveller et à perdurer sur les scènes musicales. Des origines au fin fond du XIXè siècle, la Fanfare Ciocarlia continue à nous faire danser en 2016 ! Coup de coeur !

VOIR LE CLIP

Photo Anais Armelle Guiraud

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Explosive Hits

Son of Dave

Benjamin Darrill, alias Son of Dave, revient avec un septième album « Explosive hits» constitué de 13 reprises dans le but assumé de faire un tour d’horizon d’un siècle de musique. Rien que ça ! On retrouve donc Daft Punk, AC/ DC ou encore Rudimental mais revu à la manière de Son of Dave avec force harmonica et beatbox pour redorer le blason d’un patrimoine musical vintage. À découvrir pour ce côté très atypique et terriblement énergique !

Rainbow Shell

Perrine Mansuy Nous avions un peu perdu de vue le très prometteur et efficace label Laborie Jazz. Nous voilà à présent rassurés avec la sortie de Rainbow Shell, le nouvel album de la pianiste Perrine Mansuy qui vient de nous tomber entre les doigts chez Laborie. Tout vient de l’intérieur sur cet album qui propose 10 morceaux délicats, enjoués et d’une belle teneur mélodique. Un côté pop pas désagréable pour un album généreux qui incite à une écoute enthousiaste. À noter la pochette séduisante et végétale de ce nouvel opus. On aime. 94


Funambules

Thomas Enhco & Vassilena SeraFimova

Le titre de l’album est à lui seul une invitation à un voyage musical. Le pianiste Thomas Enhco et la percussionniste Vassilena Serafimova forment un duo musical singulier. Funambules est le fruit de cette incroyable collaboration paru chez le prestigieux label Deutsche Grammophon. On connaissait Thomas Enhco dans un registre jazz. Son association avec la jeune bulgare est un enchantement aux confluences du classique, du jazz et du contemporain. On recommande !

Mad System

FESTEN

Festen se démarque par bien des aspects sur la scène jazz mais le plus criant réside dans cette incroyable vitalité à faire transparaitre des images dans cet album. Il y a incontestablement une bonne dose de talent et d’enthousiasme pour donner corps de cette façon à un album. Le quartet alterne entre compositions et reprises toujours dans cette même matière de métal brut que seul un jazz ambitieux peut produire. Une belle découverte ! www.festenmusic.com 95


Blue Nomada Sophia Charaï

Sophia Charaï revient après son dernier album « Pichu» sorti il y a cinq ans. Avec Blue Nomada, la chanteuse marocaine décline ses plaisirs de métissage et de voyages. Elle est accompagnée par le chef d’orchestre Nicolas Tascari et le guitariste/producteur Mathias Duplessy. Un vent d’espoir pour une artiste qui croit au métissage culturel. Frais pour l’été.

Easy Listening Ping Machine

Lorsque un nouvel album estampillé du label NeuKlang arrive à la rédaction, on s’attend toujours à un projet singulier, atypique, particulier, hors des sentiers battus... Ce nouvel album respecte à merveille l’exigence et l’audace du label avec les Ping Machine qui nous secouent énergiquement avec Easy Listening. L’orchestre parisien version XL avec 15 musiciens enchante une nouvelle fois d’inventivité et de ces explorations mélodiques. Conviendra exclusivement aux curieux et aux amateurs de jazz. 96


Upward Spiral

Brandford Marsalis Le nom Marsalis a une résonnance toute particulière dans le monde du jazz. Il sonnerait presque comme une marque. Brandford Marsalis, frère de Wynton et d’Eliss, a fondé son propre quartet qu’il porte avec un style très contemporain, formenté avec les années de musique qui s’étiraient du classique au jazz allant jusqu’aux frontières de la pop et du funk. Cet album Upward Spiral sur lequel est invité le chanteur Kurt Elling est une belle réussite à l’image de Brandford Marsalis. À découvrir !

Blue Bird

Michel Bisceglia Michel Bisceglia éclabousse de sa grâce cet album Blue Bird. Le belge est connu en tant compositeur de musiques de film. C’est dans cette même veine qu’il compose Blue Bird pour la réalisateur Gus Van den Berghe. Intitulé «Music for the film concert», Michel Bisceglia réaffirme son idée que le film serve de support à la musique. Blue Bird est un délice qui s’écoute sans effort. www.michelbisceglia.org

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The Dark Side of a love affair

THE HEADBANGERS

Un premier album surprenant sous la houlette de Nicolas Gardel qui prend le contre pied de ce que l’on attend d’un album de jazz. Mais quelle force et quel entrain pour nous hypnotiser sur « The Dark Side of a Love Affair». L’exigence du jazz, la puissance du rock et la grandiloquence d’une formation certaine des ses atouts et de son groove. Un remarquable album sur lequel vous devriez accorder une écoute attentive. Inclassable et puissant ! www.headbangers.fr

Trees PJ5

Continuons de nous réjouir bruyamment que la nouvelle garde du jazz français ne cesse jamais de faire émerger des talents. Le quintet du guitariste Paul Jarret vient nous le rappeler. Avec ce album Trees ( après la sortie de Word en 2014) se déroule sur la thématique de l’arbre. Il y a clairement un côté pop qui ne jure pas avec l’exigence de ce quintet pour qui le jazz aurait presque des aspects d’écologie musicale. A découvrir ! www.ping-machine.com

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BANDE DESSINÉE

Western atypique Dans le cadre d’une mission assez énigmatique, un photographe se retrouve dans le grand ouest américain pour y prendre des clichés. Avec lui, le responsable de l’expédition - qui voit dans les Indiens de simples éléments appartenant au décor - et un adolescent chargé de l’intendance. Mais quel est donc le véritable but de cette mission ? Et chacun est-il bien celui qu’il prétend être ?

Loo Hui Phang et Frederik Peeters signent un western tout à fait étonnant dans lequel situations et personnages s’avèrent plus complexes qu’il n’y paraît au premier abord. Réjouissant ! Par Boris Henry

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L’odeur des garçons affamés se présente presque comme un western traditionnel avec ses grands espaces, ceux qui y vivent (des Indiens aux chevaux sauvages) et des personnages tenant de l’archétype venus là dans le cadre d’un travail. Cependant, dès le début, cet album évoque davantage les westerns ambigus des années 1950 ou ceux crépusculaires des années 1960 et 1970 que ceux classiques. Ainsi, nous devinons


vite la complexité des personnages et l’importance de leur face cachée. C’est suggéré notamment par des scènes étranges, parfois très courtes, contenant des aspects romantiques ou paranormaux et teintant singulièrement le récit, le conduisant ailleurs. Cette étrangeté est accentuée par les partis pris de la couleur. Quant au dessin de Frederik Peeters, il se fait toujours plus réaliste ; c’est parfois déstabilisant pour qui suit cet artiste depuis longtemps, mais son trait continue d’être impressionnant et de véhiculer une certaine poésie. De ces différents partis pris découle une œuvre qui paraît d’abord commune, avant de révéler progressivement toute son originalité, sa sensibilité et son humour décalé. Loo Hui Phang et Frederik Peeters ne jouent donc pas la carte de la facilité, défrichant brillamment des territoires finalement assez peu explorés par la bande dessinée. 101

L’odeur des garçons affamés Éditions Casterman Scénario de Loo Hui Phang, dessins et couleurs de Frederik Peeters 112 pages en couleurs 18,95 euros


BANDE DESSINÉE

Ah… l’amour !

René Hausman et Jean-Luc Cornette rendent un très bel hommage au grand Raymond Macherot en donnant leur vision de Chlorophylle, l’un de ses personnages emblématiques. Par Boris Henry

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C’est l’été ! Au Petit Bosquet, où vivent notamment Chlorophylle et Minimum, tout devrait donc aller pour le mieux. Mais Minimum paraît ne plus être en pleine possession de ses moyens. Est-ce parce qu’une nouvelle venue s’est installée dans les parages ? En effet, la belle souris Particule Piquechester a décidé de quitter la ville - désormais bien trop polluée - pour s’installer à la campagne ; Minimum ne semble pas insensible à son charme et c’est manifestement réciproque. Malheureusement, de funestes événements vont contrarier l’idylle naissante. Il est troublant de lire et de chroniquer cet album désormais, René Hausman nous ayant quitté le 28 avril 2016, quelques semaines après la publication (le 4 mars 2016) de cet hommage à Raymond Macherot, l’un de ses maîtres. Si le dessin d’Hausman est très diffé-


rent de celui de Macherot et qu’il y a graphiquement peu de points communs entre leurs deux Chlorophylle - celui de Macherot est tout en rondeur, celui d’Hausman est plus étiré -, l’esprit est proche, les deux artistes comptant parmi les plus grands dessinateurs animaliers de la bande dessinée franco-belge. Comme dans bon nombre de ses ouvrages, Hausman s’en donne à cœur joie, dessinant une nature sauvage luxuriante, riche en animaux divers et variés. Tout cela est rendu particulièrement vivant par la mise en couleur et sa dimension aqueuse qui permet de jouer à la fois sur l’aspect dense, touffu des lieux et sur la présence de la lumière qui les traverse, les éclaire… les rendant plus accueillants ou, au contraire, plus inquiétants. La plupart des pages comportant peu de cases, les dessins s’enchaînent avec une certaine fluidité, dynamisant ainsi davantage la narration. Quant au scénario, écrit par l’éclectique et fort talentueux Jean-Luc Cornette, il s’attache au sentiment amoureux, à son apparition comme à sa transformation, rendant palpable ce qui accompagne cela : les premiers frissons, la déception d’aimer et de ne pas l’être en retour…

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Au centre de ce récit, il y a également la question de l’altérité et de la monstruosité physique. Le monstre des trois sources s’aventure alors sur des sentiers qui évoquent des œuvres comme Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818) de Mary Shelley, L’Île du docteur Moreau (1896) d’H. G. Wells, King Kong (1933) de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack. Par sa beauté visuelle et sa richesse thématique, cette bande dessinée devrait ravir les enfants comme les adultes sensibles à la poésie de l’univers de Macherot revisitée ici par celle de Cornette et d’Hausman. / Boris Henry

Une aventure de Chlorophylle par Hausman et Cornette - Le monstre des trois sources Éditions Lombard Scénario de Jean-Luc Cornette, dessins et couleurs de René Hausman 48 pages en couleurs 14,99 euros


PHOTOGRAPHIE

LANQING ZHU

LES MONTAGNES MELANCOLIQUES « La montagne a bien sa place dans l’âme » Antonin Artaud Par Julia Hountou

« La chose la plus intéressante à propos de la photographie, selon moi, est que mon appareil photo m’ouvre un « portail» pour examiner la vie et découvrir un monde encore plus grand. »1 Invitée en Suisse dans le cadre du programme SMArt de la Fondation pour le Développement Durable des Régions de Montagne (FDDM), la photographe chinoise Lanqing Zhu2 a séjourné durant trois mois en Valais, lors d’une résidence au Château de Monthey en collaboration avec le Théâtre du Crochetan. N’ayant pratiquement jamais quitté la Chine auparavant, c’est au travers d’un regard neuf qu’elle a construit minutieusement3 son univers. 104

Depuis plusieurs années, elle prête « attention à la façon dont la nature ou la force de l’environnement géographique, façonnent et influencent la société. »4 Telle est la motivation première qui l’a incitée à postuler pour le projet SMArt. En outre, le massif alpin participe de l’identité nationale helvétique : ce grand sujet paysager se révèle presque incontournable pour un photographe, de surcroît étranger. Aussi Lanqing Zhu s’immerge-t-elle dans les Alpes valaisannes et vaudoises pour photographier Villars-Gryon, Leysin-Bienvenue, Les Diablerets, Verbier, Saas-Fee, Zermatt… Evitant les sites connus et les thèmes res-


Lanqing Zhu, Série Les Montagnes mélancoliques, Les Diablerets, 2016

sassés, elle réalise des images dont chacune dévoile une facette de la montagne telle qu’elle la perçoit. Avec délicatesse et réflexion5, elle appréhende la nature majestueuse dont tout semble avoir été dit et montré, pour en saisir au final le substrat plus secret mais néanmoins emblématique. Plus qu’une topographie exacte, elle cherche à dépeindre avec une sensibilité à fleur de peau les variations de temps et les sentiments que ces paysages nouveaux - à ses yeux - lui inspirent. Réceptive aux états transitoires, voire fugitifs, de la nature, elle 105

s’attaque au grand défi des photographies de montagne, qu’elle revisite tout en subtilité. Elle crée ainsi des images profondément personnelles, relevant d’une forme de solitude introspective. 6 Mousseline flottante, couleur du temps Sur la plupart des photographies de Lanqing Zhu se dessinent, dans des volutes de brouillard, les sommets arrondis ou dentelés, aux excroissances de toutes formes. On contemple des paysages es-


Lanqing Zhu, Série Les Montagnes mélancoliques, Villars-Gryon, 2016

tompés d’où émergent les crêtes comme « dématérialisées ». Entourée d’une aura mystérieuse, la brume s’étend au point de rendre indistincts l’horizon et le ciel couvert. Ces clichés vaporeux exhalent une ambiance poétique ; les monts semblent flotter, détachés du sol, alors que la photographe joue sur le visible et l’invisible. Ces atmosphères peuvent parfois rappeler les fonds des paysages chinois parés de traînées brumeuses d’où surgissent des rochers ou des falaises exécutés avec une grande densité de lignes. De ces images diaphanes, poudreuses 106

et silencieuses se dégage une langueur qui évoque quant à elle la peinture romantique initiée notamment par Caspar David Friedrich7. Lanqing Zhu aime ces journées nuageuses qui confèrent un aspect très lisse aux montagnes. Elle sait remarquablement bien tirer de ces cieux pommelés des gris subtils et lumineux. Pour elle, ce brouillard laiteux - semblable à de la ouate - s’apparente à un cocon protecteur, qui suggère la douceur, le silence, le repos, la paix et l’harmonie. Unissant le firmament et la terre, la brume - symbole d’impermanence - met


Lanqing Zhu, Série Les Montagnes mélancoliques, Les Diablerets, 2016

l’âme en éveil et invite à une réflexion sur soi-même8. Matière informe, changeante, en devenir, elle permet de rêver et de projeter sur « l’écran » qu’elle nous présente toutes les créations de nos imaginaires9. Concrétisant par ses photographies l’idée d’une matérialité évanescente et en mutation constante, la photographe nous amène à nous interroger sur la notion de réalité alors que le paysage tend à s’effacer. Nous confrontant à l’opacité du tangible, elle privilégie souvent l’indécision dans l’esthétique 107

de ses images, laissant place à différents possibles. L’idée d’apparaître et de disparaître dans une chromie dominée par le blanc et le gris est une manière d’échapper à l’emprise du réel en restant dans un entre-deux volontaire. Elle invite à se référer à la pensée extrême-orientale, où l’opposition du bien et du mal, du fort et du faible, du courbe et du droit, est contestable. Le grand art et la suprême sagesse, comme l’attestent la peinture et la poésie chinoises, consistent à saisir la réversibilité des opposés et à révéler


Lanqing Zhu, Série Les Montagnes mélancoliques, Saas-Fee, 2016

l’infini dans le fini, la présence dans l’allusion, l’éternel dans l’éphémère. Selon cette culture lointaine, la notion de fadeur est inséparable de celles de Vide, d’effacement du moi. Ces concepts représentent ainsi un idéal à atteindre pour le Sage et l’artiste chinois. Du surnaturel au spirituel Aux Diablerets, au sein de la montagne énigmatique et étrangement sereine, Lanqing Zhu photographie des skis et des bâtons abandonnés dans la neige. S’ils 108

matérialisent la présence humaine, ils suggèrent dans le même temps sa disparition. La proximité d’une crevasse délicatement circonscrite renforce la sensation d’une menace sous-jacente, comme si les skieurs avaient été littéralement engloutis. Plane alors une atmosphère particulière, comme surnaturelle. Dans ce « studio » naturel réduit à un fond quasi monochrome, l’imaginaire peut prendre son essor. Si l’aspect ouaté de la neige confère à l’ensemble une impression de silence et de sérénité, cette image - merveilleusement simple, mais terriblement intrigante - ré-


Lanqing Zhu, Série Les Montagnes mélancoliques, Villars-Gryon, 2016

vèle un moment incertain, une situation décalée, en suspens. La vacuité, la solitude, l’immobilité ou l’inquiétante étrangeté ne tiennent pas seulement à ce qui est montré, mais aussi à la désorientation et à l’isolement savamment étudiés par la photographe. A travers le prisme de son regard enclin à la poésie, Lanqing Zhu métamorphose ce qu’elle observe. Ces simples skis négligemment posés sur la neige en contrebas de la montagne peuvent ainsi apparaître 109

comme une délicate offrande colorée à l’intention de quelque divinité des sommets, témoignage de déférence envers les éléments de la nature. L’artiste a d’ailleurs photographié à plusieurs reprises, en particulier dans sa série A Journey In Reverse Direction, cette pratique propitiatoire courante en Chine, qui tire tout son sens moins de l’objet présenté que de l’attitude intérieure présidant au geste : dévotion, respect et humilité, autant de dispositions que la photographe nous suggère d’adopter à l’égard de notre environnement.


Lanqing Zhu, Série Les Montagnes mélancoliques, Les Diablerets, 2016

Eloge de l’épure « Tel un réalisateur de cinéma, je « déplace » le monde extérieur avec mon viseur. »10 Aspirant au dépouillement, Lanqing Zhu s’attache à souligner la simplicité abstraite de ce qui l’entoure. Dans l’une de ses photographies prises à Villars-Gryon, un simple filet en plastique dévoile son caractère graphique. Il rappelle soudain une installation d’art contemporain, légère et arachnéenne. La photographe maîtrise parfaitement l’art 110

de la composition, en plaçant délibérément la montagne au centre de l’accessoire qui se mue alors en un cadre insolite axé sur le sommet. De surcroît, les motifs triangulaires de l’objet, qui figurent l’image archétypale des cimes, accentuent encore les contours arrondis du massif que l’on aperçoit à l’arrière-plan, suggérant en filigrane l’érosion inexorable des roches. Dans ce décor teinté d’irréel, tout semble immobile, le temps est suspendu ; l’horizon étirable à l’infini ; l’instant possède un goût d’éternité. Dans une volonté de


Lanqing Zhu, Série Les Montagnes mélancoliques, Matterhorn, 2016 111


tempérer le lyrisme habituel face à la montagne, Lanqing Zhu métamorphose les silhouettes colorées des skieurs des Diablerets en frêles notes disposées comme sur une portée musicale, alors que la photographie s’organise autour d’un axe, un simple pilier bicolore situé au premier plan. A travers son regard à la fois contemplatif et précis, toujours tendu entre réalisme et propension au rêve, la photographe parvient à faire flotter au-dessus du paysage feutré ces corps aux tons acidulés. Notons le subtil dosage entre vérité photographique et dimension picturale : la nature se fait toile peinte tandis que les personnages en partance s’apparentent à de délicates touches pastel bleues, roses ou jaunes qui se détachent sur l’étendue neigeuse. Avec une surprenante économie de moyens, Lanqing Zhu joue sur les formes épurées, réduites à l’essentiel. Prêts à s’élancer, en haut de la piste, les skieurs ne vont pas tarder à disparaître, incarnant la fugacité de l’instant. Dans l’écrin de ces paysages imposants, elle mesure également la petitesse et la vulnérabilité des sportifs, à peine perceptibles dans l’immensité blanche11. Telle la neige qui recouvre le paysage, la mélancolie nous enveloppe d’un sentiment hypnotisant.

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Des sommets domestiqués par l’industrie du ski Privilégiant une approche complexe, Lanqing Zhu ne réalise pas un travail purement formaliste ; elle mêle à sa recherche esthétique des préoccupations liées au questionnement social à travers les diverses infrastructures montagnardes (téléphériques, pylônes électriques, canons à neige aux teintes vives, gares, rails, piquets, barrières, clôtures, entrepôts…) qui suscitent des débats d’ordre environnemental. Quasiment dénués de trace humaine, ces équipements mécaniques deviennent des créatures fantomatiques dont la présence contraste avec la pureté neigeuse. Attentive, la photographe scrute ces différents éléments pour interroger notre relation à ces dispositifs utilitaires qui jalonnent désormais le domaine skiable. Pour révéler les criants contrastes propices à l’interrogation, Lanqing Zhu n’hésite pas à photographier notamment la gare de Villars-Gryon située en contrebas des pistes. Elle révèle ainsi combien l’industrie touristique déploie d’impressionnantes prouesses techniques pour nous donner accès à un relatif dépaysement au sein d’un supposé « paradis ». Paradoxalement, ces sublimes étendues


de solitude, à présent accessibles au plus grand nombre, tendent à se voir dénaturées, désacralisées par la « mutilation » de ce en quoi résidait précisément leur pouvoir d’attraction. Sur l’esprit du temps « J’aime toutes les vieilles choses telles que les vieux films, les vieux vêtements, les vieilles boutiques et ainsi de suite, elles m’inspirent souvent beaucoup pour mon travail. » Selon une attitude quasi sociologique, Lanqing Zhu a collecté en parallèle à sa série photographique, de vieux clichés de montagne et d’anciennes cartes postales de paysages alpins personnalisées par de petits messages manuscrits. D’apparence anodine, ces documents représentent cependant bien plus que de simples vecteurs de communication. La photographe les considère comme de véritables objets culturels qui symbolisent leur temps à leur façon, tels un reflet fidèle des mentalités et un acte authentique de sociabilité. Ces précieuses sources d’informations - géographique, sociologique et touristique12 - nous parlent des modes et des époques révolues. Lanqing Zhu réactive ainsi le passé en les combinant avec ses propres photographies afin d’introduire 113

une autre dimension perceptive de la montagne ainsi qu’une approche plus complexe de cette réalité. Par ce biais, elle souligne les rapports contradictoires de l’être humain avec la nature : la conception « romantique » où l’on cherchait une relation privilégiée à la montagne, favorisant le ressourcement et la découverte, a laissé place au tourisme de masse. L’idéal d’un paysage virginal et sauvage auquel aspirent les hommes depuis toujours se voit contredit par le déferlement tout-puissant de l’aménagement du milieu naturel et l’omniprésence des médiations technologiques ou informationnelles qui accompagnent l’importante fréquentation touristique. A travers ses photographies empreintes d’une subtile poésie et d’une singulière langueur, Lanqing Zhu privilégie essentiellement des atmosphères feutrées évoquant des états en transition, dans un monde post-moderne où le sens des choses semble se désagréger, enfoui sous un léger voile de nostalgie. Lanqing Zhu 2 Son site : http://julanching.com/ 3 Lanqing Zhu photographie lentement et avec une précision méticuleuse. Elle se sert d’un Mamiya 7 et d’un Fuji GW670 et travaille avec des négatifs couleurs 120 de telle sorte que ses photographies ont un format 6x7. Puis, par le truchement de leur numérisation en haute résolu1


tion, elle convertit ses photographies en images numériques. 4 Lanqing Zhu 5 Lanqing Zhu réfléchit constamment et note ses idées dans de petits carnets. « La photographie et l’écriture font que les choses informes deviennent claires, comme d’invisibles gouttes de pluie tombant en éclaboussures sur le sol. » 6 « Je sentais monter en moi quelque chose de drôle, en même temps que j’avais froid : comme si j’avais été supprimé de dessus la terre, comme si j’étais hors du monde. J’étais seul avec moimême, comme il arrive à l’heure de la mort […] comme si je n’avais jamais été attaché à rien. » Ramuz, Nouvelles et Morceaux, 1969 [1910]. 7 - Caspar David Friedrich (1774-1840) est un peintre et dessinateur allemand, considéré comme l’artiste le plus significatif et influent de la peinture romantique allemande du XIXe siècle. Depuis toujours, la brume et le brouillard exercent une fascination toute particulière sur les écrivains et les artistes. Romans et poésies, tableaux et films cherchent à évoquer leur influence sur l’homme, sur son comportement et sur son état d’âme. « De nos jours, les gens voient les brouillards, non pas parce qu’il y a des brouillards, mais parce que peintres et poètes leur ont appris le charme mystérieux de tels effets. Sans doute y eut-il à Londres des brouillards depuis des siècles. C’est infiniment probable mais personne ne les voyait, de sorte que nous n’en savions rien. » Oscar Wilde, Le déclin du mensonge. 8 - Ce n’est qu’en 1538 que le mot « brouillard » désigne le phénomène climatique. Le mot indiquait d’abord un état transitoire, moment de confusion, de mélange et de désordre aussi bien physique que mental. 9 - « Parfois nous voyons un nuage en forme de

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Dragon, Parfois une vapeur pareille à un Ours, à un Lion, Une Citadelle à tours, un Rocher suspendu, Une Montagne fourchue, ou un Promontoire, Couvert d’arbres qui font des signes au Monde, Et abusent nos yeux avec de l’Air. »William Shakespeare, Antoine et Cléopâtre : acte IV, scène XI. 10 - Lanqing Zhu 11 - Dans un retour à une échelle « humaine », sa série inclut aussi quelques portraits de skieurs et touristes. 12 - Très tôt, Lanqing Zhu a été sensibilisée aux mœurs touristiques car comme elle l’explique : « Ma mère a travaillé dans un office de tourisme de ma ville natale avant que j’aille à l’école secondaire. Elle rapportait toujours beaucoup de prospectus touristiques à la maison et m’a emmenée à certains endroits et événements. Je pense vraiment que cela a influencé mes sentiments et points de vue sur l’industrie touristique. » SMArt : www. sustainablemountainart.ch


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